Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Paris. Mardi 13 août 1850

Certainement je veux tous les jours des lettres. J'aime mieux les longues; mais je veux les courtes. Vous n'aurez aussi que quelques lignes aujourd'hui. Je reviens du Collège Bourbon ; je pars ce soir, et j'ai beaucoup de petites commissions et affaires. Les journaux vous disent l’accueil que j'ai reçu hier du public au grand concours. Fort au delà de ce que je pensais. J’étais à peine entré, toute la salle s'est levée, et les applaudissements ont duré trois minutes au moins. Tout-à-l'heure, la même chose, a recommencé au collège Bourbon, sur une plus petite échelle. Je suis moins ironique que le Duc de Wellington ; j'ai salué de bonne grâce, au lieu de hausser les épaules Comme les jalousies, pas plus les politiques que les amoureuses, ne meurent jamais, vous remarquiez que le Constitutionnel ne dit pas un mot de ce qui s’est passé à mon entrée dans la salle du grand concours.
Je n'ai rien appris hier ni ce matin, quoique j'aie vu beaucoup de monde. Paris est parfaitement tranquille, assez prospère et toujours triste au fond, un peu par inquiétude de l'avenir, un peu par honte du passé. C’est un pays qui ne veut pas remué, mais qui vit mal à l'aise dans son repos. Adieu. adieu.
Je retourne à Trouville, en passant par le Val Richer où j'ai quelques ordres à donner et quelques papiers à prendre. J’arriverai à Trouville le soir au lieu du matin. Je manquerai très probablement l'heure de la poste, et il vous manquera une lettre. Adieu. Nous n'avons pas ici une pluie continue comme vous à Ems, mais des orages qui recommencent sans cesse.
Adieu, et adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Paris, lundi 12 août 1850

Les Sainte-Aulaire ont été charmés hier de me voir. Ils m'attendaient au bord de la rivière que j'ai passée dans un petit bateau comme celui dont vous n'avez pas voulu sur le Rhin. Mais quand nous irons ensemble, nous n'userons point du petit bateau ; avec vingt minutes de plus on passe sur le pont de Corbeil. Rien que Mr et Mad. d’Harcourt, M. de Viel-Castel, M. Raulin, un M. de Kermarer, représentant et parent de Sainte-Aulaire, et moi. Amicale et agréable conversation. Il écrit ses mémoires avec passion. Elle a bien de l’esprit. Fusionniste, plus décidée que personne ; ne comprenant pas qu’on ne le soit pas si on est sensé et honnête. Ils sont bien établis. Ils resteront là jusqu'au 15 Janvier. Leurs enfants viennent alternativement leur tenir compagnie. Les d'Harcourt vont en Angleterre à la fin du mois, pour quelques jours le mari pour son héritage, la femme pour rendre ses devoirs à la Reine.
J’ai eu hier une longue lettre de la Reine, ancienne (25 Juillet) ; elle m'a été apportée par quelqu’un qui a fait de longs détours. A ce moment quoique après la fatigue de la première communion de M. le comte de Paris le Roi continuait d'aller mieux. Du moins la Reine le croyait et me le dit. Elle me remercie vivement de l’article de M. de Lavergne dans la Revue des deux mondes. Evidemment cela leur a fait un grand plaisir. Ils seront à Richmond samedi prochain 17.
J’ai oublié de vous dire qu’en passant à Bruxelles, j'ai redit au roi Léopold ma conversation chez vous avec le comte Chreptovitch. Vous vous la rappelez. Il en a été charmé. Van Praet m'a dit que le Général Skrinesky (est-ce le nom ?) n’était plus employé dans l’armée Belge. Il est en retraite. Ils n’ont plus dans l’armée que sept ou huit officiers Polonais dont il leur serait assez facile de se débarrasser. Il ne leur faut qu’une occasion naturelle, qui peut se présenter. Du reste, j’ai trouvé la Belgique, non pas agitée mais assez troublée de la retraite du Ministre de la guerre, retraite forcée par les susceptibilités et la mauvaise humeur de la garde civique de Bruxelles. Le 23 Février sans révolution. Il m’a paru que cela inquiétait les gens d'esprit. Là aussi, il y a de bien mauvaises idées et habitudes qui ne fermentent pas et n'éclatent pas tout de suite, comme en France, mais qui couvent et pourraient bien jouer quelque mauvais tour.
J’ai eu hier la visite de votre ministre des Finances, Achille Fould. Assez tranquille sur l'année 1851, sauf les trois derniers mois. C'est alors qu’il faudra prendre son parti. Le Président part ce matin. A tout prendre on croit que les manifestations favorables l'emporteront sur les manifestations hostiles. Je le crois aussi. Le second dîner militaire à l'Elysée (320 couverts, officiers et sous officiers, pêle-mêle, un choix dans deux régiments de ligne) a été plus tranquille que le premier à vrai dire assez froid. Je doute et on doute que cette pratique continue. Elle réunit médiocrement auprès des acteurs et déplait beaucoup au public spectateur. Je suis allé voir hier Kisseleff que j'ai trouvé sensé et content selon son usage. Il paraît croire d'après des nouvelles très récentes de Péterstourg que décidément l'Impératrice ira passer l'hiver à Venise. Il ne m'a rien dit de M. de Brünnow. Le Roi Othon a été très satisfait du résultat des débats de Londres. C’est à Athènes une reculade, avérée pour l'Angleterre et Lord Palmerston. M. Thouvenel a un congé de trois mois. Mais il reste Ministre à Athènes et en bonne position. M. Drouyn de Lhuys écrit que Lord Palmerston n’est pas reconnaissable, doux, patient, craignant les affaires. s'y prenant de loin pour les éviter et demandant qu'on l'aide à les éviter.
Adieu. Adieu. J’espère que vous êtes bien établi à Schlangenbad. Je pars demain soir pour Trouville. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Schlangenbad le 11 août dimanche 1850
8h. du matin

Je suis arrivée hier à 4 heures. J’ai trouvé votre lettre de Bruxelles, très agréable lettre. Je n’en aurai pas à vous écrire de cette façon. La solitude ici est complète, Madame Molorti qui part dans quelques jours, voilà tout ce que je trouve. Je l'ai essayée hier pendant une demi-heure & je suis arrivée au fond. Il n’y a rien. Voilà où j'en suis et où j’en serai.
La princesse de Prusse est retournée à Coblence, c'est là où elle aime à régner. La route d’Ems ici n’est belle que près de Nassau, et puis, près de Schlangenbad le reste est montagneux & aride. Mon appartement est agréable. Tout est riant et charmant excepté le ciel. Il pleut, il ne fait que cela. Ce sera agréable ! Pas une âme. La petite Grasalcovitz ne vient que jeudi. Adieu. Adieu. Voici la poste qui part.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Paris, Dimanche 11 août 1850
Sept heures

Je n’ai pas eu de lettre hier. J'espère être mieux traité aujourd’hui. Je suis revenu d'Allemagne avec bien peu d'estime pour les postes allemandes, exactitude, et promptitude. Du monde hier toute la journée. Jayr, Muret, de Bort, Frezel, Granier de Cassagnac, Lavalette, un pêle-mêle de tout ce qui reste à Paris de toute les opinions. Tout cela confirme l'idée que nous nous faisions de la situation en nous promenant sur la route de Nassau. Cela ne peut pas durer, cela durera ; on passe et on revient sans cesse d’une phrase à l'autre. L’Elysée voudrait bien continuer les dîners de sous officiers ; mais c’est difficile ; le premier s’est passé avec les sous officiers de la garde républicaine, jadis municipale, corps d'élite, peu nombreux ; tous les officiers et les sous-officiers ont pu être invités. Cela n’est pas possible avec les régiments de ligne ; il faut faire un choix, un choix fort restreint. De là beaucoup de jalousie et d'humeur dans les régiments ; en sorte que les dîners pourraient bien tourner contre leur but et faire plus de mécontents que de dévoués. On hésite, on s'arrête. Comment se passeront les voyages ? C’est la question à l’ordre du jour. Je crois plutôt au succès, c’est-à-dire au succès extérieur, apparent ; mais je ne crois pas aux résultats du succès. Il en sera comme pour les dîners ; on hésitera et on s'arrêtera, faute de confiance et de vraies bonnes chances. De part ni d'autre, il n’y a de force pour agir ; on ne peut qu'empêcher et le paralyser mutuellement.
En revenant de Bruxelles, Mad d’Hulot m'a dit qu’elle avait lu une lettre de la Duchesse de Fitzdame qui affirmait avec grande joie, que Madame la comtesse de Chambord était grosse. On le nie ici absolument. Vous devriez bien, de Schlangenbad, tâcher de savoir ce qui en est. Cela en vaut la peine.
J’ai manqué hier Salvandy qui est venu pendant que j'étais sorti. J’en suis fâché. Je le verrai peut-être d’ici à après-demain, s'il n’est pas reparti. On m'avait dit qu’il ferait, à l'Académie française, un discours très politique. Il n’y paraît pas, dans ce que rapportent les journaux. Je me suis trompé sur cette séance. Je croyois qu’elle devait avoir lieu hier samedi. Elle a eu lieu jeudi dernier. On a été surpris, et un peu piqué, dans l'Académie que ni le Duc de Broglie, ni son fils, ni personne de la famille, n’y assistât, à propos de l'éloge de Madame de Staël, couronné dans cette séance et proposée autant pour plaire aux vivants que pour rendre justice aux morts. Ils (les vivants) sont tous partis deux jours avant la séance. M. Villemain surtout est assez piqué, dit-on.
Voilà votre lettre. Pour dire vrai, cela me fait plaisir que moi parti, vous ayez eu froid, et mauvais temps. J’espère que cela n'aura pas duré. Je suis bien aise que vous ayez un bon appartement à Schlangenbad. Mais j'aurais mieux aimé que la Princesse de Prusse y fût restée et que vous eussiez fait connaissance avec elle. Un peu pour ce que vous lui auriez dit et plus encore pour ce que vous n'en auriez dit. J'aime à connaitre les gens qui sont quelque chose dans le monde, et je ne crois les connaître que par moi-même ou par vous. On me remet avec votre lettre un billet de Salvandy et son discours à l'Académie. Il est reparti. c’est un singulier esprit. Il y a, dans son discours des embryons de belles idées, et de belles paroles, presque grandes, mais toutes dans cet état nébuleux et inachevé où la beauté et la grandeur disparaissent au moment même qu’elles se font entrevoir. Ma lettre a en effet fait de l'effet ici. La conduite, et la lettre ont été approuvées. Je ne veux pas faire autre chose que saisir les bonnes occasions quand elles viennent naturellement de reparaître [...]

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems 8 heures Samedi le 10 août 1850

Je sais de vos nouvelles par les journaux de Bruxelles. J’attendrai avec impatience plus & mieux par votre lettre. Mon fils vient de partir, grande peine pour moi. Je pars à l’instant, je laisse encore ce petit mot d’adieu de ce joli Ems, si joli quand vous y étiez. Je vais me plonger dans l’eau de beauté & dans la solitude. Voyons comment me réussira celle-ci, l’autre revient à la Princesse Grasalcovitch. Le temps s’est relevé un peu. Il faut qu'il dure car je serai bien malheureuse sans cela. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Paris Samedi 10 août 1850

Il n’y a plus personne ici, et j’ai eu du monde hier tout le jour Dalmatie Mallac, Génie, Piscatory, des insignifiants. Rien de plus que ce que nous savons ; mais un sentiment général qu’il faudra absolument du nouveau l'hiver prochain, et que tout ce qui est est usé. Le banquet de l'Elysée fait encore assez de bruit. Changarnier et les officiers supérieurs étaient partis quand les sous officiers se sont promenés dans le jardin, en criant : " Vive l'Empereur ! Aux Tuileries ! Pas tous, à beaucoup près, dit-on, mais un certain nombre. Et on dit que ces banquets se renouvelleront au retour du Président que tous les sous-officiers de l’armée de Paris y seront successivement invités. Cela déplaît beaucoup aux Généraux. Changarnier pourrait bien interdire, aux sous-officiers d’y aller. Alors le conflit entre les deux. Evidemment la Camarilla du président se remue assez et voudrait se faire un parti dans l’armée. Si son voyage réussit, s'il est bien reçu par les populations, on s’attend à quelque chose. Je ne m'attends à rien. Et au fond, Piscatory, non plus, ne croit pas qu’il se fasse rien, quoiqu’il eût bien envie de croire qu’il se fera quelque chose. On dit qu'au retour de l’assemblée, les diverses réunions, Rivoli, Richelieu, & & se disloqueront que, dans toutes, les sensés et les fous sont las de vivre ensemble et veulent se séparer, que tous les partis sont en état de désorganisation. Je crois cela ; mais je crois que l'explosion et les conséquences de cet état se feront encore attendre longtemps. Un seul fait est certain c’est que pour le moment, les légitimistes sont en perte et les orléanistes en progrès. On fait toutes sortes de raisonnements fantastiques ; voyez l’Espagne pourquoi s’est-elle sauvée ? Parce qu'il n’y avait sur le trône que des femmes et des enfants. Plus les apparences, d’un gouvernement sont faibles, moins il y a de péril ; le peuple veut un gouvernement qu'il ne craigne pas, qu'il ne respecte pas, qui ait besoin de sa protection.
Savez-vous pourquoi vous êtes tombé sans être soutenu ? Parce que vous imposiez trop, parce que vous n'avez point de préjugés populaires. Si le Roi avait suivi, en 1840, la pente populaire, s’il s’était engagé n'importe dans quoi en harmonie avec les traditions de la révolution et de l'Empire, il serait arrivé on ne sait pas quoi, mais autre chose, quelque chose qui eût duré. J’écoute, je souris, j'objecte ; je finis par parler sérieusement, et on ne sait plus que dire. Les esprits sont bien grès de retomber dans les vieilles maladies ; mais les corps sont fatigués et impuissants.
J’ai passé près de deux heures à Bruxelles avec le Prince de Metternich. Grande satisfaction de me voir ; il voulait être plus que poli. Après lui, il a fallu entrer chez Madame de Metternich ; il m'y a conduit. Aussi gracieuse que lui, là, il a fallu m'asseoir. Des compliments et des questions sur mes filles, sur leur mariage ; on cherchait mes faibles pour entrer par là. Quand je m’en suis allé il m'a reconduit jusqu'au milieu de l'escalier. Il m'a même écouté en silence deux ou trois fois. Bonne conversation. Il m’a parlé de l’Autriche et de Thiers. Plein de confiance dans l’avenir de l'Autriche : " Les hommes qui gouvernent sont de braves gens, pleins de courage " sur quoi, il me raconte toutes leurs fautes, et les embarras qui résultent de leurs fautes. Mais tout va bien. Ce qu’il m'a dit de ses conversations avec Thiers m’a intéressé. Il a fini par : " Je ne suis pas Thiériste." Et alors une longue comparaison entre sa situation à lui Metternich, et la mienne, pourquoi, il ne retourne pas en Autriche, pourquoi je fais bien de rester en dehors de tout ; en quoi nous nous ressemblons et en quoi nous différons . Pour qu’il y ait vie, il faut qu’il y ait les conditions de la vie. Ce n'est pas la même chose d'être tout-à-fait vieux, et de ne l'être pas encore tout-à-fait & &. Il m'a amusé, et il s'est amusé. Adieu.
Mon fils vient de m’arriver. On dit qu’il y a ce matin, une séance publique de l'Académie française ; prix Monthyon, l'éloge de Mad. de Staël. J'irai peut-être, pour voir quelques personnes. Adieu, Adieu. J’espère bien avoir une lettre ce matin. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 9 août 1850 Vendredi

De la pluie, de la pluie ; pas autre chose depuis mardi. Je ne parviens pas à montrer à mon fils le vieux château de Nassau. Les petites Beauvau sont parties ce matin, les nouveaux arrivants je n'y pense pas, puisque je m’en vais. Je fais mes paquets demain je pars. Alexandre va de son côté. Je vous reprends à 2 heures. Nous avons profité d'un petit moment de vacances de pluie pour aller à Nassau. Mon fils est monté au vieux château & m'a répété ce que vous avez écrit, qu'il croit très propre à charmer ce pays.
J’ai eu une lettre de Marion. qui ne dit rien que son admiration de votre lettre. Que faire de cette lettre-ci ? Il faut bien vous l’envoyer puis que vous vous fâcheriez s’il n'en venait pas. Mais vous est-il jamais arrivé d'en recevoir une pareille ? Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Paris, vendredi matin, 9 août. 1850

J'arrive. Je suis fatigué et je vais dormir. J’ai mal dormi sur le chemin de fer. J’apprends en arrivant qu’il n’y a déjà plus presque personne ici. J’ai été très content de Bruxelles. On a voulu que je fusse trés content. Longue et bonne conversation. La Reine n'est pas bien. Elle tousse beaucoup la nuit. De fréquentes sueurs. Les nouvelles de la santé du Roi continuent à être médiocres. Faiblesse plutôt croissante. J’ai trouvé à Bruxelles, Mad. d'Hulot qui arrivait de Claremont et qui est revenue avec moi à Paris. Adieu, Adieu. Je vais dormir. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 8 août 1850

Quelle journée hier ! Pas un moment de relâche à la pluie et à une tempête effroyable. Mon fils même n’a pas pu sortir. J’ai vu chez moi la Princesse Lobkovic, le Prince de Chalais & cette petite dame russe nouvellement arrivée. Elle est spirituelle & nous a [?] intime dans les intimistes de la cour. Je vois dans le Constitutionnel une réponse à votre lettre. Je ne sais pas de nouvelle du tout. Je vous envoie la lettre d’Ellice. Vous savez que mon adresse est Schlangenbad Près de Weisbaden Duché de Nassau Allemagne. La Reine de Hollande passe aujourd’hui à Coblence, elle y fait venir la princesse Grasalcovic. Drôle d’intimité pour une femme d’esprit. De là la reine va à Bade. Vous verrez par la lettre d'Ellice que Thiers y sera. La duchesse de Modène arrive ici aujourd’hui (princesse de Bavière belle soeur de la duchesse de Bordeaux) ma grande Duchesse sera ici jeudi prochain. Moi je ne trouverai pas une âme à Schlangenbad.
La pluie continue ici, c’est désolant, si elle va de ce train à Schlagenbad, que devenir ? L'Empereur a appris avec une grande joie que le mariage de sa nièce s’est arrangé. Notre petit prince de [Meklembourg Stréliz] a fait ses conditions. Il veut bien vivre un peu en Russie mais il veut avoir un établissement aussi à Strelitz. Je trouve très bon qu'il ait tenu à sa volonté. L'Empereur a déjà envoyé des cadeaux superbes. Vous voyez que je n'ai rien du tout à vous dire. L'Eglise luthérienne de Wiesbaden vient de brûler tout entière. En attendant qu’une église grecque soit achevée, on avait déposé là le cercueil de la grande Duchesse, femme du duc de Nassau qui est morte en couche, heureusement, le cercueil a été sauvé ! Je finis sans pouvoir ajouter un mot qui vaille. Adieu. Adieu. Ems est bien laid depuis votre départ !

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Bruxelles. Jeudi 8 août 1850

6 heures Je sors de mon lit. J'ai bien dormi. J'en avais besoin. Les lits allemands sont décidément bien mauvais. A Aix-la-Chapelle et ici, j’ai senti la différence d'avance, je suis encore jeune et indifférent au plus ou moins de comfort matériel. Au fait, il y a des comforts dont je ressens d'absence, car elle me cause une fatigue dont je ne me suis pas soucié, mais dont je ne peux plus me défendre. C'est l’âge.
Agréable descente du Rhin très beau temps, très chaud. Les beaux endroits m'ont moins frappé que la première fois, sauf le fleuve, j’aime mieux la vallée de la Lahn. J'ai assez causé avec Constantin. Vraiment très bon, très sensé et intelligent. Sa femme souffrait et s'impatientait de la chaleur. Il y avait avec eux deux ou trois Crony. A Cologne j'ai dîné, lu l'Indépen dance, et vu la Cathédrale. Ce qui est fait est admirable, prächtig ; mais ce n'est ni un monument, ni une ruine. Une grande œuvre inachevée, faute de foi, de constance et d'argent. Une preuve colossale de la faiblesse humaine. On y met aujourd’hui 180 ouvriers, et on y dépense 600 000 francs par an. A ce taux-là, il faudra 150 ans pour la finir. Cela ne vous fait rien ; mais cela m’a fait quelque chose quand on me l'a dit et je vous le redis. Thiers avait passé à Cologne, la veille à l'hôtel Royal dont le maître me l'a dit, et le Cicerone qui m’a conduit à la cathédrale m’a dit qu’il l’avait conduit, non pas à la Cathédrale, mais à une mine de cuivre et d'argent, située à quatre lieues de Cologne et dans laquelle il a des actions.
A Verviers, dans l'embarcadère, j’ai rencontré la Duchesse de Saxe-Cobourg venant de Cobourg avec ses quatre enfants, Mad. Angelet, son ancienne gouvernante, un précepteur et deux domestiques. Elle allait passer quinze jours à Bruxelles, et je l’ai retrouvée à 7 heures à Lacken où j’ai dîné. Cinq minutes après, mon arrivée à l'hôtel de Bellevue, Van Pract est venu me voir, et m’engager à dîner de la part du Roi. A six heures et demie, il est revenu me chercher. Très bon accueil : " Que de temps que nous nous sommes vus, et que de choses me rappelle votre voix !" J'ai dîné à côté de la Reine, à qui j'ai dit pas mal de choses qui l’ont, si je ne me trompe, un peu frappée. Après dîner, vingt, minutes de conversation avec le Roi, devant une fenêtre. Il m’a donné rendez-vous pour aujourd’hui à onze heures et demie Il veut causer et moi aussi. En le quittant, j’irai voir, le Prince de Metternich, et je pars ce soir à 6 heures.
Duchâtel m’écrit : " J'arriverai le 8 au soir (ce soir) à Creuznach. Voulez-vous présenter tous mes hommages à la Princesse de Lieven ? Si elle reste dans le voisinage du Rhin, elle serait bien aimable de me le faire savoir à Creuznach. J’irais la voir là où elle serait. " Point de nouvelles d'ailleurs sinon celle-ci : " Piscatory a renoncé à la République et au président ; il est tout régence. "
Adieu. J’ai quitté Ems content et triste. Jouir et regretter, c’est la vie humaine, si ce n’était que cela, ce serait trop peu pour l'élan donné à l'âme. On n'aspire pas si loin pour tomber si près. Adieu, adieu. Je vous écrirai demain de Paris. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 6 août 1850 Mardi
5 heures

Que c’est triste de recommencer à écrire ? Voilà un orage semblable à celui du jour de votre arrivée, mais comme il a bien fini alors. Je n’attends rien au bout de celui-ci. Je viens de dîner avec mon fils. Kolb est revenu. Il a arrêté pour moi à Schlangenbad l'appartement de la princesse de Prusse. Elle le quitte samedi matin, moi j’y entre samedi soir. Excepté la princesse, qui n'y sera plus, il n’y a personne absolument. Je me suis fait lire votre lettre, je la trouve belle, évidemment elle a fait de l'effet.

Mercredi 7
Hier nous avons passé une moitié de la journée à nous barricader contre le soleil et une chaleur étouffante, l’autre moitié en précautions contre le tonnerre & une pluie battante. La journée entière passée sans promenade. Mon fils & moi tous seuls. Le soir votre petite princesse de Beauvau, & le Prince de Chalais. Aujourd’hui il fait parfaitement froid, & pas un rayon de soleil. Vous m’avez tout enlevé. Une longue lettre d’Ellice. Je m'en vais l’étudier, & je vous l’enverrai demain. Voici la fin d'un long article de la presse du 4 à propos de votre lettre. " M. G. vient de se venger en homme d'esprit. Il s’est montré tout à la fois plus libéral que M. Thiers plus religieux que M. de Montalembert & plus républicain que M. le Président de la république. " Je cite parce que vous ne lisez pas la presse.

2 heures. Voici encore un temps détestable, du veut de la pluie, & très froid. C’est trop triste. Vous et le beau temps de moins ! Je n’ai rien à vous dire, que mon plaisi,r mon regret. Ces huit jours ont été charmants. Recommençons l’année prochaine, mais mieux. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Allons-nous à Stolzenfels ? Dites le moi pour que je règle ma vie d'ici à une heure en conséquence. Si nous allons, à quelle heure dois-je être chez vous ? J’espère que vous avez dormi vous étiez fatiguée hier soir. Adieu Adieu.

Ems
Vendredi 2 août 1850

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 28 Juillet 1850

Me voilà bien perplexe ! Vous arrivez ayant découvert que vous pouviez rester huit grands jours en attendant je vous déconseillais de venir puisque selon votre premier calcul vous n'en seriez resté ici que deux. J’ai eu le grand tort de vous écrire un mot à Paris qui vous aura dérouté, car mes explications étaient adressées au Val Richer, et ces lettres là vous ne les avez pas attendues. J'ai deux raisons de plus pour désirer que vous ne veniez qu’après le 14, mais C’est trop tard. Enfin voyons, je sais bien que le bonheur de vous voir sera le même. A présent que plus tard, seulement je vais rester très incertaine jusqu'à mercredi en attendant votre logement est prêt.
La grande duchesse Hélène arrive ici le 17. Elle désire bien que je l’attende. J’irai le 8 comme je vous l'ai mandé à Schlangenbadad. Je la verrai à mon retour de là, cela me fera m’arrêter un jour ou deux au plus à Ems. J'adresse ceci à Strybon. Si vous êtes encore à Paris il vous porte ma lettre si non il la fait aller plus loin. Adieu. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 26 juillet 1850

Puisque votre dernière lettre ne me parle plus de venir, j’espère que vous y aurez renoncé pour le moment. J'ai eu beaucoup de lettres aujourd’hui lord Aberdeen il partait le même jour pour l’Ecosse. Le dîner pour Palmerston a été une pauvre affaire. Pas un ministre n’a voulu en être. Leur absence a semblé très significative. J’attends ce que Ellice m'en dira. Brunnow va en août à Pétersbourg. Il a beaucoup parlé et raconté à Aberdeen, très triste, voyant très en noir notre avenir avec l'Angleterre & désirerait connaître exactement la volonté de l’empereur, doutant de son propre retour à Londres. La guerre en Danemark tout de suite après s’être vanté du succès de la médiation pour la paix, fait à Londres un effet singulier.
Duchâtel & Montebello me disent tous deux que le Bonapartisme fait de grands progrès, même celui qui devait former notre partie carrée avec Marion à dîner, est dans cette opinion. On veut rappeler d'exil les princes. Lamoricière est à la tête de tout ce qui peut vexer l’Elysée. Il me semble que la commission est mal arrangée pour y plaire dans ce quartier. Enfin il peut encore survenir d’étranges complications. J’ai lu l’article de M. de Lavergne dans la revue des deux mondes et j'en ai été charmée. On me parle tout à l'heure d'un article du Moniteur du soir qui serait la guerre déclarée, par l’Elysée à l’assemblée. Cela a l’air vif, ce ne sera probablement rien. J'ai passé une nuit détestable des crampes, oppression de poitrine, j’ai suspendu aujourd'hui les verres d'eau, & le bain. Adieu. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 25 juillet 1850

Je vous adresse à tout hasard un mot dans votre maison de ville. Car la peur me prend que vous ne vous soyez mis en campagne, & je veux que vous sachiez que je reste en Allemagne jus qu'au 20 ou 22 août ou même plus si vous venez plus tard. Je vais le 8 à Shlangenbad. Tout près d'ici. Ce sont des bains calmants excellents pour les nerfs. J’y resterai une quinzaine de jours. Si vous venez après le 13 vous me trouverez là, et cela vaut bien mieux que de vous presser maintenant pour vous retrouver au Val Richer le 6. Je crois vous avoir parlé de mon projet de Schlangenbad. Si vous avez eu cette lettre elle vous aura décidé à attendre. Enfin nous verrons, quand on est si loin les explications. sont impossibles ! Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer. Vendredi 26 Juillet 1850

J’aimerais mieux n'avoir pas pour mon voyage, les torrents de pluie qui nous inondaient hier. Une fois arrivé, j'oublierai la pluie ; mais je voudrais que tout eût l’air content et gai autour de moi. Je ne saurai que demain matin, si je suis partir de Paris dimanche soir pour être à Ems mardi avec la poste. En tous cas, je partirai d’ici demain soir. Je ne vous écrirai pas demain. Je vous écrirais dimanche de Paris si je ne pouvais en partir que lundi.
A en juger par les apparences, le Prince Emile a tout-à-fait raison sur l'Allemagne. La révolution est évidemment hors d'état de faire là ce qu’elle veut. Mais je doute que les vieux gouvernements en soient plus capables, eussent-ils de l’esprit de refaire ce qu'ils voudraient. De tels événements même quand ils avortent, ne laissent pas en vie ce qui était avant eux. Comme vous le disait votre Prince de Saxe-Meiningen, on ne ramènera pas purement et simplement l'Allemagne, à l'ancienne confédération. A la suite de tout ceci, il se fera, au-delà du Rhin, plus ou moins d'unité et de constitution, mais il s'en fera. Vous me dîtes que le Prince de Prusse est devenu plus libéral que son frère, qu’il n’y aura en Autriche que des États locaux à qui on dira un mot du budget. Des Etats locaux partout en Autriche, un mot du budget à tous ces états, et le Prince de Prusse libéral ; mais ce sont là des changements énormes. Et l’Empereur d’Autriche sur son trône et le Prince de Metternich dans sa retraite, et votre Empereur dans sa grandeur intacte et inaccessible, regarderont pourtant cela comme des victoires et ils auront raison. Le monde change ; il faut s'y résigner et changer soi-même autant qu'il le faut pour être en harmonie avec la grande métamorphose, au lieu d’y mourir.
On se sépare bien mal à Paris. Le Constitutionnel, le Pouvoir, tous les amis de l'Elysée prennent la nomination de la Commission permanente avec beaucoup d’amertume. Les Burgraves, si triomphants après le vote de la loi électorale n'ont pas que, ou n’ont pas voulu s'y faire nommer eux ou leurs amis déclarés. M. Molé figure là comme un portrait d'ancêtre. Piscatory s'est mis de côté soit pour échapper comme il me l'a dit, aux embarras de la situation dans l’intervalle, soit crainte de ne pas réussir. La majorité est en dissolution. L'Elysée ne peut rien. Je ne crois à aucun grand acte de personne. Mais il arrivera quelque évènement. Quand les hommes ne peuvent décidément plus rien, ni avancer, ni rester, Dieu s’en mêle.

9 heures
Voilà votre lettre. Je ne vous en dis pas d'avantage. La coalition n’a pas pu réussir à faire passer M. Grévy pour la Commission permanente. Adieu, adieu. Je suis charmé que vous partiez d’Ems le 8, puisque je n'y pourrais rester davantage. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 25 Juillet 1850

Si je ne me trompe, ou si l'on ne me trompe, Montebello est de la commission du 25. C'est une bien bonne nouvelle pour moi à condition que cela l'oblige vraiment à la résidence à Paris, mais je crois que ces messieurs se dispensent. J’ai été un peu souffrante hier. Le froid succédant à la chaleur ne m’a pas convenu. C'était hier le jour de naissance du duc de Nassau. Grande fête et bal. Tout le monde y a été. La princesse Grasalcowitch renonçant à sa promenade pour essayer des robes ! Est-ce possible ? Si je vais à Schlangenbad, ce que je crois tout-à-fait, ce sera le 8 août pour y passer quinze jours. Cela me ramène à Paris les derniers jours d’août.
Quelle tranquillité d'esprit dans la vie que je mène ici ! Sauf une demi-heure de conversation avec le Prince Paul il n’y a pas avec qui échanger un mot sérieux. Je crois que cela est très sain. Constantin m’apprend l'intérieur de Potsdam, et l’intérieur Impérial, dans celui-ci rien de changé depuis mon temps. Cependant bien des détails piquants. Sa femme ne manque pas d'une certaine finesse d'observation. Elle est remarquablement bien élevée, toutes les nuances de la politesse. Sous ce rapport elle me plait tout-à-fait. Ils restent encore huit jours auprès de moi. Elle a un tas de parents ici. Tout cela a bon air et grand air. Constantin trouve qu’ils sont trop nombreux. Je n’ai pas un mot de nouvelles. Aujourd’hui j'espère des lettres. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Jeudi 25 Juillet 1850

La poste me traite ici cette année avec une grande courtoisie ; elle envoie un facteur au Val Richer exprès pour moi. Il vient directement, chargé de mes seules lettres et attend quatre heures avant de repartir. Comme au temps de ma puissance. Cette faveur a été sans doute l'objet de quelque hésitation, car deux ou trois fois, elle a été suspendue. Je suis rentré dans la foule ; le facteur faisait une tournée de canton, arrivait ici tard et repartait presque aussitôt. Il paraît qu’on s'est enfin tout à fait décidé pour la bonne grâce. Le facteur me le dit. J’en suis fort aise, et je témoignerai de quelque façon au directeur général que j’y suis sensible.
On annonce la convocation des Conseils généraux pour la fin d’août, quinze jours ou trois semaines après le départ de l'Assemblée. Ils se préparent fort tranquillement. C’est évidem ment une institution plus enracinée dans le pays que beaucoup d'autres, les propriétaires y ont goût et confiance, sans distinction de partis. Si les Conseils généraux exprimaient vivement et généralement quelque voeu, faisaient quelque démarche cela aurait assez d'autorité. Mais ils ne feront, cette année, rien de semblable ; point d'impulsion forte ni générale, point de but précis. Ils resteront à peu près, dans la même ornière que l’assemblée et le gouvernement. Il n'en résultera rien.
Je suis frappé de l’ignorance où vous êtes, vivant en Allemagne, sur les affaires d'Allemagne. On y pense donc bien peu en Allemagne. Car enfin, quoique vous n'ayez à Ems personne de bien amusant, vous y avez du monde. Si vous étiez à Plombières ou à Vichy, vous entendriez bien autrement parler des affaires de France et de Paris. Les plus froids et les plus sots en seraient sans cesse occupés. Il faut qu’il y ait au delà du Rhin bien peu de public et de publicité politique. Ce qui se passe à Vienne et à Berlin mérite fort à coup sûr qu’on y regarde. Pour moi, je suis avec un vif intérêt la réorganisation de la Monarchie autrichienne et les soubresauts rusés et vains de l'ambition prussienne. Vous avez raison ; petit pays, excepté pour les savants et pour les Chambellans. Vous me ferez voir le Rhin. Je ne le verrai probablement jamais sans vous.

9 heures
Précisément aujourd’hui vous me donnez sur l'Allemagne, des renseignements intéressants. Ce que vous me dites a l’air vrai. Vous voyez que la nomination de la commission permanente est devenue tout-à-fait une affaire. Sans conséquence, comme tout aujourd'hui, mais qui excite vivement les passions ce qui se croit des passions. L’Elysée y est battu ; ce qui ne servira de rien à l'Assemblée.
Je trouve le discours de Lord Palmerston au reform Club meilleur que son discours à la Chambre des communes. Plus vif, et plus original. Je suis assez frappé qu’aucun de ses collègues ne soit allé à ce dîner. C’est probablement d'accord avec lui.
On me dit que le Vice Président des Etats-Unis, M. Fillmore est un homme très distingué, beaucoup plus distingué que le Général Taylor. Le choléra en veut aux Présidents américains. Deux en quelques années. Les rois d’Europe ont été plus ménagés.
Le petit article du Constitutionnel sur la première communion du Comte de Paris est intéressant. Mais évidemment le Roi est toujours bien faible. J’aurai un de ces jours de ses nouvelles avec détail. Adieu, adieu.
Je crois un peu que les eaux d’Ems sont un humbug. Je l’ai entendu dire. On envoie là les personnes à qui on ne veut ni bien ni mal. Adieu, adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 24 Juillet 1850

Non vraiment ce serait trop shabby de venir à présent avec l’obligation de vous retrouver au Val-Richer le 6, ce qui vous ferait quitter Ems le 2 août, car enfin il faut le temps de voyage. Renoncez à cela maintenant. Ce serait absurde. Puisque vous vous arrangez toujours de façon à avoir des devoirs de 10 en 10 jours, je ne vois pas le moyen d’entreprendre un voyage. Je ne veux pas de vous à présent, dans quelques jours j’aurai décidé Schlangenbad. Alors vous m’y trouveriez après les prix de l’Université. En ne s’arrêtant pas on arrive à Ems le 3ème jour. Ainsi aller et venir 6 jours de Paris seulement ! Ce qui fait huit pour le Val-Richer. A moins que vous ne soyez parti aujourd’hui je ne vois pas le moyen que vous me fassiez une visite de plus de 48 heures. Vraiment cela n’en vaut pas la peine.
Hier la chaleur a été très forte. Aujourd’hui c’est le tour de la pluie. Ces changements soudains rendent tout le monde un peu malade. Il n'y a d’autre protection pour les demoiselles Ribinsky que le Maréchal Paskevitch, il peut tout. Je le connais, mais je n’aimerais pas à me mettre en avant dans cette affaire. Ce sera possible par le Prince Labanoff son gendre que vous avez vu à Paris, et qui y revient. On me dit qu'on est très large en fait d’argent chez nous pour les Polonais. Que va devenir ma lettre ? J’espère qu'elle vous trouvera chez vous, & que vous ne ferez pas la bêtise, pardonnez moi de me faire une visite comme si j’étais à Beauséjour. Il sera temps après le 14. Aberdeen ne m’a pas répondu. Je ne pense donc pas qu'il vienne. Je lui avais parlé du 1er au 3 août croyant alors que ce serait là le moment où vous viendriez. Je finis je n'ai rien du tout à dire. J’apprends que les 25 de la Commission sont mauvais. Je n’ai pas lu la liste encore. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Mercredi 24 juillet 1850
7 heures

Partant dans quatre jours pour aller vous voir, il me semble déjà que ce n'est plus la peine de vous écrire. D’aujourd’hui en huit, nous causerons, s'il plaît à Dieu comme disent toujours mes amis anglais, qui ont raison. Certainement, nous avons beaucoup à nous dire ; il n’y a point de temps si stérile en événements qui le soit, entre nous, pour la conversation. Et puis, on appelle aujourd’hui stérile toute semaine qui n'amène pas quelque grosse chose. Je me défends de cette disposition qui est, au fond, celle qui fait faire, de nos jours, tant de sottises. Je tâche de ne pas m'ennuyer de ce qui dure et de contenter ma curiosité à meilleur marché que des révolutions.
J’ai des nouvelles de Rome. Le Gouvernement du Pape ne s’y rétablit guère ; mais l'ébranlement s’apaise. On oublie le passé et l'avenir. On vit au jour le jour, en rentrant dans les anciennes habitudes. C’est un repos qui reste à la merci d'une poignée de conspirateurs et d’une occasion. Le Pape est dans Rome, mais Mazzini n’est pas vaincu. Il faudra que l’armée française reste là longtemps. Et quand elle quittera Rome elle restera encore longtemps à Civita Vecchia. Personne n’y pense et ne s'en soucie. Lord Palmerston aurait bouleversé, l’Europe pour me chasser de là. Peu lui importe que la République y soit. Il a raison. La République, pour garder Rome, n'en est pas plus puissante en Italie ; pas plus que la sentinelle qui garde la Banque n'en possède les trésors. Quand les révolutions sont à la porte, les gouvernements ne sont plus que des sentinelles. La question italienne est insoluble. Autrefois, on se résignait aux questions insolubles ; on cessait d’y penser. Aujourd'hui, on ne se résigne à rien : on pense toujours à tout. Aussi la force matérielle doit être toujours partout. L’Etat de siège devient l'ordre Européen.

10 heures
La Commission permanente est nommée bien péniblement, et bien mêlée. L'opposition légitimiste et montagnarde a fait passer plusieurs des siens. Le gâchis augmente. La nouvelle querelle de Changarnier avec le Ministre de la guerre est encore replâtrée, mais cela ne peut guère aller loin. Le Président, ne pourra pas soutenir toujours d’Hautpoul.
Ce que vous me dites d'Angleterre me préoccupe. Si la Chambre des communes se met aussi à démolir son propre gouvernement, cela finira par mal tourner. Adieu, adieu. J’ai plusieurs petites lettres à écrire et mon facteur ne peut pas attendre longtemps aujourd’hui. Adieu G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 23 Juillet 1850

Votre lettre ne me donne rien à répondre. Je n’ai pas de lettre d’ailleurs, les journaux sont stupides, & je le deviens. L'année va je crois finir paisiblement. certainement il y a progrès vers le bien partout. Et les rouges sont matés il faudrait bien des fautes pour qu’ils reprissent courage. Il y a beaucoup de nouveaux arrivés ici hier du Lobkowitz, des Windiesch-Graetz ; mais je ne les ai pas vus Je vous ai dit que je ne vais pas là où l'on se réunit, Maintenant voici la rage des parties. Cela ne me va pas non plus. J’aime ma routine.
La Princesse de Prusse cherche à attirer le monde. Aujourd’hui même elle vient tout près d'ici et on recrute pour elle des rencontres. Constantin a refusé net. Il ne veut pas la voir. Elle est trop ridicule et trop anti-russe. Si je pouvais la voir commodément cela m'amuserait assez mais Constantin me dit qu'à Pétersbourg on me saura plus de gré de ne pas la voir que de la rechercher. Ma nièce me plait davantage. D'abord elle est grande, ses yeux sont beaux, elle plait à tout le monde. Les petites princesses de Beauvais, qui sont toutes deux ses cousines en raffolent. Elle sait causer un peu de tout. Elle a de l'aplomb et de la modestie, de beaux cheveux, une jolie main, un teint magnifique. Elle tiendrait très bien ma table de thé. La Princesse [Crasalcovy] est ici avec deux perroquets. Elle a rencontré tout à l'heure chez moi le Prince Windischgraetz, celui qui a été blessé le jour même où on a tué sa mère. Joli jeune homme, mieux que les Viennois ordinairement. Thiers veut aller à Bruxelles chercher quelques renseignements historiques auprès du Prince Metternich. Voilà le temps chaud rêvé. Je me barricade.
Vous voyez que je ne vous dis que des bêtises. Un mot sur les Princes de l’union, le frère du Prince Albert à la tête. Quand la révolution a éclaté partout, ils ont renoncé volontairement à leurs douaires & les ont cédés à l’état contre une liste civile quelle conque. Mais le Saxe entre autre avait stipulé une clause, c’est que s'il venait à renoncer à la souveraineté les biens lui seraient rendus. Et bien aujourd’hui ils veulent tous être médiatisés, incorporés à la Prusse pour recouvrir leur argent. Voilà où en sont les princes de la Thuringe & ce qui les fait persister dans l’union. Vous voyez que je deviens savante peu à peu. Adieu. Adieu. Envoyez-moi mieux que je ne vous donne.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 23 Juillet 1850

Si je me guérissait de mes passions, les Assemblées, ne seraient pas la seule dont j’aurais à me guérir. J’aime mieux rester comme je suis. A tout prendre en France du moins, et depuis 1814, les Assemblées ont empêché plus de mal qu'elles n’en ont fait. Sans elles en 1830, et en 1848, le démon révolutionnaire aurait triomphé. Elles l'avaient bien un peu encouragé ; mais elles le lui ont fait bien payer après. Je viens de parcourir tous mes journaux. Je n’y trouve rien. La nomination de la commission permanente sera le dernier acte. Et puis nous serons trois mois sans assemblée. Je souhaite de tout mon cœur que nous soyons mieux dans trois mois qu'aujourd’hui. Je suis bien aise que l'article d’Albert de Broglie vous ait plu. Mais maintenez vos critiques. Je les trouve très justes.
L'homme aux mémoires est bien Saint-Simon. Quoiqu'il écrivit encore sous et sur la Régence, c’est le 17ème siècle qu’il raconte le plus. Louis XIV et sa cour. J'en lis tous les soirs 30 ou 40 pages, là et là à mes enfants. Cela les amuse parfaitement. Je n’ai pas lu les Sophismes en frustrade dont vous parle Marion. Si cela en valait la peine, je les ferais demander. J’ai demandé s'il y avait déjà quelque chose d'un peu complet sur Peel. On me répond qu'il y a un livre, publié, il y a deux ou trois ans par un Dr. Cooke Taylor " Sir Robert Peel and his Times." Vous n'avez surement par entendu parler de cela.
J’ai des nouvelles de Ste Aulaire. Il me dit qu’Horace Vernet, raconte que votre Empereur est toujours charmé de la République en France et surtout partisan zélé du général Cavaignac. C'est sa plus grande nouvelle. Vous voyez que je suis à peu près aussi stérile qu'Ems. Adieu. Adieu. Voilà enfin le soleil revenu. La pluie nous a accablés pendant quelques jours. Adieu. G.

Midi
Je rouvre ma lettre. Je viens d'avoir une visite qui me rend ma liberté pour le 6 août. J'irai donc vous voir à présent. Je partirai d’ici samedi prochain 27. Je serai dimanche matin, à Paris. J’en partirai le soir ou lundi matin pour Bruxelles et je serai à Ems mardi soir 30 ou mercredi Il. J’y passerai huit jours avec vous. Il faut que je sois à Paris, dans la journée du 11. Si Aberdeen vient à Ems, tant mieux. Sinon encore tant mieux. Grand plaisir que cette petite course. Adieu, adieu.
Soyez assez bonne pour m’assurer à Ems un petit logement. J’aurai avec moi un domestique, Adieu encore. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 25 juillet 1849
8 heures

C’est évidemment à cause du Dimanche que je n'ai pas eu de lettre hier. Dans mon impatience, j’avais mal fait mon calcul. La poste n'est pas partie de Londres dimanche.
La petite scène du Havre a bien tourné. De bons juges m’écrivent de Paris : " Tout compté et bien compté, ce n'est point à regretter. Puisqu'il n’y a rien eu de grave autant vaut au risque de quelques embarras et de quelques inquiétudes, que vos éternels adversaires vos ennemis naturels aient fait la faute de provoquer ce qui a houleusement échoué. Il ne faut pas regretter l'éclat qu’ils ont donné à votre rentrée. Votre retour en France est un fait considérable. Il est considérable pour vos amis comme pour vous-même, en raison de votre passé et probablement aussi en raison de vôtre avenir. On l’a compris on le comprend, et l'on n'a pas su dissimuler sa mauvaise humeur. Encore une fois, tant mieux. "
Je n'ai encore lu Aberdeen et Brougham que dans le Journal des Débats. Mais ce que j'ai admiré, c’est Lord Palmerston sur l’Autriche. Quel aplomb, pour parler poliment ! Il a raison, puisqu'on l’écoute sans lui répondre. Il y a des gens qui lorsqu'ils ont fait des sottises en disant leur mea culpa, comme M. de Montalembert. Lord Palmerston se glorifie, en s’indignant qu'on l'ait cru capable de ce qu’il a fait. Vous voyez bien que le Pape rentrera à ses propres conditions. Pas plus à Paris qu'à Vienne, on ne lui demandera de partager sa souveraineté. J'étais bien violemment attaqué il y a dix-huit mois pour avoir écrit à M. Rossi qu’il ne devait ni ne pouvait le faire. Que de peine se donnent, et que de mal se font les hommes avant de revenir à l'idée juste qui leur aurait tout épargné. Adam Smith dit quelque part : " Telle est l’insolence naturelle de l'homme qu'il ne consent à employer les bons moyens qu'après avoir épuisé les mauvais. "
Je reçois toujours beaucoup de visites. Evidemment ; mes amis n’ont pas peur. Comme je ne mettrai pas leur courage à l'épreuve, il aura le temps de s'affermir. J’attends demain Armand Bertin. vous ne me donnez pas assez de détails sur votre santé. Je les demande à moins que vous ne me disiez que, moins vous en parlez mieux vous vous portez. Votre superstition peut seule me faire accepter votre silence.
Le beau temps a disparu. La pluie revient dix fois par jour. Je me promène pourtant. Les bons intervalles ne manquent pas. Je me lève de bonne heure. J’écris ; ma toilette, la prière. Nous déjeunerons à 11 heures. Promenade. Je fais mes affaires de maison et de jardin. Je remonte dans mon cabinet à une heure. J'y reste, sauf les visites. Nous dînons à 7 heures. Je me couche à 10. Quand le flot des visites se sera ralenti, j'aurai assez de temps pour travailler. Je veux faire beaucoup de choses. Adieu jusqu'à la poste.
Je suis bien aise que votre fils soit revenu. N'allez pourtant pas souvent à Londres si le choléra y persiste. Je crois que vous pouvez affranchir vos lettres. Mes filles en reçoivent souvent de leurs amies Boileau qui arrivent très exactement. Je vous le dis sans scrupule, car je suis écrasé de ports de lettres. Si nous apercevons la moindre inexactitude, nous cesserons.

Onze heures
Deux lettres. Le dimanche et le lundi viennent ensemble le Mercredi. Vous avez raison. Deux lettres et une seule enveloppe. Et deux lettres longues, charmantes. Adieu. Adieu. La poste m’apporte je ne sais combien de petites affaires qu’il faut faire tout de suite. Adieu. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Lundi 22 Juillet 1850
6 heures

Décidément, tout calcul fait, je dois recevoir aujourd’hui votre lettre délivrée de mon inquiétude. J’en suis presque aussi impatient que vous l’avez été vous-même.
J'ai reçu hier aussi le petit mot envoyé à Strybes. Je ne sais plus où j’en suis resté avec vous sur sir Robert Peel. J’ai été interrompu un jour où je vous parlais de lui. J’avais mille choses à vous en dire qui me reviendront. Sa grandeur actuelle est très grande. Un doute reste sur sa grandeur future. Si son pays et son gouvernement demeurent intacts, si cette belle organisation sociale se modifie, sans se briser. Peel grandira encore, car il aura eu raison dans ce qu’il a fait ; il aura bien jugé de la portée de ses réformes puisqu'elles n’auront pas ébranlé les fondements de l’édifice, si l’édifice tombe si l'Angleterre aussi entre en révolution, Peel descendra comme son pays car il aura fait ce qu’il ne voulait pas et ses réformes auront commencé les révolutions qu’il se promettait d'écarter. La question est là pour lui. Je ne la préjuge point. Je ne vois pas clair dans cet avenir. A vrai dire j'espère plus que je ne crains. Je crains pourtant. Reeve m'écrit : " Sir R. Peel a laissé des écrits considérables sur l'histoire de son temps et il a nommé Lord Mahon et Cardwell ses exécuteurs littéraires (vous le saviez). Ces écrits doivent être livrés à la publication puisqu'il a déclaré que les profits qu’on en retirerait seraient au bénéfice du Literary Found. Il paraît que, depuis trois ans c'était là sa principale occupation. On sent tous les jours davantage la place immense qu’il remplissait dans ce pays ; mais depuis sa mort les whigs sont devenus sinon plus forts, du moins plus inévitables. Lord Palmerston paraît très disposé à profiter de la dernière leçon qu’il a reçue ; il renonce the Devil and all his works, et jure qu'on ne l'y reprendra plus. Sa conduite dans l'affaire danoise est devenue tout à coup excellente et très ferme. Sans attacher à ces manifestations plus de prix qu'elles ne méritent, il est sage, je crois de les accepter comme si elles étaient les fruits d'une conviction. "
Mêmes nouvelles de Paris. On ne songe plus qu’à s'en aller. On s'en ira du 8 au 10 août. Je suis assez curieux de la commission permanente qui sera nommée aujourd’hui. Piscatory m'a écrit qu'il n’en voulait pas être. Il prévoit qu’elle pourra se trouver, dans une situation embarrassante. Peut-être eût-il eu quelque peine à en être nommé, si la liste que j'ai vue dans mes journaux d’hier, comme arrêtée par la réunion du Conseil d'Etat est authentique, elle est faite en méfiance du Président, et pour le surveiller en effet. Les républicains et les légitimistes y sont nombreux. L'assemblée a certainement perdu dans ces derniers temps. Mais peu importe elle est comme le Président ; ils peuvent perdre impunément l’un et l’autre ; ils sont, l'un et l'autre, le rempart contre l'anarchie, et il n'y a pas de rechange
L'article sur the Austrian révolution dans le Quarterly review est de Reeve. Il mérite que vous le lisiez. Rien de neuf ; mais un bon tableau des faits de Vienne ; clair et d’un bon effet. Je suppose que M. de Metternich en est content. Mais avez-vous à Ems le Quarterly ? [...]

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 21 Juillet 1850

Le Prince Paul est revenu hier de Francfort. Il y a vu la duchesse de Kent qui lui a dit positive ment : "le ministère ne durera pas, c’est impossible, la reine me l'écrit." Je vous livre texte et auteur. Le Prince Emile me disait avant hier que pour le moment tout est rompu entre l’Autriche et la Prusse, mais cela n'inquiète personne. L’affaire du Danemark est assez embrouillée. C'est pour nous obéir et nous plaire que la Prusse a conclu la paix avec le Danemark au nom de l’Allemagne, maintenant il faut que les états allemands ratifient. Or, c’est une affaire très nationale & qui pique l'honneur allemand. L’Autriche est charmée que la Prusse ne soit un peu dépopulaire par là, et elle refuse de son côté de ratifier, pour se populariser à son tour. Nous allons nous fâcher contre l’Autriche. Voyez quelle confusion ! Notre flotte est là, mais il n’y a pas de troupes à bord.
Le mauvais temps continue. Je fais cependant mes promenades en voiture. A présent avec Constantin. Il a des récits curieux à me faire impossible de les écrire. On commence à Ems à être un peu trop curieux de me voir. Comme je ne vais jamais ni dans la promenade, ni dans le salon, on se fait présenter chez moi, & je commence à être très ennuyée de cela. Hier j’ai été d'une impolitesse remarquable même pour moi. Aujourd’hui je fais dire non aux gens qui demandent à venir. Ce que je vois habituellement c’est les petites princesses de Beauvale et la Duchesse d'Istrie. Le duc de Saxe Meneingen & Rothschild. A présent Paul de Wurtemberg for ever. Mais il ne m'ennuie pas. J'oublie ma princesse régnante, mais celle-là me fait rire à force de modestie & d'ignorance, et de bonne volonté !
Adieu, je suis fâchée de vous faire de si pauvres lettres. Je ne pêche rien dans le salon. Pensez-vous encore à votre projet de visite au Rhin ? Ou bien l'avez-vous abandonnée ? Répondez-moi, & si vous disiez oui, dites en un mot à Lord Aberdeen, en lui disant vos dates. Moi je reste ici jusqu'au 7. Le 8 je pars. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 21 Juillet 1850

Vous dites que votre cure finit le 5 août. Je ne croyais pas que ce fût si tôt. C’était en août et plutôt vers le milieu que dans les premiers jours que je me promettais d’aller vous voir. J’ai besoin d’être ici le 6 août, pour affaires, affaires de la localité et affaires à moi qui doivent réunir quelques personnes. J’attends deux ou trois visites d’ici à la fin de Juillet. J’aimerais donc mieux la dernière quinzaine d’août que la première. Voici quel était mon désir et mon plan. Guillaume aura, je l'espère, des prix au grand concours de l'université, le 17 août. Je n’ai jamais manqué d'aller le voir couronner. Je n’y voudrais pas manquer à présent qu’il est grand et que mons influence sur lui est de plus en plus nécessaire. J’irais à Paris le 12 août, et j'en repartirais, le 13 au soir pour aller vous trouver, en passant par Bruxelles, là où vous seriez sur les bords du Rhin, Ems, Bade, ou ailleurs.
Je serai charmé de voir Aberdeen, mais je doute qu’il vienne et en tous cas, ce n’est pas lui que je vais chercher. Quel ennui que cette distance qui empêche de rien concerter. Je n'aurai réponse à ceci que dans six jours. Je vais tâcher de m’arranger pour ne pas l'attendre et pour aller vous voir à Ems dans les derniers jours de Juillet de les premiers d'août toujours obligé d'être ici de retour le 6, au moment où vous quitterez Ems. Je voudrais bien savoir où vous serez après. Je comprends que vous n'ayez nulle envie de passer le mois d'août à Paris. Il n’y aura personne; pas un de vos amis Français, et bien peu du corps diplomatique. La dispersion sera encore plus grande cette année que de coutume. Tout le monde est excédé.
Va-t-on de Paris à Ems en deux jours quand on ne s'arrête pas? Je suppose qu'on n’arrive à Ems que le troisième jour. Je vais faire demander cela à Paris. Les jeunes Broglie et les d’Harcourt sont venus hier de Trouville, passer la journée ici. Ils sont aimables et en train. J’ai une lettre de Madame de Ste-Aulaire qui me presse d'aller la voir à Etiolles. A la bonne heure l’automne prochain, quand nous serons tous rentrés à Paris.
Un M. Alexander Wood m'a apporté hier une lettre de Gladstone très amicale et qui contient ceci : « Through Lord Aberdeen, I have had the high gratification of learning that you approved of the sentiments which I made bold to express on the occasion of our late debate respecting foreign affairs. They were spoken with great, sincerity. They were confortable, I believe, not only to the declared opinion of one of our houses of Legislature but to the real, though undeclared and latent opinion of the other. The majority of the house ef Commons was with us in heart and conviction ; but fear of inconveniences attending the removal of a Ministry which there is no regularly organized opposition ready to succeed, carried the day, beyond all substantial doubt against, the merits of the particular question. " Après tout, je crois que c’est bien là le vrai, et que la victoire de Lord Palmerston n'est ni de bien bon aloi, ni bien définitive s’il recommence. Et je suis persuadé qu’il recommencera.
La poste est en retard ce matin. Non pas vous, mais toute la poste. Je ne comprends pas pourquoi. Il n'y a point de sûreté ; on peut tous les jours apprendre de Paris je ne sais quoi. Je vais faire ma toilette en attendant, et avant de vous dire adieu.

Onze heures
Voilà le facteur qui a été retardé. Il faut qu'il reparte tout de suite. Je n'ai que le temps de fermer ma lettre. Adieu, adieu. Le mercredi 17 ou au plus tard le 18, vous aurez été délivré de mon inquiétude. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 20 Juillet 1850

Nous ménageons l'Angleterre parce que nous avons besoin d’elle dans l'affaire du Danemark qui nous tient fort au cœur, nous ne voulons en général pas aller jus qu’à nous brouiller avec elle. Nous détestons à mort Lord Palmerston, mais nous ne ferons pas plus que des notes quand l’occasion sera bonne pour cela. L’Empereur n’a pas goût au Prince Scharzemberg, mais il le respecte fort & approuve grandement ses principes, il n’y aura pas de Parlement général en Autriche. Chaque état de cet empire se gouvernera par des états locaux, et on leur dira un mot du budget. Voilà tout. Quant à la question allemande. Il faut que l’Autriche renonce à y entrer avec la Lombardie & & On est loin de s’arranger encore, mais la Prusse & l’Autriche savent que l'Empereur ne souffrira pas qu'on se batte et on ne se battra pas ! C'est Constantin qui parle.
En Allemagne la révolution est finie, battue, voilà l’opinion du Prince Emile, et s'il y avait un peu d’intelligence parmi les gouvernants ils seraient très bien remis à reprendre toute leur autorité. Le Roi de Prusse vaut mille fois mieux que son frère, le Roi est loyal, spirituel, on l’aime. Son frère est borné & entraîné aujourd’hui bien au delà de ce qu'a jamais été le libéralisme sur la [ ?] de son frère. Tout ceci sur la presse en est confirmé aussi par Constantin. Deux bonnes autorités, & je crois.
Le prince Emile est charmant. Mais hélas il est venu me voir une heure, et puis il est reparti grand, grand dommage. Ma nièce est mieux que je ne croyais. Elle est grande, belle taille, bon air, mais le visage est grand & la langue grande, je n’aime pas cela. Elle a tout a fait l'habitude du grand monde, elle parle français à merveille, elle a du tact. Voilà toutes mes remarques. Constantin est engraissé. Sa femme est un peu maigre. Hier j’ai été fatiguée de toutes les visites princières, ils tous venus venus les uns après les autres. Bonnes gens, mais si bornés ! Je trouve les 3 mois de prorogation de l'Assemblée bien longs. Paris sera ennuyeux. J’espère au moins que ses 25 seront bien choisis. Adieu. Adieu. Je suis mieux aujourd’hui que je n’étais hier. Mais je crois que ces bains sont un humbug. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 21 Juillet 1850

Vous dites que votre cure finit le 5 août. Je ne croyais pas que ce fût si tôt. C’était en août et plutôt vers le milieu que dans les premiers jours que je me promettais d’aller vous voir. J’ai besoin d’être ici le 6 août, pour affaires, affaires de la localité et affaires à moi qui doivent réunir quelques personnes. J’attends deux ou trois visites d’ici à la fin de Juillet. J’aimerais donc mieux la dernière quinzaine d’août que la première. Voici quel était mon désir et mon plan. Guillaume aura, je l'espère, des prix au grand concours de l'université, le 17 août. Je n’ai jamais manqué d'aller le voir couronner. Je n’y voudrais pas manquer à présent qu’il est grand et que mons influence sur lui est de plus en plus nécessaire. J’irais à Paris le 12 août, et j'en repartirais, le 13 au soir pour aller vous trouver, en passant par Bruxelles, là où vous seriez sur les bords du Rhin, Ems, Bade, ou ailleurs. Je serai charmé de voir Aberdeen, mais je doute qu’il vienne et en tous cas, ce n’est pas lui que je vais chercher. Quel ennui que cette distance qui empêche de rien concerter. Je n'aurai réponse à ceci que dans six jours. Je vais tâcher de m’arranger pour ne pas l'attendre et pour aller vous voir à Ems dans les derniers jours de Juillet de les premiers d'août toujours obligé d'être ici de retour le 6, au moment où vous quitterez Ems. Je voudrais bien savoir où vous serez après. Je comprends que vous n'ayez nulle envie de passer le mois d'août à Paris. Il n’y aura personne; pas un de vos amis Français, et bien peu du corps diplomatique. La dispersion sera encore plus grande cette année que de coutume. Tout le monde est excédé.
Va-t-on de Paris à Ems en deux jours quand on ne s'arrête pas? Je suppose qu'on n’arrive à Ems que le troisième jour. Je vais faire demander cela à Paris. Les jeunes Broglie et les d’Harcourt sont venus hier de Trouville, passer la journée ici. Ils sont aimables et en train. J’ai une lettre de Madame de Ste-Aulaire qui me presse d'aller la voir à Etiolles. A la bonne heure l’automne prochain, quand nous serons tous rentrés à Paris.
Un M. Alexander Wood m'a apporté hier une lettre de Gladstone très amicale et qui contient ceci : « Through Lord Aberdeen, I have had the high gratification of learning that you approved of the sentiments which I made bold to express on the occasion of our late debate respecting foreign affairs. They were spoken with great, sincerity. They were confortable, I believe, not only to the declared opinion of one of our houses of Legislature but to the real, though undeclared and latent opinion of the other. The majority of the house ef Commons was with us in heart and conviction ; but fear of inconveniences attending the removal of a Ministry which there is no regularly organized opposition ready to succeed, carried the day, beyond all substantial doubt against, the merits of the particular question. " Après tout, je crois que c’est bien là le vrai, et que la victoire de Lord Palmerston n'est ni de bien bon aloi, ni bien définitive s’il recommence. Et je suis persuadé qu’il recommencera.
La poste est en retard ce matin. Non pas vous, mais toute la poste. Je ne comprends pas pourquoi. Il n'y a point de sûreté ; on peut tous les jours apprendre de Paris je ne sais quoi. Je vais faire ma toilette en attendant, et avant de vous dire adieu.

Onze heures
Voilà le facteur qui a été retardé. Il faut qu'il reparte tout de suite. Je n'ai que le temps de fermer ma lettre. Adieu, adieu.
Le mercredi 17 ou au plus tard le 18, vous aurez été délivré de mon inquiétude. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 19 juillet 1850

Vous me faites un tableau très frappant de la situation morale de votre pays, et tous les jours cela devient plus drôle. Ce qui est sûr c’est que tous les jours le Président avance. Il n'y a que lui qui soit quelque chose. J'ai eu des lettres de Londres aujourd’hui lady Allice, & Ellice. La première a été à Saint Léonard, elle trouve au Roi mauvaise mine. Il vient à Londres cependant pour la première communion du Comte de Paris demain. De là ils vont lui & la reine, à Claremont et plus tard à Richmond. La duchesse d’Orléans les y rejoindre après un petit séjour seule à St Léonard. Elle reste en Angleterre jusqu’en septembre. Elle montre une grande inquiétude qu'on ne prolonge les pouvoirs du Président. Elle dit que l’Assemblée sera certainement réunie au commencement d'octobre. Le reste de la lettre de Lady Allice traite de l’hésitation dans le parti Peel. Elle croit qu'il se décidera à rester parti séparé, portant son nom. Le [gouvernement] très faible, pas possible qu'il fasse une autre session. Ellice est assez noir aussi sur ses amis. Il dit que John a fait une grande faute de ne pas donner sa démission après le vote de la Chambre haute. Il serait rentré bientôt & plus fort. Aujourd'hui, il est très affaibli. Les comités lui sont tous contraires, & il n’y a plus Peel pour le soutenir. Le comité d’Économie a décidé que les seules ambassades existantes aujourd’hui Paris & Constantinople seront converties en mission avec 5000 £ de salaire. Le [gouvernement] résistera mais on ne sait pas s’il ne sera pas battu comme Ellice l’a été dans le comité. Un autre comité sur le gouverneur de Ceylan, Lord Torrington, s’est aussi prononcé contre lui. Lord John veut aussi le défendre, cela lui réussira t-il ? Voilà une lettre.
Constantin est arrivé hier. Curieux sur beaucoup de détails Je vous dirai demain ce que je pourrai vous dire, pour aujourd’hui je suis bien fatiguée et un peu malade. La femme de Constantin n’est pas jolie peut être que je découvrirai qu’elle l'est, la première vue n’est pas favorable. On me dit que le Prince Emile de Darnstadt est ici, mais pour quelques heures seulement. Je vous dis adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Vendredi 19 Juillet 1850

Je suis de l’avis de votre Princesse de Lippe-Schaumburg, (n'est-ce pas de la Lippe ?) ; il me semble que tout le monde se retire de l’union, et que le faiseur de l'Union est bien près lui-même d'y renoncer. Je saurai ces affaires-là avec précision d’ici à peu de jours ; mon gros, petit factotum a été de nouveau sollicité de faire en Allemagne le voyage que vous savez ; il est parti mardi, et il reviendra la semaine prochaine.
On tient beaucoup là, à ce qu’il me paraît, à établir avec les Débats de bonnes et un peu intimes relations. On a raison. Quand le jour de la bonne politique reviendra, car il reviendra, il importe que les Débats y soient engagés d'avance et la soutiennent pour leur propre compte, seule manière d'avoir un peu de zèle et d’autorité. C'est ce qui fait que je ne suis pas du tout fâché du ton qu’ils ont pris sur la nouvelle loi de la presse. Cela leur donnera crédit pour approuver et défendre le régime, plus sensé, qui sera fait un jour à la presse, quelque sévère qu'il soit. La République a cela de bon qu’elle tente toutes sortes de rigueurs inefficaces qui feront plus tard, passer et presque trouver douces de justes et efficaces de vérités. Vous voyez ; je ne me guéris pas de croire à l'avenir et d’en parler comme s’il était à moi. Au fait j'y crois; il s'est fait et il se fera bien des absurdités dans le monde ; mais l'absurdité petite et basse ne l’a jamais gouverné longtemps. Ce qui n’est pas sûr du tout, c’est que le meilleur avenir vienne assez tôt pour que j'en aie encore ma part. Je suis tout résigné à cela, mais je ne vois pas pourquoi je m'imposerais, à chaque minute, la fatigue et l’ennui de parler, ou de me taire, comme si j'étais mort, pendant que je suis encore vivant. Je me laisse aller à ma pente ; Dieu disposera de moi comme il lui plaira.

9 heures
C’est bien bête, en effet de manquer d'eau faute de machine. J’ai en idée que ces eaux d'Ems vous font du bien. Ma conjecture se fonde sur votre silence.
Je reçois ceci du meilleur des Burgraves : " Nous venons de terminer une loi qui n'a pas trop bonne mine, mais qui contient cependant plusieurs dispositions efficaces. Elle a été faite à peu près comme tout ce qu’on fait avec les légitimistes, c'est-à-dire comme une distribution de prix et une table de proscription, chacun récompensant les siens et poursuivant ses adversaires. Elle est très sévère, ridiculement et un peu bêtement sévère quant à la presse de Paris, indulgente sans choix et sans mesure pour la presse des départements. Somme toute, il en résultera du bien. Nous allons nous séparer ; nous en avons grand besoin ; la place n'est plus guère tenable, et la session prochaine ne sera possible qu’autant qu’il se formera, une majorité nouvelle composée des gens de bon sens de tous les partis ; la majorité actuelle est à bout de voie."
Vous ai-je dit que Saint Marc Girardin avait offert à Armand Bertin, d’écrire et de signer (Saint Marc Girardin, membre de l’Institut) le premier article politique que publieraient les Débats sous l'empire de la loi nouvelle ? Adieu, Adieu.
J’ai la pluie depuis deux jours ; à mon grand déplaisir. J’aime de plus en plus le soleil. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems Jeudi 18 Juillet 1850

Hier une pluie battante, pas de promenade, misérable journée. Votre lettre est venue l’égayer, & deux autres de Montebello & Duchâtel. Ils me mandaient que tout tourne à l’Empire. Cela m’est égal, j’espère seulement que l'Empire me plaira autant que la République dont je m’accommode fort bien. Quel drôle de pays que le vôtre. On peut tout faire des Français. Ils sont charmants, ils ne sont pas grands. J’attends Constantin aujourd’hui. Il me dira quelques nouvelles. Je n’en sais pas une. 4 heures. Pas un mot à vous dire, point de lettre d'Angleterre. Des visites, pas de conversation. Le prince George de Prusse, neveu du roi est venu. Très timide jeune homme, mais quelque chose peut-être Adieu. Adieu. Vous trouvez qu’il ne vaut pas la peine de recevoir une si pauvre lettre. I cannot help it. La mésaventure de la reine d’Espagne n'aura pas déplu au Duc de Montpensier. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 18 Juillet 1850
6 heures

C'est aussi l’heure où vous vous levez, me dites-vous. Que faites-vous à cette heure-ci, aujourd’hui ? Quand vous vous le rappellerez, au moment où vous recevrez ma lettre, la vôtre ne me le dirait que dans huit jours. On aura beau inventer les chemins de fer, les ballons ; on ne supprimera pas l'absence. Je n'ai guère plus de nouveau à vous envoyer d’ici que vous d'Ems à moi.
J’ai fait hier mes visites à Lisieux, par la pluie. Je suis frappé de ce qu’il y a de tranquillité et de ce qui revient de prospérité matérielle dans le pays. Cette société est aussi habile à se défendre du mal qu’inhabile à conserver le bien. Il est vrai qu'en fait de prospérité comme de sécurité, elle se contente à bon marché. Toutes ces existences sont très petites pour la richesse comme pour l’esprit, et elles se soucient peu de devenir grandes, sous l'un ou sous l'autre rapport. Quand on a gagné assez d’argent pour vivre sans rien faire dans sa petite maison de ville ou de campagne, on se trouve assez riche. Quand on sait faire ses comptes et lire son journal, on se trouve assez spirituel. Jamais l’ambition n'a été si courte et si basse. Les proverbes ont toujours raison : on est punis par où l'on a pêché.
Voici où ce mot puni me mène tout à coup à M. de Lamartine. Bien des gens le trouvent bien puni. Je trouve qu’il ne le sera jamais assez. Vous vous rappelez l’article de Croker dans le Quarterly review sur l’évasion du Roi après Février, et la réponse qu’y a faite M. de Lamartine et dans laquelle il a raconté qu’il avait voulu, comme gouvernement provisoire, faire sortir le Roi en sûreté, qu’il était allé trouver M. de Montalivet, qu’il lui avait demandé où était le Roi, et lui avait offert, sur son honneur, de le faire conduire hors de France par quatre commissaires qu’il lui avait nommés, M. Ferdinand de Lasteyrie, M. Oscar de Lafayette, et deux de ses amis personnels, M. de Champeaux ancien officier dans la garde royale, et M. d'Argaud, attaché aux Affaires étrangères. Croker ne lâche pas prise aisément ; il est allé au fond de tous ces dire ; il a questionné le Roi, et par le Roi, M. de Montalivet. Il publie dans le nouveau n° du Quarterly review une réponse à la réponse de M. de Lamartine, et, il affirme que les quatre commissaires proposés par M. de Lamartine à M. de Montativet étaient, Lasteyrie et Lafayette, oui, mais au lieu des deux derniers nommés dans la réponse, MM. Flocon et Albert, [ouvriers] ! Peut-on concevoir un tel mensonge ? Car entre les deux assertions, je crois à celle de Montalivet. M. de Lamartine s’en tirera par l'absence. Il est à Smyrne. Le Quaterly review ne va pas là.
Voilà un petit désagrément pour Palmerston. C'est encore la Duchesse de Montpensier qui hérite du trône d’Espagne. Si la Reine d'Espagne mourait demain, il aurait de la peine, malgré ses 46 voix de majorité, à faire faire la guerre par son pays pour empêcher l'Infante de succéder. Car elle succéderait en Espagne sans difficulté ; les progressistes seraient les premiers à la reconnaître et Narvaez est toujours là.

9 heures.
Voilà votre lettre. Je n’en ai absolument aucune autre. Quand j’ai celle-là, j’attends les autres patiemment. Comment ne savez-vous pas encore que j’ai été cinq jours sans lettre ? Nous sommes bien loin. Adieu, adieu, adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 17 Juillet 1850

Ah me voilà contente puisque vous l’êtes. Hier enfin j’ai eu ce qu'on appelle une lettre, je la méritais. Cette Assemblée me faisait d'ici le même effet qu’à vous. Je ne suis pas fâché de voir les assemblées devenir ridicules. Vous ne pensez pas comme moi à cet égard, et cependant vous devriez être guéri de votre passion.
J'ai eu une longue lettre de Marion. L'Angleterre est encore toute abandonnée à ses regrets et à son admiration pour Peel, les quelques paroles de Dupin, ont flatté, touché, charmé. La petite malice n’a pas été perdue non plus. Sir Robert a laissé à son fils aîné 22 000 L. de rentes of entailed property. 70 000 £ à chacun de ses autres fils, & 25 000 à chacune de ses filles. J’ignore le douaire de sa femme. Sûrement considérable. Le fils aîné se conduit à merveille. Marion fait une foule de réflexions spirituelles & sensées sur cette mort, et elle finit en me disant, qu'on ne sait pas bien encore si elle est, ou n’est pas un grand malheur. pour le pays.
La princesse régnante vient me voir à peu près tous les jours. Elle est dans une véritable angoisse, elle a peur de s'ennuyer, elle a raison. Hier elle me parlait de votre beau discours à l'assemblée l’autre jour. La Princesse de Prusse quitte Coblence pour aller résider à Bade où son mari commande l’armée. Je ne verrai donc rien de tout cela. Je vous réponds que je vous reviendrai aussi peu instruite sur l’Allemagne que j’étais partie. La politique des petits princes ne s'éclairera pas.
Marion me demande si vous avez lu " Sophisms on free trade by a Barrister " (Serjeent Byles) et comment vous le trouvez. On en est à la 8ème édition. On espère toujours renverser le ministère. Bêtise. J’ai commencé Albert de Broglie sur M. de Châteaubriand. Excellents sentiments, beaucoup d’esprit, la manière un peu lourde & quelque fois confuse. Je crois qu'il écrira mieux. En attendant ceci m’intéresse beaucoup. 2 heures. Le duc de Saxe Meiningen qui avait toujours été interrompu quand il commencent à me parler intimement des affaires allemandes m’a enfin trouvée seule aujourd'hui. Il est Prussien, il est pour un parlement allemand. Il dit que si on veut revenir à l’ancienne confédération il y aura une explosion générale. Il désire que l’Autriche reconnaisse cette vérité, & la Russie aussi. La paix avec le Danemark amènera indubitablement & tout de suite la guerre entre le Danemark & les Duchés. C'est une inextricable difficulté. Je vous ai dit tout Saxe Meiningen. J'ajoute que c'est un homme très sensé & parfaitement gentleman surtout. Je continue à me baigner & à boire. Je n'ai rien à dire de l’effet, cela me fatigue, voilà tout. Je suis toujours dans mon lit à 9 heures ce soir, & debout à 61/2 du matin. Adieu, Adieu.

J’espère que tous mes adieux vous arrivent. Je reprends une petite critique sur Albert de Broglie. Je viens d'achever. C’est charmant. Cherchez la 109ème page, et dites-moi, qui est l'homme aux Mémoires du 17ème siècle. Ce ne peut être St Simon qui écrivait encore sur la régence. Qui est-ce ? Je suis bête sans doute, mais je ne trouve pas.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 17 Juillet 1850
Sept heures

J’ai aussi mes ennuis, que je ne compare pas aux vôtres. Je mène aujourd hui Pauline faire à Lisieux ses visites de noce. J'ai déjà fait cette corvée avec Henriette, heureusement, beaucoup de personnes sont à la campagne.
La loi de la presse est une mauvaise affaire. Je doute qu'elle passe. Au dernier jour, toute la montagne et le tiers parti, qui ont voté pour les amendements, voteront contre la loi, avec tous les mécontents et tous les timides du parti modéré, légitimiste et conservateur. Et si elle passe ce sera encore une mauvaise affaire. L’assemblée se sera brouillée avec la portion bruyante, et parlante de son propre public, avec les gens qui se sont battus pour elle, dans les départements comme à Paris, avec les honnêtes comme avec les malhonnêtes avec les sages comme avec les fous. Cela ne se peut pas. On retrouvera cela au jour des élections. Il faut avoir une armée, et des sous-officiers dans cette armée, et des braves, quelques fois embarrassants et compromettants, parmi ces sous-officiers. Je crains que nos amis les Burgraves n'aient fait là une mauvaise opération, et que cette loi ne coûte beaucoup plus qu’elle ne vaut. A moins qu'elle ne vaille à l'un d'eux les bonnes grâces de Mad. Kalergi. Mais je ne suppose pas ; n’est-elle pas toujours radicale ?
Je trouve que c’est beaucoup d'appeler la mort du Duc de Cambridge une catastrophe. A cela près que celle-là est connue de tout le monde, il n’y a guère de mort plus insignifiante. Comme sa vie. Du reste j'ai été bien aise de voir les témoignages de respect officiel pour son nom et sa veuve, les discours, les adresses du Parlement et du public. Tout respect est bon et devient presque d’autant plus frappant que la personne n’y entre à peu près pour rien.
Peu ou beaucoup, je suis bien aise que vous ayez Constantin et sa femme. Ce sont des soins, si ce n’est pas de la conversation. On me dit, quoiqu’il me dise lui-même le contraire, que Duchâtel n’ira pas en Allemagne. C'est assez pour lui de prendre les eaux de Carlsbad à Paris et il est plus préoccupé de sa propre santé, qui est bonne, que de celle de sa femme qui me paraît, à moi, très inquiétante. J'ai peur qu’il n'aime vraiment que lui-même. Avec sa disposition à s'ennuyer, c'est bien lourd. La préoccupation de soi-même ajoute à l'ennui, bien loin d'en distraire. Savez-vous ce qu’il faut faire pour se désennuyer ? Relire les Mémoires de St Léonard. Moi qui ne m'ennuie pas, je fais cela le soir, et je ne m'en lasse pas. Je conviens qu’il faut avoir des yeux. Comment vont les vôtres ? S'ils vont assez bien, ne me le dites pas par ménagement. Je comprendrai votre silence.
Comment fait-on l'hiver à Ems, dans des maisons sans poêle ni cheminée ? Est-ce que personne ne vit là en hiver ?
Voici une note qui m'est fort recommandée par des gens que je serais bien aise d'obliger. Excusez le constitutionnalisme des deux premiers paragraphes. Je connais le Général Rybinski, brave homme, ce qu’il y a de plus honnête et de plus tranquille dans l'émigration polonaise. Il me semble que l'Empereur, n'est pas mal disposé pour lui et les siens. Il s'agit uniquement d'aider de pauvres jeunes filles à ne pas mourir de faim. Pouvez-vous, quand vous verrez Constantin lui en dire un mot, et pourra-t-il en dire ou en écrire un mot au Maréchal Paskéwitch ?

9 heures
Votre visite au Prince et à la Princesse de Lippe Schaumbourg Bückebourg met le comble à ma compassion. Adieu, adieu, adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems Mardi 16 juillet 1850

Je deviens décidément unitaire allemande. Si l’Allemagne était cela, mes lettres vous arriveraient. Tous les petits états se passent leur fantaisies, c-à-d. que l’administration va comme il lui plait. Les postes ne sont pas réglées. Que faut-il faire ? Je n'en sais rien. Mes lettres m’arrivent, les journaux aussi, mais ce qui part d'ici n’arrive pas. Je vous ai écrit un mot par Strybon sans l’affranchir, peut être cela ira-t-il mieux. Je m’en vais remettre ceci à Rothschild. J’essaye de tout. Quel ennui. Vous, inquiet. Moi sans nouvelle. Car vous ne voulez plus rien me dire. Voici quatre de vos lettres sur une demi page pour vous inquiéter et vous plaindre. Je n’ai pas de lettres d’ailleurs ainsi pas un mot à vous dire, puisque je n’ai pas même à vous répondre. Je vous répète que je vous ai écrit tous les jours, tous les jours. Voici ma douzième lettre d’Ems, car je vous ai déjà écrit ce matin. Si je vous avais là que de choses à nous dire que d'observations à nous communiquer sur ce qui se passe.
Je pense toujours beaucoup à Peel. Décidément un grand caractère. Sa volonté d’outre tombe vaut mieux que tous les volumes de M. de Chateaubriand. Il veut que sa postérité reste roturière. C'est bien de l'orgueil. Cela plaira à tous les démocrates dans le monde. Je vois d'ici les grimaces de la belle marquise. Les Canning n'ont pas su faire cela. Mais encore les fois quel manque de tact d’offrir à la famille Peel la même chose, pas plus, qu’on n’avait offert à la veuve Canning. Canning beau parleur rien de plus. Belle comparaison ! Adieu car il faut finir. Quand me direz-vous que vous avez reçu mes nombreuses lettres où même une seule ! Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems Mardi le 16 juillet

Je me porte bien, je n’ai pas manqué un jour de vous écrire. Je suis désolée de votre inquiétude. Je prends le parti d’adresser autrement ma lettre aujourd'hui. Je l'envoies à Strybon pour qu’il la mette lui-même à la poste. Les autres je les ai toujours adressées au Val Richer, et affranchies c’est peut-être cela qui les empêche de vous arriver. Je ne vous dis que ce mot à 6 h. du matin, en toute hâte & tristesse de votre inquiétude. Adieu. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems Lundi 15 juillet 1850

Je me sens tout-à-fait malheureuse de votre inquiétude. Car je sais bien que dans un cas pareil j’aurais fait mille sottises comme de me jeter à l’eau par exemple, ce qui empêcherait les autres. J’ai pris tous les renseignements possibles. D'ici mes lettres sont certainement parties. Mais la poste Tour & Ta[?] a ses agents partout, & par curiosité comme par calcul, ils font quelques fois passer les lettres par Mayence & Francfort, et il se peut que des lettres d’ci mettent quatre jours pour aller à Paris. Cela expliquerait comment le 11 vous n'aviez pas encore ma lettre du 6. Cependant non, voilà plus de cinq jours. Enfin que faire. Moi je n'en sais rien. Un jour vous recevrez douze lettres à la fois. Je plaindrai les onze lettres. C’est assez parler de nos ennuis. Le beau temps est revenu. Je suis toujours bien ennuyée & bien docile. L'effet des eaux est une lassitude, & somnolence excessive, et puis des douleurs de jambes et d’estomac, on me dit que c’est très bon. Qu’en pensez-vous ? Moi je crois que je devrais cesser. Je crains un coup d’apoplexie. Vous me reconnaissez là.
Je ne sais que penser de la loi sur la Prusse. Je vois que le Journal des Débats prend le mors aux dents, je vois que la Prusse en prend son parti, qu’est-ce que ce revirement extraordinaire. Venez à mon aide. J’ai fort aimé ce que M. de Laboulis a dit dans la séance de jeudi. Mais je vous parle de choses qui seront bien vieilles & oubliées quand vous recevrez ceci. Je m’avise de proposer à lord Aberdeen de venir ici vous rencontrer pour le 1er ou 2 août. Quelle idée ! Pourquoi pas ? Viendrez-vous toujours et quand à peu près. Ma cure complète finit le 5 août, il faut deux jours de repos et puis je pars. Je ne sais pas du tout ce que je ferai du reste de l’été. Mon fils aîné passera le mois d'août à Paris. Mais quel vilain mois pour y rester. Je n'en serai pas capable. Hier je n’ai pas vu une âme mais le temps était superbe. J’ai bien fatigué mes chevaux. Adieu. Adieu. Adieu.

Comme je trouve inconvenant de n’avoir offert à lady Peel que ce qui a été fait pour Mme Canning ! Manque de tact. En tout cas elle eut refusé. La prévoyance de Peel ajoute encore à la popularité de sa mémoire. Grand homme, grand démocrate. Il restera désormais le héros de la démocratie. Au temps qui court l’effet ne sera pas bon pour la upper house.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 16 Juillet 1850

Voici, à Paris la disposition d'avant hier, comme me l'écrit un des meilleurs juges : " Tout le monde dort et veut dormir. Les légitimistes seuls se tiennent les yeux ouverts, mais pour faire cent sottises. Ce pauvre Berryer me racontait tout à l'heure ses douleurs. Sa seule ambition, pour le moment, serait de leur rendre l'humeur un peu plus douce pour les personnes, de leur donner un peu de liant de confiance, d'abandon, avec nous autres ; et puis on verrait après. Mais non ; c’est plus fort qu'eux ; ils ont vécu d'absinthe, et ne veulent plus d’autre boisson. Le seul remède, selon Berryer, c’est de se séparer, c’est la prorogation de l'assemblée ; mais en la demandant, il éveille les soupçons. Vous voulez donc nous vendre au Président ? Quelles pauvres gens qui ne peuvent ni faire, ni laisser faire ! Et pourtant qu’y a-t-il de possible sans eux ? " " Thiers est revenu de Lille et de Valenciennes. Il s'est aperçu en chemin de fer que le pays voulait se laisser faire, et il m'a l’air d'avoir envie de faire comme le pays. "
Vous voyez que cela s’accorde avec vos pressentiments. La lettre d'Ellice est curieuse. Il a de l'esprit. Je suis de son avis ; je ne partage pas l’espoir d'Aberdeen que Palmerston, plus puissant au dedans, sera plus prudent au dehors. Palmerston s'est donné aux radicaux et les radicaux à lui. Les radicaux l'ont déjà payé ; il faudra bien qu'il les paye à son tour. Si Kossuth, Mazzini et Ledru Rollin étaient encore en action chez eux, sur le champ de bataille révolutionnaire, je serais très inquiet ; Palmerston les aiderait. Mais ils sont battus, et fugitifs chez lui ; il se contentera de les ménager. Pour le moment cela lui suffit. Faut-il vous renvoyer la lettre d'Ellice ou vous la garder ?
A-t-on à Ems le Quarterly Review ? Lisez, dans le numéro de Juin qui vient de paraître, un grand article, on the austrian revolution. C’est un résumé intéressant. Je suppose que c'est de mon ami le Dr Travers Twiss. Il est allé naguère à Bruxelles. Je vous avais recommandé sa brochure sur les affaires de Hongrie. L’avez-vous lue ?
L'article d'Albert de Broglie sur M. de Châteaubriand met en grande colère les débris de la coterie de Mad. Récamier. Ils s'indignent qu'on touche à leur idéal. Il faut être jeune pour être idole. M. de Chateaubriand ne se consolait pas de vieillir. Il avait raison.

9 heures
Certainement, je vous plains, et vraiment il y a de quoi avoir froid toute seule, c’est très triste. Prenez Ems en horreur tant que vous voudrez, mais non pas vous-même, je ne vois pas le lien nécessaire de ces deux haines. Dites-moi au moins si les eaux que vous buvez vous font du bien. Quelle est la nature de ces eaux là, ferrugineuses sulfureuses, gazeuses, alcalines, salines ? Comment s’appelle le médecin des eaux ? Quand vous êtes quelque part, j’ai envie de savoir tout ce qui y est.
Ma lettre à l’Institut réussit très bien, la démarche et la lettre. Que je fais bien de me tenir en dehors de tout ! Certainement Lady Alice, vous a écrit. Sa lettre aura été retenue quelque part. J’ai reçu d'elle une réponse très amicale. Ma lettre lui avait fait plaisir. Adieu, adieu. Je voudrais vous envoyer de quoi remplir votre journée de quoi échauffer votre chambre. Adieu, adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 14 juillet 1850, 10 heures

Le temps se relève depuis ce matin et cela donne courage. Mais voilà les bannis interrompus. Une machine rompue, qui nous met à sec. Ils sont bêtes par ici. Que je suis désolée de cette autre bêtise, les postes. Je n’ai pas manqué un seul jour de vous écrire. De Cologne vendredi 5. D'Ems Samedi 6 lendemain de mon arrivée. Et puis tous les jours comme de raison. Hier je n'ai rien eu de Londres, ni de Paris. Je vous ai raconté Lady Allice et Marion. Selon ses derniers renseignements Meyendorff allait décidement. à Vienne. Je ne lui ai pas répondu à deux de ses lettres.
Je ne puis rien vous dire sur le Danemark. Je n’y entends rien et je n’ai eu personne à consulter. Ma princesse régnante ne sait pas grand chose, elle me dit seulement qu’elle s'est retirée de l’union, & que les autres petits états font de même. Je ne sais pas même si le Duc de Prusse est à Coblence. Je ne vous amuserais pas du tout, je n’ai [rien] reçu à vous conter. Adieu, Adieu, à moins d'une catastrophe entre ici et 4 heures départ de la poste. Elle arrive à 6, c’est arrangé avec intelligence ! Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 14 Juillet 1850
Sept heures

C’est un plaisir charmant de vous écrire le cœur content. Je puis enfouir bien des choses dans mon cœur sans qu’il y paraisse mais c'est un poids bien lourd.
Nous ne nous sommes pas trompés sur les défauts de Peel ; mais nous n'avons pas prisé assez haut ses qualités, ces deux-ci surtout, son indépendance de tout esprit de parti, et sa préoccupation de la justice envers le masses et de leur sort. C'est là ce que l’a fait grand en lui faisant faire à tout risque, de grandes choses, et ce qui lui vaut aujourd’hui le respect et la sympathie de tout un peuple. Il s'est dégagé des liens qui enchaînent en général les hommes politiques, et il s’en est dégagé pour donner satisfaction aux besoins du peuple, sans s'inquiéter des nécessité du gouvernement. Et il a fait cela en étant un conservateur, un homme d’ordre et de politique sensée et régulière Conduite grande et originale, quoi qu’il n’eût pas dans l’esprit beaucoup d'originalité ni de grandeur.

10 heures
Votre lettre du 9 m’a interrompu. Je ne m’en plains pas. J’ai beaucoup à vous dire encore sur Peel. J'y reviendrai. Je reçois une longue lettre de Lord Aberdeen revenant de Drayton. « It was a sad ceremony ; and to witness the change in that happy résidence, in which I had experienced so much friendship, and had seen so much wisdom, prudence, and integrity of character, required more philosophy than I possessed. " Des détails sur le sentiment public envers Peel. Puis ceci : " His last speech was most important. It was made reluctanly and he greatly dreaded the defeat of tre Govern. ment. From his previous silence, had it not been delivered, the government could have maintained and the public would have believed that he approved of their foreign, as well as of their domestic policy. His manifest reluctance and the moderation of hir manner rendered his censure most effective. " Discussion toujours profonde, quoiqu'avec moins d’aigreur, dans le parti conservateur ; pas de conciliation sur les questions de free trade. Conclusion : " Radicalism is here in the ascendant ; but I am inclined to think that there will be more prudence than we have lately witnessed, abroad. "
Autre lettre intéressante de Mistriss Austin " Lord John's speech was far worse than Lord Palmerston's, and calcutated to do great mischief. Every body speaks of Lord Palmerston's as the most wonderful effort of oratory, considering his age, the heat, and all there was to [?] his difficulties. During five hours, he never faultered, never recalled a word never drank a drop of water, and left off with the very same intonation of voice as he began with. How lamentable that such powers are se employed ! People seem to think that in spite of the " triumph " of tne government, the system of foreign policy has received a severe and salutary, check and that even he will not risk another such struggle. If there were any bounds to human credulity, one might be amazed at hearing sensible men (as I did) talk of " all this being the result of a conspiracy. " I asked in vain what means you, and M. de Metternich, and Princess Lieven, possessed of influencing the mind and opinion of the English - for I maintain that the public was against the government. Nobody can answer. Yet they continue to assert it. We are very much ashamed of the vulgar blustering tone of the speacher en that side." Elle est liée avec Cobden, Sir W. Molesworth, tous ces chefs radicaux qui ont parlé et voté contre Lord Palmerston, malgré leur peuple. Voilà l'Angleterre. Demain, je vous enverrai de la France.
J’ai, ce matin, de Paris, de bonnes nouvelles de vous, par Kisseleff. Votre fils Alexandre était arrivé. Adieu, Adieu, Adieu. Vos lettres arrivent affranchies. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 13 juillet 1850

Enfin lady Allice & Marion. La première entre dans beaucoup de détails. Elle était auprès de Sir [Peel] après son accident. On ne voyait pas de danger. La veuve dans le plus affreux désespoir, elle est à Marble Hill chez Lady Allice. Le mari est exécuteur testamentaire avec Goulbourne. Peel a laissé tous ses papiers, tous ceux qui doivent être publiées à Lord Mahon, & M. Cardwell. Le fils aîné est arrivé après la mort. Il se conduit à merveille et montre beaucoup de bons sentiments. La reine a beaucoup pleuré, et pendant les premiers jours, elle n'a pas dîné avec son service. Lady Allice dit que maintenant on renversera plus aisément le gouvernement. Mais elle ne dit pas qui le remplacerait. Le Roi & Palmerston a écrit de sa main une lettre très touchante à Lady Peel. Voilà à peu près tout ce qu'elle me dit. Marion dit, que si on se débarrassait de Palmerston. Graham & autres Peelistes pourraient se réunir au gouvernement actuel et le faire durer jusqu’à la fin du Parlement. Autrement le Ministre tombera et les Tories entreraient au pouvoir entraînant avec eux Gladstone & autres. C’est son oncle qui lui mande cela.
Il pleut toujours. Suis-je malheureuse ! La Princesse régnante est venue me voir. Impayable. Curieux, de tout & de moi surtout. Ne sachant absolument rien. C’est risible. Quel petit pays que l’Allemagne. Son mari s’est retiré de l’Union. Il n' a plus guère que les princes de la Thuringe qui y soient restés. On me dit que le Parlement va ériger un monument à Peel, à Westminster. Je ne crois pas que cela ne soit jamais fait ? Adieu. Adieu. Votre lettre hier ne me disait rien. Vous aviez l’air d’être à Ems ! Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, samedi 13 Juillet 1850
9 heures

Que je suis heureux ! Trois lettres à la fois, des 6, 7 et 8 ! Mais c'est égal ; je ne veux pas de ce bonheur-là ; je le paye trop cher. Je suis au supplice depuis quatre jours. Tout possible, tout, quoique vous ne montiez pas à cheval. Enfin, c’est passé. Vous n'êtes que mal logée et ennuyée. Je n'ai, en ce moment, nulle pitié de vous. Elle me reviendra. Mais il faut absolument qu’Ems vous fasse du bien sans cela, la duperie serait vraiment trop grande.
Essayons de parler d'autre chose. J’avais tant de choses à vous dire ! Vous en perdrez beaucoup. Point par votre faute, j'en conviens. Je soupçonne la poste allemande d'être beaucoup moins exacte et beaucoup plus curieuse que la nôtre. Quand on fait un mauvais coup au moins faut-il le faire vite et sans trop déranger les gens.
L'assemblée se prorogera sur une pauvre impression. Brouillée du dehors avec le public qui parle, et quasi brouillée, au dedans, sur tous ses bancs. Je ne serais pas surpris qu'en fin de compte la loi sur la presse fût rejetée. Elle est devenue absurde. Tracassière et inefficace, c’est trop de moitié. Les légitimistes ont eu, dans ce débat, des inventions pitoyables. Ce qui me frappe de plus en plus c’est la pauvreté et la stérilité d’esprit. Partout, plus ou moins.
Palmerston a eu beau avoir du succès ; son discours est commun, très commun, infiniment au-dessous de la situation et des sujets. Mettez bout à bout huit ou dix articles du Siécle français et du Dayly news anglais sur les questions grecque, suisse, italienne, turque, française ; vous aurez ce discours là, et au moins aussi bien. Ce n’est pas la peine d'être Ministre de la Grande Bretagne et d'avoir le diable au corps pour parler comme les journalistes radicaux écrivent. Et il faut que le public de la Chambre des Communes soit lui-même bien descendu pour se contenter et se ravir à si bon marché. Je vous dirai que c'est là, à mon avis, un symptôme assez inquiétant sur l’Angleterre ; si le parti qui trouve tout cela beau et bon reste ou devient tout-à-fait le parti dominant, vous verrez là toutes les sottises du continent. Je compte un peu sur l’autre parti et beaucoup sur le bon sens et la droiture du public anglais qui ne parle ni n'écrit.
Je reviens à notre assemblée. Elle va donc se proroger, peut-être pas pour bien longtemps. On m'écrit : " Nous ne ferons rien demander par les Conseils généraux ; il y aurait trop de divergence, et cela ferait trop bien les affaires du Président. Diviser la majorité et donner la chasse aux légitimistes, voilà la tendance actuelle, à laquelle ces derniers ne se prêtent que trop. On craint que les votes des conseils généraux ne soient ou présidentiels ou légitimistes. Je crois pour ma part que l'on fait trop d’honneur à notre magnanimité, et qu'en lui donnant le plus grand essor possible, elle n'irait pas au delà d’une révision de la Constitution par voie régulière. Mais à quoi bon ? Et que peut-on faire de cette constitution là sinon de la jeter au feu ? " Vous voyez que les uns prétendent, et que les autres espèrent bien peu.
Autre lettre : " Les légitimistes de l'Assemblée commencent à se demander s’il ne vaudrait pas mieux ne pas voter le budget, avant la prorogation, et se borner à voter les contributions directes comme l'an dernier, pour donner aux conseils généraux leur travail mais réserver le vote du budget des dépenses pour le retour de l'assemblée afin de ne pas faire un lit trop commode au Président, s’il avait quelques velléités pour cet été."
J’ai tout le détail des conversations de Dalmatie, Mornay et St Aignan à St Léonard. Ils sont les derniers revenus. La Duchesse d'Orléans plus traitable, comme plus inquiète. N'évitant pas, provoquant au contraire la conversation : " Vous m'avez dit bien des choses qui m’ont donné à réfléchir. M'avez-vous tout dit ? Dites-moi tout. Vous m’avez parlé de quelque chose à faire ? Qu'entendez-vous par là ? Que faut-il faire ? " De l'humeur contre moi : " M. Guizot veut qu’on se rende à ses idées. Il est bien décidé, et bien pressé. " Même langage du Roi, plutôt moins net et moins explicite. Au fond, même situation.
Je commence à peine à causer avec vous. Pourtant il faut finir. A demain. Je compte bien sur une ou deux lettres. Adieu, adieu, adieu. Il fait beau, et bien plus beau au dedans qu’au dehors. Je me promènerai en respirant au lieu de me promener en étouffant. Adieu, adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems Vendredi le 12 Juillet 1850

Le froid continue, les averses aussi. On me fait prendre les l'eau cependant, & boire de l'eau. Cela ne me fait ni bien ni mal. Je me lève à 6 heures. Je me couche à 9. Je voudrais bien me coucher plutôt, car je meure d'ennui. Rothschild. Ma seule ressource ! Une demie heure tous les jours.
J'ai eu une lettre de Beauvale. Il me dit que John Russell a beaucoup baissé & Palmerston grandi. Aujourd’hui le Roi des radicaux, fausse position, car à l’intérieur il est bien moins radical que John. Les choses ne resteront pas comme elles sont mais personne ne devine quelle tournure elles vont prendre. Londres se disperse, & le parlement va se proroger. Montebello me tient un peu au courant de l'Assemblée. Il m'écrit de son banc et me divertit beaucoup.
Vos extraits de Londres & de Paris sont curieux. Tout cela tend à devenir de la grande politique ou plutôt de grandes affaires sérieuses. Nous verrons.

3 heures. Il y a eu des petits Princillons que j'ai connus jadis. Mari & femme, Prince régnant de Lippe, de Hambourg, Bukebourg. C’est bien long. Plus long que leurs états. Ils sont venus me relancer et comme je suis polie j’ai été leur rendre leur visite. Un Chambellan au bas de l’escalier. Le Prince en haut, la Princesse devant le vestibule. Des questions sur Paris. le général Changarnier a dit-on fait un superbe discours. J’espère que la comtesse de Chambord n’est pas grosse. Charles X se porte mieux à ce qu’on dit. Voilà exactement ma Princesse régnante. Ah quel lieu que cet Ems ! S'il y avait ici seulement la moitié du plus insignifiant de mes visiteurs du Dimanche ! Voyons, la moitié de M. de Flamarens ou de M. de Mézy. Adieu, Adieu. La pluie a cessé depuis un instant. C'est une nouvelle. Adieu encore.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Pour le coup, je suis très inquiet. Encore pas de lettre. J'envoie à Paris, chez vous et chez Kisseleff pour savoir, si on sait quelque chose de vous. Je ne sais pourquoi j'écris encore à Ems car où êtes-vous ? Comment êtes-vous ? Quel supplice ! Il est impossible que vous ne soyez pas malade, peut-être très malade. Adieu. G
Val Richer 12 Juillet 1850

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 11 juillet 1850

Ceci devient une véritable et cruelle inquiétude. Pas de lettre. Vous êtes malade. Seriez-vous assez malade pour n'avoir pas même pu penser à me faire écrire un mot par votre médecin, par Auguste? Je n'y comprends rien. Mais je suis désolé. Et je ne vois personne à qui m'adresser pour avoir de vos nouvelles. Il faut que j’attende. Il m'est impossible de vous parler d'autre chose. J’aurais bien des choses à vous dire. Mais c'est impossible. Adieu, adieu, adieu. Il y a bien longtemps, que je n'ai ressenti une telle anxiété. Adieu.
G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems jeudi le 11 Juillet 1850

Depuis dimanche il n’a pas cessé de pleuvoir. Je n’ai pas pu faire une seule promenade à pied, & il fait trop froid pour aller en calèche. Je bois l’eau dans ma chambre. Hier j’ai vu le Prince Paul & un Rothschild neveu. Et puis voilà toute ma récréation. Si vous ne me plaigniez pas à présent, je vous en dispense pour le reste de ma vie. Jamais je n’ai été si mal, & j’ai pris Ems et moi-même en horreur. Vous me dites hier soir ce que je vous disais le matin le Président durera plus que la République peut-être, mais avec ou sans elle il y restera. Vous savez que je m'en accommode fort bien, & que le présent état de choses me convient tout-à-fait, vu que j’ai l'honneur de n'être pas française.
Constantin & sa femme s’annoncent pour le 20. Ce sera quelque chose ; entre nous, pas grand chose. Mon fils Alexandre était une vrai ressource. Il sait tout, il connait tout le monde. C'est un puit de connaissances en toutes choses et très pratiques. Très bon observateur & très bon juge. Le commerce le plus doux. Mais il ne tient pas en place. Il lui faut des voyages, Castellamare ou les quatre parties du monde. Je n’ai pas eu une ligne de Lady Allice. C’est inconcevable ni de Marion. Montebello m’a écrit hier à peu près ce qu'on vous mande à vous. Les grands Burgraves ne vont plus à l'Assemblée. Par l'un d'eux j’en sais la raison. Il perd la raison pour Madame Kaledgi. Il est horriblement jaloux de Piscatory, & il va à la campagne regarder la Lune quand il y en a. Ne me faites pas de commérage.
Voilà ce pauvre duc de Cambridge mort. C'est bien des catastrophes coups sur coups, à commencer par le coup de canne à la reine. Je plains beaucoup la duchesse de Glocester, elle ne survivra pas longtemps à son frère. Elle le chérissait. Adieu. Adieu. Que je m'ennuie Adieu. Depuis trois jours le thermomètre marque 6 degrés de Réaumur à 9 h. le matin. Il n'y a ni cheminée ni poêle dans les maisons.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 10 Juillet 1850

Votre lettre hier est intéressante sur Paris. Elle confirme tout ce que je pense, c’est que bon gré malgré tout tournera au profit du Président. Il est là pour aussi longtemps qu'il lui plaira. Eh bien qu'il fasse de bonnes choses. Deux tiers des électeurs de Paris éliminés, quelle bonne affaire. Voyons la loi sur la presse. Elle passera j’espère, malgré l'humeur des journaux. Voici enfin Ellice, & je vous engage à l’étudier, cela en vaut la peine. Quelle journée hier ! De la pluie tout le long. Personne que le Prince Paul pendant une demi-heure. C’est à pleurer. Je suis au bout de la ville. Ainsi pas même la récréation des passants, d’un peu de bruit, rien, rien du tout. De hautes montagnes couvertes de nuages. Je m'attendais à bien de l’ennui. Ceci surpasse de beaucoup mon attente, comment arriverai-je au bout des quatre semaines ? Je bois, & aujourd’hui je commence les bains. Le temps y est très peu favorable. Jusqu’ici & me voilà au quatrième jour des verres d’eau, je ne sens d’autre effet qu’une grande lassitude. Un affaiblissement général. Si c’est là ce que je suis venue chercher, il ne valait pas la peine de faire ce long voyage. J’étais bien assez faible à Paris. C’est le Médecin du coin qui règle mon régime.
Marion m’a envoyé la correspondance dont parle Ellice. C’est en effet une lettre pleine de reproches, & de flatteries de la part lady Palmerston. Reproches des critiques d’Ellice sur Palmerston. La réponse d’Ellice est très franche, il déteste la politique révolutionnaire du [f. o.] et condamne tout à fait la marche suivie par le [gouvernement] tout entier dans cette discussion. C'était le 21, lendemain du jour où Lord Russel avait fait fi de la chambre des Pairs, & des grandes puissances. Enfin, sa lettre est parfaitement dans la vérité en même temps que convenable. Peel ayant disparu, je suis bien portée à croire que le seul homme considérable en Angleterre reste lord Palmerston. Au besoin l’autre l’aurait contenu, dominé. Aujourd’hui il reste sans frein, sans contrôle. Je crois que l'Angleterre ira mal. Qu’en pensez-vous ? Adieu, adieu. Quel ennui que l'absence, quel ennui que l'ennui. Adieu. Adieu. Quel bon article sur Peel dans les Débats de dimanche, par Lemoine !

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 9 Juillet 1850
5 heures

Je partirai demain de bonne heure pour Trouville. Pas avant la poste pourtant ; je veux avoir ma lettre. Mais je n'aurai guère le temps d’écrire. J'écris donc aujourd'hui. Je me suis beaucoup promené ce matin. Mon mal de tête est à peu près dissipé. Mais je n’ai pas plus de nouvelles à vous mander.
Avez-vous remarqué la lettre de Vienne dans le Journal des Débats d’hier lundi ? Je ne veux pas croire que l' ouvrage d’un port à l'embouchure du Danube puisse être entre vous et l’Autriche, une affaire sérieuse. Voulez-vous réellement que l’Allemagne se réorganise et se raffermisse ? Ou ne seriez-vous pas fâchés que son état d’anarchie et d'impuissance se prolongent ? Ce serait de là bien petite politique. Les plus grands s’y laissent quelquefois aller.
M. de Meyendorff va-t-il, ou non à Vienne ? Je le voudrais partout, tout son esprit me paraît bon. L'affaire danoise n'existe-t-elle vraiment plus qu'entre le Danemark et les Duchés ? Si la Prusse en est réellement sortie, il est impossible qu’elle ne finisse pas bientôt. Vous voyez qu'aux nouvelles je substitue les questions. Vous reviendrez d'Ems bien forte sur les affaires allemandes. Vous avez beau être Allemande et Russe ; ce ne sont pas ces affaires là qui vous intéressent le plus. Quand la France ou l’Angleterre ne sont pas en scène vous êtes bien tentée de vous endormir, soyez tranquille ; la France et l'Angleterre ne sont pas près de vous laisser dormir. Dalmatie, St Aignan et Mornay, qui reviennent de St. Léonard ont trouvé la Duchesse d'Orléans moins crispée, et plus abordable.

Mercredi 10, 8 heures
Pas de lettre encore aujourd’hui. C’est trop fort. Je m'en prends à la police allemande, nassauvienne, prussienne, n'importe laquelle. Je ne veux pas croire à quelque accident. Mais je suis très impatient, pour ne pas dire mieux. Adieu, Adieu. Je reviendrai ici ce soir attendre la poste de demain.
Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 9 Juillet 1850

Pas de lettre ce matin. C’est bien ennuyeux. J’espère pourtant que c’est mon dernier mécompte. Vous avez dû arriver à Ems vendredi soir. J’ai peur que la poste allemande ne soit pas si exacte que la nôtre.
Rien de nulle part, si ce n’est de Duchâtel qui me dit qu’il prend à Paris les eaux de Carlsbad et que dans huit ou dix jours, il accompagnera sa femme aux eaux d'Allemagne. Il ne dit pas lesquelles. Il admire le suffrage universel que tout le monde regardait comme un fait si fortement enraciné : " Voilà, dit-il, 150 000 électeurs retranchés à Paris, et âme qui vive ne s’en soucie. On est beaucoup plus occupé du voyage en ballon de M. Poitevin et de son cheval. " Il ne croit pas du tout que le Président fasse quelques coups pendant la prorogation. Les journaux sont aussi vides que les lettres et vous aurez une lettre aussi vide que tout cela. Je me suis levé avec mal à la tête. Je vais me promener pour le dissiper. Adieu. Adieu.
Pardon de cette lettre. Ce n’est pas une lettre, c’est un rien, un je ne sais quoi qui n'a de nom dans aucune langue. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems Mardi le 9 juillet 1850

Mon fils est parti ce matin, c’est un gros chagrin pour moi. Il est retourné à Paris, de là il va en Ecosse, il m’a presque prouvé de revenir ici, mais je ne veux pas y compter. Le Prince Paul de Wurtemberg a fait son entrée très imprévue chez moi hier. Il passe ici deux jours et va à Francfort. Je n’ai du reste vu personne hier, et le temps a été pluvieux & froid tout le jour, ce qui a empêché mes promenades. Je n’ai pas de livres, je n'ai rien. Il y à de quoi se pendre. Et pas de lettres de mes correspondants anglais il est tout-à-fait impossible qu’ils ne m’aient pas écrit. Où sont ces lettres ? Les vôtres m’arrivent le 4ème jour. Hier 8 j’ai reçu cette du 5. Ainsi huit grands jours pour la question et la réponse. C'est bien ennuyeux. Les arrangements de la poste sont tout-à-fait sauvages. Je vous apprendrai bien peu ou rien du tout sur les affaires d’Allemagne. Je ne vois personne et il n’y a personne ici qui vaille la peine qu'on voie. Il y a des princes & princesses allemandes. Elles m'ont fait témoigner qu'elles seraient charmées de ma connaissance. Je le crois bien, mais je ne suis pas aussi sûre de l'être de la leur, et j’évite. Les connaissances se font dans le jardin & le salon, je n'y vais pas. C'est de la cohue. Entre autres altesses il y a les héritiers du Danemark. J’ai vu Antonini avant mon départ. Sa cour proteste contre le principe. Mais comme on fait valoir des cas où, hors la guerre civile, il y a eu des pertes infligées à des Anglais, on a nommé une commission qui examine. Mais rien ne sera admis pendant les bombardements. ou combats. J’ai trouvé ce qu’a dit Dupin de Peel, parfaitement de bon goût. Mais quels hommes à cet homme ! Jamais citoyen n’en a révélé de semblables. La grande duchesse Hélène arrive ici le 15 août. J’espère bien être partie avant.
4 heures. Voici l'heure d’envoyer les lettres. Je n'ai rien à dire de plus. Je suis de bien vilaine humeur, de toutes choses, & surtout de ce que je ne trouve pas d’encre noire ici. Adieu. Adieu. Ecrivez-moi des nouvelles. Adieu. J’espère que mes lettres vous arrivent toujours affranchies ?
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