Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Lowestoft, jeudi 17 août 1848
10 heures

Le temps est superbe. Je viens de me promener au bord de la mer. Mais vous manquez au soleil et à la mer bien plus que la mer et le soleil ne me manqueraient si vous étiez là. D’Hausonville m’écrit très triste quoique point découragé : " A l'heure qu’il est, me dit-il, le pouvoir nouveau est, vis-à-vis de la portion saine de l'Assemblée nationale à peu près dans les mêmes dispositions que l’ancienne commission exécutive. Autant que M. de Lamartine, M. Cavaignac redoute l’ancienne gauche, et comme lui il est prêt à s'allier avec les Montagnards, pour ne pas tomber dans les mains de ce qu'il appelle les Royalistes. Ce dictateur improvisé paie de mine plus que de toute autre chose, et a plus le goût que l’aptitude du pouvoir. Vienne une crise financière trop probable ou la guerre moins impossible depuis les revers des Italiens, et la république rouge n’aura pas perdu toutes ses chances. " Il veut écrire sur la politique étrangère passée. Il me dit que c’est à son excitation que son beau frère a écrit dans la revue des Deux Mondes, sur la diplomatie du gouvernement provisoire, l’article dont vous m’avez parlé. " Les documents diplomatiques insérés, dans la Revue rétrospective me serviront dit-il de point de départ pour venger, pièces en mains, cette diplomatie du gouvernement de Juillet, si étrangement défigurée. Je voudrais finir par indiquer quelle doit être dans cette crise terrible, l’attitude de ceux qui ont pensé ce que nous avons pensé, et fait ce que nous avons fait, si vous croyez utile de m'esquisser ce plan, je recevrai vos conseils avec reconnaissance et j’en ferai profiter notre pauvre parti resté, sans chef et sans boussole dans ce temps, si gros et si obscur." Ceci m'explique un peu Barante.
Évidemment l’envie de rentrer en scène vient à mes amis. J'ai aussi des nouvelles de Duchâtel, d’Écosse où il se promène charmé du pays. Je vous supprime l’Écosse. Voici ce qu’il me dit de la France : " Il me semble que, dans le peu qu’elle fait de bon, la République copie platement et gauchement la politique des premières années de la révolution de 1830." Quel spectacle donne la France.
On m’écrit de chez moi que les élections municipales ont été excellentes. Les résultats sont beaucoup meilleurs que de notre temps. Le député actuel de mon arrondissement, qui faisait toujours partie du conseil municipal n'a pas pu être élu cette fois.

Une heure
Votre lettre est venue au moment où j’allais déjeuner. J'espère que celle de demain me dira que votre frisson n’a pas continué. La phrase du National ne me paraît indiquer rien de particulier pour moi. Il insiste seulement sur le danger pour la République d’un débat qui mettra en scène le dernier ministre de la Monarchie qui n’a fait, après tout, que combattre ces mêmes auteurs de la révolution qu'on demande aujourd’hui à la république de condamner. Je comprends que ce débat, leur pèse. S'il y a un peu d’énergie dans le parti modéré, il faudra bien que le National et ses amis le subissent. Mais je doute de l’énergie. Tout le mal vient en France de la pusillanimité des honnêtes gens. S'ils osaient, deux jours seulement, parler et agir comme ils pensent, ils se délivreraient du cauchemar qui les oppresse. Mais ce cauchemar les paralyse, comme dans les mauvais rêves.
La lettre de Hügel est bien sombre, et je crois bien vraie. Je vous la rapporterai avec celle de Bulwer à moins que vous ne le vouliez plutôt. Je vois que Koenigsberg le parti unitaire a pris le dessus. Parti incapable de réussir, mais très capable d'empêcher que la réaction ne réussisse. La folie ne peut rien pour elle-même ; mais elle peut beaucoup contre le bon sens. Pour longtemps du moins. Que dites-vous du Général Cavaignac parcourant les Palais de Paris le Luxembourg, l’Élysée & pour voir comment on en peut faire des casernes et des postes militaires. On voulait nous prendre pour les forts détachés, dont le canon n'atteint pas Paris. Aujourd’hui, on met les forts détachés dans les rues. Ce qui me frappe, c’est que Cavaignac et les siens ont l’air de régler cela comme un régime permanent. C'est de l'avenir qu’ils s’occupent. Ils sont convaincus que, si on ôte au malade sa camisole de force, il jettera son médecin par la fenêtre. Et le gouvernement ne consiste plus pour eux qu’à prendre des mesures pour n'être pas jetés par la fenêtre. Adieu.
J’attendrai la lettre de demain un peu plus impatiemment. Je travaille. Que de choses je voudrais faire ! Adieu. Adieu. G.
J’avais donc bien raison hier de croire que la chance du Roi de Naples en Sicile pourrait bien valoir mieux que celle du Duc de Gènes.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Mercredi le 16 août

Voici votre lettre d'hier. Bonne. J’ai un autre plaisir encore aujourd’hui, c’est que mon fils qui devait parler ce matin reste jusqu’à Samedi. Ces trois jours de plus me font tant de joie. Je ne suis pas gâtée et mon cœur est reconnaissant de tout. Montebello est allé hier à Claremont. [?] venait d'arriver.
Mauvaises nouvelles de Paris. On va porter de suite devant l'Assemblée la question de la fortune du Roi. Père et enfants tout sera décidé selon le bon plaisir de Cavaignac qui est fort hostile. Il y aura des pensions rien de plus. Voyons l’enquête. Voyons la Constitution. Tout cela va venir coup sur coup. Mais l’enquête surtout comment cela ira-t-il ? Il est évident que cela contrarie bien le National. A propos voici l’article dont je vous parlais hier. Voici aussi la lettre de Hugel. Je suis étonnée qu'on sache si peu ce qui s’est passé diplomatiquement en Italie depuis la prise de Milan. Il y a des gens que commencent à douter de l'armistice. Cependant c'était bien le gouvernement français qui envoyait ici cette nouvelle par télégraphe Savez-vous que le Prince Petrullo est venu ici député par le parti réactionnaire en Sicile, expliquer à Lord Palmerston que les Siciliens ne veulent pas de séparation avec Naples. Palmerston a écouté. Petrullo est appuyé de beaucoup de grands noms en Sicile. Je n’ai pas vu encore Pierre d'Aremberg. Je sais qu'on l'a bien reçu à Claremont mais qu’il n'a rien dit qui ressemble au duc de Noailles.
J'ai été assez souffrante hier. Prise d’un frisson désagréable. Question d’estomac. Le temps est trop abominable. Un brouillard épais permanent depuis 3 jours ! Adieu. Adieu. Mon fils a dîné avant-hier avec Syracuse Petrullo & Calonna. Syracuse ultra conservateur. Adieu encore.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Lowestoft, Mardi 15 août 1848
Une heure

Longue lettre. Par conséquent bonne. Bonne pour elle-même, et comme symptôme. Vous n'écrivez pas longuement quand vous êtes souffrante. Soyez tranquille ; le mauvais temps, s’il s’établissait ne prolongerait pas mon séjour ici. Plutôt le contraire. Une vraie tempête cette nuit. Un bâtiment s’est perdu sur la côte. On a sauvé l'équipage. Le soleil se lève et le vent tombe ce matin. L’air de la mer me réussit. J’ai un appétit rare pour moi. A chaque instant, ceci me rappelle Trouville, l’été dernier. C’était bien joli. J'ai bien eu envie de vous garder un peu rancune de votre mauvaise humeur en arrivant au Val Richer. Mais je n'en ai rien fait. Quand retrouverai-je Trouville au lieu de Lowestoft ?
Si votre Empereur est en si bonne disposition pour la République et la reconnaît, rien ne vous empêchera de la reconnaître aussi quand elle aura renoncé à me faire un procès. Quel dommage d'avoir la langue liée ! Jamais il n’y a eu un meilleur moment pour parler au nom de la bonne politique. La mauvaise tourne si piteusement. Je commence à ne plus comprendre pourquoi ni comment on donnerait la Lombardie à Charles-Albert. Après ce qui s’est passé à Milan, ce ne serait pas même un mariage de raison. Le divorce viendrait bientôt. Deux Toscanes, comme dit le Roi, ou la Toscane doublée, comme vous dites aujourd’hui. Quoiqu'on fasse, il y aura au bout de tout ceci, un mort, l’unité italienne et un bien malade, le Roi Charles-Albert. Et un autre qui aura bien de la peine à ressusciter quoique vainqueur, l’Autriche. Pour que l’ordre se rétablisse réellement en Italie, il faut qu’il se rétablisse en France, en Allemagne, partout. A chaque nouvelle crise la question devient de plus en plus générale et unique, et toute l’Europe solidaire. Je suis de votre avis sur l’unité allemande. C’est la plus chimérique, et la plus folle de toutes. Elle ne s’établira pas. Mais la fermentation allemande durera longtemps, plus longtemps que les autres. (On veut faire à Francfort une nation et on ne veut détrôner pas un de tant de souverains.) On prétend à l'unité, et on ne veut sacrifier aucune indépendance. Il y a dans ce double dessein une inépuisable anarchie. Mais l’Allemagne ne se lassera pas tout de suite de cette anarchie. Elle y est moins pesante. et moins ruineuse qu'ailleurs précisément à cause de tous ces petits états qui après tout, au milieu de ce chaos, se gouvernent à peu près comme auparavant.
Je lirai ce soir le Prince de Linange. Je suis un peu curieux de ce qu'en dira le spectateur de Londres. Il a d’illustres souscripteurs qu’il voudra peut-être ménager. Ce dont je suis bien plus curieux, c’est de la bataille dans l’Assemblée nationale à propos du rapport de la Commission d’enquête. Si ce débat a lieu, et je ne comprends guère aujourd’hui comment il n'aurait pas lieu, ce sera à coup sûr un événement, le début d’une situation nouvelle. A moins que la mollesse des hommes n’annule les résultats naturels de la situation. Nous voyons cela, souvent.
J’aime mieux que vous restiez à Richmond. Et je crois qu’à l’épreuve vous l’aimerez mieux aussi. Vous vous feriez difficilement à Tunbridge des commencements d'habitudes. Je ne comprends pas ce que Barante peut écrire, ni qu’il écrive. Je n’ai pas de ses nouvelles depuis longtemps. A la vérité je lui dois une réponse. Je doute qu’il écrive rien qui fasse beaucoup d'effet. Son esprit ne va guère à l'état actuel des esprits. Je vais demander ce qu’a écrit Albert de Broglie sur la diplomatie de la République. Adieu. Adieu.
Je vais me promener au bord de la mer. Seul. J’ai toujours aimé la promenade solitaire, faute de mieux. Je n’ai rien de France. Adieu. Adieu. G. J’oubliais de vous dire que je trouve très bonne la dépêche de M. de Nesselrode sur les Affaires de Valachie. Conduite et langage.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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[?] and [?] La pauvre et chère reine m’est plus que jamais respectable & admirable à Claremont par la manière dont elle porte son malheur. Voilà la vraie chrétienne selon Dieu. De tous temps je me disais que si nous nous étions connues nous nous serions calmées et convenues ; envisageant la vie de famille et la vie sur cette terre de la même manière, nos cœurs, se seraient compris. La Duchesse d’Orléans est elle bien ou mal avec elle. Voilà par contre un caractère qui ne m’aurait jamais convenu." J'ai fait parvenir à Claremont par Montebello ce qu’elle me dit sur la Reine et que je trouve charmant.
Longue lettre de Constantin. Francfort défère à la Prusse, l’arrangement avec le Danemark mais il le fait avec des restrictions et des détails qui rendent l’œuvre difficile. Le Roi et l’archiduc se rencontrent aujourd’hui à Cologne. Le Roi étant chez lui cèdera le pas à l’archiduc. On ne se promet à Berlin rien de bon de l’entrevue. Le Comte Ernest Stakelberg que vous avez souvent vu chez moi est à Paris & a été chez Cavaignac. Très bien accueillie par lui. Qu’est-ce que cela veut dire je n'en sais rien. Mais évidemment nous nous rapprochons. Il est clair que si la France pense comme nous et l'Angleterre : sur le Danemark nous devons être être bien avec elle pour agir moralement avec elle. Que veut dire le paragraphe dans le National ou il est question du dernier ministre de la monarchie. Comment seriez-vous dans l’enquête ? Cette enquête va être une bien grosse affaire. Le parti de la rue de Poitiers semble bien déterminée à tout savoir. La Montagne se joint à ce parti là, car Louis Blanc & Caussidière aiment mieux avoir des camarades que rester seuls. Deux heures. Votre lettre d’hier m’arrive à l'instant ; Pas de réponse car elle ne me fournit rien. Votre rhume passe, j'en suis bien aise. N’allez pas imaginer de vous baigner dans la mer ; à nos âges cela est mauvais. Je vous prie ne faites rien de nouveau. Le Tolstoy de Paris est arrivé à Londres & me l’annonce. Je le verrai ici. Il sera assez mieux à entendre. Adieu. Adieu.
Voilà que le National m’est enlevé. Je découperai demain l’article dont je vous parle. Adieu. J’ai aussi une longue lettre de Hugel de Houzard vous l’aurez demain, je l'ai à peine lue. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Lowestoft, Lundi 14 août 1848
Midi

Un blank day est encore plus mauvais en réalité qu’en perspective. C’est du reste mon impression sur toutes choses. J’ai toujours trouvé le bien et le mal plus grands dans la réalité que dans l’attente. Comme je trouve les vérités de la vie bien supérieures aux inventions des romans. Pour me consoler, il pleut, et je n’ai pas plus de journaux de Paris que de lettres de vous. Je pense à vous et je lis. Je remplirai ainsi ma journée. Demain vaudra mieux.
Je ne connais personne ici, sauf la famille du Chief justice baron Alderson et un M. Manners Sulton, fils de Lord Canterbury. Mais tout le monde me reçoit avec une grande bienveillance. Le peuple en Angleterre sait mon nom. Et il sait aussi que je suis ami de l'Angleterre. Partout, il me traite en amis. Je jouis de cette impression. Ne trouvez-vous pas que le Général Cavaignac en répétant sans cesse à l’Assemblée nationale qu'elle est seule souveraine, et qu’il n’est que son humble agent, lui met bien continuellement le marché à la main ? Il le peut, mais il me semble qu’il en abuse. Je crois beaucoup au pouvoir d'un caractère droit et digne. Pourtant il y a une certaine mesure d’esprit dont cela, ne dispense pas. Vous revient-il quelque chose d’une intrigue Girardin, Lamartine et Marrast que dénonce mon journal l'Assemblée nationale? Certainement les deux premiers sont des hommes qui n’ont pas renoncé à s’approprier la République. Ils n'y réussiront pas, mais ils la manieront et remanieront assez pour ajouter leur propre discrédit au sien.
J’attends impatiemment des nouvelles d'Italie. Et en attendant, je n’ai rien de plus à vous dire. Si vous étiez là, je ne tarirais pas. Adieu. Adieu. Mon éternuement s’en va un peu. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Lundi 14 août.
Midi

J’ai vu hier Lord Palmerston à Holland House. Il ne savait pas si l’armistice était ou non une conséquence de la médiation commune. Les courriers n’étant partis de Paris que Mardi dernier. Il me parait que ce n’est pas eux qui ont pu décider. On bavardait beaucoup là hier. La Lombardie à la Toscane. Voilà l’idée générale, dans tout cela voyons le dernier mot de l'Autriche. L’article du Moniteur est fort important. Évidemment chez vous on veut la paix, et on compte encore sur notre bon vouloir pour la république. L'Allemagne fait le plus gros, des embarras. Kielmannsegge me disait encore hier que les têtes y sont tout-à-fait renversées. Vous voyez que la France aussi se mêle d’arranger l'affaire des Duchés. L’entente entre Paris et Londres embrasse sans doute toutes les questions en litige. Le Manifeste du Prince de Linange serait bien plus critiqué s’il ne serait pas du frère de la Reine. Mais avec cela même, on en parle avec grande désapprobation. Je n’ai rien lu de plus fou & de plus bête. On dit que Strockmer la croit, c’est impossible. Il a plus d'esprit que cela.
Voilà de la pluie à verse. Quel climat, quelle tristesse. Comment iront les bains de mer avec cette pluie ? Et puis vous viendrez me dire qu'on n’a pas pu prendre les bains, qu'il faut donc prolonger. Je n’accepterai pas cela. Voilà votre lettre. Seul plaisir, seule ressource. Mais quand viendra le temps où nous ne songerons plus aux ressources ?
J'ai rencontré hier Dumon aussi à Holland house. Il songe beaucoup à s’établir à Brighton le mois prochain pour la mauvaise saison. Aggy va un peu mieux. Elle m’a écrit elle même. Je ne donne pas encore de rendez-vous à Pierre d’Aremberg car je n'ai rien décidé sur Tunbridge. J'attends toujours pour un appartement. Adieu, adieu. Comme c’est long.
Voici mes réponses de Tunbridge Wells. Pas d'appartement du tout. Tout est pris. Je reste donc ici. Cela va faire plaisir à Montebello, il est bien accoutumé à mon bavardage. 

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Dimanche le 13 août 1848 Midi

J'écris quoique ma lettre ne parte que demain. J’ai vu lord John hier. Ses nouvelles étaient, que le Roi de Sardaigne allait abdiquer : c'était le bruit de Turin le 7. Il a couru de vrais dangers à Milan. On voulait le brûler vif ou le massacrer. C’est par miracle & par ruse qu'il a échappé. On a tiré plusieurs fois sur le duc de Gènes. Lord John me semble plutôt applaudir à Radetsky que regretter ses succès. Il convient que la médiation est venue tard, puisque les Autrichiens sont rentrés chez eux il a l’air de trouver qui cela finit cette partie de l’affaire. L’archiduc Jean et Wessemberg ont dit que l’Autriche s'en tenait à ses premières offres l’Adige. Mais cela le disait avant les véritables succès. Il est douteux que cela lui suffise maintenant ; de plus Radetzky pourrait bien faire comme le général Wrangel, l’indépendant. John s’inquiète de ce que les Autrichiens sont entrés dans le Bolonais, cela, dit-il, peut compliquer de nouveau l’affaire. Quant au Piémont il se croit sur qu'ils n’y entreront pas. Le duc de Gènes n’a encore ni refusé ni accepté la Sicile. Gustave de Beaumont sera reçu par la reine Mardi à Londres. Il est Ministre. Normanby aura des lettres d’ambassadeurs spécial. Beaumont plait assez à lord John. Bunden revient ici. [?] s’en alla comme il était venu, ministre de Prusse. Le Manifeste du Prince de Linange est incroyable. Lord John n’en revient pas. Non plus que de l'incroyable confusion où se trouve toute cette Allemagne. Je ne suis pas de votre avis, je crois moi que l’Allemagne croule aussi, je veux dire l'unité. Vous voyez que personne n'en veut. C'est une fantasmagorie. Ici on y est plus opposé qu'à quoi que ce soit. Vous trouverez le Prince de Linange dans le Times d’hier. Saint-Aulaire m'écrit que Barante va publier un écrit qu'il a fait sur les circonstances actuelles. Je suis étonnée. Broglie est retenu dans son château par un gros accès de goutte. Albert a publié dans la Revue des deux mondes un article sur la diplomatie de la république. L'élection de Molé à Bordeaux est certaine. Voilà Saint Aulaire.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Lowestoft, Dimanche 13 août 1848
Une heure

Certainement, je suis triste. Je vous ai dit mille fois que, sans vous, j'étais seul. Et la solitude, c’est la tristesse. Je la supporte mais je n’en sors pas. Les Anglais n’y sont pour rien. Dans la belle Italie, je ne serais pas autrement. Peut-être l'Italie me dispenserait-elle d’un rhume de cerveau qui me prend, me quitte et me reprend sans cesse depuis quatre jours. Je me suis déjà interrompu deux fois en vous écrivant pour éternuer trente fois. J’espère que la mer, m'en guérira. La mer n’est pas humide. Décidément, en ceci, je ne suis pas comme vous. J’aime la mer devant moi. Elle ne m’attriste pas. Elle est très belle ici. Et cette petite ville est propre, comme un gentleman. Mes enfants commencent à se baigner demain. Aurez-vous quelqu’un à Tunbridge Wells ? Je ne vous veux pas la solitude, par dessus la tristesse. Il me semble qu’à Richmond lord John, Montebello et quelques visites de Londres ou à Londres sont des ressources que vous n'aurez pas ailleurs. Il est vrai que j’entends dire à tout le monde que Tunbridge est charmant. C’est quelque chose qu’un nouveau lieu charmant, pour quelques jours.
Il me revient de Paris qu'on n’y croit pas plus que vous au succès de la médiation. Ce n'est pas mon instinct. Si la situation actuelle pouvait se prolonger sans solution, je croirais volontiers que la médiation échouera. Elle vient, comme vous dîtes, plus qu'après dîner. Mais je ne me figure pas que l’Autriche se rétablisse purement et simplement en Lombardie et Charles Albert à Turin. Les Italiens conspireront, se soulèveront, la République sera proclamé quelque part. La République française sera forcée d’intervenir. C’est là surtout ce qu’on veut éviter par la médiation. Il faut donc que la médiation aboutisse à quelque chose, que la question paraisse résolue. Elle ne le sera pas. Mais à Paris et à Londres on a besoin de pouvoir dire qu'elle l’est. Pour sortir du mauvais pas où l'on s'est engagé. Tout cela tournera contre la République de Paris mais plus tard. On m'écrit que ces jours derniers le général Bedeau, dans des accès de délire criait sans cesse. "Je n’avais pas d’ordres! Je n'avais pas d’ordres." Vous vous rappelez que c’est lui qui devait protéger et qui n’a pas protégé la Chambre le 22 février.
Je suis bien aise que Pierre d'Aremberg soit allé à Claremont. Tout le travail en ce sens ne peut avoir que de vous effets soit qu'il réussisse ou ne réussisse pas. Quand on était à Paris, en avait assez d'humeur contre Pierre d’Aremberg qu'on ne voyait pas. Je suppose qu'on aura été bien aise de le voir à Claremont. A Claremont on est d’avis que la meilleure solution de la question Italienne, c'est de maintenir l’unité du royaume Lombardo-Vénitien en lui donnant pour roi indépendant un archiduc de Toscane. Idée simple et qui vient à tout le monde. Je la crois peu pratique. Un petit souverain de plus en Italie, et un petit souverain hors d’état de s'affranchir des Autrichiens, et de se défendre des Italiens. Ce serait un entracte, et non un dénouement. Je doute que personne veuille se contenter d’un entracte. Adieu. Adieu.
C’est bien vrai, les blank days sont détestables. Demain sera le mien. Votre lettre de Vendredi m'est arrivée hier, à 10 heures et demie du soir. Je venais de me coucher. Je m'endormais. On a eu l’esprit de me réveiller. Je me suis rendormi mieux. Je viens de recevoir celle d’hier samedi. Adieu. Adieu. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Samedi le 12 août 1848
2 heures

Votre lettre est très curieuse. Toutes vos observations justes et tristes. Je vous trouve triste en général depuis votre départ. L’air anglais est lourd, les Anglais sont lourds aussi et quand on reste quelque temps sans autre frottement, on finit un peu par la mélancolie. Je sais cela parfaitement par mon expérience. Quelle grande affaire que Milan. Quel dénouement pour Charles Albert. Quelle juste punition ! Je ne conçois plus ce que peut devenir la médiation, certaine ment les Autrichiens n’entreront pas en Piémont. Chacun étant chez soi, qui s'agit-il de concilier ? C’est certainement plus moutarde que quoi que ce soit qu’on ait jamais vu. Que votre lettre anonyme est drôle ! Elle ira à Peterhoff. A propos j’ai encore des nouvelles d'Hélène. Tous les fléaux accablent la Russie. Le choléra dans toutes les provinces. La disette, les sauterelles par dessus le marché. L’Empereur fort triste. Pierre d’Aremberg est à Londres, il est venu me voir hier, j’étais sortie, il m'a laissé un mot que je copie. " Le bilieux Cavaignac est un homme qui voudrait et qui croit à la possibilité d'une république raisonnable. Ce sont de semblables croyances dont le temps fait justice. Encore un peu de temps et la république aura tout ce qu’elle voudrait même de l’influence politique sur l’Angleterre, mais ce qui lui manquera ce sera l’argent et les républicains. J’ai visité l’Allemagne et j’ai quitté Paris avant hier. Je suis fâchée de ne pas pouvoir vous faire le récit de ma visite hier à Claremont. " Comment trouvez-vous Pierre d’Aremberg à Claremont ? Il est clair que le travail du Duc de Noailles est devenu comme à beaucoup de monde.
Je pense à aller à Tumbridge Wells, je n'en suis pas tout-à-fait sûre encore, mais j’y ai écrit pour un logement. Mon fils part mardi. Mauvais jour demain, je n’aurai point de lettres. Ce sera votre tour lundi, c'est bien ennuyeux car blank days. Il n'en faudrait pas entre nous ce qu'il ne faudrait pas surtout c’est l'absence, la séparation. Very unwholesome for both. Adieu. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond le 11 août 1848 Vendredi
Midi

Je viens de lire votre lettre. Voici donc une nouvelle adresse pour la mienne. Si tout ce qui me donne tant de chagrin vous donne à vous un gendre, j'en serai charmée. Les nouvelles d’Italie sont excellentes. Milan pris à ce qu'il parait. Qu’est-ce qui vient faire la médiation ? Je pense que Radetzki l’enverra promener. Il est rentré at home. Personne au monde n'a le droit de l’inviter à en sortir. Savez-vous ce que je crois. L'Autriche érigera la Lombardie en état indépendant, sous un prince autrichien. Une autre Toscane. Qui est-ce qui pourra trouver à redire à cela ? Elle gardera Venise comme de raison. Tallenay est parti avant-hier soir pour Paris, furieux ; on lui a donné congé pas trop brusquement on ne sait pas pourquoi ; moi au moins je ne le sais pas ; est-ce parce qu’il m’a rencontré à Holland house ? Beaumont est arrivé. La reine va venir le recevoir. On dit que Normanby a contribué à cette nomination. Il le voyait beaucoup qu’est-ce que vous pensez de lui ? On dit que le Roi de Hollande est très mal. La nouvelle en est venue hier. Je suis charmée que vous soyez sans inquiétude pour Pauline. Ma santé est comme vous l'avez laissée. La Prusse est très intéressante comme nouvelles. Elle est mieux renseignée qu'aucun journal de Paris. Elle dit le secret des négociations très exactement, à ce que je sais. Du reste elle est assez modérée. Opposition, mais contenue. Adieu. Adieu.
Il y a bien longtemps que nous sommes séparés. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Ketteringham Park Vendredi 11 Août 1848,
Onze heures

Tallenay n'a pas réussi à se faire laisser l’honneur de la reconnaissance de la République. Gustave de Beaumont est un honnête homme et un gentleman. Plus de mouvement d’esprit que d’esprit, modéré d’intentions et emporté de tempérament. Point Thiers du tout. Opposé à Thiers, autrefois, quand ils étaient ensemble dans l'opposition. Rapproché de lui aujourd’hui par la nécessité, mais au fond méfiant et hostile. Un des plus actifs de la tribu Lafayette dont il a épousé la petite-fille.
On dit à Paris que Tallenay est rappelé pour m’avoir salué et dit bonjour dans la rue, ce qu'il n'a pas fait. Je serais étonné si Gustave de Beaumont, me rencontrant, ne le faisait pas. Puisque la médiation commune a lieu sérieusement, je penche à croire qu’elle réussira, au début du moins. Les embarras et peut-être les impossibilités viendront après. L'Italie ne sera pas réglée. Mais la République y aura gagné d'être reconnue, et l'Angleterre d'avoir engagé la République dans la politique pacifique au moment de la crise.
Je reviens à ce que je vous disais hier, je crois ; le Président Cavaignac sera une seconde édition du Roi Louis-Philippe. Résistance et paix. Avec bien moins de moyens, de se maintenir longtemps sur cette brèche, où il sera bientôt encore plus violemment attaqué. Ce qui est possible, ce qu'au fond de mon cœur je crois très probable, c’est que les trois grosses révolutions de 1848, France, Italie et Allemagne n'aboutissent qu'à trois immenses failures. Pour la France et l'Italie, c’est bien avancé. L'Allemagne trainera plus longtemps, mais pour finir de même. Grande leçon si cela tourne ainsi. Mais le monde n’en sera pas plus facile à gouverner. Excepté chez vous, l'absolutisme est partout aussi usé et aussi impuissant que la révolution. Et il n’y a encore que la société anglaise qui se soit montrée capable d’un juste milieu qui dure. Je suis dans une disposition singulière et pas bien agréable ; chaque jour plus convaincu que la politique que j’ai faite est la seule bonne, la seule qui puisse réussir et doutant chaque jour d'avantage qu’elle puisse réussir. La lettre que je vous renvoie est très sensée. Je vous prie de la garder. Je vous la redemanderai peut-être plus tard. Si c’est là une chimère, c’est une de celles qu'on peut poursuivre sans crainte car en les poursuivant on avance dans le bon chemin.
Savez-vous notre mal à tous ? C’est que nous sommes trop difficiles en fait de destinée. Nous voulons faire, et être trop bien. Nous nous décourageons et nous renonçons dès que tout n’est pas aussi bien que nous le voulons. J’ai relu depuis que je suis ici, la transition de la Reine Anne à la maison d’Hanovre, et le ministère de Walpole. En fait de justice, et de sagesse, et de bonheur, et de succès, les Anglais se sont contentés à bien meilleur marché que nous. Ils ont été moins exigeants, et plus persistants. Nous échouerons tant que nous ne ferons pas comme eux. Je vous envoie avec votre lettre un papier anonyme qui m’arrive ce matin de Paris, par la poste. Les Polonais sont aussi mécontents de la République que le seront demain les Italiens. Je suppose que l’un d’entre eux a voulu me donner le plaisir de voir que je n'étais pas le seul à qui ils disent des injures. La grosse affaire à Paris, c’est évidemment le rapport de la Commission d'enquête. De là naitra, entre les partis, la séparation profonde qui doit engager la lutte définitive qui doit tuer la République. Dumon m'écrit : « Si je trouve Londres trop triste, j'aurais assez envie d'aller attendre à Brighton le jour où nous pourrons rentrer en France, le jour me semble encore assez éloigné. C’est déjà bien assez pour Cavaignac d'avoir à mettre en jugement les fondateurs de la République sans qu’il se donne l’embarras de mettre en même temps hors de cause les ministres de la monarchie. » Tous les procès à vrai dire, n'en font qu’un et il n’est pas commode à juger. On l’ajournera, tant qu’on pourra. Adieu.
J’aurai demain votre lettre à Lowestoft. Je pars à 4 heure. Adieu. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond le 10 août 1848 Jeudi
midi

Lord John était très préoccupé de l’Allemagne surtout. Qu’est-ce que veut dire cette immiscion dans les affaires d’Italie ? Cette guerre au Danemark ? Ces prétentions sur le Limbourg de quoi se mêle Francfort ? Mais ni nous, ni la France, ni la Russie, ni la Prusse probablement ne peuvent le permettre. Nous espérons dans Wessemberg qu'il ait un esprit sage. Quand au Pce de Linange sa nomination nous déplait fort. La Reine est très fâchée. Nous pouvons être dans le cas de faire très mauvais ménage avec son frère. Sur l’Italie, il m’a donné à entendre que la médiation de la France & de l'Angleterre aurait pour base l'Adige. Mais d’un côté il ne sait pas si l’Autriche voudra s’en contenter après les victoires de Radzki, de l’autre il ne me semblait pas très sûr de la France qui a proclamé l’indépendance de l’Italie toute entière. Ensuite, il me dit quoique Cavaignac & Bastide. parlent dans le meilleur sens, on n’est cependant jamais très sûr du même langage deux jours de suite. Enfin il n’était pas très stons en fait de confiance, mais certainement extrêmement anxious d’éviter la guerre. On va faire venir la Reine à Londres pour un conseil où on reconnaitra la république française, et elle recevra. Talleney. Il m’a dit, " et vous aussi vous avez dit que vous reconnaîtriez." Je n’en sais rien. Le Morning Chronicle annonce ce matin que Gustave de Beaumont est nommé ministre à Londres. Ce serait du Thiers n’est-ce pas ? Voici une lettre du duc de Noailles. Renvoyez la moi après l'avoir lue. Constantin m’écrit : " Si l'armée allemande entre dans le Lettland nous intervenons et la guerre en est la conséquence. Que fera la Prusse ? Se soumettra-t-elle à Francfort ? S’exposera-t-elle à voir ses provinces envahies par notre armée ? Ou se joindra-t-elle à nous qui seule pouvons la soutenir et la rendre à son honneur national. " Les réponses de Lord Lansdown à Stanley semblent équivalentes à l’aveu que la flotte anglaise s'opposera de force à l'envoi des troupes napolitaines, contre la seule ses réponses confirment aussi de tous points ce que Lady Holland vous avait dit. Quelle conduite ! Lisez le leading article du Times ce matin, admirable. Que de topics, sur lesquels nous aurions à parler à perte d’haleine. Quel dommage, quel dommage d’être si loin. Votre petit mot ce matin est bien court. J'espère mieux demain. J'ai déjeuné hier chez la duchesse de Gloucester, bonne femme. Adieu, adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Ketteringham-Park, jeudi 10 août 1848

Midi
Voici mes deux raisons pour cette mer-ci. Il y a ici deux jeunes gens qui me plaisent et dont l’un paraît se plaire fort à moi et à ce qui me tient. Je suis bien aise d'être quelques jours de plus près d’eux, sinon chez eux. De plus ici, le voyage est fait ; donc bien moins de dépense. Ce n’est pas à Yarmouth que nous allons, mais à Lowestoft, jolie petite ville neuve et en train de grandir, avec une belle plage. J’y suis allé hier. J’y ai trouvé une petite maison sur la plage, propre et suffisante, moins chère que Yarmouth et Cromer. Nous allons nous y établir demain. Ecrivez-moi là : 9 Marine Terrace. Lowestoft Norfolk. Le chemin de fer va jusqu’à Lowestoft. Trois trains chaque jour qui vont à Londres, en 5 heures et demie. Nous aurons nos lettres le lendemain, comme à présent. Et puis dans les premiers jours de septembre, nous n'aurons plus de lettres.
Vous espérez que je commence à sentir le vide. Je vous gronderais si j’étais à Richmond. Il est bien évident que nous ne nous sommes jamais tout dit. Je suis décidé à essayer à mon retour. Nous avons assez d’esprit pour tout entendre, et je vous aime trop pour que la confiance, qui est ce qui vous manque, n’y gagne pas. Si vous étiez bien persuadée de ce qui est, c’est-à-dire que vous êtes tout ce dont j'ai le plus besoin au monde, vous pourriez avoir comme moi quelquefois de la tristesse, jamais d'humeur. C'est fort triste d'être triste. C’est bien pis d'être mécontent. Je veux absolument réussir à extirper de votre cœur toute possibilité de mécontentement.
Votre lettre où vous me racontez Ellice me revient ce matin, avec celle d'Aberdeen. Je crois tout ce que vous a dit Ellice. Je trouve que Cavaignac s’use sans se diminuer, et que Thiers avance sans grandir. Même les coups de fusil à vent ne le grandissent pas. Il tiendra beaucoup de place dans ce qui se fera un jour, mais il ne le fera pas. Certainement si l’Autriche veut garder la Lombardie, il y aura la guerre. Je n’ai pas grande estime de la République, ni des Italiens. Mais je ne puis croire que ni les Italiens, ni la république acceptent à ce point les victoires de Radetzky. En même temps je ne puis croire que l’Autriche n'accepte pas cette occasion de sortir glorieusement de la Lombardie qui la compromet, pour s’établir solidement dans la Vénétie qui la couvre. Je croirais donc au succès de la médiation Anglo-française si Charles-Albert n’était pas dans la question. Mais les Lombards, qui ont eu tant de peine à vouloir de Charles-Albert sauveur, ne voudront plus de Charles-Albert vaincu, et l’Autriche aimera mieux donner la Lombardie à tout autre qu'à Charles-Albert. C'est de là que viendront de nouvelles difficultés, et la nécessité de nouvelles combinaisons. L’Autriche y trouvera peut-être son compte, soit pour fonder au nord de l'Italie quelque chose qui lui convienne mieux que Charles-Albert, soit pour empêcher que rien ne s'y fonde. Si Charles-Albert ne gagne, ni la Lombardie, ni la Sicile, ce sera un grand exemple de justice providentielle. Il se passe quelque chose à Madrid que je ne comprends pas. Pidal ministre des Affaires étrangères c’est bon. Mais pourquoi Moss, son beau-frère, quitte-t-il Madrid pour Vienne ? Et que signifie l’arrestation de Gonzales Bravo ? En avez-vous entendu parler ? Brignole n’est donc pas rappelé. Je le vois toujours en fonctions. Je viens de recevoir la nouvelle Assemblée nationale. Très fidèle à l’ancienne. Le seul journal qui sans dire le mot, se donne nettement pour monarchique. Quelle est l’attitude de la Presse ? Je trouve les Débats bien faits, et tirant bon parti de leur modération pour faire ressortir l'incurable instabilité de ce gouvernement qu’ils n'attaquent point. J’ai ce matin des nouvelles de Claremont. Assez bonnes. On y est de l’avis de M. Flocon et on se tient fort tranquille. J’ai aussi des nouvelles d’Eisenach. On s’y porte bien ; on y vit dignement ; en grande partie aux frais de la Duchesse de Mecklembourg. Sans voiture. Le petit Prince a reçu la visite de quelques camarades de Paris. Adieu.
Pauline va bien. Je n’ai plus aucun sentiment d’inquiétude, Sir John aussi ira mieux. Adieu. Adieu. Vous ne me dites pas si votre fils est parti. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Mercredi le 9 août 1848
onze heures

En relisant votre petit mot de Lundi, je le trouve bien triste. Cela ne vous est pas habituel. L’accident de Pauline vous a inquiété, la maladie de votre hôte, le dérangement de votre plan d'Ecosse, tout cela ensemble vous vexe. Vous concevez surement à sentir aussi le vide, l'absence de conversation, de nouvelles, dans un moment si immense comme intérêt, importance de tous les côtés. Croyez-moi tout votre plan d’été a été mauvais. Laissez là la mer du nord. Venez de ces côtés. Etablissez vos enfants avec Melle Chabaud dans un des petits homes de mer de la côte méridionale. Quand vous ne serez pas auprès d'eux, venez auprès de moi, ce régime vous ira beaucoup mieux. Et [?] pour mer, celle au midi n’est surement pas la plus mauvaise. Pourquoi ne m'avez-vous pas écouté plutôt ! Je ne veux plus faire de reproches, mais je voudrais que vous fissiez attention à mon conseil à présent.
J’attends votre lettre aujourd'hui avec anxiété. Les affaires grossissent beaucoup à Paris, en Italie. Que va-t-il arriver, et tout de suite ? Nous pourrions parler sur cela tout le jour, que je regrette entre autre nos trios avec Aberdeen. Ce n'est pas le moment vraiment de s'éparpiller à présent.
Midi. Voici votre lettre. Ainsi Yarmouth à présent. Pardonnez moi, mais tous ces changements n’ont pas de sens. Et voilà que vous n'arriverez au but de votre voyage qu'au bout de 15 jours. Je ne me trouve guère avancée. Voulez-vous bien me dire maintenant quel jour vous reviendrez à Londres ? Je suis de bien mauvaise humeur. Je ne vois pas du tout de quoi j'aurais à me réjouir comme vous me le diriez dans votre lettre de Samedi. Je n’ai aucune nouvelle à vous mander. Vous lisez les journaux maintenant. On dit que Yarmouth est la ville la plus sale de l'Angleterre Adieu. Adieu. Lord John Russell sort de chez moi. L'Angleterre va reconnaître la République. Il espère qu'on s'entendra sur l’Italie. La frontière de l'Adige absolument, c’est ce que veut l'Angleterre, pas moins.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Ketteringham Park, Mercredi 9 août 1848
7 heures

Je vais déjeuner et je pars pour Yarmouth. Le fils ainé de Sir John m’y accompagne. Je prendrai là des chambres dans un hôtel, à la semaine, et je reviendrai dîner à Ketteringham pour emmener, après-demain probablement, mes enfants à Yarmouth. J’ai été plus content de Pauline hier. L’ébranlement nerveux se calme. Il fait beau ce matin. Richmond doit être encore bien joli. Je n’aimais pas beaucoup Richmond ; vous m'aviez quitté pour y aller. Je l’aime parce que je vous y ai vue. Adieu. Adieu.
Ce qui m'ennuie le plus de cette course, c’est que je n'aurai votre lettre qu’en en revenant. Il faut se régler sur les heures des chemins de fer. Adieu. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond 8 août 1848, Mardi
Midi

Mon fils a longtemps causé hier avec Tallenay. Celui-ci lui a dit qu’il n'y avait un jusqu’ici que de la conversation avec Palmerston. Le désir de s’entendre, le désir comme d’éviter la guerre, & d’offrir la médiation commune que cependant les prétentions de l’Autriche étaient telles qu'il était fort douteux qu'on puisse les présenter, & que lui Tallenay ne croyait pas du tout à la réussite ni de l’entente ni de la médiation. Et il y croyait moins encore depuis l’article du National que je vous ai envoyé hier, & qu’il regarde comme officiel. Tallenay ayant appris que Marast devait le remplacer a fait comprendre à Paris qu'il ne le souffrirait pas. Que s'étant chargé de les représenter dans un moment où ils n’avaient rien d’honorable & de convenable à envoyer, ni il était en droit d’attendre des égards. Qu'il concevait que lorsque les relations seront établies régulièrement on tient à avoir ici une bonne politique considérable. Mais que c’était lui qui devait rester jusqu'à ce moment, c.a.d. lui faire reconnaître la république. Il a ajouté que d’après ses lettres de Paris, on se conformerait à cela. Montebello a vu des lettres de Paris. Flocon a dit que dans 6 mois personne ne voudrait plus de la République. Cause perdue. Vous voyez comme l’Assemblée nationale s'échauffe. Le rapport sur l’enquête a fait un grand effet. Beaucoup de lettres menaçantes anonymes. Enfin cela va devenir gros. La déclaration de Palmerston hier au Parlement est quelque chose. Cela prouve le travail commencé. Mais il me parait impossible qu’après de si éclatants succès l’Autriche se contente de ce qu’elle demandait lorsqu'elle était en mauvaise situation d’un autre côté comment la France pourrait-elle faire moins qu'assurer la Lombardie à l'union italienne. Ici l’opinion sera un peu combattu. Mais en toute justice peut-on imposer à l’Autriche des sacrifices quand c’est elle qui a été attaquée, chassée, & que c’est elle qui triomphe ! Quel dédale. Et puis Francfort ! Et puis Berlin. ¨Pas d’hommage le 6. Ainsi un commencement de résistance à la volonté de Francfort. Que de choses à nous dire, que de raisonnements à perte de vues ! Comme vous êtes loin ! J’attends votre lettre ; je n'ai rien à vous dire de nouveau que ce qui précède. Ma santé est comme vous l'avez laissée. Je crois que mon fils part demain. Adieu. Adieu. Voici le National. Curieuse.

3 heures. Voici votre lettre. Vous me paraissez être in a perplexing state cela m'inquiète aussi. Vous serez probablement très mal à Cromer sans aucune ressource. Pourquoi ne pas revenir ? La mer du nord est la moins bonne pour les bains de mer. S'il les faut absolument allez donc les chercher sur la côte méridionale. St Leonard, Hastings, Weymouth, si vous ne voulez pas de Brighton. Encore plus chaud. Mieux civilisés. Enfin je ne trouve pas qu’il y ait beaucoup de good sens dans tous vos projets. Pardonnez-moi de croire que si je m’en mêlais cela serait mieux. La presse a reparu hier, je l’ai reçu, pas lu encore. Les Débats se moquent très joliment d’un nouveau journal de l’Etat qu’on veut mettre au monde.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Ketteringham Park. Mardi 8 août 1848
Onze heures

J’ai cinq minutes. Je vais rejoindre à Norwich le train du chemin de fer qui va à Yarmouth. C’est à Yarmouth que mes enfants prendront quelques bains de mer. Le médecin sort d’ici. Il trouve Pauline pas mal, c’est-à-dire point de vrai mal, mais encore assez ébranlée. Il veut encore deux ou trois jours de repos. Puis quelques bains à Yarmouth, près d’ici, à peine un voyage. Les habitants de Ketteringham viendront nous y voir. A part la raison de santé, je vous dirai mes raisons pour aller à Yarmouth, près d’ici. Vous les trouverez bonnes. Je vous quitte. L’heure du train me presse. Merci de votre longue et bonne lettre qui vient de m’arriver. Je vous écrirai demain à mon aise. Adieu. Adieu. G.

Une heure On m’a fait observer que tout bien calculé, je n’arriverai probablement pas à Norwich à temps pour le train d’Yarmouth. Je n’irai donc que demain matin. Je vais là choisir un logement. Je reviendrai ici, et nous irons à Portsmouth à la fin de la semaine. Toujours pour trop longtemps mais pas pour longtemps. Le médecin n'a point d’inquiétude pour Pauline, mais elle a été [shaked] in her whole frame. Je ne lui ai pas refusé une promenade à cheval par ce qu’il y a beaucoup monté. Soyez tranquille ; je n’y monterai point. Guillaume monte très bien.
Je ne crois plus à l’intervention en Italie. On n'en veut évidemment pas plus à Paris qu'à Londres. L’Autriche cédera sur la Lombardie. On forcera les Italiens de céder sur la Vénétie. Et le Roi Charles Albert battu aura son royaume comme, s'il l’avait conquis. Quoique peu en train de rire, je ne puis m'empêcher de rire de la république ; elle copie, timidement ce qui s’est passé après 1830. La Lombardie sera la contrepartie de la Belgique. On règlera cette question là, comme l'autre, de concert entre Paris et Londres. Mais sans mettre le pied au delà des Alpes. Il faut dire de la République ce qu’on a dit de je ne sais plus qui : " ce qu’elle fait de nouveau n’est pas bon, ce qu’elle fait de bon n'est pas nouveau. "
Je compatis fort au chagrin de l'Empereur sur sa fille Olga. Mais elle a raison. Quelle honte au Roi de Wurtemberg ! Pis que le Roi de Bavière. Je suis humilié de la conduite des Rois comme si j’étais un Roi. J’ai mon Journal des Débats. On est fort en trais de refaire un autre parti conservateur. Et celui-là enterrera un jour la République. Chaque crise révolutionnaire en France fait monter au gouvernement une nouvelle couche de la société, prise plus bas. Et celle-là est à son tour forcée de devenir conservatrice, tant bien que mal. Je ne vois pas comment on s'y prendrait pour descendre plus bas que le suffrage universel. J’ai écrit à Lord Aberdeen. J’aurai demain ou après-demain tout ce qui m'a été envoyé à St Andrews. Ecrivez-moi encore ici, Adieu, Adieu. Quel plaisir quand nous nous retrouverons. Mais que de choses nous nous serions dites que nous ne retrouverons pas ! Adieu. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L010_00046.jpg
Ketteringham-Park Lundi 7 août 1848,
Midi

Je ne suis pas content. Pauline est encore très fatiguée. Point de mal proprement dit ni à la tête, ni au cœur, ni nulle part. Mais moulue de tout le côté gauche. Et ses écorchures qui sèchent l'empêchent de bien dormir. Il lui faut encore deux ou trois jours de repos. De plus le maître de la maison, Sir John est dans son lit depuis hier, avec un rhume qui est, dit-on, de la goutte dans la poitrine. Il devait me conduire aujourd’hui à Cromer. J’irai demain seul avec Henriette. Cela fait de la tristesse et de l’embarras pour tout le monde. Les contrariétés s’enchainent. Trop heureux quand elles ne deviennent pas des chagrins. Je ne voudrais pas que cette maison-ci eût des chagrins. Ce sont d’excellentes gens, très affectueux et très ouverts. Je n’ai pas de lettre ce matin. Je m’y attendais. Pas de journaux non plus, ni anglais ni français donc rien à vous écrire. J'aurais bien à vous dire si vous étiez là. J’aurai après demain tout ce qui a été envoyé pour moi à St Andrews. Ecrivez-moi encore ici. J’irai certainement m'établir dans la semaine à Cromer si j'y vais. Mais en tout cas, on m'y enverrait d’ici mes lettres. C’est la route. J'espère que vous n’êtes pas mal. Vous ne m'en dîtes rien. Adieu, adieu. Je suis en triste disposition. Je ne m’y laisse pas aller. Mais quand même, on se retient sur une pente, on y est. Adieu. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L010_00042.jpg
Richmond le 5 août 1848, Samedi
2 heures

Quand une idée qui me plait s'empare de moi, je la prends pour un fait, & je la travaille. J’ai donc travaillé cette nuit. Et j'ai découvert qu’il ne vous fallait qu’un prétexte pour revenir du Norfolk ici et abandonner le reste de votre voyage. Voulez-vous que ce soit moi, très malade ? Et bien, je serai très malade. Et aussi longtemps qu’il vous plaira. Je n’ai vu personne. Je ne sais donc rien, mais vraiment les journaux donnent assez. Seulement ment je crois que vous n’avez pas les j. français & ce serait dommage. Le National décidément contre l’intervention. Le Constitutionnel aussi certainement elle ne se fera pas mais probable ment médiation menée de la France & l'Angleterre. Le discours de Thiers mercredi a fait beaucoup d’effet. Sa dispute avec Gouchaux semble être un événement. L’Assemblée nationale divisée & la rue de Poitiers en dissidence éclatante avec le Gouvernement. Il me serait très difficile de retrouver dans ma mémoire ce que m’a dit Ellice. Je m'étais hâté de vous l'écrire, et puis je l'ai dismissed de ma tête comme inutile. Le compte-rendu est à Glasgow post office. Aggy va très mal c’est probablement l’hydropisie. Tout cela rend peu probable que les Ellice restent à Brighton qu’elle meure ou qu’elle traine on partira de là. Vous ai-je dit que Bulwer est parti subitement pour Paris pour empêcher sa belle Espagnole d’arriver ? Il veut décidément le mariage. Entre ici et demain, je verrai probablement lord John. J'attends votre lettre d’hier. La voici. Merci, merci. Intéressante curieuse. Vous avez bien de l’esprit et du good sense, que j'aime au moins autant que l’esprit. D’après votre nouvel arrangement de voyage, je pense que je vous écrirai encore demain à Norfolk. Et depuis lundi à Edimbourg ! & depuis Mercredi à St Andrews. Est-ce comme cela ? à moins que ce ne soit Brompton. Hélène me mande que le choléra décroit. Pendant sa durée, l’amant avait perdu sa vertu ou au moins sa force diminue de moitié. N’est-ce pas curieux ? Les savants sont très occupés de cela. L'Empereur toujours inquiet de sa fille. Elle résolue à ne pas abandonner son mari. Le père ? approuve, admire, & pleure. Le Roi de W. est parti, son fils est régent. L’abdication s’en suivra. Adieu. Adieu. Pas un mot de plus de nouvelles.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L010_00038.jpg
Ketteringham-Park, Samedi, 5 août 1848
8 heures

J’ai eu hier une pénible alerte. Pauline est tombée de cheval. Ce n’est rien. Point d’évanouissement, point de mal de tête. Quelques écorchures et un peu d’ébranlement. Elle n’et pas en peur et s’est relevée sur le champ elle-même. Elle a dormi. Elle est bien. Je compte tout-à-fait que dans deux ou trois jours, il n’y paraîtra plus. Pourtant le long voyage d'Ecosse me préoccupe pour elle. Je suis bien près d'y renoncer. Il faut que je leur fasse prendre des bains de mer sans aller si loin.
Je n'aurai point de journaux français ce matin. Ils vont me chercher à St Andrews. Et peut-être point de lettre de vous, ce qui me déplait beaucoup plus. Car vos lettres tristes me manquent autant que vos lettres contentes.
Plus je pense à la France, plus je trouve que la situation s’aggrave, et s’aggrave sans s'abréger. Charles Albert ne se tirera pas d'affaire tout seul. Si la France ne l’en tire pas, c’est la république en Italie. Si la France l’en tire, c’est la guerre en Europe. Et dans l’une ou l’autre hypothèse, il n’y aura point de résolution assez nette, point d'action assez forte pour en finir réellement et vite. Les hommes sont devenus timides sans cesser d'être fous. On n'avancera pas. On ne tombera pas. On chancèlera, Dieu sait combien de temps, tantôt du bon tantôt du mauvais côté.

Midi
Merci de votre lettre. Je ne l’espérais guère. Vous vous trompez dans vos conjectures, sur mes réticences. Je n’avais aucun projet, même vague, de rester ici plus de trois jours. Je n’y ai consenti que parce que j’ai abrégé de six à huit jours le séjour en Ecosse. Mais vous avez raison, dans vos calculs. Le voyage d’Ecosse serait plus cher que je ne pensais. J'y renonce décidément. Et mes enfants font leur sacrifice de bonne grâce, Dieu leur en saura plus de gré qu'à moi. Et ce sera justice. On me dit qu’il y a ici près sur la côté du Norfolk d'assez bons bains de mer. On me donnera des renseignements dans la matinée. Je vous écrirai demain avec détails. Je n'ose me promettre, de ceci, le retour immédiat et définitif à Brompton. Il me faut, des bains de mer. Mais, en tout cas, plus de grande distance, et l'absence bien moins longue. Et j'espère aussi quelque interruption à l'absence. Vous ne recevrez pas ceci avec plus de plaisir que je ne vous l'écris. Quoique les lettres tristes me manquent autant, les lettres contentes me plaisent davantage. Vous qui me reprochez de ne dire non qu'à vous, vous ne savez pas ce qu’il m'en coute de ne pas vous dire toujours oui.
Charles Albert dictateur, et M. Rossi premier ministre du Pape ! Car il acceptera si le Pape insiste. Vous dites vrai ; le monde est drôle. Mon optimisme est mis à de rudes épreuves. Pourtant je persiste à espérer. Attendons. On attend toujours en ce monde.
J'envoie votre lettre à Duchâtel qui est à Edimbourg ou à Portobello. Quand j'aurai mes renseignements sur les bains de mer d’ici, j'écrirai à St Andrews et à Lord Aberdeen pour leur donner congé. Adieu. Adieu. Il pleut beaucoup. Adieu. G.

4 heures
Je rouvre ma lettre. Je suis très contrariée pour vous. La poste ne part pas d’ici aujourd’hui parce qu’on ne distribuerait pas les lettres à Londres demain dimanche. Vous comprendrez pourquoi vous n’avez pas de lettre. Adieu, à demain. Dimanche 6 août, une heure. Je reviens du sermon. Il faut être correct ici. D'autant que mes hôtes sont affectueux et contents de m'avoir outre mesure. Trés bonnes gens et très bon échantillon de la country gentleman life. Ne soyez pas malade, même en peinture. Il y a des bains de mer à 24 milles d’ici à Cromer, et à 18 milles, à Leicester, près d’Yarmouth. Sir John m'y mène demain avec ses chevaux. J'y choisirai un appartement. On dit qu’il y a un assez bon hôtel. Et puis j'y mènerai mes filles. Pauline est bien. Quoiqu'ayant encore besoin de deux jours de repos. J’ai le cœur bien léger de ne plus aller si loin de vous. J’écris à Glasgow, à Edimbourg, à St Andrews et à Haddo. Pour ravoir mes lettres et faire mes excuses. Et à Brompton pour qu'on m'envoie ici et à Cromer mes journaux. Ils me manquent beaucoup. Votre lettre de ce matin, me met au courant. Si Cavaignac garde Goudchaux avant- un mois, il s’appuiera sur les Communistes. Adieu. Adieu.
Pauvre Aggy ! Le départ du Roi de Würtanberg me frappe. Plus d’un Roi l’imitera. Le dégoût est dans ces rangs là. Par fatigue, par mollesse, par esprit de doute et d’égoïsme. Les grands descendent et les petits ne montent pas. Adieu. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L010_00032.jpg
Richmond vendredi le 4 août
2 heures

Ce n’est pas ma faute si ma lettre hier est allé à Glasgow. J'ai là tracé de votre écriture que je ne devais écrire que deux fois dans le Norfolk. C’est ce que j'ai fait. En me disant le contraire hier il était bien clair que cela devait m’arriver trop tard. J'ai bien quelque soupçon de votre laisser-aller et de vos faiblesses. Et je m'en étonne toujours un peu. Quand on vous demande une chose, vous dites oui, excepté à moi. Montebello était ici hier soir & s’étonne que vous vous soyez embarqué dans un voyage si lointain avec tant de monde. Cela coûte cher en Angleterre et quand vous ferez vos comptes vous trouverez que des bains de mer pouvaient être pris à meilleur marché plus près. Personne ne vous forçait à les aller chercher à St Andrews. Reste les visites. D'abord les voilà réduites à Aberdeen, & Lord Breadalham ; car les Argyle n'y seront pas. Elle vient d’annuler. Hier elle était assez mal, un shivering, Breadalham c'est peu intéressant. Aberdeen revient dans deux mois. Je retourne aux dépenses. Second class même qu’est-ce que cela va vous couter pour une si grande distance ? Calculez. Et voyez si le bon marché de 3 semaines à St Andrews forme équilibre. Je parie que non. Et qu’en mettant par dessus cela mon chagrin, la spéculation est de tout point mauvaise puisque vous restez encore trois jours là où vous êtes, méditez sur tout cela & revenez, that is the best thing you can do.
Je vous envoyais hier à Glasgow ma conversation avec Ellice. Intéressante, je ne pense pas recommencer ; & une lettre de L. Aberdeen, je ne puis plus courir après. Hier j’ai été à Claremont très polis et très en train. Le roi affirmatif que la France n’interviendra pas, qu’elle ne peut pas intervenir. Je le crois aussi tout-à-fait. Et qui irait on aider ? Un Roi ou la république ? Car il parait maintenant que c’est là ce que voudront les Italiens. Curieuse situation. On dit aujourd'hui que Turin a proclamé son Roi dictateur. La mode française qui va faire le tour du monde. Quel bon tour à jouer au monde. En vérité tout est drôle. il n'y a que moi qui ne le suis pas du tout Comment voulez-vous que j'aille seule courir jusqu’à Haddo pour quelques jours de Haddo ; ce serait ridicule, et par trop fatigant, & encore une fois seule impossible. Revenez, pensez y bien, moi je vais y croire, je crois si vite ce qui me plait ! Voici une lettre que je vous prie d'envoyer à Duchâtel. Vous savez sans doute où il se trouve. Adieu. Adieu. Quelle tristesse. Que Votre absence. Que de choses à nous dire. Ah que vous avez eu tort. Si vous le répariez. Adieu. Adieu.
Je m’en vais être vraie. Quand vous écrivez au crayon les adresses Je me suis dit, je parie qu’il restera plus de deux jours chez Boileau. J’ai eu tort de ne pas vous le dire ; vous avez tort de méditer cela & de me le cacher. & vous me cachez cela parce que vous craignez que je ne vous querelle sur les délais. Voilà que je suis mise au régime que vous recommandez la vérité. Et puis voyez ce qui en arrive, c'est qu'on perd du temps à se dire cela, c.a.d. à l'écrire. Pauvre lettre par conséquent & qui va vous ennuyer. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Ketteringham Park Vendredi 4 août 1848,

Je n'ai pas de lettre. Je n'en dois pas avoir. Vous ne saurez qu’aujourd’hui que je reste ici deux jours de plus. J'en partirai lundi matin. Il n’y a pas moyen d'aller en un jour d’ici à Edimbourg. J’irai coucher Lundi à York et mardi à Édimbourg. J’y passerai le Mercredi. Je serai jeudi à St Andrews. J’y établirai mes enfants et j'écrirai à Lord Aberdeen pour lui demander quel jour il veut de moi à Haddo. Y viendrez-vous ? Si vous y venez dites-moi les projets pour que j'adapte mes mouvements aux vôtres. Nous pourrions passer là huit jours charmants. Je crains votre crainte de la fatigue. Ce qui est bien triste, c’est que demain encore peut-être, je n'aurai pas de lettres. Ce ne sera pas votre faute. Je ne me plains pas. Mais j’ai bien envie d'avoir une lettre.
Je reçois ce matin des nouvelles de Paris. Bien sombres pour le dedans et pour le dehors. Milan menace de la République, si on ne lui donne pas l’intervention. La République rouge menace Paris, si on ne donne pas à Milan l’intervention. Et si on donne l’intervention, Cavaignac ne pourra se passer pour la soutenir, de mesures qui ne peuvent se passer de l’appui de la république rouge. Bastide veut se retirer. Goudehaux veut se retirer, si en ne lui donne pas des nouveaux impôts. Il veut maintenir les anciens impôts, qui pèsent sur les pauvres comme sur les riches, et il ne le peut qu'en en établissant de nouveaux qui ne pèsent que sur les riches. Les riches se défendent. Les communistes se frottent les mains. M. Proudhon rit au nez de M. Goudehaux et de M. Thiers. Les journalistes relèvent la tête. Girardin épie le moment de prendre sa revanche sur Cavaignac. Sinon une nouvelle crise de guerre civile du moins un nouvel accès de chaos est près d'éclater, si on peut parler d'accès au milieu d’un chaos permanent. Ceux qui gouvernent la république sont très abattus. Leurs héritiers présomptifs sont très abattus. Le fardeau, chaque jour croissant, écrase ceux qui le portent, et épouvante ceux qui le regardent. Juste et universel châtiment qui ne fait que commencer. Je persiste de plus en plus à croire à la fin, et aux abymes du chemin qui mènera à la fin. Je n’ai jamais été moins désespérant et plus triste. On m'écrit : « J'ai vu chez lui M. de Girardin. Il est ferme, contenu, et passionnément irrité. Hier au soir, il est venu me voir : « La presse, m’a-t-il dit, paraîtra mardi. Je lui ai demandé si c'était sur une autorisation. « - Non - je ne sais comment cela se passera ; mais si par hasard il espérait qu’on se battra à son intention, il compterait sans son hôte. Je connais des gens qui, sous votre ministère, trouvaient que les tribunaux mutilaient la presse et que ce serait une occasion de chute. Je les ai entendus regretter qu’on n'eût pas fusillé de suite M. de Girardin. Les lâchetés qu'on entend font horreur. » Les lâchetés retardent les luttes, mais ne les empêchent pas. Tôt ou tard il faut y venir. Du reste je vois que la presse n’a pas paru mardi. On m'écrit encore : « Quelque doux que soit l'état de siège nous ne pouvons en faire une situation normale. Qui soit même si un jour on ne reprochera pas à la Constitution sa création au moment d’une dictature ? Il y a là un péché originel dont aucun baptême ne peut laver la souillure. » Vous voyez qu’on se prépare des arguments. Je suis très frappé des débats de l'Assemblée que mon Journal des débats m’apporte ce matin ; débat sur les journaux, débat sur les finances. L’attaque commence entre Cavaignac et son cabinet. Ils se défendront mal ailleurs que dans la rue, ce qui ramènera pour eux la nécessité de se défendre dans la rue. Toujours le même cercle, bien vicieux. Et que fera Francfort si Paris vient protéger Milan contre Vienne ? Vous ne me le diriez certainement pas si nous étions ensemble. Pourtant nos deux ignorances réunies valent presque une science. Adieu. On m'a mené hier à Norwich voir un Musée, une cathédrale et un château fort, et me faire voir à de vous bourgeois réunis devant la porte du château. Aujourd’hui il tonne et il pleut. Pourtant voilà un peu de soleil. Je me promènerai dans le parc. M. Hallam vient de partir. On attend d’autres voisins. Adieu. Adieu. Je vois presque de ma fenêtre les fils du télégraphe électrique qui longe le chemin de fer. Quel dommage que nous ne puissions pas nous en servir vingt fois par jour ! Adieu. Je me porte bien. Et vous ? Adieu. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond le 3 août 1848,
jeudi 2 heures

Les victoires de Radetzky m’enchantent. Que va faire votre gouvernement ? Je doute qu'il intervienne. Je crois à une médiation anglo-française. Nous verrons. J’ai vu hier Ellice. Il part demain pour St Andrews. Je ne veux donc pas répéter ce qu'il vous dira mieux que moi. Mais pour le cas où ma lettre vous arrive avant la-personne voici à peu près. Thiers de l’influence, mais pas de pouvoir. Cavaignac honnête homme continuant la politique de Lamartine déshonnête. Entre les mains du National comme son devancier. De l’ordre à Paris. Du respect pour Cavaignac. Grande envie de rester à toute éternité sous l’état de siège. Intimité contre le gouvernement avec Normanby. Celui-ci très prudent. Ayant même eu peur de voir Thiers. Ellice s’est chargé de cela, comme il s’est chargé de tout. Cela va sans dire. Son opinion est qu’il y aura guerre qu'il faut la guerre pour qu’il en ressorte en homme qui devienne le Bonaparte ou le monde. Thiers sera le Talleyrand de ce dénouement, mais jamais le principal. Je ne sais pas autre chose car je n’ai vu personne. Constantin me dit que l’indignation est générale à Berlin. On foule aux pieds la cocarde tricolore. Jamais l’armée ne voudra obéir à Francfort, nous verrons, & tout de suite. Le temps est affreux. Pluvieux & froid. Adieu, " que le jour me dure ". Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Ketteringham Park. Jeudi 3 août 1848
Onze heures

Voilà votre lettre d’hier. Il y a du vrai dans votre premier reproche. Je crains trop les contradictions, les objections, les chagrins, du premier moment, ce qui m'empêche souvent de faire ou de dire ce qu’il faudrait pour éviter ceux du dernier moment. J’y veillerai pour m’en corriger quoique je sois vieux. C’est une faiblesse pleine d'inconvénients. Et quand les inconvénients arrivent, personne ne les sent plus vivement que moi. Juste mais triste punition de la faiblesse. Je n'accepte pas votre second reproche. Je traitais jusqu'ici l'affaire des papiers avec Génie par M. Palmerston. C'est pourquoi je ne lui avais pas écrit directement et spécialement quels étaient ceux que je tenais surtout à avoir ici. M. Palmerston n'ayant pas fait l'affaire, j’ai écrit à G. en lui donnant, à lui-même la résignation que j’avais donnée à M. P. G. avait fait remettre quelques papiers à P.. Mais ce ne sont pas ceux auxquels je tiens. Si vous étiez là, je vous expliquerais en détails. Mais soyez sûre que j’ai mis à cette affaire là tout le soin possible ! Soin difficile de si loin, et avec toutes les réserves qu’il faut garder.
On est bien craintif à Paris. On ne parle qu’à demi-mot. On ne remue qu'en hésitant. Pour tout ce qui se rapporte à certains moments et à certaines personnes. Mais j'en viendrai à bout. Et malgré, ma vive contrariété du retard, je ne puis avoir d'inquiétude réelle, et définitive. Ecrivez-moi, encore ici jusqu’à samedi après demain. Je n'’en partirai probablement que lundi matin. Moyennant que j'abnéguerai le séjour en Ecosse. J’irai seul chez Lord Aberdeen, pendant que mes enfants seront à St Andreas, Melle Chabaud y restera avec eux jusqu’au moment du départ. Viendrez-vous maintenant chez Lord Aberdeen ? Ce serait bien joli, j’emploierai ainsi le temps des bains St. Andrews. Il serait bien long et pas bien amusant de vous dire pourquoi ce nouvel arrangement se rattache à deux jours si plus passés ici. Mais c’est le fait, et le bon fait si vous venez à Haddo.
Voilà le Roi de Sardaigne bien évidemment en retraite. Retraite heureuse pour lui, si elle le force à traiter avec les Autrichiens c’est-à-dire si elle force les Italiens à le laisser traiter avec les Autrichiens au prix de Venise. Je vois ce matin dans le Globe qu’il a demandé à Paris l’armée française et qu’on lui a répondu par le médiation française. Ce serait un peu votre politique. Cependant M. Bastide vient de promettre encore l’intervention, si l'Italie insiste. Et j'ai peur qu'elle insiste. Charles Albert ne me paraît guère, en état de dire non à Mozzini. Les honnêtes gens en France regarderont comme une victoire l’ordre du jour de l'Assemblée nationale sur le discours de M. Proudhon. Et en effet, s'en est une, à quelles victoires sont tombés les honnêtes gens ! Cavaignac et Bastide ont eu toute raison de se refuser à Mauguin. Adieu. Adieu. Je vous quitte pour aller à Norwich voir une belle cathédrale. Je fais comme si j'étais curieux et on m’en sait gré. Le temps est passable. J’ai marché hier deux heures dans la campagne. Connaissez-vous Lord et Lady Woodhurst ? Non pas les personnes mais le nom. Les personnes sont deux jeunes gens de bon air et d'assez d’esprit qui sont venus dîner hier. Adieu. Adieu. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Ketteringham Park Mercredi 2 août 1848
Midi

J’ai eu votre lettre à 10 heures en sortant de la prière. Je m'afflige, mais je [ne] me plains pas de sa tristesse. Ni Montaigne, ni Pascal, ni La Bruyère, ni personne n'a dit la moitié de ce qu’il y a à dire sur les contradictions et les incohérences dont notre cœur est plein. Les livres sont toujours, si au-dessous des personnes, et les paroles des réalités. J'en reviens à ce que je vous disais hier matin ; si nous nous étions toujours tout dit, si nous nous disions toujours tout, nous éviterions bien des chagrins, et nous supporterions bien mieux, ceux que nous n'éviterions pas. Voulez-vous que nous essayions une fois de nous dire tout ? Cela se peut-il ? J’ai fait mon voyage sans accident. Sauf un peu de pluie qui pénétrait dans les glaces mal jointes des voitures de seconde classe du railway. Car je me suis mis dans une voiture de seconde, classe très passable d'ailleurs. J’ai trouvé que plus d’une livre, pour cinq personnes était une économie à faire. M. Hallam et sa fille qui venaient par le même train se sont un peu étonnés. Mais c’est un étonnement qui ne me nuit pas. Je suis ici dans une bonne et grande maison de Country gentleman. Sir John est parfaitement content de deux choses, de sa maison et de me la montrer. Orgueilleux d'être anglais. Orgueilleux de descendre d’un Français. Des souvenirs de France étalés avec une complaisance affectueuse au milieu des conforts d'Angleterre. Et au bout de la pièce d’eau qui orne le parc, un pavillon portant mon nom. Whig, et whig plus vif que je ne croyais, il me pardonne tout puisque je lui fais le plaisir d'être son cousin. Mais il veut me réconcilier avec Lord Palmerston. Il m’en a dit hier tout le bien imaginable.
Vous avez raison ; l'Angleterre est heureuse. Tout lui tourne bien. Mais elle a droit d'être heureuse, car elle se conduit bien. Je ne connais pas de justice plus complète que celle de Dieu envers l’Angleterre à propos de l'Irlande en ce moment. L'Angleterre fait honnêtement sensément, courageusement depuis 30 ans, tout ce qu'elle peut pour soulager les maux de l'Irlande, les maux qu’elle lui a faits depuis 300 ans. Elle n'y réussit guères. L'Irlande reste pour elle, un fardeau énorme, une plaie hideuse. Et en même temps que l’ancien crime est puis le bon vouloir actuel est récompensé. L'Irlande ne vient pas à bout de devenir, pour l'Angleterre un danger. La bêtise irlandaise vient en aide à l'impuissance de la sagesse anglaise. Le volcan gronde toujours et n'éclate jamais. Il faudra un temps immense à l'Angleterre bien intentionnée pour guérir le mal et se guérir elle-même du mal de l'Irlande. Mais elle y réussira, si elle en a le temps, et j'espère que Dieu le lui donnera, car elle le mérite. Plus je regarde cette société-ci, plus je lui porte d'estime, et lui veux de bien. Il y a dans la maison., M. Hallam, son fils et sa fille, un dean d'Ely et sa femme. On attend demain l’évêque de Norwich, et je ne sais combien de Stanley. Nous étions déjà 21 ce matin à déjeuner. J’écris à lord Fritz-William pour décliner son invitation. J'attends impatiemment des nouvelles d'Italie. Il est clair qu'entre Autrichiens et Piémontais la mêlée est vive, et qu'aux dernières nouvelles il n’y avait point de vainqueur. Je ne connais rien de plus ridicule que cet immense bruit que font partout les Italiens, laissant d'ailleurs le Roi de Sardaigne à peu près seul aux prises avec l’Autriche. Et si le vieux gouvernement Autrichien avait eu la moitié de l’énergie de son vieux maréchal Radetzky, il aurait certainement réprimé un mouvement si superficiel quoique si général. Je doute beaucoup que Cavaignac ait inventé et suive, dans cette affaire italienne la bonne politique que vous faisiez si bien l'autre jour. Adieu. Adieu. La poste part d’ici à 3 heures, après le luncheon, on ira se promener. Il ne pleut pas. Le pays n’est pas joli. Mais au dessus de beaucoup de navets, il y a beaucoup d'arbres. C’est bien Wymondham. Adieu. Adieu. On n'a pas encore ici le Times de ce matin. Tenez moi bien au courant de votre santé. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond le 2 août 1848
10 heures

Tout ce que vous prêchez dans votre lettre est excellent. Mais c'est à vous et non pas à moi qu'il faut le dire. Ce n’est pas moi qui ne dis pas tout. Ce n’est pas moi qui arrange des plans, qui fais des promesses, avant de vous en parler. Vous promettez des visites comme vous promettez des plans. Avec cette différence qu'ici vous vous croyez obligé par votre promesse et qu’en France vous vous en tiriez comme vous pouviez. Ordinairement mal. Vous ne m'avez pas dit, pour ne pas me faire de la peine, ou pour ne pas rencontrer de la contradiction. Vous vous êtes bien embourbé tout exprès pour ne pas pouvoir convenablement en sortir. Et de toute cette cascade de petites fautes est ressorti pour moi un des plus vifs chagrins que je puisse éprouver. C'est la vérité ce que je viens de vous dire là. Vous n'êtes pas assez vrai. Et bien encore. Voilà qu'au bout de 5 mois seulement vous désignez à M. Génie. lui même ce que vous voulez qu'on vous envoie ! Vous savez donc qui c’est chez lui que cela se trouve et vous m'avez toujours soutenue que c'était chez P. Pourquoi donc avoir attendu si longtemps à signifier votre volonté. Pourquoi tant d'occasions manquées ! Ah que je suis contrariée et inquiète. Tous les genres de soucis & de peines. Je n’ai vu fuir que Lady Allen, & Montebello. Ainsi rien. Je vais ce matin en ville pour affaires. Peut-être verrai-je quelqu’un dans ce cas j’aurai quelque chose à vous dire ! Je lis dans le Morning Chronicle ce matin une lettre particulière de St Aulaire à vous sur les mariages. Conversation avec Aberdeen en 1845, ou Aberdeen propose Aguila. Mon Dieu pourvu qu'on se borne aux mariages espagnols ! Adieu. Adieu, si tristement. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond le 1er août 1848 Mardi
2 heures

Quelle triste nuit, quel triste réveil, quel triste jour ! Et cela sera comme cela tant que vous le voudrez. Vous savez cela. Voyons quand vous m’accorderez ma délivrance. Mon fils a renoncé à Paris. J’ai pensé que cela m’avançait et qu’il resterait ici plus longtemps pas du tout, il part à la fin de cette semaine pour Bade, où il veut chasser pendant deux mois. Le temps est affreux aujourd'hui de bourrasques, de l'orage, le ciel noir comme mon humeur. Je ne vois rien de nouveau dans les journaux. La révolte Irlandaise finit ridiculement. C'est un pays bien heureux que l'Angleterre ! Je voudrais avoir autre chose à vous envoyer aujourd’hui que ma tristesse. J’aurai peut-être mieux demain mais soyez sûr que la tristesse y sera toujours. Adieu. Je connais un peu le Norfolk pays de navets, il n'y a que cela en fait de pittoresque. J'écris la ville de province comme vous me l'avez indiqué mais je crois moi que c'est Wymondham.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton, Mardi 1 août 1848
7 heures

Je suis rentré hier triste. Ce matin, je pars triste. On ne prévoit jamais assez. On ne se dit jamais tout. Que de contrariétés, de vrais chagrins, nous nous serions épargnés l’un à l'autre depuis onze ans si nous nous étions toujours tout dit, sur le champ ! Et hier encore, que de choses j'aurais eu à vous dire que je ne vous ai pas dîtes ! Et probablement vous aussi. Je ne me résigne pas à cette imperfection de la vie, dans les affections les plus profondes et les plus sincères. Je ne me résigne pas davantage à votre chagrin. Il m’est bien venu par éclairs un sentiment doux à le voir, si vif. Mais ce plaisir égoïste s’évanouissait à l'instant devant votre peine. Votre peine seule me suivra. Et elle ne me quittera que quand nous nous serons rejoints. Encore une fois, pourquoi ne nous disons pas toujours tout ?
Je me suis levé de très bonne heure. J’avais une foule de petites choses à faire, de billets à écrire. M. Wright est arrivé, et ne m’a rien apporté que des choses insignifiantes. M. Génie. était à la campagne, au moment où il est parti. M. Pise n'avait pu le voir à temps. J’écris à Génie lui-même par André qui va passer en France le temps que je passerai en Ecosse, et je lui désigne à lui-même ce que je veux avoir ici, par la première occasion sure que je lui indiquerais. Vous n'êtes pas plus contrariée que moi de tous ces retards. Il est si difficile de régler de loin comme on veut de telles choses, quand on veut en même temps multiplier les précautions, et épuiser la prudence ! Adieu. Adieu. Je n’ai pas cœur à vous parler d’autre chose ce matin, quoique j'eusse beaucoup à vous dire sur les nouvelles d’hier que je trouve plus grosses plus j'y pense. Je ne crois pas que Paris se conduise aussi sensément et résolument que vous l’inventiez hier Adieu. Adieu. C'est de bien loin ! G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Lundi 3 septembre 1849
Sept heures.

On dit que Titus disait, quand il n'avait pas fait au moins un heureux, « J'ai perdu ma journée. » Moi, je crois qu'il disait cela quand il n'avait pas vu Bérénice. Quand votre lettre me manque, ma journée est perdue. J'ai beau faire ; je ne parviens pas à la remplir. J'ai beaucoup travaillé hier ; j'ai lu ; j'ai écrit de mon histoire ; j'ai écrit des lettres. Ma journée est restée vide. Peut-être votre lettre, que j'aurais dû avoir hier, contenait la feuille volante de Metternich, et les curieux auront eu envie de la lire. Je saurai cela ce matin. Ils auraient dû être un peu plus prompts à la lire que lui à l'écrire.
Je pense beaucoup à l'Allemagne, et soit que je veuille arranger l'avenir, ou seulement le prévoir, je ne me satisfais pas. Il y a là des éléments inconciliables entre eux et indestructibles les uns pour les autres, à moins d'un bouleversement général. Des petits États évidemment incapables, soit de contenter, soit de contenir leurs peuples, un grand État qui voudrait dompter les révolutionnaires chez lui, en restant populaire parmi les révolutionnaires du dehors, dont il a besoin pour absorber les petits États, et au moment même où il envoie des troupes pour empêcher ces révolutionnaires là de triompher chez eux. Des peuples qui, petits ou grands, révolutionnaires ou non, veulent jouir de la vie politique dont ils ont commencé à goûter, et se croient humiliés s'ils ne font pas, ou n'entendent pas autant de bruit qu'on en entend et qu'on en fait à Paris et à Londres. Des gouvernements qui ont encore toutes les habitudes du pouvoir absolu, et qui, en quelques mois, ont touché, et vont encore, aux dernières limites du radicalisme, car ils ont accepté le suffrage universel, ou à peu près. Ce sont là des confusions, des ambitions, des contradictions, des nécessités et des impossibilités dont je ne me tire pas. Certainement on ne sortira pas comme on est ; mais je ne crois pas qu'on redevienne purement et simplement comme on était, et je ne vois pas ce qu'on pourra être, ni même ce qu'on voudra essayer d'être.
Attendons. J'attends l'Allemagne et votre lettre. Si j'avais la lettre, je crois que j'arrangerais mieux l'Allemagne.
Onze heures
Voilà mes deux lettres. Et moi bien content. Vous recevrez aujourd'hui celle où je vous parle du choléra. C'est ma préoccupation habituelle pour vous à Paris. On me parle aujourd'hui de nouveaux cas. Je crois décidément qu'il faut attendre un peu.
Je ne comprends rien à ce que vous dit Montebello. Je n'ai pas reçu un mot, un seul mot de lui depuis que je suis ici. Je m'en suis étonné, et je crois vous l'avoir dit. Je vais lui écrire ce matin même.
Adieu, adieu, my dearest. Soignez-vous bien. L'orage ne m'a fait aucun mal. Adieu. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond, dimanche 2 septembre 1849


Voilà les susceptibilités impériales apostoliques qui s'éveillent. C'est non seulement la phrase malheureuse de Paskévitz, « La Hongrie est aux pieds de Votre Majesté » mais de plus un dîner donné par le général Rüdiger à Görgey et les autres officiers supérieurs de l'armée hongroise. Ils étaient souriants à table, hongrois & russes, lorsqu'arrive un officier d'ordonnance de Haynau porteur d'une dépêche pour Rüdiger. Celui-ci l'invite à s'asseoir, il refuse en apercevant les uniformes hongrois. Rüdiger réplique que là où dîne un général russe, un lieutenant autrichien peut bien dîner. Le lieutenant persiste à ne pas s'asseoir auprès des rebelles, et sort.

Cela fait beaucoup de bruit à Vienne. On dit que Rüdiger a été réprimandé pour avoir été trop courtois. Görgey et tout son monde a été remis aux autorités autrichiennes. Ils sont tous enfermés dans des forteresses & seront jugés. Moi je d[?] Gorgey un peu. Après tout, c'est un vaillant homme, et je ne crois pas que l'Empereur puisse le laisser sacrifier. Beauvale me mande que L'Empereur prêche la clémence, qu'il est sur ce point en correspondance directe avec le jeune Empereur, & qu'il conseille de retirer la constitution de Stadion. Il y a bien à faire encore là !

Comme les radicaux vont faire mousser les petites rixes d'amour propre ! Palmerston sera charmé. Je sais cependant qu'avant-hier, à dîner chez Beauvale il était d'une humeur de dogue. Je ne sais pourquoi.

J'ai vu hier Metternich, il travaille encore à vous répondre. Ah, qu'il m'a ennuyée hier ! Et après bien de ravaudage, il me dit : « Il y a longtemps que je vis, et bien, je me souviens de chaque mot que j'ai dit, ou que j'ai écrit, depuis que je parle & que j'écris. » Ah bon Dieu !

Lundi le 3 septembre.

Voilà votre pauvre hôtesse morte. Cela vous aura fait de la peine. Elle était bien ridicule, mais c'est égal. Je n'ai vu hier que M. de Berg à Londres. (1er secrétaire de notre mission) Il est parfaitement bête. Je n'ai rien pu tirer de lui, sinon qu'il se croit un grand homme parce que son frère est aide de camp de l'Empereur. Je le connais, celui-là a de l'esprit.

J'ai vu la duchesse de Gloucester et toutes mes voisines chez moi le matin. Le soir chez Delmas. C'est de l'exercice de musique. Ce pauvre aveugle n'a peu ce plaisir, & je lui fais de grands plaisirs. Je crois la nouvelle de la mort du G.D Michel fausse.

1.heure. Voici votre lettre. Longue, intéressante. Mauvaise sur le choléra de Paris. Mais il est bien plus fort à Londres. M. de Mussy que j'ai vu hier va à Paris à la fin de ce mois. Ce serait bien là ce qui me conviendrait. Nous verrons.

Montebello est tout aussi vif que Dalmatie sur la nécessité d'une modification. Son Ministère, il l'est extrêmement aussi pour une autre forme de gouvernement, & se promet de faire du tapage en octobre. Nous verrons.

Mad. de Nesselrode avait deux ou 3 ans de moins que moi.

Adieu, adieu, la porte me presse. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 2 sept 1849
8 heures

J'ai encore appris hier deux morts de ma connaissance, par le choléra, à Paris. Deux personnes que vous ne connaissez pas du tout, mais de la classe riche. On dit en même temps que cela n'est pas grave et s'en va déjà. Un fort bon médecin, dont le nom, je crois, ne vous est pas inconnu, M. Rayer, est positivement de cet avis. Je le vois pour Mlle Chabaud, dont il a épousé la cousine. Je vous enverrai tous les renseignements qui m'arriveront à ce sujet. La recrudescence a été plus forte en ville que dans les hôpitaux. Ici, dans le pays environnant, il n'y en a aucune trace.
J'ai été surpris hier, à la promenade, par un violent orage que rien du tout n'avait annoncé. Il faisait très beau depuis deux jours. Je suis arrivé chez moi trempé, malgré les soins de Guillaume qui avait couru me chercher un parapluie dans une ferme. J'ai changé de tout, sous le feu d'un bon fagot ; j'ai bien dîné, très bien dormi, et je ne m'en ressens pas le moins du monde. Le soleil brille ce matin.

Palmerston ruiné m'étonne. Je lui croyais une conduite plus prévoyante et plus réglée. Quoiqu'il reçoive du monde, je ne lui vois pas un établissement ruineux. J'ai entendu dire, il est vrai, que les terres d'Irlande ne lui rapportent plus rien depuis longtemps, car il en employait tout le revenu en secours et en améliorations pour la population.
Je reviens sur une chose que m'a dite Dalmatie, et que je crois vraie. Indépendamment de la question ministérielle, il y aura, au retour de l'Assemblée et pendant sa session d'hiver, deux grosses questions, les deux seules, les finances et les lois sur l'enseignement. En matière de finances, la nécessité de remettre les impôts au niveau des dépenses est l'idée dominante dans le parti modéré ; idée très sensée et très honnête, mais de très difficile et très douloureuse exécution, car le suffrage universel ne permet rien en fait d'impôts, sinon de les réduire. Il y aura là un grand combat entre l'intérêt public et les intérêts privés, entre la nécessité et la timidité devant les électeurs. Les lois sur l'enseignement seront la pierre d'achoppement entre les deux fractions du parti modéré. Les légitimistes et les catholiques veulent avoir plus que le gros du parti modéré ne veut leur donner. La brouillerie qui a recommencé entre Thiers et Montalembert s'aggravera. Ce dont là les deux sources d'où il peut, dans l'intérieur de l'assemblée, découler des événements graves.
Onze heures
Pas de lettre. C'est bien ennuyeux. Heureusement demain n'est pas mardi. Mais c'est bien ennuyeux.Adieu. Adieu quand même. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond, samedi 1er septembre 1849

Un nouveau mois qui commence, nous sera-t-il bon ?

J'ai fait mon luncheon hier chez la duchesse de Gloucester. Je n'en ai pas rapporté des lumières. J'ai dîné chez les Delmas, avec la Colonie. Vieille princesse, & précieuse marquise.

J'ai vu avant-hier Lady John et son frère. Pour la première fois j'ai assez causé avec lui, ou plutôt je l'ai écouté. Il a l'air d'un honnête homme, mais sans esprit, il m'a dit des bêtises sur tout ce qu'il faut faire de libéral. Il n'attache de valeur aux victoires que s'il en ressort partout des constitutions. Au bout de tout cela il perçait cependant de grandes inquiétudes pour l'Angleterre elle-même. Je trouve que ce sentiment gagne.

Le Juius a une tirade aujourd'hui à propos de l'interférence de F.O. dans les affaires de la Hongrie. Cela commence à être su et cru. Assurément cette maladresse couronne toutes les autres.

Le bruit se répand que le G.D. Michel se meurt d'apoplexie. Je le regretterais comme un excellent homme, et qui m'a toujours montré de l'amitié. Cela fera une vraie peine à l'Empereur.

Voici votre lettre, & voici une longue lettre de Montebello, curieuse, animée, voulant absolument qu'on ait du courage dans la timidité même, L. N. promettant qu'on aura cela en se retrouvant à l'assemblée en octobre. Il dit à Lafui [?] dans sa lettre : « Je suis décidé à ne jamais en vouloir à M. Guizot, sans cela je lui en voudrais un peu d'avoir laissé trois & une lettres sans réponse. » Il ne vient par ici, il pense toujours à une course au Val Richer, malgré vos rigueurs.

Adieu, adieu. Et vite puisque l'heure est la bonne heure.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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24. Saint-Germain jeudi 6 août 1846
Je me suis levée fort tard aujourd’hui parce que j’avais eu une bien mauvaise nuit. Des points dans la poitrine qui m'ôtaient la respiration. J’ai fait tout ce que je sais faire, mais sans succès. Ce n’est que vers le matin que les douleurs se sont un peu calmées. Je viens d'écrire à mon médecin, j’espère que ce ne sera rien. Hier un bel orage le soir, mais le temps n'est guère rafraichi. Lonepeleun et Fagel ont dîné chez moi. Tous les diplomates sont frappés d'avance du bon que les élections produiront partout, et de la grande importance que cette législation soit bonne, pour le cas d'un changement de règne. Cela fera un véritable événement. en Europe. J’en demande. pardon à la France mais ce n’est que parce que vous êtes son ministre que cela me touche & m’enchante. Voici votre lettre d’hier. Je vous renvoie vite Fontenay, intéressant. Je comprends fort bien la mauvaise humeur contre le journal des Débats, seulement on est bien sot chez nous si l'on ne voit pas que tout changerait si nous changions. Je garde jusqu'à demain le Caucase, car il me faut du temps pour lire cette fine. écriture. J'ai eu une lettre de Normanby, (à propos de Verity qu’il prend) il me dit que comme Cowley annonce à Palmerston qu’il ne peut pas sortir de l’hôtel avant le 20, Normanby ne viendra qu’après et pour peu de jours se rendant à Vichy. Enchanté de son nouveau poste. Le temps est joli aujourd'hui Je me suis déjà fait traîner dans la forêt pour me remettre de ma mauvaise nuit. Adieu dearest, le 13 je vous verrai donc, savez-vous que c’est dans huit jours. 7 même. Vous vous arrêterez ici le matin & vous déciderez ce que je dois faire. Tout-à-fait la ville c'est bientôt par ce temps ravissant, mais je ferai votre volonté. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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24 Val-Richer Vendredi 7 août 1846

Voici ce que me mande Duchâtel sur le résultat définitif des élections. " Nous avons gagné sur l'opposition 49 batailles. Mais, parmi, les candidats que nous avons appuyés, il y en a deux ou trois un peu douteux."
" L'opposition nous a battus, par des candidats. de ses diverses nuances, dans 28 Collèges. Il y a sur ce nombre deux ou trois membres qui peuvent, je crois, être ramenés."
" Elle a fait passer contre nos candidats, dix candidats conservateurs auxquels elle a donné la préférence sur les nôtres, qui sont, à très peu d’exceptions près, bons au fond, mais qui auront besoin d'être disciplinés." " Les pertes de l'opposition dans ses diverses fractions. se résumant ainsi : Légitimistes, 17 pertes. 6 membres nouveaux. Perte nette 11. Extrême gauche, 7 pertes. 1 membre nouveau Perte nette 6."
"gauche et centre gauche, parti Thiers, Barrot. 30 pertes. 19 Membres nouveaux. Perte nette 11"
Il est parfaitement content. Je lui ai écrit hier très amicalement. Le Roi aussi est très content. J’ai reçu cette nuit à 2 heures deux lettres de lui, et copie de la lettre qu’il a écrite à Duchâtel après le succès. Je suis charmé et du succès et de sa joie. Je prendrai garde seulement qu'il ne croie pas que tout est possible.
Longues nouvelles de Madrid. Rien de vraiment nouveau. Bulwer malade. Assez malade, pour être dans son lit et ne voir personne. Je crois qu’il use beaucoup de la maladie. Pas mal d'inquiétude dans le gouvernement Espagnol et les deux Reines, sur les penchants et les projets du Cabinet anglais en faveur des Progressistes. Forte aigreur entre Madrid et Lisbonne jusqu'à craindre une entrée des Espagnols au Portugal ce qui y amènerait les Anglais. Bresson s'emploie beaucoup à calmer cela. De Berlin, commencements de réforme, dans l'administration de la justice, les codes, les procès. Le Roi entrant toujours en conversation et en discussion avec son peuple. M. de Canitz un peu mieux. Je vous renvoie la lettre de Lord John. Si vous lui écrivez, parlez-lui de moi, je vous prie.
Oui, je vous verrai le 13 au matin, et nous réglerons votre marche. Ma volonté sera ce qui vous plaira. D’abord ce qui vous sera bon. Au fond, je suis très exigeant très romanesque comme vous dîtes. Mais je ne me laisse pas être tout ce que j’aurais envie d'être. Pas même avec vous. Glücksbierg vient d’arriver. Jarnac arrive pour dîner. Je les renverrai demain tous les deux au château d’Eu, d’où Jarnac partira pour Londres et Glücksbierg pour Madrid en repassant par ici. Je tiens à causer de nouveau avec lui quand il aura vu le Roi. Je vous quitte pour écrire à Stockhausen qui m’a écrit, il y a plus de quinze jours, pour me presser. Grace à Dieu, cette affaire-là est finie Elle m’a bien ennuyé. Il me fallait absolument Lavalette. Je suis charmé que Bacourt apprécie l'habilité avec laquelle je m’en suis tiré. Adieu dearest. J’espère bien que votre mauvaise nuit n'aura pas eu de suite. Cette nuit, quand l’estafette du Rois m’a réveillé, j’ai été trois quarts d’heure sans me rendormir pensant à vous. Adieu. Adieu. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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23 Val Richer jeudi 6 août 1846,

Je croyais vous avoir dit que M. de Béarn était nommé à Hanovre, et que sa nomination serait ces jours-ci dans le Moniteur. Elle y sera après-demain. Oui, le Roi d’Hanovre a raison ! Et moi aussi. J’ai temporisé, traîné, attendu jusqu'à ce que j'aie pu arranger la nomination que j’avais absolument besoin d’arranger, celle de Lavalette, et qui dépendait de l'autre. Cela m'importait plus qu’un peu d'impatience et d'humeur du Roi d’Hanovre ce que je ne pouvais ni ne devais dire. Maintenant tout est au gré de tout le monde. Si je n’avais pas attendu le moment favorable, rien ne serait au gré de personne. Ce qui n'empêche pas que vous n’ayez, vous, parfaitement raison de me remettre sans cesse sous les yeux ce que j’ai à faire. Je le crois bien que vous ne vous gênez pas de me dire ce que vous pensez, discours ou actions. L'expression m'a presque choqué. J’ai droit à tout ce que vous pensez, à ce qui peut me déplaire comme à ce qui peut me plaire. Et vous vous me plaisez toujours ; jamais plus que par la sincérité parfaite si vous saviez à quel point la flatterie m'ennuie ! Je devrais dire m'humilie. C'est le mot propre. J’ai toujours envie de dire aux gens : " Vous ne savez donc pas ce que je suis ? "
Je vous renvoie la lettre de Bacourt. Intéressante. Et je vous envoie aussi la mienne Curieux bruit. Je n’y crois pas. Tâchez de découvrir s’il y a à cela quelque fondement, et renvoyez-moi, je vous prie, la lettre de Bacourt qui ira ailleurs. Voilà qu’on m’annonce trois visites qui m’attendent en bas. De gros bonnets du pays. Je suis, avec eux, dans la lune de miel. Je ne veux pas les faire trop attendre. J’aurai Glücksbierg demain matin et Jarnac demain soir. Je ne me fais pas du tout encore une idée nette de Palmerston sur le mariage Espagnol. Les protestations de W. Hervey ne m’ont pas convaincu. Pour peu qu’il faille résister à la Reine et au Prince Albert, le cœur leur manquera. Nous verrons. On s'attend en Espagne à des conspirations, des insurrections. Palmerston sera aussi faible avec Espartero qu'avec Buckingham Palace. Adieu, dearest. Quel ennui de vous quitter ? Ce serait bien pis si vous étiez là. Il fait très beau aujourd’hui. Hier, orage continuel. Le temps qui vous étouffe me déplaît, quel qu’il soit. Adieu, Adieu dearest beloved. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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22. St Germain Mardi 4 août 1846

Je suis revenue ici hier au soir avec un accroissement de 25 voix à votre majorité. Je suppose que vous en perdrez un peu aujourd’hui, mais en attendant ce début était bon. J’ai vu en ville lady Cowley W. Hervey, Fleichman. Rien de nouveau de Londres grande vraisemblance qu'on ne dissoudra pas le parlement, et qu’en le laissant faire son temps ou s'affermira dans l’intervalle car Peel n’est pas mur, & les protectionnistes impossibles. C’est bien ennuyeux d’avoir à s’accommoder ou s’incommoder. des Whigs pour longtemps peut-être. J’ai écrit hier à Lady Palmerston. La journée hier était fraîche charmante pour la course ; aujourd’hui la chaleur est revenue. Je suis triste, j’ai laissé en ville votre lettre, c’est la première fois qu’un accident pareil m’arrive. Aucune importance à cette lettre pour personne, Mais pour moi ! Pouvez-vous me dire si le roi ouvre les Chambres le 17 ? Ou si, comme plusieurs personnes me le répètent, il n’y aura de séance royale que pour les proroger. Lady Cowley est en bien mauvaise humeur. Le moi domine dans tout. Ce n’est pas une personne aimable. Je suis bien enracinée de ce que Jarnac vous rapportera de Londres par suite de votre lettre de jeudi.
Midi Voici votre N°20 charmant. Mais ne vous revenez pas tant, reposez-vous. Je m'agite et m'échauffe en pensant que vous n'êtes jamais tranquille. Je vous prie soignez-vous. Je suis bien fâchée de M. J. Lefebre non révélé. Et ces lois sur les patentes qui devaient faire un si bon changement dans les élections ? Vous voyez que je me souviens ce soir vous saurez sans doute à peu près tout, ou demain matin. En somme il me parait que vous aurez gagné. J’ai seulement peur comme vous que ce ne soit trop. Cependant il vaut mieux cet embarras que l’autre. Adieu dearest. Qu’est-ce que sont pour moi les élections ? et tout le reste ! Je veux seulement que vous vous portiez bien & vous revoir bientôt, bientôt. Je vois avec grande joie que les deux soirées vous restent bien dans le cœur. C'est juste. Adieu dearest.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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23 St Germain le 5 août 1846 J’étouffe. Les nuits sont comme le jour, et je n’en puis plus. Vous aimeriez cela probablement. J’espère que vous voilà ce matin bien tranquillement au Val- Richer, il me tarde de l’apprendre. Je n'ai vu hier que Fleichman qui est venu dîner. Il a parlé avec quelqu’un qui avait dîné la veille avec Thiers & Odillon Barrot. On savait déjà que les élections vous étaient très favorables. O. Barrot s'en est montré très satisfait. Il a dit que ce qu'il désirait était une majorité de 40 voix pour l'opposition, ou de 120 pour le ministère. Qu’avec cela les embarras deviendraient très grande et que la désunion ne manquerait pas de se mettre bientôt dans les rangs de votre arrivée. Voici votre lettre, thank you dearest. Vous étiez content et je le suis pour vous. Il me semble que vos affaires vont bien. Je reçois pour vous une lettre de Bacourt. Je vous envoie aussi celle qu’il m'écrit. Le duc de Montpensier fera-t-il une pointe en Allemagne ? A propos Schachten a reçu du roi de Hanovre l’ordre de s'assurer d'une manière positive si M. de Béarn est ou n’est pas nommé à Hanovre car s’il ne l’était pas on dénommerait Stokhann ? & dans tous les cas il ne reviendra ici que lorsque le Français sera arrivé là- bas vous savez que je trouve, sans aucune précaution que le Roi de Hanovre a parfaitement raison, & j’aurais certainement fait comme lui seulement un peu plutôt. C’est tout juste aux petits qu’il ne faut pas manquer. Dites-moi quel jour je puis vous espérer. Venez-vous pour le concours. ? Je vous fais bien des questions aujourd’hui. Répondez-y. Adieu dearest, je t'aime. Adieu. Je puis vous faire compliment de votre discours à Lisieux l e 2. Celui-là à la bonne heure. Vous savez que je ne me gêne pas.

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Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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22 est-ce vrai ? Val Richer Mercredi 5 août 1846 9 heures

Nous somme à 28 voix de gain sur 385 élections connues hier à midi. Nous avons  230 élections contre 135. En supposant que, dans les 74 élections à connaître, toutes les chances douteuses tournent contre nous, nous aurons toujours de 80 à 90 voix de majorité. Très probablement nous en aurons 100. C’est très assez. Mais je dis comme vous, mieux vaut cet embarras que l'autre. Grand résultat. Rossi m'écrit : " Rome est aussi impatiente que moi de connaitre le résultat de vos élections. Elle sait parfaitement tout ce qu'elle a à perdre ou à gagner à votre jeu. Et Montebello : " Voilà à Rome un grand acte d’amnistie. Ici on est je crois, disposé à adopter une mesure semblable. Le Roi a un peu de dépit de s’être laissé devancé. Tout tient à la façon dont nous sommes gouvernés. Sans sortir de mon petit coin d'Italie, il n'y a plus, dans cette Péninsule, de parti Autrichien. Je ne dis pas parmi les peuples, mais parmi les gouvernements que nos affaires changent de direction et tout cela, changera bientôt. Au contraire, qu'une bonne Chambre assure à votre Ministère aux yeux de l’Europe encore cinq ans de durée, et les conséquences, de cet état de choses se développeront, au grand honneur de notre pays. " Je continue à vous montrer mes satisfactions orgueilleuses. Autre nouvelle de Montebello. " Le Prince de Schwartzenberg vient d'avoir ici une bonne fortune qui a fini par un éclat, et une séparation de la Dame et de son mari. Le Roi n’entend pas raison sur cet article-là, et je doute que Schwartzemberg puisse rester ici. On dit qu’il va prendre un congé et qu’il ne reviendra plus. On dit aussi qu’il sera remplacé par Neumann. " Lisez cette lettre de Stuttgart et renvoyez-la moi sur le champ, je vous prie. J’y vois la persistance du grand souverain et l'impuissance du petit. Lisez aussi cette note sur le Caucase. Venue de bonne source. Et renvoyez-la moi. Quoique la guère, ne vous touche guère, ceci vous intéressera un peu. Le Roi ouvrira la session en personne, le 17. Un pur compliment renvoyant le discours politique et par conséquent l'adresse politique, au mois de de Janvier. Puis la vérification des pouvoirs. Puis la constitution du bureau de la Chambre. Puis, un compliment de la Chambre au Roi avec le même ajournement de la politique. Voilà le plan qui, même sans dérangement, prendra bien trois semaines. J’aurais Jarnac ici après-demain. Et dans les 24 heures, je l’enverrai au château d’Eu. Il a, me dit-il, bien des choses à me dire qu’il aime mieux ne pas m'écrire. 2 heures J’ai été assailli de visites. Je les recevrai avant par utilité. Je les reçois après par convenance. L’heure me presse. Adieu. Adieu.
J'espère partir mardi prochain 12, le soir pour être à Paris, le 13 au matin. Vous n’avez pas d’idée de l'effet que font ces élections dans le pays. Ce sont les premières élections vraiment gouvernementales qu’on ait vues depuis 1814. C'est le propos universel. Adieu. Adieu dearest.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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21 Trouville sur mer. Mardi 4 août 1846, 7 heures du matin

Je compte, je recompte. Je suis sévère. La partie est gagnée, gagnée au delà de mon attente. Sur 201 élections connues ce matin, nous en avons perdu 4, gagné 25. Reste 21 en gain, c’est-à-dire déjà 42 voix de différence en plus sur l'ancienne majorité. Il y a vingt à parier contre un que les 259 élections encore inconnues ne changeront pas en mal ce résultat. Bonne affaire. L'avenir n’en sera pas moins laborieux ; mais nous l'aborderons en excellente situation. J’ai eu confiance depuis seize ans dans le bon droit du bon sens. J’ai eu raison. C’est un grand plaisir. J’ai eu hier deux estafettes l’une à 5 heures, l'autre à onze. Celle-ci m’a réveillé. Je venais de me coucher. Mais je ne me plains pas. J'en aurai deux aujourd’hui qui m'apprendront à peu près tout. Vous aurez su tout cela avant moi. Tant mieux. J’aime votre plaisir au moins autant que le mien.
Beau temps ici, malgré quelques ondées soudaines. La mer toujours aussi belle. Décidément, de tous les spectacles naturels, si ce n'est pas le plus magnifique (la terre a dans les grandes montagnes et les grandes forêts, des aspects supérieurs), c'est le plus constamment saisissant et intéressant. Je vous écris, au bruit de la marée montante qui monte et vient mourir sous mes fenêtres. Je passe la journée ici, et à 6 heures, je retournerai au Val Richer, remmenant Pauline à qui les bains de mer ont parfaitement réussi. Point d’autres nouvelles, comme de raison. Le monde en suspens, du moins le monde en France. Le Roi m’écrit qu'il est parfaitement content de la conversation du Prince Royal de Bavière qui a passé samedi, et dimanche au château d’Eu et qui a dû quitter Dieppe hier pour le Havre, et puis pour Paris. Le Prince Jean de Saxe a donné sa démission du Commandement en chef des gardes nationales saxonnes. Une revue générale approchait & on a cru, lui compris, qu'après l'affaire de Leipzig l’an dernier, il ne pouvait s'y présenter. La dernière session des Chambres a fait faire, au parti Constitutionnel en Saxe, un progrès décisif. Ne dédaignez pas la Saxe. De tous les petits états allemands, c'est celui où j’entrevois le plus de bon sens politique. Adieu dearest. Je vous reviendrai après l'arrivée de mon courrier. Je l’aurai un peu plus tard ici qu’au Val Richer. 9 heures et demie Bonnes nouvelles encore, malgré quelques pertes cruelles. 25 voix de gain net sur 323 élections connues. Je regrette beaucoup MM. Jacques Lefèvre à Paris et Alphonse Périer à Grenoble, sort inévitable des batailles. J’attends ce soir les détails. Génie ne m’a envoyé que les chiffres. Je garde la lettre de Lord John. Je vous la renverrai bientôt. Jarnac doit arriver aujourd’hui à Paris. Je l’aurai au Val Richer du 8 au 10. Adieu. Adieu. J’ai là une foule de lettres insignifiantes, où il faut des réponses indispensables. Adieu comme à St. Germain. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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21. Paris lundi 3 août 1846 1 heure

Génie, insupportable homme traîne votre lettre dans sa poche & ne m’arrive pas. Je l'ai prévenu que je venais, je l'ai prié de me faire trouver ma lettre ici. Il ne lit pas ce que je lui écris. Que faire. J’attends et je grille. En attendant je ne sais what to make out of your elections. Paris n'est pas bon. Vous n’en avez que deux. J’espère que le pays vaudra mieux. Hier [Lorvujelen?] est venu me voir le matin, & Balabius est venu dîner. Rien, pas un mot de nouvelle. [Georgia] sort d'ici. Elle ne sait rien non plus, sinon, que Lady Palmerston n’a pas encore dîné chez la Reine quoiqu’il y ait eu des dîner. Les Cyley se disposent à partir le 25 ou 26. Voici une lettre de lord John. Je vous croyez devoir l’envoyer plus loin vous pouvez le faire. Jarnac vient de me faire parvenir ma correspondance avec Lord Grey.
3 heures Enfin Génie, avec votre petit mot & d’excellentes nouvelles sur les élections. Vous concevez que je suis contente. du monde, pas moyen de les laisser-là. Je n’ai que le temps d'un long et bon adieu bien tendre.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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19 ou 20 Lisieux, Dimanche 2 août 1846

Ceci est pis qu’hier. Je vous écris du collège même, au milieu des électeurs qui votent pour moi. Tout mon temps leur appartient. Je suis parti du Val Richer à 7 heures. J'y retournerai à 9 heures tout va bien ici et dans les environs. Merci du N°19. Il fait moins chaud aujourd’hui, si le chaud vous fait mal, je finirai par me brouiller avec lui. Vous ne m’avez pas donné des nouvelles de votre estomac. J'en veux. Adieu. Adieu. Je ne sais ce que vous dis. Il y a là dix électeurs qui me parlent à la fois. Demain vaudra mieux. Adieu. Adieu dearest. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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20 Val Richer, Lundi 3 août 1846

C’est fini ici. S’il en était ainsi partout, il n’y aurait certainement pas assez d’opposition. Il en faut plus que cela. Mais je suis tranquille ! D'après ce qui me revient, la lutte est extrêmement vive dans les environs. On s'est presque battu à Bernay et un peu battu à Cherbourg. Aucun résultat n'était encore connu hier à 9 heures, quand j'ai quitté Lisieux. Je me suis levé ce matin de très bonne heure pour dicter encore quelques paroles de remerciement que j’ai dites hier, quand l'élection a été proclamée et qu'on a voulu absolument recueillir. Elles ont bien réussi. Je retourne à Lisieux ce matin à 10 heures, pour entendre, lire et signer le procès verbal du Collège électoral. Puis, j’irai à Trouville, avec ma mère et Henriette, pour y chercher Pauline et la ramener demain au Val Richer que je ne quitterai plus que pour aller vous retrouver, vous mon seul vrai plaisir, mon plus charmant repos. Oui, nous retrouverons ensemble des soirées comme les deux dernières : nous irons les chercher. Leur parfum ne s'est pas encore évanoui.
Je suis un peu fatigué. J’ai eu hier & avant-hier deux déjeuners, et deux dîners assommants. Je n’ai certes pas plus mangé ni bu qu'à mon ordinaire, mais l'estomac se fatigue de ce qu’il voit comme de ce qu’il prend. Et l’assiduité, tant d’heures durant à une conversation si insipide, & qui ne doit pas un moment en avoir l’air ! J'y réussis très bien. Je ne fais pas les choses à demi. J’attends bien impatiemment l’estafette qui m’apportera les premiers résultats. Elle ne sera pas encore arrivée à Lisieux quand j’y passerai tout à l'heure. On me l’enverra à Trouville. Vous aurez tout cela avant moi. Castellane m’écrit de ses montagnes : " Je crois moi, au grand succès dans les élections ; ce qui est très juste, car l'opposition est enviable et ce qui donnera de grands devoirs au parti conservateur. J’irai à la petite session, à moins qu’elle ne soit tout-à-fait une forme. Je m’attends en effet, en cas de grand succès aux exigences du parti conservateur. Il se sentira à son aise et voudra avoir quelques plaisirs de popularité. Nous verrons. Je vous quitte pour écrire au Roi. J’ai à lui envoyer une lettre de Bresson qui ne m'apprend pas grand chose. Plus j’y pense, plus je me persuade qu’à Londres on n’a pas en effet dessein d'entrer en lutte avec nous. Mais je crains leur faiblesse, faiblesse pour la Reine, faiblesse pour Espartero faiblesse pour les préjugés des journaux. Ils ont besoin de tout le monde, et l’âme pas bien haute. Je n’ai pas autre chose à faire que ce que je fais. Adieu. Adieu. En attendant votre lettre.
8 heures. La voici. Charmante. J'y comptais. Quand j’ai lu et relu, je passe aux affaires. Il y en a beaucoup aujourd’hui mais rien d'important. Deux lettres du Roi qui se porte mieux que jamais. " Toutes nos santés sont bonnes, me dit-il, la forte secousse que la Reine et ma sœur ont éprouvée est bien passée. Quant à moi, je suis à merveille, et je fais faire un peu d'exercice au Ministre de la guerre, dans mes promenades dont je jouis beaucoup. ". Et dans la seconde : " Je vais me promener dans mon char à bancs. Hélas ! avec escorte ! " La formation des bureaux, que m’apportent les Débats, est de bon augure. Adieu. Adieu. Je vous écrirai demain de Trouville. Je n'en reviendrai que le soir. Soyez tranquille. Ni assassin, ni rhume. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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20 St Germain Dimanche le 2 août 1846

Voilà donc votre grand jour d’élection. Comment cela ira- t-il ? Hier des bruits sinistres étaient fort répandus à Paris. Le Roi blessé au bras, le roi tué comme cela revenait de tous les côtés j’ai eu quelques heures de grande inquiétude. Thom est venu la dissiper. Il avait été aux enquêtes. Tout cela était menti. Dieu merci. Rien de nouveau pas Thorn. Personne ne voit Armin. Il vit tout-à-fait renfermé sans contact avec aucun de ses collègues. Assez mal vu d'eux tous, parce qu’il ne leur a jamais encore fait visite. Il se pose en ambassadeur, & les autres n’acceptent pas cela. Thorn inquiet de sa monarchie disant sur cela des choses fort sensées. Les longs règnes des rois ou de Ministres ne valent rien, parce qu’on veut continuer comme on a commencé et cela n’a plus le sens commun lorsque les autres avancent. Savez-vous que c’est vrai, & que tout ce qui a duré longtemps a pauvrement fini ?
Voici votre lettre, charmante et moi aussi je t'aime, je t’aime. C’est si charmant de nous aimer, mais il faut être ensemble. Et voici encore bien des jours à venir qu'il me faut passer seule. Au moins pas d’accident, pas de rhumes, rien je vous en prie qui puisse m'en inquiéter. Je vous dis une bêtise, car je m’inquiète tout de même cette nuit de l'orage. Aujourd’hui bonne pluie bien nécessaire, j’étouffais. Adieu. Adieu cher bien aimé. Vous voyez que l’exemple gagne. Je m’émancipe Voici Brougham. J’aime ces ferveurs. Mon fils Alexandre me mande de Kramsach qu’ils y ont eu un tremblement de terre. Paul est retourné à Londres. Adieu. Adieu. Demain j'irai à Paris chercher des nouvelles sur les élections, je commence à m’animer. Adieu dearest. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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18 Encore quelques lignes seulement à mon grand déplaisir. Mais il le faut absolument. J’ai dormi tard. J’avais besoin de dormir. Un orage m’a réveillé dans la nuit. Je me suis rendormi le matin. Je pars à 10 heures pour mon collège électoral. Soyez tranquille. Je prends ou fais prendre toutes les précautions dont je n’ai pas besoin. Je ne veux pas que rien n’arrive par ma faute. Je veux jouir avec vous, près de vous, de tout ce qu’il plaira à Dieu de me donner de vie.
A part le souvenir charmant de ces deux soirées, je suis charmé de savoir où vous prendre, où vous regarder, d'avoir vu le lieu, le salon, la chambre, les meubles. Vous aurez passé là un mois. C’est beaucoup. Je t’aime, je t’aime. Après tout, ma lettre bien cachetée est un lieu moins public que la terrasse de St Germain. Adieu comme je t'aime ! Rien de nouveau de Paris. La situation électorale gagne au lieu de perdre. Le Général Lamoricière n'a pas réussi dans sa réunion. du moment où vous recevrez cette lettre, la plupart des votes seront déjà déposés dans les urnes, et la question sera à peu près décidée. Le bon résultat sera très bon, et le mauvais, s’il y en a un mauvais, ne sera pas assez mauvais pour que j'en aie grand peur. Je suis, en tous cas décidé, à ne pas accepter une situation douteuse. Adieu. Adieu.
Voici une lettre de Brougham. Bien en colère. Renvoyez-la moi. Je lui écris de temps en temps. Quelques folies qu’il fasse et dise, il restera toujours un homme important, et je veux être toujours bien avec lui. Adieu. Adieu Val Richer samedi 1er août 1846. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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19 St Germain Samedi 1er août 1846

J’attends votre arrivée au Val Richer. Il fait bien chaud, bien beau ici. Kisseleff et Pahlen sont venus dîner hier, en belle humeur & ravis d'échapper à Paris. Fleichman était venu le matin, à moitié fondu. Point de nouvelles. Kisselef répétant que rien n’est éternel, et rien impossible, curieux, de ce que nous allons faire du nouvel attentat, à peu près décidé s'il vient une dépêche à la supprimer et à faire le compliment viva voce. à quoi vous diriez viva voce " toujours sensible à l’intérêt que ... fait temoigner " L’impression du coup de pistolet à Paris fort affaiblie puisque c’est si répété. Du dégoût, des réflexions déplaisantes, de la honte, voilà. Le duc de Poix était mourant hier. Sabine se marie, elle épouse M. Standick Anglais 23 ans, pas beaucoup de fortune, & gros & court. Louis de Noailles épouse dit-on Melle de Gallifet. Mad. de Nesselrode sera à Paris le 20 pour 15 jours. L’Empereur qui ne pouvait pas la souffrir et qui a passé 30 ans de sa vie à lui témoigner vient de découvrir que c'est une femme supérieure. Elle est en grande faveur, dont son mari rit beaucoup.
Voici vos douces paroles. Je suis parfaitement d’avis que nous en sommes encore aux découvertes sur notre propre compte. Charmantes découvertes. Imaginez de passer beaucoup de soirées comme les deux dernières. Et cet air si doux si pur. Cela y fait quelque chose. Et nous avons si peu si peu de ces jouissances Là ! Je vous prie prenez des précautions demain à votre élection, par complaisance pour moi. Adieu dearest Adieu. Je vais être curieuse après demain de ce qui se sera passé à Paris et plus loin. Je compte aller lundi matin en ville pour quelques heures. God bless you dearest. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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17 J’arrive. Peu fatigué. J’ai dormi. Très belle nuit, mais bien loin de la soirée. Ces deux soirées ont été charmantes. La seconde encore plus. Toutes les fois que nous nous retrouvons, il semble que nous fassions des découvertes. Je crois vraiment que nous en faisons. Rien n’est si inépuisable que de s'aimer. Et toujours si nouveau ! Ma mère et ma fille avaient été bien inquiètes. Hier de ne pas me voir arriver. Elles n’ont eu mon estafette qu'à 4 heures. Ce nouvel attentat fait en province, (je viens de voir trois personnes) un effet d'humeur et de colère impatiente. On s’irrite de cette bêtise obstinée à recommencer toujours, toujours pour rien. Cela dérange. Adieu. Adieu. Ceci n’est que pour mémoire. Je vais écrire quelques lignes au Roi pour lui envoyer ma lettre à Jarnac. Adieu dearest. Ce soir ne vaudra pas hier soir. Adieu. G. Val Richer Vendredi 31 Juillet 1846

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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St Germain jeudi 30 juillet Midi 1/2
Je ne reçois votre lettre que dans ce moment. Heureusement le journal des Débats m’avait tranquillisée. Point de Révolution, et vous à minuit 1/2 dans votre chambre. Je suis en gain dans toute cette affaire. Me voilà bien contente encore une bonne soirée. Nous nous débarrasserons de W. Hervey après le diner. Et il n’y aura pas de mal que vous lui ayez dit quelques mots. à 6 1/2 donc dearest et Adieu, Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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18 St Germain vendredi le 31 juillet 1846 Midi.

Je me suis sentie bien triste et perdue hier en entendant s’éloigner votre voiture. Comme les moments de bonheurs s'écoulent vite, & quel vide ils laissent dans le cœur. Je dis mal, le cœur est bien plein, bien riche. Mais comme la vie s'arrête ! Ah le gros souper que je fais là. Vous concevez que je n’ai pas de nouvelles à vous dire. Je trouve le journal des Débats très bien ce matin. Son article sur Thiers excellent. Le contistutionel embarrassé de coups de pistolet, mais je n’ai pas bien lu encore. La chaleur est excessive ce matin. Je vous écris dans le salon. Ma chambre n'est pas tenable. Je vous en prie prenez c.a.d. faites prendre des précautions. autour de votre personne. Cette mode de coups de pistolet m’épouvante. Vous avez beaux être populaire dans votre province, il a peut s’y trouver quelque mauvais sujet. Dearest prenez soin de vous. Adieu. Adieu, à mille fois cela. Encore quatorze jours. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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St Germain mercredi 29 juillet onze heures

Merci, merci du petit billet. J’attendrai dix heures avec impatience. Hervey est venu hier, confirmant encore le dire de l’autre jour par une autre voie je crois Stanley le [med ?] Pescatory avec lequel il est en correspondance Il m’a dit aussi que Palmerston avait certainement écrit dans une lettre particulière à Bulwer. Le cas qu'il devait faire du nom de Cobourg. Enfin, il a été plus affirmatif que jamais pour la bonne entente & le Enrique. La belle journée ! Je vous conjure de prendre en partant par le faubourg du roule pour aller retrouver la grande route près de Neuilly. Le passage est interdit par les Champs Elysées. D’ailleurs il y a trop de foule, je vous prie ne passez pas par là. Adieu. Adieu & au revoir.
Dans quelques heures, c’est charmant, mais ce sera si court ! Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Hier, en passant devant la Porte Maillot, j’ai fait demander au poste de gendarmerie, si le Roi était rentré à Neuilly. Il venait de passer en y retournant. J’ai été là, sur le champ. J’ai vu le Roi, la Reine, Madame. Le Roi vraiment toujours calme et résolu sans le moindre effort racontant les détails, discutant les explications. Quelque tristesse mais point de lassitude de son métier. La Reine très animée. Madame abattue. Personne ne sort de son caractère. Le garde des sceaux était là. L'assassin, un homme près de faire banqueroute, qui prétend qu’il a tiré non pour tuer le Roi, mais pour se faire tuer lui-même. Il a poussant dit quelques paroles et on a saisi chez lui quelques papiers assez significatifs. Le Roi a signé l’ordonnance qui défère le procès à la Cour des Pairs. Le jour de la convocation n’est pas fixé. Ce ne peut être que plusieurs jours après les élections. Je vais voir ce matin le Chancelier et les personnes qui doivent conduire l’instruction. Je me concerterai avec mes collègues. Puis, j’irai dîner avec vous et je repartirai de St Germain à 10 heures pour le Val Richer. L’instruction, dans laquelle je n'ai rien à faire, durera plus qu'il ne faut pour que rien ne soit changé à nos projets. Le Roi est parti, tout à l’heure, à 8 heures, pour le Château d’Eu. Il ne change rien non plus à ses projets. Il a raison. Adieu. Adieu. Je voudrais écrire ce matin à Jarnac avant de sortir. Adieu. Avant 6 heures et demi. Hier a été charmant jusqu’à ce triste incident. Le billet était de Delessert. Adieu. Adieu. G.
Paris jeudi 20 Juillet 1846
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