Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Baudrand, Marie-Etienne-François-Henri (1774-1848)
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Hier, je dînais au château des Tuileries : après le repas, lorsque le roi eut congédié la plus part de ses convives, sa majesté vint à moi, me demanda si j'avais eu de vos nouvelles ; sur ma réponse négative, le prince me dit : je vois que M. Guizot est bien accueilli par les hommes de tous les rangs de la société, à Londres, et qu'il y jouit d'une juste considération, j'espère que cette considération s'accroitra encore, et que notre ambassadeur conservera cette position qui lui plait, qui lui est avantageuse et dans laquelle il peut bien servir la France et le roi. Je trouve seulement que, dans ses dernières lettres au président du Conseil, M. Guizot parait trop préoccupé des dispositions de l'Angleterre qui lui semblent douteuses envers nous. Guizot est enclin à croire que les ministres anglais traiteront avec les puissances étrangères sur les affaires de la Turquie sans nous.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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106. Ems le 29 juillet 1854

J'ai été voir hier ma grande Duchesse Marie de Weimar, à Coblence où elle est en visite de quelques jours chez sa fille la princesse de Prusse. Grandes tendresses. Grande tristesse. Je l’ai trouvé très russe mais sensée. La princesse de Prusse fort modérée dans son langage. Un éloge de l’Empereur Napoléon. Ma course & la Conversation m'ont fatiguée. Ma Grande Duchesse est plus sourde que le Prince Metternich.
Morny va mieux et se décide à rester à Ems. Je voudrais bien amener à Ems Léon de Schlangenbad. J’y resterais bien volontiers mais il n’y a pas moyen comme j'aimerais continuer ces conversations deux fois. le jour. Morny est décidément très agréable, & suis tout à fait fâchée le quitter.
On s’attend à Paris à l'accession de l’Autriche au traité Franco anglo turc, dans 10 jours. St Arnaud, dit on, se prépare à une bataille. rangée sur le Danube. On ne parle plus de la Crimée. Je n’ai pas de nouvelles de Pétersbourg. Voilà bien de la confusion à Madrid. Je pense qu'Espartero gouvernera cette révolution. Greville s'inquiète à l’idée qu'on puisse s'en mêler. Il dit que l'Angleterre n'a plus un soldat, ni un vaisseau à fournir. Il espère que la France verra faire sans prendre la moindre part. Que dites-vous de l'Angleterre prenant à sa solde une armée Turque à laquelle elle fournira ses officiers ? C'est comme les pays. La voilà maîtresse en Turquie comme elle l’est aux Indes, nous avons fait de belles affaires ! Elle a bonne grâce à nous reprocher notre ambition envahissante. Mais sans compter la Turquie que cela fait disparaître, ça peut s' arranger la France & d'autres ? Quels événements !
Metternich n’a pas eu plus de part à la conduite de son gouvernement que vous et moi. Tout cela était inventé de même Aurep. Il écrit à sa femme qu'il se porte très bien. Jusqu’ici la Prusse résiste quand même l’Autriche marcherait. Mais on lui demandera très net de dire oui ou non. Je doute qu’elle ose l'un où l’autre. Alors quoi ? Adieu. Adieu.
J’apprends que l'ordre vient d’arriver de Berlin de mobiliser l’armée. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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71 Bruxelles le 30 mai 1854

Melle Cerini m’est arrivée hier saine et sauve. Et aujourd’hui j’ai eu votre premier mot du Val Richer. Nous ne sommes guère avancés ici, ici pour la guerre ni pour la paix. Tout ce que vous & d’autres me disent me fait regarder celle-ci comme désespérée. Quand je pense à notre joie le 5 avril, jour de votre départ ! 24 heures d’illusion ! Que vais-je donc devenir si cela dure ? Pas un Russe ne peut rentrer en France pas plus qu’un Français en Russie.
En attendant je me tracasse de ne pas entendre parler de mon bail. Grande bêtise, je ne reverrai peut-être Paris jamais, mais je veux garder mon nid. Vos troupes vont donc garnir Athènes. Rome, Athènes, Constantinople ! Certainement votre Empereur fait très bien ses affaires et nous ne l'y avons pas mal aidé.
Mes habitués commencent à se chagriner de mon prochain départ. Je vais faire vide ici comme à Paris. à quoi cela est-il bon, je n’y ai pas le plus petit plaisir de vanité. Je n’ai plaisir à rien. La guerre m’a complètement démoralisée.
Pas de Montebello, ni de ses nouvelles. Vous verrez qu'il arrivera lorsque je serai partie. Tout va de travers. Je n’ai point de lettre. Constantin me néglige fort. Nous nous querellons un peu. Il est vraiment un peu ... bête. Adieu. Adieu. Hélène parle souvent de vous. Olga est devenue ma grande favorite. Elle m’accompagne à la Cambre & me divertit fort. Très exaltée & spirituelle, et si jolie. Vous savez comme j’ai le culte de la beauté. Adieu

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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69 Val Richer. Mardi 16 Mai 1854

Je doute qu’à Paris, on soit aussi certain du concours de l’Autriche qu'on le dit à Bruxelles. Il me revient qu'en définitive on y compte peu, et qu’on s'en explique vertement. Je reviens toujours à mon dire ; si la guerre se prolonge, elle deviendra révolutionnaire ; Italie, Hongrie, Pologne, tout ce qui est inflammable s'enflammera, et nous recommencerons 1848. Il fallait le concours de tous les grands gouvernements pour contenir la révolution. Votre Empereur a rompu le concours, en persistant à vouloir, faire en Orient bande à part. Il n’y a plus d'Orient ; et pour peu que ceci dure vous verrez que l'Occident et ses questions sont toujours tout.
Je trouve un peu puérile votre persistance à faire tant de distinction entre la France et l'Angleterre ; distinction toujours repoussée. Cela n'a pas beaucoup de dignité, et pas beaucoup plus d'habileté, surtout après la publicité de ces conversations où vous teniez si peu de compte de la France. Dans les pays où le silence règne, on se trompe toujours sur l'effet des actes et des paroles dans les pays où l'on dit tout.
Je suis bien aise que vous ayiez Montebello. Le garderez-vous quelques jours ? Andral a-t-il donné une nouvelle réponse sur Ems ou Spa ? Pure curiosité puisque la bonne résolution était prise. Il est bon que la princesse Kotschoubey soit encore quelques mois avec vous pendant que Mlle de Cerini s'y établira. Elle lui donnera le bon avis. Vous m’avez fait envie avec le bois de la Cambre et le beau soleil. Ici, je ne me promène guère que dans mon jardin. Je ne m’y promènerai pas d'ici au 27. Je pars ce soir pour Paris, par un très vilain temps ; il pleut et il fait froid. Ma fille Pauline va bien. Adieu, Adieu. Je vais faire ma toilette en attendant le facteur.
Midi
Adieu. Votre lettre est curieuse. Je vous écrirai après-demain de Paris. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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65 Val Richer Vendredi 12 Mai 1854

Ce qui se passe en Grèce et quant à la Grèce est déplorable à lire. Depuis plus de 30 ans, je me suis accoutumé à porter intérêt à ce petit état. De 1840 à 1848, je l’ai soutenue contre votre domination exclusive et contre le mauvais vouloir anglais. La conduite qu’il tient en ce moment, roi et pays, est très imprudente, mais très naturelle, et il n’y a dans la Grèce même, personne, ni Roi, ni chambres qui soient en état de l'empêcher quand ils le voudraient. Je suis choqué du langage qu’on parle à ses pauvres gens. Je suis sur qu’on pourrait peser sur eux et les contenir un peu avec d'autres façons et d'autres paroles. Nos soldats iront-ils faire en Grèce, au profit des Turcs, ce qu'y faisaient les Égyptiens de Méhémet Ali quand nous y avons envoyé une armée pour les en chasser, et ferons-nous, contre la marine grecque, un second Navarrin ?
Détruire successivement, dans la Méditerranée, les marines Turque, Russe et Grecque c’est beaucoup. Cette affaire d'Orient tournera mal pour l'Europe ; la politique ne peut pas se mettre à ce point en contradiction avec la religion, avec les instincts populaires, avec les actes, tout reçus, des gouvernements eux-mêmes. Plus j'y regarde, plus je me persuade que, si on n'en finit pas promptement, on tombera dans un odieux Chaos. Que signifie ce qu’on écrit de Vienne sur de nouvelles propositions que l’Autriche, après avoir occupé la Bosnie, adresserait à la Russie, et que M. de Meyendorff aurait trouvées acceptables ?
Le bruit se répand ici, parmi le peuple, que le recrutement de l'armée prochaine sera avancée, et qu’on prendra six mois plutôt 80 000 hommes. On s'en attriste ; mais on s'y résigne. La guerre et ses conséquences n'étonnent et ne choquent jamais beaucoup ce pays-ci même quand elles lui déplaisent Du reste, il ne me revient rien qui me donne lieu de croire que ce bruit soit fondé.

Onze heures et demie
Je serais bien fâché qu’il arrivât malheur à ce pauvre M. de Meyendorff. Il me semble que je le connais. Adieu, Adieu.
Voilà enfin le rapporte détaillé de l'amiral Hamelin. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
Cette lettre ne figure pas dans les dossiers de la correspondance Guizot-Lieven. On passe du n°45 au 47. Mais Dorothée fait bien référence à une lettre du 12 août 1853, dans sa lettre 47 de Schlangenbad, du 15 août 1853.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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17 Bruxelles le 22 mars 1854

Quel ennui que ce N°15 égaré ou retardé ! Je crois que j’y répondais à votre charmant projet de me me voir. J’accepte la date avec bonheur. Dites-moi quand vous aurez reçu cette lettre chanceuse. On est très vif ici à propos de la nouvelle de Constantinople. Certainement l'envoi des troupes dépendait des consentements de la porte à la demande d'émancipation des Chrétiens. Si cette émancipation est vraiment obtenue et on y croit, et si mon empereur à la bonne foi & le bon esprit de s'en tenir pour satisfait voilà la guerre évitée, mais c’est trop beau pour croire à ce facile dévouement.
Lord Holland & M. Barrot se sont rencontrés chez moi hier, bien contents & tous deux bien pacifiques. J’ai été très contente du langage de l'Anglais, un grand changement depuis huit jours. Le français avait toujours été convenable et bien. On annonce Brunnow pour aujourd’hui. Quelle curieuse correspondance que celle qu’on vient de produire au parlement. Pauvre dépêche que celle de lord John, mais quel entrain de mon empereur. Dites-moi je vous prie votre avis de tout cela. La publi cation ne me paraît pas une chose bien inventée, pourquoi avons-nous provoqué cela ? à tout instant je me sens le besoin de vous interroger, de vous entendre. Je n’ai pas encore lu cette correspondance jusqu'au bout. Mes yeux sont très capricieux. Je les croyais mieux, ils sont repris. Le temps est froid. Je serai charmée de vous savoir revenu à Paris.
Adieu. Adieu, je suis restée deux jours sans vous écrire à cause de votre absence. J'ai eu peut être tort, mais je croyais que mes lettres reposeraient à Paris. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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19 Paris. Jeudi 16 Mars 1854

Si de part et d'autre, on ne voulait réellement que ce qu’on dit, l'occasion serait belle pour arrêter encore, les milliers de bouches à feu près de tirer, voilà les Turcs en train de faire pour les Chrétiens, Catholiques, Protestants ou Grecs, bien plus que vous n'avez jamais demandé, pour eux. Pourquoi votre Empereur ne déclare-t-il pas que cela étant, la guerre n'a plus le motif, qu’il ne veut pas la faire et qu’il demande pourquoi, on l’a lui fait ? On serait peut-être un peu étonné, mais très embarrassé. J’ai peur qu’il ne le fasse pas. Et pourtant, s'il ne le fait pas, ce sera plus que jamais à lui que l'Europe s'en prendra de la guerre, car, pour tout ce qu’il a fait depuis un an, il n’a allégué d’autre motif que le motif religieux, la nécessité, pour lui, de protéger l'Eglise grecque. Et en ce moment, c’est au sentiment religieux de son peuple qu’il fait appel pour populariser la guerre. Voici ce qui arrivera probablement. La Russie fera la guerre, à l'Europe pour garantir aux Chrétiens grecs, de Turquie des privilèges très inférieurs à ceux que la Turquie leur accorde. L’Europe fera la guerre aux Chrétiens grecs pour les forcer à accepter ce que la Turquie leur accorde. En soi, cela est absurde, et bientôt, aux yeux des hommes religieux, cela sera odieux. Et si, comme cela encore est probable, l’Europe est elle-même bouleversée, de nouveau par cette guerre, devenue révolution, un jour ne tardera pas à venir, où il n’y aura ni assez de malédictions, ni assez de sifflets pour les auteurs d’une telle situation.
On n'aura, pour échapper aux malédictions. et aux sifflets, d’autre ressource que de dire qu’on voulait autre chose que ce qu’on disait. Triste apologie quand le jour du jugement est arrivé.
On disait hier, de bonne source, que tout était arrangé avec l’Autriche, qu’elle ne vous déclarerait et ne vous ferait point la guerre, mais qu’elle déclarerait son adhésion morale à la politique qui maintient l’intégrité et l'indépendance de l'Empire Ottoman, et qu'elle se chargerait de maintenir l’ordre, dans la Servie, la Bosnie et le Monténégro. On paraissait espérer que la Prusse en gardant sa neutralité, donnerait, à cette quasi-neutralité de l’Autriche, une approbation explicite. " Si on était sage, disait avant hier Morny, on se contenterait de cela, on le dirait tout haut, et on resterait en intimité avec l’Autriche, à ces termes. " Il a raison ; mais il disait Si. Et si on n’est pas sage, qu’arrivera-t-il ?
Voilà votre numéro 13. Vous avez un peu troublé Molé il y a quelques jours, en lui écrivant, par la poste, que vous aviez chargé M. de Mirepoix de lui remettre une lettre. Cela n’est pas de votre prudence ordinaire, et je ne dirai pas à Hatzfeld que vous m'avez écrit, par la poste aussi, de me servir de son courrier. Je lui ferai demander ce matin si son courrier peut se charger aussi des deux volumes, de Cromwell. Je pense que oui. Sinon, je vous les enverrai par une autre voie. Adieu.
Je vous ai dit, je crois, que je vais au Val Richer lundi, pour trois jours. J'en reviendrai Vendredi matin. Mon projet. est ensuite de partir le 21 mars et d'aller passer cinq jours avec vous, jusqu’au 5 avril au soir, d’un jeudi à un jeudi. On vient assez me voir le jeudi soir, et je ne veux pas y manquer souvent. J'espère que rien ne dérangera mon projet, et qu’il vous conviendra comme à moi. Adieu, adieu. G.
P.S. On m'assure que les nouvelles de Constantinople disent que la négociation en faveur les Chrétiens est loin d’être aussi avancée qu’on le disait. Au bal qu'a donné ces jours derniers le Roi Jérôme, on affirme que son fils Napoléon n’a pas paru, déclarant à son père que dans ces fonctionnaires Impériaux, il y avait tant d'ennemis de leur droit héréditaire qu’il ne voulait pas se mêler à eux. Le Roi de Naples se prêtera à tout ce qu’on voudra de lui ; mais il a demandé à être débarrassé de M. de Maupas qui intriguait trop ouvertement pour les Murat. De là le remplacement de Maupas par de la cour.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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12. Bruxelles mardi le 14 mars 1854

Vous avez bien de l’esprit, et j'en ai aussi. Votre critique de nos deux dernières pièces est précisément ce que j'en ai pensé et dit. J’aime bien ces rencontres. J’enverrai votre lettre plus loin, il est bon qu’on entende chez nous la vérité. Ah que tout cela a été mal conçu et mal conduit.
Mes yeux vont un peu mieux, mais ma tête, mon cœur, et toute ma santé générale ! Avec quelle tristesse je me réveille et je m’endors. Dans une vie si avancée retrancher tant de mois de jouissance, de bonheur ! Meyendorff a dit à Vienne : " Si la porte accorde l'émanci pation des Chrétiens, il n'y a plus de question d’Orient. " That is sensible. Qu'ils accordent donc il paraît trop qu'on s’était pressé ici de croire que c'était fait, ils n'ont obtenu encore que l'égalité devant les tribunaux et encore cela n'est pas tout à fait complet. Morny me mande que St Arnaud va à Vienne. Le sait-on ? On prend à Paris très bien la nouvelle attitude de la Prusse. Elle nous est favorable en tant que tout-à-fait neutre. Le temps ici est magnifique, mais je ne jouis de rien. Comment jouir quand on pleure. Adieu, des lettres, des lettres. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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10 Paris, Lundi 6 mars 1854

Ste Aulaire vient de me prendre deux heures. Il m’avait donné à lire toute l'affaire d'Orient de 1840 dans son ambassade de Vienne. Lecture parfaitement amusante aujourd’hui. On voit naître 1854. J’avais quelques observations à lui faire quelques additions à lui indiquer. Longue conversation. Il m’a beaucoup remercié, et moi lui. Cela vous amuserait beaucoup. Comme vous étiez au bout de tout, vous me manquez partout.
On trouve en général la lettre de votre Empereur plus habile que fière à la fois pacifique et entêtée ; des désirs pacifiques avec des résolutions. qui rendent la guerre inévitable.
Je ne sais rien quoique j'ai vu hier assez de monde, Dumon, Molé Duchâtel, Vitet, Noailles, Broglie. L’Assemblée nationale, était pour beaucoup dans la conversation ; elle reparaîtra le 6 Mai, après ses deux mois de pénitence.
Je remarque ce matin que, de tous les journaux, le plus impérialiste, l'Univers, est le seul qui, en publiant l’arrêté de sus pension de l'Assemblée nationale, publie aussi l’apologie qu’elle y a jointe hier, en paraissant pour la dernière fois.
On disait beaucoup hier que deux régimes anglais traverseraient, la France ; on affirmait même que le chemin de fer du Nord avait reçu ordre de se mettre en mesure pour les transporter. Je n'y crois pas. Ici aussi, il fait froid, mais avec un soleil superbe. J’espère que vos yeux vont mieux. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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88. Paris samedi le 12 Novembre 1853

Notre manifeste déplait ici. La critique du Moniteur est cependant assez mesurée, et entre nous il dit vrai sur l’af faire. Cette pièce est adressée au peuple russe plutôt qu'à l'Europe. Sans avoir trop menti nous prenons l'Empire pour de bons amis. Je suis curieuse de voir ce qu'on en dira en Angleterre. Je suis bien aise qu'on fasse mention des révolutionnaires.
Hier on débitait ici des nouvelles très favorables à nos armes. Je ne sais ce qu'il y a de vrai ou de faux. Constantin m'écrit sans cesse de patienter. Nous voulons que les Turcs s’avancent en nombre suffisant pour les écraser en masse. C’est fort bien, mais faut-il pour cela se laisser battre en détail ? Hier on parlait beaucoup fusion ; la visite des princes d’Orléans avait eu lieu ou allait avoir lieu à Frohsdorf. Fould même m’en a parlé comme d’un “on dit”. C’est une petite diversion à l’Orient.
Les Anglais à Paris traitent notre manifeste de bare faced lie, et disent qu'il aura pour conséquence la chute de Lord Aberdeen.
On parle de Victoire remportée sur les Turcs, je ne croire que quand je serai mieux renseigné. Adieu. Adieu. 1 heure.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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86 Paris Mardi le 8 Novembre 1853

Reeve est arrivé à Londres. Très sensé et ayant très bien vu toutes choses. Les Turcs se croyant sûrs qu'on les secourra énergiquement à la dernière heure, ne veulent plus entendre parler d'accommodement et croit que qu'au bout Radcliffe n’est plus écouté. Il n’a pas pu venir avec de la cour. Il se brouillera d'emblée avec Baraguey d'Hilliers. Mon correspondant de Londres a beaucoup de soupçons & on ne comprend rien à la mission de votre nouvel ambassadeur, et au cortège menaçant qui l’accompagne. On ne devine pas l'Empereur, le vôtre. On se tient sur ses gardes tout en vivant bien avec lui.
Voici votre lettre. Je crois à tout ce qu'on vous dit sur Lord Palmerston. Pacha est prié pour le 22. Je ne sais pas ce que veulent dire les répugnances de mon Empereur. Il est très pacifique mais il ne cédera rien sur le fond de ses prétentions. J’ai passé hier ma soirée en tête à tête avec Fould. Je n’avais absolument personne. Il a l’air fart tranquile, tout ce monde, le maître inclus, est content de sa situation et n’espère qu’à la faire durer.
Il n’y a pas de nouvelle du théâtre de la guerre. Si elle traîne comme les négociations il y a de quoi s’endormir. Hübner va à Fontainebleau le 14, jusqu'au 18. Kisseleff le 18 jusqu'au 22. [?] Pacha est prié pour le 22. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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85. Paris dimanche le 6 Novembre 1853

Je n'ai rien à vous raconter de nouveau. On parle d'une bataille gagnée ou perdue par nous. Si le gouvernement sait quelque chose, il le tient bien caché.
Meyendorff me mande que Lord Radcliffe est débordé. Aujourd’hui qu'il est sincère dans ses efforts pour le paix, il est impuissant. Nous ne passerons le Danube en aucune cas, sauf si vous envoyez des troupes. Alors nous soulèverions les populations grecques partout. Villeme est venu me faire une longue visite. Il me plaît beaucoup, malheureusement il part, il est nommée Président de Sénat. Il me fait un éloge très grand de la cour de Séville, vraie cour, brillante, digne, comme on n'en a jamais eu en Espagne. Énormes contraintes avec celle de Madrid. Grande popularité pour l'infante et son mari. La Reine n’est pas jalouse mais elle est en respect devant sa soeur quand elles sont ensemble ; la Reine Christine retourne à Madrid sous peu de jours. Narvaez doit y être, Villeneuve pense qu’il reprendra le gouvernement de l’état, pourvu qu’il n'aspire pas à celui du palais. Cela, la reine n'en veut pas. Grand dépouillement à cette cour de Madrid, moralement et matériellement.
Kisseleff & Hübner sont pris à Fontainebleau. Tous les diplomates qui n'ont pas été à Compiègne le sont également. La cour y va le 12. Il me semble que je n’ai plus rien à vous dire sa good bye & Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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84 Paris le 4 Novembre 1853

Vous voyez que voilà la guerre. C’est fini des notes dont je vous parlais, on va changer autre chose. N’est-ce pas ridicule toute la conduite de cette affaire ? L’action d'Omer Pacha est réputée très téméraire qui sait. On a tant dit. Il ne peut pas passer. Le voilà passé. Il occupe une portion de la Valachie où nous ne sommes pas entrés. Mauvais pays, malsain mais il peut se renforcer & avancer, & nous battre peut-être. Cela serait une bien mauvaise chance, il n’y aurait plus de terme. J'ai été avant hier à St Cloud faire visite à la [Grande Duchesse] Stéphanie qui m’en avait prié. Je l’ai trouvé changée. Une heure de conversation. Elle est très sensée, & bonne personne. En énorme terreur de la guerre. Toute charmée de l’Impératrice.
Mad. Kalerdgi, part vous Pétersbourg, je la regrette pour mon salon, quand salon, il y aura, car je suis encore à un pauvre régime. Les Mahon sont ici pour quelques jours. La cour va à Fontainebleau le 12. Kisseleff & Hübner y seront priés. Quel beau temps encore ! Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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83 Paris le 1er novembre 1853

Les nouvelles sont meilleures. [Greville] m'écrit de Londres qu'on venait d'y recevoir une très bonne communication de Nesselrode à Bual, très pacifique & facilitant. En même temps Radcliffe s'agite et de très bonne foi pour arriver à une bonne conclusion. Il venait d’accoucher d'une nouvelle note acceptable. Sur cela doit être arrivé un autre projet de Londres fort semblable à celui du Radcliffe, et on ne doute presque pas à Londres d’un bon résultat. C'est à la demande de Radcliffe que le sursis a été ordonné. Cependant qui sait ce qui se sera passé sur le Danube ? Je ne suis pas tranquille encore, mais beaucoup moins inquiète. Baraguey d'Hilliers n'était pas encore parti hier. Il amène beaucoup d’officiers. Ce serait de la comédie si les affaires sont aussi avancées qu'on le dit. Je ne doute pas que Léopold n'ait beaucoup travaillé à Londres, et là est le point essentiel puisqu'ici on ne fait qu'obéir. Je vois assez les Cowley. Les autres n’aiment pas à venir le soir, ils craignent les questionneurs, je les vois le matin. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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82. Paris le 31 octobre 1853

J'espère que votre rhumatisme sera passé quand vous recevrez ceci. Cowley que j’ai vu hier on dit qu’on a élaboré une nouvelle note à Constantinople et que c’est en conséquence de cela que les ambas sadeurs ont obtenu un sursis aux hostilités. Ce n'est donc que demain qu'on commence si l’aventure devant [?] n’est pas regardée comme la guerre. Ce n’est pas nous qui avons tiré les premiers. Nous avions le droit de naviguer sur ce point, il est au-dessous de l'embouchure du Pruth. Il me paraît que les flottes ne feront rien à moins que nous ne franchissions le Danube. Si nous le passons ce sera cas de guerre pour l'Angleterre et pour Cowley est la France, convaincu que jamais nous ne sortirons des principautés. Baraguey d’Hilliers part ce matin avec un personnel considérable. On s'agite beaucoup ici, mais on fait un peu comme vous on ne croit pas encore à la guerre. Quand je pense que depuis 6 mois, chaque pas fait pour la détourner y a mené tout droit je ne puis pas concevoir qu'on se livre à l'espérance du contraire.
En attendant je ne dors pas. Sur huit nuits blanches j'en ai une passable. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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81. Paris Samedi le 29 octobre 1853

Lord Cowley est venu causer longtemps avec moi. Il me reste de cette conversation l'impression positive que les Anglais nous attaqueront sur la mer noire. Il ne me l’a pas dit, mais c’était trop devinable, et au besoin j'en ai eu la confirmation par Morny, qui a l'air de le craindre aussi. La nomination de Baraguey d'Hilliers a un air très belliqueux aussi, et a fait cet effet généralement. Hier on a parlé de 20 m. hommes qui allaient être embarqués. Je ne sais pas ceci de source Vous voyez que je suis peut être à la veille de quitter Paris. Kisseleff y est tout préparé. Vos pressentiments sont en défaut. C’est la déroute de la raison. J'ai beaucoup écrit hier car j'avais beaucoup à dire. J’ai vu Fould aussi, tous les revenants de Compiègne se sont empressés de venir me voir.
Je passe de mauvaises nuits mon avenir n'est pas drôle. On me dit que Drouyn de Lhuys a ignoré la nomination de Baraguey d'Hilliers. Les courtisans même disent de lui que c’est un querelleur, un brise raison. Voilà le bon côté, il tuera peut-être Radcliffe. On dit que ce sont des réminiscences de l’Empire qui ont dicté le choix, Sébastiani défendant Constantinople. J’aurais beaucoup à vous dire, mais c’est difficile à écrire. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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79 Paris le 25 octobre 1853

C’est aujourd’hui que commence les hostilités, si elles commencent. On dit que ce n’est que le 22 que les flottes seront à Constantinople. Il y a du louche sur cette question des flottes. Il est très vraisemblable que la guerre s'engage en Asie ; elle peut devenir incommode pour nous si les peuplades environnantes s’en mêlent ; d’ailleurs il y a toujours l'ennui permanent et Schamil.
Je vous ai dit, je crois, que la Grèce se serait prononcée contre les Turcs, je ne sais sous quelle forme, mais ce bruit venant de Lord Cowley je le crois fondé. Ce serait le soulèvement de toutes les populations grecques, et une grande complication de plus. Du reste le langage ici est très à la paix, à Londres aussi. La chasse de vendredi à Compiègne a été vraiment périlleuse. L'[Empereur]. & l'[Impératrice] y ont encore quelque danger. Fould a été blessé, Madame Thayer a eu la jambe cassée. La confusion a été grande. Je vois quelques fois Heeckeren qui nous amuse beaucoup. Il n’y a pas d’autre Français. Il faut renoncer à Monod. On croyait à des camarades évidemment il n’y en a pas. Merci mille fois et pardon de toute la peine que vous avez prise.
Hélène Kotchoubey n’est pas encore revenue de Gand. La voilà n’apportant mille tendresses & pas un bout de nouvelle. La [Grance] [Duchesse] est partie sans prendre congé de la reine, elle a bien fait on n’avait pas été assez poli pour elle. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris dimanche le 23 octobre 1853

J’ai des nouvelles de [Greville] enfin rien de remarquable. On travaille à une nouvelle note, et on attendait avec curiosité ce qu’aura dit l’[Empereur] de la déclaration de guerre des Turcs. (cela n’est pas inquiétant !) Les meeting en Angleterre sont a complete failure. Pas un homme considérable n’a voulu y prendre part.
La neutralité de l’Autriche et de la Prusse est due à la fermeté de M. de Manteuffel. Voilà toute la lettre, accompagnée d’assez de dégoût de toute cette affaire. Le Cabinet devait se réunir la semaine prochaine. On me mande de Berlin que nous resterons sur la défense tout l'hiver, et que nous accueillerons toute proposition venant de Constantinople ayant pour but de finir à l'amiable. Cela n’est pas fier! Quelle sotte affaire !
Je vous ferai réponse après demain sur M. Monod. Je ne sais point de nouvelle de Compiègne. Marie [Meiringen] y est. On passera quelques jours de la semaine à St Cloud, et puis Fontainebleau. Les Hatzfeld sont revenus contents & pas bavards. Hübner est toujours aigre. Dumon est réparti. Viel Castel aussi de sorte que je suis assez abandonnée. Adieu. Adieu.
Offrez je vous prie mille voeux de ma part à votre fille. J’espère que ce voyage réussira. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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77 Paris le 21 octobre 1833

Il n'y a rien de nouveau décidément Charles 3 ne m'écrit plus. C’est bien dommage, et comme je ne vois pas Cowley, il est pour tout le temps à Compiègne, il en résulte que je ne sais pas un mot de Londres. C’est cependant le point intéressant puisqu'il mène Paris.
Persigny dit : " Nous ferons le coup d’Etat Européen aussi facilement que celui de Paris. " J’ai vu hier Ste Aulaire, Noailles & Montebello. Ils ne m'ont rien appris. Si non qu'on a fait une descente chez Mad. [Banchy] et qu’en saisissant ses papiers on lui a fait compliment sur sa belle écriture. On disait ici que la reine Amélie était hors d’affaire. Votre lettre contredit cela. Hélène Kotchoubey est partie ce matin pour Gand où l’attend la grande Duchesse. Je saurais des nouvelles à son retour Lundi. Adieu. Adieu car Je n’ai vraiment plus rien.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Au château de Broglie, Jeudi 20 oct. 1853

Je viens d’en lire bien long, la lettre de M. Xavier Raymond, et le manifeste de Raschid Pacha. C'est bien du bruit. Jamais les hommes ne font plus de bruit que lorsqu’ils n'ont pas envie de faire autre chose. Quand on regarde au fond et de ce manifeste et de toutes les pièces de cette affaire depuis l'origine, on trouve le bruit bien ridicule, car au fond, il n’y a rien. Vous demandez qu’on vous redonne ce que vous avez. On refuse de vous le redonner, mais on reconnaît que vous l'avez. Voilà pourquoi on vous déclare la guerre. Vous dites que vous ne l'acceptez pas, et vous avez raison, et je crois qu’on ne vous la fera pas. Pourtant, il y a là un grand secret un secret de Dieu. A-t-il décidé que le moment de la mort de la Turquie est venue, et par conséquent le moment du remaniement, c'est-à-dire du bouleversement territorial de l'Europe au sujet de l'héritage ? C'est possible ; et moins je vois de motifs assignables, de motifs humains à la guerre, plus j'ai peur quelquefois, qu’il n’y ait là une volonté divine, et que ce ne soit bien lui même qui pousse à la guerre, les hommes qui n'en veulent pas. Nous verrons bien.
En attendant, je cause ici, de cela et de tout. J’irai après demain passer 24 heures au Val Richer pour dire adieu à ma fille Pauline qui en par lundi pour le midi. Je reviendrai, après son départ, passer encore ici la semaine prochaine, et je retournerai au Val Richer, le samedi 29 pour le quitter définitivement le 15 ou 16 Novembre. C'est bien des courses, et mon Cromwell, qui touche à sa fin, en est un peu dérangé. Je serais fâché quand j'aurai fini ; c'était une société dans ma solitude, et un but dans mon oisiveté. Il faudra que je m'en fasse un autre.

9 heures
On m’apporte votre lettre, et le duc de Broglie m'en envoie une du Prince de Joinville qui est en effet très inquiet pour la Reine sa mère. La pleurésie allait mieux ; mais le matin même, une inflammation d’entrailles venait de se déclarer et paraissait grave. On attendait le Duc de Nemours qui venait de Vienne avec sa soeur la Princesse Clémentine. Le duc d'Aumale est en Savoie. Ils ont évité de se trouver tous réunis à Genève, de peur de quelque ennui politique. Je crains beaucoup pour la Reine ; elle est prête, fatiguée ; elle a 71 ans. Il y a de bon médecin à Genève. Ecrivez-moi demain à Broglie. Je n'en partirai samedi qu'après déjeuner. Mais dimanche, je vous prie de m'écrire au Val Richer. J'y passerai toute la journée de lundi. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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76. Paris le 19 octobre 1853

Hübner est fort exalté & content. Son gouvernement reste neutre et le proclame, et fort de la promesse formelle que lui a donné l'Empereur Nicolas de respecter l’intégrité de l’Empire ottoman, l’Empereur d’Autriche réduit son armée du quart. Il fait sonner cela très haut. Ceci est la réponse aux soupçons qu’on avait conçus ici de la triple alliance à Varsovie. Cela me touche peu.
Je n’ai pas la moindre nouvelle de Londres, sauf une lettre spirituelle de la G. D. Marie où elle me dit qu’elle trouve nouveau et drôle d'habiter un pays ennemi.
Dumon m’a dit hier soir, que M. Bansky était très inquiet de la reine Amélie. C’est une pleurésie dont elle est atteinte. Marie Mensingue arrive avec la G. D. Stéphanie. Beaucoup de nouveaux diplomates sont priés à Compiègne, mais toujours Kisseleff & Hübner exclus. Est-ce à Broglie ou au Val Richer que je dois vous adresser ma lettre vendredi ? Il fait bien laid ici et froid. Viel Castel est parti pour 3 semaines. Grande perte pour moi. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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75. Paris le 17 octobre 1853

Merci de la lettre de M. Monod. Tout est fort détaillé, mais l’essentiel y manque. A-t-il ou n'a-t-il pas d’autres pensionnaires de l'âge ou à peu près de ce jeune enfant. Vous savez combien cela est essentiel pour une éducation anglaise. Des camarades, de la récréation en commun aussi bien que des leçons. Or, d'après la lettre je croirais qu'il serait isolé. Voilà le point à éclaircir. Je suis fâchée de vous donner le grand bore. J'ai eu hier une lettre de Meyendorff, très tranquille. Voici la dernière phrase après avoir dit que le manifeste turc à Paris, le 5 à Constantinople, la déclaration de guerre signifiée le 9 au Prince Gortchakoff s’il ne promet pas d’évacuer les provinces dans l'espace de 15 jours. & & " Ainsi guerre sur le papier, déclarée par la Porte, non acceptée par nous. Que faire dans cette singulière position ? Il est impossible qu'on ne négocie pas avec nous, sans nous, mais toujours pour nous, c-a-d pour la paix. "
J’ai vu hier Morny qui s’était échappée de Compiègne pour quelques heures. Le ton là est extrêmement pacifique. On ne songe pas à envoyer un seul soldat. Toute la diplomatie presque est priée à Compiègne pour plus ou moins de jours. Il n'y a que Kisseleff & Hübner d’exceptés. Je suis fâchée des nouvelles que vous me donnez sur Pauline. Vous faites très bien de commencer pour elle par là où l'on finit, et quelques fois trop tard. [?] la remettre. Je vois déjà beaucoup de monde. Je ne sais trop dire qui. Oiseaux de passage, et des étrangers de toute espèce. Dumon est revenu for good. Le ton public en Angleterre. [...]

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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74. Paris le 15 octobre 1853

Je n’ai vu hier que Molé, Dumon, Vitet, Montebello, tout cela veut apprendre & je n'ai rien à dire, car depuis deux jours on ne sait rien. Molé n'était en ville que pour une heure et pour ses yeux pas même pour Kalerdgi. Je crois qu’on essaie une nouvelle note, qui, quoi je ne sais pas. On voudrait je crois un congrès, mais nous n’en voudrons pas. C’est surtout à Londres et à Paris qu’on y pense.
Hélène Kotchoubey vous écrit. Si vous regardez mes lettres, vous n’y trouverez pas que je vous ai donné le conseil de lui écrire comme vous me le dites. Je ne vous aurais pas infligé cet ennui. En tous cas elle vous est bien reconnaissante de vous être occupé d'elle. Comment adresse-t-on à Broglie ? On dit ici depuis quelque jours que le comte de Chambord & le duc de Nemours se sont vus. Est-ce vrai ? Le temps est beau ici aussi. Je doute que cela dure. Adieu. Adieu.
Je ne sais pas un mot.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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73 Paris le 13 octobre

Pas la moindres nouvelle à vous dire. La G. D. Marie m'écrit pour me prier beaucoup de venir la trouver à Bruges la semaine prochaine. J’en aurais bien envie, mais ce serait une folie. Mon [Empereur] est retourné droit de Potsdam à Pétersbourg où il arrivera demain. Je ne sais si on essaye rien de ce côté-ci pour un arrangement.
Je croirais que non, & que tout reste abandonné au hasard et à des escarmouches comme dit Antonini. Balabini est arrivé. Vous savez qu'il était à Constantinople. La seule nouveauté que j’ai apprise par lui c’est que Menchikoff loin d’être insolent a péché par trop de platitudes. Les Turcs ont cru qu'il avait peur, & ils ont tout osé. Voilà du neuf. Balabini a toutes ses preuves. Adieu. Adieu car je n’ai plus rien.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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72 Paris le 11 octobre 1853

Le ministère disait hier que ses nouvelles étaient à la paix daté du 1er octobre de Constantinople, à la bourse on en avait de fâcheuses du 2. Le 4 la déclaration de guerre devait paraître infailliblement. J'ai une lettre de Potsdam du 8, on regardait comme très possible qu'il y ait un engagement en Asie & si les Turcs reçoivent des armes, la partie pourrait devenir assez égale. En attendant chez nous le langage est toujours à la paix, à la paix. Nous sommes toujours prêts à nous entendre & & Fould est venu hier, pacifique aussi, mais bien content du mariage anglais, on dirait l’Eternité. Je n’ai rien de Londres, mon correspondant est à la campagne.
Cowley est prié à Compiègne pour tout le temps, quinze jours. Hatzfeld pour quatre. Pas d’autre, sauf Poniatowski. Je vous ai dit que la G. D. Stéphanie y vient. Le roi Léopold va à Londres la semaine prochaine. Le meeting de Londres n’a fait aucun effet. Il faut écrire Pianezza. Je suis fort occupée, de visites, d'écritures, la matinée, la journée s’envolent. Adieu. Adieu.
On parle d'une nouvelle note, cette fois sans doute d'invention anglo-française. Je ne sais rien de précis.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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71 Paris dimanche 9 8bre 1853

Je crois vous avoir dit que l’Angleterre repousse la note d'Olmentz et jette au feu toutes les notes & tous les projets passés. Il faut donc recommencer à nouveau, ou plutôt on ne fera rien. Voilà la guerre déclarée, selon les Débats de ce matin. Je le crois tout à fait. Meyendorff dit qu'on pas ne se battra, et qu'on ne peut pas se battre, & pas plus en Asie qu’en Europe. On est très pacifique chez nous, mais cela ne sert pas à grand chose. Radcliffe veut la guerre, & il est tout puissant. Vous n'avez pas idée de tout ce qu'il fait et dit là. Meyendorff me le raconte sur deux longues pages. Quelle malédiction que cet homme ! Ici le langage depuis deux jours est beaucoup plus doux, mais cela tourne comme la girouette. La cour va le 12 à Compiègne. les Cowley, les Hatzfeld, [?] y sont priés. Ni Kisseleff ni Hubner ne le sont. Rotschild pour 3 jours. Morny cela va sans dire pour tout le séjour. Je le vois beaucoup. Il est triste naturellement.
Midi. [Greville] mande de Londres. que les Ministres se sont trouvés en parfait accord dans le conseil, qu'on a résolu de défendre & protéger les Turcs mais de ne faire dans ce but que le stricte nécessaire ; de conserver toujours le caractère de médiateur pour arriver à un arrangement avant la guerre, ou pour en arrêter les progrès si elle commençait donc point de modification dans le ministère. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 8 octobre 1853

Je renonce plus que jamais à prévoir ; on ne prévoit pas les emportements de Barbares ignorants, ni les faiblesses d'Etats puissants, ni les étourderies de Ministres hommes de sens et d’esprit. Je ne sais si je radote dans mon coin ; mais, à mon avis, il n’y a pas, à cette crise si grave, un seul motif sérieux et elle aurait pu très aisément être évitée au premier moment et termine dix fois depuis qu’elle a commencé. C’est ce qui fait que je ne crois pas encore aux conséquences extrêmes. Que la guerre soit absolument faisable dans cette saison, c’est possible ; mais elle est à coup sûr, plus difficile. Vous n'attaquerez pas les Turcs. Pour vous attaquer, il faut qu’ils passent le Danube, très mauvaise chance pour eux. On restera probablement l’arme au bras ; et si on ne se bat pas tout de suite, passera-t-on l’hiver sans rien faire pour se battre au Printemps ? C'est le comble de l’invraisemblance. Je retombe toujours dans ma raison. Pourtant je suis inquiet. Je crois que je ne le serais pas du tout, si je ne l'étais pas pour vous. Mais vous êtes dans la question. Je persiste à croire qu’il s'est passé à Olmütz quelque chose que nous ne savons pas et qui laisse une poste entrouverte pour la paix.
Parlons d'autre chose. Avez-vous lu la vie du Marquis de Bouillé par son petit-fils René de Bouillé ? Cela vous intéresserait. Vous passeriez la partie militaire. M. de Brouillé a été l’un des rares hommes de sens et du caractère du parti émigré dans notre grande révolution, et il a été, en rapport avec tous les hommes considérables de son temps.

Onze heures
Bonne lettre dans notre péril. J’ai toujours confiance à la dernière extrémité. S'il y a quelque nouvelle chance de négociation, Aberdeen ne se retirera pas. Très probable ment d'ailleurs, il ne se retirerait pas seul, et vous savez qu’un cabinet nécessaire à l'intérieur, ne se dissout pas pour des raisons de politique extérieure. J’ai trouvé, pour la Princesse Koutschoubey, non pas tout ce qu’elle cherche, mais quelque chose qui, je crois, peut lui suffire quant à présent et vaut peut-être mieux pour commencer. Je le lui écrirai demain à elle-même, puisque vous le désirez. Je n'ai pas le temps ce matin. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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70. Paris Vendredi 7 octobre 1853

Je regrette que vous ne disiez rien à Lord Aberdeen, mais vos raisons sont bonnes. Seulement quelques grandes vérités bien frappées lui auraient peut-être donné courage. Enfin, tout est malheureux dans cette malheureuse affaire. Le projet de note d’Olmentz n’a pas été accueilli à Londres. On ne négocie donc plus, et on attend la bataille. Le déclaration de guerre des Turcs n’a pas parue encore. Elle ne peut pas tarder. C’est toujours de cela que dépend l’entrée des flottes.
Vous enverrez dit on 30 m hommes à Constantinople et huit mille de plus à Rome. Aujourd’hui meeting à la taverne de Londres, et réunion aussi de tout le Cabinet anglais. Les Anglais de toutes les classes sont très montés contre nous, je doute cependant que la guerre soit populaire ici. Elle ne l’est pas du tout. Tout à l'heure une lettre de Greville. On croit que les Turcs se seront arrêtés devant la dernière proposition d’Olmentz, cependant on doute, mais la déclaration de guerre n’est pas faite encore. Le conseil de Cabinet à Londres aujour d’hui sera décisif pour L. Aberdeen, il est possible qu'il se retire. Voilà à peu près la lettre de Greville. Le Times d’hier 6 est assez bon, plus disposé à ce qu'on négocie encore. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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69 Paris le 5 octobre 1853

Nous voici au plus mal. Le Divan a décidé la guerre. la proclamation Le 26 7bre sa paraître, et les flottes seront entrées. Greville qui me mande cela ajoute que cela met à néant toutes les négociations.
La note autrichienne d'Olmentz était très acceptable. On en jugeait ainsi ici. Mais on se croyait sûr que l'Angleterre n'en voudrait pas, dès lors on ne se prononçait pas. Car le parti est pris de faire & dire comme l'Angleterre. Vous voyez les meetings et le ton. C’est devenu général. J’ai vu Morny, très bien toujours et parlant très bien de la dispo sition toujours pacifique de son Empereur. Je n’y crois plus beaucoup, il est dominé par l'Angleterre et ne fera que cette volonté !
Fould qui est venu hier est noir. Il se plaint de toute nos mauvais procédés, et [?] trouver qu’il n’y a plus de quoi nous ménager. Ainsi l'Emp. Nicolas a invité les officiers Français à venir à Varsovie. Je pense que c’est une politesse, on y a répondu par la défense de s’y rendre. Ceci me paraît un bien mauvais symptôme. Les ministres anglais vont délibérer toute la semaine, Lansdowne est parti d'ici détestable. J’imagine que Lord Aberdeen tombera, qu'on rassemblera le Parlement et qu'on nous déclarera la guerre. Tout cela peut être fait d'ici à 3 semaines au plus tard.
Si les Turcs nous attaquent et nous battent vous concevez que nous sommes obligés de prendre une revanche éclatante. Si nous les battons nous en serons plus exigeants. Ainsi là cela doit aller mal. Le conflit est possible malgré la saison & le désavantageux pour les attaquants. Mais on ne peut plus retenir les troupes asiatiques. Elles servent gratuitement, pas un soldat ne veut être payé, et le gouvernement turc ne paye plus un seul employé civil. Tout est consacré à la guerre sainte. Ils sont plus forts numériquement que nous. J’ai la tête abîmée de tout ce que j’entends, et de tout ce que je prévois.
Je suis toujours bien aise que vous ayez écrit à Aberdeen. Mais je crois le mal sans remède. L'Angleterre veut la guerre elle a fait son calcul, & elle y trouvera son profit en définitive. Je n'y vois pas le vôtre. Car la révolution vous dévorera comme elle va dévorer les voisins. Quelle fête pour tous les artisans de troubles, & que les sages de la terre sont fous ! Que d’injustices, que de fautes ! Et moi donc que vais je devenir ? Adieu. Adieu.
P.S. Le grand conseil ayant décidé la guerre abandonne aux ministres Turcs le moment & le mode de la proclamer. Ceci pourrait donner quelque répit. On tiendra un grand Cabinet conseil à Londres après demain vendredi et la reine revient le 18 seulement.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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68 Paris le 3 octobre 1853

Marion m’a dit que ses parents désiraient qu’elle passat Noël, avec eux ; j’ai trouvé naturel, j’ai dit tout ce que je m'étais proposé de dire sur mon remord du passé. J’ai été très affectueuse & résignée à cette séparation m'en remettant à elle de l'abréger. C’est tout en moi dont elle parle ! Je n’ai pas capitulé. Je remets à mes amis de faire comprendre que c’est bien long ! Vous y pourrez beaucoup. Il y a du temps jusqu'à l’événement. Merci de vous occuper de Monod. Les affaires se brouillent beaucoup. Je crois qu'il est venu une note austro prussienne adressée à Paris & à Londres. Elle a dû être remise hier. J’ignore encore l'accueil. Ici on ne fera que ce que voudra Londres, et là on est très monté & je crois décidé à la guerre. Les Anglais se croient trompés par nous & veulent se venger. Le pays tout entier est monté sur ce ton. Lansdowne d’abord très doux a changé de manière après avoir appris par Lord Cowley tout ce qui s’était passé.
J'espère encore que L'Empereur ici tâchera d'agir à Londres, il désire la paix vivement, mais il ne se séparera pas de l'Angleterre cela est certain, & si elle veut la guerre il la fera avec elle.
De notre côté nous ne comprenons pas cette nouvelle vivacité anglaise. Nous persistons dans notre dire, nos conditions pour évacuer les Principautés. Nous n’avons pas dit un mot encore des flottes à Constantinople.
Les trois souverains sont réunis à Varsovie, je crois du moins que le roi de Prusse y est allé aussi. L'entente est intime. Les Clauricarde sont venus me voir spontanément. Les anciennes relations très cordiales. ils sont très opposition au Ministère, ce qui fait qu'ils le sont moins à la Russie. Ils repartent pour Londres demain.
Mad. Kalerdgi est arrivée, elle m'explique un peu Pétersbourg. Au fond toute cette affaire est de l’invention de l’Empereur & pas du tout du goût de Nesselrode. C’est ce qui explique la marche boiteuse. Molé, Heeckeren , Noailles, beaucoup de monde hier soir. La rencontre de Kalerdgi & Molé touchante. C'était drôle. Tout le monde agité & croyant à la guerre. Savez-vous qu'une bonne lettre de vous à Lord Aberdeen ferait beaucoup d’effet dans ce moment de ces réflexions générales que vous savez rendre si frappantes. Lui aussi est ébranlé et penche pour la guerre, enfin je vous dis vrai, tout le monde y est en Angleterre & c’est imminent. Ecrivez, je n’ai pas revu Fould depuis la folie de son frère. Morny est de retour depuis hier. Il travaillera à St Cloud. Son Empereur est très sensé et très bon. Tous les autres détestables. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 2 octobre 1853

J’aime bien le discours de Gladstone à Inverness. Voilà, comment il faut parler de la politique de la paix. Ceux qui ne la recommandent qu'au nom du repos et des intérêts matériels ne savent pas qu’ils sont les mobiles les plus puissants sur l'esprit des peuples. Et puis, je trouve le ton de Gladstone décidé et ferme. Palmerston aussi a bien parlé. Si l'Angleterre persiste dans cette voie, je persisterai aussi dans ma confiance. J’ai lu dans l’Assemblée nationale d’hier. Le texte original de vos deux notes. La première est en effet très bonne au fond et dans la forme, pacifique avec la dignité tranquille d’un grand gouvernement. Mais je suis tout à fait de l’avis de ceux qui désapprouvent la seconde. Je n'entre pas dans la débat des phrases et des mots. A quoi bon le débat même, y eussiez-vous cent fois raison ? La première nole établissait très bien votre position générale, et en haut ; pourquoi descendre à des questions très particulières, et très petites dans leur aspect, quel que soit le lien qui les rattache à la grande ? Pourquoi vous faire avocats et théologiens, et fournir aussi aux cabinets et aux journaux l'occasion de se faire avocats et théologiens à leur tour ? Ils abusent de l'occasion, et par là, ils entretiennent la prévention populaire qui vous soupçonne de vouloir tout autre chose que ce que vous dites. Et c’est cette prévention qui embarrasse et affaiblit les gouvernements amis de la paix. Votre situation et votre politique envers la Turquie sont si complexes que vous ne pouvez entrer dans les détails sans prêter le flanc par quelque côté ; vous voulez aujourd’hui la paix, le statu quo, et en même temps vous saisissez, vous ne pouvez pas ne pas saisir, quand ils se présentent, les moyens de faire des pas vers un avenir qui n’est, ni le statu quo, ni la paix. Vous êtes donc incessamment exposés à ce que vos intentions présentes et vos vues d'avenir se mêlent et se donnent des démentis mutuels et dans cette confusion, le public, qui n’y regarde. pas de près, confond à son tour toutes choses, et prête à vos démarches, à vos paroles d'aujourd’hui un sens qu'elles n’ont pas aujourd’hui, mais qu’on y peut mettre quand on se transporte dans l'avenir. C’est là l'écueil dont vous avez à vous garder, et votre note explicative nous y pousse au lieu de vous en éloigner. Je ne connais pas de plus grand danger, dans les grandes affaires, que la fantaisie de prouver en détail qu’on a et qu’on a toujours eu raison.
J’ai des nouvelles de Claremont. La Reine est en effet revenue malade de la mer ; mais elle repart, et elle est, je crois, déjà repartie par Douvres et Ostende pour aller par terre s'embarquer à Gênes d’où la traversée, en Espagne est beaucoup plus courte et par une mer plus douce.
J’espère que l’indisposition de Marion n'est rien. Avez-vous eu, avec elle, votre conversation et va-t-elle passer quelques jours en Angleterre ?

Onze heures
Certainement, si la guerre éclate, tout le monde sera fou et aura été bien maladroit. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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67. Paris Samedi le 1er octobre 1853

Quel malheur que vous ne soyez pas pour un moment à Londres, ou pour deux mois à Paris. Aberdeen me paraît faire fausse route tout-à-fait. Il court à la guerre & tout de suite. Je m'étonne que vous n'ayez pas lu notre seconde dépêche même date que la première 7 sept. Intitulée examen des modifications turques, et qui donnait notre interprétation de la note de Vienne. On a trouvé à Londres & ici que cet examen ramenait la question à la proposition Menchikoff, et dès lors on a pris fin. Tout le monde même impartial ici on a porté le même jugement. C'était dans tous les journaux. C’est sur cela qu’est venu la recrudescence & l'impossibilité de s’entendre.
Le Cabinet Anglais est convoqué pour après demain le 3. On fait revenir la reine le 5. Ce sera pour la déclaration de guerre ou la convocation du Parlement. Les meetings vous se succéder. Tout le monde est à la guerre en Angleterre. Le mot d’ordre est que la Russie a voulu duper les Anglais. Lord Lansdowne tient le même langage. Il a vu hier l’Empereur, & part demain. Il était ici hier soir, monté contre nous, tout le monde est fou. Le ministère anglais est très uni, il n’est pas question de changement. Constantin m'écrit d'Olmentz grande intimité. Les trois cours dans la plus grande entente. Mon [Empereur] très poli pour les off. français. Il les a invités à Varsovie.
C’est dans le journal des Débats du 24 sept. que vous trouverez la pièce diplomatique qui fait aujourd’hui l'objet de la querelle. Benoist Fould est devenu subitement fou. On dit qu’Achille Fould va quitter le ministère pour prendre la direction de la maison. C'est à la bourse que se débite cette dernière nouvelle. La première (la folie) est positive. On parle d'envoyer 30 m. hommes occuper Constantinople comme on occupe Rome. Croyez- vous cela ? On ajoute que dans ce cas l'Angleterre irait occuper Alexandrie et le faire ! Strange times. Adieu. Adieu.
J’avais hier soir Molé, Lansdowne, Montebello, Kisseleff, d'autres diplomates. Mon salon se reforme. Il faudra quitter tout cela s'il y a guerre. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Vendredi 30 sept. 1853

Au point où en sont venues les choses, il n’y a plus de marge, ni de choix pour la conduite, à tenir ; il faut faire aujourd’hui ce qu’on eût dû faire au moment où l’on a rédigé à Vienne la note de transaction, insister péremptoirement auprès du sultan pour qu’il accepte de la main de Puissances amies, ce que votre Empereur a eu le bon esprit d'accepter, sans débat, de la main de Puissances méfiantes et jalouses. Et quels dangers réels la retraite, ainsi imposée au sultan l’expose- t-elle chez lui, et que peut-on faire pour la couvrir ? Je ne connais pas assez l'état des faits à Constantinople, ni le détail des négo ciations à Vienne pour avoir, à cet égard, des idées précises et pratiques. On a fait entrer des vaisseaux dans les Dardanelles ; on est donc en mesure de protéger le sultan contre le parti de la guerre, et de lui assurer la liberté de faire ce qu’on lui demande. On voudrait, ce me semble, rédiger à Vienne, au nom des trois puissances, une nouvelle note explicative de la première, et qui en donnant au sultan, sur ses objections, une certaine satis faction, elle ou apparente, lui permit de signer. sans embarras. Je comprends la possibilité d’une telle note, quoique je sois hors d'état s'en indiquer les normes ; mais elle n’est possible qu’en s'en entendant avec votre Empereur et en s’assurant qu’elle ne dérangera rien à son acceptation. Il ne faudrait pas que le commentaire lui fit repousser le texte qu’il a consenti. Comme je suppose toujours que votre Empereur veut la paix et ne joue pas un double jeu, je ne vois pas pourquoi il ferait objection à une telle note convenable ment rédigée, et qui sauverait un peu l’honneur du Sultan obligé de signer la première après l'avoir repoussée. C’est une affaire de procédés et de langage. Si on veut s'entraider et si on sait s'exprimer, on doit en venir à bout. Seulement, il faut que cette nouvelle note soit faite en commun par les trois puissances qui ont rédigé et proposé la première, son efficacité à Constantinople dépend du concert à Vienne. Encore ici, l’entente avec votre Empereur est nécessaire ; s'il travaille à détruire l'action commune et à séparer immédiatement l’Autriche de la France et de l'Angleterre, il rendra la note explicative impossible, et tous les embarras de la situation renaîtront d’autant plus que la note explicative me paraît aussi nécessaire à Londres qu'à Constantinople, et qu’il y a des ménagements à avoir pour la passion Anglaise aussi bien que pour la barbarie Turque.
Loin des incidents de Constantinople et des conversations de Vienne et d'Olmütz, tout ceci. n'est probablement que du bavardage. Je vous le donne comme il me vient à l’esprit. M. Monod voyage depuis plusieurs semaines, en Allemagne ; il était, depuis huit jours à Berlin. Voilà pourquoi je n'ai pas de réponse. Il sera dimanche à Paris.

Onze heures
Ne connaissant pas votre seconde dépêche explicative, je ne puis en tenir compte, ni savoir quelle part lui faire. Je suis de l’avis de Fould. Cela s’arrangera. Adieu, adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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66. Paris jeudi 29 septembre 1853

Marion est malade, & moi trop fatiguée pour copier Greville. Voici le résumé grande agitation, impuissance de découvrir un nouveau moyen de négociation. Nous avons tout gâté par notre seconde dépêche explicative qui veut dire que nous entendons la note de Vienne dans le sens de l’Ultimatum Menchikoff. Il ne fallait pas dire, il fallait ne rien dire. Mais enfin c’est fait & on ne sait plus à quel Saint se vouer. Il paraît donc qu'il ne reste que la guerre. cependant la saison fait obstacle aux coups. Mais encore une fois comment renouer ? Voulez-vous bien le dire. Vous vous ferez difficilement une idée de la consternation de Hubner, Hatzfeld & &. Ils nous envoient à tous les D. C’est naturel. Mais nous n'y allons pas. Constantin me mande du 24 que l’Empereur est de très bonne humeur. J’ai vu hier chez moi le soir Molé, Berryer, Brougham, & Fould. Celui-ci très gai. Je n’ai pas pu causer avec lui. Il a dit à Marion que cela s’arrangerait comment ?
L’Empereur revient aujourd’hui. Lansdowne qu'on avait convoqué pour un Cabinet conseil reste pour faire sa cour. Le voyage n’a pas été favorisé par le temps. La reine Amélie renonce à tout. La tempête l’a rejetée à Plymouth, elle est revenue à Clarmont malade. On dit que la Pcesse de Joinville l’est très sérieusement depuis longtemps & qu’elle mourra si elle ne retrouve par le soleil. Le duc de Noailles est venu aussi hier. Il a longuement. vu Fould l’autre jour que lui avait tenu le même langage qu'à moi. Belliqueux & révo lutionnaire par nécessité, parce qu’il ne voyait pas d’autre ressource. Olmentz a dû finir avant hier. Bual y a été mandé. Voilà Hubner plus tranquille au moins sur ce point. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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65 Paris le 27 septembre 1853

Voilà bien du bruit ici. De tous côtés on vient m'effrayer. Me rassurer, personne. M. Fould est enchanté de l’entrée des vaisseaux. " C’est plus net. La capitulation sera plus facile. (Joliment !) ou la guerre. plus tranchée, car ce sera. La guerre révolutionnaire. L’Autriche y perdra de suite l’Italie & la Hongrie. L’Allemagne ne demande pas mieux que d'appartenir à l'Emp. Napoléon. Il tient en mains les révolutionnaires de tous les pays, il peut les contenir où les cacher. Chez lui il n’a pas peur, ils sont soumis. Il peut donc bouleverser le monde sans courir lui-même le moindre danger." Lord Cowley est au plus noir ; il ne voit plus un moyen quelconque pour éviter la guerre générale, et des malheurs af freux. Cependant son instinct se révolte et il doute, en dépit de tous les raisonnements qui tous concluent à la guerre. Hübner est dans un état violent. Bual n’est pas à [Olmetz]. Cela l'offense avec quelque raison. C'est mon [Empereur] qui n’aurait pas voulu. Kisseleff conserve sa tranquillité apparente. Hatzfeld est à la campagne. Lord Lansdowne écoute, Brougham bavarde et rit, il n'a jamais été aussi en train et aussi agréable. Le premier revient de Suisse et retourne en Angleterre. Il attendra ici l’Empereur à moins d'une convocation du Cabinet. Son dire est comme celui de tout le monde avec les formes réservées & polies que vous lui connaissez. Mais la guerre est au bout. On dit ici aux aff. étrangères que le traité des détroits a toujours été respecté jusqu'au moment où la vie des Nationaux est menacée (Je me trompe c’est Cowley qui me dit cela mais qu'il n’y a pas de traité qui tienne devant le devoir de la sauver.) Drouin de Lhuys dit aux petits diplomates que c’est dans l’intérêt de la paix encore qu'on fait cela et pour donner au Sultan la force de négocier à Paris et à Londres on croit qu'avec la parité de situation, occupation pour occupation. Il sera plus aisé de les faire cesser simultanément. C'est un grand gâchis que tout cela. Et jamais on n’a été aussi près de la catastrophe.
Aberdeen est très ferme dit Cowley dans le parti qui vient d’être pris. Lansdowne ne croit pas du tout à la retraite. Midi. Dans ce moment, une lettre de Greville très longue, je vous en enverrai copie demain, très desponding, ne voyant pas jour à sortir de la difficulté et à éviter la guerre. Il désire bien connaître votre opinion, et si vous voyez une solution possible. Pensez-y. Il me demande déjà où j' irais. C’est jolie d’avoir à songer à cela. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer 26 sept. 1853

Je coucherai chez M. Hébert et n'en reviendrai demain probablement qu'après l’heure de la poste. Deux lignes aujourd’hui pour que vous n'attendiez pas une lettre qui n’arriverait pas. Mais je n’ai rien à vous dire. Je vois que la Bourse de Paris est bien inquiète. Si Lord Stratford joue en effet un double jeu, c’est assez pour entretenir les Turcs dans de fausses espérances, et alors tout est possible. Mon instinct est pourtant toujours qu’on s’arrangera. Vous ne lisez pas le Siècle. Il est ravi de l'espérance de voir recommencer la grande lutte révolutionnaire. Et cette fois la France et l'Angleterre du même bord. on y joindra les Etats-Unis qui ne demandent pas mieux que de se mêler des affaires de l’Europe pour que l’Europe ne se mêle pas de celles de l’amérique ; et on verra au Printemps prochain ! Avec la façon dont le Roi de Naples, le Pape et l’Autriche gouvernent l'Italie, il ne sera pas difficile d’y mettre le feu. Et tout cela pourquoi ?

Onze heures
Le sultan sera protégé en même temps que les nationaux et il signera. L'affaire sera finie jusqu'à ce qu’elle recommence. Adieu, adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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64 Paris dimanche 25 septembre 1853

Barante reste 15 rue du Cirque, sa fille n’est pas accouchée encore. Il compte aller vous voir entre le 6 et le 12 octobre, si... sa fille est accouchée. Drouin de Lhuys parle très mal de la Russie à tout le monde. On reste très inquiet au F.O. Français comme à celui de Londres. L’Ambassadeur turc a eu hier des nouvelles de Constantinople du 15. Il n’y était pas question de la réunion des [?] dont a parlé le journal des Débats. Décidément il n'y a plus d'action commune à Vienne. L'Angleterre n’a pas voulu faire comme d’Autriche. Il est impossible de dire ce qui arrivera mais tout peut arriver. Je crois à l’entrée des flottes pour protéger le Sultan contre ses propres sujets.
11 heures Dans ce moment la Turquie qui annonce que sur la demande du Sultan deux vaisseaux de guerre. Anglais & deux français sont entrés et vont à Constantinople pour protéger leurs nationaux. On me dit que la reine Christine va retourner sous peu à Madrid. Voilà tout pour aujourd'hui. Le mauvais temps me désole. J’avais pris des habitudes d'été & je passais mes matinées dans le bois de St Cloud dont on m’a permis l’entrée. Adieu.
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