Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


Votre recherche dans le corpus : 592 résultats dans 3515 notices du site.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00435.jpg
Val Richer. Mercredi 20 oct. 1852

Nous ne faisons aucune attention aux affaires d'Orient. Il n’y a plus d'Orient. Les gouvernements de France et d’Angleterre sont trop occupés chez eux et d’eux-mêmes pour regarder au loin. Pendant ce temps, je vois que les révolutions ministérielles se succèdent à Constantinople ; voilà Ali Pacha renversé, le successeur, mais encore l’ami de Reschid Pacha. Je suis sûr que ce sont vos affaires qui se font et que vous faites là. Il n’y a rien à dire. Vous avez raison de profiter des fautes de l'Occident.
Voici une faute qui vous touche peu, et qui m’a choqué. Comment a-t-on, samedi dernier, fait sortir et amené en masse sur le passage du Président, les collèges, et les écoles primaires, des enfants ? Ceci est pire que le suffrage universel. On se plaignait jadis que les étudiants de droit et de médecine, les jeunes gens de 20 ans fussent mis en scène une politique, et on y met aujourd’hui des marmots. Ce n'est ni sensé, ni honnête.
Je ne comprends pas ce que fait Lord Malmesbury pour être mal avec l'Autriche. Je ne leur vois point de sujet de querelle ; à moins que la mauvaise humeur des voyageurs Anglais en Italie, à propos de leurs passeports, ne devienne une question de gouvernement. Ce serait bien absurde. Peut-être aussi le Piémont. qui donne sans doute de l'humeur à l’Autriche. Du reste, les puissances du continent auraient grand tort de se mettre mal avec l'Angleterre ; si jamais l’incendie révolutionnaire se rallumait ce qui n’est pas du tout impossible, c'est encore là qu'elles trouveraient, pour résister, le point d’appui le plus fixe et le plus fort.
Vous avez bien raison de trouver bon que Paris perde l'habitude de faire et de défaire les gouvernements. En soi, l'acte de puissance que font depuis quelque temps les populations des campagnes est excellent ; elles sont hors d'état de gouverner ; mais il ne faut pas qu’on puisse gouverner ou détruire les gouvernements sans elles et contre elles, et la leçon donnée en ceci aux prétentions et aux traditions de Paris est très salutaire.

Onze heures
Je n’ai pas de lettre. Adieu donc. Il fait bien beau temps. J’espère que vous avez le même soleil à Paris et que vous en profitez pour prendre l’air. Adieu, Adieu.
J'ouvre mes journaux. Vous avez perdu votre pari avec M. Molé. Nous aurons l'Empire en Novembre.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00428.jpg
Paris le 18 octobre lundi 1852

J’ai vu du monde hier, mais je ne sais rien de plus à vous dire. Mad. Roger me dit que la reine Amélie a dû quitter Lausanne hier pour retourner à Claremont. La [duchesse] d’Orléans la suivra dans 10 jours. C’est Chomel qui s’est opposé à Eisenach comme trop froid. Il me paraît toujours que ce ne sera qu’en Décembre que se fera l’Empire. Voilà Paris un peu humilié il avait l'habitude d'imposer à la France tous les gouvernements aujourd’hui la campagne fait la loi à Paris. [?] vient à la suite de la France.
Je suis bien fâchée dans un moment pareil d’avoir si peu avec qui causer. Il est vrai que ce serait plutôt pour dis puter, n'importe cela fait passer le temps, et m'empêcherait de penser à ma triste santé. Aggy est bien fâché de la perte de la lettre de sa soeur, & moi aussi. Légèreté française. Adieu. Adieu.
Lord Aberdeen me mande que l’[Angleterre] & l’Autriche sont aussi mal ensemble aujourd’hui que sous [?]. Beauvale est content du discours de Bordeaux. Je crois vous l’avoir dit et pourquoi.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00407.jpg
Paris lundi le 11 octobre 1852

Hier il n’y a pas eu moyen de vous écrire. Une matinée toute employée à empêcher Aggy de partir. Quel ouvrage, quelle fatigue pour moi. Marion me parait toucher un peu à la folie. Je vous envoie sa lettre, c’est une exaltation touchante, mais c'est trop. Evidemment ses relations avec ses parents sont bien mauvaises elle les prend en horreur. Qu'ils me l'envoient. Je suis convenue avec Aggy qu’elle attendra ici que ses parents lui permettent de revenir. S'ils la veulent je n’y peux plus rien mais j'ai écrit au Père et à Marion dans un sens très raisonnable, & qui devrait les faire persévérer à désirer qu'ils ne reviennent pas. Je vous remercie du travail que vous faites de votre côté.
Je vous ai fait dire un mot hier par votre petit ami. Cela me venait de Mad. de Contades qui avait lu la dépêche chez Persigny. Ce que dit le Moniteur aujourd’hui n’est pas si clair mais il l’indigne. Au surplus attendons le texte même des discours qui a été dans tous les cas très important. Je regrette que Fould ne soit pas venu.
Le comte [Nesselrode] m'écrit une bonne lettre sur Paul. Il causera avec lui et ne soumettra rien à l’Empereur que d’accord avec mon fils. Meyendorff est très monté contre la presse Belge, & veut qu’on en finisse. Il faut de lois de septembre & qu’elles s’exécutent, la protection de l’Europe est à ce prix. A Berlin on pense de même et qu'il faut forcer le Piémont aussi. La France a le droit de le faire. Cowley a peur de Stratford Canning. Il craint qu’on ne veuille accréditer un nouvel ambassadeur auprès du nouvel empire. Le nonce n'ex prime guère de doute sur l’arrivée du Pape. D’autres diplomates disent qu’il ne faut pas permettre que le Pape vienne. Je crois moi qu'il viendra. Je ne sais rien ce matin. Le Prince de Ligne qui retourne demain à Bruxelles a l'espoir d'être nommé ici, je le désire. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00395.jpg
Val Richer, Jeudi 7 oct. 1852

J’ai eu hier une lettre de Lord Aberdeen qui m'a été apportée à Paris par M. Cardwell. Il y est venu passer quelques jours avec sa femme. Je regrette de ne pas le voir. C’est un homme d’esprit, et Aberdeen me le recommande chaudement. Il nous aurait mis bien au courant de Londres. Lady Allice Peel le connaît beaucoup. J’ai déjeuné avec lui chez elle. Elle vous l’a peut-être déjà amené.
Aberdeen est évidemment, très peu bien veillant pour le Cabinet : " I suppose our Parliament will not meet before the middle of november, and although some indication will be afforded of the relative strength and disposition of parties, it is not at all probable that the existence of the government will be endangered before Christmas. Their real trial will commence in February, and what may be the result, it is extremely difficult to say. Their position, although discreditable and entirely unprecedented, is strong when compared with the scattered forces and disunited taste of their opponents. "
Nous oublions trop que Lord Aberdeen a été le collègue de Peel, de Graham, Gladstone, Cardwell, le Duc de Newcastle, qu’il a pris part à toutes les mesures de réforme commerciale, que c’est là son dernier acte politique, et qu’il reste attaché aux mesures et aux hommes. Il se sépare de ceux qui les repoussent ; il s’unira à ceux qui les adopteront. Il m’a l’air plus préoccupé de nos affaires que des [?], et bien convaincu que l'Empire, " Although it may, at present, make no great change in France or in Europe, is surely pregnant with future complications and wars "
Il est de l’avis de M. de Heeckenen. Il me dit qu’il voudrait bien venir causer. " It is not impossible that, after our short session before Christmas, I may go to Paris for two or three weeks ; but this must be extremely doubtfull. "
Avez-vous fait attention, au discours que Michel Chevalier a adressé au président, à Montpellier, au nom du Conseil général, et à la réponse du Président ? C'est le programme de ce qu’il y a de plus sincère et de plus honnête dans le Bonapartisme.
Il me semble que le Roi de Wurtemberg, des princes allemands, celui qui s'exécute le mieux pour la répression de la presse injurieuse au Président. C'est qu’il est celui qui a le plus d’esprit et le plus d'autorité chez lui. Savez-vous s'il y a un parti pris sur Napoléon 2 ou Napoléon 3 ? La diversité des acclamations me laisse dans le doute à cet égard.
Le départ de M. Frère d'Orbon pour l'Italie prouve que la retraite du Ministère Belge est sérieuse, et qu’il ne pense pas à se reconstituer en se rapieçant.

Onze heures
Je n'ai que le temps de vous dire adieu. Deux visites m’arrivent, en même temps que le facteur Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00393.jpg
Paris le 7 octobre 1852

Il y a si peu de monde à Paris dans ce moment que j’en suis à prévoir une complète solitude après le départ de Kisseleff. Je n’ai pas un habitué. C'est désolant. Quelle perte que Stockhausen ! Molke vient tous les matins, mais il ne le remplace pas. Je ne sais rien d’hier. On dit que le conseil est divisé sur la question de la réception à faire au Président. Faut-il ou ne faut-il pas de fracas ? Les plus sages Fould & & veulent le convenable, l'ordonnance. Les autres voudraient des arcs de triomphe de l’étalage. On ne sait pas ce que veut le Prince. Je tiens toujours mon pari avec Molé, pour l’Empire avant Le 1er Janvier. L'armée autrichienne rend de grands honneurs funèbres au Duc de Wellington. Il ne sera sans doute de même chez nous au retour de l’Empereur. Sans doute il y aura de partout des députations pour assister à ses funérailles. On dit qu’elles sont fixées au 13 Novembre. On disait hier aussi que le Parlement s’assemblerait le 26 octobre. Nous saurons cela bientôt.
Voilà la petite Princesse qui m'interrompt et l'heure qui presse. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00380.jpg
Val-Richer, Dimanche 3 oct. 1852

Je suis impatient de la lettre d'aujourd’hui qu’est-ce que ce malaise qui vous est survenu subitement ? J’ai été moi-même assez mal à mon aise ces jours-ci, nous vivons au milieu des ouragans et des orages. J'en ai ressenti l'influence.
Je vois dans les feuilles d'Havas que Hatzfeldt a demandé sa retraite à cause de sa santé. Je ne suppose pas qu’il y ait rien de vrai. Il était au contraire, ce me semble, allé à Berlin pour faire voir qu’il se portait bien.
M. Hébert est même hier passé la journée avec moi. Il dit que l'Empire sera décidément bien vu à Rouen, et dans tout le département de la Seine inférieure. Les affaires y vont très bien ; les manufacturiers gagnent beaucoup d’argent ; les ouvriers ont de bons salaires ; les uns et les autres ne demandent que de la durée, et ils espèrent que l'Empire leur en donnera.
La paix et la durée, ils ne pensent pas à autre chose.
L’Angleterre sera couverte de statues du duc de Wellington, aristocratiques ou populaires ; en voilà une à Manchester, au milieu des ouvriers. Du reste, c’est juste.
Il est vrai que les 2 500 000 fr. donnés pour la Cathédrale de Marseille sont singuliers. Le Président peut dire que c’est une simple promesse dont il demandera la ratification au corps législatif. Ce sera à ce corps à voir ce qu’il aura à faire, et de bonne ou de mauvaise humeur, je ne pense pas qu’il refuse de ratifier.
Le lac français est une parole plus étourdie que les deux millions. Est-ce par cette raison qu’on n’a pas publié le discours ? C’est une nécessaire mais fâcheuse sagesse. Quest-ce qu’une vanterie qu’on cache ?
Montalembert reste donc à Paris. Je croyais qu’il devait aller rejoindre en Flandres son beau-frère Mérode. Je suis bien aise qu’il vous reste plus longtemps.
Ste Aulaire vient-il vous voir quelquefois le jeudi, après l’Académie ?
Je trouve la conversation du Moniteur et de l'Indépendance belge au moins aussi aigre que le fait même. Quelle nécessité à cette discussion prolongée qui ne fera qu'embarrasser la négociation prochaine ? Quelques lignes d'explication suffiraient.
Croit-on à la formation d’un cabinet catholique et à la dissolution de Chambres Belges, ce ne serait guère dans les procédés habituels du Roi Léopold.
Avez-vous lu, dans les deux derniers N° de la Revue contemporaine, les fragments des Mémoires du comte Beugnot sur les derniers temps de l'Empire. Quoiqu'un peu bavards et longs, ils vous amuseraient. Je l’ai beaucoup connu, c'était un homme d’esprit et d’expérience, très douteux et très gouailleur, ce qui m’est antipathique. J’aime les gens qui veulent quelque chose et qui ne se moquent pas de tout.

Onze heures
Je remercie bien Aggy. Si je n'avais rien eu du tout, j’aurais été inquiet, triste et fâché, très mauvais états d’âme. Je suis fort aise que vous ayez vu. Andral et qu’il vous prescrive de vous bien nourrir. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00371.jpg
Val Richer, Jeudi 30 sept. 1852

Je n'aurais pas deviné, d'après les journaux que Marseille eût été un peu moins enthousiaste que Grenoble, et je m’en étonnais, car certainement l'opinion des deux villes est et a été de tout temps différente. Montpellier sera un peu moins enthousiaste que Marseille. Le Président retrouvera tout l'enthousiasme en quittant Bordeaux, à Angoulême.
Je regrette qu’on n'ait pas arrêté tout le complot. C’est un malheur pour tout le monde, et pour tous les temps que de tels scélérats échappent. Certainement Thiers est de bien mauvais goût d'attribuer ceci à la police. Il a assez vu de ces complots-là pour savoir qu’il y en a toujours plus que la pluie, elle-même n’en sait et n'en dit.
On me dit que la Reine et le Prince de Joinville sont partis pour Lausanne avec l’intention de faire effort pour ramener Mad. la Duchesse d'Orléans à Claremont. L'accident a été plus grave qu’on ne l’avait dit ; mais elle est bien.
Charles Pozzo fait bien d'avoir peur. C’est une manière de rappeler qu’il est le neveu de son oncle. On l'oublierait aisément.
Si je croyais au parti pris de chercher querelle à la Belgique, je croirais qu’on a pris, pour commencer, le prétexte de la négociation commerciale. J'en connais les difficultés, car j’ai eu à les résoudre deux fois ; mais elles ne sont pas insolubles ; il faut seulement n'avoir pas peur des clameurs de quelques industries intéressées. J’ai donc peine à comprendre qu’on n'ait pas abouti, car la situation de la Belgique vis-à-vis de la France, est moins bienveillante, il est vrai, mais plus faible qu’elle n’était de mon temps. Je ne crois pourtant pas au parti pris de chercher querelle. On n'en est pas là.
Le petit Lord John Russell n’a rien perdu de son énergie. Je suis sûr que son discours à Perth a eu du succès. Vous verrez que Lord Granville a raison. Si Dieu leur prête et nous prête vie, nous verrons un cabinet Russell, Aberdeen et Graham, et vous aurez le plaisir d'avoir Lord Granville à Paris.
L'Indépendance Belge dit que M. Bacciochi est allé à Constantinople pour s'entendre avec le sultan sur la mise en liberté d'Abdel Kader. Avez-vous entendu dire cela ? Je n'y crois pas. Et ce que surtout je ne crois pas, c’est que le sultan consente à se faire le geôlier d'Abdel Kader pour débarrasser le Président de cet ennui.

Onze heures
Adieu. J’aurais trop à vous dire sur le retour des mots lac français. Grosse faute, et que rien n'explique. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00356.jpg
Val-Richer, Dimanche 26 sept 1852

Je ne m'étonne pas qu’on attribue au Président quelques vues d’aggran dissement en Afrique ; c’est là qu’il peut tenter quelque chose de ce genre avec le moins de danger du côté, soit de Tunis, soit du Maroc. Je doute que l’Europe, et peut-être même l’Angleterre lui fissent, pour cela, une guerre immédiate ; mais il en résulterait, pour eux, au dehors, surtout à Londres, une situation très gâtée, et au dedans de graves embarras financiers, car, sur ce terrain-là les guerres ne rapportent rien et coûtent énormément. Et tout docile qu’il est, son Corps législatif ne serait guère disposé à lui donner beaucoup d'argent pour de telles conquêtes. A tout prendre, elle lui seraient, je crois plus nuisibles que profitables, et le Constitutionnel a raison de prêcher deux fois par semaine, comme il le fait, l'Empire pacifique et commerçant. Il ne faut pas pousser l’imitation au-delà du nom.
On vient de prendre un petite mesure que vous n'avez certainement pas remarquée, mais dont l'effet sera mauvais dans les départements, c’est la suppression de l'institut agronomique de Versailles. Pure économie, je crois ; on ne sait où en faire, et on en a besoin. Je n’ai pas la moindre opinion sur le fond de la question ; mais je sais, et je vois, autour de moi, que cet établissement plaisait aux propriétaires agriculteurs un peu aisés, et qui veulent que leurs enfants soient bien élevés en restant agriculteurs. Il était fondé ; il commençait à bien marcher. On trouvera cela léger [?] Sans compter qu’on met ainsi à la porte une douzaine de savants considérables qui crieront.
Cela vous est égal, et à moi aussi ; mais je vous dis ce qui me vient à l’esprit en lisant mes journaux.
Qu’est-ce que c’est que votre belle hongroise ? Sera-ce une remplaçante de Mad. Kalerdgis ?
Le discours de Lord John Russell à Stirling en l'honneur du duc de Wellington m’a plu ; la louange est vrai, et dit avec une simplicité ferme. Il n’y a rien de tel que de mourir pour n'avoir plus d'adversaires.

Onze heures
Pas de lettre du tout, ni de vous, ni d’Aggy. C’est trop peu. Donc adieu et adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00353.jpg
Paris Dimanche le 26 Septembre

M. Fould est venu hier me raconter la découverte de la machine infernale à Marseille. Très préoccupé de cela. On a pris tout le monde. Il croit à des ramifications à Londres. [Brignoles] il est très monté contre les [gouvernements] libres. On le fera sentir. Sentir aux uns, dire à un autre. Mais ceci peut même loin. Il faut voir l'influence que cet événement de Marseille aura sur le reste du voyage, il y a trois semaines encore. Dimanche le 16, il rentre à Paris. Entrée solennelle. Molé est venu hier très frappé de l’événement et triste, Dumon triste aussi. On croyait les fusillés oubliés. Les proportions de ceci étaient affreuses. De centaines de personnes y périssaient. Du reste Molé content de la pensée qu'on va être affranchi en même temps de la République et du suffrage universel ; Fould ne disait hier encore qu’il sera brisé après l’Empire. Celui ci est bien décidé, je ne sais si l'événement de Marseille le rapproche. (Voici votre lettre. Comment vous ne comprenez pas pourquoi la Reine ne fait pas seule. Mais ce serait son argent, elle aime mieux que ce soit celui de Parlement parenthèse) Vous voyez que c’est Hardinge qui commande l’armée. Choix très convenable. On s'occupe beaucoup à Londres de l’idée d'une descente. Le duc de [Wellington] la croyait très possible. et le Times peut la rendre vraisemblable autant que le complot de Marseille. Quoi ? Si l'on demandait à l'Angleterre l’éloignement des exilés ? It will end by war, voilà ce que répète Ellice depuis 4 ans 1/2.
J'ai montré à M. Fould ce que vous m'avez dit du discours du Prince à Lyon, cela lui a fait plaisir, mais quant à la remarque sur ce que le [gouvernement] de [Lord Palmerston] a rendu des respects à la mémoire de Napoléon, il dit qu'il courait après la popularité et que l’ayant reconnu là, la statue et les cendres ensuite ont eu cela pour à l'Angleterre l’éloignement des exilés ? It will end by war, voilà ce que répète Ellice depuis 4 ans 1/2. J'ai montré à M. Fould ce que vous m'avez dit du discours du Prince à Lyon, cela lui a fait plaisir, mais quant à la remarque sur ce que le [gouvernement] de [Lord Palmerston] a rendu des respects à la mémoire de Napoléon, il dit qu'il courait après la popularité et que l’ayant reconnu là, la statue et les cendres ensuite ont eu cela pour mobile. Il n'y a rien à répliquer c’est vrai quant à la légitimité elle n’y avait rien à faire. Pardon du petit bout de papier, je suis avare. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00351.jpg
Val-Richer, Samedi 25 sept. 1852

L'article du Moniteur est certainement ce qu’il y a eu jusqu'ici de plus positif. C'est une vraie déclaration d'Empire. Le Président fait jusqu'au bout ce qu’il a dit ; pour ceci, il ne veut venir qu’à la suite et obéir, sinon à la force, du moins à la volonté publique. Tout le monde le poussera, depuis le peuple jusqu'au Moniteur. Alors il acceptera. Je ne sais pas si le jeu était indispensable ; mais il est bien joué, et il le sera jusqu'au bout. Je ne crois pas que le bout soit bien loin.
Autre grande personne qui ne veut pas prendre d'initiative ; la Reine Victoria pour les obsèques du Duc de Wellington. Je ne comprends guère cette hésitation. Pourquoi ne pas faire soi-même, et tout de suite, tout ce qui se peut faire pour honorer un grand serviteur de la couronne ? Il me paraît que j’avais raison de croire que Lord Hardinge serait commandant en chef. Je le vois dans mes journaux. Est-ce sûr ?
Si Chomel voit aller voir la Duchesse d'Orléans, je suis bien aise qu’il ne vous quitte que lorsque vous commencez à être mieux. La Duchesse d'Orléans ferait bien, je crois, de ne retourner à Eisenach que lorsqu'elle sera tout-à-fait rétablie ; elle est là bien seule et bien loin.
J’ai reçu hier des nouvelles de Mad. de Staël qui me dit que les Broglie la quittent tous dans les premiers jours d'octobre pour revenir à Broglie. Mad. d’Haussonville est allée rejoindre son mari à Gurcy. Il y est fort tranquille, et ne songe plus qu’à chasser.
J’ai peine à croire que le Roi Léopold joue dans la question commerciale avec la France. Ses ministres actuels ne se refusent à ce que la France demande que parce qu'ils n'osent pas ; ils craignent les Chambres et l'opinion Belges. Les ministres que Léopold aurait, s'il renvoyait ceux-ci, oseraient encore moins ; ils auraient tout le cri libéral contre eux. Je n’entrevois pas comment on sortira de cette impasse. Ni à Paris, ni à Bruxelles on n'osera céder. Voilà votre petite lettre. Il ne dépend ni de vous, ni de moi de faire des nouvelles, et la correspondance ne vaut pas la conversation. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00338.jpg
Paris le 22 Septembre 1852

Vous m'avez pardonné hier. J’étais si fatiguée. Aujourd’hui j'ai dormi, et on m’a permis hier de manger un peu. Je me sens plus vivante. Le discours du Président devant la statue est la grosse affaire. Tout le monde le commente Il est habile. Chaque mot est une intention. Pour l’Empire, il laisse les choses où elles étaient. Cependant il est un peu en arrière des quatre mots à Nevers. Fould que j’ai vu hier matin dit que quant à l’enthousiasme, c'est à ne plus trouver de mots pour le raconter d’une manière vraie. Il en rit lui-même. Il me dit " cet homme est bien le maître de la France, le maître comme on ne l’a jamais été. Il la tient dans sa main. "
J'avais chez moi Heckman hier matin lorsque Montalembert est entré ; à peine celui-ci assis qu’arrive Fould nous voilà à nous quatre ! La place n'était plus tenable. Montalembert avait pâli d’émotion et de colère, il s’est levé et il est parti. Beauvale me mande que le Times est acheté par les Orléans et payé très cher. Lady Palmerston m’écrit aussi ; il n’est pas question de Nice. Le ministère anglais tiendra. La mort du duc de [Wellington] ne fait pas un très grand effet réel mais le regret public est universel.
Fould me dit : " nous avons commencé les hostilités avec la Belgique. " Vous avez lu le décret élevant les droits sur la houille & les fers. On répondra de la par les vins et les soieries et on finira par chasser les ministres. ces décrets au dire de Fould feront grand plaisir en Angleterre. J’ai vu hier soir beaucoup de monde, mais comme je le renvoie à 10 h. Cela ne me fatigue pas. Interruption. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00336.jpg
Val Richer, Mardi 21 sept. 1852

Je regrette cette idée de noviciat pour votre fils Paul ; d’autant plus que, dans l’apparence, il n’y a pas d'objection raisonnable. à y faire ; elle est naturelle. Mais évidemment, pour lui, cela n’est pas du tout nécessaire : c’est ou une pédanterie administrative, ou un mauvais vouloir détourné. Cependant, à moins que sa santé n’y mette tout-à-fait obstacle, si on insiste, il fera bien de se résigner. S'il a envie de rentrer dans les affaires, il ne peut pas espérer qu’il le fera sans ombre de désagrément ou d’ennui. Est-ce que M. de Meyendorff va à Pétersbourg ? Et y va-t-il, en même temps que M. de Nesselrode et Kisseleff ?
Votre calme de Paris n'est rien à côté de celui dans lequel je viens de rentrer ici. Je n’ai, à la lettre, point d'autre bruit que celui du vent, et point d'autres incidents que les alternatives du soleil et de la pluie. C'est bien vraiment le travail au sein du repos. Vie très saine, et au fond. très douce, sauf ce qui me manque.
Je pense avec plaisir qu’Aggy vous revient aujourd’hui. C’est une sécurité pour vous, et aussi pour moi. Marion est une sécurité et un plaisir. Croyez-vous qu’elle vous vienne avec son oncle, vers Noël, pour passer avec vous l’hiver prochain ? Je me figure que cet hiver, la fin surtout, sera très animé, pour les amateurs du mouvement de salon. L'Empire en répandra beaucoup à son début. Plus tard, il lui faudra un autre mouvement, qu’il aura peine à se procurer, du moins à un prix raisonnable.
Vous dit-on à quel moment Lord Palmerston passera à Paris, en conduisant sa femme à Nice ? Il sera bien reçu là. Le gouvernement actuel du Piémont l’a trouvé bienveillant, et le lui rend sans doute. Je trouve que ce gouvernement a un peu l’air de s'affermir. Quelques unes des querelles que le Clergé lui fait sont mauvaises et le servent.
Vos diplomates ont ils rencontré quelque part, M. de Cavour pendant son séjour à Paris ? Il doit avoir vu Thiers. Thiers a été bien venu à Turin.

Onze heures
Puisque Chomel vous voit souvent, je ne crains pas qu’il fasse de grosse faute ; il modifiera à temps le régime. J’attendrai impatiemment la nouvelle.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00332.jpg
Paris lundi le 20 Septembre 1852

Hier j’ai été en [?] le jour. Chomel est venu ce matin. Il fait continuer le régime, je ne puis plus marcher du tout. Où est- ce que cela va me mener ? Oliff ne s'accorde guère avec son collègue. On me promet de me donner à manger demain. Voilà mes nouvelles à moi. D’autre part je n'en sais rien. Tous les jours on parle plus & plus de l’Empire. Tristement pour le Président.
J'avais assez de monde hier soir, rien de bien intéressant et pas une nouvelle. J’avais vu Lord Cowley le matin. On est très monté ici contre la Belgique et à en croire le récit de Drouin de Lhuys Cowley dit que c’est avec raison. Il parait que le Duc de [Wellington] ne laisse pas de testament, et comme c’est un bien acquis il sera divisé entre les deux fils. En apprenant la mort du Duc, la reine a envoyé de suite à Londres lord Derby qui se trouvait auprès d’elle. Me voilà au bout, je ne sais plus rien. Adieu, Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00330.jpg
Val Richer, Dimanche 19 sept 1852

Je suis impatient d'avoir de vos nouvelles ce matin, et de savoir ce qu'aura dit Chomel. J’espère qu’il aura un peu élargi votre régime alimentaire. Il faut certainement ne pas donner à votre estomac beaucoup de fatigue, puisque ce sont les organes digestifs qui sont souffrants et fatigués. Mais il faut aussi soutenir les forces de ces mêmes organes pour qu’ils puissent continuer leurs fonctions. Toujours de la politique de juste milieu, aussi indispensable que difficile, et aussi difficile, qu'indispensable.
J’ai parcouru hier soir les journaux que je n’avais pas vus tant que je vous voyais. Pur acquis de conscience, car il n’y a rien.
Lisez un petit roman, la Messe noire, dans la Revue contemporaine des 1er et 15 septembre. Assez intéressant mélange. des moeurs du Moyen- ge et des nôtres, d'un amour de la croisade et d’un amour de salon. Je ne sais si l'article de M. Vitet sur le Louvre vous intéressera. Il m’a intéressé. C’est une histoire du monument, de toutes les vicissitudes, et une discussion de son avenir. Très sensible et spirituelle. Peut-être un peu technique pour vous.
Je trouve ici des torrents de pluie. Je n’ai pas pu hier passer plus d’un quart d'heure dans mon jardin. La température est extrêmement douce.
Je vois que Lord Mahn sera l’exécuteur testamentaire du Duc de Wellington comme de sir Robert Peel. Cela le consolera un peu de n'avoir pas été réélu au Parlement. Lady Mahon était une des petites favorites du duc. N’y aura-t-il pas, pour le Président, quelque inconvénient au grand éclat du début de son voyage ? Nevers ne peut guères être surpassé, et il est difficile que ce niveau là se maintienne. La saison des fleurs est trop avancée ; il n’y en aura pas assez partout pour embarrasser les jambes de ses chevaux, et les empêcher de marcher.
J’ai des nouvelles de Barante qui me dit : " On est bien tenté, quand on a tiré les ficelles, de prendre les mouvements de Polichinelle pour des actes vivants ; c’est un grand danger. "

Onze heures
Ne vous inquiétez pas trop du changement de régime ; la politique de juste milieu ressemble souvent à la politique de bascule ; on se porte à droite après s'être porté à gauche, là, où le secours devient, pour le moment, nécessaire. Adieu, Adieu.
Je reçois une longue lettre de ce pauvre Sauzet. Quelle ombre ! Bien honnête, sensée et pompeuse. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00324.jpg
Paris le 18 Septembre 1852

La Consultation a été longue tout le traitement est changé. Comme cela inspire confiance ! Enfin, je ferai encore ce qu’on m'ordonne. M. Fould est venu hier soir. Il dit que le Moniteur atténue encore l’enthousiasme. Il a parlé avec quelque aigreur de la Belgique. A son retour du voyage le Prince après avoir encore résidé à St Cloud et Fontainebleau, s’établira pour 3 mois de l'hiver aux Tuileries. On prépare pour lui l’appartement du Roi au rez de chaussée. Voilà toutes mes nouvelles.
Le vieux Prince Wolkonsky ministre de la maison de l’Empereur est mort. Le Prince Crénicheff ministre de la guerre se retire comblé de richesses & d’honneurs héréditaires pour sa descendance. Choses nouvelle chez nous, pour les dotations de pensions et & Ellice écrit que Lord John Aberdeen, & Graham marchent ensemble, que Lord Palmerston ignore lui même comment il va marcher. Qu’il sera très incommode au Parlemen et que c’est là sans doute sa vocation pour le reste de sa carrière. Voilà une visite. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00320.jpg
Val Richer, samedi 11 sept 1852

Je n'ai plus de goût à vous écrire ; nous causerons mardi matin. Faites- moi savoir chez moi, où j’arriverai de très bonne heure, à quelle heure vous voulez que j'aille vous voir.
C’est tout simple que Turgot fasse valoir Drouin de Lhuys. Celui-ci ne manque ni d’esprit, ni de tradition. Bien élevé d'ailleurs. et sachant vivre. C'est probablement le meilleur choix que le Président eût à faire. Ce qui est tout simple aussi, c’est qu’il vaille et fasse mieux cette seconde fois que la première.
Le journal des Débats, c’est-à-dire John Lemoisne est risible avec son acharnement à vouloir que l’Angleterre soit à la veille de nouvelles guerres de religion. Ce qui s'est passé là depuis deux ans démontre précisément le contraire ; à quoi ont abouti, et le grand mouvement catholique du cardinal Wiseman et le grand mouvement protestant contre le cardinal Wiseman ? à un bill qui n’est pas exécuté, sans que personne se plaigne de la non-exécution et à l'acquittement du Dr Achilli que tout le monde a trouvé et déclaré coupable. L’Angleterre reste protestante, comme auparavant et les Catholiques ne sont pas plus persécutés qu'auparavant. Pays de bon sens et de justice où les sottises font beaucoup de bruit et peu d'effet.

Onze heures
Vous m'écrirez encore demain, mais plus lundi. Ma place est retenue à la malle poste pour lundi soir. Je remets à mardi, Mad. Kalerdgis et toutes les causeries. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00316.jpg
Val Richer Vendredi 10 sept. 1852

Le dire de Fould est curieux. Certainement il est bon qu’il ait crédit et qu’il reste à Paris. Il conseillera et se conduira mieux que tout autre. Il a l’esprit juste, fin, point d'humeur, et point d'impatience. Le président aura raison de le croire et de le garder.
J’ai des nouvelles du Conseil général du Puy de Dôme. On m’écrit que Morny s’y est conduit habilement et avec beaucoup de mesure. L'adresse a été combattue, surtout à cause des décrets du 22 Janvier, et par les gens qui ont dit que, puisque ces décrets avaient fait quitter à Morny le ministère, ce pouvait bien être, pour eux, une raison suffisante de ne pas voter une adresse. Morny a soutenu l'adresse sans se brouiller avec les opposants.
Vous ne lisez jamais les affaires d’Amérique, elles m'amusent depuis quelques jours ; l’ambition brutale, insatiable, insolemment unprincipled, des Etats-Unis qui veulent absolument Cuba pour son sucre et les îles, Lobos pour leur fumier et les remontrances inquiètes, instantes, aigre douces, de l’Angleterre qui ne voudrait, ni leur laisser prendre tout cela, ni s'y opposer. Il pourrait y avoir là un gros avenir. Mais dans l'état où est aujourd’hui l'Europe, les Etats lui feront ce qu’ils voudront.
Je vois que le legs de M. Neild à la Reine d'Angleterre est de 300 000 liv. str. au lieu d’un million. C'est encore quelque chose.
Je ne croyais pas que Mad. Kalerdgis tînt tant de place dans le cœur de Molé. Je me méfie un peu des dires en ce genre, et en tout genre de Mad. de la Redorte ; elle a de l’esprit, mais ni bon jugement, ni bonne foi. Elle parle selon son humeur, ou pour satisfaire sa fantaisie du moment, sans se soucier le moins du monde de la vérité de ce qu’elle dit. Si elle dit vrai, Molé est bien en faute et Mad. Kalergis doit rire.

Onze heures
Je partirai d’ici lundi soir ; je serai à Paris mardi matin, et j'en repartirai vendredi soir. J’ai besoin d'être ici samedi. Soyez tranquille ; mieux je vous trouverai, plus j'aurai de plaisir à vous voir. Si vous étiez rose au lieu de jaune, ce serait parfait. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00312.jpg
Val Richer, Mercredi 8 sept 1852

Dites-moi précisément quel jour Aggy part pour son petit voyage. J’irai passer avec vous trois jours pendant son absence. Je veux voir par moi-même comment vous êtes et me donner, nous donner ce rafraîchissement dans le cours d’une si longue séparation. Je puis faire cela la semaine prochaine. J’attendrai après demain vendredi votre réponse pour fixer le jour de mon départ. Ce sera un charmant plaisir.
Je m'étonne que le Président ne soigne pas Cowley autant que Hubner. Il compte sans doute davantage sur la complaisance, de l’Autriche pour sa grande affaire ; mais il a besoin aussi de celle de l'Angleterre, et je ne la crois pas inabordable.
Ce que vous me dites de Lord Cowley quant aux chances de l'avenir n’est probablement pas son sentiment à lui seul dans son gouvernement. La politique anglaise est peut-être, de toutes celle qui vit le plus dans le présent. Le Cabinet actuel d'ailleurs n'est guère en état, ni en disposition d’aller au devant d’aucune difficulté, il les éludera tant qu’il pourra et n'en créera à personne pour ne pas s'en créer à lui-même.
Le journal des Débats répond à ma question ; il annonce le rappel du ministre de France à La Haye, le petit d’André, si je ne me trompe. Je doute que cela fasse revenir les Chambres hollandaises, au traité sur la contrefaçon. Ce seront de mauvais rapports inutiles.
Mad. Kalerdgi manquera à l'Elysée et à M. Molé. Il a le goût des comédiennes Mad. de Castellane valait mieux que celle-ci. Elle était capable de dévouement. Je doute qu’il en soit de même de Mad. Kalerdgi. Passe pour le dévouement d’un jour ; mais la dévouement long exclusif, non. Mad. de Castellane, il est vrai n’avait pas commencé par ce dévouement-là ; mais elle y était venue. C'est quelque chose.
A propos de Mad. Kalerdgi, Piscatory me revient à l’esprit. J’ai eu de ses nouvelles il va mieux. Il a eu une forte esquinancie mais il a une de ses filles assez gravement malade, ce qui le tourmente beaucoup. Il a du cœur. Il se tient parfaitement tranquille entre ses enfants et les champs.

Onze heures
Je vous chercherai de vieux Mémoires. Ce pauvre Piscatory a perdu sa fille, une enfant de douze ans. Je reçois trois lignes de lui. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00308.jpg
Val Richer, Mercredi 8 sept 1852

Dites-moi précisément quel jour Aggy part pour son petit voyage. J’irai passer avec vous trois jours pendant son absence. Je veux voir par moi-même comment vous êtes et me donner, nous donner ce rafraîchissement dans le cours d’une si longue séparation. Je puis faire cela la semaine prochaine. J’attendrai après demain vendredi votre réponse pour fixer le jour de mon départ. Ce sera un charmant plaisir.
Je m'étonne que le Président ne soigne pas Cowley autant que Hubner. Il compte sans doute davantage sur la complaisance, de l’Autriche pour sa grande affaire ; mais il a besoin aussi de celle de l'Angleterre, et je ne la crois pas inabordable. Ce que vous me dites de Lord Cowley quant aux chances de l'avenir n’est probablement pas son sentiment à lui seul dans son gouvernement. La politique anglaise est peut-être, de toute celle qui vit le plus dans le présent. Le Cabinet actuel d'ailleurs n'est guère en état, ni en disposition d’aller au devant d’aucune difficulté, il les éludera tant qu’il pourra et n'en créera à personne pour ne pas s'en créer à lui-même.
Le journal des Débats répond à ma question ; il annonce le rappel du ministre de France à La Haye, le petit d’André, si je ne me trompe. Je doute que cela fasse revenir les Chambres hollandaises, au traité sur la contrefaçon. Ce seront de mauvais rapports inutiles.
Mad. Kalerdgi manquera à l'Elysée et à M. Molé. Il a le goût des comédiennes Mad. de Castellane valait mieux que celle-ci. Elle était capable de dévouement. Je doute qu’il en soit de même de Mad. Kalerdgi. Passe pour le dévouement d’un jour ; mais la dévouement long exclusif, non. Mad. de Castellane, il est vrai n’avait pas commencé par ce dévouement-là ; mais elle y était venue. C'est quelque chose. à propos de Mad. Kalerdgi, Piscatory me revient à l’esprit. J’ai eu de ses nouvelles il va mieux. Il a eu une forte esquinancie mais il a une de ses filles assez gravement malade, ce qui le tourmente beaucoup. Il a du cœur. Il se tient parfaitement tranquille entre ses enfants et les champs.

Onze heures
Je vous chercherai de vieux Mémoires. Ce pauvre Piscatory a perdu sa fille, une enfant de douze ans. Je reçois trois lignes de lui. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00295.jpg
Paris le 6 Septembre 1852

J'ai manqué Fould hier, ce que je regrette. Je ne le verrai que demain, il est à sa cam pagne, certainement le Moniteur est à lui. J’avais oublié de vous dire. Il n’y a de communiqué que ce qui passe par lui. J'ai vu longuement Cowley hier. Voici ce que je relève de plus frappant de son opinion personelle " jamais un Bourbon ne pourra tenir en France. " Il regarderait donc une restauration comme devant ramener une révolution. Il est très décidé dans cette opinion. Il paraît qu’avant la conclusion de l’arrangement avec la Belgique. Les propos ici ont été très vifs jusqu'à menacer d'une invasion, aujourd’hui on se dit très content des deux côtés.
C’est Londonderry qui a eu la jarretière. Il a menacé de retirer trois voix au ministère dans la Chambre basse. On a cédé. Cela aura fort déplu à la Reine. Je doute que cela plaise au Président. Le dîner à St Cloud a commencé par un mistake. On était prié pour 5 1/2. Le Prince n’y était pas. Il se promenait à Bagatelle, il n’est rentré qu'à 6 1/2. Banischi avait fait le mépris. Le Prince s’est confondu en excuses. Il n’y avait personne Granville que Hubner, les Drouin de Luys, et une dame Rouger un peu leste. On a joué après mais pour de l’argent. Le Prince toujours très aimable puisque Hubner y était pour la princesse, Cowley aurait pu y être, ou Granville. Il n’y était pas. Hubner a dîné 3 fois depuis 3 semaines, pas un autre diplomate n’y dine.
J’ai eu hier une lettre toute d’amour de l’Impératrice elle-même. Elle m’écrit malgré ses yeux, & si tendrement ! Je ne sais rien de mon fils. Madame Kalerdgi était ici hier soir, maigrie, bien empressée pour moi, plein d’un nouveau roman allemand. Elle va en Russie dans 15 jours. Elle lève le camp à Paris, & n’y viendra plus qu'en passant. Molé avait l'air triste. J’avais assez de femmes. Il y a une grande disette d’hommes. On me conte qu'à Bade la suite du Prince s’y est rendue. Odieuse par sa jactance. Là on ne croit pas au mariage la [grande duchesse] Stéphanie serait contre ; elle veut du plus assuré pour sa petite fille. Il est question de Luitpold de Bavière qui doit être roi de Grèce. C'est Mad. Kalerdgi qui me rapporte cela, elle en vient. Voilà je crois toutes mes nouvelles.
Kolb part demain pour Bade avec les Delmas. Oliff est toujours à Trouville. Aggy s'en va après demain pour 10 jours chez les Hainguerlot. Vous voyez qu'on me délaisse. Je ne puis pas m'opposer. Adieu. Adieu.
Persigny n'a fait aucune affaire à Londres, et n’y a vu personne. Il a fait une visite de politesse à Malmesbury voilà tout. Il y était allé simplement pour amuser sa femme. Il est très amoureux d’elle. Voici quelques extraits de la lettre de l’Impératrice. Vos lettres me sont encore plus chères qu’autre fois, puisque nous nous connaissons et nous aimons encore mieux. Se revoir nous a réchauffé le cœur l'une pour l’autre. Je sais que sous la [Princesse] Lieven politique il y en a une autre qui est à moi, et à Dieu. Midi. Aggy remet son voyage à Tours jusqu'à la semaine prochaine

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00289.jpg
Val-Richer, Samedi 4 sept. 1852

Evidemment, il faut que Fould revienne et que le Président parte. Leur voyage à travers la France vous donnera seul quelques nouvelles à entendre, si ce sont là des nouvelles. Rien ne se ressemble plus que les voyages de Princes, tous les lieux deviennent semblables pendant ces jours là, et tous les incidents sont les mêmes.
La lutte du Moniteur contre les journaux Anglais continue. Elle est bien plus vive dans les feuilles d’Havas qui jouissent du privilège de l’incognito. Là on prédit la chute de l’aristocratie anglaise, de la monarchie anglaise ; on leur déclare que cette chute arriverait demain s'ils recevaient, comme nous, le bien fait du suffrage universel. Comment résisteraient-il à cette voix du peuple & &.
Ce sont les colères de l’ancien Empire avec le suffrage universel de plus. L'Empereur avait usé deux ou trois fois du suffrage universel, mais il se gardait bien d'en parler tous les jours. C'est vraiment une maladresse extrême, et si inutile !
On m'écrit que le comte de Chambord a reçu la démission de M. de Pastoret par une lettre officielle, très courte et très sèche. Pas un mot de remerciement ni d’ancienne amitié. Cela fait supposer à la brouillerie quelques motifs plus sérieux que ceux qui ont paru. C'est le Duc de Lévis qui est maintenant chargé des affaires financières du comte de Chambord. Cela le fera résider plus habituellement à Paris. On dit qu’il n'en est pas fâché.
Il avait été très sérieusement question de la retraite de l’armée Française de Rome. Mais le Pape n’a pas voulu donner l’assurance que ses propres gardes lui suffisaient, et prendre, l’engagement de ne pas appeler les Autrichiens. Alors on reste, et le Pape en est bien aise, car les Français lui sont plus commodes et moins compromettants que les Autrichiens.
Êtes-vous contente de votre nouveau maître d'hôtel ?

10 heures et demie
Pas de lettre. J’espère bien que ce n’est pas pour raison de santé. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00285.jpg
Val-Richer. Vendredi 3 Sept. 1852

Le temps est magnifique ; un air vif et un soleil chaud. Je viens de passer une heure me promenant à petits pas dans mon jardin. Il ne me manquait qu’une bonne conversation.
La police a raison de protéger efficace ment le général Haynau, et je suis bien aise qu’il soit plus en sûreté à Paris qu'ailleurs. Je trouve dans les Feuilles d'Havas le récit d’une conversation de lui où il a expliqué la femme fouettée, et les exécutions. Cela a l’air vrai, et quoique la dureté reste, au moins la férocité n’y est plus.
Je trouve les Conseils généraux à la fois très unanimes et très tièdes sur l'Empire. Point d'impulsion naturelle et vive une leçon apprise, ou bien un acquis de conscience. Je ne m'embarquerais pas sur cette planche-là pour une navigation semblable.
Ce qui me paraît le plus significatif, en faveur d’une intention arrêtée, c’est le vote du conseil général du Puy de Dôme présidé par Morny ; vote très explicite et très positif.
Chagrin à part, la mort de Lady [Palmerston] eut été, pour son mari une grande perte politique ; il lui doit l’agrément de sa maison, et l’agrément de sa maison est pour plus de moitié dans sa popularité. Vous reste-t-il encore assez de votre ancienne amitié pour que cela vous eût été aussi un vrai chagrin ?
Les petits jeux, les loteries, et les bijoux de St Cloud ont passé dans la presse ; plusieurs journaux en ont parlé, avec quelque détail. Cela ne réussit pas en province. On dit que c’est de la prodigalité, et on y suppose de mauvais motifs. Ce pays-ci est le plus singulier mélange de sévérité et de condescendance, de pénétration et de badauderie.
Qui aura la jarretière vacante ! Je ne puis croire que Lord Derby la donne à Lord Londonderry. Je voterais pour le duc de Northumberland ; mais il est déjà ministre par conséquent tout acquis. On la donnera peut-être à Londonderry parce qu'il ne l’est pas.
Dans votre disette actuelle, je regrette que vous ne connaissiez pas le Ministre des Etats Unis, M. Rives, qui doit retourner ces jours-ci à Paris. Il est un gentleman, il a de l’esprit et il aime la conversation. Il est vrai que vous n'avez pas grand goût pour les diplomates républicains, et lointains. Vous aviez pourtant Bush, et celui-ci vaut beaucoup mieux que Bush. Point démocrate.

Onze heures
Je n’ai rien à ajouter à l'amusement que M. Molé, Mad Kalerdgi, et Lord Granville vous ont donné hier, ou vous donneront aujourd’hui. Je suis bien aise que Chomel soit content de votre docilité. Si vous avez patience, j'espère bien qu’il guérira votre foie. Adieu, Adieu. G

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00284.jpg
Val Richer, Jeudi 2 sept 1852

2 septembre ! J'étais bien jeune ce jour-là, il y a soixante ans ; mais j’ai été nourri dans une sainte horreur de son souvenir, et je ne vois pas cette date écrite sans retrouver ce sentiment. Le massacres des prisons de Paris ont été certainement quelque chose de plus affreux encore que la Saint Barthélemy ; la haine n’y était pas.
Avez-vous remarqué l’article du Morning Post répété par le Moniteur et par les Débats ? Cela a bien l’air d’un nouvel ajournement de l'Empire et du mariage.
On a raison de se moquer du discours de M. de La Rochejaquelein ; la platitude et la fanfaronnade ne vont pas à ce nom- là. Du reste le Président a très bien fait de le nommer président ; pour lui, il n’y a que profit.
Je suis porté à croire que Lord Granville pourrait bien avoir raison. Quand un homme d’esprit, et de caractère a été longtemps chef d’un grand parti il ne tombe. pas, même quand il déchoit.
Je n'ai point de nouvelles d'Aberdeen. Leur bon vouloir mutuel à Lord John et à lui est ancien ; leur alliance officielle serait étrange, Lord John, Lord Aberdeen et sir dans Graham. Je n'y crois pas. Je crois à Derby pour assez longtemps.

11 heures
J’ai été interrompu par des visites de chasseurs, très matinales. Je n'ai absolument rien qui en vaille la peine à vous dire. Comme j’ai bon cœur, je suis bien aise que Lady Palmerston soit sauvée, pour elle, pour son mari et pour vous que sa mort aurait chagrinée. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00274.jpg
Paris mardi 31 août 1852

Lord Granville a passé quelques heures à Paris venant de Londres et allant chercher sa femme en Allemagne. Il est venu me voir et m’a fort intéressée. Il n’y a rien de nouveau cependant. Si Derby touche il croit à John Russell et le garde toujours comme le plus grand chef de parti en Angleterre, il confirme la liaison d’Aberdeen avec lui. Quant à Palmerston, jamais [Ministre] des aff. étrangèrs, & jamais premier ministre. Stuart Canning retournera probable ment à Constantinople.
Il n’y a pas moyen d’attraper un bout de nouvelle d'ici. Personne n'approche de St Cloud, et on n’a d’accointance. avec aucun homme en place. Fould ne revient que le 5 pour repartir le 15. Aggy a été faire visite aux dames Thiers hier soir. Elle y a trouvé Lasteyrie extrêmement engraissé. La rosière y était aussi. On ne parle pas politique. On s’est moqué du discours de Laroche Jacquelin, du bal de la Halle & & Voilà mon bulletin. Haynau est fort suivi et protégé par la police. Mes forces ne reviennent pas. Je continue les bains de Vichy. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00268.jpg
Val Richer, Dimanche 29 Août 1852

J’espère que le général Haynau ne sera pas insulté à Paris comme il l’a été à Londres, et à Bruxelles. Je me figure qu’il en est de lui comme de Naples et que ce qu’on a dit de ses brutalités est vrai. N'importe ; les brutalités populaires, et impunies, qu’il a subies sont des indignités. Je désire qu’il ne les retrouve pas à Paris. Il le devra certainement à l'ordre rétabli par le président, sans cela, Dieu sait comment il aurait été traité par nos socialistes. Probablement il ne serait pas venu.
Le dire de la Duchesse de Hamilton sur la princesse Wasa me frappe beaucoup. L'affaire serait donc tout-à-fait manquée. Comment pense-t-on à elle pour l'Empereur d’Autriche ? Je croyais que le mariage de l'Empereur était arrangé avec une Saxonne une fille du Prince Jean.
M. Hallam m'écrit, comme Lord Beauvale à vous, que le Ministère tiendra. Je trouve que le ton des journaux Whigs et radicaux l'indique aussi. Il y a une grande différence entre l'injure qui espère et l'injure qui n'espère pas.
J’ai ri de votre précaution oratoire en faveur de ceux qui ne peuvent pas être oubliés. Merci d'avoir voulu m'excepter de votre coup de patte à ces pauvres Français. Il est très vrai qu’ils ne supportent guère d'être oubliés. Et vrai aussi que les vainqueurs du jour voudraient bien que les vaincus se fissent ou se laissassent oublier. Personne ne supporte guère ce qui lui déplait ou l’incommode. A travers tous ces dépits, regrets, désirs et humeurs de droite, et de gauche, le monde va son train, et justice finit presque toujours pas se faire. Ce n’est pas l'avenir que je crains, je crains de n'avoir pas le temps de le voir.
Est-ce que Chomel ne vous fait pas boire quelques verres d’eau de Vichy ? Il est vrai qu'elles portent quelque fois très vite sur les entrailles, et qu'avec vous il ne faut rien risquer.
Mad. de Caraman est donc clouée à Paris. Elle fait bien tout ce qu’elle peut pour attirer dans sa maison, et devenir un centre. Je doute qu’elle y réussisse.

11 heures
Confiance ? Vous n'en aurez jamais dans aucun médecin, au moins passé les premiers jours. sauf dans Chermside, et parce qu’il n’est pas là. Mais essayez au moins quelque temps de l'obéissance. Chomel est un homme trop éclairé pour qu’elle puisse être dangereuse. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00264.jpg
Val Richer, Samedi 28 Août 1852

Votre découragement me chagrine au moins autant que votre faiblesse. Il est impossible que, n'ayant point de maladie, point de fièvre, vous ayez sujet d'être à le point abattu. Je sais que lorsqu’il vous a vue il y a quelque temps Chomel ne vous a trouvé d’autre mal qu’une de ces constitutions délicates et fatiguées qui exigent des soins continuels, mais avec lesquelles on vit très longtemps, comme deux secrétaires perpétuels de l’Académie, Fontenelle et Suard qui ont vécu l’un jusqu'à 99 ans, 9 mois, l'autre jusqu'à 84 ans, en ayant toujours eu mal à l'estomac depuis leur enfance.
Êtes-vous contente de Kolb ? Quand Olliffe retourne-t-il à Paris ?
Je vois, dans mon Galignani, que Lady Palmerston aussi a été malade, en Irlande. Mais elle est bien plus forte que vous. Elle doit avoir des crises vives et nom pas des langueurs. Antonini va-t-il partir en congé, comme le disent les journaux ? Le voyez-vous souvent et serait-ce une perte pour vous ? Autrefois vous l’aimiez assez comme porteur de nouvelles et il en savait. Mais il s’est fait grand tort un jour dans votre esprit, et bien justement. Puisque sa cour s'est si bien conduite, envers le président à l'occasion du 15 Août, il doit être en faveur à l'Elysée et assez au courant.
On parle de querelles dans l’intérieur du cabinet anglais, et de la retraite probable des protectionnistes intraitables comme M. Christopher. Est-ce vrai ? Il faut que les Protectionnistes se résignent ; la protection ne peut plus être le sine qua non de la politique conservatrice. Trois statues à Peel en trois ans. Londres, Leeds, et Montrose !
Je suis assez curieux de savoir si les nouveaux arrangements de Lavalette avec la Porte, annoncées par dépêche télégraphique seront aussi satisfaisants et efficaces que les premiers.

11 heures
J’aime mieux que vous soyez jaune. On sait que faire à cela. Mais faites, je vous en prie, ce que vous dit Chomel. Je ne crois point, hélas à l'infaillibilité, ni à la toute puissance des médecin, mais je crois encore, moins à la fantaisie des malades. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00233.jpg
Val Richer, Jeudi 19 Août 1852

Olliffe m’a amené hier M. Rivaz ministre des Etats-Unis, et M. Sheridan, M. frère de Lady Dufferin. M. River est un Américain Européen, spirituel, poli, Whig, c’est-à-dire conservateur dans son pays. Il s'attend à être révoqué de son poste après l'élection du nouveau Président qui appartiendra très probablement au parti démocratique. Il est fort occupé de la querelle entre les Etats-Unis et l'Angleterre sur leurs pêcheries, mais convaincu qu’elle s’arrangera. Lord Malmesbury et M. Webster, ont chacun de son côté cherché là un peu de popularité ; mais le bon sens public les arrêtera, et les a déjà arrêtés.
De nouvelles instructions viennent de partir de Londres. On ne croit pas que l'envoi de M. Baring à Washington soit nécessaire. M. Sheridan a la belle figure de toute sa famille, et pas l’esprit de ses deux soeurs.
J’espère que votre coquetterie de prendre un parapluie, pour une canne ne durera pas longtemps ; un parapluie est plus lourd qu'une canne et vous fatigue probablement autant qu’il vous soutient.
Le Président fait les choses, magnifiquement. Son bal des halles retardé doit lui coûter cher. Je présume du reste que ce n’est pas sa liste civile qui paye cela. Le corps législatif ne regardera pas de si près au budget du ministre de l’Intérieur.
Avez-vous remarqué avec quelle largesse, les journalistes et les imprimeurs ont été traités, en fait de croix d’honneur et d’autres récompenses ? C’est très démocratique ; mais je ne l’en blâme pas. Il use de son droit à son profit.
M. Sheridan m’a dit que les espérances de Lord Derby portaient sur deux points, la brigade Irlandaise et l’adjonction au Cabinet de Gladstone, et de Sidney Herbert. Il parait qu'à l’ouverture du Parlement, l’une des premières mesures proposées aura pour but de se concilier les Irlandais. Des avances aux Free traders, et aux catholiques. Voilà le cabinet Tory. Il n’y a plus de partis.

11 heures
Je ne puis que répéter. Pauvre Tolstoy ! Dites-lui, je vous prie, que je suis profondément touché de son chagrin, et que je le suis tout entier.
Je suis fort aise que vous ayez enfin un maître d'hôtel s’il n’est pas très bon, vous le formerez ou vous en changerez. Je suis de votre avis sur le dire de Molé ! Pourquoi le Président n’est il pas allé au bal des dames de la halle ? Je ne sais s’il fallait donner ce bal-là, mais le donnant, il fallait y aller. On ne peut pas à la fois rechercher la popularité et avoir l’air de n'en pas faire cas. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00230.jpg
Val Richer, Mercredi 18 Août 1852

Je reconnais bien M. de Varenne dans l’idée de faire chanter un Te deum en l'honneur de Napoléon dans l'Eglise catholique publique de Berlin. Il manque tout à fait d’esprit et de tact. Berlin est probablement de toutes les capitales de l'Europe celle où un pareil service devait le moins réussir. Dans la Chapelle de la Légation et entre français à la bonne heure, si le Président avait de grandes affaires, il verrait combien de tels agents sont impraticables.
Je remarque, assez de conseils d’arrondissement qui poussent à l'Empire. Nous verrons ce que feront les conseils généraux. A peu près partout, ils sont tels que l'administration, les a voulus, et elle en aura ce qu’elle voudra. C'est commode, mais pas toujours utile.
Les informations de Lord Aberdeen s'accordent avec celles de mes visiteurs anglais. Pour le moment, je crois plutôt à la durée de Derby, plus ou moins modifié, qu'à l'avènement de Lansdowne. Celui-ci serait obligé de dissoudre presque aussitôt. C’est trop d’émotion et trop de dépense. Lord Cowley redoute-t-il toujours Lord Malmesbury ?

Onze heures
Vous avez donc encore Stockhausen ? Je le croyais parti. Aggy n'aura pas la même popularité mondaine que Marion, mais je suis bien aise qu'elle aille un peu dans le monde, et qu’on l'y traite bien. Cela convient à votre salon.
Ce dont je suis bien plus aise, c’est de vos nouvelles de votre fils Paul. Non seulement cela lui montre ce que vous êtes et ce que vous pouvez pour lui, mais j’espère que si on lui ouvre une belle porte, il rentrera avec plaisir dans sa carrière. Je ne puis souffrir de voir un homme distingué perdre sa vie comme un good for nothing. Adieu. Adieu.
Nous avons eu hier ici un immense orage. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00220.jpg

Paris le 16 août 1852

Je ne puis vous rien dire d'important de la journée d’hier. Il y avait foule chez moi mais on ne se préoccupait absolument que de la foule, et du feu d’artifice. Le tout superbe et surpassant tout ce que j’ai vu. On dit qu’il n’y a eu aucun mauvais cri le matin dans la garde nationale et que la [?] a beaucoup crié Vive l’Empereur. J’ai eu tout ce spectacle sous mes fenêtres. A la madeleine Fould a pris le pas sur tous les ministres. Persigny assistait, mine effrayante. Il retourne à Dieppe. C'est Magne qui le remplace et très bien. Je n’ai pas vu Morny mais je sais que lui et Fould sont très bien ensemble.
J'ai eu une longue lettre de Lord Aberdeen. Il croit qu’avant octobre même ou pourra juger de la situation du Ministère. En cas de changement il croit à Lansdowne. Jamais Palmerston aux aff. étrangères. Assez aigre sur ici.
Midi. Voilà Auguste qui s'en va à Angers. Sa femme est morte, il faut qu'il aille. Je reste seule avec Jean, joli ménage ! Je n’ai pas encore de maître d’hôtel. J'espère que vous me trouvez à plaindre ! Le petit Tolstoy n'est pas mort encore, & pas à sauver. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00207.jpg
Val Richer 10 Août 1852

C'est dommage que la note du Journal de Francfort sur le prétendu traité du Morning Chronicle, ne soit pas mieux rédigée, elle est pleine de bon sens. C'est de la politique à la fois vraie et prudente ; accord rare. Mais les Allemands ne savent jamais donner, même au bon sens, le mérite de la simplicité et de la clarté.
Je suppose que les exilés ne se le feront pas dire deux fois pour rentrer. Il me revient que Thiers s'ennuyait autant en Suisse qu’en Angleterre. Mes Anglais me disent qu'à Londres, son ennui avait fini par devenir un sujet de moquerie générale. Les Anglais seuls, à mon avis n'avaient pas le droit de s'en moquer eux qui s'ennuient tant, et chez eux plus qu'ailleurs.
C'est surtout pour Rémusat et Lasteyrie que ceci me fait plaisir ; ce sont d'honnêtes gens peu riches, que l’exil dérangeait beaucoup et qui le supportaient dignement.

11 heures
C'est dommage, en effet que vous quittiez Dieppe au moment où M. de Persigny y arrive. Les conversations auraient été intéressantes. D’autant qu’il est loin, ce me semble, de voir les choses comme elles sont. Le mal, s’il vient, viendra de là ; des désirs et des alarmes révolutionnaires. Ce sont les dragons qui amèneront la guerre.
Je suis bien aise que vous ayez fait venir Kolb pour vous ramener. Vous ne me donnez pas aujourd’hui des nouvelles de vos jambes. Je pars demain pour Caen à 7 heures du matin. Je ne vous écrirai pas demain, et probablement cette petite course troublera un peu notre correspondance. Je serai de retour ici, Vendredi. Je ne vois rien dans mes journaux et je n'ai point de lettre. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00203.jpg
Val Richer. Lundi 9 Août 1852

La pluie n’est pas commode à la campagne quand on a des hôtes à amuser. Je crois pourtant qu’ils s'amusent. Nous avons toujours trouvé jusqu’ici deux heures dans la journée pour nous promener. Ils me quitteront demain soir et j'irai à Caen après-demain matin.
Leurs nouvelles de Londres sont insignifiantes. Sir John est un Whig bien déterminé. Il reconnaît les fautes de son parti, mais il n’en parle pas. Quand la conversation tombe sur Lord John ou sur Palmerston, il baisse les yeux et attend qu’on ait fini.
Le Duc de Bedford, n'a jamais donné et ne donnera jamais un sou à son frère John. Il a pris la passion de thésauriser en s'y livrant d’abord pour payer 700 000 liv. St. de dettes. Maintenant les dettes sont payées, et il a 200 000 Iiv. st. de revenu, mais il thésaurise toujours. Cela ne vous fait rien du tout ; mais je vous dis ce que j'entends, n'ayant rien à vous dire d'ailleurs.
Ou la réserve est bien grande à Paris, ou l’on y est bien résigné au statu quo. On n’entend plus parler ni d'Empire, ni de mariage. Il n’est question que du Conseil supérieur de l’instruction publique et de l’abstention des électeurs aux conseils généraux. Evidemment ceci a beaucoup fâché. On se trompe, si l’on croit que les préméditations, et les influences de parti ont décidé ce fait ; la paresse et l'indifférence y sont pour bien d'avantage. On a mis le pouvoir politique dans des classes qui n’y prennent intérêt que pour tout bouleverser ou pour se défendre d’une crise de bouleversement.
Je plains bien votre neveu Tolstoy. J'espère que ses inquiétudes passeront bientôt. Dîtes le lui, je vous prie, de ma part. C'est un excellent homme.

11 heures
Je vous aime mieux à Paris. Vous y serez plus commodément et mieux entourée. Je regrette qu'Olliffe n’y soit pas. J’espère qu’on vous renverra à Paris un exemplaire du Cromwell que je vous ai fait adresser hier à Dieppe. Cela ne se vend pas. Adieu, Adieu.
Je trouve, on ouvrant mon Journal, la rentrée, des principaux exilés, Fould a bien fait de donner cette compensation.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00198.jpg
56 Val Richer, Samedi 7 août 1852

Je vous trouve dans une disposition de grand abattement. Je voudrais bien que vous ne vous y laissassiez pas aller. Pardonnez-moi ce ridicule mot ; je n’ai pas le courage d’un de mes vieux amis de la vieille bonne compagnie du dernier siècle, M. Suard, secrétaire perpétuel de l'Académie Française, le Villemain d’alors ; il ne consentait jamais à dire passassiez, laissassiez, cassassier, et tous les ssassiez du monde ; il disait toujours, laissiez, passiez &&, et quand on remarquait que ce n'était pas correct, il se contentait de répondre : " Personne ne peut supposer que je ne le sache pas.
Je voudrais donc que vous ne vous laissiez pas aller à l'abattement ; vous n'êtes pas en état de supporter l'abattement dans l’ennui. J’aime mieux que l'ennui vous irrite ; vous ferez alors quelque chose pour vous en tirer. Je compte toujours que vous retournerez à Paris le 14 d'aujourd’hui, en huit, soit que vous marchiez ou non. J’espère que vous marcherez un peu.
Mes Anglais sont arrivés hier, par un assez beau temps. Ils étaient à peine, chez moi qu’un violent orage a éclaté, pluie, grêle, mes allées et mes fleurs ravagées ; vous ne connaissez pas les chagrins de propriétaire.
M. Hallam est intéressant, et inquiet. Le progrès des radicaux et la complaisance, sans limite assignable, de Lord John et de sir James Graham pour eux, l'inquiètent. Il ne sait rien de Lord Aberdeen, il ne le croit pas infecté de cette complaisance, il ne veut pas le croire. Quant à présent, Lord Derby tiendra ; il y a au moins 60 libéraux opposants, mais honnêtes, qui ne veulent pas l'attaquer ; ils le verront faire et si on l'attaque factieusement, ils le soutiendront. Lord John trop décrié pour redevenir, en ce moment chef de Cabinet, même si la place était vide.
La Reine s'adresserait à Lord Lansdowne qui malgré son âge et sa retraite ne pourrait pas refuser ; bien des gens serviraient sous lui qui ne voudraient pas servir sous Lord John. En ce cas Lord Palmerston deviendrait leader des communes comme chancelier de l'échiquier, et Lord John irait à la Chambre de Lords. Ce serait, pour lui, une grande défaite.
Hallam ne croit pas que les querelles religieuses deviennent the leading question ; il craint davantage une nouvelle motion de réforme parlementaire et le conflit de toutes sortes de propositions et de systèmes sur ce point.
Du reste immense prospérité, sécurité et confiance dans l'avenir, sans confiance dans personne. Autant, et (il l’espère) plus de progrès dans le good sense populaire que dans le radicalisme. On dit le petit Prince de Galles très intelligent et très bon.
Plus de 16 membres nouveaux dans la Chambre des Communes ; personne qui promette de devenir quelqu’un. Une très belle récolte et une admirable perspective de grouses pour le 12 Août.
Voilà les conversations d’hier soir. Ils m'ont fait coucher à près de onze heures. Adieu, en attendant, la poste. Je vais faire ma toilette.
Onze heures
Quatre pas c’est beau ! J'en suis bien content. J’espère tout-à-fait que vous marcherez bientôt et je compte qu'Aggy restera toujours. Adieu. Adieu.
Je n’ai pas deux minutes de plus. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00178.jpg
51 Val-Richer Dim. 25 Juillet 1852

Je partirai d’ici, Mardi matin, et j’espère bien arriver à Trouville avant que la marée n'emmène les steamers qui vont au Havre. Pourtant je ne sais pas bien exactement les heures de marée, et si je manquais la première je pourrais bien manquer aussi l’un des deux convois de chemin de fer dont j’ai besoin du Havre à Rouen, et de Rouen à Dieppe. Ne vous étonnez donc pas si je ne vous arrivais que Mercredi matin, cela tiendrait uniquement à quelque défaut de coïncidence dans les convois. Je ne veux pas arriver à Dieppe quand vous serez couchée. J’aimerais mieux coucher à Rouen.
On m'écrit que les ministres de Paris, pendant le voyage du Président niaient absolument toute modification dans le Cabinet. Turgot, disait-on, ne voulait pas entendre parler du Ministère d'Etat. On dit aussi que lorsqu'ils ont reçu les dépêches qui mettaient en saillie les cris de Vive l'Empereur, ils ont hésité un moment à les publier. Est-ce décidément la Princesse Wasa ou une Princesse de Leuchtenberg qui est l'objet de la recherche ?
Vous aurez remarqué ce qu’on m'écrit de Londres sur le rapport de Lord John Russell avec Lord Aberdeen. Il serait plaisant que Lord Palmerston passât dans le camp conservateur et Lord Aberdeen dans le camp Whig. Nous n’y verrons pas clair avant le mois de Novembre.
10 heures et demie Je n’ai rien à ajouter. Adieu jusqu'à après-demain. G

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00176.jpg
50. Val-Richer, samedi 24 Juillet 1852

C'est vrai, Mardi est bien loin ; mais il viendra dans trois jours, et quand nous aurons causé, vous serez convaincu comme moi que je ne pouvais faire autrement. Broglie n’est pas encore venu, je crois qu’il viendra ; mais ne vint-il pas, il fallait que je lui donnasse la semaine qu’il me demandait. Soyez sûre que vous serez de mon avis.
Je crois aussi que vous devez faire quelque chose sur ce sot communiqué du Moniteur. J’ai bien regretté et je regrette bien de n'être pas là, pour vous dire tout ce que je pense à ce sujet. Vous faites bien en tout cas de consulter Kisseleff. Peut-être serai-je à temps mardi.
Voilà des nouvelles qui m’arrivent de Londres, assez curieuses : « The government reckoned, on 307 which seemed tour un excessive estimate. They have got about 312 and may win two or three more. Such a party well disciplined may for a time be master of the house of common especially against a disjointed opposition without principles and without leaders. I think the main cause of Lord Derby's success has been the absence of my competitor or antagonist whom the country can tolerate and accept [?] Lord John Russell, leaned to the conservative side, he might have become such an Antagonist, and he has discovered this too late, for he is now in communication with lord Aberdeen. But by adopting the radicals, he destroyed his party and his position. The policy of the Whigs is now to avoid all hasty or premature attacks on Lord Derby, and to judge of the measures he is prepared to bring forward. But the position of the government is only the more critical, for at heads, a party prepared to demand more than it can execute... M. Lady Palmerston said to me last night triumphantly : " Observe, no one in the whole country dare, to call himself a follower of Lord John Russell ; even hastings Russell says he is a follower of sir R. Peel. " Vous connaissez mon correspondant. Adieu, Adieu.
Je voudrais bien que l’air de la mer vous fît un peu de bien. C'est vrai, je vous dois 5 fr.. Mais je ne veux pas recommencer. Je vous paierai mardi. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00174.jpg
42. Dieppe samedi 24 Juillet 1852

J'ai eu une discussion assez vive hier avec lord Cowley sur lord Palmerston. Amusant, il a fini par ne plus savoir que dire. Au reste il faut en prendre son parti. Palmerston reviendra au pouvoir plus puissant que jamais, premier ministre. C’est l'homme le plus considérable et le plus populaire de l'Angleterre dans ce moment. Voilà Lady Allice Palmerston aussi. Je ne sais sur le voyage de Bade rien que ce que me dit Stolham et ce n’est pas grand chose.
Le Prince a fait visite au Margram Guillaume, il n’avait pas vu la Princesse de Prusse encore. Le Régent. de retour à Carlsrohe de Berlin est très embarrassé, il ne sait que faire. Le grand duc de Hesse a envoyé son ordre par son premier ministre. Le Prince en retour lui a envoyé la légion par le colonel Fleury. On regarde tout ce voyage comme une intrigue de femmes finissant par un mariage. Le Prince se promène avec la [Marquise] Douglas entouré de la police française. Voilà la lettre du correspondant de [Stolham]. Thouvenel avait entendu dire que Fould aurait la secrétairerie d'Etat, moi je doute. Quant à Drouyn de Lhuys c'est sûr il a les affaires étrangères.
Vous ne me trouverez pas en bon état, et je ne sais vraiment que faire de ma personne. J’essaye tout ce qu’on me prescrit, & puis il survient des symptômes qui font qu'il faut changer. Cela ne m’inspire naturellement aucune confiance de corps. Le repos, la tranquillité d'âme & la distraction d'esprit. Voilà ce qu'il me faut. Le premier dépend de moi, les deux autres, des autres et là se produit ma misère. Vous m'aiderez au N°2 quant à la troisième condition elle ne peut venir qu'avec l'hiver. A quelle heure serez vous ici Mardi ? Vous pourriez vous dispenser d'amener votre valet de chambre. J’ai tout mon monde ici. Voilà des visites. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00172.jpg
49 Val-Richer Vendredi 23 Juillet 1852

M. de Persigny a de l’esprit et de la foi, ce qui est bien plus efficace que de l’esprit. Son discours aux articles a dû agir sur eux ; la foi est communicative. Mais les commentaires ne valent pas le texte, en voici un que je trouve dans les feuilles d'havas : " L’art a désormais de beaux horizons ; dans son libre développement, il côtoiera les merveilles de la civilisation moderne sans descendre des sommités où il plane, car le prodigieux avènement du Prince Louis Napoléon a ranimé cette fibre poétique qui sommeillait chez le peuple depuis l'Empire, et qui s'accommode, si bien des inspirations de l'art. Les artistes auront désormais un protecteur plus puissant que tous les rois de la terre le peuple lui-même ressaisissant, avec sa dignité ses allures chevaleresques et artistiques. " Nous n'avons plus maintenant qu'à attendre des Michel Ange et des Raphaël démocratiques.
Je viens de me lever. Le temps, est magnifique ; le soleil, qui se lève, en même temps que moi, chasse devant lui les vapeurs de ma vallée. Je suis vraiment bien fâché de ne pas aller vous voir aujourd’hui. J’aurais aimé à arriver à Dieppe, par ce beau temps. J'espère qu’il fera aussi beau mardi.
Si le Président revient aujourd’hui à Paris, il sera mieux traité du ciel qu’il ne l'a été à Strasbourg au moment du défilé villageois. Je prends toujours en compassion les fêtes populaires dérangées par la pluie.
Il me paraît que tous les Princes Allemands se sont conduits courtoisement dans cette occasion, Prusse, Wurtemberg, Bade, Hesse, et je ne sais combien d’autres. Je serai curieux de la relation que vous donnera Fould, car j'ai enfin trouvé son nom dans les Débats.
Que faites-vous du duc de Richelieu ? Je soupçonne qu’il est de ceux qu’on rencontre volontiers une demi heure une fois par semaine, mais dont la société quotidienne et prolongée n’a pas grand intérêt. Il ne me paraît pas qu’on s'amuse beaucoup à Trouville ; le chancelier a souffert de la chaleur. On attend beaucoup de monde, dans le mois d'Août.
Vous ne me dites rien d’Aggy. Comment se trouve-t-elle et comment vous en trouvez-vous ? Comme conversation elle ne vaut pas Marion. Je présume qu'Ellice ne lui écrit pas autant qu'à sa sœur. Savez- vous ce qu’il dit de leurs élections ?
11 heures
Pas de lettre et rien de plus à vous dire. Adieu donc. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00170.jpg
48. Val-Richer, Jeudi 22 Juillet 1852

Ce retard, jusqu'à mardi me contrarie beaucoup. Je m'étais promis de vous voir demain. Je ne pouvais pas refuser cette semaine à Broglie qui part pour trois mois, la semaine prochaine. Et toutes choses sont ennuyeuses à arranger de loin. Enfin, à Mardi.
Je voudrais vous envoyer tous les jours quelque nouvelle un peu amusante. Il n’y a pas moyen. Pour surcroît de disette, mon Journal des Débats m’a manqué hier. Il n’en sait et n'en dit pas plus que les autres, mais je suis accoutumé à mettre un peu plus de valeur à ce qu’il dit. Puisque le Président va à Bade, et prolonge son séjour à à Strasbourg, je présume qu’il arrange son mariage à la bonne heure.
Je sais gré à votre Empereur de ne vouloir pas de cette Princesse pour son fils à cause de son voisin. Il n’est pas intraitable, et sait soigner ce qui lui convient, même quand l'origine lui en déplait. C'est le complément de sa visite au Roi Charles-Jean.

10 heures et demie
Voilà votre lettre d'avant hier mardi, car décidément vous ne m’avez pas écrit lundi. J'espère que votre souffrance est passée. J’ai entendu bien parler de M. Godet, à des connaisseurs.
Le temps qu’il fait doit vous convenir, chaud et point étouffant.
Je crois que vous êtes injuste envers lord Aberdeen. Il n’est pour rien dans le Morning Chronicle. Ce sont, il est vrai, des gens de ses amis, le Duc de Noailles, Lord Canning, M. Smythe qui ont acheté, ce journal est qui le fait faire. Mais lui n'en est point et ne s'en mêle point. Je ne lui connais en fait de journaux, de relations qu'avec le Times et il met trop d'importance à celle-là, pour en cultiver d'autres.
Si la Princesse de Prusse quitte Bade au moment même, ce sera en effet une assez grosse impolitesse. J’en doute. La curiosité l'emportera.
Je viens de jeter un coup d’oeil sur mes Débats, deux numéros à la fois. Ils annoncent la modification ministérielle, M. Magne est un très bon ministre des travaux publics. Mais je ne comprends pas pourquoi M. Turgot à la secrétairerie d'Etat à la place et M. Casabianca.
On m'écrit que le comte de Chambord vient d'adresser à ses amis une nouvelle note encore plus catégorique quant au serment. Il l'a fait à cause des élections prochaines des consuls généraux. Cela chagrinera bien des gens ; mais si j'en juge par ce qui m’entoure et ce qui me revient, la plupart, obéiront. Adieu, Adieu.
La cloche sonne, le déjeuner. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00163.jpg
46 Val-Richer Mardi 20 Juillet 1852

J’ai eu hier trois lettres de Paris toutes également insignifiantes, quoique de gens bien informés. La chaleur, le voyage du président, et les chiens enragés, on ne s'occupe que de cela. Je ne vois pas que nulle part en Europe, on fasse rien de plus important, excepté en Angleterre. Croyez-vous que la question ministérielle se décide à la petite session qui va avoir lieu à la fin d'août, ou que ce soit une pure formalité, après laquelle tout débat sera remis au mois de Novembre ?
Quel est le journal Anglais auquel s'adresse le communiqué du Moniteur. Je ne lis ici que mon Galignani qui ne contenait absolument rien de semblable.
Le Roi Léopold tarde bien à revenir à Bruxelles. Il veut probablement laisser en paix ses ministres qui s'en vont dans l’embarras avant de s'y mettre lui-même. Je trouve qu’il serait bien bon d'accepter cet embarras. Ses ministres actuels ont encore la majorité Ils sont tenus de gouverner tant qu’ils ne l’ont pas perdue. C'est le jeu du Roi, je pense de les obliger à rester jusqu'à ce qu’ils la perdent en effet, et à convenir qu’ils ne se croient pas en état d'affronter les élections. Les Rois constitutionnels ont bien des ressources quand ils ont l’esprit et le courage d’un [?].

11 heures
Voilà mon facteur. Je n’irai vous voir que mardi prochain 27. Le Duc de Broglie m’écrit qu’il part le 29 pour la Suisse et il me demande, s’il peut venir que voir d’ici à lundi. Il ne peut me dire précisément quel jour ayant du monde, chez lui. Je tiens à le voir avant son départ. Je resterai donc chez moi jusqu'à lundi 26 inclusivement, et mardi, j'irai vous voir. Wasa est un beau nom même détrôné. Adieu. Adieu.
Je suis charmé, pour vous, que le temps soit rafraîchi. Pour moi, je regrette le soleil. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00153.jpg
43 Val Richer, Samedi 17 Juillet 1852

Dites-moi votre adresse Dieppe ; encore faut-il que je sache où aller vous chercher, quoique je sois sûr que je vous trouverais partout où vous seriez. Je compte aller vous voir la semaine prochaine. Je ne puis vous dire aujourd’hui précisément quel jour. J’irai par Trouville. Le Havre et Rouen.
J’ai envie qu’il fasse encore beau ce jour-là. Il pleut aujourd’hui à la grande satisfaction du tout le monde et même à la mienne pour la première fois hier, j’ai souffert du chaud. J’avais si mal dormi, dans la nuit que je me suis levé à 4 heures du matin. J’ai très bien dormi cette nuit.
Je passerai deux jours avec vous. J’attends la semaine suivante, M. Hallam, et Sir John Boileau. J’aurai du plaisir à les revoir. Ils me donneront les détails sur l’Angleterre. L'échec électoral qui Peelistes est frappant, si notre ami Aberdeen était à élire, il n'aurait peut-être pas été réélu.
Le succès du Cabinet en Irlande prouve à quel point les élections sont surtout protestantes. Cette chambre des communes sera partagée par moitié. Donc bien difficile à gouverner et bien mauvais instrument du gouvernement. mais je persiste à croire, pas de danger.
Le Président se trompe, s’il se méfie du Prince de Ligne. Le Prince de Ligne sera comme voudra son Roi. Et d'ailleurs si, aise d'être à Paris, lui et sa femme, qu’ils feront ce qu’il faudra pour y rester, et pour y être bien venus.
Vous avez toujours trouvé à Fould les mérites que vous lui trouvé aujourd’hui, et qu’il a en effet. Preuve de votre pénétration et de votre tact. Je désire qu’il reste en faveur ; il ne donnera que de bons conseils.
Mes journaux d'aujourd’hui me diront s'il va à Strasbourg. Si vous avez la Revue des deux mondes, (1er et 15 Juillet) lisez deux articles de M. de Rémusat sur Horace Walpole, et Angleterre du 18 siècle. Vous le trouverez bien parlementaire, mais spirituel, et intéressant.
Voilà donc Mad. Seebach établie à Paris Elle y sera une lionne de toilette l'hiver prochain. La Russie sera-t-elle aussi brillante que l'hiver dernier ?
On m’a raconté bien des choses de Mad. Kalergi. Il me paraît que le séjour de Mlle Rachel à Berlin a été très orageux. Vous voyez que je lis les nouvelles frivoles, faute d'autres.

11 heures Enfin vous avez Aggy. J’en suis bien content. Vous vous soignerez l’une l’autre. Adieu, Adieu. Je suis à ma toilette. Votre adresse. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00141.jpg
39 Val Richer, 12 Juillet 1852

C'est curieux à quel point on peut vivre dans le passé. Je m'occupe des nouvelles d'aujourd’hui, je lis mes journaux par routine, par convenance ; au fond, ce n’est pas à cela que je pense spontanément et avec intérêt l’histoire de Cromwell, et ma propre histoire de 1830 à 1848 voilà ce qui m'interesse, ce qui remplit, et anime mon esprit. C'est dommage que vous n'ayiez pas la même disposition ; je serais bien plus intéressant pour vous. Mais vous m'aimez que le présent vous êtes la contemporaine par excellence.
Que va-t-il arriver en Angleterre ? Vous devriez bien me le dire, car cela, j'en suis curieux aussi, selon ma conjecture, rien de décisifs, quand ils n’ont point de grande entreprise sur les bras et point de grand homme à leur tête, ils savent vivre, modestement au jour le jour faisant petitement leurs petites affaires, et se contentant de ne point faire de grosses sottises. Si le Président a la même sagesse il durera tant qu’il voudra.
Je suis bien aise que les radicaux des corps francs laissent Thiers tranquille à Verrey. Quand les justices providentielles arrivent, mon premier mouvement est la satisfaction. Mais je pense très vite aux personnes à leurs souffrances, à leurs chagrins, et je n’ai plus du tout soif de justice. D'ailleurs, après ses amis ce qu’on aime le mieux ce sont ses ennemis. Je m'intéresse à Thiers. Je ne le voudrais pas puissant mais point malheureux. Je ne vois pas pourquoi on met M. Drouyn de Lhuys aux affaires étrangères à la place de M. Turgot ; il a un peu plus d'encolure diplomatique au fond. Il ne fera ni plus, ni mieux. Passe pour ôter M. Duruffé des travaux public ; on peut avoir là un homme capable ; il y sera utile sans y être embarrassant. Est-ce que M. Magne, qui y était du temps de M. Fould ne serait pas disposé à y revenir ? C'est un homme vraiment capable. Je ne sais pourquoi je vous parle de cela. J’ai vu hier quelqu'un qui venait de Dieppe. Il dit qu’il y a beaucoup de monde, et très bonne compagnie, et qu’on trouve très bien à s'y loger. Mais je ne me fie pas à ce rapport, c’est un homme du pays, moins difficile que vous en fait de logement. Il vous faut la plage, ou près de la plage et un bon appartement dans la meilleure auberge.
Je vous quitte pour attendre plus patiemment le facteur en faisant ma toilette. Malgré la chaleur j'irai faire aujourd'hui une visite à trois lieues, dans un assez joli château. J’ai là un voisin savant, antiquaire infatigable qui ne vit qu’avec Guillaume le conquérant et Bossuet.

11 heures
Je suis bien aise que votre temps soit si plein, et vous savez que je ne me fâche jamais. à demain la conversation sur mon peu de curiosité en ce moment. Si j’avais pu aller à Paris, j’y serais allé pour vous voir plus que pour vous entendre. Je vous écrirai donc demain à Dieppe. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23014_00535.jpg
Val Richer, Samedi 8 nov. 1851

Vous me permettez du bien petit papier, n'est-ce pas ? J'ai beaucoup à faire ces jours-ci. Je veux absolument avoir fini mon discours, et je l'aurai fini. Une visite de matinée à Lisieux, chez les gens qui m'ont donné à dîner. Une visite. dans mes champs, avec mon fermier et mon homme d'affaires, pour voir s’ils sont bien cultivés et en bon état. Riez si vous voulez, de ma science agricole ; elle me prend mon temps comme si elle était bien profonde.
Je lis tout ce que vous m'écrivez, vous et Marion, tout ce qui me vient d'ailleurs, tout ce que me disent mes dix ou douze journaux ; je ne vois pas de raison de changer mon impression et mon pronostic. Je crois la situation où je suis en ce moment très bonne pour juger sainement. Bien informé des faits et loin du bruit. J’y vais rentrer. Je tâcherai de ne pas m'en laisser étourdir au milieu du bruit, on oublie le plus grand des faits, l'état réel du pays lui-même, et on fait des sottises dont on est averti par des catastrophes.
Je sais bon gré à ce bon Alexandre de sa résignation. Je me préoccupe de la situation de votre fils Paul. Nous en causerons si vous voulez et si cette conversation ne vous agite pas trop.
A tout prendre, j’aime mieux que Lord John ne vienne pas à Paris. Dieu sait ce qu’il aurait dit ou conseillé au Président. Les Anglais n'entendent rien à nos affaires et pourtant leurs paroles ont toujours du poids. Vous êtes vous fait lire le discours de Louis Blanc à Londres dans l’une des fêtes de Kossuth ? C'est le vrai programme du parti au moins des émigrés du parti ; il feront ce qu’ils pourront en 1852 pour soulever une grande prise d’armes à moins que nous ne le fassions exprès de les faire réussir, ils échoueront ; mais ils ne pensent guère laisser passer cette époque sans protester contre les anciens échecs.

4 heures
Nous avons bien les mêmes instincts. J’ai été frappé et désolé des fautes qui commencent. Adieu, adieu. Je suis chaque jour plus pressé de vous retrouver. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23014_00497.jpg
Val Richer Jeudi 30 octobre 1851

Hier soir, vers onze heures, le Roi Louis Philippe, signait, il y a onze ans, le Cabinet du 29 octobre. Il a duré sept ans et quatre mois. Quand reverrons-nous quelque chose qui dure autant. J’ai bien l'orgueil du passé, mais il ne me console pas des tristesses du présent. Mon esprit, est partagé entre deux pressentiments, très divers ; celui de mon bon sens qui me fait croire au retour de la monarchie et d’un ordre à peu près semblable à l'ordre que nous avons vu ; celui d’un instinct obscur qui me fait entrevoir, dans ce qui se passe, le commencement d'un état social très nouveau, point glorieux, et pourtant grand et fort, point solide et pourtant toujours à peu près le même, point d'avenir, mais chaque jour se suffisant à lui-même assez du moins pour ne pas être le dernier jour, une décadence à la fois agitée et monotone et durant des siècles.
Je suis très préoccupé de ce qu'on fera de ce qu'on doit avoir déjà fait à Claremont. Et non pas sans inquiétude. Ce sera inconcevable et impardonnable. Mais je crains qu’ils ne craignent qu'on n’exploite ce qu’ils feront, pour les lier plus qu’ils ne veulent être liés. Ils trouveront peut-être quelque biais indirect et disgracieux pour s'acquitter strictement. La poste de ce matin m'en apprendra peut-être quelque chose.
Je trouve toujours qu'on ne sait pas tirer parti, contre Lord Palmerston de ses démarches et de ses paroles. Sa réponse à Fortunato est un acte d’insolence effrontée vraiment, sans exemple. Si, en Angleterre même, l'opposition faisait bien comprendre au peuple anglais ce qu'il y a de frivolement pervers et de dangereux, en définitive pour l'Angleterre elle-même, dans ce patronage affiché, indistinct, de tous les ennemis de tous les gouvernements du continent, je suis convaincu que le peuple Anglais comprendrait et finirait par le trouver mauvais. Mais l'opposition attaque en passant, tel ou tel acte de Palmerston et ne fait point de charge à fond contre l'ensemble et le caractère permanent de sa politique ; et le peuple anglais croit que Palmerston est une espèce de grand patriote anglais, uniquement préoccupé, comme Lord Chatham ou M. Pitt, de la grandeur de l'Angleterre et à qui l'on ne peut reprocher que ce qui se pardonne toujours, la passion de l’égoïsme national. C’est cet absurde mensonge qu’il faudrait mettre en lumière. Je souffre toutes les fois que j'en vais manquer l’occasion.
On m'a envoyé, hier le récit des derniers moments de la Dauphine. C'est beau, précisément parce que ce n'est pas orné du tout. Son testament est admirable de simplicité et de vérité, me disant, ni plus, ni moins que ce qu'elle pensait, et sentait réellement. Cette phrase-ci surtout me frappa : " à l'exemple de mes parents, je pardonne de toute mon âme, et sans exception, à tous ceux qui ont pu me nuire et m'offenser demandant sincèrement à Dieu d’étendre sur eux sa miséricorde aussi bien que sur moi-même, et le suppliant de m'accorder le pardon de mes fautes. "
Il y a de sa part, une charité et une humilité Chrétiennes vraiment sublimes à se confondre ainsi elle-même avec ses bourreaux, et à implorer en même temps, pour eux et pour elle, le pardon de Dieu.

Onze heures

Je ne suis plus préoccupé que de vous. Vous faites bien de rester dans votre lit ; mais il faut que votre lit vous repose. Enfin, j'y verrai moi-même dans quelques jours. Hélas, la présence n’est pas la puissance. Adieu, Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23014_00465.jpg
Paris le 24 octobre 1851 Vendredi

Je suis si malade, et si tourmentée que je ne sais pas vous écrire une lettre raisonnable. Pardonnez-moi et acceptez le peu que je vous donne. La crise n’a pas fait un pas. Le public est très insouciant. J’ai vu hier-soir Berryer et beaucoup de monde, trop pour mes nerfs. On est très monté sur tout ce qui se passe. Le parti légitimiste très résolu à tenir tête. Je ne sais pas les autres. On me dit qu'on est très content de Changarnier. La mort de la Duchesse d'Angoulême est un événement et pourrait mener à bien, si à Claremont on veut le bien.
En attendant vous avez vu les paroles du Prince de Joinville à Adiot. Je vous les envoie pour le cas où vous ne les aurez pas. Deux lettres l'une à M. Foucher de lui qu'on a vues sont en contradiction formelle avec cela. Il veut qu'on soit muet, comment [?] cela. Les paroles dites à Adiot sont du 17. Les lettres des 20, & 21. Le Chancelier était aussi chez moi hier soir, très vif sur ce qu’on doit faire par suite de la mort de La [Duchesse] d’Angoulême. Noailles reste encore aujourd’hui ici. Le comte Bual est à Bruxelles. On retient Brunnow à Pétersbourg. Je ne sais ce que fera Brunnow. Mais évident le monument Kossuth fait fiasco. Lord John a réuni le cabinet le 14, & ne lui a pas dit un mot encore sur la réforme. Les Ministres n’en savent pas le premier mot. C’est Bauvale qui me le dit.
Une nouvelle impertinence de Lord [Palmerston] a provoqué de le part de Fortunato une [?] très vive, dit Antonini. La légation napolitaine à Londres est rappelée toute entière. On désigne un autre ministre Carini mais qui n’ira pas encore Antonini est plus furieux que jamais. A propos il est le seul diplomate qui approuve ce que fait le président.
Je suis triste pour moi du retard de votre arrivée à Paris. Pour vous je ne le regrette pas. Je ne vois pas le bien que vous pourriez faire, & je vois, même dans ce qui se passe aujourd’hui l’avantage pour vous de votre absence. Si l'on cherche à peser sur Claremont il vaut mieux pour la chose, que vous y soyez tout à fait étranger. Qu’allez-vous dire à Falaise depuis certaines préfaces il me reste de l’inquiétude dès que vous parlez ou écrivez. Vous me pardonnez mon impertinence.
Je ne sais rien de Morny. Vitet est établi à Paris depuis hier. Je le questionnerai sur Duchatel. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23014_00459.jpg
Val Richer 22 Oct 1851

Je crois que le Président dit vrai quand il dit qu'il ne veut pas changer sa politique. C’est certainement son intention. Il déteste le désordre. Mais le désordre vient, soit qu'on le veuille ou qu’on ne le veuille pas ; et quand une fois il sera engagé dans la bataille qui l’attend, sa politique changera sans lui et malgré lui. J'espère toujours que, de part et d'autre on se ravisera assez à temps pour s'arranger avant d’être au bout. Les amis du Président qui veulent aller à la fois au but et au bout se trompent ; le but n'est pas au bout. La loi du 31 mai modifiée de manière à rétablir comme électeurs un million ou quinze cent mille paysans en continuant de laisser en dehors un million ou quinze cent mille vagabonds et mauvais sujets des villes, voilà le juste milieu où est le but, si on finit par se rencontrer là, à la bonne heure. Sinon tout le monde ira à tous les diables. Je serais étonné que M. Billaut ne trouvât pas moyen d'accepter. Il est intelligent et ambitieux. Il ne trouvera pas une aussi bonne occasion de jouer un rôle, à la vérité je ne sais pas quelles conditions le Président lui fait. Je ne sais pas non plus s'il est lui-même hardi. Il pouvait l'être bien à son aise contre moi. Aujourd'hui, c’est plus hasardeux, et il faut l'être réellement.
Je suis charmé que le comte Bual quitte Londres dès que Kossuth y paraîtra si Brünnow et Bunsen, en faisaient autant, ce serait encore mieux, et leurs maîtres devraient le leur faire faire. C’est un moyen fort simple et sans danger de faire sentir à l’Angleterre le vice de la politique de Palmerston. Pas de guerre, pas même de rupture. On ne veut pas que les peuples souffrent de la faute du Foreign office de Londres ; la paix, et le commerce continuant ; mais les gouvernements du continent témoignant publiquement au Foreign office leur blâme et leur froideur. Cette conduite, unanime et soutenue finirait par faire effet. Pourquoi votre Empereur ne pense-t-il pas à cela ? C’est à Kossuth qu’il a fait la guerre. Le manque d’écarts s'adresse à lui presque autant qu’à l'Empereur d’Autriche, et on ne se fait faute de le dire tout haut.
J’attends impatiemment votre lettre d’aujourd’hui à cause de la consultation. C'est Chomel seul qui vient vous voir, n'est-ce pas ; et c'est Oliffe qui lui rend compte ?

Onze heure
L’avis de Chomel me prouve qu’il est tout à fait dans inquiétude, seulement, il vous trouve l'estomac fatigué et il veut le laisser reposer sans l'affadir. Les artichauts sont faciles à digérer et pourtant un peu excitants. Conformez-vous à son avis. C’est tout bonnement la diète. Vous vous apercevrez bientôt de l'effet. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23014_00455.jpg
Val Richer, Mardi 21 oct. 1851

Certainement si vous aviez dîné à côté du Président, vous en sauriez plus que Mad. Narischkin sur ce qu'il pense et prépare. Socrate n'était pas plus habile que vous à accoucher, comme il disait, les gens de ce qu'ils avaient dans l'âme. Voilà probablement la première fois que vous avez été comparée à Socrate.
Le Général Trézel m’avait écrit pour m'envoyer copie d'une lettre, sensée et honnête, qu’il avait adressée au duc de Nemours sur la Candidature du Prince de Joinville, et aussi, et peut-être surtout pour me parler de l'humeur qu’avaient donnée à Claremont les correspondances du Times, et pour me demander quel langage il devait tenir à ce sujet. Je viens de lui répondre une lettre que je crois très bonne, et sur la candidature, et sur le Times. Je regrette que vous ne la lisiez pas. J'espère qu’il aura l'esprit de la faire lire. Je suis de l'avis de Mad. de La Redorte. L’assemblée ne votera pas le rappel de la loi du 31 mai. Le Président n'aura, pour cela ni le gros des Conservateurs, ni le gros des légitimistes, ni la coterie Thiers. Il n’y a pas de quoi faire une majorité, en dehors de cela d’autant qu’il ne complaira pas assez à la Montagne, pour l'avoir toute entière. Il finira par reculer, et par accepter les modifications que voudra faire, à la loi du 31 mai, le parti de l’ordre, et dont la Montagne ne se contentera pas. Il dira à M. Véron: " Je n’ai pas pu obtenir davantage ; et il se croira un peu populaire pour avoir voulu davantage. Mauvaise manœuvre, soit qu’il aille jusqu'au bout, soit qu'il recule."
Palmerston aura son chemin de fer à travers l’Egypte. Je vois qu’il a donné à Abbas-Pacha le conseil de plier et de demander l’autorisation de la Porte. La Porte la donnera, et l'affaire sera faite. C'est une plus grosse affaire qu'on ne pense. L'Angleterre aura en Egypte une administration permanente, et une douzaine de petits forts sous le bois de stations. Je trouve vraisemblable et bonne l’explication que donne Aberdeen de son intervention dans l'affaire Gladstone. Il avait réellement pris le meilleur moyen d'étouffer le bruit. L'impatience de Gladstone l'a déjoué. J'envoie au duc de Broglie copie de ce passage de sa lettre. Aberdeen désire certainement que son explication soit connue.

Onze heures
Merci de votre longue et curieuse lettre. Mais c'est votre consultation qu’il me faut. Vous me la donnerez en détail n'est-ce pas ? Et si cela vous fatigue, Marion. Quel ennui d'être loin. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23014_00450.jpg
Val Richer. Lundi 20 Oct. 1851

Que signifie cette ridicule nouvelle du Constitutionnel que Lord [Palmerston] viendra à Falaise pour l’inauguration de la statue de Guillaume le conquérant ? Ce serait trop plaisant. Je donnerais bien 20 fr. pour qu’il vint en effet et pour qu’il parlât. Ce serait encore mieux que Lord John venant s'amuser à Paris.
La lettre d'Aberdeen me donne à croire que la Reine est peu favorable à la nouvelle réforme projetée. Quel dommage que le parti conservateur n'ait plus là ses anciens chefs ! Quelle belle occasion de prendre et d'exercer efficacement le pouvoir à l'approbation de la vraie majorité de l’Angleterre ! Certainement Aberdeen est très vexé de cette affaire Gladstone et il a raison. N'avez vous rien entendu dire de Gladstone à son passage à Paris ? Est-ce vraiment dans le midi de la France qu'il est allé passer l'hiver, comme le disent les journaux ?
Je ne comprends pas que Piscatory n'aille pas vous voir. Il ne m’a point récrit depuis une lettre dont je vous ai cité un fragment très amical. Il médite probablement quelque coup de tête en paroles dont il ne veut pas avoir à parler ni avant, ni après.
Vos détails sur l'attitude et la confiance du Président et de ses amis sont bien curieux. Je crois qu’il se trompe. Il y a beaucoup de vrai dans ce qu’il pense et beaucoup de possible dans ce qu’il espère de l'esprit de la population en général, des masses inconnues ; et si rien ne devait se passer, se dire et se faire dans l’Assemblée avant que le pays eût à se prononcer, le pays pourrait bien donner raison au Président. Mais des trois grands acteurs entre qui le drame se joue, le pays, le Président de l’Assemblée, le Président oublie que celui-ci viendra en scène et bientôt. Et quand il est en scène, tout change, ou bien ce qui ne change pas se tait et ne fait rien. L’oncle avait raison ; il faut bien vivre avec les Assemblées, ou vivre sans assemblée, ou avec des assemblées muettes et nulles. Le neveu entreprend de mal vivre avec des Assemblée qui parlent et décident. Et pourtant il aurait pu bien vivre avec elles. Je n'en finirais pas.
Changarnier a quelque raison d'espérer. Jamais sa chance, je ne dirai pas n'a ôté, mais n'a pu devenir aussi sérieuse que dans le moment. Si tant est qu’il puisse y avoir une chance pour qui n’est pas Prince. Quand pouvez-vous avoir la réponse à ?

Onze heures
Je suis bien aise que vous voyez Chomel. Pourvu que vous fassiez ce qu’il vous dira. Probablement rien de plus qu’un régime pour calmer vos nerfs et vous aider à dormir. Adieu, adieu. Je n'ai rien de nulle part. G. Voulez-vous que je vous renvoie la lettre d'Aberdeen ou que je vous la rapporte à mon retour ?

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23014_00407.jpg
Val Richer, Samedi 11 Oct 1851
Sept heures

Cela me déplait bien de n'avoir pas eu de lettre hier. J'espère que ce n’est pas autre chose, qu'une méprise de domestique ou de la poste quand on s'écrit tous les jours, il est difficile que cela n’arrive jamais. Si vous étiez souffrante, je compte que Marion m'écrirait. Je le lui demande formellement quoique je ne crois pas avoir besoin de le lui demander.
On me mande de source certaine, que le général Changarnier a formellement déclaré qu’il s'abstiendrait dans la proposition Créton, et qu’une fois sa candidature acceptée par les légitimistes, il la maintiendrait envers et contre tous, y compris M. le Prince de Joinville lui demandât-il lui-même de la retirer. Que le Général ait dit cela, je n'en puis guère douter. Qu'est-ce que cela veut dire ? Est-ce de sa part, un acte indépendant et vraiment personnel, ou bien est-ce arrangé avec Thiers, de l'aveu de Claremont ? Est-ce une manière de retirer, sous main, la candidature du Prince de Joinville, et d’y substituer celle de Changarnier en la faisant accepter d’abord par les légitimistes ? Ceci serait très possible, s’il était possible que Changarnier se prêtât à une telle rouerie. On me mande d'ailleurs que Thiers travaille décidément à faire sa retraite sur la candidature Joinville. On ajoute que le gâchis va croissant. Quand il n'y a pas moyen d'empêcher le gâchis, il faut au moins y voir clair.
Je vois que le manifeste de Kossuth à Marseille commence à faire en Angleterre l'effet que j'ai prévu. Les indifférents, comme le Times, comprennent et attaquent. Les bienveillants comme le Globe essayent d'excuser. Palmerston trouve sûrement que Kossuth est un maladroit, qui lui gâte son jeu. Nos journaux à nous n'exploitent pas assez cet incident. Ils devraient commenter le manifeste, et l'admiration qu’en témoignent les révolutionnaires. Cela aiderait les Anglais à comprendre.
Dans la solitude où vous laisse votre diplomatie n’entendez-vous rien dire du tout de ce qui se prépare en Autriche ? Je suis curieux de savoir comment s'arrangeront ensemble les deux idées qui sont là en présence : fortifier l’unité de la Monarchie autrichienne, et laisser à chacun des Etats qui la comptent, une existence et des institutions locales. La conciliation est difficile. C'est cependant le problème. Je présume que c’est la Hongrie qui paiera tous les frais de la Révolution.
9 heures
Génie arrive et me remet votre lettre. Je vous pardonne et je ne vous pardonne pas. Il était bien aise de me faire écrire deux lignes par Marion. Votre lettre à l'Empereur est ce qu’elle doit être pour réussir. Si elle ne réussit pas, je n'en parlerai plus. La lettre à l'Impératrice devait suffire. Je ne suppose pas qu’elle ne la lui ait pas montrée, ou qu’il ait voulu que vous lui demandassiez cette grâce à lui-même. Adieu, adieu. La conversation qui m'arrive est curieuse. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23014_00405.jpg
Paris samedi le 11 octobre 1851

J’ai enfin dormi, et c'est là tout ce que j'ai à vous apprendre. Les journaux sont pleins du bruit d'un changement. Votre petit ami auquel j’ai confié ma lettre hier, a pu vous porter les dernières nouvelles. Moi, je les ignore, entièrement. Je n’ai vu personne qui pût m'en donner. Viel-Castel ne sait ou ne dit jamais rien, & c’est le plus capable de mes visiteurs d’hier. Lasteyrie a parlé avec humeur feinte ou réelle de la conduite des Princes qui font toujours des bêtises. Il a parlé aussi avec une colère très sincère quoique contenu de Changarnier et tout joute sincère parce qu’elle était coutume. Il croit à la réélection du Président. Me voilà au bout.
Mon fils Paul va venir. Je le crois très effrayé. S’il va en Russie, ce sera pour lui bien pire que pour son frère. Et s’il ne va pas dans 6 mois on met le séquestre sur ses biens. Ce qu'il fera probablement sera de vendre ses terres et très mal. Comme il a des capitaux cela ne le dérangera pas. Et pour ce qu'il dépense il restera toujours beaucoup trop riche. Nicolas Pahlen va venir passer l'hiver à Paris. Kossuth fait un véritable événement en Angleterre. Palmerston reculera certainement. Le Morning post l’indique. Le journal des Débats serait-il bien informé à propos de Gladstone Palmerston & la diète de Francfort ? Hubner revient aujourd’hui de Corse. Adieu. adieu
Francfort est vrai. Je viens de l’apprendre à l’instant.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23014_00403.jpg
Val Richer, Vendredi 10 oct. 1851

Je ne comprends vraiment pas le refus de passeport à votre fils. L’intérêt politique n'est pas assez pressant pour qu'on fasse ce refus à tout le monde. Et si une exception est possible comment l'Impératrice ne l’ait-elle pas obtenu pour vous ? Conséquence, il ne faut être ni le sujet, ni la femme d’un souverain absolu. Qu'est-ce que cela présage pour votre fils Paul s'il y va, et comment se dispensera-t-il d’y aller ?
Je ne trouve pas que la lettre du duc de Nemours fût nécessaire. C'est faire bien de l’honneur au marquis de Londonderry. Et certainement il ne fallait pas lui rappeler qu’il avait dîné aux Tuileries. Ce fou impertinent répliquera, peut-être. Où s'arrêtera la correspondance ? Qui aura le dernier ? Pour tout le monde, il n’y avait qu’une chose à dire, c'est le gouvernement qui n’a pas ratifié la promesse faite à Abdelkader ; il en avait le droit ; lui seul répond de la façon dont il en a usé. J’aurais volontiers accepté de nouveau aujourd'hui cette responsabilité comme je l’ai fait à la tribune, au moment même du fait.
Je ne doute pas que les détails de Mad. de Laigle sur l’intérieur de Claremont ne soient exacts. Ils sont parfaitement d'accord avec ce que j’ai vu et recueilli moi-même dans ma dernière visite. La famille est un faisceau délié, et personne n'est en état de le renouer.
M. Molé connaît beaucoup mieux l'assemblée que moi. Il se peut qu’il ait raison de croire que, si le président ne fait rien avant sa réunion, il est perdu. Je crois de mon côté que, s’il fait quelque chose, j’entends quelque chose d’isolé et d’irrégulier, il est perdu. Le public ne comprendra pas la nécessité et lui donnera tort. Je rabache ; pour faire de telles choses, il faut avoir une veille, et un lendemain, grands tous les deux. L’urgence du péril, les fautes de l'Assemblée peuvent fournir une occasion et un prétexte ; personne ne les voit aujourd'hui. Et la preuve que j'ai raison, c’est que personne, absolument personne ne veut prêter au Président. Le moindre concours pour un tel acte, s'il y avait un péril imminent et un peu de confiance dans le succès, il se trouverait des poltrons même pour y aider.
Avez-vous des nouvelles de Montebello, et savez vous où l'on peut lui écrire ?

Onze heures
Pas de lettre. Pourquoi ? J’ai peur que ce refus de passeport ne vous ait donné une mauvaise journée, puis une mauvaise nuit. Il faut attendre à demain pour le savoir. Adieu, Adieu

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23014_00395.jpg
Val Richer. Jeudi 9 Octobre 1851

Les deux visiteurs qui me sont arrivés hier au moment où je vous écrivais étaient MM. de Bourmont et d'Osseville. Si les bonnes intentions suffisaient pour bien faire les affaires d’une cause, les légitimistes pourraient réussir ; mais il faut encore autre chose ; il faut surtout comprendre la langue qu'on parle et l’air qu’on respire. J'en désespère souvent. La perplexité de ces hommes-là au milieu des querelles de leur parti est grande ; ils ne veulent pas se brouiller avec M. Berryer et Falloux ; ils soupçonnent même que ceux là ont raison ; mais leur cœur est avec MM. Nettement et La Rochejaquelein ; ils ne peuvent se résoudre à s'en séparer. Quant au Général Changarnier, ils ne demanderaient pas mieux que de l'adopter pour candidat ; ils feraient même, à cette chance, le sacrifice de beaucoup de doutes et de méfiances. Mais, s'il vote pour la proposition Creton, c’est trop fort ; ils l'abandonneront tous. En dernière analyse, pressés entre le Prince de Joinville et Louis Napoléon, ils ne s'abstiendront pas ; ils voteront pour le dernier. Ils le savent déjà, mais ils ne le disent pas encore tout haut, et ils souffrent quand on leur dit. Pardonnez moi l’insulte ; on dirait un parti de femmes ; ce qui leur plaît ou leur déplait, voilà la considération décisive.
Vous avez bien raison, l'article de l'Assemblée nationale à propos d'Abdel Kader ne vaut rien ; il fallait être beaucoup plus moqueur, sur Lord Londonderry et beaucoup plus solide et arrêté sur le fond de la question. Ni moi non plus, je ne sais où ils ont pris la mission de Lord Londonderry à St Pétersbourg ; il faut pourtant qu’il y ait quelque prétexte ; est-ce qu'il n’a pas été au sacre de l'Empereur Nicolas ? pour Kossuth me surprend un peu. Est-ce pure badauderie populaire ? Le gouvernement sans s'y mêler, n'y pousse-t-il pas, n'y connive-t-il pas du moins ? Palmerston en est bien capable, et l'hostilité contre l’Autriche est son grand moyen d'influence en Italie, à quoi il tient beaucoup dans ce moment-ci. Être puissant en Piémont et en Suisse, couper l'herbe sous le pied à la France pas ; ils voteront pour le dernier. Ils le savent révolutionnaire et à ses portes c'est une bonne fortune qu’il cultive avec soin. Je soupçonne et ils souffrent quand on leur dit. Pardonnez aussi qu’à Constantinople et dans la question d’Egypte il n’est pas content de l’Autriche, et qu’il s'en venge. Mais qu’est donc devenu l’ancien sentiment national anglais ? Raynaud et Kossuth, c’est beaucoup.
Cette question hongroise a fait dans le monde plus d'effet que nous n'avons supposé. Voyez les Etats-Unis. On a vu là des aristocrates et une ancienne constitution ; on n'a pas voulu y voir des révolutionnaires. Que viendra faire Lord John à Paris ?

Onze heures
Le refus à Alexandre me passe. Je ne croyais pas cela possible. Je n’avais pas besoin de cela pour être sûr que mes préférences ont raison. Adieu, adieu. G.
Formats de sortie

atom, dcmes-xml, json, omeka-xml, rss2