CORREZ

CORREZ - Édition des lettres internationales adressées à Émile Zola


Lettre de Berthe Malvina Lévy à Émile Zola datée du 18 avril 1898

Auteur(s) : Lévy, Berthe Malvina

Transcription

Texte de la lettre223 Allegheny Avenue,
Allegheny Pa. (Philadelphia)
U.S.A.

Le 18 avril 1898.

Cher Maître !

Vous ne ressemblez en rien aux autres mortels, vous êtes si bon, si juste, si grand, ni magnanime !
Voici des semaines que comme on dit notre beau pays de France la main me pique pour vous entretenir de toutes les bonne choses que je pense de vous, elles sont si nombreuses que je ne vous les dévoilerai pas toutes.
J’ai suivi avec le plus vif intérêt votre procès et chaque matin en déjeunant, je lisais les journaux d'ici qui donnaient un assez bon compte-rendu des événements qui se produisent à Paris, je vous disais que je pleurais chaque fois, non seulement en pensant à l’honorable cause que vous défendiez si courageusement, mais surtout aux souffrances morales qui vous accablaient, vous le meilleur des hommes, me croiriez-vous ? Du matin au soir vous étiez et sur nos lèvres et dans nos cœurs.
Je suis Française de cœur et de naissance, mes parents aussi sont vos compatriotes, et résident dans la coquette Nany que vous connaissez sans doute, je suis juive, vous vous en doutiez n'est-ce pas ? Et savez-vous que nous sommes de vieilles connaissances? C'est que nous vous adorons tous à la maison du plus grand au plus petit, il y a quelques années vous écrivîtes à ma sœur Jeanne une de ces charmantes lettres qu'on conserve toujours et qui vous rend heureux toute la vie.
J'étais jeune encore et combien je l'enviais d'avoir de si belles lignes de notre grand poète et écrivain dont j'aimais tant lire les livres dont on me permettait la lecture ; je suis à présent une vieille fille de 24 ans en Amérique depuis quatre années instruisant de gentilles petites Américaines vos amies.
Figurez-vous que dans toutes les lettres que je reçois de mes parents ce ne sont que louanges du grand homme, d'un bout à l'autre. Dans sa dernière missive mère me dit qu'en apprenant la nouvelle par notre Rabbin de votre acquittement, papa a pleuré à chaudes larmes, ces larmes étaient précieuses et vous pouvez vous sentir flatté, je n'ai vu pleurer mon père qu'une seule fois dans sa vie.
Je vous félicite bien sincèrement, je suis si heureuse qu'on vous ai laissé votre liberté et j'espère que le nouveau jugement dont on parle aboutira au mêmes résultats.
Mon cher Monsieur Zola vous m'écrirez n'est ce pas ne fût-ce que deux mots à moi toute seule, je sais que je ne suis pas la seule à vous importuner ainsi en vous demandant une si grande faveur, mais vous êtes si gentil et si aimable, et puis je suis certaine que personne ne vous aime autant que moi, j'aime tout en vous, vous et vos œuvres qui sont imbues de cette belle vérité.
Les journaux d'ici disent que vous avez l'intention de venir en Amérique donner une série de conférences, vous viendrez n'est-ce pas, j'aimerais tant vous voir. Je crois que nous serions de bons amis, vous m'en voulez n'est-ce pas d'être si franche et de mettre à nu mes pensées les plus intimes, comment puis-je aspirer moi pauvre petite institutrice, en tout votre inférieure, à devenir votre amie ? Pourtant ce serait si bon de vous confier quelques petits secrets et de vous faire lire quelques pages de mon journal, vous ne rirez pas, n'est-ce pas ?
Grand Maître, je ne vivrai qu'à moitié jusqu'au jour où je lirai votre belle écriture.
Vous avez dit que vous n'aimiez ni ne détestiez pas les Israélites, et que ce n'était que pour l'amour de la Vérité que vous aviez si vaillamment défendu ce pauvre Dreyfus ! Aimez-nous donc un peu, nous vous aimons tant tous !
Tenez-vous à connaître la bavarde ?
Je vous baise la main en signe de respect et d'affection.

Signature : « votre petite adoratrice
Berthe Malvina Lévy

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Notice créée par Richard Walter Notice créée le 06/11/2018 Dernière modification le 21/08/2020