Votre recherche dans le corpus : 295 résultats dans 3424 notices du site.Collection : 1840 (février-octobre) : L’Ambassade à Londres (La correspondance croisée entre François Guizot et Dorothée de Lieven : 1836-1856)
418. Londres, Mardi 22 septembre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
huit heures
Je ne puis souffrir de vous écrire à la hâte, comme ces jours-ci. A part même l’ennui d’une lettre courte, être avec vous et me presser de vous quitter, cela me choque. Je viens de me lever. Rien ne me presse. Je m’appartiens. Je vous appartiens. Je reviens à votre dernière phrase.
" Pourquoi suis- je si triste ? " Je vous connais comme à moi, une raison d’être triste qui suffit à beaucoup de tristesse. J’accepte celle-là, pour vous comme pour moi. Y en a-t-il quelque autre ? Répondez- moi à la question que vous me faites. Savez-vous ce que j’ai découvert samedi ? Qu’il m’était désagréable de quitter Londres. En roulant sur le chemin de fer, je ne comprenais pas, à la lettre, je ne comprenais pas pourquoi j’avais le cœur un peu serré. Je l’ai trouvé en y pensant, et cela m’a soulagé de le trouver. J’aime Londres. Londres ou Paris. Quand un sentiment possède le coeur, que de mouvement instinctifs, irréfléchis, obscurs, il y fait naître ! On est triste ou joyeux sans savoir pourquoi. Puis on comprend. N’y a-t-il pas bien des chansons qui ont dit ce que je dis-là ? Voi che sapete & & Les chansons ont raison.
Je suis très préoccupé des affaires. La phase où nous entrons et la manière dont nous y entrons ne me plaît pas. Je suis convainecu qu’en France, comme en Europe on désire la paix, et qu’en France comme en Europe, on n’accepterait franchement, on ne soutiendrait ardemment la guerre qu’autant qu’elle serait née d’elle- même, par un accident imprévu, par une nécessité soudaine inévitable. Il faut ne pas vouloir la guerre, même eût-on la prévoyance qu’elle viendra. Car si le monde, qui n’en veut pas, peut soupçonner qu’elle est venue par la volonté ou par la faute de quelqu’un, ce sera, pour celui-là un affaiblissement immense impossible à mésurer. Vous le savez ; j’ai toujours cru, je crois toujours la guerre évitable ; mais quand je croirais, le contraire, et tout en m’y préparant, je m’appliquerais sans relâche, sérieusement, sincèrement à l’éviter jusqu’au moment où elle viendrait tomber sur moi comme la foudre. Si l’incendie doit éclater, il faut que ce soit par le feu du ciel, non pas d’une main d’homme. Personne hier à Holland house. J’ai tort ; lord Jeffrey, qui arrive d’Edimbourg. Je persiste dans ma première impression ; l’homme le plus spirituel que j’aie vu ici. Un peu d’humeur, et de découragement dans l’esprit ce qui en ôte beaucoup, car cela donne l’air vieux, et la vieillesse ne va pas mieux à l’esprit qu’au corps. Je ne sais ce qui m’arrivera ; jusqu’à présent, l’âge, en m’apportant de l’expérience, m’a paru n’apporter que de la lumière et de la force. J’ai appris à mieux penser et à mieux agir, non à douter et à désespèrer. Un moment viendra, je le sais, où mon esprit conservât-il sa pleine santé, mon corps affaibli ne suffira plus à lui servir d’instrument. Je tâcherai de ne pas me faire illusion sur ce moment là.
Depuis quelques jours une singulière envie de dormir me prend tout de suite après dîner, presque à table. Beaucoup moins quand je dîne chez moi que chez les autres. Je soupçonne qu’on mange trop ici, même moi, et que la fatigue de mon estomac fait la lourdeur de ma tête. Une tempête affrense. La pluie bat mes vitres à les casser. Les arbres de mon square baissent la tête jusque sur la grille qui l’entoure. Je crains bien que ceci ne me coûte demain ma lettre. La poste ne passera pas aujourd’hui. Je vois par les journaux anglais qu’elle a passé hier. Ils ont leur exprès de Paris. Il faisait beau hier. La pluie a commencé le soir, quand je suis revenu de Holland house. une heure Cette irrégularité des lettres me désole autant pour vous que pour moi. Quand aurez-vous eu celle de Dimanche ? Quand c’est-à dire à quelle heure, car certainement vous l’aurez eue. Je regarde au vent ; je le trouve tombé. J’espère que ma lettre à moi, passera aujourd’hui et que je l’aurai demain. Pendant qu’on espère une transaction à Paris, j’y travaille ici de tout mon pouvoir. Travail difficile dans cette saison. Où saisir les gens pour les chauffer ? Et les rapports obscurs, contradictoires, embrouillent tout. On a dévié de cette grande idée qui présidait depuis dix ans à la conduite de l’Europe. Aucune question particulière ne vaut la guerre générale. Le mal est là. On n’a plus de boussole ! Et on a dévié pour la plus petite, la plus lointaine des questions, pour une question que bien peu d’années de patience devaient emporter. Je ramène sans relâche, devant tous les yeux, l’idée grande, l’idée simple qui a tout sauvé. C’est en son nom que je prêche la transaction. L’obstination est grande. Obstination d’aveugle, et d’aveugle piqué qu’on le soupçonne de ne pas voir. Je m’obstine aussi. Vous savez que je suis peu accessible, au découragement. Adieu. Je vous redemande, en finissant la réponse à votre question de samedi. Adieu. Adieu.
436_1 Maintenon 27 sept. 1840, Copie de la lettre du Duc de Noailles à Dorothée de Lieven
Mots-clés : Ambassade à Londres
404. Du château de Windsor, Mardi 18 août 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
6 heures
404 est le vrai numéro de ceci. J’ai refait ma chronologie. Rétablissez la vérité sur mes six dernières lettres de France. Elles sont comprises entre 397 et 404. J’arrive. Le Roi Léopold n’est pas encore rentré de la promenade. Je l’attends et je pense à autre chose. Je suis dans une grande et belle chambre en damas jaune, en face de la grande allée. Je soupçonne que c’est votre chambre. Je soupçonne qu’on me l’a donnée à dessein. J’ai envie de ne pas me tromper. Une alcôve en face de la cheminée, avec une grande glace au fond, recouverte par une tenture flottante. La grande fenêtre en face de la porte. Une petite fenêtre longue dans un enfoncement à côté de la cheminée. Une toilette dans la grande fenêtre. Trois commodes, secrétaires, & l’un en ébène, très doré ! Un joli petit cabinet de toilette à côté. Ai-je raison ? Je suis venu en deux heures. J’ai dormi une heure ; dormi et rêvé. Éveillé l’autre heure en pensant comme j’avais rêvé. Une pensée unique et immuable dans une vie animée et variée.
Que d’espace j’ai parcouru, que de choses j’ai vues, et dites et faites depuis quinze jours ! Deux grands pays, deux châteaux royaux, trois rois dont une reine, la paix ou la guerre en Europe et en Asie. Et tout cela, c’est la surface. Il y a tout autre chose, au fond, une seule chose?
Mercredi 19 août. Midi. J’ai vu deux fois le Roi Léopold hier à 7 heures et tout à l’heure. Je suis content de ma conversation. J’espère qu’il m’aidera bien. Il comprend très bien la situation de la France. Il a plus d’esprit dans les grandes choses que dans les petites. Il devait partir demain 20 ; mais, il restera jusqu’à samedi 28 et plus longtemps s’il le faut. Je le laisse parler et agir. Je lui ai bien expliqué que mon attitude à moi, C’était l’attente, l’attente froide et tranquille. Nous sommes en dehors. Nous restons en dehors, jusqu’à ce qu’en dedans on sente et on nous dise qu’on a besoin de nous. Je ne change donc rien à mes premiers projets. Je retourne à Londres demain matin. L’affaire d’étiquette s’est passée hier comme nous l’avions prévue. On a coupé le différend par la moitié. J’ai donné le bras à la Princesse de Hohenlohe et je me suis placé à la gauche de la Reine, qui avait le Roi, Léopold à sa droite. Le Prince de Hohenlohe qui avait passé avant moi donnant le bras à la duchesse de Kent, était au dessous de moi à table. Mais au retour, j’ai repris la moitié que je n’avais pas eue en allant. Il n’y avait point de femme, personne ne donnait le bras à personne. Je me suis arrêté à la porte de sa salle à manger pour me faire présenter au Prince de Hohenlohe qui y arrivait en même temps que moi, et la présentation faite, j’ai passé devant lui en rentrant dans le salon. J’en ai fait autant en passant d’un salon dans l’autre. Ainse j’ai exercé tout mon droit. A dîner la Reine et la famille royale ont été, pour moi, particulièrement aimables. A glass of wine avec le prince Albert, le roi Léopold et la Reine elle-même, d’une façon marquée. Lord Melbourne et Lord Palmerston comme à l’ordinaire. Lady Palmerston gracieuse avec empressement ; tout à l’heure à déjeuner, elle se désolait du mauvais temps ; elle s’était promis de me faire faire une jolie promenade de me montrer Virginia-water.
- Mais le temps se lèvera, certainement il se levera.
- Prenez garde, Mylady ; je prends les promesses au sérieux. Lord Palmerston intervient, de l’autre côté de la table.
- Je donne ma garantie ; je suis sûr qu’il fera beau. Je me retourne vers sa femme.
- Lord Palmerston est bien heureux ; il est sûr avant. Moi, je ne le suis qu’après.
Adieu. J’attends Herbet, dans trois quarts d’heure. Je vous redirai adieu.
P. S. Voilà votre lettre. Je ne réponds à rien qu’à Adieu. A demain, entre midi et une heure.
421. Paris, Dimanche 13 septembre 1840, Dorothée de Lieven à François Guizot
9 heures
Voici trois dimanches bien différents entre eux. Dimanche 30 août, dimanche 6 où je vous voyais pour la dernière fois, et celui-ci que je passe si loin, si loin de vous mais il me semble que je suis chez nous. Et cette pensée est si douce, venez la compléter.
J’ai vu hier matin Bulwer, Montrond, mon ambassadeur. Le premier bien agité, bien inquiet. Il y avait quelque chose ; il venait me le dire, l’arrivée de Montrond nous a dérangés. Montrond inquiet aussi croyant à la guerre, me faisant des questions sur vous, surtout les détails de votre attitude, vos allures, votre maison. J’ai pleinement satisfait à toutes ces questions. Je l’ai trouvé ni bien, ni mal, disant seulement que Flahaut disait beaucoup de choses qui ne sont pas bien. Le roi belliqueux, mais croyait à le paix. Au total pas grand chose. Mon ambassadeur inquiet aussi, la journée semblait mauvaise. Il y avait quelque chose de menaçant dans l’air. Je lui ai conté hier M. de Brünnow, il est parfaitement indiqué et parfaitement sûr que l’Empereur n’y est pour rien, mais il ne devine pas et ne comprend surtout par la bêtise. Je lui ai conté M. de Nesselrode aussi, cela le confond, mais il n’a pas pour lui une grande estime. Il me dit que j’ai très bien fait mais que je les mettrai dans un grand embarras. C’est leur affaire de s’en tirer. M. de Pahlen dit un peu autrement qu’Appony. Il est convaincu qui si Ibrahim passe le Taurus nous irons à Constantinople. Au reste, il n’a pas eu un seul courrier depuis mon départ pour l’Angleterre pas un. Il n’a pas eu un mot même par la poste depuis ce traité, c’est-à-dire qu’on ne lui dit pas un mot du traité. C’est drôle ! L’Empereur sera de retour à Pétersbourg cette semaine.
J’ai fait ma promenade avec Mad. de Flahaut. Je suis avec elle comme avec lady Palmerston bien, et pas comme avant. Elle a recommencé des explications sur la lettre. Je lui ai dit que je n’y pensais plus, elle voulait dire, et elle a dit pendant une demi-heure, trente mille même mensonges je les ai écoutés probablement comme on écoute des mensonges car elle m’a dit : " Je vois que vous ne croyez pas un mot de ce que je vous dis." J’ai souri, et je l’ai assurée que sa réponse écrite m’avait parfaitement suffi. Et voilà qui est fini. Elle a bavardé, bavardé sur les affaires, bien dans le sens raisonnable. Après. cela elle a dit qu’il y avait une question curieuse à éclaircir, que le ministère disait que vous n’aviez pas su un mot du traité et ne lui en avez rien mandé jusqu’après sa conclusion ; que vos amis, c’est-à-dire une petite partie de vos anciens amis disaient que vous avez toujours éte d’opinion qu’il se conclurait que vous en aviez averti et souvent. et elle m’a interrogée. J’ai répondu froidement, que Londres on disait et croyait que vous le saviez et que vous l’aviez dit. Flahaut que je n’ai pas vu part demain pour Londres ou autre part afin de n’être pas ici pendant le procès.
J’ai dîné seule, ou plutôt pas dîné. Après, j’ai été en calèche encore, à droite, à gauche, passer mon temps. J’ai manqué Fagel ce que je regrette. Je me suis couchée à 9 1/2.
Voici votre lettre. Comment êtes-vous resté un jour sans rien de moi ! Vous aurez vu au moins qu’il n’y avait pas de ma faute. Il y a deux pages charmantes dans votre lettre, il y a dans chaque lettre des pensées si douces, si tendres. Ah que j’y réponde doucement, tendrement !
Midi. J’ai fait un tour de promenade au jardin à pied je suis lasse, le plus petit exertion me fatigue. Je ne me plains plus que de cela ; très fatiguée, très faible, très maigre. Il faut que je me relève de ces calamités. Adieu. Adieu extrêmement.
391. Londres, Mardi 9 juin 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
2 heures
A mon tour, j’ai une lettre bien courte ce matin. Mais je ne m’en plains pas. Je ne me plaindrai de rien cette semaine, ni la semaine prochaine, à moins que je ne me plaigne de vous ce qui ne sera pas. Je voudrais bien vous trouver quelqu’un pour vous accompagner. Pour calmer votre imagination sur du danger, il n’y en a point ; et la fatigue, un compagnon ne vous l’épargnerait pas. J’espère qu’elle ne sera pas grande. Le temps est beau. Quel dommage que je ne puisse pas aller vous prendre à Boulogne ? Ce serait si facile, si ce n’était pas impossible ? J’ai peine à voir d’où viennent vos pronostics de guerre. Je ne m’attends pas à ce qu’on fasse grand chose ici sur l’Orient. Et quand même on ferait quelque chose, je ne crois pas que la guerre en sortît. Je vous attends pour causer de cela, comme de tout. Quand nous pourrons causer que nous mépriserons ce qui s’écrit. Pendant qu’on hésite en Occident, Méhêmet Ali s’affermit et s’anime en Orient. Il agit partout où il y a des Musulmans ; il les rallie, il les échauffe. Il gagne chaque jour plus de crédit à Constantinople. Si on le pousse à bout nous aurons quelque étrange spectacle. C’est là du moins ce que promettent les apparences. Mais j’ai appris à me méfier des apparences et des promesses. Que la part de la charlatanerie est immense en ce monde ! Il y en a moins ici qu’ailleurs, et pourtant le humbug est grand ici !
Le Prince Esterhazy n’arrive pas. On dit qu’il ne se soucie pas de venir tant que l’affaire d’Orient durera. Et M. de Metternich non plus n’est pas pressé qu’il vienne. Il trouve que Neumann convient mieux à l’insignifiance, et à la tergiversation. Je n’ai point de nouvelles. On est encore aujourd’hui en vacances. Lord Palmerston ne revient que demain de Broadlands.
Le bruit court de nouveau que lady Palmerston est grosse ; bruit très général. On en parlait hier chez les Berry comme d’une chose que tout le monde savait. Il y avait hier chez les Berry, cette grande Miss Trotter qui a failli épouser M. de la Rochéfoucauld et qui ne l’a pas épousé parce qu’il n’a pas voulu lui permettre une femme de chambre protestante. Vrai type anglais grande, blonde, riche, belle avec de grands et gros traits, teint éclatant et sans finesse ; avide d’esprit, prompte à l’enthousiasme ; quelque chose de très sincère, et de très factice, l’air noble sans rien de distingué. En revenant de chez les Berry, j’ai passé un quart d’heure chez lady Jersey qui avait un petit rout. J’y ai vu vingt Miss Troller.
Dites-moi donc ce qui en est de Stafford house, et si on le met réellement à votre disposition. Je le voudrais bien pour que vous n’eussiez, point d’embarras. J’aime bien vos idées d’arrangement. Out pour tout le monde à des heures déterminées. Ne trouvez vous pas que, dans la jeunesse on aime l’imprévu et, quand on n’est plus jeune, le réglé ? Il y aura bien aussi de l’imprévu, et qui sera charmant. Mais le réglé fera le fond. de la vie. Je reçois ce matin une invitation du marquis de Hertford pour dîner à sa villa de Regent’s Park, qui paraît très jolie. Connaissez-vous beaucoup le marquis de Hertford ? Vous devriez dîner là. Adieu.
Je vous quitte pour écrire des dépêches. J’envoie un courrier ce soir. Il me semble que cette manie de voyage de la Reine d’Espagne fait assez de bruit. Le mouvement des journaux est vif pour envoyer M. de la Redorte à Madrid ! Ils montent à l’assaut. On me dit qu’il est bien trist’ le pauvre M. de la Redorte. Il ne se trouve pas tout le crèdit qu’il se croyait. Adieu. Adieu.
407. Boulogne, Vendredi 19 juin 1840, Dorothée de Lieven à François Guizot
Ma lettre ce matin n’est point partie par l’occasion régulière. J’ai donc quelque crainte qu’elle ne vous parvienne pas, ce qui fait que je recommence à vous conter mes doléances. La mer est affreuse je n’ai pas eu le courage de m’embarquer. J’attends du calme demain. S’il ne venait pas il faudrait le prendre, mais j’aime presque cela mieux que le mal de mer. Vos n’avez pas d’idée de l’ennui de ceci. Il fait très froid, très gris. Il pleut à verse ; si je n’avais mon compagnon de voyage deux heures dans la journée ce serait horrible, je lis les journaux de Paris et de Londres, je vous cherche. Ne devrais-je pas vous chercher à Boulogne aussi ? Vous aviez une fois le projet d’y être ? J’attendrais plus patiemment que la tempête se calme.
Je vous écrirai aussi longtemps que durera ma quarantaine. Je regarde les girouettes et les nuages, ils me sont bien hostiles. Adieu monsieur adieu. J’avais bien espéré, ne plus vous dire. Adieu aujourd’hui je comptais vous voir ce soir ! Quel guignon ! Un temps superbe jusqu’au jour où j’ai quitté Paris, et depuis toujours tempête. Adieu. Adieu.
318. Londres, Mardi 3 mars 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
318 Londres, Mardi 3 mars 1840
6 heures
Je viens de passer ma matinée à écrire une longue dépêche sur la conversation que j’ai eue hier au soir avec Lord Palmerston et où nous n’avons pas encore abordé les affaires d’Orient. Je devais le revoir aujourd’hui à une heure. Mais il m’a prié de remettre à demain. Il était obligé d’employer sa journée à préparer les documents demandés par la Chambre des Communes sur la querelle avec la Chine. Sa vie pendant la session est vraiment très dure. Il travaille beaucoup. Je lui trouve l’esprit net, prompt & pratique. Il doit prendre de l’influence.
Je n’ai encore fait que rencontrer Lord Melbourne. Mais il me plaît. Je lui trouve un certain mélange de bonhomie & de commandement, d’insouciance& d’autorité que je n’ai pas encore vu. Son crédit auprès de la Reine est toujours le même. Les Whigs aiment tendrement la Reine. Ils font remarquer qu’on n’a pas encore cité d’elle un acte, un mot qui manquât de prudence ou de tact.
Elle n’a plus grand goût à la danse. Elle aime mieux son mari.
Je dîne jeudi à Buckingham-Palace. Cela me fait déranger un petit dîner chez moi ave Dedel, Alava et le baron de Blum. Le corps diplomatique me parait très avisé de ces petits dîners & d’une partie de whist après.
M. de Hummelauer a plus d’esprit que vous ne m’aviez dit. Il part au mois de mai, charmé de quitter l’Angleterre, où il s’ennuie, pour aller à Milan épouser une jeune Italienne de 18 ans qu’il ennuiera, je pense. Ellice est venu dîner hier avec moi, très bon et très aimable. Je puis abuser de lui tant que je voudrai. Je lui ferai plaisir.1
J’ai interrompu mes écritures ce matin, pour aller mettre des cartes, chez Lord Lyndhurst, Lord Cowley, et le marquis de Northampton. Voilà qui est bien intéressant , n’est-ce pas ? Je vous dis tout.
Ma chambre donne sur le square. On dit qu’elle est très gaie. Décidément, ici, le ciel et la terre se confondent, gris tous les deux. J’ai regardé hier le soleil bien plus en face que ma lampe. C’est là, jusqu’à présent, le seul fait physique qui me frappe en Angleterre. Je n’ai du reste aucune impression d’un changement de climat, de température et d’habitudes. Si j’avais près de moi ceux que j’aime j’oublierais parfaitement que j’ai changé de lieu. Mon cuisinier a le plus grand succès. Ellice dit qu’il n’a point de pareil. Mon maître d’hôtel est excellent. Je ne suis pas aussi content de mon valet de chambre. Je ne vous dis que des balivernes et j’ai à vous parler de choses si importantes. Je n’ai pas voulu les entamer ce matin. Je me repose avec vous de ma dépêche.
Mercredi, 5 heures
Je voulais vous écrire avec détail sur le parti que je prends, vous dire toutes mes raisons qui me semblent décisives et ne me laissent aucun doute. Je sors de chez Lord Palmerston qui m’a gardé trois heures et demie. J’ai à peine le temps d’envoyer à la poste. A après-demain donc les détails. Mais je veux que vous sachiez au moins l’ensemble. Voici des copies de la lettre que j’ai reçue ce matin du Duc de Broglie, et de celle que j’écris aussi ce matin, à M. Duchâtel. Vous serez au courant. J’y ai bien pensé. Je suis parfaitement convaincu. J’attendrai et je regarderai. Quel douloureux ennui que l’éloignement! Je voudrais vous tout dire et je ne vous dis rien, rien.
Je suis charmé que vous ayez vu ma mère. J’étais sûr qu’elle vous plairait. Adieu, adieu. Quand je cesse de vous écrire, c’est encore une séparation. Adieu au moins.
460. Paris, Jeudi le 22 octobre 1840, Dorothée de Lieven à François Guizot
9 heures
Le brave homme que Simon ! J’ai votre lettre déjà. Ce que j’ai écrit le 30 août ? J’ai vite ouvert mon livre et j’y trouve ces deux mots rien que cela grand jour (souligné) quelques jours auparavant. Il y avait une autre note (la 25) ; venez la lire, deux mots aussi Je ne veux pas les répéter.
Votre lettre hier m’est arrivée tard. Voilà donc les jours figés. Votre lettre d’hier, celle aujourdhui. Une charmante aujourd’hui si fière, si haute, si décidée. Je vous remercie d’être fier, d’être haut, d’être décidé. Je vous remercie de tout, savez -vous de quoi je ne vous remercie pas ? C’est de vous embarquer à Londres pour le Havre, à la fin d’octobre. Vous n’avez donc jamais eu quelqu’un que vous aimez sur mer ? Vous n’avez jamais su ce que c’est que l’angoisse qu’on éprouve de loin, au moindre souffle. Et bien vous me trouverez malade j’en suis sûre car pendant vingt heures je tremblerai au moindre nuage, et si le vent s’élève mon dieu dans quel état je serai! Ne pourriez-vous pas m’épargner cette angoisse. Pourquoi faut-il ce détour. Et s’il le faut absolument pourquoi ne pas prendre par la terre, aller débarquer à Calais à Boulogne, je n’aurai pas peur, mais 20 heures de mer dans cette mauvaise mer ! Mon Dieu, si vous pouviez me faire ce sacrifice, si je pouvais croire que mes paroles seront entendues ! J’ai vu l’alerte de hier matin, j’ai été bien animée, bien furieuse, le soir le petit est revenu plus rassuré et je l’ai été aussi.
J’ai été chez les Appony c’est leur jour. Lord Granville revenait de St. Cloud ; les ministres y étaient, on allait tenir un conseil important sur le discours de la Couronne, il décidera sans doute. La situation du Cabinet Tout le monde a l’air d’attendre une crise ministérielle. J’ai vu M. Molé aussi hier au soir, le visage allongé, inquiet, préoccupé ; reprenant au moindre petit mot qui pouvait avoir un air d’encouragement Je me suis très certainement divertie à ses dépends, il ne s’en est pas douté. Je lui ai fait quelques questions banales, il n’avait pas encore vu M. de Lamartine. On me dit que le Maréchal Soult était revenu radieux d’un premier entretien avec le Roi.
Je ne sais plus ce que je vous dis tant je suis heureuse, heureuse ! Et inquiète de cette longue navigation. Hier après mon dîner je suis restée trois quatre d’heures. couchée rêvant le bonheur qui m’attend, mais le rêvant si vivement, si vivement ! Non, la réalité ne peut pas être si charmante. Et plus j’y pense, plus je tremble ; je tremble de tout ce qui peut se placer encore entre ici et mercredi. Mercredi est la soirée des Appony, Je ne reçois pas, je serai donc chez moi seule. A quelle heure viendrez-vous ? Ah quelle parole ! J’en frémis de plaisir.
Je viens de recevoir une lettre du Roi de Hanôvre par Kielmansegge il craint la guerre, il donne raison à lord Palmerston, il me recommande un monsieur Stockhausen qu’il nomme son représentant ici. Les Ambassadeurs sont un peu agités et un peu curieux de ce qui va arrivé ici. Aucun d’eux cependant ne croit la retraite de Thiers possible Le Siècle l’annonce aujourd’hui comme imminente. Je vous prie de donner rendez- vous au fidèle quelque part. C’est très nécessaire. ¨Pourquoi ne venez-vous pas droit ? Comme cela eût mieux valu. Mais enfin en venant autrement ne pourriez- vous pas aller débarquer à Calais ? Ah mon Dieu que je serais plus tranquille. J’attends pour fermer ceci quelque nouvelle de la matinée. il est 1 h 1/2.
2 heures. Personne ne vient. Comment il faut finir sans plus et voici ma dernière lettre à Londres ! Quel bonheur, cependant comme le cœur me manque quand je songe à cette longue traversée. Pourquoi me donnez-vous ce chagrin ? Quelle angoisse dimanche, quelle angoisse toute la nuit et lundi encore, et quand saurai-je où vous êtes? Ecrivez-moi un mot par la poste directement à mon adresse en débarquant, je l’aurai mardi à mon réveil, mais d’ici là c’est-à-dire de dimanche à mardi quelles heures d’angoisse. Adieu. Adieu.
Je suis sûre que vous ne souffririez pas que je m’embarque pour le Havre. Pourquoi voulez- vous que je le souffre ? Et votre courage ou le mien ne peuvent rien contre la mer. Ah si j’étais là je me jetterais à vos genoux, pour vous supplier de ne pas vous livrer à cette longue navigation et vous m’écouteriez, et bien écoutez-moi prenez par Calais, de là allez au Val-Richer si vous voulez. Aimez moi même un peu moins si cela vous est possible, Mais ne vous exposez pas, ne me rendez pas malade de terreur. Ah si en réponse à ceci Lundi vous me diriez Je vais par Calais, que je vous aimerais mille fois davantage. Adieu, adieu, adieu. Quel adieu que le premier adieu à Paris !
P. S. Voilà le fidèle. Je sais tout, vous n’irez pas au Havre vous viendrez par Calais, Dieu merci, Dieu merci. Arrivez vite. Pour plus de sûreté Voici les nouvelles. Le ministère a donné sa démission on vous a envoyé chercher par télégraphe, ne perdez pas de temps. Venez, venez. Le fidèle ira demain soir à Beauvais pour vous attendre. Quel bon adieu. Je vous écrirai à Calais à l’hôtel Dessein.
318. Londres, Samedi 29 février 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
318 Londres Samedi 29 février 1840
9 heures du matin
J’éprouve ici le matin une grande impression de calme. Personne ne vient. Personne ne me parle. Je n’entends point de bruit. C’est le repos de la nuit, sauf les ténèbres. Il me semble que je sors d’un guêpier bruyant, et que je contemple une ruche d’abeilles qui travaillent toutes sans bourdonner. Vous avez raison. Avec du bonheur domestique, la vie peut être ici aussi douce que grande. Il y a en France trop de mouvement extérieur; ici, pas assez de mouvement intérieur. En tout, l’aspect de cette société me plaît; je m’y sens à l’aise et dans un air sain, bien que trop froid.
Voilà du bonheur, le 316. Décidément chaque fois, je vous dirai mille fois merci. Oui, c’est du bonheur, un bonheur charmant quoique triste. Que serait-ce s’il était gai ? Je ne comprends pas Mad. Sébastiani ; malgré tout ce que j’en savais, ceci est plus bête. Mais je comprends encore moins Génie. Je lui ai répété ma recommandation pour tous les jours, cinq minutes avant de monter en voiture. Je n’entrevois qu’un motif, les obsèques de ce pauvre M. Devaines. Elles ont dû avoir lieu avant-hier jeudi, et Génie aura eu toutes sortes de soin à prendre. C’est un travail de mourir, et ceux qui s’en vont lèguent à ceux qui restent l’embarras avec le chagrin. Il est impossible que Génie ne soit pas allé vous voir hier.
4 heures Je viens d’avoir des aventures. Je sors de chez la Reine. Imaginez que je reçois, à une heure dix minutes, un billet de Lord Palmerston qui me dit que la Reine me recevra à une heure. J’envoie sur le champ chez Lord Palmerston pour constater mon innocence. Je m’habille en toute hâte. Je demande mes chevaux. Je pars. J’arrive avant 2 heures, à Buckingham. Comme de raison, on m’attendait. Je monte et trouve Lord Palmerston qui arrivait aussi. Les ordres de la Reine lui étaient parvenus tard. On ne les lui avait pas remis tout de suite. Heureuse-ment la Reine avait d’autres audiences qu’elle avait données en atten-dant. [Point de maître des cérémonies. Sir Robert Chesler, prévenu en même temps que moi, n’avait pas été aussi preste que moi.]
Bref, la Reine m’a reçu avec beaucoup de bonne grâce; sa dignité la grandit; son regard est intelligent et animé. Je lui ai dit en entrant : « J’espère, Madame, que Votre Majesté sait mon excuse, car je serais inexcusable. » Elle m’a répondu en souriant, et j’ai vu que Lord Palmerston était excusé aussi. Mon audience a été courte. Le Roi, la famille Royale, les relations du Roi avec le Duc de Kent son père, la surprise que je ne fusse jamais venu en Angleterre etc, etc. [Je suis sorti. Lors Palmerston est resté un moment après moi. Je m’en allais ; il m’a rejoint en courant : « Vous n’avez pas fini ; je vais vous présenter sur le champs au Prince Albert et à la Duchesse de Kent ; sans cela, vous ne pourriez leur être présenté qu’au prochain lever, le 6 mars ; et il faut qu’au contraire que, ce jour-là, vous soyez de vieux amis. »]
Nous avons été chez le Prince Albert, très beau et agréable jeune homme d’une physionomie douce, ouverte, intelligente, simple et élégant de langage. Il m’a retenu un quart d’heure. Nous avons causé. Il m’a plu tout à fait...
[De là, chez la Duchesse de Kent, au rez de chaussée. Elle était un peu malade de la goutte. Au moment où je traversais le vestibule pour aller reprendre ma voiture, sir Robert Chester est entré descendant de la sienne. Je lui ai fait toutes mes excuses dont je n’avais pas besoin. Je suis rentré chez moi, j’ai quitté mon harnois. J’ai couru une heure et demie pour aller m’écrire chez les Ducs de Sussex & de Cambridge, la duchesse de Glocester, les Princesses Auguste et Sophie-Mathilde, et me voici de retour. Demain les visites du cabinet. Après demain celle du Corps diplomatique. Les cartes pleuvent chez moi ce matin. On me remet à l’instant celle de Lord Aberdeen, Lord Holland et Lord Howe. Je demanderai demain à être reçu par la Reine Douairière.
Je suis allé hier soir chez Lady Holland sans la trouver. Elle était à Covent Garden où la Reine a été fort bien reçue. Les loges en face ont été louées pour 20 £ pour la voir, et les loges à côté 10 liv., pour ne pas la voir.
Dimanche 9 heures.
J’ai été plongé hier en Angleterre ; jusqu’au fond. A dîner le duc de Sussex, le Duc de Norfolk, le Duc de Devonshire, Lord Carlisle, Lord & Lady Albermarle, Lord & Lady Minto, Lord & Lady Elisabeth Howard, Lady Seymour, &, &, tous Whigs sauf un petit Tory dont j’ai oublié le nom. Le soir un rout immense, tout ce qu’il y a de ministres, de corps diplomatique, de membres des deux chambres, Whigs, Torys, radicaux, depuis lors Aberdeen jusqu’à M. Grote ; mais les Whigs souverains, selon leur droit.
J’ai passé ma soirée à être présenté et à accueillir des présentés. On me dit que je dois être content, très content que j’ai été bien lion et bon lion. Il me semble que j’ai rencontré de la curiosité et de la bienveillance. Je suis décidé à y être difficile. Je ne fais nul cas des demi-succès et des succès de début. Il les faut, mais pour commencer, comme il faut un premier échelon à la plus haute échelle. Si je suis bon à quelque chose ici, pour mon pays & pour moi, ce ne peut être qu’en inspirant une estime & un intérêt soutenu & croissants.
Fanny Cowper est charmante ! Elle promène partout, modestement mais sans embarras, un regard si jeune et si indépendant ! Je serais surpris si elle n’avait pas des goûts très décidés, en attendant des volontés.
Lord Aberdeen est venu à moi avec un empressement marqué. Je l’ai trouvé plus vieux et l’air moins sombre que je ne m’y attendais.
Lord Melbourne m’a parlé français de très bonne grace et longtemps. Il n’y a qu’Ellice qui soit décidé à ne pas me dire un mot de français. Il a raison. Je lui ai promis d’aller diner chez lui mercredi, en famille, et vendredi, chez Lord Charendon, en petit comité. Lord Charendon a été très aimable.
Je n’ai pas vu, du Cabinet, Lord John Russel, et du corps diplomatique, le Baron de Brunnow.
Connaissez-vous une Mad. Stanley, jolie, vive, spirituelle, whig très décidée et très active, que Lord Palmerston appelle notre Chef d’Etat major ? Son mari est un whipper-in important.
J’ai trouvé là le Prince de Capoue et sa femme. Il y a plus que l’océan entre les façons anglaises et les façons napolitaines.
Le Duc de Sussex a l’air d’un très bon homme. Il m’a beaucoup parlé de ses voyages sur le continent. Il a vu commencer toutes les révolutions, en France, en Espagne, en Portugal. Il prenait grand plaisir à me raconter Mirabeau. Vous savez que M. Croker m’a dressé à ces leçons-là.
J’étais à table entre Lady Cecilia Underwood (vous savez) et Lady Albermarle qui m’a mis très bonnement, au courant de tout le monde. Lady Palmerston avait à côté d’elle le Duc de Sussex et le duc de Norfolk. C’est la règle, n’est-ce pas ?
J’ai échangé en courant quelques paroles avec Lady Palmerstonn affectueuses pour vous. Elle a l’air très contente, et répand avec beaucoup de grace son contentement tout autour d’elle. Son fils, Lord Cooper m’a paru sprituel.
Si nous étions ensemble, je vous dirais mon compliment de Lady Palmerston à mon sujet, que j’ai entendu en passant. Mais cela ne se dit que tout bas quoique tout seuls.
Vous avez raison ; elle a l’air très fine et voyant tout sans y regarder.
5 heures
J’ai eu toute à l’heure un vrai plaisir. J’ai été à Stafford house. Le Duc et la Duchesse de Sutherland m’ont accueilli presque avec amitié. J’aime Stafford-house. C’est très beau, très beau. Et ce sera encore plus beau, car le premier étage n’est pas fini. J’ai vu ce qui est fait et ce qui se fait. Le Duc m’a promené partout. L’Escalier a vraiment de la grandeur, assez pour que la richesse y soit bien placée. Le comte de Montfort m’y a succédé.
J’apprends que j’ai eu tort de ne pas me mettre à côté de Lady Palmerston. C’est Lady Albermarle qui m’a trompé. Je lui donnais le bras. Je l’ai consultée ; elle m’a dit que je devais me placer à côté de Lady Cécilia Underwood, quasi altesse royale. Je prendrais ma revanche.
J’ai fait ce matin toutes mes visites de cabinet, et Lord Charendon sort d’ici. Il a vraiment de l’esprit, et un esprit gracieux. Nous nous sommes entendus au-delà de mon attente. Je dine chez lui vendredi, samedi chez Lord Lyndhurst, Dimanche chez Lord Landsdown. Il y a aussi un dîner arrangé chez le duc de Devonshire, avec le duc et la duchesse de Cambridge. Je subis cette première bouffée , j’espère qu’elle ne soufflera pas toujours.
Je vous parle de tout, et pas un mot de ce qui se fait à Paris. Que serviraient mes paroles ? Vous en savez plus que moi. J’attends ce que me mandera le duc de Broglie. Il a mes pouvoirs, sauf ratification. Adieu pour Aujourd’hui. Il fait très froid. Mais je n’ai pas l’impression d’un changement de climat.
M. Dedel sort aussi de chez moi, très ouvert et très bienveillant. Je crois que je me trouverai bien de lui et avec lui Lundi.
Lundi 2 mars 9 heures
Je ne compte pas avoir de lettre de vous ce matin, par la poste. Vous aurez attendu le courrier des affaires étrangères. C’est horrible une poste qui arrive et qui ne m’apporte rien de vous. Le Val-Richer, Baden ne m’ont jamais coûté si cher. Je m’y accoutume tous les jours moins. C’est déjà si peu qu’une lettre ! Et pourtant c’est tout.
J’ai passé deux heures et demie hier soir chez Lady Holland, empressée, charmante. J’ai trouvé Lord Holland toujours le même, absolument le même, la seule personne qui ne m paraisse pas vieillie, d’esprit ni de corps. Lord John Russel et Ellice y avaient dîné. Lord & Lady Palmerston y sont venus le soir. J’ai un peu causé avec Lady Palmerston, et j’ai protesté contre l’erreur où m’avait attiré Lady Albermarle avant-hier. Voici mes dîners de la semaine. Mercredi Ellice. Vendredi, Lord Clarendon. Samedi, Sir Robert Peel. Dimanche, Lord Landsdown. Mardi 10, le Duc de Sutherland. Il me semble que je vous en ai dit la moitié plus haut.
10 heures ¼
J’avais tort de ne pas espérer. La poste est charmante. Que de choses à vous répondre ! En attendant vous gagnerez quelque chose à ma joie. Je ferai partir ce volume aujourd’hui. Un autre suivra promptement. Que ne donnerais-je pas en ce moment pour causer une heure avec vous ! Adieu. Adieu.
318. Paris, Dimanche 1er de mars 1840, Dorothée de Lieven à François Guizot
318. Paris, le 1er mars 1840, dimanche
10 heures
Après avoir fermé ma lettre hier, je suis allée chez votre mère. Le cœur m’a battu en entrant. Elle m’a reçue avec bonté. Vous ne sauriez croire comme elle me plaît. C’est un visage si serein, un regard si intelligent et si doux, et même gai.
Je l’ai beaucoup regardée. Quand je ne la regardais pas, il me semble qu’elle me regardait aussi. Le Duc de Broglie y était, et y est resté. Il a parlé de la situation tout le temps. Pourquoi le Duc de Broglie a-t-il cet air moqueur et désobligeant ? Je conçois qu’il ne plaise pas. Moi, je l’aime assez malgré cela, et malgré autre chose que je déteste et que j’ai découvert en lui hier. Il a commencé par dire qu’il ne savait absolument rien ; que depuis trois jours il n’avait vu personne du tout ; et puis il nous a raconté son entretien avec le Roi, la veille, et un long entretien avec Thiers le soir, et puis, et puis, tout ce qui se passe. Pourquoi commencer par mentir ? Vous savez l’horreur que j’ai de cela. Si jamais je commence, moi, je continuerai. Mais il me semble que je suis trop fière pour commencer. Les Français ont décidément l’habitude du mensonge ; je ne connais pas d’Anglais dans lequel j’aie surpris ce défaut. Voyez bien et vous trouverez si je dis vrai!
Mais je reviens à la rue de la Ville-l’Evêque. Vos enfants ont couru à ma rencontre dans la cour, cela m’a fait plaisir. Ils ont une mine excellente, surtout Henriette. J’ai demandé à votre mère de me les envoyer ce matin pour voir passer le bœuf gras, elle ne le veut pas à cause de leur deuil. Votre mère a été bien polie et affectueuse pour moi.
Delà je fus chez Lady Granville qui est bien malade ; elle n’avait pas dîné ni assisté à la soirée la veille. Nous avons causé pendant une heure, elle et son mari, du nouveau ministère, de votre situation ; il ne sait trop qu’en dire. Moi, je ne me permets pas d’avoir une opinion devant les autres ; j’attends que vous ayez pris votre parti.
J’ai été rendre visite à Mad. Sebastiani sans la trouver. De là chez les Appony qui sont consternés. Appony ne conçoit pas le Roi, et il ajoute qu’il n’aura certainement aucune affaire à traiter avec Thiers, et qu’il entre en conséquence en vacances.
J’ai dîné seule. Le soir la diplomatie est venue. Granville croyait savoir que la nomination du ministère avait été mal accueillie à la Chambre. Médem est enchanté de n’avoir plus Soult et d’avoir Thiers. Il est tout remonté. Brignoles n’a pas d’opinion.
Quand aurai-je mes lettres ? à propos notre correspondance ! Cela ne sera plus très commode. Cela prouve bien votre situation naturelle vis-à-vis de ce ministère.
Bulwer est très malade, je ne puis pas le voir. Il m’écrit ce matin ce matin & me dit qu’Odillon Barot est très piqué contre Thiers qui ne l’aurait pas même consulté pendant la crise. Cela n’est pas trop d’accord avec d’autres avis.
Midi
Génie sort d’ici, il a un peu ébranlé mes opinions d’hier, par les récits qu’il m’a faits de ses entretiens avec vos amis. Il faut attendre ; mais si on tire à gauche, revenir sur le champ : voilà ce qui me paraît ressortir des avis les plus sages. En attendant, la puissance de Thiers me paraît établie dans tous les départements du Ministère.
J’attends votre lettre , car on me dit qu’il y a un gros paquet au bureau de l’hôtel des Capucines.
1 heure
La lettre n’arrive pas. La voilà. Je vous en remercie.
Lundi 2 mars, I heure
Je ne sais pas trop comment vous envoyer cette lettre. Cependant, jusqu’à nouvel avis, je ferai comme vous me l’avez indiqué. Lundi et jeudi au bureau des Affaires étrangères et samedi par la poste.
J’ai été voir hier les trois malades, la petite Princesse, Lady Granville & Mad. Appony. Même fureur chez ceux-ci. Il veut aller au château ce soir.
J’ai eu à dîner M. de Pogenpohl. Ah! mon Dieu, Dimanche passé c’était autre chose! Le soir j’ai été faire visite à Mad. de Castellane; mais quoique j’aie tenu bon jusqu’à onze heures, M. Molé n’y est pas venu, je le regrette. Mad. de Castellane est fort opposition. En bonne catholique, elle a une sainte terreur de M. Vivien. Outre ces faits là, je n’ai rien relevé dans sa conversation.
Lord Palmerston mande à Lord Granville que dimanche il devait avoir un long entretien avec vous. Vous voilà lancé dans les affaires, les dîners et les fêtes. Je crains que, pour commencer, le Duc de Sussex ne vous ait fait longtemps rester à table. Je vois tout cela, et un peu tout ce que vous en pensez. Votre première impression de Londres m’a divertie. Elle est vraie; je n’oublierai pas vos colonnettes et vos figurines.
J’ai fait venir mon petit brigand et l’ai envoyé chez votre mère avec des nappes de Saxe. Elle choisira ; il a tout ce que vous demandez. Les services ordinaires pour 12 personnes, étonnamment bon marché, 129 francs.
Je n’ai de lettres de personne.
Le temps est toujours brillant et froid. Ceci ne me plait pas ? Je crains la grippe des ambassadeurs. Je ne marche pas.Adieu, il me semble que je vous ai tout dit, tout ce que peut porter une lettre. J’aurais mieux dit à la chaise verte. Ah! que cette chambre est vide! Adieu. Adieu.
317. Londres, Vendredi 28 février 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je me lève. Je suis arrivé hier à 5 heures un quart. J’ai mis un peu plus de huit heures de Douvres à Londres par un beau soleil froid qui est entré avec moi dans le brouillard de la ville et s’y est éteint tout à coup. J’espère que je n’en ferai pas autant.
316. Calais, Mercredi 26 février 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
317. Paris, Vendredi 28 février 1840, Dorothée de Lieven à François Guizot
Votre lettre de Calais m’a fait tant de plaisir ! Comme vous avez été vite ! Vous voilà donc vraiment à Londres. Votre chambre à coucher donne-t-elle sur le square ou le jardin ? Vous devriez prendre le square, l’air doit y être meilleur. Comment supportez-vous l’odeur de Londres ? J’ai mille et une question à vous faire ; mais vous me direz tout. J’ai eu longtemps hier matin les Granville et les Appony. En fait de nouvelles ici, ni les uns ni les autres ne savaient la moindre chose. Mais l’un attendait patiemment le dénouement, et l’autre, avec une grande horreur de Thiers, et une presque certitude de retourner au Marechal.
Je ne me suis point promenée il faisait trop froid, je n’ai pas fait d’autres visites, j’ai manqué celle de Mad. Sébastiani dont j’ai trouvé la carte en rentrant ; je vous dis cela comme suite à ce que je vous mandais dans mon dernier n°. J’ai dîné à 6 heures seule, et je suis allée à l’opéra où j’avais donné rendez-vous à M. Molé et le duc de Noailles. Le dernier est venu et Lord Grainville nous avons entendu Mozart [ ? ] Les noces de Figaro mais charmant, chanté à ravir. Cela m’a plu j’y retournerai. Medem, [ ? ] et d’autres étaient venus chez moi. Je suis fâchée d’avoir manqué Médem. [Comte Paul] Je vous raconte tout et cela fait peu de choses. Je dus à Paris ce matin chez M. Jaubert, comme de raison j’ai été très effrayée.
Ce soir il y avait [ ?] et [ ? ]. Évidemment Médem serait charmé que le Maréchal n’y fut plus. Il ne voit pas un grand inconvénient à Thiers. Appony et [ ? ] y verraient la guerre. Il n’y a point de nouvelles du dehors, que je sache. Je vous prie de me mander beaucoup de choses. Racontez-moi [ ?], dites-moi tout ce qu’aurait sinon dit Génie, et une autre fois ne vous fier à des Génies. Moi je m’y fiais puisque vous me le disiez - mais il [faut] que j’apprenne à ne pas croire à tout ce que vous me dîtes. Je vous ai dot que j’étais rancunière et je vous le prouve. Cela n’empêche pas autre chose.
M. Molé est venu me chercher hier, mais je n’y étais pas.
444. Paris, Mardi 6 octobre 1840, Dorothée de Lieven à François Guizot
9 heures
Les trois 4 font une drôle de mine et ne font pas honneur à notre intelligence, pour des gens qui ont pas mal de goût à se trouver ensemble. C’est bien bête. J’ai vu hier matin chez moi à la fois l’Autriche, la Prusse, l’Angleterre. Une petite conférence en ressemblant pas du tout à celle de Londres quant aux opinions et aux vœux. Il parait que l’insurrection se ranime en Syrie. Il paraît aussi que les Anglais allaient à St Jean d’Acre. Voilà qui fera une bien autre émotion encore qui Beyrouth !
On dit donc qu’on travaille ici à une sorte de protestation dans laquelle on établirait le casus belli. Mais tout cela n’est-il pas un peu tard ? On est très révolté ici de voir que l’internonce a assisté à la dépossession du Pacha à Constantinople.
Quant à nous je n’ai rien vu de plus modeste, même de plus effacé. C’est très drôle. Tous les acteurs en scène, le premier amoureux seul, dans les coulisses. Je ne crois pas qu’il perd rien à attendre. Mais la comédie est complète. Le soir je voulais aller chez Lady Granville lorsque est venu encore M. Molé et puis mon ambassadeur et Bulwer. Nous sommes restés à quatre jasant toujours de la même chose, et riant même un peu. C’est toujours encore dans ma chambre à coucher que je reste ; et ma porte fermée à tout ce qui ne m’amuse pas tout-à-fait. M. Molé et très curieux de tout, mais au fond il me parait être au courant de tout.
Il disait et Bulwer disait aussi que M. Barrot entrerait au ministère, si les affaires tournent à la guerre. Mad. de Boigne est toujours à Chatenay. M. Molé me l’a répété. Il ne l’a point vu du tout. Molé repart aujourd’hui ou demain pour la campagne. Personne ne parle du procès de Louis Bonaparte. Jamais il n’y eut quelque chose de plus plat. Le petit Bulwer est d’une activité extraordinaire et une relation avec toute sorte de monde, très lié avec Barrot. Il faut que je vous dise que 10 jours après mon arrivée ici j’ai écrit à Paul une lettre assez indifférente lui parlant de ma santé, un peu des nouvelles du jour, rien du tout. J’ai fait cela pour renouer la correspondance sur le même pied qu’a été notre rencontre. Il ne m’a pas répondu. C’est bien fort je ne crois pas que j’aie à me repentir de cette avancée, c’était un procédé naturel mais son silence me semble prouver qu’il ne veut avec moi que les relations de plus strict décorum rien que ce qu’il faut pour pouvoir décemment habiter la même ville que sa mère. Qu’en pensez-vous ? Est-ce comme cela ? Il écrit à Pogenpohl qu’il viendra passer l’hiver ici, cela ne me promet pas le moindre. agrément. Je le recevrai un peu plus froidement qu’à Londres. Son frère est auprès de lui dans ce moment, je l’attends sous peu de jours. 1 heure. Le petit ami est venu me voir, il est presque convenu que ce sera quotidien. Nous devrions beaucoup sur un même sujet une seule personne. Quelle situation difficile et grave, en tout, en tout.
Le chêne n’écrit-il pas trop à 21 ? Il faut qu’il sache bien que ce 21 est plus l’ami des autres que le sien, et qu’au besoin il livrerait telle phrase imprudente on intime de ses lettres. On parle de la présidence de M. Barrot, s’il n’entre pas dans le ministère. Que pensez-vous de cela ? Dans mon opinion qui sera celle de tout le monde, au premier instant les personnalités doivent s’effacer devant une grande circonstance. En y pensant davantage je ne sais que dire. Je suis très perplexe ; et c’est cela qui me fait dire, que tout, tout sera difficile. Cependant les événements viendront au secours des embarras peut-être. Je finis par crainte d’interruptions.
Adieu. Adieu mille fois adieu, que je voudrais vous parler. Ah mon Dieu que je le voudrais ! Ce ne serait ni de l’Orient, ni de la Chambre, ni du ministère. Adieu, adieu.
319. Paris, Mardi 3 mars 1840, Dorothée de Lieven à François Guizot
319 Mardi 3 mars 1840
9 heures
J’attends vos lettres avec une vive impatience. Je suis curieuse de ce que vous me direz de Paris autant et plus que de ce que vous me direz de Londres.
M. d’Appony est venu causer longtemps chez moi hier matin. Plus tard j’ai été causer longtemps chez Lady Granville. M. Thiers quoi venu de bonne heure chez l’Ambassadeur d’Angleterre. L’entretien été fort agréable à Granville. Thiers lui a dit qu’il avait votre promesse de rester avec lui Ministre des Affaires Etrangères. Cette visite s’est faite même avant la notification officielle du changement de Ministère. J’ai dîné seule. Le soir tout le monde était chez Thorn. Il ne m’est venu que Mad. de Boigne et le Duc de Richelieu, trop fier pour faire la connaissance du plébéien de l’autre monde. Mme de Boigne ne sait trop que dire de ceci. Elle trouve à Thiers beaucoup de puissance, mais elle aime Thiers, elle en aime quelques autres dans le nouveau ministère. Somme totale, elle attendra patiemment avec ce ministère ci l’occasion d’aimer beaucoup un ministère prochain. Elle a parlé de vous, espérant fort — que vous resteriez à Londres pour le moment, quoique M. Duchâtel dise que vous n’étiez pas préparé à la combinaison actuelle, telle qu’elle est faite. M. de Broglie se proclame très haut le parrain du Ministère actuel ; il y a des gens que cela étonne beaucoup, car ce Ministère ne peut trouver d’appui que dans la gauche (Boigne). Le Roi a causé avant-hier avec l’Ambassadeur d’Angleterre. Il se dit fort content des explications qu’il a eues avec Thiers. On pense généralement qu’il sera fort doux avec tout le monde, voire même les Appony.
Je suis dans de tristes anniversaires et cette année, pour la première fois, les jours correspondent avec les dates ! Je cherche à me distraire, mais comment ? Ah que vous me manquez, à présent, toujours ! Il y a huit jours je vous attendais encore, je n’attends plus rien, personne.
2 heures Il fait un temps bien froid et avec cela bien gris.
Mercredi, 11 heures
J’ai fait visite hier à Lady Granville, à Pauline et puis à sa mère. L’enfant de Pauline a la ressemblance la plus frappante avec M. de Talleyrand. J’ai trouvé chez la Princesse Mrs de Rambuteau et de Vandoeuvre. Celui-ci ravi et inquiet. Rambuteau disant qu’il faut soutenir parce que les changements sont déplorables. La Duchesse spécule sur la diplomatie française au cas où Londres, Vienne et Petersbourg viendraient à vaquer. Elle doute que Londres vaque.
J’ai dîné hier soir en Autriche. Appony avait été le matin faire visite à Thiers sans le trouver. Une heure après, Thiers est venu chez lui. Il a été très poli, très bien. Il est évident qu’il est décidé à être bien pour tout le monde. Appony avait été au Château avant-hier soir. Il a trouvé le Roi résigné et triste, reconnaissant fort bien que sa situation devait être très abaissée aux yeux de tous. Il s’est dit cependant content de ses entretiens avec Thiers. Les articles d’hier et ce matin dans les Débats font quelque sensation. Mon voisin Jaubert reste mon voisin. J’en suis bien aise. Il est venu me faire visite hier avant que je ne fusse rentrée de chez les Appony. J’étais chez moi à 8 h 1/2. Il n’est venu personne, personne. C’était le mardi-gras, par conséquent mon mardi maigre. Et tout juste hier c’était horrible. Je me suis couchée à 11 heures sans pouvoir m’endormir jusqu’à 6 heures du matin. Cette terrible heure ! Ah quelle nuit !
Il me semble que je suis bien loin de vous, j’ai votre lettre de vendredi & depuis je n’ai rien. Aujourd’hui le Galignani me parlera de vous, voilà tout ce que j’en saurais.
Midi
Voilà M. […] qui m’apporte le 318. Comme j’ai dévoré tout ! Eh bien, je vous dirai que Londres vous plaît beaucoup. Vous êtes content, oui, vous êtes content, même gai. J’ai prévu cela. Et c’est très naturel. La mer nous sépare aujourd’hui, nos sensations seront bien différentes. Je pleure aujourd’hui et vous riez! Quand vous aurez passé par le feu des dîners, dites-moi donc un peu autre chose. Que fait le négociateur Brünnow ? Le petit Nesselrode a dû porter les réponses de Pétersbourg. Mais c’est de Berlin qu’il les a prises au courrier. Quand me direz-vous ce que vous pensez de ceci ? Thiers a dit à Granville qu’il fera une diminution dans les fonds secrets. On dit que cela va être présenté incessamment. Il a reçu hier soir Aston dans la place St Georges ; les zélés y sont allés. Appony s’est abstenu.
1 heure 1/2
Vous voyez comme je reviens à vous souvent! Il me semble que vous m’avez recommandé de vous redire souvent ce que je vous avais dit souvent déjà ici. Eh bien, restez ce que vous êtes, grave, sérieux, naturel. Défendez-vous de l’enivrement de la situation nouvelle où vous vous trouvez. Rappelez-vous que vous vivez dans une maison de verre. Tout sera remarqué. Les Anglais sont infiniment plus fins qu’on ne l’imagine, et singulièrement observateurs et curieux, tout en ayant l’air de n’y pas regarder.
Jeudi 5 mars,
10 heures J’ai été à la Chambre hier. Elle était comble. Thiers est venu prendre sa place sur le banc des Ministres avec un contentement visible. 1 Il s’est assis, pan, pan, pan, comme pour bien en prendre possession. Il a lu un discours d’une voix fort monotone, et pas très haute. Il a été reçu très froidement. J’ai quitté la Chambre tout de suite après, pour le Bois de Boulogne, ensuite chez Lady Granville. M. de Rémusat est venu chez son mari pendant que j’y étais. Il est convenu également qu’ils avaient été accueillis assez tièdement. Il a dit à Granville qu’il ne doutait pas que vous resteriez à Londres.
J’ai dîné seule. Le soir j’ai eu Mad. de Coutades, elle est restée toute la soirée. Appony, Brignoles, le Duc de Noailles, M. Molé, Pahlen, d’Ossuna. Brignoles venait de chez le Roi qui lui a dit : « Je ne suis pas vaincu, mais je suis battu. » M. Molé parle du Ministère comme très transitoire. Il ne fait aucun doute qu’il tombe sur les fonds secrets : tout son monde tient ferme, le vôtre vient à lui. Il n’y a que cinq ou six doctrinaires qui restent avec M. de Rémusat. Les autres 25 passent à l’opposition. Thiers ne peut avoir de soutien qu’à la gauche, et cela ne peut pas suffire. Le Roi affirme qu’il n’accordera jamais la dissolution à Thiers. On a dit : « Et M. Guizot? — M. Guizot? cela ne fait pas une question. Il y a une justice à lui rendre, il n’a jamais cessé de combattre la gauche. » Vous voyez que je vous dis tout. Le Maréchal Soult avait dit aux Ambassadeurs qu’il n’attendait que la fin de la crise pour se rendre dans sa terre en Languedoc, hier il est venu leur faire visite à tous pour les prévenir qu’il les recevra tous les lundis soirs. Cela fait jaser.
Voici une longue lettre, ou plutôt une gazette. Je sais qu’on attend M. d’André en courrier de Pétersbourg ; des lettres venues par la poste annoncent son départ, mandez-moi ce qu’il apporte. M. de Pahlen écrit à son frère toujours la même chose, qu’il n’y a rien. Que pensez-vous que fera Barante de l’ordre qui lui a été envoyé ? Je vous prie de me dire une quantité de choses. Adieu, adieu, adieu.
Lord Granville a été hier à la soirée de la Place St Georges, Mardi. Il y avait une foule de députés, rien que la gauche.
Mots-clés : Ambassade à Londres, Deuil
452. Paris, Mercredi 14 octobre 1840, Dorothée de Lieven à François Guizot
10 heures
Je n’ai vu hier que l’Angleterre. L’Angleterre agitée, curieuse, mais assez en espérance. Lord Granville à vu M. Thiers hier au soir à Auteuil. Je l’ai vu à son retour, il ne m’a dit que des généralités, mais l’impression que j’en ai est bonne. J’attends votre lettre avec des battements de cœur. Je préparé une réponse à mon frère, mais je ne ferai rien sans votre avis. On est agité extrêmement dans le public. M. de Lamenais est épouvantable dans les provinces il y a beaucoup d’exaltation. Le gouvernement aura une rude besogne, car j’espère bien qu’il s’appliquera à apaiser. Je suis inquiète. Les Anglais désertent, ils ont parfaitement peur.
Midi
Point de lettres ? C’est toujours le Mercredi qu’elles m’arrivent le plus tard et c’est précisément. Le jour où elles sont le plus ardemment désirées. Il faudra attendre la soirée. C’est bien long ! 2 heures. Le petit est venu aussi impatient, aussi pauvre que moi. Que faire ? Et par dessus le marché je n’ai rien à vous dire. je m’en vais un mettre à lire ce long memorandum. Je n’ai pas vu mon ambassadeur depuis deux jours, il écrit je crois.
2 1/2
Tous les alliés chez moi grand bavardage dont je n’ai plus le temps de vous dire un mot. Adieu. Adieu. On dit seulement que jamais on ne s’est trouvé plus près du dénouement absolu. Paix ou guerre. Adieu.
320. Londres, Jeudi 5 mars 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Londres, jeudi 5 mars 1840, 8 heures du matin
Je me lève. Comment aurez-vous dormi cette nuit ? Hier était un triste jour. J’ai le coeur plein de remords d’être loin de vous. Je ne vous ai jamais fait le bien que j’aurais voulu. Vous ne savez pas, vous ne saurez jamais tout le bien que je voudrais vous faire, mon ambition infinie, insatiable, avec vous. Je vous aime trop pour me résigner jamais à me sentir impuissant et désarmé quand je vous vois un chagrin, n’importe lequel, n’importe de quelle date. Non, je ne me résignerai jamais à ce que cela soit, jamais à le croire; je m’en prendrai toujours à l’imperfection de notre relation, à la séparation de nos vies, à l’impossibilité où je suis de vous donner tout ce que j’ai en moi pour vous, d’exercer auprès de vous, sur vous, toute cette puissance d’affection et de tendres soins, le seul vrai baume que Dieu ait mis à notre disposition pour les blessures de l’âme. Dearest, vous avez beaucoup souffert, et il vous a toujours manqué du bonheur à côté de la souffrance. Il n’y a pas moyen de supprimer la souffrance dans la vie humaine; elle en est inséparable ; mais le bonheur aussi peut s’y placer; et la destinée le plus rudement frappée, le cœur le plus déchiré peuvent contenir en même temps les joies les plus intimes et les plus douces. C’est ce mélange de bien et de mal, cette compensation de l’un par l’autre que je voudrais du moins vous donner. Près de vous, je faisais déjà si peu! Quoi donc de loin?
6 heures
Vous avez raison. Je suis faible quelquefois avec mes amis. Mais dans cette occasion, ma faiblesse était bien embarrassée, car elle avait à choisir : le Duc de Broglie, MM. de Rémusat et Jaubert d’un côté, MM. Duchâtel et Villemain de l’autre. Evidemment il fallait chercher ailleurs que dans mes amitiés le motif de décision. Je ne vous redirai pas ce que vous aurez vu dans ma lettre à Duchâtel et dans celle du Duc de Broglie. Il ne m’est resté, il ne me reste aucun doute. Je ne sais ce qui arrivera. Je penche à croire qu’au fond ce Ministère fera à peu près comme le précédent. Je suis sûr qu’il le voudra; je présume qu’il le pourra. Je ne lui vois ni des amis bien exigeants, ni des ennemis bien intraitables. S’il en était autretrement, si le pouvoir allait réellement à la gauche, je n’hésiterais pas un instant. Ils le savent. Voici ce que m’a écrit Thiers :
« Mon cher Collègue, je me hâte de vous écrire que le Ministère est constitué. Vous y verrez, parmi les membres qui le composent, deux de vos amis, Jaubert et Rémusat, cl dans tous les autres, des hommes auxquels vous vous seriez volontiers associé. Nos fréquentes communications depuis dix-huit mois nous ont prouvé, à l’un et à l’autre, que nous étions d’accord sur ce qu’il y avait à faire, soit au dedans, soit au dehors. Nous pouvons donc marcher ensemble au même but. Je serais bien heureux si en réussissant tous les deux dans notre tâche, vous à Londres, moi à Paris, nous ajoutions une page à l’histoire de nos anciennes relations. Car aujourd’hui comme au 11 octobre, nous travaillons à tirer le pays d’affreux embarras. Vous trouverez en moi la même confiance, la même amitié qu’à cette époque. Je compte en retour sur les mêmes sentiments. Je ne vous parle pas d’affaires aujourd’hui. Je ne le pourrais pas utilement. J’attends vos prochaines communications et les prochaines délibérations du nouveau Cabinet. Ce n’est qu’un mot d’affection que j’ai voulu vous adresser aujourd’hui, au début de nos relations nouvelles. » Je lui ai répondu ce matin : « Mon cher Collègue, je crois comme vous qu’il y a à tirer le pays de graves embarras. Je vous y aiderai d’ici, loyalement et de mon mieux. Nous avons fait ensemble, de 1832 à 1836, des choses qu’un jour peut-être, je l’espère, on appellera grandes. Recommençons. Nous nous connaissons et nous n’avons pas besoin de beaucoup de paroles. Vous trouverez en moi la même confiance, la même amitié que vous me promettez et que je vous remercie de désirer. Nous nous sommes assurés en effet, dans ces derniers temps, que nous pouvions’ marcher ensemble vers le même but. Rémusat m’écrit que le Ministère s’est formé sur cette idée : Point de réforme, point de dissolution. C’est le seul drapeau sous lequel je puisse agir utilement pour le Cabinet, honorablement pour moi. Si quelque circonstance survenait qui me parût devoir modifier nos relations, je vous le dirais à l’instant et très franchement. Je suis sûr que vous me comprendriez, et même que vous m’approuveriez. » Vous voilà au courant, comme on peut l’être de loin. Misérable communication ! Pendant que je vous écris, mon âme, mes regards, ma voix vous cherchent. Adieu. Je vous quitte pour aller m’habiller et dîner chez la Reine.
Vendredi 6 mars, 5 heures
J’ai diné à la droite de la Reine qui avait son mari à sa gauche. Elle a été très aimable pour moi. Soyez tranquille ; pas la plus petite allusion aux Affaires. La famille Royale, la Princesse Marie, Melle Rachel, Paris, Buckingham-Palace ont défrayé la conversation. La Reine a eu pour moi les mêmes bontés que Mme la Duchesse d’Orléans ; elle a lu mes ouvrages. Elle a un joli regard et un joli son de voix. Dans son intimité elle a supprimé la retraite des femmes avant les hommes. Hier les vieilles mœurs ont prévalu. J’avais à ma droite Lady Palmerston, puis Lord Melbourne, le Marquis de Westminster, Lady Barham etc, 28 en tout.
Après le dîner, on s’est établi autour d’une table ronde, dans un beau salon jaune qui m’a fait frémir tout le cœur en y entrant. C’est presque la même tenture que votre premier salon. Deux ou trois femmes se sont mises à travailler. Nous avons causé, sans trop de langueur, grâce à Lady Palmerston et à moi jusqu’à onze heures un quart que la Reine s’est retirée.
J’ai découvert au-dessus des trois portes de ce salon trois portraits... Je vous donne à deviner lesquels! Fénelon, le Czar Pierre et Anne Hyde, Duchesse d’York. Je me suis étonné de ce rapprochement de trois personnes si parfaitement incohérentes. On ne l’avait pas remarqué. Personne n’a pu en trouver la raison. J’en ai trouvé une. On a choisi ces portraits à la taille. Ils allaient bien aux trois places.
On disait hier matin une nouvelle. La Reine n’avait pas paru la veille à dîner, elle était souffrante ; elle est grosse. Lady Holland a apporté cela le soir chez Ellice où j’avais dîné. Mais la Reine a dîné hier et ce matin elle a tenu un lever qui a duré deux heures. C’est beaucoup si elle est grosse. Cependant on ne retire pas la nouvelle.
Ce lever, m’a ennuyé et intéressé. C’est bien long et bien monotone. Pourtant j’ai regardé avec une émotion pleine d’estime le respect profond de tout ce monde, courtiers, Lawyers, Aldermen, Officers, passant devant la Reine, la plupart mettant un genou en terre pour lui baiser la main, tous parfaitement sérieux, sincères et gauches. Il y faut cette sincérité et ce sérieux pour que tous ces vieux habits, ces perruques, ces bourses, ces costumes que personne, même en Angleterre, ne porte plus que pour venir là, ne fassent pas un effet un peu ridicule. Mais je suis peu sensible au ridicule des dehors quand le dedans ne l’est pas. J’ai vu le Duc de Wellington, triste vue, presqu’aussi triste que celle de Pozzo; rapetissé de trois ou quatre pouces, maigre, chancelant, vous regardant avec ces yeux vagues et éteints où l’âme qui va s’enfuir ne prend plus peine de se montrer, vous parlant de cette voix tremblante dont la faiblesse ressemble à l’émotion d’un dernier adieu. Il n’est point moralement dans l’état de Pozzo, l’intelligence est encore là, mais à force de volonté et avec fatigue. Il s’est excusé de n’être pas ecore venu chez moi : « J’étais à la campagne ». Je crois que je dinerai avec lui chez le Sir Robert Peel.
M. de Brünnow n’est pas encore venu chez moi. C’est le seul. Il était au lever de la Reine, très empressé, auprès des Ministres, busy-body 2 et subalterne dans ses façons.
Lady Palmerston m’a parlé de Paul. Il ne va absolument nulle part, si ce n’est à Crockford à 9 heures pour dîner. Il passe sa journée chez lui, en robe de chambre et à fumer. M. de Brünnow, dans les premiers moments, l’a vu deux ou trois fois et a essayé de le voir davantage. Paul n’a pas voulu. M. de Brünnow ne le voit plus.
Le mariage de Darmstadt n’est point certain. Le Grand Duc y retourne pour voir s’il pourra se décider. On doute qu’il se décide. Il est toujours amoureux en Russie. M. de Brünnow reviendra ensuite ici comme ministre en permanence, en attendant, fort longtemps peut être, un ambassadeur.
Samedi, 8 heures du matin
Hier, à dîner chez Lord Clarendon, M. de Brünnow s’est fait enfin présenter à moi. Il est bien remuant, papillonnant, aimable. Ce dîner m’a plu, Lord Clarendon est plus continental, plus de laisser-aller. Nous avions le Marquis de Douro et sa femme, la plus belle personne de l’Angleterre, dit-on, et vraiment très belle. Point d’esprit du tout. Comme lui. Entre nous il en est étrangement dépourvu. Plus que cela, car il parle beaucoup & se met en avant. Je vous étonnerais en vous répétant les pauvretés qu’il m’a dites. Toujours Lord Melbourne, Lord & Lady Palmerston. Après dîner, j’ai été à Devonshire House, où j’ai trouvé la Duchesse de Cambridge et un très select party, Lady Jersey, La Duchesse de Montrose, &, &. On dansait, le Duc de Devonshire autant que personne. On me parle beaucoup de vous, et je suis sûr que je réponds très bien.
10 heures
Voilà le 319. Mon remords de n’être pas auprès de vous redouble. Je me reproche l’agrément que je trouve ici, le plaisir que je prends à regarder, à être bien reçu. Je ne supporte pas la pensée d’être gai quand vous êtes triste, entouré quand vous êtes seule. Et pourtant cela est et je l’accepte en fait au moment même où mon cœur s’en indigne. Ah !Pardonnez-moi dearest, pardonnez-moi cette faiblesse de notre nature, à laquelle il n’y a peut-être pas moyen d’échapper et qui n’empêche pas que dans toutes les situations, à toutes les heures du jour, je n’aimasse mille fois mieux être auprès de vous que partout ailleurs, et partager votre tristesse plutôt que toutes les joies du monde. N’est-ce pas que vous me le pardonnez? N’est-ce pas que vous savez bien tout ce que vous êtes pour moi? La mer qui nous sépare est bien profonde, mais mon affection pour vous l’est mille fois davantage. Et j’aurais ici tous les succès imaginables que je leur préférerais mille fois le succès de vous donner un jour, une heure de bonheur.
Vous voulez que je vous parle des affaires. M. de Brünnow est évidemment en panne, attendant que les embarras, les obstacles au progrès de la négociation viennent de nous, pour se saisir tout à coup de ce fait, se faire un mérite de l’empressement, de la facilité de son maître, pousser peut-être cette facilité plus loin qu’il ne l’a fait encore, et enlever brusquement le succès. Je tâcherai de ne pas le servir dans cette tactique. Evidemment il y a ici un désir sincère, vif, de ne pas se séparer de nous ; on fera des sacrifices réels à ce désir. Il y a des dissidences marquées, à cet égard, dans le cabinet ; quelques-uns tiennent beaucoup plus à nous que d’autres. Mais tous y tiennent, et je n’entends pas le moins du monde me prévaloir des dissidences, ni chercher seulement à m’en servir. J’ai commencé à traiter et je traiterai jusqu’au bout l’affaire avec la plus entière franchise, m’appliquant uniquement à convaincre tout le monde de l’intérêt supérieur des deux pays au maintien de l’alliance, et de la nécessité d’une transaction, entre le Sultan et le Pacha, qui puisse être acceptée par le Pacha comme par le Sultan, par la France comme par l’Angleterre et qui mette fin à cette question-là en ajournant toutes les autres.
M. d’André n’a apporté de Pétersbourg que des lettres assez vagues, plutôt l’idée que l’affaire ne marchait pas, et un redoublement de colère de l’Empereur qui avait espéré, dit-on, que la dépêche, inspirée par lui, de M. de Nesselrode à Médem, amènerait une réponse qui amènerait une rupture. Je n’en crois rien. Pourtant, je n’en sais rien.
Adieu. Adieu. Continuez de me tout dire. Vos lettres me font un peu vivre à Paris, et cela m’est très utile. Soyez tranquille. Je n’oublierai pas vos recommandations. Mais répétez les moi toujours. Adieu encore.
Continuez de m’écrire les lundi et jeudi par les Affaires Etrangères, et le samedi par la Poste. Et si vous vouliez quelque chose de plus indirect, envoyez votre lettre à Génie.
387. Londres, Jeudi 4 juin 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
9 heures
Hier soir en rentrant, à onze heures, le 391 tout pauvre qu’il est, a fait mon plaisir et mon repos. J’étais fatigué et pas mal ennuyé. Roder deux heures en calèche, au mileu de cent cinquante mille personnes, avec M. et Mad. Edward Ellice et ses sœurs, c’est long. Ellice et lord Spencer étaient à cheval. Certainement, Epsom ne me reverra pas. Une seule chose m’a frappé les voitures et les chevaux innombrables. La Reine a été très bien reçue. On dit que depuis le Prince Régent, aucun souverain n’était venu, à Epsom. Nous avons dîné comme je vous l’ai dit : rien que Lord spencer et Lord Duncannon. Je me figure que Cincinnatus, était un fermier d’air un peu plus héroique que lord Spencer, qui du reste m’a plu et m’a parlé politique, au grand étonnement d’Ellice. Il (lord Spencer) en a une telle aversion qu’il la fuit même dans la conversation de peur qu’on ne le prenne au mot. Aujourd’hui Eton. Et puis je ne vais plus nulle part que là où vous voudrez. Au fait je suis trop complaisant. Je pourrais montrer pourtant depuis que je suis ici une belle somme de refus.
Mon instinct sur la souscription ne m’a pas trompé. Thiers et la gauche ont fait faire là, à Napoléon mort, une pitoyable campagne. On me donne des détails assez curieux. La guerre civile dans la gauche était ardente. Partout chez les ministres, dans les couloirs, les deux factions, Bonapartistes et Anti-bonapartistes, étaient constamment aux prises. Thiers a redouté une division éclatante. Dès lors plus de parti, plus de majorité. Il a passé une nuit sans dormir. Il a fait venir Barrot. Ils ont fait venir les journalistes et ils ont tous mis leurs déroutes, ensemble pour couvrir un peu leur retraite. Tout n’est pas gloire en ce monde.
Vous avez toute raison dans votre réserve, avec M. Molé. Vous savez parfaitement quelle position je veux avoir à présent. soit en général, soit envers lui. Vous avez vu dans quels termes je l’ai prise. Je m’en rapporte aveuglément à vous sur ce que vous direz ou ne direz pas. Je sais depuis longtemps qu’avec les gens vraiment d’esprit, et qui vous aiment, il n’y a qu’une chose à faire, les mettre dans le vrai et les laisser faire. Je ne sais pourquoi je parle ici au pluriel ; le singulier me plaît davantage.
10 h et demie
Certainement je vous guérirai d’âme, j’en suis sûr ; de corps, un peu, je l’espère. Mais seulement tant que nous serons ensemble. Je n’ai pas besoin que vous me disiez quand vous êtes si poorly. Votre écriture, me le dit. Adieu Adieu. Il faut que je fasse ma toilette et que je parte. Demain, plus de course. Je vais attendre. Que la première moitié de notre mois passe vite, et la seconde jamais. Adieu.
Mots-clés : Ambassade à Londres, Autoportrait, Diplomatie, Discours du for intérieur, France (1830-1848, Monarchie de Juillet), Napoléon 1 (1769-1821 ; empereur des Français), Napoléon 1 (1769-1821 ; empereur des Français) -- Retour des cendres (1840), Politique (France), Posture politique, Presse, Relation François-Dorothée
320. Paris, Vendredi le 6 mars 1840, Dorothée de Lieven à François Guizot
Paris, vendredi 6 mars 1840
Il me semble que le courrier de Londres doit être arrivé hier, mais je n’ai pas eu de lettres, et je n’ai pas revu Génie depuis dimanche. Notre correspondance ne me parait pas bien réglée encore, c’est ennuyeux. Hier j’ai envoyé une lettre aux Affaires étrangères. Je me suis promenée seule au bois de Boulogne, j’ai fait ensuite une longue visite à la petite Princesse que j’ai trouvée dans son lit et puis Lady Granville. Elle m’a lu une lettre de son frère qui fait de vous le plus excellent éloge. Vous avez réussi parfaitement, votre air grave, vos bonnes manières and his talk charmed every body. Vous saurez en vivant à Londres que l’opinion du Duc de Devonshire y compte. Et moi, je vous le donne pour très fin. Lady Cowper me parle beaucoup de vous aussi. Elle dit que vous excitez une curiosité générale, que tout le monde veut faire votre connaissance et que tout le monde a été content de vous extrêmement. Elle se réjouit de vous voir plus familièrement. Voilà donc un début excellent; je n’en ai pas douté un instant. Elle aime la distinction de votre air, et votre sérieux, et votre envie de plaire. Je vous redis tout. On dit aussi que la Reine a été très aimable avec vous.
J’ai dîné seule et je suis allée aux Italiens. J’y avais assigné M. de Noailles, mais il m’a écrit pour me dire que Berryer réunissait son parti le soir et qu’on l’invitait à y assister pour délibérer sur la marche à suivre dans les nouvelles circonstances. A son défaut j’ai été prendre M. de Brignole. Lui et Granville ont fait ma soirée avec Rubini dans le Pirate. J’étais dans mon lit à onze heures, et pas très bien portante depuis quelques jours. L’Opéra Italien va finir ici et commencer à Londres. Prenez garde qu’on ne vous entraîne à prendre une loge. Je connais l’indiscrétion des Anglaises. Vous payeriez une loge excessivement cher, et vous n’en serez jamais le maître. En général ne permettez à personne de la familiarité avec vous ; cela ne vous va pas, et cela entraîne beaucoup plus loin que vous n’imaginez. Encore une fois, et toujours, restez là ce que vous êtes. N’est-ce pas?
J’ai envie de vous conter un peu ce qui se passe à Londres. Eh bien, il s’y passe, que la Reine mécontente même le parti whig, et que de grosses défections viendront frapper le gouvernement. Il suffit pour cela de quelques exclusions de ses bals.
Samedi 7 mars, midi
Génie est venu m’interrompre hier. Merci de votre lettre et merci beaucoup des copies. Je suppose que vous avez raison. Je suppose que vous avez raison. Vous saurez mieux que moi si vos idées sur Duchâtel sont exactes. Il me revient à moi tout le contraire de ce que vous pensez et désirez à cet égard. Mais cela ne me regarde pas. Ce qui me regarde c’est vous. Lady Holland écrit que tout le monde est charmé de vous. Et la Reine aussi ; et puis elle ajoute : « The public augurs well from his having placed the celebrated Louis at the head of his kitchen department. Few things tend more to popularity in this town than la bonne chère ; however what is more important is Lord Palmerston appearing really to like him, and confide in his warm expressions in favor of peace and amity with us.»3 Je veux cependant vous dire en passant que vous avez déjà fait des confidences là, qui me paraissent ne pas rentrer dans la résolution que vous aviez prise de ne pas les prodiguer. Cela est revenu ici ; tout y reviendra; et surtout vos opinions sur les personnes. Il ne faut pas trop adorer l’inconnu (ici) et surtout, surtout, il ne faut pas tout dire! Vous voyez que je parle à la chaise verte.
Lord Won Russell est tombé dans une champbre hier au moment où je voulais sortir. Il vous a vu chez Lady Palmerston et chez Lady Holland, mais à la manière des Russell il ne s’est pas fait présenter à vous. Il me dit qu’on est enchanté de vous. Il me dit cela de Lord Palmerston et de la Reine. Il passera ici quelques jours, je le fais dîner chez moi demain. J’ai dîné avec lui chez Lord Granville, aujourd’hui chez la Duchesse de Talleyrand.
Mme Thiers est allé faire visite à la Comtesse Appony, ce qui fait la réconciliation complète. On dit qu’il y a un traité secret entre le Roi et Thiers par lequel celui-ci s’engage à demander à la Chambre 10 millions pour les dettes du Roi. En revanche le Roi le soutiendra pour les fonds secrets. Thiers dit que ceci est la seule question de Cabinet. S’il la traverse, il fera comme les Ministres Anglais, il se moquera de toutes les défaites. Vous comprenez qu’il y a maintenant beaucoup de bavardages. Le corps diplomatique est encore tout ahuri et ne sait trop que penser de ceci ; cependant il est évident qu’ils ont plus confiance dans la durée du Ministère que dans sa chute.
Vous me paraissez bien occupé, car vos lettres à moi sont courtes. Vous vous trompez de N°. Vous m’avez envoyé deux 318. Vous ne me dites pas un moment d’Orient. Voilà un petit paquet de petits griefs.
Je n’ai pas vu un seul personnage politique hier à l’Ambassade. Il y avait des curieux, mais rien pour les satisfaire. Thiers y dine aujourd’hui.
Adieu, je dis adieu, car je n’ai plus rien à dire, et je n’ai guère à répondre. Le temps est toujours froid. Je me suis promenée hier avec Marion. Mais cela ne m’a fait aucun plaisir. Je n’ai plus de plaisir à rien. Adieu. Adieu.
402. Paris, Vendredi 12 juin 1840, Dorothée de Lieven à François Guizot
J’ai un grand plaisir. Enfin quelque chose me réussit. Je serai accompagnée, par M.Heneage l’un des secrétaires de l’ambassade d’Angleterre, et je dormirai tranquille. Lady Granville m’a arrangé cela. Il n’est pas ici, mais il arrive demain de Fontainebleau. La question du logement ne sera pas aussi favorable. Vraiment je serai parfaitement mal. J’ai bien plaint souvent les pauvre voyageurs que je visitais à Londres. Mais que faire ! Il faut tacher d’arranger en campagne au plutôt ; pour cela faites finir le parlement.
J’ai vu hier au soir Berryer il y avait bien deux mois qu’il n’était venu. Il a causé avec esprit mais son humeur est grogneuse. Il avait espère quelque éclat, ceci prend une mine trop solide, qui le deroute. Il me dit : " Thiers pouvait le taire plus fort, il a préféré faire la chambre plus faible. Il doute de l’entrée de Barrot dans le Cabinet ; et il ne compte plus du tout sur la dissolution. La gauche est divisée. Et les conservateurs ne sont pas gouvernés. Voilà à peu près l’essence de ce qu’il m’a dit. Montrond est venu hier soir aussi. Ils ont causé. Mon ambassadeur, les Durazzo d’autres.
J’avais chaud. J’aurais préféré le bois de Boulogne d’où je n’étais revenue qu’à 9 heures. Il y faisait charmant. Je jouis de cet air bien pur ; d’un air qu’on n’a jamais en Angleterre. Je reviens un moment à Berryer. Il est frappé du despotisme complet de Thiers et m’a cité à ce sujet des traits assez curieux. Jaubert est un des plus soumis
A propos mon ambassadeur est maintenant en bonne connaissance avec tous les Ministres. Cela est venu à la suite d’un commérage de ma part. Vous savez mon estime pour les commérages. Adieu Monsieur, je n’aurai plus de réponse à cette lettre Adieu.
2 heures
Je réponds encore à votre lettre. Je suis charmée de Windsor. Votre dîner des 15 chez Lady Lovelace en est dérangé, cela ne me déplait pas trop, elle a un trop joli nom. Je vous dis de loin des bétises. Je suis sûre de n’en point dire de près. Mon départ reste fixé au 16 à moins que Heneage ne me prie de le retarder. Ce ne serait que d’un jour il me ferait arriver le 19. Comme vous le dites. Adieu.
321. Paris, Dimanche 8 mars 1840, Dorothée de Lieven à François Guizot
321. Paris, dimanche 8 mars 1840, midi
Je me suis sentie très souffrante ce matin, et je ne sors de mon lit que dans ce moment. J’ai fait hier Lady Granville, Bois de Boulogne, de la causerie avec Lors Won Russell chez moi, et puis le dîner de Mad. de Taleyrand où j’ai trouvé Montrond qui n’a remis les pieds chez moi depuis le 25. Il a trouvé bon de me dire qu’il y était venu dix fois ; je l’ai assuré que je gronderais dix fois mes gens pour ne me l’avoir pas dit. Le soir j’ai vu le Prince d’Aremberg, l’Ambassadeur d’Espagne & le Duc de Noailles. Miraflors m’ennuie. D’Aremberg m’endort. M. de Noailles m’a tenu éveillée jusqu’à minuit. Il est très préoccupé de la situation. Son parti n’a pas pris de parti encore. Berryer n’a pas grande envie de voter contre Thiers dans les fonds secrets. On ne s’est encore accordé sur rien. Il m’a raconté la séance d’hier dont tout l’honneur appartient à MM. Duchâtel & Teste. Les nouveaux ministres sont très froidement accueillis.
Les 221 s’en vont disant qu’ils voteront les fonds secrets. Dans ce cas là il y aurait presqu’unanimité.
J’ai relu plusieurs fois la plus longue des lettres que vous m’avez envoyées. Elle est d’un fort honnête homme, mais d’une pauvre tête politique. Vraiment, fractionner encore les partis dans un temps où c’est juste leur multiplicité qui fait le danger de la situation et l’impossibilité de gouverner, cela n’a pas le sens commun. C’est de l’homéopathie. Pardonnez-moi, mais mon pauvre esprit se refuse à comprendre. C’est de la dernière page que je parle. Dites-moi quelque chose de MM. de Brünnow et de Bülow. Défiez-vous extrêmement de celui-ci. En général vous ne devez donner votre confiance à personne ; je ne cesserai de vous répéter cela, et d’être bien avare d’opinions tranchées sur quoi que ce soit. En diplomatie, vous ne sauriez croire combien on a moins de regrets à ce qu’on a tu qu’à ce qu’on a dit. Observez un peu les autres, et vous verrez s’ils se hasardent! Ils sont bêtes, mais ils connaissent le métier, et ils sont singulièrement habiles à tirer parti de ceux qui ne les connaissent pas. Et, encore un coup, c’est un métier comme un autre, et qu’on n’apprend qu’en le faisant.
Je vous prie de me dire toujours l’emploi de vos soirées. Je ne sais pas ce que vous avez fait de lundi. Faites comme moi, et comme vous m’aviez promis de faire ; en vous levant, le journal de la veille, les faits matériels, et le remplissage après. Quand me direz-vous un mot de l’Orient, un mot de Pétersbourg? Je ne sais absolument rien, rien du tout. M. d’André est arrivé; qu’apporte-t-il? Je n’ai pas de lettres de mon fils de Naples. Je n’ai de lettres de personne.
Je vous ai dit, je crois, que Paul ne songe pas du tout à venir à Paris ! Il part les premiers jours du mois pour la Russie.
5 heures
Je rentre de la promenade au bois de Boulogne et j’attends la visite du Dimanche. J’ai vu ce matin M. d’Appony et M. d’André. Celui-ci dit que le retour ou non de Pahlen à Paris est regardé en Russie comme très important. Il croit qu’il reviendra. Le discours de Thiers dans la discussion de l’adresse a eu beaucoup de faveur à Pétersbourg. Voilà tout ce que j’ai tiré de sa visite ; vous m’en direz davantage. On disait beaucoup hier que le mariage Nemours ne se faisait plus, que le père était allé à Vienne demander conseil au Prince Metternich. Cela serait une singulière affaire. Vous savez que le duc d’Orléans va décidément à Alger, le Roi le veut aussi.
Lundi 9 mars, 9 heures
Le Prince Paul de Wurtemberg m’a conté quelques commérages de cour sans importance ; il croit savoir que la famille Cobourg demande le Capital qui doit revenir un jour au Duc de Nemours ; et qu’à moins de cela elle ne donne pas sa fille. Je ne sais ce qu’il y a de vrai, mais il y a quelque chose. Il allait diner hier chez Thiers. Il trouve aussi sa situation fragile et très difficile.
Lord Won Russell m’a conté Londres, Berlin ; il m’a quitté à 9 heures. J’ai été faire une courte visite à Mad. Appony et une plus longue à Mad. de Castellane que j’ai trouvée jouant du piano à M. Molé !Il y avait de la bonne humeur dans le salon. M. Molé s’était trouvé la veille chez le Roi avec le Maréchal Soult et M. Thiers. Trois présidents du Conseil en même temps. Il a fort exalté MM. Duchâtel et Teste dans la séance de la veille. Voici onze heures. Je n’ai pas de lettres. N’y a-t-il aucun moyen de faire quelque chose de régulier entre Londres et Paris ? Je ne me porte pas bien ; le vent d’Est ne me va pas. Ma solitude m’accable. J’ai des moments d’affreuses tristesses. Adieu. Adieu.
P.S. J’avais déjà fermé ma lettre lorsque m’arrive le 320; si bon, si tendre, et si long! Je veux tout cela. Songez que je n’ai que cela pour vivre! J’ai reçu une longue lettre du Roi de Hanovre toute remplie de commérages de gazettes sur mon compte. Ces bombes me viendront de Pétersbourg. Aussi, j’ai envie de faire comme j’ai fait pour les gazettes, je ne répondrai pas. Je suis bien lasse d’être tracassée sur toute chose.
Je n’ai plus vu Médem deppuis longtemps. Dans huit jours le cœur lui battra, car les réponses de Pétersbourg lui arriveront alors. M. Molé croit que Pahlen reviendra, mais c’est d’instinct ; car à la réflexion il ne le croit pas. Nous allons voir. Lisez le Constitutionnel de ce matin. On disait hier que le minsitère avait remis de huit jours la présentation des fonds secrets. Lord Granville a donné à diner samedi à Mrs Thiers, Rémusat, Broglie, la Redorte, d’autres encore. On m’a dit que le diner était bien froid ; Lord Won Russell disait des gens qui ont peur les uns des autres, ou qui n’ont pas fait connaissance. Rémusat très abattu, il venait de la séance. Demain Thiers donne un grand diner diplomatique.
Adieu, merci de tous les détails. Adieu encore, Merci de tout.
3 heures Encore! Voici Montrond qui vient me raconter très longuement que Thiers a été délecté à la lecture de votre dépêche ; qu’il est enchanté de tout ce que vous faites ; qu’il le dit à tout le monde ; et Montrond, doutant que j’aie l’esprit de deviner qu’il n’était venu chez moi que pour me dire cela et pour que je vous le redise, me prie en finissant de vous raconter un peu cela, ainsi que son dévouement pour vous.
L’affaire Nemours est comme je vous ai dit plus haut. On négocie. Adieu. Adieu.
Mots-clés : Ambassade à Londres
400. Trouville, Dimanche 9 août 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Une heure
Ce qui est vrai, c’est qu’à tout prendre je suis content de ce que j’ai vu à Eu, des deux partis. J’ai vu, d’une part de la révolution, de l’autre, de la modération. Les penchants, les désirs au fond ne sont pas, les mêmes ; mais les conduites pourront fort bien s’accorder. On travaillera sincèrement à maintenir la paix ; on fera hardiment la guerre si l’occasion l’exige. Et on prévoit des occasions qui pourraient l’exiger. On ne provoquera point ; on ne commencera point. Mais on n’éludera point. Le pays est dans la même disposition ; nulle envie de la guerre, tant s’en faut ; mais un grand parti pris de ne pas accepter tel ou tel dégoût et d’accepter les sacrifices. C’est une démocratie fière sans exaltation et résigner à souffrir plutôt qu’ambitieuse et confiante. Vous verrez cette physionomie passer même dans la presse, malgré ses fanfaronnades, et ses colères. Je ne fais qu’entrevoir mon pays ; mais ce que j’en entrevois me convient. J’espère qu’il ne sera pas mis à de trop dures épreuves. Je crois qu’il s’y ferait honneur. Lord Palmerston m’a dit souvent : « Je ne comprends pas que vous ne soyiez pas de mon avis. On me dit ici la même chose à son égard. Il y a bien peu d’esprits qui se comprennent les uns les autres. Chacun s’enferme dans son avis comme dans une prison, et agit du fond de cette prison-là. Cette complète préoccupation de son propre sens joue dans les affaires un infiniment plus grand rôle qu’on ne croit. Voici ce que je n’ai pas entendu, mais ce qui m’a été répété bien authentiquement : - " Que deviendrais-je aujourd’hui si j’avais Molé pour ministre ? " Louis Bonaparte, et son monde vont être traduits à la cour des Pairs. J’ai peur que ceci ne vous arrive pas avant jeudi. Je suis hors des grandes routes. Vous accepter tel ou tel dégoût et d’accepter les sacrifices. C’est une démocratie fière sans exaltation et résigner à souffrir plutôt qu’ambitieuse et confiante. Vous verrez cette physionomie passer même dans la presse, malgré ses fanfaronnades, et ses colères. Je ne fais qu’entrevoir mon pays ; mais ce que j’en entrevois me convient. J’espère qu’il ne sera pas mis à de trop dures épreuves. Je crois qu’il s’y ferait honneur. Lord Palmerston m’a dit souvent : « Je ne comprends pas que vous ne soyez pas de mon avis. On me dit ici la même chose à son égard. Il y a bien peu d’esprits qui se comprennent les uns les autres. Chacun s’enferme dans son avis comme dans une prison, et agit du fond de cette prison-là. Cette complète préoccupation de son propre sens joue dans les affaires un infiniment plus grand rôle qu’on ne croit. Voici ce que je n’ai pas entendu, mais ce qui m’a été répété bien authentiquement : - " Que deviendrais-je aujourd’hui si j’avais Molé pour ministre ? " Louis Bonaparte, et son monde vont être traduits à la cour des Pairs.
J’ai peur que ceci ne vous arrive pas avant jeudi. Je suis hors des grandes routes. Vous serez déjà à la campagne. Je vous écrirai encore 400 demain, à tout hasard. Samedi, en revenant de West, vous trouverez une lettre et moi. Adieu. J’aspire à demain. Trois jours sans un signe de vie ! Cela m’est-il jamais arrivé ? Adieu Adieu. Adieu.
Mots-clés : Ambassade à Londres, Bonaparte, Charles-Louis-Napoléon (1808-1873), Conditions matérielles de la correspondance, Diplomatie, Discours du for intérieur, Enfants (Guizot), Famille Guizot, Gouvernement Adolphe Thiers, Politique, Politique (Angleterre), Politique (France), Politique (Internationale), Portrait
321. Londres, Dimanche 8 mars 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Londres, dimanche 8 mars 1840,
une heure
Nos journaux vous donnent ce matin le projet de charivari qu’on a voulu me donner à Londres. Vous en entendrez plus de bruit que je n’en ai entendu ici. Je n’étais pas chez moi quand ces douze ou quinze polissons sont venus, et ils n’ont pas même commencé, tant la police a été prompte à les chasser. Ces choses-là se font ici avec une rudesse très simple et très efficace. C’était douze ou quinze réfugiés, mauvais sujets du procès d’avril. Je n’ai appris le fait que deux jours après, par le Globe. Personne ne m’en avait parlé et n’y avait pensé. J’ai été obligé d’aller aux renseignements pour savoir ce que c’était.
J’ai dîné hier avec Sir Robert Peel, un dîner bien anglais, cossu, long, lourd et froid, quoique cordial. J'ai beaucoup causé avec mon voisin de droite Sir Henry Hardinge, soldat brave et sensé qui m’a plu. Je m’aperçois de jour en jour de mon progrès pour parler. Mais je vais tout simplement, et il me semble qu’on m’en sait gré.
Vous m’avez trop dit que le premier acte du dîner était très silencieux. On parle assez et c’est presque toujours moi qui me tais.
Lord Aberdeen, qui n’avait pas pu venir dîner parce qu’il était engagé chez Lady Holland, est venu le soir, et nous avons beaucoup causé. Il est très instruit et d’une conversation très variée. Je vous répète tout ce que vous m’avez dit. Cela me plaît de découvrir à chaque instant que vous aviez raison.
Les Tories sont en effet très aimables pour moi. Ils viennent tous me chercher. Lord Londonderry est presque le seul qui ne soit pas encore venu. Aussi, quoique Lady Londonderry m’ait écrit un petit billet bien doré pour m’engager à aller passer la soirée chez elle après-demain mercredi, je m’en excuserai sur quelque prétexte. Le Général Sébastiani, ni personne de l’Ambassade n’allait jamais là. Le langage était trop violent contre nous, trop tendre pour vous. Si Lord Londonderry vient me voir, je verrai ce que j’ai à faire. Autant que j’en puis juger, il ne me sera pas difficile de vivre en bons rapports avec les Tories sans donner aux Whigs aucun ombrage. Je dirai ce que je pense et je serai ce que je suis. La vérité est ici fort bien acceptée. Vous avez bien raison, c’est un mérite immense.
Lady Palmerston chez qui je suis allée hier au soir en sortant de dîner, m’a demandé en passant : « Connaissez-vous depuis longtemps Sir Robert Peel ? ». Ce n’était plus un rout chez elle, mais une petite soirée assez agréable.
4 heures
Je viens de chez Lord Melbourne. Nous avons causé une heure et demie. Il me plaît beaucoup, beaucoup; sa figure, son esprit, ses manières. Il s’est étendu dans son fauteuil, à côté du mien, détournant la tête et tournant l’oreille; il a parlé anglais, moi, français, dialogue très régulier, chacun à son tour, interrompu seulement par ses rires. On dirait qu’il vit pour rire. Je traiterai volontiers d’affaires avec lui. Il comprend à merveille, avec élévation dans les idées, et point préoccupé de son propre sens. J’ai peu à vous dire des affaires mêmes. Elles sont stationnaires. On attend le plénipotentiaire Turc, Ie nouveau cabinet français. On s’observe. Personne ne voudrait être le premier à avoir une résolution. On croit assez ici qu’au fond vous êtes embarrassés du Traité d’Unkiar-Skelessi, que si les circonstances, vous obligeaient à l’exécuter, si la Porte vous le demandait, vous le feriez, par honneur ; mais que cette chance vous déplaît, que vous en craignez les conséquences, et que vous saisiriez volontiers quelque manière d’échapper aux charges de ce protectorat exclusif et compromettant.
Je crois vous avoir déjà dit qu’on avait grande envie de faire quelque chose avec nous et grand embarras à faire quelque chose sans nous. Il me semble que je vois cette disposition en progrès.
M. de Werther part demain pour Berlin. Il passera quelques jours à Paris.
Lundi, 9 heures
J’ai dîné hier à Landsdown-House, un dîner plus agréable et plus causant que de coutume, Lord & Lady Holland, Lord & Lady Clarendon, le Duc et la Duchesse de Sutherland, Lord John Russel, M. Charles Greville et moi. Je vous ai placée au milieu de cette conversation. Elle serait devenue charmante.
De là chez Lady Jersey où j’ai trouvé Lord Aberdeen, Lord Stuart et Lord Elliot, l’homme de Londres qui parle le mieux français. Il y a, chez Lady Jersey, plus de liberté, d’abandon, et de façons sociables qu’ailleurs. Mais quelle inépuisable parole que la sienne ! et quel infatigable mouvement ! Elle a, sur toutes choses, des phrases, des désirs, des fantaisies, des volontés. C’est là, je crois, ce qui lui donne cette puissance dont vous vous étonniez.
Lord Leveson me paraît très occupé de Fanny Cowper. On croit qu’il l’épousera, et même que la Charge de Sous-Secrétaire d’Etat a été donnée dans cette idée. Lord Levenson est fort à la mode, me dit-on.
L’affaire du privilège des Chambres va finir par le bill de John Russell. Il paraît que la Chambre des Lords l’adoptera. L’affaire des corporations municipales d’Irlande finira aussi dans cette session. Il y aura transaction entre le Gouvernement et l’opposition, et la Chambre des Lords adoptera. Le Ministère paraît très solide, malgré les échecs passés et futurs. Au fond, tout le monde croit à sa durée. J’ai à dîner aujourd’hui M. Dedel, M. de Blum, M. de Werther et de M. de Hummelauer.
Une heure
Merci de tout ce que vous me renvoyez à Londres. Je suis bien aise de le savoir. J’accepte le reproche d’avoir un peu manifesté mon opinion sur les personnes. Je me souviens en effet de deux occasions où j’aurais mieux fait de ne rien dire. Mais je proteste contre ce qui me revient par Génie du ravissement que j’ai témoigné, et de ce que j’ai trouvé excellent. Ceci m’apprend qu’à Londres comme à Paris on peut broder, exagérer ; soit par goût, soit par dessein. Je suis sûr d’avoir été dans mon langage à ce sujet, très réservé, ne manifestant ni inquiétude, ni confiance, espérant plutôt que craignant, comme c’est mon rôle, mais rien de plus. J’y avais pensé, et je n’ai rien dit de cela sans y avoir pensé. Je ne vais guère, dans ce cas, plus loin que je ne devrais.
Soyez tranquille, je n’aurai point de loge à l’Opéra! Je n’irai même pas à l’Opéra. Je ne vois pas pourquoi je changerais à cet égard mon habitude qui est aussi mon goût. Je suis sûr que le spectacle me causerait une impression pénible. Je vous l’ai dit souvent ; je n’ai jamais su m’amuser seul ; j’ai besoin, absolument besoin de partager tout plaisir vif, toute émotion douce et un peu saisissante. L’autre jour, après dîner, chez Ellice, sa belle-fille et M. Dundas ont chanté, chanté presque toute la soirée pour me faire plaisir. J’avais fini par avoir le coeur tout-à-fait mal à l’aise.
Adieu. Il fait beau et doux aujourd’hui. Je me promènerais bien volontiers. Mais je ne me promènerai pas. Adieu, Adieu.
408. Londres, Mercredi 9 septembre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
6 heures et demie
J’ai fait ce matin quelques visites. J’ai vu notre amis Dedel, toujours très bon et très sensé. Je lui ai porté mes plaintes sur Napier n’ayant pu trouver dans Londres un ministre anglais à qui les adresser. J’avais passé chez Lord Clarendon le seul membre du Cabinet qui réside. Il n’y était pas. Il sort de chez moi, et je lui ai dit comme s’il avait été Lord Palmerston ou Lord Melbourne tout ce que Napier m’avait mis sur le cœur. Il n’y a pas de réponse à cela. Lord Palmerston lui-même n’en trouverait pas. La guerre commencée en Syrie deux jours avant qu’on ait demandé au Pâcha de rendre la Syrie ! Voilà bien les incidents et les subalternes. Je ne sais ce qu’on me dira quand il y aura quelqu’un pour me parler En attendant les journaux même les plus hostiles au Pacha, le Standard par exemple, se récrient contre une telle légèreté ou un tel manqué de foi. On verra ce que c’est que d’entreprendre à 7ou 800 lieues et par toutes sortes de mains une opération bien plus vaste, bien plus compliquée, bien plur longue que cette expédition de Belgique que nous avons eu tant de peine à conduire à bien, sous nos propres yeux et de nos propres mains.
Jeudi 6 heures et demie
Je m’éveille. Achevez. J’ai eu hier quelques personnes à dîner. Rien. Après dîner, j’ai joué au whist. Quelle décadence. C’est demain que je commence à rester chez moi le soir, mardi et vendredi. J’achète une seconde table de whist, des échecs. Je fais venir du Val-Richer mon tric-trac. On ne trouve pas un tric-trac dans Londres. Je n’aurai pas mes deux soirées par semaine à Holland house. Ils vont décidément à Brighton pour quinze jours. Cependant Lady Holland va mieux. Lord John est retourné à Windsor. La Reine ne voulait pas qu’il en sortit, même pour un jour. Pourtant quand elle a su que c’était pour dîner avec moi, elle a dit : " A la bonne heure. Je crois que la Reine a grande envie de la paix. Lord Clarendon est invité à Windsor pour vendredi, la première fois. Lord Holland n’y a pas encore été invité. On en a de l’humeur. On s’en prend à qui de droit.
Lord Tankerville a été opéré hier matin, avec plein succès, dit-on. On n’en sera tout-à -fait sûr que dans quelques jours. Dites-moi ce qu’il y a de réel dans le succès de l’opération sur les yeux de votre nièce. Je déteste la loucherie. Je penserais avec plaisir qu’on a trouvé un moyen de la chasser de ce monde. Je n’ai pas eu hier de lettre du Val. Richer. Je m’en prends aux désordres des ouvriers dans Paris. Je sais que le service des postes en a été un peu dérangé. J’attends encore plus impatiemment le courrier de ce matin. Je n’ai pas besoin d’un redoubement d’impatience. Qu’a donc été votre si mauvaise nuit à Douvres que vous ayez hésité à partir ? Il ne faut pas dire des choses pareilles, cela donne des pensées abominables. Au moins ne soyez pas malade loin.
Midi
Votre fatigue me préoccupe beaucoup. Je m’y attendais. Mais qu’importe ? Vous ne vous réposerez qu’à Paris. Tout y est tranquille. J’ai reçu ce matin une bonne lettre de Thiers. Il paraît que malgré Napier, les syriens n’ont pas envie de se faire égorger pour faire plaisir à Lord Palmerston. Tout optimiste que je suis, je ne le suis pas tant que d’autres. Je trouve qu’on est déjà bien engagé. Je crains toujours les coups fourrés et soudains. Pourtant il est sûr que jusqu’ici tous les mécomptes ont été d’un seul côté. Où aurez-vous couché hier ? A quelle heure arrivez-vous aujourd’hui à Paris ? Je me fais cent questions; et j’ai beau savoir que je ne trouverai pas la réponse; je recommence toujours. Adieu. Adieu. Adieu.
322. Paris, Mardi 10 mars 1840, Dorothée de Lieven à François Guizot
322. Paris, Mardi 10 mars 1840, Dorothée de Lieven à François Guizot
Paris, mardi 10 mars 1840,
Lord John Russell a été ma seule visite du matin hier. J’en ai fait une à Mad. de la Redorte qui est bien malade. Elle est inquiète pour le ministère. On jase beaucoup, il y a assurément une grande incertitude dans les esprits et la situation du nouveau ministère n’est pas triomphante. Cependant on croit qu’il aura les fonds secrets. Je me suis promenée avec Marion au bois de Boulogne, j’ai dîné seule. Le soir j’ai vu Lady Granville et sa fille, la famille Poix, les Durazzo, Brignole, Aston, M. d’André, le hanôvre. Je ne sais ce qui prend à Modem, mais il ne vient plus. Lady Granville sortait du salon du Maréchal Soult où la diplomatie s’était donné rendez-vous. Aujourd’hui sera le tour de M. Molé. J’ai fort mal dormi encore. Je ne me porte pas bien, sans être absolument malade ; si ce malaise dure cependant il me faudra M. Verity. Le vent d’Est ne me va pas du tout.
Il me semble que vous dînez chez le duc de Sutherland aujourd’hui. On ne sera plus embarrassé où vous placer à table. Je vous vois à côté de la Duchesse tournant le dos au jardin ; moi je serais à l’autre extrémité bien loin de vous ; mais dans la même chambre ; aujourd’hui dans un autre pays !
6 heures
Lord John Russel et Appony sont venus me voir. Le premier a tout bêtement de l’esprit et une bonté de cœur parfaite. Il me raconte peu à peu tout, avec beaucoup de finesse, de vie. A propos, il vous conseille de vous défier de notre ami Ellice ; la plus grande commère de Londres. C’est bon pour dîner et mille petits services, mais pas bon pour des confidences ; au reste celles-là, vous aurez soin de n’en faire à personne. Il me semble d’après votre lettre que M. de Brünnow se met en grande froideur avec vous. A propos, Appony me dit qu’on a envoyé l’ordre à Barante de rester à Pétersbourg jusqu’à la dernière extrémité. C’est drôle!
J’ai vu Granville chez sa femme. Il croit que le ministère tiendra. Au moins cela n’a pas encore grand air. Médem se donne les apparences d’être moins lié avec Thiers qu’il ne l’est en effet. Voilà les observations de la diplomatie. Tout ceci aujourd’hui fait un spectacle curieux à observer. Granville aussi m’a parlé du grand succès de votre dernière dépêche. A propos il dit que les difficultés du mariage Nemours sont aplanies et qu’il se fera après Pâques. Il me semble que je vous raconte tout ce que vous devez savoir par d’autres.
Mercredi 11 –
M. Jaubert est venu me voir hier un moment avant mon dîner ; il est très poli, et n’a pas l’air très soucieux. Il parle de vous avez grand respect. M. de Pogenpohl a dîné avec moi ; mon monde m’est venu de bonne heure. Pahlen, Médem, Caraffa, Brignole, le Duc de Noailles, Bacourt, Mad. de Contades. Cette petite femme me plait tout à fait. Je n’ai pas causé avec le duc de Noailles. Médem est resté tard. Il m’a répété que Barante restera à Pétersbourg, quand même. L’Empereur regardait à sa montre pour calculer l’arrivée des réponses de Paris aux gesticulations. Médem est le seul diplomate qui n’ait point dîné hier chez Thiers, il dinait avec M. Molé chez M. Greffulhe. Il y a été le soir. Un monde énorme. Rien des 221 que le Gal Bugeaud. M. de .Broglie y était, Odillon, Barôt. Voilà !
Ce que vous me dites du lever de la Reine est très original et très vrai. Je suis curieuse de l’effet que vous aura fait le Drawing room, et de ce que vous mettez comme pendant à : Sérieux, sincère et gauche.
J’ai fait venir Verity hier au soir. Je ne suis pas bien, et je ne sais pas dire ce que j’ai . J’ai de l’ennui, de la tristesse, un gros gros poids sur le cœur, et je me sens malade.
1 heure. Voici le 321 que je vous remercie du plaisir que vous me faites ! Car vous ne savez pas avec quel plaisir je reçois, je lis vos lettres ! Je suis charmée que Lord Melbourne vous plaise, parce que je suis sûre alors que vous lui plaisez aussi. Il me semble que Londres vous plait en général beaucoup. En tous cas votre journée est bien remplie, vous êtes bien heureux.
Jeudi 12 mars, 9 heures
L’infaillible Lord William est encore venu hier pendant mon luncheon. C’est une excellente et douce créature, avec un esprit d’observation très fin. En général vous ne concevez pas combien les Anglais ont de cela, rien ne leur échappe. Il pense que vous vous arrangerez mieux de Lord Melbourne ou d’autres que de Lord Palmerston, mais il ajoute que celui-ci est assez jaloux des relations des Ambassadeurs avec ses collègues. Cela n’est cependant pas une raison pour n’en pas avoir, car en définitive, s’il s’agit d’une résolution à prendre, c’est le Cabinet et non Lord Palmerston qui décide. Que je voudrais causer avec vous! Car vous m’écrivez beaucoup, mais vous ne dites pas tout. Il n’y a de vraie confiance que dans la parole.
J’ai fait visite à votre mère. Je l’ai trouvée seule. Je ne sais pourquoi cela m’a saisie, et dès le premier moment la disposition a tourné à l’attendrissement. Je sentais tellement les larmes me monter aux yeux que pour échapper au ridicule, j’ai dit quelques paroles qui pouvaient les légitimer ; cela est venu naturellement après qu’elle m’eût dit qu’hier était un triste anniversaire pour vous. Ah, il y en a pour d’autres de plus cruels encore ; j’ai fondu en larmes. Votre mère m’a regardé avec plus d’étonnement que d’intérêt ; du moins c’est ce qui m’a semblé. En général je ne suis pas sûre que je lui plaise. Pour elle, elle me plait beaucoup ; si simple dans tout ce qu’elle dit et tout ce qu’elle fait ! Elle donnait quelques ordres pour des chemises ; elle a tiré de son armoire des gâteaux pour les enfants ; tout cela s’est fait comme si je n’y étais pas. J’ai été charmée de me trouver tout à coup initié aux détails du ménage. Je suis restée une demi-heure. Vos enfants vont à merveille, et très aimables pour moi. De là, j’ai fait la visite à Mad. Durazzo, et la petite princesse. J’ai dîné seule. Le soir la princesse Lebkowitz est venue jouer chez moi avec M. Durazzo, Fullarton et Greville. Moi, j’ai causé avec le Duc de Noailles, lord Granville & Arnim. Granville croit plus fermement tous les jours que le vote sera en faveur du nouveau ministère. Décidément toute la gauche est venue au premier mardi. M. de Broglie y avait dîné. Les légitimistes n’ont pas encore décidé ce qu’ils feront ; ils se réuniront samedi pour cela. Thiers est inquiet de l’apprendre. J’ai eu ce matin une lettre de mon fils de Naples. Il sera ici à la fin d’avril. Lord Brougham m’écrit de Cannes. Il ne parle pas de revenir. Les Clanricarde seront en Angleterre au mois de mai.
Le mariage Darmstadt se fait décidément.
Verity vient, mais mon mal ne s’en va pas.
Adieu, adieu. Ecrivez-moi beaucoup. J’aime tant vos douces paroles ! Adieu.
Génie est chez moi dans ce moment et m’assure que je fais mieux de lui remettre ma lettre.
415. Londres, Vendredi 18 septembre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
9 heures
J’attends mes deux lettres car j’en aurai deux aujourd’hui. J’ai eu mon courrier cette nuit. La tempète a été l’une des plus violentes qu’on ait vues. Notre steamer, sorti de Calais avant-hier fut obligé de rentrer. Hier il a mis sept heures pour aller à Douvres. Le port de Douvres est encombré. Et il faut, pour que mon cœur soit tranquille, qu’un petit chiffon de papier surmonté tout cela ! Les nouvelles sont à la paix. J’y ai toujours cru, j’y crois toujours. On a bien des incertitudes, dans l’esprit, comme il y a bien des vicissitudes, dans les événements. Pourtant au fond de la pensée, dans son cours habituel quelque chose domine conviction ou instinct. Pour moi, c’est la paix. Ici, on la désire évidemment de plus en plus. S’il y a quelque concession un peu embarrassante à faire, elle se fera à Alexandrie ou à Constantinople. Je devrais dire et au lieu d’ou. Le traité laisse avec grand soin, cette porte ouverte. Les bases d’arrangement entre le Sultan et le Pacha ne font point partie de la convention des quatre Puissances. C’est une annexe qui vient de la Porte seule et que la Porte peut modifier. Le Pacha de son côté ne me paraît point avoir jeté son bonnet par dessus les moulins. Il n’y a plus que des sages dans le monde. Je prends un singulier moment pour le dire. Pourtant je le crois.
En ma qualité de sage, je vais faire ma toilette pour occuper mon impatience. J’attends très dignement ce que je crains. Mais si on voyait avec quel tumulte intérieur j’attends ce que je désire, on ne me trouverait. pas si sage que je le dis. On aurait tort. La vraie sagesse consiste à ne s’émouvoir que selon l’importance des choses, et je suis bien sûr que j’ai raison dans l’importance que j’attache à celle qui m’émeut en ce moment. Décidément, je vais faire ma toilette.
Une heure
J’ai mes deux lettres, et il vous en a manqué une. Elle ne vous aura pas manqué. On vous l’aura remise plus tard. Je crois même qu’elle était longue, lundi. Je ne vous écris jamais aussi longuement que je le voudrais ! Ni vous non plus à moi. Certainement c’est absurde, absurde et intolérable. Je le sens mieux tous les jours. Mais vous avez tort dans votre égoïsme. Vous ne risquez, vous ne perdez jamais rien dans aucune situation. Partout, toujours mon regret, mon désir est le même. Ceux que j’aime le mieux, je les aime pour eux. Vous, je vous aime pour moi. Est-ce assez ?
Voilà donc la grande duchesse Marie cousine germaine de M. Demidoff. Cousine germaine par alliance. Les Bonaparte se remuent partout. Ici encore, pour tirer de prison leur Empereur Louis. C’est bien dommage que le sentiment du ridicule soit mort. Il aurait de quoi s’exercer. Mais de notre temps le ridicule s’est mêlé à la grandeur, à la tragédie, et cela le tue. J’ai fait comme vous hier au soir ; je me suis couché de bonne heure, à 10 heures et demie. Je n’étais pas sorti. J’avais joué au Whist. Je me fais pitié, pitié comme tristesse, pitié comme décadence. Des soirées si charmantes ! Bonheur à part, je ne puis souffrir de passer mon temps pour le passer, sans y rien recevoir cousine germaine de M. Demidoff. Cousine germaine par alliance. Les Bonaparte se remuent partout. Ici encore, pour tirer de prison leur Empereur Louis. C’est bien dommage que le sentiment du ridicule soit mort. Il aurait de quoi s’exercer. Mais de notre temps le ridicule s’est mêlé à la grandeur, à la tragédie, et cela le tue.
J’ai fait comme vous hier au soir ; je me suis couché de bonne heure, à 10 heures et demie Je n’étais pas sorti. J’avais joué au whist. Je me fais pitie, pitié comme tristesse, pitié comme décadence. Des soirées si charmantes ? bonheur à part, je ne puis souffrir de passer mon temps pour le passer, sans y rien recevoir, sans y rien mettre qui me satisfasse et qui me plaise. Le temps, ce trésor si grand, qui s’écoule si vite, le dépenser pour rien, avec personne ! Cela me choque. Je rentre dans ma chambre honteux, petit. Quand au contraire mon temps a été bien rempli, rempli au gré de mon âme, quand le chêne a bien ouvert ses feuilles, et bien joui du soleil, je me retire, je me couché, je m’endors content et fier, animé et reposé. Je dis adieu non sans regret, mais sans amertume à ces belles heures passées. C’est toujours triste de belles heures qui ne sont plus. Mais elles ont été belles ; elles ont eu leur part des dons de Dieu, des biens de la vie. Ce quelles deviennent, où elles vont en s’enfuyant, je ne le sais pas ; le passé comme l’avenir est un mystère, un sanctuaire où notre vue ne pénètre point. Mais quand la portion de nous-mêmes qui disparaît dans ce sanctuaire a été charmante, il en reste une ombre charmante qui ne nous quitte plus. Je l’avais près de moi chaque soir cette ombre d’un jour plein, d’un jour heureux. En le regrettant, j’en jouissais encore. Je ne regrette plus rien, et mes journées tombent derrière moi, sans que j’y pense, sans que je tourne une seule fois la tête pour y regarder.
3 heures et demie
Je vous ai quittée. Je vous désirais trop. Je ne vous reviens que pour vous dire adieu avant de sortir. Je vais faire deux ou trois visites. J’irai probablement voir lady Clanricard. Elle m’a dit qu’elle serait chez elle a cinq heures. Ce soir, j’aurai mes diplomates qui joueront au Whist. Lady Palmerston m’a dit que cela leur plaisait fort, mais que c’était bien dommage que je n’y eusse pas quelques femmes. Je ne trouve pas que ce soit dommage. Adieu. Adieu. Adieu, me plaît, mais ne me contente pas. Adieu.
322. Londres Mardi 10 mars 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Londres, mardi 10 mars 1840, 11 h 1/2 du soir
J’ai dîné chez la Duchesse de Sutherland, puis un quart d’heure chez Lady Minto. Je rentre. Moi aussi, le coeur m’a battu en entrant à Stafford house, dans ce salon vert qui était le vôtre, dans cette salle à manger où le Duc me plaçait à côté de vous. Je vous ai cherchée, je vous ai vue, partout, toute la soirée. Cette maison vous convient. On se promet de vous y revoir. On me l’a dit. Je me le suis fait redire. Je ne comprends pas toujours la première fois. Qu’il y a de temps d’ici là! n’est-ce pas, vous n’avez plus de plaisir à rien? vous me le dites. Laissez-moi être égoïste librement, autant qu’il me plaît. Je le suis sans remords. Vous n’y perdez rien. Voici un incident qui vaut la peine de vous être conté. Décidément M. de Brünnow1 n’est pas venu chez moi. Il s’est fait présenter à moi chez Lord Clarendon. Nous nous sommes rencontrés deux jours après, le lendemain plutôt, chez Lady Palmerston et nous avons causé. Mais enfin, il n’est pas venu et ne viendra pas. Ce n’est pas tout. Un petit attaché, celui que j’ai amené avec moi, Gustave de Banneville, était allé porter à Ashburnham-House, qui est toujours le quartier général de l’Ambassade Russe, sa carte pour M. de Kisselef qui n’y demeure plus. Au lieu de porter cette carte à M. de Kisselef, on l’a portée à M. de Brünnow qui demeure Mywart’s Hotel. M. de Brünnow est venu en hâte ce matin, à ma grille, sans entrer dans la cour, porter une carte de lui sur laquelle il avait écrit au crayon, pour M. Gustave de Banneville. Je me suis fait expliquer la méprise, et quelques heures après, j’ai envoyé M. de Banneville porter sa carte chez M. de Brünnow, en écrivant aussi au-dessus, au crayon, pour M. le Baron de Brünnow. Il se trouve ainsi que M. de Brünnow a fait la première visite au dernier attaché qui s’est empressé de la lui rendre. Nous en avons un peu ri.
Evidemment M. de Brünnow a des instructions spéciales à mon égard. Il a l’air d’être, et on me dit qu’il est le plus poli, le plus obséquieux des hommes. Il l’a été beaucoup dans nos deux rencontres chez autrui. A la première, je passerai devant lui sans le voir. Il paraît qu’on a été très fâché de ma mission ici. J’espère qu’on aura raison. Convenez que cela est drôle, et qu’en fait de mes dispositions envers la Russie, me voilà bien loin de mon point de départ. J’ai attendu très tranquillement et avec réserve avant de parler à personne de cette boutade de mauvaise éducation officielle. Mais cela commence à circuler, à la grande surprise et moquerie de tout le monde. N’en parlez pas du tout avant deux ou trois jours, je vous en prie, à qui que ce soit. J’en rendrai compte après-demain.
[Neumann part dans les premiers jours d’avril , aussi tôt après le lever que la Reine tiendra le 1er. Il l’annonce lui-même, sans dire si c’est un départ temporaire ou définitif. Brünnow part toujours aussi à la fin du mois. Le champ de bataille me restera, en attendant le combat.
On attendra aussi le plénipotentiaire turc. L’officier qui en a porté la demande à Constantinople doit y arriver en ce moment. Il n’y allait pas exprès pour cela. Il passait par Constantinople en retournant aux Indes.
Adieu pour ce soir. Je vais me coucher. Je me suis couché fort tard tous ces jours-ci, et je n’ai pas assez dormi. Adieu
Mercredi, 9 heures
J’espérais une lettre ce matin. J’y compte pour demain. Je n’ai pas été content du N° 320, venu lundi, non parce qu’il portait un petit paquet de petits griefs, mais parce qu’il y avait, ou je me trompe fort, des réticences. La dernière que vous veniez de recevoir de moi, était courte. Je vous disais ma résolution de rester ici, sans vous rien dire de la joie que m’aurait value la résolution contraire. Enfin, elle était écrite un triste jour, et je ne vous en parlais pas2. Vous avez pensé à tout cela, et vous ne m’en avez rien dit. Dites-moi si je me trompe. Et si je ne me trompe pas, une autre fois dites-moi tout ; point de réticence, en fait de griefs surtout. Presque toujours, j’aurai raison, et je me sens en état d’avoir un tort... que vous me pardonnerez.
Une heure
Je viens de faire un déjeuner savant chez M. Hallam, avec Lord Landsdowne, Lord Mahon, Lord Southampton, Sir Francis Palgrave, et M. Milman, Chanoine de Westminster. Vrai intérieur de savant Anglais. On m’a reçu dans la bibliothèque de M. Hallam. Puis nous avons passé dans la salle à manger, où nous avons trouvé Misstriss Hallam et sa fille, debout à nous attendre. Une salle à manger très nue, quasi sans meubles, mais de petites colonnes et un grand portrait sur la cheminée. [Du café d’abord, avec de la cassonade grise. Puis des côtelettes chaudes, une volaille froide. Puis du fromage rapé, du caviar. Puis des œufs, du beurre, toutes sortes de pain grillé. Enfin du thé. Et tout au travers une très bonne conversation, point politique du tout mais bien substantielle et variée dans l’ordre scientifique. Il m’a paru que les convives s’y plaisaient, et j’ai bien peur qu’une nouvelle porte ne se soit ouverte là aux invitations. En voilà une qui m’arrive de Lord Mahon pour déjeuner Mercredi prochain.]
Miss Hallam jolie, de 25 à 30 ans, peu d’espoir de se marier, parfaitement silencieuse, le regard très modeste, mais doucement animé, et se soulevant quelquefois avec une curiosité très intelligente, pour se rabaisser aussitôt. Tout cela était très Anglais, et pas du monde anglais que je vois tous les jours.
Jeudi midi
Pas de lettre ce matin. Je n’y comprends rien. Comment ne m’avez-vous pas écrit par la poste après avoir manqué lundi le courrier des Affaires Etrangères? Est-ce que je suis destiné à subir le même chagrin que vous avez eu ici en 1837 ? Ce qui me rassure un peu, c’est que j’ai ce matin des nouvelles de Génie qui ne me dit pas un mot de vous. Le mal se sait si vite ! Mais c’est une triste sécurité que le silence. Adieu. Je vais attendre jusqu’à demain matin.
Pour Dieu, convenons bien de nos faits : le lundi et le jeudi, écrivez-moi par le courrier des Affaires Etrangères et le samedi par la poste. Et si le lundi ou le samedi le courrier des Affaires Etrangères ne partait pas, écrivez-moi par la poste, ne fût-ce que quelques lignes pour que je ne sois pas inquiet. Je cherche un moyen de me faire arriver ici les lettres que vous ne voudrez m’envoyer ni par les Affaires Etrangères, ni directement par la poste. Je n’ai encore rien qui me satisfasse pleinement. Adieu. Je suis dans une triste et déplaisante disposition.
433. Paris, Vendredi 25 septembre 1840, Dorothée de Lieven à François Guizot
9 heures
J’ai vu hier Montrond et les Appony. J’ai fait ma promenade En rentrant, j’ai vu M. de Pahlen. Après mon dîner, j’ai éte un moment chez Mad. de Flahaut avant sa réception et puis chez lady Granville, que je trouve toujours au coin du feu avec son mari. Appony a eu un long entretien, hier matin avec Thiers. M. de Metternich s’emploie à arranger Thiers le trouve long et métaphysique Il voudrait que cela allât plus vite. Il a été un peu menaçant, un peu doux, et toujours un peu drôle. Appony au fond était moins inquiet hier que ces jours derniers. Tout le monde se demande " Mais comment dès qu’on va faire la guerre ! pourquoi ? " Je crois que vraiment quand le moment surprise arrivera, le ridicule pourrait bien tuer le danger. Que Dieu m’entende.
Les petits états envoient des Déclarations de Neutralité, je veux dire Sardaigne, et Suède. Les pauvres allemands n’oseront pas l’être. La Confédération en décidera autrement.
Si je vous écrivais dans mes moments de faiblesse et de tristesse, mes paroles vous feraient de la peine. De la peine et du plaisir. Le matin j’ai un peu de force, vers le milieu du jour elle m’abandonne, le soir je suis tout à fait triste, découragée. Je regarde le fauteuil vert vide, je trouve ma vie si mal arrangée ! Et puis je la crois si courte. Et ce court moment, je le passe seule ! Je ne devrais pas vous dire tout cela. Vous avez assez de votre propre tristesse et puis vendredi, un mauvais jour.
Lady Holland a bien raison de le trouver un très mauvais jour. Je suis fort bien avec Madame de Flahaut. Après la grosse explosion, elle est redevenue charmante. A propos on dit qu’elle ne parle plus dans le monde, qu’elle est d’une réserve, d’une prudence presque outrées.
Je vous envoie une lettre du duc de Noailles, car je n’ai rien à vous dire, et le dimanche vous n’avez rien à lire à Londres. Cette pauvre princesse Augusta je la regrette, car elle était la meilleure personne du monde. Elle louchait cependant , elle ne vous aurait pas plu. J’espère qu’il n’est arrivée a personne de devenir louche après cinquante ans, car après votre déclaration. tout serait donc fini ? Ma nièce plait à tout le monde. On ne peut rien voir de plus gracieux, de plus naturel et de plus élégant. Sa mère sa arriver dans quelques jours what a bore ?
1 heure
Comment se fait-il que je n’ai pas de lettres ? Je vous en prie n’envoyez qu’au gens qui attendent la poste chez eux. Adieu, adieu. Adieu à demain. Je serai bien fâchée contre vous si vous m’envoyez autre chose qu’un tendre adieu après mon explication d’hier. Je sais suffisamment me gronder moi- même et je suis trop malade pour pouvoir supporter d’être grondée. Vous verrez qu’à force de douceur je deviendrai sage tout-à-fait. Adieu. Adieu. Il y aura un Cabinet council lundi. Il sera important. C’est de Londres que je parle.
323. Paris, Vendredi 13 mars 1840, Dorothée de Lieven à François Guizot
428. Londres, Vendredi 2 octobre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
8 heures J’ai oublié de vous dire hier que j’avais été à Chiswick, avant hier mercredi. J’y ai passé deux heures, me promenant avec mon ambassade. J’aurais mieux aimé être seul. Dans le commun de la vie, à dîner après dîner, je suis bien aise d’avoir du monde, n’importe qui. Il y a des heures pour lesquelles tout est bon. Mais dans un beau lieu, par un beau temps, quand ce qui m’entoure me remue l’esprit ou le cœur, il me faut le bonheur ou la solitude. Chiswick est une maison déplacée. Les prétentions italiennes sans la Brenta ; le soleil sans toute cette nature brillante et chaude qui anime et embellit la plus petite architecture. Et au bas de l’escalier dans un coin, une grande et pauvre statue de Palladio assis qui a l’air de s’ennuyer et de grelotter. Il n’y a du joli que dans le midi. Le Nord ne peut prétendre qu’au beau. Je reproche à Chiswick de prétendre au joli. Au dedans comme au dehors. C’est trop petit, trop orné.
Les femmes de la Provence se bariolent de rubans de toutes couleurs, de bijoux d’or, d’argent, de pierres de toute espèce. Cela va à leur petite taille lègère, à la vivacité de leurs mouvements, à leur gentillesse d’esprit et de corps. Lady Clanricard était l’autre jour à Holland house, toute enveloppée de mousseline blanche avec une seule pierre au milieu du front. Elle était très belle. Les maisons sont comme les personnes. Chacune selon son climat. Il y a, dans Chiswick, des trèsors de peinture. J’ai beaucoup regardé les tableaux, la plupart d’Italie aussi ; point évidemment sous un autre ciel, pour une autre lumière ; mais beaux partout. Des Papes admirables.
Le parc, voilà l’Angleterre. Que j’aurais pu m’y promener avec délices ! Je n’ai vu nulle part, même ici de tels gazons ; si épais, si fins. C’est du velours qui pousse. Ce serait un meilleur lit que les lits anglais. La serre est charmante. Je crois qu’à tout prendre j’aime mieux Kenwood. C’est plus simple et plus grand.
Lady Holland m’a raconté que M. Canning malade lui ayant dit qu’il allait à Chiswick
" N’allez pas là. Si j’étais votre femme, je ne vous laisserais pas aller là.
- Pourquoi donc ?
- M. Fox y est mort. "
M. Canning sourit. Et une heure après, en quittant Holland house, il revint à Lady Holland, tout bas : " Ne parlez de cela à personne ; on s’en troublerait. "
2 heures
Ne me demandez pas de ne pas m’inquiéter. Résignez-vous à me savoir inquiet, car je ne me résignerai pas à vous savoir malade. Quand nous nous sommes pris for better and for worse, l’inquiétude était dans les worse. Il faut l’accepter et la subir. Inquiet de loin !
Vous avez vu mon petit médecin. Vous ne lui avez pas dit un mot de votre santé. Je ne veux pas vous gronder aujourd’hui. Qui sait si ma hier que j’avais et lettre en arrivant ne vous trouvera pas encoré malade ? Je ne veux vous envoyer que de douces, les plus douces paroles. Mais, je vous en conjure, pensez-un peu à mon inquiétude. Faîtes quelque chose pour ma sécurité. Je me sers de ce mot en tremblant. Il n’y a point de sécurité. Et pourtant il m’en faut. J’en veux avoir sur vous. Ce n’est pas vivre qu’être inquiét pour vous. J’espère que Chemside a raison, que c’est un Cold. Je vous ai vu cela. Vous aviez des crampes dans la région du cœur et de la poitrine. J’aurai des nouvelles demain, bonnes, n’est-ce pas? Il y a eu un second conseil hier. Il y en aura peut-être encore un ce matin. Demain, conseil à Claremont. Mais celui-ci est insignifiant. Les autres le seront peut-être aussi.
Je n’ai jamais été plus actif dans le présent, plus incertain sur l’avenir. Il faut que je vous quitte. J’ai beaucoup à écrire le pour le courrier de ce soir. Adieu. Adieu, comme le 30. Le 30 vous êtiez bien souffrante. Et pourtant quel beau jour ! Mais il n’y a point de beau jour de loin si vous êtes souffrante. Ils sont déjà bien peu beaux quand même vous vous portez bien. Adieu Adieu.
323. Londres, Vendredi 13 mars 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
323 Londres Vendredi 13 mars 1840
Une heure
Pas plus de lettre aujourd’hui qu’hier, qu’avant-hier. Je m’y perds si c’est votre faute, c’est bien mal. Mais ce ne peut être votre faute. Je suppose que vous aurez posté une lettre Lundi aux Affaires Etranges trop tard ; elle ne sera pas partie ; et une hier, pour le courrier qui m’arrivera demain matin. J’aurais donc deux lettres demain. Je suppose cela parce qu’il faut bien supposer quelque chose. Quel amer déplaisir ! Car je ne veux pas aborder l’idée de l’inquiétude. Ma mère me dit aujourd’hui qu’elle vous enverra mes enfants. Il me semble que si vous étiez malade, elle le saurait. Il me semble à tort ; le contraire se pourrait fort bien.
De quoi voulez-vous que je vous parle ? J’ai été hier voir le Royal Coronation picture, un détestable tableau où beaucoup de portraits sont ressemblants, surtout la Duchesse de Sutherland et Fanny Cowper. Puis j’ai fait neuf visites. Puis je suis rentré chez moi. J’y ai dîné et je ne suis sorti qu’à dix heures et demie pour aller passer une heure chez Lady Holland. J’y ai trouvé le révérant M. Sidney Smith, the most witty man, dit-on, in the three kingdoms. Je n’étais en train ni de l’esprit des autres, ni du mien propre. Lady Holland se désole de ne m’avoir pas encore donné à dîner. Elle trouve sa maison de South street trop petite. Son cuisinier vient de mourir. Son maître d’hôtel vient de partir pour aller passer quinze jours dans sa famille, sur le continent. Tout est en désarroi chez elle.
On remarque depuis quelques jours un changement sensible dans les manières de la Reine avec les Torys. Elle les traite mieux. Plusieurs ont été invités aux derniers bals. Elle a été très aimable pour le Duc de Wellington Lundi dernier, à dîner. Il me semble que cela veut dire simplement que les Whigs sont sans inquiétude.
Une heure après minuit.
Je reviens de chez Lady Palmerston. Quelle odieuse journée ! Personne n’a jamais su ce que je puis souffrir. Je n’ai pas naturellement l’imagination noire ni agitée ; mais quand le trouble entre en moi, il m’ébranle jusqu’au fond de l’âme. Je ne voudrais pour rien au monde, laisser voir à qui que ce soit au monde ce qui s’est passé en moi, depuis 48 heures, ce que j’ai pensé, senti, imaginé, dit et contredit, accepté et repoussé intérieurement. Et tout cela tomberait, tout cela s’évanouirait devant quelques lignes de vous ! Il se mêle un peu de colère à mon chagrin. Vous ne vous en doutez pas ; vous êtes bien tranquille. Quelque arrangement insignifiant, la lenteur d’un domestique, une visite prolongée, je ne sais quelle pauvreté a causé tout cela. J’espère qu’il n’y a pas d’autre cause, que vous n’êtes pas malade. Je vais me coucher. Adieu.
Londres, samedi 14 [mars 1840], 10 heures
Dieu soit loué ! Ce n’est rien. Il n’y a que mon mal à moi, mon mal passé. Voilà 321 et 322. L’une par le portefeuille, l’autre par la poste. J’avais deviné juste. Le 321 avait été remis trop tard aux Affaires étrangères. Je joins ici le bout de l’enveloppe sur lequel on l’a écrit, si on a écrit vrai. Vous avez très bien fait de remettre le 322 à Génie. Je suis occupée à trouver ici une bonne adresse sous laquelle vous puissiez, au moins une fois par semaine, m’écrire sûrement par la poste. Vous m’écririez une fois par le portefeuille, une fois sous cette adresse et le samedi directement. Mais en attendant, servez vous souvent de Génie, et quand vous vous serez du Portefeuille, arrivez à tems rue des Capucines. Quel brouillard vient de se dissiper autour de moi ! Pour la première fois, j’ai vu du soleil à Londres.
Du reste soyez tranquille. Il n’y a rien, dans le 321, qui valut le retard à la rue des Capucines, si le retard est de leur fait.
Je reprends mes récits. Il me semble que je n’ai rien oublié, ni matin, ni soir. J’ai passé hier toute la journée chez moi. J’ai été à onze heures chez Lady Palmerston. Très joli bal plein et point étouffé. La Duchesse de Cambridge y était. Sa fille ne quitte pas la place. Elle serait jolie si elle n’était pas énorme. J’ai causé avec Lord Landsdowne, Lord Aberdeen, Lord Stuart, Lord Wilton, le Duc et la Duchesse de Somerset, &. On dit qu’il faut biens e défendre de la dernière, qu’elle s’attache à sa proie. Son mari a l’air d’un bon homme, un savant Seigneur. Il m’a fait toutes les caresses qu’un Anglais peut faire. Nous commençons à causer presque avec confiance Lord Aberdeen et moi. De la confiance et nulle confidence, n’est-ce pas cela? Vous avez raison. Il y a un métier qu’il faut apprendre. Je m’y applique. Je sais me taire tout à fait, sans peine même. J’espère que j’apprendrai à me taire en parlant.
Nous sommes fort en coquetterie réciproque, Lady Palmerston et moi. Coquetterie encore sans liberté, ni vérité. Elle m’a dit que je la trouverais tous les matins, d’une heure à trois. J’irai. Je ne me suis empressé vers personne.
J’ai ce soir lord Northampton, lady Cottenham et Mistriss Stanley. Celle-ci est vraiment agréable. Personne ici excepté Lord Eliot ne parle français aussi bien qu’elle, et l’esprit français comme la langue.
Lundi soir chez Lady Lyndhust. Mardi matin, le musée britannique ; dîner cez lady Aylesbury, Mercredi, déjeuner chez Lord Manon ; dîner chez Mad. Grote ; le soir chez Lady Jersey. La fin de ma semaine est plu libre. La première moitié de l’autre est déjà prise. Je trouve que c’est trop et je commence à refuser. M. De Bourqueney me sert beaucoup dans toutes ces questions là. Il connait bien le monde anglais, et il y est bien posé. Je crois qu’il a bien envie de retourner à Paris le plus tôt possible. Je le traite très bien et je le crois très content de moi. Mais il était l’ambassade.
Hier, dans la soirée, j’ai passé trois fois devant. M. de Brünnow sans le voir. Quant au fond des affaires, tout trainera. Décidément on attendra le Plénipotentiaire de Constantinople. En attendant, le Pacha se fortifie chez lui. Il évacue de lui-même les villes saintes et en rappelle ses troupes. La guerre avec la Chine coûtera cher. Les bulletins de Pékin ne ressembleront pas à ceux de Londres. L’Empereur (de Pékin) a félicité ses braves marins de l’éclatante victoire remportée sur les barbares Etrangers. Il a pourtant dégradé son Amiral de deux boutons. Prenez-vous quelque intérêt à la Chine? Lord Lyndhurst en est très occupé. Il dit qu’il y a une question Constitutionnelle dans la manière dont cette guerre a été déclarée, et que le Cabinet sera fort attaqué sur ce point.
M. de Bülow ne pense guère à moi, ni à personne. Il est uniquement occupé de sa santé, encore plus préoccupé qu’occupé. Le vent, le brouillard, le soleil, le froid, le chaud, le monde, la solitude, tout lui fait mal, tout l’agite. Il est évidemment dans un triste état nerveux, qui pourrait devenir beaucoup plus triste. On en est très frappé.
Je reçois ce matin du Maréchal Soult une lettre très tendre. Je lui ai écrit très poliment à propos de sa retraite. Il espère que je lui écrirai quelques fois. On m’écrit très diversement sur la situation du Ministère, les uns à peu près comme vous, les autres sûrs de sa chute prochaine. Je crois que les premiers ont raison. Certainement , il n’y a et il n’y aura rien de triomphal. On emploiera à vivre tout ce qu’on a d’esprit. Il me semble qu’on doit y réussir. On me comble de compliments et de tendresses.
Vous avez raison aux trois quarts sur la dernière page de la longue lettre ; pas tout à fait. Il fallait prendre soi-même le pouvoir, ou du moins la présidence d’un grand Cabinet dans lequel nous aurions tous été. C’était la bonne conduite, et la victoire complète de notre parti qui adhérait tout entier à cette combinaison, et marchait en tête de tous les ralliés de toute origine. On a manqué à cette fortune, qui était obvious et pouvait être grande. Il n’est plus resté à tenir que des conduites incertaines et d’un succès douteux. J’ai une longue lettre de M. Duchâtel, fort amicale, plus calme et d’un ;bon jugement.
Ma Mère m’écrit qu’elle a reçu de vous une nouvelle, longue et bonne visite. Elle ne me dit rien de plus. Sous sa gravité et son autorité, ma mère est très timide, surtout avec moi. Et toujours un peu jalouse. Je ne m’étonne pas de son silence, et il ne signifie pas du tout que vous ne lui ayez pas plu. Je parierais du contraire ; mais elle ne me le dira pas d’elle-même. Je suis tout à fait de votre avis sur les commérages de gazettes. Qu’ils viennent de Hanovre, ou de Pétersbourg, ou d’ailleurs, n’y répondez pas plus dans vos correspondances que dans les gazettes mêmes. Il ne faut pas se laisser tracasser. Et il ne faut faire et dire que ce qu’on veut. Adieu. Un tout autre adieu que celui d’avant-hier quoique le fond soit toujours le même. Je voudrais bien que Vérity ait le pouvoir de vous débarrasser de votre malaise. Je ne l’espère guères ; mais vous faites bien de le voir. Il vous calme un peu, et s’il y avait quelque mal réel, il le verrait. Adieu. Adieu.
Mots-clés : Ambassade à Londres
448. Paris, Samedi 10 octobre 1840, Dorothée de Lieven à François Guizot
9 heures
J’ai déjà votre lettre, c’est qu’elle me vient par le vieux et le moins élégant . Elle est assez bonne votre lettre. Vous avez l’air d’espérer quelque chose. Si l’on veut faire, il est temps de faire ! J’aime votre lettre, j’aimais bien celle d’hier. Je les aime toutes. Vous ne savez pas comme j’aime, comme je pense, comme je rêve, comme j’attends !
Hier mon ambassadeur et Bulwer, tous les Appony. Dîner aves mon fils. Le soir chez les Granville, Granville était un peu blessé d’avoir vu reproduit et perverti comme dit Bulwer, un entretien qu’il a eu avec Thiers. C’est le Courrier français qui répétait et avec des expressions ironiques pour l’Angleterre. Granville continue à être très inquiet, tout le monde le devient beaucoup. Thiers demande souvent à mon ambassadeur des nouvelles de notre flotte. Il lui répond invariablement qu’il saura par Copenhagen quand elle passera, et que lui n’en sait rien.
On parle de convention nationale polonaise qui s’organiserait à Paris. On élira un roi, et l’on ajoute que si la France à besoin de prendre la Belgique elle priera Léopold d’aller trôner à Varsovie. Je vous redis tous les commérages diplomatiques. Je vous assure que l’attitude de Pahlen est parfait, un vrai gentleman au reste ils le sont tous ici dans cette occasion. Que pense Dedel de son nouveau roi ? Moi j’en pense très petitement. De très jolies formes couvrent un très pauvre fond. L’air d’un vieux chevalier et les actions d’un chevalier d’industrie. La mine ouverte, et une grande fausseté. Enfin c’est non seulement peu de chose, mais une mauvaise chose. Voilà mon opinion. Il faut absolument que vous permettiez ou que vous ordonniez au très fidèle d’aller vous trouver à Calais ou sur la route, quand vous reviendrez. Il sera bon que vous causiez à fond avec lui avant de voir personne ici.
Certainement j’ai pris 20 en grande dé plaisance. 29 qui est son reflet parle trop légèrement du Fresnes et puis on dirait qu’il est inutile de compter avec le chêne.Tout cela est traité étrangement. J’ai de la colère intérieure, j’aimerais bien à la montrer.
La petite duchesse de Dino est accouchée bien péniblement et tristement d’un enfant mort. Elle a eu des couches affreuses. Le duc de Mortemart vient de perdre son fils unique à 24 ans, tué par un cheval. Le duc de Wellington a écrit ici une lettre que j’ai lu à me M. Raylkes bien petit personnage. Un ivrogne, et un grand Tory, dans laquelle il lui dit après avoir déplore les circonstances que pourraient mener à une rupture avec la France : " Mais si la guerre a lieu, soyez sûr que nous étonnerons le monde par les efforts gigantesques que nous ferons pour la soutenir. Ils seront tels qu’on n’en a pas vu encore de semblable. " Je vous avoue que toute cette lettre me parait du Stuff. C’est décousu et trivial à l’excès.
Le 28 est proche, le cœur me bat de joie. Vous viendrez, vous viendrez n’est-ce pas ? Si vous pouviez venir avec quelque chose, quelque grande chose ! Il y a dans mon cœur une confusion de politique est d’amour qui est tout à fait risible. La nuit, le jour, je ne pense qu’à cela ; avec passion, avec inquiétude. Ah mon Dieu !
Adieu. Adieu. Comme vous voulez. Adieu. Je vous ai demandé avant hier je crois de nouvelles de Brunow. Vous m’en donnez aujourd’hui, on dirait que nous nous parlons par télégraphe. Je n’attends pas une grande importance à ce que vous me dites des manières nouvelles de nos diplomates. Cependant, je ne sais pas.
Adieu. Adieu. Le leading article du journal des Débats ce matin est admirable. C’est vrai tout cela est bien étrangement même ! Voilà ma belle-sœur arrivée. Adieu. Adieu. Il y m’a beaucoup dans cette lettre. Jamais assez Adieu.
324. Paris, Dimanche 15 mars 1840, Dorothée de Lieven à François Guizot
324. Paris, dimanche 15 mars 1840,
10 h 1/2
J’ai été hier au Bois avec Marion, j’ai fait une longue visite à Lady Granville. J’ai dîné seule. Le soir j’ai vu Lord Granville, W. Russell, les Brignole, les Capellen. Le matin j’avais eu une longue visite de M. de Werther, que j’ai beaucoup questionné sur Londres, sur le bal de la Reine dont vous ne m’avez rien dit. Je lui ai demandé ce que vous faisiez dans cette longue soirée ; « La cour aux dames. » En rentrant chez moi, avant dîner, j’ai trouvé Nicolas Pahlen qui m’attendait depuis une demi-heure. Il venait m’annoncer qu’enfin son frère devait quitter Pétersbourg le 10 mars. Cette décision a été Irise après l’arrivée des réponses de Medem, et avant encore l’arrivée du courrier à Barante. Je suis fort contente. Mais j’aimerais encore mieux le savoir vraiment en route. Ma manière est de douter toujours des choses qui me font plaisir. Je crois vite celles qui m’affligent. Vous vous arrangez autrement.
La journée d’hier semble bonne et très bonne aux partisans des Ministres. J’ai eu une lettre de Lord Aberdeen dans laquelle il me dit qu’il vous voit fort peu, qu’il ne vous avait rencontré qu’une fois encore, et qu’il y a beaucoup de regret. Je ne suis pas bien, toujours pas bien. C’est un véritable spleen. Et je crois que je prierai Vérity de ne plus revenir, parce qu’il ne peut rien du tout. J’ai perdu mon cher William Russel. Il est parti hier pour Berlin.
1 heure
Je suis si triste, si triste ! J’aurais tant besoin d’ouvrir mon cœur. Je ne puis pas.
Lundi le 16.
9 heures
Mon médecin m’a interrompue hier, et m’a défendu d’écrire, de lire, de rien faire. Je suis restée couchée sur un canapé. Mad. Appony est venu me lire des lettres de son fils. Le mariage est retardé de quelques jours, ils ne quitteront Pétersbourg que le 1er de Juin pour être ici le 15 ou à la fin du mois. Je ne suis sortie qu’un moment pour prendre l’air en voiture. En rentrant j’ai trouvé le Prince Paul qui m’attendait. Il avait vu le Roi la veille. Son impression est que le Roi attend avec certitude la chute de Thiers. Il avait causé avec Thiers aussi qui n’a aucun doute sur l’action du Roi contre lui. J’ai dîné chez Mad. De Talleyran, rien de nouveau de là. Le même bavardage qu’on retrouve partout sur ce qui se passe en ce moment ; la même incertitude sur le dénouement.
De là j’ai été chez Lady Granville et à 10 heures chez Mme de Castellane. J’ai passé une grande heure seule avec elle et M. Molé. M. Molé dit que son parti est ferme, fort, numériquement plus nombreux que Thiers et la gauche réunis ; que Duchâtel et 22 doctrinaires ont passé de son côté. Teste est plus douteux. Duchâtel sera de son Ministère ; il serait insensé de rien entreprendre sans lui et ses amis. Le Roi est parfaitement neutre dans la lutte, mais le Roi est l’homme le plus triste et le plus inquiet de toute la France. M. de Broglie est un enfant, ce qu’il a fait est trot naïf. M. de Broglie soutiendra tous les Ministères moins un, celui de M. Molé. M. de Rémusat est enragé pour la gauche. Jaubert, tout le contraire, il ne tiendra pas longtemps. Le mot de M. Thiers dans le bureau : « Si l’on me renverse, gouverne --qui-pourra»-a fait grand scandale. Je cherche, il me semble que je vous ai tout dit. En somme M. Molé a l’air d’un homme qui s’attend à être Ministre la semaine prochaine. J’ai très mal dormi. J’ai tout le côté gauche engourdi, j’ai de la peine à marcher, mais mon cœur est encore plus malade que mes jambes. J’attends Génie ce matin. Il est allé faire des enquêtes sur certaine lettre remise lundi aux Affaires étrangères et qui n’étaient pas arrivé à Londres jeudi.
Midi
Voici le 323, long et bon. Je vous remercie d’avoir été inquiet et triste. Vous ne savez pas le plaisir que me cause votre peine. Est-ce que vous me comprenez bien ? Vous ne vous fâchez pas je suis sûre. Vous me pardonnez ; nous sommes si loin ; je suis si seule, je n’ai au monde que vous! Songez à cela toujours, dans tous les instants. Ne vous inquiétez jamais de moi que comme santé, moi je m’inquiète de beaucoup d’autres façons. Je suis faite comme cela, c’est pourquoi une séparation est une si odieuse chose. Votre foreign office a menti, ou bien vous vous trompiez en me disant d’y remettre une lettre avant 5 heures. J’avais porté la mienne Lundi à 4 heures moins ¼. Je vous prie bien de croire, qu’il ne s’agira jamais de visite prolongée, de négligence d’un domestique. Je n’ai pas de ces négligences quand il s’agit de vous. Je me suis arrêtée moi-même à la porte quand il s’est agi des affaires étrangères, et j’ai moi-même mis ma lettres aux finances, pour la poste. Maintenant je crois que Génie, Génie for ever, est ce qu’il y aura de mieux. Il me dit qu’il vous tient bien au courant de la situation. Je doute que les lettres apprennent suffisamment. Il ne vous restera probablement que confusion de tout cela. Moi je suis parfaitement ahurie, mais si vous étiez ici vous comprendriez. Moi je ne recueille que les commérages. Je vous les redis comme on me les donne. Si je devais juger sur la Diplomatie, je dirais que Thiers tombera. ; car Appony est content aussi mais par raison contraire, c’est qu’il ne croit pas qu’on ait le courage de renverser Thiers. Il voit trop de danger à cela. C’est bien un peu l’opinion de beaucoup de monde.
Je ne connais pas du tout Mrs Stanley dont vous me parlez tant. Je l’ai vue mais elle ne m’a pas paru assez jolie pour la regarder ,et je ne lui ai jamais parlé ; elle n’était pas du cercle dans lequel je vivais. C’était des fonctionnaires subalternes. Dites-moi toujours tout ce que vous faites et avec qui vous causez dans les soirées. Moi je vous raconte minutieusement toute. Aujourd’hui je vais dîner chez Mad. Salomon si Vérity me le permet. M. de Bacourt est allé prendre congé du Roi ier, il part dans huit jours. Walesky dit qu’il est désigné pour aller à Constantinople et Alexandrie terminer la grande affaire. Le Maréchal Soult m’invite à ses lundis. Vous savez que j’ai pour règle de n’aller dans aucun salon politique, et je crois que celui-ci a cette couleur. Ma belle-sœur arrivera en Septe pour passer huit mois à Paris ! Jugez comme cela m’amusera. Est-il vrai que la duchesse de Kent va mourir ? Où en êtes-vous avec M. de Kisselef ? Celui-là au moins est-il allé vous faire visite ? Car pour tous les autres j’ai la réponse ; M. de Werther m’a dit que tous les diplomates étaient allés se présenter chez vous. La Duchesse de Sutherland écrit de vous mille biens. Je finis, et je voudrais ne finir jamais. Je vais convenir avec Génie du départ de mes lettres. De votre côté je voudrais bien que vous prissiez pour règle de m’en envoyer tous les deux jours bien régulièrement. N’est-ce pas ? Adieu. Adieu, vous savez tout ce que je ne vous dis pas, vous voyez que toutes, toutes mes pensées sont à Londres. Adieu.
456. Paris, Dimanche 18 octobre 1840, Dorothée de Lieven à François Guizot
9 heures
Vraiment la musique ajoute bien à... ( Trouvez le mot ) et je crois moi qu’en Italie on doit savoir mieux amer qu’autre part. Hier aux Italiens j’étais comme vous à votre fenêtre, c’était si doux ; si charmant, si enchanteur, mes pensées étaient si tendres. Venez, venez dans ma loge. Serait-il possible que dans quelques jours vous y soyez ? Quel bonheur.
J’ai vu fort peu de monde. hier. Les Granville, ignorants ; Mad. de Flahaut inquiète de la situation du ministère. Disant qu’il faut qu’il se renforcé à droite pour avoir la droite, ou plus sincèrement une portion de la droite. à gauche pour s’affectionner davantage ce parti, et c’est ce qu’elle conseille, car après tout c’est les doctrinaires qui ont les bonnes places, les grandes places et les vrais amis n’ont rien ! Voilà ; et puis les Doctrinaires ne sont pas ralliés. Il pérorent dans les salons, ils frondent & &
Aux Italiens il n’y avaient personne. Toute la diplomatie était à Auteuil. les bruits de retraite de M. Thiers circulent, mais on dit assez généralement dans le monde qu’on les fait circuler, et qu’il n’y a rien de vrai. On dit aussi, c’est 18 qui me le dit que le Roi n’accorderait pas à M. Thiers de se retirer, qu’il le sait positivement ; car il y aurait dans ce fait trop de danger pour le Roi. On dit beaucoup aussi que l’ouverture des Chambres sera retardée. Je crois, que cela ferait un mauvais effet, c’est ce qui me fait en douter.
Midi, à ma toilette, je vous regarde toujours comme vous avez le droit d’attendre que je vous regarde. Voici du nouveau aujourd’hui. Je me suis surprise à rire en vous regardant. Connaissez-vous ce rire, du plaisir, le rire du bonheur ? C’était celui-là ce matin puisque je vous dis des bêtises il est clair que je n’ai rien à vous dire. Je n’ai pas de lettres encore.
Adieu, vous trouverez ceci trop court, je le trouve aussi, mais savez-vous que je suis accouchée d’une grande et d’une petite lettre ce matin à mon frère. Toutes deux le même sujet. Je vous les enverrai. J’attends ma belle sœur pour les lui lire. Adieu. Adieu, le plus charmant adieu.
324. Londres, Dimanche 15 mars 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
316. Paris, Mercredi 26 février 1840, Dorothée de Lieven à François Guizot
325. Paris, Mardi 17 mars 1840, Dorothée de Lieven à François Guizot
J’ai été positivement malade et très malade hier. J’avais à peine fermé ma lettre que j’ai été saisie de violentes douleurs, accompagnées de fièvre et d’une prostration de forces telle que j’avais peine à parler. J’ai envoyé chercher Marion d’abord et puis le médecin. Marion est venue. Le Médecin était introuvable, mais au bout de quatre heures il est venu. Il proclame la bile ; il a peut être raison. Je me susi couchée, j’ai dormi, vers neuf je me suis levée, et me sentant mieux j’ai ouvert ma porte. Mad. de Contades, les d’Arenberg, Mad. de Soltykoff, Lady Granville, Pahlen, Médem, le duc de Noailles, Escham. Lady Granville venait d’apprendre au grand dîner Rothschild que j’étais malade, elle accourait pour me soigner ; elle fut un peu étonnée de me trouver gaiement entourée. Je suis un peu mieux ce matin, mais il me faudra beaucoup de Vérity.
Les Ministres ont beaucoup repris courage. Ils se tiennent assurés que M. Molé ne peut pas faire de Ministère. Dès lors ils n’ont rien à craindre, car les 221 eux-mêmes ne voudront pas les renverser pour retomber dans une crise.
Voici du soleil, mais il me parait si triste depuis votre départ. J’ai eu hier la nouvelle de la mort de la Princesse Jean de Lieven. Il n’y a plus de dame Lieven au monde que moi. On dit que c’était une femme d’un très grand mérite. Je ne la connaissais pas. Vous savez pourquoi son mari m’intéresse. C’est qu’ils reposent chez lui.
Mercredi 18, 9 heures
J’apprends que Rothschild part aujourd’hui pour Londres ; vous le verrez. Si j’avais pu dîner chez lui avant-hier ça vous aurait plu. J’ai passé une journée sans bouger. On est venu me voir un peu le matin, un peu le soir. M. de Pogenpohl, M. Werther, les Appony, Mad. de Courval, Marion, Miraflores, les Brignoles, Arnim, Montrond. Je ne l’ai pas vu seul, il avait l’air aigre. Personne aujourd’hui ne doute que les fonds secrets seront votés ; dès lors, Thiers sera bien puissant et il peut aller longtemps. On rit un peu de la circulaire de M. de Rémusat où il dit que la Monarchie de Juillet est moins faible qu’on ne le croit.
Midi
Voici le N°324. Certainement vous avez raison de me gronder, bien raison. Vous me l’avez dit une fois, mon chagrin se traduit toujours en injustice. Quand je suis triste je vous accuse, je ne sais de quoi ; je vous cherche des torts, et vous, vous m’excusez toujours! Restez comme cela, bon, indulgent. Laissez-moi comme je suis ; regardez-y bien, avec ces yeux qui savent si bien regarder, et vous trouverez ce qu’il y a ; ce que je ne puis pas écrire ; ce que vous m’écriviez à Londres l’année 37 au bout d’une longue tirade de vers ; oui, il y a cela, il n’y a que cela, beaucoup, beaucoup plus que vous ne croyez, beaucoup plus que je n’ai jamais dit ou montré. Eh bien, m’avez-vous pardonné Lady Antrobus, ou Mrs Stanley, ou toutes les ladies du monde ? Vous me faites une description admirable des Anglais. C’est bien cela. Vous avez raison aussi pour les femmes. Point de bienveillance entre elles, et celles que j’aime le plus, toujours un petit coup de patte après l’éloge. J’ai oublié le Duc de Noailles qui est venu passer deux heures chez moi hier matin. Il y a eu réunion chez Berryer hier au soir. M. de Noailles y était appelé. Il a de grands soupçons contre Berryer. Il le croit à Thiers tout à fait. Le parti veut voter contre les fonds secrets. Berryer ne voudrait pas. Le parti veut qu’il parle, et je crois savoir qu’il a promis à Thiers de ne pas parler. Enfin la désunion est là aussi comme elle est partout. Il me semble évident, par le ton des journaux depuis hier, que les 221 ne Sont pas aussi féroces que M. Molé le proclame. Le ton de Thiers hier au soir était à la confiance et tout le monde a l’instinct de sa durée ? Ne lui restera-t-il pas beaucoup sur le cœur contre le château ? Si vous pouviez voir mon visage rayonner lorsqu’on m’annonce « Ce gros Monsieur qui vient quelques fois le matin. » Comme je cours vite dans le salon pour prendre mon butin ! Je m’établis ensuite sur la chaise verte et je lis, et je savoure, et je recommence. Ecrivez. Ecrivez.
Je me sens mieux ce matin, mais j’attends Vérity pour savoir si c’est vrai. Je voudrais qu’il me permît de sortir. Je vous enverrai cette lettre tout bonnement par la poste, car j’ai envie que vous l’ayez vite. Il me semble que vous me pardonnerez celle qui vous a fâché. Ne vous fâchez jamais, je vous en prie. Ecrivez-moi beaucoup. Dites-moi tout ce que vous faites comme moi je vous dis tout. J’ai oublié que hier je n’ai pris qu’un bouillon, dans ma chambre à coucher. Il me semble que je vous dois compte de tout absolument. Faites de même. Adieu. Adieu. Je me sens en train de vous dire adieu si souvent que je pourrais vous ennuyer. Croyez-vous ? Adieu.
1 heure.
Il faut que je vous redise que toutes les lettres qui viennent de Londres sont remplies d’éloges de vous. Cela m’est redit de tous côtés.
Mots-clés : Ambassade à Londres
389. Londres, Samedi 6 juin 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Une heure
Moi aussi, j’ai le cœur plus libre. On vient de me remettre le 394. Savez-vous qui en a profité ? Toute mon ambassade qui passé une demi-heure avec moi après déjeuner. Je cause avec eux. J’étais tout à l’heure très animé, fécond, inventif, éloquent. Eux ils étaient visiblement charmés de moi. Ils ne savaient pas pourquoi. Soyez très éloquente aussi avec moi, quand vous serez ici. J’aime passionnément l’éloquence. Vous partez dans huit jours, samedi prochain. Que la semaine sera longue ! Je donnerais bien des choses pour qu’il fit aussi beau qu’au jourd’hui. Pas le moindre vent ; un soleil admirable. Vous viendriez agréablement et vous viendriez vite. J’ai passé hier ma journée chez moi, sauf ma visite à lady Palmerston. Le soir aussi Je me suis couché de bonne heure. Il faut que mon tempérament soit aussi complaisant pour moi que mon caractère l’est pour les autres. ai grand besoin de sommeil. Je n’en ai pas toujours autant que je voudrais. Pourtant cela s’arrange. Quand je peux avoir une longue nuit je la prends, et elle me vaut pour une semaine. Je suis bien aise qu’on écrive d’ici que mon établissement est bon. Je vous attends avec impatience pour les petites choses après les grandes. Je suis sûr, parfaitement sûr que tout n’est pouve pas bien, qu’il y a des manques, que je me trompe quelquefois. Personne ne me reproche rien. Depuis que je suis ici, ni sur ma conduite, ni sur ma maison, je n’ai pas entendu une critique. C’est impossible. C’est absurde. Venez, venez. Apportez-moi de la vérité avec du bonheur.
Voici jusqu’à présent mes dîners du mois. Je ne vous dis pas ceux que j’ai refusés aujourd’hui la Reine. Le 6, les Berry, à Richmond. Le 10, Sir Robert Inglis. Le 14, lady Williams, à Putney-heath. Le 14, lady Lovelace. Le 20, Sir John Hobhouse. Le 22. Rothschild à Gunnersbury. Le 24, lord Abinger. Le 27, lord Monteagle. Il me semble qu’il n’y a rien là que de convenable. A propos de convenable, Mad. Maberly ma envoyé son roman, Emily. Il faut bien que j’écrive un billet poli, n’est-ce pas ? Je n’ai pas lu le roman. On dit qu’il est parfaitement innocent et parfaitement ennuieux. Vous avez cent fois raison, et je suis de votre avis depuis longtemps. Il y a longtemps que je pense et dis que le sénat Romain et le parlement d’ Angleterre sont les deux plus grands gouvernement que le monde ait connus. J’appelle grands gouvernemens ceux qui font de grandes choses par de grands hommes. J’ai peine à croire que la mort du Roi de Prusse soit la révolution. D’après tout ce qui me revient, le successeur sera bien timide. Il a l’esprit plus actif que la volonté. Beaucoup de pojets et de paroles de grandes ardeurs de pensée et de conversation, puis les goûts d’une vie régulière et molle ; voilà notre temps surtout dans le haut de la société. Les gouvernemens sont aujourd’hui des cadres où les Rois viennent se placer et s’emprisonner successivement, comme des images. On a pris avant-hier mes chevaux; on les a mis chacun dans une boite ; sur cette boite on a jeté un filet. La machine a grondé ; le train est parti, et mes chevaux sont arrivés à Eton, sans avoir bougé, malgré qu’ils en eussent. Ce sera le sort de bien des Rois, et de bien des ministres. Voici quatre jours d’immobilité pour les affaires. On va à la campagne. On croit en général que la session finira de bonne heure. Je le voudrais pour nos campagnes.
3 heures
J’ai été interrompu par Lord Brougham changé, triste, fatigue, abattu, dégoûté. Fatigué matériellement ; il a imaginé de venir de Cannes à Calais dans ce que nous appelons, une voiture, un carosse de louage toujours avec les deux mêmes chevaux. Vingt-six jours pour traverser la France. Il a fait la route à pied. Je l’ai revu avec plaisir. J’aime sa conversation c’est-à-dire son monologue. Il est ici un homme très important sans influence, et très considérable sans considération. C’est curieux. Adieu. Je pense au 26 avec un plaisir infini. A ma gauche, n’est-ce pas ? Il me semble que c’est de droit. Il n’y a de femmes outre la duchesse de Cambridge, que lady Aylesbury, lady Jersey, lady Etizabeth Stuart et lady Peel. Adieu. Adieu.
325. Londres, Mardi 17 mars 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
325 Londres, mardi 17 mars 1840,
9 h 1/2
J’ai fait hier soir un grand plaisir à deux pauvres personnes bien vieilles, bien changées, aux Berry. Elles ont été parfaitement heureuses de me voir entrer. J’y ai passé trois quarts d’heure. Elles ne sortent jamais le soir. Six ou sept personnes y viennent habituellement. J’ai promis d’y diner un jour avec M. Macaulay. Ne croyez pas que j’accepte toutes les petites invitations. J’en ai déjà refusé beaucoup, et j’en refuserai davantage. Il y a une comtesse de Salis qui a imaginé d’écrire à sa cousine à Paris, que je connais assez, pour que celle-ci m’écrivît et me conjurât d’aller chez elle. J’ai reçu à la fois les deux lettres et une invitation à dîner. Je refuse. Mad. de Salis a ici une grande fortune, une bonne maison et vit dans le meilleur monde. Mais on me dit que c’est one of the greatest bores de Londres. De chez Miss Berry, chez Lady Lyndhouse, a dancing party ; toute la plus haute aristocratie Tory, la Duchesse de Cambridge, le Duc de Wellington, le marquis de Londonderry ; et au milieu de tout cela, Lady Lyndhurst sémillante dans sa petite et maigre stature, décolletée jusque sous les bras, et dansant, m’a-t-elle dit, pour mettre tout le monde en train. Elle était ravie de se montrer dans sa grandeur à l’ambassadeur de France. En rentrant chez moi à minuit et demi, j’ai trouvé un courrier qui arrivait de Paris dont il était parti avant-hier à 7 heures du soir (29 heures c’est admirable !) ; il m’apportait une lettre du Ministre de l’Intérieur que je vous envoie. Vous y verrez l’idée qu’ils se forment eux-mêmes de la situation après le vote des bureaux de samedi pour la commission des fonds secrets. Vous n’entendez guères que l’autre cloche. M. de Rémusat est un homme d’esprit et sans humbug, plutôt despending que sanguine. Gardez cette lettre pour vous ; non qu’il y ait la moindre chose à taire, mais pour la convenance. J’ai le cerveau encore pris . Si j’avais pu rester chez moi encore hier au soir et me coucher de bonne heure, ce serait fini. Mais il n’y avait pas moyen de ne pas allez chez Lord Lyndhurst où déjà j’avais refusé une invitation à dîner. Vous n’avez aucune idée de la chaleur qu’il faisait là, certainement 28 à 30 degrés. Vous n’y seriez pas restée dix minutes. J’en avais très mal à la tête. Aujourd’hui, je ne sortirai que pour aller diner chez Lady Aylesbury. J’ai des dépêches à faire.
4 heures
Pour la première fois, ce matin, j’ai été me promener à pied une heure et demie, dans Regent’s Park. En été ce doit être très beau et charmant. Il y a là réunies deux choses qui vont rarement ensemble, la grâce et l’étendue. C’est le double mérite que me paraît avoir ici la nature, arrangée par l’homme. Je ne l’ai pourtant vue encore qu’à demi gelée. Voilà le Plénipotentiaire Turc qui va recevoir ses pouvoirs. Il viendra ici sans retard. Et vous, vous n’avez d’objection à rien. Soyez sûre que je vous ai donné la vraie raison. Personne aujourd’hui en Europe ne veut être engagé dans une situation difficile et en courir les chances. Rois, Empereurs, Ministres, absolus ou constitutionnels, tous se trouvent compromis par leur métier et cherchent à s’affranchir des grandes affaires...
De Brünnow achète toute la cave de Pozzo. Dix mille bouteilles de vin, dit-on. A coup sûr, il compte rester ici. J’ai eu hier la visite du speaker de la Chambre des Communes. Il est très populaire ici, dans tous les partis. Je trouve Lord Aberdeen beaucoup plus impartial que je ne m’y attendais. Il m’a fait le plus grand éloge du speaker whig et du Chancelier Whig « Le meilleur Chancelier , m’a-t-il dit, que nous ayons eu depuis bien longtemps. Mais il ne faut pas dire cela trop haut ici. » Nous étions chez Lord Lyndhurst.
Mercredi 9 heures
Eh bien, Les Aylesbury, qui n’ont pas d’esprit, en ont eu assez pour m’arranger hier un dîner agréable, Lord et Lady Burghersh, Lord et Lady Wilton, Lady Palmerston et sa fille, Lady Lichfieldn Lady Seymour et son mari, enfin Lord Claude Hamilton qui revient d’Egypte et est amoureux du Pacha. Je l’enverrai à Lord Palmerston qui devait aussi venir dîner mais qui a été retenu à al chambre. Assez de conversation à dîner, et beaucoup, et très bonne, après dîner, avec Lady Palmerston. Lady Wilton aussi a beaucoup d’esprit. On me dit ici qu’à tout prendre c’est la plus aimable personne de la société. Lady Burghersh me traite bien. Lord Burghersh veut me rendre musicien. Mais décidément c’est Lord Aylesbury que j’ai le plus charmé. Il m’épouserait.
Voilà le courrier des Affaires Etrangères qui ne m’apporte rien de vous. Je m’y attendais. Rien du ministère non plus. La politique et …. Me manque également. Mais je compte retrouver le second ailleurs.
10 heures
Je pars pour aller déjeuner chez Lord Mahon. La poste est venue aussi et ne m’a rien apporté. Mais je suis décidé à compter que j’aurai quelque chose, indirectement. L’ennui, c’est d’aller déjeuner sans l’avoir reçu. Les voies les plus sûres sont les plus lentes. Que ce monde est imparfait.
Midi et demi
J’avais bien raison de compter. Voilà le 324, bien doux et bien bon. Mes chevaux sont revenus de chez Lord Mahon plus vite qu’ils n’y étaient allés. J’avais à déjeuner Lord Ellenborough et Sir James Graham. Après-déjeuner, Lady Mahon, vraiment jolie et aimable, plus de facilité et de laisser aller que je n’en ai vu à personne ici, et parlant français à merveille. Il faut que je m’habille pour le lever de la Reine. Je trouve que cela revient souvent. Ma curiosité n’y suffit pas. Il n’y aura pas de Drawing-room que le 9 avril. Pourquoi avez-vous le côté gauche engourdi ? Cela me déplait. Ce qui me déplairait au moins autant, (je n’ose pas dire plus) ce serait que le retard de l’arrivée de votre nièce retardât votre voyage ici. Il me semble que cela devrait produire l’effet contraire. Vous ne pouvez l’attendre indéfiniment. Vous la trouverez à Paris avec votre belle-sœur ?
4 heures et demie
Je rentre et la poste me presse. Oui, tous les deux jours. Je comptais ne faire partir ce ci que demain. Mais j’aime mieux l’abréger et que vous ne l’attendiez pas en vain. C’est si dur d’attendre ce qui ne vient pas ! Je renvoie bien des choses à l’ordinaire prochain. De Brünnow m’a présenté à St James le fils de Kesselrode. C’est drôle l’impolitesse commandée à côté de la politesse empressée. Certainement M. de Kisselef est venu le premier chez moi, comme tous les autres. Adieu. Adieu.
Mots-clés : Ambassade à Londres
393. Londres 11 juin 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
9 heures
On a beau être jeune, et femme, et Reine sans révolution, et avec une aristocratie ; on n’est pas à l’abri de la monomanie de l’assassinat. Elle a passé la Manche. J’ai appris cela hier au soir en dinant chez le Sir Robert Inglis. Plus tard, chez lord Grey, quelques détails douteux. Tout le monde disait que ce boy était fou. Il ne l’est point. Les journaux vous diront tout ce qu’on sait. Peu de chose encore. On parle de sociétés secrètes, de passions anarchiques. J’y crois toujours. Le mal vient de là, soit que des conspirateurs se réunnissent, soit qu’un cerveau faible s’échauffe. Et ce mal est grand ici dans les régions basses plus grand qu’ailleurs. Mais les moyens de résistance sont très supérieurs. La Reine a montré vraiment un sangfroid, très ferme et très simple. Son mouvement de se faire conduire tout de suite chez sa mère a touché. L’émotion me paraît vive et sincère dans les classes moyennes. Le High life, hier au soir était froid et lèger, comme partout. On faisait de la musique chez Lord Gey. J’écoutais comme les autres. Et en écoutant, je pensais à ces quelques têtes couronnées, partout le point de mire de ces milliers de prolétaires indignés de n’être pas riches et heureux et à ces passions frénétiques qui fermentent à côté de ces plaisirs frivoles. y aura-t-il dans le monde, assez de sagesse et de courage pour dompter le fléau ? Je le crois. Et le spectacle de cette société-ci me rassure encore plus qu’il ne m’inquiète. Le bien y surpasse le mal, quoique le mal soit grand. Si japprends quelque chore dans la matinée je vous le dirai.
2 heures
Rien de nouveau. On interroge cet homme ; on cherche. Les principaux membres du corps diplo. matique sont venus chez moi. Nous avons cherché, une manière de témoigner à la Reine notre vif sentinent sur ce qui vient d’arriver. De concert avec Bülow, Hummelauer, Pallen, etc J’ai écrit à Lord Palmerston, le billet ci-joint. Il s’en est montré fort touché. Je dois le voir à 4 heures, quand il en aura parlé à ses collègues. N’en parlez pas, car il serait possible qu’il n’y ait point d’audience, point d’expression publique et collective. D’après ce qu’on m’a dit et si je me rappelle bien ce que vous m’avez dit. ceci serait un peu une innovation. Elle est naturelle, vu l’incident, et ces messieurs la désirent tous. Nous avons des usages, nous autres Français, en pareille matière. Je les emporterai peut-être à Londres.
Je m’attendais au retard de ce matin. Je vous ai dit hier pourquoi j’y consentais sans me trop facher. Je n’en dis pas davantage. Je ne veux pas vous donner plus de liberté que je n’en veux prendre pour moi-même en pareil cas. Je me réserve de me fâcher une autre fois, s’il y a lieu et il vous est maintenant interdit de vous fâcher jamais, car il n’y aura jamais lieu. Mais votre curiosité, que je ne comprend pas, sera fort décue, car vous ne trouverez rien de nouveau. De l’inconnu peut-être. que vous prendrez pour du nouveau. Je rabats quelque chose de mon opinion sur votre sagacité. Vous me connaissez bien peu Est-ce que je suis si obscur ?Je vous réponds que tout ce qui y était le 25 février y est encore, y sera toujours. Et rien qui ne soit avec ce qui était le 25 février dans la plus intime harmonie. Mon Dieu, que j’ai de choses à vous dire, et à vous apprendre ? Je ne crois pas du tout à Barrot dans le Cabinet. Et soyez sûre que j’ai raison. Mais si cela était, je n’ai pas la moindre incertitude. Vous avez trouvé cette hypothèse prévue dans ce que vous a montré Génie. Adieu. Vous aurez des lettres jusqu’à lundi inclusivement Adieu. Adieu.
326. Paris, Mercredi 18 mars 1840, Dorothée de Lieven à François Guizot
J’ai eu une longue visite d’Appony. Il a été hier au Château. Il ne devine pas,à la physionomie et au langage du Roi ce qu’il croit de la semaine prochaine. Il pense que le Roi s’est trompé en nommant Thiers, s’il a cru que tout serait dit au bout de quinze jours et que c’est la conviction contraire qui le frappe aujourd’hui et imprime de l’embarras à son langage. Cependant, il pense encore qu’il ne faut rien préguger. Le Maréchal à été une heure en conférence avec le Roi hier au soir. On dit toujours que s’il s’arrangeait avec Molé tout s’arrangerait. Mais tout cela à un air de complot et de tripotage qui me parait mauvais, pour tous ceux qui s’en mêlent le Prince Metternich écrit à Appony au moment où il venait de recevoir la nouvelle de l’avénement de Thiers. Il lui dit simplement son profond étonnement et qu’il attendra le manifeste du nouveau ministère; jusque là il n’a rien à dire ou à communiquer à ce nouveau gouvernement.
5 heures
Jeudi 10 heures.
2 heures
Mots-clés : Ambassade à Londres, Gouvernement Adolphe Thiers, Politique (France)
405. Paris, Lundi 15 juin 1840, Dorothée de Lieven à François Guizot
midi
J’ai reçu la dernière lettre qui doit me trouver à Paris, maintenant je viens vous en demander une à Boulogne. Ecrivez-moi en recevant ceci, je pourrai avoir votre lettre jeudi à Boulogne. Je passerai vendredi, et selon l’heure de mon arrivée à Douvres j’irai coucher à Londres ou je m’arrêterai à Rochester. Vous saurez cela. J’ai dîné hier chez les Appony, le soir chez Brignoles où j’ai dit adieu à tout le monde sauf deux ou trois qui veulent encore venir. On dit que la session finit cette semaine. La revue s’est très bien passée sauf quelques cris de réforme. L’affaire de Londres occupe beaucoup mais je n’ai pas le temps de vous parler de ces choses-là. Je pense à mon voyage, à ce que je vais trouver, je serai bien contente vendredi ! Si le temps est à l’orage j’ai peur de passer, car je suis faible et je n’échappe jamais au mal de mer. Regardez les nuages. Pensez à moi à Windsor. Il n’y a pas un coin de ce château et de ce parc où je ne me sois arrêté. Si vous avez l’appartement où il y a un salon en haute-lisse faisant face au long walk, c’est le mien. le canapé vert à la gauche de la cheminée dans le salon de la reine est celui où j’ai passé tant de soirées à côté de George IV et de Guillaume IV. Que Windsor va vous plaire ! Mais je ne vous envie pas Ascot, cela me faisait mourir d’ennui.
Adieu. Adieu. Je fais comme si j’étais déjà en Angleterre. J’y suis beaucoup, beaucoup, toujours. Adieu.
326. Londres, Jeudi 19 mars 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
409. Londres [Stafford house], Vendredi 7 août 1840, Dorothée de Lieven à François Guizot
midi
J’ai reçu plusieurs lettres ce matin, d’abord une du duc de Poix que je vous envoie. Une de la petite Princesse au moment de quitter le Havre pour retourner en Allemagne. une de mon banquier de Pétersbourg m’envoyant un compte de pensions, de dettes, & & pour lesquelles je suis taxée au quart, tandis que mes droits de succession l’ont été à la 7ème partie : si c’est la loi je n’ai rien à dire, mais je m’informerai ; si c’est contre la loi, je ne vois pas pourquoi je dois subir cette disposition arbitraire de mon fils aîné. L’affaire de la vaisselle n’est pas terminée et ne le sera que dans 6 mois. Je fais venir Benckausen pour lui parler.
Vous êtes en France. Qu’aurez-vous trouvé là ? Les récits du matin dans les journaux ne sont pas assez clairs. Je ne vois pas assez que cette sotte affaire soit terminée. Où est Louis Bonaparte ? Serait-il possible que lord Palmerston lui eût fait visite ces jours-ci comme le disaient les journaux ? Si vous prenez ce fou, j’espère bien que vous saurez mieux faire que la première fois. N’avez-vous donc pas de conseil de guerre pour un cas pareil ? Et justice immédiate. Cela va bien ajouter encore au clabaudage entre les deux pays ! Je dînerai aujourd’hui chez Lady Clauricarde. Adieu. Adieu, mille fois. J’attendrai vos lettres avec une extrême impatience. Adieu.
327. Paris, Vendredi 20 mars 1840, Dorothée de Lieven à François Guizot
De là j’ai été faire une visite que vous ne divinerez pas. Rue de la Borde 21, la plus misérable chaumière sale délabrée. Là demeure une Anglaise avec quatre enfants tout en haillons. Ils ont de la viande deux fois la semaine. La femme n’a pas l’air triste comme moi, les enfants sont joyeux. Tout cela ne parle qu’Anglais. Ma visite leur a fait du plaisir et du bien. J’y retournerai. C’est Marion qui m’a envoyée là; je l’ai chargée de me faire de ces découvertes. J’ai rendu à Mad. d’Armmberg ses nombreuses visites. J’y ai trouvé quelques Carlistes, grands noms et sottes gens. De là, la petite Princesse.
1 heure
5 heures
Samedi, 11 heures
Le vent d’Est et du Nord continue. Je n’ose pas m’y exposer. Cela fait que ne faisant pas d’exercice. Je passe de mauvaises nuits. Je dine demain chez le duc de Noailles à moins que je ne fasse comme au dîner Rothschild Je ne suis plus sûre du tout de ma santé.
Je mets cette lettre-ci sous une nouvelle adresse, mandez-moi si je fais bien. C’est Génie qui me donne tous ces conseils. Je crois voir ou deviner, dans les propos des anglais ici que vous devez rencontrer des obstacles dans le quartier principal. Je connais la tenacités de ces idées. Il peut en changer brusquement. Mais les adoucir, c’est difficile. Au reste, vous avez, dit-on, tout le reste de la boutigue pour vous.
Adieu. Adieu. Il me semble que je vous dis tout. Adieu.
Mots-clés : Ambassade à Londres, Gouvernement Adolphe Thiers
403. Eu, Jeudi 13 août 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Décidément, je pars demain Vendredi, à 8 heures, et je serai samedi à Londres, pour dîner. J’espère trouver de vos nouvelles à Hertford house en y arrivant, et j’irai, en chercher moi-même à Stafford house dès que j’aurai dîné, de 8 heures à 8 heures et demie. D’avant-hier mardi à après-demain samedi sans rien de Vous ! Thier est arrivé ce matin. Nous passons la journée ensemble. Il retourne ausi à Paris demain. Je suis content, je devrais même dire de plus en plus content des dispositions publiques et personnelles. J’espère que mon pays se fera honneur et que je l’y aiderai.
Adieu. Adieu. Je vais rejoindre, le Roi et Thiers. Adieu.
327. Londres, Samedi 21 mars 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
9 heures
3 heures
4 heures ¾
406. Londres, Mardi 8 septembre 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
6 heures et demie
Je crois que c’est une habitude que je prends. Je me réveille à 6 heures et ne me rendors plus. Il fait un temps admirable. Je regarde les arbres de mon square. J’ai un souffle qui remue les feuilles. C’est bien ce qu’il vous faut ; vous êtes aussi délicate qu’une feuille. Point de vent qui vous agite et du soleil qui vous plaise ; je ne ferais pas mieux, si je faisais le temps. Le courrier que j’ai fait partir hier soir m’a dit que la marée était ce matin à 5 heures. Il ne comprenait pas pourquoi je le lui demandais. Vous ne passerez pas, je pense par cette marée là, vous attendrez la seconde. J’ai employé doucement ma soirée d’hier. Seul dans ma chambre, de 5 heures et demie à onze heures, j’ai classé vos lettres par année, par mois, par lieu de séjour, chaque mois dans une grande enveloppe.
A onze heures j’ai eu Charles Greville qui revenait de Holland-House où il avait dîné avec Bourqueney On y était fort agité, fort troublé, comme à la Bourse, comme partout dans Londres hier, c’est-à-dire partout où l’on pense à ce qui se passe. Napier devant Beyrouth, sommant les Egyptiens d’évacuer la Syrie, le 14 août, deux jours avant que Riffat Bey eût notifié à Alexandrie, au Pacha les propositions de la Porte cela paraissait monstrueux, et très alarmant. Les Rothschild étaient inquiets au dernier point, inquiets au point de contremander une partie de chasse qu’ils avaient arrangée pour ce matin, ne voulant pas s’éloigner aujourd’hui de Londres. Mais vous en saurez, sur tout cela, plus que je ne puis vous en mander. Vous aurez le haut du pavé sur moi pour les nouvelles. Elles passeront par vous pour venir à moi. Il me semble que les ouvriers s’apaisent un peu. J’y regarde bien plus attentivement depuis hier. En soi ce n’est rien ; mais, c’est bien assez pour vous agiter. Quand quelque chose de ce genre vous préoccupera, faites venir tout de suite Génie ; il vous dira exactement ce qui en est. Et pour peu que vous en ayez besoin ou envie, M. de Rémusat. S’il peut vous être bon à quelque chose, il en sera charmé.
Moi, je le suis qu’il n’y ait plus rien que de convenable entre vous et Paul. Son voyage à Paris consolidera et améliorera. Il s’y plaira près de vous. Faites avec lui comme il faut faire avec les hommes en général ; attendre peu, et demander moins qu’on n’attend. Quelque douceur rentrera, dans votre relation redevenue convenable.
2 heures
Malgré le retard de ma lettre, je suis bien aise que vous soyez partie ce matin, par ce beau temps. Vous partiez au moment où j’ouvrais ma fenêtre où je saluais le soleil pour vous. Vous êtes depuis longtemps à Boulogne, peut-être déjà repartie pour Paris. Je le voudrais. C’est que la mer ne vous aurait pas fatiguée. Ma pensée vous suit partout. Dieu est bien heureux. Il est toujours à côté de ceux qu’il aime. Je garde ma fleur de Stafford-House morte comme vive. Dimmanche soir, je l’ai serrée dans mon portefeuille, à côté d’un petit sachet noir qui contient autre chose, encore plus précieux qu’elle. Le lierre ira là aussi, quand j’aurai bien joui de ce qu’il m’a apporté. J’écris beaucoup ce matin. Si je puis sortir à temps vous aurez aujourd’hui votre chêne. Sinon demain. Il n’y a point de petit plaisir. Je viens de revoir les Rothschild toujours très inquiets de ce que leur oncle écrit de Paris. Pourtant la partie de chasse se reprend demain. Inquiet ou non, il faut que la vie aille, et qu’on s’amuse. J’attends avec impatience votre impression sur Paris. J’ai presque autant de confiance dans votre jugement que dans autre chose ; presque.
4 heures
J’ai parcouru Regent’s Park, les jardins clos au bout de Portland Place. Pas un chène, ni jeune, ni vieux. Enfin j’en ai trouvé un dans le Regent’s park du public. Voici sa feuille. un peu passée. L’automne approche. Les feuilles passent ; mais tout ne passe pas comme elles, quoiqu’on en dise. C’est la prétention vulgaire que ce qui est rare ne soit pas possible. Il y a un plaisir profond à lui donner un démenti. Adieu. J’ai bien peur de n’avoir rien demain. A présent, je vous veux à Paris, bien reposée. Adieu. Adieu. Infiniment.
328. Paris, Dimanche 22 mars 1840, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je n’ai vu personne chez moi hier, matin. J’ai été chez Lady Granville je devrais dire plutôt chez son mari car c’est lui qui prend tout le temps. de ma visite. Il sait bien peu ; il faut bien que cela soit, parce qu’il trouve intérêt à ce que j’ai à lui dire mais je suis frappée de l’entêtement des gens qui ne veulent jamais croire ce qui les contrarie. D’abord M. de Broglie est infaillible; et puis, M. Thiers est impérissable. Il faudra bien cependant que Granville se détache de ces deux idées. j’ai été ensuite voir Mad. de Talleyrand, M. de Vandoeuvre y est venu. Il parlait assez mal pour le Ministère de l’effet du rapport de M. Barville. J’ai fait encore visite à la petite Princesse, Médem y était. Nous ne lui trouvons pas l’air très joyeux du retour de Pahlen. Il est évident qu’il ne s’y attendait pas, et qu’il ne le désirait pas. Il dinait lui chez Thiers. J’ai dîné seule. Berryer est revu de bonne heure. Je suis restée seul avec lui une heure au moins. Il m’a beaucoup raconté et avec sa clarté et son animation ordinaire. il trouve la journée d’hier bien mauvaise pour les Ministres il n’a presque pas de doute qu’ils seront remaniés sur les fonds secrets. C’est à dire qu’on proposera un amendement de rien du tout. (100/m francs) sur lequel il tombera la situation est trop périlleuse. la partie est trop bien liée entre les conservateurs. Voici les chiffres qu’il donne, 180, des 221 plus une quinzaine de voix de sassesz plus une 20 aine. de voix avec Duchâtel, plus 30 voix de l’extrème gauche; 245 voix contre M. Thiers. Lui même Berryer et son parti ne veulent se décider que pendant la discussion Il me parait évident dès à présent qu’il votera pour Thiers toujours it tomberait. Il croit cependant impossible que tout ce parti d’opposition s’engage sans savoir ce que vous ferez en cas de nomination de M. Molé il dit qu’on a envoyé à Londres, et qu’on attend la réponse. Mais quand je lui demandé s’il sait, il répond ; mais il est évident qu’on ne peut rien faire sans lui. En parlant de la situation en général, il dit "cela craque., voilà ce qu’il y a de plus sûr" ; aussi a-t-il l’air content. Je vous ai redit tout Berryer. Les journaux de toutes couleurs ce matin ne le démentaient pas. Evidemment le danger est là et mardi sera très curieux. Le gros Monsieur est venu m’in terrompre. J’avais cru prudent jusqu’ici de ne lui dire qu’un boujour et un merci des plus polis mais sans aucun conver sation. Je ferai plus la première fois. Merci à vous bien autre ment qu’avec politesse ! Mais oui, oui, vous êtes pour nas tout, tout. Vous le voyez bien Je ne sais pas le dire mais est-ce qu’il est besoin que je le dise ? Je n’ai pas une autre peine; un autre souci, une autre joie que vous ! J’ai envie de vous envoyer ceci aujour d’hui même quoique je vous aie écrit hier, Il me semble que le bavardage de Berryer pourra vous amuser. vraiment je vous redis tout. Ce que je ne dis pas est mes commentaires, mes spéculations ; pour cela il faut le tête à tête, et puis mon opinion. n’est guère comptée, je n’entends rien sans doute aux situations, je ne m’en mélerai pas. Les emprunts et la danse de Brünnow m’ont royalement amusée. Et votre journal m’entéresse au dernier point, continuez, continuez, tout.
Je dîne aujourd’hui chez M. de Noailles je crois que je vous l’ai dit. J’irai le soir entendre les Deljouse chez la Desse de Poux. Je ne me promenerai pas. Le vent d’est me crispe. Ce vilain vent qui vous a emporté si vite en Angleterre il n’a pas cessé de souffler depuis ce triste 25 février. Je vous ai écrit deux jours de suite Mercredi et jeudi, parce que les lettres de vendredi ne sont pas remises à Londres Comme le dimanche le Dimanche. Aussi les lettres ne partent pas de Londres j’espère que vous aurez fait le même arrangement ; si non, je resterai deux jours sans lettre, et alors j’aurai plus le droit de défier que vous Je vous écrirai toujours lundi, Mercredi Jeudi, et Samedi. Sauf les extraordi naires comme aujourd’hui. Dites-moi si tout a été bien dans l’arrangement des adresses aujourd’hui. On me dit d’omettre sentaire ?????? & c’est mon bon génie qui m’inspire toujours des précautions. Il trouve que vous n’en avez pas assez. Adieu, adieu. Vous devez être très préoccupé de ce qui se passe ici. Il est évident qu’à moins de miracle Thiers tombera. Mais que ferait-t après? C’est ce que je demandais à Berryer. Il dit que naturellement la gauche toute entière se rangèra sous lui, qu’il peut devenir très redoutable, que si contre toute attente, le vote de la semaine était pour lui, il est impossible qu’il ne recourre pas à la dissolution. parce qu’il rencontrerait des chevaux de frise. à chaque pas. Enfin Berryer ne comprend pas qu’il soit possible de gouverner dans l’état actuel de les chambres à moins que le parti. Soult Molé et doctrinaire ne soit tout à fait uni. Et encore !! Adieu, adieu. Je suis impatiente de votre prochaine lettre, de toutes les prochaines lettres. Je n’en ai jamais assez, jamais d’assez longues, jamais assez d’adieux.
Mots-clés : Ambassade à Londres
419. Paris, Vendredi 11 septembre 1840, Dorothée de Lieven à François Guizot
Le 11 septembre 1840
Je ne suis arrivée qu’à 8 heures, Génie était dans la cour, il avait vu venir le postillon qui me devançait il m’attendait. Il est entré avec moi, il m’a remis. La première impression à Paris a donc été du bonheur. Je vous écris pour être lue un dimanche, j’aimerais mieux un autre jour. Je me suis couchée hier à 9. heures. Je verrai Pogenpolh à midi. Mon ambassadeur plus tard. Je voudrais bien rester ignorée de tous les autres. Mad. de Flahaut, avait déjà passé deux fois ici. M. Thiers y est venu dès mardi, me croyant arrivée.
Il faut que je me repose. Mon appartement me plait. J’espère qu’il me plaira, encore davantage. Paris me plait aussi. N’est-ce pas il me plait davantage ? Je pense à tout ! à tout !
Voici votre 407. C’est presque Londres. Vous, moi, pas autre chose. Je n’ai pas encore. eu une impression, une nouvelle pas un visage étranger. Je suis seule avec deux lettres. C’est une bonne compagnie et douce et tranquille. C’est cela qu’il me faut surtout.
3 heures.
Longtemps Pogenpolh. longtemps mon ambassadeur qui me quitte à l’instant. Bon, excellent homme. Toujours le même : " Madame, je ne sais rien, on ne m’écrit rien de Pétersbourg ! On ne me parle pas ici, je n’ai rien à leur dire ; ich lebe aufoncinem eigenen funde, recht ruhig und recht glücklich. " Et il a l’air de cela. Demain je vous écrirai longuement j’espère.
Adieu. Adieu. Il faut que ma lettre parte si cela peut s’appeler une lettre. Adieu.