Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Collection : 1840 (octobre)- 1847 (septembre) : Guizot au pouvoir, le ministère des Affaires étrangères (La correspondance croisée entre François Guizot et Dorothée de Lieven : 1836-1856)

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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2. Beauséjour 5 heures jeudi 31 août 1843,

J’ai été en ville. J’ai remis à Génie ma lettre et une lettre de Lady Palmerston reçue après coup, et que vous me renverrez. J'ai fait visite aux Appony. Vraiment il est trop bête. "-Et bien, elle vient donc cette petite reine ? Caprice de petite-fille un Roi n’aurait par fait cela. - Pourquoi pas ? S'il en avait eu l’envie ? - Mais c’est que l’envie n’en serait pas venue. - C’est possible. Mais voilà toujours un grand événement et qui fera beaucoup d’effet partout. - Je ne crois pas. On dira que c’est une fantaisie de petite fille. - Fantaisie accepté par des Ministres qui ne sont pas des petites filles. - On sait qu'ils sont très plats et qu'ils tremblent devant elle. - En tous cas voilà parmi les souverains de l'Europe le plus considérable peut être, et celui qui ne se dérange jamais qui vient faire visite au Roi. C’est un grand précédent. (avec une mine et un geste très ricaneur) Il se trompe bien s'il croit pour cela que les autres feront autrement qu’ils n’ont fait jusqu'ici. Personne ne viendra. - Et bien on se passera mieux des autres visites depuis qu'on aura eu celle-ci. - Je suis bien sûr cependant que le roi eut été beaucoup plus flatté de la visite du roi de Prusse. - En vérité je ne sais pas pourquoi et certainement elle n’aurait pas fait autant d’effet que celle-ci. - à Vienne on n'y pensera pas. Je me mis à rire et je lui dis : - Savez-vous qu'il y a des rapportages en ville & que j'ai entendu moi-même dire à Molé que le corps diplomatique montrait beaucoup de dépit. Il est devenu rouge. Certainement pas moi. Nous sommes si bien avec l'Angleterre et si sûrs d’elle que nous serons même bien aises de cette visite. Je n’en avais pas assez et j'ai dit que Molé avait été assailli par des : " Avez-vous lu le National ? Décidément ceci l'a interdit. Il avait même l’air un peu colère, Armin est entré ; la conversation a fini. Il me semble que je vous envoie assez de commérages. Ce qui est bien sûr c’est que l'humeur de l’Europe sera grande et cela doit bien vous prouver que le continent sans exception est malveillant pour ici. Gardez l'Angleterre. C’est votre meilleure. pièce. Beauséjour vendredi 8 h dim. matin La journée a été bien mauvaise hier. Si vous n'aviez pas à recevoir une Reine je vous en conterais tous les incidents. Tout a été de travers, pas de fête, pas un coin et je me suis vu forcée de revenir coucher ici où j’ai failli ne pas retrouver mon lit. Je vous conterai tout cela à votre retour. Heureusement Pogenpohl était avec moi, ce qui a contenu ma colère, quoique pas trop. Il a un peu d'esprit et avant que j'eusse pris l’initiative il m’a parlé du voyage comme de quelque chose de très grand, très important et qui doit avoir un grand effet, ici et partout. Il a ajouté " à présent, les bouderies de l’Empereur n'ont plus la moindre portée. " Il ne fera peut-être pas autrement qu'il n'a fait mais cela ne veut plus rien dire. " Voilà qui est vrai. Le bon de ce voyage, c’est que tout le reste dévient égal. Ecrivez donc ou faites écrire à d’André de bien vous mander tout ce qu’il entendra dire. Vos autres après auront bien l'esprit de le faire sans attendre un ordre. J’ai fait prier Kisseleff de venir ce matin, je serai bien aise de lui parler. Fluhman viendra probablement aussi. 10 heures Que de choses utiles et bonnes à dire à Aberdeen. Vous n'oublierez surement pas de donner une bonne bais [?] à vos entretiens. Vous rappelez que le bon langage des Ministres anglais au parlement a bien puissamment contribué à calmer les folies françaises. Il me parait que vous devez, que vous pouvez vous établir sur un pied de si bonne amitié et franchise avec lui. Surement comme étranger vous lui cèderez le pas aux dîners, & & & Je vous dis des bêtises. Vous savez tout cela. Mais n’importe. Qu’est ce que l’affaire de votre consul et du drapeau français. à Jérusalem ? C’est mauvais. Sébastiani a eu je crois une affaire pareille à Vienne ou Constantinople. Ou bien n'était-ce pas Bernadotte ? Je reviens à Appony. Vraiment je suis un peu étonnée. Le meilleur !!! Metternich était bien tant qu’il croyait être seul à vous protéger car c’est bien là le sentiment. Sa vanité était en jeu et de là venait sa bonne conduite. Aujourd’hui il est débordé, son dépit sera grand, en attendant son ambassadeur est trop sot Voici votre N°1. Merci, merci. J’aime autant, et même mieux que la Reine ne vienne pas à Paris. On n’aura plus le droit de dire, petite-fille curieuse de s'amuser. Et puis. Vous serez libre plutôt. J'aurais aimé à causer avec Lord Aberdeen, mais vous n'oublierez rien, seulement j'aurais eu le contrôle. Je suis charmé que ce soit Andral j'espère qu'on choisira son meilleur rôle. Passé minuit est un peu trop leste pour la vue ; car il sort de son lit avec le stricte nécessaire. However I don't know. Les tapes sont une grande habitude en Angleterre ; peut-être par la chaleur aimera-t-elle la nouveauté d’un parquet. Si j’avais Lord Cowley sous la main je lui soufflerais la mauvaise humeur du corps diplomatique. Il se croyait si sûr de la probité autrichienne ! Nous en causions le dernier jour et il me disait : " pour ceux-là ils ne seront surement pas. jaloux. " Je regarde beaucoup le ciel. Quel bonheur s'il reste aussi beau ; ce sera superbe. Le danger qu’a couru le Roi et la famille fait faire d'étranges réflexions. Dans l’accident de l’an passé, il n’y avait pas de quoi se donner une entorse, et le Duc d'Orléans y a péri ! A présent ils devaient être tués tous, et il n'est rien arrivé qu'un bain à 3 chevaux ! Vraiment, vraiment la main du duc est bien visible. Elle protège toujours le Roi. jaloux. " Je regarde beaucoup le ciel. Quel bonheur s'il reste aussi beau ; ce sera superbe. Le danger qu’a couru le Roi et la famillie fait faire d'étranges réflexions. Dans l’accident de l’an passé, il n’y avait pas de quoi se donner une entorse, et le Duc d'Orléans y a péri ! A présent ils devaient être tués tous, et il n'est rien arrivé qu'un bain à 3 chevaux ! Vraiment, vraiment la main de duc est bien visible. Elle protège toujours le Roi. Je repense à ma conversation avec Molé. Certainement, il a retrouvé son esprit. C’est de très bon gout de dire son contentement du voyage, et il le fait avec un air très naturel, irréprochable. Le diable n’y perd rien peut-être, mais c’est égal.. Je vous écris des lettres énormes. Aurez-vous le temps de les lire ? On vient de me faire dire de Versailles qu'il y a un appartement. Je me décide donc à retourner. Si je puis entraîner Fluihman, je l’emmène si non j’irai seule. Adieu. Adieu mille fois adieu. l wish you success. Je serai bien contente d’apprendre que la Reine est actually arrived. Adieu. J'ai oublié encore à l’article Appony ceci : il me dit, j'espère que M. Guizot et ses collègues ne montreront pas trop d’orgueil de cette visite. Soyez tranquille. Ce sont des gens d’esprit. And now good bye for good. Mais encore adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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3 Versailles, Samedi 2 Septembre 1843
6 heures du matin

Me voici bien véritablement à Versailles, mais cela ne me plait guère. L’appartement que j'occupe est au midi. J’étouffe. J’ai passé une nuit détestable. J’ai fait hier un mauvais dîner qui me dérange l’estomac. Enfin cela commence très mal. Je commence à me croire bête. Je ne sais pas les arranger. Kisseleff est venu hier à Beauséjour avant mon départ. Je voulais lui dire que le corps diplomatique se conduisait très sottement et lui insinuer par là la convenance de faire et dire autrement. Il s’est avoué coupable du pari, il les regrette extrêmement. Je l’ai rassuré, j’ai dit que quoiqu'on les sût on n’y ferait pas attention mais il faut qu'il règle son langage ou il a affirmé et je le crois qu’il dit à tout le monde en parlant du voyage " c’est un très grand événement ", & lorsqu'on lui jette à la face la petite fille. Il dit une petite fille qui est un roi, qui arrive flanquée de ses vaisseaux de ligne ; et accompagnée de son ministre, c'est le gouvernement, c'est l'Angleterre. Je l'ai loué et exhorté à continuer. Quand on a de l'esprit c’est comme cela, qu'il faut faire. Je voulais sérieusement rendre service à Kisseleff, et je suis sûre de mon fait en faisant ressortir que tous ses collègues sont des sots.
Ce pauvre Fluihman que j’attends qui est venu a été renvoyé brutalement par ce sot de Stryboss. Pauvre homme dans cette chaleur. Je lui ai écrit pour l’inviter ici aujourd’hui mais il ne me croira plus.
J’ai quitté Beauséjour à cinq heures, seule. J’ai dîné un peu tristement et mal. J'ai marché sur le pavé dans les ténèbres suivie d’Auguste. Comme c’est gai. Je suis entrée un moment chez Mad. Locke dont l'appartement touche au mien. Elle est très bête, sa fille a un ton de village, le mari ne dit plus un mot. Ce trio n’est pas soutenable si l'on ne vient pas me voir de Paris cette solitude sera intolérable.
J’attends votre lettre. Je voudrais bien savoir cette reine arrivée. Si elle tarde c’est autant de jours de pénitence de plus pour moi, et je les trouve déjà bien longs. Serra Capriela donne demain une soirée diplomatique au comte de Syracuse. Appony devait venir passer la journée chez moi, ceci l’en empêche.
Une heure. Voici votre lettre. Je vous en prie pas de galanterie en mer. Que le Roi n’aille pas au devant. La bonne grâce serait quand elle approchera et lorsque son bâtiment sera en rade. C'est-à-dire en parfaite sécurité, que le Roi monte en bateau ouvert pour la recevoir. Il est clair qu'il faut un bateau dans tous les cas. Je ne connais pas votre Tréport mais s’il est fait comme d'autres ports le bateau à vapeur n’arrivant pas jusqu’au bord il faut toujours se mettre en chaloupe pour aborder. C’est donc chaloupe que je voulais dire, et encore j'ai bien envie de m’en dédire. Je ne suis pas le moins du monde de votre avis sur ces sortes d’entreprises. " Là où il y a la plus petite chance d’un très grand malheur il faut s’abstenir ! " (traduction littérale d'un dicton Anglais.) Que le Roi reste chez lui. Et surtout pour Dieu que vous y restiez. Je n’aime pas toutes ces aventures. Ah que je voudrais qu’elle fut déjà là ! Votre lettre me fera trembler jusqu'à demain. Et puis je recommencerai. Vous me rendez très nervous par cette chance d’une promenade en mer si la Reine n’est pas arrivée demain quand vous lirez ceci, suivez-mon conseil. Je vous en conjure ; écoutez-moi.
Je vois que vous me voulez à Beauséjour. J’y retournerai puisque c’est votre volonté. Je coucherai encore ici aujourd’hui. Vous ne savez pas comme vous venez de m’inquiéter, et puis quand je me rappelle que nous nous sommes quittés si gais j'en reviens à un pressentiment triste. Je vous demande à genoux de ne pas vous embarquer, de ne pas embarquer le Roi. Adieu, adieu.
J'écris à Génie pour le prier de venir ici. Peut-être viendra t-il. Madame Narychkine revenue de Bade me rapporte la nouvelle que les trois filles du Grand Duc Michel se marient. L'ainée au Duc royal de Wurtemberg. La seconde au Duc régnant de Nassau. La troisième au Prince héréditaire de Bade. Tout cela d’excellents mariages. Et l’Empereur qui ne parvient pas à en faire de bons pour ses filles. Qu’est-ce que je vous dis là ! Je n’ai plus autre chose dans la tête que cette navigation du roi. Abominable idée jetez la par terre je vous en supplie. Adieu. Adieu. Adieu. Non pas gaiement du tout mais avec une horrible inquiétude. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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4. Versailles, Dimanche 9 heures 3 Septembre 1843

Le télégraphe annonce le passage devant Cherbourg hier à 6 h. du matin, elle sera donc arrivée hier à Eu. Et que vous ayez été en mer à sa rencontre ou non, Dieu merci le temps est et a été beau, je suis donc un peu tranquille et j’attends la nouvelle et vos nouvelles.
Hier Pogenpohl est arrivé, pendant que je dinais, je suis bien aise. Il dinera et promènera avec moi, that is a great help. A 8 heures Génie est venu. Nous nous sommes réciproquement communiqué au fond, c’étaient les même choses. Il ne voit pas pourquoi je me dérangerais. Si elle vient à Paris c’est autre chose, c'est-à-dire si on apprend qu’elle doit y venir. Vous voyez que tant qu’elle reste à Eu, je peux bien rester à Versailles, car ou on a rien à faire ou à décider à Paris, aucun conseil ou idée possible à donner parce qu'on n'en a pas besoin. J'ai bien envie qu’elle n’y vienne pas. Un accident, serait quelque chose d'épouvantable quand on s'engouffre dans cette idée cela fait maigrir sur place de terreur. La demeure aux Tuileries est mauvaise pour cela, car elle sort le matin de bonne heure à pied. Elle voudra sortir dans le jardin. La retenir prisonnière est si gauche. L'exposer est si terrible. Au fait l’Elysée Bourbon si elle veut Paris, c'est-ce qu’il y a de mieux. Mais j'aime mieux qu’elle ne veuille pas. Elle devrait traverser Paris incognito, voiture ordinaire, coucher à St Cloud. Voir Versailles and go home that would be the good thing. Vous allez me dire tout cela. Que vous devez être content ! Savez-vous que plus on y pense plus on trouve qu’il y a de quoi. C'est superbe et excellent. Pogenpohl me dit qu'à Paris l’effet est immense. Dans les rues partout, on ne parle que de cela. C'est une époque dans un règne. Quel joli petit paragraphe cela fera dans le discours d'ouverture des Chambres. Je voudrais bien être à Vienne, Berlin & Pétersbourg pour une demi-heure. Certainement, le soufflet est gros. Génie croit savoir qu’Armin en est le plus non pas dépité, mais chagriné par le mauvais air que cela donne à la maussaderie de son Roi il y a 1 an 1/2. Il dit savoir aussi que le langage d'Appony s'est amendé. Je verrai cela. Je suppose qu’ils viendront demain ne pouvant pas venir aujourd'hui.

Midi. Voici Génie qui me fait la gracieuseté de m’envoyer un homme exprès pour m’annoncer l'arrivée de la Reine, et m’envoyer en même temps votre lettre N° 3. Dieu merci, et merci que je suis contente, et que j'ai été bête hier avec mes terreurs. Mais vous ne vous serez par fâché. Vous ne vous fâchez pas contre moi vous savez d’où viennent mes bêtises.
Ce que vous me dites de Metternich à propos du mariage de Don Carlos m'amuse. C’est bien lui ! Qu'il va se trouver nigaud avec son idée correcte ! Mais savez-vous ce qui arrivera ? C’est qu’entre ceci dont l’Espagne ne voudra pas, Naples que l’Autriche empêchera. Les autres retrouvés par d’autres motifs, quand il ne se trouvera plus de Bourbons, que personne ne peut vouloir un de vos fils, et que vous ne pouvez pas permettre un Autrichien, on finira par trouver le Cobourg le plus inoffensif, en même temps que le lien entre l'Angleterre et la France. Prenez garde à la possibilité que l’affaire prenne cette marche-là. Arrangez-vous pour Naples avec Angleterre. C'est la bonne affaire. Pogenpohl qui a des correspondances beaucoup à Florence où il a longtemps résidé dit que le Lucques est un charmant garçon. Pourquoi pas Lucques si Naples n’allait pas ? Adieu. Adieu.
Je rabâche. Je suis in the highest spirits de savoir la Reine en France, à Eu. C'est une perfection. J'oublie de vous dire que j’ai bien dormi, que je suis mieux. à 7 1/2 j’étais sur la terrasse du palais, pas une âme que la sentinelle. Un air pur excellent. Adieu. Adieu. Que je suis impatiente de votre prochaine lettre. Adieu ever adieu. Remettez ceci à Lady Cowley.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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5 Versailles, Dimanche 3 septembre
3 heures

Je vous écris un mot encore parce que j’ai peur que ma lettre de ce matin ne vous arrive pas. Etienne n'étant pas venu comme de coutume à midi j’avais renoncé à le voir, et j’ai été mettre moi-même à la poste ma lettre adressée à Génie. Deux minutes après Etienne était là, Il n’y a plus moyen de retirer ma lettre, mais comme c’est dimanche Dieu sait si elle sera remise à Génie à temps pour partir par le courrier ordinaire et si vous ne recevez rien vous me croiriez morte. Je vis. Je me porte bien, & je suis dans le ravissement de l'arrivée de la Reine, voilà ce que je vous dis bien courtement encore après vous l’avoir dit plus longuement tantôt. Adieu. Adieu.
J’attends Fleichman. Je le ferai bien jaser sur ses collègues. Adieu. L’article des Débats ce matin, est excellent. Tous les articles dans les journaux ce matin sont autant de fêtes & de succès. Cela a bien bon air. Voici Barante qui m’écrit pour me dire qu’il ne croit pas à l'arrivée de la Reine.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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6. Versailles Lundi 4 Septembre 1843
9 heures

Quel charmant récit ! Votre N°4 est une peinture vivante de cette magnifique rencontre. Je suis ravie. La Chaloupe est bien à la bonne heure. Et puis quand elle partira la Chaloupe encore s'il fait beau et pas plus et pas autre chose, je vous en prie.
J’ai eu votre lettre à 5 heures par un spécial que m’a envoyé Génie. Il s’offrait à venir lui même après son dîner, mais je lui ai mandé le principal de ce que vous me dites pour l’en dispenser.
Avant cela, à 3, est venu Fleichman. Bon homme et même pas sot mais trop peu au courant. Ainsi ébahi quand je lui dis qu’Aberdeen était du voyage. Il a ouvert ses plus grands yeux, c'est alors seulement qu'il a compris que ce voyage était quelque chose, au reste il parle bien, et il n'a jamais mal parlé car il n’était même pas à cette fameuse soirée de mardi chez Appony qui a fourni de si curieuses observations à Molé. Il trouve que c’est immense. Il croit que son Roi rira de ce que cela vexera les autres. C’est tout-à-fait dans le caractère du Roi de Wurtemberg.
La jeune comtesse est arrivée ici avec du monde russe, elle m’a amusée et m’amusera encore jusqu’à ce soir. Elle retourne à Paris. Mes voisins les Locke m'ennuient moins. Ils sont bonnes gens. Je les ai vus hier plusieurs fois. Je suis un god send pour eux avec mes nouvelles sur leur reine.
Je trouve les premières paroles d'Aberdeen excellentes, vous aurez soin que le remplissage ressemble au cadre. J'espère bien que vous lui parlez Français. Un Anglais s’offense quelque fois quand un étranger lui parle autrement. Pour le Roi c'est autre chose, c'est sa coquetterie et il fait bien. Fleichman nie fort et ferme le mariage de son prince royal avec une fille du grand duc Michel. Porte-t-on à dîner la santé de la reine d'Angleterre. Je crois que vous aviez oublié de mettre cela sur votre mémorandum. On dit que les deux voleurs sont très ennuyeux. C'est de l'opéra comique.

1 heure. Voici le N° 5. Merci toujours merci car au milieu de tant de distractions et d’affaires vous m'écrivez de bonnes lettres. Dites-moi quand vous revenez. Quel jour, quelle heure. Je ne m’ennuie pas ici, mais je ne me porte pas bien, je ne sais ce que c’est, peut-être la chaleur ne m’a-t-elle pas convenu. Aujourd'hui il fait frais. J’attends Appony et Armin. Comment trouvez-vous l’adresse de la fête à Espartero ? Adieu. Adieu, j’irai voir Trianon avec la jeune comtesse. Adieu tendrement, adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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7. Versailles Mardi 5 Septembre 1843 8 heures du matin.

Merci de deux bonnes lettres hier. La seconde avec l'incluse de lady Cowley m'est arrivée tandis que j’étais à dîner avec Appony et Armin. Comme elle était fort innocente. Je leur ai donné le plaisir de la lire. C'était pour eux un treat. Ils sont venus de bonne heure, j’étais dans les bois en calèches avec Pogenpohl qui me tient fidèle compagnie pour la promenade et pour le dîner. Nous avons eu encore de la causerie avant le dîner à nous trois.
Vraiment Appony est impayable. Il me dit maintenant on ne pourra plus dire que c'est un caprice d'une petite fille curieuse puisqu’elle ne vient pas à Paris. On était tout juste lui il y a 3 jours. C'est de moi qu'ils ont su qu’elle n’y venait pas. car en ville on l’attend encore. Tous les deux m'ont dit avec bonne grâce " c’est plus flatteur puisque c’est personnel. " Enfin le ton était tout-à-fait changé. Mais j’arrive à l’essentiel. Tous deux m'ont parlé du mariage Espagnol. Vous ne serez pas sorti de votre voiture en arrivant à Paris qu’ils seront là pour vous presser au sujet du mariage Don Carlos. Armin en a reçu l’ordre formel de sa cour. Appony s’est longuement étendu sur le fait. Bon pour tout le monde. Bon pour l’Espagne puisque cela confond et réunit les droits et écarte les dangers d’une guerre civile que ferait naître un prétendant. Bon pour l'Angleterre pour la France (qui veut un Bourbon) pour toutes les puissances puisqu’elles sont d’accord sur la convenance et l’utilité de ce mariage. Bon encore pour l'Espagne puisque c’est la seule combinaison qui lui assure la reconnaissance immédiate de la reine par les 3 cours. Enfin rien de plus correct, de plus irréprochable, de plus désirable. J’ai dit amen. Mais deux choses, l’Espagne voudra-t-elle ? & Don Carlos voudra-t-il ? pour l'Espagne nous en sommes presque sûrs pour Don Carlos c’est difficile, mais si l'Angleterre & la France voulaient seulement concourir, l’Espagne serait sûre & on pourrait l’emporter à Bourges. Au reste ajoute Appony je vous dirai que Lord Aberdeen est excellent et qu'il a dit à Neumann qu’il était tout-à-fait pour le mariage Don Carlos, en êtes-vous bien sur ? Parfaitement sûr.
Nous sommes revenus à la visite de la Reine, à l’effet que cela ferait en Europe. Ils en sont tous deux curieux, au fond ils conviennent que cela ne plaira pas, que c’est comme une consécration de la diplomatie et que certainement pour ce pays-ci c’est un grand événement ; nous avons parlé de la Prusse, et moi j’ai parlé. du peu de courtoisie des puissances envers ceci. Appony s’est révolté ; comment ? Au fond la France nous doit bien de la reconnaissance si nous ne lui avons pas fait des visites au moins l’avons- nous toujours soutenue, toujours aidée. Le solide elle l’a trouvé en nous. C’est vrai mais les procédés n’ont pas été d’accord. Les princes français ont été à Berlin, à Vienne, d’ici on a toujours fait des politesses. On n’en a reçu aucun en retour, et depuis quelques temps vous devez vous apercevoir que le Roi est devenu un peu raide sur ce point. Alors Armin est parti. Le Roi a été très impoli pour nous. C'est une grande impolitesse de n’avoir envoyé personne complimenter mon roi quand il s’est trouvé l’année dernière sur la frontière. Nous avons trouvé cela fort grossier & M. de Bulow l’a même dit à M. Mortier (quelque part en Suisse) mais votre Roi n’avait pas été gracieux six mois auparavant. Il a passé deux fois à côté de la France sans venir ou sans accepter une entrevue. Oh cela, c'est Bresson qui a gâté l’affaire. Il a agi comme un sot. Il a voulu forcer la chose et l’a fait échouer par là. Je vous répète tout. Ensuite rabâchant encore sur Eu, Appony me dit au moins la Reine ne donnera certainement pas la jarretière au Roi. C’est cela qui ferait bien dresser l’oreille dans nos cours ! Pourquoi ne la donnerait-elle pas ? Vous verrez que non.
Ils ont ensuite parlé de la légion d’honneur au prince Albert comme d’un matter of course Je crois que j’ai expédié mes visiteurs dans ce qu’ils m’ont dit de plus immédiat. Faites donner la jarretière au Roi. Vous avez tous les moyens pour faire comprendre que cela ferait plaisir ici. Commencez par donner le cordon rouge au Prince. Mandez-moi que vous n'oubliez pas cette affaire. Car c’est une affaire.
Direz-vous quelque chose à Aberdeen de vos dernières relations avec ma cour ? Il ne faut pas vous montrer irrité, mais un peu dédaigneux ce qu'il faut pour qu'il sache que vous voulez votre droit partout. Cela ne peut faire qu'on bon effet sur un esprit droit et fier comme le sien. J'espère que vous êtes sur un bon pied d’intimité et de confiance et qu'il emportera l’idée qu'il peut compter en toutes choses sur votre parole. Faites quelque chose sur le droit de visite. N'oubliez pas de dire du bien de Bulwer. C'est bon pour lui en tout cas qu’Aberdeen sache que vous lui trouvez de l'esprit et que vous vous louez de son esprit conciliant.
Après le dîner que je fais toujours ici à cinq heures, j’ai été avec mes deux puissances faire une promenade charmante mais un peu fraîche en calèche. Ils m'ont quitté à 8 1/2 et comme je n’ai plus retrouvé Pogenpohl je suis allée finir ma soirée chez Madame Locke. J’ai passé une très mauvaise nuit. Mes attaques de bile. Décidément les dîners d'Auberge ne me vont pas et j’ai envie de m’en retourner aujourd'hui à Beauséjour.
10 heures. Génie, notre bon génie m’envoie dans ce moment votre n°4 excellent je vous en remercie extrêmement. Je suis bien contente de penser que tout va bien. Quelle bonne chose qu'Aberdeen ait vu le Roi, vous. Quel beau moment pour vous en effet. Je me presse, je remets ceci à ce messager, sauf à vous écrire plus tard par le mien. Adieu. Adieu. Adieu.
N’allez pas dire un mot à Aberdeen des vanteries d'Appony. C'est-à-dire ne dites pas que c'est moi qui vous le dis. Ne prononcez pas mon nom quand vous parlez affaires. Pardon vous savez tout cela, mais j’aime mieux tout vous dire, tout ce qui me traverse l'esprit. Adieu. Adieu à tantôt.
Pourquoi ne faites-vous pas donner la part du Diable ? C'est décidément charmant. Opéra comique.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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8 Versailles Mardi le 5 Septembre 1843
Midi

Voici ma seconde lettre aujourd’hui en vous expédiant vite la première pour ne pas faire attendre l’homme de Génie. Je n’avais pas lu encore ce que vous m'avez envoyée. Je viens de le lire avec attention, c’est excellent et vous êtes vraiment très vertueux. La pièce jointe est parfaite à lire et même à donner. Il y a dans le compte-rendu des choses qu'il faudrait soustraire ce qui fait que je me bornerai au récit. Je ne sais pas encore, si je m'en chargerai moi-même où si le dirai à mon petit homme. Je vous rendrai votre papier " Si j'avais le temps, elle m'aimerait " vous me disiez cela hier en me parlant de Lady Cowley. C'est charmant et cela a fait éclater de rire l'Autriche et la Prusse.

Une heure.
Vraiment je me sens très souffrante, et je partirai. J’attendrai 5 heures parce que je crois que le duc de Noailles doit venir me voir. Adieu Je n'ai rien à ajouter. Je trouve tous les journaux aujourd’hui fort bons. Les fonds ont beaucoup haussé. Enfin ce voyage est ce qu’il devait être un grand et bon événement. God bless you et revenez. Je vous conjure de ne point vous embarquer du tout jeudi si le temps était gros ou seulement pas bon. C'est des bétises. Il ne faut rien rien risquer. Que je serai heureuse de vous revoir ! Vous ne me dites pas quand ? Je doute que vous reveniez avant jeudi minuit ainsi vendredi de bonne heure. Mais vous me ferez dire que vous êtes arrivé vendredi à mon reveil n’est-ce pas ? Ayez bien soin de vous je vous en conjure. Adieu. Adieu. Vous concevez que si vendredi à 8 h. du matin, je n’ai pas un billet de vous qui me dise que vous êtes à Auteuil j'irai me jeter dans la Seine. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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9. Beauséjour Mercredi le 6 septembre 1843

Me revoilà dans mon home et j'en suis bien aise. J’ai encore dîné hier à Versailles et j’étais ici à 8 heures, & dans mon lit à 9. J'ai bien dormi jusqu'à 6 heures. à 7 heures j’étais sur les fortifications, je viens de faire ma toilette et me voici à vous. J’attends votre lettre. Le Galignani et les journaux ont devancé votre récit. Je sais que Lundi s’est bien passé. Belle promenade & concert. Je voudrais que tout fut fini. Dieu merci c'est le dernier jour.
Kisseleff est venu me trouver à Versailles hier sur les 3 heures, nous ne nous sommes vus seuls que dix minutes. Le Duc de Noailles est arrivé. Dans les 10 minutes il m’a dit qu'il avait écrit à Brünnow ceci : " On dit que le corps diplomatique (de Paris) montre quelque dépit de l’entrevue royale, quant à moi je me tiens dans un juste milieu. Je dis que c'est un événement très favorable au Roi et à son gouvernement et voilà tout. Si les autres disent plus ou autrement je trouve que c’est de la gaucherie. " Je l'ai encore loué. Il me dit qu'Appony avait changé de langage. Je le savais moi-même de la veille. Il est évident que c’est le rapportage de Molé et La confidence que je lui en ai faite qui ont amené ce changement. C'est donc un service que je lui ai rendu. Mais il n'en sort pas sans quelque petits blessure.
J’ai régalé le duc de Noailles de tout ce récit qui l’a fort diverti. Il a jugé l'homme comme vous et moi. Je lui ai dit qu’on savait que son langage à lui était très convenable. Cela lui a fait un petit plaisir de vanité. Il est évident que tous les jours ajoutent à son éducation politique, et qu’il meurt d’envie de la compléter. Je lui ai lu ainsi qu'à Kisseleff les parties descriptives de vos lettres. Cela les a enchantés surtout le duc de Noailles. Il trouve tout cela charmant, curieux, historique, important. Non seulement il n’y avait en lui nul dépit mais un plaisir visible comme s’il y prenait part. Je lui ai lu aussi un petit paragraphe, où vous me parlez du bon effet du camp de Plélan. Il m’a prié de le lui relire deux fois. Il est évident qu'il voudrait bien qu'on se ralliât. Il suivrait, il ne sait pas devancer. Il m’a parlé avec de grandes éloges du Roi, et de vous, de votre fermeté de votre courage, de votre habileté, de votre patience sur l’affaire d’Espagne. Il est très Don Carlos il a raison, c’est la meilleure combinaison parce qu'elle finit tout et convient à tous. Mais se peut-elle ? Il regrette que la Reine ne soit pas venue à Paris. " Un jour pour Paris, un jour pour Versailles. Elle aurait été reçue parfaitement. Le mouvement du public est pour elle aujourd’hui tout à fait. Une seconde visite sera du réchauffé. Aujourd’hui tout y était, la surprise, l’éclat. " C’est égal j’aime mieux qu’elle n'y soit pas venue. Kisselef m’avait quittée à 4 1/2 pour s’en retourner par la rive droite. Comme le Duc de Noailles partait par la gauche nous avons eu notre tête-à-tête jusqu'à cinq. Kisseleff partait triste, il avait peu recueilli. Tous les deux avaient dû dîner en ville et n'ont pas pu rester. J’ai dîné ave Pogenpohl que j’ai ramené jusqu’ici. J’ai remarqué qu'il en avait assez de Versailles. Un peu le rôle de Chambellan. La promenade et le dîner, et encore par la promenade quand j'en avais un autre. Mais c’est juste sa place.

Onze heures. Voici le N°8 merci, merci. Que vous avez été charmant de m'écrire autant ! Enfin vendredi je vous verrai c’est bien sûr n’est-ce pas ? Passez-vous devant Beauséjour ou bien y viendrez-vous après avoir été à Auteuil ? Vous me direz tout cela. Que de choses à me dire ; nous en avons pour longtemps. Et puis, l’Europe a-t-elle donc dormi pendant Eu ? Comme nous allons nous divertir tous les jours des rapports de partout sur l'effet de la visite ! J’irai ce matin en ville mais tard. Je passerai à la porte de Génie pour causer avec lui. Et puis commander ma robe de noce pour lundi. Ensuite en Appony pour voir le trousseau. J’y resterai pour dîner. Voici donc ma dernière lettre. Adieu. Adieu. Adieu. Apportez-moi moi la jarretière, je m’inquiète que vous ne m'en parlez pas. Ce que vous dites de la princesse de Joinville est charmant ! Adieu encore je ne sais pas finir. Adieu. Prenez soin de vous demain. J’ai si peur de la mer. Et puis j’ai peur de tout. Revenez bien portant, revenez. Adieu. Je me sens mieux aujourd'hui.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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10. Beauséjour le 6 septembre
3 heures

Ayez la bonté de remettre ceci à Lady Cowley. Cette lettre a été oublié sur ma table à Versailles et je voudrais qu’elle l’eût. Je n’ajoute que ce mot. Je n’ai vu personne et je vais en ville dans ce moment. Adieu. Adieu.
A vendredi. Quel plaisir. Adieu.

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Paris Samedi 6 7bre 1845 Midi 1/2

J'arrive ; j'ai reçu votre petit mot j’ai vu Génie qui vous a embarqué. J’attends le télégraphe, & quelques visites, & un cache nez brun ou bleu foncé, s'il existe.
Vous oubliez hier en faisant le programme de la marche à dîner qu'Aberdeen doit passer devant vous. Vous faites en France les honneurs au ministre Anglais. Je suis furieuse qu'on pense à toutes petites choses, les bagatelles importantes. Je me tourmente de Constantin.
4 heures, voilà le télégraphe et pas un moment de plus à vous donner. Pas de cache nez trouvable. Beaucoup de monde, Mallkan entre autres devant témoins demandant de vos nouvelles avec beaucoup de sollicitude. Adieu. Adieu mille fois.
Soignez bien votre rhume, c’est à dire envoyez le promener. Prenez garde de l’air de la mer, n’allez pas en bateau à la rencontre. Adieu

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Beauséjour onze heures
Dimanche 7 septembre

Beau temps, bon vent. J'espère que cette reine arrivera aujourd’hui. Mais j’espère sur tout que le changement d'air vous aura été bon pour vous débarrasser de votre rhume. Hier j’ai vu chez moi Appony, les Flahaut, Keisseleff, Malkan.
L'arrivée de la reine n'a pas l’air de surprendre. beaucoup. Mais certainement elle ne plait pas à Appony Il n’est préoccupé au reste que de son gendre. Il ne peut plus traîner longtemps.
Je m’ennuie bien sans vous. Vous pourrez compter sur cela. Je m'en vais à l’église, & puis rentrer ici pour mon lunchon. Je renonce à tenir mes assises en ville, cela me gêne. D’ailleurs le temps est trop beau pour le dépenser là. 2 heures. Je rentre. Après l'église. J’ai vu Génie chez moi Il n'ttend de vos nouvelles qu’à 3 heures. C’est long. Je. voudrais pouvoir répondre & il me semble que cette lettre-ci partira avant l’entrée de la vôtre. Je la remets à votre fille. Adieu. Adieu. What a bore to be without you. Adieu.

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3 Beauséjour Lundi le 8 7bre 1845
Onze heures

Merci, merci de vos deux lettres 1 & 2. Je vous imite, celle-ci porte le N°3. Je crois la reine arrivée et vous dans le full time of conversation. J’espère que vous ressortirez de là aussi content que vous l'avez été il y a deux ans.
J’ai eu hier une très longue conversation avec Kisseleff. Le maître n’est pas changé. Caractère, opinion, tout est resté de même. Seulement de plus en plus inaccessible à tout conseil. Personne ne rêve plus à en donner. Vraisemblance qu’il ira de la mer noire en Sicile. Je pense qu'il verra le Sultan un moment. Evénement ! J’ai été chez les Appony le soir ; assez mauvaise humeur mais qu'on cache.

Paris 1 heure. Je suis ici pour un moment. Je viens de voir Vérity. Il me trouve mieux qu'à Londres. Mais ce sera tout. Pas la moindre nouvelle à vous donner. Le plus beau temps du monde. et moi adieu adieu. Voilà tout et toujours.

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4. Beauséjour Mardi le 9 septembre 1845
Onze heures

Votre lettre d’hier est charmante ful of interesting topics. Je vous vois arriver demain soir ou jeudi de bonne heure dans la journée. C'est là ce qu’il y aura de plus charmant dans ce voyage comme le temps est gracieux pour le roi !
Madame Appony, un Esterhazy cousin, Fleichman, & Mad. Rothschild, voilà ce que j'ai vu dans la journée hier à Anvers la reine d'Angleterre a encore éte maussade ; elle n’est charmante qu'a Cobourg et à Eu. On me dit que Génie est malade. Je vais voir à Paris si je peux le voir pour lui communiquer ce qu’il y a de montrable dans votre lettre, au fond tout pourvu que je n’explique pas l’adieu.
Me voilà en ville, j'ai vu Génie convalescent, je lui ai donné à lire votre lettre dont il a été charmé. No news.

Beauséjour again à 2 heures. Pas plus de nouvelles ici que là. Vous voilà dans la forêt à déjeuner. Derniere conversation avec Aberdeen. J’espère que vous vous séparez contents. Vos filles me disent que c’est jeudi que vous arrivez pour dîner. Ceci est donc probablement ma dernière lettre ; si on vous écrit encore. Je vous écrirai adieu, adieu, adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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14 Londres 10 août 1845
Onze heures

Jarnac m’a pris hier par surprise. La veille il m’a dit " pas de courier jusqu'à Mardi ". Tout à coup son courier partait après le speech, & il n'y avait plus le moyen physique vu mes yeux de vous écrire.
J’aborde vite le sujet. Lord Aberdeen m’a parlé avec chagrin et avec force de vos préparatifs hostiles à St Malo, à Granville, à Calais, de grands travaux sont entrepris. Cela jette l'alarme ici dans les esprits les plus sérieux. Il essaye de calmer, il ne réussit pas. Il me prie de bien vous dire à quel point cela, entrave ses meilleures intentions. Vraiment, j’ai ri, j’ai parlé comme il vous aurait convenu de parler. Mes yeux m’empêchent de vous dire le détail. Démonstration d’absurdité. Raisonnement même pour les plus mauvais cas de gouvernement en France. Les plus braillards ne veulent par la guerre & &. J’ai fini par dire qu'assurément si malgré les raisonnements les plus évidents un homme comme Lord Aberdeen peut persister à croire au danger, il vaut bien la peine que M. G. y regarde & avise, & que dans tous les cas je rapporterai fidèlement. Si la guerre devait venir Lord Aberdeen quitte décidément. Jamais il ne mangue d'engager sa parole pour vous, tant sa confiance en vous est grande, absolue. S'il était jamais trompé, il ne croirait plus à l’honneur sur cette terre. J’ai dit de vous, honnête homme d'abord, ensuite trop grand respect de vous même trop d’orgueil, pour manquer jamais à vos promesses, à votre parole & s'il n'y avait pas ces deux grandes garanties il y aurait encore votre sincère amitié pour lui qui vous ferait toujours regarder comme sacré de ne jamais lui manquer. Il a toute votre confiance. Il lutte sans cesse, rudement, vous ne savez pas tout ce que cela lui coute d'efforts ! J'ai montré ce que vous savez sur la Syrie. Cela l'a frappé. Il m’a dit. Il est bien possible que ? ne soit pas ce qu’il faut. Mais les Français aussi ont du tort, & pourquoi toujours ce drapeau tricolore pour offusquer ou offenser. Et puis après tout. Le pays appartient aux Turcs. De tout temps il y a eu des massacres et bien cela continue et voilà tout !! J'ai fait un grand oh oh ! Grande envie de vous voir, & certitude à cet égard. Peel m’a dit qu’il regrettait que Metternich fût à Stolzenfels. Cela fera croire à un congrès, & fera un mauvais effet.
Aberdeen voit Metternich bien vieux. Quand j’ai parlé de l'inconvénient des agents quelques fois, d'atténuer par exemple. Il a souri : " C’est vrai ". Extrême contentement de Jarnac. Brunnow un sot. On compte beaucoup avec Brunnow. Évidente satisfaction du très bon rapport avec la Russie. Le Roi des Pays Bas est au fond du cœur blessé de l'accueil de la Reine, & de n'avoir pas la Jarretière. Dans le public cela est généralement reproché au gouvernement. La passion Cobourg déplait beaucoup. On parle d’Eu, on blâme on dit : "si au moins elle allait à Paris voilà un but, mais toujours des tête-à-tête, c’est trop. "
Mes yeux sont de même. Je partirai jeudi le 14, ou tout au plus tard Samedi le 16. Vraisemblablement avec Bulwer. Il m’en coute beaucoup d'écrire une si longue lettre. Il faut que j'abrège Adieu. Adieu. Adieu.

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18 Londres jeudi le 14 août 1845, à midi

Décidément je me suis encore trompée de N° & celui-ci est le 18ème. Votre dîner hors de chez vous, dimanche dernier me dérange. Je crains une indigestion ; & puis un assassinat, ou bien, une voiture versée. Vous savez comme je suis, parfaitement déraisonnable. Je suis tranquille quand je vous ai à Beauséjour, chez moi, ou bien dans votre cabinet que je regarde.
Hier longue promenade & causerie avec Dédel qui a tout plus de good sense & d'esprit & de connaissance de ce qui se passe ici. Beaucoup de monde chez moi le matin car tout ce qui est resté vient. Bulwer je crains me fera faux bon. Il voudrait que je retarde, & moi, je suis décidée à partir après demain. Flahaut part Lundi mais tout le monde va par le rail way. Il n'y a plus que moi dans le monde qui me serve de très mauvais chevaux de poste. Je ne sais vraiment qui partira avec moi, & je ne veut pas partir seule. Lady Cowley m’attend avec impatience et curiosité à Boulogne. J’y serai sans doute dimanche à moins de mauvais temps.
Je vous ramène des yeux assez ressemblants à ceux que j'avais en vous quittant, mais il est bien avéré que ce n’est que de l’ennui, des soins, des précautions, des privations, mais point de véritable danger. Il n’y a que Verity qui sache me traiter. Il sera à Paris au commencement de septembre. Londres est parfaitement dull, plus un seul homme public, et pas une nouvelle. Adieu, adieu, j'ai des yeux très capricieux et j'y ai mal dans ce moment, il faut que je vous quitte. Adieu.

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19 Londres, vendredi le 15 août 1845 dix heures.

Mauvaise journée hier. Mes yeux allaient mal. J’ai eu bien peur le matin je suis mieux. Je serai curieuse de me faire lire votre discours du dîner. J’aurai cela à Douvres sans doute. Je pars demain matin à 9 heures avec Bulwer. J’irai à Folkston peut être, mais toujours par terre et non par fer. Si le temps n’est pas mauvais je passerai dimanche. Dietrichstein est revenu hier. Décidément il me fait sa cour pour arriver à Paris ! Pas d’autres news. Londres est [?] on avait bien envie de m’entraîner à la campagne. Le genre de vie et la lumière ne me vont pas.
Que de choses à vous raconter ! Tâchez que ce soit bientôt. Adieu. Adieu. J'ai mes paquets à faire & les bills à payer. Adieu beaucoup de fois adieu. Je viens de lire votre discours. Excellent. Parfait. Adieu. excellent.

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20. Boulogne, Dimanche le 17 août 1845
Onze heures

J’ai quitté Londres hier à 9 h., arrivée à Folkestone à 6 1/2 embarquée à 7 1/2, et à Boulogne à 9 1/2 mais pas dans mon lit avant minuit à cause des désagréments de votre douane qui a failli me faire passer la nuit sur le bateau. J’ai dormi, mais je suis bien fatiguée. Bulwer m’a menée ici. Il est retourné à Londres ce matin, tout cela sera une histoire drôle à vous conter. Je n’ai pas des yeux suffisant pour cela. Je me borne au stricte nécessaire.
Voici vos N°18 & 19 merci, merci. Quand ne nous écrirons nous plus ? Combien j'espère à Beauséjour ! J'ai besoin de me réposer de ma rude journée d’hier. J'ai ici les Cowley ; je n’ai encore vu que la fille. Adieu, pardonnez-moi cet abrégé. Brunnow était chez moi hier à 9 h. du matin & m'a mis en voiture. Mes Anglais ont été charmants pour moi tous. Beaucoup mieux que jamais. Adieu, adieu, adieu.
P. S. Voici la lettre de vendredi merci, merci.

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21 Boulogne lundi 18 août 1845
10 heures

Bulwer m’a parlé très sérieusement et très intimement de la question du mariage du duc de Montpensier avec l’infante. J’ai dit que j’ignorais tout à fait, et puis j’ai dit Pourquoi pas ? " Parce que ce serait mille foi pire que d'épouser la Reine elle-même. Il deviendrait plus puissant que le mari. Des tiraillements à l’intérieur, immense jalousie au dehors. D’ailleurs il est certain que la Reine n'aura jamais d'enfant. " En résumé Bulwer s'opposera de tout son pouvoir à ce mariage. Il en a l’ordre & d'Aberdeen & de Peel. l don't care. Et puis, il a répris. " La seule manière pour que cela puisse se faire serait que Cobourg épousât la Reine. " " Mais alors que Cobourg épouse l'infante et M. la Reine. " " Oui c’est égal." Savez-vous qu'il y a de quoi méditer sur cela. Je vous l'envoie tout cru. J'aurai à ajouter verbalement. Aberdeen ne m’a pas dit un mot d'Espagne, seulement en termes généraux s’attendant toujours à quelque événement là.

Midi. Voici votre lettre de Samedi. Nous sommes rapprochés d'un jour, Dieu merci. Vous ne me parlerez pas de votre santé ! Dites-moi que vous vous portez très bien. Merci mille fois des nouvelles, grandes & petites. Tout m'intéresse. J'ai dîné & passé ma soirée hier avec les Cowley. [Geor?] est fort bonne pour moi. Mon temps pourra se passer passablement pendant quelques jours. Je ne décide rien encore. L'Ambassadeur va pour quelques jours en Angleterre. On en fait peu de cas là. J’ai fort bien parlé de lui. Il me semble qu'il sera bien temps que vous reveniez à Paris, c-a-d. à Beauséjour pour toutes vos affaires et qu'il sera surtout fort bon que vous vous rencontriez avec Aberdeen. Il y a à parler sur tout. Mais ce que lui regarde toujours comme la plus grosse difficulté avec la France, la plus grande, c’est ce petit misérable Tahiti. Il me parait que l'entrevue avec Metternich aura été très courte si celui ce n’est allé qu'à Stolzenfels. Adieu. Adieu.
Imaginez que je n’apprends qu'aujourd’hui que le feu était à bord du bateau pendant que je passais dessus ! Adieu. Adieu.

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22 Boulogne Mardi 19 août 1845, 10 heures.

J’ai passée une mauvaise nuit, mon attaque de bile provenant d’un mauvais dîner. A Londres mon dîner & ma santé étaient parfaits. J’ai vu les Cowley à peu près toute la journée hier. C’est une grande ressource. Il est vrai de dire que s'ils n y étaient pas, je ne serais pas à Boulogne.
Londres m’a fait au fond un grand plaisir. Ce sont d'aimables et bonnes gens. C’est de la grande société. Je me trouve dans mon élément, et je n'en ai jamais autant joui. Mes yeux ont été un grand chagrin pour moi seulement parce que je n'ai pas pu vous écrire, car du reste ils ont servi beaucoup à l'agrément de mon séjour. Je vous expliquerai cela c’est trop long pour l’écrire.
L’impression générale que je remporte est, une excellente situation pour Peel, de la résignation du côté de la partie sensée de l'apposition (John Russel) bonne envie de tous de rester bien avec la France. Peu d'espoir que cela dure par plusieurs raisons que je réserve aussi pour la causerie. Très bonne entente avec la Russie et grande confiance de la solidité de cette amitié là. Pas beaucoup de vénération pour le Metternich d’aujourd’hui et complète pitié pour le Roi de Prusse, un extravagant, un fou.
Je suis bien aise que la reine des Belges se soit trouvé à Brüchl. Jeudi pas de lettre aujourd'hui. Qu’est ce que cela ?... la voilà qui arrive. Merci, merci. Surtout de me nommer le 30 août. Quel plaisir nous nous reverrons ce jour-là ; ce sera un Samedi. Samedi en huit. C'est charmant jusque là je me traînerais un peu ici, un peu à Mouchy peut-être. Je ne sais pas bien encore. En attendant adieu, & bien des adieux.

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23. Boulogne Mercredi 20 août 1845 dix heures.

Hier épouvantable tempête, qui dure encore aujourd’hui. Plus de passage. Le dernier était hier matin. Flahaut est venu avec sa fille malade. Il continue aujourd’hui pour Paris. Sa femme vient dans quelques jours. Comme de raison je n’ai pas une nouvelle à vous dire. Les Cowley tout le jour. Nous sommes mutuellement une grande ressource. Je continue à être un peu billious. Je crois que le voisinage de la mer ne m’est pas bon, je reste parce que j’ai quelque ressource de société.
Voici votre lettre. Répétez toujours le 30. C'est si joli. Je ne vous ai pas assez parlé de votre discours. J’en ai été charmée.
Ce que vous dites à l’adresse de l'opposition et de la presse est parfait. Vous rafraichissez les vieilleries, de telle sorte que vous avez toujours l'air de les inventer. Vous êtes dans l’erreur sur le voyage de la Reine. Il a toujours été entendu qu’elle quitterait Stolzenfels le 16, pas avant. Il me parait que le temps là-bas n’a pas été favorable. Je vous remercie bien des directions données à Génie pour le cas où je réclamerais un compagnon. Je vous ferai rire en vous racontant Bulwer. Adieu, adieu. Je ménage mes yeux beaucoup. La causerie en sera sera plus abondante. Adieu. Adieu.

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24 Boulogne jeudi le 21 août 1845 onze heures.

Merci de votre bonne lettre me promettant une bonne soirée pour samedi 30. Quelle joie ! Je ne me sens pas bien près de la mer. Très billieuse. Cependant je reste jusqu'à dimanche je crois. Le temps se passe assez bien ici, & je ne trouverai rien, jusqu'au 30. En fait de société comme comme celle des Cowley je n’ai rien à espérer. Lord Cowley m’a parlé hier dans le même sens qu’avait fait Bulwer au sujet du mariage Montpensier c.a.d. absolue opposition. Il est convaincu que ce sujet aura été abordé entre Metternich, et Aberdeen, et qu’ils aurait été parfaitement d’accord. L’infante, c’est comme la reine. On ne peut pas admettre un mariage français. Il n’est pas allé plus loin et ne m'a rien dit de ce que m’a dit Bulwer. Mais comme lui, il a ajouté " cela peut être après tout une idée très exagérée et même très fausse. Le pacte de famille a été pour la France un fardeau, un embarras, plutôt qu’un bénéfice ; mais enfin le principe est posé nous ne pouvons pas voir renouveller cela. "
Je pense beaucoup à ce que m'a dit Bulwer & que je vous ai mandé. je crois qu'il sera ici demain en tous cas je crois que vous le trouverez encore à Paris. Je l'engage à vous y attendre. La tempête continue. Qu'avez vous dit des troubles de Leipzig ? Adieu, adieu. Mille fois adieu.

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25 Boulogne Vendredi le 22 août dix heures.

Décidément l'air de la mer ne me va pas, j’attends le premier oiseau de passage et je m’envole avec lui. Hier Lord Cowley a passé la journée au lit, malade comme moi d’une attaque de bile qu'il attribue uniquement à l'air de la mer. Midi Votre lettre qui m'arrive à l’instant me prouve que Tahiti vous tracasse. C’est bien cela aussi qui tracasse le plus Lord Aberdeen. Il faut vraiment s’arranger pour que cette épine ne blesse pas sans cesse. Les Cowley trouvent qu'à Londres on est un peu trop exigeant.
Que je voudrais que vous vous vissiez Aberdeen & vous ! Au surplus l’entrevue me parait certaine. Il n’en doutait pas. Passez donc 20 mille à Pritchard & que ce soit chose faite. Comment est-ce qu'on parlemente encore sur ce point au bout d un an ? Le désastre à Rouen est épouvantable à lire. Ici la tempête a été furieuse pendant 36 heures & je disais toujours que la maison allait être renversée. Vraiment elle est solide pour avoir résisté à cette épreuve. Dieu merci vous m'écrivez de Mercredi. C'est mardi qu'a été le plus fort. Adieu. Adieu.
Je serai bien aise d'être à Paris c.a.d. à Beauséjour. Adieu. J’écris toujours courtement à cause de mes yeux, vous le savez bien. Car j'aimerais bien à causer beaucoup. Adieu.

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26. Boulogne Samedi le 23 août 1845
Onze heures

Bulwer n’est pas arrivé encore ; Madame de Flahaut non plus. Voilà une chance de compagnon de voyage. En attendant. on cherche à Boulogne quelque amateur pace qu’après tout, faire venir de Paris est bien long et vraiment trop fort. Lady Alice Peel m’est arrivée hier. Elle demeure chez moi. Elle n'est venue que pour moi, quelle idée ! Enfin c’est de la société de plus. Cowley a aussi quelques visites d'Angleterre. Il est venu & part pour Londres après demain. Je ne puis assez vous dire combien il est bien sur Tahiti. Il veut aller là parler au Duc & à Peel.
Je fais ma promenade en voiture dans la journée avec Lady Cowley & sa fille. Je ne risque de marcher que là où il y a de l'ombre, & pas de vent. & cela est rare à rencontrer à Boulogne. Dans huit jours, quel bonheur ! Vos nouvelles sur la reine d'Angleterre me divertissent. à Londres on s'inquiétait un peu de sa perpétuelle agitation Mais il n’y a pas lieu. Ce n'est que de la fantaisie de principe & de despotisme. Les ministres sont trop complaisants & le public très soumis en renonçant on veut bien contrarier un vieux roi, cela vaut la peine. Mais une jeune femme ! Cela ne compte pas. Brignole est vraiment bien plat. Mais les vrais courtisans sont sincères dans le moment où ils flattent. J'ai été comme cela.
Cowley a envoyé à Lord Aberdeen le petit mot que vous lui avez répondu sur Tahiti. Il veut que cette affaire soit traitée & s'il se peut coulée à fond entre vous et lui sans autre intermédiaire. Il sera à Paris le 10 septembre. Il tremble de la Chambre quand il faudra demander l’argent, & moi aussi. N’y a-t-il pas un moyen d'arranger cela ? Voici Lady Cowley qui me prie de la rapeller à vous. Adieu. Adieu.
Je ne sais vraiment quand je partirai de Boulogne. Je compte toujours sur le lendemain. La seule chose sûre est que je serai à Beauséjour avant vous, si Dieu le permet. Vraiment. Il arrive des accidents si inattendus si effroyables qu'il est presque impie de se croire sûre de quelque chose. Vous ne me parlez pas de cette affreuse catastrophe de Rouen ? Adieu. Adieu. Adieu.

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27 Boulogne Dimanche 24 août 1845
Onze heures

C’est charmant de voir commencer la semaine où nous devons nous revoir ! Voici votre lettre de vendredi, vous y pensez aussi beaucoup. Que de bonne causerie nous aurons ensemble ! Bulwer s'annonce pour aujourd’hui, S'il veut m'accepter, nous irons ensemble ; si non, j’ai d’autres ressources. Le temps a été beau hier, je me promène mais pas beaucoup. Je suis en constante défiance de mes yeux. Je crois que l’Impératrice ira en Italie. Mad. Fréderic me l’a mandé aussi. J'ai eu à Londres, une lettre de mon bon Constantin. Il campait dans la neige, voici cette lettre. Elle vous intéresse pour lui. Gardez la moi je vous prie pour me la rendre.
Moi, j’ai peur des Montagnards. ils reculent, ils attirent, & Dieu sait ce que nous trouverons au delà. Rien de plus fin qu’un asiatique. Bulwer a dit à Londres ce qu’il pensait de Lyon, c.a.d. qu'il en a très mal parlé. On lui a répondu par le Duc de Norfolk. Je passe mon temps ici assez doucement. Ma bile s’est calmé. Je renonce tout-à-fait à Mouchy ; cela m'ennuierait. Adieu, adieu. Adieu.

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28 Boulogne lundi le 25 août 1845

Vous ou Génie m'avez joué un bien mauvais tour. Point de lettres ce matin, j’avais tant répété et écrit à Génie de continuer jusqu’à nouvel avis ! Vous voyez que je m'en prends à une étourderie ne voulant pas croire pire. Bulwer n’est pas arrivé encore, il faudra partir avec un étranger. J’aurais attendu encore deux jours mais vos lettres n’arrivant plus je serais inquiète. Comme c’est mal fait à vous ou à Génie. Quel mal si une lettre ne me trouvait plus à Boulogne ; elle avait toujours le temps de revenir à Paris avant moi. Vous n’êtes pas des practical people, & vous ne pensez pas assez à mes joies ou à mes peines. La correspondance était allé si bien ! Pouquoi innover ? C'était à moi à la régler, je sais mieux mes [?] que vous. Voyez-vous comme je retrouve des yeux lorsqu’il s’agit de vous quereller ?
Lord Cowley part aujourd'hui. Mad. de Flahaut est arrivée hier. Je ne l'ai pas vue encore.

1 heure. Voilà votre lettre, déchirez la première page et pardonnez moi. Je ne me gouverne pas. Vous me pardonnez n’est-ce pas ? Mad. de Flahaut s'en va à Eu. Je viens de la voir un moment Lord Cowley est vraiment excellent. Vous serez content de lui. Certainement vous verrez Bulwer, & je crois que vous pouvez vous fier à lui sous le rapport d’une extrême envie de rester bien ami ici. Adieu. Adieu. Je vais écrire un mot à Génie au sujet de mes lettres. Il me semble que je partirai après-demain. Adieu, merci, pardon, adieu.

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29. Boulogne Mardi le 26 août 1845, neuf heures

Pas de Bulwer. Il faudra m'embarquer avec un inconnu. Un révérend de Boulogne dont je vais faire la connaissance ce matin, je deviens bien impatiente de vous revoir, de causer avec vous. Nous voilà avancés dans notre semaine. Quel plaisir de se dire cela. Lord Cowley a eu hier une traversée fabuleuse. Le même bâteau se retrouvait à Boulogne au bout de cinq heures. Madame de Flahaut a bien envie qu'Andral lui conseille de passer l'hiver à Paris. Je vous préviens de cela ; avisez car cela ne vaudrait rien. C’est toujours la même Mad. de Flahaut au fond.

Midi. Voici votre lettre de dimanche. J'ai du malheur pour la cuisinière. Mais enfin le mois de Septembre coulera sous la protection de Guillet. Et vendredi je trouverai moyen de me nourir à Paris. Je compte partir demain matin pour aller coucher (très mal) à Granvilliers. Jeudi je serai à Paris. J'y trouverai deux lettres j’espère. Adieu. Adieu. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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30 Boulogne Mercredi le 27 août 1845 7 heures du matin

Je pars, et je veux vous dire adieu. Je prends avec moi le révérend Groves, prêtre Anglais de Boulogne. Bulwer arrive dans ce moment mais ... des aventures. Je vous divertirai. Adieu. Adieu Mille fois adieu.

Mots-clés :

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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31. Rue St Florentin, jeudi 28 août 1845
3 heures

Me voici arrivée à temps pour vous le dire encore aujourd’hui. J’ai bien fait mon voyage. Mon compagnon, un brave homme. Je viens d'envoyer chez Génie demander mes lettres & sa visite. Personne de reste ne sait ma venue. Je suis un peu fatiguée & je pense à Samedi avec transport. J'espère que c'est bien samedi, après demain, le 30. Adieu. Adieu. Adieu.
Voici vos trois bonnes lettres. Merci, merci, mille fois adieu. à Sameit adieu. Ah mon Dieu ! Mon bien aimé Constantin blessé, blessé plusieurs fois. On dit pas de danger comment puis je le croire. Le Malheur me poursuit. Ah que j'ai besoin de vous. Ce cher Constantin. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Evreux samedi 12 août 1843, 6 heures

J'arrive. J’ai été très vite car je ne suis parti d’Auteuil qu'à 12 heures moins un quart. Vous aurez vu Génie qui vous aura dit ma visite. Rien de nouveau mais un assez vif désir de prendre les rênes de l’affaire, au nom de la légitimité qui abdiquera, et assez d'humeur contre l'Aquilo. Très bien du reste pour nous, et une nuance de raillerie sur les Anglais. Mes lettres à moi, venues par courrier français redisent exactement les mêmes choses. Flahault est un bon truchement. Voutchicth et Pit s'en vont, quand le sénat leur aura dit de s'en aller. Mais c’est une pure forme. J’aimerais bien mieux vous dire tout cela. Où êtes-vous ? Que faites-vous ? Je voudrais régler et remplir de loin vos journées. On ne peut rien de loin. J’ai tort. Je voudrais que vous vissiez tout ce qu’il y a en moi de loin comme de près, Vous ne diriez pas que ce n’est rien. Adieu Adieu.
On m’appelle pour dîner. Nous repartons demain à 9 heures. Il a fait bien beau malgré des nuées de poussière. J’ai trouvé ici, dans l’auberge. M. de Salvandy qui vient se faire élire membre, du Conseil général. Très amical. Il me cède son appartement, qui est le meilleur de la maison. Adieu. Adieu. J’espère que j'aurai demain, en arrivant au Val-Richer, quelques lignes de vous. Me trompé-je ? Adieu

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Evreux. Dimanche 13 août 7 heures du matin.

Je monte en calêche. Je ne ferai que changer de chevaux à Lisieux. J’y mettrai ceci à la poste. Soyez tranquille. Il ne m’arrivera rien en route. Si quelque chose m’arrive je m’arrêterai à Lisieux, et je l’ajouterai à mon billet. Avez-vous dormi ? Je me suis couché à 9 heures. Il fait toujours beau. Vous irez aujourd’hui dîner à Versailles moi au Val Richer. 46 lieues entre nous. C’est trop loin. Il faut tout au plus entre nous 50 centimêtres. Adieu. Adieu. Demain, je vous écrirai à mon aise. J'ai bien des choses à vous dire. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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3. Je mets 3 à cause de mes deux billets d’Evreux non numérotés.

Du Val Richer. Lundi 14 Août 1843, 6 heures du matin

Que je vous remercie ! Vous êtes charmante. Je comptais sur une lettre ; et encore vous ai-je fait une sotte question. J'en ai trouvé deux. Ne craignez jamais de me fâcher. Dites-moi toujours tout. Tout me plait venant de vous. Je ne me pique point de n'avoir jamais pour ceux que j’aime, pour ma mère surtout, quelque complaisance quelque faiblesse si vous voulez. Vous y êtes vous-même pour quelque chose. J’ai tort de vous dire cela ; je touche là une triste corde. Mais moi aussi, je vous dis tout. Le spectacle d’un fils que n’est pas pour sa mère ce qu’il doit être m'a tellement blessé que cela a tourné au profit de la mienne ; et je suis devenu, pour elle, plus soigneux, plus affectueux qu'auparavant. Il est vrai qu'elle et mes enfants avaient un très vif désir de ce voyage. Il m'a plu de leur donner ce plaisir. Je n'ai pas perdu ma bonne intention. Ils sont dans le ravissement.
Je mentirais, si je ne disais pas que je prends aussi quelque plaisir à la vue de mes bois, de mon jardin, de ma bibliothèque, de ma serre, de mes orangers. Le soleil brille ce matin ; ses rayons percent avec éclat une vapeur légère et fine qui flotte encore sur les bois et les près, les plus verts du monde. C’est charmant. Mille fois moins charmant qu’un moment près de vous, une parole, un regard de vous. Croyez-moi dearest, car je vous dis tout. Ne soyez pas jalouse de mon plaisir d’ici ; il ne le mérite pas. Mais pardonnez-moi de le sentir.
Puisque le mot de jalousie est venu là, sachez que vous êtes vous dans ma maison, pour ma mère surtout un objet d'immense jalousie. Si je n'étais pas venu ici elle aurait été parfaitement convaincue que vous seule en étiez la cause. Vous la comprendrez et vous ne lui en voudrez pas. Vous avez le cœur si juste ! Gardez-moi pourtant tout ce que vous m’avez montré le jour où vous m’avez dit qu'avec moi seul vous n'aviez ni justice, ni impartialité. Je déraisonne. Je vous demande les contraires. Oui, je vous les demande, bien sûr de vous en récompenser amplement. Je ne crains jamais d'être en reste avec vous.
Le 26. Politiquement soyez tranquille. Le jour où mon absence aura un inconvénient réel je partirai sur le champ. Je suis très attentif à cet égard. Je ne vous retire point la question d’un Ambassadeur à envoyer à Madrid. Si elle vient, elle me ramène le lendemain. Dans la nuuit de samedi à dimanche, à Evreux, à une heure du matin, le directeur de la poste m'a réveillé pour m’apporter une lettre du Ministre de l’Intérieur, disait-il. J’ai cru que j'étais rappelé à Paris. Ma première, bien première impression a été de plaisir, de plaisir pour Beauséjour. Il n’y avait point de lettre de Duchâtel. C’était tout bonnement des papiers que Génie m'envoyait et qui auraient fort bien pu attendre mon réveil. Il y avait pourtant une lettre du Roi. Bonne à voir, tant elle montre son sincère éloignement pour le mariage Espagnol, son vif désir de s’entendre avec l'Angleterre, et son humeur de ce brouillard si épais de préjugé, de méfiance et de crédulité qu'il ne peut parvenir à dissiper. Je vous quitte pour lui écrire. Je vous reviendrai quand la poste sera arrivée. Adieu. Adieu. Cent fois, adieu.

10 heures
Que j’aime le N °31 ! Si Oudinot a passé à Copenhague je ne comprends pas qu’il n'aille qu'à Ems ou à Vienne et s’il n’y a pas passé, je ne comprends pas où St. Priest a pris ce qu’il m'a dit. Oudinot n'aurait-il voulu aller à Pétersbourg qu'en cachette pour porter lui-même ses regrets à l'Empereur et revenir aussitôt. Ce serait bien galant. On écrit de Madrid qu'Aston fait ses préparatifs de départ. Vous me renverrez ce que je vous envoie. Adieu. Adieu. Il faut que j'écrive au Roi, à Désages et à Génie. Adieu. Au 26.
Ni brigands, ni accidents, ni maladies.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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4. Au Val Richer, Mardi 15 août 1843,
7 heures du matin

Quel ennui d’être loin ! J’aurais mille choses à vous dire, votre avis à prendre, car j'ai besoin de votre avis. Il n'y a pas moyen d’écrire tout cela. J’ai une première réponse de Londres, une première conversation de Chabot avec Aberdeen, des hésitations, des embarras, des pusillanimités, des susceptibilités, des prévoyances, des méfiances à l'infini, et à travers tout cela, un désir sincère de s’entendre avec nous, un fort instinct que cela se peut, qu’il n’y a que cela de sensé que c'est pour eux, le seul moyen de sortir d'une mauvaise situation. Et c'est de si loin que j’ai à traiter avec toutes ces impressions, toutes ces nuances de dispositions qui seraient déjà bien assez difficiles à manier de près !
L’estafette m'a réveillé à 2 heures et demie J’écris depuis ce temps-là au Roi, à Chabot, à Génie. Je viens de renvoyer l’estafette et je vous écris à vous, pour me rafraîchir. J'étais venu ici pour me promener, et ne rien faire. Ce n’est pas le tour que je prends. Je me suis beaucoup promené hier. J’ai arrosé mes fleurs. J'en ai beaucoup et de charmantes, des raretés. Vous les aimeriez. Ce matin, il y a un brouillard immense. Il enveloppe tout. Il fera très beau à
Midi. Vous n’avez nulle raison d'être inquiète ; mais vous avez grande raison de m’aimer plus que jamais et de me le dire. Mon plaisir à l’entendre mérite tout ce que vous voudrez. Je crois aussi que Salvandy acceptera Turin. Pourtant il n’y a jamais à compter sur les esprits mal faits, et mal faits surtout par la vanité. Ils déjouent toute prévoyance. Je vais faire ma toilette en attendant la poste. Puis j’essaierai de dormir un peu. Je m'étais couché hier avant 10 heures. Mais de 10 heures à 2 heures et demi, c’est trop peu de sommeil.
10 heures et demie. C’est charmant deux lettres. Oui, il y a, en ce moment, un inconvénient réel à être loin et très probablement je n'attendrai pas, le 26. N'en dites rien à personne. Je suis frappé d'Espartero faisant un manifeste donc n'abandonnant pas tout-à-fait la partie. On fera de lui, si on veut, un instrument d'intrigues en Espagne, et on le voudra, si nous ne nous accordons pas. Tout cela a besoin d'être conduit avec une grande précision et heure par heure. Je suis bien aise que vous ayez reçu une lettre de votre frère. Il paraît certain que l'Empereur ira à Berlin. On l’y attend. Bresson me mande que M. de Bülow est revenu en très bon état. Je vous quitte pour Génie à qui j’ai plusieurs choses à dire. Adieu. Adieu. Soyez charmante tous les jours, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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5. Au Val Richer, Mercredi 16 août 1843,
8 heures

J’ai encore été réveillé cette nuit par une estafette du château d’Eu. Le Roi me consultait sur la conversation qu’il doit avoir un de ces jours avec Salvandy à propos de l’Ambassade de Turin. Mortier voudrait bien aller à Turin et le Roi est bien disposé pour lui. Mais je suis sûr que Salvandy ne voudra à aucun prix de la Suisse, la plus petite des Ambassades, petite pour sa vanité ; petite pour sa bourse. C’est déjà beaucoup de lui faire accepter Turin. J’ai prié le Roi de ne parler que de Turin. Pour ceci, le Val Richer n'a causé aucun retard. L’estafette vient aussi vite d'Eu ici que d’Eu à Paris. Mais en tout, cela ne peut pas aller. La situation est trop grave, trop délicate, trop pressante pour admettre des retards au moins de 24 heures souvent de 48. Je Je m’arrange pour partir d’ici lundi ou mardi, le 21 ou le 22.
Mon Conseil général, les électeurs qui voulaient me donner un banquet en auront de l'humeur. J’en suis fâché, car ils sont très bien, et je tiens à ce qu’ils soient très bien pour moi. Mais il n'y a pas moyen. J'ai vu beaucoup de monde hier et je les ai préparés tous à ce désappointement. Dearest, de quel mot je me sers là! Admirez l'empire des situations. C’est au désappointement de mes électeurs que je pense quand je dois vous revoir cinq jours plutôt. Vous me le pardonnez n’est-ce pas ? Croyez-moi ; vous pouvez me tout pardonner, chaque nouvelle séparation, chaque jour de séparation me fait mieux sentir tout ce que vous êtes pour moi. Que de choses à nous dire ce jour charmant où nous nous reverrons et tous les charmants jours suivants Je vous crois parfaitement quand vous me dîtes que ce n’est pas à vous que vous pensez quand vous me parlez de la nécessité de mon retour. Vous ne m’avez pas envoyé la lettre d'Emilie. Je la plains de se marier sans goût. L’intimité de la vie quand celle du cœur n’y est pas me paraît odieuse à 55 ans comme à 20. Emilie s’y accoutumera comme presque tout le monde s’y accoutume. Mais il en résulte une certaine décadence intérieure qui me déplait infiniment. Il pleut ce matin. Je vais faire ma toilette. Je vous reviendrai dans une heure Adieu jusque là.
10 heures Voilà bien une autre raison de revenir plutôt. Mon courrier de Paris me manque ce matin, tout entier, journaux comme dépêches, et vous par dessus tout. Je n'y comprends rien. Mais quelle que soit la cause, l'effet me déplait horriblement. Quelque négligence, un quart d’heure de retard du commis expéditeur au Ministère. C'est odieux. Je vais me plaindre amèrement à Génie. Adieu. Adieu. Ma journée sera bien longue. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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6 Du Val Richer Jeudi 17 août 1843
8 heures

Mon paquet retardé m’est arrivé hier soir, à 10 heures et demie. J'étais déjà couché. Par je ne sais qu’elle méprise du courrier, ce paquet était allé me chercher à Bayeux d'où on me l’a renvoyé. Je vais demander des explications et faire reprimander sévèrement le courrier. Mais j’ai le cœur content depuis que j’ai mes lettres, c’est-à-dire ma lettre. Il n’y avait rien de grave dans le paquet des dépêches, et le retard n’a point nui. Je n'en viens pas moins de régler notre départ pour lundi 21. Nous irons coucher, à Evreux ; et je serai à Auteuil mardi dans la matinée. Il serait possible que je fusse obligé de ne partir d’ici que mardi et de n’arriver à Auteuil que Mercredi. Mais j’espère lundi.
Vous ne croyez pas au 26. Vous aurez, nous aurons mieux. Je suis bien aise que Bulwer aille à Londres. Vous lui avez très bien parlé très véridiquement et très utilement. On fera une faute énorme si on fait du bruit contre le mariage Aumale. Au fond, si nous voulions ce mariage, si les raisons françaises et Espagnoles étaient en sa faveur, je n'aurais pas grand peur de ce bruit Européen. Je le crains parce qu'il est inutile et deviendrait fort dangereux s’il faisait de ceci, pour la France et pour l'Espagne, une question d’indépendance et de dignité nationale. Du reste, je ne sais pourquoi je vous répète là ce que vous avez dit à Bulwer. M. de Metternich, sous des apparences réservées et douces, me paraît bien préoccupé du comte d'Aquila, préoccupé surtout de la crainte que le Roi de Naples ne reconnaisse, avant l’Autriche, la Reine Isabelle, et ne s'échappe ainsi du bercail, comme fit, il y a quatre ans le Roi Guillaume. Il y aurait là, en Italie un acte et un germe d'indépendance qui lui déplairait fort. C’est évidemment une affaire qu’il faut conduire sans en parler beaucoup, et sans admettre une discussion préalable. En tout, je ne m’engagerai dans aucune discussion de noms propres. Je resterai établi dans mon principe, les descendants de Philippe V. C'est à l'Espagne à prononcer et à débattre les noms propres. Votre Empereur a déclaré aux Arméniens Schismatiques, dont le Patriarche est mort dermièrement qu’il ne consentirait à une élection nouvelle qu'autant que la nation entière reconnaitrait la suprématie spirituelle du Synode de Pétersbourg. La nation a refusé. L'Empereur a interdit toute élection et confisqué en attendant les biens du Patriarche, qui sont considérables, dit-on. Cela fait du bruit à Rome. Le Pape protégera les Schismatiques contre l'Empereur.
La lettre d'Emilie est bien triste. Et celle de Brougham bien vaniteuse.
10 heures
Voilà les numéros 7 et 8. Vous avez très bien fait. Je crois comme vous, à la vertu de la vue de ce qui a été écrit sans intention. Je ne réponds plus sur le 20. Il est devenu le 22. Je vous quitte. J’ai à écrire à Génie et à Désages. Je ne crois pas à Espartero sur un bateau à vapeur entre à Bayonne. Ce serait trop drôle. Adieu. Adieu. Je suis charmé que l’air de Versailles vous plaise. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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7. Du Val Richer. Vendredi 18 août 1843,
7 heures

Dans quatre jours, je serai en route vers vous. Dans cinq. je serai près de vous. Comment se quitte-t-on quand on a un tel plaisir à se retrouver ? Nous avons bien peu de sens et de volonté. Nous sommes à la merci de ce qui ne nous fait rien. Nous sacrifions sans cesse le fond à la surface. Dieu doit nous prendre en grande pitié. J'écris ce matin, au Président d’âge de mon Conseil général pour lui dire que je n'irai pas, et pourquoi. C’est une réunion qu’il faut traiter avec égard. J'écris aussi à quelques membres, pour leur recommander les affaires des cantons que je représente et qui pourraient bien être négligées en mon absence.
Vous ne comprenez rien à ce que je vous dis là, et cela ne vous fait rien. Vous êtes la personne la plus étrangère aux détails de toute situation, de toute vie qui n’a pas été la vôtre. Et pour la vôtre, personne ne comprend et ne soigne mieux que vous les détails, et la pratique de tous les moments. Vous resterez comme vous êtes, et c’est ce qui me plaît. J’ai renvoyé hier à Désages ma dépêche pour Chabot avec le changement désiré. J’avais voulu que le changement fût approuvé à Eu précisement parce que la dépêche n’avait été vue qu'après avoir été envoyée. Elle sera de retour, à Londres après demain, et j'espère qu’elle y sera le point de départ d’une politique un peu nouvelle. Je mets beaucoup de prix à changer, sur l’Espagne la vieille politique de l'Angleterre par intérêt public et par orgueil personnel.
Vos conversations avec Bulwer ont été excellentes. J’ai écrit à Flahault pour qu’il se gardât un peu du Prince de Metternich à qui évidemment notre succès ne plaît guères, et qui veut trop le mariage D. Carlos et pas du tout le mariage Aguilla. J'ai peur que Flahault ne soit aussi trop bien avec lui et n'évite trop d’avoir un autre avis que le sien. Espartero est donc décidément à Bayonne. S'il ne fait comme sa femme, que traverser la France pour aller en Angleterre, peu m'importe. Mais s’il entendait rester en France, il y aurait à y bien regarder D. Carlos, Christine et Espartero ! En attendant, j’ai écrit au Ministre de l’Intérieur qu'il ne fallait à aucun prix, le laisser séjourner près des Pyrénées. Au moins aussi loin de l’Espagne que Bourges. On m'écrit de presque tous les points de l’Espagne que sa fuite précipitée, quand la dernière bombe venait à peine de tomber sur Séville fait baisser la tête de honte à tous ses partisans.

10 heures et demie M. de Beauvoir, un jeune attaché fort intelligent m’arrive à l’instant de Londres. Chabot me dit de le faire causer et qu’il est fort au courant. Sa conversation est bonne. Lord Aberdeen ne demande pas mieux que de se concerter avec nous et de nous aider en fait, à réussir dans le mariage Philippe V. Tout ce qu’il désire, c’est que nous lui épargnions le calice du principe. J’en suis d'accord et ma dépêche est partie. M. de Beauvoir croit qu’elle sera acceptée avec joie et mise en pratique. Sur ce adieu, car il faut que je renvoie le jeune homme à Paris, et j’ai encore plusieurs lettres à écrire. Adieu. A mardi. Je serai à Auteuil avant 4 heures. Adieu. G.
Voilà votre n°9. N'ayez donc pas de point de côté. Ne vous levez pas sans vous couvrir. Il ne faut pas être si remuante quand on est si délicate. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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8 Val. Richer, Samedi 19 Août 1843
8 heures

Je viens de dormir neuf heures de suite. Il y a longtemps que cela ne m'était arrivé. J’ai beaucoup marché hier. Le soir, j'étais rendu. J'espère bien qu'il n’est plus question de votre point de côté.
Je n’avais pas bonne idée de votre essai de coucher à St Germain ou à Versailles. Quand on parviendrait à réunir, dans une chambre d’auberge, tous les conforts possibles, comment arranger le dehors, le bruit, le mouvement, les chevaux, les postillons, les voyageurs ? Il faut voyager ou rester chez soi. Enfin nous serons à Beauséjour, mardi. Il fait toujours beau. Je compte, pour nous, sur un beau mois de septembre.
Je ne parviens pas à voir comme vous l’Espagne en noir. Sans doute la situation est grave et difficile ; il faut y bien regarder, et la suivre pas à pas. Mais au fond, elle est bonne, très bonne ; et en définitive, après toutes les oscillations et tous les incidents possibles, c’est le fond des choses qui décide. La conduite sera bonne aussi. J’ai de plus maintenant l'autorité car j'ai réussi. Je m’en servirai au dedans et au dehors. Au dedans, je crois à ma force dans la discussion. Au dehors, je crois au bon sens anglais. Voilà ma confiance. Voici mes craintes, car j’en ai plus d'une. Je crois que les Espagnols les vrais meneurs ne veuillent absolument un grand mari, et que ne pouvant avoir Aumale, ils ne reviennent au Cobourg. Je crains que malgré le bon sens de Londres, les vieilles routines Anglaises et Palmerstoniennes ne persistent dans les agents secondaires et éloignés, que l’esprit d’hostilité contre la France ne les porte à fomenter toujours en Espagne, les intrigues Espartéristes et radicales. Je crains que la bouffée de raison et de modération qui souffle en ce moment en Espagne, ne soit courte, et qu’on n’y retombe bientôt dans l’anarchie des passions et des idées révolutionnaires. Trois grosses craintes, n'est-ce pas ? Je m'y résigne. Il y a, dans le fond des choses de quoi lutter contre ces périls-là. Je sens tout le poids du fardeau que je porte. Mais je suis convaincu que les hommes qui ont gouverné leur pays, dans les grands temps n’en portaient pas un plus léger. Il faut accepter sa condition.

10 heures Voilà le 10. Je suis charmé que le point de côté soit passé. Vous avez toute raison de ne pas choquer la jeune comtesse. Je ne partirai d’ici que mardi, et ne serai à Auteuil que mercredi. Je reçois à l’instant même une lettre du Roi, qui m'avertit que Salvandy est parti d'Eu hier soir et viendra demain au Val-Richer. Tout n'est pas arrangé, bien s'en faut d'après ce que me mande le Roi. Pourtant il y a du progrès. Il faudra que j'aille faire une course à Eu dans les premiers jours de septembre ! Je l’ai promis au Roi et il me le rappelle encore aujourd'hui. Ce sera deux nuits en voiture et 36 heures de séjour. Je vais lire le discours de Palmerston sur la Servie. On m'écrit de Londres qu'il a fait de l'effet, et la réponse de Peel pas beaucoup. Adieu. Adieu. Je n’aime pas ces 24 heures de séparation de plus, mais il le faut.
Adieu. Cent fois G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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9. Val Richer, Dimanche 20 août 1843
10 heures

Je serai bien court aujourd’hui. C’est un jour d'audience universelle. J’avais déjà trois visites ce matin, à 8 heures. On sait mon départ mardi. Tout le monde viendra. Et j’attends Salvandy dans la journée. Mes nouvelles d’Espagne sont bonnes. L’union des coalisés persiste et s'affermit au lieu de s’ébranler. Prim est chargé de pacifier Barcelone. Nous verrons bientôt une autre coalition, la Carlo-républicaine. Déjà on m'avertit que les Coalisés se remuent beaucoup. Coalition contre coalition. Olozaga viendra à Paris comme Ambassadeur vers la fin de septembre. On nous demandera d'en envoyer un à Madrid après le serment de la Reine aux Cortes. Jusqu'ici ce sont des affaires conduites sensément, sans presse et sans peur.
Espartero, en arrivant à Lisbonne a fait demander les honneurs de Régent. Le Ministre d’Espagne lui a fait dire qu’il avait reconnu, il y a deux jours, le gouvernement de Madrid, et le Cabinet Portugais qu’il allait le reconnaître. Espartero a déjà les illusions d'un émigré. Comme le monde va vite !
Ecrivez-moi encore demain. J’aurai votre lettre mardi matin, avant de partir. Le Roi de Prusse s’est personnellement. rejoui de la chute d’Espartero. Et Bülow aussi. Mais le travail anti-français est toujours bien actif en Allemagne. Il n’y aura pas de divorce légal entre le Prince et la Princesse Albert ; mais séparation de fait. Quand nous sommes ensemble à défaut de grandes nouvelles, il y a nous. Mais de loin, rien que des petites nouvelles, c’est pitoyable. Que Mercredi sera bon !
Piscatory fait très bien en Grèce. La conférence de Londres a adopté toutes ses vues. Adieu. Adieu. J’ai mon paquet à fermer et des gens qui attendent. Adieu, encore. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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10 Du Val Richer, Lundi 21 août 1843

Voici mon dernier numéro. Mercredi sera charmant. Il me semble que je viens de passer dix jours absolument seul sans voir personne, sans parler à personne et que je retrouverai Mercredi, ma société à moi, toute ma société.
J’ai pourtant beaucoup écouté et beaucoup parlé hier soir. Salvandy a passé deux heures dans mon cabinet. Il est toujours bien perplexe. Le Roi ne l’a pas décidé. Je crois avoir un peu plus avancé hier. Mais ce n'est pas sûr. Par malheur pour lui, plus je l’entends, plus ma conviction qu'il ne peut pas retourner en Espagne s'affermit. Soyez tranquille. Il n’y a point de chance de faiblesse. Et en même temps je dois le dire, je le trouve plus honnête, plus touché des bons motifs que je ne le croyais. Il me demande de marier sa fille. Si je marie sa fille, il ira où je voudrai, n’ira pas où je ne voudrai pas. Il sera parfaitement content. Elle a vingt ans, de l’esprit, pas jolie, fort peu d’argent, quelques espérances et elle lui dit : " Mon père, prenez garde ; se brouiller avec le Cabinet, c’est se brouiller avec le Roi, et le parti conservateur." Je crois qu’en définitive. il prendra Turin. Il me revient de Madrid qu'Aston laisse voir quelque envie d'y rester. Il a fait donner par le Chargé d'affaires du Danemark, M. d'Alborgo, un dîner au Duc de Baylen. Tout le corps diplomatique y était. Aston a été fort poli, et presque caressant avec tout le monde. En même temps pourtant il parle mal du nouveau gouvernement. A propos du départ de Prim comme gouverneur de Barcelone il disait : " Il va se faire fusiller, ou bien il bombardera Barcelone, ou bien il se mettra à la tête d’une nouvelle insurrection. " Prim répond bien qu’il ne fera rien de tout cela. Il est tout-à-fait dans la main du Général Serrano qui me parait de plus en plus, l'homme de tête et de cœur de l’évènement. Narvaez se conduit plus sagement et avec moins de prétentions que dans les premiers jours.
Il a plu hier au soir par torrents. Ce matin le soleil reparait. En tout ces dix jours ont été très beaux. J'en ai joui à St Germain autant qu’au Val-Richer. Avez-vous fini par vous arranger avec les gens d'écurie comme avec les coqs de Beauséjour ? Je sais bon gré à la jeune Comtesse de ses soins pour vous. Je chercherai quelque manière de lui faire plaisir.
Je commence à croire tout-à-fait que le général Oudinot n’a pas été à Pétersbourg. Il y serait depuis longtemps et d'André me l’aurait écrit. Nous aurons fait de la sévérité en l’air. Il n’y a pas de mal. Il en saura quelque chose, l'Empereur aussi, et l'effet en sera bon. J’espère que d'André aura eu l’esprit de ne pas tenir absolument caché ce qu’il était chargé de faire en cas. Je vous quitte, selon ma coutume, pour ma toilette.
Je vous reprendrai tout à l'heure. Adieu. Adieu.

10 heures Je ne vous reprends que pour deux minutes. Il m’arrive une foule de dépêches que je veux lire avant de les renvoyer. Elles me conviennent en général. Celles de St. Domingue sont très bonnes. Je ne vous ai jamais parlé de cette affaire-là. J'y mets de l’importance. Le Prince de Joinville et le Duc d’Aumale vont en se promenant en mer, faire une visite à Woolwich, et de là à Windsor. Je suis toujours bien aise qu’on les voie. Adieu Adieu. A après-demain.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Paris, Samedi 15 Juin 1844
4 heures et demie

Je n’ai rien à vous dire sinon que cela me déplaît que vous soyez partie. Jouissez bien du beau temps. de la forêt, de l’air nouveau. Au moins faut-il que mon déplaisir vous soit bon à quelque [chose]. Ceci est d’un bon caractère, n'est-ce pas ?
Le Prince de Joinville est venu au Conseil, très content de sa mission et très sensé sur sa mission. Il se donnera beaucoup de peine pour ne pas tirer de canon, quoiqu'il eût beaucoup de plaisir à en tirer. Je crois qu’il n’en tirera pas. Pourtant je reçois à l’instant même une lettre de Bresson qui me dit (10 Juin) : " Le général Narvaez croit savoir qu'Abdel Kader cherche à détrôner l'Empereur de Maroc, et qu'il est près de réussir et de se mettre en son lieu et place, pour ensuite soulever l'Empire et marcher contre nous. Avez-vous quelques indices analogues ? " J’ajoute ceci en post-soriptum à une lettre que j’ai écrite ce matin à Saint-Aulaire sur cette affaire là, et où je lui disais que ce n’était pas à l'Empereur Abdue Rhaman, mais au fugitif Abdel Kader, que nous avions affaire dans le Maroc. On verra à Londres, que nous sommes bien informés, et que si nous avons la guerre, c’est que nous n'avons pu l’éviter.
Je viens de lire dans une lettre de Londres, cette phrase-ci sur l'Empereur : " Pourtant ce Barbare a donné quelques leçons de politesse au Prince Albert qui en a grand besoin; et qui en éprouve beaucoup d’humeur. " La lettre est de Mad. Baring. Ne dites pas son nom. Adieu
Je vais partir pour Auteuil. Je ne sortirai pas ce soir. J’ai conseil demain à Neuilly. Quel dommage que Fontainebleau ne soit pas à Meudon ! G. Adieu. Adieu. Adieu.
Le 1er mai, on a célébré à Jérusalem la fête du Roi avec une solennité & un concours immense des Chrétiens, Juifs, Musulmans, Druses etc. On a dit la messe et prié pour lui sur l’autel du St Sépulcre. Il est le premier Roi pour qui cela ait eu lieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Auteuil - Dimanche 16 juin 1844.
Midi

Merci de votre billet d’hier soir. Je l'espérais, sans être sûr que ce fût possible. Entre nous, il n'y a de limite que l’impossible. Comment, nous nous sommes quittés le 15 Juin ! Nous avons eu tort. Mais ce tort là ne m'inquiète pas. Nous en sommes à ce point où rien ne peut plus inquiéter. Ayez la même confiance. Vous ne savez pas avoir confiance, toute confiance. Je répète que votre expérience de la vie doit avoir été bien froide, et triste. Vous avez grand peine à croire à l'affection parfaite, à l’intimité parfaite, au dévouement parfait. C’est très rare, mais cela est possible et cela est. Adieu. Adieu.

Je ne finis pas, mais j’ai envie de vous dire adieu. Je n'ai rien ce matin, sinon des nouvelles de Washington qui vous touchent peu. Vous avez tort. Il y a là une question, l’indépendance du Texas qui amènera une rupture entre l'Angleterre et les Etats-Unis. Cette rupture amènera la dislocation des Etats-Unis en deux ou trois Etats séparés. Et nous aurons nous un parti très délicat à prendre dans cette lutte. Mon opinion est presque arrêtée. Je vous en parlerai, s’il y a moyen de vous intéresser à ce monde-là. Mais mon opinion sera difficile à faire adopter autour de moi. N'importe. Je commence à me blaser sur cette difficulté.
On parle beaucoup en Italie surtout dans les Légations du Duc de Leuchtenberg. Les mécontents se servent de son nom. On parle de lui dans des proclamations imprimées. La Cour de Rome ne s'en inquiète pas, mais s'en étonne un peu. Le Duc d'Anhalt Dessau vient à Paris pour consulter les médecins. En demandant à Humann de viser son passeport, il a écrit : " dast es sein Vorsatz wäre, werm der Körperliche zustand es irgend zulässe, Si Majestät dem Könige Louis-Philippe, auf zu warten, und sich dier zus besondern Ehre acchnen wurde. " Humann a visé le passeport. M. Pasquier épousera Mad. de Boigne.
Je viens d'avoir à déjeuner le duc de Broglie, M. Rossi, le comte Dalton, M. Libri, Génie & &... Rien de nouveau sinon une vive préoccupation de la nomination de la Commission sur l’instruction secondaire, qui aura lieu demain dans nos bureaux. Thiers désire avec passion en être. Nous verrons. Il a bonne chance, car il est président de son bureau. Adieu. Je vais au Conseil. Toujours pour le Prince de Joinville et le Maroc. Nous en finirons pourtant aujourd’hui. Le Prince part demain. Adieu Adieu.
Génie attend ma lettre pour l'emporter à Paris. Adieu. A demain. Hélas, M. Beauvais ! Je n'y comptais pas. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Auteuil, Samedi 22 Juin 1844, 9 heures

Certainement, j’irai dîner avec vous demain. J’irai en sortant du Conseil de Neuilly. Profitez du beau soleil et du bon air. Ennuyez-vous un peu, pas assez pour vous faire mal. Cela durera ce que cela pourra. Le jour où vous reviendrez à Paris, je serai charmé. Mais je ne veux pas que vous y reveniez un jour plutôt.
J’ai fait écrire hier sur le champ, par Génie, au Préfet de Rouen de qui dépend le Havre, pour qu’il retînt par devers lui jusqu’aux premiers jours de Juillet, l'exequatur de Pogenpohl que j’ai signé par mégarde, au milieu d’un tas de papiers insignifiants que je signe sur la foi du Chef de service. Je crois même, d'après ce qu’on m’a dit, que ceci était signé, avant que vous m'en eussiez parlé. Mais c'est réparé. Pogenpohl peut se tenir tranquille à Paris, et n'aller au Havre que du 1er au 10 Juillet.
Je me suis couché hier de bonne heure et levé ce matin de bonne heure. Je vais à Paris après déjeuner. Quel traitre étourneau que Thiers ! Il m'aborde avant Hier à la Chambre, me fait une question sur Montevideo, me demande un rendez vous pour des gens qui en arrivent. Je réponds à la question, je donne le rendez-vous ; et je trouve tout cela ce matin, dans le siécle. Thiers, s'en fait valoir comme d'une preuve de son crédit après de moi. Heureusement je l’avais un peu prévu, et ne lui ai rien dit que je ne puisse dire tout haut. Il y a là encore plus du journaliste que du traître.
J’attends Génie qui vient déjeuner avec moi. Je ne fermerai, ma lettre qu'après. Il m’apportera peut-être quelque chose à vous dire. Je veux que mon garde municipal parte d’Auteuil. C’est un peu plus court. Il attendra votre réponse. Je la trouverai ici en revenant dîner.

10 heures et demi.
Génie est venu, et ne m’a rien apporté. Sinon une sottise de l’archevêque de Turin qui a laissé enlever et fait recevoir dans un couvent la fille du Ministre de Hollande, pour la convertir. Cela fait assez de bruit en Piémont. Le Roi a peur de l'archevèque. M. Abercromby et M. de Truchsess n’ont peur ni de l'un ni de l'autre. Le clergé fait partout des sottises. Adieu. Adieu. A demain. Que c’est loin. Adieu d’ici là. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Lundi 24 Juin 1844 5 h. 1/2

Je sors de la Chambre. Nous venons de faire défaire, à 28 voix de majorité, ce qu’on avait eu tort de faire samedi. Ne redites pas textuellement mes paroles qui sont dures mais c’est le fait. Bataille assez vive, quoique je ne m'en sois pas mêlé. Je n’ai pas eu un moment depuis que je suis levé, conversations, conseil, séance. Et je pars pour Auteuil où j’ai vingt personnes à dîner. Hier valait mille fois mieux. Charmante soirée, si animée, et si douce. Lord Cowley est là qui m'attend. Il a quelque chose à me communiquer sur le Maroc. Quel ennui de vous quitter après vous avoir écrit de la sorte ! Je vous écrirai demain matin, et pour vous écrire, et pour vous dire ce que je ferai Mercredi.
Je crois que j'irai vous voir le soir. Adieu Adieu. Je regrette bien hier. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Quelle pitoyable journée hier. Vous avez bien raison. Nous massacrons nos meilleurs jours. Et pendant que vous veniez à ma porte à Auteuil, j'envoyais Hennequin courir à Versailles pour vous porter une lettre au crayon, écrite à 7 heures et demie en sortant de la Chambre. Il est revenu à Auteuil après 10 heures, et vous a porté ma lettre à Paris. J'y vais ce matin de très bonne heure. Je remettrai ceci à votre porte en passant. Et je serai chez vous à 11 heures et demie car j’ai conseil chez le Maréchal à midi et demie. Mais enfin, je vous verrai ce matin. Adieu. Adieu.
Hier n'a été bon qu'à la Chambre. Adieu. G.
Auteuil mardi 25 juin 7 heures
P. S. Voici le mémoire que je reçois sur le petit marin. Nous en causerons.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Auteuil Mercredi 26 juin 1844,
9 heures

Je commence à vous écrire d’ici, ne sachant quel temps j’aurai à Paris. Je vais à Neuilly tout de suite après déjeuner. De là au Conseil chez le Maréchal. De là à la Chambre, où l’on discutera aujourd’hui le chemin du Nord. Il faut que j'y sois. Vous n’avez pas d’idée de la passion qu'on met à ces chemins de fer. Boulogne était au désespoir. Calais l'emportait. Aujourd’hui Boulogne est dans la joie sans que Calais se désole. Les deux villes auront chacune son chemin. Qu’est-ce que cela vous fait ? Mais on m'en parle tant que j'en rabache un peu.
Vous prenez plus d’intérêt au Hoheit des Ducs de Saxe. Quelque chance leur vient à Francfort. Le parti pris de la France et de l'Angleterre embarrasse. La Prusse a toujours beaucoup d'humeur. L’Autriche est plus douce. On attend le retour du Roi de Saxe pour négocier, par son intermédiaire. On finira par un remaniement Général de toutes les titulatures allemandes et le hoheit des Cobourg passera dans la foule des changements. Mais l’affaire sera longue. Voilà ce qu’on dit à Francfort. A Darmstadt, on ne croit pas l'Empereur content de son voyage en Angleterre. à Biherich, on comptait sur sa visite. Le Duc et toute sa cour ont passé une journée entière à l'attendre en gala. A Florence, on a pris pour huit jours le deuil du comte de Marne.
A Barcelone, les bains réuississent à la petite Reine. Bresson m'écrit : " Sa mère me disait, il y a un quart d'heure, qu'elle n’était déjà plus reconnaissable, et que toute cette écaille noire qui lui couvrait les bras, les mains, les jambes et les pieds tombait à vue d'oeil. " La politique Constitutionnelle espagnole ne va pas si bien. Narvaez veut se retirer avec le marquis de Viluma. Tous les ministres se rendent à Barcelone.
Quel manque de sens dans tout ce monde là ! Il y en a davantage en Turquie. Le Sultan voyage. A Brousse, où il a passé plusieurs jours, il a reçu également bien tous les notables habitants, Musulmans & Rayas, et les uns comme les autres ont été revêtus de pelisses d’honneur. Bourqueney est charmé. Le Sultan le lui avait promis.
A Jérusalem le Conseil d'Angleterre, qui se trouvait absent, n'était pas venu faire visite au Consul de France le jour de la fête du Roi. Mais l’Evêque Anglican était venu avec son clergé. Le jour de la fête de la Reine Victoria, le Consul de France est allé faire visite au Consul d'Angleterre. Et non seulement, il y est allé, mais il y a fait aller le Révérendissime et tout le Discrétoire du couvent Latin. M. Young a été charmé. La tolérance et l’entente cordiale marchent du même pas. On en a encore plus besoin à Athènes qu'à Jérusalem. Un vieux Chef de Pallicares, le Général Privas s'est insurgé parce qu'il a vu qu’il ne serait pas élu à la nouvelle Chambre des Députés. Il s'est enfermé dans un village, avec une centaine d'hommes. On a envoyé le général Travellor pour le persuader ou le réduire. Cela n'inquiète pas Piscatory. Excellent agent ; point aveugle et jamais découragé. Toujours au mieux avec Lyons. Le Roi Othon leur a donné, à tous deux, sa grand croix. Celle de Pise a causé une humeur enragée à Brassier de St. Simon qui n'a pu s'en tenir et s'est plaint qu'on lui eût fait sauter plusieurs grades. Le Roi Othon s’est fâché : " Quand M. Piscatory n'aurait eu que la croix d’argent, je lui aurais donné la grand croix. Je dois une bonne partie de ma couronne et de notre repos à son influence et à ses conseils. " Voilà mon Journal. Adieu.
Je vais faire ma toilette. Je vous enverrai ceci de Paris en vous disant ce que je ferai ce soir. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Je voudrais voir, comment vous êtes, comment vous avez passé la nuit. Il faut que j’écrive et que j'attende. Je serai, chez vous vers 11 heures et demie.
Voilà l’élection de Rouen gagnée. Faites moi dire si vous êtes un peu mieux, car vous ne pourrez probablement pas me l’écrire. Adieu Adieu G.
Jeudi 27 Juin, 8 heures

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Je vois sur l'affiche qu’on ne joue pas ce soir le Mari à la campagne. Ce n’est que pour Mardi. On joue aujourd’hui la Dame et la Demoiselle. Nous sommes des étourdis de n'avoir pas fait demander préalablement ce qu'on jouait. Y allez-vous toujours ? Si on ne vous trouve pas chez vous, & si vous ne me faites rien dire avant mon départ pour Auteuil, je viendrai toujours ce soir à 8 heures et demie. Adieu. Adieu. G.

Samedi 29 Juin 1844,
4 heures

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Je vous envoie Génie si vous avez quelque chose à me dire sur l'emploi de votre matinée, il me le transmettra sur le champ.
Voici une lettre de Londres, qui ne me plait pas, sur l'avenir du Cabinet. L'Empereur de Maroc me paraît bien belliqueux. Il a rejeté la médiation de l'Angleterre dans sa querelle avec l’Espagne, et l'ultimatum de l’Espagne. Je n'ai rien d'ailleurs.
Comment êtes-vous ? Hier soir, je vous ai trouvée mieux, physiquement au moins. Adieu. Adieu. G.
Dim. 30 Juin - midi

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Il n'y a pas eu moyen d'aller vous voir en sortant du Conseil. J’ai été tout de suite à la Chambre, et j'en sors. Séance désagréable, sans autre importance que le désagrément. J’ai soutenu le Moniteur. Adieu.
A 8 heures et demie.
Adieu. Adieu. Votre lassitude de ce matin me déplait. G. Lundi 1 Juillet
5 h. 3/4

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Je trouve en arrivant une convocation, chez le Maréchal, à midi. Je viendrai chez vous en en sortant vers une heure et demie. Rien ne m'en empêchera aujourd’hui. Voulez-vous me donner à dîner ? Adieu. Adieu.
Il fait beau. J'espère que ce temps vous sera bon.
Adieu. G.
Mardi 2 - midi

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Vous dormez peut-être déjà. N'importe. Je vous écris. Mon budget est voté, tout entier, sans aucun retranchement et presque sans débat. J'ai pourtant eu l'occasion de bien parler de M. Piscatory. Voici la dépêche qui m’arrive de Tanger (télégraphique - 26 juin à Tanger. " Un exprès arrivé de Fez en quatre jours m’annonce que le Prince héréditaire a envoyé, un nouveau gouverneur à Ouchda avec ordre de faire arrêter, enchainer et conduire à Fez les deux caïds qui ont dirigé ou toléré les actes d'agression des 30 mai et l5 Juin. "
" Cette nouvelle est très probable mais mérite confirmation. " Nous verrons si elle se confirmera. Mes nouvelles de Berlin (4 Juillet) sont très mauvaises sur la grande duchesse et même un peu, sur la santé de l'Empereur. A Copenhague, on dit que l'Empereur fera épouser au Prince de Hesse, veuf de sa fille, une des filles de la grande Duchesse Hélène. On y a pris le deuil du Comte de Marne pour trois jours. Adieu. Adieu. C’est bien long.
G.

Auteuil. Lundi 8 Juillet 1844
9 heures
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