Votre recherche dans le corpus : 431 résultats dans 5770 notices du site.Collection : 1854 (1er janvier-21 décembre) : Dorothée, une princesse russe, persona non grata à Paris (1850-1857 : Une nouvelle posture publique établie, académies et salons)
97. Val Richer, Dimanche 18 juin 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
J’ai probablement tort de mettre quelque importance au voyage du Roi de Prusse à Kenigsberg ; mais toutes les circonstances me semblent indiquer que c’est quelque chose, le départ précipité du roi qui n’attend pas la fête du son frère, le Prince de Prusse qui va rejoindre le Roi, même, M. de Manteuffel qui n’y va pas et qui, depuis quelque temps, doit être devenu assez désagréable à votre Empereur. Enfin, on s'accroche à tout.
Est-il vrai que votre impératrice soit de nouveau très souffrante ? Et à cause de vous et à cause de ce que j’ai entrevu d'elle, je lui porte un véritable intérêt. Donnez-moi, je vous prie de ses nouvelles. Elle doit être au moins fort triste.
Vous avez surement remarqué le trait de M. de Brück à Constantinople : " Au succès des armées des puissances alliées. ! " Cela ressemble bien à une préface de la guerre. Je serai curieux de savoir si, comme le disait, il y a quelques jours le journal des Débats, c'est encore le Prince de Metternich qui, du fond de sa vieillesse et de sa surdité, dirige cette politique. Je penche à le croire.
Midi
J’ai été dérangé par deux visites matinales. Je n'ai que le temps de lire votre n°81 et de vous dire, adieu, Adieu. C'est bien court. Adieu. G.
98. Val Richer, Lundi 19 juin 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Voilà donc le Maréchal Paskévitch hors de combat ; sa vieillesse ne vaut pas celle du Maréchal Radetzky. Que deviendra le traitement de Maréchal que votre Empereur donne à ce dernier, si l’Autriche se déclare contre vous ? Continuerez-vous de le lui donner ? Certainement, il y avait, dans votre patronage sur les officiers Autrichiens et Prussiens, quelque chose de bien régulier et de bien arrogant. Je comprends que l'Empereur d’Autriche saisisse l'occasion d'en finir avec votre Bolection. Il s’agit de savoir si l'occasion est sûre.
Si vous lisiez les Mémoires de Ste Aulaire en 1838 et 1839. Vous y verriez que le Prince de Metternich lui disait toujours à propos des affaires d'Orient : " Garantissez-moi que la France et l'Angleterre resteront unies, et je me mets sur le champ avec elles. " Apparemment il croit aujourd’hui à la solidité de l’union.
Si on vous prend Sébastopol, regarderez-vous la prise de Silistrie comme un dédommagement suffisant ? Evidemment, le rassemblement des troupes Franco-Anglaises à Varna a pour objet d'attaquer Sébastopol ou de vous faire lever le siège de Silistrie. Il est impossible que le mois de juillet n’amène pas là quelque gros événement.
La Reine Marie-Amélie est arrivée à Claremont en assez bon état. Elle a trouvé à Cologne Mad. la Duchesse d'Orléans qui l’attendait avec son fils, et qui l’a accompagnée jusqu'à Ostende. Le Roi Léopold lui a aussi amené ses petits-enfants. Il est vrai que les Aumale voient beaucoup de monde à Twickenham Le monde n'empêche pas le Duc de travailler à son histoire de la maison de Condé. Il a été question dernièrement d'en insérer un fragment, qu’on dit très intéressant, dans la Revue de Deux Mondes, mais la revue n’a pas osé. Je ne trouve pas l’offre à la Reine du passage par la France de bon goût ; on était trop sûr qu’elle ne serait pas acceptée. Il y a des offenses après lesquelles il ne faut pas avoir des prétentions de courtoisie. Du reste je n’ai pas entendu parler de celle-ci.
Je suis de l’avis du Times ; je trouve la conduite de Lord John dans les arrangements ministériels bien pauvre. C'est sans doute pour se faire pardonner qu’il a tonné si fort contre vous dans son élection à la Cité. Tout cela fait une série d'engagements qui rendent la paix de plus en plus difficile. Lord Palmerston avait-il envie de devenir ministre de la guerre, et regardait-il ce pas comme un acheminement vers le premier ?
Midi.
Point de lettre d'Ems et point de nouvelles d'ailleurs. Adieu, Adieu. G.
100. Val Richer, Mardi 20 juin 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Voilà un chiffre qui me fait peur. Autrefois, quand nous étions longtemps séparés, nous savions quel jour nous ne le serions plus. Aujourd’hui, plus nous avançons plus nous entrons dans les ténèbres.
Votre Empereur doit être très froissé de ce qui se passe sur la côte de Circassie ; lutter depuis tout d’années contre ces montagnards et voir le terrain qu’on avait conquis, les forts qu’on avait élevés détruits en quelques jours par des coups de main d'étrangers. Je me figure à la fois la tristesse irritée de votre Empereur et la joie si imprévue de Schamyl. Celui-ci doit éprouver les mêmes transports dont Abdel Kader eût été saisi si, pendant qu’il tenait encore sur le bord du désert, les Anglais fussent venus nous chasser d'Algérie. Abel Kader languit à Pérouse. Schamyl a été plus heureux. Vos armées ne me paraissent pas plus actives ni plus triomphantes. en Asie qu’en Europe.
Que signifient ces quatre lignes du Moniteur. " Un arrangement vient d'être conclu à Constantinople, entre l’Autriche et la Porte, pour l’occupation continuelle des principautés de Moldavie et de Valachie par un corps d'armée Autrichien" ? Si c’est vrai, c’est le fait le plus décisif de la situation ; il indique le parti pris, par les Alliés, de soustraire les Principautés au Protectorat Russe et de les placer sous le Protectorat Autrichien. Je ne sais à quoi vous consentirez lors du rétablissement de la paix ; mais certainement si les choses suivent leur cours actuel vous n'aurez pas le statu quo ante bellium.
Onze heures
Voilà votre N°82 et je n’ai rien à dire pour combattre votre tristesse. Je vous écris tous les jours. Je me plains quand vos lettres me manquent un jour. Mais je sais à quel point les lettres sont insuffisantes. Le Duc de Noailles m'écrit qu’il va vous envoyer ses enfants. Petite ressource. Pas un mot de nouvelles. Adieu, Adieu. G.
101. Val Richer, Mercredi 21 juin 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Le siège de Silistrie est fatal aux généraux ; Messa Pacha tué et le général Schilder la jambe emportée. La blessure du Maréchal Paskevitch paraît moins grave. Il n’y a pas grand mal à ce que les coups portent un peu haut quelque brave qu’on soit, ces avertissements ont leur effet.
Voilà toutes mes réflexions d'aujourd’hui. Je n'en ai pas plus que de nouvelles. On a beau faire, on a beau écrire tous les jours et n'avoir rien à cacher. Il y a des abymes. entre la correspondance et la conversation. Si nous causions, j’aurais de quoi remplir ces abymes-là.
J’ai eu du regret en vous voyant quitter Bruxelles. Je n’avais pas tort. Vous aviez là du moins des habitués, et des habitués de votre robe. Vous n'aurez à Ems que des rencontres. Le Duc de Richelieu vous restera-t-il un peu longtemps ? C'est à Dieppe qu’il fait ordinairement sa saison d'eaux. Mais pour ce temps-là, les bains de mer ne sont pas encore de saison. Il n’y a encore personne à Trouville. On y attend demain le Chancelier et Mad. de Boigne. Les Broglie y viendront à la fin de Juillet. Assez de monde, dit-on. Cela me dérangera un peu. Le Val Richer est un des délassements de Trouville. Tout le monde n'a pas aussi peur que vous de trois heures de voyage. Vous souvenez-vous comme vous avez été maussade le jour où vous êtes venue ici avec Lady Alice ?
Vous êtes très bonne protestante, mais vous n'êtes ni théologienne, ni philosophe, ni historien ; je ne vous engage donc pas à lire une Défense du protestantisme contre les Ultra Catholiques que M. de Rémusat vient de publier dans la Revue des Deux Mondes. C'est pourtant un écrit très distingué, plein de bon sens et d’esprit, de vérité, et d'à propos. Si nous étions ensemble, je vous le lirais, et je vous le ferais goûter.
Midi
Point de lettre de vous, mais des nouvelles qui seraient bien grosses et bien bonnes, si elles étaient vraies ; le siège de Silistrie suspendu, le maréchal Paskevitch se retirant au delà du Pruth. Il ne manque plus que l'annonce d’un congrès. Je n'ose y croire. En attendant, adieu, Adieu. G.
102. Val Richer, Vendredi 23 juin 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je n'avais hier matin, absolu ment rien à vous dire, j’attendais mon facteur et l'explication, ou le désaveu des dépêches télégraphiques de la veille. J’ouvre d'abord votre lettre, et le récit, très curieux, du général Offenburg puis une lettre de Paris, d'un homme d’esprit, en général assez au courant, obligé par état d'être au courant, et qui voit habituellement les gens le mieux au courant. Il m’écrit : " Voilà l’armée Russe au delà du Pruth ; le bruit commence à se répandre que l'Empereur Nicolas est disposé à faire les concessions nécessaires pour désintéresser les Puissances Allemandes, et pour les séparer de la France et de l'Angleterre. On dit même que des concessions seraient de telle nature qu'elles pourraient bien être acceptées, même à Londres. Je ne puis pas croire que l'Empereur Nicolas soit d'humeur à faire une pareille reculade. Cependant ses affaires militaires sont si mal conduites qu’il pourrait bien être condamné aux plus dures et plus humiliantes extrémités."
J’ai souri du contraste. Triste sourire. Que croire ? Je crois tout ce que vous me dites du général Offenberg, mais non pas tout ce qu’il dit. A dessein ou sans dessein, il a évidemment son parti pris d'avoir pleine confiance. J’ai vu, à la fin du règne de l'Empereur Napoléon, des exemples touchants et ridicules de ces illusions du patriotisme et du dévouement passionné. Vous aviez passé le Rhin, vous marchiez sur Paris ; des hommes d’esprit, des généraux distingués disaient sérieusement que vous n'avanciez que parce que l'Empereur vous laissait faire, qu’il était invincible, infaillible, et qu’il retournerait à Vienne et à Berlin quand il voudrait. Je suis décidé à ne croire personne. Je n'ai confiance dans personne. Je ne croirai que les événements. Encore faudra-t-il qu’ils aient parlé bien haut, et plus d’une fois.
// Je trouve seulement bien déplorable que de grands souverains et de grands peuples se fassent la guerre, à si grands frais et avec de si grands risques dans un si grand aveuglement et une si grande ignorance, les uns et les autres, ler leur vraies dispositions et sur leurs vraies forces. Cela fait honte à la civilisation et à l'esprit humain.//
à vous dire vrai, je crois bien plus et j’attache bien plus d'importance au Débat de la Chambre, des Lords lundi dernier qu'à tous les dîners de tous les généraux du monde. J’ai eu attentivement ces trois discours Lyndhurst, Clarendon, Aberdeen. et j’y ai vu ces deux choses-ci ; la paix encore possible, à des conditions modérées pour vous, et un ministre à Londres pour la faire, si vous la voulez ; une guerre de vingt ans et des ministres à Londres pour la faire si vous voulez courir cette chance. Vous n'avez pour vous, dans ce dernier cas, que les divisions des puissances maintenant unies. L'Empereur Napoléon a eu aussi ces divisions là pour lui, et il en a profité, et il a eu, à plusieurs reprises presque tout le continent avec lui, laissant l’Angleterre seule contre lui. L'Angleterre a repris peu à peu toutes les puissances du continent, et les a ralliées contre Napoléon.//
Tout est fort changé, je le sais, les choses et les hommes. Ne vous y fiez pas ; il y a des faits simples et grands, supérieurs à tous les changements d'hommes et de choses, et qui se développent pareillement au milieu des circonstances les plus diverses ; si une fois la politique générale et nationale de l'Angle terre s’engage contre vous, elle marchera à son but, quelle que soit la mobilité des alliances. Ce sera une lutte à mort, dans laquelle, tôt ou tard. Londres ralliera contre vous l’Europe. Le sentiment Européen ne vous est pas favorable ; si vous laissez, à ce sentiment, l’Angleterre pour chef, vous aurez beau être obstinés, aveugles et dévoués ; en définitive, la lutte tournera mal pour vous.
En attendant la question du moment subsiste ; avez-vous cessé le siège de Silistrie, et le grand théâtre de la guerre va-t-il se transporter du Danube en Crimée ?
Midi
Mon facteur ne m’apporte rien aujourd’hui, et je n’ajoute à ceci que adieu et adieu. G.
103. Val Richer, Samedi 24 juin 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Voilà les deux escadres réunies dans la Baltique. Feront-elles quelque chose ? Elles ont l’air d'hésiter beaucoup. C'est là, jusqu'ici, le côté faible des opérations de l'alliance. L'effet est le moindre là où la démonstration a eu le plus d'éclat. Je ne voudrais pas être à la place de Napier, s’il ne fait rien.
Est-il vrai que l'Empereur envoie son ministre de la guerre, le Prince Dolgorouki, sur le Danube ? Vous aurez surement remarqué l’article des Débats d’hier Vendredi sur l’Autriche. Certainement, si l’Autriche réussit à jouer le rôle, elle y grandira beaucoup. Je suppose que les révolu tionnaires Italiens ont une violente humeur de cette importance et presque de cette popularité que l’Autriche a prise dans l’Alliance Anglo française. Les obscurs semblants de tentatives et les coups de poignard qu’ils donnent çà et là, indiquent des gens bien irrités. Pourvu que la duchesse de Parme ne finisse pas par être elle-même comprise dans les coups de poignard.
Je n'ai pas la moindre nouvelle de Paris. Sinon que Montalembert part dans trois jours, non plus pour Vichy, mais pour Contrexeville. Personne ne comprend comment finira son affaire ; on poursuit l’enquête, on épluche ce qu’il a imprimé ; on ne trouve rien, et on ne veut pas se résoudre à une ordonnance de non lieu. C'est assez ridicule.
Onze heures
Est-ce que les eaux que vous buvez ne sont pas pour quelque chose dans cette irritation de l’intérieur de la bouche ? Que votre médecin y fasse bien attention. J’ai vu cela pour des eaux sulfureuses en France. Pauvre Mad. Marischkin ! Elle avait mal à la gorge depuis bien longtemps. Je ne sais pourquoi je crois que nous sommes dans une crise, bonne peut-être. Adieu, Adieu. G.
104. Val Richer, Dimanche 25 juin 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Assiégez-vous encore, ou n’assiégez vous plus Silistrie ? Quelles que soient les lois sur la presse, c'est là un fait qui pourrait se dire, et qu’on devrait savoir. Puisqu’on n'affirme rien, j'en conclus que vous assiégez toujours. Mais si le siège continue comme il a commencé, vous y laisserez tous vos généraux.
La nomination du général Hess comme chef de l’armée d'opérations semble dire que le Duc Melzi a raison, et que l’Autriche vous fera la guerre. A ce sujet, je change d’avis tous les jours.
Je suis charmé que le monde vous arrive à Ems. Je vous vois déjà de quoi peupler votre salon le soir. Vous faites, perdez et refaites bien souvent votre fortune de société, petite ou grande. Que devient cette petite Duchesse Melzi ? Est-elle toujours un peu étrange ?
Je ne puis croire que vraiment et d'une façon durable, le beau temps vous vaille moins que le froid. Ici enfin, nous avons beau et chaud depuis deux jours. J'en jouissais pour vous comme pour moi. Ne me gâtez pas mon soleil en vous en plaignant.
Vous n'avez probablement pas lu le grand rapport de M. de Persigny à l'Empereur sur son ministre de l’intérieur. Moi, je l’ai lu et avec intérêt. C'est fait sérieusement, sincèrement et avec une conviction qui ne manque pas de force. Seulement, il y a dans le gouvernement, plus de questions, et les questions sont plus grandes, et plus compliquées que ne le croit M. de Persigny. Il est trop aisément content. Rien ne trompe plus le pouvoir absolu que l'extrême facilité qu’il rencontre d’abord, et quelquefois assez longtemps. On nous rendait, à nous, le Gouvernement trop difficile ; il est, ou plutôt il paraît trop facile aujourd’hui. Autre écueil.
Midi
Je ne m'attendais guère tout à l'heure, en vous parlant de M. de Persigny, que le Moniteur m’apporterait sa retraite. Je n’ai pas un mot de commentaire de Paris ; mais il me paraît impossible que cette retraite n'ait pas un sens politique, et plutôt un sens pacifique qu’un autre. Adieu, Adieu. G.
Je me trompe, on m'écrit que M. de Persigny est remplacé pour deux causes ; comme s'étant expliqué trop durement sur quelques personnes, et comme bouleversant et faisant à la fois languir l'administration. Vraie disgrâce personnelle et purement d’intérieur, dit-on.
105. Val Richer, Mardi 27 juin 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
M. le Persigny a évidemment de l'humeur ; son départ immédiat pour la Suisse le dit. S'il est encore très amoureux, cela le consolera. Je ne me doutais pas que son long rapport fût un adieu, singulière préface pour congédier un ministre que de mettre au Moniteur le panégyrique de son administration. Les journaux de l'opposition si ce mot existe encore ont mieux parlé hier du ministre en retraite que ceux du gouvernement ; leur ton de regret était plus sincère.
Deux maréchaux en Autriche ! Rien n'indique plus l'approche de la guerre. Ces grands avancements sont toujours, ou un encouragement, ou une récompense. Et chez vous encore un général mort, et l’un de vos plus estimés, si je ne me trompe. Dans le temps de nos grandes guerres, quand nous voyions beaucoup de généraux très, nous disions que les troupes avaient peu d'entrain, et que les officiers étaient obligés de se compromettre pour les enlever. Voilà Napier devant Cronstadt, et avec toutes les forces réunies. Il semble impossible que dans la Baltique et dans la Mer noire, nous n'ayons pas bientôt quelque grosse affaire ; ou bien nous n'en aurons point du tout cette année.
J'avais deviné juste sur la petite duchesse de Melzi. C'est donc dans la jeunesse que les femmes sont folles et les hommes dans la vieillesse. Au reste votre panégyrique des vieilles femmes à propos d’Ellice est mal tombé, et je suis obligé de ne pas l'accepter. Je lisais ces jours-ci qu’entre 60 et 63 ans, la Reine Christine, que le Pape Innocent XI avait d’abord fort bien traité à Rome, est grand peine à obtenir de lui une audience d'un quart d’heure, à cause d’un nouveau galant Français dont elle s'était amourachée. Est-ce qu’il n’en serait pas arrivé autant à votre impératrice Catherine si elle avait eu besoin d’une audience du Pape ?
Nous n'avons pas ici d’aussi fortes variations de température que vous ; il fait beau et chaud depuis quatre jours. Je fais mes foins. A tout prendre les symptômes de la récolte sont bons, et si ce temps-là dure quinze jours, elle sera assurée. En attendant, le pain renchérit toujours, et j’ai eu ce mois-ci, plus de 400 pauvres qui sont venus chercher à ma porte un morceau de pain, et un son ; et je suis dans un des meilleurs pays de France, et mon plus prochain village est à vingt minutes de ma maison.
Onze heures.
Il m'est impossible de ne pas mettre de l'importance à l’annonce du Moniteur que vous avez levé le siège de Silistrie, et que vous vous retirez, au-delà du Pruth. Il n'adopterait pas cette dépêche télégraphique sans en être sûr. Et une foule de détails viennent à l’appui. Si, après cela, vous acceptez un congrès pour traiter du rétablissement de la paix en Europe, sans spécifier à l'avance aucune question, ni aucune solution, les gens qui ne veulent pas de la paix seront bien embarrassés. On peut négocier et disputer des années, dans un Congrès ; on ne recommence pas la guerre. Témoin, le congrès de Münster.
Vous me demandez quand aurons-nous du bon ? En voilà peut-être. Adieu, Adieu, G.
106. Val Richer, Mercredi 28 juin 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
J’ai eu hier quatre visites, les politiques du pays, à peu près les seuls qui persistent à se préoccuper des événements publics, trois par intérêt d'affaires, un par curiosité d’esprit. Ils venaient tous me demander ce qu’il fallait croire de l'article du Moniteur et de votre retraite au-delà du Pruth. Grande satisfaction, mêlée d’un peu de surprise. Je les ai engagés à se réjouir toujours, en attendant d'être sûrs. Je leur ai parlé d’un Congrès, où tout le monde se réunirait pour traiter du rétablissement de la paix, et qui durerait peut-être dix ans. Ils approuvent fort ; ils aiment beaucoup mieux dix ans de Congrès que dix ans de guerre.
La correspondance Havas regrette votre retraite, et dit que " cette nouvelle sera accueillie avec le plus vif désappointement par les troupes Anglo-Françaises. Le jour qui devait leur faire oublier toutes les fatigues d’une campagne lointaine, le jour de la bataille recule indéfiniment, avant elles, grâce à l'excessive prudence de la stratégie Moscovite. Mais que nos braves soldats ne perdent pas tout espoir ; cet ennemi qui fait à leur approche n'est pas insaisissable, et on pourra le trouver quelque part, fût-ce sur son propre territoire ?
Nous verrons bientôt si votre retraite n’est en effet qu’une manoeuvre de Stratégie, ou bien la Préface d’un Congrès.
Avez-vous remarqué dans le Times, le rapport des ingénieurs Anglais qui étaient à votre service, et qui s'en sont échappées à grand'peine ? Il est curieux ; mais il ne confirme pas ce qu’on vous dit des compliments qu’on fait chez vous aux Français aux dépens des Anglais. Je suis un peu curieux du commentaire que Lord Aberdeen a dû ajouter avant hier soir à son dernier discours. Mes journaux me l’apporteront ce matin. C'est bien dommage qu’il ne soutienne pas plus hardiment, son propre politique, et en renvoyant à ses adversaires leurs attaques.
Midi
Certainement la nouvelle est vraie ; par considération pour l’Autriche, vous évacuez les principautés. Si cela ne mène pas à la paix, il faut que tout le monde soit fou, ou stupide. Je renais à l’espérance. Grand bonheur. Adieu, adieu. G.
107. Val Richer, Vendredi 30 juin 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je n’ai pas reçu hier la confir mation que j’attendais, si impatiemment. Il me paraît clair que vous avez levé le siège de Silistrie, mais non pas que vous vous retirez des Principautés. Je crains que vous ne fassiez dans cette occasion-ci, ce que vous avez fait depuis le commencement de l'affaire, diplomatiquement et militairement, c’est-à-dire quelque chose d’indécis et d’incomplet un certain mélange d’ambition et de modération d'obstination et de concession, d'étalage guerrier et d’esprit non guerrier. Combinaison déplorable pour vous, et aussi pour l'Europe, car elle ne donne, ni à vous la victoire, ni à l’Europe la paix, et elle détruit à la fois l’idée de votre sagesse et celle de votre force. Tout l'orgueil Barbare possible, ne suffit pas pour tenir lieu d'habileté et de vigueur.
Je vous traite, en personne aussi impartiale, que moi je vous dis tout ce que je pense. Je me figure que, si je causais avec elle, je ferais admettre cela, même à la Princesse Kotschoubey qui a l’esprit juste, si elle a le coeur patriote. La vérité peut attrister, mais elle ne blesse pas quand il n’y a rien de blessant dans l’intention de celui qui l'a dit.
J'aime les deux discours d'Aberdeen, et le second au moins autant que le premier, quoique je trouve toujours qu’il ne le prend pas d’assez haut avec les adversaires. Il a beaucoup plus raison qu’il ne dit. Il ne rattache pas assez son bon sens et son honnêteté à la grande morale et à la grande politique. Il ne donne pas grand air à une conduite qui mériterait de l'avoir, et il se donne un air de faiblesse au moment même où il résiste. Il se défend quand il devrait attaquer, et il se défend amèrement et non pas énergiquement. Je le lis avec un mélange de satisfaction et d'impatience, d'approbation et de regret. Et je m'irrite de l'impertinence hautaine avec laquelle, les hommes qui sont à cent piques au-dessous de lui le traitent quelquefois.
Encore un général mort. N'est-ce pas que le général Schilder était un de vos officiers du génie les plus distingués ?
Midi
Votre N°97 est bien triste, et il y a de quoi. J'ai peine à croire pourtant que, de tout ce qui se passe, il ne sorte pas quelque chose de nouveau. Je vais lire la lettre d’Ellice. A demain. Adieu, Adieu. G.
108. Val Richer, Samedi 1er juillet 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je vous renvoie, la lettre d’Ellice, intéressante si j'y croyais tout à fait, j'en conclurais que la politique de la paix a fait son temps, que l'Angleterre veut du nouveau, n'importe par quels motifs, et à quel prix, et que nous entrons dans une de ces époques où les gouvernements et les peuples dépensent en enfants prodigues, le capital de force, de richesse et de bonheur qu’ils avaient acquis dans ces jours plus sensés. Cela se peut ; il y a bien des symptômes de cet état. Pourtant je n'y crois pas ; je vois bien des symptômes contraires, et je suis sûr que la France n’est pas du tout dans cette disposition.
// Ne croyez pas que je vous dis ceci par pure malice ; tenez pour certain que, s'il y avait dans ce pays-ci une tribune et si ses affaires du dehors, et du dedans, étaient publiquement discutées, ce qui arrive n’arriverait pas. Le vrai sentiment et intérêt de la France se ferait jours et les amis de la paix en Angleterre trouveraient en France un point d’appui. Je conviens qu’il aurait fallu s'y prendre plutôt, et qu’au point où en sont aujourd’hui les choses la paix ne peut se faire que fort à vos dépens.//
Le Duc de Broglie m'écrit : " Voilà l'affaire d'Orient qui entre dans une phase nouvelle ; il me paraît difficile qu’il n’y ait pas, dans tout cela, un dessous de cartes une certaine entente entre la Prusse et l’Autriche et la partie modérée du Ministère anglais. S'il y avait un homme quelque part, les choses étant posées comme elles sont, la paix telle qu’elle s’en suivrait. Mais je n'y crois pas ; je crois que John Bull poussera sa pointe que nous l’y seconderons un peu à contrecoeur, et que l'Allemagne laissera faire. Les événements décideront. "
J’ai aussi des nouvelles de St-Aulaire qui me demande quelques renseignements pour ses Mémoires ; très amical : “ De fréquentes lettres de vous, c’est tout ce que je regrette des ambassades hélas, je serais bien indigne à présent de votre correspondance ; mon esprit s'endort et ma main tremble " Il m’écrit au crayon ; il ne peut plus tenir une plume. C'est ce qui m’arrivera un jour. Sa lettre finit par ceci : " Pauvre Princesse de Lieven ! On croit qu’elle a renouvelé son bail de la rue St Florentin. et j'en augurais bien pour son retour vous me ferez plaisir de mettre, mon nom dans une de vos lettres ; je lui suis bien sincèrement attaché. "
Puisque j'en suis sur les souvenirs, vous vous souvenez de M. Sauzet ; il est à Paris et M. Vitet m’écrit : " C'est à tomber à la renverse ; un spectre, un vrai fantôme. Le pauvre homme m’a donné l'explication de sa maigreur extrême ; c’est son énergie qui l’a dévoré. Par malheur, elle ne lui a pris que son embonpoint et lui a laissé sa faconde, à l’entendre, on le reconnaît." Il paraît qu’il y a eu de vifs débats à l'Académie, à propos des prix Montyon ; les philosophes aux prises avec les dévots ; Cousin et Montalembert se sont querellés vivement. Cousin a été battu. Adieu.
Toujours un temps abominable des torrents de plus depuis trois jours. Si votre Empereur est aussi entêté que mon éternuement, il n’y a guère de chances de paix. Adieu, Adieu. G.
109. Val Richer, Lundi 3 juillet 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
J’ai peur que vous n'ayez raison et que tout ce mouvement de retraite ne soit qu’une opération de guerre, agressive ou défensive, comme l’Autriche. Je ne vois pas jusqu'ici que vous vous retiriez au delà du Pruth ; c’est seulement au delà du Sereth, vous levez le siège de Silistrie et vous évacuez la Valachie, mais vous vous arrêtez en Moldavie passé devient votre quartier général au lieu de Bucarest. Militaire ou pacifique, la reculade est grande, mais je la voudrais pacifique. Vous ne pouvez plus vous faire illusion sur l’Autriche, sa convention avec la Porte pour l'occupation des principautés est sa manière d'entrer dans l'alliance, et elle s’engage à ne faire aucun arrangement avec vous tant que la Porte ne sera pas rentrée, et garantie dans la plénitude de ses droits et de son indépendance. C'est bien décidément l'Europe entière contre vous et vous n'avez encore eu à faire qu'aux Turcs !
Je penche à croire que nous apprendrons au premier jour que la Suède a fait comme l’Autriche et qu’elle est entrée dans l’Alliance.
L’Europe ainsi unie, vous n'aurez pas même la ressource des insurrections et des révolutions. Vos tentatives en Grèce, et en Bulgarie échouent évidemment ; on dit qu'en vous retirant vous emmenez avec vous 5000 Bulgares qui se trouvent compromis avec les Turcs. C'est de la dépopulation de plus en Turquie, et pour vous les partisans de moins. J’ai rarement vu les fautes porter leurs fruits aussi vite et aussi durement.
J’ai peine à faire attention à l'insurrection de Madrid. Vous savez qu’on vous l'imputera, comme la folie des 50 ou 60 Mazziniens qui ont débarqué sur la côte de Toscane. Je saurai quelques détails sur Madrid ces jours-ci ; le Duc de Glücksburg doit en arriver. Son père est plus malade.
Avez-vous lu dans la Revue des Deux Mondes les articles de Viel Castel sur la Correspondance de Lord Castelreagh ? Ils n’ont rien de remarquable ; mais c’est un résumé clair et complet de la politique Européenne de cette époque, qui nous touche encore, et déjà si loin ! France, Angleterre, Russie, quel changement de principes, de conduite, de langage, de puissance. C’est l’Autriche qui a le moins changé.
Midi
Je n’ai rien de Paris et les journaux ne m’apprennent rien. Adieu, adieu. G.
Mots-clés : Diplomatie, Guerre de Crimée (1853-1856), Lecture
110. Val Richer, Mardi 4 juillet 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Tout confirme notre conjecture ; vous ne faites que vous retirer en Moldavie. Si vous êtes décidés à ne céder jamais et à forcer l'Europe d'aller tous chercher au coeur de la Russie, je comprends cela ; mais si vous devez faire la paix un jour, avant que l'Europe ne soit à Pétersbourg et à Moscou, vous avez tort de ne pas saisir cette dernière ouverture de l’Autriche, et de ne pas rendre vous-même la paix à l’Europe coalisée contre vous. Vous embarrasseriez certainement beaucoup l'Angleterre. et vous auriez chance de regagner du terrain dans les négociations d’un congrès. Mais vous n'aurez pas ce bon sens.
J'explique aussi votre retraite de la Valachie par un autre motif ; vous vous attendez à une grande attaque en Crimée et c’est probable. Vous n’avez pas là une armée suffisante pour résister et vous concentrez vos forces, pour pouvoir vous porter sur le point menacé. Vous n'avez pas des armées partout, et je suis bien tenté de croire que vous aviez sur le Danube ce que vous avez de mieux.
Vous allez avoir dans ou avec le Constitutionnel, un grand pamphlet contre vous, l’histoire de la Turquie de M. de Lamartine. Apothéose des Turcs, dithyrambe contre les Russes ; la fond du livre pris tout entier dans l’histoire de l'Empire Ottoman, par M. de Hamner autrichien. La littérature se fait à l’image de la politique ; l’Autriche vient en aide à la verve de l'Occident.
Je comprends que le dernier discours de Lord Aberdeen et la publication de sa dépêche, après le traité d’Andrinople lui aient fait du bien. D'après ce qui me revient, je crois qu’il n’a pas été fâché que Lord John voulût une place, pour lui-même et pour sir George Grey, et que cela empêchât Lord Palmerston de devenir ministre de la guerre. Cette nomination a été certainement un échec pour Palmerston et les compliments de Lord Dudley Stuart sont une pauvre indemnité. L'inimitié entre Lord John et Palmerston est une grande ressource pour Aberdeen dans les moments d'embarras.
Je vous quitte pour profiter d’un rayon de soleil. La pluie est revenue et gêne mes promenades. Mon Val-Richer va être un peu moins peuplé pendant quelques semaines ; ma fille Henriette vient de partir pour aller faire une visite à sa belle soeur, à Moulin, et Guillaume avait affaire à Paris. Adieu, jusqu'à l’arrivée du facteur.
Onze heures
Voilà votre N°90 et la réponse de votre Empereur à l’Autriche. Malgré mon premier élan d’espérance, je n'attendais pas autre chose. Tristes perspectives. Adieu, Adieu.
Quand vous ne me dites rien de votre santé, j'en conclus que vous n'êtes pas trop mal. Adieu ; mon Journal des Débats et mon Moniteur me manquent ce matin. G.
111. Val Richer, Mercredi 5 juillet 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Au pouvoir absolu, il faut absolument deux choses, un grand homme et du bonheur, toujours un grand homme et toujours du bonheur. Quelquefois, l’une de les deux conditions supplée quelque temps au défaut de l'autre ; pas bien longtemps. Et quand toutes les deux manquent à la fois tout s'en va. Quand je dis que tout s'en va, j’ai tort ; la grandeur certainement s'en va, la puissance au loin et par la seule voie d'influence. Mais il y a des temps et des lieux où le pouvoir absolu est si naturel et si nécessaire, si bien peut-être le seul gouvernement possible, que la grandeur peut lui manquer sans grand péril intérieur. Je crois que c’est votre cas. Votre pouvoir absolu peut déchoir en Europe, sans être compromis en Russie. Il peut rentrer chez lui triste ressource ; ressource réelle pourtant et qui est une force contre les plus puissants ennemis. Si les choses continuent dans leur cours actuel c'est la ressource dont vous serez réduite à user.
Vous n'aurez seulement pas très bonne grace à en user parce que vous avez beaucoup fait blanc de votre épée au dehors. L'Empereur Alexandre pouvait se retirer glorieusement, héroïquement devant l'Empereur Napoléon ; il avait toujours été modeste, en n'était point allé chercher, avec fracas, la guerre qu’on venait lui faire.
Vous ne pouvez faire maintenant aucune concession qui détache l’Autriche de l'alliance ; elle est tiré pour son propre compte ; il lui faut, comme aux deux autres des satisfactions sérieuses, non des palliatifs. A moins que vous ne battiez les armées Autrichiennes, mieux, beaucoup mieux, que vous n’avez battu les armées turques. Ceci serait un gros événement. Qui sait ? Depuis 1848, je ne prédis plus et je ne crois plus qu'à long terme, en prenant du temps, beaucoup de temps ; je ne vois clair que de loin ; de près, je vis dans les ténèbres ; du jour au lendemain, je suis très modeste. Je donne mes conjectures, mais sans y compter. Tout est possible. Vous repasserez peut-être bientôt le Danube. Mais la situation générale n'en serait pas changée. Sans grand homme, l’Angleterre persistera et fera persister les autres. Elle a un grand gouvernement. Je vois avec plaisir que le général Luders n'est pas mort. Je ne le connais pas du tout ; mais la mort prématuré d’un homme distingué me déplait toujours.
La nouvelle insurrection Espagnole ne paraît pas avoir plus de succès que les autres. Quand Mérimée est revenu de Madrid l'hiver dernier, il disait à qui voulait l’entendre que la Reine n'en avait pas six mois et que tout le monde n'en voulait plus qu’à elle. Voilà deux insurrections, depuis, toutes deux sans succès, et toutes deux criant : " Vive la Reine. "
J’attends le texte de votre réponse à la sommation Autrichienne ; je ne puis croire que vous ayez dit : " jusqu'à notre dernier homme et notre dernier rouble. " On ne dit pas cela, même quand on le fait. C’est un lieu commun populaire qui ne vous va pas.
Midi
Rien que des nouvelles d’Espagne, et l'attente de quelque coup dans la Baltique. Adieu, Adieu. G.
112. Val Richer, Jeudi 6 juillet 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je trouve le Constitutionnel d’hier curieux et grave ; son leading article sur l’Autriche et le Prince de Metternich la nouvelle escadre Anglaise dans la Manche, la proscription de votre emprunt sur toutes les grandes places de l'Europe, l'adhésion pure et simple des confédérés de Bamberg au traité de Berlin, tout cela porte un caractère d'entente et de résolution européenne qui présage une guerre de vingt ans. Quel revirement de toutes les situations ! Quel renversement de toutes les prévisions ! Ceci est aussi inattendu pour les relations extérieures des états que les Révolutions de 1848 l'ont été pour leur intérieur. Tout ce mouvement militaire et diplomatique avortera-t-il, comme le mouvement libéral de 1848 a avorté ? J’en doute. Les gouvernements engagés dans cette affaire-ci ont plus d’esprit de suite et plus de force que n'en avaient les auteurs des insurrections. Duchâtel qui revient de Vichy, m'écrit qu’il y a trouvé deux récents ambassadeurs à Constantinople, Baraguey d’Hilliers et Lavalette, et qu’il y avait peu à tirer de l’un et de l'autre. Je suis sûr que vous en auriez tiré plus qu’il n’a fait.
" On craignait beaucoup ici, me dit-il, que l'Empereur Nicolas n'opposât pas un refus décidé aux ouvertures de l’Autriche. Il n'est jamais trop tard pour être raisonnable ; j’avoue cependant que, pour l'Empereur Nicolas, se soumettre maintenant au bon sens, ce serait ou trop tôt, ou trop tard. Les résultats militaires ont été trop déplorables pour les Russes pour qu’ils puissent. en rester sur une aussi, fâcheuse impression. Rien n'égale l'incapacité qui a présidé, à l'occupation de la Debrutscha et au siège de Silistrie. On assure que, dans la Dobrudscha plus de 50 000 hommes sont morts de maladie. Cela permet de juger de l'état physique et moral des troupes qui restent. Quant à Silistrie, lever un siège devant les Turcs après avoir fait mettre hors de combat presque tous ses généraux, c’est peu honorable pour le pouvoir absolu qui, jusqu’à présent. avait en au moins le mérite des succès. militaires."
Vous voyez que tout le monde a la même impression. Duchâtel passe le mois de Juillet à Paris ou en excursion aux environs et s'en va à Bordeaux au moins d'août.
Midi
Votre N°91 ne m’apporte que votre tristesse et je n'ai à vous envoyer que la mienne. Adieu, Adieu. G.
113. Val Richer, Samedi 8 juillet 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Etrange situation que celle de votre Empereur établi avec sa famille dans son palais, au bord de la mer, et regardant venir avec sa lunette d'approche, la flotte qui va peut-être détruire sa capitale ! Cela ressemble, non pas à une ville, mais à un état assiégé. Je me persuade qu’il n’y aura là, malgré ces préparatifs dramatiques, point de grand coup accompli, ni même tenté. Si Napier et Perceval se trouvent trop peu de chance contre le granit de Cronstadt, ils ne l’attaqueront pas ; mais ils se promèneront, ils s’établiront sur toutes vos côtes du Nord, détruisant tout ce qu’ils pourront détruire ; et ce sera encore un étrange spectacle que votre Empereur dans son palais et vos flottes dans vos ports assistant, immobiles, à cette dévastation de votre territoire. Ne pouvoir plus protéger ses sujets de Riga à Archangel !
C'est évidemment au Sud, en Bessarabie et en Crimée, qu’on vous attaquera, sérieusement par terre et par mer. Les journaux indiquent. déjà les trois points sur lesquels vous serez obligés d'avoir de grandes forces et d'attendre le combat. Mais là encore, il se peut que si les alliés ne se jugent pas suffisamment forts, ils remettent les coups décisifs à l’année prochaine. Grande réponse ; attente difficile, mais les gouvernements sont devenus prudents ; il ne veulent se risquer que presque à coup sûr. Ils ont raison. Cependant, je penche à croire que de ce côté, les grandes tentatives se feront bientôt. L’Autriche est moins riche que l’Angleterre et la France, et ne peut guère tenir si longtemps de grandes armées en campagne. Je vous envoie tous mes commentaires comme si nous causions ; quand ils vous arriveront que d'événements seront peut-être accomplis !
Est-ce que le baron de Kömeritz qui va, dit-on, être rappelé de Vienne pour avoir induit son Roi en erreur sur les dispositions de l’Autriche à votre égard, est le même que nous avons eu longtemps à Paris, ou son fils ? M. de Meyendorff retourne-t-il à Pétersbourg ou bien va-t-il à quelques eaux allemandes ? Il devrait venir vous voir sur le Rhin. Ce serait un grand plaisir pour vous, et qu'a-t-il de mieux à faire.
Midi
Rien, que deux versions de votre réponse, entre lesquelles je ne sais pas choisir. Adieu, Adieu. G.
Val Richer, Dimanche 9 juillet 1854, [François Guizot à Dorothée de Lieven]
114. Val Richer, Mardi 10 juillet 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Mon fils me rapporte enfin de Paris des grosses plumes à mon grés. Je n’avais que de ces plumes à bec fin qui me sont insupportables. Il ne me rapporte guère autre chose, sinon que Morny a été malade, à croire qu’il allait mourir. Il paraît qu’il aurait assez envie d'être président du Corps Législatif à la place de M. Billaut ; mais il ne témoignera pas cette envie et je doute qu’on aille le chercher. On dit que le Corps législatif serait bien aise de l'avoir pour Président.
Paris est très tranquille, très désert, très préoccupé des travaux dans les rues et très peu de la guerre, confiant dans le succès. Les embarras d'argent se font un peu sentir. Le général Nielle qu’on envoie dans la Baltique, avec Baraguey d’Hilliers, et Regnaut de St Jean d'Angely est un officier du Génie très distingué ; cela suppose, ou qu’on a de grands sièges à faire en règle, ou qu’on veut s’établir et se fortifier quelque part. C’est une opinion assez générale que la grande guerre contre vous ne se fera que l'année prochaine.
C'est aussi pour l’année prochaine que vous annoncez vos grands armements, et vos grands coups. Je trouve cela, un peu ridicule, de part et d’autre. Je ne trouve pas non plus de bien bon goût la lettre de votre Empereur au Roi de Prusse dont on me donne un résumé qu’on me dit textuel. Le ton en est plus gros qu'au fond la confiance n’y est grande cette dernière phrase : " Quand vos amis deviennent vos ennemis, on ne peut plus se confier qu'à Dieu ; mais soyez en bien persuadé, j’aurai mon tour, et je punirai les Turcs et les autres " est un langage de Sultan à Pacha, non de souverain à souverain.
Il n’est question dans cette lettre que de 500 000 hommes en armes l’année prochaine, non pas de 1. 300 000, comme vous disait le général Offenberg. Grande colère aussi contre le Prince de Metternich : " Il a déjà mis l’Autriche à deux doigts de sa porte ; il va jouer encore une fois son va tout. Et bien, je ne ferai pas la guerre à l'Empereur d’Autriche ; mais j'accepte sa déclaration de guerre. Je ne quitterai pas les principautés ? Je ne sais pourquoi je vous envoie toutes les phrases, vous les avez sûrement. Il pleut à Paris. Un peu de choléra ; rien de grave. Il est grave dans quelques villes du midi ; à Arles, il est mort 80 personnes en un jour. Ville du 10 à 12 000 âmes.
Midi
Voilà votre N°94. Le Constitutionnel me fait croire tout à fait que la lettre qu’on me domme comme de votre Empereur est bien authentique. Il y a, contre l’Autriche, plus d'humeur que vous ne me dites. J’incline assez à penser qu’il y a encore de la part des Allemands, quelque tentative de médiation à votre profit, que du moins ils vous ont présenté sous cet aspect, leurs dernières résolutions, même l’entrée des Autrichiens en Valachie. Je doute que cela réussisse. Les politiques incertaines, et obscures sans être profondes ne réussissent guère aujourd’hui que toute se passe sur une grande échelle et au grand jour. Les événements sont plus sérieux que les hommes. Adieu, Adieu.
116. Val Richer, Mercredi 11 juillet 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Si j'étais un Russe un vrai Russe, bien Moujik et bien grec, je serai un peu choqué de ces promenades de divertissement de la cour pour aller lorgner la flotte Anglo-française. Je ne regarderais cette flotte que de travers et je n'en approcherai qu'à coups de canon. Mais c'est l'affaire de votre Empereur ; il sait mieux que moi ce qui choque, ou ne choque pas les Russes.
Le Bulletin d'Havas parle des nouvelles hésitations du Roi de Prusse et de ces tentatives pour que la réponse de votre Empereur aboutisse à une nouvelle négociation. Mais il en parle sans colère presque ironiquement et comme ayant la certitude que tout le petit travail sera vain, et que la Prusse sera entraînée jusqu'au bout, à la suite de l’Autriche, dans la politique Européenne. Cela me paraît probable.
Avez-vous remarqué l’article du Constitutionnel d’hier mardi, signé Granier de Cavaignac, et intitulé caractère actuel de la question d'Orient. Il en vaut la peine. L'idée qu’il développe, est déjà et sont de plus en plus le lieu commun de la politique dans nos provinces.
Jeudi 12
Je dis comme vous, cela ne valait pas la peine de vous être envoyé hier. Je mène ici une vie très douce, entouré d'affection et de soin ; mais vous me manquez, vous et votre conversation, bien plus que je ne vous le dis. Tantôt j'ai l'esprit trop plein et il m'irrite de ne pas vous avoir là, pour la mettre en commun avec vous à tantôt je languis et je m'endors dans ma solitude. J'étais hier dans un accès de langueur.
Nous voilà dans une nouvelle attente de courriers et de réponses entre Vienne, Berlin et Pétersbourg. Cela n'aboutira pas ; les négociations incertaines peuvent réussir au commencement où à la fin des grands événements, quand la sagesse est encore écoutée ou quand la lassitude, est déjà venue. Mais nous n'en sommes ni à l’une, ni à l'autre de ces deux époques. Pendant qu’à Vienne on écrit, et on reçoit encore des lettres, 6.000 Anglais de plus partent de Southampton pour la Mer Noire et 10.000 Français de Calais pour la Baltique. C’est trop d'efforts et trop de forces pour que le vieux savoir-faire du Prince de Metternich arrête tout cela. Mais il peut bien en résulte que les grands coups soient remis à l’année prochaine. Pourtant, j'en doute. Il y a encore cette année, trois mois de guerre.
On pense comme vous à Paris sur les affaires d’Espagne, malgré la retraite des insurgés, on ne les trouve pas très rassurantes. Que signifie ce que je vois dans les journaux anglais que votre grand Duc héritier est très malade, rapid decline ?
Si vous ne pouvez pas avoir de logement à Schlangenbad, pourquoi ne resteriez-vous pas à Ems tant que vous y aurez une société et un peu agréable. Je vois que vos petites soirées de musique vous plaisent. Gardez-les, même quand [manque une page]
Mots-clés : Conditions matérielles de la correspondance, Conversation, Diplomatie (Russie), Discours du for intérieur, Guerre de Crimée (1853-1856), Nicolas I (1796-1855 ; empereur de Russie), Politique (Analyse), Politique (Autriche), Politique (France), Politique (Prusse), Relation François-Dorothée
117. Val Richer, Vendredi 14 juillet 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je ne pensais pas hier, en vous engageant à prolonger votre séjour à Ems qu'Hélène allait à Schwalbach, et que l’absence de sa fille Olga désorganiserait vos soirées musicales. Je les regretterai pour vous ; il est clair qu'elles vous plaisent, même la foule qui s'attroupe sous vos fenêtres pour écouter. Vous aimez la popularité de haut en bas. Si Schlangenbad est impossible, et si vos habitués d’Ems s’en vont, pourquoi n'iriez vous pas tout de suite à Bade. Il me semble qu’il y a toujours là au monde, et même des gens qui y restent très tard comme Bacourt. Je me préoccupe, sans cesse de ce que vous deviendrez. Je suis bien puni d'avoir trop cru à la paix ; je ne peux plus y croire aujourd’hui.
Dans mes journaux d’hier, je trouve que le vent recommence à souffler dans le sens de la guerre. Vous n'évacuez pas même la Valachie vous défendrez Bucharest. Au midi, presque toutes les troupes Françaises se rendent à Varna, au nord, l'Empereur Napoléon va voir embarquer celles qui partent pour la Baltique ; le Général Baraguey d'Hilliers se promet de prendre là le bâton de Maréchal qu’il a manqué dans la Mer Noire. La guerre est dans l'esprit de tout ce monde là. Les timidités et les hésitations de Berlin, et de Vienne ne l'en feront pas sortir.
Midi
Voilà les flottes loin de Cronstadt. Le choléra est pour tout le monde. Adieu, adieu. G.
119. Val Richer, Lundi 17 juillet 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Est-ce que la dépêche de M. de Nesselrode, lue aux Valaques par le baron de Budberg est vraie ? J’ai peine à y croire. Je comprends parfaitement l'obstination, le parti pris de ne pas céder ; mais à quoi bon l'offense à toute l’Europe, à tous les chrétiens non Grecs ? Fausses croyances, fausse religion. C'est le langage de L'Univers. Est-ce en ce sens que votre empereur veut être l'Empereur de l’Univers ? Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il se sépare ainsi de plus en plus de l’Europe.
La guerre civile semble s’établir en Espagne. Elle pourrait bien y devenir un état permanent comme cela était pendant l’insurrection carliste. Tant que je ne verrai pas Narvaez et Espartero se mettre en mouvement, je ne croirai à rien de sérieux. Ce ne sont encore évidemment que des mécontentements personnels, par suite de mauvais gouvernements.
Jusqu'ici les grands partis ne paraissent pas. Je suppose que ces troubles d’Espagne feront un peu moins regretter à la Reine Marie Amélie d'avoir quitté Séville. Mad. Mollien m’écrit de Claremont : " J’ai trouvé la Reine en parfaite santé, quoique un peu amaigrie, charmée du voyage et du séjour, peut-être plus que du retour. Je doute qu’elle croie avoir dit un adieu définitif à la rade de Cadix. Le soleil et les cérémonies religieuses seront toujours pour elle un puissant attrait. Nous allons tâcher de chercher le soleil, si tant est qu’on puisse le rencontrer quelque part cette année, aux bords de la mer au plus midi possible, pour faire prendre, les bains aux enfants de M. le Duc de Nemours. Le ménage Joinville, qui aime assez à faire bande à part, projette ça et là quelques excursions ; M. le Duc et Mad. la Duchesse d'Aumal vont, comme l’année dernière, s’établir à Ramsgate. Tout le monde reviendra ici pour le 26 Août. "
Je relis votre lettre d'avant hier, 97. On pouvait négocier sur vos réponses, si on veut la paix, et si on croit que vous [Manque une page]
120. Val Richer, Mercredi 19 juillet 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Certainement, on pourrait se parler, et il y a, dans votre réponse aux dernières ouvertures de l’Autriche, de quoi arriver à la paix. Mais on n’y arrivera pas ; on est de part et d'autre sous le poids des fautes passées et des arrières-pensés d'avenir. On ne voulait pas de la guerre qu’on se fait, et aujourd’hui, quand on parle de paix, on veut autre chose que ce qu’on se dit. Sans nécessité, par imprévoyance et malhabileté, contre le voeu naturel des peuples et des gouvernements eux-mêmes, on a laissé se poser publiquement, avec éclat, deux questions énormes, la question de la lutte entre les gouvernements libéraux et les gouvernements absolus, et la question de prépondérance entre l’Angleterre et la Russie en Europe, et en Asie. Que fera-t-on de ces deux questions dans la paix qu’on peut faire aujourd’hui ? Evidemment on ne les résoudra pas, on n'en fera pas même entrevoir la solution. Il faut rétrécir et abaisser infiniment, les négociations pour arriver à un résultat, il faut fermer les perspectives qu’on a ouvertes, arrêter les esprits qu’on a lancés, ramener les choses et se réduire soi- même à de très petites proportions après avoir tout exagéré, enflé, soulevé. C'est bien difficile, et je n'ose pas espérer, pour arriver maintenant à la paix, un degré de sagesse, de prévoyance, de mesure et de fermeté bien supérieur à ce qu’il en aurait fallu pour éviter la guerre. Voilà, mon inquiétude et ma tristesse. Je n’y échappe. qu'en espérant que la fardeau des questions soulevées sera trop lourd pour ceux qui ont à le porter, gouvernements et peuples, et qu'à tout prix, ils s'en débarrasseront plutôt que d’y succomber avec un éclat honteux. Nous ne sommes pas dans un temps de grands desseins, ni de grandes persévérances. On peut sortir, par faiblesse du mauvais pas où l’on s’est engagé par maladresse. Dieu veuille qu’on soit aussi faible qu'on a été maladroit.
En attendant nous allons apprendre quelque grosse bataille entre Giurgiu et Bucharest. Je doute que le gros de l’armée Anglo-Française, soit déjà là, mais il paraît bien certain que Canrobert était arrivé le 9 avec sa division, au quartier général d’Omer-Pacha.
Je suppose que c’est une bouffonnerie des journaux qui disent que votre Empereur a interdit l'enseignement du Français et de l'Allemand dans votre École militaire d'Orembourg pour y substituer celui du Persan, de l’Arabe, et du Tartare. Vous n'en êtes pas encore à quitter aussi l'Europe pour l’Asie.
J’ai des nouvelles de la Reine Marie Amélie. Lettre du pure amitié, en arrivant à Claremont. Elle me dit : " Je crois avoir fait un beau rêve de six mois, car rien n'a été plus satisfaisant et plus doux pour mon coeur que le temps que j'ai passé à Séville ; le bonheur que j'y ai éprouvé et la douleur et la beauté de ce délicieux climat ont rétabli ma santé qui est tout à fait bonne. " Pas un mot, comme de raison, des troubles d’Espagne qui s'aggravent évidemment.
Midi
J'ouvre d’abord votre lettre, puis mes journaux. Est-il vrai que le Général [?] se soit suicidé ? J’espère G.
121. Val Richer, Jeudi 20 juillet 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je suis charmé que votre fils Paul vous ait rejointe ; avec lui de moins vous pouvez causer en liberté. Vous avez donc trouvé un logement à Schlangenbad. Si le ciel y est aussi pur et le soleil aussi chaud que nous l'avons ici depuis trois jours, ce doit être charmant.
Je ne prévois pas ce qui arrivera des affaires d’Espagne ; le bouleversement revient bien complet. Je penche à croire que la bombe éclatera encore cette fois sur la tête. de la Reine Christine, et non par sur celle de la Reine. Les insurgés, qui sont d'origine très diverse, auraient trop de peine à s'entendre sur quelque autre solution, si la Reine Isabelle disparaissait, la réunion au Portugal, la République, l'infante Montpensier tout cela est factice et combinaison du coterie ; il n’y a que deux partis sérieux. la Reine Isabelle et les Carlistes. Il ne me revient absolument rien de Narvaez ; je ne rencontre sans nom nulle part. Les chefs civils, et modérés du parti constitutionnel, Mon, Pidal, ont également disparu. Étrange pays dans un temps où tous les pays sont étranges.
Que fera le duc de Montpensier à Séville, si les insurgés y arrivent ? Je suis assez curieux de savoir qui sera, ou était à la tête de votre armée dans la grande bataille qui va être, ou qui a été, livrée entre Giurgiu, et Bucharest. Le Maréchal Paskevitch est-il réellement disgracié ? Il avait raison de ne pas se soucier de la guerre. Je m'étonne de plus en plus que pas un de vos grands Ducs ne soit à l’armée.
Ce n’est pas avec la Reine d'Angleterre, c'est avec le commodore Grey que l'Empereur Napoléon s'est rencontré à bord d’un vaisseau Anglais. Grand honneur pour le fils de votre ancien ami.
Midi
Adieu, adieu. Nous causerons demain, comme on cause de loin. G.
122. Val Richer, Vendredi 21 juillet 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Sacy (ou son rédacteur) a eu certainement tort ; la liberté des cultes existe en Russie ; elle a même, depuis longtemps été l’un des mérites de votre gouvernement, et l’un de ceux dont on l’a et dont il s'est avec raison, le plus vanté. Les Débats n'auraient pas eu tort s'ils avaient simplement dit qu’en sa double qualité de chef de la religion grecque et de souverain absolu, votre Empereur avait fait souvent, dans l’intérêt de l’unité de son pouvoir religieux comme politique, de la domination et de la propagande tyrannique, aux dépens des cultes non-Grecs de ses états Catholiques, Protestants, Juifs, en ont souffert et s'en sont plaints. Vous vous rappelez les religieuses persécutées, les Jésuites bannis, les Provinces Baltiques tracassées, les Juifs de Lithuanie transportés en masse. Il y a eu certainement là de quoi réclamer au nom de la liberté religieuse. Mais on ne s’inquiète jamais assez de savoir la vérité des faits et de ne parler que dans la mesure de la vérité. Je comprends qu’on se préoccupe des lenteurs de l’Autriche ; je n’y mets, pour mon compte que très peu d'importance ; je suis de l’avis de Gréville ; à cause de la Prusse, l’Autriche ne peut faire autrement. Le dénouement sera le même : ou bien vous vous déciderez à faire la paix, une paix désagréable pour vous, mais nécessaire, ou bien l’Autriche prendra décidément parti contre vous et la Prusse elle-même un peu plus tard. Au point et dans le courant où sont les choses, cela me paraît inévitable.
C'est étrange qu'Orloff ait été si insolent avec l'Empereur d’Autriche de deux choses l’une ou le comte Orloff n’a pas autant d’esprit qu’on lui en donne, ou s’il n'a fait qu’agir selon les instructions de votre Empereur, votre Empereur s'est bien trompé sur le caractère et la situation du jeune souverain auquel il avait affaire. Infatuation ! Infatuation. C'est la maladie des jolies femmes, des peuples en révolution et des souverains absolus. J’aurais certainement pris plaisir à causer avec votre jeune Prince de Nassau. Je me le rappelle, très bien. Ces deux ans passés à parcourir l’Amérique du nord, lui font honneur.
Onze heures et demie
Rien dans les journaux, ni du Danube, ni d’Espagne. Deux lettres de Paris qui ne m’apprennent pas. L'Impératrice n’est pas grosse puisqu'elle va prendre des bains de mer. Adieu, Adieu. G.
123. Val Richer, Dimanche 23 juillet 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Ce que je regrette bien vivement pour vous, malgré la passion Russe, c’est Hélène ; elle vous était très bonne et sa fille très agréable. A part les grandes tristesses de la vie, c’est une tristesse véritable que ces liens de quelques mois, de quelques semaines qui se rompent au moment même où ils devenaient. utiles et doux. Que devient Hélène après Schwalbach ? Retourne-t-elle immédiatement à Pétersbourg. Faites lui, je vous prie, de ma part, un adieu un peu affectueux. Je compte bien la revoir à Paris. Car nous avons beau être tristes, et avec grande raison ; ce qui se passe passera, et si Dieu nous laisse encore en ce monde, nous n’y serons pas toujours séparés.
On m'écrit, que Morny se refuse aux instances de l'Empereur qui veut le faire président du Corps législatif à la place de Billaut. Je doute que si les instances sont sérieuses, la résistance le soit longtemps. Et vraiment l'Empereur aurait raison d'insister Morny conviendrait très bien à ce poste. Il n’est pas lettré et habile écrivain, comme l'était M. de Fontanes ; mais il servirait. avec une certaine mesure d'indépendance, dans l’attitude, et un vernis de dignité, comme faisait M. de Fontanes sous le premier Empereur. Cela aussi est un service qui a son prix. On me dit, en même temps que si Morny refuse décidément, c'est M. Rouher qui remplacera Billaut, et que c’est Morny qui le propose. Il paraît que l’incapacité a été la seule cause du renvoi de Persigny. Son idée fixe n’a pu suffire, plus longtemps à couvrir sa paresse et sa nullité comme ministre de l’Intérieur. Certainement Billaut sera plus actif et plus capable. Il a de la ressource dans l’esprit, et je ne serais pas surpris qu’il menât assez bien et assez rondement l'administration. On dit que l'Empereur commence à s'apercevoir, que même le pouvoir absolu d’une part et le dévouement absolu de l'autre, ne suffisent pas, et que les hommes capables sont nécessaires. Il est très content de Bourqueney ; à ce point que s’il y avait un congrès, ce serait probablement Bourqueney qui y serait son homme. Il proposerait cela aussi à Morny ; mais Morny se dit aussi peu de goût pour le congrès européen que pour la Présidence du Corps législatif.
A Paris, on est content et confiant ; bien disposé pour la paix et prêt à s’arranger. de conditions modérées pour vous, mais convaincu que Londres en voudra de fort dures, et bien décidé à ne pas se séparer de Londres. On jouit du charmant mécompte qu’on a, depuis trois mois, à votre égard : " Nous qui étions persuadés que c’était un colosse, que ses ressources étaient inépuisables et ses armées invincibles ; et tout cela n'était qu’une apparence, à peine de la fumée ! " Ce sont là les propos courants, dans les cafés et au foyer de l'opéra, comme ailleurs. Voilà Espartero en scène en Espagne. Je l’attendais, lui ou Narvaez. L’un exclut l'autre, on plutôt l’un pousse l'autre de l'autre côté. Malgré l'extrême décri de la Reine Isabelle, je doute qu’elle tombe ; la Reine Christine sera encore une fois le bouc émissaire. Espartero, c’est-à-dire le parti progressiste, s'emparera de la Reine Isabelle et gouvernera sous son nom. Puis, un jour Narvaez viendra la délivrer et délivrer l’Espagne d’un autre mauvais gouvernement. Je ne m'attends pas à autre chose qu'à la répétition des vieilles scènes.
J’ai des nouvelles du Prince de Joinville. Purs remerciement pour le Cromwell qu’il a trouvé, en arrivant à Claremont. Remerciements tristes, d’une tristesse digne et abattue.
Midi
Adieu, adieu. J'espère que vous avez aussi. beau et aussi chaud que moi, et que votre rhume est parti. Adieu. G.
124. Val Richer, Lundi 24 juillet 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
J’ai, vous le savez, la prétention de n'être pas du tout général et tacticien. Je ne m’applique donc point à suivre pas à pas les opérations de la guerre, à eu discuter le mérite, et à mettre mes jalons à côté de ceux qu’on suit sur le Danube. ou dans la Baltique. Je m'étonne pourtant un peu de voir partout que notre corps de troupes qui vient de partir de Calais, est destiné à aller prendre et occuper les Îles d’Alaud. Comment y restera-t-il l’hiver prochain, sans l’appui des flottes, si la guerre n’est pas terminée au mois d'Octobre ? Comme malheureusement tout l'indique ? J’ai peine à me figurer le général Baraguey d'Hilliers et 8 ou 10 000 soldats Français seuls au milieu des glaces, pendant six mois dans les Îles d’Alaud. Il faut qu’on ait le projet de quelque coup plus prochain et qui mette plutôt fin à la situation.
Quant à l’Espagne, je vois, dans le Moniteur d'avant hier samedi, que Narvaez et Espartero sont d'accord. Si cela est, la Reine Isabelle n'a qu'à se soumettre. Il est vrai qu’il y a aussi moins de chance qu’elle soit détrônée.
Savez-vous pourquoi, le voyage du Roi de Portugal à Paris est remis au mois de septembre ? Est-ce simplement un arrangement convenu de bonne grâce entre lui et l'Empereur Napoléon, ou bien y a-t-il quelque intention de ne pas faire la visite ? C'est du reste quelque chose d’assez singulier qu’un Roi de Portugal absent de Lisbonne pendant qu’il sa passe de telles choses en Espagne. J’ai des nouvelles de Piscatory revenu en Touraine après deux mois passés en Italie avec sa femme et ses enfants. Pas plus content de l'Italie que d'autre chose. Il veut absolument que je le tire de ses ténèbres sur l'avenir, les plus noires le monde : " Est-ce la paix ou la guerre qui décidément résultera de tous ces mouvements belliqueux et de toutes les volontés pacifiques ? J’ai peut-être grand tort, mais tout cela me paraît pitoyable, d’un bout. du monde à l'autre. " Je ne lui dirai rien qui lui apprenne ce qu’il cherche, ni qui change sa disposition.
Midi
Rien de nouveau, ni à Giurgiu, ni à Madrid. J'espère que vous ne souffrez pas de cette chaleur qui me convient très bien à moi. Adieu, Adieu. G.
125. Val Richer, Mardi 25 juillet 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Voilà donc l'Empereur, à Biarritz et formant, là aussi, un camp à propos des événements d’Espagne. Les ministres ont fait ce qu’ils ont pu pour empêcher ce voyage. Ils ne sont pas accoutumés à prendre sur eux la responsabilité des résolutions. Mais l'Impératrice a déclaré qu’elle n'irait pas seule à Biarritz, et l'Empereur voulait qu’elle y allât ; il l'a donc accompagnée. Au fait, qu’elle que soit l'arrogance des décisions, avec le télégraphe électrique, ce sera lui qui les prendra toutes. Seulement cela supprime à peu près la discussion préalable, dans l’intérieur du gouvernement aussi bien qu’en dehors.
On est un peu frappé d’un acte de résistance du Conseil municipal de Paris. Le gouvernement n'est pas, pour le moment, très bien avec les Jésuites, et pour les empêcher d'acheter un des grands collèges de Paris, le collège Stanislas qui est à vendre pour cause de mauvaises affaires, il a voulu que la ville de Paris elle-même l'achetât. Il en a fait faire la proposition dans le conseil municipal ; le ministre de l’Instruction publique et le Préfet de la Somme s’y sont vivement employés. La discussion a abouti à 16 boules blanches et 16 boules noires, de sorte que la proposition n’a pas été adoptée. C'est M. Delangle, le premier président de la cour impériale qui a été à la tête de l'opposition. Autre petit fait, moins sérieux. La visite. de l'Empereur au Commodore Grey, devant Calais, n’a pas été sans mésaventures. Le beau steamer La Reine Hortense, sur lequel l'Empereur s'est embarqué, était entré trop avant dans le port et a voulu en sortir trop tôt, avant la marée pleine. Il a fallu une heure et demie d'effort pour y réussir. Puis on n’a pas bien abordé le vaisseau Anglais ; on a eu besoin d’un remorqueur anglais. Puis, le maréchal Vaillant a manqué l'échelle et est tombé à moitié dans l'eau, où il serait tombé tout-à-fait si on ne l’avait ressaisi à temps. Voilà l’histoire qui court le long de la côte.
On dit beaucoup à Paris que les événements de Portugal tourneront au profit de la maison de Bragance. Bragance et Cobourg. M. de Païra est fort dans l’intimité de M. Drouyn de Lhuys.
10 heures
J’ai mes lettres de bonne heure. Je pense avec plaisir au plaisir que vous aurez eu à causer un peu avec Morny. Mais dites-moi que ce beau temps là vous fait du bien ; il est si beau ! On m'écrit de Paris : " On commence à s’inquiéter, dans les régions officielles, du caractère révolutionnaire, et anarchique du bouleversement Espagnol. Les révolutionnaires ici sont en grande jubilation, et annoncent de prochains mouvements en Italie, surtout dans le royaume des deux Siciles. "
Adieu, adieu. G.
126. Val Richer, Jeudi 27 juillet 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Plus de grosse chaleur. Nous avons échappé hier à un violent orage qui est allé éclater ailleurs. Aujourd’hui, il fait frais. Je voudrais vous mesurer à votre goût le soleil et la pluie. Au moins le bien être matériel, à défaut des grandes satisfactions. Je veux croire que le découragement et la désaffection ne pénétreront pas chez-vous, quoique vous en ayez donné de grands exemples ; mais votre Empereur, finira par comprendre, le mal qu’il se fait à lui-même, et par accepter quelque arrangement que l’Autriche et la Prusse seront toujours là pour proposer. Plus la guerre durera, plus les conditions de la paix lui seront dures. Il ne divisera pas la France et l’Angleterre. Il ne les ruinera pas. Je compte encore sur son intelligence, et son bon sens pour mettre fin à une situation dont il souffre et dont il souffrira beaucoup plus que personne, dans la puissance Européenne et dans la prospérité intérieure de son peuple ai-je tort ?
J’ai grand peine à croire qu’on soit obligé de se mêler de l’Espagne. Le désordre intérieur sera énorme peut-être la guerre-civile ; mais rien qui affecte l’Europe, même les voisins. Les révolutions Espagnoles ne sont pas contagieuses chez nous. Je doute quelles se propagent en Italie. Je vois qu'une tentative a déjà échoué à Péronne. Je persiste à penser qu’il n’y aura là, qu’une mauvaise monarchie radicale, substituée à une mauvaise monarchie quasi absolutiste.
Je vois par le bulletin d'Havas que c’est aussi le pronostic du gouvernement, et qu’il se prépare à vivre en bons termes avec Espartero. Il n’y aura plus de rivalité Franco-anglaise qui y mette obstacle.
Faites-vous envoyer l’histoire de la Turquie de M. de Lamartine. Ce ne sera certainement qu’une série de coups de théâtre et de décorations d'opéra. Mais comme décorateur, comme Sicari de l’histoire, il a beaucoup de talent. Il vous amusera. Lisez aussi le Charles Quint de M. Mignet. Il le mérite. Mlle de Cerini vient elle à bout de vous lire un peu ?
Midi
Adieu, adieu. Je ne reçois absolument rien ce matin.
127. Val Richer, Jeudi 27 juillet 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je lisais tout à l'heure dans le Moniteur la déception des arrangements de la place Louis XV qui seront terminés dans quelques jours. Cela m'a serré le cœur. Je suis décidé à ne les trouver bons que quand vous en jouirez.
Lord Aberdeen a eu ses subsides de guerre sans difficulté. Avez-vous remarqué, il y a quelques jours l’éloge qu’ont fait de lui Hume et Bright ? Il a les suffrages des radicaux pacifiques, et qui, joint aux dévots pacifiques qui l’aiment aussi, lui fait une force réelle malgré son impopularité parmi les belliqueux. Curieux spectacle à observer que celui de la décomposition et de la composition de partis en Angleterre. Il sortira de là un gouvernement meilleur, plus juste, plus éclairé et plus doux à l’intérieur, moins. intelligent, moins sûr, moins fort et moins grand à l'extérieur.
La discours de Lord John contient obscurément tout ce que vous a dit Morny sur les bases de négociation convenues entre la France et l'Angleterre. Vous en passerez par là, ou l'Europe sera radicalement bouleversée.
Le difficile, dans ce plan, c'est la station fortifiée à trouver dans la Mer noire pour que des forces Anglo-françaises s’y établissent en sûreté, et surveillent de là vos forces à vous, quoique réduites. Grande nouveauté qu’un établissement de ce genre commun, à deux nations, dans l'hypothèse d’une alliance perpétuelle. La paix perpétuelle de l'abbé de St Pierre n'était pas plus chimérique. Et quelle dépense pour une surveillance permanente, au bout de l'Europe ! C’est une rude entreprise de lutter contre la Géographie.
Qu’est-ce que le général Butturtine qui a été blessé à Giurgiu. J’ai comme autrefois. un jeune comte Boutourlin qui m’avait l’air d’un homme d’assez d’esprit.
Midi.
Mon facteur arrive tard, pendant que je déjeune. Adieu, adieu. G.
128. Val Richer, Dimanche 30 juillet 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je ne puis croire que l’amiral Berkeley soit assez sot pour avoir produit les lettres qu’il a produites à la Chambre des Communes sans que le Cabinet en ait été d’avis. On a probablement, voulu expliquer par là l’inaction d’une si grande flotte. Cela explique en effet l’inaction, mais non pas l'imprévoyance. On aurait dû savoir cela plutôt. Ce serait payer bien cher la découverte qu’une place est imprenable s’il fallait chaque fois équiper et envoyer sous ses murs l'armée nécessaire pour la prendre. En tout cas, ceci ne me donne aucune espérance pacifique. On vous bloquera jusqu'à ce qu’on aie trouvé par où vous êtes vulnérables. L'occupation de l'île de Gothland par nos troupes si elle est réelle est un fait bien grave. La Suède entre donc dans l'alliance. Cela donne aux alliés des ports dans la Baltique, où ils peuvent hiverner, et se trouver prêts dès que la mer sera libre. C'est la principale difficulté de la guerre dans le Nord supprimée pour eux. Je le pense comme vous, toute la politique de l’Europe est changée, toutes les situations, toutes les alliances. Le premier qui démêlera, les conséquences de cette révolution, et qui entrera hardiment dans les voies de l'avenir qu'elle prépare, sera pour un long temps, le maître de l’Europe. Nous n'épuiserions pas ce sujet en huit jours, si nous causions.
Avez-vous remarqué l'article sur les Finances russes qu'a répété le Moniteur d'avant hier vendredi. Je ne connais pas assez bien les faits pour apprécier la valeur de ses assertions ; mais soyez sûre qu’il fera de l'effet. On croira à votre banque route si la guerre se prolonge. Et on fera tout ce qu’il faudra pour vous empêcher de trouver de l'argent hors de chez vous, ce qui ne sera pas difficile si on croit vos finances embarrassés à ce point. Le discours de Lord Palmerston sur le bill de Lord Dudley Stuart, et la faveur avec laquelle il a été reçu, sont très significatifs.
Aberdeen a une joie de famille. Son dernier fils Arthur, qui voulait le faire Clergyman y renonce et entre dans la chambre des communes. Le père le désirait beaucoup. C’est un très honnête et spirituel jeune homme. Je l’ai vu un moment cet été à Paris, où il a passé en accompagnant à Bordeaux une vieille amie de son prre. Je l’ai trouvé très au courant de toutes choses, et très sensé sur toutes choses.
Que dites-vous du mariage de Lord Harry vane. Je n’avais pas remarqué la mort, très peu remarquable, de Lord Dalmeny. Je me rappelle, très bien Lady Dalmeny, vraie beauté de Keepsake. C'est la soeur de Lord Mahon, si je ne me trompe, Midi. J'adresse toujours mes lettres à Schlangenbad. Adieu, Adieu. G.
129. Val Richer, Lundi 31 juillet 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je trouve le bulletin du Prince Gortchakoff sur la bataille de Giurgiu, très modéré et convenable, sans forfanterie insolente et vulgaire. Il parle des Turcs avec estime et en homme qui a éprouvé qu’il n'en fallait pas parler légèrement. Omer Pacha se fait certainement beaucoup d’honneur. Il serait plaisant que le résultat de tout ceci fût de relever réellement, sinon pour toujours, du moins pour cinquante ans l'Empire Turc. Tout est possible, surtout l'imprévu.
Les Anglais paient bien vivement de leur personne dans les débuts de cette guerre. Voilà quatre ou cinq officiers d’un nom commun tués à Sulina et à Silistrie, Parker, Butler & Ces morts sont racontées, dans les lettres des chefs avec une simplicité grave et émue qui fait honneur aux morts et aux vivants. Un pays Chrétien, aristocratique et libre, c’est ce que l’histoire du monde, jusqu'ici, a offert de plus beau.
Les affaires d’Espagne tournent selon mon attente. Espartero sera premier Ministre comme il a été régent, au nom de la Reine Isabelle, et il gouvernera l’Espagne jusqu'à ce qu'à force de mal gouverner, il ramène au pouvoir Narvaez où son pareil. La France et l'Angleterre feront très bien de ne point s'en mêler et je ne crois pas que rien les y oblige.
Je vois que le général Aurep est à la tête de trois corps à Frateschi. Nous aurons encore là, au premier jour, une grande bataille, où comme vous dites, personne ne sera battu.
Vous faites bien de rester à Ems tant que vous y avez quelqu’un dont la conversation vous plaît. Quelle est donc la maladie de Morny et comment fait Oliffe pour abandonner ses maisons, et ses baigneurs de Trouville, du reste, le monde commence seulement à y arriver. Le Prince Murat qui a acheté le château y donne des fêtes à la population, des spectacles, des bals. Cela console médiocrement les familles, dont les chefs et les enfants ont été pris pour les flottes. Dans ce seul bourg de Trouville, on a pris 175 marins.
Midi
Rien de nouveau. Adieu, adieu. Il fait moins chaud, quoique beau. En jouissez-vous ? Adieu. G.
130 Val Richer, Mardi 1er août 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
On me dit que Narvaez s'est décidément rapproché d’Espartero, et qu’il reviendra à Paris comme ambassadeur du nouveau cabinet. Les généraux qui ont conduit l’insurrection font un grand effort pour réunir, au nom de la monarchie constitutionnelle, les progressistes et les modérés. Le spectacle de l'anarchie dans les rues et les élans communistes qui se sont manifestés dans le bas peuple, à Madrid et à Barcelone, pourraient bien amener ce résultat. De Londres, un agent a été envoyé à Espartero pour l’engager à ne pas se montrer trop difficile avec la Reine et à prendre possession du gouvernement. On lui promet un appui qui ne sera, je pense, point contrarié de Paris. Là aussi, on est inquiet du mouvement démagogique en Espagne, et on désire qu’il soit, le plutôt possible, arrêté et combattu. On ne songe plus à avoir envie soit d'un coup d'Etat quasi absolutiste, soit d’un échec à la maison de Bourbon. Les événements de Madrid ont produit, dans les sociétés secrètes et les ouvriers de Paris, une fermentation dont le danger fait taire toute autre idée. On a expressément interdit aux journaux de publier aucune des proclamations, félicitations et autres pièces révolutionnaires Espagnoles. On combat la contagion par le silence.
On a aussi conseillé le silence aux Débats pour les articles de St Marc Girardin sur l'avenir de la race grecque en Orient. Très poliment et pour St Marc et pour les Débats, mais au nom de l'alliance actuelle et active entre la France et la Turquie. Il paraît que ces articles, qui charmaient à Athènes, ont déplu à Constantinople, et que la Porte a témoigné le désir qu’ils ne continuassent pas.
Vous savez que Walewski va se promener six semaines en Suisse et à Florence. Il l’a désiré et on s'est empressé d'y consentir. On a un peu d'humeur contre lui. Il avait promis la présence de la Reine d’Angleterre à l’embarquement des troupes à Calais. Il s’était trop avancé. C’est une autre présence qu’on recherche maintenant, celle du Prince Albert au camp de Boulogne. On a plus de chances d'y réussir. La même invitation a été adressée au Roi Léopold et il paraît qu’il l’a acceptée. Son neveu fera probablement comme lui. Mais ce n’est pas Walewski qui est chargé de la négociation ; c’est le Prince Antoine Lucien Bonaparte, le même qui vient de voyager en Italie. On le dit spirituel et aimable.
Savez-vous si, comme on me le mande, Rogier est enfin nommé Ministre à Francfort et le Prince de Chimay ambassadeur à Paris ? Je vois que le Prince de Leiningen a pris, avec un officier anglais, le commandement de la flotte Turque sur le Danube. C'est le même, je suppose qui était au service de l’Autriche et qui réussit si bien dans la mission Autrichienne pour le Monténégro. Cela, et le général Hess se concertant avec Omer Pacha, le maréchal St Arnaud et Lord Raglan, c’est presque un commencement d'hostilité.
Onze heures
Je n’ai rien de vous ni dans les journaux. Je vous suppose partie pour Schlangenbad. Adieu Adieu. G.
Mots-clés : Diplomatie, France (1852-1870, Second Empire), Guerre de Crimée (1853-1856), Politique (Angleterre), Politique (Autriche), Politique (Espagne), Politique (France), Politique (Grèce), Politique (Turquie), Réseau social et politique, Révolution, Victoria (1819-1901 ; reine de Grande-Bretagne)
130 Val Richer, Jeudi 3 août 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Combien y avait-il d’année que vous n'aviez vu votre grande Duchesse Marie de Weimar. Au moins vingt ans, ce me semble, car elle ne devait pas être à Pétersbourg quand vous en êtes partie. C'est dommage qu’elle soit si sourde. Vous auriez pris plaisir à causer avec elle. Cette visite a dû vous toucher, en même temps que vous fatiguer. La Princesse de Prusse habite donc toujours Coblentz.
Je ne doute pas que la Prusse ne finisse par suivre l’Autriche. Le poids de l'opinion nationale et de l’opinion Européenne, c’est trop pour le Roi de Prusse. Je plains votre Impératrice. Quelles immenses conséquences d’une série de petites fautes ! Car au premier moment, comme les actes n'étaient pas grands, les fautes semblaient petites, même aux yeux de ceux qui les jugeaient des fautes. Et les événements ne font que commencer.
Il ne paraît pas que l'île de Gothland soit pour rien dans le départ de nos troupes pour la Baltique. Tout indique que ce sont les îles d'Aland qu’elles vont occuper, et qu'elles y passeront l’hiver. Je ne comprends pas. Mais il y a bien d'autres choses que je ne comprends pas.
Je vous ai dit ce qui m'était revenu sur l’Espagne. Je n’y pense plus. La Reine Isabelle fera tout ce que voudra Espartero. La Reine Christine restera tant qu’on voudra à la Malmaison. Quel rôle que celui de la Royauté dans toutes ces secousses ! Quelle humiliation ! Je ne crois pas la monarchie ébranlée, pour le moment, en Espagne ; mais l'avenir ? Et quel avenir entre la République décriée et la Monarchie avilie ?
Voici une nouvelle qui ne vous touchera guère, mais qui a pour la France une importance réelle. On a depuis longtemps à Rome le désir de condamner solennellement Bossuet et les quatre fameuses propositions, ou Libertés de l'Eglise Gallicane, dont il fut en 1682, le défenseur. On a cru le moment favorable pour faire prendre français par le Clergé lui-même, l’initiative de ce triomphe ultramontain. Un concile s'est tenu naguère à La Rochelle, sous la Présidence du Cardinal Donnet. archevêque de Bordeaux. On a provoqué là une délibération dans le sens que Rome désirait. Mais au dernier moment, la peur a pris au Concile, au Cardinal, et ils n’ont rédigé qu’une délibération très vague, et que Rome juge très insuffisante. Cela cause, dans le monde ecclésiastique, et politico ecclésiastique, une assez vive agitation. En tout, ce monde là est aussi médiocre que l'autre.
Midi
Vous voilà donc de nouveau en retraite. Je comprends encore moins la Stratégie que la politique. Adieu, adieu. G.
131. Val Richer, Vendredi 4 août 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
L'immobilité militaire et diplomatique est complète pour le moment. Nous apprendrons peut-être un de ces jours la prise des Îles d'Aland, et une bataille sur le Danube. Je ne sais si, de ce dernier côté, St Arnaud se prépare à se battre, comme vous le dites ; mais vous me paraissez décidés à l'éviter. Tous les journaux d’hier annonçaient votre retraite de Guere Gewo sur Bucharest, et même au-delà. A la vérité que signifient les journaux depuis qu'ils ne parlent plus à tort et à travers ?
Nous en saurons encore bien moins quand la session du Parlement sera close. Il me revient qu’elle se prolongera quelques jours de plus qu’on ne croyait. Le fils aîné de Sir John Boileau, qui est private secretary de Lord John, devait venir le 20 passer ici huit ou dix jours ; mais sa soeur écrit à ma fille que Lord John ne quittera Londres que le 28. Le Cabinet, et Lord Palmerston comme les autres, subit impunément une foule de petits échecs. Il durera autant que la guerre. C'est la guerre qui fait la sécurité de Lord Aberdeen. Bizarre situation. Tout est bizarre du reste dans cette affaire. Certainement l’Angleterre déploie et étend beaucoup sa puissance. Ne vous figurez pas que cela fasse quelque chose ici. Personne n’y pense. La faute de votre Empereur, depuis un an, est de croire que les gouvernements se conduiront pas des considérations anciennes et secondaires ; il n’a pas prévu que des idées simples, uniques et nouvelles décideraient de tout ; pour la France, l’intérêt de l'alliance Anglaise ; pour l'Angleterre l’intérêt de l'abaissement Russe. Tout a disparu et disparaîtra devant ces deux desseins.
Le mouvement Espagnol s'est fait à Séville comme ailleurs et le nom du Duc et de la Duchesse de Montpensier n’est pas prononcé dans les journaux. On parle beaucoup du Salon de Mad. de Montijo à Madrid et de son intimité avec les généraux O'Donnell Dulce et autres. Le décret de l'Empereur d’Autriche sur l'établissement des États et des comités de Province est bien conçu et bien rédigé. Quelles en seront l'importance et l'efficacité politiques, et jusqu'à quel point donnera-t-il satisfaction aux intérêts nouveaux, je ne le sais pas ; mais c’est certainement l'œuvre d’un gouvernement sérieux, et qui sait ce qu’il fait. C'est sans doute M. Bach qui en est l'auteur.
Midi
Ceci vous trouvera donc réellement à Schlangenbad. Je suis charmé que vous y ayez Ellice. Adieu, adieu. G.
132. Val Richer, Dimanche 6 août 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Il n’y a pas à s'étonner que nous rabachions, nous simples spectateurs, quand les acteurs eux-mêmes rabâchent. Les journaux ne sont pleins que de votre retraite. Vous évacuez Bucarest et la Valachie ; vous vous repliez sur le Sereth. Vous avez déjà fait cela. Pourquoi le recommencez-vous ? Pourquoi l'avez-vous fait la première fois ? On peut, même à ses dépens, prendre plaisir à assister à un grand spectacle ; mais suivre, jour par jour, des scènes inintelligibles, où l'on ne peut démêler aucun plan et où ne se rencontre même presque aucune action, c’est très ennuyeux. Si nous ne nous écrivions pas tous les jours, je laisserais là mes journaux sans les ouvrir, en priant quelqu'un de m'avertir au moment où le drame reprendrait vraiment, un peu d’intérêt et de clarté.
J'en trouve un peu plus en Espagne depuis deux jours ; je comprends un peu mieux. évidemment, l’anarchie a éclaté si violemment à Madrid, à Barcelone à Valence, partout que la peur prend à tous ceux qui ont quelque chose à perdre à l'anarchie. Espartero en entrant à Madrid comme Manuel de la Concha en revenant à Barcelonne, ne sont occupés que de rallier les troupes, de rassurer les honnêtes gens, de réprimer les perturbateurs. Vous allez voir les auteurs de l'insurrection pratiquer immédiatement la politique de résistance. Cela sauvera, quant à présent, le trône de la Reine Isabelle. Il me paraît que son dernier gouvernement, le Cabinet renversé si violemment, le comte de san Luis et ses collègues dont je ne me rappelle pas les noms étaient vraiment d’une incapacité, d’une immoralité, d’une légèreté et d’une fatuité incomparable ; des doublures de roués et de parvenus. C'est leur détestable gouvernement, plus qu'aucun complot ou aucun projet d'Opposition, qui a fait l’insurrection et son succès. Il y avait bien toutes sortes de coteries, d’intrigues, de rêves et par dessus tout le vent révolutionnaire qui est dans l’air et qui jette bas la porte dés qu’on la lui entrouvre ; mais ce n’est pas là, ce qui a décidé l’événement. On a tout simplement voulu se débarrasser de gens qui gouvernaient trop mal, et on va essayer de gouverner un peu moins mal et un peu plus honnêtement. Voilà l'impression qui me reste de tout ce qui m’arrive. Nous verrons bientôt si elle est fondée.
Avez-vous connu le baron de Vitrolles qui vient de mourir à 80 ans ? C'était un homme d’esprit, courageux, fidèle à sa cause et à ses idées, mais bien brouillon et préférant toujours les détours au grand chemin. C'est avec lui que j’ai eu en 1815, ma première discussion politique, à l'occasion d’un pamphlet qu’il avait publié sur le rôle du Ministère dans le gouvernement représentatif. Je présume qu’il est mort du choléra, outre ses 80 ans. Je ne puis regretter que vous ne soyez pas, dans ce moment à Paris. Le Choléra y est bien plus fort qu’on ne le dit, et qu’il n'est permis aux journaux de le dire. Mad. Gabriel Delessert, en a été à la mort ces jours derniers ; on la croyait perdue. Son beau frère Français m'écrit qu'elle est hors de danger.
Midi
Je n’ai pas de lettre. Je m'en prends à Schlangenbad. Adieu, adieu.
133. Val Richer, Mardi 8 août 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je ne vous ai pas écrit hier. J'étais las de rabâcher par écrit et impatienté de ne pouvoir causer. Savez-vous combien de temps vous resterez à Schlangenbad ? Je suppose que non. Vous y referez-vous un salon, comme à Ems ? Je suppose que oui. Vous ne m’avez pas nommé les acteurs de votre second salon d’Ems. Je n'en connais que Morny.
On me dit que Biarritz ne réussit pas à l'Impératrice. Elle a suspendu ses bains. Elle est préoccupée de sa santé, et aussi de celle de l'Empereur. On s'étonne un peu à Paris qu’ils en soient partis au moment de la recrudescence du Choléra. On compare le Roi de Sardaigne allant à Gênes exprès pour visiter les hôpitaux cholériques. Comparaison faite sans amertume, sans mauvais vouloir, comme un fait qu’on remarque, et on passe.
La recrudescence est en effet assez vive ; samedi dernier 106 morts constatées à Paris, Vendredi 113. C'est peu en comparaison des chiffres des grandes crises ; pourtant c’est sérieux. Duchâtel m’écrit que le déclin paraît commencer. Ce sont les grandes chaleurs, et les orages qui ont multiplié les cas. Le frais est revenu. Duchâtel reste à Paris jusqu'au 12, à cause des prix de son fils ; après quoi il va s'établir dans la Gironde jusqu’au mois de décembre. J’ai aussi des nouvelles de Montebello qui ne va pas en Champagne parce que le Choléra y est plus fort qu'a Paris. Il viendra passer les vacances de ses enfants à St Adresse, près du Havre, et il me dit que de là il viendra passer deux ou trois jours avec moi. Je voudrais vous l'envoyer, mais je n'y compte pas.
La lettre de l'Empereur au Ministre de la guerre, à propos des marches des troupes vous aura un peu surprise. Il a très bien fait de l'écrire, mais moins bien de la publier. L'Empereur son oncle lui aurait dit qu’on ne lave pas son linge sale en public, surtout quand c’est la tête de ses propres généraux qui est le linge sale. Il y a eu certainement de grandes étourderies des Chefs ; la plus criante, dit-on, est celle d’un colonel à Vincennes qui, par un jour des plus ardentes chaleurs, a fait faire à ses soldats, au pas de course, le voyage de Vincennes à Paris. Il en est tombé beaucoup sur la route, et on assure, ce que j’ai peine à croire, que 37 sont morts à l'hôpital. Certainement cela méritait une vive admonition impériale et ministérielle, mais sans recherche de popularité, aux dépens des chefs.
Les nouvelles de Madrid sont un peu meilleures. M. Drouyn de Lhuys s'attendait à ce qui est arrivé, et avait donné à M. Turgot des instructions en conséquence. On dit que M. Turgot les a bien suivies et n’a point fait de faute. On est content de lui et de soi. Au fond, on est fâché et inquiet de ce qui se passe là. Il y aura à Madrid une presse et une tribune fort mal contenues. L'Empereur est moins inquiet que ses ministres ; il les rassure en disant : " Nous donnons quelquefois la peste aux autres ; nous ne la prenons pas."
Midi.
Voilà votre N°129. Long et curieux. Nous nous envoyons les mêmes bons mots. Adieu. Adieu. G.
Mots-clés : Conditions matérielles de la correspondance, Conversation, Correspondance, Diplomatie, France (1852-1870, Second Empire), Guerre de Crimée (1853-1856), Ministère de la Guerre (France), Napoléon III (1808-1873 ; empereur des Français), Politique (Espagne), Politique (France), Réseau social et politique, Salon, Santé
134. Val Richer, Mercredi 9 août 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Mon facteur est arrivé ce matin plutôt que de coutume et il était pressé de repartir. Je n’ai pas eu le temps de vous écrire. Ceci ne partira que demain. Mais je viens causer un moment avec vous à la fin de la matinée et après d'ennuyeuses visites. Quel abus des mots ? Causer ? Je ne sens jamais plus la séparation qu’au moment où je vous écris. Je ne crois pas à un armistice. Je ne crois pas à une mésintelligence, sérieuse entre la Prusse et l’Autriche.
Je ne crois à rien de ce qui supposerait, de la part des acteurs une conduite prévoyante indépendante, fortement préméditée et suivie. Ils sont et ils seront tous dominés et entrainés par des événements qu’ils n’ont ni faits, ni voulus. Je ne compte pour sortir de cette impasse, que sur l'extrême difficulté et cherté des efforts qu’il faudra faire pour y rester, et sur la presque impossibilité d’arriver à des résultats qui soient une solution. La guerre finira de guerre lasse, sans vraie victoire pour personne. Ses auteurs ne méritent pas mieux que cela.
Certainement l'Empereur Napoléon y a gagné, et il y gagnera encore s’il continue à ne faire ni plus, ni moins. Il a fait preuve de sagesse, car il n’a cédé à aucune tentation d'ambition ni de révolution. L’Angleterre y gagnera aussi ; elle a fait preuve de puissance ; elle a protégé efficacement l'Empire Turc contre vous, après l'avoir protégé efficacement contre nous en 1840. Un Empire protégé deux fois en quinze ans est bien près d'être un territoire sujet. L’Autriche, si elle garde jusqu'au bout la position qu’elle a en ce monent y gagnera aussi beaucoup ; elle aura fait preuve d'habilité ? Jusqu'ici, ce sont là, je crains, les seuls gagnants.
Jeudi matin 10.
J’ai devant moi, un brouillard qui me présage une belle journée. Les brouillards du matin, sans pluie, ont ici ce mérite. Je leur en saurai aujourd’hui, un gré particulier Les Broglie viennent, de Trouville, passer ici, la journée. Il vaut mieux pouvoir se promener en causant. Il n’y a pas grand monde à Trouville. Le Prince Murat y fait la pluie et le beau temps. Très grand train et train populaire. L’Espagne a bien mauvais air et Espartero bien de la peine à établir son autorité. Je persiste pourtant à croire qu’il l'emportera sur les juntes. Il aura toute l’armée pour lui et c’est l’armée en Espagne qui fait et réprime tour à tour les révolutions. Gréville a raison ; si Palmerston était aux affaires étrangères, il s'en mêlerait et dans un mauvais sens. Il vaut mieux qu’il passe son temps à faire faire, pour Mistriss Hume, le portrait de M. Hume.
Onze heures
Vous évacuez donc la Moldavie comme la Valachie et vous rentrez chez vous. Ainsi soit-il ? Adieu, Adieu. G.
Mots-clés : Conditions matérielles de la correspondance, Conversation, Correspondance, France (1852-1870, Second Empire), Guerre de Crimée (1853-1856), Napoléon III (1808-1873 ; empereur des Français), Politique (Angleterre), Politique (Autriche), Politique (Espagne), Politique (France), Politique (Russie), Politique (Turquie)
135. Val Richer, Vendredi 11 août 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je parle comme si j'étais sûr que les journaux disent vrai ; vous voilà donc hors de la Moldavie comme de la Valachie, et rentrés chez vous après un an de campagne. Comment l'orgueil du maître et l’enthousiasme des serviteurs s'accommodent-ils de ce résultat ? Il est vrai qu’il n’y a point de limites à l'aveuglement de l'orgueil. Ce spectacle est plus fait pour les moralistes que pour les politiques.
Votre Empereur a fait, au parti conservateur en Europe, dans la politique extérieure, le même mal que lui a fait, en 1846 sir Robert Peel dans le gouvernement intérieur ; il l'a désorganisé, et abattu en le divisant et en l'abreuvant de mécomptes. Je crois peu au triomphe Européen de la politique révolutionnaire, mais beaucoup à la décadence de la politique conservatrice. Le mal n'est pas puissant, mais le bien est très malade. Le monde sera longtemps ballotté entre le bien et le mal sans périr et sans se relever.
Les Broglie ont passé hier la journée ici. Le Duc revenait de Paris, uniquement préoccupé (Paris) du choléra qui est pourtant en déclin. Comme je vous le disais, on remarque que l'Empereur est parti, et qu’il ne revient pas pour la fête du 15. La Place Louis XV, les Champs Élysées, le Pont, les entours du Corps législatif sont dans un sens dessus dessous extraordinaire à cause de cette fête. On s'amuse assez de ces préparatifs et aussi de ceux de l'Exposition industrielle de l’année prochaine qui sera très belle, dit-on, quoique le Palais soit trop petit.
Voilà Montalembert hors de cause. Les journaux ont eu la permission d’annoncer le fait, sans aucun détail, ni réflexion. Après ce succès, je ne pense pas qu’il donne sa démission du Corps législatif. Il peut y rentrer en souriant.
Les pauvres Ste Aulaire sont menacés d’un grand chagrin. Leur fille aînée, Mad. de Langsdorff est très dangereusement. malade ; un dépérissement rapide dont on ne connaît pas la cause. Elle est à Etiolles avec son mari et ses enfants. Sa mère la soigne avec désespoir.
Quelque russe que soit la Princesse Koutschoubey parlez-lui de moi, je vous prie. Je m'intéresse à son chagrin. Je suis sûr que moi Français, je causerais avec elle plus doucement que vous. Vous savez que je vous trouve une très mauvaise sœur grise, parfaitement impropre à panser les blessures.
Midi.
La nouvelle est officielle. Vous évacuez les Principautés. Mais la paix n’est pas faite. Si on cesse de se battre, et si on commence à négocier, elle se fera. Adieu, Adieu. G.
136. Val Richer, Samedi 12 août 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Que de raisonnements et de questions à faire sur ces dix lignes du Moniteur ! En même temps que vous évacuez complètement les Principautés, l’Autriche se déclare d'accord avec la France et l'Angleterre sur les autres garanties à exiger de vous pour le rétablissement durable de la paix générale, et elle s’engage à ne traiter avec vous que si elle obtient de vous ces garanties. S'est-on effectivement mis d'accord sur ce qu’on vous demandera ? Est-on bien décidé, partout, à s'en contenter si vous y consentez ? L’Autriche a-t-elle de bonnes raisons de croire que vous y consentirez ? Si elle en a, c’est très bien. Mais, si vous ne consentez pas, la voilà liée jusqu'au bout avec la France et l’Angleterre. Par conséquent obligée de vous faire la guerre, comme la France et l'Angleterre, pour vous forcer à consentir. N’y a-t-il, dans tout cela, de votre part, qu’un artifice militaire et diplomatique ? Vous évacuez les Principautés. L’Autriche les occupe pour la Porte. La France et l'Angleterre n’y peuvent plus entrer. Voilà toutes vos forces disponibles ; vous pouvez les concentrer en Bessarabie, en Crimée, en Finlande, sur les seuls points où les forces Anglo-françaises puissent désormais, vous attaquer. C'est un affreux humbug que vos 8 à 900 000 hommes. Vous avez grand peine à armer et à entretenir 2 à 300 000 hommes effectifs. L’Autriche, en occupant les Principautés vous dispense d'en avoir davantage. Il faut rabâcher encore et dire que tout est encore bien obscur et bien incertain. Pourtant il y a un peu de nouveau, et plutôt bon que mauvais.
J’ai eu hier des nouvelles d’Angleterre, par un homme très intelligent, qui y vit habituellement et qui en arrive. Toujours même ardeur ; même parti pris de ne pas en finir sans de vrais résultats. Beaucoup d'humeur contre l’inaction des forces de terre et de mer. Les querelles de Napier avec quelques uns de ses capitaines font grand bruit. Très bonne récolte ; prospérité toujours croissante. Ici aussi, la récolte est bonne ; nous n'aurons nul besoin des grains d'Odessa.
Pauvre Roi de Saxe. Je ne me souviens d'aucun autre exemple d’un Roi mort d’un coup de pied de cheval. Il était sensé et aimé ; deux conditions devenues rares.
Onze heures
Je ne me souviens pas d'avoir jamais été deux jours sans vous écrire. C'est quelque bévue de la poste. Je vais lire les notes russes et françaises que publie le Moniteur. Elles ne mènent guère à la paix, ce me semble. Il est vrai qu'elles sont vieilles. Adieu, Adieu. G.
137. Val Richer, Lundi 14 août 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
J’ai lu la dépêche du Comte Nesselrode au Prince Gortschakoff avec un sentiment pénible. Si embarrassée et si vide ! Embarrassée, comme d’un homme qui voudrait bien conserver sa position et qui pourtant ne parle plus très haut, n'ayant plus dans sa force la même confiance ; vide et vague, comme d’un homme qui ne veut pas ou ne peut pas aller droit au but et ouvrir telle ment les portes de la paix. Votre Empereur a l’air de sentir qu’il n’a pas eu de succès et qu’il a affaire à plus fort que lui ; et en même temps, il ne peut encore prendre sur lui de se conduire d'après ce sentiment. Plus beaucoup de fierté et encore beaucoup d'obstination. Vous voyez que pour moi, je parle sans détours.
Je suis bien aise que de l'autre côté on ait indiqué avec précision sur quelles bases on serait disposé à traiter. La dépêche de M. Drouyn de Lhuys est d'accord avec le langage des Ministres Anglais. Il y a là des conditions bien difficiles ; mais enfin on les connaît ; on s’y accoutumera peu à peu.
De tout cela, et quoiqu’il arrive à présent, la guerre continuée ou la paix, il restera une situation complètement changée, une autre Europe, un autre avenir. J’ai beau mettre mon esprit, en liberté ; je ne mesure pas encore tout ce qu’il y a de nouveau dans les conséquences de ceci.
Le Grand duc Constantin l'a échappé belle. On dit que la mort du Prince Galitzini a fait beaucoup de peine dans la famille Impériale. Etait-ce un jeune homme ? Qu'était- il au Prince Galitzini de votre salon, le mari de la rose du Bengale ?
Le discours de Lord Clauricard lui fait peu d’honneur. Ce n'est pas un discours anglais. Opposition de journaliste mécontent par suite de mécomptes, non d’un adversaire politique. J’ai trouvé, la réponse de Lord Clarendon très bonne, plus développée, plus nourrie de faits plus précise qu’il ne lui arrive ordinairement. C'est vraiment de la politique.
Pauvre Reine Christine être jugée et rendre l'argent ! Il y a des excès de scandale que notre temps ne supporte pas. Elle a beaucoup d’esprit mais trop de mépris. Les Cortés finiront par lui permettre de sortir d’Espagne. J’ai peine à croire à l'abdication de la Reine Isabelle. Si elle en venait là laissant sa fille enfant sur le trône avec Espartero pour régent, comme elle a été laissée elle-même par sa mère, il y a dix huit ans ce serait un singulier triomphe de la Monarchie.
Midi
Voilà le discours de la Reine d’Angleterre, bien vert à votre égard, et bien tendre pour la Turquie. Adieu, Adieu. G.
138. Val Richer, Mardi 15 août 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je vous ai à peine dit un mot hier du discours de la Reine d’Angleterre. Outre les paroles sévères pour vous il est très significatif : " Réprimer efficacement l’esprit ambitieux et agressif de la Russie. Assurer la tranquillité à venir de l'Europe. " Et au même moment, la publication au Moniteur de la dépêche de Drouyn de Lhuys à Bourqueney, et Lord John y renvoyant M. Hume. C'est la guerre tant que vous n'accepterez pas la paix à ces conditions là. La question n’avait pas encore été ainsi posée dans toute sa grandeur ni avec tant de précision et de clarté. Et maintenant, il est très naturel que les gouvernements alliés la posent ainsi, car c'est ainsi qu’elle se pose dans l’esprit de leurs peuples et de toute l'Europe. Tout le monde croit ce qu’on vous demande nécessaire pour assurer la tranquillité à venir de l'Europe, et personne n'est disposé à se contenter à moins. Effectivement personne en Angleterre, où l'opinion publique s'échauffe au lieu de se refroidir. En France le public ne serait pas si exigeant ; il est sans goût pour la guerre et sans parti pris sur les conditions de la paix mais l'Empereur Napoléon est bien décidé à ne pas se séparer de l'Angleterre, et le public Français l'en approuve, et le suivra dans cette voie aussi loin qu’il voudra aller. Si vous faites entrer dans les chances de votre jeu la désunion possible de la France et de l'Angleterre, vous y serez trompés comme vous l’avez déjà été. Le gouvernement du Roi Louis Philippe avait pour politique la paix et l'Alliance Anglaise ; celle de l'Empereur Napoléon, c’est l'alliance Anglaise et la paix ou la guerre, selon le temps et le besoin. Si vous ne prenez pas cela comme un fait certain et la base de vos opérations diplomatiques, Dieu sait jusqu’où vous pourrez être conduits, c’est-à-dire poussés.
Car à ce fait là, s'en ajoute, en ce moment un autre aussi grave ; l'Allemagne reprend son indépendance. Depuis 1815 vous dominiez l'Allemagne ; la politique Allemande était la vôtre. Cela n'est plus ; il y aura, il y a déjà une politique Allemande qui sera avec vous ou contre vous selon les intérêts Allemands, et les intérêts d’ordre Européen. Quant à présent, l'alliance Anglo-franco Autrichienne, qui vous avait tant déplu en 1815, est en train de se refaire et déjà à peu près refaite. Je ne sais quel espoir vous pouvez avoir de l’entraver encore ou de la dissoudre ; mais vous y avez si peu réussi depuis un an que vous ne pouvez guère compter sur un meilleur succès.
Vous aviez à votre arc, pour la question d'Orient (je ne pense qu'à celle-là) deux cordes excellentes, votre prépondérance en Allemagne, et la perspective de votre pas cela comme un fait certain et entente possible avec l’Angleterre pour le partage de l'Empire Ottoman. Vous les avez perdues toutes les deux. L’Angleterre, sur cette question s'est mise contre vous avec la France, et l'Allemagne vous a échappé. Il ne sert de rien ou plutôt il n’y a rien de plus nuisible que de ne pas voir les faits comme ils sont. C'est ainsi qu’on se perd. L'Empereur Napoléon 1er s'est perdu pour n'avoir pas voulu voir que toute l’Europe se coalisait contre lui, et qu’il ne pouvait ni lui résister, ni la diviser.
Ce n'est pas le Protectorat Autrichien que propose Drouyn de Lhuys pour les principautés Danubiennes, c’est le Protectorat Européen.
Vous ne pouvez pas contester la libre navigation des Bouches du Danube. Sur la nature et les limites du Protectorat religieux à exercer en Turquie en faveur des Chrétiens, il y a à discuter et on peut s'entendre. Je ne vois pas pourquoi vous n'accepteriez pas le Protectorat, en commun, Chrétien et Européen. Vous y perdriez certainement quelque chose, en réalité et beaucoup en apparence ; je comprends que vous préfériez le Protectorat spécial, Russe et Grec. Mais vous n'en êtes pas à choisir tout ce que vous préférez ; et, dans le Protectorat en commun il vous restera toujours la grosse part, car les chrétiens grecs sont les protégés les plus nombreux et vous êtes le Protecteur grec, et le plus voisin. Il y là aussi des faits qui sont à votre profit, et que personne ne peut changer.
Reste la limitation de votre puissance dans la mer Noire. Ceci est, pour vous, le point douloureux et, pour l'Europe, le point difficile. Je ne sais pas qu’elle solution on peut trouver. Mais on peut la chercher en Congrès.
Si on prétend résoudre toutes les questions en principe du moins avant de les discuter en congrès, il n’y aura ni congrès, ni paix. Il suffit que sur quelques unes, il y ait des bases sous entendues, et que sur les autres la discussion soit admise.
Quel monologue ! Je me suis figuré que nous causions. Je ne vous écrirai pas demain. Je vais passer la journée à Trouville ; un dîner qu’il n’y a pas eu moyen de refuser. Adieu. Adieu. G.
Pauvre Lord Jocelyn ! il me semble que c’était un bon ménage.
Onze heures
Voilà votre 113. Je suis charmé qu’il vous arrive tant de société à Schlangenbad.
Mots-clés : Affaire d'Orient, Diplomatie, France (1814-1830, Restauration), France (1830-1848, Monarchie de Juillet), France (1852-1870, Second Empire), Guerre de Crimée (1853-1856), Louis-Philippe 1er (1773-1850), Napoléon 1 (1769-1821 ; empereur des Français), Napoléon III (1808-1873 ; empereur des Français), Politique (Allemagne), Politique (Angleterre), Politique (Autriche), Politique (France), Politique (Grèce), Politique (Russie), Relation François-Dorothée (Diplomatie), Salon
142. Val Richer, Lundi 21 août 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Mon premier mouvement hier, en recevant votre lettre a été de me fâcher sans colère, presque en souriant ; le second, de m'étonner. Vous me connaissez bien peu. Et je ne vous connais peut-être pas mieux. Que l’intimité complète et parfaite, rien de caché ni d’ignoré, est difficile en ce monde. Il y a bien des raisons, et bien grandes, pour qu’elle existe entre nous ; et pourtant, il y manque beaucoup. C'est grand dommage. Il n’y a rien de si charmant que de tout savoir l’un de l'autre, et de se croire toujours. Plus je vais, plus j'ai besoin de vérité. La réticence, le silence, l'obscurité m'incommodent et me choquent. C'est par probité que je vous ai dit ma visite à Trouville. Ne m'en punissez pas en ayant mal à l'estomac.
Pourquoi ne nous donne-t-on pas le dernier protocole qui a dû être signé à Vienne après votre dernière réponse ? On affirme cependant que l’Autriche est parfai tement d'accord avec nous sur les quatre conditions énoncées dans la dépêche de Drouyn de Lhuys, et même qu’en vous les communiquant elle vous a dit que, si vous n'y consentiez pas on demanderait probablement davantage plus tard. C'est du reste pure curiosité de ma part. Quels que soient les protocoles, je suis convaincu que l’Autriche veut, par dessus tout, le rétablissement de la paix, que toutes ses démarches, toute son intimité avec nous ont pour but essentiel de lui donner plus de moyens d’y arriver, et que tout en tirant parti, contre vous et pour elle même, de la situation actuelle, elle ne poussera jamais contre vous, la botte à fond, à moins que vous ne l'y forciez absolument par je ne sais quelles nouvelles fautes que je ne prévois pas. Je crois que sous leurs apparences de dissidence, le Roi de Prusse et l'Empereur d’Autriche se concertent toujours dans ce sens. Ils seront charmés l’un et l'autre de vous voir diminués ; ils n’ont nulle envie de vous voir radicalement battus, et de se brouiller avec vous en y contribuant. On dit que le général de Caedel, envoyé par le Roi de Prusse pour assister aux manoeuvres du camp de Boulogne, a mission de faire à l'Empereur Napoléon toutes les protestations et toutes les caresses imaginables.
Onze heures
Le Courrier ne m’apporte rien, et je vous dis Adieu, Adieu. G. leurs apparences de dissidence, le Roi de Prusse et l'Empereur d’Autriche se concertent toujours dans ce sens. Ils seront charmés l’un et l'autre de vous voir diminués ; ils n’ont nulle envie de vous voir radicalement.
144. Val Richer, Jeudi 24 août 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je n’ai pas eu de lettre hier. J'espère bien que vous n'avez pas été plus souffrante ; mais j’ai besoin de le savoir. Que d’espace entre l'espérance et la foi !
Je suis frappé de la parfaite similitude des récits sommaires de la prise de Bomarsund dans les Débats et dans l'Assemblée. nationale. Cela indique un article venu du gouvernement. S'il en est ainsi, on a eu tort de faire ressortir comme le fait cet article la promptitude et l’énergie supérieures des Chasseurs de Vincennes qui se sont introduits dans la grande tour et l’ont emportée quand les Anglais n'avaient pas encore eu le temps d’armer la batterie confiée à leurs soins.
La jalousie ne serait pas difficile à exciter entre les deux nations. La politique n'en serait pas changée ; les deux gouvernements sont évidemment très décidés, à rester unis. Ce ne serait que des embarras de plus. J’ai des détails assez intéressants sur l'Italie, Naples, Rome, Florence, Turin, par un homme d’esprit qui en arrive. La politique de l’Autriche, et son intimité avec la France et l'Angleterre ont causé là un immense mécompte. On s'était bien promis la brouillerie et alors une explosion anti-Autrichienne plus vive et mieux soutenue du dehors que les précédentes. Il y faut renoncer ; on commence vraiment à le croire. Les Mazziniens sont très découragés. Le Roi de Naples est très Russe dans l’âme, mais n'a peur que des Anglais et fera tout ce qu’il faudra pour amadouer Gladestone. Rome est toujours à la veille d’une crise, et le sort du Pape de plus en plus attaché à la présence des troupes Françaises. Le Piémont va. La visite du Roi à Gênes envahie par le cholera a été d’un bon effet. On l’a seulement trouvé peu magnifique. Son père, en pareille occurrence avait donné aux hopitaux de Gênes 50 000 francs. Il n'en a donné que 10 000. Les rois constitutionnels sont pauvres. Il n’y a pas grand mal.
Midi
Je ne comprends pas le retard de mes lettres. Je suis parfaitement exact. Jamais deux jours sans vous écrire. Pour mon plaisir autant que pour le vôtre. C'est bien le moins que nous ayons cette ombre de plaisir. Je me plaindrai à la poste française ; mais c’est peut-être la poste Allemande. Je viens de parcourir mes journaux. Les Anglais sont d'habiles gens ; ils vantent de très bonne grace les Français devant Boncarnaud. Ce qui est plus important, c’est la réponse du Prince Gortschakoff aux quatre propositions Anglo-françaises ; on peut les prendre pour base de négociation. Dieu veuille que ce soit vrai. Adieu, Adieu. Vous aurez certainement eu deux lettres le lendemain. Adieu. G.
145. Val Richer, Vendredi 25 août 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je comprends que le Prince Woronzow n’ait pas goût à entendre parler aujourd’hui d’affaires. La Crimée et le Caucase ont été les affaires de sa vie. Le triste état où elles sont l’une et l’autre doit l’attrister. On m’écrit de Londres que, malgré tout ce qui se dit, on ne croit pas, cette année, à une grande attaque sur Sébastopol ; les chaleurs d’août et le choléra retardent encore ; il finira par être trop tard. Moi, j’y crois ; le choléra a fait en effet assez de ravage dans nos armées à Gallipoli et à Varna ; mais, d’après ce qui me revient de tous côtés, il ne les a pas du tout démoralisées ; généraux, officiers et soldats, de terre et de mer, ont tous grande envie de faire quelque chose. [Bomavi] les excitera encore. Il est évident que, si on vous laisse du temps, on vous trouvera plus forts sur la défensive. La mer Noire est praticable bien plus tard que la Baltique. Je serais étonné si le mois de septembre se passait sans que vous fussiez, là, sérieusement attaqués.
Vous aurez certainement lu, dans les Débats les deux articles de St Marc Girardin sur le traité de Belgrade et sur les vicissitudes de la situation et de l'influence de l’Autriche et de la Russie dans l'Europe orientale. Ils en valent la peine. St Marc s’entend très bien à mettre l’histoire en rapport avec la politique actuelle. Il a de plus, sur les affaires d'Orient, des idées arrêtées et justes sans passion ni préjugé contre personne. Il ne vous aime pas, mais il ne vous méconnaît et ne vous déteste pas. Voilà mon médecin de Lisieux qui arrive. Mon fils en passant 24 heures à Paris. à son retour d’un petit voyage en Bretagne a fait une chute dans l'escalier, et m'est arrivé ici avec un effort qui a exigé quelques remèdes, et qui le retiendra pour huit ou dix jours dans son lit. Il n’y a rien de sérieux ; mais c’est un grand ennui pour lui et pour moi au moment où j'ai des visiteurs. Le médecin trouve Guillaume bien, mais prescrit toujours le repos absolu.
Midi
Je suis désolé de votre inquiétude. La poste marche stupidement. Je vous écris très exactement. Je me porte très bien. Je pense sans cesse à vous et je vous aime de tout mon cœur. Il n’y a de mal entre nous, que l'absence. Mais c'est beaucoup trop. Adieu, Adieu. G.
146. Val Richer, Samedi 26 août 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je n’ai pas la plus petite nouvelle. Les journaux vivent encore sur Bomarsund. Il paraît que les fortifications de granit ne résistent pas à notre grosse artillerie, et qu’une fois entamées, elles tombent même plus promptement que d'autres et plus dangereusement pour leurs défenseurs. Au moment même où cette expérience se faisait dans la Baltique, l’inventeur du monstrueux canon qui fait de tels ravages, le général Paixhans mourait du Choléra près de Metz. On dit que son invention mourra aussi bientôt, détrônée par d'autres machines qui porteront la mort plus vite encore et plus loin. Jamais l’esprit de l'homme n’a exploité et dominé la matière avec plus d'empire. Si c'était là toute la civilisation, notre temps n'aurait point de rival.
Je ne vous reparle pas de mon chagrin à propos de votre inquiétude. C’est déjà un grand ennui de s'écrire sur des faits qui seront oubliés, ou à peu près, quand la lettre arrivera. C'est bien pis pour des sentiments personnels et intimes. Je m'indignais hier, en lisant votre lettre, de n'avoir rien su de votre chagrin au moment où vous le sentiez, et de ne vous avoir pas crié sur le champ : " Je me porte bien."
Onze heures
Mon facteur ne m’apporte qu’une lettre de Duchâtel qui est au fond de la Saintonge. Il finit en me disant : " Avez-vous de bonnes nouvelles de Madame de Lieven ? Que fait-elle ? Revient-elle cet automne à Paris ? Vous serez bien aimable de me rappeler à son souvenir. Je nose pas lui écrire, n'ayant à lui dire rien qui vaille ; mais je serais bien heureux de la pensée de la revoir cet hiver. " Je ne vous répète pas ce qu’il me dit de la politique, c’est trop dur pour vos oreilles quasi-Impériales. Voici la phrase la plus douce : " Je m'imagine que les Russes ne sauront pas mieux défendre Sébastopol. Leur guerre n'est pas mieux conduite que leur diplomatie." Je ne vois rien dans les journaux. Adieu. Adieu. G.
147. Val Richer, Dimanche 27 août 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je suis frappé d’un article du Morning Post sur ce thème : " L'Empereur Nicolas a pris une attitude purement défensive. et se présente à ses peuples comme le défenseur d’une nationalité attaquée. " Je comprendrais cette attitude et son efficacité s’il y avait, dans ce qui se passe, la moindre attaque, la moindre atteinte, la moindre velléité d'attaque ou d’atteinte contre la nationalité russe. On pouvait dire cela à la France en 1793, et lui persuader, aisément que les étrangers en voulaient à son indépendance nationale ; mais comment faire accroire telle chose aujourd’hui à la nation Russe ? Sa religion n’est pas plus menacée que son gouvernement. Ceci est une guerre purement politique, diplomatique, une guerre de savants qui s'inquiètent de l’équilibre et de l'avenir Européen.
Je ne connais pas l’intérieur de la Russie ; je ne sais pas jusqu’où peut aller chez vous la crédulité populaire ; mais, sauf la question d'amour propre, j’ai peine à croire que votre Empereur parvienne à s'enlever, à cette occasion les passions nationales. Il n’y a vraiment pas de quoi ; et s’il comptait sur ce ressort, je suis dans mon ignorance, porté à croire qu’il se tromperait comme il s'est trompé quand il a compté sur la désunion de la France et de l'Angleterre. C'est le péril des souverains absolus de croire trop aisément que tout le monde croira ce qu’ils ont eux-mêmes envie et besoin de croire. Ils abusent du mensonge à ce point qu’ils finissent par ne plus tromper qu'eux-mêmes.
Quelle bonne fortune mon facteur arrive à 9 heures et m’apporte votre numéro 121. Portez-vous bien, je vous en prie. J’aurais envoyé le dîner à tous les ... Si j’avais pu penser qu’il vous fit mal. Portez-vous bien, sans me condamner tout-à-fait à être par trop impoli.
Je ne comprends pas ce que va faire le général Létang que l'Empereur envoye en mission auprès du Général Autrichien qui va commander en Valachie.
Remarquez, dans le Moniteur d’hier samedi 26, un article sur la Bessarabie et sur le vœu de sa population à votre égard. Les Grecs payeront cher l’incendie de Varna. Adieu, Adieu. Le facteur me presse. Aussi bien je n’ai rien de plus à vous dire, sinon Adieu.
148. Val Richer, Mardi 29 août 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Vous n'aurez qu’une courte lettre ; je me suis couché hier et je me lève ce matin avec une forte migraine. Ce n'est rien du tout, et il n'y paraîtra pas demain ; mais au moment du mal, je suis incapable de quoique ce soit ; il me faut 24 heures de diète, de repos absolu et de sommeil pour me retrouver.
Si j'étais votre Empereur, je serais médiocrement content de ce que vient d'écrire M. de Ficquelmont sur la question d'Orient. Si j'étais l'Empereur d’Autriche, j'en serais tout-à-fait mécontent. A quoi bon inspirer à Londres et à Paris des méfiances en disant à la Russie : " Donnez satisfaction à l’Autriche, et vous serez hors de peine " ? L’Autriche peut très bien et très heureusement jouer le rôle de Puissance médiatrice et pacifique, mais à condition de prendre, en main l’intérêt européen et de ne pas paraître exclusivement préoccupé de son propre intérêt. M. de Ficquelmont ne me paraît pas un adroit ami.
J’ai renoncé à comprendre vos opérations militaires ; mais je viens de lire les instructions de votre Empereur au commandant des îles d’Aland, et je m'étonne que mettant à ces îles tant d'importance, vous n’y ayez pas envoyé plus de 2 ou 3000 hommes pour les défendre. Vous deviez bien prévoir que, si elles étaient attaquées, elles le seraient par plus de 2 ou 3000 hommes. Partout, vous avez l’air de manquer de soldats.
Voilà le 122, et je vous dis adieu. Je ne suis bon à rien de plus. Adieu. G.
149. Val Richer, Mercredi 30 août 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Ma migraine est passée. Le temps est magnifique. Le Baromètre est au beau fixe. Pourquoi ne pouvons-nous pas nous promener ensemble en calèche, en causant, comme au bois de la Cambre ? Il faisait bien beau aussi ces jours-là.
Je suis choqué qu’on ne puisse pas vous recevoir à Bellevue. L’appartement de Kisseleff vous convenait. Très joli salon. N’y a-t-il rien de vacant à l'hôtel où logeait Brunow, hôtel de l'Europe, je crois ?
Certainement, il y a de quoi se parler entre les belligérants. Dés que ces quatre propositions ont été exprimées dans les dépêches de Drouyn de Lhuys et dans les discours de Lord John et de Lord Clarendon, je vous ai dit avec détail ce que j'en pensais. Je persiste. Vous avez déjà exécuté la première, l'évacuation des Provinces. Vous ne pouvez pas contester sérieusement la seconde, la pleine liberté des bouches du Danube, avec ses garanties. La troisième est une question pendante en ce moment, question de guerre. Mais de quelque façon qu’elle soit résolue, vous n'avez à choisir qu’entre la réduction de votre établissement de Sébastopol ou la création d’un établisse ment anglais semblable dans la mer Noire, sur je ne sais quel point de la côte d’Asie. Nous avons créé Cherbourg de toutes pièces dans la Manche ; les Anglais viennent de créer Aden, dans la mer rouge ; ils créeront l’équivalent dans la mer noire, si votre Sébastopol reste ce qu’il est. C'est à vous de voir laquelle des deux solutions vous convient le mieux. Et quant à la difficulté entre la France et l’Angleterre, soyez sûre qu'elles s’arrangeront plus aisément entre elles que pas une d'elles avec vous.
La question de la protection des Chrétiens reste matière de négociation et de congrès. Le Times, le proclamait lui-même hier. Voici une contradiction qui me frappe. Votre Empereur dit, dans un ordre du jour à la garnison d'Odessa : " Pour protéger les Principautés contre une invasion des Turcs, l’ancien allié de S. M. l'Empereur s’est engagé à les occuper en attendant. Les Turcs entrent et s'établissent dans les Principautés, en même temps que les Autrichiens. Il y en a déjà 70 000, dit-on, sur la rive gauche du Danube. Si vous avez compté que l'occupation autrichienne ferait des Principautés une sorte de territoire neutre dont les Turcs ne se serviraient plus pour vous faire la guerre, évidemment vous vous êtes trouvés.
Autre remarque. Je lis dans le même ordre du jour : " Si M. l'Empereur a ordonné, dans sa Haute sagesse, aux troupes qui étaient entrées en Moldavie et en Valachie de se retirer de ces provinces, et de se tourner du côté où le danger est le plus grand. " Vous n'aviez donc pas de quoi vous défendre en Crimée et vous le proclamez vous-mêmes grand défaut de prévoyance, ou grand défaut de force ; peut-être l’un et l'autre. C'est ce que disent les lecteurs. On ne lit pas en Russie, j'en conviens ; mais on lit en Europe, même là où il n’y a point de liberté de la presse, et l'opinion de l'Europe sur votre habilité ou sur votre force ne saurait vous être indifférente.
7 heures
La poste ne me donne rien à vous dire. Adieu, Adieu. G.
150. Val RIcher, Jeudi 31 août 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Il y a des raisons si mauvaises, qu’un gouvernement sérieux ne devrait jamais les employer, par respect pour lui-même et aussi parce qu'elles nuisent au lieu de servir. J’avais hier chez moi deux grands manufacturiers, et un magistrat du pays, gens sensés, très pacifiques, et portant aux Turcs, aux Chrétiens d'Orient, et même à l’équilibre Européen, un médiocre intérêt. Je les ai trouvés, très choqués, de cette phrase du Journal de St Pétersbourg répétée par tous nos journaux aujourd’hui que nos armées sont rentrées sur notre territoire, le gouvernement autrichien libre de toute préoccupation se trouve sans doute en mesure de faire respecter, par les alliés du sultan, les principes d'indépendance de la Turquie et d’intégrité de l'Empire Ottoman posés par les conférences de Vienne. Ainsi disaient-ils, être entrés en Turquie à la demande du sultan et pour le défendre, ou malgré lui, et pour l’envahir, c’est la même chose, et les alliés doivent se retirer comme les ennemis. C’est trop. Je ne vous redis pas l’épithète ; mais vous n'avez pas d’idée du tort que ce ridicule raisonnement faisait, dans leur esprit, à votre Empereur et à sa politique.
Voilà Baraguey d'Hilliers maréchal. Il avait gagné ce bâton le jour où il a pris le commandement de l'armée de Paris à la place du général Changarnier destitué. Du reste c’est un bon et brave officier, qui a fait depuis longtemps ses preuves et qui a de l'action sur les troupes. L'Empereur a raison de récompenser largement et promptement ceux qui le servent bien.
J’ai bien envie de croire avec vous que d'autres que vous sont disposés à trouver qu’il y a, dans les propositions anglo-françaises, de quoi se parler. Quand on est décidé à se parler, on est près de s'entendre. Mais les journaux de Dresse et de Francfort me dérangent en disant que votre gouvernement n’est pas du tout dans cette disposition et que sa réponse négative va arriver.
Midi.
Pas de lettre aujourd’hui. C'est dommage. Je l’attendais. Adieu, Adieu. G.
151. Val Richer, Samedi 2 septembre 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Voilà la Reine Christine hors de Madrid, et la tentative de sédition populaire a été facilement réprimée. Si Espartero et O’donnell veulent se servir de l’armée qui leur est revenue, ils auront sans peine raison de la révolution dans les rues. C’est dans les prochaines Cortés qu’elle sera puissante et redoutable, et que l’armée ne servira de rien pour la réprimer. Les théories radicales sont encore maîtresses des esprits en Espagne. Ce qui y reste d’esprit monarchique, et d’esprit militaire suffira t-il pour lutter ? Je suis frappé de Narvaez demandant ses passeports et s'en allant ; il faut qu’il croie, pas seulement qu’il y a beaucoup à risquer, mais qu’il n’y a, pour lui, rien à faire en restant.
J’ai passé hier une heure à lire attentivement tous ces rapports sur l'affaire de Bomarsund. La destruction complète des fortifications prouve qu’on n'a aucun projet d'hivernage dans la Baltique. Je ne comprends pas pourquoi on l’a si promptement proclamé En ce cas, le principal résultat de la prise d’Aland sera de prouver que les murs de granit ne résistent pas à nos boulets. Je crois que l'Empereur d’Autriche ne veut réellement pas, comme il l'a dit au Prince de Nassau, aller jusqu'à vous faire la guerre. Mais si la lutte se prolonge, il ne pourra pas en rester là. Pour être dispensé d'aller plus loin, il faut que la question s’arrange l'hiver prochain. Je serais un peu curieux de savoir quel effet font à Pétersbourg vos succès en Asie, et si votre Empereur et votre public les prennent comme une consolation de vos échecs en Europe. En France, personne n’y fait la moindre attention. On dit qu’en Angleterre on y regarde davantage, et qu’on prend contre vous du côté de l'Afghanistan, des précautions sérieuses.
Midi
Je crois à l'expédition de Crimée. Evidemment, on veut faire, on fait probablement, à cette heure une expédition, et je n'en vois de ce côté aucune autre qui puisse exiger les préparatifs qu’on fait depuis un mois. Adieu, Adieu. G.
