Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Vendredi 14 oct. 1853

Il fait un temps magnifique depuis quatre jours. J’ai envie que cela dure une quinzaine. Je pars lundi pour aller passer dix ou douze jours à Broglie. Je me promènerais beaucoup là. Ici, mon jardin et mon Cabinet me suffisent et se passent plus aisément de beau temps. Écrivez-moi lundi à Broglie (Eure). J’y aurai votre lettre mardi matin. Barante m’a quitté hier. Douce et agréable société. Il sera à Paris lundi et veut être rentré dans ses montagnes, le 29 octobre pour y rester jusqu'à la fin de Mars. Il est occupé de son histoire du Directoire qui éclaira celle de la Convention. Ce sera certainement ce qu’il y aura de plus vrai, faits et appréciations, sur la grande révolution Française. Vous ne lisez pas le siècle, ni moi non plus ; il m'en est tombé l'autre jour un numéro sous la main, le 57e fragment, je crois d’une histoire de de M. de Lamartine.
L'Assemblée constituante, qu’il publie là, en articles, pour gagner de l'argent. A peu près aussi révolutionnaire que son histoire de la Restauration est légitimiste, et beaucoup moins de talent. Personne, ce me semble, n'y fait attention. C’est-à-dire dans notre monde à nous ; mais le monde du Siècle est nombreux, et tenez pour certains que les préjugés, et les manies révolutionnaires vont s'enracinant là, bien loin de s'éteindre.
Les Débats m'ont manqué hier. Ce que je tiens pour évident et pour très rassurant, c’est que si la guerre commence elle se passera entre vous et les Turcs et qu’on ne s’en mêlerait que si vous portiez la main sur Constantinople, ce que vous ne ferez pas, je pense. C'est un accident que cette guerre un malentendu, une bêtise, passez-moi le mot, de tout le monde. On ne souffrira pas qu’elle devienne une folie. Ce n’est pas du tout pour vous rassurer, et pour me rassurer moi-même, que je dis cela ; je le pense bien réellement.

Onze heures
Vous auriez tort d'aller à Bruges. Vous n'êtes pas assez forte pour faire de belles équipées. Adieu, adieu. Ce que dit Balabine est bien drôle.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Vendredi 10 sept. 1852

Le dire de Fould est curieux. Certainement il est bon qu’il ait crédit et qu’il reste à Paris. Il conseillera et se conduira mieux que tout autre. Il a l’esprit juste, fin, point d'humeur, et point d'impatience. Le président aura raison de le croire et de le garder.
J’ai des nouvelles du Conseil général du Puy de Dôme. On m’écrit que Morny s’y est conduit habilement et avec beaucoup de mesure. L'adresse a été combattue, surtout à cause des décrets du 22 Janvier, et par les gens qui ont dit que, puisque ces décrets avaient fait quitter à Morny le ministère, ce pouvait bien être, pour eux, une raison suffisante de ne pas voter une adresse. Morny a soutenu l'adresse sans se brouiller avec les opposants.
Vous ne lisez jamais les affaires d’Amérique, elles m'amusent depuis quelques jours ; l’ambition brutale, insatiable, insolemment unprincipled, des Etats-Unis qui veulent absolument Cuba pour son sucre et les îles, Lobos pour leur fumier et les remontrances inquiètes, instantes, aigre douces, de l’Angleterre qui ne voudrait, ni leur laisser prendre tout cela, ni s'y opposer. Il pourrait y avoir là un gros avenir. Mais dans l'état où est aujourd’hui l'Europe, les Etats lui feront ce qu’ils voudront.
Je vois que le legs de M. Neild à la Reine d'Angleterre est de 300 000 liv. str. au lieu d’un million. C'est encore quelque chose.
Je ne croyais pas que Mad. Kalerdgis tînt tant de place dans le cœur de Molé. Je me méfie un peu des dires en ce genre, et en tout genre de Mad. de la Redorte ; elle a de l’esprit, mais ni bon jugement, ni bonne foi. Elle parle selon son humeur, ou pour satisfaire sa fantaisie du moment, sans se soucier le moins du monde de la vérité de ce qu’elle dit. Si elle dit vrai, Molé est bien en faute et Mad. Kalergis doit rire.

Onze heures
Je partirai d’ici lundi soir ; je serai à Paris mardi matin, et j'en repartirai vendredi soir. J’ai besoin d'être ici samedi. Soyez tranquille ; mieux je vous trouverai, plus j'aurai de plaisir à vous voir. Si vous étiez rose au lieu de jaune, ce serait parfait. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Quatre lignes seulement j’ai plusieurs choses à finir d’ici à demain et rien à vous dire. Je doute que vous m'envoyez aujourd’hui la solution de Pétersbourg ; cela traînera encore. Je ne puis croire à la complète folie des Turcs ; à moins que vous ne la vouliez vous- mêmes. L’article du Times, que m'ont donné les Débats d’hier est plein de doute et d’inquiétude. A dimanche, les commentaires.

Onze heures
Vous aurez raison d'accepter. Cela ne vaut vraiment pas tant de bruit. Adieu. Adieu, à Dimanche.

Val Richer, Vendredi 9 Sept 1853

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Vendredi 8 oct. 1852

Fould annonce la politique qu’il prêche. Je ne doute pas qu’il ne donne de bons conseils, et je souhaite qu’il les fasse prévaloir. Je ne suppose pas que Heeckeren conseille la mauvaise politique ; mais probablement, il la prévoit, et il prend ses mesures pour y être prêt. Je vois que, pendant que le voyage suit son cours, les pétitions pour l'Empire vont leur train. On en annonce 521 dans le seul département du Pas de Calais, 51 000 signatures, dans celui de la Marne & Commencez-vous à y croire ?
Je comprends que M. Hogier donne sa démission du poste de Paris ; après les dernières publications de l'Indépendance belge, il lui est difficile de vivre en bons rapports avec M. Drouyn de Lhuys, et les deux partis ne sont pas assez également fortes pour rester l’une devant l'autre en mauvais rapportss comme nous étions, lord Normanby et moi. Je penche à croire que cette mauvaise humeur officiellement affichée sont le commencement de quelque chose de pire.
Avez-vous des nouvelles d’Ellice et compte-t-il toujours venir à Paris à Noël ? Il aura, je suppose, un peu plus d’embarras à être toujours de l’avis de son petit ami, car Ellice est très pacifique et ne se soucie pas de se faire de mauvaises affaires.
J’avais ici hier un petit anglais fort obscur et assez intelligent, traducteur de mes ouvrages en Anglais, qui m’a dit que l'opinion publique en Angleterre était toujours très malveillante, et que le Times, la suivait bien plus qu’il ne la poussait.
J’ai eu avant hier à dîner les gros bonnes négociants et manufacturiers de Lisieux, tous contents et présidentiels, acceptant l'Empire sans le désirer. Les agriculteurs eux-mêmes commencent à être un peu contents ; leurs denrées se vendent mieux.
Je suis vraiment très fâché pour vous du départ de Kisseleff. Je suis moi-même bien plus tranquille sur vous quand il est là. La petite Princesse va donc mieux puisqu’elle sort. Adieu, Adieu.
J’espère que l'ouragan a cessé à Paris, comme ici. C’est un temps qui ne vous vaut rien. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer. Vendredi 3 Sept. 1852

Le temps est magnifique ; un air vif et un soleil chaud. Je viens de passer une heure me promenant à petits pas dans mon jardin. Il ne me manquait qu’une bonne conversation.
La police a raison de protéger efficace ment le général Haynau, et je suis bien aise qu’il soit plus en sûreté à Paris qu'ailleurs. Je trouve dans les Feuilles d'Havas le récit d’une conversation de lui où il a expliqué la femme fouettée, et les exécutions. Cela a l’air vrai, et quoique la dureté reste, au moins la férocité n’y est plus.
Je trouve les Conseils généraux à la fois très unanimes et très tièdes sur l'Empire. Point d'impulsion naturelle et vive une leçon apprise, ou bien un acquis de conscience. Je ne m'embarquerais pas sur cette planche-là pour une navigation semblable.
Ce qui me paraît le plus significatif, en faveur d’une intention arrêtée, c’est le vote du conseil général du Puy de Dôme présidé par Morny ; vote très explicite et très positif.
Chagrin à part, la mort de Lady [Palmerston] eut été, pour son mari une grande perte politique ; il lui doit l’agrément de sa maison, et l’agrément de sa maison est pour plus de moitié dans sa popularité. Vous reste-t-il encore assez de votre ancienne amitié pour que cela vous eût été aussi un vrai chagrin ?
Les petits jeux, les loteries, et les bijoux de St Cloud ont passé dans la presse ; plusieurs journaux en ont parlé, avec quelque détail. Cela ne réussit pas en province. On dit que c’est de la prodigalité, et on y suppose de mauvais motifs. Ce pays-ci est le plus singulier mélange de sévérité et de condescendance, de pénétration et de badauderie.
Qui aura la jarretière vacante ! Je ne puis croire que Lord Derby la donne à Lord Londonderry. Je voterais pour le duc de Northumberland ; mais il est déjà ministre par conséquent tout acquis. On la donnera peut-être à Londonderry parce qu'il ne l’est pas.
Dans votre disette actuelle, je regrette que vous ne connaissiez pas le Ministre des Etats Unis, M. Rives, qui doit retourner ces jours-ci à Paris. Il est un gentleman, il a de l’esprit et il aime la conversation. Il est vrai que vous n'avez pas grand goût pour les diplomates républicains, et lointains. Vous aviez pourtant Bush, et celui-ci vaut beaucoup mieux que Bush. Point démocrate.

Onze heures
Je n’ai rien à ajouter à l'amusement que M. Molé, Mad Kalerdgi, et Lord Granville vous ont donné hier, ou vous donneront aujourd’hui. Je suis bien aise que Chomel soit content de votre docilité. Si vous avez patience, j'espère bien qu’il guérira votre foie. Adieu, Adieu. G

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Vendredi 1er oct. 1852

Un spectateur sensé m’écrit d'Avignon : " Tout s’est très bien passé ici ; au moin 100 000 âmes ; peu de cris, sauf de la part des gendarmes et des membres du Corps législatif ; mais l’absence d'enthousiasme ne laissait pas à sa place le moindre air de mécontentement. Quant aux rois et au barrières des communes des campagnes, c'était Louis-Napoléon et qu'elles demandaient ou saluaient. Le Prince avait fort bon air, gracieux et d’un accès simplement bienveillant. Notre ciel brillant, notre beau fleuve, notre rocher, nos créneaux et nos quais couverts de monde, tout cela ferait une grande fête. "
Evidemment, il n'y a point eu de discours à Marseille ; seulement la réponse du président à l'Evêque. Il aurait tort de faire un autre discours ; il ne paraît pas si bien qu'à Lyon. D'ici au fait de l'Empire, il n’y a plus de place pour des paroles.
Le Roi Léopold doit être bien embarrassé. Un ministère ainsi renversé de l’épaisseur d’un cheveu est difficile à remplacer. Le Cabinet nouveau sera évidemment obligé de dissoudre et de faire des élections. Peut-être lui donneront elle, une meilleure majorité. En tout cas ceux qui tombent ne sont pas regrettables. Ils ont rendu service en Février 1848.
Le lac français est une de ces hâbleries dont les Français se repaissent, et qui sont à la fois ridicules et compromettantes. L'Empereur Napoléon a mis celle-là en circulation, et elle pèse sur vous depuis. Je l’ai ouvertement attaqué un jour à la Chambre des Députés et on a beaucoup murmuré, à peu près autant que lorsque j'ai maintenu le mot sujets dans une Monarchie.
Les Américains ont beaucoup de ces hâbleries là, et les Anglais eux-mêmes, en ont eu ; j'en trouve pas mal du temps de Cromwell. Il faut un bon sens et un bon goût très développés pour que les peuples y renoncent.
Voici le plan qu’on m'envoie de Paris quant à l'Empire. Le Président abrège son voyage de trois jours. Il sera à Paris, le 18. La Sénat ne sera pas convoqué officiellement, mais il sera là. Il se réunira spontanément et portera au Président. Le sénatus consulte déjà rédigé par M. le Premier président. Trop long. Aussitôt après le Sénatus consulte, on fera l’appel au peuple pour battre le fer pendant qu’il est chaud.
Mardi soir, chez vous, M. Fould promettait 10 millions de vous. Est-ce bien cela ?

Onze heures
Je n’ai rien à vous dire qu'adieu. Je vois que vous croyez toujours que le Président ne reviendra que le 16. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 30 oct. 1852

L'affaire Belge me paraît, pour le moment, bien près d'être arrangée ; le ministère Broucker va se former ; il avait été appelé comme le plus propre à terminer les négociations avec la France. Il s'acquittera de sa mission, et la question commerciale ne sera plus un prétexte aux querelles politiques. Resteront la presse et les réfugiés, nous verrons si les Chambres belges feront quelque chose à cet égard.
Albert de Broglie me disait hier que la Suisse était inondée du pamphlet de Victor Hugo ; on l’offre aux voyageurs sur les bateaux à vapeur, dans les auberges. Les radicaux sont toujours les maîtres là, et très malveillants pour le président.
Le Piémont en revanche se loue beaucoup du président. M. de Cavour dit qu’il a été presque étonné de l'accueil que lui a fait le gouvernement français et de la bienveillance, toute politique, qu’on lui a témoignée. Ils n'ont, disent-ils, absolument aucune inquiétude, pour la Savoie et ils comptent sur un appui diplomatique s’ils étaient tracassés d'ailleurs.
Il me paraît qu’il n’y a guère de doute sur la venue du Pape, si on le lui demande formellement. A part toute autre considération, son caractère l’y poussera ; il a le goût de la popularité ; il en trouvera plus en France que partout ailleurs, et comme Pape, et comme formateur libéral.
La Times est bien violent sur l'affaire de l'emprunt Turc. Il y a là quelque chose que je ne sais pas, et qui donne à Londres, et à Paris beaucoup d'humeur, peut être à des gens qui manquent là une bonne occasion de donner beaucoup d'argent.
La Duchesse d'Orléans était très souffrante. vraiment très souffrante avant son accident ; les entrailles en fort mauvais état ; le repos absolu qu’elle a dû garder lui a fait un bien réel. Elle est, à tout prendre, bien aise de retourner en Angleterre, dans sa famille ; elle commençait à la trouver fort seule, délaissée ; elle n’a, auprès d'elle, personne qui puisse lui donner un bon conseil et un utile appui. Elle passera l’hiver dans quelque bon coin du midi de l’Angleterre. Le climat de Claremont ne lui réussit pas.
Le comte de Paris a été très bien au moment de l'accident de voiture intelligent, courageux et affectueux. Je recueille des bribes de conversation, en attendant mieux.

4 heures et demie
Mon facteur vient tard. Abdel Kader ne déshonore pas votre appartement de la Terrasse. C'est un grand homme malheureux. Il y a des grands hommes dans le désert. Adieu, Adieu.
Je crois sans en savoir rien de plus que ce que vous m'en dites, que l'Empire commencera modestement. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 28 Mai 1853
8 heures

Je ne vous ai pas écrit hier en arrivant. J'étais en retard et mon facteur, en avance. Le temps m'a manqué. Je suis arrivé fatigué. Je le suis depuis quelque temps. J’ai besoin du bon air et du profond repos que je trouve ici. Le silence et la solitude ; rien à entendre et personne à attendre, pas plus de dérangement que d'affaire. Quand on devient vieux, il faut ou de grands intérêts ou un grand calme ; le mouvement de Paris dans l'oisiveté est une fatigue sans excitation. Je ne regrette absolument que vous. Il est vrai que ce qui est beaucoup.
Que du moins notre séparation profite à votre santé comme à la mienne. Vous ne serez pas aussi seule à Ems que moi au Val Richer et vous ne le supporteriez pas. J’espère pourtant que vous vous reposerez, et que vous reviendrez mieux portante que l’an dernier.
Prés, bois, champs, feuille, fleurs, tout est resplendissant de fraîcheur, et de jeunesse. Le soleil brille surtout cela. Quelques ondées de pluie coupent de temps en temps les rayons du soleil. C'est charmant à voir. Outre le plaisir du moment dans ce spectacle, j’aime à penser qu’il se renouvelle et se renouvellera chaque année depuis et pendant je ne sais combien de siècles, apportant à je ne sais combien de millions du créatures le même plaisir.
J’attends les nouvelles de Constantinople, avec curiosité, mais sans vraie inquiétude. Plus j’y pense, plus je me persuade que rien de grave n’en peut sortir, même quand vous vous brouilleriez tout-à-fait avec la Turquie, même quand vous lui feriez un peu de guerre. Il n’y a de grave aujourd’hui que ce qui engage la question révolutionnaire et tout l’Europe. On n'en viendra pas là.
Je suis frappé de la tranquillité de la bourse de Londres à côté de la vivacité des journaux anglais. Adieu. J’attendrai le facteur pour fermer ma lettre. Adieu, Adieu.

Onze heures
Je crois encore moins à la chute de Lord Aberdeen qu'à la guerre. Les Anglais ont encore plus de bon sens pour la dedans que pour le dehors. Je ne m’agite pas de tous ces bruits ; je n’aime pas, ensuite, à m'être agité pour rien. Merci de vous trouver triste et misérable. sans moi. Adieu, adieu.
Il ne fallait rien moins à Lord Cowley qu’une grosse fusion. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 28 Août 1852

Votre découragement me chagrine au moins autant que votre faiblesse. Il est impossible que, n'ayant point de maladie, point de fièvre, vous ayez sujet d'être à le point abattu. Je sais que lorsqu’il vous a vue il y a quelque temps Chomel ne vous a trouvé d’autre mal qu’une de ces constitutions délicates et fatiguées qui exigent des soins continuels, mais avec lesquelles on vit très longtemps, comme deux secrétaires perpétuels de l’Académie, Fontenelle et Suard qui ont vécu l’un jusqu'à 99 ans, 9 mois, l'autre jusqu'à 84 ans, en ayant toujours eu mal à l'estomac depuis leur enfance.
Êtes-vous contente de Kolb ? Quand Olliffe retourne-t-il à Paris ?
Je vois, dans mon Galignani, que Lady Palmerston aussi a été malade, en Irlande. Mais elle est bien plus forte que vous. Elle doit avoir des crises vives et nom pas des langueurs. Antonini va-t-il partir en congé, comme le disent les journaux ? Le voyez-vous souvent et serait-ce une perte pour vous ? Autrefois vous l’aimiez assez comme porteur de nouvelles et il en savait. Mais il s’est fait grand tort un jour dans votre esprit, et bien justement. Puisque sa cour s'est si bien conduite, envers le président à l'occasion du 15 Août, il doit être en faveur à l'Elysée et assez au courant.
On parle de querelles dans l’intérieur du cabinet anglais, et de la retraite probable des protectionnistes intraitables comme M. Christopher. Est-ce vrai ? Il faut que les Protectionnistes se résignent ; la protection ne peut plus être le sine qua non de la politique conservatrice. Trois statues à Peel en trois ans. Londres, Leeds, et Montrose !
Je suis assez curieux de savoir si les nouveaux arrangements de Lavalette avec la Porte, annoncées par dépêche télégraphique seront aussi satisfaisants et efficaces que les premiers.

11 heures
J’aime mieux que vous soyez jaune. On sait que faire à cela. Mais faites, je vous en prie, ce que vous dit Chomel. Je ne crois point, hélas à l'infaillibilité, ni à la toute puissance des médecin, mais je crois encore, moins à la fantaisie des malades. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Samedi 25 sept. 1852

L'article du Moniteur est certainement ce qu’il y a eu jusqu'ici de plus positif. C'est une vraie déclaration d'Empire. Le Président fait jusqu'au bout ce qu’il a dit ; pour ceci, il ne veut venir qu’à la suite et obéir, sinon à la force, du moins à la volonté publique. Tout le monde le poussera, depuis le peuple jusqu'au Moniteur. Alors il acceptera. Je ne sais pas si le jeu était indispensable ; mais il est bien joué, et il le sera jusqu'au bout. Je ne crois pas que le bout soit bien loin.
Autre grande personne qui ne veut pas prendre d'initiative ; la Reine Victoria pour les obsèques du Duc de Wellington. Je ne comprends guère cette hésitation. Pourquoi ne pas faire soi-même, et tout de suite, tout ce qui se peut faire pour honorer un grand serviteur de la couronne ? Il me paraît que j’avais raison de croire que Lord Hardinge serait commandant en chef. Je le vois dans mes journaux. Est-ce sûr ?
Si Chomel voit aller voir la Duchesse d'Orléans, je suis bien aise qu’il ne vous quitte que lorsque vous commencez à être mieux. La Duchesse d'Orléans ferait bien, je crois, de ne retourner à Eisenach que lorsqu'elle sera tout-à-fait rétablie ; elle est là bien seule et bien loin.
J’ai reçu hier des nouvelles de Mad. de Staël qui me dit que les Broglie la quittent tous dans les premiers jours d'octobre pour revenir à Broglie. Mad. d’Haussonville est allée rejoindre son mari à Gurcy. Il y est fort tranquille, et ne songe plus qu’à chasser.
J’ai peine à croire que le Roi Léopold joue dans la question commerciale avec la France. Ses ministres actuels ne se refusent à ce que la France demande que parce qu'ils n'osent pas ; ils craignent les Chambres et l'opinion Belges. Les ministres que Léopold aurait, s'il renvoyait ceux-ci, oseraient encore moins ; ils auraient tout le cri libéral contre eux. Je n’entrevois pas comment on sortira de cette impasse. Ni à Paris, ni à Bruxelles on n'osera céder. Voilà votre petite lettre. Il ne dépend ni de vous, ni de moi de faire des nouvelles, et la correspondance ne vaut pas la conversation. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 23 Oct 1852

Je fais comme vous le désirez : je ne vous parle pas de votre santé. Mais je compte que d'autres mon parleront. J’ai le malheur, un vrai malheur, de ne pas avoir pleine confiance dans vos impressions ; mais je ne puis rester dans mon incertitude. Dieu veuille que cette fois encore, vos impressions vous trompent et que j'aie raison d'en douter !
Maintenant que l'Empire est fait ; il semble qu’on n'aie plus à parler de rien. J'entends faire beaucoup de raisonnement sur la seule question qui reste, sur le chiffre des suffrages. Je ne me donne pas la peine d’y penser. Je suis convaincu que le chiffre sera fort.
Pas plus que vous, je ne puis croire à Napoléon 3. La faute est si claire et le moyen de l'éviter si simple ! C’est très bien fait de vouloir être roi légitime ; mais il ne faut pas s'y prendre trop tôt, pas plus que trop tard.
Protecteur des lieux saints serait une autre faute un peu ridicule. Si on avait réussi dans la négociation de Constantinople, si on était rentré en possession de la prépondérance sur les Lieux Saints, à la bonne heure ; mais après avoir à peu près échoué, la vanterie serait trop forte. Et qu’en dirait-on chez vous ? Il y a là une question d’amour propre religieux sur laquelle vous vous êtes toujours montrés, très susceptibles.

Onze heures
Votre lettre me plaît. Elle est plus animée. Je voudrais savoir tout ce qui vous abat ou vous relève, suivre toutes vos impressions. J'y réussis bien mal de loin. Adieu. Adieu. Ce que vous me dites d’Aggy me fait plaisir. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 21 Août 1852

On me dit que M. de Rémusat est retourné chez lui dans sa terre de Laffitte, près de Toulouse. Il n’a donc pas refusé de rentrer. Peut-être aura-t-il écrit une lettre pour constater qu’il n’avait pas demandé à rentrer. Il est fier, et taquin. Je n’ai du reste aucune nouvelle de lui, directe ni indirecte.
Si Mad. Kalerdgi veut venir à Paris, elle a tort de se mettre mal avec les autorités Française et Russe, de Paris ; à moins qu’elle ne soit sûre de réussir à les renverser. Il ne faut pas tenter ces choses-là, et ne pas réussir. Il me paraît que la part de la petite intrigue de société est assez grande dans votre monde diplomatique.
Je lis dans l’Assemblée nationale, un beau récit de la rentrée du jeune Empereur à Vienne. Y a-t-il quelque exagération ? Le succès du voyage en Hongrie et de la rentrée doit faire venir l’eau à la bouche au Président. Je doute que la session des conseils généraux rende tout ce que peut-être on en attend. Personne n'est disposé à prendre grand peine, ni la moindre initiative. On a envie de rester comme on est, rien de moins, rien de plus. L'absence, non seulement involontaire, mais volontaire, de toute prévoyance est le trait du moment.

11 heures
Je n'ai pas de lettre ce matin et rien de plus à vous dire. Adieu donc et continuez de marcher sans vous fatiguer. Il fait ici, un temps affreux. Le mois d'Août nous fait faire pénitence de nos plaisirs du mois de Juillet. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, samedi 18 sept. 1852

Je viens d’arriver, un peu fatigué. J’ai peu dormi et beaucoup pensé vous. Tendrement, doucement, et bien moins tristement que je n'aurais fait si vous n'étiez pas venu me prendre. A quoi tiennent nos impressions ! Il m'en est resté une très douce de ces derniers moments, et elle dans toutes choses, même le chagrin de vous laisser, et de vous laisser souffrante. Merci encore.
J’ai trouvé en arrivant une lettre de Duchâtel à qui le voyage d’Espagne n’a en effet point plu du tout. Voici textuellement son résumé de ce qu’il voit : " La province est plus éteinte qu’on ne peut se figurer à distance. On dit que sous cette cendre, que forment les classes moyennes le feu socialiste couve toujours, j’incline à le croire. C'est un mal moral dont une médecine purement matérielle ne peut pas triompher. Le seul trait saillant de la situation provinciale de nos côtés c’est le progrès de l'indifférence et de l'abstention. On ne va pas voter. J’espère que le suffrage universel finira par mourir de sa belle mort, faute de votants.
La disposition du public est de laisser faire, sans adhésion vive, sans concours actif. Les autorités s'agitent beaucoup pour préparer l'Empire ; le public ne le désire pas, mais ne s'y oppose pas. La partie de la nation qui vise aux places travaille à reculer le plus possible les bornes de la platitude, et de l'abaissement, le reste ne s'occupe que de ses affaires, ne pense pas à l'avenir est à peu près dans l'état de vous qui ont fait une conque maladie, qui se croient en convalescence, mais qui n'ont pas encore repris l’usage de toutes leurs facultés. On dit que le Président renverra l'Empire assez loin. Alors le jeu est singulier. J’ai peine à croire en voyant ce qui se passe, que l'Empire ne soit pas plus proche qu’on ne le dit. Il serait étrange de se donner tant de peine pour préparer les décorations, et les rôles de la pièce et de ne pas lever la toile. "
Tout cela est très sensé, et après le grand bon sens, il finit par son intérêt de cœur : " Nous avons ici un fort beau temps depuis quinze jours. Cela sauve les vendanges, qui étaient compromises. " Adieu, adieu, soignez-vous, faites vous soigner et laissez vous soigner. J'insiste sur Olliffe. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, samedi 17 sept. 1853

Je trouve les lettres bien fades après nos longues conversations. Savez-vous que nous avons passé six ou sept heures ensemble chaque jour ? Qu'est-ce qu’une petite feuille de papier, et une demi-heure de monologue après cela ?
Je n'ai comme de raison, rien de nouveau à vous dire. De près on peut redire sans cesse ; de loin, c’est ennuyeux. Je me suis ennuyé en route ; j’ai peu dormi. La nuit était claire et douce, une lune magnifique. Vous souvenez- vous de la jolie cavatine mira la vaga luna ? Qui donc chantait cela ? Mario au Grisi ? Personne ne chante plus.
J’ai trouvé ici la population très émue de la cherté du pain et des perspectives de renchérissement. A part le désordre matériel, ce sera une source de grand désordre moral, une recrudescence des plus mauvaises passions démagogiques. Le bruit se répand, et on le répand, que ce sont les propriétaires, les riches, les légitimistes qui causent le renchérissement, en gardant leur blé pour le rendre plus cher encore plus tard. Si c’est là une manoeuvre pour repousser l’idée que c’est la faute du gouvernement si le blé est cher, elle est aussi bête que coupable ; le peuple en voudra aux riches et au gouvernement tout ensemble. Dupin a fait à son comice agricole, un bien mauvais discours, s’il a envie de rentrer à la cour de cassation, qu'avait-il besoin de flatter les plus bas préjugés populaires, en même temps que le pouvoir ? Ce n’est pas la populace qui nomme les procureurs généraux. Je méprise, mais je comprends, les platitudes utiles. A quoi bon les inutiles. Du reste, ce luxe de bassesse des espèces est un petit plaisir que Dieu donne aux honnêtes gens ; il veut qu’on puisse se moquer de ceux qu'on méprise. Je vous quitte pour faire ma toilette. Votre lettre m’apportera peut-être quelque nouvelle. Petite nouvelle probablement ; nous n'en aurons de grandes que quand le refus de votre Empereur et les résolutions des cours d'Occident seront arrivées à Constantinople.

Onze heures
Je n'aurai de vos nouvelles que demain les journaux ne me disent rien de tout. Adieu et Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 16 oct. 1852

C'est bien dommage que vos yeux soient malades ; ils auraient à regarder. aujourd’hui un magnifique soleil, brillant comme en Juillet. Mais il fait froid.
La réception du Président sera splendide. Le ciel s'en mêle. M. Fould maintient-il le rendez-vous qu’il vous a donné au 16e jour après le retour à Paris ?
Vous aurez de vos fenêtres, le double spectacle du passage du cortège sur la place Louis XV et des amphithéâtres élevés sur les deux terrasses des Tuileries, pour les spectateurs. Ce sera beau. J'espère que vous aurez assez d'yeux pour en jouir un moment.
Je viens d’employer les miens à lire dans le Moniteur une longue pièce du comité des propriétaires de houilles à Mons pour amener le Roi Léopold à l’arranger avec le gouvernement français. Ils sont bien pressés de voir cesser l’augmentation de droits que le decret du président a établis. L'affaire belge d'à présent s’arrangera mais l’arrangement ne mettra pas fin à la situation. Elle est au dessus des questions commerciales.
Je suis assez curieux de lire la circulaire que le gouvernement Belge a adressée à tous les cabinets pour expliquer sa conduite. Elle sera certainement publiée. Je doute un peu de l'opportunité. Il ne peut pas donner publiquement, ses vraies et grandes raisons.
Ma lecture du Moniteur m’y a fait découvrir ce que je ne savais pas ; c’est qu’il se met à publier des Romans feuilletons, comme les autres journaux. C’est inconvenant. Ses romans seront mauvais, comme les autres. Une si méchante invention ne devrait pas pénétrer dans le journal officiel.
24 personnes exécutées à Sinigaglia, chez le Pape, en septembre 1852, pour les crimes de 1848 ! C’est trop tard. Les gouvernements ne peuvent pas commettre de plus grande faute que de faire venir le châtiment longtemps après le crime. L'impression du crime a disparu, blâme moral et peur ; et on a à la place l'impression d'horreur du supplice et de pitié pour le criminel. C'est stupide. La première condition pour l'efficacité de la justice, c’est qu’elle soit prompte.
Je n’ai pas vu le nom de l'Anglais Murray dans ces condamnés. Il me semble qu’il était de cette bande-là. Est-ce qu’on lui a fait grâce ?

Onze heures
Voilà un plaisir. Merci de votre longue lettre. Elle me charme. D’abord pour moi, et puis pour vous, dont les yeux vont un peu mieux. Je ne vous demande point pardon de mon égoïsme. Le papier vert me manquait trop depuis deux jours. Adieu, adieu. G

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, samedi 14 Août 1852

Je suis très fâché de la mort de votre pauvre maître d'hôtel. Je ne sais pas ce qu’il valait au fond ; mais d'apparence, il vous convenait à merveille, et vous le remplacerez difficilement. Les petites difficultés de la vie ne vous valent rien.
Ce pauvre Tolstoy me touche infiniment. Il est dévoué à ses enfants comme un père et comme une bonne. De quoi donc ce petit garçon est-il si malade ? C'est le second, je pense. J’ai trouvé à l’aîné bien bonne mine quand je l’ai vu à Dieppe. Faites moi la grâce de ne pas laisser ignorer à votre neveu que je suis vraiment préoccupé de lui et de son chagrin. Il y a de mauvaises veines dans la vie, dans la vie domestique comme dans la vie politique ; mais elles s’épuisent.
Vous recommencez à marcher. J'espère que la mauvaise veine est finie. Dieu vous garde ! Avez-vous vu quelque médecin ou chirurgien depuis votre retour à Paris, car Olliffe n’y doit pas être ?
Je suis revenu ici hier à 6 heures avec les entrailles assez souffrantes. Malgré ma sobriété, les dérangements de vie et de régime se font toujours sentir. Je suis mieux ce matin. J’ai dormi longtemps.
Je trouve ici des lettres, mais point de nouvelles. La plus vraie nouvelle à mon avis, c'est le livre de Proudhon, et l'autorisation de paraître que le président lui a donnée, après avoir lu son livre, et la lettre. Je trouve cela grave, sans m'en étonner. Dans un régime de liberté de la presse, ce ne serait rien qu’un mauvais livre de plus par un homme d’esprit, mais aujourd’hui, c’est quelque chose. Peut-être n’est-ce pas vrai. Je le voudrais. Le Président aurait tort, s’il s’engageait dans cette voie-là. On ne peut pas faire à la fois sa cour au Clergé et à Proudhom.
Que signifie le voyage de la Reine d'Angleterre à Anvers ? Est-ce une simple fantaisie de promenade, ou une marque d'intimité protectrice ! On me dit qu’il y a un mouvement de l'Elysée vers Londres, et qu’on verra la preuve dans un traité de commerce qui fera des concessions à l'Angleterre pour l'importation des fers et des houilles. Si ce traité a lieu, il fera du bruit.
Le retard du voyage du Président dans le midi me fait croire au mariage. Je comprends les inquiétudes de M. de Persigny et je ne les crois pas fondées. Si le Président veut réellement se marier, il se mariera que cela plaise, ou non, ailleurs. On ne fera rien de grave pour l'empêcher.

Onze heures 1/4
Mon facteur arrive très tard ; mais en revanche, il m’apporte une lettre intéressante. Pauvre Tolstoy ! Adieu, adieu. A demain les affaires, c’est-à-dire la conversation, c’est à dire l'écriture qui ne vaut pas le quart de la conversation. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, samedi 11 sept 1852

Je n'ai plus de goût à vous écrire ; nous causerons mardi matin. Faites- moi savoir chez moi, où j’arriverai de très bonne heure, à quelle heure vous voulez que j'aille vous voir.
C’est tout simple que Turgot fasse valoir Drouin de Lhuys. Celui-ci ne manque ni d’esprit, ni de tradition. Bien élevé d'ailleurs. et sachant vivre. C'est probablement le meilleur choix que le Président eût à faire. Ce qui est tout simple aussi, c’est qu’il vaille et fasse mieux cette seconde fois que la première.
Le journal des Débats, c’est-à-dire John Lemoisne est risible avec son acharnement à vouloir que l’Angleterre soit à la veille de nouvelles guerres de religion. Ce qui s'est passé là depuis deux ans démontre précisément le contraire ; à quoi ont abouti, et le grand mouvement catholique du cardinal Wiseman et le grand mouvement protestant contre le cardinal Wiseman ? à un bill qui n’est pas exécuté, sans que personne se plaigne de la non-exécution et à l'acquittement du Dr Achilli que tout le monde a trouvé et déclaré coupable. L’Angleterre reste protestante, comme auparavant et les Catholiques ne sont pas plus persécutés qu'auparavant. Pays de bon sens et de justice où les sottises font beaucoup de bruit et peu d'effet.

Onze heures
Vous m'écrirez encore demain, mais plus lundi. Ma place est retenue à la malle poste pour lundi soir. Je remets à mardi, Mad. Kalerdgis et toutes les causeries. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Samedi 9 oct. 1852

J’ai écrit sur le champ à Aggy, directement et par la poste. Je crois que je lui ai dit ce qu’il faut lui dire. Le premier moment doit avoir été l’envie d’aller passer quelques jours auprès de Marion ; mais j’espère qu’elle n'aura pas tardé à sentir que vous avez bien plus besoin d'elle que Marion, et qu’il y a pour elle, bien plus de devoir à rester près de vous. Marion lui-même ou je serais bien trompé, le lui demandera, si elle ne l’a déjà fait. En tous cas, je suis bien aise que le père soit si positif.
Pauvre Fanny ? Si elle n’avait pas été malade, et si malade depuis si longtemps, sa mort me frapperait, comme toutes les jeunes morts. Il semble qu’on ne doive être rappelé qu'après avoir fourmi sa course et bu sa coupe. Mais qui sait pourquoi nous sommes rappelés, et pourquoi nous avons été envoyés ? Il faut vivre, et mourir sans savoir et avoir foi sans savoir.
Les hésitations et les procrastinations sur l'Empire ne m'étonnent pas et n'y feront rien. Cet homme est un singulier mélange de fatalisme et de prudence ; il va à son but aussi certainement aussi irrésistiblement qu’un boulet de canon, mais à pas comptés et en s’arrêtant souvent. Je ne crois pas que le temps d’arrêt puisse être long aujourd’hui ; ce serait une duperie, et un ridicule ; quoi qu’on puisse recommencer les mouvements arrangés. Celui-ci a été arrangé sur une trop grande échelle pour qu’on soit aussi sûr du second coup que du premier ; surtout le premier ayant manqué en bien des endroits. Rien après tout ce bruit serait de la timidité plus que de la prudence. Enfin nous verrons.
Peu importe la persuasion de [Kisseleff] en partant ; elle ne réglera, ni l'événement à Paris, ni la conduite de l'Empereur à Pétersbourg. Et j’espère pour l'honneur de sa sagacité, que [Kisseleff] ne sera pas partout aussi affirmatif.
Quand l'Empire sera fait, viendra la question de la guerre sur laquelle nous aurons les mêmes hésitations et les mêmes procrastinations que sur l'Empire. Probablement plus encore, car le fossé à franchir sera bien plus profond, et nous serons plus près du bord.
J’ai quelques raisons de croire que Morny est plus que jamais dans l’intimité sérieuse du Président, et qu'avant de partir pour son voyage, le président l’a entretenu de toutes les chances possibles de l'avenir, comme on entretient son confesseur et son exécutant testamentaire.
Je doute que Morny et Fould soient aussi bien ensemble qu’ils en ont l'air. On espérait à l'Elysée que le Roi Léopold appellerait M. Lehon pour lui faire un cabinet, et on s'en promettait des merveilles. Il y a là un mécompte ministériel par dessus l'humeur diplomatique.
J’ai reçu ce matin une lettre très amicale de M. le duc de Nemours à qui j’avais écrit quatre lignes de condoléance respectueuse sur l'accident de Mad. la Duchesse d'Orléans. Il me dit qu’elle est bien : " Elle me fait dire elle-même, par dictée, que le repos auquel elle est forcement assujettie aura fait du bien à l'état général de sa santé. L'accident de voiture a été de la nature la plus sérieuse, and the escape is a very narrow one, comme on dit dans ce pays-ci. Le voyage de la Reine n’a donc pas été déterminé par ses alarmes, mais par les sentiments d'affection, de bonté et de charité que vous savez exister en elle. "
Adieu, Adieu.
On me dit que vous êtes contente du régime d’Andral et que vous lui trouvez de l'esprit. J'en suis bien aise et vous avez raison. Adieu. G

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 8 octobre 1853

Je renonce plus que jamais à prévoir ; on ne prévoit pas les emportements de Barbares ignorants, ni les faiblesses d'Etats puissants, ni les étourderies de Ministres hommes de sens et d’esprit. Je ne sais si je radote dans mon coin ; mais, à mon avis, il n’y a pas, à cette crise si grave, un seul motif sérieux et elle aurait pu très aisément être évitée au premier moment et termine dix fois depuis qu’elle a commencé. C’est ce qui fait que je ne crois pas encore aux conséquences extrêmes. Que la guerre soit absolument faisable dans cette saison, c’est possible ; mais elle est à coup sûr, plus difficile. Vous n'attaquerez pas les Turcs. Pour vous attaquer, il faut qu’ils passent le Danube, très mauvaise chance pour eux. On restera probablement l’arme au bras ; et si on ne se bat pas tout de suite, passera-t-on l’hiver sans rien faire pour se battre au Printemps ? C'est le comble de l’invraisemblance. Je retombe toujours dans ma raison. Pourtant je suis inquiet. Je crois que je ne le serais pas du tout, si je ne l'étais pas pour vous. Mais vous êtes dans la question. Je persiste à croire qu’il s'est passé à Olmütz quelque chose que nous ne savons pas et qui laisse une poste entrouverte pour la paix.
Parlons d'autre chose. Avez-vous lu la vie du Marquis de Bouillé par son petit-fils René de Bouillé ? Cela vous intéresserait. Vous passeriez la partie militaire. M. de Brouillé a été l’un des rares hommes de sens et du caractère du parti émigré dans notre grande révolution, et il a été, en rapport avec tous les hommes considérables de son temps.

Onze heures
Bonne lettre dans notre péril. J’ai toujours confiance à la dernière extrémité. S'il y a quelque nouvelle chance de négociation, Aberdeen ne se retirera pas. Très probable ment d'ailleurs, il ne se retirerait pas seul, et vous savez qu’un cabinet nécessaire à l'intérieur, ne se dissout pas pour des raisons de politique extérieure. J’ai trouvé, pour la Princesse Koutschoubey, non pas tout ce qu’elle cherche, mais quelque chose qui, je crois, peut lui suffire quant à présent et vaut peut-être mieux pour commencer. Je le lui écrirai demain à elle-même, puisque vous le désirez. Je n'ai pas le temps ce matin. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Samedi 4 sept. 1852

Evidemment, il faut que Fould revienne et que le Président parte. Leur voyage à travers la France vous donnera seul quelques nouvelles à entendre, si ce sont là des nouvelles. Rien ne se ressemble plus que les voyages de Princes, tous les lieux deviennent semblables pendant ces jours là, et tous les incidents sont les mêmes.
La lutte du Moniteur contre les journaux Anglais continue. Elle est bien plus vive dans les feuilles d’Havas qui jouissent du privilège de l’incognito. Là on prédit la chute de l’aristocratie anglaise, de la monarchie anglaise ; on leur déclare que cette chute arriverait demain s'ils recevaient, comme nous, le bien fait du suffrage universel. Comment résisteraient-il à cette voix du peuple & &.
Ce sont les colères de l’ancien Empire avec le suffrage universel de plus. L'Empereur avait usé deux ou trois fois du suffrage universel, mais il se gardait bien d'en parler tous les jours. C'est vraiment une maladresse extrême, et si inutile !
On m'écrit que le comte de Chambord a reçu la démission de M. de Pastoret par une lettre officielle, très courte et très sèche. Pas un mot de remerciement ni d’ancienne amitié. Cela fait supposer à la brouillerie quelques motifs plus sérieux que ceux qui ont paru. C'est le Duc de Lévis qui est maintenant chargé des affaires financières du comte de Chambord. Cela le fera résider plus habituellement à Paris. On dit qu’il n'en est pas fâché.
Il avait été très sérieusement question de la retraite de l’armée Française de Rome. Mais le Pape n’a pas voulu donner l’assurance que ses propres gardes lui suffisaient, et prendre, l’engagement de ne pas appeler les Autrichiens. Alors on reste, et le Pape en est bien aise, car les Français lui sont plus commodes et moins compromettants que les Autrichiens.
Êtes-vous contente de votre nouveau maître d'hôtel ?

10 heures et demie
Pas de lettre. J’espère bien que ce n’est pas pour raison de santé. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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8 Je reçois, les N°7 et 8 à la fois et n'ai que le temps de vous écrire deux lignes. J’ai attendu le facteur.
Vous verrez que j’ai eu bien raison de ne pas croire à la guerre à la vraie guerre européenne. Le reste ne signifie rien. Je ne puis attacher aucune imposture aux prétendus dissentiments intérieurs du Cabinet anglais. Ils resteront tous. La mauvais temps et l’intérêt des affaires, deux bonnes raisons pour retarder votre départ. Adieu, Adieu.
G. Val Richer

4 Juin 1853

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, samedi 2 octobre 1852

Il n'y a vraiment pas de quoi, en vouloir, au Roi Léopold parce qu’il a remis ses Chambres au 26 octobre. On se félicite, sans doute du renversement du cabinet avec lequel on n’a pu s'entendre ; comment veut-on qu’il en forme un autre les Chambres présentes et parlantes ? En elle-même, la difficulté est déjà très grande pour lui ; au moins lui faut-il un peu de temps et de repos.
Je ne crois point à la guerre prochaine. Quand l'Empire sera fait, vous verrez quelles peines, il se donnera pour l'écarter ; j’ai peur qu’il ne la porte, comme on dit aujourd’hui, dans ses flancs ; mais il fera tout ce qu’il pourra pour en accoucher le plus tard possible, et tout le monde l’y aidera. Ce ne peut pas être son entrée en scène.
Il y a si peu de monde à Paris que je ne vous plains guère des ennuyeux que vous a endossés Lady Ellice, le nombre vaut quelque chose quand on n’a pas le choix, mais pourquoi vous laissez-vous faire par Lady Allice, vous qui en général savez si bien vous défendre des endosseurs ?
Je ne sais pourquoi le Journal des Débats et l'Assemblée nationale ne me sont pas venus hier. J’ai eu ces jours-ci quelques détails assez curieux sur l'Etat des journaux. Le Constitutionnel réussira, dans sa lutte de bas prix contre Le Pays ; il le tuera quoique le Pays reçoive, à ce qu’on assure, 20 000 fr de subvention par mois. Le Constitutionnel relèvera aussitôt son prix. C'est le bénéfice de ses annonces qui le met en état de supporter la perte qu’il fait en ce moment sur les abonnements. Elles lui vaudront cette année 500.000 fr. Le Siècle est en gain. Les Débats, et l'Assemblée nationale se soutiennent. Tout cela ne vous fait pas grand chose.
Madame de Brandebourg reste-t-elle un peu longtemps à Paris ? D'après ce que vous m'en dites, je serais bien aise de la connaitre. Quand reviennent les Hatzfeldt ?
Sauf l'ennui d'être malade, la petite Princesse est-elle bien fâchée d'être obligée de passer l’hiver à Paris ?
Vous devriez résumer vos souvenirs sur le duc de Wellington ; un portrait de caractère, appuyé sur des anecdotes particulières, et intimes ; ce serait vrai et piquant. Un grand homme qui n’est ni un homme d’esprit, ni un homme de coeur (non pas cœur, courage) cela est rare et vaut la peine d'être peint.

Onze heures.
Je n’ai pas du tout vos dernières paroles. Je vous voudrais au moins quelques semaines d’un mieux soutenu. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 28 sept 1853

Je ne suis revenu hier qu'après une heure. Dix sept lieues et vingt sept heures pour aller dîner, c’est beaucoup. Il faut pour cela, aimer beaucoup ses amis et avoir bien envie de leur faire plaisir. Aussi fais-je.
Si l’entrée des flottes ne met pas le Sultan et Reschid Pacha en volonté et en état de signer la note de Vienne et d'en finir de cette pitoyable situation, c’est évidemment qu’il n’y a plus aucun gouvernement à Constantinople et que le moment de la chute de l'Empire Ottoman est arrivé. C'est possible. Ce n'est pas un bon moment pour une si grosse affaire. L’Europe est divisée, et mal disposée. Les questions, et les dispositions révolutionnaires sont au fond, et au-dessus de toutes les autres. Elles décideront des alliances et des conduites. C'est le chaos dans les ténèbres. Attendons l’entrée des flottes mettra peut-être fin, pour quelque temps, à la crise. C’est toujours mon pressentiment.
L’Angleterre me paraît entrer sans motif sérieux, dans une de ces ébullitions populaires qui lui ont quelquefois fait faire de grosses fautes, mais dont pourtant, elle est presque toujours sensément sortie. Et sortira-t-elle cette fois, ou y succombera-t-elle ? Cela dépend de ses chefs. Il y a, j'en suis convaincu, dans le pays, des points d’appuis assez forts pour résister aux meetings et faire prévaloir la bonne politique. Le bon jugement, et le bon vouloir ne manquent pas à lord Aberdeen. Aura-t-il assez d'énergie ? Je le désire vivement pour lui, pour son pays et pour l'Europe.

Onze heures
Voilà une longue lettre et intéressante, quoique toute cette agitation soit vraiment assez ridicule pour une question qu’il serait si aisé de finir. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 27 oct. 1852

Il était difficile de croire que l’insignifiance des journaux pût augmenter. Elle augmente pourtant. Le voyage du Président les animait un peu. Les cérémonies de l'Empire seront quelque chose, pas longtemps. Tant que la peur du socialisme et la prospérité de la Bourse dureront, ce sera bien. Mais après ? On arrive toujours à ce mot là. On dit ici que le suffrage universel sera convoqué pour le 21 novembre. On n'y pense guère, mais on votera. Je ne crois pas à une diminution considérable du nombre des votes.
Certainement Chasseloup ne donnera pas sa démission. Il est de ceux à qui le régime parlementaire convenait le mieux ; toujours un peu dans l'opposition, sans les efforts et les périls de la résistance. Aujourd’hui, l’opposition serait trop sérieuse. J’ai plus de doute sur Montalembert. Pourtant je n'y crois guère. Annonce-t-on toujours son ouvrage ?
Les états italiens ne savent ce qu’ils font pas plus la Toscane que Naples d'hommes gens condamnés aux travaux forcés pour avoir lu la Bible dans leur maison, avec quelques uns de leurs amis. Cela n’est pas de notre temps parlementaire ou non, pas plus que la torture. Ce qui est déplorable, c'est qu'on use ainsi en sottises la réaction d’ordre à ce moment-ci, et qu’on amènera une réaction, en sens contraire dont on ne saura comment se défendre. Les hommes sont bien sots quand ils ne sont pas bien fous.

Onze heures
Lord Minto a raison de se tenir pour fini. Adieu, adieu. J’espère que vous n'avez pas eu cette nuit l'épouvantable vent qui m’a réveillé trois ou quatre fois. Vous n'auriez pas dormi du tout. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Mercredi 25 Août 1852

Le beau temps paraît décidé à revenir aujourd’hui. Vous en jouirez dans votre calèche. Moi, j'en jouis dans mon jardin. Je ne fais guère de longue promenade aux environs. J’aime mieux flâner en rêvant dans mes allées. Je rêve à mes travaux, au passé, à l'avenir. Je suis ici à la fois très entouré et très solitaire. Pour la vie extérieure et à la surface, rien ne me manque ; le fond est vide. C'est curieux combien la distance est grande dans l’âme entre la surface et le fond.
Mes enfants sont excellents et charmants pour moi. Quand je chercherais, je ne saurais vraiment qu’y ajouter ; mais ils ont leur propre vie, qui n’est pas la mienne. C’est tout simple. Je suis également frapper du sage arrangement des choses telles que Dieu les a réglées, et de leur imperfection.
M. Drouyn de Lhuys s'est donc arrangé avec la Belgique. Pour des affaires de cette sorte et de cette taille, il en sait plus que M. Turgot. Il vient de faire une bonne et juste nomination en envoyant à Londres, mon ami Herbet que vous connaissez, comme consul Général. J’ai vu avec plaisir que mon amitié ne lui faisait pas tort. Il m’est resté très attaché. Il servira très fidèlement et très capablement. Je regrette que ce mot-là ne soit pas français.
Ably, nous manque. Je trouve que les petits jeux et les bijoux qu’on gagne toujours sont des appâts un peu vulgaires. Je conviens qu’il en faut de ceux là, et quand ils réussissent, on a bien fait de les employer.
Avez-vous remarqué que M. de Radowitz vient d'être nommé inspecteur général de tous les établissements militaires de Prusse ? Est-ce un simple manque de faveur personnelle, ou bien y a-t-il là quelque politique ? Ceci me paraît peu probable.
La Suisse est vraiment une honte pour l'Europe. Je viens de lire, dans l'Assemblée nationale, une longue lettre sur l'état intérieur du canton de Neuchâtel qui fait vraiment dégoût et pitié. Les protocoles de Londres pour le maintien des droits du Roi de Prusse n’ont abouti qu'à un redoublement de tyrannie radicale. Les radicaux ont raison de se moquer des rois.

Onze heures
Demandez à votre médecin, Olliffe ou Chomel, si l’usage habituel de quelque boisson amère, comme la chicorée, ne serait pas bon pour votre estomac. Vous avez besoin de quelque tonique pas fort, mais constant. Avez-vous renoncé aux eaux de Bussang ? Prenez-vous un peu souvent de la gelée de viande ? Je voudrais bien vous trouver un peu de force.
Si la petite Princesse a moins d’esprit qu’il y a douze ans, ce n’est pas assez. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Mercredi 22 sept. 1849
9 heures et demie

Je suis dans mon Cabinet depuis six heures. Je n'ai pas encore mis le pied dans le jardin quoiqu’il fasse un soleil superbe. Je suis plongé dans mon histoire de la révolution d'Angleterre. Notre temps me sert beaucoup plus pour la comprendre qu’elle ne m'éclaire sur notre temps. Personne, ne me croirait si je disais que je cherche bien plutôt dans le présent des lumières sur le passé que dans le passé des allusions au présent. C'est pourtant très vrai.
Savez-vous un effet qu’on n’a pas prévu ? Il est très probable que ces bruyantes et innombrables démonstrations dont les journaux sont remplis, feront l'Empire ; mais en le faisant, elles l’usent d'avance. On en aura trop entendu parler quand il sera proclamé. On attendra et on demandera autre chose.
Le Constitutionnel allait avant hier au devant des craintes qu'inspirent déjà ces autres choses ; il promettait un Empire qui ne serait pas l'Empire, qui ferait des sociétés de crédit foncier et des chemins de fer une monarchie pacifique et bourgeoise. C’est trop de bruit pour arriver là. Il fallait attendre plus patiemment la nécessité de la monarchie ; elle serait venue, et elle serait venue plus tranquillement, sans blaser d'avance et sans exciter outre mesure. J'en reviens toujours, au chancelier Oxenstiern, qu’il y a peu de sagesse, même dans ce qui réussit !
C'est probablement par mauvais vouloir pour Lord Douro que le Duc de Wellington n’a pas fait de testament ; il a voulu que son second fils, qu’il aime mieux, et qui a des enfants, ont la moitié de sa fortune. Peel et Wellington, jamais les fils n'ont moins ressemblé aux pères ; le contraste est choquant.
Je suis convaincu qu’il y a de la faute des pères en cela, et que des enfants vraiment bien élevés, et en intimité avec leur père, n'en sont jamais si loin, quelque différente que Dieu ait fait la pâte, de toutes les jalousies, celle de père à fils est la seule que je ne comprenne pas du tout. Je ne conçois pas de plus grande satisfaction que de se survivre, et de la perpétuer soi-même dans ses enfants. J’ai pourtant vu de grands exemples de cette jalousie là, et dans de bien frappantes occasions.
Je vous quitte pour faire ma toilette. Je suis impatient de savoir Aggy revenue.

Onze heures
Je remercie Aggy de ses quelques lignes, quoiqu’elles me chagrinent. J’espère qu’un peu de nourriture vous relèvera de votre abattement. Le temps mou et pluvieux paraît vouloir casser ; peut-être qu’un air plus sec et plus vif vous vaudra mieux. Adieu, Adieu, en attendant demain. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Mercredi 20 oct. 1852

Nous ne faisons aucune attention aux affaires d'Orient. Il n’y a plus d'Orient. Les gouvernements de France et d’Angleterre sont trop occupés chez eux et d’eux-mêmes pour regarder au loin. Pendant ce temps, je vois que les révolutions ministérielles se succèdent à Constantinople ; voilà Ali Pacha renversé, le successeur, mais encore l’ami de Reschid Pacha. Je suis sûr que ce sont vos affaires qui se font et que vous faites là. Il n’y a rien à dire. Vous avez raison de profiter des fautes de l'Occident.
Voici une faute qui vous touche peu, et qui m’a choqué. Comment a-t-on, samedi dernier, fait sortir et amené en masse sur le passage du Président, les collèges, et les écoles primaires, des enfants ? Ceci est pire que le suffrage universel. On se plaignait jadis que les étudiants de droit et de médecine, les jeunes gens de 20 ans fussent mis en scène une politique, et on y met aujourd’hui des marmots. Ce n'est ni sensé, ni honnête.
Je ne comprends pas ce que fait Lord Malmesbury pour être mal avec l'Autriche. Je ne leur vois point de sujet de querelle ; à moins que la mauvaise humeur des voyageurs Anglais en Italie, à propos de leurs passeports, ne devienne une question de gouvernement. Ce serait bien absurde. Peut-être aussi le Piémont. qui donne sans doute de l'humeur à l’Autriche. Du reste, les puissances du continent auraient grand tort de se mettre mal avec l'Angleterre ; si jamais l’incendie révolutionnaire se rallumait ce qui n’est pas du tout impossible, c'est encore là qu'elles trouveraient, pour résister, le point d’appui le plus fixe et le plus fort.
Vous avez bien raison de trouver bon que Paris perde l'habitude de faire et de défaire les gouvernements. En soi, l'acte de puissance que font depuis quelque temps les populations des campagnes est excellent ; elles sont hors d'état de gouverner ; mais il ne faut pas qu’on puisse gouverner ou détruire les gouvernements sans elles et contre elles, et la leçon donnée en ceci aux prétentions et aux traditions de Paris est très salutaire.

Onze heures
Je n’ai pas de lettre. Adieu donc. Il fait bien beau temps. J’espère que vous avez le même soleil à Paris et que vous en profitez pour prendre l’air. Adieu, Adieu.
J'ouvre mes journaux. Vous avez perdu votre pari avec M. Molé. Nous aurons l'Empire en Novembre.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 18 Août 1852

Je reconnais bien M. de Varenne dans l’idée de faire chanter un Te deum en l'honneur de Napoléon dans l'Eglise catholique publique de Berlin. Il manque tout à fait d’esprit et de tact. Berlin est probablement de toutes les capitales de l'Europe celle où un pareil service devait le moins réussir. Dans la Chapelle de la Légation et entre français à la bonne heure, si le Président avait de grandes affaires, il verrait combien de tels agents sont impraticables.
Je remarque, assez de conseils d’arrondissement qui poussent à l'Empire. Nous verrons ce que feront les conseils généraux. A peu près partout, ils sont tels que l'administration, les a voulus, et elle en aura ce qu’elle voudra. C'est commode, mais pas toujours utile.
Les informations de Lord Aberdeen s'accordent avec celles de mes visiteurs anglais. Pour le moment, je crois plutôt à la durée de Derby, plus ou moins modifié, qu'à l'avènement de Lansdowne. Celui-ci serait obligé de dissoudre presque aussitôt. C’est trop d’émotion et trop de dépense. Lord Cowley redoute-t-il toujours Lord Malmesbury ?

Onze heures
Vous avez donc encore Stockhausen ? Je le croyais parti. Aggy n'aura pas la même popularité mondaine que Marion, mais je suis bien aise qu'elle aille un peu dans le monde, et qu’on l'y traite bien. Cela convient à votre salon.
Ce dont je suis bien plus aise, c’est de vos nouvelles de votre fils Paul. Non seulement cela lui montre ce que vous êtes et ce que vous pouvez pour lui, mais j’espère que si on lui ouvre une belle porte, il rentrera avec plaisir dans sa carrière. Je ne puis souffrir de voir un homme distingué perdre sa vie comme un good for nothing. Adieu. Adieu.
Nous avons eu hier ici un immense orage. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 12 oct. 1853

J’ai Barante ici depuis avant hier ; il ne m’a rien appris, mais nous causons beaucoup. Il est aimable, bon, et de mon avis presque sur toutes choses. Il ne croit pas plus que moi, et que M. de Meyendorff qu’on se batte sérieusement, ni que la France et l'Angleterre s'en mêlent réellement. L’attitude et l’unanimité du cabinet anglais disent aussi cela. Piscatory m'écrit que nous ne tenons pas assez de compte des Barbares, des Turcs eux-mêmes, et que leur ignorance et leurs passions déjoueront, toute la modération Européenne. Je ne le crois pas pourtant ce qui se passe depuis un mois lui donne quelque apparence de raison. Voyez-vous les Holland ? Barante dit qu’ils sont très animés, et que, ces jours derniers. Thiers, chez eux, était fort à la guerre. Il a eu là, à ce sujet, une dispute très vive avec Cousin, grand partisan de la paix. " Voilà comme vous êtes toujours, vous voulez recommencer 1840 & & " Cousin développe très bien un bon thème.
Avez-vous lu la lettre de Montalembert à Dupin qui lui avait envoyé son discours au comice agricole de Corbigny ? C'est vieux, mais c’est vif et bien tourné.
La correspondance d’Havas ferait mieux de ne pas trahir si clairement, dans son petit bulletin politique, son désir de la chute de Lord Aberdeen. J'y trouve aujourd’hui cette phrase : " Au jour où le gouvernement anglais se déciderait à entrer en lutte avec la Russie, il est possible que les précédents de l'illustre diplomate deviennent gênants et qu’il soit utile de remettre la conduite de la guerre en des mains plus vigoureuses et moins engagées ; mais tant qu’il reste quelque espoir de conserver la paix, tant qu’il y a des négociations à suivre, des concessions à solliciter, l'influence pacifique du nom de Lord Aberdeen est bonne, ce nom semble à conserver ? C’est une maladresse d'être à la fois timide et malveillant. On me dit que Naples est assez agité surtout la Sicile ; les correspondances de Malte recommencent. Le Roi de Naples est convaincu que, si la guerre éclatait, la Sicile serait la vraie indemnité anglaise. Les perspectives de cet avenir là commencent à agiter beaucoup aussi Rome et Turin.
Vous devriez lire les nouvelles lettres de la Palatine, Madame mère du Régent. M. de Sainte Beuve en donne dans le Moniteur, un extrait piquant. Je ne connais pas un exemple pareil de grossièreté unique dans le langage ; mais le fond est sensé, spirituel et honnête. Cela vous amuserait. Je ne connais pas du reste encore les nouvelles Lettres. Je n'en parle que d'après le Moniteur.
Onze heures
Adieu, adieu. Je n'ai rien de plus à vous dire. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 8 sept 1852

Dites-moi précisément quel jour Aggy part pour son petit voyage. J’irai passer avec vous trois jours pendant son absence. Je veux voir par moi-même comment vous êtes et me donner, nous donner ce rafraîchissement dans le cours d’une si longue séparation. Je puis faire cela la semaine prochaine. J’attendrai après demain vendredi votre réponse pour fixer le jour de mon départ. Ce sera un charmant plaisir.
Je m'étonne que le Président ne soigne pas Cowley autant que Hubner. Il compte sans doute davantage sur la complaisance, de l’Autriche pour sa grande affaire ; mais il a besoin aussi de celle de l'Angleterre, et je ne la crois pas inabordable. Ce que vous me dites de Lord Cowley quant aux chances de l'avenir n’est probablement pas son sentiment à lui seul dans son gouvernement. La politique anglaise est peut-être, de toute celle qui vit le plus dans le présent. Le Cabinet actuel d'ailleurs n'est guère en état, ni en disposition d’aller au devant d’aucune difficulté, il les éludera tant qu’il pourra et n'en créera à personne pour ne pas s'en créer à lui-même.
Le journal des Débats répond à ma question ; il annonce le rappel du ministre de France à La Haye, le petit d’André, si je ne me trompe. Je doute que cela fasse revenir les Chambres hollandaises, au traité sur la contrefaçon. Ce seront de mauvais rapports inutiles.
Mad. Kalerdgi manquera à l'Elysée et à M. Molé. Il a le goût des comédiennes Mad. de Castellane valait mieux que celle-ci. Elle était capable de dévouement. Je doute qu’il en soit de même de Mad. Kalerdgi. Passe pour le dévouement d’un jour ; mais la dévouement long exclusif, non. Mad. de Castellane, il est vrai n’avait pas commencé par ce dévouement-là ; mais elle y était venue. C'est quelque chose. à propos de Mad. Kalerdgi, Piscatory me revient à l’esprit. J’ai eu de ses nouvelles il va mieux. Il a eu une forte esquinancie mais il a une de ses filles assez gravement malade, ce qui le tourmente beaucoup. Il a du cœur. Il se tient parfaitement tranquille entre ses enfants et les champs.

Onze heures
Je vous chercherai de vieux Mémoires. Ce pauvre Piscatory a perdu sa fille, une enfant de douze ans. Je reçois trois lignes de lui. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Mercredi 6 octobre 1852

Je suis frappé des arrestations et des saisies de poudre, canons de fusil & opérées à Bordeaux. C'est là évidemment le travail assidu du parti anarchique, et il a, dans chacune des grandes villes où le président doit passer, un foyer de préparatifs et de tentatives, Marseille, Bordeaux, Nantes. C'est très bien fait de traiter tout cela avec mépris, et je voudrais bien qu’on y pût appliquer uniquement les remèdes Anglais ; mais on a affaire à de tout autres hommes, et il faut encore plus de vigilance que de mépris. En Angleterre, il n’y a vraiment que des fous ou des scélérats isolés qui tentent de pareils actes ; chez nous, c’est tout un parti nombreux, fanatique, organisé, qui se recrute abondamment et se gouverne despotiquement. Avec lui, il y a deux dispositions auxquelles, il ne faut jamais se laisser aller, la crainte et l’insouciance ; n'en avoir pas peur et le combattre sérieusement, incessamment, c’est le seul moyen de le vaincre.

Onze heures
Vos conversations sont curieuses. Soyez tranquille, je n'en ferai aucun usage. Je trouve ces propos là fort naturels, car c'est là qu’en viendront les actions aussi tard qu’on pourra et quand on aura épuisé les moyens dilatoires pour échapper à ce qu’il y a de radicalement révolutionnaire dans la situation.
On m’avait annoncé l'ouvrage de Montalembert, et je sais qu’il y travaille. S’il l'achève, il le publiera ; et s’il le publie, cela fera de l'effet, m'importent l'inopportunité du fait, l'humeur du pouvoir, et l'indifférence de la nation. Il reste toujours un public suffisant pour donner du retentissement aux paroles d’une opposition spirituelle et animée. Il y a des temps pour allumer l’incendie, et d'autres pour conserver le feu.
Je ne comprendrais pas une note anglaise sur le lac Français, quand il n’y a point de paroles officielles et avouées. Une dépêche même serait trop et M. Drouyn de Lhuys aurait le droit. de dire : " Qui vous l’a dit ? " Passe une lettre particulière, dans laquelle on serait à l'aise pour parler hypothétiquement et qu’on ferait connaître officieusement.
Adieu, Adieu. Vous ne me dites rien de votre fils Paul. Il n’y a donc rien de nouveau. Il est vrai qu’il faut que M. de Nesselrode soit de retour. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 1er Sept. 1852

Ce que vous me dites de Hübner ne m'étonne pas ; il a de l’esprit, mais son esprit est placé trop bas pour se répandre aisément ; il n’y a que les esprits hauts qui soient communicatifs et libres.
Vous avez en effet bien peu de ressources à Paris en ce moment ; mais vous en auriez encore moins ailleurs. La campagne est bonne à ceux qui ne craignent pas la solitude.
A mon avis, vous avez tort de ne vouloir absolument. d’aucun château ; vous n’y seriez pas, il est vrai, aussi parfaitement, sans gêne que chez vous ; mais vous y auriez un peu de bonne conversation et beaucoup de bon air. Il faut bien choisir entre ses goûts et sacrifier quelque chose des uns à la satisfaction des autres. Je vous fais de la très bonne morale, sans compter sur son succès.
Pour moi, je ne parie plus ni pour contre l'Empire ; il viendra, ou ne viendra pas, comme on voudra ; je n’y pense même plus. Je puis oublier beaucoup le présent.
La guerre devient bien vive, entre le Times et le Moniteur. Je ne crois pas que cela serve le Président en Angleterre où tout le monde lit le Times et personne le Moniteur. Et en France, où personne ne lit le Times, et tout le monde à présent le Monteur, cela n’a d'autre effet que d’apprendre au public, que le Times attaque violemment le Président. Ce sont des polémiques où l’on s’engage pour la satisfaction de son humeur, non pour le service de son intérêt. Je les comprends de l'Empereur Napoléon, il faisait la guerre à l'Angleterre ; il la lui faisait dans le Moniteur comme partout ; ses articles étaient soutenus par ses canons, et expliquaient ses canons. Mais le Président, est et veut, être en paix avec l’Angleterre ; le Moniteur ainsi employé lui rend la paix plus aigre voilà, tout. C’est un mauvais calcul un anachronisme.
Je suppose que vous ne lisez pas le Bernardin de St Pierre de M. Ste Beuve. aussi soigneusement que ses Regrets. Quatre Bernardin de St Pierre à la fois, celui qui a eu le prix à l'Académie, celui de M. Villemain dans son Rapport, celui de M. de Salvandy dans les Débats, et celui de M. Ste Beuve dans le Constitutionnel, c’est beaucoup.
Vous êtes vous fait lire le Rapport de M. Villemain ? Aggy lit-elle bien tout haut ?

Onze heures
Je reçois quatre lignes de Piscatory qui me dit qu’il est malade, et qu’on le croit dangereusement malade, d’une esquinancie. Lui, il se croit mieux ; mais il finit en me disant. " Je pourrai me vanter d'avoir été pendu. " J’en suis très fâché, car j’ai vraiment de l’amitié pour lui. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Le 31 Août 1852

Ma maison est fort tranquille aujourd’hui. J’y suis seul avec mes filles et mes petites filles. Tous les hommes sont partis pour la chasse qui s'ouvre ce matin. Pauline n’est pas du tout malade, elle a eu quelques soins à prendre pour se remettre de ses couches et un commencement de mal de gorge qui l’a fait rester, 24 heures dans son lit, mais ce n'était rien et elle va bien, comme une personne délicate.
Il y a longtemps que Génie ne m’a écrit. Dans ce que dit le Moniteur sur Constantinople, il n’est pas du tout question des Lieux Saints. Je suppose que cette affaire-là, en est resté où elle était, et qu’on parle des petites affaires arrangées pour éviter de parler de la grosse qui ne l'est pas.
10 heures et demie.
Il ne fait pas chaud du tout ici. Je voudrais bien vous envoyer un peu de ma fraîcheur et de ma verdure normande. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 28 sept 1852

Je ne comprends pas pourquoi votre lettre de samedi était restée en retard, il n’y avait certainement aucun prétexte. On a raison d'être frappé et attristé de l'événement de Marseille. Moi, j'en suis surtout humilié pour le pays. Le crime politique y est à l'état de manie. Que de temps de bon et fort gouvernement, et peut être que de nouveaux malheurs il faudra pour guérir ce mal, ou pour l'étouffer !
Autant que j'en puis juger de ma solitude, l'effet est général et partout le même. Redoublement de doute sur l'avenir, en même temps que dans le présent, le gouvernement en sera plus facile. On peut faire tous les Empires qu’on voudra. Si on peut établir la filiation outre la machine infernale de Marseille et les réfugiés de Londres, ou de Bruxelles, je ne vois pas pourquoi, on ne demanderait pas leur expulsion. Ce serait à ces gouvernements là, à se tirer comme ils pourraient de leurs embarras. Ellice aura raison un jour, mais pas de sitôt, et par sur des questions de cette nature-là.
Je ne crois pas, quoi qu’on vous dise, à l'abolition du suffrage universel. C’est un port de refuge qu’on ne se fermera jamais. Ce n’est pas la peine non plus de discuter la recherche de popularité qui a pu faire relever la statue et ramener les cendres de Napoléon. Il y avait au moins, dans cette recherche là plus de générosité que dans les décrets du 22 Janvier et moins de danger que dans la popularité demandée au suffrage universel.
Vous avez raison de vous moquer de moi à propos des obsèques du duc de Wellington. Je ne pensais pas à l'argent.
J’ai envie de dire comme l'Impératrice et de trouver que vous avez eu tort de ne pas rendre à la Duchesse de Mecklembourg et à sa fille leur visite ; je comprends que vous soyez impolie pour éviter d'être fatiguée ; mais il n’est pas plus difficile de faire rouler. cinq minutes votre voiture sur le macadam du Boulevard que sur celui des Champs Elysées ; et l'impolitesse par manie, sans motifs de temps ou de santé, par plaisir de dédain, c’est trop.

10 heures et demie
Mon facteur arrive un peu plutôt. Merci de la lettre de M. de Meyendorff. Je la lirai à mon aise dans la matinée, et je vous la renverrai demain. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 28 sept 1852
Six heures

J’ai été pris toute la matinée par des visites de Paris et de Lisieux. Elles viennent de partir.
Je causerais volontiers avec vous ; mais vous êtes trop loin.
L'Impression que je vous ai dite m'arrive de tous côtés, la machine infernale inquiète plus que sa découverte ne rassure. C’est de la force dans le présent, et du doute sur l'avenir. Cela pousse à l'Empire et on se dit que l'Empereur ne sera pas plus à l’abri que le Président. L’espoir de la stabilité s'en va d’autant plus que le besoin s'en fait plus sentir.
La lettre de M. de Meyendorff est intéressante comme le faisant bien connaître lui même. Bon jugement et bon cœur. Propre à être ministre et père. Ses fils sont-ils, des jeunes gens distingués ? Je les lui voudrais tels.
Nous avons un véritable ouragan. Je viens de faire le tour de mon jardin, en marchant tantôt avec, tantôt contre le vent, à grand peine. J’aimais beaucoup cela quand j'étais jeune. C’est un des goûts de ma jeunesse que je puis encore satisfaire.

Mercredi matin
Au lieu de l'ouragan d’hier soir, voilà le plus beau soleil du monde.
Avez-vous lu le second article de John Lemoinne sur le Duc de Wellington ? Beaucoup trop long mais spirituel et animé. Du reste, je crois, comme M. de Meyendorff, que vous trouvez le Duc un peu ennuyeux, après sa mort comme de son vivant.
On me dit que faute de femme royale, le Président pense à la fille au prince Czartorinski. Je n'y crois pas ; mais certainement on en a parlé autour de lui. Cela ne vous plairait pas.
Est-ce qu’on ne dit rien de l'objet du voyage de M. Bacciochi, en Orient ? Il avait été question de donner un avertissement officiel à l'Assemblée nationale à propos de son article sur le duc de Wellington. C’était, dit-on, l’avis du garde des sceaux, M. Abattucci qui a porté la question au Conseil ; mais MM. de Maupas, Fould et Drouyn de Lhuys s’y sont opposés.

Onze heures
Les rencontres chez vous m'amusent. Vous vous en tirez toujours à merveille, vous êtes une spécialité pour la fusion apparente et extérieure. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 26 oct. 1852

Il m’est revenu hier que le roi Jérôme avait de nouveau repris grande confiance. L'examen attentif des anciens Senatus consultes rend difficile, le système de l'adoption. L'Empereur Napoléon l’a formellement interdit à ses successeurs. On ne veut pas s'écarter de sa volonté. J’ai peine à croire à une superstition si jeune.
Il me revient aussi qu’on parle d’une protestation du comte de Chambord. Vous m’avez dit que ses amis, le Duc de Noailles entre autres, le niaient tout-à-fait, et conseillaient le silence. Il y a du pour et du contre. Le silence est peut-être le plus sensé et le plus probable.
Entendez-vous dire que la bourse est inquiète et que malgré le discours de Bordeaux et l'hymne de Mlle Rachel, les idées de guerre roulent dans des têtes qui ne sont pas sans importance ?
Je persiste à croire à la paix prochaine. Je suis convaincu que l’Europe y aidera jusqu'à la dernière limite de la possibilité.
Mes hôtes Anglais sont partis hier. J’ai fini des visites. J'en ai eu cette année au moins autant que j'en désirai. Certainement si je n'étais pas pressé d'aller vous voir je resterais ici plus tard. J’ai peu de curiosité pour les petites choses, et peu d’espérance, pour les grandes.
Le mouvement et le bruit de Paris ne conviennent guère à cette disposition. Mais je veux vous voir. Je compte décidément partir le 12 et vous voir le 13. Ma fille aînée part le 2.

Onze heures
J’ai toujours un peu craint, je vous l'avoue, que votre faveur n'allât pas beaucoup au delà de l'amusement que vous donnez. L’égoïsme, tantôt sérieux, tantôt frivole, est la vice d'en haut. Quand on a obtenu ce qu’on veut, ou ce qui plaît, on ne pense plus à rien ni à personne.
On pouvait prédire l'apoplexie d’Appony. Ce serait plus singulier si c’était sa femme. Adieu, Adieu.
Il fait bien vilain. Je crois qu’il est certain qu’à propos de l'Empire, on ne fera et ne dira rien à Claremont. La Duchesse d'Orléans avait quelque envie de parler, au nom de la monarchie constitutionnelle. Les Princes sont décidés à se taire.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Mardi 24 août 1852

Il vous est plus facile de me faire de loin, la question que vous me faites à propos de Cromwell, qu'à moi d'y répondre. J'y répondrai pourtant très ouvertement. Au fait, je dirais volontiers tout haut, et devant tout le monde ce que j'ai à vous répondre. Je n’ai pas la prétention d'être insensible, au plaisir d’un petit succès. Mais je sais me le refuser pour peu que j'en aie une bonne raison. Ce n’est pas pour me le donner que j’ai publié ce fragment. Quand j’ai de l'humeur, quand je suis impatient, quand j'écoute mes souvenir de parti, je désire que le président suive sa fantaisie et se fasse Empereur. Certainement il s'attirera par là des complications et des difficultés, et des nécessités qui feront faire un pas à la situation. Quand je suis, ce qui est mon ordinaire, de parfait sang froid et détaché de tout sentiment de parti je trouve que le président a et aura grandement raison de ne rien changer à sa situation. Il y est plus fort, pour sa mission d’ordre social, qu’il ne le serait dans aucune autre, et plus sûr, pour lui-même, non seulement du présent, mais de l'avenir de son pouvoir.
J’écris, depuis longtemps, l’histoire de Cromwell. Je suis arrivé au moment où il a eu à décider s'il se ferait Roi. Il ne s’est pas fait Roi. A mon avis, il a très bien fait. C'est à cela qu’il a dû de mourir tranquille dans son lit, à Whitehall, et en pleine possession du pouvoir suprême. J’ai trouvé qu’il y avait là un grand exemple et un bon conseil. Je n’ai pas besoin de vous dire que je n’y ai pas mis ou changé un mot par malice. Il est tel qu’il aurait été publié il y a dix ans. Je suis en dehors de toutes choses, mais non en dehors de toute communication avec mon pays. Il veut bien mettre toujours quelque prix à savoir ce que je pense, et j'en mets à le lui dire. C'est par là que ma vie est encore publique. Je n’y veux pas renoncer. Je ne pense pas qu’il me vienne de là aucun désagrément. J'en serais surpris, et j'en prendrais mon parti. Je suis sûr qu’il n'en viendra aucun à aucune autre personne. Vous êtes la seule dont les désagréments, en ce genre pussent me toucher. Je suis tranquille de votre côté.
J’avais prévu ce qui est arrivé à Berlin. C’est en effet bien maladroit. Le neveu fait très bien d'honorer la mémoire de son oncle ; mais le roi de Prusse ne peut pas oublier sa mère.
La lettre d’Ellice est intéressante. Au fond, ce nouveau pas démocratique qu’il prévoit et qu’il craint ne lui déplait pas. Il est de ceux qui se résignent volontiers à ce mal. Je persiste à penser que l'Angleterre vaut mieux que ceux-là, et que si elle succombe au mal, ce ne sera pas sa faute, mais celle des hommes qui lui auront manqué.

10 heures et demie
Merci de me dire toujours tout. Ce que vous ne savez probablement pas, c’est que Villemain a publié, il y a longtemps, une histoire de Cromwell, qui n’a pas réussi, et que toute même histoire qui réussit un peu lui est un grand crève-cœur. Adieu, adieu.
Ma toux est à peu près partie.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 21 sept. 1852

Je regrette cette idée de noviciat pour votre fils Paul ; d’autant plus que, dans l’apparence, il n’y a pas d'objection raisonnable. à y faire ; elle est naturelle. Mais évidemment, pour lui, cela n’est pas du tout nécessaire : c’est ou une pédanterie administrative, ou un mauvais vouloir détourné. Cependant, à moins que sa santé n’y mette tout-à-fait obstacle, si on insiste, il fera bien de se résigner. S'il a envie de rentrer dans les affaires, il ne peut pas espérer qu’il le fera sans ombre de désagrément ou d’ennui. Est-ce que M. de Meyendorff va à Pétersbourg ? Et y va-t-il, en même temps que M. de Nesselrode et Kisseleff ?
Votre calme de Paris n'est rien à côté de celui dans lequel je viens de rentrer ici. Je n’ai, à la lettre, point d'autre bruit que celui du vent, et point d'autres incidents que les alternatives du soleil et de la pluie. C'est bien vraiment le travail au sein du repos. Vie très saine, et au fond. très douce, sauf ce qui me manque.
Je pense avec plaisir qu’Aggy vous revient aujourd’hui. C’est une sécurité pour vous, et aussi pour moi. Marion est une sécurité et un plaisir. Croyez-vous qu’elle vous vienne avec son oncle, vers Noël, pour passer avec vous l’hiver prochain ? Je me figure que cet hiver, la fin surtout, sera très animé, pour les amateurs du mouvement de salon. L'Empire en répandra beaucoup à son début. Plus tard, il lui faudra un autre mouvement, qu’il aura peine à se procurer, du moins à un prix raisonnable.
Vous dit-on à quel moment Lord Palmerston passera à Paris, en conduisant sa femme à Nice ? Il sera bien reçu là. Le gouvernement actuel du Piémont l’a trouvé bienveillant, et le lui rend sans doute. Je trouve que ce gouvernement a un peu l’air de s'affermir. Quelques unes des querelles que le Clergé lui fait sont mauvaises et le servent.
Vos diplomates ont ils rencontré quelque part, M. de Cavour pendant son séjour à Paris ? Il doit avoir vu Thiers. Thiers a été bien venu à Turin.

Onze heures
Puisque Chomel vous voit souvent, je ne crains pas qu’il fasse de grosse faute ; il modifiera à temps le régime. J’attendrai impatiemment la nouvelle.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 20 sept 1853
4 heures

Merci de la lettre que j’ai reçue ce matin, et que je n'attendais pas. Je suis bien aise que la dépêche adressée à M. de Meyendorff vous ait satisfaite ; c’est un bon effet qui viendra à propos ; tout le monde a envie d'être satisfait. Je vois du reste que la première motion de votre refus commence à passer. Les joueurs sont prompts à la crainte et à l'espérance.
Vous avez bien raison de vous promener trois heures ; le temps est magnifique ; j’ai marché hier deux heures de suite dans les bois. J'avais travaillé sans me lever une fois de mon fauteuil, depuis cinq heures et demie du matin jusqu'à onze heures. Vous aurez besoin de me répéter plus d’une fois la terre de M. Drouyn de Lhuys pour que j'y croie.
Si vous preniez aux détails et aux intrigues politiques du passé un peu de l’intérêt que vous prenez à celles du présent, je vous engagerais à lire, dans la Revue des deux mondes, le Ministère de Lord Bolingbroke sous la Reine Anne, par M. de Rémusat ; ce sont les premières campagnes, du régime parlementaire en Angleterre. Moi, cela m'amuse. Pour vous ; ce serait trop long et trop ancien. Barante m'écrit : " Ce pauvre, M. de Rémusat, la mort du gouvernement parlementaire lui fait tant de chagrin que, pour se consoler, il le dissèque. "
J’ai une corvée lundi prochain ; il faut que j'aille dîner chez M. Hébert, à six lieues d’ici. Il vient me voir régulièrement tous les ans. Je lui ai promis d’aller une fois chez lui. Il me demande de lui tenir ma parole. Je ferai cela lundi. L’ancien précepteur de mon fils vient de m’arriver avec sa femme pour passer ici quatre ou cinq jours. Dites-moi, si vous avez dit à la Princesse Koutschoubey ce que je vous ai dit pour les commencements de son fils. Je parlerais de lui à mon professeur. qui est un homme sensé et très au courant des bons maîtres.

Mercredi 21
En vous parlant d’une mission trop secrète, je vous ai nommé je crois la Revue des deux mondes ; il me revient à l’esprit que je me suis trompé, et que c’est dans la Revue contemporaine (numéro du 15 sept) que se trouve cette petit histoire assez amusante.
Lisez, si vous ne l’avez déjà lu, dans les Débats d’hier, l'article sur les dépenses qu'impose déjà à la ville de Paris le prix actuel du pain ; vous verrez à qu’elle somme énorme cela s'éleverait si on continuait sur ce pied.
Adieu, adieu. Je vais lire l'analyse que donnent les Débats de votre nouvelle prière. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Mardi 19 oct. 1852

J’ai bien peine à croire qu’on attende six semaines, et je ne trouverais pas cela habile. L'opinion du ministère des affaires étrangères est que l'affaire Belge s’arrangera. On n'y met pas beaucoup d'empressement à Bruxelles où l'on n'est ni bienveillant, ni vraiment inquiet ; mais personne, parmi les gens du métier à Paris ne craint que cela devienne politiquement grave. C’est trop tôt. Tout le monde est et croit à la paix.
Je ne puis pas juger si le Président a eu raison de mettre Abdel Kader en liberté. Cela dépend de l'état de l'Algérie. Il se peut que cinq ans d’absence, aient fait perdre là, à Abdel Kader, presque toute sa force. En ce cas, le président a bien fait.
Le voilà délivré du marquis de Londonderry. Il (le président) vient de faire un très bon acte en nommant Cardinal l’archevêque de Tours. C’est un des homme les plus sensés et les plus justement honorés du clergé.
Qu'est-ce que cet ouvrage que je vois annoncé dans le Journal des Débats, avec une certaine solennité : Mémoires secrets pour servir à l’histoire de la Russie sous Pierre le grand et Catherine 1ère ? En avez-vous entendu parler ? C’est bien vieux pour vous intéresser, quoique ce soit Russe.
Voici, ma seule question sur votre santé. Vous me dites Chomel, Andral. Les avez-vous vus ensemble ? Chomel est-il revenu ? Se sont-ils mis d'accord sur votre régime ?
J’ai des nouvelles de Suisse. La Duchesse d'Orléans porte toujours et portera encore quelque temps le bras en écharpe. Mais elle va bien. Elle retourne décidément à Claremont avec la Reine.
Le Duc de Broglie est resté à Coppet. Il ne revient à Broglie que du 20 au 25. Il me paraît que la rencontre du Président et de Morny a été très affectueuse. Entendez-vous dire quelque chose de Flahaut ? Viendra-t-il à Paris dans cette circonstance ! Je me figure que Mad. de Flahaut a beaucoup d'humeur de n’y pas être.

Onze heures
Voici votre lettre. Je l’aime mieux que celle d’hier. Elle n’est pas abattue. Deux choses seulement ; tout de suite. Je serai charmé quand nous causerons ; mais ne comptez pas sur moi pour disputer beaucoup ; je ne dispute plus guères quand je disputerais trop. Et puis, quoique je sois vraiment désolé d'avoir brûlé la lettre d'Aggy, pardonnez moi d'avoir souri de votre légèreté française. Vous avez l’art de faire d’une pierre, mon pas deux coups, mais trente six millions de coups, pour rendre le coup plus lourd. Je n’ai pas la même goût ; je ne cherche pas en vous les défauts russes. Adieu, Adieu.
Vous ne m’avez point dit pourquoi lord Beauvale est contre le discours de Bordeaux.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 17 Août 1852

Le Duc Decazes est venu hier et repart aujourd’hui. Il est à Trouville, où la foule change sans diminuer. Il est assez curieux à entendre à cause de son intimité avec le Roi Jérôme qu’il vient de voir au Havre.
Le Roi Jérôme ne croit pas au mariage du Président ; non seulement il n’en veut pas, mais il n'y croit pas ; il soutient même que le Président, au fond, ne s'en soucie pas. Il affirme que son fils, Napoléon est très bien avec son cousin. Decazes dit qu’en effet ils s'étaient bien remis, mais que dans ces derniers temps, ils ont recommencé à être mal. Rien de nouveau d'ailleurs, les dissensions intérieures des chefs du sénat, le Roi Jérôme, le vice président, M. Mesnard, le grand référendaire d’Hautpoul &. Cela ne vous fait rien, ni à moi non plus, ni à personne.
J’ai vu une lettre de Mad. [Donne] écrite de Vevey peu de jours avant le rappel des exilés. Ils ne s’y attendaient pas du tout. //
Le retour de Fould aux affaires est un sujet très général de satisfaction. On n'en attend que du bien, et on en attend du bien. La destitution des trois conseillers avait beaucoup étonné. On s’imagine que le rappel des exilés ne sera pas la seule compensation.

10 heures et demie.
Je vous plains vraiment, et tout-à-fait. Ce sont de grands ennuis pour tout le monde, et vous êtes moins faite que personne pour ces ennuis-là. Je voudrais bien vous y aider un peu ; mais de loin, je ne puis rien. Je suis surtout préoccupé du maître d'hôtel. C'est votre grosse prière et la plus difficile à trouver. Auguste vous reviendra bientôt. J’espère que Jean fait de son mieux.
Pauvre Tolstoy ! Adieu, Adieu.
Je n'ai pas encore fait ma toilette. Decazes m’a retardé. Il vient de partir. Il est un grand exemple de ce que peut le courage contre un mal incurable. Il me paraît que la fête a été superbe, sauf les illuminations, dit-on. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Je viens d'écrire encore à Aggy. Il faut non seulement qu’elle vous reste, mais qu’elle vous reste convaincue qu'elle doit vous rester, et qu'elle fait bien. C'est une bonne et honnête personne, qui a besoin d'avoir le cœur en repos.
J’ai dîné hier à Lisieux, je suis rentré tard, je me suis levé, tard, et voilà, un voisin qui m’arrive de bonne heure. Je ne vous écris donc que quatre lignes. Je n’ai rien eu de vous hier ; mais c’est tout simple. C’était dimanche avant hier, et ma lettre de samedi vous sera probablement arrivée tard.

Onze heures Voilà vos lettres. Je fais partir celle que je viens d'écrire à Aggy. L'effet n'en peut être que bon. Il faut que vous ayez l’une des deux. Adieu, adieu. Votre pari avec M. Molé est perdu. G.

Val Richer 12 oct. 1852

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 12 oct. 1852
5 heures

Puisque Aggy attend les avis de Clothall, elle ne partira pas. C’était le premier mouvement qui était à craindre. Marion elle-même lui dira, et lui dit déjà de rester. Sa lettre est touchante. Il faut bien que l’âme se dépense quelque part ; quand le bonheur naturel et régulier lui manque, elle se jette dans l’exaltation. Les vieilles filles (pardonnez moi ce mot brutal qui me déplait) sont ou très sèches, ou un peu folles. Marion n’est rien moins que folle ; mais partout où elle trouve un sujet d'émotion, d'affection, de passion, elle s’y précipite, et le cœur déborde. Quand je n'aurais pas déjà de l’autre pour elle, cette lettre m'en donnerait. Qu'ont donc fait ses parents pour la blesser à ce point ? Je suppose qu’Aggy n’a pas besoin que je vous renvoie la lettre de sa sœur.
La Gazette de France, seule, m’a apporté ce matin le discours de Bordeaux. Moins bien fait que celui de Lyon, sauf le para graphe sur la paix qui est très bien dit et très positif. C’était le paragraphe important. Je n'ai jamais douté que ce ne fût là le premier langage et même le premier dessein. Saura- t-on s’y tenir ?
Je présume, d'après ce discours, que l'Empire suivra de très près le retour à Paris. On dit que les Sénateurs iront au devant du président jusqu'à Tours. J’ai peine à le croire.
M. Troplong était, il y a quatre jours, bien tranquille dans sa petite maison de campagne, à huit heures de chez moi. Je crois comme vous que le Pape viendra. Et quand l'Empire aura été reconnu par les grandes puissances, je ne vois pas comment il s'y prendrait pour ne pas venir.
Le Roi Léopold ferait bien de prendre lui-même son parti et de mettre son gouvernement, ministres et chambres, au pied du mur sur cette question de la presse. Il y a certainement là, et depuis longtemps, un grand désordre Européen. Il ne se peut pas que le premier venu ait le droit de pousser, d’une frontière à l'autre, les états voisins dans les révolutions et son propre pays dans la guerre, sinon son propre pays, du moins le pays qui lui donne l'hospitalité.

Mercredi 9 heures
Avez-vous remarqué un article des Débats d’hier sur le suffrage universel ? Trop métaphysique pour votre goût mais spirituel et vrai par un côté ; faisant seulement servir la vrai à voiler et faire passer le faux, ce que je déteste.
Salvandy commence dans l’Assemblée nationale une série d'articles sur l’histoire de la restauration de M. de Lamartine. A en juger par la premier, ils ne seront pas sans intérêt. Je vous parle des articles de journaux, faute d'événements, car aujourd’hui, l'Empire n’est pas un événement. Il en redeviendra un, plus tard.

Onze heures
Vous avez raison de soigner vos yeux. J'espère que cette fluxion passera bientôt. Je vous ai dit à première impression sur le discours. Je viens de le lire et j’y persiste. Le paragraphe qui s'adresse à l'Europe est bon, et bien tourné. Le reste a plus de prétention que d'effet. Si le suffrage universel pouvait tenir ces promesses-là, il serait le maître depuis longtemps. Il n’a jamais fait ce qu’il avait dit. C'est sa nature. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 7 Sept. 1852

Je vois que M. de Nesselrode en arrivant à Naples s'est rendu à Castelle mare, dans la maison de votre fils Alexandre où demeure son gendre Creptovitch. Votre fils, a donc prêté sa maison à celui-ci. Cela devrait mettre, M. de Nesselrode en bonne disposition pour vos fils. Mais les petits services n'étouffent pas les petites passions. On fait quelques politesses de plus, et on garde sa mauvaise humeur. M. de Nesselrode aura trouvé à Naples M. Turgot. Conversation qui ne l'aura ni beaucoup instruit, ni beaucoup amusé.
Avez-vous entendu dire qu’on rappelât notre Ministre de La haye parce que les Chambres de Hollande ont rejeté la convention conclue avec la France pour la contrefaçon et la propriété littéraire ? Ce serait un peu vif. Il est sûr qu’on n'aura pas fait grand chose en supprimant la contrefaçon, en Belgique si elle va s’établir en Hollande.
Je ne m'étonne pas que M. Molé ne soit pas content de M. de Lamartine ; il ne sera content d'aucune histoire. Les mérites, et les agréments de M. Molé sont des agréments et des mérites essentiellement contemporains ; il faut les voir de près, et en jouir soi-même d’un peu loin, ce sont des ombres pâles qui disparaissent bientôt tout-à-fait. De son temps, M. Molé aura été prise plus qu’il ne vaut, après, il ne le sera pas assez.
Le récit de Waterloo est en effet frappant et attachant dans Lamartine ; trop long et trop arrangé. Cet homme gâte ses richesses en les étalant trop, mais l'étalage est beau, comme dans les magasins de Paris.
Galignani me dit que Lady Lovolace est très malade. Jolie, savante, pédante, folle et coquette. Coquette avec ce singulier. mélange d'affectation et de naïveté que les Anglaises mettent dans la coquetterie. Bonne personne au fond, et de sentiments nobles. Son mari est ce qu’on appelle un homme de mérite.
Je n'ai point de nouvelles des Broglie si ce n’est par Mad. de Staël qui écrit à ma fille Henriette que Madame la Duchesse d'Orléans est venu les voir à Coppet avec ses enfants. Pas contente de sa santé. Les jeunes Princes très bien. Le comte de Paris étonnamment bon cavalier pour son âge. Pas d’autres détails.

10 heures et demie
Bonne longue lettre, qui me plait doublement, d'abord parce qu'elle me donne à penser que vous vous sentiez mieux hier, et puis pour elle-même. La lettre de l'Impératrice est charmante. Le voyage d’Aggy me déplait. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Mardi 5 oct. 1852

Je viens de lire les longues pièces Française et Belge sur la négociation commerciale. La pièce Française est plus aigre de ton et plus raisonnable au fond ; la pièce Belge est douce, obstinée et rusée. Il y a, au fond de tout cela, cette difficulté que la Belgique n’a aujourd’hui aucune confiance dans le bon vouloir de la France, et qu’elle ménage les voisins Allemands et autres, beaucoup plus encore qu’elle ne le faisait de mon temps. La France de son côté demande à la Belgique de négocier commercialement avec elle sans tenir aucun compte de la politique. Cela ne se peut pas. Commercialement la France a raison. Politiquement, la Belgique a raison. Je ne vois pas comment on sortira de cette impasse.
Voilà votre lettre d’hier qui m’arrive de très bonne heure. Je ne dis pas qu’on n’a pas raison de réduire à de petites proportions la machine infernale de Marseille ; mais il ne fallait pas en faire, au premier moment, un si gros bruit.
J’ai cru qu’on allait sommer l’Angleterre et la Belgique d'expulser les réfugiés.
Savez-vous un défaut que je découvre au voyage du président ? Il est trop long. Ce n’a pas été bien calculé. Il valait mieux en faire une moitié avant et l'autre après l'Empire. A moins qu’on n'ait voulu avoir pour l'Empire, la manifestation de toutes les grandes villes de France, Lyon, Marseille, Toulouse, Bordeaux. Mais certainement quand le président reviendra, le public sera aussi fatigué du voyage que lui.
Les journaux m’apportent de Bruxelles la réintégration du professeur qui avait lu à ses élèves des fragments du dernier pamphlet de Victor Hugo contre le Président. Cela ne raccommodera pas les affaires entre la France et la Belgique.
Le journal le Pays prend très vivement cet incident. Bacourt doit bien connaître les dispositions de [?], et j’attache quelque importance à ce qu’il vous a dit de la Princesse Wasa. Si elle n’est pas prise à Vienne, elle pourrait bien être reprise d’ici. Adieu, Adieu.
Le départ de Kisseleff me contrarie bien pour vous. Il vous est un agrément et une sécurité. J’espère qu’il reviendra bientôt. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 4 octobre 1853

J’attends impatiemment mon facteur pour savoir ce qu’il y a de vrai dans la nouvelle que m’a donnée hier, en gros caractères, l'Assemblée nationale ; la conférence reprise, la solution prochaine, plus prochaine qu’on ne peut croire &&. Quoique je ne parvienne pas à m'inquiéter sérieusement, je serai bien aise d'être complètement rassuré. Je suppose que M. Mallac aura eu cette nouvelle de bonne source ; il ne l'aurait pas donnée avec tant d’apparat s'il n’avait ou quelque droit de la tenir pour certaine.
Si c’est là le résultat de la réunion d'Olmütz, il fera grand honneur à votre Empereur.
Je ne puis croire à vos alarmes sur Lord Aberdeen. Il lui en coûterait de faire la guerre pour de bonnes raisons ; il ne la fera pas pour de mauvaises, ou plutôt pour point de raisons du tout. Je sais ce que c’est que l’entrainement des folles impressions populaires et qu’elle est la difficulté d’y résister, et je n’ai pas une confiance illimitée dans la force de résistance de notre ami ; mais vraiment plus j’y pense, plus il m'est impossible, de me persuader que le bon sens Anglais succombe à une si misérable épreuve.

Onze heures
Vous ne confirmez pas les bonnes nouvelles de l'Assemblée nationale. Pourtant il me semble que le souffle qui vient d'Olmütz est pacifique si on veut la paix là, elle se fera. Il est impossible que la maladresse aille jusqu'à faire faire à tous les puissants de l'Europe le contraire de ce qu’ils désirent. J'essaierai ce que vous me demandez pour Aberdeen. Je dis j'essayerai parce que je ne suis pas sûr de me satisfaire moi-même. Je sais ce que c’est que de parler de ce qu’on ne sait pas à fond ; on dit cent sottises, et je n'en veux pas dire. Mais dans ce que je sais, je suis si convaincu que je ne demande pas mieux que de le dire, et de dire pourquoi. Adieu, adieu. Vous avez bien fait de causer à cœur ouvert avec Marion. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 30 Août 1852

J’ai dîné hier à Lisieux avec l'Évêque, son clergé et les gros bonnets de la ville. Le clergé toujours bienveillant, pour le président. Les laïques sans enthousiasme pour l'Empire et craignant qu’il n’amène la guerre. Tout le monde sensé dans un horizon bas et court. La conversation ne s’arrêtant pas sur la politique et cherchant, d’un sentiment général à se porter ailleurs ; tantôt sur les questions économiques, tantôt sur les questions religieuses. C’est un assez amusant spectacle que de voir ces bourgeois au fond très peu dévots quoique respectueux essayer de prendre intérêt à la querelle des auteurs chrétiens et des auteurs païens, aux citations des pères de l'Eglise, et à la tenue des synodes des prêtres du diocèse.
Avez-vous lu un article du Globe sur les affaires d'Orient, France and Turkey, bien fait et curieux ? Il me paraît que le renvoi de Rachid Pacha, s'il est sérieux ne tournera qu’à votre profit. Plus on ira, plus on sentira la faute d'avoir relevé solennellement cette question des Lieux Saints. La politique de la France en Turquie depuis vingt ans est un tissu d'inconséquences et d'étourderies.
J’étais moi-même dans cette mauvaise voie, en 1840, jusqu'à mon ambassade en Angleterre. J’ai essayé d'en sortir de 1840 à 1848 en me tenant tranquille en Orient, et en n'y traitant aucune question que de concert soit avec la Porte elle-même, soit avec toutes les grandes puissances Chrétiennes quand il fallait agir contre la Porte, c’est-à dire sur la Porte, malgré elle. Il n’y a pas autre chose à faire, tant qu’on ne sera pas décidé à fondre, avec du canon, la cloche. de ce pauvre Empire. On s'en apercevra. pour la seconde fois, lorsqu’on se sera mis, pour la seconde fois, dans quelque mauvais pas, comme il nous est arrivé en 1840 à propos de Mehemet Ali.
Le Moniteur, est un peu embarrassé à parler convenablement du déplacement du monument élevé au Duc d'Enghien dans la chappelle de Vincennes. C’est une pauvre raison à donner de ce déplacement que la nécessité de faire plaisir aux artistes " en rétablissant la symétrie des belles lignes architecturales du temple bâti par St. Louis. " Une phrase sur " le respect qu’on doit à la cendre des morts " n’est pas une compensation suffisante. Il ne fallait pas toucher du tout à la cendre de ce mort-là. Elle brûle encore et brûlera toujours quiconque y touchera.
Pourquoi M. de Persigny est-il à Londres ? Est-ce, comme, on l’a dit, pour le traité de commerce qu’on a tout récemment démenti ? J’ai peine à le croire. Il y a là des intérêts puissants, et auxquels il est aussi imprudent de toucher qu'au monument du Duc d'Enghien

11 heures
Voilà le facteur et le général Trézel qui m’arrivent à la fois. Je n'ai que le temps de vous dire Adieu, et adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 27 sept. 1852

On m’a apporté hier de Lisieux la Patrie que je ne reçois pas. Qu'est-ce que cette machine infernale saisie à Marseille ? Quand une diabolique invention a paru une fois dans le monde, elle y devient endémique et à l’usage de tous les scélérats. Ceci précipitera probablement l'Empire, si quelque chose était nécessaire pour le précipiter, ce que je ne crois pas.
Mes journaux du reste ne contiennent absolument rien, sinon les débuts du Duc de Brabant à Bruxelles comme orateur. Roi et peuple belge attirent fort aujourd’hui les regards de l'Europe. S’il y a des événements, ils commenceront par là. J'en doute. En tout cas, ils se feront attendre longtemps.
Je n’ai pas goût à vous écrire jusqu'à ce que j'aie ce matin de vos nouvelles. Il fait très beau ici, et un temps vif qui doit vous être sain. J’espère que vous avez ce temps-là, au Bois de Boulogne.

11 heures et demie
Vos deux lettres (samedi et dimanche) m’arrivent à la fois, et tard. Très intéressantes. Ceci peut avoir des conséquences bien graves. Quand en finirons-nous des idées horribles ? Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer 26 sept. 1853

Je coucherai chez M. Hébert et n'en reviendrai demain probablement qu'après l’heure de la poste. Deux lignes aujourd’hui pour que vous n'attendiez pas une lettre qui n’arriverait pas. Mais je n’ai rien à vous dire. Je vois que la Bourse de Paris est bien inquiète. Si Lord Stratford joue en effet un double jeu, c’est assez pour entretenir les Turcs dans de fausses espérances, et alors tout est possible. Mon instinct est pourtant toujours qu’on s’arrangera. Vous ne lisez pas le Siècle. Il est ravi de l'espérance de voir recommencer la grande lutte révolutionnaire. Et cette fois la France et l'Angleterre du même bord. on y joindra les Etats-Unis qui ne demandent pas mieux que de se mêler des affaires de l’Europe pour que l’Europe ne se mêle pas de celles de l’amérique ; et on verra au Printemps prochain ! Avec la façon dont le Roi de Naples, le Pape et l’Autriche gouvernent l'Italie, il ne sera pas difficile d’y mettre le feu. Et tout cela pourquoi ?

Onze heures
Le sultan sera protégé en même temps que les nationaux et il signera. L'affaire sera finie jusqu'à ce qu’elle recommence. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Lundi 25 oct. 1852

Je ne crois pas à la démission de Montalembert. Je ne la comprendrais guère. Parmi les hommes engagés dans le régime actuel, il n’y a que les républicains qui aient sujet de donner leur démission à propos de l'Empire. Ils ont perdu depuis longtemps la réalité de ce qu’ils appellent. la République, quand le nom même leur ait enlevé, s'ils restent, c’est qu’ils abdiquent, et se font impériaux. Presque tous le feront. Ils ont de grands exemples. Est-ce que la représentation de Cinna est une annonce de l’amnistie ?

Onze heures
Moi aussi, j’ai été interrompu par des campagnards qui se sont arrêtés chez moi en allant à Lisieux. Je n’ai rien à vous dire qu'adieu. Sinon que je compte être à Paris le 13 Nov. Je partirai d’ici le 12 au soir. Adieu, Adieu. G.

Je fais comme vous j'économise le papier, quoiqu’il ne soit pas vert.
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