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Val-Richer, Lundi 30 septembre 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je reçois une assez curieuse lettre de Piscatory. Je vous l’enverrais si vous pouviez la lire. Il ne m’avait pas écrit depuis sa visite à Claremont. La Reine l’a frappé comme tous ceux qui la voient. “ J’ai eu joie à admirer, c'est un plaisir rare dans le temps où nous vivons. J'ai vu les Princes et Mad. la Duchesse d'Orléans. J’ai longtemps causé. Mais je ne crois pas que ce soit fort utile. Les idées de retour m'ont paru passer avant tout. Je le comprends; lorsqu'une telle destinée n'est pas prise par son grand côté, elle doit être intolérable. "
" Quoique aussi loin que moi, vous devez en savoir plus que moi sur ce qui se passe à Paris. Ce sont, ce me semble, de bien vaines agitations ; mais elles disposent bien ou mal les esprits pour le retour de l'assemblée. Voulez-vous me dire ce que vous en pensez ? Qu’est-ce que c’est que ce désordre dans le parti légitimiste ? Y a-t-il là une chance pour que les bons se séparent sérieusement des mauvais ? Cela me paraît fort douteux ; et à titre de simple spectateur, il me semble évident, mais pas mauvais, je l'avoue, que M. Barthelemy a fait une mauvaise campagne. Autour de moi, l'effet n'est bon ni dans l’un ni dans l'autre camp. Ne croyez pas cependant que je prétende voir clair dans ce que pensent mes voisins, petits et gros. Ce qui est incontestable, c’est que l'inquiétude, et le malaise sont généraux ; les uns en sont poussés, en avant ; les autres regardent avec regret la terre qu'ils ont perdue. Je ne crois pas que cela soit sérieux ; mais il est certain que le nom du Prince de Joinville se prononce très haut. Le Président ne gagne pas ; il n’y a que ceux qui ont sérieusement à perdre qui veuillent faire fie, qui dure dans ce semblant de repos. Ce n’est certes pas moi qui reprocherai à personne ses incertitudes ; j’en suis plein; et cela m'inquiéterait. Si je ne savais que quand le feu commence, je ne suis que trop disposé à prendre promptement mon parti. Mais hélas, que ferons-nous ? Pourquoi Dieu a-t-it voulu qu’on eût des enfants sur cette maudite terre ? Ce serait très curieux, et mes semblables m’ont assez désintéressé d'eux pour que je trouvasse tont cela fort amusant. Il n'y a pas moyen, on a des filles à marier du moins à faire vivre ; il ne s'agit donc pas de se passer ses fantaisies. Mais où est la raison ? Où est le bon chemin: où est le but ? Vous êtes bien habile ; et cependant vous ne me le direz pas. Dites-moi pourtant ce que vous pensez ? Quand je ne le sais pas, et plus encore quand je ne viens pas à bout de penser comme vous, je suis prêt à chanter comme les enfants qui sont seuls la nuit, et qui ont peur. "
Ne dites à personne, je vous prie, cette dernière phrase. Son amour propre pourrait être blessé s’il lui en revenait quelque chose et il ne faut pas troubler les bons sentiments en piquant l'amour propre. Mais vous voyez qu'il est incertain, inquiet, et point inabordable pour moi.
Je suis charmé que vous ayez pris le deuil et envoyé un consul général à Bruxelles, deux choses utiles pour l'avenir.
Charmé aussi de ce que Thiers a dit à Mercier sur le Général Changarnier. La double visite dont vous me parlez à Champlâtreux vaut la peine qu'on sache ce qu’ils y ont dit.
J’ai écrit à Villemain pour l'Académie. Je ferai ce qu’elle voudra. La raison veut que je reste ici jusqu'au mois de novembre. Pour mes affaires d'abord qui en ont besoin. Puis, parce que j’ai promis au Duc de Broglie d'aller passer une semaine chez lui, ce que je ferai mercredi 9 octobre. Visite utile. Un bon motif pour revenir plutôt serait charmant ; mais vraiment, il me faut un bon motif, autre que mon plaisir.
Dix heures
Ce qui me fait grand plaisir, c’est que vous soyez tranquille sur Constantin. Je vous ai dit que vous rêviez, et j'avais bien raison. Mais je n'aime pas les mauvais rêves pour vous. La Reine des Belges m'afflige profondément. Quelle prédestination aux épreuves ? La branche cadette ne le cède guère à la branche aînée, ni la Reine à la Dauphine. Adieu, adieu. G.
Paris, Mardi 1er octobre 1850, Dorothée de Lieven à François Guizot
Midi.
J'ai eu hier par courrier deux longues lettres de Constantin & de Meyendorff. La nomination de Radovitz Un grand & déplorable événement. Mais il ne pourra pas se soutenir. Détesté en Prusse, réprouvé par nous, par l’Autriche. Pas Prussien, Catholique, & quand il a porté les armes c’était contre la Prusse. Enfin c’est détestable, mais Viel Castel me disait hier soir qu'il fait qu'on l’ait pris pour quelque chose et que nous allons voir. En attendant il est impossible. qu'on s’arrange. Il n’est pas vraisemblable qu’on se batte, & cependant on n'en a jamais été si près qu’aujourd’hui. Meyendorff regrette que nous soyons si peu bien avec la France, mais les tendances affichées de l’Elysée pour Lord Palmerston nous ôtent toute envie d'être mieux, c’est très naturel, j'ai vu hier au soir les Ligne, les Kontouzof, jolie & aimable femme, Dumon, Antonini, Viel Castel. Un aimable homme celui-ci, commence très doux. La lettre de Piscatory est curieuse, bonne, il y a de l’étoffe !
Je déteste votre journal des Débats. Au reste il faut que je vous dise que tous les journaux m'ennuient à présent. Ils ne disent rien, ou bien ils disent des mensonges. Qui est- ce qui dit un mot sincère aujourd’hui ? Adieu. Adieu.
Ellice père m'écrit avec des excuses de ce que Marion n’est pas venue me voir. Ils ont à réparer ; je me tiendrai sur ce pied-là.
Paris, Mardi 1er octobre 1850, Dorothée de Lieven à François Guizot
2 heures
Vendredi dernier 27, Changarnier est venu inopinément chez le duc de Noailles à 9 heures du matin. Il y est resté jusqu'à 11. Longue controverse, sur la fusion après la fusion après avant la chute du Président. Voilà le texte. D’excellentes raison de part et d’autre. C’est trop long & cela n’a pas abouti. L’essentiel de la visite est ceci. Changarnier très pressé, passionné, possédé du désir, du besoin de renverser. Mille avances aux légitimistes. La Circulaire de Wiesbade. Il n’en tient aucun compte Elle est regrettable mais elle ne change en rien le fond des choses et le droit, & la nécessité. " On me dit orléaniste. Je ne suis pas orléaniste. Je veux travailler avec vous, pour vous. Je suis obligé à beaucoup de ménagement mais il faut nous voir. Nous avons besoin de M. Guizot avec lui plus de précautions encore. mais il faut qu'il revienne bientôt, il faut reprendre vos réunions. Il faudrait même en élargir le cercle. Il serait bien bon, bien utile d'y admettre Jules de Lasteyrie ! " L'impression sur le duc de Noailles. Excellente, très vive. Jamais Changarnier n’avait été aussi ouvert, aussi explicite, à moi cela me paraît capital, s’il n'était pas sincère ce n’est pas envers un homme comme Noailles qu'il se serait compromis ainsi. Il a parlé de Molé, de ses soupçons de celui-ci contre lui, de ce que déjà il lui a aliéné la confiance de Berryer. " Il est cependant utile d’avoir Molé ", et c’est pour cela que Changarnier y est allé dimanche avec Bérard. Je ne sais ce qu’il aura gagné mais Molé m'écrivait à moi la veille." J’espère que les Légitimistes ne se laisseront pas prendre au piège." J’ai dit au duc de Noailles qu’il fallait se garder de l’excès de méfiance car cela pourrait mal mener. Changarnier l'a autorisé à mander à Frohsdorff ce qu'il a dit de la Circulaire & qui rencontrera le courage là. D’un autre côté vous saurez par Dumon, que le duc de Noailles lui a remis sur ce sujet une petite note excellente qu'il vient d'envoyer à Clarmont dernier moment à Champlâtreux. M. Molé m’a dit : " Il faut que Changarnier renverse le président, car sans cela il sera renversé lui- même." Vous voyez donc qu’une crise peut être très prochaine. Je crois qu’elle s'élèvera à propos du dire de Champlâtreux, & qu'on mettra le ministre de la guerre en cause pour avoir toléré cela. L’assemblée demanderait sa destitution. Dans ce moment Lahitte est journellement employé à empêcher que la brèche entre les deux généraux ne devienne trop vive. C’est Viel Castel qui me disait cela hier au soir. Bérard a dit dans le temps dans quelque château, que ce que j’avais dit à Changarnier du comte de Chambord avait fait une forte impression sur lui. Ils étaient ensemble le jour où je les ai rencontrés à Champlâtreux. J'ai causé avec le porteur, je lu ai dit quelques détails du plus, mais ici j'ai mis l'essentiel. Qu'est ce qui arrivera et bientôt ? Impossible de deviner. Je crois que je vous dis adieu parce que je ne trouve plus rien. Mais ici il y a à toute heure quelque chose. Adieu.
Je vous ai écrit par la poste comme de coutume
Val-Richer, Mardi 1er octobre 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
8 heures
On me dit et ce sont des Belges qui le disent, que la mort de la Reine Louise. fera beaucoup de mal au Roi Léopold. Elle est pour beaucoup dans sa bonne position, et on lui en veut beaucoup de n’être pas bien pour elle. On va jusqu’à dire que cela pourrait devenir grave et amener des manifestations populaires qui pourraient amener des événements. Les mœurs du Roi font un grand contraste avec la piété de la Reine. Le peuple Belge y est très sensible, en affection et en colère. Il serait bizarre qu’un trône, qui a résisté à l'ébranlement de l’Europe, fût ébranlé pour des fredaines de 50 ou 60 ans. Quel est précisément l’âge du roi Léopold ?
Je viens de me lever. Je lisais dans mon lit. Toujours Peel and his times qui m’attache extrêmement. Attachement triste par ses retours ! Nous avons fait pendant 30 ans de la politique qui valait bien celle-là avec des débats qui valaient bien ceux-là. M. Royer Collard revenu à son amitié pour moi, me disait peu avant sa mort : “ Vous vous faites beaucoup d’honneur; vous êtes le premier de votre temps et entre les premiers de tous les temps. “ Gardez-moi le secret de mes secrets plaisirs d'orgueil. Est-ce que tout cela doit aboutir au régime d’aujourd’hui. Est-ce là la fin ? Je ne le crois pas, mais quelques fois, je le crains. Je ne pense pas que je devienne superstitieux ; mais en tout cas, il y a de quoi devenir modeste ; on fait bien peu, même quand on fait bien, et il ne faut pas un bien grand vent pour tout emporter.
Onze heures
Les mêmes nouvelles nous arrivent en même temps. Votre lettre me dit ce que je viens de vous dire sur la Belgique. C'est triste et grave. Je pense sans cesse à la pauvre Reine de Claremont. J'espère qu'elle aura la satisfaction de voir encore sa fille. Pourquoi attend-elle ? Est-il vrai que la République ait témoigné à Bruxelles des craintes sur l’arrivée de la famille royale à Ostende ?
La joie à cause de la circulaire Barthelemy me paraît bien puérile. J’en doute un peu. Non pas qu'on l'ait manifestée, mais qu’on la sente réellement. On aura cru que la fusion devenait impossible, au moins que tout le public en France le croirait et le dirait. On aura voulu être de l'avis actuel du public ; sauf à avoir plus tard un autre avis si les évènements en suggèrent un autre. Suivre le vent, tous les souffles du vent, c'est l'habileté des habiles qui n’ont pas la grande ambition ni la grande habileté !
Voilà un horrible accident dans ma famille. Cette jolie petite Mad. de Vaines vient d'être horriblement brûlée. Son mari me donne les mêmes détails qui sont dans les débats. On espère la sauver mais sans certitude. On est à peu près sûr que, si elle est sauvée, elle ne sera pas défigurée. Pauvre jeune femme qui s'amusait de si bon cœur ! On est arrêté tout à coup dans le plaisir, comme dans la bonne politique. Adieu, Adieu.
Je vais aujourd' hui dîner à Lisieux malgré la pluie. Demain j'aurai du monde et de la conversation. Vendredi, 4, j'aurai 63 ans. Samedi 5 M. Hébert vient me voir avant d'aller à Claremont. Mercredi, 9, je vais à Broglie. Voilà mes affaires d’ici à huit jours. Adieu. adieu. G.
Paris, Mercredi 2 octobre 1850, Dorothée de Lieven à François Guizot
J’ai oublié de vous dire que c’est Antonini qui m’a rapporté de Bruxelles tout ce que je vous ai dit. La partie politique il la tenait de Van Prast. Je trouve la lettre de M. Molé dans les Débats de ce matin, très bonne. J'ai eu hier soir des dames assez, quelques hommes, M. Achille Fould. Il se dit sans aucun souci de l'hiver prochain. L'Assemblée est complètement discréditée sur la question du jour, les libérations à la troupe. C’est peut-être fâcheux, mais il ne faut pas disputer sur les petites choses. Aujourd’hui revue, & le 10 très grande revue, & la dernière. La Hesse devient une bien grosse affaire. Vraiment elle pourrait mener à la guerre.
Léopold est de l’année 90. Il a juste 60 ans. Je lis M. de Montalivet sur la liste civile. Cela fera un excellent effet. Qu’il a fallu de gaucherie au roi pour faire dire de lui ce qu’il méritait si peu ! Je n’ai point de nouvelle aujourd’hui excepté une lettre de Bacourt, Nancy. je l’avais questionné sur Bade. Thiers grand effet sur la reine de Hollande. Beaucoup moins sur la grande duchesse Hélène. Infiniment moins encore sur la princesse de Prusse qui avait peur de ses commérages, complètement nul sur la grande duchesse Olga qui a été l'objet de l’adoration générale à Bade. Je ne sais rien de plus aujourd’hui. Adieu. Adieu.
Lisez ceci et voyez quelle infamie ! Que dois-je faire ? Quelle horreur ! S'il le faut venez ici pour me conseiller. Je n'ai âme qui vive qui le puisse.
Mots-clés : Circulation épistolaire, Politique (France), Réseau social et politique, Salon
Val-Richer, Mercredi 2 octobre 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je vous dirai bien peu de chose ce matin. Je viens de causer trois heures. J'en ferai encore autant dans la journée. Tout cela vous reviendra demain. J’ai vos deux lettres. Je ne suis jamais trop riche.
Je reçois la réponse de Villemain. L’Académie me laisse, pour mon retour, toute la latitude que je voudrai ; mais il est clair qu'elle a envie que je ne tarde pas trop. Je serai à Paris dans les huit derniers jours de ce mois. Je comptais y être vers le 10 novembre. J'avancerai de quinze jours. Grand plaisir. Mais soyez sûre que sauf mon plaisir, il ne me convient pas de paraître impatient d'être à Paris. L'Académie est un très bon motif de retour.
Villemain m'écrit une lettre charmante. J'en ai une de Duchâtel triste. Comme il peut être triste. Il a de bonnes vendanges en perspective. Parfaitement sensé et spirituel, selon sa coutume.
Je ne comprends rien aux Ellice. Je commence à croire qu’il y a, dans l’intérieur de cette famille, sur l’amitié de Marion pour vous, quelque chose de plus sérieux que nous ne savons, quelque grand orage domestique. Je ne m'explique pas Marion autrement. Il faut de la tragédie pour que ce ne soit pas très ridicule.
Nous verrons Radowitz à l'œuvre. Il me paraît de ceux à qui l’œuvre ne va guère, l'œuvre en chef et responsable. Les esprits actifs confus et faux, se sauvent à la faveur de la critique et des promesses. C’est quand il faut entrer dans la lumière, et l'action que leur vice éclate. Adieu, Adieu. G.
Val-Richer, Mercredi 2 octobre 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
Adieu. Adieu, adieu. G.
2 oct. 1850
Paris, Jeudi 3 octobre 1850, Dorothée de Lieven à François Guizot
Vous avez lu cette abominable lettre. Vous avez vu l'agitation, le trouble où elle m’a jetée. Mais vous ne vous ne ferez jamais une idée exacte. J’ai passé une journée et une nuit affreuses. Ce matin j’ai envoyé chercher votre petit homme il n'était pas de retour. Je me suis décidée à prier Dumon de passer chez moi. Il va venir. Sans doute vous approuverez que je prenne & [?] son conseil. Quel sera-t-il ? Je ne pense pas à autre chose. Lord Beauval m'écrit : " Si la Prusse tient bon, la guerre paraît inévitable. Mais pour qu’elle tienne bon, ne faut-il pas des fous d’une autre espèce que ceux qui la dirigent. (& je ne comprends pas trop ceci).
On assure ici que Bunsen reste toujours en communication avec les [Halstiniori] pour les [?] La Prusse a apparemment pensé venir à ses fins par des intrigues, mais c'est l’épée qui décidera. Midi 1/2 Dumon trouve ceci très grand. Renvoyez-moi au plus vite la lettre, j'espère que vous l'avez fait. Le délai expire demain. Je n'ai reçu cela que hier. Y a- t-il intention ? Votre petit homme arrive. Il espère que vous venez demain et moi aussi je l’espère, mais je lance ceci à tout hasard. Adieu. Adieu.
Val-Richer, Jeudi 3 octobre 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
8 heures
Duchâtel m'écrit : " Je trouve l'esprit encore abaissé depuis un an dans ce pays. On ne sait ni ce qu’on veut, ni même ce que l'on désire. On demande l’ordre matériel sans savoir à quelles conditions, ni par quels moyens il peut être procuré. On dérive constamment sur la pente de l’imprévoyance et de la platitude. Aussi la fusion est-elle très peu populaire à Bordeaux. On y aime peu les légitimistes auxquels les conservateurs reprochent, non seulement leurs péchés d'ancien régime, mais leurs alliances des dernières années avec la Montagne. Il est impossible, d’un autre côté, de rien voir de plus maladroit, de plus déplaisant de plus dénué d’esprit politique, que les légitimistes de province. Ils auraient pour but de sa faire détester qu'ils ne s’y prendraient pas autrement.
Le Président, de son côté, a beaucoup perdu. L’idée de l'Empire n'entre plus dans la tête de personne. Les plus chauds partisans du statu quo ne vont pas au delà, d’un nouveau bail de quatre ans. Mais ce que les légitimistes et le président perdent, personne ne le gagne. La France avec ses folies, était destinée à donner le spectacle, digne d’une maison d'aliénés, d’un jeu où il n’y a que des perdants, sans gagnants. Si le bon Dieu ne vient pas à notre aide, nous n'avons guère de chance de nous en tirer. "
Vous voyez qu’il n’est pas gai. Cependant il ne change nullement d’avis et ne renonce point.
Je viens de lire l'article de [?] Marc Girardin dans les Débats. La première partie mauvaise. La Seconde sauf un mot, bonne et utile. Ce qui domine dans les journalistes, c’est la polémique. Ils ont besoin de porter des bottes. On se pique aisément à ce jeu là. Il y a, dans tout cet article, plus de polémique que de politique. Je fais dire ce que j'en pense, sur le ton de l’observation amicale, et dans l’intérêt du Journal lui-même. Son importance subsiste et il en gagne dans le parti conservateur plutôt qu’il n'en perd. Précisément parce qu'il est à la fois fidèle au parti et point étranger à ses passions. Mais on peut agir sur lui, à condition de ne jamais se lasser. C’est la condition de tout succès en ce monde.
Onze heures
L’infamie est grande. Mais je ne crois pas qu’il y ait à hésiter. Il faut vous épargner le désagrément de cette publication. Pur désagrément de journaux et de bavardages, mais qui vous ennuierait fort. Il faut seulement avoir de cette femme une déclaration bon et dûment signée, que le manuscrit qui serait remis est unique, qu’il n’en existe aucune copie, et que toute publication qui en serait faite ultérieurement ne serait qu'une fabrication mensongère. Je sais ce que cela peut valoir avec de telles gens. Pourtant c’est une arme, et un moyen de discréditer s’il y avait lieu. Je suis comme de raison, prêt à aller causer de cela avec vous, s'il le faut. Mais je ne vois guère ce que j'aurais de plus à vous dire et je crois qu’il faut prendre garde de ne pas grossir cette petite indignité. Je ne puis agir d'aucune façon, car je ne pourrais agir sans paraître ce qui aurait de l'inconvénient. Parlez de cela à mon visiteur d’hier, que vous aurez vu ce matin. Il est plus propre que personne à donner un bon conseil, en telle occasion, et à faire ce qu’il peut y avoir à faire pour en finir. Et comme si vous aviez, comme je le présume besoin d’une entremise, il faut mieux que ce ne soit pas la sienne, je joins ici un mot pour lui où je lui indique un homme très propre à s'en charger, très sûr ; et qui le ferait, je n'en doute pas, de très bonne grâce, car il m'est fort dévoué. Remettez ce billet à mon visiteur ; quand vous en aurez causé avec lui, je crois que vous serez de mon avis. Je vous renvoie la lettre. Je suis vivement contrariée, pour vous de l'agitation que cela vous donne. Certainement il est difficile de voir une plus indigne action. Adieu, adieu.
Soyez sûre que les deux personnes que je vous indique sont très intelligentes, et très dévouées. Adieu.
Paris, Vendredi 4 octobre 1850, Dorothée de Lieven à François Guizot
J'oublie au milieu de mon agitation que vous avez aujourd’hui 63 ans. Je ne félicite jamais sur les progrès de l'âge. Je reçois votre lettre. Elle vient un peu tard, car hier, votre visiteur avait proposé quelque chose qui ne s’accorde pas tout-à-fait avec ce que vous dites. Je suis livrée aux conseils des autres. Moi je n’ai pas d’avis, car je n’ai pas de tête, & je me sens très malheureuse. Et entre les allées & venues, les choses sont faites avant qu'on y puisse porter remède, ce moment est bien creux pour moi. Je n'en ai jamais connu de semblable. Je ne saurais vous parler d’autre chose.
J'ai eu beaucoup de monde hier, entre autre Lahitte. L’Allemagne préoccupe beaucoup. Cela devient très gros, le [?]mare aussi, il faudra la guerre. Thiers est arrivé. Molé m'écrit & me prie de lire l'Opinion publique du 3 qui renferme un morceau de vous admirable, & ajoute tâchez donc de savoir où & quand cela a été publié. Il est fort dégoûté du Journal des Débats & s’étonne que les anciennes influences ne s’exercent pas là pour empêcher ces mauvais articles.
Je suis très dérangée. Les entrailles, les nerfs, la poitrine. L’agitation attaque toujours les parties faibles. Je ne dors pas depuis deux nuits, & j'en ai pour longtemps encore de ce régime. Je répète avec une grande vérité. Je suis très malheureuse. Le terme est écoulé aujourd'hui & rien n’est commencé. Que puis-je y faire ! Le mal est fait. Adieu. Adieu.
Val-Richer, Vendredi 4 octobre 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
J’y ai bien pensé depuis hier. Je ne vois rien de mieux à faire sur cette infamie, ni aucune précaution plus efficace à prendre pour l'avenir. Et les deux personnes que je vous ai indiqués sont très propres à ménager l'exécution. Peut-être vous suggéreront-elles quelque autre chose ? Peut-être en aurez-vous déjà parlé à quelque autre personne. Je doute qu’il y ait plus ni mieux à faire. Votre frère vous a fait là un triste legs. Je voudrais bien que vous ne vous en agitassiez pas outre mesure.
Moi aussi, je trouve la lettre de M. Molé dans les Débats très bonne ; venant à propos et bonne en soi. Il faut voir de près le mal qu’a fait, dans la masse des honnêtes conservateurs, la sotte circulaire. Leur principale objection contre la fusion était cette question : " Est-elle possible ? " Depuis la circulaire, ils se répondent eux-mêmes : " Non. " Il faut du temps et des incidents nouveaux.
Vous avez bien raison ; il a fallu une immense gaucherie au Roi pour faire dire de lui ce qu’il méritait si peu. Je n’ai jamais vu un plus étrange amalgame d'adresse et de gaucherie, d’esprit profond et de légèreté de persévérance et de mobilité. Beaucoup de finesse et point de tact, une grande expérience des hommes et aucun sentiment juste de l'effet que produisaient sur eux ses actions et ses paroles. Deux idées fixes, suite ses impressions de sa jeunesse : l'iirésistibilité du torrent révolutionnaire, une fois débordé, et la détresse des proscrits sans argent. On ne sait pas combien de choses ont découlé de là. Les articles de M. de Montalivet sont intéressants, et utiles.
Dix heures
Votre trouble me désole. Je l’entrevoyais et je le comprends, mais je le crois excessif. Je vous répète que je suis prêt à venir si vous le désirez, pour vous car, pour la chose, je ne vois vraiment pas ce que ma présence y fera de plus ; sinon de donner à penser à ceux qui pourraient y regarder avec curiosité qu'elle est grosse et qu'on les craint. Si l'affaire ne pouvait pas être réglée à Paris, ou si le temps manquait, il faudrait envoyer sur le champ à Bruxelles, et l'homme que j'ai indiqué dans mon billet à mon visiteur serait très propre à cela. Soyez sûre qu’en pareille occasion, il faut faire le moins de bruit et se donner le moins de mouvement extérieur possible. L’important c’est d’avoir le manuscrit avec une déclaration comme celle dont je vous ai parlé. J’y pense et repense, et je ne vois pas autre chose à faire ; et pour faire cela, les deux personnes que je vous ai indiquées me paraissent toujours, ce qu’il y a de mieux, soit qu'on puisse régler l'affaire à Paris avec le fils de cette femme, ou qu’il faille aller à Bruxelles ou à Aix- la-Chapelle, pour un waiter soit avec le libraire, soit avec elle-même.
Enfin, je suis comme de raison à votre disposition ; mais je vous prie vous et vos conseillers d'y bien penser ; je ne crois pas qu’il soit utile que j'aille. Vous avez parfaitement fait d’en parler à Dumon. Adieu, Adieu, Adieu. Que je regrette de n'être pas là pour vous calmer un peu ! Adieu. G.
P.S. Je ne comprendrais pas que cette femme eût retrouvé à dessein l’envoi de sa lettre, pour que vous n'eussiez pas le temps de répondre dans le délai indiqué à sa proposition, car alors pourquoi vous l'aurait-elle faite ? Sa lettre est une arme contre elle, et elle ne put l'écrire qu'avec le désir que sa proposition fût accueillie.
Paris, Samedi 5 octobre 1850, Dorothée de Lieven à François Guizot
Malgré quatre envois & tous les efforts, directs et indirects. Il m’a été impossible hier de voir votre visiteur. Il n’est pas venu. Je ne saurais le comprendre ! Vous voyez comme il m’est facile de faire mes affaires ? Votre billet est encore dans ma poche. J’ai gardé M. Dumon hier après ma soirée. Il cherche à me soutenir mais il est assez noir. Le temps perdu et peut-être tout perdu. Hier on attendait la réponse à 120 lieues d'ici, & hier rien n'était seulement comme à Paris. Que peut faire une femme seule ! Je suis prête à tout mais comment ? Le duc de Noailles a dîné avec moi, j’avais besoin de distraction, le soir Mad. de Contades a diverti mon cercle. Je ne dors pas & je cesse de manger, voilà de quoi me soutenir !
Voici votre lettre. J'espère dans une heure d'ici voir mes deux conseillers, votre collègue, & votre visiteur. 2 h Dumon est arrivé consterné. Son gendre est revenu de Clarmont ce matin. Il les a laissées tous dans le plus grand désespoir. Mon courrier d'Ostende annonce qu’il n'y a pas un moment à perdre. Il envoie un bateau. A l’heure qu'il est ils s'embarquent à Douvres. La Reine, la duchesse d’Orléans, la Princesse Clémentine, le duc de Nemours, débarqueront à Ostende. Les deux autres princesses resteront sur le bâtiment la vraisemblance est qu’ils arrivent tous trop tard. Votre pauvre reine. On a ordonné des prières publiques dans le royaume. Adieu, Adieu. J’ai vu tout les deux, ils n'en savent pas plus long que moi. Le petit va voir en le fils, à délai, le délai fatal expire c’est affreux. Adieu.
C'est bien dur de ne pas vous avoir auprès de moi dans le moment le plus affreux. Adieu.
Mots-clés : Famille royale (France), Inquiétude, Réseau social et politique, Salon
Val-Richer, Samedi 5 octobre 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
Votre trouble me désole. Je vous assure qu'il est excessif. Que peut dire cette femme ? Des choses désagréables ; rien de plus car il n’y a rien. En mettant donc les choses au pis, ce pourrait être un grand ennui, un vif déplaisir ; mais voilà tout. Je sais trop que des paroles ne remettent pas des nerfs ébranlés, pourtant vous avez l'esprit si juste et si ferme, quand vous oubliez vos nerfs, que ce qui est, ce qui est réellement ne peut pas ne pas finir par vous frapper et par vous calmer. Il n’y a vraiment pas, dans ceci de quoi être agitée comme je vous vois. J’ai bien quelque droit de vous le dire, car j'y suis intéressé aussi. Voyez la chose comme elle est dans sa juste mesure. elle ne vous empêchera plus de dormir. D'ailleurs j'ai la confiance qu'on réussira à prévenir le désagrément. Il importe peu qu’on fasse exactement ce que j'ai indiqué. Vos conseillers sont très intelligents ; ils trouveront ce qu’il y a de mieux à faire. Et plus j'y pense, plus je me persuade que cette femme ne veut, après tout, que ce qu’elle demande et qu’elle serait bien fâchée d’être refusée. C’est un acte de mendicité infâme. J’espère que vous m’apprendrez bientôt que tout est réglé et que vous êtes plus calme. Moi aussi, cela m'a empêché de dormir cette nuit, pour vous.
Je ne lis pas l'Opinion publique, mais j'ai vu dans l'Estafette la citation dont vous parle M. Molé. Je me suis bien rappelé le passage. Je crois qu'il est dans un de mes cours. J’y ai traité plusieurs fois cette question-là. Je reçois une lettre curieuse de M. Moulin. Plus curieuse que d'autres parce que ce qu'il me dit est en contradiction avec ce qu’on me dit d'ailleurs et avec ce que j'observe moi-même ici. " La lassitude et l'impatience du pays, me dit-il, sont extrêmes. Il veut en finir à tout prix. Il acceptera, il sollicitera, il exigera un mauvais expédient si on ne lui fait pas entrevoir comme prochaine une grande et définitive solution. Dans nos départements du centre, le socialisme a conservé presque toutes ses forces ; ce qu’il paraît en avoir perdu se retrouverait dans une crise d’élections générales. La loi électorale ne lui ferait obstacle que sous cette condition, difficile à réaliser, que toutes les fractions du parti modéré, Napoléoniens, Orléanistes, Légitimistes, Clergé, Républicains paisibles, s’il en est encore, seraient, comme aux élections du 13 mai 1849, parfaitement unies, et disciplinées.
Si l’on convoque jamais une Constituante, chaque parti arborant son drapeau, l'accord ne sera plus possible et le socialisme aura beau jeu. Aussi, dans nos départements, le parti modéré n’a qu’un vœu, qu’un cri. Pas de Constituante ! Plus d’élections par le suffrage universel, ou quasi-universel ! Que l’Assemblée législative en finisse comme elle voudra le mieux qu’elle pourra avec le président, ou le général Changarnier, ou tout autre, par la Monarchie, ou, si la Monarchie n’est pas encore possible, pas la république autrement constituée ! Voilà ce que j’entends dire, répéter depuis bientôt deux mois par nos anciens amis. Ce n’est pas seulement un désir véhément, c'est une idée fixe. Je n'ai pas été peu surpris de trouver cette disposition tout aussi vive, tout aussi manquée dans les légitimistes malgré leurs journaux et le mot d’ordre de leurs chefs, que dans les anciens conservateurs. Quant au Président il a sensiblement perdu dans les masses ; il gagne faute d'autres, dans la bourgeoisie propriétaire et il a conquis jusqu'à nouveau changement, la plus grande partie du monde officiel. Le pays que j'habite n’est pas si pressé, et verrait le mauvais oeil quiconque prendrait l’initiative d’une seconde nouvelle.
Montebello est-il à Paris ? Ou savez-vous quand il y revient ? Adieu, Adieu.
Je n’ai pas encore ouvert mes journaux. Je suis bien plus préoccupé de votre agitation que de celle de la Hesse. Je persiste à ne pas croire à la guerre. Adieu. G.
Val-Richer, Dimanche 6 octobre 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je suis désolé que vous n'ayez pas vu tout de suite mon visiteur. Il faut qu’il ait passé la journée hors de chez lui, car je suis sûr de son zèle. Je n'en espère pas moins qu'on aura été à temps. Je suis de plus en plus convaincu que cette femme a besoin d'argent, et qu’on ne lui offre pas, d’un autre côté, ce qu’elle dit. Elle ne me paraît pas personne à ne commettre qu’une demi-infamie, si l’infamie entière lui eût été plus profitable. Enfin, les raisonnements ne servent à rien. Il faut attendre. à quoi sert aussi de vous dire que je regrette du fond du cœur de n’être pas près de vous quand vous êtes triste et agitée. Mais plus j'y pense, plus je suis convaincu qu’il valait mieux ne pas paraître du tout, rester directement, tout-à-fait étranger à la chose; ce qui ne serait certainement pas arrivé si j’avais été là. Je ne puis guère me déplacer sans qu’on y cherche une raison ; et la curiosité trouve presque toujours quelque chose de ce qu’elle cherche ; ou bien elle met autre chose à la place, ce qui ne vaut pas mieux. Dieu veuille que cet ennui finisse bientôt.
Pauvre reine. Je n'espérais pas que ce coup lui fût épargné ; mais j'espère qu’elle aura revu sa fille. Quelque affreuse que soit la séparation, je trouve bien plus affreux de se séparer sans se voir. Tout ce que vous m’avez écrit sur la reine Louise et sur la position du Roi m’est encore revenu de plusieurs côtés. J’ai peine à croire aux conséquences extrêmes. Au fond, les Belges sont sensés, et le Roi Léopold aussi. Il faut être un vieux poète antiquaire, comme le Roi de Bavière, pour défendre jusqu'au bout Lola montes.
Le Journal des Débats revient ce matin, c’est-à-dire recule sur sa polémique avec les légitimistes. Il ne serait pas impossible que tout cet incident eût son utilité, et que de part et d’autre, on comprit mieux sa position et la nécessité de s'accepter, tout au moins de se ménager mutuellement.
Dans ce pays-ci, la circulaire a blessé les conservateurs, comme partout, et reculé la fusion ; mais il y a eu plus de tristesse que de colère, un certain regret que la fusion fût si difficile, peut-être impossible. On s'en est éloigné, mais on ne lui a pas tourné le dos.
Avez-vous remarqué l’article de la Gazette d’Autriche sur Radowitz ? Je l'ai trouvé bon, point flatteur et point irritant, propre à agir sur l’esprit d’un homme d’esprit et à le rendre attentif sur sa position. Je me persuade que là comme ici, il faut une nécessité absolue, un danger imminent pour obliger deux puissances à s'entendre au lieu de se quereller. On ne se fera pas la guerre pour M. de Hassenpflug. Adieu, Adieu.
Moi aussi, je ne sais pas vous parler d'autre chose que de ce qui me préoccupe, c’est-à-dire de vous. Adieu encore. G.
Paris, Dimanche 7 octobre 1850, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je n’ai pas le cœur à une lettre, car mon cœur est gros de diverses peines. Je croyais que vous auriez plus de pitié de moi, & j’ai peur, en vous écrivant de vous trop montrer ma susceptibilité sur ce point. Je ne voulais donc pas vous écrire aujourd’hui. Mais moi, j’ai pitié de vous et je ne veux pas vous donner le chagrin de rester un jour sans lettre. Mes deux conseillers aussi s'étonnent. Passons.
Thiers n’arrive à Paris qu’aujourd’hui. Il s’est arrêté à Lille. Montebello sera à Paris demain. C’était au moins son projet. La commission s’assemble demain extraordinairement pour interroger le ministre de la guerre, sur le vin de Champagne. Cela commence à faire crier tout le monde les officiers sont très mécontents. Le 62ème de Ligne qui devait quitter Paris (c'était son temps) reste à Paris. C’est celui qui à la première revue a crié “ Vive l'Empereur ”. M. de Persigny est devenu l'habitué chez Madame Kalergi. Il est comme le Président sûr d'aboutir. Le gouvernement français est très mécontent de l’affaire Fronzoni et le témoigne je crois à Turin. Adieu.
Val-Richer, Lundi 7 octobre 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
Val Richer. Lundi 7 oct. 1850
Mots-clés : Conditions matérielles de la correspondance, Voyage
Val-Richer, Mardi 8 octobre 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
Mardi matin 8 Oct. 1850
Mots-clés : Relation François-Dorothée
Paris, Samedi 12 octobre 1850, Dorothée de Lieven à François Guizot
Le dîner hier, animé. Après le dîner, curieux. M. Fould est venu plein de courtoisie et presque d’intimité pour le général Changarnier, conversation générale ou celui-ci racontait le passé avec vivacité intérêt, & appuyait forte- ment sur ceci. " L'armée m'estime, me respecte & me craint." Avant cela ils avaient passé tous deux dans le salon jaune et ont causé là un quart d’heure. Évidemment il y a quelque chose. La commission se rassemble de nouveau aujourd’hui. On dresse un procès verbal qui rappellera la séance de Lundi, le quasi engagement pris par le général d’Hautpoul d'interdire les cris. La déviation de cette promesse. On blâmera, ce blâme retombe sur l’Élysée. Et cette pièce sera soumise à l’assemblée à sa réunion. Changarnier m’a dit, que la séance avait été vive. M. Dupin très vif contre l'Élysée. J’ai retrouvé dans la Conversation la même impatience que par le passé. M. Molé a été parmi les blâmants.
Du reste Changarnier m'a dit que les nouvelles d’Allemagne étaient bien mauvaises. On s’attend à un éclat. Le Président est fort préoccupé de cela. Il penche pour la Prusse et pour s’en mêler si l’Italie venait à s'agiter en conséquence. Hier on a eu la nouvelle que l’Autriche avait mis à la disposition de l'électeur, un bataillon autrichien qui se trouve sur la frontière. La Reine des Belges est morte hier à 8 heures du matin. Votre pauvre reine !
Marion est venue ce matin la bombe a éclaté. Elle a été très ferme. Deux résolutions de sa part. Rester à Paris auprès de moi. Ou rester à Paris avec sa soeur Fanny malade, s’établir ensemble modestement. Ceci accepté par la mère. Marion est décidée à l’un ou à l’autre parti. C'est sans doute le dernier qui sera adopté. Adieu. Adieu. Il n’a pas été question hier des absents. Adieu. Pas de conversation a parte avec Fould.
Val-Richer, Samedi 12 octobre 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
Paris, Dimanche 13 octobre 1850, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je n’ai vu à peu près personne hier. Le duc de Cases est venu, il part aujourd’hui pour Ostende. Il arrive de la province toujours le même dire. On ne sait que désirer. Il croit lui que la solution doit arriver à travers le prince de Joinville, et qu'il serait insensé à lui de refuser d’être l’artisan des rétablissements de sa famille. Je vous donne de Cases. Je voudrais que vous puissiez lire les journaux Belges. Le désespoir, la tristesse misérable.
A propos le roi a fait partir depuis quinze jours tout son ménage clandestin, ils sont tous en Allemagne. Bonne précaution. J'avais hier soir ici Viel Castel mais comme il est survenu des indifférences et qu’ils étaient peu nombreux je n’ai pas pu reprendre la conversation. intime. Le blâme est général pour les cris de Vive l’Empereur. On trouve cela sans excuse. Décidément il y a eu invitation de pousser ce cri, de très haute part & personnelle, sur les lieux mêmes. Voilà ce que m'ont redit les témoins oculaires & auriculaires.
Mon estomac me tracasse. La tracasserie morale résonne là, et y reste. Une longue lettre d’Aberdeen que je n’ai pas lue ; je vous l'enverrai demain si elle le mérite. Adieu. Adieu.
Je vais à l’église. Adieu.
Val-Richer, Dimanche 13 octobre 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
8 heures
Je me lève. J'ai bien dormi. J'en avais besoin. Le temps a été magnifique hier. J'espère que vous vous serez promenée, que vous aurez marché. Il faut profiter des derniers beaux jours. Vous serez assez longtemps réduite à ne vous promener qu'en voiture. Je suis assez curieux de ce que vous me direz ce matin de votre dîner d'avant-hier. J'espère que vous aurez trouvé l'occasion de dire à votre principal convive ce qui me concernait. Je crois utile que cela lui soit dit.
Les Holsteinois sont bien acharnés. Le roi de Danemark même vainqueur aura de la peine à redevenir vraiment le maître là. Tant d'opiniâtreté indique sur le lieu même, un sentiment populaire énergique et la passion de l’esprit germanique viendra toujours réchauffer ce sentiment là. L'Allemagne n'échappera pas à une grande transformation. Je ne sais laquelle ni comment ni au profit de qui ; mais l'Allemagne ne restera pas comme elle est. Je ne vois en Europe que l’Angleterre et la Russie qui aient chance de rester longtemps comme elles sont.
Midi
Pauvre Reine ! A moi, comme à vous, ce sont les seuls mots qui viennent. Avez-vous remarqué son petit dialogue avec le curé d'Ostende à l'entrée et à la sortie de l’église ? " Priez beaucoup pour mon enfant. " Je ne connais rien de plus touchant que ces simples mots.
Merci de vos détails, très intéressants sur votre dîner. Si vous trouvez quelque occasion naturelle de dire ce que je vous rappelais tout-à-l'heure, soyez assez bonne pour la saisir. Le petit article des Débats sur la séance de la commission permanente me frappe un peu. C’est certainement Dupin qui l’a dicté. Il prouve que si la commission ne veut pas pousser les choses à bout; elle veut les avoir prises au sérieux. Il faut que le Général d'Hautpoul soit congédié avant l’ouverture de l'Assemblée.
Je suis fort aise que Marion ait pris son parti. Faites lui en, je vous prie, mon compli ment en lui disant combien je regrette de ne l'avoir pas vue. Je lui aurais conseillé ce qu’elle fait. J’ajoute seulement que s'il est bien convenu qu’elle restera à Paris avec sa soeur Fanny, il faut qu’elle y reste en effet quand ses parents partiront. Si elle retourne en Angleterre avec eux, elle ne reviendra pas. Adieu, Adieu. G.
Le Duc de Broglie ira certainement à Claremont car la Reine et la famille Royale y retourneront, je pense, aussitôt après les obsèques. Je crois que j'irai à Broglie lundi 21, pour 48 heures. Adieu, encore.
Mots-clés : Deuil, Europe, Famille royale (France), Femme (maternité), Femme (politique), Femme (statut social), Politique (Allemagne), Politique (Analyse), Politique (Angleterre), Politique (France), Politique (Prusse), Politique (Russie), Posture politique, Réception (Guizot), Relation François-Dorothée (Politique), Réseau social et politique, Salon, Santé (François)
Paris, Lundi 14 octobre 1850, Dorothée de Lieven à François Guizot
On est bien échauffé ici & bien inquiet toujours à propos de la revue et de ses conséquences. Vous lisez le Constitutionnel. Il est sur ses grands chevaux. Hubner hier soir croyait à quelque chose, moi, je ne crois à rien. Cela s’assoupira mais je n’ai pas vu de Français hier, & je n'ai pas d'opinion quand je n’ai pas consulté les augures. Quant à l’Allemagne Je ne comprends pas comme on s’en tirera. Hubner affirme que les troupes Autrichiennes vont entrer dans la Hesse. Le 21 septembre la Prusse a lancé une note, dans laquelle elle menace l'Autriche si elle ose entrer le 27, l’Autriche répond qu’elle entrera, si besoin en est, au nom de la diète, (or, la Prusse ne reconnaît pas celle-ci) le besoin est là puisque l’armée hessoise s'est dissoute, il n’y a plus d’affaire. La Prusse pourra-t-elle faire l’énorme reculade ? Voilà la question. Dans quelques jours on le saura. D’un autre côté, nous sommes furieux contre la Prusse à propos de la guerre du duché, & Le roi de Prusse ayant demandé à venir à Varsovie, on lui a répondu qu'il n’y avait pas d’appartement pour le loger. Voilà. Tout cela est gros.
L'Impératrice m’a fait écrire par une de ses dames pour me donner de ses nouvelles, et me prier de lui écrire souvent, grandissime joie de mes lettres. Elle n'ose plus écrire du tout, un oeil dans un bien mauvais état. Toute occupation lui est interdite.
2 heures. Lord Brougham m’est tombé comme une bombe, il a bavardé, & je suis prise. Il faut finir. Je viens de voir ainsi Dumon l'affaire d’Hautpoul est grosse. Vous avez bien raison il faut qu'il sorte. Mais le fera-t-on ? Adieu. Adieu.
Val-Richer, Lundi 14 octobre 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
On rentre mes orangers, dans l’orangerie. C’est la préface de l'hiver. Moi aussi, je suis un arbre du midi quand l'hiver vient, il faut que je rentre. Je compte partir d’ici le mardi 29 et être à Paris le 30. Pauline et son mari resteront quelques jours après moi. Henriette part vendredi prochain. J'ai besoin de bien employer les quinze jours qui me restent. Il y a cent petites choses que je veux avoir faites avant mon départ. Ma course à Broglie me dérangera ; mais elle est nécessaire. Je tiens à causer avec lui. J’y passerai deux jours.
J’écris aujourd’hui à la Reine et au Roi Léopold. Je voudrais avoir des nouvelles du duc de Nemours. Je vois qu’il a été pris d'une de ces crises nerveuses auxquelles il est sujet, et qu’il a fallu l'emporter dans sa chambre. Quelle tragédie. Et dans les tragédies royales, depuis la maison d'Oedipe jusqu'à la maison d'Orléans, c’est toujours une femme qui est la figure frappante, le type du malheur, et du dévouement. Antigone, la Dauphine, la Reine Marie-Amèlie. La femme de la tragédie des Stuart est la plus obscure, Marie-Béatrix de Modène. Elle aussi a pourtant son originalité et sa grandeur. Grandeur de couvent plus que de trône, si vous aviez des yeux, je vous engagerais à lire son histoire dans les Lives of the Queens of England de Miss Agnes Strickland, livre médiocre et écrit avec une partialité jacobite puérile, mais plein de détails anecdotiques, et de lettres originales qui ont de l'intérêt.
Je reviens à une autre tragédie non pas royale, mais populaire, celle du Holstein. Quel acharnement mutuel devant Friedrichstadt. Je suis sûr qu’il y a eu là des scènes de passion, de courage, de dévouement et de douleur égales à celles des plus célèbres luttes historiques. Les hommes ont quelquefois de l'énergie et de la vertu à prodiguer obscurément sur les plus petits théâtres ; et puis elles leur manquent quand elles auraient tant d’éclat devant le monde entier qui regarde.
J'ai lu attentivement le discours du Roi de Danemark à l’ouverture de sa diète. Remarquable par le ton confiant, sûr de son fait et amical pour son peuple. On y sent que roi et peuple sont d'accord et ne font vraiment qu’un. Il paraît que son mariage à la mode ne l'a pas encore dépopularisé. Pardonnez-moi mon calembour.
10 heures
Je reçois un des principaux journaux de Bruxelles. C'est beau et touchant, et ce sera pour la pauvre mère qui survit, une vraie consolation. Elle a le cœur assez grand pour rester sensible à ces consolations là. J’ai une lettre d'Ostende, d’un de mes amis M. Plichon, qui était là ; il m’écrit ce que disent les journaux, plus ceci : " La Reine Marie Amélie est sublime ; elle est devenue surnaturelle. c’est elle qui console les enfants, l’époux, les frères. Une heure ne s’était pas écoulée depuis le moment suprême que déjà elle était aux pieds de l’autel, environnée de toute sa famille, et donnant l'exemple de la résignation aux décrets de la Providence. Elle m’a fait la grace de me recevoir. Elle ne tient plus à la terre. Depuis Ste Thérèse, je n'ai pas vu une sublimité morale aussi grande. " La comparaison est un peu étrange ; mais mon correspondant est un admirateur passionné de Ste Thérèse comme s’il l’avait vue. Il a dit ce qu’il a trouvé de plus beau.
Votre impératrice ferait vraiment bien d’écrire Adieu, Adieu, Soignez votre estomac. Adieu. G.
Paris, Mardi 15 octobre 1850, Dorothée de Lieven à François Guizot
On me parait bien agité ici, mais je doute que la solution soit ce que vous pensez et ce que tout homme censé désire, la retraite du Ministre de la guerre. J’avais hier soir chez moi le général Lahitte & M. Fould, et si j'ai bien compris ceci n’arriverait pas, on s'arrangera. Même M. Fould a été jusqu’à dire qu’il n’y a pas d’homme indispensable. Il tirait là sur le général Changarnier. Jamais je n’ai vu M. Fould si gai, & assuré. Je pense qu'on se moque de l’Assemblée. On ne lui demandera pas la prolongation, & on ne l’acceptera pas de sa main dût-elle l’offrir." Le pays élira le Président, c’est le chef inévitable, indispensable de la France. Lahitte était fort préoccupé de l’Allemagne. Très décidé à la neutralité si la lutte s'engage. La mort de la reine des Belges l’afflige même politiquement il dit que princesse Françoise, Elle était un lien avec la France ; Léopold pourrait bien tourner à l’Allemandisme. Je n’avais pas de diplomate hier soir. Des femmes. Lord Brougham un autre homme, propos tranquille, modeste, grave, on ne le reconnait pas. Je suis inquiète. J’aime mieux Brougham l'ancien. Je ne sais pas de nouvelles à vous dire. Dumon était ici aussi. Fould très empressé pour lui, regrettant qu’il ne fût pas de la Chambre, les deux Ministres sont entrés & sortis de chez moi ensemble ils ont l’air fort intimes. Beauvale n’en revient pas de ce qu’on permet ici les cris et le vin de Champagne. Longue tirade qui finit par : vive la guerre civile ! Autre tirade sur l'impuissance de quatre grandes puissances qui signent un protocole et sont incapables de l'exécuter. Paul, Brunnow, Drouyn, Reventhon tout cela ensemble & sans cesse, et rien, rien.
Lord Aberdeen a passé trois jours chez la Reine, pas de ministre bien content du ménage sur toutes choses (on n'a pas parlé du tout Allemagne) la reine pense comme Aberdeen sur la fusion. Aucune réflexion sur les affaires du pays. Il viendra peut être ici pour Noël. Voilà tout. Adieu. Adieu.
Val-Richer, Mardi 15 octobre 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
Voici une question que je ne trouve pas, dans ma bibliothèque d’ici, les moyens de résoudre et sur laquelle mon petit visiteur ira peut-être vous consulter. mon libraire veut mettre sur le titre de Washington, les armes des Etats-Unis d’Amérique, et sur le titre de Monk, les armes d'Angleterre. Mais ce sont les armes d’Angleterre sous les Stuart qu’il faut là et non pas les armes d'Angleterre sous la maison de Hanovre. Je ne me rappelle pas bien et je ne puis indiquer d’ici les différences. On fera la vérification, à la Bibliothèque du Roi, (nationale aujourd’hui) et je pense qu’on trouvera là tout ce qu’il faut pour la faire. Mais si quelque renseignement manquait aurait-on, à l'Ambassade d'Angleterre, et votre ami Edwards pourrait-il procurer de là un modèle des armes de Charles 2 en 1660 ? J'espère qu’il ne sera pas du tout nécessaire que vous preniez cette peine, mais je veux vous prévenir qu’il est possible qu’on vienne vous en parler.
Ce que vous a dit de Cazes ne m'étonne pas. Bien des gens le pensent. C'est peut-être le plus grand danger qu’il y ait à courir. J’ai très mauvaise idée de ce que serait le résultat. Probablement encore un abaissement de plus. Mais la tentation serait forte. Je dois dire que les dernières paroles qui m’ont été dites à ce sujet ont été très bonnes et très formelles.
Avez-vous revu Morny ? Je suis assez curieux de savoir, s'il vous dira quelque chose de mes quelques lignes, et de l’usage qu’il en a fait.
La corde est en effet bien tendue en Allemagne. Pourtant il me semble que Radowitz prend déjà son tournant pour la détendre un peu. Que vaut ce que disent les journaux de son travail pour amener l'union restreinte à n'être qu'une union militaire comme il y a une union douanière ? Ce serait encore un grand pas pour la Prusse et je ne comprendrais pas que les petits États se laissassent ainsi absorber par la Prusse sans avoir au moins le voile et le profit de la grande unité germanique. Mais il y aurait là un commencement de reculade. Je persiste en tout cas à ne point croire à la guerre. Personne n'en veut, excepté la révolution qui a peu prospéré en Allemagne. L'indécision même de votre Empereur entre Berlin et Vienne est un gage de paix. Y eût-il guerre, le Président ne serait pas en état, le voulût-il de faire prendre parti pour la Prusse. On ne prendrait point de parti de Paris comme de Pétersbourg et de Londres on remuerait ciel et terre pour empêcher la guerre, qui serait de nouveau la révolution. Je ne viens pas à bout d'être inquiet de ce côté, malgré le duo de bravoure de Radowitz et de Hübner.
10 heures
Je vois beaucoup de bruit dans les journaux et rien de plus. Pas plus de coup d’Etat en France que de guerre en Allemagne. Je n'ai qu'une raison de me méfier de mon impression ; c’est qu’il ne faut pas aujourd’hui trop croire au bon sens. Notre temps a trouvé le moyen d'être à la fois faible et fou. Adieu, adieu.
Je reçois de mauvaises nouvelles du midi de la France. On m’écrit que les rouges y redeviennent très actifs. Adieu. G.
Paris, Mercredi 16 octobre 1850, Dorothée de Lieven à François Guizot
Jamais je n’ai vu un visage plus renversé que celui de Kisseleff hier soir, à propos d’un article du Bulletin de Paris sur le départ de M. de Persigny pour Berlin. Je ne l'ai pas lu. Il dit que la France & l'Angleterre vont soutenir la Prusse. Je ne puis pas le croire. Le général Lahitte affirmait l’autre jour, en me parlant, que quoiqu'il arrive, la France restera neutre dans la querelle de la Prusse & de l’Autriche. Ses réponses à ce que vous me demandez au sujet de Morny Je vous envoie l’indépendance Belge. Je ne crois pas que ceci fasse plaisir à vos amis.
Je n’ai pas revu Morny depuis votre départ. S'il est besoin je demandais à l’ambassade d'Angleterre les armes de ce pays à l’époque que vous dites. Les fleurs de lys y étaient, car je les ai encore trouvées en Angleterre. Elles n'ont disparues que de mon temps. Mad. Rothschild est venu me voir hier. Contente & tranquille. On dit que M. d’Hautpoul sera renvoyé. moi je n'avais pas compris cela. Marion a remonté avant hier le général Changarnier & Thiers chez la princesse Grasalcovy. Le duc de Bauffremont qui était ici hier soir sortait de dîner chez le président. Il y avait le duc de Capone & le prince de Canino, deux jolis sujets ! Point de nouvelle de là ! Les conversations sont très animées à Paris & certainement à votre arrivée vous trouverez les têtes très échauffées. La mienne pas j’espère. Vous trouverez dans l'Indépendance l'article du Bulletin de Paris qui passe pour appartenir à l'Elysée. Dites-moi l’adresse de Broglie je suppose que lundi & mardi c'est là que j'aurai à vous écrire. Adieu. Adieu.
Si nous causions il y aurait bien à bavarder. Adieu.
Val-Richer, Mercredi 16 octobre 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
9 heures
Je reçois votre lettre qui me préoccupe. Je m'étais arrangé pour être tranquille par la retraite du Ministre de la guerre. Au fond, je persiste. Il me faut des faits positifs pour troubler ma tranquillité. Avant les revues, et le vin de Champagne, et la commission permanente, j'étais bien plus inquiet pour le Général Changarnier. Depuis longtemps, il n’avait rien fait, rien ne lui était arrivé ; je le trouvais un peu affaibli. Le dernier incident l'a rajeuni. Le voilà de nouveau le représentant de la discipline, de la légalité, de l'Assemblée. Dès que la question se pose ainsi, je ne crois plus que personne y touche. Il n’y a personne aujourd’hui pour rien tenter de gros. Les revues et vive l'Empereur sont le thème du jour. Ce thème mettrait dans son tort quiconque toucherait à quelque chose. Le public est de l'avis de Beauvale. Le vin de champagne a effacé la circulaire. Le public veut le Président et le Général Changarnier. Pourvu qu’ils s’arrangent ensemble, peu importe le reste. Mais il faut qu’ils s’arrangent, et celui des deux qui dérangera l'autre sera le mal venu. Je serais bien surpris, si M. Fould n'était pas de cet avis.
Voyez le Constitutionnel lui-même ; c’est tout ce qu’il peut faire que d’excuser les Vive l'Empereur ! Et il les excuse assez gauchement. Je comprends qu'on fasse l'Empire si on peut ; mais le crier, sans le faire, est absurde.
Midi.
Je suis fort aise de ce que vous me dites de la résolution du général Lahitte quant à l'Allemagne. J’espère qu’elle ne sera pas mise à l'épreuve. Je trouve du reste cette politique déjà annoncée dans le Bulletin de Paris. Lahitte prend ses précautions, et il a raison.
Si vous écrivez un de ces jours à Lord Aberdeen, soyez assez bonne pour lui demander s'il a reçu une longue lettre de moi, celle que vous savez. Je voudrais être sûr qu'elle est arrivée. Ce serait charmant qu’il vînt nous voir à Noël. Pourquoi pas ? Rien ne le retient à Londres et il se plaît à Paris.
Je ne trouve pas que la réponse de M. de Montalivet à Napoléon Bonaparte, dans la Revue des deux mondes qui m’arrive, soit bonne. Elle est vague et timide. Il y avait bien plus à dire, et à dire plus sèchement.
Je vois que la Reine est encore à Lacken, et y restera peut-être plusieurs jours. Je lui ai écrit à Claremont, en envoyant ma lettre au Général Dumas. J'espère qu’il la lui aura envoyée. Madame la Duchesse d'Orléans, s’est hâtée de retourner, sans doute à cause de ses enfants. Adieu, Adieu.
Je vais me promener. Il fait un temps magnifique, doux et pur. Adieu. G.
Paris, Jeudi 17 octobre 1850, Dorothée de Lieven à François Guizot
Kisseleff que j’ai vu hier deux fois, était plus rassuré. Il a vu longtemps le général Lahitte dont il se loue extré mement. Honnête, loyal, plein de sens & sincère. Reste toujours le doute d'une double diplomatie. Les propos de M. de Persigny prêtent fort à ce soupçon. Nous verrons ce qu'il fera à Berlin. En attendant je crois comme vous, que cette affaire de la Hesse s'arrangera. Tout le monde est curieux, de Varsovie. L’Empereur y est depuis le 12. Hier tous les diplomates Schelenbourg & Hubner en observation. Deux aveugles mais qui se donnent la main. Je ne sais absolument rien de ce terrain ici. Montebello est en Champagne. Dumon en campagne, hier au moins.
A propos, bêtise anglaise. Louis Bonaparte au lieu de campagne donne à ses soldats du champagne et au lieu de battles, des bottles. Pardon. J’ai écrit aujourd’hui seulement au roi Léopold. hier Royer est venu me voir. Le sentiment est général en Belgique. J’espère voir aujourd’hui Sainte Aulaire & le duc de Noailles. Adieu car je n'ai que cela à vous dire.
Val-Richer, Jeudi 17 octobre octobre 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
Le temps est étrangement beau et doux. Un soleil d’été sur une nature, d’automne. Je me suis promené hier deux heures. J’avais trop chaud. Vous auriez beaucoup joui de cet avis-là. Il vaut mieux que celui du bois de Boulogne. Mais dans quinze jours nous serons en hiver. Il ne faut pas s’attacher à ce soleil. Je n’y penserai pas quand je serai avec vous. Mais, hors ce qui me plaît par dessus tout, la liberté, le repos et les spectacles de la campagne, me plaisent maintenant plus que le reste. La nature a du bon sens et de la grandeur.
10 heures
Kisselef a tort d'être si troublé. Certainement, s’il y a guerre en Allemagne (ce que je ne crois toujours pas), il y aura en France à l'Elysée et dans les journaux, des velléités de s'en mêler. Des velléités sincères, et des velléités hypocrites. Le public, le vrai public n'en voudra pas. L'assemblée sera comme le public ; le ministère comme l’assemblée ; et on ne s'en mêlera pas. Et l'Elysée sera fort aise qu’on ne veuille pas s'en mêler, et qu’on ait l’air de croire qu’il voulait s'en mêler. L'ancienne politique subsistera. Il n’y a plus en France, de gouvernement capable de la changer, ni de l'avouer. On en voudra le profit, en en éludant la responsabilité. Ce sera le Général Lahitte qui en aura l'honneur.
A propos du Général Lahitte, je vois dans tous les journaux qu'on veut le nommer à l’assemblée pour le département du Nord, et dans la Gazette de France qu'il y a, dans ce département, des gens, conservateurs, et légitimistes, qui pensent aussi à moi. Je n'en ai point entendu parler, et je n’ai pas besoin de vous dire que je n'en veux pas entendre parler. Le Moment n’est pas venu, et on a grande raison de porter le Général Lahitte. Je lui donne ma voix.
L'Indépendance Belge m'amuse. Vous savez mon billet à Morny. Je prévoyais bien qu’on en ferait un peu de bruit. A la bonne heure. Je ne l’ai pas écrit parce que le bruit, mais quoique. Un avis très décidé, et dit très haut, et une entière liberté d’attitude et de langage quotidien, c'est mon parti pris. Je suis plus indépendant que l'Indépendance Belge. La fusion de l'autre côté du fossé ; le Président tant qu'on ne peut pas, ou qu'on ne veut pas, ou qu’on ne sait pas sauter le fossé; voilà mon avis, et je ne m’en gênerai pas de le dire, et de le pratiquer.
Ecrivez-moi à Broglie, (au château de Broglie, par Broglie. Eure) lundi, mardi et mercredi. Je n'en partirai que jeudi après le déjeuner. Le courrier y arrive à 9 heures du matin. J'y vais seul. Le médecin de Pauline ne veut pas qu'elle remue au delà du strict nécessaire. Entre nous, mes deux filles. sont grosses. Elles ne le disent pas encore. Je persiste à croire que Mad. Rothschild a raison, et que le Général d'Hautpoul s'en ira. Adieu, Adieu G.
Paris, Vendredi 18 octobre 1850, Dorothée de Lieven à François Guizot
Fleischmann me mande que [Br ? ] a signé le 12 l'engagement d'occuper la Hesse par les troupes Bavaroises, & de réunir dans un mois une armée combinée Autriche. Wirtembourg & Bavaroise de 22 000 La Prusse, ajoute Fleischmann, ne peut pas reculer. La guerre va donc éclater. Je suis comme vous je n'y vois pas encore. Sainte-Aulaire croit savoir que le général Lamoricière aurait envoyé au Prince de Joinville l'offre de se laisser porter à la présidence. Bêtise. Le duc de Noailles hier soir fort triste et découragé. Il faut du temps, beaucoup de temps. Attendre ce qui arrivera dans 18 mois. Dumon part aujourd’hui pour ne revenir que le 25 9bre. J'en suis très fâchée. Il n’est pas couleur de rose non plus.
Je ne sais rien de la commission hier ! Mais je suis portée à croire que cela aura été sans couleur. Lady Jersey s'annonce pour demain pour huit jours. Je l'aurai sur les bras. On dit que le voyage de l'impératrice est une intrigue de son Médecin Maudt un prussien, qui a voulu ainsi tenter un rapprochement. C’est possible, mais cela ne réussit pas. Nous faisons un nouveau recrutement de 10 h. sur 1000. C’est énorme. Adieu, car je n'ai reçu de plus. Adieu.
Val-Richer, Vendredi 18 octobre octobre 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
Les journaux s'obstinent à me faire intervenir pour la prolongation des pouvoirs du Président. J’en suis tombé. d'accord avec Thiers. Cela m'amuse plus que cela ne m'ennuie. Je suis frappé de la patience et de l'unanimité des Hessois. La lettre des officiers en donnant leur démission est remarquable. Et l’engagement des sous-officiers, à ne pas accepter d'avancement l'est encore davantage. Cette résistance tranquille indique des gens qui croient avoir, et qui ont réellement raison. Je voudrais bien que la nouvelle de l'abdication du grand duc fût vraie. Il tirerait l'Allemagne d’un mauvais pas.
Le Constitutionnel essaie ce matin de se raccommoder avec la commission permanente. Je suppose que les correspondants français des journaux anglais sont pour quelque chose dans les attaques du Times du Morning Chronicle et du Morning Post.
Je trouve autour de moi un changement assez marqué dans la disposition des esprits. Les revues, et les vive l'Empereur ont nui réellement au Président. On lui donne tort en général ; même les gens qui veulent la prolongation de ses pouvoirs. On est plus que jamais décidé à donner tort à quiconque prendra la moindre initiative d’agression. Le Journal des Débats avait hier à ce sujet, un article très sensé. Et aussi un article très piquant sur les cris de vive l'Empereur qui peuvent signifier : Vive l'Empereur Charlemagne ! Tout cela tomberait dans l’eau si on n’en parlait plus. Mais le 11 novembre fera tout revenir sur l’eau. Il n'y a plus de sottises oubliées. C’est la grande difficulté du gouvernement. J’ai peine à me figurer les débats si vifs qui vont avoir lieu n'aboutissant à rien. C'est pourtant ce qui arrivera.
Je n'ai rien de plus à vous dire aujourd’hui. Ma fille aînée part ce soir pour Paris, et moi j'arrange mon départ, avec la cadette pour le 29. Adieu, adieu.
Il faut que Thiers et Changarnier soient bien oisifs pour aller s'amuser chez le Princesse Grassalkovich. Adieu. G.
Val-Richer, Vendredi 18 octobre octobre 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
Morny s'est évidemment beaucoup servi de mon billet. Tout ce petit bruit des journaux vient de là. Je vous prie toutes les fois que vous en trouverez l'occasion de mettre la vérité à la place du bruit. Je ne cache rien de ce que je pense ; mais je n'accepte que ce que j'ai dit. Le jour où la bonne solution sera possible, je serai contre toute prolongation de pouvoir de qui que ce soit. Jusques là, je suis pour le maintien des seuls pouvoirs possibles, le Président et l'Assemblée. Et quand ils seront au pied du mur, Orléanistes et Légitimistes ensemble où chacun à son tour, seront forcément de cet avis, Bien maintenir ce qui est dans l’état provisoire, provisoire à courte échéance et le maintenir comme provisoire, il n'y a que cela de sensé.
J'envoie à Génie quatre pages de Préface pour le Washington sur la République, qui valent, je crois les dix pages que vous avez lues de la préface à Monk sur la Monarchie. Adieu, adieu, adieu, et encore.
G.
Val Richer 18 0ct. 1850
3 heures
Paris, Samedi 19 octobre 1850, Dorothée de Lieven à François Guizot
Le Constitutionnel confirme pleinement ce matin ce que me mandait Fleichmann de l’alliance signée à Breguez, Viel Castel qui était ici hier soir prétendait ne le savoir que comme moi par des lettres particulières. Il a ajouté que les propos de [Radony] étaient d'une violence. extrême, & que certaine ment la Prusse ne peut pas reculer, à moins que [Radony] Louise, et puis une agitation curieuse. Être si près de la France ! En Allemagne je suis mieux, plus tranquille. Voilà les paroles. La reine en mourant a dit en baisant la main du roi. Je veux baiser la main de mon roi. Cela a été fort remarqué le mère n’y jouait pas de rôle. Le prince de Joinville a l'air mourant, il sera le premier à suivre sa sœur. Voilà tout Mad. Molhin.
Kisseleff frère part aujourd’hui. Il a refusé toutes les occasions que je lui ai offerts de voir des personnes importantes, sauf Changarnier est-ce timidité ? égard pour son incognito ? Insuffisance dans la conversation ? Je ne sais. Ce que je sais c'est qu'il a beaucoup d'esprit, la finesse russe et une demi civilisation originale, agréable. Au fond, il pleure de quitter Paris et je ne serais pas étonnée s'il y revenait. Longue visite de Marion. Sa résolution reste bien arrêtée. Et j’y crois tout-à-fait. Adieu. Adieu. Je vous félicite du prospect de grande paternité.
Val-Richer, Samedi 19 octobre 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
Vous me dîtes qu'on a signé à Bregenz l’engagement de mettre sur pied une armée de 220 000 hommes, et mes journaux me disent que la Prusse est sur le point de céder, d’ajourner l'union restreinte, et de rentrer elle-même dans la diète de Francfort. Les deux choses vont très bien ensemble. Ainsi, soit-il ! La reculade prussienne, quelque forte qu’elle soit, ne m'étonnera pas. Grande ambition et grand courage, c'était le grand Frédéric. Grande ambition et petit courage, ce sont ses successeurs.
J'ai de mauvaises nouvelles de Belgique. Même au milieu du deuil public, la colère populaire contre le Roi continue, et on craint qu'elle ne finisse par éclater. Il a été heureux que Mad. Mayer fût partie car des attroupements considérables se sont formés deux fois devant sa maison, et ne se sont dissipés qu'après avoir acquis la certitude qu'elle n’y était plus. Je trouve que la Reine Louise s'est admirablement conduite envers le Roi dans ses derniers moments. Ce qu'elle lui a dit, la tendresse modeste qu'elle lui a témoignée, en lui baisant la main, tout cela ressemble à un voile protecteur qu’elle a voulu étendre sur son mari avant de le quitter. Cela est bien de la personne qui répondait à la question de savoir si la duchesse de Praslin avait reconnu son mari : " Certainement non ; si elle l’avait reconnu, elle n'aurait pas sonné. "
Dumas m'écrit de Claremont que la Reine y sera de retour après-demain lundi ? Elle s'embarque à Ostende demain soir. Sa santé se soutient presque au même niveau que son courage. Madame la Duchesse d'Orléans est revenue à Esher lundi dernier, très fatiguée. La mort de la Reine Louise, cette douleur de tout un peuple, ces allées et venues de toute une famille royale à travers, l’Océan pour se ranger autour d'un lit de mort et d'un cercueil, tant de souffrance dans l’âme et tant d’éclat dans le deuil tout cela grandit ceux qui pleurent et frappe beaucoup ceux qui regardent. Avez-vous entendu dire quelque chose de ce que fera ou sans doute a déjà fait M. le comte de Chambord dans cette occasion ?
La querelle du Président et de la Commission ne les aura grandis ni l’un ni l'autre quand ils arriveront devant l’assemblée. Duchâtel a raison ; il n’y a que des perdants, et point de gagnants dans le jeu que jouent aujourd’hui en France des pouvoirs et les partis. Ils y sont pourtant très animés.
Puisque Lady Jersey arrive, soyez assez bonne pour lui dire que je regrette bien de n'être pas à Paris pendant les huit jours qu'elle doit y passer. Je reste avec un coeur très affectueux pour mes amis d'Angleterre et j’ai toujours grand plaisir à les revoir. Je suis fâché pour vous du départ de Dumon. Avez-vous écrit à Duchâtel, comme vous en aviez le projet ? Vous est-il revenu quelque chose de Salvandy à son passage à Paris ? car il doit y avoir passé. Je n’ai pas entendu parler de lui.
Adieu, Adieu. G.
Paris, Dimanche 20 octobre 1850, Dorothée de Lieven à François Guizot
All right. C'est moi qui avais mis le pain [?]. Paresse de sonner pour de la bougie, Hubner hier soir, très préoccupé, mais très décidé. On poussera jusqu’au bout Que fera la Prusse ? Cela ne peut plus traîner dans quelques jours le dévouement, c.a.d. qu’elle laissera faire, ou qu’elle s'en mêlera. Et alors belle mêlée ! [?] est fini, officiellement enterré. A présent la Prusse au lieu de l'Union, veut [?]. Hubner ne comprend pas la distinction. Dans tout cela Hubner dit que nous sommes coupables de n’avoir pas tranché la question alle mande dès le mois de mai à Varsovie. Nous le pouvions alors, nous avons été timides. Je crois qu'il a raison. Aujourd’hui c’est très ouvertement qu'on parle de 200 000 [?] prête à entrer en cam pagne d accord avec l'Autriche. M. de Heckern qui était ici hier soir, (Ah mon Dieu quelle façon ! Je ne crois pas que je le tolère) avait vu le ministre de la guerre furieux du Constitutionnel, il a couru à l’Elysée. Il en est revenu le visage long [?]. Mad. de Contades disputait cela et prétendait savoir qu’il resterait, elle venait de dîner chez lady Douglas. Thiers & Changarnier sont à Ferrières pour deux jours.
Voilà toutes mes nouvelles. Alexandre m'écrit de Naples ce qu'il n'a pas voulu m'écrire de Töpliz, qu’ayant vu le comte Nesselrode tous les jours, jamais il n’a prononcé mon nom, ni demandé de mes nouvelles ; très incommodé de ma correspondance avec l'Impératrice. Je ne puis pas lui épargner ce déplaisir. Mais je comprends que cela ne soit pas commode. J'ai écrit à Duchatel. Je regrette beaucoup. Dumon, je n'ai plus de discoureur agréable et confortable. Personne ne sait le moindre mot de Salvandy. Du moins je n'ai rien appris quoique j'ai demandé. Adieu. Adieu.
Paris, Lundi 21 octobre 1850, Dorothée de Lieven à François Guizot
Beaucoup de monde hier soir. Une conversation à bâtons rompus avec le général Lahitte. Les gros diplomates agités. & cependant le bruit se répand qu'on s’arrange comme de raison. L’inquiétude de mes diplomates à propos d'une double diplomatie ici, ne me paraît pas sans fondement. Évidemment c’est toujours Lord Normanby qui règne à l'Elysée, seulement on tâche doucement d'échapper à ces coups fourrés. L’article du Constitutionnel est fort diversement jugé. Il me paraît qu’on trouve qu'il valait mieux ne pas sonner les cloches pour le renvoi du reste de la guerre. J’ai trouvé au général, du doute, du blâme, de réticences. Un peu de tout. Rien de clair. Je ne sais pas du tout ce que pense le général Changarnier. Tout le monde parle par énigmes. Je vais ce matin avec Hubner à Champlatreux, mais je reviens dîner. Le temps est superbe.
Voici une lettre de Constantin. La Prusse en grande cajolerie pour nous. Le Maréchal nommé chef du premier régiment de l'armée prussienne. Une députation, le colonel en tête, est partie pour Varsovie pour lui rendre les hommes. Petite malice, car l'Autriche n’aura pas songé à cela. On décidera à Varsovie la Hesse & le Holstein. La Prusse renonce à la Constitution de l’union restreinte. Enfin tout est adouci, radouci. Le prince Charles de Prusse parti pour Varsovie aussi, ainsi que le comte de Brandsbourg. Constantin y est. L'Empereur de d'Autriche & le Prince Schwarzenberg doivent y venir. Voilà mes nouvelles. Adieu, adieu.
Val-Richer, Dimanche 20 octobre 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je viens de lire, dans Peel and his times, toute l'histoire du Reform- bill. Certainement il eût été possible de faire un Reform-bill plus conservateur, et qui n’entrainât pas dans le pays un si grand déplacement des influences, dans le Parlement un si complet changement des partis et des hommes en pouvoir. Il a manqué à Peel dans cette occasion, le courage qu’il a eu, envers son propre parti, dans l'affaire des Corn-laws il a manqué à Lord Grey le courage de s'entendre avec Peel au lieu de se livrer à l'emportement de la réforme. J’ai tort de dire de s'y livrer ; on a excité cet emportement ; on a porté de l’eau, non pas à la rivière, mais au torrent ; il y a eu visiblement, dans le mouvement populaire de cette époque, quelque chose de factice ne croyez-vous pas ? Et croyez-vous qu’il eût été possible à Lord Grey de se concerter avec Peel pour une réforme plus modérée ? Vous me répondrez probablement. Pas plus qu'il ne m'eût été possible à moi, avant Février de m'entendre avec Tiers sur la question de réforme. Les antécédents des hommes, des chefs sont des chaînes qu'ils ne brisent plus. Il n’y a que les soldats qui puissent changer de drapeau. Peel n'en a réellement pas changé en 1846. Il a fait alors ce qu’il avait fait toute sa vie. La consistency dans l’inconsistency, c'était son caractère et son système. Il ne savait résister invinciblement qu’au parti de qui il ne craignait rien. Vous voyez bien que je n'ai rien à vous dire du présent.
Onze heures
Je pardonne volontiers au Constitutionnel sa morale au général Changarnier. Il faut bien se donner une petite satisfaction quand on fait un sacrifice, et Changarnier a plus d’esprit qu’il n'en faut pour accepter sans humeur le sermon, d'ailleurs sensé, et poli que lui adresse M. Véron. Vous savez que j'ai toujours crue à cette fin. Mais je suis bien aise de la voir officiellement annoncée. Je compte avoir également raison en Allemagne. Et j'incline à croire que ce sera Ladowitz lui-même qui me donnera raison.
Je reçois une lettre de Van Praet à qui j’avais envoyé ma lettre au Roi Léopold. Il m’annonce une réponse du Roi et s'étend beaucoup sur la sympathie de la Belgique pour une Reine venue de France. Il me paraît clair qu'on recueille avec soin dans le Palais, toutes les raisons de se rassurer, et tous les points d’appui. Adieu.
Je vous écrirai un mot demain avant de partir pour Broglie. Je pars d'assez bonne heure parce que je m’arrête pour déjeuner à Lisieux. Il est bien convenu que lundi, mardi et mercredi, vous m'écrirez à Broglie. Adieu. Adieu. G.
Val-Richer, Lundi 21 octobre 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
10 heures
Vous n'aurez que deux lignes en retour de la lettre intéressante qui m’arrive. Je pars dans une demi-heure pour Lisieux et puis Broglie. Je vous écrirai demain de Broglie.
J’ai une lettre de Mad. Mollien qui me dit : " On voudrait en Belgique que la Reine acceptât la haute direction de l’édu cation des jeunes princes sous le rapport religieux, et qu’elle promit de venir tous les ans passer un mois ou deux à Bruxelles. Je ne sais pas pressentir la décision, encore moins les désirs réels du Roi Léopold. "
Adieu, adieu. Radowitz se chargera de tranquilliser Hübner. Adieu. G.
Paris, Mardi 22 octobre 1850, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je passais la soirée chez lord Grey le jour où lord John Russel portait le bill de réforme à la Chambre des Communes. Lord Howick écrivait de là à son père le billet suivant. the Mountain is in rupture the Tories are in a rage, our friends are astounded. J’ai ce billet. Vous voyez comme cela donne raison à ce que vous me dites de ce bill ? J’ai mené hier Hubner à Champlatreux, grande course en voiture.
[Breguey] a fait son effet à Berlin, la reculade est forte, cependant Hubner ne regarde pas encore la guerre comme impossible. Mais elle est invraisemblable. Il m’a dit si elle commence, nous ne nous arrêterons qu'à la Mer du nord & à la Baltique, il était consterné du régiment prussien donnée à Paskevitch, certainement sa cour n’a pas pensé à cette galanterie là. & elle ira droit au cœur de mon Empereur. L'Empereur d’Autriche a une érysipèle au pied, mais on croit cependant qu'il pourra aller à Varsovie. Nous avons trouvé M. Molé fort peu au courant, il ne nous a rien donné et nous lui avons beaucoup appris. La visite & la rencontre à Ferrières l'ont consterné. Vous l'avez un peu guéri de ses méfiances, il les a reprises toutes. Il m’a questionné sur votre billet à Morny. Je lui ai montré ce que vous m'en dites. Cela l’a parfaitement défié & pacifié.
J’ai oublié de vous dire hier que M. de Montalembert est allé à Rome hier même, il avait passé la matinée. La veille chez le général Lahitte. Je ne sais si c’est en mission, Lahitte un mot disant son voyage ne m’a pas laissé cette impression.
Vous ai-je dit que dans une longue conversation que M. de Heckern a eu avec le roi de Prusse celui-ci lui a dit ces trois choses. Le Prince Schwarzenberg ne connait pas l’Allemagne moi je la connais. La Hesse, voyez-vous, c’est mon nombril. Je ne souffrirai pas qu'on marche dessus. Et sur l'observation de Heckern vous aviez avec vous la Révolution. Bah, il n’y a plus d'électricité. La révolution est finie. Quand je dis que Molé en n'a rien appris. J'oublie Salvandy qui venait de le quitter revenant tout frais d’Allemagne. Dans le ravissement de Frohsdorff, la comtesse de Chambord est même belle, on a menti en disant qu’elle ne l’était pas. Ils étaient à déjeuner lorsque les journaux arrivent avec la circulaire. Le Prince abasourdi. Le duc de Lévis [Ditto] & tous deux prévoyant le parti qu’on en tirerait, & se perdant en conjectures pour deviner comment & qui. Molé crois d’après ce qui lui est revenu que c’est M. de Saint Priest accouchant de cela à Paris. La Comtesse de Chambord questionnant sur le comte de Paris, parlant de ceci avec attendrissement, & attendrissant Salvandy. Il a mandé tout cela à Clarmont.
Antonini est revenu hier de Bruxelles. Je l’ai vu le soir. Il a longtemps causé avec la reine. [Charmante], forte, droite, en train, parlant de tout, de bêtises mêmes dit Antonini, aussi une querelle d’un petit consul Napolitain. Le Roi lui a demandé de rester, ou de revenir, elle a dit qu'il fallait que les ministres le lui demandassent, ils l'ont fait, elle a promis de revenir. Le Prince de Joinville courbé, charnu, un homme de 55 ans. Le duc d'Aumale boitant, le duc de Nemours brillant. Le ménage Cobourg allant mal . Le Prince est retourné en Allemagne. La Princesse Clémentine partie avec la reine. Le roi Léopold très impopulaire. Et le sentant. Il a besoin de la reine Amélie pour le soutenir dans son pays ! Je vous ai tout dit & Je suis fatiguée. Il fait bien froid. Adieu. Adieu.
Encore un mot. Au moment de la mort Léopold a dit : " On a beau être incrédule à cette religion là, quand on voit mourir comme cela, on est ébranlé. " Vilain propos d'un lâche, et d'un courtisan, que n’allait-il à la messe après ? Molé ne croit pas au renvoi des ministres de la guerre, quoique cela lui ait été promis à lui même.
Broglie, Mardi 22 octobre 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
C'est charmant. Il est sept heures et demi ; je me lève et on m’apporte votre lettre. La poste vient ici deux heures plutôt que chez moi. Le château est à cinq minutes du point où elle arrive, et moi à trois lieues.
Merci de vos nouvelles d'Allemagne. Elles me plaisent pour elles-mêmes, et parce qu’elles s'accordent avec mes pronostics. C'est encore un plaisir d'avoir raison quand on ne peut plus soi-même faire gagner à la raison son procès. Sans y prendre grand peine, vous jouez là un grand et bon rôle, le rôle de médiateur-modérateur. Il n'est pas mauvais que Bregenz ait procédé Varsovie. Maintenant que deviendra Radowitz ?
Votre demi-civilisation du Général Kisselef m'a amusée. Soyez sûre qu’il n’a pas voulu se compromettre dans votre salon. Changarnier un militaire ne compromet jamais. Que faire avec les hommes politiques ? Être insignifiant ou significatif ? L’un ne se peut pas, et l'autre ne me plaît pas. Un amour propre timide et une prudence de luxe, c’est un caractère de la demi-civilisation. Chez vous, la veille de mon départ, Kisseleff le frère, m'a dit, un peu vite et un peu bas, combien son frère regrettait de ne m'avoir pas vu. Il voulait me l'avoir dit, et il n'était pas sûr que je le crusse. J'ai répondu pas un regret franc et un compliment pour son frère inconnu. Je ne trouve ici que la famille.
Le duc de Broglie très triste et despending. Ne prévoyant rien, et ne croyant rien possible. La prolongation de l'état actuel, peut-être avec la même constitution, peut-être avec une autre constitution, peut-être avec le même Président, peut-être avec un autre président. Regardant la question d'argent pour l’Elysée comme la question critique. On ne donnera plus d'argent. Assez inquiet de la proposition Créton, convaincu que si les Montagnards veulent, elle passera ; mais doutant que les Montagnards veuillent. Il croit un peu à l'ajournement de la pro position. Il ira à Claremont dans les premiers jours de Novembre. Son fils et sa belle-fille ne veulent revenir à Paris que vers la fin de Décembre.
Il y avait 25 personnes hier à mon déjeuner de Lisieux. A peu près tous les gros bonnets de la ville. Trois quarts anciens conservateurs ; un quart légitimistes et ancienne opposition. Assez bon échantillon de l'état du pays et des esprits. La prolongation des pouvoirs eût largement passé là, mais purement comme une nécessité et sans confiance. Ce gouvernement-ci perd à durer. La fusion impopulaire et regrettée, impossible et probable. Toutes les idées et tous les désirs, dans une confusion et une obscurité provenant, un peu de défaut d’esprit et un peu de peur. On n’y verrait pas clair quand on y regarderait de tous ses yeux ; mais on ne se soucie pas d'y bien regarder. On fait ses affaires privées et on voudrait bien qu’il n’y eût plus d'affaires publiques. Adieu, Adieu.
Je jouis de ce beau temps pour vous autant que pour moi. Le ciel est aujourd’hui parfaitement pur. Je suppose qu'après le déjeuner nous ferons quelque grande promenade ! Adieu. G.
Paris, Mercredi 23 octobre 1850, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je ne sais rien hors le fait du général [Schrans], ministre de la guerre raconté partout. Le monde hier & aujourd’hui. par le journal des Débats. Mad. de Contades qui venait de dîner chez le Président avec tous les ministres, n’en savait pas un mot hier soir et doutait ou faisait semblant de douter. Ce dîner était donné en l'honneur de la Toison d'or. Il y avait l’Espagnol & le Turc, je ne sais ce que le Turc avait à faire là-dedans.
[Stokhamm] est arrivé hier de Hanovre, il est venu chez moi de suite. Son roi accablé. Il ne trouve par un ministre qui se charge de ses affaires. Tous veulent aller plus loin même que M. Steeve. Le Hanovre est très exposé. Il serait envahi de suite par la Prusse ; il n'y a pas moyen. Ce qu’on peut faire de plus hardi est de rester neutre. Hubner hier soir inquiet. Si mon empereur ne se décide pas, dieu sait où l'on va. Et l’on craint les affections de famille. L'Autriche est tellement engagée que la guerre est inévitable si la Prusse ne recule pas, et si nous ne parlons pas très haut et très ferme, elle ne reculera pas. Il est impossible que tout cela ne soit pas tranché d’ici à 10 ou 12 jours au plus.
Il y avait un dîner hier chez Thiers pour Changarnier, Grasalcoviz & Kisseleff. Lady Jersey a été retenu à Hanovre elle n'arrive qu'à la fin de la semaine. Je crois qu'il y a quelque désaccord entre cette lettre et les précédentes où je vous disais que la Prusse reculait. Elle a reculé quant à l’Union. Erfert est fini. Mais il faut qu’elle reconnaisse la Diète, voilà l’ultimatum de l'Autriche, et la Prusse s'y refuse. Elle veut son indépendance. La Hesse est le symptôme. C’est la diète qui y entrera. Et c’est dans cette qualité que la Prusse conteste ce droit d’y entrer. Adieu. Adieu.
Broglie, Mercredi 23 octobre 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
Votre lettre est très intéressante. J'en ai amusé mon hôte. Il aurait besoin d'être amusé souvent. L’atmosphère qui l'entoure agit beaucoup sur lui. Je suis très aise d’être venu. Le fond est excellent. Il ne s’agit que d’aider un peu le fond à monter sur l’eau. Il est toujours très noir et ne peut pas se persuader que rien de ce qui serait bon, soit possible. Très sensé du reste, et très spirituel sur la conduite à tenir dans le présent. Quand il a le temps de méditer sur les choses, c'est un esprit plein d'invention. Et un cœur toujours très noble. Je n'en connais point qui se soulève avec un dégoût plus fier devant tout ce qui est grossier et bas.
J’ai une lettre du Roi Léopold. Très amicale pour moi, et puis ceci : " Vous avez eu bien des occasions de juger, et apprécier la Reine Louise ; c'était une nature angélique, comme l'on n'en rencontre que bien rarement sur la terre ; et elle était une amie aussi affectueuse et dévouée qu’elle était distinguée comme intelligence et comme possédant un jugement des plus remarquables. Hélas, cet être si bon, si noble, et si distingué, si utile plus, nous est ravi, et mon home se trouve cruellement détruit. J’ai eu à subir de bien cruelles épreuves dans ma vie ; j'espérais que, vers son déclin, je n'aurais pas eu à déplorer la perte d’une amie de tant d'années plus jeune que moi. C'est encore une victime de Février. Ces épreuves sont trop rudes pour des âmes d’une véritable sensibilité. " C'est plus convenable que chaud. Et son dernier mot en parlant de sa femme, si utile en plus ; et en parlant de lui-même, des âmes d’une véritable sensibilité. On a bien raison de ne pas chercher à se montrer autre qu’on n'est. Les plus habiles n'y réussissent pas.
Salvandy est amusant. Il fera bien de rendre ses courses utiles. Il faut que son Wiesbaden serve à quelque chose, car on a dans le parti conservateur bien de la peine à le lui pardonner. Et à vrai dire on ne le lui pardonne pas. Je suis frappé de ce que j’entends dire à cet égard par des gens d'ailleurs fort sensés et point hostiles à la fusion. Du reste, dans tous les partis, et dans toutes les affaires il faut quelqu'un pour faire ces choses là, quelqu'un qui ne craigne ni la fatigue, ni le ridicule. Il a certainement, après tout, de l’esprit du courage, et beaucoup de sens en gros avec point du tout de tact et de mesure en détail. J'attends la dernière nouvelle de la reculade de la Prusse. Comme du renvoi de d’Hautpoul. Je tiens les deux faits pour assurés.
Lisez-vous attentivement dans le Galignani ce qui regarde Lord Stanley et sa manœuvre du moment pour rétrécir le fossé entre les Protectionists et les Free-Traders ? Cela en vaut la peine. Il essaie de prendre envers la réforme commerciale, la même position que prit Peel, en 1832, envers la réforme parle mentaire. Je souhaite fort qu’il y réussisse aussi bien. La reconstitution, en Angleterre d'un parti conservateur intelligent me paraît ce que nous avons de plus important à souhaiter aujourd'hui ; hors de chez nous s’entend. Adieu, adieu.
Ici aussi il fait froid. Et on ne se chauffe bien qu'à Paris. J’y serai d’aujourd'hui en huit jours. Adieu. G.
Paris, Jeudi 24 octobre 1850, Dorothée de Lieven à François Guizot
J'ai eu hier la visite de Morny. Il était à peine là que Salvandy arrive. Petit événement. Je l'ai bien fait parler sur l’Allemagne. Il a dit des choses fort sensées, et sur la guerre possible. & sur l'attitude qui convient aux intérêts de la France. Ces deux choses 1° la guerre, c'est la Prusse à la tête de la révolution. 2° si la France s'engageait la dedans ce serait, outre la Révolution ranimée chez elle est partout, l’impossibilité d’y trouver son profit, car on ne pourrait pas prendre les provinces rhénanes à son allier. Nouveau point de vue que j’ai vu plus tard être la préoccupation de Morny. Frohsdorff n’a pas été nommé. Au bout de 3/4 d’heures Salvandy est parti, m'annonçant qu'il allait à la campagne pour n'en revenir que dans 6 semaines. Le tête-à-tête avec Morny a commencé par vous. Il m'a beaucoup prié de vous dire combien il avait été contrarié des articles dans les journaux à propos de votre billet à lui. Voici le fait. Il l’a montré au président qui en a été charmé, enchanté & qui la gardé. Il l’a montré à M. Fould, à M. Barache ce n’est pas la faute de Morny, & voilà. Il m'a fait des reproches au Président, et désire beaucoup que je vous fasse cette explication. Un peu en critique de ce que pour se débarrasser de M. d'Hautpoul, on ôte au Général Charron un commandement dont il s’acquittait fort bien, voyant là une injustice. Un peu en critique aussi du général Changarnier qui avait défendu les cris à la garnison de Paris, qui tient chez lui à son déjeuner des propos désobligeants pour le Président enfin pas amoureux de Changarnier quoiqu’il lui rende justice.
Il y aura un message. Il est fait je crois. Un compte- rendu de chaque ministère pas autre chose. Le Président très occupé de l’Allemagne. Voyant bien les difficultés, celles que j'ai citées plus haut. Cependant pas possible de rester les bras croisés si la Russie s'en mêle. L'opinion se soulèverait. Ergo, si la guerre s'engage, si nous sommes du côté de l'Autriche la France passe à la Prusse. C’est inévitable. Le soir Viel Castel, croyant qu'on négocie sous main, tout en poussant viennent les préparatifs de la guerre. La Prusse après avoir abandonné Erfurt, abandonne aussi le collège de Princes. Mais tout se décidera à Varsovie et c'est là où le prince fait agir tous les ressorts. Nous avons pour elle des faiblesses, témoin le Danemark. (cela, il a raison.) Molke qui était chez moi aussi est révolté de l’abandon des grandes puissances, des nôtres surtout. Viel Castel dit que 10 jours ne peuvent pas se passer sans un dénouement. Le 17 a été magnifique à Varsovie. La cour & l’armée étonnées de ne pas entendre parler d'Autriche ce jour-là. Le duc de Wellington même a écrit au Maréchal une lettre de félicitation. L’Empereur a défilé devant lui à la tête de l’armée russe & du détachement prussien, rendant les hommes au Maréchal, les jeunes grands ducs lui ont présenté solennellement un bâton de Maréchal en diamants donné par l'Empereur. Je suis bien curieuse de ce qui va arriver. Viel-Castel dit que Palmerston est engourdi, on ne parvient pas à arracher une réponse à propos du Danemark. Me voilà fatiguée. Adieu.
Je reviens à Morny très très occupé de reprendre le Rhin. Le Président donne aujourd’hui la barrette aux cardinaux & un grand . dîner après. Adieu. Adieu.
Broglie, Jeudi 24 octobre 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
Me voilà tranquille sur le Ministre de la guerre. Schramm est un bon choix. Bon pour Changarnier, et bon pour le président. Il est laborieux, assez capable, obéi des subalternes, et étranger, je crois, aux grandes prétentions, et aux petites tracasseries. Nous avons deux fois failli le prendre. Mais le Roi ne l'aimait pas. Ceci apaisera fort les débuts de la session. Le duc de Broglie, en est convaincu. Il restera encore assez de sujets de querelle.
L’Autriche et la Prusse s’arrangeront comme le Président et le Général Changarnier. Elles ne peuvent pas plus se faire la guerre, à moins d'être folles, et elles ne sont pas Folles. Il faut que l’Autriche gagne le gros de la bataille, la bataille de l’unité allemande. Le Parlement d'Enfurt mourant et la Prusse rentrant dans la diète de Francfort, c’est la grosse bataille gagnée pour l’Autriche. L'affaire de Hesse est l’escarmouche, la rencontre par occasion. Là, il faut donner à la Prusse quelque satisfaction une couverture pour sa retraite. On la trouvera à Varsovie d’ici, il me semble qu’elle peut se trouver aisément. Il suffit de donner, un peu sur les doigts au grand Duc et de le contraindre à s’arranger avec ses sujets qui après tout, ne se sont point soulevés. On peut faire quelque chose pour eux sans céder à l’insurrection. Tout n'est-il pas bien réglé ?
Je pars dans deux heures. Je suis fort aise d'être venu. Il y a deux mérites qui surnagent toujours et surmontent tout le reste, d'être homme d’esprit et honnête homme. Là où ces deux mérites se rencontrent, il est bien rare qu’il my ait pas moyen de s’entendre et rien de bon à faire.
Je ne vois rien de plus dans les journaux. Mais Schramm est assez pour un jour. Il neige ici. Ce matin, quand j'ai ouvert mes volets tout était blanc. Adieu Adieu.
J’aurais tant aimé que Lady Jersey fût partie avant mon arrivée. Adieu. G.
Paris, Vendredi 25 octobre 1850, Dorothée de Lieven à François Guizot
La destitution de d'Hautpoul a été difficile à obtenir. Les ministres l'ont tous voulu. Thiers y a travaillé aussi, mais jusqu’à la dernière heure on n'était pas sûr de l’obtenir. Enfin cela s'est fait & on a exigé sa démission. Elle a pour effet immédiat d'abaisser la situation du Président. Je consulte tout le monde, & tout le monde me dit la même chose. On renvoie le Ministre qui a fait crier vive l’Empereur. D’un autre côté je ne trouve pas à Changarnier mais de triomphe, il était ici hier soir, moi je puis me tromper, mais d’autres qui l’ont rencontré autre part disent la même chose. chose. Ste Aulaire prétend savoir qu'il y avait eu quelque engagement de pris qui diminue la valeur de cette victoire. Je ne sais. Changarnier était bien vif hier sur la guerre. Il dit qu'il faut faire tout au monde pour l'empêcher, Dieu sait où elle mènerait. Molé m'écrit ce matin sur le même ton avec une véritable terreur des conséquences Rothschild affirme qu’elle n'éclatera pas. Mais c’est son métier de dire cela.
Les propos en Autriche sont violents, ceux de Radoviz on dit aussi never mind, je crois comme vous. On disait hier qui M. d’Hautpoul & le général Bourgealy devaient se battre, et je ne sais trop pourquoi. Changarnier & Rothschild sont venus hier & partis ensemble. Voilà que je reçois une lettre du petit cousin, repentante, tendre, mais ne touchant pas le sujet. Il est à Konsk, sorte d'exil forcé jusqu’au printemps. Il se résigne. L’Empereur vient de passer là, & l’a cependant, bien traité. Je crois un peu que je suis cause de la pénitence qu'on lui fait subir. On dit que Thiers est très vif contre vous à propos de votre lettre à Morny. M. G. va faire des avances au Président et voudra peut-être se faire son conseiller & &. On bavarde tant à droite et à gauche au sujet de cette lettre que vos amis en sont venus à regretter beaucoup que vous l’ayez écrite. Hier Marion a dîné chez Hubner à côté du général Changarnier. Dîner très gai dit-elle. Adieu. Adieu, quel vilain temps vous devez avoir froid chez vous. Revenez. Adieu. Adieu.
Val-Richer, Vendredi 25 octobre 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
J’ai trouvé hier en arrivant, et je reçois ce matin une quantité d’épreuves à corriger. Monk, dont l’impression finit. Je veux que ce soit prêt à paraître à mon retour à Paris. De plus, je vais dans une heure, déjeuner à Lisieux. Préface pour dire que ma lettre sera courte. Je n'aime ni à écrire ni à recevoir des lettres courtes. Nous avons tant à nous dire et le temps s'en va si vite. Le courrier m'apporte une lettre de Morny qui m’écrit ce qu’il vous a dit. Il a senti la nécessité d’un peu d’excuse. Je m'attendais à ce qui est arrivé. Je n'en suis point dérangé ; mais je suis bien aise que l'abus soit constaté. Vous savez que je suis décidé à ne pas m'inquiéter des Affaires d'Allemagne.
Salvandy a parfaitement raison. Pour qu'une alliance avec la Prusse fût bonne à quelque chose à la France, il faudrait que la Prusse elle-même fût décidée à céder à la France les provinces du Rhin, en prenant à son tour en Allemagne son dédommagement. On n'en est pas là. Pour faire quelque chose aujourd’hui, il faudrait faire de grandes choses. On ne fera rien.
Je crois un peu à l'engourdissement de Lord Palmerston.Sa dernière lutte l’a laissé atteint. Il n'y a pas à s'y fier. Il est hardi et étourdi. Mais certainement il a envie de se reposer. Je me sais s’il y a quelque chose dans les journaux. Je n'ai pas le temps de les lire avant de partir pour Lisieux. Je crois que le Pape s’est trop pressé de faire un archevêque de Westminster. Il n’est pas assez bien assis chez lui pour s'attirer une forte bouffée de colère populaire anglaise. Palmerston en pourrait tirer grand parti. Je suis frappé de la décadence de l’esprit ecclésiastique Romain. Plus de foi fanatique et plus d'habileté politique ; c’est bien dangereux. On prétend pourtant que le Cardinal Antonelli est un homme d’esprit. Il n’y paraît pas. Adieu, adieu.
J’aurai, d’ici à mardi, je ne sais combien de petites affaires. La mort de mon pauvre juge de Lisieux m'oblige à me mêler de toutes. Adieu. G.
Paris, Samedi 26 octobre 1850, Dorothée de Lieven à François Guizot
Grande rumeur des nouvelles de Londres. Évidemment le Times radote. La [Siléni], les provinces rhénanes, mais c'est absurde. Cependant j'ai été assez frappée du langage du général Lahitte hier soir. Il m’a dit que le gouvernement Anglais n’avait pas accepté ses propositions et voulait négocier encore. Il a ajouté : je ne me repens pas, j'ai agi selon ma conscience. Quelle était la proposition ? Voilà ce que je ne sais pas encore. Le refrain de tout le monde est Varsovie va décider. ce qui est sûr c’est que sous très peu de jours c'est la paix ou la guerre. J’ai eu énormément de monde chez moi hier matin. Mad. Rothschild, les dames Delessert. lady Waldegrave & son mari [?] Lady Normanby. Le duc de Noailles Montebello, Kisseleff, d’autres plus insignifiants, [?] m'a apporté une lettre. du roi. Le soir Lahitte, Fould des dames, inutiles, & Fould très content et en train. Faisant beaucoup sonner la découverte d’une vaste conspiration abominable Couper des têtes & le reste. Le chef a été saisi à Lyon et tout le plan avec. Lady Jersey est arrivée, je vais la voir. Le duc de Noailles était très chagrin de votre lettre à Morny. D’autres le sont aussi. Je dis comme vous ; c’est fait. Tout en pensant cependant un peu qu’il est peut-être mieux rallié que ce ne fut pas fait.
Mais je leur ai lu ce que vous m'en dites, qui tranquillise mais ne supprime pas le regret. Montebello est bien content de sa province. On y est très sensé. Il en revient, & reste ici for good. [Bourgeoly] a été mis aux arrêts & le général d'Hautpoul part ce matin pour Alger. Adieu. Adieu.
Val-Richer, Samedi 26 octobre 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
Il gèle très fort comme si j’avais besoin de cela pour être bien aise de retourner vous voir.
J’ai déjeuné hier à Lisieux avec 25 personnes, toujours à peu près les mêmes. La nomination du général Schramm, c’est-à-dire la retraite du Le général d’Hautpoul était bien accueilli. Il n’y a que deux opinions sérieuses ; celle des gens qui ne veulent que l’ordre, et point de mouvement, et celle des gens qui voudraient bien un bon mouvement, mais qui ne voyant rien de prêt, ni de probable veulent ajourner le mouvement et avoir au moins l’ordre. Pour ces deux opinions, qui sont toute la force du gouvernement d'accord de l'assemblée et du président est tout. On le croit rétabli pour trois mois, et on est content. Comme on peut l'être ; car le mécontentement est toujours le fond. Singulier contraste ! Ce pays-ci est plein d'intelligence et de bon sens comme spectateur ; point du tout comme acteur.
Un de mes meilleurs amis, le baron de Daunant, de qui en a inséré, il y a quelque temps dans les Débats, ce qui a été dit de mieux sur le Roi Louis Philippe, m'écrit de Nîmes : " Je n'ai qu’un regret amer, ce sont les 24 dernières heures de ce beau règne. Mais il s’était formé à Paris et dans les environs une atmosphère qui dénaturait tous les objet, si on avait pu voir à 30 lieues au delà, ils auraient paru sous leur vrai jour. Ce n’est, je l'avoue, qu'avec une sorte d'indignation que j'ai lu dans des articles ou des brochures écrits par des conservateurs, que l'abdication était, au 24 février, la seule voie possible ; ce qui veut dire qu’il n’y avait autre chose à faire qu'à consommer la ruine et le déshonneur du trône et du pays. Ceux qui écrivent de pareilles choses les avaient à coup sûr, conseillées. Mais, même en ce cas, ils feraient beaucoup mieux de se taire ; car quel est l'homme de bon sens qui travaillerait à la restauration d’un gouvernement décidé à se retirer devant une émeute de coupe-jarrets, mal combattue, et fût-elle même accueillie, par la partie la plus stupide de la popu lation parisienne ? "
Ce qu'on me disait hier à déjeuner, et ce que m’écrit M. de Daunant, tenez pour certain que c'est, sur le présent, et sur le passé, la sentiment général des honnêtes gens.
10 heures
Je reviens mercredi. C'est-à-dire que je pars mardi soir, et que je serai Mercredi chez vous, avant une heure. Mes amis ont tort de regretter mon billet à Morny. Je ne le regrette pas du tout. Je n’ai pas la prétention que mes paroles ou mes démarches ne fassent pas crier, ni même qu'elles n'aient aucun inconvénient. Ce que je veux, et ce qui suffit, c’est qu'elles aient plus d'avantages que d'inconvénients, et qu'elles fassent faire un pas vers le but. Plus mon but est avoué et public, et il le sera de plus en plus, plus il m'importe qu'on ne se méprenne pas sur mon sentiment et mon attitude du moment, et que je sois, pour la sentiment et cette attitude, en accord avec le gros bon sens du grand public, qui est celui qui agit en définitive et sur lequel il faut être en mesure d'agir ; ce qu'on ne peut pas faire au moment décisif si l'on n’a pas, d'avance et le long du chemin, gagné sa confiance en lui persuadant bien qu’on a autant de bon sens, en ayant plus de prévoyance que lui. Je vous en dirai plus long à ce sujet, quoi qu'en voilà déjà assez long.
Je ne m'étonne pas que Thiers m'attaque à cette occasion. Il n'en manquera pas une bonne ou mauvaise. Les bonnes, par espérance d'en profiter ; les mauvaises, par humeur. Adieu, Adieu.
Bientôt nous causerons au lieu d'écrire. Adieu. G.
Paris, Dimanche 27 octobre 1850, Dorothée de Lieven à François Guizot
J'ai négligé de vous dire, qu'on dit qu'à Frohsdorff outre le service funèbre, & le deuil pris en apprenant la mort de la reine des Belges on a encore et de nouveau chargé Salvandy de porter à Clarmont le message de sympathie & de condoléance, & que Salvandy au lieu de s’en acquitter en personne a écrit à Clarmont les paroles mêmes du comte de Chambord. Les nouvelles d’Allemagne sont très contradictoires, cependant vous allez être bien étonné si je vous dis qu’on croit que c'est l’Autriche qui reculera. Voici : les Prussiens entreront ou traverseront en vertu du traité avec la Hesse. Les Bavarois qui doivent y être entrés déjà, se replieront aussitôt l'entrée des Prussiens, en protestant, & resteront l’arme au bras à la frontière. Comprenez moi, je ne comprends pas. On annonce toujours que l’Empereur & [Schwarzemberg] vont à Varsovie mais ils n’y sont pas. Hier Hubner avait l’air de trouver que c'est mon Empereur qui doit une visite au sien. Tout cela est drôle.
J'ai été hier soir chez les Normanby. Lahitte ne savait rien, Viel-Castel que j’avais laissé chez moi n’en savait pas davantage. Chaque heure peut porter une nouvelle curieuse. On soupçonne lord Palmerston de vouloir faire une malice à la France & à la Russie en laissant croire sur leur compte les bêtises qu’a dit le Times et qui ne dément pas absolument le Globe. Je crois qu’en réalité on voulait ici une démarche collective conservatoire & menaçante & que l'Angleterre a été d'avis de notes simultanées. Lady Jersey part Jeudi. Voulez-vous dîner avec elle ici Mercredi ? J’aurai Sainte-Aulaire, Montebello, quelques diplomates, Viel Castel. Si vous disiez non, il faut me le dire, afin que j’ai le temps de vous remplacer mais dites oui. Demain je lui donne à dîner aussi. Adieu. Adieu.
Je serai charmée de voir finir ces adieux là.
Val-Richer, Dimanche 27 octobre 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
Duchâtel m’écrit : " La prolongation des pouvoirs du Président me paraît la solution naturelle et à peu près inévitable ; on pourrait même dire la solution nécessaire si l’imprévu ne tenait pas aujourd'hui une si grande place dans nos affaires. La fusion des partis, qui était la seule ressource, a reculé plutôt qu’elle n’a avancé. L’effet de la circulaire légitimiste ne peut être réparé que par le temps, et par beaucoup de temps. Les fautes de tous les partis profitent au président en sa qualité de pouvoir établir, et il n'est pas assez solidement établi pour que ses propres fautes lui nuisent. Le pays veut la tranquillité et il n’est difficile ni sur les conditions, ni sur la qualité. La mauvaise marchandise, le satisfait autant que la bonne ; et en vérité, il n'a le droit ni d'être fier, ni d'être exigeant. "
Aux deux bouts de la France, les hommes sensés observent le même état des esprits et ont la même impression. Les Normands et les Gascons se ressemblent peu ; et pourtant leur politique est la même. Duchâtel me dit qu'il ne compte pas revenir à Paris avant le mois de décembre. Il paraît qu'il prend plaisir à l'agriculture.
10 heures
Malgré le Times et les Débats, je ne crois pas une telle folie. Ce serait mettre le feu au monde pour éteindre un fagot qui brûle dans un coin. Vous en Silésie et nous dans les provinces du Rhin ! Quand en sortirons-nous, nous y entrons ? Je ne vois là qu’un fait certain ; c’est que nous sommes tous décidés à faire finir l'affaire du Danemark. Nous avons raison et l'affaire finira sans un gros effort. Dans ceci comme dans tout, la Prusse fait plus de bruit qu'elle ne veut et ne peut faire d'effet. Politique toute d'étalage et de ruse. D'étalage par complaisance pour l’esprit révolutionnaire dont elle a peur et dont elle voudrait se servir. De ruse, parce qu’elle se dit : " Essayons toujours ; que sait-on ? Nous finirons peut- être par y gagner quelque chose le jour où la France, l'Angleterre et la Russie voudront dire sérieusement : " Finissez. " On finira. Je suis convaincu qu'on dira cela de Varsovie. Le régiment du Maréchal Paskuditch n’y fera [?]
Votre Empereur sait mieux que moi, ce qui lui convient. Mais je trouve ses démonstrations en l’honneur du Maréchal énormes. Cela semble indiquer, ou une importance du maréchal ou une pression de l'opinion publique Russe que je ne supposais pas.
Soyez sûre que le duc de Noailles a tort, lui spécialement de tant regretter ma lettre à Morny. Je serais bien étonné si, quand nous en aurons causé, il n’était pas tout à fait de mon avis. Je n’y ai pas mis tant de préméditation, et je fais mon système après coup, mais plus j'y pense, plus je crois le système bon. Il ne fait que confirmer mon instinct.
Si j'étais là, je vous lirais l'oraison funèbre de la Reine des Belges que le père Dechamps vient de prononcer à Bruxelles. Vraiment bon et beau morceau. Senti et sensé de la lumière religieuse et de l'intelligence humaine Tout ce qui se passe là fait honneur aux acteurs, et aux spectateurs. Adieu. Adieu.
Je vous écrirai encore demain. Et vous aussi à moi. Puis plus de lettres pour longtemps. Adieu. G.
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