Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Trouville. Mardi 20 Août 1850

J'ai bien des lettres d'Angleterre. Je commence par la plus intéressante. Lord Aberdeen m'écrit de Haddo. "I have still no distinct view of the manner in which parties will be permanently affected by this deplorable loss. With more friendly personal feelings towards each other. I see no rent approxi mation in the different sections of the conservative body. Many look to me as the means of effecting this union, from my good with towards all and the absence of any extreme opinions on those subjects, by which they are divided. But the difficulty would be enormous, and probably insur. mountable. I must confess also that, although by no means insensible to the blessedness of hte peace makers, I feel no great disposition for a work requiring so much exertion and the result of which is so doubtful."
Ne trouvez-vous pas qu’il ne nous en a jamais tant dit sur son rôle possible, ni si clairement fait entrevoir sa disposition à l'accepter ? Il continue : " you will have seen, if you follow the proceedings of the house of Commons that our Ministers have recently been roughly handled both by friends anr enemies. Indeed, their position is pitiable enough ; and in spite of the difficulty of finding any one to replace them, it seems to be generally thought that their existence cannot be much prolonged. At any other time, they could not have stood for an hour ; but under present circumstances, I will not undertake to say what may be their fate."
" We shall have the Queen in Scotland the end of this month ; and I believe her stay will be longer than usual. She will be accompanied by Sir George Grey, who is deservedly the most agreeable to her of all her servants : but I suppose that he will be relieved in good time by Lord John. "
Voici un autre son d’une autre cloche. Mr Reeve a passé à Paris allant en Suisse ; il a déposé chez moi ce qu’il m’apportait et il m'a écrit : " Je n’ai qu'une chose à vous dire de quelque importance ; c’est que tout indique un changement sérieux et radical dans la conduite politique de Lord Palmerston. Il a rompu avec la Prusse et dit pis que pendre de Bunsen, et il a donné en haut lieu les assurances les plus formelles d'une modification sérieuse. Il n’y attache pas une foi sans bornes ; mais il faut accepter avec empressement toute velléité de mieux faire. " Ceci signifie à mon avis, qu'on est bien aise de nous faire parvenir à vous et à moi, cette déclaration, pour nous amadouer un peu. Et Charles Greville est, vous le savez, un truchement universel. Reeve me dit qu’il viendra me voir au Val Richer, en revenant de Suisse.
Mad. Austin me reparle encore de la " foreign conspiracy et elle ajoute : " I believe with some I figure as a very humble link in the chain." Paris commence à s'émouvoir assez du voyage du Président. Le succès de Lyon surtout, le Roi de Piémont envoyant son Ministre de la guerre pour le complimenter, fait de l'effet. Un connaisseur m’écrit : “ C’est tant pis pour le Roi de Piémont ; mais qu’en dira-t-on à St Léonard et à Claremont ? Quel malheur qu’on n'y comprenne pas que les masses prendront nécessairement le chemin à gauche si on leur barre le chemin à droite ! Les nôtres donneront le signal. "

Midi
Votre rhumatisme me déplaît. L’Allemagne n’est pas une atmosphère bonne pour guérir des rhumatismes. Vous avez toute raison de ne pas aller à Wiesbaden. Ne pas éviter ce qui vient vous chercher et n'aller rien chercher, c'est le bon sens comme le bon goût. Ce qui se passe là pourra bien faire naître à Paris quelques embarras. Soyez-y tout-à-fait étrangère. Du reste, je crois comme vous que la République sera bonne fille. On m'envoie un journal de la fusion, du dimanche, le Henri IV, infiniment plus bête. que n'était le Napoléon. Adieu, adieu, adieu. Plus de rhumatisme et des bains chauds. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Trouville, Mercredi 21 août 1850

Je me suis longtemps promené hier seul une ou deux lieues le long de la plage. En revenant, j’ai fait visite au Chancelier, à notre ami Olliffe et à Charles Laffitte. Le Chancelier et Mad. de Boigne, sont aux petits soins pour moi. Il est bien aisé de reprendre possession des gens. Il est vrai qu'on les reperd aussi aisément. Plus on avance dans la vie, plus le fossé devient profond entre les relations ordinaires et les vrais liens.
Ollife vient de faire bâtir ici pour lui-même une bonne et jolie maison absurde au dehors, gothique, mauresque, italienne mais très commode et bien arrangée au dedans et très bien meublée. Il est tout à fait riche, bien établi, content, et toujours très reconnaissant pour moi qui lui ai fait faire les premiers pas dans sa fortune.
Charles Laffitte est décidément légitimiste. Cela seulement est une fin ; mais tant que les légitimistes mèneront aux-mêmes leur barque, ils n'aborderont pas. Le Président leur doit une belle chandelle. Ils lui donnent les trois quarts des Orléanistes.
Voilà ce que j’ai appris dans mes visites. Aujourd'hui je vais dîner à la campagne, prés de Honfleur chez Mad. Denoix, femme de notre consul général à Milan, grande ancienne armée du chancelier. Elle habite un cottage dans un site qu’on dit le plus beau du pays.
Pauline avec son mari, et Guillaume, part samedi pour l’Angleterre, et je retourne mardi prochain au Val Richer, avec Henriette. Il fait froid à Trouville, décidément le mois d’Août a été laid. Mes huit jours d'Ems sont le seul beau temps de l'été.
Vous m'apprenez que la Princesse Crasalcovitch est méchante. Mais cela ne m'étonne pas. Cela va à son air et à ses gestes. Est-ce pour lui donner à dîner que Thiers est venu à Baden ? Le Chancelier est convaincu qu'il est venu pour Wiesbaden. Je le croirais si je n'étais pas sûr que j'ai été à Ems et que je n'ai pas vu M. le comte de Chambord. Je voudrais que le Chancelier eût raison.
Est-ce Crasalcovitch, comme je dis, ou Grassalcovitch comme vous dites ? Je soupçonne que chez ces peuples encore un peu barbares personne ne sait bien quel est vraiment son nom. Shakespeare signait trois ou quatre orthographes différentes. Adieu jusqu'à l'heure de la poste. Je vais faire ma toilette. J’ai vu hier des nouvelles de Claremont. Toujours mauvaises. Le Roi n'a plus de jambes du tout. Il ne peut se soutenir d'un fauteuil à l'autre, dans sa chambre.

Midi
Voici votre lettre. Très intéressante. Je souhaite de tout mon coeur que tout cela soit vrai. Le départ brusque de M. de La Rochejaquelein est un bon symptôme. Adieu, Adieu. Je vais lire le séjour du président à Besançon. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Trouville, Jeudi 22 août 1850

Vous rendez compte dans la perfection. Reste à mettre à sa juste valeur l'impression et le dire de vos deux interlocuteurs, vous feriez cela à merveille aussi. Si vous aviez vu vous-même. Pourvu que vous laissassiez aussi à votre propre impression le temps de s'apaiser et de le juger. En tout cas, ce que vous me redites est très curieux et très important. Et il y a au bout des paroles, un fait très significatif, l’attitude prise envers. M. de la Rochejaquelein. Le jour où les hommes sérieux et sensés dirigeront au lieu de suivre, le parti sera un parti politique. Cela lui a manqué jusqu'ici. Strasbourg et Wiesbaden, la rive gauche et la rive droite, étrange spectacle ! J'attends avec curiosité des détails sur le Président à Strasbourg. Je les aurai ce matin. Il ne me paraît pas que Besançon, ait été merveilleux. Je suis frappé de ce bal où le Président s’est vu obligé d'aller et dont il s’est hâté de sortir. M. de Montalembert devrait régner à Besançon.
J’ai fait hier ma course chez Mad. Denois par une tempête de pluie, en allant et une tempête de vent en revenant. Ce que c’est que d'avoir promis. Je ne puis souffrir de faire manquer ce que les gens ont pris peine à arranger. C’est un très joli cottage dans un joli pays un peu sauvage. De bons conforts et de beaux tableaux au au milieu des bois et au bord de la mer. J’ai assez conservé la faculté de prendre intérêt quand j'y suis, aux choses dont je ne me soucie pas du tout quand je n’y suis pas. Wiesbaden est très populaire dans cette maison-là. Ce qui n'empêche pas le Président d'y être populaire aussi. On voudrait bien l'avenir qui plaît mais à condition de ne rien risquer dans le présent.

Midi
Je ne m'étonne pas que Duchâtel n’eût rien à vous dire. Il paraît que Creuznach est un vrai trou. Thiers à Bade, Duchâtel à Creuznach pendant que le comte de Chambord est à Wiesbaden, et personne ne leur en demande raison. M. Royer Collard redirait bien encore : " pour M Guizot, on ne lui passe rien. " J’avais raison sur Besançon. Evidemment le Président n'y a pas été bien reçu, s’il ne l'est pas bien à Strasbourg, le voyage sera médiocre. On comptait beaucoup sur la Lorraine et la Champagne, Nancy, Metz, Châlon, Reims. Nous verrons. Ici c'est-à-dire à Cherbourg, il n’aura ni désagrément, ni grand agrément. On l’y attend le 4 ou le 6 septembre.
M. de Daunant m'écrit des Pyrénées où, il se promène depuis six semaines, qu’il n’y trouve pas l'ombre d'un rouge ou d’un socialiste. Rien d’ailleurs dans les journaux. Est-il vrai que Radowitz tombe tout-à-fait ? Adieu, Adieu.
Je voudrais, pour votre plaisir, que vous rencontrassiez votre grande Duchesse. Elle vous intéresserait quelques heures. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Trouville, vendredi 23 Août 1850

J’ai eu la visite d’un Mr Caulfield membre de la Chambre des Communes et Whig. Il se promet bien que le Cabinet ne tombera pas. Le temps est maintenant contre eux. Si on laisse du temps aux Peelistes et aux Protectionnistes, ils se réconcilieront. Il faut que Lord John fasse la dissolution lui-même, et qu’il se hâte. C'est ce qu’il fera. La Jew-question sera l'an prochain une grosse affaire, la question de cabinet, si la Chambre des Lords la repousse, comme on s’y attend, dissolution immédiate de la Chambre des Communes et appel au pays contre la bigotry des Lords who stop the way. Voilà le plan. Je ne sais s’il sera exécuté, mais je doute qu’il réussisse. Cependant je le comprends ; s’il doit tomber, Lord John veut tomber sur une question libérale, et avec tout son parti. Je ne sais pas ce que vaut le dire de M. Caulfield. Il a l'air intelligent, résolu et léger.
Les détails que vous me donnez sur le comte de Chambord ont fort intéressé le chancelier. Intéressé avec quelque méfiance. Evidemment il trouvait dans l’impression de vos deux visiteurs, excès d’enthousiasme et de satisfaction. Il m'est revenu hier que M. de la Rochejaquelein à Paris se disait fort content de son voyage, investi de la confiance du comte de Chambord et sûr que les affaires du parti seraient désormais conduites selon son sens. Il en est bien capable. On dit qu'il a un petit secrétaire radical qui exerce sur lui beaucoup d'influence et le tient en intimité avec la montagne et la quasi-montagne. Là est la plaie et le danger du parti légitimiste ; les conservateurs ont toujours sur le cœur cette intimité, qu’ils voient toujours continuant, ou près de recommencer.
Vous ne me dites encore rien de votre départ de Schlangenbad. Nous voilà au 23. Vous n’y voulez rester que quinze jours. Êtes-vous engraissée ?
Le beau temps revient ici, mais avec le froid. Il n'y a pas moyen cette année d'avoir le chaud, et le sec ensemble. Les blés souffrent : la récolte ne me vaudra pas ce qu’on en attendait. On commence à s'en aller de Trouville.

Midi
Je ne comprends pas que ma lettre vous ait manqué. Un jour, oui mais deux c’est absurde. Vous aurez eu deux lettres le lendemain. Vous avez raison de ne pas postillonner au gré des estafettes.
Votre grande Duchesse vous donnera surement rendez-vous à Biberich. Je suis curieux de votre visite à la Duchesse de Noailles. Il vient d’arriver ici ce matin quelques uns des légitimistes les plus vifs, peu amis de Berryer, en méfiance de Thiers. Ils me font demander à me voir. Je causerais avec eux. Colmar et Strasbourg n'ont pas été mieux que Besançon. Le bien et le mal sont très mêlés dans ce voyage, et le mal est bien vif. Je ne crois pas que le Président en revienne très confiant, ni qu'il en reçoive un grand élan vers les grandes aventures. Toutes les fois qu’on enfoncera un peu dans cette société et on sentira la nécessité de remettre ensemble toutes les forces d’en haut pour contenir le chaos d'en bas. Je rabache cela tout le jour à tout le monde. Cette vérité là est notre levier. Adieu, adieu.
Après Schlangenbad, quoi ? Probablement Paris. C’est encore là que vous aurez à la fois le plus de repos et le moins d'ennui. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23013_00319.jpg
Trouville, Samedi 24 Août 1850

Je trouve les animosités des légitimistes entre eux bien vives. Ceux qui sont ici sont bien amers contre Berryer, tout en parlant fort légèrement de M. de La Rochejaquelein. J’ai peur que les défauts du caractère national, qui nous ont déjà coûté si cher ne soient encore plus dominants dans les légitimistes que partout ailleurs.
On me parle beaucoup d'un abbé Trébuquet (je crois que c’est bien le nom) qui a été dans l’éducation de M. le comte de Chambord, et qui est resté auprès de lui. C'est, me dit-on, l'influence la plus intime, et un homme de peu d’intelligence politique, plus étranger même que le gros du parti au monde réel et actuel. Pouvez-vous faire quelques questions à son sujet ?
Nous n'avons plus à voir que la fin du voyage du président. On dit qu’elle sera meilleure que le milieu. Je doute qu’elle change l'impression générale déjà produite, et qui n'est certainement pas très encourageante. Les choses ont paru telles qu'elles sont en effet ; la démagogie violemment ennemie ; les autres classes bienveillantes froidement et précairement sans confiance ou uniquement par un calcul momentané, si je ne me trompe le président et l’Assemblée se retrouveront au mois de novembre, l'un et l'autre plutôt refroidis qu’échauffés et sentant qu’ils ont besoin l’un de l'autre. Ni l'un ni l'autre ne feront d'évènement. Dieu leur en enverra peut-être.

Midi
Pas de lettre ce matin. C’est très déplaisant. Elle viendra peut-être plus tard dans la journée. Cela arrive quelques fois.
Je ne vois dans mes journaux que le voyage du président ; toujours très mêlé ; même des projets d’assassinat. A Strasbourg plus de mauvais que de bon. Que pense-t-il à présent de son étoile ? Adieu, Adieu.
J’écris en Angleterre par ma fille qui part aujourd’hui, à M. Gladstone, à Marion & Adieu. Je voudrais bien avoir ma lettre. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Trouville, Samedi 24 août 1850
Quatre heures

J'ai votre lettre. Je suis moins étonné que vous de votre émotion. Vous pouvez passer très vite d’un accès d’indifférence à un accès d'attendrissement. Il y a bien des cordes à toucher en vous. M. le Comte de Chambord a touché, la bonne. Est-ce sa figure, son nom, sa situation, sa conversation ? Peu importe.
Le chancelier, vient de m’apporter le dire de M. Benoist d'Azy revenant de Wiesbaden. Il dit comme vous quoique moins ému. Très probablement vous avez raison, et j'en suis fort aise. Votre court récit me plaît beaucoup. Si Salvandy va là, il en dira plus long. Je crains un peu qu’on n'abuse du portrait. Cela inspire bientôt plus de méfiance que de sympathie aux gens qui ne voient pas l'original. Et M. le comte de Chambord ne peut pas faire à beaucoup de monde la visite qu’il vous à faite.
Les visages sont moins gais à Clarmont, car c'est encore à Claremont qu’ils sont. Le Roi va toujours s'affaiblissant. Madame la Duchesse d'Aumale vient d'accoucher à huit mois, d’un enfant mort, une petite fille si chétive et si mal constituée qu’elle n’eût probablement pas vécu. Le chagrin est peu de chose, mais le dérangement, est grand. On devait partir le surlendemain pour Richmond. Il faut attendre à l'extrême déplaisir du Roi qui a pris Claremont en dégoût. On y laisserait bien Mad la Duchesse d’Aumale qui va à merveille, et à qui Mad, la Princesse de Joinville tiendrait compagnie. Mais M. le duc de Nemours a des clous, mal placés et dont l’un ressemble un peu, dit-on, à un Anthrax, et pourra exiger une petite opération chirurgicale. Tout cela fait un intérieur triste et agité. Mad. la Duchesse d'Orléans est déjà établie dans la maison qu’elle a louée à Richmond, près du Star and Garter. J’entrevois dans ce qu'on me dit que le médecin n’est pas très pressé de transporter le Roi à Richmond, qu'il le trouve bien faible et qu’il trouve Claremont un lieu plus convenable pour un tel malade, si malade.
Je ne sais rien du tout de la lettre que les journaux attribuent à M. le Prince de Joinville. Mad. Mollien est à Claremont. Chomet est allé voir la Reine des Belges et ne trouve rien d'inquiétant dans son état. C’est du moins ce qu’on dit de son dire.

Dimanche, 8 heures
J’ai eu hier successivement la visite de trois conseillers à la cour jadis royale de Caen. Hommes assez considérables par leur fortune, et leur fonction. Deux conservateurs, et un légitimiste. Bons échantillons de la bonne opinion. Fusionnistes, tous trois, disant tous trois exactement les mêmes choses, mais vaguement et froidement avec peu d'espérance et pas plus de courage. Parce que la fusion, n'est encore qu’une idée, un désir. Ce n’est pas un parti politique hautement proclamé, ayant son drapeau et son camp. Il y a beaucoup de fusionnistes, tous encore classés et enrôlés, dans les anciens partis. Les anciens partis seuls subsistent. Personne n’ose en sortir ouvertement et décidément, et en disant pourquoi. Tant que cette situation durera, rien ne se fera. Non seulement on n’arrivera pas mais on ne marchera pas. Tout le monde voudrait arriver sans marcher, tant on a peur de se compromettre et d'être pris pour dupe. On voudrait que Dieu se chargeât seul de toute la besogne. Ce n’est pas son usage ; il fait beaucoup, beaucoup plus que nous ; mais il veut que nous fassions quelque chose nous-mêmes. Il ne nous dispensera pas d'avoir une volonté de prendre une résolution de mettre la main à l'œuvre. Nous attendons Dieu et Dieu nous attend.

Midi
J’espère que vous aurez fait à ce bon Fleischmann mes plus vraies amitiés. J’aurais été charmé de le voir. Si vous l’avez encore avec vous, sachez, je vous prie, ce qu’il donnerait à son fils, s’il le mariait à son gré, et ce que son fils pourrait espérer un jour. Il faut savoir cela. On me dit qu’ils sont pauvres. Trop pauvres serait trop. On me dit aussi que Fleischmann est un peu avare. Il vous sera facile d'éclaircir ces deux faits. Je me crois sûr, par des renseignements venus ces jours ci, qu’il n’y a eu chez les Nottinguer, ni chez les Delessert, pas la moindre idée de ce mariage.
Pourquoi n'iriez-vous pas un peu à Baden si vous en avez envie? Il n’est pas plus fatigant de vous arrêter quelques jours à Baden, en revenant que de revenir droit à Paris. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Trouville, Lundi 26 août 1850

Je vous ai dit, il y a déjà bien des jours, que je retournai au Val Richer demain mardi 27. J'espère que vous aurez pensé, depuis deux jours, à m'adresser à vos lettres. Je laisserai ici des instructions pour qu'on me renvoie sur le champ celles qui arriveraient encore. Mais j’aimerais bien à ne pas éprouver de retard.
Le Chancelier m'apporte toutes ses nouvelles. Pas grand chose ; mais il est plein de soin. Barthe va ces jours-ci à Claremont. Son langage n’y sera pas tout-à-fait sans valeur. Le Roi le regarde comme très sincère et bien à lui. Les nouvelles du Roi sont toujours mauvaises.
Voici ce que m’écrit de Colmar un ancien magistrat, homme d’esprit : " Nos tribuns ont mal accueilli notre Imperator. Il s’était hâté de quitter Mulhouse où les ouvriers le regardaient de travers. Cela fait qu’il est arrivé à Colmar plutôt qu'on ne l'attendait. Là, trois officiers de garde nationale, avec lesquels Flocon avait fraternisé, il y a trois jours, ont crié à tue tête avec leurs compagnies : Vive la République toute seule ! Cela a fait au Président un assez long charivari. Il en a eu de l'humeur et n'est pas allé au bal. On le dit fort mécontent. L’absence n’est plus que la patrie d'Emile Girardin. Tel n'est pas cependant l’esprit général, et si un libre scrutin pouvait s'ouvrir, la Monarchie mettrait la république à l'abri du danger de l'Empire. " J’ai vu hier des gens qui craignent un peu que ces explosions démagogiques n'intimident le président, et ne le poussent à se reporter vers le tiers parti républicain, Dufaure, Gustave de Beaumont &, pour apaiser un peu l'hostilité. Cela ne serait grave que si cela se faisait au moment des élections.

Midi
Merci de votre rapport sur Fleischmann. Je vous en ai parlé hier. Maintenant il est indispensable de savoir ce qu'aura le fils en se mariant, et ce qu’il peut espérer un jour. La Dame n’est pas du tout laide ; au contraire, plutôt bien ; grande, belle taille, l’air noble, blonde, du yeux bleus grands et doux : beaucoup de sens, un bon caractère, entendue et économe. Dix mille livres de rente, bien à elle, en se mariant, en fonds Hollandais, français et belges et cinq ou six mille livres de rente bien assurées. Je viens de passer quelque temps avec elle. J'en pense vraiment très bien. Le coeur très fier ; elle voudra connaître un peu elle-même avant de rien dire.
Vous aurez vu que le discours du Président à Lyon m’avait frappée comme vous. Il est bien rare que nous ne soyons pas instinctivement du même avis. Le discours à Strasbourg aussi est assez bon. Par contre, j'ai beaucoup causé hier du Président avec un homme d’esprit qui l’a beaucoup vu, et qui en pense très médiocrement.
Décidément Palmerston n'a pas accompagné la Reine à Ostende. La grosse injure est acquise. D’autant plus qu'elle a emmené Baring. Je ferai ce matin votre commission à Mad. de Boigne, et au Chancelier. Adieu. Adieu.
Je vous écrirai encore d’ici demain. Je ne pars qu'à 2 heures pour aller dîner au Val Richer. Adieu.
Ce pays-ci n’est plein que de l'escadre de Cherbourg. On ne pense pas à autre chose. Tout le monde y va. Plus moyen de se loger à Cherbourg. On se loge dans les villes environnantes, à Valogne, St Lô, à plusieurs lieues de distance. Tout le yacht club anglais s'y rend, 80 yachts, dit-on. Je saurai bien comment les choses s’y passeront, M. de Witt, va s’y promener. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23013_00330.jpg
Trouville, Mardi 27 août 1850.

Est-ce que vous vous sentez plus fatiguée que de coutume ? Vous me parlez de votre besoin de repos en personne vraiment fatiguée. Vous renoncez à passer par Baden qui vous amuserait. Cela me préoccupe. Donnez moi quelques détails. Les eaux fatiguent quelque temps, même quand elles font du bien. Tout le monde le dit. Il me semble que Schlangenbad vous a moins réussi qu’Ems. Je sais gré à Fleischmann d'être venu vous y voir. Il aura un peu rompu votre solitude. Et je suis sûr qu’il ne vous aura pas rendue germaine unitaire. Cette question Allemande me déplait parce que je n'y vois pas clair. J’ai un instinct plutôt qu'un avis. Mais un instinct ne satisfait pas. Je ne veux pas de ce qu’on veut faire, et j’entrevois qu’il y a quelque chose à faire. Cette passion d’unité qui tient tant d'Allemands ne doit pas être uniquement l’ambition Prussienne ou la folie révolutionnaire. Il y a probablement là dessous quelque chose de sérieux et de nécessaire. Comment s'y prendre pour reconstituer la confédération germanique et la diète de Francfort d'une façon qui donne satisfaction à ce qui n’est ni révolution, ni bouleversement territorial ? Ou bien serait-ce là un but chimérique ? Et l'Allemagne, en serait-elle venue à l'une de ces époques où les gens sensés comme les fous, les honnêtes gens comme les coquins, sciemment ou aveuglément, veulent absolument refondre toutes choses et se lancent au hasard dans les nouveautés, n'importe à quel prix. La France en était là en 1789. J’ai peur que l'Allemagne n’y soit à son tour, si cela est, la guerre européenne est infaillible, et nos 34 ans de bon gouvernement et de paix n'auront été qu’une oasis dans le désert, une halte dans le chaos.
Je conjecture et je spécule comme si nous causions. J'ai peur aussi que M. de Nesselrode n'ait raison, et que Wiesbaden n'ait fait plus de fracas qu’il ne convient. Le fracas rouge sur le passage du Président est une compensation. Mais tenez pour certain qu’à son retour il y aura à Paris un effort en faveur d’un ministère tiers-parti.
Je suis bien aise de retourner au Val Richer. Le temps est superbe ce matin. J'ai droit à un beau mois de septembre. Août a été affreux excepté les jours d’Ems.
Je suis très occupé de mon Monk. J’y ai pas mal changé, ajouté. Je crois que c’est amusant et à propos. Une grande comédie politique remise en scène devant des spectateurs acteurs eux-mêmes. Et on veut réimprimer en même temps mon Washington. Comment on rétablit une Monarchie et comment on fonde une République. Choisissez. Pourvu qu'on ne me réponde pas : ni l’un ni l'autre ! Hélas je suis un peu, pour la décadence de mon pays comme Mad. Geoffrin pour les revenants " Je n’y crois pas, mais je les crains. "

Onze heures
Pas de lettre ici. Je suppose que vous m'avez écrit au Val Richer, et que j’y trouverai votre lettre en arrivant. J'ai de bien mauvaises nouvelles de Claremont d'avant-hier. Dumas mécrit : " Il est douteux que l'état du Roi permette que S. M. aille s’installer à Richmond où se trouvent déjà M. la Duchesse d'Orléans et Mad la Duchesse de Saxe Cobourg. Les forces déclinent, tous les organes s'affaiblissent, à l'exception des facultés intellectuelles qui restent entières. J'ai dû faire une absence de quatre jours pour aller porter à Dreux le Corps de l’enfant morte dont est accouchée Mad la Duchesse d’Aumale. J’ai trouvé à mon retour avant hier, les progrès de l'affaiblissement très notables. Le Roi a fait appeler les docteurs Chamel et Fouquier. Mad. la Duchesse d'Orléans est aussi bien que possible. La Reine se maintient en bonne santé. Le Duc de Nemours est très souffrant d’un Anthrax. M. le Prince de Joinville qui a été en Belgigue chercher sa soeur la Duchesse de Saxe Cobourg et qui a dû séjourner deux jours à Ostende, à cause du mauvais état de la mer, y a été l'objet d’un accueil remarquable de la part du grand nombre de Français qui y résident. Cela s’est passé sous les yeux du Roi des Belges. "
Adieu, Adieu. Je voudrais vous envoyer ce soleil. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 28 août 1850
7 heures

Je n'ai pas trouvé de lettre ici hier en arrivant. Je compte bien en avoir une ou deux ce matin. Les journaux que j’ai trouvés ne m’en disent guère plus que les lettres qui m’ont manqué.
Je ne regarde plus au voyage du président. C’est une tentative avortée. Il en sera de même des Conseils généraux. Le ministre de l'intérieur les pousse à demander la révision de la constitution et la prolon gation des pouvoirs du Président ; mais il parle timidement, indirectement, en solliciteur non en ministre. La plupart des Conseils généraux ne diront rien. Ce que diront ceux qui diront quelque chose ne sera rien. Tout tourne au statu quo. Il me revient que le nom du Prince de Joinville commence à courir dans les campagnes. Si on arrive à l'élection sans avoir rien fait, cette candidature là pourrait bien devenir tout-à-coup puissante. Ce pays-ci épuisera toutes ses cartes avant d’en finir. J'ai vidé mon sac dans lequel, il n'y avait rien.

9 heures
Point de lettre, et la mort du Roi. Voici dans quels termes, Dumas me l'écrit : " J'ai la douleur de vous annoncer la mort du Roi. La Reine me charge de vous faire cette communication et de vous exprimer son regret de ne pouvoir, dans ces premiers moments répondre elle-même à votre dernière lettre. Le roi a rendu le dernier soupir ce matin, à 8 heures, entouré de tous les siens après une agonie calme durant laquelle il a conservé toutes les facultés intellectuelles, toute la force et toute la dignité morales dont la Providence l’avait doué. Il a fini comme il avait vécu avec fermeté, avec résignation, avec bonté, avec simplicité. Il ne s'est pas démenti un seul instant depuis le moment où hier matin, l’avis solennel de sa fin prochaine lui a été donné, par la volonté et en présence de la Reine, qui ne l'a pas quitté un instant, et qui a été sublime de dévouement pendant et après la mort du Roi comme durant leur vie commune. "
“ J'écris à l’instant à Mad. de Witt pour lui dire tout le regret qu'éprouve la Reine de ne pouvoir la recevoir après-demain comme S. M. en avait le désir. "
" Les mêmes sentiments de douleur, de regret & d’union animent tous les Princes et les Princesses de qui j'ai l’honneur d'être l'organe, vis-à-vis de vous. "

J’ai plusieurs lettres de Paris. Dumon me dit : " Le Roi a dicté à la Reine divers écrits qu’il a signés. " Et Génie : " On dit qu'il a dicté l'expression de ses désirs, et de son opinion. " C'est un événement pour tout le monde. C'en est un pour moi. Il a tenu une grande place dans ma vie, et mon nom est fort lié au sien. A tout prendre, le monde à vu bien peu d'aussi bons rois. Il a donné à la France 18 années du gouvernement le plus juste, le plus sensé, le plus libre, et le plus bienveillant qu’elle ait jamais connu et que probablement elle soit jamais destinée à connaître. Adieu, adieu.
J’ai bien des lettres à écrire aujourd’hui. Je compte demain sur les vôtres. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 29 août 1850

On a beau dire qu’on s'attend à la mort de quelqu'un. La mort est quelque chose de si grand qu’elle frappe toujours comme un coup imprévu.
Je lisais, il y a quelques semaines à mes enfants un sermon de Bossuet, prêché devant Louis XIV, et qui dit : " C’est une étrange faiblesse de l’esprit humain que jamais la mort ne lui soit présente, quoiqu’elle se mette en vue de tous côtés et en mille formes diverses. On n'entend dans les funérailles que des paroles d'étonnement de ce que ce mortel est mort. Chacun rappelle en son souvenir depuis quel temps il lui à parlé, et de quoi le défunt l’a entretenu ; et tout d’un coup, il est mort ! Voilà dit-on ce que c’est que l'homme. Et celui qui le dit, c’est un homme ; et cet homme ne s'applique rien, oublieux de sa destinée ; ou s'il passe dans son esprit quelque désir volage de s'y préparer, il dissipe bientôt les noires idées ; et je puis dire que les mortels n’ont pas moins de soin d'ensevelir les pensées de la mort que d’enterrer les morts mêmes. " Ce sont de bien belles paroles et bien vraies.
Que feront la Reine et ses enfants ? Je persiste à penser que le parti digne est de laisser le corps du Roi à Claremont, toujours le centre et le lieu de la famille royale, jusqu'à ce qu'elle puisse le ramener à Dreux, comme il y doit être ramené, sans désordre et sans indifférence. Aujourd’hui, il y aurait l'un ou l'autre spectacle. Et toujours quelques uns des Princes à Claremont pendant que les autres voyageraient à leur gré. C’est la conduite que nous avons indiquée à St Léonard le Duc de Broglie et moi. Je viens de lui écrire pour lui demander, s’il est toujours du même avis. Que de sottises seront dites d’ici à huit jours sur ce grand mort ! Sottises de haine et sottises de bêtise.
En France et aussi en Angleterre. J'espère qu’il y aura aussi des paroles convenables. Il y a droit, et il peut supporter la vérité. J’espère aussi avoir enfin des lettres de vous. Le silence dans l'absence est insupportable.

Dix heures
Voilà vos deux lettres. J'ai vraiment envie, pour vous, que vous puissiez aller à Bade. Vous y passeriez huit jours agréablement. Qu'avez-vous besoin du Duc de Noailles ? Plaisir, je comprends, mais besoin, non. Kolb suffit pour la sureté.. Les Débats sont très convenables sur le Roi. Les paroles sont justes et le sentiment vrai. Le Constitutionnel très inconvenant. Sec et petit. On dirait qu’il parle pour sa propre justification. Quand viendra le moment où la vérité pourra être dite ? Jamais peut-être de mon vivant. Adieu, adieu.
Vous ne me dites pas de ne plus vous écrire à Schlangenbad. Je continue donc. Je serai bien aise quand je vous en saurai dehors. Votre ennui me déplaît et le froid m'inquiète. Adieu, adieu.
Prendra-t-on à Wiesbaden le deuil du Roi ? Ce serait de bien bonne paroles convenables. Il y a droit, et il peut politique comme de bien bon goût.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Vendredi 30 août 1850

Trois lettres de vous ce matin entr'autres celle du Vendredi 23 qui m’avait manqué. Où est-elle allée courir ? Quelles postes ! C’est la lettre où [vous] me donniez vos premières indications pour le lieu où vous écrire. Je ne l'ai pas reçue à temps. J’ai donc toujours écrit à Schlangenbad. On vous renverra sans doute mes lettres.
Je ne recommence pas sur la mort du Roi. Je viens d’écrire au Général Dumas : " Quand, comment et où se feront les obsèques du Roi. Je dis les obsèques provisoires les seules qu'on puisse, à ce qu’il me semble, faire en ce moment. C'est mon devoir et mon intention d'y assister. Veuillez me donner à cet égard, les informations nécessaires. Je serais déjà parti pour Londres s'il ne m’avait paru plus convenable de connaître auparavant les désirs de la Reine et de la famille royale. J’attendrai ici votre réponse. C'est là, je crois, tout ce que j'ai à faire pour le moment. Je ne veux pas témoigner un empressement qui serait mal compris. Mais je regarde tout-à-fait comme mon devoir d'assister aux obsèques. J’irai donc bientôt à Londres. Ce sera une occasion naturelle de les voir tous et de causer avec eux. Je me suis mis d'ailleurs complètement à la disposition de la Reine. J’informe de ceci le Duc de Broglie qui m'a écrit pour me demander ce que je faisais. Je le dis également à Dumon et à Duchâtel. Je voudrais que tout mon cabinet se rendit aux obsèques du Roi ; même Salvandy malgré sa visite à Wiesbaden. Je charge Dumon d’en parler à tous ceux de mes collègues qui sont à Paris. Je ne sais si Montebello y est déjà retourné.
Je ne vous envoie pas les détails qu’on me donne. Vous les trouverez et plus à Paris où vous êtes peut-être arrivée hier, aujourd’hui au moins. Il y a deux faits assez graves la répulsion absolue de la candidature du Prince de Joinville à la présidence, et les froideurs du dernier moment avec Mad. la Duchesse d'Orléans. Je ne crois pas beaucoup à ceci.
Je suis frappé du ton des journaux. Les hostiles sont bien timides et les amis ont le verbe bien haut. Cela me plaît fort. On ne change pas de sentiments mais on a où l'on n'a pas confirmé dans les sentiments qu'on garde. Adieu, Adieu.
Demain, je pense, j'aurai une lettre de Bruxelles ou de Paris. Et bientôt nous nous verrons. Adieu, Adieu, adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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J'ai peu dormi. Je n’ai pas eu froid. Je suis arrivé chez moi à 6 heures. Je suis un peu fatigué. Je me coucherai de bonne heure ce soir. Voilà mes nouvelles.
Mon gendre n'est pas encore revenu de Cherbourg. On l'attend pour dîner. Le Président n’y a guères mieux réussi sur mer que sur terre. Les matelots ont trouvé qu’il ne se tenait pas sur le vaisseau à la place où il aurait dû se tenir, et qui est la place d’honneur. Il s’était mis ailleurs, pour se faire mieux voir. On a dit qu'il avait l’air d’un capitaine d'infanterie allemand qui n’avait pas droit à de l'avancement. Le spectacle marin a été magnifique. Grande politesse mutuelle entre les Français et les Anglais. Adieu, Adieu, Adieu.
J’aime mieux adieu de près que de loin. Adieu. G.
Val Richer, mardi 10 septembre 1850

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 11 Sept 1850,
8 heures

J’ai très bien dormi. J’ai besoin de me reposer. Je puis encore, quand je le veux, me fatiguer comme il y a douze ans ; mais j’en suis et j'en reste quelque temps fatigué. Plus j’y pense, plus ce que je viens de voir, et de faire, me paraît bon. Maintenant la bonne conduite doit conduire au succès avec un peu de bonheur pourtant, c’est à dire un peu d'aide de Dieu.
J'ai retrouvé à Paris, en rangeant mes papiers cinq lettres de moi à vous, le second voyage de la reine d'Angleterre au château d'Eu (septembre 1845). J'ai oublié de vous les rendre. Je les ai ici. Je viens de les relire. Quelle lanterne magique que le monde. Outre le malheur, il y a quelque chose qui me déplaît beaucoup dans ces brusques et continuels changements de scène ; c’est un certain défaut bien involontaire de dignité pour les acteurs. Si haut et si bas en un clin d'œil ! Tenir si peu et pouvoir si peu ! Des marionnettes, sans cesse remuées par des fils invisibles ; des plumes, dans l’air flottant en tous sens, sous des souffles inconnus. J'ai bien envie de finir comme Massillon commence son oraison funèbre devant le catafalque de Louis XIV : " Dieu seul est grand. "
M. de Witt est revenu de Cherbourg. Le Président mieux traité le second jour que le premier, et le troisième que le second. A tout prendre, accueil médiocre. La flotté très exacte, dans ses houras. (sept) au coup de sifflet, mais très froide. Les matelots Joinvillistes. Les officiers partagés, les uns Joinvillistes, les autres républicains. La population amusée, et indifférente beaucoup plus occupée du spectacle que de l'acteur principal. Petit, très petit complot des rouges pour crier sans relâche, sur ses pas, " vive la république sociale ! " Le peuple haussant les épaules et repoussant les gamins, avec mépris mais sans colère, Très bonne tenue de la troupe, faisant son devoir avec calme. Concours immense. Grande difficulté de trouver à manger. Quatre dîners de table d’hôte par jour dans toutes les auberges, et bien des gens ne parvenant pas à dîner. La flottille anglaise bien reçue et charmée de sa visite. quand le Président a passé devant elle en visitant la flotte, il a été accueilli par des houras très vifs.

10 heures
Je suis bien fâché de votre mal de gorge. Je ne peux pourtant pas me résoudre encore à vous envoyer à Madère. J'espère que ce ne sera pas long. Ne manquez pas, je vous prie de me dire aussi quand ce sera passé. C'est bien dommage que nous n'ayons pas rencontré Thiers sur la route, entre Esher et Claremont comme Salvandy.
Je doute un peu de la nouvelle de la Princesse Mathilde ; elle aura parlé d’un projet comme d'un fait. Je reçois un mot de Marion qui me dit que décidément ils quittent Brighton du 16 au 20, et qu’ils seront à Paris au commencement d'octobre. Vous le savez sûrement déjà. Adieu, adieu, adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 12 Sept. 1850

J'espère que ce beau temps guérira promptement votre mal de gorge. L’air était plus doux hier qu'il ne l'a été depuis longtemps. Je ne veux pas avoir le plus petit remords à votre sujet. C’est un grand contraste que le profond repos de ce lieu-ci, après la vie de courrier que j'ai menée deux ou trois fois cet été. J’ai besoin de repos. Moins que vous, mais comme vous, je m'aperçois que ma bonne santé est au prix d’une vie tranquille. Retrouverons nous une vie tranquille ? J’en doute. Le succès même sera plein de difficultés, et de luttes.
Je suis assez frappé des progrès de l’esprit républicain, non pas pour lui-même mais contre autrui. Il a fallu un grand courage dans les temps que nous avons traversés il n'en faudra pas moins dans ceux qui se préparent. Le Président sera demain à Paris, son voyage ne me paraît laisser, dans ce pays-ci à peu près aucune trace. Impression très superficielle ; ni bonne, ni mauvaise. Bizarre destinée ! Ce sont les masses qui l’ont porté au pouvoir, et il plait peu aux masses quand elles le voient, peuple ou armée. Il n’a, sur elles, ni l'autorité impériale, ni l'entraînement révolutionnaire. C'est auprès des classes moyennes sensées et honnêtes qu’il réussit le mieux ; elles lui trouvent de la tenue et lui savent gré de sa persévérance dans la politique d’ordre. Il fera bien de continuer à prendre là son point d'appui. C’est là que le sentiment général est décidément favorable à la prolongation de ses pouvoirs.

10 heures
Votre rhume me désole. Pour quelques minutes dans mon cabinet ? Je vous en prie soignez-vous comme je vous soignerais. Il est impossible qu'avec du soin et ce soleil, le rhume soit long. Je ne trouve rien, dans mes journaux et je n’ai que des lettres insignifiantes. Partout l'impression de la mort du Roi est vive et bonne. Si les débats de l'Assemblée ne gâtent pas cela, on fera un grand pas vers le salut. Adieu, Adieu.
Je suis bien aise que vous ayez eu une bonne lettre de la grande Duchesse Olga. Vous n'aviez pas le moindre tort ; mais l’innocence ne suffit pas toujours. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Vendredi 12 Sept. 1850
6 heures

Je me lève de bonne heure et le soleil est levé avant moi, brillant dans un ciel pur. Je veux absolument croire qu’il vous aidera à chasser votre rhume. Je commence à me sentir reposé. Je me mets au courant de ma correspondance. J'étais fort en arrière. Les lettres prennent bien de la place dans la vie. Mais ce n'est pas une place perdue. On agit beaucoup par lettres bien des gens se défient moins d’une lettre que d’une conversation. On croit plus volontiers un absent. On lui sait gré de la peine qu’il prend pour persuader et on met moins d'amour propre, à lui résister.
Je vais faire aujourd'hui une visite à huit lieues de chez moi. M. de Neuville le député de Lisieux et le gendre de M. de Villèle. Vous m'en avez je crois entendu parler. Il est venu me voir plusieurs fois et je ne lui ai pas encore rendu sa visite. C’est toute une journée. Je reviendrai dîner chez moi.
J’ai lu L'ère des Césars dont je vois que les journaux font quelque bruit ! C’est un livre ridicule d’un homme d’esprit impertinent. Le Président dit à Cherbourg : " Donnez-moi du pouvoir ". Ses écrivains lui disent à lui : " Prenez du pouvoir " Il ne prend pas et on ne lui donne pas. Sot contraste! Plus l’action est prudente et modeste, plus la parole est exigeante et superbe. On se dédommage par ce qu’on dit de ce qu’on ne fait pas, de ce qu’on n'ose et ne peut pas faire.
Entendez-vous un peu parler des affaires du Piémont ? On me disait à Paris. (Je ne me rappelle plus qui) qu’on s'en inquiétait aux Affaires étrangères, et que si la querelle se réchauffait entre Turin et Vienne, et si Turin demandait appui à Paris, on ne serait pas en état de le refuser ou plutôt d'empêcher le Président de le donner. On dit aussi que les agents anglais recommencent à se remuer beaucoup là. Dans la stérilité de la saison je ramasse tous les on dit. Vous n'avez plus même Antonini pour le questionner.

Midi
J’ai été pris par des gens de Lisieux et je n'ai que le temps de fermer ma lettre avant de partir pour ma visite lointaine. Je vous parlerai demain de Fleischmann. Mais chassez votre rhume. Adieu, adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Samedi 14 sept 1850

Je ne puis vous rien dire encore de définitif sur René de Fleischmann. Mon gendre Conrad ne veut pas avoir un avis définitif avant d'en avoir causé avec son frère qui arrivera ici du 20 au 25. La lettre de ce jeune homme lui a plu extrêmement, ainsi qu’à ma fille Henriette, Tout leur plaît dans la famille, et la personne. Mais la fortune est bien, bien petite. C'est Mirabeau, je crois, qui disait : " 1500 livres de rente de ma Sophie ". Mais Mirabeau était déjà amoureux, et de plus très aventureux. René de Fleischmann paraît avoir grande envie de laisser là sa place au chemin de fer pour devenir secrétaire de la légation de Wurtemberg, ce qui ne lui vaudrait rien du tout pendant on ne sait combien de temps, pour lui valoir on ne sait pas quoi, ni avec quel degré de sécurité, quand il deviendrait chargé d'affaires. Il n'aurait donc, en se mariant que les 1800 fr. de pension que lui ferait son père, de qui il n'en peut attendre, et un jour éloigné j'espère, que 2 ou 3000 fr. de plus. C’est vraiment trop peu pour vivre habituellement à Paris. Il faudrait ou un peu plus de revenu personnel et assuré, ou une meilleure place dans les chemins de fer.
Mlle. de Witt est très simple et très bonne ménagère, et accoutumée à l'économie hollandaise. Mais elle a vécu jusqu'ici, en commun avec ses frères et sa tante, Mlle Temminck, par conséquent dans une maison très aisée. On ne voudrait pas qu’elle se trouvât trop gênée dans sa propre maison. J’avais espéré, sans en rien savoir du tout, que le jeune homme aurait, soit de sa place soit de son père, quelque chose comme 6 ou 7000 liv. de rente. Pas bien grande ambition. Je voudrais savoir quelque chose de précis sur la place qu’il a au chemin de fer et sur ce qu’on pourrait faire pour lui en faire avoir une meilleure, soit dans le chemin de fer où il est, soit dans un autre.
Voilà, en tout cas tout ce que je puis vous dire aujourd'hui. Quand Cornélis et sa femme seront revenus, la délibération de famille sera complète. Je serais vraiment fâché que cela ne pût pas s'arranger. J’aime le père et le fils me plaît.
Qu'est-ce je vous prie, que cette nouvelle de Berlin que M. de Meyendorff quitte votre service, pour sa santé ou pour autre cause, et s'en va en Italie ? et que c’est le comte Creptovitch qui remplace Medem à Vienne ? Cela me parait une sornette. Moi aussi l'affaire de Hesse me préoccupe. Je n'en sais pas le fond ; mais je crois toujours l’incapacité brutale de ces petits gouvernements allemands. Les mesures, me semblent bien grosses pour les motifs, s’il faut occuper la Hesse, je ne comprendrais pas que l’Autriche, se résignât à la seule occupation prussienne. Bade d’abord, puis la Hesse, ce serait une manière commode de prendre possession sous forme d’occupation.
J’ai fait hier ma visite. Seize lieues par un très beau temps il est vrai. Mad. de Neuville est bien, l’air intelligent et très arrêté. Deux fils d'assez bonne mine. On m’a tout présenté. M. de Neuville m'a dit que M. le comte de Chambon l’avait chargé de me dire combien il regrettait de ne pas m'avoir rencontré en Allemagne. J’ai répondu que j'étais parti quelques jours plutôt pour ne pas le rencontrer, et pourquoi. Je me sais rien de tel que de tout dire pour que tout soit compris.
Le Duc de Broglie m'écrit : " Je reçois votre lettre d'hier et je vous félicite d'avoir fait ce qui me reste à faire, et ce que je ferai avant mon retour à Paris. Je crois qu’il vaut mieux; pour les personnes que vous venez de voir, que les visites se succèdent ; elles ont besoin d'être entretenues dans leurs bonnes dispositions. " Voilà votre lettre. J’attends bien impatiemment que votre gorge soit mieux. Adieu, Adieu. Adieu. G.

P.S. Je viens de lire à Conrad, qui l’approuve tout- à-fait, ce que je vous dis de René de Fleischmann. Il me demande seulement de supprimer, quant à présent, et jusqu’à ce qu’il ait vu son frère, cette phrase " Je voudrais savoir quelque chose de précis..." jusqu'à " soit dans un autre.» Tenez donc, je vous prie cette phrase pour non avenue jusqu'à nouvel avis.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Voici une lettre pour Lord Aberdeen que j'aime mieux ne pas envoyer par la poste de France. Si vous avez sous la main quelqu’un qui parte ces jours ci pour l'Angleterre, veuillez le prier de prendre ma lettre et de la mettre à la poste à Londres. Sinon soyez assez bonne pour mettre la lettre sous enveloppe à l'adresse que vous avait donnée Lord Aberdeen et dont je ne me souviens pas, et pour la lui faire parvenir ainsi indirectement. Pardon de vous donner cette peine. Heureusement ceci ne fatiguera pas votre gorge.
Je viens d'avoir la visite de quelques légitimistes de Caen des plus vifs. Gens d’esprit et fort résolus, mais qui ne seront pas faciles à gouverner. Je trouve dans un de leurs journaux le récit fait par l’un d'entr'eux de son entrevue à Wiesbaden, avec Mr le comte de Chambord. C'est précisément ce M. Carion que le Prince, dit-on, a vivement rabroué en lui disant : " Je ne puis certainement pas vous ôter vos convictions, mais vous permettrez que je ne vous regarde plus comme des miens, ni comme des royalistes." Vous verrez comment M. Carion arrange cette entrevue, et en fait un triomphe pour lui et pour ses idées. Comment faire pour que la vérité arrive au public ?
Adieu. Adieu. G.

Val Richer 14 sept 1850

Mon portier de le rue de la ville l’Evêque portera cette lettre chez vous. Si vous aviez quelque chose de particulier à m'écrire, dites-lui de venir le prendre à l’heure où vous voudriez. Pauline et son mari passeront à Paris du 19 au 21 et viendront tout de suite, au Val Richer

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer dimanche 15 sept 1850

Je suis frappé de ce que vous me dîtes de l’intimité de Changarnier et de Lamoricière. Cela coïncide avec ce qui m'est revenu d'ailleurs, ces jours-ci. Lamoricière dans des conversations intimes, s’est déclaré inconciliable, absolument inconciliable avec les rouges et l'Empire, ou toute combinaison bonapartiste analogue à l'Empire ; du reste prêt à accepter toute autre solution, l'une ou l'autre des deux branches, n'importe laquelle, ou mieux encore toutes deux ensemble ceci dans l’hypothèse où la république régulière ne pourrait pas durer, ce qu’il ne regarde point comme sûr, mais comme très possible. Je vous donne ces ouï dire pour ce qu'ils valent ; ils viennent de bon lieu. Ils peuvent être vrais aujourd’hui et point demain ; Lamoricière est si mobile ?
Les nouvelles de Bruxelles m'affligent beaucoup. La Reine, toute cette famille royale quittant le cercueil du Roi et traversant la mer pour venir s'asseoir auprès du lit de mort de leur fille, de leur sœur ! Quelle épreuve ! quel spectacle ! Les douleurs s’appellent et s'attirent. Je ne sais rien que par les journaux ; mais j’ai le cœur serré à l'idée de ce deuil sur deuil pour la Reine dont la personne, et le cœur, semblaient ne laisser plus de place à un deuil nouveau. Je voulais écrire ces jours-ci à la Reine et à M. le Duc de Nemours. Je n'ose pas. J’attends.
J'espère que vous me donnerez aujourd’hui d'un peu meilleures nouvelles de votre rhume. Décidément enrhumée ou non, et encore plus enrhumée, je vous aime mieux à Paris qu'ailleurs. Vous y avez à la fois plus de repos et plus de mouvement. Je compare ce que vous voyez là, avec votre solitude de Schlangenbad. Et pour avoir cela vous n'avez d'autre peine à prendre que de ne pas sortir de chez vous.
Je suis curieux de ce que vous me direz sur M. de Meyendorff. La nouvelle de Berlin est répétée dans tous les journaux. Je ne puis croire à cette retraite, et encore moins au motif. Mad. Swebach (est-ce bien son nom ? ) doit savoir le vrai. Midi Je regrette de n'avoir pas vu l'article du Times, sur Salvandy. Je suis frappé de la réserve des journaux de toute opinion sur ce sujet. Ils sentent tous que c’est sérieux, et ne veulent ni s’engager ni se compromettre. Je vois ce matin un article du Siècle qui pose, entre la Monarchie et la République, je ne sais combien de questions pleines d'embarras et qui admettent les réponses contraires.
Je suis bien aise d'avoir valu à Constantin les remerciements qu’il a reçus. Vous savez que je lui ai trouvé, sous sa tranquillité modeste et un peu stérile, l’esprit plus ouvert et plus sérieux que je ne supposais. Adieu, adieu. Vous aurez reçu ce matin une réponse sur Fleischmann. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, lundi 16 Sept. 1850

Mon instinct ne me trompait pas sur les affaires de Hesse. Je soupçonnais que le grand Duc avait tort. J'espère que le conflit entre les deux grandes Puissances m’aura pas lieu, pas plus pour la Hesse que pour Bade ou pour ailleurs. J’ai confiance dans leur bon sens et dans la lenteur allemande. Même la brutalité n'exclut pas là l'inertie. Au fond, l’Europe ne me préoccupe plus guère, ni d'Allemagne, ni d'Italie, il ne viendra de gros événements. Elles ont jeté toute la gourme qui leur était venue de France, et la France, d’ici à quelque temps ne leur en enverra pas d’autre.
Avez-vous lu les lettres de Mazzini essayant de se justifier des assassinats systématiques ? Ridicule mélange de fanatisme et d'embarras. Il ne veut pas qu’on le croie assassin, et il veut qu’on craigne son pouvoir d’assassin. Vous ne me dites rien de M. de Meyendorff. J’en suis pourtant curieux.
J’ai envie que vous pensiez bien de mon fils, Guillaume. Lisez, je vous prie ce qu’il m'écrit du Norfolk. A sensible boy.
Voici ce que vous désirez pour Fleischmam. Je ne croyais pas ma première lettre compliquée. Elle disait les choses comme elles sont avec détail et sollicitude, comme désirant le but et regrettant les obstacles. Je ne puis rien envoyer de plus décidé. Conrad veut en causer avec son frère. Et comme personne n’est encore amoureux, on n'est ni pressé, ni tout-à-fait indifférent aux considérations mondaines. Melle de Witt une fois mariée, ne pourrait pas continuer à vivre avec sa tante. Cela n'irait pas, et il a toujours été entendu entre eux qu’on se séparerait alors. Ou pour vivre seuls, ils auraient excessivement peu. Il faut ou une bonne carrière, ou de l'amour, ou assez d'argent. En attendant qu’une de ces trois choses là vienne, si elle peut venir, ayez seulement la bonté d'envoyer à Fleischmann ma petite lettre. Vous avez raison ; je peux trouver les lenteurs de mes gendres naturelles, mais je ne dois pas vous en ennuyer.
Thiers me paraît précisément ce qu’il faut pour que la Reine de Hollande et la Princesse de Prusse en raffolent. Elles ne le rendront pas plus sages, ni lui, elles. De l'amusement des deux parts voilà tout. Adieu. Adieu. Je demande tous les jours à ce beau soleil de chasser votre rhume. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 17 Sept 1850

Voilà donc le grand duc de Hesse en fuite, et devant la seule résistance passive ! Que lui dira le Roi de Hanovre, qui n’est ni fou, ni poltron. Ceci fait assez d’honneur aux Hessois. Ils se conduisent, ce me semble, prudemment et fermement. Nous assistons à de bizarres spectacles ; tantôt c'est le peuple qui fait seul toute la sottise, tantôt le Prince. Quand donc auront-ils un peu de sagesse et de dignité ensemble et à la fois.
Vous avez raison, l'article du Constitutionnel est remarquable et sensé. J’ai souvent dit en effet ce qu’il répète, et je n'en désavoue rien. Seulement, je suis plus décidé qu’il ne le dit sur la nécessité de la fusion, et de la fusion aussi prochaine qu’il se pourra. Les populations se gâtent sous le régime actuel et j'ai peur que le gouvernement du Président ne laisse faire plus de mal qu’il n'en répare. Certainement il faut qu’il dure tant qu’on ne pourra pas avoir à sa place, la vraie solution, et il faut, pendant qu’il dure, lui donner toute la force nécessaire pour que sa durée nous fasse regagner du terrain. Mais nous payons cher aussi cette durée, et nous aurions tort de la prolonger indéfiniment, par peur ou par paresse. Et le président lui-même s'il est bien conseillé, doit désirer que la solution définitive arrive pendant qu’il est debout et puissant, et peut s'y faire lui-même sa part, et non après quelque nouveau cataclysme qui le jetterait et le laisserait. le premier sur la plage noyé et nu.
Le courrier de ce matin m’apporte bien des articles de journaux remarquables. L'Univers répète, celui du Times sur nous et Salvandy à Claremont et à Richmond ; et j’y vois que l'Union et l'Opinion publique l'ont aussi répété. Je coupe dans un journal qui m’arrive de Marseille l'article sur le service funèbre célébré là en l'honneur du Roi, et je vous l'envoie avec la lettre du rédacteur qui me l'a envoyé, et que je ne connais pas du tout. Curieux et bons symptômes. M. de Villèle, pendant, son ministère, avait mis ce motto avec ses armes sur sa voiture : " Tout vient à point qui peut attendre. " Il avait raison.

Midi
Pouvez-vous me dire combien de temps nous devons porter le deuil du Roi ? Je vois qu'à Bruxelles on l’a pris pour trois mois, et à Séville pour un an. Peu m'importe à moi qui suis toujours en deuil ; mais je veux qu'autour de moi on soit parfaitement correct, et jusqu'au bout. On dit que la Reine des Belges va un peu mieux. Dieu le veuille. Il paraît qu'en tout cas la Reine a retardé son voyage à Bruxelles. Je n'ai point cru à la retraite de M. de Meyendorff. Mais je suis bien aise d'être sûr. Adieu, Adieu.
Merci de vos soins pour ma lettre en Angleterre. Que ne vous assurez-vous d'avance rue Chauchat, une place dans une petite tribune, hors des grands courants d’air ? Je crois que cela se peut. Adieu G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Mercredi 18 sept 1850

Je lis Peel and his times. Ce serait trop long pour vous, trois gros volumes ! Votre impatience étoufferait votre curiosité. Mais c'est dommage ; toute l'histoire de votre temps en Angleterre. Peel est entré dans le Parlement, en 1809 et dans les affaires en 1812, au moment de votre arrivée à Londres. Le livre est fait avec simplicité, et bon sens, libéral modéré, comme Peel est devenu à la fin. Le point de départ était bien loin de là et les phases de la transformation sont curieuses à observer. Je vis avec Lord Liverpool, Lord Castlereagh, M. Canning. Vus ainsi de loin et dans l’histoire, les deux premiers font moins grande figure que dans votre conversation. Le pouvoir, même habilement et heureusement exercé, ne suffit pas pour placer un homme bien haut dans la mémoire des hommes ; il faut absolument avoir eu de l'éclat par quelque côté, par la pensée, par l'imagination, par le caractère, par la parole, il importe peu quelle grande qualité, mais une qualité first rate, qui mette un homme à part entre ses contemporains. L'histoire ne laisse à leur rang que ceux-là. Canning a cet honneur. Peel aussi l’aura, à des titres bien différents. Lord Liverpool et Lord Castlereagh, meilleurs ministres de leur temps peut-être descendent à mesure que leur temps s'éloigne ; ils n'avaient rien de ce qui est beau et grand dans tous les temps.
Savez-vous s'il est vrai que M. le Duc de Nemours et les Princes ses frères aient écrit au général Changarnier pour le remercier de la messe des Tuileries ? Ils ont eu fort raison, s'ils l’ont fait et j’avais eu tort, moi de ne pas songer à le leur conseiller. Je serais bien aise d’être sûr qu’ils l’ont fait.
L'article que j'ai lu hier dans le Constitutionnel est certainement de M. Granier de Cassaignac. Je me rappelle qu’il est venu me voir, il y a quelques semaines, dans je ne sais plus quel de mes passages à Paris, et que je lui ai dit une grande partie des choses qui sont là. Il s'est évidemment souvenu et prévalu de cette conversation.
Je vous quitte pour ma toilette. Je vais ce matin faire une visite à dix lieues d’ici chez M. de Banneville. J’avais deux visites lointaines à faire. J’en serai quitte. Il faut que je parte à 9 heures tout de suite après l’arrivée de la poste. Nous avions depuis quinze jours un temps admirable. Ce matin, un grand brouillard, mais de ces brouillards que le soleil dissipe quand il est bien levé. Je compte sur le soleil. J'ai beaucoup perdu de mon optimisme pour les grandes choses ; il me reste encore pour les petites.

9 heures
Voilà votre lettre. Adieu. Je pars. Adieu Adieu. Je suis fort aise de l'accueil fait à Piscatory à Claremont. Adieu, adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 19 sept 1850

J’ai fait vingt lieues hier pour ne trouver qu'une seule des personnes que j’allais chercher. Peu m'importe ; ma visite est faite. C’était une visite, non seulement de convenance mais de conscience. Les Banneville ont été très bien pour moi dans les plus mauvais jours quand beaucoup d'autres étaient mal, ou tremblaient d'avoir l’air d'être bien. Je suis très fidèle à ces souvenirs. J’ai rencontré dans ma vie beaucoup d’ingrats et de lâches, mois toujours aussi quelques cœurs reconnaissants et courageux ; et quelques uns de ceux-là suffisent pour faire oublier beaucoup des autres et sauver l'honneur de l'humanité.
Je comprends qu’on s'inquiète à Berlin de Cassel et de Darmstadt ; mais j'ai quelque penchant à croire qu’on fait autre chose que de s'en inquiéter. Ces désordres des petits états Allemands, cette incurable impuissance ou sottise des petits Princes, servent au fond les vues de la Prusse et poussent vers elle les populations. L’ambition prussienne est craintive, mais obstinée. Le Gouvernement de Berlin a peur pour lui-même, mais sans cesser de convoiter le bien d'autrui. Je ne crois pas qu’il excite les insurrections badoises, hessoises ou autres, mais je doute qu'il s'en afflige à tout prendre, il en espère plus qu’il n’en craint.
Il m’est venu ces jours-ci assez du monde de mes environs ; mais je n'ai rien à vous en dire. Grande stagnation des esprits comme des faits. Grande prospérité de l’industrie et du commerce qui ne demandent que le statu quo. Grande détresse de l'agriculture qui voudrait bien un changement, mais qui n'ira point au devant. Les légitimistes voient cela ; ils ont le sentiment que eux seuls ils ne peuvent rien ; je ne dis pas seulement rien faire mais rien tenter ; quand on le leur dit, ils en conviennent sur le champ. Et pourtant ils parlent, ils s'agitent comme s'ils pouvaient et faisaient quelque chose. Cela leur fait grand mal dans le pays ; leur agitation incommode ; leurs paroles déplaisent. C’est un grand art que de savoir se tenir tranquille et se taire. Les partis n’ont jamais cet art là ; surtout les partis qui sont à la fois nobles et faibles. Ils se remuent et bavardent pour oublier un peu leur impuissance.
Soyez tranquille ; je n'oublierai point que c'est moi qui ai au la première idée de René de Fleischmann, et qui ai pris l'initiative. J’ai envie qu’en fin de compte la chose réussisse. Mais je ne puis ni ne veux forcer la main aux intéressés. Quant à la dot, je vous ai dit au premier moment, mais à vous seule, ce qu’il en pourrait être dans l'avenir avec quelques bonnes chances de famille ; mais quand il a été question d'en parler à d'autres, j'ai été très précis ; 10,000 liv. de rente en se mariant, et 5 ou 6000 de plus assurées. Cela est très exact.

10 heures
Merci de votre soin à recueillir pour moi toutes les nouvelles, grandes ou petites, tristes ou gaies. Je serais bien curieux de savoir si Thiers à réellement passé par Paris pour aller à Richmond. Je n’y crois pas. Ce serait, de la part de Richmond le symptôme d'une politique plus à part et plus hardie, que je ne le suppose. Je crois au travail constant, mais hésitant, embarrassé, timide et ménageant tous les avenirs. Adieu, adieu., adieu.
Ma fille Pauline ne sera à Paris qu'après-demain matin samedi. Elle en partira dimanche soir. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Vendredi 20 sept 1850

Je suis charmé que les Danois soient victorieux. Les premiers bruits m’avaient inquiété. Si j'étais à portée, je voudrais savoir le fond des causes de l'obstination des Holsteinois. D'ici elle paraît si absurde qu'on ne la comprend pas. Car ils ne se font certainement pas tuer pour le seul plaisir d’Arnds et de Grimm et de tous ces unitaires Allemands qui ne leur envoient que de très minces secours. Cet acharnement d'un petit pays à ne pas vouloir de la paix, que veulent pour lui tous les grands états, a quelque chose qui n’est pas de notre temps. Je sais assez de l'affaire pour savoir qu'européennement les Danois ont raison. Je voudrais être aussi sûr que localement et selon les traditions et les lois des duchés, ils ont aussi tout-à-fait raison. Quand on n’est que spectateur, on a besoin d'avoir tout-à-fait raison, quand on est acteur, la lutte entraîne. Je trouve ces pauvres paysans Holsteinois plus entraînés qu’ils ne devraient l'être s'ils n’étaient poussés que par les intrigues des Augustenbourg ou par les chimères germaniques. Vous ne lèverez pas pour moi ce doute là, vous n’avez pas assez de goût pour la science.
Si j'étais à Paris, je vous montrerais huit ou dix pages que je viens d'écrire comme préface à la réimpression de Monk. Pas l'ombre de science, mais un peu de politique actuelle, et assez nette. Vous verrez cela avant la publication.
C'est grand dommage que vous ne soyez pas à Bade, entre toutes ces Princesses et Thiers. Cela vaudrait la peine d'être vu et décrit par vous. A coup sûr comme amusement, et peut-être aussi comme utilité. Il a précisément la quantité et la qualité d’esprit qu’il faut pour plaire en quatre ou cinq endroits à la fois. Je doute qu’il fasse rien de bien important ; il est trop indécis pour cela ; mais je ne crois pas non plus qu’il se tienne tranquille. Il est en même temps mobile et obstiné, et il change sans cesse de chemin, mais pas beaucoup de but. Je parierais qu'on ne vous a pas dit vrai au pavillon Breteuil quand on vous a dit qu’il était venu et qu’on l’avait vu. On tient beaucoup là à faire croire que les menées contraires pour les deux branches sont très actives. On vit de la dissidence.

Onze heures
Je vois que j’ai raison de ne pas croire au dire du pavillon Breteuil. J’aurais été fort aise de voir Tolstoy au Val Richer ; mais j’aime bien mieux qu’il soit retourné plutôt à Paris. Il est affectueux pour vous, et il vous est commode. Je vous quitte pour deux visiteurs qui viennent me demander à déjeuner ; M. Elie de Beaumont et M. Emmanuel Dupaty, la géologie et le Vaudeville, l'Académie des sciences et l'Académie française. Ce sont deux hommes d’esprit et deux très honnêtes gens, qui m’aiment et que j’aime. Adieu, adieu, adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 21 sept. 1850

Vous avez cent fois raison, il vaut mieux, pour un pays avoir des Liverpool pour ministres que des Canning. Et les Liverpool ont une vraie supériorité, car ils ont un meilleur jugement ; ils voient mieux les choses comme elles sont en effet, et ils se conduisent selon l’intérêt du pays, non selon la fantaisie de leur esprit ou le besoin de leur vanité. C'est pourquoi l’instinct public les regarde, et avec raison comme des hommes plus sérieux. Reste en même temps cet autre instinct qui n'accorde les honneurs de l'admiration publique et historique qu'aux hommes en qui éclate quelque supériorité du premier ordre qui les met, par quelque grand côté de la nature humaine tout-à-fait hors de pair. Les deux instincts sont également fondés et également indestructibles ; ils répondent à deux faits tout différents. Votre sentiment politique n'est donc point bourgeois du tout ; il n’y a rien de plus noble que le bon sens ; mais il n'exclut pas mon observation. Quant à honorer plus au moins les Liverpool ou les Canning, c'est une autre affaire. Question d'estime individuelle, non plus d’intérêt public. Si les Liverpool, avec leur esprit moins haut et moins rare, sont exempts de cet égoïsme vaniteux qui est le tort ordinaire des Canning ils sont infiniment plus honorables. Mais cela n’arrive pas toujours ; j'ai connu des Liverpool tout aussi égoïstes, et tout aussi vains que les Canning. La médiocrité ne met pas toujours à l'abri de la vanité, et la supériorité peut s'élever jusqu'au désintéressement modeste.
Puis, laissez-moi vous dire une autre chose, que je ne dirais pas à d'autres, de peur de passer pour un mystique, ce que je ne suis guère. Je ne sais pas du tout quels sont les desseins de Dieu sur le genre humain, mais certainement il en a car il ne nous laisse jamais tranquilles. Notre bonne et heureuse condition ici bas ne suffit point à ce qu’il veut faire de nous ou par nous. Il ne permet pas que nous nous y établissions. Il jette un levain caché, il frappe un coup imprévu pour nous tenir en fermentation continuelle. Il faut que nous marchions, que nous nous transformions. Quelquefois, nous nous précipitons nous-mêmes à tort et à travers, et Dieu punit notre fougue aveugle. Puis, nous voudrions nous arrêter vivre en repos, jouir de nos biens. Dieu n'y consent pas. Pour son œuvre à lui, le Gouvernement des Liverpool ne suffit pas ; il place à côté d’eux des esprits plus exigeants, plus remuants qui veulent du nouveau, font du bruit, poussent et entraînent les hommes. Vers quel but ? Selon quel plan ? Dieu seul le sait. Mais je crois en Dieu ; j’entrevois quelque chose de ses desseins, et du rôle qu’y jouent les Liverpool et les Canning, les Villèle et les Châteaubriand ; et cela m’aide à me soumettre à ce que j’ignore profondément. Vous avez touché une corde sensible. Aussi vous voyez comme elle résonne.

Onze heures
Je crois que vous pouvez vous dispenser de vous r'abonner au National et à la Presse. Ils ont assez d'abonnés pour oublier de se venger de votre abandon. Girardin est pourtant capable d’être piqué. Je m'étonne que votre ennui l'ait emporté sur votre poltronnerie. Les articles de l'Indépendance belge ne m'étonnent pas. Il y a et il y aura à Claremont une lutte intérieure qui se manifestera par des hésitations, des contradictions et des intermittences. Du reste l'Indépendance belge peut fort bien faire de tels articles, sans Claremont. Le Ministère actuel, dont ce journal est l'organe, est très hostile à la fusion et à tout ce qui de près ou de loin, sent la légitimité. Ce sont les Odilon Barrot de la Belgique. Adieu, Adieu. Ma fille doit arriver à Paris ce matin. Guillaume ira vous demander vos commissions.
Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 22 sept 1850

Je lisais hier dans Peel and his times, le récit de l’entrée de Canning dans le Cabinet de Lord Liverpool, les répugnances du Roi de tous les collègues de Liverpool, le travail de la marquise de Conyngham. Je regardais si votre nom ne venait pas. Il n'est pas venu. C’est un bien froid, sec et vide récit, quoique exact au fond. L’exactitude n’est pas la vérité, ni la vie. J’ai votre récit à vous très présent à la mémoire.
Certainement la revirade ou la conversion de Peel, comme on voudra l'appeler, est la plus complète qui se soit jamais vue. Tendre la main, en entrant aux Orangistes et en sortant, aux radicaux, c'est énorme. Pourtant on entrevoit dès les premiers temps que la revirade pourra se faire un jour, si un jour vient où il convienne qu’elle se fasse. Peel semble avoir toujours pressenti le triomphe des mesures qu’il combattait, et s'être ménagé une issue dans leur sens. Son père l'avait prédestiné et il se croyait lui- même prédestiné à être le successeur de M. Pitt. Ils ont tenu, M. Pitt et lui, les conduites précisément contraires. M. Pitt voulait certaines grandes mesures libérales, l'abolition de la traite l'émancipation des catholiques ; il les a toujours sontenues et avouées, et jamais faites. M. Peel les a toujours combattues, jusqu'au jour où il les a faites. L’un, élevé whig, devenu Tory ; l’autre élevé Tory, devenu plus que Whig. Voilà le facteur et votre lettre qui m’arrêtent au milieu de ma comparaison.

Onze heures
J’allais vous demander ce que signifie le voyage de la Gazette de France (M. Lourdoneix) à Frohsdorff. Je trouve à peu près la réponse dans mes journaux de ce matin. La circulaire du Conseil de M. le comte de Chambord met à l'index, l’appel au peuple. Elle a raison mais par par d'assez bonnes et grandes raisons. Je n’ai pas en idée que cette circulaire ait beaucoup de succès. C’était une excellente occasion de parler à tout le monde en parlant à son parti. L’occasion me semble un peu manquée. Napoléon avait coutume de dire: " L'exécution est tout." Il avait ses raisons pour le dire ; il était fou dans la conception et admirable dans l'exécution. Mais il est très vrai que l'exécution est beaucoup. La meilleure idée, mal exécutée devient une sottise. Moi aussi je n'ai rien de plus à vous dire. Je vous quitte pour me promener, un peu après déjeuner. Il fait encore beau mais d’un beau temps en train de se gâter. Adieu, Adieu. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Lundi 23 Sept 1850
Huit heures

Mes enfants sont arrivés. Merci de votre lettre. J'ai bien envie que tout soit vrai. Je reçois d'ailleurs bien des détails sur la situation, point contraires à ce que vous me dîtes d’une personne, mais qui me prouvent que d’autres personnes travaillent bien ardemment en sens contraire. Et les anciennes rivalités sont pour beaucoup dans cette ardeur là. Ce serait bien puérile s’il n’y avait pas derrière les noms propres tout autre chose, que des passions ou des intérêts personnels. Les personnes sont la personnification de politiques profondément diverses, et dans les principes et dans les tendances. C'est là ce qui fait la ténacité, et en même temps l'excuse des rivalités. Je voudrais bien que vous puissiez me dire quand le Duc de Noailles viendra à Paris. Je serais bien aise de le savoir deux ou trois jours d'avance.

Dix heures
Vous me demandez ce que je pense de la circulaire Barthelemy. Je vous ai dit hier ma première impression avant d'avoir vu celle de personne. Un énorme blunder, une bonne intention déplorablement exécutée et produisant par conséquent un effet contraire à l’intention. Toujours la même inintelligence des sentiments du pays et de l’impression que font sur lui certains noms, certaines paroles. La même démarche pouvait être faite, la même idée pouvait être exprimée de façon à forcer l’approbation des hommes sensés, et sans blesser même les badauds. On eût fait ainsi un pas. Au lieu de cela on donne un succès aux hommes à qui on veut donner sur les doigts et à qui le public eût été charmé de voir donner sur les doigts, car au fond il les déteste ; il voit en eux les émigrés, et les Jacobins à la fois. Je répète le mot de Napoléon : " tout est dans l'exécution. "
Je m'étonne que Berryer n'ait pas pressenti l'effet. On l'exploitera immensément. Je ne vois à ce triste incident qu’un avantage, c’est que la glace est rompue contre la Gazette de France. En résultera-t-il autre chose, qu’une discorde de plus ? Ou bien ceux qu'on a voulu battre ne reprendront-ils pas avantage pour avoir été si mal habilement battus ? Je crains la pusillanimité après la maladresse.
Certainement Boislecomte à de l’esprit beaucoup de pénétration et d'invention. Il est de ceux qu’il ne faut pas toujours croire, mais toujours écouter. Adieu. Adieu.
L'écheveau s’embrouille de nouveau en Allemagne; mais il me semble que Vienne tient décidément le bon bout du fil. A présent il faut dévider. C'est ce que Catherine de Médicis disait : " C'est bien coupé ; maintenant il faut coudre. "
Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 24 sept. 1850

Je suis un peu fatigué ce matin. Un mouvement de bile. Mon repos et un peu de diète m'en débarrasseront en deux jours. Plus j’y pense, plus je suis frappé de l'énorme malhabileté de cette circulaire et de l’excellente occasion ainsi manquée. On pouvait se poser (comme on dit aujourd’hui) à merveille, et on reste très mal posé, plus mal qu’auparavant. C'est savoir bien peu profiter de sa propre sagesse. M. le comte de Chambord se tient tranquille ; il ne veut ni conspiration, ni guerre civile, ni guerre Européenne. Il attend que la France sente elle-même qu’elle ne peut se passer de la Monarchie, et qu’il n’y a pas pour elle deux Monarchies. Quand la France sentira vraiment cela, elle le reconnaitra, tout haut. Comment ? Par qui ? Personne ne le sait aujourd’hui ; mais la France saura bien le trouver quand il le faudra absolument. Et quand la France aura reconnu cela, la monarchie sera rétablie. Voilà ce que dit la conduite qu'on tient. Il n’y avait rien de si aisé que de l’écrire; rien de si aisé que de repousser ainsi l’appel au peuple de M. de La Rochejaquelein, et de maintenir le droit monarchique sans offenser le droit national, bien mieux en le respectant et en agréant au sentiment public. On pouvait faire cela, et on fait ce que vous voyez ! J’ai peur que cette maladresse particulière ne soit le symptôme de la maladresse générale de cette intelligence politique de cette ignorance de l'état et de l’esprit du pays qui depuis si longtemps caractérisent et perdent le parti. C'est fort triste. Tout ce qu'on peut espérer c’est que cette sottise se perde dans la foule avec tant d'autres. Il en vient tant de tous les côtés.
Vous voyez que je ne me gêne guère ; je vous écris tout ce que je pense. Et ce que je vous écris, je le dis aux gens que je vois et à qui il peut être de quelque utilité que je le dise. Pourquoi me gênerais-je? J’ai un avis très décidé sur la situation; je crois qu'il y a un moyen, et qu’il n’y a qu’un moyen de sauver mon pays. Et en même je suis tout-à-fait hors de la mêlée simple spectateur et juge des coups. Je dis tout haut mon jugement C'est là aujourd’hui ma seule action. Je n'en cherche point d'autre. J’ai bien acquis le droit. d'exercer celle-là.

Midi
Je vois, par mes journaux, qu'on est aussi occupé à Paris, de la circulaire que je le suis moi-même dans mon nid. Plutôt on l'oubliera mieux ce sera. Les Débats sont en effet bien vifs contre la République. Ils prennent leurs avantages. Je veux m’arranger pour lire l'Union. Je ne vois pas d'ailleurs la moindre nouvelle qui mérite qu'on en parle. On annonce que la cour de Vienne a pris le deuil pour douze jours, pour le Roi Louis-Philippe. On y sera sensible à Claremont. Il n’y avait point eu de notification là, quand je suis parti. Adieu. Adieu.
Je ne me promènerai pas aujourd'hui. Je resterai tranquille dans mon Cabinet. Adieu. G.
Si vous revoyez Madame de Ste Aulaire, ou lui, faites leur, je vous prie, mes plus tendres amitiés.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 25 Sept 1850

J’espère que vous aurez bientôt de meilleures nouvelles de votre fils Alexandre. Vous ne me dites pas quel est son mal. Peut-être ne vous l’a-t-il pas dit lui-même. Il a l’air d'avoir un bien bon fond de santé. Dieu vous garde d’une longue inquiétude.
Vous aurez vu qu’on ne pouvait m'en dire, sur la circulaire, plus que je n'en pense. Je trouve le mal très grave et le symptôme encore plus grave que le mal. Que personne ne se soit douté de l'effet ! Certainement cela tourne au profit du Président, et je ne doute pas que ses conseillers, n’en tirent parti. S'ils savent se conduire, la chance est pour eux, non pas pour toujours, mais pour longtemps.
Vous avez raison de trouver à Achille Fould vraiment de l’esprit ; il en a et ce qui est plus rare, son esprit est de l’esprit politique ; il a de la mesure, et de la prévoyance, les deux qualités essentielles de l'esprit politique.
Je regrette de n'avoir pas été à Paris pendant le séjour de Lady Allice. Sa bizarrerie me plaît et sa passion pour vous me touche, Quand vous lui écrirez, parlez-lui de moi, je vous prie, et de mon regret.
La citation de Massillon est une bonne fortune pour La Rochejaquelein. Sa seule bonne fortune dans cette affaire, car elle ne vaut pas mieux pour lui que pour le parti. Il aura beau dire et on aura beau lui dire d'autres paroles. l'excommunication lui restera. Il est déclaré et repoussé dans la région des ombres errantes, rendez-vous des brouillons qui veulent plaire à tous les partis.
Croyez-vous, comme je le vois dans mes journaux, que, de Vienne, on soutienne à Cassel M. de Hassenpflug] ? Que l’Autriche défende les petits Princes de l'Ambition prussienne, je le comprends ; mais je ne la trouve pas, pour cela obligée d’épouser tous les Princes sots.
Que signifie ce qu’on appelle le manifeste du Président inséré dans le Bulletin de Paris et que l'Assemblée nationale attaque si vivement ? Cela fait-il aussi du bruit ? Si c'est authentique, il y a de quoi faire du bruit. Les premières séances de l'assemblée, seront curieuses. Je trouve l'article de M. Véron dans le Constitutionnel habilement fait. Pour lui-même et pour le Président. Il y a du monde, dans le pays, derrière cette position-là. Vous ne lisez pas l’Univers. Il défend la circulaire Barthélemy et reproche aux journaux légitimistes leur faiblesse. Le seul de son espèce.

Onze heures
Je ne vous reviens que pour vous dire adieu. Ne manquez pas, je vous prie, de me donner des nouvelles de votre fils, dès que vous en aurez. Adieu. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, jeudi 26 sept. 1850

On s’apercevra, je crois bientôt qu’on a fait une bévue en forçant les Journalistes, à signer leurs articles. On leur aura donné plus de prétentions et d’importance en leur donnant plus d'humeur. Je dis les journalistes, et non pas les journaux. Sous l’Ancien régime, on ne connaissait que le journal, et non pas les journalistes. C'était le journal qui avait de l'importance, et non pas ses rédacteurs. On aura changé cela au profit des rédacteurs, aux dépens du journal et du public aussi qui aura plusieurs prétentions à satisfaire et plusieurs fortunes à faire au lieu d’une. En Angleterre, les journaux ont de l'importance les journalistes point. On gagnera bien peu de chose par le peu d’embarras, et de crainte qu'on impose aux journalistes, en les obligeant de signer. L’ambition, la vanité et l'habitude auront bientôt surmonté cela. On perdra bien davantage en appelant aux honneurs du théâtre des gens qui vivaient dans les coulisses. Mesure de haine et d'humeur, bonne pour satisfaire la haine et l’humeur inintelligente et imprévoyante hors de là. C'est l’impression qui m’a frappé hier, en lisant mes journaux signés pour la première fois.
Autre raison. Quand les rédacteurs ne signent pas, l'autorité appartient au propriétaire qui a la responsabilité morale du journal. Quand les rédacteurs signent, une partie de l'autorité va à eux avec la responsabilité, c’est-à-dire que l'influence passe de l’esprit de propriété à l’esprit de vanité.
Il me revient que le président est décidé à fondre la cloche l’hiver prochain, c’est-à-dire sa cloche. Il demandera formellement à l'Assemblée la prorogation de ses pouvoirs avec la révision, de la Constitution. Si l’assemblée la lui refuse il ira seul devant le suffrage universel, vraiment universel. Il est décidé à durer, à durer tant qu’il pourra à faire tout pour durer. Je le comprends ; mais je crois qu’il se tromperait si pour durer il lançait lui-même le pays dans une secousse. Il pourrait se tromper beaucoup sur le résultat. Le pays s'en prendra de la secousse dont il ne veut pas à celui qui en aura pris l’initiative, et il la lui fera payer. La force du président est précisément de mettre le pays à l'abri d’une secousse nouvelle, et des maux et ce qui est pire des incertitudes dont l'idée seule fait trembler le pays. S'il est bien conseillé, il gardera à tout prix cette position qui lui donnera au dernier moment, quand il faudra absolument fondre la cloche, plus de chances de durée qu’il n’en trouverait dans un appel prématuré, et non indispensable, au suffrage universel.

10 heures
Votre récit de la revue de Versailles est curieux. Mistriss Howard et Lady Normanby ! Rien de plus, rien de moins. C’est un peu fort.
Vous voyez bien que j’ai raison de dire que Lady Allice me plait. Je vois qu’on a pris aussi le deuil à Berlin pour le Roi Louis Philippe. A ma connaissance, il n’y a pas eu plus de notification là qu'à Vienne. Il n’y en avait point il y a trois semaines. C’est donc spontané. Ils ont raison. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer 27 Sept. 1850

Ma journée d’hier a été pleine de visites de Caen, MM. de Nollent et Coste qui m’ont amené M. de Bourmont, de Paris, M. Laurence, l’ancien député conservateur. De Lisieux, mon ami M. Herbet, venant d’Anvers avec sa famille. Cela m’a assez fatigué, car je l'étais déjà de ma bile dont je ne suis pas encore tout-à-fait débarrassé. Mes visiteurs légitimistes étaient consternés ; d'autant plus que le principal, M. de Bourmont, était très fort pour l'appel au peuple, et qu’il avait le double chagrin de sa condamnation par le Prince et du mauvais effet de cette condamnation pour le parti. Ils m'ont dit qu'à Caen cet effet était grand, très grand dans le parti conservateur, et que beaucoup de conservateurs étaient encore plus attristés qu'irrités. J’aime assez, ce sentiment-là. Je le retrouve dans les Débats de ce matin qui appelle ceci, un incident pénible et décourageant. Il est bon qu’on soit triste de voir cette chance là, sinon perdue, du moins plus difficile et plus lointaine. Une autre impression que j'ai trouvée dans mes visiteurs légitimistes, c’est un ardent mépris pour les conseillers de M. le Comte de Chambord. On impute tout à leur malhabileté, à leur imprévoyance, à leur légèreté.
Le Duc de Broglie m'écrit ce matin : " Que dites-vous de la circulaire légitimiste ? Cela est fait à bonne intention ; mais je crains bien que cela n'affaiblisse le bon parti au profit du mauvais." Vous voyez qu’il y a là équité et bonne intention. J’irai du 8 au 18 octobre passer cinq ou six jours à Broglie.
Les journaux me semblent bien vides. Mon visiteur conservateur, qui me paraît assez au courant de l’Elysée, m'a dit qu’on était décidé là à ne rien proposer ni provoquer dans l'assemblée, sur la constitution et le président, avant le mois de mai prochain. A cette époque seulement, l'assemblée pourra légalement toucher, à la question. On se promet de la pousser très vivement alors, mais d'ici là on veut se tenir tranquille. On a raison de trouver que la retraite du manifeste présidentiel n’est pas plus nette que celle de la circulaire légitimiste.
Je regrette le Duc de Palmella. Conversation charmante. L’esprit plus libre, plus varié, plus flexible, plus accessible que la plupart des hommes d’esprit.
Un homme du midi qui a beaucoup vécu avec les hommes du Nord. Sir John Boileau m'écrit : " We hear from our officers who attended the Cherbourg review that the ships were in excellent order, and every thing highly creditable to our great neighbours. May we always live as neighbours ! " Il paraît bien que c’est là le sentiment qu’ils ont tous remporté de leur visite. Adieu, adieu.
J'espère que vous me donnerez bientôt de meilleures nouvelles d'Alexandre. Je vous parlerai demain de cet excellent Fleischmann. vous savez bien que je suis aussi entêté que vous. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 29 Sept. 1850

Je vous vends Fleischmann. Je suis frappé de son hostilité contre l'ancienne diète de Francfort. Quand un homme aussi honnête et sensé pense cela, il y a bien à regarder. Car il n'est pas complaisant pour les radicaux ; témoin ce qu’il vous dit de la Reine des Pays-Bas. Evidemment, il faut à l'Allemagne, autre chose que ce qu'elle avait avant février ; elle n'y retournera pas et ne s'y tiendra pas tranquillement. De loin, la raison le dit ; voilà un homme intelligent et monarchique à qui l’observation le dit de près. Le bon chemin entre le bouleversement et l'immobilité n'est pas encore trouvé. L’Autriche devrait le trouver ; elle n’est plus vouée à l'immobilité ; de gré ou de force elle change tant de choses dans sa propre maison, elle y admet tant de nouveau; elle devrait trouver aussi et admettre le nouveau qui convient au grand corps allemand. C’est la seule manière de déjouer l'ambition de la Prusse. Tout ce qu’il faut à l’Autriche, c’est que la confédération germanique subsiste tran quille et point asservie à la Prusse. Il ne se peut pas que l'ancienne organisation soit la seule qui atteigne à ce but. " Cherchez et vous trouverez. “, dit l'évangile qui a toujours raison. Je suis convaincu que, si l’Autriche, cherche sérieusement et sincèrement, elle trouvera.
Le Roi de Wurtemberg me fait dire qu’il espère que je retournerai sur le Rhin l'été prochain et qu’il me priera alors de pousser jusqu'à Stuttgart. Avez-vous vraiment quelque idée d’y aller voir, votre grande Duchesse ?
Peel and his times m'amuse toujours beaucoup. Je viens de lire 1827, l'apparition et la disparition de Canning. Vous n'êtes pas nommée du tout ; mais les menées autour de George IV, pour la formation de ce Cabinet brillant et éphémère sont assez vivement racontées, par un libéral modéré et de peu d’esprit, qui déteste les cours et les femmes dans les cours. Il parle du travail caché que faisait ou laissait faire le Duc de Wellington pour remplacer lui-même, Lord Liverpool et il dit : " The king was disposed to favour this tortuous course ef proceeding ; he had et this time become a kind of English Sardana palus, and was anxious, to have a government sufficiently strong to relieve him from all anxieties about affairs of state, and to leave him free to enjoy the imitation of a Mohammedan Paradise which he had established at Windsor, perfect in all respects save the prohibition of wine." Il raconte assez bien l'effet que fit sur le Roi la démission, simultanée des six anciens collègues Tories de Canning : " This, which certainly looked like an attempt to intimidate, fired the pride of George IV ; he immediately confirmed the appointment of M. Canning, and gave him full power to supply the places which had been vocated. " Cela vous amuserait.

10 heures
Votre lettre est intéressante. J'y répondrai demain. Adieu, adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 30 Sept 1850

Je reçois une assez curieuse lettre de Piscatory. Je vous l’enverrais si vous pouviez la lire. Il ne m’avait pas écrit depuis sa visite à Claremont. La Reine l’a frappé comme tous ceux qui la voient. “ J’ai eu joie à admirer, c'est un plaisir rare dans le temps où nous vivons. J'ai vu les Princes et Mad. la Duchesse d'Orléans. J’ai longtemps causé. Mais je ne crois pas que ce soit fort utile. Les idées de retour m'ont paru passer avant tout. Je le comprends; lorsqu'une telle destinée n'est pas prise par son grand côté, elle doit être intolérable. "
" Quoique aussi loin que moi, vous devez en savoir plus que moi sur ce qui se passe à Paris. Ce sont, ce me semble, de bien vaines agitations ; mais elles disposent bien ou mal les esprits pour le retour de l'assemblée. Voulez-vous me dire ce que vous en pensez ? Qu’est-ce que c’est que ce désordre dans le parti légitimiste ? Y a-t-il là une chance pour que les bons se séparent sérieusement des mauvais ? Cela me paraît fort douteux ; et à titre de simple spectateur, il me semble évident, mais pas mauvais, je l'avoue, que M. Barthelemy a fait une mauvaise campagne. Autour de moi, l'effet n'est bon ni dans l’un ni dans l'autre camp. Ne croyez pas cependant que je prétende voir clair dans ce que pensent mes voisins, petits et gros. Ce qui est incontestable, c’est que l'inquiétude, et le malaise sont généraux ; les uns en sont poussés, en avant ; les autres regardent avec regret la terre qu'ils ont perdue. Je ne crois pas que cela soit sérieux ; mais il est certain que le nom du Prince de Joinville se prononce très haut. Le Président ne gagne pas ; il n’y a que ceux qui ont sérieusement à perdre qui veuillent faire fie, qui dure dans ce semblant de repos. Ce n’est certes pas moi qui reprocherai à personne ses incertitudes ; j’en suis plein; et cela m'inquiéterait. Si je ne savais que quand le feu commence, je ne suis que trop disposé à prendre promptement mon parti. Mais hélas, que ferons-nous ? Pourquoi Dieu a-t-it voulu qu’on eût des enfants sur cette maudite terre ? Ce serait très curieux, et mes semblables m’ont assez désintéressé d'eux pour que je trouvasse tont cela fort amusant. Il n'y a pas moyen, on a des filles à marier du moins à faire vivre ; il ne s'agit donc pas de se passer ses fantaisies. Mais où est la raison ? Où est le bon chemin: où est le but ? Vous êtes bien habile ; et cependant vous ne me le direz pas. Dites-moi pourtant ce que vous pensez ? Quand je ne le sais pas, et plus encore quand je ne viens pas à bout de penser comme vous, je suis prêt à chanter comme les enfants qui sont seuls la nuit, et qui ont peur. "
Ne dites à personne, je vous prie, cette dernière phrase. Son amour propre pourrait être blessé s’il lui en revenait quelque chose et il ne faut pas troubler les bons sentiments en piquant l'amour propre. Mais vous voyez qu'il est incertain, inquiet, et point inabordable pour moi.
Je suis charmé que vous ayez pris le deuil et envoyé un consul général à Bruxelles, deux choses utiles pour l'avenir.
Charmé aussi de ce que Thiers a dit à Mercier sur le Général Changarnier. La double visite dont vous me parlez à Champlâtreux vaut la peine qu'on sache ce qu’ils y ont dit.
J’ai écrit à Villemain pour l'Académie. Je ferai ce qu’elle voudra. La raison veut que je reste ici jusqu'au mois de novembre. Pour mes affaires d'abord qui en ont besoin. Puis, parce que j’ai promis au Duc de Broglie d'aller passer une semaine chez lui, ce que je ferai mercredi 9 octobre. Visite utile. Un bon motif pour revenir plutôt serait charmant ; mais vraiment, il me faut un bon motif, autre que mon plaisir.

Dix heures
Ce qui me fait grand plaisir, c’est que vous soyez tranquille sur Constantin. Je vous ai dit que vous rêviez, et j'avais bien raison. Mais je n'aime pas les mauvais rêves pour vous. La Reine des Belges m'afflige profondément. Quelle prédestination aux épreuves ? La branche cadette ne le cède guère à la branche aînée, ni la Reine à la Dauphine. Adieu, adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 1er octobre 1850
8 heures

On me dit et ce sont des Belges qui le disent, que la mort de la Reine Louise. fera beaucoup de mal au Roi Léopold. Elle est pour beaucoup dans sa bonne position, et on lui en veut beaucoup de n’être pas bien pour elle. On va jusqu’à dire que cela pourrait devenir grave et amener des manifestations populaires qui pourraient amener des événements. Les mœurs du Roi font un grand contraste avec la piété de la Reine. Le peuple Belge y est très sensible, en affection et en colère. Il serait bizarre qu’un trône, qui a résisté à l'ébranlement de l’Europe, fût ébranlé pour des fredaines de 50 ou 60 ans. Quel est précisément l’âge du roi Léopold ?

Je viens de me lever. Je lisais dans mon lit. Toujours Peel and his times qui m’attache extrêmement. Attachement triste par ses retours ! Nous avons fait pendant 30 ans de la politique qui valait bien celle-là avec des débats qui valaient bien ceux-là. M. Royer Collard revenu à son amitié pour moi, me disait peu avant sa mort : “ Vous vous faites beaucoup d’honneur; vous êtes le premier de votre temps et entre les premiers de tous les temps. “ Gardez-moi le secret de mes secrets plaisirs d'orgueil. Est-ce que tout cela doit aboutir au régime d’aujourd’hui. Est-ce là la fin ? Je ne le crois pas, mais quelques fois, je le crains. Je ne pense pas que je devienne superstitieux ; mais en tout cas, il y a de quoi devenir modeste ; on fait bien peu, même quand on fait bien, et il ne faut pas un bien grand vent pour tout emporter.

Onze heures
Les mêmes nouvelles nous arrivent en même temps. Votre lettre me dit ce que je viens de vous dire sur la Belgique. C'est triste et grave. Je pense sans cesse à la pauvre Reine de Claremont. J'espère qu'elle aura la satisfaction de voir encore sa fille. Pourquoi attend-elle ? Est-il vrai que la République ait témoigné à Bruxelles des craintes sur l’arrivée de la famille royale à Ostende ?
La joie à cause de la circulaire Barthelemy me paraît bien puérile. J’en doute un peu. Non pas qu'on l'ait manifestée, mais qu’on la sente réellement. On aura cru que la fusion devenait impossible, au moins que tout le public en France le croirait et le dirait. On aura voulu être de l'avis actuel du public ; sauf à avoir plus tard un autre avis si les évènements en suggèrent un autre. Suivre le vent, tous les souffles du vent, c'est l'habileté des habiles qui n’ont pas la grande ambition ni la grande habileté !
Voilà un horrible accident dans ma famille. Cette jolie petite Mad. de Vaines vient d'être horriblement brûlée. Son mari me donne les mêmes détails qui sont dans les débats. On espère la sauver mais sans certitude. On est à peu près sûr que, si elle est sauvée, elle ne sera pas défigurée. Pauvre jeune femme qui s'amusait de si bon cœur ! On est arrêté tout à coup dans le plaisir, comme dans la bonne politique. Adieu, Adieu.
Je vais aujourd' hui dîner à Lisieux malgré la pluie. Demain j'aurai du monde et de la conversation. Vendredi, 4, j'aurai 63 ans. Samedi 5 M. Hébert vient me voir avant d'aller à Claremont. Mercredi, 9, je vais à Broglie. Voilà mes affaires d’ici à huit jours. Adieu. adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 2 oct 1850

Je vous dirai bien peu de chose ce matin. Je viens de causer trois heures. J'en ferai encore autant dans la journée. Tout cela vous reviendra demain. J’ai vos deux lettres. Je ne suis jamais trop riche.
Je reçois la réponse de Villemain. L’Académie me laisse, pour mon retour, toute la latitude que je voudrai ; mais il est clair qu'elle a envie que je ne tarde pas trop. Je serai à Paris dans les huit derniers jours de ce mois. Je comptais y être vers le 10 novembre. J'avancerai de quinze jours. Grand plaisir. Mais soyez sûre que sauf mon plaisir, il ne me convient pas de paraître impatient d'être à Paris. L'Académie est un très bon motif de retour.
Villemain m'écrit une lettre charmante. J'en ai une de Duchâtel triste. Comme il peut être triste. Il a de bonnes vendanges en perspective. Parfaitement sensé et spirituel, selon sa coutume.
Je ne comprends rien aux Ellice. Je commence à croire qu’il y a, dans l’intérieur de cette famille, sur l’amitié de Marion pour vous, quelque chose de plus sérieux que nous ne savons, quelque grand orage domestique. Je ne m'explique pas Marion autrement. Il faut de la tragédie pour que ce ne soit pas très ridicule.
Nous verrons Radowitz à l'œuvre. Il me paraît de ceux à qui l’œuvre ne va guère, l'œuvre en chef et responsable. Les esprits actifs confus et faux, se sauvent à la faveur de la critique et des promesses. C’est quand il faut entrer dans la lumière, et l'action que leur vice éclate. Adieu, Adieu. G.

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Le porteur de ce billet vous dira tout ce que je lui ai dit. Il y a plusieurs choses que je crois bon qu’il dise de ma part au duc de Noailles soyez assez bonne pour en prévenir le Duc et pour lui demander où il lui convient que M. ... aille le chercher. Merci de ce qu’il m'a apporté. C’est très important et très bon. Je ne sais s'il faut se fier absolument mais je suis sûr qu'il ne faut pas se méfier du reste, je ne vous écris rien. Tout vous sera redit.
Adieu. Adieu, adieu. G.
2 oct. 1850

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Val Richer, Jeudi 3 octobre 1850
8 heures

Duchâtel m'écrit : " Je trouve l'esprit encore abaissé depuis un an dans ce pays. On ne sait ni ce qu’on veut, ni même ce que l'on désire. On demande l’ordre matériel sans savoir à quelles conditions, ni par quels moyens il peut être procuré. On dérive constamment sur la pente de l’imprévoyance et de la platitude. Aussi la fusion est-elle très peu populaire à Bordeaux. On y aime peu les légitimistes auxquels les conservateurs reprochent, non seulement leurs péchés d'ancien régime, mais leurs alliances des dernières années avec la Montagne. Il est impossible, d’un autre côté, de rien voir de plus maladroit, de plus déplaisant de plus dénué d’esprit politique, que les légitimistes de province. Ils auraient pour but de sa faire détester qu'ils ne s’y prendraient pas autrement.
Le Président, de son côté, a beaucoup perdu. L’idée de l'Empire n'entre plus dans la tête de personne. Les plus chauds partisans du statu quo ne vont pas au delà, d’un nouveau bail de quatre ans. Mais ce que les légitimistes et le président perdent, personne ne le gagne. La France avec ses folies, était destinée à donner le spectacle, digne d’une maison d'aliénés, d’un jeu où il n’y a que des perdants, sans gagnants. Si le bon Dieu ne vient pas à notre aide, nous n'avons guère de chance de nous en tirer. "
Vous voyez qu’il n’est pas gai. Cependant il ne change nullement d’avis et ne renonce point.
Je viens de lire l'article de [?] Marc Girardin dans les Débats. La première partie mauvaise. La Seconde sauf un mot, bonne et utile. Ce qui domine dans les journalistes, c’est la polémique. Ils ont besoin de porter des bottes. On se pique aisément à ce jeu là. Il y a, dans tout cet article, plus de polémique que de politique. Je fais dire ce que j'en pense, sur le ton de l’observation amicale, et dans l’intérêt du Journal lui-même. Son importance subsiste et il en gagne dans le parti conservateur plutôt qu’il n'en perd. Précisément parce qu'il est à la fois fidèle au parti et point étranger à ses passions. Mais on peut agir sur lui, à condition de ne jamais se lasser. C’est la condition de tout succès en ce monde.

Onze heures
L’infamie est grande. Mais je ne crois pas qu’il y ait à hésiter. Il faut vous épargner le désagrément de cette publication. Pur désagrément de journaux et de bavardages, mais qui vous ennuierait fort. Il faut seulement avoir de cette femme une déclaration bon et dûment signée, que le manuscrit qui serait remis est unique, qu’il n’en existe aucune copie, et que toute publication qui en serait faite ultérieurement ne serait qu'une fabrication mensongère. Je sais ce que cela peut valoir avec de telles gens. Pourtant c’est une arme, et un moyen de discréditer s’il y avait lieu. Je suis comme de raison, prêt à aller causer de cela avec vous, s'il le faut. Mais je ne vois guère ce que j'aurais de plus à vous dire et je crois qu’il faut prendre garde de ne pas grossir cette petite indignité. Je ne puis agir d'aucune façon, car je ne pourrais agir sans paraître ce qui aurait de l'inconvénient. Parlez de cela à mon visiteur d’hier, que vous aurez vu ce matin. Il est plus propre que personne à donner un bon conseil, en telle occasion, et à faire ce qu’il peut y avoir à faire pour en finir. Et comme si vous aviez, comme je le présume besoin d’une entremise, il faut mieux que ce ne soit pas la sienne, je joins ici un mot pour lui où je lui indique un homme très propre à s'en charger, très sûr ; et qui le ferait, je n'en doute pas, de très bonne grâce, car il m'est fort dévoué. Remettez ce billet à mon visiteur ; quand vous en aurez causé avec lui, je crois que vous serez de mon avis. Je vous renvoie la lettre. Je suis vivement contrariée, pour vous de l'agitation que cela vous donne. Certainement il est difficile de voir une plus indigne action. Adieu, adieu.
Soyez sûre que les deux personnes que je vous indique sont très intelligentes, et très dévouées. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Vendredi 4 oct. 1850

J’y ai bien pensé depuis hier. Je ne vois rien de mieux à faire sur cette infamie, ni aucune précaution plus efficace à prendre pour l'avenir. Et les deux personnes que je vous ai indiqués sont très propres à ménager l'exécution. Peut-être vous suggéreront-elles quelque autre chose ? Peut-être en aurez-vous déjà parlé à quelque autre personne. Je doute qu’il y ait plus ni mieux à faire. Votre frère vous a fait là un triste legs. Je voudrais bien que vous ne vous en agitassiez pas outre mesure.
Moi aussi, je trouve la lettre de M. Molé dans les Débats très bonne ; venant à propos et bonne en soi. Il faut voir de près le mal qu’a fait, dans la masse des honnêtes conservateurs, la sotte circulaire. Leur principale objection contre la fusion était cette question : " Est-elle possible ? " Depuis la circulaire, ils se répondent eux-mêmes : " Non. " Il faut du temps et des incidents nouveaux.
Vous avez bien raison ; il a fallu une immense gaucherie au Roi pour faire dire de lui ce qu’il méritait si peu. Je n’ai jamais vu un plus étrange amalgame d'adresse et de gaucherie, d’esprit profond et de légèreté de persévérance et de mobilité. Beaucoup de finesse et point de tact, une grande expérience des hommes et aucun sentiment juste de l'effet que produisaient sur eux ses actions et ses paroles. Deux idées fixes, suite ses impressions de sa jeunesse : l'iirésistibilité du torrent révolutionnaire, une fois débordé, et la détresse des proscrits sans argent. On ne sait pas combien de choses ont découlé de là. Les articles de M. de Montalivet sont intéressants, et utiles.

Dix heures
Votre trouble me désole. Je l’entrevoyais et je le comprends, mais je le crois excessif. Je vous répète que je suis prêt à venir si vous le désirez, pour vous car, pour la chose, je ne vois vraiment pas ce que ma présence y fera de plus ; sinon de donner à penser à ceux qui pourraient y regarder avec curiosité qu'elle est grosse et qu'on les craint. Si l'affaire ne pouvait pas être réglée à Paris, ou si le temps manquait, il faudrait envoyer sur le champ à Bruxelles, et l'homme que j'ai indiqué dans mon billet à mon visiteur serait très propre à cela. Soyez sûre qu’en pareille occasion, il faut faire le moins de bruit et se donner le moins de mouvement extérieur possible. L’important c’est d’avoir le manuscrit avec une déclaration comme celle dont je vous ai parlé. J’y pense et repense, et je ne vois pas autre chose à faire ; et pour faire cela, les deux personnes que je vous ai indiquées me paraissent toujours, ce qu’il y a de mieux, soit qu'on puisse régler l'affaire à Paris avec le fils de cette femme, ou qu’il faille aller à Bruxelles ou à Aix- la-Chapelle, pour un waiter soit avec le libraire, soit avec elle-même.
Enfin, je suis comme de raison à votre disposition ; mais je vous prie vous et vos conseillers d'y bien penser ; je ne crois pas qu’il soit utile que j'aille. Vous avez parfaitement fait d’en parler à Dumon. Adieu, Adieu, Adieu. Que je regrette de n'être pas là pour vous calmer un peu ! Adieu. G.
P.S. Je ne comprendrais pas que cette femme eût retrouvé à dessein l’envoi de sa lettre, pour que vous n'eussiez pas le temps de répondre dans le délai indiqué à sa proposition, car alors pourquoi vous l'aurait-elle faite ? Sa lettre est une arme contre elle, et elle ne put l'écrire qu'avec le désir que sa proposition fût accueillie.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 5 oct. 1850

Votre trouble me désole. Je vous assure qu'il est excessif. Que peut dire cette femme ? Des choses désagréables ; rien de plus car il n’y a rien. En mettant donc les choses au pis, ce pourrait être un grand ennui, un vif déplaisir ; mais voilà tout. Je sais trop que des paroles ne remettent pas des nerfs ébranlés, pourtant vous avez l'esprit si juste et si ferme, quand vous oubliez vos nerfs, que ce qui est, ce qui est réellement ne peut pas ne pas finir par vous frapper et par vous calmer. Il n’y a vraiment pas, dans ceci de quoi être agitée comme je vous vois. J’ai bien quelque droit de vous le dire, car j'y suis intéressé aussi. Voyez la chose comme elle est dans sa juste mesure. elle ne vous empêchera plus de dormir. D'ailleurs j'ai la confiance qu'on réussira à prévenir le désagrément. Il importe peu qu’on fasse exactement ce que j'ai indiqué. Vos conseillers sont très intelligents ; ils trouveront ce qu’il y a de mieux à faire. Et plus j'y pense, plus je me persuade que cette femme ne veut, après tout, que ce qu’elle demande et qu’elle serait bien fâchée d’être refusée. C’est un acte de mendicité infâme. J’espère que vous m’apprendrez bientôt que tout est réglé et que vous êtes plus calme. Moi aussi, cela m'a empêché de dormir cette nuit, pour vous.
Je ne lis pas l'Opinion publique, mais j'ai vu dans l'Estafette la citation dont vous parle M. Molé. Je me suis bien rappelé le passage. Je crois qu'il est dans un de mes cours. J’y ai traité plusieurs fois cette question-là. Je reçois une lettre curieuse de M. Moulin. Plus curieuse que d'autres parce que ce qu'il me dit est en contradiction avec ce qu’on me dit d'ailleurs et avec ce que j'observe moi-même ici. " La lassitude et l'impatience du pays, me dit-il, sont extrêmes. Il veut en finir à tout prix. Il acceptera, il sollicitera, il exigera un mauvais expédient si on ne lui fait pas entrevoir comme prochaine une grande et définitive solution. Dans nos départements du centre, le socialisme a conservé presque toutes ses forces ; ce qu’il paraît en avoir perdu se retrouverait dans une crise d’élections générales. La loi électorale ne lui ferait obstacle que sous cette condition, difficile à réaliser, que toutes les fractions du parti modéré, Napoléoniens, Orléanistes, Légitimistes, Clergé, Républicains paisibles, s’il en est encore, seraient, comme aux élections du 13 mai 1849, parfaitement unies, et disciplinées.
Si l’on convoque jamais une Constituante, chaque parti arborant son drapeau, l'accord ne sera plus possible et le socialisme aura beau jeu. Aussi, dans nos départements, le parti modéré n’a qu’un vœu, qu’un cri. Pas de Constituante ! Plus d’élections par le suffrage universel, ou quasi-universel ! Que l’Assemblée législative en finisse comme elle voudra le mieux qu’elle pourra avec le président, ou le général Changarnier, ou tout autre, par la Monarchie, ou, si la Monarchie n’est pas encore possible, pas la république autrement constituée ! Voilà ce que j’entends dire, répéter depuis bientôt deux mois par nos anciens amis. Ce n’est pas seulement un désir véhément, c'est une idée fixe. Je n'ai pas été peu surpris de trouver cette disposition tout aussi vive, tout aussi manquée dans les légitimistes malgré leurs journaux et le mot d’ordre de leurs chefs, que dans les anciens conservateurs. Quant au Président il a sensiblement perdu dans les masses ; il gagne faute d'autres, dans la bourgeoisie propriétaire et il a conquis jusqu'à nouveau changement, la plus grande partie du monde officiel. Le pays que j'habite n’est pas si pressé, et verrait le mauvais oeil quiconque prendrait l’initiative d’une seconde nouvelle.
Montebello est-il à Paris ? Ou savez-vous quand il y revient ? Adieu, Adieu.
Je n’ai pas encore ouvert mes journaux. Je suis bien plus préoccupé de votre agitation que de celle de la Hesse. Je persiste à ne pas croire à la guerre. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 6 Oct. 1850

Je suis désolé que vous n'ayez pas vu tout de suite mon visiteur. Il faut qu’il ait passé la journée hors de chez lui, car je suis sûr de son zèle. Je n'en espère pas moins qu'on aura été à temps. Je suis de plus en plus convaincu que cette femme a besoin d'argent, et qu’on ne lui offre pas, d’un autre côté, ce qu’elle dit. Elle ne me paraît pas personne à ne commettre qu’une demi-infamie, si l’infamie entière lui eût été plus profitable. Enfin, les raisonnements ne servent à rien. Il faut attendre. à quoi sert aussi de vous dire que je regrette du fond du cœur de n’être pas près de vous quand vous êtes triste et agitée. Mais plus j'y pense, plus je suis convaincu qu’il valait mieux ne pas paraître du tout, rester directement, tout-à-fait étranger à la chose; ce qui ne serait certainement pas arrivé si j’avais été là. Je ne puis guère me déplacer sans qu’on y cherche une raison ; et la curiosité trouve presque toujours quelque chose de ce qu’elle cherche ; ou bien elle met autre chose à la place, ce qui ne vaut pas mieux. Dieu veuille que cet ennui finisse bientôt.
Pauvre reine. Je n'espérais pas que ce coup lui fût épargné ; mais j'espère qu’elle aura revu sa fille. Quelque affreuse que soit la séparation, je trouve bien plus affreux de se séparer sans se voir. Tout ce que vous m’avez écrit sur la reine Louise et sur la position du Roi m’est encore revenu de plusieurs côtés. J’ai peine à croire aux conséquences extrêmes. Au fond, les Belges sont sensés, et le Roi Léopold aussi. Il faut être un vieux poète antiquaire, comme le Roi de Bavière, pour défendre jusqu'au bout Lola montes.
Le Journal des Débats revient ce matin, c’est-à-dire recule sur sa polémique avec les légitimistes. Il ne serait pas impossible que tout cet incident eût son utilité, et que de part et d’autre, on comprit mieux sa position et la nécessité de s'accepter, tout au moins de se ménager mutuellement.
Dans ce pays-ci, la circulaire a blessé les conservateurs, comme partout, et reculé la fusion ; mais il y a eu plus de tristesse que de colère, un certain regret que la fusion fût si difficile, peut-être impossible. On s'en est éloigné, mais on ne lui a pas tourné le dos.
Avez-vous remarqué l’article de la Gazette d’Autriche sur Radowitz ? Je l'ai trouvé bon, point flatteur et point irritant, propre à agir sur l’esprit d’un homme d’esprit et à le rendre attentif sur sa position. Je me persuade que là comme ici, il faut une nécessité absolue, un danger imminent pour obliger deux puissances à s'entendre au lieu de se quereller. On ne se fera pas la guerre pour M. de Hassenpflug. Adieu, Adieu.
Moi aussi, je ne sais pas vous parler d'autre chose que de ce qui me préoccupe, c’est-à-dire de vous. Adieu encore. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Je pars ce soir ; et ne sachant pas dans quelle voiture je trouverai une place, je vous écris deux mots à tout hasard. Je compte en tout cas vous voir demain matin. Adieu, adieu. G.

Val Richer. Lundi 7 oct. 1850

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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J'arrive. Je serai chez vous entre midi, et une heure, adieu, adieu. G.

Mardi matin 8 Oct. 1850

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 13 Oct. 1850
8 heures

Je me lève. J'ai bien dormi. J'en avais besoin. Le temps a été magnifique hier. J'espère que vous vous serez promenée, que vous aurez marché. Il faut profiter des derniers beaux jours. Vous serez assez longtemps réduite à ne vous promener qu'en voiture. Je suis assez curieux de ce que vous me direz ce matin de votre dîner d'avant-hier. J'espère que vous aurez trouvé l'occasion de dire à votre principal convive ce qui me concernait. Je crois utile que cela lui soit dit.
Les Holsteinois sont bien acharnés. Le roi de Danemark même vainqueur aura de la peine à redevenir vraiment le maître là. Tant d'opiniâtreté indique sur le lieu même, un sentiment populaire énergique et la passion de l’esprit germanique viendra toujours réchauffer ce sentiment là. L'Allemagne n'échappera pas à une grande transformation. Je ne sais laquelle ni comment ni au profit de qui ; mais l'Allemagne ne restera pas comme elle est. Je ne vois en Europe que l’Angleterre et la Russie qui aient chance de rester longtemps comme elles sont.

Midi
Pauvre Reine ! A moi, comme à vous, ce sont les seuls mots qui viennent. Avez-vous remarqué son petit dialogue avec le curé d'Ostende à l'entrée et à la sortie de l’église ? " Priez beaucoup pour mon enfant. " Je ne connais rien de plus touchant que ces simples mots.
Merci de vos détails, très intéressants sur votre dîner. Si vous trouvez quelque occasion naturelle de dire ce que je vous rappelais tout-à-l'heure, soyez assez bonne pour la saisir. Le petit article des Débats sur la séance de la commission permanente me frappe un peu. C’est certainement Dupin qui l’a dicté. Il prouve que si la commission ne veut pas pousser les choses à bout; elle veut les avoir prises au sérieux. Il faut que le Général d'Hautpoul soit congédié avant l’ouverture de l'Assemblée.
Je suis fort aise que Marion ait pris son parti. Faites lui en, je vous prie, mon compli ment en lui disant combien je regrette de ne l'avoir pas vue. Je lui aurais conseillé ce qu’elle fait. J’ajoute seulement que s'il est bien convenu qu’elle restera à Paris avec sa soeur Fanny, il faut qu’elle y reste en effet quand ses parents partiront. Si elle retourne en Angleterre avec eux, elle ne reviendra pas. Adieu, Adieu. G.

Le Duc de Broglie ira certainement à Claremont car la Reine et la famille Royale y retourneront, je pense, aussitôt après les obsèques. Je crois que j'irai à Broglie lundi 21, pour 48 heures. Adieu, encore.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 14 0ct 1850

On rentre mes orangers, dans l’orangerie. C’est la préface de l'hiver. Moi aussi, je suis un arbre du midi quand l'hiver vient, il faut que je rentre. Je compte partir d’ici le mardi 29 et être à Paris le 30. Pauline et son mari resteront quelques jours après moi. Henriette part vendredi prochain. J'ai besoin de bien employer les quinze jours qui me restent. Il y a cent petites choses que je veux avoir faites avant mon départ. Ma course à Broglie me dérangera ; mais elle est nécessaire. Je tiens à causer avec lui. J’y passerai deux jours.
J’écris aujourd’hui à la Reine et au Roi Léopold. Je voudrais avoir des nouvelles du duc de Nemours. Je vois qu’il a été pris d'une de ces crises nerveuses auxquelles il est sujet, et qu’il a fallu l'emporter dans sa chambre. Quelle tragédie. Et dans les tragédies royales, depuis la maison d'Oedipe jusqu'à la maison d'Orléans, c’est toujours une femme qui est la figure frappante, le type du malheur, et du dévouement. Antigone, la Dauphine, la Reine Marie-Amèlie. La femme de la tragédie des Stuart est la plus obscure, Marie-Béatrix de Modène. Elle aussi a pourtant son originalité et sa grandeur. Grandeur de couvent plus que de trône, si vous aviez des yeux, je vous engagerais à lire son histoire dans les Lives of the Queens of England de Miss Agnes Strickland, livre médiocre et écrit avec une partialité jacobite puérile, mais plein de détails anecdotiques, et de lettres originales qui ont de l'intérêt.
Je reviens à une autre tragédie non pas royale, mais populaire, celle du Holstein. Quel acharnement mutuel devant Friedrichstadt. Je suis sûr qu’il y a eu là des scènes de passion, de courage, de dévouement et de douleur égales à celles des plus célèbres luttes historiques. Les hommes ont quelquefois de l'énergie et de la vertu à prodiguer obscurément sur les plus petits théâtres ; et puis elles leur manquent quand elles auraient tant d’éclat devant le monde entier qui regarde.
J'ai lu attentivement le discours du Roi de Danemark à l’ouverture de sa diète. Remarquable par le ton confiant, sûr de son fait et amical pour son peuple. On y sent que roi et peuple sont d'accord et ne font vraiment qu’un. Il paraît que son mariage à la mode ne l'a pas encore dépopularisé. Pardonnez-moi mon calembour.

10 heures
Je reçois un des principaux journaux de Bruxelles. C'est beau et touchant, et ce sera pour la pauvre mère qui survit, une vraie consolation. Elle a le cœur assez grand pour rester sensible à ces consolations là. J’ai une lettre d'Ostende, d’un de mes amis M. Plichon, qui était là ; il m’écrit ce que disent les journaux, plus ceci : " La Reine Marie Amélie est sublime ; elle est devenue surnaturelle. c’est elle qui console les enfants, l’époux, les frères. Une heure ne s’était pas écoulée depuis le moment suprême que déjà elle était aux pieds de l’autel, environnée de toute sa famille, et donnant l'exemple de la résignation aux décrets de la Providence. Elle m’a fait la grace de me recevoir. Elle ne tient plus à la terre. Depuis Ste Thérèse, je n'ai pas vu une sublimité morale aussi grande. " La comparaison est un peu étrange ; mais mon correspondant est un admirateur passionné de Ste Thérèse comme s’il l’avait vue. Il a dit ce qu’il a trouvé de plus beau.
Votre impératrice ferait vraiment bien d’écrire Adieu, Adieu, Soignez votre estomac. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Mardi 15 oct. 1850

Voici une question que je ne trouve pas, dans ma bibliothèque d’ici, les moyens de résoudre et sur laquelle mon petit visiteur ira peut-être vous consulter. mon libraire veut mettre sur le titre de Washington, les armes des Etats-Unis d’Amérique, et sur le titre de Monk, les armes d'Angleterre. Mais ce sont les armes d’Angleterre sous les Stuart qu’il faut là et non pas les armes d'Angleterre sous la maison de Hanovre. Je ne me rappelle pas bien et je ne puis indiquer d’ici les différences. On fera la vérification, à la Bibliothèque du Roi, (nationale aujourd’hui) et je pense qu’on trouvera là tout ce qu’il faut pour la faire. Mais si quelque renseignement manquait aurait-on, à l'Ambassade d'Angleterre, et votre ami Edwards pourrait-il procurer de là un modèle des armes de Charles 2 en 1660 ? J'espère qu’il ne sera pas du tout nécessaire que vous preniez cette peine, mais je veux vous prévenir qu’il est possible qu’on vienne vous en parler.
Ce que vous a dit de Cazes ne m'étonne pas. Bien des gens le pensent. C'est peut-être le plus grand danger qu’il y ait à courir. J’ai très mauvaise idée de ce que serait le résultat. Probablement encore un abaissement de plus. Mais la tentation serait forte. Je dois dire que les dernières paroles qui m’ont été dites à ce sujet ont été très bonnes et très formelles.
Avez-vous revu Morny ? Je suis assez curieux de savoir, s'il vous dira quelque chose de mes quelques lignes, et de l’usage qu’il en a fait.
La corde est en effet bien tendue en Allemagne. Pourtant il me semble que Radowitz prend déjà son tournant pour la détendre un peu. Que vaut ce que disent les journaux de son travail pour amener l'union restreinte à n'être qu'une union militaire comme il y a une union douanière ? Ce serait encore un grand pas pour la Prusse et je ne comprendrais pas que les petits États se laissassent ainsi absorber par la Prusse sans avoir au moins le voile et le profit de la grande unité germanique. Mais il y aurait là un commencement de reculade. Je persiste en tout cas à ne point croire à la guerre. Personne n'en veut, excepté la révolution qui a peu prospéré en Allemagne. L'indécision même de votre Empereur entre Berlin et Vienne est un gage de paix. Y eût-il guerre, le Président ne serait pas en état, le voulût-il de faire prendre parti pour la Prusse. On ne prendrait point de parti de Paris comme de Pétersbourg et de Londres on remuerait ciel et terre pour empêcher la guerre, qui serait de nouveau la révolution. Je ne viens pas à bout d'être inquiet de ce côté, malgré le duo de bravoure de Radowitz et de Hübner.

10 heures
Je vois beaucoup de bruit dans les journaux et rien de plus. Pas plus de coup d’Etat en France que de guerre en Allemagne. Je n'ai qu'une raison de me méfier de mon impression ; c’est qu’il ne faut pas aujourd’hui trop croire au bon sens. Notre temps a trouvé le moyen d'être à la fois faible et fou. Adieu, adieu.

Je reçois de mauvaises nouvelles du midi de la France. On m’écrit que les rouges y redeviennent très actifs. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 16 0ct. 1850
9 heures

Je reçois votre lettre qui me préoccupe. Je m'étais arrangé pour être tranquille par la retraite du Ministre de la guerre. Au fond, je persiste. Il me faut des faits positifs pour troubler ma tranquillité. Avant les revues, et le vin de Champagne, et la commission permanente, j'étais bien plus inquiet pour le Général Changarnier. Depuis longtemps, il n’avait rien fait, rien ne lui était arrivé ; je le trouvais un peu affaibli. Le dernier incident l'a rajeuni. Le voilà de nouveau le représentant de la discipline, de la légalité, de l'Assemblée. Dès que la question se pose ainsi, je ne crois plus que personne y touche. Il n’y a personne aujourd’hui pour rien tenter de gros. Les revues et vive l'Empereur sont le thème du jour. Ce thème mettrait dans son tort quiconque toucherait à quelque chose. Le public est de l'avis de Beauvale. Le vin de champagne a effacé la circulaire. Le public veut le Président et le Général Changarnier. Pourvu qu’ils s’arrangent ensemble, peu importe le reste. Mais il faut qu’ils s’arrangent, et celui des deux qui dérangera l'autre sera le mal venu. Je serais bien surpris, si M. Fould n'était pas de cet avis.
Voyez le Constitutionnel lui-même ; c’est tout ce qu’il peut faire que d’excuser les Vive l'Empereur ! Et il les excuse assez gauchement. Je comprends qu'on fasse l'Empire si on peut ; mais le crier, sans le faire, est absurde.

Midi.
Je suis fort aise de ce que vous me dites de la résolution du général Lahitte quant à l'Allemagne. J’espère qu’elle ne sera pas mise à l'épreuve. Je trouve du reste cette politique déjà annoncée dans le Bulletin de Paris. Lahitte prend ses précautions, et il a raison.
Si vous écrivez un de ces jours à Lord Aberdeen, soyez assez bonne pour lui demander s'il a reçu une longue lettre de moi, celle que vous savez. Je voudrais être sûr qu'elle est arrivée. Ce serait charmant qu’il vînt nous voir à Noël. Pourquoi pas ? Rien ne le retient à Londres et il se plaît à Paris.
Je ne trouve pas que la réponse de M. de Montalivet à Napoléon Bonaparte, dans la Revue des deux mondes qui m’arrive, soit bonne. Elle est vague et timide. Il y avait bien plus à dire, et à dire plus sèchement.
Je vois que la Reine est encore à Lacken, et y restera peut-être plusieurs jours. Je lui ai écrit à Claremont, en envoyant ma lettre au Général Dumas. J'espère qu’il la lui aura envoyée. Madame la Duchesse d'Orléans, s’est hâtée de retourner, sans doute à cause de ses enfants. Adieu, Adieu.
Je vais me promener. Il fait un temps magnifique, doux et pur. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 17 Oct. 1850

Le temps est étrangement beau et doux. Un soleil d’été sur une nature, d’automne. Je me suis promené hier deux heures. J’avais trop chaud. Vous auriez beaucoup joui de cet avis-là. Il vaut mieux que celui du bois de Boulogne. Mais dans quinze jours nous serons en hiver. Il ne faut pas s’attacher à ce soleil. Je n’y penserai pas quand je serai avec vous. Mais, hors ce qui me plaît par dessus tout, la liberté, le repos et les spectacles de la campagne, me plaisent maintenant plus que le reste. La nature a du bon sens et de la grandeur.

10 heures
Kisselef a tort d'être si troublé. Certainement, s’il y a guerre en Allemagne (ce que je ne crois toujours pas), il y aura en France à l'Elysée et dans les journaux, des velléités de s'en mêler. Des velléités sincères, et des velléités hypocrites. Le public, le vrai public n'en voudra pas. L'assemblée sera comme le public ; le ministère comme l’assemblée ; et on ne s'en mêlera pas. Et l'Elysée sera fort aise qu’on ne veuille pas s'en mêler, et qu’on ait l’air de croire qu’il voulait s'en mêler. L'ancienne politique subsistera. Il n’y a plus en France, de gouvernement capable de la changer, ni de l'avouer. On en voudra le profit, en en éludant la responsabilité. Ce sera le Général Lahitte qui en aura l'honneur.
A propos du Général Lahitte, je vois dans tous les journaux qu'on veut le nommer à l’assemblée pour le département du Nord, et dans la Gazette de France qu'il y a, dans ce département, des gens, conservateurs, et légitimistes, qui pensent aussi à moi. Je n'en ai point entendu parler, et je n’ai pas besoin de vous dire que je n'en veux pas entendre parler. Le Moment n’est pas venu, et on a grande raison de porter le Général Lahitte. Je lui donne ma voix.
L'Indépendance Belge m'amuse. Vous savez mon billet à Morny. Je prévoyais bien qu’on en ferait un peu de bruit. A la bonne heure. Je ne l’ai pas écrit parce que le bruit, mais quoique. Un avis très décidé, et dit très haut, et une entière liberté d’attitude et de langage quotidien, c'est mon parti pris. Je suis plus indépendant que l'Indépendance Belge. La fusion de l'autre côté du fossé ; le Président tant qu'on ne peut pas, ou qu'on ne veut pas, ou qu’on ne sait pas sauter le fossé; voilà mon avis, et je ne m’en gênerai pas de le dire, et de le pratiquer.
Ecrivez-moi à Broglie, (au château de Broglie, par Broglie. Eure) lundi, mardi et mercredi. Je n'en partirai que jeudi après le déjeuner. Le courrier y arrive à 9 heures du matin. J'y vais seul. Le médecin de Pauline ne veut pas qu'elle remue au delà du strict nécessaire. Entre nous, mes deux filles. sont grosses. Elles ne le disent pas encore. Je persiste à croire que Mad. Rothschild a raison, et que le Général d'Hautpoul s'en ira. Adieu, Adieu G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Vendredi 18 0ct. 1850

Les journaux s'obstinent à me faire intervenir pour la prolongation des pouvoirs du Président. J’en suis tombé. d'accord avec Thiers. Cela m'amuse plus que cela ne m'ennuie. Je suis frappé de la patience et de l'unanimité des Hessois. La lettre des officiers en donnant leur démission est remarquable. Et l’engagement des sous-officiers, à ne pas accepter d'avancement l'est encore davantage. Cette résistance tranquille indique des gens qui croient avoir, et qui ont réellement raison. Je voudrais bien que la nouvelle de l'abdication du grand duc fût vraie. Il tirerait l'Allemagne d’un mauvais pas.
Le Constitutionnel essaie ce matin de se raccommoder avec la commission permanente. Je suppose que les correspondants français des journaux anglais sont pour quelque chose dans les attaques du Times du Morning Chronicle et du Morning Post.
Je trouve autour de moi un changement assez marqué dans la disposition des esprits. Les revues, et les vive l'Empereur ont nui réellement au Président. On lui donne tort en général ; même les gens qui veulent la prolongation de ses pouvoirs. On est plus que jamais décidé à donner tort à quiconque prendra la moindre initiative d’agression. Le Journal des Débats avait hier à ce sujet, un article très sensé. Et aussi un article très piquant sur les cris de vive l'Empereur qui peuvent signifier : Vive l'Empereur Charlemagne ! Tout cela tomberait dans l’eau si on n’en parlait plus. Mais le 11 novembre fera tout revenir sur l’eau. Il n'y a plus de sottises oubliées. C’est la grande difficulté du gouvernement. J’ai peine à me figurer les débats si vifs qui vont avoir lieu n'aboutissant à rien. C'est pourtant ce qui arrivera.
Je n'ai rien de plus à vous dire aujourd’hui. Ma fille aînée part ce soir pour Paris, et moi j'arrange mon départ, avec la cadette pour le 29. Adieu, adieu.
Il faut que Thiers et Changarnier soient bien oisifs pour aller s'amuser chez le Princesse Grassalkovich. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Voici l'enveloppe de votre lettre venue ce matin. Le cachet m'étonne et je vous l'envoie. Peut-être avez-vous cacheté votre lettre hors de chez vous. Sinon, c’est trop tard. On n'aura pas eu grand profit à lire l'incluse. Dites-moi, si cette petite tête aisée vient de vous ou d'un étourdi.
Morny s'est évidemment beaucoup servi de mon billet. Tout ce petit bruit des journaux vient de là. Je vous prie toutes les fois que vous en trouverez l'occasion de mettre la vérité à la place du bruit. Je ne cache rien de ce que je pense ; mais je n'accepte que ce que j'ai dit. Le jour où la bonne solution sera possible, je serai contre toute prolongation de pouvoir de qui que ce soit. Jusques là, je suis pour le maintien des seuls pouvoirs possibles, le Président et l'Assemblée. Et quand ils seront au pied du mur, Orléanistes et Légitimistes ensemble où chacun à son tour, seront forcément de cet avis, Bien maintenir ce qui est dans l’état provisoire, provisoire à courte échéance et le maintenir comme provisoire, il n'y a que cela de sensé.
J'envoie à Génie quatre pages de Préface pour le Washington sur la République, qui valent, je crois les dix pages que vous avez lues de la préface à Monk sur la Monarchie. Adieu, adieu, adieu, et encore.
G.

Val Richer 18 0ct. 1850
3 heures

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Samedi 19 Oct. 1850

Vous me dîtes qu'on a signé à Bregenz l’engagement de mettre sur pied une armée de 220 000 hommes, et mes journaux me disent que la Prusse est sur le point de céder, d’ajourner l'union restreinte, et de rentrer elle-même dans la diète de Francfort. Les deux choses vont très bien ensemble. Ainsi, soit-il ! La reculade prussienne, quelque forte qu’elle soit, ne m'étonnera pas. Grande ambition et grand courage, c'était le grand Frédéric. Grande ambition et petit courage, ce sont ses successeurs.
J'ai de mauvaises nouvelles de Belgique. Même au milieu du deuil public, la colère populaire contre le Roi continue, et on craint qu'elle ne finisse par éclater. Il a été heureux que Mad. Mayer fût partie car des attroupements considérables se sont formés deux fois devant sa maison, et ne se sont dissipés qu'après avoir acquis la certitude qu'elle n’y était plus. Je trouve que la Reine Louise s'est admirablement conduite envers le Roi dans ses derniers moments. Ce qu'elle lui a dit, la tendresse modeste qu'elle lui a témoignée, en lui baisant la main, tout cela ressemble à un voile protecteur qu’elle a voulu étendre sur son mari avant de le quitter. Cela est bien de la personne qui répondait à la question de savoir si la duchesse de Praslin avait reconnu son mari : " Certainement non ; si elle l’avait reconnu, elle n'aurait pas sonné. "
Dumas m'écrit de Claremont que la Reine y sera de retour après-demain lundi ? Elle s'embarque à Ostende demain soir. Sa santé se soutient presque au même niveau que son courage. Madame la Duchesse d'Orléans est revenue à Esher lundi dernier, très fatiguée. La mort de la Reine Louise, cette douleur de tout un peuple, ces allées et venues de toute une famille royale à travers, l’Océan pour se ranger autour d'un lit de mort et d'un cercueil, tant de souffrance dans l’âme et tant d’éclat dans le deuil tout cela grandit ceux qui pleurent et frappe beaucoup ceux qui regardent. Avez-vous entendu dire quelque chose de ce que fera ou sans doute a déjà fait M. le comte de Chambord dans cette occasion ?
La querelle du Président et de la Commission ne les aura grandis ni l’un ni l'autre quand ils arriveront devant l’assemblée. Duchâtel a raison ; il n’y a que des perdants, et point de gagnants dans le jeu que jouent aujourd’hui en France des pouvoirs et les partis. Ils y sont pourtant très animés.
Puisque Lady Jersey arrive, soyez assez bonne pour lui dire que je regrette bien de n'être pas à Paris pendant les huit jours qu'elle doit y passer. Je reste avec un coeur très affectueux pour mes amis d'Angleterre et j’ai toujours grand plaisir à les revoir. Je suis fâché pour vous du départ de Dumon. Avez-vous écrit à Duchâtel, comme vous en aviez le projet ? Vous est-il revenu quelque chose de Salvandy à son passage à Paris ? car il doit y avoir passé. Je n’ai pas entendu parler de lui.
Adieu, Adieu. G.
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