Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 19 Septembre jeudi 1850

J’ai oublié de vous répondre sur le deuil. Je crois qu'en le portant jusqu’à la fin de l’année cela sera bien, et assez. Ce que vous dites sur Liverpool et Castelrengh est vrai. Il reste le choix entre rendre son pays très heureux & même glorieux car c'est ce qu’ils ont fait, et se donner à soi des pages brillants dans l’histoire. Moi, j'honore bien plus lord Liverpool que M. Canning. C’est très bourgeois ici que je vous dis là, je le suis un peu en politique. J’ai vu hier matin, lady Douglas, très bonne personne & qui me plait. Tolstoy est revenu. Un accident dans la famille a hâté son retour. Il regrette beaucoup de n’avoir pas pu aller au Val Richer. Je suis charmée de l’avoir ici. Hier soir M. Mercier, revenant de Bade. Trés curieux sur Bade. Thiers archi orléaniste. Ennemi juré des des légitimistes, & républicains plutôt que cela. La reine de Hollande éprise de lui & lui d’elle. Tous les jours ensemble. C'est assez drôle à entendre. Il parait qu’il n’avait pas encore vu la grande duchesse Hélène. Les princesses en querelle entre elles. La princesse de Prusse en grande hostilité avec la reine de Hollande sa cousine. Thiers n’a pas bougé de Bade. La princesse Mathilde a rêvé.
Achille Fould est venu hier soir aussi. Il a certainement de l’esprit, et de la mesure dont je fais grand cas. Il est convaincu quoiqu’on dise ou qu’on fasse, qu'il en ira de la prolongation de la Présidence comme de la dotation. On la votera & tout le monde. Le pays très tranquille & à aucune époque le gouvernement n’a été plus puissant et plus obéi. J’ai donné à lire à Dumon des articles de l’Indépendance Belge, répétés dans le Galignani, évidemment venus de Clarmont qui atténuent & dénaturent même un peu les messages entre Wiesbaden & Clarmont. Salvandy y est tourné en ridicule. Je ne sais pas un mot d’aucun de ces quartiers, pas même des commérages. Montebello est ici, mais il n’est pas venu me voir encore. Mon rhume continue. C'est bien long, et mes yeux sont enrhumés aussi. Adieu. Adieu.

2 h. tout à l'heure Montebello & M. Molé venu pour la commission. Molé enchanté de ce que vous me dites à propos de l’article dans le Constitutionnel. Il signerait chacune de vos paroles.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 18 septembre 1850

Changarnier a été fort en train de confidences. Je voudrais pouvoir tout redire mais je vous dirai l’essentiel. Bien avec le président, & cherchant à le rester. Fort soupçonné par lui mais cajolé. Mal avec le M. de Laguerre. L’assemblée le renverra. Le Président se défend tous les jours d’avoir connaissance du 10 Xbre. Il y est jusqu'au cou. Dans sa tournée recueillant d'assez bonnes paroles du clergé de la noblesse & des paysans. La classe moyenne lui est hostile, (c'est tout le contraire de ce que vous croyez) très décidé à ne pas prolonger les pouvoirs du Président, mais plutôt à les abréger, en complète dissidence avec Molé sur ce point. Mais Molé est un poltron. Le président devrait comprendre que son intérêt est de servir une restauration. Mais il ne comprend pas. Il veut le pouvoir, & il ne le veut que pour avoir quelques chevaux de plus. Plein d’ardeur pour qu'on s’entende avec les légitimistes pour qu’il n’y ait qu’un seul cadeau. Il faut poursuivre mettre tout le monde à l'ouvrage, vous y êtes nécessaire, indispensable. Furieux contre Piscatory, il faut que vous le [?]. La Reine Amélie admirable & puissante sur sa famille plus que n'était le roi. Bien content de tout le chemin qu'on a fait. En pleine, en grande espérance, tenant tous les fils. Thiers croit qu'il me mène. C'est moi qui le conduit où je veux. Une femme entre cela, Mad d'Osne. Mais il lui cache déjà certaines choses. Je l'amènerai à lui cacher tout. Chacun croit me tenir. C'est moi qui tiens tout ce monde. Des questions encore sur Chambord.
La France a vu la ligue, la fronde. Après cela elle a eu un grand règne. Elle aura cela encore. Voilà à peu près l’essentiel. Mad. Rothschild tout le contraire à propos du Président. Il faut le faire durer. Jamais le petit commerce n’a été aussi content, &. Changarnier lui avait raconté tout ce que je lui ai dit sur le comte de Chambord. Elle m’a prié de recommencer. Parce que lui en avait été très frappée. En récapitulant tout Changarnier s'est montré plus légitimiste que je ne l’avais jamais vu. Car que signifierait sans cela sa grandissime colère contre Piscatory qui est allé prêcher à Clarmont une croisade contre les légitimistes.
Le 19. M. Molé ardent pour la fusion au moins autant que vous. Son thème pour faire des conversions est celui-ci : il n'y à que Henri V qui puisse raviver le régime parlementaire. Il développe cela très bien. C’est trop long pour moi, mais il dit que cela entraîne bien des gens. En grandissime et constante méfiance de Changarnier. Carlier qu'il venait de voir, lui a laissé clairement voir qu'on va, dès la rentrée de l'Assemblée, procéder à la prolongation. Carlier dit que les sociétés secrètes sont aussi actives que jamais. En relation avec les autres sociétés européennes. L'Angleterre très malade de cette maladie là. Les Allemands les plus actifs la dedans. Normanby parlant mal de Palmerston & désirant sa chute. Il l’a dit à Molé. Je crois vous avoir tout dit. Molé trouve que Changarnier me mystifie un peu. Après tout c’est possible.
Le 22. Je me souviens exactement du propos suivant de Changarnier. " Thiers a dit à la grande duchesse Stéphanie. Votre neveu est un sot. Il n’y a d'homme important en France que Changarnier, & Changarnier C’est moi. "

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 18 Septembre 1850

J'ai été hier au Pavillon de Breteuil. L'hôtesse charmée et en train. Elle m’a raconté Bade d'où on lui écrit, que les princesses se querellent. Madame Hélène & la reine des Pays tout-à-fait brouillées. La grande duchesse Stéphanie au milieu de cela embarrassée. Thiers au pieds de toutes. Elle m’a répété que Thiers a été ici, qu'elle l'a vu. Qu’il a été à Clarmont ou plutôt à Richmond. Malgré tout cela j’en doute et Dumon que je voyais hier soir en doute aussi. Mad. Rothschild est venue me voir. Vantant beaucoup le bon état de commerce la nécessité de faire durer un si bon état de choses. M. de Sébach gendre du comte de Nesselrode a eu demain une audience du Président. Il a été charmé de lui. Le Prince Paul & lady Holland sont aussi venus hier matin. Celle-ci racontant que lord Palmerston est à Boulogne. C'est des contes. Le soir le général, les Brignoles, les Sébach, Dumon, Kisseleff, Viel Castel, bonne conversation générale. Rien de nouveau. La vraisemblance que l'électeur de Hesse abdiquera. Les Danois victorieux. Je vous écrirai par votre fille. Aujourd’hui j'écris à Varsovie par un coursier. Chreptovitz père vient de mourir subitement. Cela met son fils, fils unique à la tête d'un très grande fortune, et l’a obligé de se rendre de suite en Russie où il passera l'hiver. M. Rollin vient de mourir. Je crois que je ramasse toutes les nouvelles pour vous faire rire ou pleurer. Saint Aulaire arrive demain pour quelques jours. Adieu. Adieu

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Mercredi 18 sept 1850

Je lis Peel and his times. Ce serait trop long pour vous, trois gros volumes ! Votre impatience étoufferait votre curiosité. Mais c'est dommage ; toute l'histoire de votre temps en Angleterre. Peel est entré dans le Parlement, en 1809 et dans les affaires en 1812, au moment de votre arrivée à Londres. Le livre est fait avec simplicité, et bon sens, libéral modéré, comme Peel est devenu à la fin. Le point de départ était bien loin de là et les phases de la transformation sont curieuses à observer. Je vis avec Lord Liverpool, Lord Castlereagh, M. Canning. Vus ainsi de loin et dans l’histoire, les deux premiers font moins grande figure que dans votre conversation. Le pouvoir, même habilement et heureusement exercé, ne suffit pas pour placer un homme bien haut dans la mémoire des hommes ; il faut absolument avoir eu de l'éclat par quelque côté, par la pensée, par l'imagination, par le caractère, par la parole, il importe peu quelle grande qualité, mais une qualité first rate, qui mette un homme à part entre ses contemporains. L'histoire ne laisse à leur rang que ceux-là. Canning a cet honneur. Peel aussi l’aura, à des titres bien différents. Lord Liverpool et Lord Castlereagh, meilleurs ministres de leur temps peut-être descendent à mesure que leur temps s'éloigne ; ils n'avaient rien de ce qui est beau et grand dans tous les temps.
Savez-vous s'il est vrai que M. le Duc de Nemours et les Princes ses frères aient écrit au général Changarnier pour le remercier de la messe des Tuileries ? Ils ont eu fort raison, s'ils l’ont fait et j’avais eu tort, moi de ne pas songer à le leur conseiller. Je serais bien aise d’être sûr qu’ils l’ont fait.
L'article que j'ai lu hier dans le Constitutionnel est certainement de M. Granier de Cassaignac. Je me rappelle qu’il est venu me voir, il y a quelques semaines, dans je ne sais plus quel de mes passages à Paris, et que je lui ai dit une grande partie des choses qui sont là. Il s'est évidemment souvenu et prévalu de cette conversation.
Je vous quitte pour ma toilette. Je vais ce matin faire une visite à dix lieues d’ici chez M. de Banneville. J’avais deux visites lointaines à faire. J’en serai quitte. Il faut que je parte à 9 heures tout de suite après l’arrivée de la poste. Nous avions depuis quinze jours un temps admirable. Ce matin, un grand brouillard, mais de ces brouillards que le soleil dissipe quand il est bien levé. Je compte sur le soleil. J'ai beaucoup perdu de mon optimisme pour les grandes choses ; il me reste encore pour les petites.

9 heures
Voilà votre lettre. Adieu. Je pars. Adieu Adieu. Je suis fort aise de l'accueil fait à Piscatory à Claremont. Adieu, adieu. G.

Auteurs : Dumas, général (?-?)

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 17 Sept 1850

Voilà donc le grand duc de Hesse en fuite, et devant la seule résistance passive ! Que lui dira le Roi de Hanovre, qui n’est ni fou, ni poltron. Ceci fait assez d’honneur aux Hessois. Ils se conduisent, ce me semble, prudemment et fermement. Nous assistons à de bizarres spectacles ; tantôt c'est le peuple qui fait seul toute la sottise, tantôt le Prince. Quand donc auront-ils un peu de sagesse et de dignité ensemble et à la fois.
Vous avez raison, l'article du Constitutionnel est remarquable et sensé. J’ai souvent dit en effet ce qu’il répète, et je n'en désavoue rien. Seulement, je suis plus décidé qu’il ne le dit sur la nécessité de la fusion, et de la fusion aussi prochaine qu’il se pourra. Les populations se gâtent sous le régime actuel et j'ai peur que le gouvernement du Président ne laisse faire plus de mal qu’il n'en répare. Certainement il faut qu’il dure tant qu’on ne pourra pas avoir à sa place, la vraie solution, et il faut, pendant qu’il dure, lui donner toute la force nécessaire pour que sa durée nous fasse regagner du terrain. Mais nous payons cher aussi cette durée, et nous aurions tort de la prolonger indéfiniment, par peur ou par paresse. Et le président lui-même s'il est bien conseillé, doit désirer que la solution définitive arrive pendant qu’il est debout et puissant, et peut s'y faire lui-même sa part, et non après quelque nouveau cataclysme qui le jetterait et le laisserait. le premier sur la plage noyé et nu.
Le courrier de ce matin m’apporte bien des articles de journaux remarquables. L'Univers répète, celui du Times sur nous et Salvandy à Claremont et à Richmond ; et j’y vois que l'Union et l'Opinion publique l'ont aussi répété. Je coupe dans un journal qui m’arrive de Marseille l'article sur le service funèbre célébré là en l'honneur du Roi, et je vous l'envoie avec la lettre du rédacteur qui me l'a envoyé, et que je ne connais pas du tout. Curieux et bons symptômes. M. de Villèle, pendant, son ministère, avait mis ce motto avec ses armes sur sa voiture : " Tout vient à point qui peut attendre. " Il avait raison.

Midi
Pouvez-vous me dire combien de temps nous devons porter le deuil du Roi ? Je vois qu'à Bruxelles on l’a pris pour trois mois, et à Séville pour un an. Peu m'importe à moi qui suis toujours en deuil ; mais je veux qu'autour de moi on soit parfaitement correct, et jusqu'au bout. On dit que la Reine des Belges va un peu mieux. Dieu le veuille. Il paraît qu'en tout cas la Reine a retardé son voyage à Bruxelles. Je n'ai point cru à la retraite de M. de Meyendorff. Mais je suis bien aise d'être sûr. Adieu, Adieu.
Merci de vos soins pour ma lettre en Angleterre. Que ne vous assurez-vous d'avance rue Chauchat, une place dans une petite tribune, hors des grands courants d’air ? Je crois que cela se peut. Adieu G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 17 septembre 1850

J’ai vu le duc de Noailles hier un moment. Salvandy a eu le temps de s'ennuyer. Le comte de Chambord n’arrive à Frohsdorf que demain, & personne ne sait où il a été tout ce temps, probablement une promenade pittoresque dans le Tyrol Bavarois. Darmstadt devient aussi menaçant que la Hesse électorale. Schulenbourg qui était ici hier soir dit qu'on s'inquiète beaucoup de tout cela à Berlin. Changarnier était ici hier au soir. Mad. de Contades les Clans Hamilton, les Cavendish. Piscatory a été à Clarmont prêcher une croisade contre les légitimistes. Il a été très mal reçu. Il est revenu. Je ne sais rien de positif sur la Reine des Belges, mais il paraît qu’elle est bien mal.
J'enverrai à Fleichmann votre petit mot. Dans toute cette affaire rappelez-vous que les Fleischmann n'y rêvaient pas & que les avances son venues de l’autre côté. Au commencement vous m'avez parlé de 20 à 25 mille francs de rente. Eux disent d'emblée ce qu’ils donnent vraiment, pas de humbug. En tous cas c'est un brave jeune homme & de brave parents. Votre fils est bien sensé pour son âge, & sa lettre lui fait grand honneur. Je n’ai pas vu Dumon depuis trois jours. Le temps est superbe, trop beau pour Paris ! Votre lettre pour A.[berdeen] part aujourd’hui ou demain. Adieu. Adieu.

Auteurs : Austin, Sarah (1793-1867)

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, lundi 16 Sept. 1850

Mon instinct ne me trompait pas sur les affaires de Hesse. Je soupçonnais que le grand Duc avait tort. J'espère que le conflit entre les deux grandes Puissances m’aura pas lieu, pas plus pour la Hesse que pour Bade ou pour ailleurs. J’ai confiance dans leur bon sens et dans la lenteur allemande. Même la brutalité n'exclut pas là l'inertie. Au fond, l’Europe ne me préoccupe plus guère, ni d'Allemagne, ni d'Italie, il ne viendra de gros événements. Elles ont jeté toute la gourme qui leur était venue de France, et la France, d’ici à quelque temps ne leur en enverra pas d’autre.
Avez-vous lu les lettres de Mazzini essayant de se justifier des assassinats systématiques ? Ridicule mélange de fanatisme et d'embarras. Il ne veut pas qu’on le croie assassin, et il veut qu’on craigne son pouvoir d’assassin. Vous ne me dites rien de M. de Meyendorff. J’en suis pourtant curieux.
J’ai envie que vous pensiez bien de mon fils, Guillaume. Lisez, je vous prie ce qu’il m'écrit du Norfolk. A sensible boy.
Voici ce que vous désirez pour Fleischmam. Je ne croyais pas ma première lettre compliquée. Elle disait les choses comme elles sont avec détail et sollicitude, comme désirant le but et regrettant les obstacles. Je ne puis rien envoyer de plus décidé. Conrad veut en causer avec son frère. Et comme personne n’est encore amoureux, on n'est ni pressé, ni tout-à-fait indifférent aux considérations mondaines. Melle de Witt une fois mariée, ne pourrait pas continuer à vivre avec sa tante. Cela n'irait pas, et il a toujours été entendu entre eux qu’on se séparerait alors. Ou pour vivre seuls, ils auraient excessivement peu. Il faut ou une bonne carrière, ou de l'amour, ou assez d'argent. En attendant qu’une de ces trois choses là vienne, si elle peut venir, ayez seulement la bonté d'envoyer à Fleischmann ma petite lettre. Vous avez raison ; je peux trouver les lenteurs de mes gendres naturelles, mais je ne dois pas vous en ennuyer.
Thiers me paraît précisément ce qu’il faut pour que la Reine de Hollande et la Princesse de Prusse en raffolent. Elles ne le rendront pas plus sages, ni lui, elles. De l'amusement des deux parts voilà tout. Adieu. Adieu. Je demande tous les jours à ce beau soleil de chasser votre rhume. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris lundi le 16 septembre 1850

Meyendorff est nommé à Vienne. Médem est un peu fou & va vivre dans ses terres en Courlande. M. de Budberg reste chargé d'affaires à Berlin. On dit un homme d’un grand mérite. J'ai eu hier soir votre lettre par votre portier. Je chercherai à faire aujourd’hui ce que vous me demandez, mais les occasions sont rares. Le Constitutionnel a un grand article politique aujourd’hui, que je trouve excellent. C'est bien ce que je vous ai souvent entendu dire vous-même. Hier peu de monde. Les Holland le prince Paul. Le soir le duc de Bauffremont, d’Estournel & Kisseleff. Point de nouvelles du tout. Les Holland pleins de petits commérages qu'ils ramassent aux Invalides. Le mouvement de troupes est incessant à Paris. Des exercices sans feu. Les Normanby ont passé deux jours à Champlatreux. Ils en reviennent aujourd’hui. Le Constitutionnel dit, pour donner à dîner au Président. Je ne sais pas un mot de ces quartiers-là. Vous voyez que je ne suis pas intéressante du tout. Le duc de Noailles devait revenir hier de Mouchy. Il n’est pas venu. Adieu, Adieu.
Mon rhume reprend. J’ai été hier à l’église, il y avait la courant d’air. Je n’ose rien entreprendre que ma promenade au bois de Boulogne, et le vent d’Est la rend peu agréable. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer dimanche 15 sept 1850

Je suis frappé de ce que vous me dîtes de l’intimité de Changarnier et de Lamoricière. Cela coïncide avec ce qui m'est revenu d'ailleurs, ces jours-ci. Lamoricière dans des conversations intimes, s’est déclaré inconciliable, absolument inconciliable avec les rouges et l'Empire, ou toute combinaison bonapartiste analogue à l'Empire ; du reste prêt à accepter toute autre solution, l'une ou l'autre des deux branches, n'importe laquelle, ou mieux encore toutes deux ensemble ceci dans l’hypothèse où la république régulière ne pourrait pas durer, ce qu’il ne regarde point comme sûr, mais comme très possible. Je vous donne ces ouï dire pour ce qu'ils valent ; ils viennent de bon lieu. Ils peuvent être vrais aujourd’hui et point demain ; Lamoricière est si mobile ?
Les nouvelles de Bruxelles m'affligent beaucoup. La Reine, toute cette famille royale quittant le cercueil du Roi et traversant la mer pour venir s'asseoir auprès du lit de mort de leur fille, de leur sœur ! Quelle épreuve ! quel spectacle ! Les douleurs s’appellent et s'attirent. Je ne sais rien que par les journaux ; mais j’ai le cœur serré à l'idée de ce deuil sur deuil pour la Reine dont la personne, et le cœur, semblaient ne laisser plus de place à un deuil nouveau. Je voulais écrire ces jours-ci à la Reine et à M. le Duc de Nemours. Je n'ose pas. J’attends.
J'espère que vous me donnerez aujourd’hui d'un peu meilleures nouvelles de votre rhume. Décidément enrhumée ou non, et encore plus enrhumée, je vous aime mieux à Paris qu'ailleurs. Vous y avez à la fois plus de repos et plus de mouvement. Je compare ce que vous voyez là, avec votre solitude de Schlangenbad. Et pour avoir cela vous n'avez d'autre peine à prendre que de ne pas sortir de chez vous.
Je suis curieux de ce que vous me direz sur M. de Meyendorff. La nouvelle de Berlin est répétée dans tous les journaux. Je ne puis croire à cette retraite, et encore moins au motif. Mad. Swebach (est-ce bien son nom ? ) doit savoir le vrai. Midi Je regrette de n'avoir pas vu l'article du Times, sur Salvandy. Je suis frappé de la réserve des journaux de toute opinion sur ce sujet. Ils sentent tous que c’est sérieux, et ne veulent ni s’engager ni se compromettre. Je vois ce matin un article du Siècle qui pose, entre la Monarchie et la République, je ne sais combien de questions pleines d'embarras et qui admettent les réponses contraires.
Je suis bien aise d'avoir valu à Constantin les remerciements qu’il a reçus. Vous savez que je lui ai trouvé, sous sa tranquillité modeste et un peu stérile, l’esprit plus ouvert et plus sérieux que je ne supposais. Adieu, adieu. Vous aurez reçu ce matin une réponse sur Fleischmann. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris dimanche le 15 septembre 1850

J’ai vu hier matin Kisseleff le soir lui encore, les Douglas Mad. [Kalergis], Mad. Sebach, Viel-Castel, Frantenansdorff & &. Point de nouvelles. Le président & Lahitte sont revenus nègres, tant ils ont été brûlés par le soleil. On mande que la reine de Hollande & la princesse de Prusse se disputent Thiers. Elles en raffolent. Il se laisse prendre volontiers. Il va au salon tous les soirs. Là des coteries ce sera drôle à entendre raconter par les revenants de Bade. Mad. [Nariclekin] sera compétent.
Voici votre lettre. Vraiment votre réponse sur Fleichmann est trop compliquée, je ne me charge pas de redire ce que vous me dites. Ecrivez- moi bel et bon une lettre que je puisse envoyer, cela vaut bien mieux & dites quelque chose de net. Pourquoi donc Mlle de Wiit ne continuerait-elle pas à vivre sous le toit de sa tante ? Avec cela et 1200 francs qu’ils auraient ensemble pour commencer il y a de quoi aller ? Enfin cela ne me regarde pas. Et je ne me charge que de transmettre la lettre que vous m'écrirez. En attendant comme Fleischmann père m’avait prié avant qu'il fût question de mariage de protéger son fils auprès de Rothschild, je ferai cela la première fois que je le verrai.
Mon rhume dure sans augmenter. C’est toujours cela. Mad. Sébach avait dîné hier chez Lamoricière à 3 avec son mari. Il ne leur a donné que du poisson, parce que c'était samedi & qu’il fait maigre tous les vendredis & samedis. Il part pour 15 jours. Voyez comme j’ai peu à dire, c.a.d. rien du tout. Adieu. Adieu

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Samedi le 14 septembre 1850

Je croyais vous avoir parlé du Piémont. Changarnier m’en a parlé dans le même sens que vous dites. Palmerston voulant recommencer la révolution en Italie. La guerre avec l’Autriche, & le Président entraîné à secourir le Piémont. Il me dit qu'il fallait y regarder. Je vous prie écrivez-moi sur Fleischmann une lettre que je pense lui envoyer. Il ne faut pas nous être enfilés là dedans pour rebrousser chemin sans grandes raisons. Moi, je l'épouserais. mon rhume me paraît descendre la montagne mais je ne suis pas sûre encore. J'ai marché dans le bois. Temps perfide. Le vent froid & le soleil ardent. J’ai vu le prince Paul, & les Holland le matin. Le soir le duc de Noailles & Dumon. Nous sommes très frappés d’un article du Times d’avant hier sur Salvandy, très exact. Aucun journal français ne le reproduit. Je n’ai pas de nouvelles de ce qui se passe ici. Je n’ai vu personne qui eût pu m'en donner.

Midi. Un courrier de Berlin qui m'apporte un de Constantin. " L’Empereur a pris connaissance avec beaucoup d'intérêt de votre note du 1/13 août, et me charge de vous remercier pour cette nouvelle preuve du zèle avec lequel vous avez toujours rempli vos devoirs" signé Czernicheff. Constantin ajoute que de pareils remerciements n’arrivent pas deux fois dans l'année. Il est fort content, & il est content que sa note a fait un grand plaisir. A propos de la Hesse, il me dit qu'on va voir là renouveler Charles X & Polignac, & que c’est déplorable. L’électeur un très vilain homme, & qui est tout à fait dans son tort. On le chassera. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Samedi 14 sept 1850

Je ne puis vous rien dire encore de définitif sur René de Fleischmann. Mon gendre Conrad ne veut pas avoir un avis définitif avant d'en avoir causé avec son frère qui arrivera ici du 20 au 25. La lettre de ce jeune homme lui a plu extrêmement, ainsi qu’à ma fille Henriette, Tout leur plaît dans la famille, et la personne. Mais la fortune est bien, bien petite. C'est Mirabeau, je crois, qui disait : " 1500 livres de rente de ma Sophie ". Mais Mirabeau était déjà amoureux, et de plus très aventureux. René de Fleischmann paraît avoir grande envie de laisser là sa place au chemin de fer pour devenir secrétaire de la légation de Wurtemberg, ce qui ne lui vaudrait rien du tout pendant on ne sait combien de temps, pour lui valoir on ne sait pas quoi, ni avec quel degré de sécurité, quand il deviendrait chargé d'affaires. Il n'aurait donc, en se mariant que les 1800 fr. de pension que lui ferait son père, de qui il n'en peut attendre, et un jour éloigné j'espère, que 2 ou 3000 fr. de plus. C’est vraiment trop peu pour vivre habituellement à Paris. Il faudrait ou un peu plus de revenu personnel et assuré, ou une meilleure place dans les chemins de fer.
Mlle. de Witt est très simple et très bonne ménagère, et accoutumée à l'économie hollandaise. Mais elle a vécu jusqu'ici, en commun avec ses frères et sa tante, Mlle Temminck, par conséquent dans une maison très aisée. On ne voudrait pas qu’elle se trouvât trop gênée dans sa propre maison. J’avais espéré, sans en rien savoir du tout, que le jeune homme aurait, soit de sa place soit de son père, quelque chose comme 6 ou 7000 liv. de rente. Pas bien grande ambition. Je voudrais savoir quelque chose de précis sur la place qu’il a au chemin de fer et sur ce qu’on pourrait faire pour lui en faire avoir une meilleure, soit dans le chemin de fer où il est, soit dans un autre.
Voilà, en tout cas tout ce que je puis vous dire aujourd'hui. Quand Cornélis et sa femme seront revenus, la délibération de famille sera complète. Je serais vraiment fâché que cela ne pût pas s'arranger. J’aime le père et le fils me plaît.
Qu'est-ce je vous prie, que cette nouvelle de Berlin que M. de Meyendorff quitte votre service, pour sa santé ou pour autre cause, et s'en va en Italie ? et que c’est le comte Creptovitch qui remplace Medem à Vienne ? Cela me parait une sornette. Moi aussi l'affaire de Hesse me préoccupe. Je n'en sais pas le fond ; mais je crois toujours l’incapacité brutale de ces petits gouvernements allemands. Les mesures, me semblent bien grosses pour les motifs, s’il faut occuper la Hesse, je ne comprendrais pas que l’Autriche, se résignât à la seule occupation prussienne. Bade d’abord, puis la Hesse, ce serait une manière commode de prendre possession sous forme d’occupation.
J’ai fait hier ma visite. Seize lieues par un très beau temps il est vrai. Mad. de Neuville est bien, l’air intelligent et très arrêté. Deux fils d'assez bonne mine. On m’a tout présenté. M. de Neuville m'a dit que M. le comte de Chambon l’avait chargé de me dire combien il regrettait de ne pas m'avoir rencontré en Allemagne. J’ai répondu que j'étais parti quelques jours plutôt pour ne pas le rencontrer, et pourquoi. Je me sais rien de tel que de tout dire pour que tout soit compris.
Le Duc de Broglie m'écrit : " Je reçois votre lettre d'hier et je vous félicite d'avoir fait ce qui me reste à faire, et ce que je ferai avant mon retour à Paris. Je crois qu’il vaut mieux; pour les personnes que vous venez de voir, que les visites se succèdent ; elles ont besoin d'être entretenues dans leurs bonnes dispositions. " Voilà votre lettre. J’attends bien impatiemment que votre gorge soit mieux. Adieu, Adieu. Adieu. G.

P.S. Je viens de lire à Conrad, qui l’approuve tout- à-fait, ce que je vous dis de René de Fleischmann. Il me demande seulement de supprimer, quant à présent, et jusqu’à ce qu’il ait vu son frère, cette phrase " Je voudrais savoir quelque chose de précis..." jusqu'à " soit dans un autre.» Tenez donc, je vous prie cette phrase pour non avenue jusqu'à nouvel avis.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Voici une lettre pour Lord Aberdeen que j'aime mieux ne pas envoyer par la poste de France. Si vous avez sous la main quelqu’un qui parte ces jours ci pour l'Angleterre, veuillez le prier de prendre ma lettre et de la mettre à la poste à Londres. Sinon soyez assez bonne pour mettre la lettre sous enveloppe à l'adresse que vous avait donnée Lord Aberdeen et dont je ne me souviens pas, et pour la lui faire parvenir ainsi indirectement. Pardon de vous donner cette peine. Heureusement ceci ne fatiguera pas votre gorge.
Je viens d'avoir la visite de quelques légitimistes de Caen des plus vifs. Gens d’esprit et fort résolus, mais qui ne seront pas faciles à gouverner. Je trouve dans un de leurs journaux le récit fait par l’un d'entr'eux de son entrevue à Wiesbaden, avec Mr le comte de Chambord. C'est précisément ce M. Carion que le Prince, dit-on, a vivement rabroué en lui disant : " Je ne puis certainement pas vous ôter vos convictions, mais vous permettrez que je ne vous regarde plus comme des miens, ni comme des royalistes." Vous verrez comment M. Carion arrange cette entrevue, et en fait un triomphe pour lui et pour ses idées. Comment faire pour que la vérité arrive au public ?
Adieu. Adieu. G.

Val Richer 14 sept 1850

Mon portier de le rue de la ville l’Evêque portera cette lettre chez vous. Si vous aviez quelque chose de particulier à m'écrire, dites-lui de venir le prendre à l’heure où vous voudriez. Pauline et son mari passeront à Paris du 19 au 21 et viendront tout de suite, au Val Richer

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Vendredi 12 Sept. 1850
6 heures

Je me lève de bonne heure et le soleil est levé avant moi, brillant dans un ciel pur. Je veux absolument croire qu’il vous aidera à chasser votre rhume. Je commence à me sentir reposé. Je me mets au courant de ma correspondance. J'étais fort en arrière. Les lettres prennent bien de la place dans la vie. Mais ce n'est pas une place perdue. On agit beaucoup par lettres bien des gens se défient moins d’une lettre que d’une conversation. On croit plus volontiers un absent. On lui sait gré de la peine qu’il prend pour persuader et on met moins d'amour propre, à lui résister.
Je vais faire aujourd'hui une visite à huit lieues de chez moi. M. de Neuville le député de Lisieux et le gendre de M. de Villèle. Vous m'en avez je crois entendu parler. Il est venu me voir plusieurs fois et je ne lui ai pas encore rendu sa visite. C’est toute une journée. Je reviendrai dîner chez moi.
J’ai lu L'ère des Césars dont je vois que les journaux font quelque bruit ! C’est un livre ridicule d’un homme d’esprit impertinent. Le Président dit à Cherbourg : " Donnez-moi du pouvoir ". Ses écrivains lui disent à lui : " Prenez du pouvoir " Il ne prend pas et on ne lui donne pas. Sot contraste! Plus l’action est prudente et modeste, plus la parole est exigeante et superbe. On se dédommage par ce qu’on dit de ce qu’on ne fait pas, de ce qu’on n'ose et ne peut pas faire.
Entendez-vous un peu parler des affaires du Piémont ? On me disait à Paris. (Je ne me rappelle plus qui) qu’on s'en inquiétait aux Affaires étrangères, et que si la querelle se réchauffait entre Turin et Vienne, et si Turin demandait appui à Paris, on ne serait pas en état de le refuser ou plutôt d'empêcher le Président de le donner. On dit aussi que les agents anglais recommencent à se remuer beaucoup là. Dans la stérilité de la saison je ramasse tous les on dit. Vous n'avez plus même Antonini pour le questionner.

Midi
J’ai été pris par des gens de Lisieux et je n'ai que le temps de fermer ma lettre avant de partir pour ma visite lointaine. Je vous parlerai demain de Fleischmann. Mais chassez votre rhume. Adieu, adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 13 septembre 1850

N'ayez pas peur que j'oublie de vous parler de ma santé, car elle me préoccupe beaucoup. La gorge & la poitrine vont bien mal, je n’ai jamais eu un rhume pareil et à l’entrée de la mauvaise saison, c’est bien mauvais.
M. Molé est venu hier au sortir de la commission. Lamoricière extravagant, enragé. Proposant de la réunir demain pour une démarche convenu auprès du Président ou de M. Baroche vous faire cesser la société du 10 Xbre. Changarnier fort occupé & inquiet de cela aussi par l’excitation que cela cause dans les sociétés démocratiques. Ce sera. certainement une affaire entre la commission et le gouvernement Molé a refusé de revenir demain, et c’est jeudi prochain qu'on conviendra de ce qu'il y a à faire, sauf urgence, tel qu'un nouveau voyage du Président. Dans ce cas on s’assemblerait plutôt.
Changarnier & Lamoricière intimes. C’est très nouveau et assez curieux. Molé mécontent des Légitimistes & de leurs propos contre le Président fort de votre avis que tant qu'on n’a pas autre chose, & très bonne chose, il faut le soutenir. Il a été charmé d’apprendre ce qui s'est fait à Clarmont et qu'il y a contrôle pour la mission de Salvandy, étonné & charmé de la Reine. Sainte Aulaire a passé une heure chez moi, curieux, d’apprendre et bien content aussi. Le duc de Noailles qui devait venir le soir n'est pas venu. quelqu’un m’a dit que sa femme est bien malade à Maintenon. J’ai eu hier soir Dumon, Kisseleff Schulenbourg, Mme de Contades, Mme Delmas & des Russes normaux arrivés, mais j’étais si souffrante que je pouvais à peine parler. Le président est revenu hier soir. Les Normanby avant hier. Hubner est à Oran. Il se promène. Je vous ai dit tout ce que je sais. J'ai eu une lettre de Lord Aberdeen. Il n’a pas vu la Reine encore. Le duc de Richmond et autres protectionnistes sont venus le trouver à Haddo. We are very good friends, but I see no greater prospect of canning to any real understanding. Ellice est venu aussi. Depuis son vote, il ne le prend plus au sérieux. Très peu au courant sur Clarmont. Ce que je lui en ai mandé tout récemment l’édifiera sur ce point et lui plaira beaucoup. Adieu. Adieu, le vent d’est, ma gorge. Tout cela est désolant Adieu

2 h. Le duc de Noailles sort d'ici. Il a prêché beaucoup hier au soir M. de St Priest qui avait été mis dans la comission. Berryer arrive ce soir.

Auteurs : Lenormant, Amélie (1803-1893)

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 12 Sept. 1850

J'espère que ce beau temps guérira promptement votre mal de gorge. L’air était plus doux hier qu'il ne l'a été depuis longtemps. Je ne veux pas avoir le plus petit remords à votre sujet. C’est un grand contraste que le profond repos de ce lieu-ci, après la vie de courrier que j'ai menée deux ou trois fois cet été. J’ai besoin de repos. Moins que vous, mais comme vous, je m'aperçois que ma bonne santé est au prix d’une vie tranquille. Retrouverons nous une vie tranquille ? J’en doute. Le succès même sera plein de difficultés, et de luttes.
Je suis assez frappé des progrès de l’esprit républicain, non pas pour lui-même mais contre autrui. Il a fallu un grand courage dans les temps que nous avons traversés il n'en faudra pas moins dans ceux qui se préparent. Le Président sera demain à Paris, son voyage ne me paraît laisser, dans ce pays-ci à peu près aucune trace. Impression très superficielle ; ni bonne, ni mauvaise. Bizarre destinée ! Ce sont les masses qui l’ont porté au pouvoir, et il plait peu aux masses quand elles le voient, peuple ou armée. Il n’a, sur elles, ni l'autorité impériale, ni l'entraînement révolutionnaire. C'est auprès des classes moyennes sensées et honnêtes qu’il réussit le mieux ; elles lui trouvent de la tenue et lui savent gré de sa persévérance dans la politique d’ordre. Il fera bien de continuer à prendre là son point d'appui. C’est là que le sentiment général est décidément favorable à la prolongation de ses pouvoirs.

10 heures
Votre rhume me désole. Pour quelques minutes dans mon cabinet ? Je vous en prie soignez-vous comme je vous soignerais. Il est impossible qu'avec du soin et ce soleil, le rhume soit long. Je ne trouve rien, dans mes journaux et je n’ai que des lettres insignifiantes. Partout l'impression de la mort du Roi est vive et bonne. Si les débats de l'Assemblée ne gâtent pas cela, on fera un grand pas vers le salut. Adieu, Adieu.
Je suis bien aise que vous ayez eu une bonne lettre de la grande Duchesse Olga. Vous n'aviez pas le moindre tort ; mais l’innocence ne suffit pas toujours. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 12 septembre 1850 Jeudi

La poitrine est engagée, au point que ce matin j’ai cru que j'exigerais. Une crampe dans le gosier et des cris d’agonisant. Je suis très effrayée. J’enverrai chercher Chancel si cela me revient. Kolb me traite. J’ai vu hier soir quelques diplomates Kisselef très préoccupé de la Hesse. Coups d’Etat, les Impôts perçus par la force, l’état de siège. Il faudra occuper la Hesse. Sera-ce la Prusse ou l'Autriche ? Si l’une entre, l’autre entre aussi, & le conflit peut s'engager. Cela deviendra une affaire.
M. Molé m'écrit tout à l'heure pour me demander à me voir ce matin. Il est venu pour la commission, c'est la première fois qu'il y vient. Il retourne à Champlatreux en me quittant. On dit que le Président revient. ce soir. Mon fils m'écrit de Toplitz que Nesselrode qui y est aussi venait de recevoir l’ordre de ne venir qu'à Varsovie pour le 1er octobre. Ecrivez-moi sur Fleichmann ce que j’aurai à répondre au Père. Adieu, Montebello me mande qu'il sera ici le 15 pour quelques jours. J’attends aujourd’hui St Aulaire et le duc de Noailles. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 11 Sept 1850,
8 heures

J’ai très bien dormi. J’ai besoin de me reposer. Je puis encore, quand je le veux, me fatiguer comme il y a douze ans ; mais j’en suis et j'en reste quelque temps fatigué. Plus j’y pense, plus ce que je viens de voir, et de faire, me paraît bon. Maintenant la bonne conduite doit conduire au succès avec un peu de bonheur pourtant, c’est à dire un peu d'aide de Dieu.
J'ai retrouvé à Paris, en rangeant mes papiers cinq lettres de moi à vous, le second voyage de la reine d'Angleterre au château d'Eu (septembre 1845). J'ai oublié de vous les rendre. Je les ai ici. Je viens de les relire. Quelle lanterne magique que le monde. Outre le malheur, il y a quelque chose qui me déplaît beaucoup dans ces brusques et continuels changements de scène ; c’est un certain défaut bien involontaire de dignité pour les acteurs. Si haut et si bas en un clin d'œil ! Tenir si peu et pouvoir si peu ! Des marionnettes, sans cesse remuées par des fils invisibles ; des plumes, dans l’air flottant en tous sens, sous des souffles inconnus. J'ai bien envie de finir comme Massillon commence son oraison funèbre devant le catafalque de Louis XIV : " Dieu seul est grand. "
M. de Witt est revenu de Cherbourg. Le Président mieux traité le second jour que le premier, et le troisième que le second. A tout prendre, accueil médiocre. La flotté très exacte, dans ses houras. (sept) au coup de sifflet, mais très froide. Les matelots Joinvillistes. Les officiers partagés, les uns Joinvillistes, les autres républicains. La population amusée, et indifférente beaucoup plus occupée du spectacle que de l'acteur principal. Petit, très petit complot des rouges pour crier sans relâche, sur ses pas, " vive la république sociale ! " Le peuple haussant les épaules et repoussant les gamins, avec mépris mais sans colère, Très bonne tenue de la troupe, faisant son devoir avec calme. Concours immense. Grande difficulté de trouver à manger. Quatre dîners de table d’hôte par jour dans toutes les auberges, et bien des gens ne parvenant pas à dîner. La flottille anglaise bien reçue et charmée de sa visite. quand le Président a passé devant elle en visitant la flotte, il a été accueilli par des houras très vifs.

10 heures
Je suis bien fâché de votre mal de gorge. Je ne peux pourtant pas me résoudre encore à vous envoyer à Madère. J'espère que ce ne sera pas long. Ne manquez pas, je vous prie de me dire aussi quand ce sera passé. C'est bien dommage que nous n'ayons pas rencontré Thiers sur la route, entre Esher et Claremont comme Salvandy.
Je doute un peu de la nouvelle de la Princesse Mathilde ; elle aura parlé d’un projet comme d'un fait. Je reçois un mot de Marion qui me dit que décidément ils quittent Brighton du 16 au 20, et qu’ils seront à Paris au commencement d'octobre. Vous le savez sûrement déjà. Adieu, adieu, adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 11 septembre 1850

Thiers est à Bade. C'était un conte. Je n’ai pas fermé l'œil de la nuit, la poitrine prise, la tête aussi. J'ai fait venir Koll, je suis en piteux état. J'ai eu une lettre charmante de la grande duchesse Olga. Hier soir beaucoup de monde. Viel Castel entre autre, & lady Claud Hamilton belle comme un ange. Rien de nouveau. Pardonnez-moi mais je suis hébétée de mon rhume, j’espère mieux valoir demain. Je ne bougerai pas. Quel ennui ! Adieu. Adieu.
Salvandy a écrit sa mission à M. Pageot qui montre sa lettre.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Mardi 10 septembre 1850

Kisseleff qui est venu hier matin m’a dit que la princesse Mathilde où il avait dîné la veille lui avait dit que Thiers était revenu de Bade & devait partir le lendemain qui était hier pour Clarmont. Duchâtel qui est venu le soir en doute beaucoup, cependant la source me parait bonne. Avez-vous lu dans la presse du 8 une lettre de M. Vesin racontant Wiesbaden, & se déclarant pour le comte de Chambord. Cette lettre fait assez de bruit. Le portrait qu'il fait des Prince est exactement ce que vous en aviez entendu dire à d’autres.
J’avais chez moi hier soir Duchâtel, Dumon, Kisself et Chalembourg et Edwardes. Rien de nouveau, & moi je n'ai de nouveau qu’un peu de mal de gorge, pris chez vous, il y faisait vraiment bien froid. Voilà qui est mal de vous dire cela. Mais je suis vraiment par trop délicate, c’est ridicule. Il faut m'envoyer à Madère. Adieu. Adieu. et adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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J'ai peu dormi. Je n’ai pas eu froid. Je suis arrivé chez moi à 6 heures. Je suis un peu fatigué. Je me coucherai de bonne heure ce soir. Voilà mes nouvelles.
Mon gendre n'est pas encore revenu de Cherbourg. On l'attend pour dîner. Le Président n’y a guères mieux réussi sur mer que sur terre. Les matelots ont trouvé qu’il ne se tenait pas sur le vaisseau à la place où il aurait dû se tenir, et qui est la place d’honneur. Il s’était mis ailleurs, pour se faire mieux voir. On a dit qu'il avait l’air d’un capitaine d'infanterie allemand qui n’avait pas droit à de l'avancement. Le spectacle marin a été magnifique. Grande politesse mutuelle entre les Français et les Anglais. Adieu, Adieu, Adieu.
J’aime mieux adieu de près que de loin. Adieu. G.
Val Richer, mardi 10 septembre 1850

Auteurs : [?]

Auteurs : Dumas, général (?-?)

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Vendredi 30 août 1850

Trois lettres de vous ce matin entr'autres celle du Vendredi 23 qui m’avait manqué. Où est-elle allée courir ? Quelles postes ! C’est la lettre où [vous] me donniez vos premières indications pour le lieu où vous écrire. Je ne l'ai pas reçue à temps. J’ai donc toujours écrit à Schlangenbad. On vous renverra sans doute mes lettres.
Je ne recommence pas sur la mort du Roi. Je viens d’écrire au Général Dumas : " Quand, comment et où se feront les obsèques du Roi. Je dis les obsèques provisoires les seules qu'on puisse, à ce qu’il me semble, faire en ce moment. C'est mon devoir et mon intention d'y assister. Veuillez me donner à cet égard, les informations nécessaires. Je serais déjà parti pour Londres s'il ne m’avait paru plus convenable de connaître auparavant les désirs de la Reine et de la famille royale. J’attendrai ici votre réponse. C'est là, je crois, tout ce que j'ai à faire pour le moment. Je ne veux pas témoigner un empressement qui serait mal compris. Mais je regarde tout-à-fait comme mon devoir d'assister aux obsèques. J’irai donc bientôt à Londres. Ce sera une occasion naturelle de les voir tous et de causer avec eux. Je me suis mis d'ailleurs complètement à la disposition de la Reine. J’informe de ceci le Duc de Broglie qui m'a écrit pour me demander ce que je faisais. Je le dis également à Dumon et à Duchâtel. Je voudrais que tout mon cabinet se rendit aux obsèques du Roi ; même Salvandy malgré sa visite à Wiesbaden. Je charge Dumon d’en parler à tous ceux de mes collègues qui sont à Paris. Je ne sais si Montebello y est déjà retourné.
Je ne vous envoie pas les détails qu’on me donne. Vous les trouverez et plus à Paris où vous êtes peut-être arrivée hier, aujourd’hui au moins. Il y a deux faits assez graves la répulsion absolue de la candidature du Prince de Joinville à la présidence, et les froideurs du dernier moment avec Mad. la Duchesse d'Orléans. Je ne crois pas beaucoup à ceci.
Je suis frappé du ton des journaux. Les hostiles sont bien timides et les amis ont le verbe bien haut. Cela me plaît fort. On ne change pas de sentiments mais on a où l'on n'a pas confirmé dans les sentiments qu'on garde. Adieu, Adieu.
Demain, je pense, j'aurai une lettre de Bruxelles ou de Paris. Et bientôt nous nous verrons. Adieu, Adieu, adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 30 août 1850 10 heures du matin,

Bonne date pour ma première lettre de Paris. Je suis arrivée hier à 7 heures Du retard en route. Je suis bien fatiguée de ces trois jours. J’ai envoyé chez vous dans l'espoir que vous seriez arrivé. Duchâtel n’en doutait pas. Selon lui il est indispensable que vous alliez tous & tout de suite à Clarmont, pour les obsèques, & si elles avaient lieu trop subitement au moins faut-il que vous portiez vos hommages à la reine & à la famille. Certainement c’est un devoir, et y manquer serait une inconvenance. Duchâtel & Dumon sont ici, Montebello à St Andrew près du Havre. Il faudrait le faire revenir. Enfin ne tardez pas. Duchatel est bien décidé à aller. Il aimerait mieux que ce fût collectif. J’espère toujours que vous n’aurez pas attendu que les réflexions vous soient suggérées. Je crois qu’il n’y a pas une âme à Paris. Le duc de Noailles vous attend jusqu'à demain soir. Si vous n’arrivez pas jusque là, il ira à Maintenon. Il a écrit à Wiesbaden pour recommander de prendre le deuil. Je suis convaincue que toutes les cours de l’Europe le prendront, la mienne inclue. J'ai causé avec Vaudran à Bruxelles. Je crois vous l’avoir dit. Je suis étonnée de ne point trouver de lettres de vous ici, je vous avais écrit il y a plus de huit jours pour vous prier d’y adresser vos lettres.

Midi. Je viens de voir quelqu'un qui a eu de vous une lettre hier. A mon grand étonnement vous ne songiez pas à aller en Angleterre. Est-il possible ? Je ne vous reconnais pas là. Adieu. Adieu.
Je ne vous écrirai pas demain, car je dois supposer que vous viendrez au moins après ceci.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 29 août 1850

On a beau dire qu’on s'attend à la mort de quelqu'un. La mort est quelque chose de si grand qu’elle frappe toujours comme un coup imprévu.
Je lisais, il y a quelques semaines à mes enfants un sermon de Bossuet, prêché devant Louis XIV, et qui dit : " C’est une étrange faiblesse de l’esprit humain que jamais la mort ne lui soit présente, quoiqu’elle se mette en vue de tous côtés et en mille formes diverses. On n'entend dans les funérailles que des paroles d'étonnement de ce que ce mortel est mort. Chacun rappelle en son souvenir depuis quel temps il lui à parlé, et de quoi le défunt l’a entretenu ; et tout d’un coup, il est mort ! Voilà dit-on ce que c’est que l'homme. Et celui qui le dit, c’est un homme ; et cet homme ne s'applique rien, oublieux de sa destinée ; ou s'il passe dans son esprit quelque désir volage de s'y préparer, il dissipe bientôt les noires idées ; et je puis dire que les mortels n’ont pas moins de soin d'ensevelir les pensées de la mort que d’enterrer les morts mêmes. " Ce sont de bien belles paroles et bien vraies.
Que feront la Reine et ses enfants ? Je persiste à penser que le parti digne est de laisser le corps du Roi à Claremont, toujours le centre et le lieu de la famille royale, jusqu'à ce qu'elle puisse le ramener à Dreux, comme il y doit être ramené, sans désordre et sans indifférence. Aujourd’hui, il y aurait l'un ou l'autre spectacle. Et toujours quelques uns des Princes à Claremont pendant que les autres voyageraient à leur gré. C’est la conduite que nous avons indiquée à St Léonard le Duc de Broglie et moi. Je viens de lui écrire pour lui demander, s’il est toujours du même avis. Que de sottises seront dites d’ici à huit jours sur ce grand mort ! Sottises de haine et sottises de bêtise.
En France et aussi en Angleterre. J'espère qu’il y aura aussi des paroles convenables. Il y a droit, et il peut supporter la vérité. J’espère aussi avoir enfin des lettres de vous. Le silence dans l'absence est insupportable.

Dix heures
Voilà vos deux lettres. J'ai vraiment envie, pour vous, que vous puissiez aller à Bade. Vous y passeriez huit jours agréablement. Qu'avez-vous besoin du Duc de Noailles ? Plaisir, je comprends, mais besoin, non. Kolb suffit pour la sureté.. Les Débats sont très convenables sur le Roi. Les paroles sont justes et le sentiment vrai. Le Constitutionnel très inconvenant. Sec et petit. On dirait qu’il parle pour sa propre justification. Quand viendra le moment où la vérité pourra être dite ? Jamais peut-être de mon vivant. Adieu, adieu.
Vous ne me dites pas de ne plus vous écrire à Schlangenbad. Je continue donc. Je serai bien aise quand je vous en saurai dehors. Votre ennui me déplaît et le froid m'inquiète. Adieu, adieu.
Prendra-t-on à Wiesbaden le deuil du Roi ? Ce serait de bien bonne paroles convenables. Il y a droit, et il peut politique comme de bien bon goût.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Bruxelles le 29 août jeudi

Je me suis décidée à partir aujourd’hui quoique bien fatiguée. Mais demain je n’aurais pas de compagnon de voyage, et aujourd’hui je pars avec le duc de Noailles & Duchâtel. J’ai vu un moment hier Berryer très pressé d'aller à Paris, il est parti hier soir. Il veut empêcher les sottises de ses amis. La mort du roi Louis-Philippe fait une grande consternation. J’ai vu van Pradt. Il croit à la dispersion prochaine de la famille. Duchâtel pense que si il y a une cérémonie funèbres vous devez tous aller en Angleterre. J’attendrai avec impatience de vos nouvelles à Paris. J'y serai à cinq heures. Adieu. Adieu.

La reine Amélie écrit à sa fille une lettre. très ferme. Le duc de Nemours donne les détails au roi Léopold. Louis-Philippe s’est endormi sans souffrance. Il est mort à Clarmont. J’aime mieux cela que Richmond. Le voyage du Président paraît avoir mal tourné. Adieu.

Auteurs : Dumon, Pierre-Sylvain (1797-1870)

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Bruxelles mercredi le 28

J'arrive à l’instant. Ecrivez à Paris. Je trouve ici Duchâtel, & Berryer. Je suis venue avec le duc de Noailles. Je vous dirai demain ce que je fais.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 28 août 1850
7 heures

Je n'ai pas trouvé de lettre ici hier en arrivant. Je compte bien en avoir une ou deux ce matin. Les journaux que j’ai trouvés ne m’en disent guère plus que les lettres qui m’ont manqué.
Je ne regarde plus au voyage du président. C’est une tentative avortée. Il en sera de même des Conseils généraux. Le ministre de l'intérieur les pousse à demander la révision de la constitution et la prolon gation des pouvoirs du Président ; mais il parle timidement, indirectement, en solliciteur non en ministre. La plupart des Conseils généraux ne diront rien. Ce que diront ceux qui diront quelque chose ne sera rien. Tout tourne au statu quo. Il me revient que le nom du Prince de Joinville commence à courir dans les campagnes. Si on arrive à l'élection sans avoir rien fait, cette candidature là pourrait bien devenir tout-à-coup puissante. Ce pays-ci épuisera toutes ses cartes avant d’en finir. J'ai vidé mon sac dans lequel, il n'y avait rien.

9 heures
Point de lettre, et la mort du Roi. Voici dans quels termes, Dumas me l'écrit : " J'ai la douleur de vous annoncer la mort du Roi. La Reine me charge de vous faire cette communication et de vous exprimer son regret de ne pouvoir, dans ces premiers moments répondre elle-même à votre dernière lettre. Le roi a rendu le dernier soupir ce matin, à 8 heures, entouré de tous les siens après une agonie calme durant laquelle il a conservé toutes les facultés intellectuelles, toute la force et toute la dignité morales dont la Providence l’avait doué. Il a fini comme il avait vécu avec fermeté, avec résignation, avec bonté, avec simplicité. Il ne s'est pas démenti un seul instant depuis le moment où hier matin, l’avis solennel de sa fin prochaine lui a été donné, par la volonté et en présence de la Reine, qui ne l'a pas quitté un instant, et qui a été sublime de dévouement pendant et après la mort du Roi comme durant leur vie commune. "
“ J'écris à l’instant à Mad. de Witt pour lui dire tout le regret qu'éprouve la Reine de ne pouvoir la recevoir après-demain comme S. M. en avait le désir. "
" Les mêmes sentiments de douleur, de regret & d’union animent tous les Princes et les Princesses de qui j'ai l’honneur d'être l'organe, vis-à-vis de vous. "

J’ai plusieurs lettres de Paris. Dumon me dit : " Le Roi a dicté à la Reine divers écrits qu’il a signés. " Et Génie : " On dit qu'il a dicté l'expression de ses désirs, et de son opinion. " C'est un événement pour tout le monde. C'en est un pour moi. Il a tenu une grande place dans ma vie, et mon nom est fort lié au sien. A tout prendre, le monde à vu bien peu d'aussi bons rois. Il a donné à la France 18 années du gouvernement le plus juste, le plus sensé, le plus libre, et le plus bienveillant qu’elle ait jamais connu et que probablement elle soit jamais destinée à connaître. Adieu, adieu.
J’ai bien des lettres à écrire aujourd’hui. Je compte demain sur les vôtres. Adieu. G.

Auteurs : Dumon, Pierre-Sylvain (1797-1870)

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Trouville, Mardi 27 août 1850.

Est-ce que vous vous sentez plus fatiguée que de coutume ? Vous me parlez de votre besoin de repos en personne vraiment fatiguée. Vous renoncez à passer par Baden qui vous amuserait. Cela me préoccupe. Donnez moi quelques détails. Les eaux fatiguent quelque temps, même quand elles font du bien. Tout le monde le dit. Il me semble que Schlangenbad vous a moins réussi qu’Ems. Je sais gré à Fleischmann d'être venu vous y voir. Il aura un peu rompu votre solitude. Et je suis sûr qu’il ne vous aura pas rendue germaine unitaire. Cette question Allemande me déplait parce que je n'y vois pas clair. J’ai un instinct plutôt qu'un avis. Mais un instinct ne satisfait pas. Je ne veux pas de ce qu’on veut faire, et j’entrevois qu’il y a quelque chose à faire. Cette passion d’unité qui tient tant d'Allemands ne doit pas être uniquement l’ambition Prussienne ou la folie révolutionnaire. Il y a probablement là dessous quelque chose de sérieux et de nécessaire. Comment s'y prendre pour reconstituer la confédération germanique et la diète de Francfort d'une façon qui donne satisfaction à ce qui n’est ni révolution, ni bouleversement territorial ? Ou bien serait-ce là un but chimérique ? Et l'Allemagne, en serait-elle venue à l'une de ces époques où les gens sensés comme les fous, les honnêtes gens comme les coquins, sciemment ou aveuglément, veulent absolument refondre toutes choses et se lancent au hasard dans les nouveautés, n'importe à quel prix. La France en était là en 1789. J’ai peur que l'Allemagne n’y soit à son tour, si cela est, la guerre européenne est infaillible, et nos 34 ans de bon gouvernement et de paix n'auront été qu’une oasis dans le désert, une halte dans le chaos.
Je conjecture et je spécule comme si nous causions. J'ai peur aussi que M. de Nesselrode n'ait raison, et que Wiesbaden n'ait fait plus de fracas qu’il ne convient. Le fracas rouge sur le passage du Président est une compensation. Mais tenez pour certain qu’à son retour il y aura à Paris un effort en faveur d’un ministère tiers-parti.
Je suis bien aise de retourner au Val Richer. Le temps est superbe ce matin. J'ai droit à un beau mois de septembre. Août a été affreux excepté les jours d’Ems.
Je suis très occupé de mon Monk. J’y ai pas mal changé, ajouté. Je crois que c’est amusant et à propos. Une grande comédie politique remise en scène devant des spectateurs acteurs eux-mêmes. Et on veut réimprimer en même temps mon Washington. Comment on rétablit une Monarchie et comment on fonde une République. Choisissez. Pourvu qu'on ne me réponde pas : ni l’un ni l'autre ! Hélas je suis un peu, pour la décadence de mon pays comme Mad. Geoffrin pour les revenants " Je n’y crois pas, mais je les crains. "

Onze heures
Pas de lettre ici. Je suppose que vous m'avez écrit au Val Richer, et que j’y trouverai votre lettre en arrivant. J'ai de bien mauvaises nouvelles de Claremont d'avant-hier. Dumas mécrit : " Il est douteux que l'état du Roi permette que S. M. aille s’installer à Richmond où se trouvent déjà M. la Duchesse d'Orléans et Mad la Duchesse de Saxe Cobourg. Les forces déclinent, tous les organes s'affaiblissent, à l'exception des facultés intellectuelles qui restent entières. J'ai dû faire une absence de quatre jours pour aller porter à Dreux le Corps de l’enfant morte dont est accouchée Mad la Duchesse d’Aumale. J’ai trouvé à mon retour avant hier, les progrès de l'affaiblissement très notables. Le Roi a fait appeler les docteurs Chamel et Fouquier. Mad. la Duchesse d'Orléans est aussi bien que possible. La Reine se maintient en bonne santé. Le Duc de Nemours est très souffrant d’un Anthrax. M. le Prince de Joinville qui a été en Belgigue chercher sa soeur la Duchesse de Saxe Cobourg et qui a dû séjourner deux jours à Ostende, à cause du mauvais état de la mer, y a été l'objet d’un accueil remarquable de la part du grand nombre de Français qui y résident. Cela s’est passé sous les yeux du Roi des Belges. "
Adieu, Adieu. Je voudrais vous envoyer ce soleil. Adieu. G.

Auteurs : Austin, Sarah (1793-1867)

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Trouville, Lundi 26 août 1850

Je vous ai dit, il y a déjà bien des jours, que je retournai au Val Richer demain mardi 27. J'espère que vous aurez pensé, depuis deux jours, à m'adresser à vos lettres. Je laisserai ici des instructions pour qu'on me renvoie sur le champ celles qui arriveraient encore. Mais j’aimerais bien à ne pas éprouver de retard.
Le Chancelier m'apporte toutes ses nouvelles. Pas grand chose ; mais il est plein de soin. Barthe va ces jours-ci à Claremont. Son langage n’y sera pas tout-à-fait sans valeur. Le Roi le regarde comme très sincère et bien à lui. Les nouvelles du Roi sont toujours mauvaises.
Voici ce que m’écrit de Colmar un ancien magistrat, homme d’esprit : " Nos tribuns ont mal accueilli notre Imperator. Il s’était hâté de quitter Mulhouse où les ouvriers le regardaient de travers. Cela fait qu’il est arrivé à Colmar plutôt qu'on ne l'attendait. Là, trois officiers de garde nationale, avec lesquels Flocon avait fraternisé, il y a trois jours, ont crié à tue tête avec leurs compagnies : Vive la République toute seule ! Cela a fait au Président un assez long charivari. Il en a eu de l'humeur et n'est pas allé au bal. On le dit fort mécontent. L’absence n’est plus que la patrie d'Emile Girardin. Tel n'est pas cependant l’esprit général, et si un libre scrutin pouvait s'ouvrir, la Monarchie mettrait la république à l'abri du danger de l'Empire. " J’ai vu hier des gens qui craignent un peu que ces explosions démagogiques n'intimident le président, et ne le poussent à se reporter vers le tiers parti républicain, Dufaure, Gustave de Beaumont &, pour apaiser un peu l'hostilité. Cela ne serait grave que si cela se faisait au moment des élections.

Midi
Merci de votre rapport sur Fleischmann. Je vous en ai parlé hier. Maintenant il est indispensable de savoir ce qu'aura le fils en se mariant, et ce qu’il peut espérer un jour. La Dame n’est pas du tout laide ; au contraire, plutôt bien ; grande, belle taille, l’air noble, blonde, du yeux bleus grands et doux : beaucoup de sens, un bon caractère, entendue et économe. Dix mille livres de rente, bien à elle, en se mariant, en fonds Hollandais, français et belges et cinq ou six mille livres de rente bien assurées. Je viens de passer quelque temps avec elle. J'en pense vraiment très bien. Le coeur très fier ; elle voudra connaître un peu elle-même avant de rien dire.
Vous aurez vu que le discours du Président à Lyon m’avait frappée comme vous. Il est bien rare que nous ne soyons pas instinctivement du même avis. Le discours à Strasbourg aussi est assez bon. Par contre, j'ai beaucoup causé hier du Président avec un homme d’esprit qui l’a beaucoup vu, et qui en pense très médiocrement.
Décidément Palmerston n'a pas accompagné la Reine à Ostende. La grosse injure est acquise. D’autant plus qu'elle a emmené Baring. Je ferai ce matin votre commission à Mad. de Boigne, et au Chancelier. Adieu. Adieu.
Je vous écrirai encore d’ici demain. Je ne pars qu'à 2 heures pour aller dîner au Val Richer. Adieu.
Ce pays-ci n’est plein que de l'escadre de Cherbourg. On ne pense pas à autre chose. Tout le monde y va. Plus moyen de se loger à Cherbourg. On se loge dans les villes environnantes, à Valogne, St Lô, à plusieurs lieues de distance. Tout le yacht club anglais s'y rend, 80 yachts, dit-on. Je saurai bien comment les choses s’y passeront, M. de Witt, va s’y promener. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Schlangenbad le 26 août 1850

Je me décide à aller à Bade. Adressez-moi vos lettres là, grand duché de Bade. C'est plus correct & peut être c’est plus amusant que de me morfondre déjà à Paris. Il est vrai que j’y perds la société du duc de Noailles pour mon retour. J’en trouverai peut être une autre. Je ne sais rien vous dire, pas un chat, pas une lettre. Je ne resterai certainement à Bade que jusqu'au 4. Mais j’aurai le temps d'y recevoir deux ou trois lettres car là elles arrivent vite. Adieu. Adieu.

Auteurs : Dumas, général (?-?)
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"J'ai la douleur de vous annoncer la mort du Rois. La Reine m'a chargé de vous faire cette communication et de vous exprimer son regret de ne pouvoir dans ces premiers moments répondre elle même à votre dernière lettre. Le Roi a rendu son dernier soupir ce matin à 8 heures, entouré de tous les siens, après une agonie calme, devant laquelle il a conservé toutes les facultés intellectuelles dont la providence l'avait doué ; il a fini comme il avait vécu, avec fermeté avec résignations, avec bonté, avec simplicité."

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Schlangenbad le 26 août 6 h. du soir.

Je reçois de Fleichmann de si mauvais renseignements sur les chemins de fer, que je renonce à Bade, & je pars demain pour Paris. C’est donc là que vous continuerez à m’adresser vos lettres. La paix est à peu près faite entre Vienne & Berlin, mon Empereur a arrangé cela. L'Autriche a fait des concessions. C'est Constantin qui me mande cela. Adieu. Adieu. Je porterai ceci à Cologne.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Schlangenbad le 25 août dimanche 1850

Vos lettres d'Angleterre sont curieuses. Si notre ami vous ressemblait un peu ce serait fait. Quant à Lord Palmerston, il me revient de tous côtés qu'il essaye de se modifier. C'est de la comédie. Je suis charmée de la dégringolade. de Bunsen. Le duc de Noailles m'écrit de Wiesbaden, qu'il sera. prêt à partir avec moi, après-demain. Si le temps était beau j'aimerais autant aller à Bade qu'à Paris.
D'un coup de filet trois grandes duchesses de Russie. Cela ne se rencontre guère, et puis je crois que tout cela m'amuserait un peu. Je voudrais bien y entraîner le duc de Noailles, mais il ne le laissera pas prendre il est plus vraisemblable. qu'il m’amènera à Paris. Hier toute la journée, une pluie battante. Ma seule ressource a été une promenade dans le corridor de la maison que j'occupe. Jugez, voilà mon seul divertissement de la journée ! J’en ai assez de Schlangenbad. Je n’ai pas un mot de nouvelle à vous dire. Vos lettres sont bien différentes des miennes ! Adieu. Adieu.
C'est un G. et non C. pour le nom de la vieille étourdie.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Trouville, Samedi 24 août 1850
Quatre heures

J'ai votre lettre. Je suis moins étonné que vous de votre émotion. Vous pouvez passer très vite d’un accès d’indifférence à un accès d'attendrissement. Il y a bien des cordes à toucher en vous. M. le Comte de Chambord a touché, la bonne. Est-ce sa figure, son nom, sa situation, sa conversation ? Peu importe.
Le chancelier, vient de m’apporter le dire de M. Benoist d'Azy revenant de Wiesbaden. Il dit comme vous quoique moins ému. Très probablement vous avez raison, et j'en suis fort aise. Votre court récit me plaît beaucoup. Si Salvandy va là, il en dira plus long. Je crains un peu qu’on n'abuse du portrait. Cela inspire bientôt plus de méfiance que de sympathie aux gens qui ne voient pas l'original. Et M. le comte de Chambord ne peut pas faire à beaucoup de monde la visite qu’il vous à faite.
Les visages sont moins gais à Clarmont, car c'est encore à Claremont qu’ils sont. Le Roi va toujours s'affaiblissant. Madame la Duchesse d'Aumale vient d'accoucher à huit mois, d’un enfant mort, une petite fille si chétive et si mal constituée qu’elle n’eût probablement pas vécu. Le chagrin est peu de chose, mais le dérangement, est grand. On devait partir le surlendemain pour Richmond. Il faut attendre à l'extrême déplaisir du Roi qui a pris Claremont en dégoût. On y laisserait bien Mad la Duchesse d’Aumale qui va à merveille, et à qui Mad, la Princesse de Joinville tiendrait compagnie. Mais M. le duc de Nemours a des clous, mal placés et dont l’un ressemble un peu, dit-on, à un Anthrax, et pourra exiger une petite opération chirurgicale. Tout cela fait un intérieur triste et agité. Mad. la Duchesse d'Orléans est déjà établie dans la maison qu’elle a louée à Richmond, près du Star and Garter. J’entrevois dans ce qu'on me dit que le médecin n’est pas très pressé de transporter le Roi à Richmond, qu'il le trouve bien faible et qu’il trouve Claremont un lieu plus convenable pour un tel malade, si malade.
Je ne sais rien du tout de la lettre que les journaux attribuent à M. le Prince de Joinville. Mad. Mollien est à Claremont. Chomet est allé voir la Reine des Belges et ne trouve rien d'inquiétant dans son état. C’est du moins ce qu’on dit de son dire.

Dimanche, 8 heures
J’ai eu hier successivement la visite de trois conseillers à la cour jadis royale de Caen. Hommes assez considérables par leur fortune, et leur fonction. Deux conservateurs, et un légitimiste. Bons échantillons de la bonne opinion. Fusionnistes, tous trois, disant tous trois exactement les mêmes choses, mais vaguement et froidement avec peu d'espérance et pas plus de courage. Parce que la fusion, n'est encore qu’une idée, un désir. Ce n’est pas un parti politique hautement proclamé, ayant son drapeau et son camp. Il y a beaucoup de fusionnistes, tous encore classés et enrôlés, dans les anciens partis. Les anciens partis seuls subsistent. Personne n’ose en sortir ouvertement et décidément, et en disant pourquoi. Tant que cette situation durera, rien ne se fera. Non seulement on n’arrivera pas mais on ne marchera pas. Tout le monde voudrait arriver sans marcher, tant on a peur de se compromettre et d'être pris pour dupe. On voudrait que Dieu se chargeât seul de toute la besogne. Ce n’est pas son usage ; il fait beaucoup, beaucoup plus que nous ; mais il veut que nous fassions quelque chose nous-mêmes. Il ne nous dispensera pas d'avoir une volonté de prendre une résolution de mettre la main à l'œuvre. Nous attendons Dieu et Dieu nous attend.

Midi
J’espère que vous aurez fait à ce bon Fleischmann mes plus vraies amitiés. J’aurais été charmé de le voir. Si vous l’avez encore avec vous, sachez, je vous prie, ce qu’il donnerait à son fils, s’il le mariait à son gré, et ce que son fils pourrait espérer un jour. Il faut savoir cela. On me dit qu’ils sont pauvres. Trop pauvres serait trop. On me dit aussi que Fleischmann est un peu avare. Il vous sera facile d'éclaircir ces deux faits. Je me crois sûr, par des renseignements venus ces jours ci, qu’il n’y a eu chez les Nottinguer, ni chez les Delessert, pas la moindre idée de ce mariage.
Pourquoi n'iriez-vous pas un peu à Baden si vous en avez envie? Il n’est pas plus fatigant de vous arrêter quelques jours à Baden, en revenant que de revenir droit à Paris. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Trouville, Samedi 24 Août 1850

Je trouve les animosités des légitimistes entre eux bien vives. Ceux qui sont ici sont bien amers contre Berryer, tout en parlant fort légèrement de M. de La Rochejaquelein. J’ai peur que les défauts du caractère national, qui nous ont déjà coûté si cher ne soient encore plus dominants dans les légitimistes que partout ailleurs.
On me parle beaucoup d'un abbé Trébuquet (je crois que c’est bien le nom) qui a été dans l’éducation de M. le comte de Chambord, et qui est resté auprès de lui. C'est, me dit-on, l'influence la plus intime, et un homme de peu d’intelligence politique, plus étranger même que le gros du parti au monde réel et actuel. Pouvez-vous faire quelques questions à son sujet ?
Nous n'avons plus à voir que la fin du voyage du président. On dit qu’elle sera meilleure que le milieu. Je doute qu’elle change l'impression générale déjà produite, et qui n'est certainement pas très encourageante. Les choses ont paru telles qu'elles sont en effet ; la démagogie violemment ennemie ; les autres classes bienveillantes froidement et précairement sans confiance ou uniquement par un calcul momentané, si je ne me trompe le président et l’Assemblée se retrouveront au mois de novembre, l'un et l'autre plutôt refroidis qu’échauffés et sentant qu’ils ont besoin l’un de l'autre. Ni l'un ni l'autre ne feront d'évènement. Dieu leur en enverra peut-être.

Midi
Pas de lettre ce matin. C’est très déplaisant. Elle viendra peut-être plus tard dans la journée. Cela arrive quelques fois.
Je ne vois dans mes journaux que le voyage du président ; toujours très mêlé ; même des projets d’assassinat. A Strasbourg plus de mauvais que de bon. Que pense-t-il à présent de son étoile ? Adieu, Adieu.
J’écris en Angleterre par ma fille qui part aujourd’hui, à M. Gladstone, à Marion & Adieu. Je voudrais bien avoir ma lettre. G.

Auteurs : Sauzet, Paul (1800-1876)

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Schlangenbad le 23 août 1850

Vous me parlez aujourd’hui du discours du Président à Lyon à peu près comment j’en pense. Il est très frappant & original. L'union y a répondu assez habilement. Cela n'empêchera pas que ce discours ne produise beaucoup d'effet, & un effet qui durera. J’ai oublié de vous conter que lorsque le comte de Chambord est arrivé à Cologne, il y a trouvé M. de Larochejacquelin & une cinquantaine de Français. Ils l'ont reçu avec des fanfares de la musique. Le comte de Chambord a dit " vraiment Messieurs nous avons un peu l'air de marchande d’Eau de Cologne ", et il a fait cesser ce bruit, mais comme il a remarqué que cela blessait M. de Larochejaquelin l'impressario il a ajouté " pensons les demains sur le bâteau à vapeur, cela nous fera passer le temps ". Vous voyez là du bon gout & du bon cœur. La lettre de Larochejacquelin montre bien du dépit. Je vous ai dit que c’est Berryer qui gouverne.

Samedi 24 août Le temps est atroce & si froid, qu'il y a vraiment de quoi tomber malade. Aussi je pars, au plus tard Mardi. Le duc de Parme m’a quittée. Des adieux très tendres. Me voilà réduite à cette vieille princesse hargneuse, c’est vraiment trop peu. Je n’en puis plus, il est impossible de s'ennuyer plus complétement que je ne m'ennuie et la pluie et le brouillard et tout cela glacé, & ni cheminés, ni poêles. Ah mon Dieu ! Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Trouville, vendredi 23 Août 1850

J’ai eu la visite d’un Mr Caulfield membre de la Chambre des Communes et Whig. Il se promet bien que le Cabinet ne tombera pas. Le temps est maintenant contre eux. Si on laisse du temps aux Peelistes et aux Protectionnistes, ils se réconcilieront. Il faut que Lord John fasse la dissolution lui-même, et qu’il se hâte. C'est ce qu’il fera. La Jew-question sera l'an prochain une grosse affaire, la question de cabinet, si la Chambre des Lords la repousse, comme on s’y attend, dissolution immédiate de la Chambre des Communes et appel au pays contre la bigotry des Lords who stop the way. Voilà le plan. Je ne sais s’il sera exécuté, mais je doute qu’il réussisse. Cependant je le comprends ; s’il doit tomber, Lord John veut tomber sur une question libérale, et avec tout son parti. Je ne sais pas ce que vaut le dire de M. Caulfield. Il a l'air intelligent, résolu et léger.
Les détails que vous me donnez sur le comte de Chambord ont fort intéressé le chancelier. Intéressé avec quelque méfiance. Evidemment il trouvait dans l’impression de vos deux visiteurs, excès d’enthousiasme et de satisfaction. Il m'est revenu hier que M. de la Rochejaquelein à Paris se disait fort content de son voyage, investi de la confiance du comte de Chambord et sûr que les affaires du parti seraient désormais conduites selon son sens. Il en est bien capable. On dit qu'il a un petit secrétaire radical qui exerce sur lui beaucoup d'influence et le tient en intimité avec la montagne et la quasi-montagne. Là est la plaie et le danger du parti légitimiste ; les conservateurs ont toujours sur le cœur cette intimité, qu’ils voient toujours continuant, ou près de recommencer.
Vous ne me dites encore rien de votre départ de Schlangenbad. Nous voilà au 23. Vous n’y voulez rester que quinze jours. Êtes-vous engraissée ?
Le beau temps revient ici, mais avec le froid. Il n'y a pas moyen cette année d'avoir le chaud, et le sec ensemble. Les blés souffrent : la récolte ne me vaudra pas ce qu’on en attendait. On commence à s'en aller de Trouville.

Midi
Je ne comprends pas que ma lettre vous ait manqué. Un jour, oui mais deux c’est absurde. Vous aurez eu deux lettres le lendemain. Vous avez raison de ne pas postillonner au gré des estafettes.
Votre grande Duchesse vous donnera surement rendez-vous à Biberich. Je suis curieux de votre visite à la Duchesse de Noailles. Il vient d’arriver ici ce matin quelques uns des légitimistes les plus vifs, peu amis de Berryer, en méfiance de Thiers. Ils me font demander à me voir. Je causerais avec eux. Colmar et Strasbourg n'ont pas été mieux que Besançon. Le bien et le mal sont très mêlés dans ce voyage, et le mal est bien vif. Je ne crois pas que le Président en revienne très confiant, ni qu'il en reçoive un grand élan vers les grandes aventures. Toutes les fois qu’on enfoncera un peu dans cette société et on sentira la nécessité de remettre ensemble toutes les forces d’en haut pour contenir le chaos d'en bas. Je rabache cela tout le jour à tout le monde. Cette vérité là est notre levier. Adieu, adieu.
Après Schlangenbad, quoi ? Probablement Paris. C’est encore là que vous aurez à la fois le plus de repos et le moins d'ennui. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Schlangenbad vendredi le 23 août 1850

Le bon Fleichmann m'a quittée hier soir. Excellent homme, mais très [unitaire] beaucoup de détails curieux, très sensé et amusant. Le duc de Noailles me mande que Salvandy arrive Dimanche. Madame de La Ferté aujourd’hui. Tous les jours, foule nouvelle. Hier 60 nouveaux arrivés. Le duc de Noailles retourne à Paris Mardi. Il est très vraisemblable que nous ferons route ensemble. Mais je suis encore un peu flottante pour Bade. Aujourd’hui que j'ai bien dormi le courage me reprend. Mon incertitude me déplait pour vos lettres. Ce qui me paraît le plus sûr et que vous les adressiez à la rue St Florentin. Je donnerai là des directions pour le cas où je ne revienne. pas tout de suite. Voici ce qui est l'alternative. Je pars le 27 avec le duc septembre de Noailles, ou 7 septembre avec Paul Tolstoy dans ce dernier cas j'aurais fait ma [?] sur Bade.
Le temps est affreux toujours, j’ai eu bien du guignon pour ceci. La princesse Grasalcovitz va être ma seule ressource car je crois que le duc de Parme part aujourd’hui. Je suis curieuse de votre opinion sur le discours du Président. Je persiste à le trouver habile. On ne m'en dit rien de Wiesbade. Au reste je n’ai vu personne de là depuis et je n'ai eu qu’un mot insignifiant du duc de Noailles sur ces mouvements. Adieu. Adieu.
je n'ai rien du tout à vous mander de ces montagnes. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Trouville, Jeudi 22 août 1850

Vous rendez compte dans la perfection. Reste à mettre à sa juste valeur l'impression et le dire de vos deux interlocuteurs, vous feriez cela à merveille aussi. Si vous aviez vu vous-même. Pourvu que vous laissassiez aussi à votre propre impression le temps de s'apaiser et de le juger. En tout cas, ce que vous me redites est très curieux et très important. Et il y a au bout des paroles, un fait très significatif, l’attitude prise envers. M. de la Rochejaquelein. Le jour où les hommes sérieux et sensés dirigeront au lieu de suivre, le parti sera un parti politique. Cela lui a manqué jusqu'ici. Strasbourg et Wiesbaden, la rive gauche et la rive droite, étrange spectacle ! J'attends avec curiosité des détails sur le Président à Strasbourg. Je les aurai ce matin. Il ne me paraît pas que Besançon, ait été merveilleux. Je suis frappé de ce bal où le Président s’est vu obligé d'aller et dont il s’est hâté de sortir. M. de Montalembert devrait régner à Besançon.
J’ai fait hier ma course chez Mad. Denois par une tempête de pluie, en allant et une tempête de vent en revenant. Ce que c’est que d'avoir promis. Je ne puis souffrir de faire manquer ce que les gens ont pris peine à arranger. C’est un très joli cottage dans un joli pays un peu sauvage. De bons conforts et de beaux tableaux au au milieu des bois et au bord de la mer. J’ai assez conservé la faculté de prendre intérêt quand j'y suis, aux choses dont je ne me soucie pas du tout quand je n’y suis pas. Wiesbaden est très populaire dans cette maison-là. Ce qui n'empêche pas le Président d'y être populaire aussi. On voudrait bien l'avenir qui plaît mais à condition de ne rien risquer dans le présent.

Midi
Je ne m'étonne pas que Duchâtel n’eût rien à vous dire. Il paraît que Creuznach est un vrai trou. Thiers à Bade, Duchâtel à Creuznach pendant que le comte de Chambord est à Wiesbaden, et personne ne leur en demande raison. M. Royer Collard redirait bien encore : " pour M Guizot, on ne lui passe rien. " J’avais raison sur Besançon. Evidemment le Président n'y a pas été bien reçu, s’il ne l'est pas bien à Strasbourg, le voyage sera médiocre. On comptait beaucoup sur la Lorraine et la Champagne, Nancy, Metz, Châlon, Reims. Nous verrons. Ici c'est-à-dire à Cherbourg, il n’aura ni désagrément, ni grand agrément. On l’y attend le 4 ou le 6 septembre.
M. de Daunant m'écrit des Pyrénées où, il se promène depuis six semaines, qu’il n’y trouve pas l'ombre d'un rouge ou d’un socialiste. Rien d’ailleurs dans les journaux. Est-il vrai que Radowitz tombe tout-à-fait ? Adieu, Adieu.
Je voudrais, pour votre plaisir, que vous rencontrassiez votre grande Duchesse. Elle vous intéresserait quelques heures. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Schlangenbad, jeudi 22 août 1850

D’abord Fleichmann. Il n'y a pas idée de mariage pour son fils. Mais votre ouverture lui plaît beaucoup il va écrire à sa femme qui est à Paris. Il sait que son fils a pour vous et votre famille une grande adoration et qu’il serait heureux sans doute d'un lien avec elle. Si la dame n'est pas laide et qu’elle aie la fortune que vous dites je crois bien que cela ira. Ce bon Fleichmann vous dit tout ce qu'il est possible de tendresse & de respect. Il m’avait presque entraîné à aller à Bade où la grande duchesse Olga doit se trouver la semaine prochaine, mais l’idée des embarras & de la fatigue m'a tenu éveillée toute la nuit, et j’y renonce. Je ne veux que du repos, pas de tracas pas de mouvement, j’en ai eu assez.
Le duc de Parme est bien content. Il a reçu hier la nouvelle qu'on lui rend tous ses biens en Espagne. Le voyage de la reine d'Angleterre à Ostende pique ma curiosité rien que pour savoir si Palmerston l’accompagne ou non. S’il n’en est pas, l’injure est grosse. Savez-vous que j’admire beaucoup le discours du Président à Lyon ? Chaque fois qu’il parle il y a de l’inattendu dans ses paroles. Ceci est frappant. On dit ici que la grande duchesse Stéphanie & Thiers iront le saluer à Strasbourg. Je n’entends plus parler de Wiesbade. Sans doute on lèvera le camp dans peu de jours. Le comte Nesselrode a passé quelques jours à Stuttgart. Il a un peu blâmé Wiesbaden. Il trouve que le fracas n’est jamais utile, mais c’est très Français de faire du fracas. Rappelez-moi au chancelier et à Mad. de Boigne. Adieu. Adieu.
J’espère qu'il n’est plus question de maux d’entrailles.
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