Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 29 Août 1852

J’espère que le général Haynau ne sera pas insulté à Paris comme il l’a été à Londres, et à Bruxelles. Je me figure qu’il en est de lui comme de Naples et que ce qu’on a dit de ses brutalités est vrai. N'importe ; les brutalités populaires, et impunies, qu’il a subies sont des indignités. Je désire qu’il ne les retrouve pas à Paris. Il le devra certainement à l'ordre rétabli par le président, sans cela, Dieu sait comment il aurait été traité par nos socialistes. Probablement il ne serait pas venu.
Le dire de la Duchesse de Hamilton sur la princesse Wasa me frappe beaucoup. L'affaire serait donc tout-à-fait manquée. Comment pense-t-on à elle pour l'Empereur d’Autriche ? Je croyais que le mariage de l'Empereur était arrangé avec une Saxonne une fille du Prince Jean.
M. Hallam m'écrit, comme Lord Beauvale à vous, que le Ministère tiendra. Je trouve que le ton des journaux Whigs et radicaux l'indique aussi. Il y a une grande différence entre l'injure qui espère et l'injure qui n'espère pas.
J’ai ri de votre précaution oratoire en faveur de ceux qui ne peuvent pas être oubliés. Merci d'avoir voulu m'excepter de votre coup de patte à ces pauvres Français. Il est très vrai qu’ils ne supportent guère d'être oubliés. Et vrai aussi que les vainqueurs du jour voudraient bien que les vaincus se fissent ou se laissassent oublier. Personne ne supporte guère ce qui lui déplait ou l’incommode. A travers tous ces dépits, regrets, désirs et humeurs de droite, et de gauche, le monde va son train, et justice finit presque toujours pas se faire. Ce n’est pas l'avenir que je crains, je crains de n'avoir pas le temps de le voir.
Est-ce que Chomel ne vous fait pas boire quelques verres d’eau de Vichy ? Il est vrai qu'elles portent quelque fois très vite sur les entrailles, et qu'avec vous il ne faut rien risquer.
Mad. de Caraman est donc clouée à Paris. Elle fait bien tout ce qu’elle peut pour attirer dans sa maison, et devenir un centre. Je doute qu’elle y réussisse.

11 heures
Confiance ? Vous n'en aurez jamais dans aucun médecin, au moins passé les premiers jours. sauf dans Chermside, et parce qu’il n’est pas là. Mais essayez au moins quelque temps de l'obéissance. Chomel est un homme trop éclairé pour qu’elle puisse être dangereuse. Adieu, adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 30 Août 1852

J’ai dîné hier à Lisieux avec l'Évêque, son clergé et les gros bonnets de la ville. Le clergé toujours bienveillant, pour le président. Les laïques sans enthousiasme pour l'Empire et craignant qu’il n’amène la guerre. Tout le monde sensé dans un horizon bas et court. La conversation ne s’arrêtant pas sur la politique et cherchant, d’un sentiment général à se porter ailleurs ; tantôt sur les questions économiques, tantôt sur les questions religieuses. C’est un assez amusant spectacle que de voir ces bourgeois au fond très peu dévots quoique respectueux essayer de prendre intérêt à la querelle des auteurs chrétiens et des auteurs païens, aux citations des pères de l'Eglise, et à la tenue des synodes des prêtres du diocèse.
Avez-vous lu un article du Globe sur les affaires d'Orient, France and Turkey, bien fait et curieux ? Il me paraît que le renvoi de Rachid Pacha, s'il est sérieux ne tournera qu’à votre profit. Plus on ira, plus on sentira la faute d'avoir relevé solennellement cette question des Lieux Saints. La politique de la France en Turquie depuis vingt ans est un tissu d'inconséquences et d'étourderies.
J’étais moi-même dans cette mauvaise voie, en 1840, jusqu'à mon ambassade en Angleterre. J’ai essayé d'en sortir de 1840 à 1848 en me tenant tranquille en Orient, et en n'y traitant aucune question que de concert soit avec la Porte elle-même, soit avec toutes les grandes puissances Chrétiennes quand il fallait agir contre la Porte, c’est-à dire sur la Porte, malgré elle. Il n’y a pas autre chose à faire, tant qu’on ne sera pas décidé à fondre, avec du canon, la cloche. de ce pauvre Empire. On s'en apercevra. pour la seconde fois, lorsqu’on se sera mis, pour la seconde fois, dans quelque mauvais pas, comme il nous est arrivé en 1840 à propos de Mehemet Ali.
Le Moniteur, est un peu embarrassé à parler convenablement du déplacement du monument élevé au Duc d'Enghien dans la chappelle de Vincennes. C’est une pauvre raison à donner de ce déplacement que la nécessité de faire plaisir aux artistes " en rétablissant la symétrie des belles lignes architecturales du temple bâti par St. Louis. " Une phrase sur " le respect qu’on doit à la cendre des morts " n’est pas une compensation suffisante. Il ne fallait pas toucher du tout à la cendre de ce mort-là. Elle brûle encore et brûlera toujours quiconque y touchera.
Pourquoi M. de Persigny est-il à Londres ? Est-ce, comme, on l’a dit, pour le traité de commerce qu’on a tout récemment démenti ? J’ai peine à le croire. Il y a là des intérêts puissants, et auxquels il est aussi imprudent de toucher qu'au monument du Duc d'Enghien

11 heures
Voilà le facteur et le général Trézel qui m’arrivent à la fois. Je n'ai que le temps de vous dire Adieu, et adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Le 31 Août 1852

Ma maison est fort tranquille aujourd’hui. J’y suis seul avec mes filles et mes petites filles. Tous les hommes sont partis pour la chasse qui s'ouvre ce matin. Pauline n’est pas du tout malade, elle a eu quelques soins à prendre pour se remettre de ses couches et un commencement de mal de gorge qui l’a fait rester, 24 heures dans son lit, mais ce n'était rien et elle va bien, comme une personne délicate.
Il y a longtemps que Génie ne m’a écrit. Dans ce que dit le Moniteur sur Constantinople, il n’est pas du tout question des Lieux Saints. Je suppose que cette affaire-là, en est resté où elle était, et qu’on parle des petites affaires arrangées pour éviter de parler de la grosse qui ne l'est pas.
10 heures et demie.
Il ne fait pas chaud du tout ici. Je voudrais bien vous envoyer un peu de ma fraîcheur et de ma verdure normande. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 1er Sept. 1852

Ce que vous me dites de Hübner ne m'étonne pas ; il a de l’esprit, mais son esprit est placé trop bas pour se répandre aisément ; il n’y a que les esprits hauts qui soient communicatifs et libres.
Vous avez en effet bien peu de ressources à Paris en ce moment ; mais vous en auriez encore moins ailleurs. La campagne est bonne à ceux qui ne craignent pas la solitude.
A mon avis, vous avez tort de ne vouloir absolument. d’aucun château ; vous n’y seriez pas, il est vrai, aussi parfaitement, sans gêne que chez vous ; mais vous y auriez un peu de bonne conversation et beaucoup de bon air. Il faut bien choisir entre ses goûts et sacrifier quelque chose des uns à la satisfaction des autres. Je vous fais de la très bonne morale, sans compter sur son succès.
Pour moi, je ne parie plus ni pour contre l'Empire ; il viendra, ou ne viendra pas, comme on voudra ; je n’y pense même plus. Je puis oublier beaucoup le présent.
La guerre devient bien vive, entre le Times et le Moniteur. Je ne crois pas que cela serve le Président en Angleterre où tout le monde lit le Times et personne le Moniteur. Et en France, où personne ne lit le Times, et tout le monde à présent le Monteur, cela n’a d'autre effet que d’apprendre au public, que le Times attaque violemment le Président. Ce sont des polémiques où l’on s’engage pour la satisfaction de son humeur, non pour le service de son intérêt. Je les comprends de l'Empereur Napoléon, il faisait la guerre à l'Angleterre ; il la lui faisait dans le Moniteur comme partout ; ses articles étaient soutenus par ses canons, et expliquaient ses canons. Mais le Président, est et veut, être en paix avec l’Angleterre ; le Moniteur ainsi employé lui rend la paix plus aigre voilà, tout. C’est un mauvais calcul un anachronisme.
Je suppose que vous ne lisez pas le Bernardin de St Pierre de M. Ste Beuve. aussi soigneusement que ses Regrets. Quatre Bernardin de St Pierre à la fois, celui qui a eu le prix à l'Académie, celui de M. Villemain dans son Rapport, celui de M. de Salvandy dans les Débats, et celui de M. Ste Beuve dans le Constitutionnel, c’est beaucoup.
Vous êtes vous fait lire le Rapport de M. Villemain ? Aggy lit-elle bien tout haut ?

Onze heures
Je reçois quatre lignes de Piscatory qui me dit qu’il est malade, et qu’on le croit dangereusement malade, d’une esquinancie. Lui, il se croit mieux ; mais il finit en me disant. " Je pourrai me vanter d'avoir été pendu. " J’en suis très fâché, car j’ai vraiment de l’amitié pour lui. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 2 sept 1852

2 septembre ! J'étais bien jeune ce jour-là, il y a soixante ans ; mais j’ai été nourri dans une sainte horreur de son souvenir, et je ne vois pas cette date écrite sans retrouver ce sentiment. Le massacres des prisons de Paris ont été certainement quelque chose de plus affreux encore que la Saint Barthélemy ; la haine n’y était pas.
Avez-vous remarqué l’article du Morning Post répété par le Moniteur et par les Débats ? Cela a bien l’air d’un nouvel ajournement de l'Empire et du mariage.
On a raison de se moquer du discours de M. de La Rochejaquelein ; la platitude et la fanfaronnade ne vont pas à ce nom- là. Du reste le Président a très bien fait de le nommer président ; pour lui, il n’y a que profit.
Je suis porté à croire que Lord Granville pourrait bien avoir raison. Quand un homme d’esprit, et de caractère a été longtemps chef d’un grand parti il ne tombe. pas, même quand il déchoit.
Je n'ai point de nouvelles d'Aberdeen. Leur bon vouloir mutuel à Lord John et à lui est ancien ; leur alliance officielle serait étrange, Lord John, Lord Aberdeen et sir dans Graham. Je n'y crois pas. Je crois à Derby pour assez longtemps.

11 heures
J’ai été interrompu par des visites de chasseurs, très matinales. Je n'ai absolument rien qui en vaille la peine à vous dire. Comme j’ai bon cœur, je suis bien aise que Lady Palmerston soit sauvée, pour elle, pour son mari et pour vous que sa mort aurait chagrinée. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer. Vendredi 3 Sept. 1852

Le temps est magnifique ; un air vif et un soleil chaud. Je viens de passer une heure me promenant à petits pas dans mon jardin. Il ne me manquait qu’une bonne conversation.
La police a raison de protéger efficace ment le général Haynau, et je suis bien aise qu’il soit plus en sûreté à Paris qu'ailleurs. Je trouve dans les Feuilles d'Havas le récit d’une conversation de lui où il a expliqué la femme fouettée, et les exécutions. Cela a l’air vrai, et quoique la dureté reste, au moins la férocité n’y est plus.
Je trouve les Conseils généraux à la fois très unanimes et très tièdes sur l'Empire. Point d'impulsion naturelle et vive une leçon apprise, ou bien un acquis de conscience. Je ne m'embarquerais pas sur cette planche-là pour une navigation semblable.
Ce qui me paraît le plus significatif, en faveur d’une intention arrêtée, c’est le vote du conseil général du Puy de Dôme présidé par Morny ; vote très explicite et très positif.
Chagrin à part, la mort de Lady [Palmerston] eut été, pour son mari une grande perte politique ; il lui doit l’agrément de sa maison, et l’agrément de sa maison est pour plus de moitié dans sa popularité. Vous reste-t-il encore assez de votre ancienne amitié pour que cela vous eût été aussi un vrai chagrin ?
Les petits jeux, les loteries, et les bijoux de St Cloud ont passé dans la presse ; plusieurs journaux en ont parlé, avec quelque détail. Cela ne réussit pas en province. On dit que c’est de la prodigalité, et on y suppose de mauvais motifs. Ce pays-ci est le plus singulier mélange de sévérité et de condescendance, de pénétration et de badauderie.
Qui aura la jarretière vacante ! Je ne puis croire que Lord Derby la donne à Lord Londonderry. Je voterais pour le duc de Northumberland ; mais il est déjà ministre par conséquent tout acquis. On la donnera peut-être à Londonderry parce qu'il ne l’est pas.
Dans votre disette actuelle, je regrette que vous ne connaissiez pas le Ministre des Etats Unis, M. Rives, qui doit retourner ces jours-ci à Paris. Il est un gentleman, il a de l’esprit et il aime la conversation. Il est vrai que vous n'avez pas grand goût pour les diplomates républicains, et lointains. Vous aviez pourtant Bush, et celui-ci vaut beaucoup mieux que Bush. Point démocrate.

Onze heures
Je n’ai rien à ajouter à l'amusement que M. Molé, Mad Kalerdgi, et Lord Granville vous ont donné hier, ou vous donneront aujourd’hui. Je suis bien aise que Chomel soit content de votre docilité. Si vous avez patience, j'espère bien qu’il guérira votre foie. Adieu, Adieu. G

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Samedi 4 sept. 1852

Evidemment, il faut que Fould revienne et que le Président parte. Leur voyage à travers la France vous donnera seul quelques nouvelles à entendre, si ce sont là des nouvelles. Rien ne se ressemble plus que les voyages de Princes, tous les lieux deviennent semblables pendant ces jours là, et tous les incidents sont les mêmes.
La lutte du Moniteur contre les journaux Anglais continue. Elle est bien plus vive dans les feuilles d’Havas qui jouissent du privilège de l’incognito. Là on prédit la chute de l’aristocratie anglaise, de la monarchie anglaise ; on leur déclare que cette chute arriverait demain s'ils recevaient, comme nous, le bien fait du suffrage universel. Comment résisteraient-il à cette voix du peuple & &.
Ce sont les colères de l’ancien Empire avec le suffrage universel de plus. L'Empereur avait usé deux ou trois fois du suffrage universel, mais il se gardait bien d'en parler tous les jours. C'est vraiment une maladresse extrême, et si inutile !
On m'écrit que le comte de Chambord a reçu la démission de M. de Pastoret par une lettre officielle, très courte et très sèche. Pas un mot de remerciement ni d’ancienne amitié. Cela fait supposer à la brouillerie quelques motifs plus sérieux que ceux qui ont paru. C'est le Duc de Lévis qui est maintenant chargé des affaires financières du comte de Chambord. Cela le fera résider plus habituellement à Paris. On dit qu’il n'en est pas fâché.
Il avait été très sérieusement question de la retraite de l’armée Française de Rome. Mais le Pape n’a pas voulu donner l’assurance que ses propres gardes lui suffisaient, et prendre, l’engagement de ne pas appeler les Autrichiens. Alors on reste, et le Pape en est bien aise, car les Français lui sont plus commodes et moins compromettants que les Autrichiens.
Êtes-vous contente de votre nouveau maître d'hôtel ?

10 heures et demie
Pas de lettre. J’espère bien que ce n’est pas pour raison de santé. Adieu, adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Dimanche 5 sept. 1852

Quand quelque chose vous empêche de m'écrire, faites-moi écrire je vous prie, deux lignes par Aggy ; non pour me donner des nouvelles, dont je me passerais fort bien quand même, il y en aurait, mais uniquement pour me dire ce qui vous empêche d’écrire, et comment vous vous trouvez ; c'est là ce que j'ai tous les jours besoin de savoir, et ce qui me préoccupe quand je ne le sais pas.
J’ai eu hier des visiteurs de Trouville, des Delessert, des Mallet, Hippolyte de La Rochefoucauld, une bande ; ils ont passé ici la matinée. Il y a beaucoup plus de monde, mais pas plus de nouvelles, à Trouville qu'au Val Richer. Il y a eu de la grande compagnie ; elle s'en est allée ou s'en va ces jours-ci. La quantité reste. Le Chancelier et Mad. de Boigne toujours centre le soir, sauf pour ceux qui vont danser au salon. Et toujours très intelligents sensés et causants.
Le 15 Août a été très brillant à Trouville ; illumination de toutes les maisons sur la plage, et celle de Mad. de Boigne très bien illuminée. Et le 26 Août, elle est allée à un très modeste service dans la petite église d'Hennequeville, pour la mémoire du Roi Louis-Philippe. Il y a du bon sens et du bon goût à concilier ce qui est dû aux souvenirs du passé et aux droits du présent, au pouvoir qu’on a servi et aimé et au pouvoir qui maintient l’ordre au profit de tous. Il n’y a pas, dans ce pays-ci, beaucoup de gens qui sachent faire cette conciliation-là.
Voilà, M. de Persigny qui a repris possession de son portefeuille. Est-ce qu’on ne dit rien de l'objet de son voyage à Londres ? Il me revient qu’en dépit des articles du Times et du Moniteur, l’intelligence est très bonne entre le Président et le gouvernement Anglais, et que s’il avait à recevoir de là quelques bons offices, on les lui rendrait volontiers.
Il me revient aussi que la situation de Fould, même en son absence, devient de jour en jour meilleure. On dit, par exemple, qu'aucun ministre n’est plus admis à envoyer au Moniteur un communiqué sans l'avoir fait passer par le Ministre d'Etat. Dans le gouvernement tel qu’il est constitué aujourd'hui, c’est très sensé.
Le vote du Conseil général des Hautes-Pyrénées que Fould présidait, à dû plaire au Président. C'est à la fois le plus positif et le plus large. Quand, M. de Nesselrode, doit-il rentrer à Pétersbourg ?
Je suis impatient de savoir quelles conséquences auront les ouvertures faites à votre fils Paul et les bontés de l'Impératrice pour lui. Je crains un peu d'humeur et de jalousie ministérielle. Le bon vouloir du pouvoir le plus absolu est bien aisément distrait ou entravé.
Avez-vous entendu dire que la Constitution avait été sur le point, il y a quelques jours d'être suspendue pour deux mois, à propos de son article, très inconvenant, il est vrai, sur le duc de Parme ? Antonini s'en est plaint, avec raison. Le Constitutionnel s’est excusé comme il a pu, et on s’est contenté de son excuse publique. Mais il a eu peur. C’est probablement, pour vous une vieille histoire.

Onze heures
Merci de votre lettre. Je suis bien aise que la restauration de M. de Lamartine vous amuse. Je vous chercherai quelque autre lecture. Adieu, Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer. Lundi 6 sept 1852

Vous me demandez des lectures. Vous intéressez-vous d’autant plus à un temps que vous vous en êtes plus, et plus récemment occupé ? Si c’est là votre disposition, quand vous aurez fini l’histoire de la Restauration de Lamartine, prenez l’histoire des deux restaurations de M. Vaulabelle, un moment ministre de l’instruction publique sous le gouvernement provisoire, après Carnot, je crois. Six volumes non terminés ; cela va jusqu'en 1827 et à la chute de M. de Villèle. C'est l’histoire révolutionnaire de la Restauration ; parfaitement révolutionnaire ; tout est bon pour défendre ou répandre la révolution ; tout est légitime contre la légitimité ; l’auteur accepte et accepterait tout y compris la ruine de la France, plutôt que de transiger une minute avec les adversaires quelconque de la Révolution. Cela dit, c’est un livre curieux, sérieux, fait avec soin, avec un certain talent lourd, mais passionné, avec conscience quant à la vérité des faits et même avec une certaine intention d'impartialité quant aux personnes. C’est un mauvais livre qui mérite d'être lu.
Il y a quatre ouvrages à lire sur l’histoire de la Restauration ; Lamartine et Vaulabell, plus Lubis, celui- ci est la droite Villèle et gazette de France ; plus Capefigue, recueil d'anecdotes, de documents, écrit avec une fatuité pédante et intelligente. Tous livres faux, et dont aucun ne restera parce que, ni pour le fond, ni pour la forme, aucun n'est l’histoire ; Lamartine seul offre çà et là pour la forme, des traces d’un esprit et d’un talent supérieurs ; mais tous amusants aujourd’hui et nécessaires à consulter plus tard, pour qui voudra connaître notre temps. Si vous aimez mieux quelque chose encore plus près de nous, lisez l’Europe depuis l'avènement du Roi Louis-Philippe, jusqu’en 1842, par Capefigue, dix volumes. C'est bien long et bien médiocre, mais animé, plein de détails sur les faits, sur les personnes, et plutôt vrai que faux, un long bavardage écrit par un coureur de conversations et de nouvelles qui ne vit pas habituellement dans le salon, mais qui y entre quelque fois.
Si vous voulez les romans, demandez les trois ou quatre nouvelles de Mad. d'Arbouville, la femme, laide et morte, du Général d’Arbouville. Vous l’avez rencontrée, je crois, chez Mad. de Boigne. Vraiment une femme d’esprit, dans le genre roman, du cœur elle-même, et l’intelligence du cœur des autres. Je crois qu’il y en a quatre, Marie, Le médecin de village, je ne me rappelle pas le nom des deux autres. Ils ne portent pas le nom de l'auteur, mais tout le monde sait de qui ils sont. Voilà ma bibliographie à votre usage.
Je m'attendais à votre réponse sur Lady Palmerston. Il y a beaucoup de sa faute, un peu de la vôtre. Elle a mérité que vous vous détachiez (je ne veux pas dire détachassiez) d'elle ; mais vous vous détachez aisément quand vous n'aimez plus beaucoup. Vous ne tenez pas assez de compte du passé, même du vôtre.
Deux romans qui me reviennent en tête vraiment spirituels et intéressants, Ellen Middleton et Grantley manor, de Lady Georgia Fullarton. Moi qui n’en lis point, j’ai lu Grantley Manor qui m'a plu, et surtout attaché. C’est un peu tendu.
Comme je ne lis jamais les journaux Allemands, je ne savais pas qu’ils fussent violents contre le Président. Mais je vois que faute de répression à Berlin, Tallenay vient d'adresser à ce sujet une note à la diète de Francfort. C'est faire une bien grosse affaire. Je ne doute pas que la diète me réponde, très convenablement ; mais après ? Gouvernements, ou amants les plaintes inefficaces ont mauvaise grâce.
On annonce l’arrivée à Paris du Marquis de Villamarina, comme ministre de Sardaigne en remplacement de M. de Collegno. S'il vient, vous ferez bien de l’attirer chez-vous. C’était autre fois un homme d’esprit. Il y a longtemps à la vérité.
Pauvre Anisson qui est venu mourir subitement à Dieppe. C’était un bon et honnête homme, aussi honnête que laid. Ce sera un chagrin pour Barante.
Quel volume ! Presque comme si nous causions. C'est bien différent pourtant. Adieu. en attendant la poste, je vais faire ma toilette.

11 heures
Je n'ai plus de place que pour adieu. Adieu. G. On m'écrit que le Sénat sera convoqué pour le 20 novembre.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 7 Sept. 1852

Je vois que M. de Nesselrode en arrivant à Naples s'est rendu à Castelle mare, dans la maison de votre fils Alexandre où demeure son gendre Creptovitch. Votre fils, a donc prêté sa maison à celui-ci. Cela devrait mettre, M. de Nesselrode en bonne disposition pour vos fils. Mais les petits services n'étouffent pas les petites passions. On fait quelques politesses de plus, et on garde sa mauvaise humeur. M. de Nesselrode aura trouvé à Naples M. Turgot. Conversation qui ne l'aura ni beaucoup instruit, ni beaucoup amusé.
Avez-vous entendu dire qu’on rappelât notre Ministre de La haye parce que les Chambres de Hollande ont rejeté la convention conclue avec la France pour la contrefaçon et la propriété littéraire ? Ce serait un peu vif. Il est sûr qu’on n'aura pas fait grand chose en supprimant la contrefaçon, en Belgique si elle va s’établir en Hollande.
Je ne m'étonne pas que M. Molé ne soit pas content de M. de Lamartine ; il ne sera content d'aucune histoire. Les mérites, et les agréments de M. Molé sont des agréments et des mérites essentiellement contemporains ; il faut les voir de près, et en jouir soi-même d’un peu loin, ce sont des ombres pâles qui disparaissent bientôt tout-à-fait. De son temps, M. Molé aura été prise plus qu’il ne vaut, après, il ne le sera pas assez.
Le récit de Waterloo est en effet frappant et attachant dans Lamartine ; trop long et trop arrangé. Cet homme gâte ses richesses en les étalant trop, mais l'étalage est beau, comme dans les magasins de Paris.
Galignani me dit que Lady Lovolace est très malade. Jolie, savante, pédante, folle et coquette. Coquette avec ce singulier. mélange d'affectation et de naïveté que les Anglaises mettent dans la coquetterie. Bonne personne au fond, et de sentiments nobles. Son mari est ce qu’on appelle un homme de mérite.
Je n'ai point de nouvelles des Broglie si ce n’est par Mad. de Staël qui écrit à ma fille Henriette que Madame la Duchesse d'Orléans est venu les voir à Coppet avec ses enfants. Pas contente de sa santé. Les jeunes Princes très bien. Le comte de Paris étonnamment bon cavalier pour son âge. Pas d’autres détails.

10 heures et demie
Bonne longue lettre, qui me plait doublement, d'abord parce qu'elle me donne à penser que vous vous sentiez mieux hier, et puis pour elle-même. La lettre de l'Impératrice est charmante. Le voyage d’Aggy me déplait. Adieu, adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00308.jpg
Val Richer, Mercredi 8 sept 1852

Dites-moi précisément quel jour Aggy part pour son petit voyage. J’irai passer avec vous trois jours pendant son absence. Je veux voir par moi-même comment vous êtes et me donner, nous donner ce rafraîchissement dans le cours d’une si longue séparation. Je puis faire cela la semaine prochaine. J’attendrai après demain vendredi votre réponse pour fixer le jour de mon départ. Ce sera un charmant plaisir.
Je m'étonne que le Président ne soigne pas Cowley autant que Hubner. Il compte sans doute davantage sur la complaisance, de l’Autriche pour sa grande affaire ; mais il a besoin aussi de celle de l'Angleterre, et je ne la crois pas inabordable. Ce que vous me dites de Lord Cowley quant aux chances de l'avenir n’est probablement pas son sentiment à lui seul dans son gouvernement. La politique anglaise est peut-être, de toute celle qui vit le plus dans le présent. Le Cabinet actuel d'ailleurs n'est guère en état, ni en disposition d’aller au devant d’aucune difficulté, il les éludera tant qu’il pourra et n'en créera à personne pour ne pas s'en créer à lui-même.
Le journal des Débats répond à ma question ; il annonce le rappel du ministre de France à La Haye, le petit d’André, si je ne me trompe. Je doute que cela fasse revenir les Chambres hollandaises, au traité sur la contrefaçon. Ce seront de mauvais rapports inutiles.
Mad. Kalerdgi manquera à l'Elysée et à M. Molé. Il a le goût des comédiennes Mad. de Castellane valait mieux que celle-ci. Elle était capable de dévouement. Je doute qu’il en soit de même de Mad. Kalerdgi. Passe pour le dévouement d’un jour ; mais la dévouement long exclusif, non. Mad. de Castellane, il est vrai n’avait pas commencé par ce dévouement-là ; mais elle y était venue. C'est quelque chose. à propos de Mad. Kalerdgi, Piscatory me revient à l’esprit. J’ai eu de ses nouvelles il va mieux. Il a eu une forte esquinancie mais il a une de ses filles assez gravement malade, ce qui le tourmente beaucoup. Il a du cœur. Il se tient parfaitement tranquille entre ses enfants et les champs.

Onze heures
Je vous chercherai de vieux Mémoires. Ce pauvre Piscatory a perdu sa fille, une enfant de douze ans. Je reçois trois lignes de lui. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00312.jpg
Val Richer, Mercredi 8 sept 1852

Dites-moi précisément quel jour Aggy part pour son petit voyage. J’irai passer avec vous trois jours pendant son absence. Je veux voir par moi-même comment vous êtes et me donner, nous donner ce rafraîchissement dans le cours d’une si longue séparation. Je puis faire cela la semaine prochaine. J’attendrai après demain vendredi votre réponse pour fixer le jour de mon départ. Ce sera un charmant plaisir.
Je m'étonne que le Président ne soigne pas Cowley autant que Hubner. Il compte sans doute davantage sur la complaisance, de l’Autriche pour sa grande affaire ; mais il a besoin aussi de celle de l'Angleterre, et je ne la crois pas inabordable.
Ce que vous me dites de Lord Cowley quant aux chances de l'avenir n’est probablement pas son sentiment à lui seul dans son gouvernement. La politique anglaise est peut-être, de toutes celle qui vit le plus dans le présent. Le Cabinet actuel d'ailleurs n'est guère en état, ni en disposition d’aller au devant d’aucune difficulté, il les éludera tant qu’il pourra et n'en créera à personne pour ne pas s'en créer à lui-même.
Le journal des Débats répond à ma question ; il annonce le rappel du ministre de France à La Haye, le petit d’André, si je ne me trompe. Je doute que cela fasse revenir les Chambres hollandaises, au traité sur la contrefaçon. Ce seront de mauvais rapports inutiles.
Mad. Kalerdgi manquera à l'Elysée et à M. Molé. Il a le goût des comédiennes Mad. de Castellane valait mieux que celle-ci. Elle était capable de dévouement. Je doute qu’il en soit de même de Mad. Kalerdgi. Passe pour le dévouement d’un jour ; mais la dévouement long exclusif, non. Mad. de Castellane, il est vrai n’avait pas commencé par ce dévouement-là ; mais elle y était venue. C'est quelque chose.
A propos de Mad. Kalerdgi, Piscatory me revient à l’esprit. J’ai eu de ses nouvelles il va mieux. Il a eu une forte esquinancie mais il a une de ses filles assez gravement malade, ce qui le tourmente beaucoup. Il a du cœur. Il se tient parfaitement tranquille entre ses enfants et les champs.

Onze heures
Je vous chercherai de vieux Mémoires. Ce pauvre Piscatory a perdu sa fille, une enfant de douze ans. Je reçois trois lignes de lui. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Vendredi 10 sept. 1852

Le dire de Fould est curieux. Certainement il est bon qu’il ait crédit et qu’il reste à Paris. Il conseillera et se conduira mieux que tout autre. Il a l’esprit juste, fin, point d'humeur, et point d'impatience. Le président aura raison de le croire et de le garder.
J’ai des nouvelles du Conseil général du Puy de Dôme. On m’écrit que Morny s’y est conduit habilement et avec beaucoup de mesure. L'adresse a été combattue, surtout à cause des décrets du 22 Janvier, et par les gens qui ont dit que, puisque ces décrets avaient fait quitter à Morny le ministère, ce pouvait bien être, pour eux, une raison suffisante de ne pas voter une adresse. Morny a soutenu l'adresse sans se brouiller avec les opposants.
Vous ne lisez jamais les affaires d’Amérique, elles m'amusent depuis quelques jours ; l’ambition brutale, insatiable, insolemment unprincipled, des Etats-Unis qui veulent absolument Cuba pour son sucre et les îles, Lobos pour leur fumier et les remontrances inquiètes, instantes, aigre douces, de l’Angleterre qui ne voudrait, ni leur laisser prendre tout cela, ni s'y opposer. Il pourrait y avoir là un gros avenir. Mais dans l'état où est aujourd’hui l'Europe, les Etats lui feront ce qu’ils voudront.
Je vois que le legs de M. Neild à la Reine d'Angleterre est de 300 000 liv. str. au lieu d’un million. C'est encore quelque chose.
Je ne croyais pas que Mad. Kalerdgis tînt tant de place dans le cœur de Molé. Je me méfie un peu des dires en ce genre, et en tout genre de Mad. de la Redorte ; elle a de l’esprit, mais ni bon jugement, ni bonne foi. Elle parle selon son humeur, ou pour satisfaire sa fantaisie du moment, sans se soucier le moins du monde de la vérité de ce qu’elle dit. Si elle dit vrai, Molé est bien en faute et Mad. Kalergis doit rire.

Onze heures
Je partirai d’ici lundi soir ; je serai à Paris mardi matin, et j'en repartirai vendredi soir. J’ai besoin d'être ici samedi. Soyez tranquille ; mieux je vous trouverai, plus j'aurai de plaisir à vous voir. Si vous étiez rose au lieu de jaune, ce serait parfait. Adieu, adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, samedi 11 sept 1852

Je n'ai plus de goût à vous écrire ; nous causerons mardi matin. Faites- moi savoir chez moi, où j’arriverai de très bonne heure, à quelle heure vous voulez que j'aille vous voir.
C’est tout simple que Turgot fasse valoir Drouin de Lhuys. Celui-ci ne manque ni d’esprit, ni de tradition. Bien élevé d'ailleurs. et sachant vivre. C'est probablement le meilleur choix que le Président eût à faire. Ce qui est tout simple aussi, c’est qu’il vaille et fasse mieux cette seconde fois que la première.
Le journal des Débats, c’est-à-dire John Lemoisne est risible avec son acharnement à vouloir que l’Angleterre soit à la veille de nouvelles guerres de religion. Ce qui s'est passé là depuis deux ans démontre précisément le contraire ; à quoi ont abouti, et le grand mouvement catholique du cardinal Wiseman et le grand mouvement protestant contre le cardinal Wiseman ? à un bill qui n’est pas exécuté, sans que personne se plaigne de la non-exécution et à l'acquittement du Dr Achilli que tout le monde a trouvé et déclaré coupable. L’Angleterre reste protestante, comme auparavant et les Catholiques ne sont pas plus persécutés qu'auparavant. Pays de bon sens et de justice où les sottises font beaucoup de bruit et peu d'effet.

Onze heures
Vous m'écrirez encore demain, mais plus lundi. Ma place est retenue à la malle poste pour lundi soir. Je remets à mardi, Mad. Kalerdgis et toutes les causeries. Adieu, adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Voici Lord Sidmouth et un volume de Louis XVI publié par M. de Falloux, et qui doit vous intéresser. Je vous demande un peu de soin pour ce volume-là que je ne voudrais pas perdre. Mais vous êtes très soigneuse.
Je vous ai quittée vite, triste de vous quitter et de vous laisser triste, ne dites pas, ne pensez pas que nous ne nous reverrons pas. Nous nous reverrons. Nous retrouverons nos conversations intimes. Vous êtes très souffrante, mais très vivante dans votre faiblesse. Je ne vous dis pas tout ce que je pense et sens à votre sujet. Je crains de vous émouvoir. Je crains vos impressions. Au revoir dearest, ever dearest. Adieu, Adieu. Au revoir. G.
Vendredi 17 sept. 1852 6 heures

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, samedi 18 sept. 1852

Je viens d’arriver, un peu fatigué. J’ai peu dormi et beaucoup pensé vous. Tendrement, doucement, et bien moins tristement que je n'aurais fait si vous n'étiez pas venu me prendre. A quoi tiennent nos impressions ! Il m'en est resté une très douce de ces derniers moments, et elle dans toutes choses, même le chagrin de vous laisser, et de vous laisser souffrante. Merci encore.
J’ai trouvé en arrivant une lettre de Duchâtel à qui le voyage d’Espagne n’a en effet point plu du tout. Voici textuellement son résumé de ce qu’il voit : " La province est plus éteinte qu’on ne peut se figurer à distance. On dit que sous cette cendre, que forment les classes moyennes le feu socialiste couve toujours, j’incline à le croire. C'est un mal moral dont une médecine purement matérielle ne peut pas triompher. Le seul trait saillant de la situation provinciale de nos côtés c’est le progrès de l'indifférence et de l'abstention. On ne va pas voter. J’espère que le suffrage universel finira par mourir de sa belle mort, faute de votants.
La disposition du public est de laisser faire, sans adhésion vive, sans concours actif. Les autorités s'agitent beaucoup pour préparer l'Empire ; le public ne le désire pas, mais ne s'y oppose pas. La partie de la nation qui vise aux places travaille à reculer le plus possible les bornes de la platitude, et de l'abaissement, le reste ne s'occupe que de ses affaires, ne pense pas à l'avenir est à peu près dans l'état de vous qui ont fait une conque maladie, qui se croient en convalescence, mais qui n'ont pas encore repris l’usage de toutes leurs facultés. On dit que le Président renverra l'Empire assez loin. Alors le jeu est singulier. J’ai peine à croire en voyant ce qui se passe, que l'Empire ne soit pas plus proche qu’on ne le dit. Il serait étrange de se donner tant de peine pour préparer les décorations, et les rôles de la pièce et de ne pas lever la toile. "
Tout cela est très sensé, et après le grand bon sens, il finit par son intérêt de cœur : " Nous avons ici un fort beau temps depuis quinze jours. Cela sauve les vendanges, qui étaient compromises. " Adieu, adieu, soignez-vous, faites vous soigner et laissez vous soigner. J'insiste sur Olliffe. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 19 sept 1852

Je suis impatient d'avoir de vos nouvelles ce matin, et de savoir ce qu'aura dit Chomel. J’espère qu’il aura un peu élargi votre régime alimentaire. Il faut certainement ne pas donner à votre estomac beaucoup de fatigue, puisque ce sont les organes digestifs qui sont souffrants et fatigués. Mais il faut aussi soutenir les forces de ces mêmes organes pour qu’ils puissent continuer leurs fonctions. Toujours de la politique de juste milieu, aussi indispensable que difficile, et aussi difficile, qu'indispensable.
J’ai parcouru hier soir les journaux que je n’avais pas vus tant que je vous voyais. Pur acquis de conscience, car il n’y a rien.
Lisez un petit roman, la Messe noire, dans la Revue contemporaine des 1er et 15 septembre. Assez intéressant mélange. des moeurs du Moyen- ge et des nôtres, d'un amour de la croisade et d’un amour de salon. Je ne sais si l'article de M. Vitet sur le Louvre vous intéressera. Il m’a intéressé. C’est une histoire du monument, de toutes les vicissitudes, et une discussion de son avenir. Très sensible et spirituelle. Peut-être un peu technique pour vous.
Je trouve ici des torrents de pluie. Je n’ai pas pu hier passer plus d’un quart d'heure dans mon jardin. La température est extrêmement douce.
Je vois que Lord Mahn sera l’exécuteur testamentaire du Duc de Wellington comme de sir Robert Peel. Cela le consolera un peu de n'avoir pas été réélu au Parlement. Lady Mahon était une des petites favorites du duc. N’y aura-t-il pas, pour le Président, quelque inconvénient au grand éclat du début de son voyage ? Nevers ne peut guères être surpassé, et il est difficile que ce niveau là se maintienne. La saison des fleurs est trop avancée ; il n’y en aura pas assez partout pour embarrasser les jambes de ses chevaux, et les empêcher de marcher.
J’ai des nouvelles de Barante qui me dit : " On est bien tenté, quand on a tiré les ficelles, de prendre les mouvements de Polichinelle pour des actes vivants ; c’est un grand danger. "

Onze heures
Ne vous inquiétez pas trop du changement de régime ; la politique de juste milieu ressemble souvent à la politique de bascule ; on se porte à droite après s'être porté à gauche, là, où le secours devient, pour le moment, nécessaire. Adieu, Adieu.
Je reçois une longue lettre de ce pauvre Sauzet. Quelle ombre ! Bien honnête, sensée et pompeuse. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 20 sept 1852

Voici ce que dit la correspondance Havas : " Ce que veut le peuple sous un régime comme le nôtre qui a le suffrage universel pour base, doit infailliblement se réaliser. Le prince Louis Napoléon efface complètement sa volonté dans cette affaire de l'Empire, et il a pleinement raison. C'est la seule des questions intéressant la France à propos de laquelle l’initiative ne lui appartienne pas.
S’il désirait changer son fauteuil présidentiel, pour un trône, ce désir de son ambition n'aboutirait que par le libre et spontané consentement du peuple. Si au contraire le Prince tient à garder sa situation actuelle, il est trop l'homme de la France pour ne pas faire au peuple le sacrifice de ses goûts, car il accepte pour lui-même, et il est toujours prêt à pratiquer cette soumission à la volonté populaire qu’il prescrit et impose aux autres.
Peu importent donc, dans cette question, les sentiments du Prince, c’est la France qui doit faire entendre sa grande voix ; et quand l'heure sera venue quand aux yeux même des partis et de l’Europe, il sera plus clair que le jour que la France veut l'Empire, le Prince n'aura plus qu’à remplir son devoir en obéissant à la France. "
C'est le commentaire de la réponse à Charles Dupin, et le commentaire est aussi clair que le texte. Reste toujours à déterminer le moment où l’on jugera que la France a parlé assez haut et qu’il faut absolument obéir.
Autre article d'Havas, très pompeux, sur le vaisseau l’Austerlitz lancé à Cherbourg, en présence du ministre de la marine ; on raconte les détails de la cérémonie, et on finit en disant : " Le vaisseau l’Austerlitz, qui porte le plus beau nom peut-être de nos fastes militaires, avait été mis en chantier sous l’appellation de l'Ajax, le 17 Avril 1832, il y a plus de vingt ans. " Vous voyez que, bien loin de regretter, on se vante d'avoir débaptisé ce vaisseau du nom que nous lui avions donné. La querelle ne peut avoir aucun résultat, et ne vaut pas qu’on y insiste.
En mettant son corps à la disposition de la Reine, le Duc de Wellington a évidemment voulu de grandes funérailles. Que dit-on du prince Albert, comme commandant en chef ? J’ai peine à croire que le choix fût approuvé en Angleterre. Au fond, ce serait peut-être la meilleur, mais c’est certainement le plus compromettant. Si ce n’est pas lui ce ne sera pas le Duc de Cambridge. Pas de Prince du tout en ce cas.
En fait de militaire, je ne vois nulle part le nom de Lord Anglesey ; il n'est question que de Lord Fitz-Roy Somerset ou de Lord Hardinge. Celui-ci est le plus gros. Je parierais pour lui, si je pariais. Que va faire le Roi de Bavière en Espagne ? S'amuser, je suppose. Les Rois se sont toujours beaucoup amusés ; mais autrefois ils s'amusaient sur place. Cela valait mieux.
Voilà, M. frère d'Orban décidément hors du Ministère Belge. Je suis porté à croire que la nouvelle négociation aboutira à l'adoption par les Chambres Belges, de la première convention, et qu'au fond, on ne se propose pas autre chose. Le procédé serait trop étrange, s’il était sérieux.
Je vois, en parcourant les Débats d’hier, qu’ils ont répété l’article d'Havas sur le vaisseau, l’Austerlitz, Est-il vrai que le Duc de Wellington, et Croker se sont vus à Folkstone ? Je le voudrais pour la satisfaction de mon ami Coker qui est bien malade, et que la mort du Duc aura certainement frappé.
11 heures et demie
Mon facteur arrive tard. Il a tort, car votre lettre aussi me plaît. Quel est donc le nouveau traitement ? Adieu, Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 21 sept. 1852

Je regrette cette idée de noviciat pour votre fils Paul ; d’autant plus que, dans l’apparence, il n’y a pas d'objection raisonnable. à y faire ; elle est naturelle. Mais évidemment, pour lui, cela n’est pas du tout nécessaire : c’est ou une pédanterie administrative, ou un mauvais vouloir détourné. Cependant, à moins que sa santé n’y mette tout-à-fait obstacle, si on insiste, il fera bien de se résigner. S'il a envie de rentrer dans les affaires, il ne peut pas espérer qu’il le fera sans ombre de désagrément ou d’ennui. Est-ce que M. de Meyendorff va à Pétersbourg ? Et y va-t-il, en même temps que M. de Nesselrode et Kisseleff ?
Votre calme de Paris n'est rien à côté de celui dans lequel je viens de rentrer ici. Je n’ai, à la lettre, point d'autre bruit que celui du vent, et point d'autres incidents que les alternatives du soleil et de la pluie. C'est bien vraiment le travail au sein du repos. Vie très saine, et au fond. très douce, sauf ce qui me manque.
Je pense avec plaisir qu’Aggy vous revient aujourd’hui. C’est une sécurité pour vous, et aussi pour moi. Marion est une sécurité et un plaisir. Croyez-vous qu’elle vous vienne avec son oncle, vers Noël, pour passer avec vous l’hiver prochain ? Je me figure que cet hiver, la fin surtout, sera très animé, pour les amateurs du mouvement de salon. L'Empire en répandra beaucoup à son début. Plus tard, il lui faudra un autre mouvement, qu’il aura peine à se procurer, du moins à un prix raisonnable.
Vous dit-on à quel moment Lord Palmerston passera à Paris, en conduisant sa femme à Nice ? Il sera bien reçu là. Le gouvernement actuel du Piémont l’a trouvé bienveillant, et le lui rend sans doute. Je trouve que ce gouvernement a un peu l’air de s'affermir. Quelques unes des querelles que le Clergé lui fait sont mauvaises et le servent.
Vos diplomates ont ils rencontré quelque part, M. de Cavour pendant son séjour à Paris ? Il doit avoir vu Thiers. Thiers a été bien venu à Turin.

Onze heures
Puisque Chomel vous voit souvent, je ne crains pas qu’il fasse de grosse faute ; il modifiera à temps le régime. J’attendrai impatiemment la nouvelle.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Mercredi 22 sept. 1849
9 heures et demie

Je suis dans mon Cabinet depuis six heures. Je n'ai pas encore mis le pied dans le jardin quoiqu’il fasse un soleil superbe. Je suis plongé dans mon histoire de la révolution d'Angleterre. Notre temps me sert beaucoup plus pour la comprendre qu’elle ne m'éclaire sur notre temps. Personne, ne me croirait si je disais que je cherche bien plutôt dans le présent des lumières sur le passé que dans le passé des allusions au présent. C'est pourtant très vrai.
Savez-vous un effet qu’on n’a pas prévu ? Il est très probable que ces bruyantes et innombrables démonstrations dont les journaux sont remplis, feront l'Empire ; mais en le faisant, elles l’usent d'avance. On en aura trop entendu parler quand il sera proclamé. On attendra et on demandera autre chose.
Le Constitutionnel allait avant hier au devant des craintes qu'inspirent déjà ces autres choses ; il promettait un Empire qui ne serait pas l'Empire, qui ferait des sociétés de crédit foncier et des chemins de fer une monarchie pacifique et bourgeoise. C’est trop de bruit pour arriver là. Il fallait attendre plus patiemment la nécessité de la monarchie ; elle serait venue, et elle serait venue plus tranquillement, sans blaser d'avance et sans exciter outre mesure. J'en reviens toujours, au chancelier Oxenstiern, qu’il y a peu de sagesse, même dans ce qui réussit !
C'est probablement par mauvais vouloir pour Lord Douro que le Duc de Wellington n’a pas fait de testament ; il a voulu que son second fils, qu’il aime mieux, et qui a des enfants, ont la moitié de sa fortune. Peel et Wellington, jamais les fils n'ont moins ressemblé aux pères ; le contraste est choquant.
Je suis convaincu qu’il y a de la faute des pères en cela, et que des enfants vraiment bien élevés, et en intimité avec leur père, n'en sont jamais si loin, quelque différente que Dieu ait fait la pâte, de toutes les jalousies, celle de père à fils est la seule que je ne comprenne pas du tout. Je ne conçois pas de plus grande satisfaction que de se survivre, et de la perpétuer soi-même dans ses enfants. J’ai pourtant vu de grands exemples de cette jalousie là, et dans de bien frappantes occasions.
Je vous quitte pour faire ma toilette. Je suis impatient de savoir Aggy revenue.

Onze heures
Je remercie Aggy de ses quelques lignes, quoiqu’elles me chagrinent. J’espère qu’un peu de nourriture vous relèvera de votre abattement. Le temps mou et pluvieux paraît vouloir casser ; peut-être qu’un air plus sec et plus vif vous vaudra mieux. Adieu, Adieu, en attendant demain. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Jeudi 23 sept. 1852

Je trouve le discours du Président à Lyon très bien fait, le meilleur qu’il ait fait. On ne tire pas mieux parti de sa situation et de son nom. On ne fait pas mieux servir les faits passés aux intérêts présents. Toutes les paroles répondent à des dispositions instinctives du peuples, réelles et bien comprises. Je n’y vois qu’une faute ; c’est la malice contre la légitimité à propos de la statue équestre de Napoléon. Cela n’est ni grand, ni juste. Le gouvernement de Juillet a remis la statue de Napoléon sur la colonne de la place Vendôme, et Napoléon lui-même sous le dôme des Invalides. Cela vaut bien une statue équestre. J'étais ministre à l’une et l'autre époque et j’ai bien le droit de dire que jamais gouvernement ne s’est plus généreusement conduit envers la mémoire d’un prédécesseur dont les descendants restaient des rivaux. Cela m'amuse de prendre, en ceci, fait et cause pour la légitimité et de reporter sur elle le mérite des actes du gouvernement de Juillet. Mais je n’ai pas tort.
Au fond, ce n’est pas contre la branche légitime seulement, c’est contre les deux monarchies précédentes, contre toute la maison de Bourbon que l'allusion est dirigée, et là est l'injustice comme l’artifice ; à cela près, le discours est habile et a très bon air.
Voilà la guerre commerciale engagée entre la France et la Belgique. On vient. de doubler les droits d’entrée, sur les houilles et les fontes belges. La nouvelle négociation a donc tout-à-fait manqué. Cela peut devenir sérieux. Mais rien ne devient sérieux maintenant, rien du moins de ce qui peut aboutir à la guerre.
Je vous parle toujours des Feuilles d’Havas. Je suis frappé d’un petit article que je trouve dans celles d’hier, pour prendre le parti du Duc de Wellington contre les journaux qui l'ont attaqué, en attaquant l’article de l'Assemblée nationale. La défense est très convenable, de fond et de ton. On veut évidemment n'être point responsable des mauvais procédés et du mauvais langage envers l’Angleterre.
Vous ne lisez plus le Journal des Débats. Faites-vous lire pourtant, dans le numéro d’hier mercredi, un article de M. St Marc Girardin sur les Mémoires de Mallet Dupan. Très sensé, très spirituel et très piquant. Avez vous lu, ou du moins parcouru ces Mémoires de Mallet Dupan ? C'est, sans aucune comparaison, ce qui a été écrit de mieux sur la Révolution Française. C'est la vérité vue et entendue au milieu de la fumée et du bruit du canon.
Je ne vous parle que de discours et de journaux, et c’est à votre santé que je pense surtout. J'espère avoir ce matin de vos nouvelles, par vous et que vous me direz que vous recommencez à manger. Adieu, en attendant je vais faire ma toilette.

Onze heures
Voilà une lettre qui me fait bien plaisir. Mangez et dormez. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Vendredi 24 sept 1852

J’aurais voulu être là quand Montalembert s’est trouvé entre Fould, et Hackeren ; j’aurais tâché de le faire rester, un quart d’heure du moins, et nous nous serions amusés. Soignez-le un peu. Je me reproche, dans le passé, de n'avoir pas tenu assez de compte de lui, même comme adversaire. Par ses bon côtés, comme par ses faiblesses, il est de ceux sur qui on peut toujours agir. Du reste je suppose qu’il ne fait, en ce moment, que traverser Paris.
Avez-vous lu, dans les Débats d’hier, l'article de John Lemoinne sur le Duc de Wellington ? Il n’y a pas le good sens, mais il y a l’intelligence du good sense et de la grande folie. Tout comprendre sans bien juger, c’est une qualité française ; John Lemoine la possède à un degré peu commun et il écrit avec un certain éclat familier qui plaît au moment où on lit. Je ne crois pas du tout que les Princes aient acheté le Times. Ce serait beaucoup trop cher pour leur bourse et pour leur goût.
Dit-on qui ira dans l’Inde à la place de Lord Dalhousie ? Je vois dans les journaux anglais qu’il reviendra au terme de son temps, malgré son envie de doubler le relai. J’avais toujours cru que Lord Palmerston finirait par là, pour arranger ses affaires ; mais Lady Palmerston n'ira pas dans la patrie du choléra. Et lord Derby, sera-t-il chancelier de l’université d'Oxford ? Ce serait très convenable. Qu'y a-t-il de vrai dans l’entrevue de Bulwer avec le cardinal Antonelli et dans sa demande de la communication des pièces du procès Murray ?
En fait d'impertinences, il ne faut faire que celles qui sont de bon goût, et qui réussissent. Rome a fait d'énormes fautes, depuis quelque temps, dans ses rapports avec l’Angleterre ; il ne faudrait pas que l’Angleterre en fit beaucoup de son côté pour lui rendre ses avantages. Un italien n’a que son esprit pour se défendre contre un Anglais ; mais il en a toujours assez pour cela, même quand l’Anglais en a.

Onze heures
Vous voyez que j’avais remarqué Bulwer et Antonelli. Je suis bien aise que vous ayez vu le duc de Noailles. Vous aurez causé avec lui comme nous avons causé dans notre dernière promenade au bois de Boulogne. Adieu, adieu. Moins vous me parlerez de votre santé, plus je croirai que cela va bien. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Samedi 25 sept. 1852

L'article du Moniteur est certainement ce qu’il y a eu jusqu'ici de plus positif. C'est une vraie déclaration d'Empire. Le Président fait jusqu'au bout ce qu’il a dit ; pour ceci, il ne veut venir qu’à la suite et obéir, sinon à la force, du moins à la volonté publique. Tout le monde le poussera, depuis le peuple jusqu'au Moniteur. Alors il acceptera. Je ne sais pas si le jeu était indispensable ; mais il est bien joué, et il le sera jusqu'au bout. Je ne crois pas que le bout soit bien loin.
Autre grande personne qui ne veut pas prendre d'initiative ; la Reine Victoria pour les obsèques du Duc de Wellington. Je ne comprends guère cette hésitation. Pourquoi ne pas faire soi-même, et tout de suite, tout ce qui se peut faire pour honorer un grand serviteur de la couronne ? Il me paraît que j’avais raison de croire que Lord Hardinge serait commandant en chef. Je le vois dans mes journaux. Est-ce sûr ?
Si Chomel voit aller voir la Duchesse d'Orléans, je suis bien aise qu’il ne vous quitte que lorsque vous commencez à être mieux. La Duchesse d'Orléans ferait bien, je crois, de ne retourner à Eisenach que lorsqu'elle sera tout-à-fait rétablie ; elle est là bien seule et bien loin.
J’ai reçu hier des nouvelles de Mad. de Staël qui me dit que les Broglie la quittent tous dans les premiers jours d'octobre pour revenir à Broglie. Mad. d’Haussonville est allée rejoindre son mari à Gurcy. Il y est fort tranquille, et ne songe plus qu’à chasser.
J’ai peine à croire que le Roi Léopold joue dans la question commerciale avec la France. Ses ministres actuels ne se refusent à ce que la France demande que parce qu'ils n'osent pas ; ils craignent les Chambres et l'opinion Belges. Les ministres que Léopold aurait, s'il renvoyait ceux-ci, oseraient encore moins ; ils auraient tout le cri libéral contre eux. Je n’entrevois pas comment on sortira de cette impasse. Ni à Paris, ni à Bruxelles on n'osera céder. Voilà votre petite lettre. Il ne dépend ni de vous, ni de moi de faire des nouvelles, et la correspondance ne vaut pas la conversation. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Dimanche 26 sept 1852

Je ne m'étonne pas qu’on attribue au Président quelques vues d’aggran dissement en Afrique ; c’est là qu’il peut tenter quelque chose de ce genre avec le moins de danger du côté, soit de Tunis, soit du Maroc. Je doute que l’Europe, et peut-être même l’Angleterre lui fissent, pour cela, une guerre immédiate ; mais il en résulterait, pour eux, au dehors, surtout à Londres, une situation très gâtée, et au dedans de graves embarras financiers, car, sur ce terrain-là les guerres ne rapportent rien et coûtent énormément. Et tout docile qu’il est, son Corps législatif ne serait guère disposé à lui donner beaucoup d'argent pour de telles conquêtes. A tout prendre, elle lui seraient, je crois plus nuisibles que profitables, et le Constitutionnel a raison de prêcher deux fois par semaine, comme il le fait, l'Empire pacifique et commerçant. Il ne faut pas pousser l’imitation au-delà du nom.
On vient de prendre un petite mesure que vous n'avez certainement pas remarquée, mais dont l'effet sera mauvais dans les départements, c’est la suppression de l'institut agronomique de Versailles. Pure économie, je crois ; on ne sait où en faire, et on en a besoin. Je n’ai pas la moindre opinion sur le fond de la question ; mais je sais, et je vois, autour de moi, que cet établissement plaisait aux propriétaires agriculteurs un peu aisés, et qui veulent que leurs enfants soient bien élevés en restant agriculteurs. Il était fondé ; il commençait à bien marcher. On trouvera cela léger [?] Sans compter qu’on met ainsi à la porte une douzaine de savants considérables qui crieront.
Cela vous est égal, et à moi aussi ; mais je vous dis ce qui me vient à l’esprit en lisant mes journaux.
Qu’est-ce que c’est que votre belle hongroise ? Sera-ce une remplaçante de Mad. Kalerdgis ?
Le discours de Lord John Russell à Stirling en l'honneur du duc de Wellington m’a plu ; la louange est vrai, et dit avec une simplicité ferme. Il n’y a rien de tel que de mourir pour n'avoir plus d'adversaires.

Onze heures
Pas de lettre du tout, ni de vous, ni d’Aggy. C’est trop peu. Donc adieu et adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 27 sept. 1852

On m’a apporté hier de Lisieux la Patrie que je ne reçois pas. Qu'est-ce que cette machine infernale saisie à Marseille ? Quand une diabolique invention a paru une fois dans le monde, elle y devient endémique et à l’usage de tous les scélérats. Ceci précipitera probablement l'Empire, si quelque chose était nécessaire pour le précipiter, ce que je ne crois pas.
Mes journaux du reste ne contiennent absolument rien, sinon les débuts du Duc de Brabant à Bruxelles comme orateur. Roi et peuple belge attirent fort aujourd’hui les regards de l'Europe. S’il y a des événements, ils commenceront par là. J'en doute. En tout cas, ils se feront attendre longtemps.
Je n’ai pas goût à vous écrire jusqu'à ce que j'aie ce matin de vos nouvelles. Il fait très beau ici, et un temps vif qui doit vous être sain. J’espère que vous avez ce temps-là, au Bois de Boulogne.

11 heures et demie
Vos deux lettres (samedi et dimanche) m’arrivent à la fois, et tard. Très intéressantes. Ceci peut avoir des conséquences bien graves. Quand en finirons-nous des idées horribles ? Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 28 sept 1852

Je ne comprends pas pourquoi votre lettre de samedi était restée en retard, il n’y avait certainement aucun prétexte. On a raison d'être frappé et attristé de l'événement de Marseille. Moi, j'en suis surtout humilié pour le pays. Le crime politique y est à l'état de manie. Que de temps de bon et fort gouvernement, et peut être que de nouveaux malheurs il faudra pour guérir ce mal, ou pour l'étouffer !
Autant que j'en puis juger de ma solitude, l'effet est général et partout le même. Redoublement de doute sur l'avenir, en même temps que dans le présent, le gouvernement en sera plus facile. On peut faire tous les Empires qu’on voudra. Si on peut établir la filiation outre la machine infernale de Marseille et les réfugiés de Londres, ou de Bruxelles, je ne vois pas pourquoi, on ne demanderait pas leur expulsion. Ce serait à ces gouvernements là, à se tirer comme ils pourraient de leurs embarras. Ellice aura raison un jour, mais pas de sitôt, et par sur des questions de cette nature-là.
Je ne crois pas, quoi qu’on vous dise, à l'abolition du suffrage universel. C’est un port de refuge qu’on ne se fermera jamais. Ce n’est pas la peine non plus de discuter la recherche de popularité qui a pu faire relever la statue et ramener les cendres de Napoléon. Il y avait au moins, dans cette recherche là plus de générosité que dans les décrets du 22 Janvier et moins de danger que dans la popularité demandée au suffrage universel.
Vous avez raison de vous moquer de moi à propos des obsèques du duc de Wellington. Je ne pensais pas à l'argent.
J’ai envie de dire comme l'Impératrice et de trouver que vous avez eu tort de ne pas rendre à la Duchesse de Mecklembourg et à sa fille leur visite ; je comprends que vous soyez impolie pour éviter d'être fatiguée ; mais il n’est pas plus difficile de faire rouler. cinq minutes votre voiture sur le macadam du Boulevard que sur celui des Champs Elysées ; et l'impolitesse par manie, sans motifs de temps ou de santé, par plaisir de dédain, c’est trop.

10 heures et demie
Mon facteur arrive un peu plutôt. Merci de la lettre de M. de Meyendorff. Je la lirai à mon aise dans la matinée, et je vous la renverrai demain. Adieu. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 28 sept 1852
Six heures

J’ai été pris toute la matinée par des visites de Paris et de Lisieux. Elles viennent de partir.
Je causerais volontiers avec vous ; mais vous êtes trop loin.
L'Impression que je vous ai dite m'arrive de tous côtés, la machine infernale inquiète plus que sa découverte ne rassure. C’est de la force dans le présent, et du doute sur l'avenir. Cela pousse à l'Empire et on se dit que l'Empereur ne sera pas plus à l’abri que le Président. L’espoir de la stabilité s'en va d’autant plus que le besoin s'en fait plus sentir.
La lettre de M. de Meyendorff est intéressante comme le faisant bien connaître lui même. Bon jugement et bon cœur. Propre à être ministre et père. Ses fils sont-ils, des jeunes gens distingués ? Je les lui voudrais tels.
Nous avons un véritable ouragan. Je viens de faire le tour de mon jardin, en marchant tantôt avec, tantôt contre le vent, à grand peine. J’aimais beaucoup cela quand j'étais jeune. C’est un des goûts de ma jeunesse que je puis encore satisfaire.

Mercredi matin
Au lieu de l'ouragan d’hier soir, voilà le plus beau soleil du monde.
Avez-vous lu le second article de John Lemoinne sur le Duc de Wellington ? Beaucoup trop long mais spirituel et animé. Du reste, je crois, comme M. de Meyendorff, que vous trouvez le Duc un peu ennuyeux, après sa mort comme de son vivant.
On me dit que faute de femme royale, le Président pense à la fille au prince Czartorinski. Je n'y crois pas ; mais certainement on en a parlé autour de lui. Cela ne vous plairait pas.
Est-ce qu’on ne dit rien de l'objet du voyage de M. Bacciochi, en Orient ? Il avait été question de donner un avertissement officiel à l'Assemblée nationale à propos de son article sur le duc de Wellington. C’était, dit-on, l’avis du garde des sceaux, M. Abattucci qui a porté la question au Conseil ; mais MM. de Maupas, Fould et Drouyn de Lhuys s’y sont opposés.

Onze heures
Les rencontres chez vous m'amusent. Vous vous en tirez toujours à merveille, vous êtes une spécialité pour la fusion apparente et extérieure. Adieu. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 30 sept. 1852

Je n'aurais pas deviné, d'après les journaux que Marseille eût été un peu moins enthousiaste que Grenoble, et je m’en étonnais, car certainement l'opinion des deux villes est et a été de tout temps différente. Montpellier sera un peu moins enthousiaste que Marseille. Le Président retrouvera tout l'enthousiasme en quittant Bordeaux, à Angoulême.
Je regrette qu’on n'ait pas arrêté tout le complot. C’est un malheur pour tout le monde, et pour tous les temps que de tels scélérats échappent. Certainement Thiers est de bien mauvais goût d'attribuer ceci à la police. Il a assez vu de ces complots-là pour savoir qu’il y en a toujours plus que la pluie, elle-même n’en sait et n'en dit.
On me dit que la Reine et le Prince de Joinville sont partis pour Lausanne avec l’intention de faire effort pour ramener Mad. la Duchesse d'Orléans à Claremont. L'accident a été plus grave qu’on ne l’avait dit ; mais elle est bien.
Charles Pozzo fait bien d'avoir peur. C’est une manière de rappeler qu’il est le neveu de son oncle. On l'oublierait aisément.
Si je croyais au parti pris de chercher querelle à la Belgique, je croirais qu’on a pris, pour commencer, le prétexte de la négociation commerciale. J'en connais les difficultés, car j’ai eu à les résoudre deux fois ; mais elles ne sont pas insolubles ; il faut seulement n'avoir pas peur des clameurs de quelques industries intéressées. J’ai donc peine à comprendre qu’on n'ait pas abouti, car la situation de la Belgique vis-à-vis de la France, est moins bienveillante, il est vrai, mais plus faible qu’elle n’était de mon temps. Je ne crois pourtant pas au parti pris de chercher querelle. On n'en est pas là.
Le petit Lord John Russell n’a rien perdu de son énergie. Je suis sûr que son discours à Perth a eu du succès. Vous verrez que Lord Granville a raison. Si Dieu leur prête et nous prête vie, nous verrons un cabinet Russell, Aberdeen et Graham, et vous aurez le plaisir d'avoir Lord Granville à Paris.
L'Indépendance Belge dit que M. Bacciochi est allé à Constantinople pour s'entendre avec le sultan sur la mise en liberté d'Abdel Kader. Avez-vous entendu dire cela ? Je n'y crois pas. Et ce que surtout je ne crois pas, c’est que le sultan consente à se faire le geôlier d'Abdel Kader pour débarrasser le Président de cet ennui.

Onze heures
Adieu. J’aurais trop à vous dire sur le retour des mots lac français. Grosse faute, et que rien n'explique. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Vendredi 1er oct. 1852

Un spectateur sensé m’écrit d'Avignon : " Tout s’est très bien passé ici ; au moin 100 000 âmes ; peu de cris, sauf de la part des gendarmes et des membres du Corps législatif ; mais l’absence d'enthousiasme ne laissait pas à sa place le moindre air de mécontentement. Quant aux rois et au barrières des communes des campagnes, c'était Louis-Napoléon et qu'elles demandaient ou saluaient. Le Prince avait fort bon air, gracieux et d’un accès simplement bienveillant. Notre ciel brillant, notre beau fleuve, notre rocher, nos créneaux et nos quais couverts de monde, tout cela ferait une grande fête. "
Evidemment, il n'y a point eu de discours à Marseille ; seulement la réponse du président à l'Evêque. Il aurait tort de faire un autre discours ; il ne paraît pas si bien qu'à Lyon. D'ici au fait de l'Empire, il n’y a plus de place pour des paroles.
Le Roi Léopold doit être bien embarrassé. Un ministère ainsi renversé de l’épaisseur d’un cheveu est difficile à remplacer. Le Cabinet nouveau sera évidemment obligé de dissoudre et de faire des élections. Peut-être lui donneront elle, une meilleure majorité. En tout cas ceux qui tombent ne sont pas regrettables. Ils ont rendu service en Février 1848.
Le lac français est une de ces hâbleries dont les Français se repaissent, et qui sont à la fois ridicules et compromettantes. L'Empereur Napoléon a mis celle-là en circulation, et elle pèse sur vous depuis. Je l’ai ouvertement attaqué un jour à la Chambre des Députés et on a beaucoup murmuré, à peu près autant que lorsque j'ai maintenu le mot sujets dans une Monarchie.
Les Américains ont beaucoup de ces hâbleries là, et les Anglais eux-mêmes, en ont eu ; j'en trouve pas mal du temps de Cromwell. Il faut un bon sens et un bon goût très développés pour que les peuples y renoncent.
Voici le plan qu’on m'envoie de Paris quant à l'Empire. Le Président abrège son voyage de trois jours. Il sera à Paris, le 18. La Sénat ne sera pas convoqué officiellement, mais il sera là. Il se réunira spontanément et portera au Président. Le sénatus consulte déjà rédigé par M. le Premier président. Trop long. Aussitôt après le Sénatus consulte, on fera l’appel au peuple pour battre le fer pendant qu’il est chaud.
Mardi soir, chez vous, M. Fould promettait 10 millions de vous. Est-ce bien cela ?

Onze heures
Je n’ai rien à vous dire qu'adieu. Je vois que vous croyez toujours que le Président ne reviendra que le 16. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, samedi 2 octobre 1852

Il n'y a vraiment pas de quoi, en vouloir, au Roi Léopold parce qu’il a remis ses Chambres au 26 octobre. On se félicite, sans doute du renversement du cabinet avec lequel on n’a pu s'entendre ; comment veut-on qu’il en forme un autre les Chambres présentes et parlantes ? En elle-même, la difficulté est déjà très grande pour lui ; au moins lui faut-il un peu de temps et de repos.
Je ne crois point à la guerre prochaine. Quand l'Empire sera fait, vous verrez quelles peines, il se donnera pour l'écarter ; j’ai peur qu’il ne la porte, comme on dit aujourd’hui, dans ses flancs ; mais il fera tout ce qu’il pourra pour en accoucher le plus tard possible, et tout le monde l’y aidera. Ce ne peut pas être son entrée en scène.
Il y a si peu de monde à Paris que je ne vous plains guère des ennuyeux que vous a endossés Lady Ellice, le nombre vaut quelque chose quand on n’a pas le choix, mais pourquoi vous laissez-vous faire par Lady Allice, vous qui en général savez si bien vous défendre des endosseurs ?
Je ne sais pourquoi le Journal des Débats et l'Assemblée nationale ne me sont pas venus hier. J’ai eu ces jours-ci quelques détails assez curieux sur l'Etat des journaux. Le Constitutionnel réussira, dans sa lutte de bas prix contre Le Pays ; il le tuera quoique le Pays reçoive, à ce qu’on assure, 20 000 fr de subvention par mois. Le Constitutionnel relèvera aussitôt son prix. C'est le bénéfice de ses annonces qui le met en état de supporter la perte qu’il fait en ce moment sur les abonnements. Elles lui vaudront cette année 500.000 fr. Le Siècle est en gain. Les Débats, et l'Assemblée nationale se soutiennent. Tout cela ne vous fait pas grand chose.
Madame de Brandebourg reste-t-elle un peu longtemps à Paris ? D'après ce que vous m'en dites, je serais bien aise de la connaitre. Quand reviennent les Hatzfeldt ?
Sauf l'ennui d'être malade, la petite Princesse est-elle bien fâchée d'être obligée de passer l’hiver à Paris ?
Vous devriez résumer vos souvenirs sur le duc de Wellington ; un portrait de caractère, appuyé sur des anecdotes particulières, et intimes ; ce serait vrai et piquant. Un grand homme qui n’est ni un homme d’esprit, ni un homme de coeur (non pas cœur, courage) cela est rare et vaut la peine d'être peint.

Onze heures.
Je n’ai pas du tout vos dernières paroles. Je vous voudrais au moins quelques semaines d’un mieux soutenu. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Dimanche 3 oct. 1852

Je suis impatient de la lettre d'aujourd’hui qu’est-ce que ce malaise qui vous est survenu subitement ? J’ai été moi-même assez mal à mon aise ces jours-ci, nous vivons au milieu des ouragans et des orages. J'en ai ressenti l'influence.
Je vois dans les feuilles d'Havas que Hatzfeldt a demandé sa retraite à cause de sa santé. Je ne suppose pas qu’il y ait rien de vrai. Il était au contraire, ce me semble, allé à Berlin pour faire voir qu’il se portait bien.
M. Hébert est même hier passé la journée avec moi. Il dit que l'Empire sera décidément bien vu à Rouen, et dans tout le département de la Seine inférieure. Les affaires y vont très bien ; les manufacturiers gagnent beaucoup d’argent ; les ouvriers ont de bons salaires ; les uns et les autres ne demandent que de la durée, et ils espèrent que l'Empire leur en donnera.
La paix et la durée, ils ne pensent pas à autre chose.
L’Angleterre sera couverte de statues du duc de Wellington, aristocratiques ou populaires ; en voilà une à Manchester, au milieu des ouvriers. Du reste, c’est juste.
Il est vrai que les 2 500 000 fr. donnés pour la Cathédrale de Marseille sont singuliers. Le Président peut dire que c’est une simple promesse dont il demandera la ratification au corps législatif. Ce sera à ce corps à voir ce qu’il aura à faire, et de bonne ou de mauvaise humeur, je ne pense pas qu’il refuse de ratifier.
Le lac français est une parole plus étourdie que les deux millions. Est-ce par cette raison qu’on n’a pas publié le discours ? C’est une nécessaire mais fâcheuse sagesse. Quest-ce qu’une vanterie qu’on cache ?
Montalembert reste donc à Paris. Je croyais qu’il devait aller rejoindre en Flandres son beau-frère Mérode. Je suis bien aise qu’il vous reste plus longtemps.
Ste Aulaire vient-il vous voir quelquefois le jeudi, après l’Académie ?
Je trouve la conversation du Moniteur et de l'Indépendance belge au moins aussi aigre que le fait même. Quelle nécessité à cette discussion prolongée qui ne fera qu'embarrasser la négociation prochaine ? Quelques lignes d'explication suffiraient.
Croit-on à la formation d’un cabinet catholique et à la dissolution de Chambres Belges, ce ne serait guère dans les procédés habituels du Roi Léopold.
Avez-vous lu, dans les deux derniers N° de la Revue contemporaine, les fragments des Mémoires du comte Beugnot sur les derniers temps de l'Empire. Quoiqu'un peu bavards et longs, ils vous amuseraient. Je l’ai beaucoup connu, c'était un homme d’esprit et d’expérience, très douteux et très gouailleur, ce qui m’est antipathique. J’aime les gens qui veulent quelque chose et qui ne se moquent pas de tout.

Onze heures
Je remercie bien Aggy. Si je n'avais rien eu du tout, j’aurais été inquiet, triste et fâché, très mauvais états d’âme. Je suis fort aise que vous ayez vu. Andral et qu’il vous prescrive de vous bien nourrir. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer Lundi 4 octobre 1852

Puisque vous avez besoin des médecins. Je suis bien aise que vous ayez vu concurremment les deux meilleurs. Le départ de Chomel vous y a obligé. Vous ne pourrez pas les garder tous les deux à son retour ; mais vous comparerez leurs avis et leurs procédés et Olliffe se changera de prendre de l’un et de l'autre, ce qui vous sera bon. Andral est moins agréable de sa personne que Chomel ; mais je lui crois plus d’esprit, et il est extrêmement consciencieux.
Je n’ai absolument rien à vous dire. Rien n’est plus stérile que l’attente d’une chose prévue et regardée comme certaine.
Dans le sentiment public, l'Empire est déjà du passé. Pour moi, je ne vis plus qu’avec Cromwell. Si vos yeux vous le permettent quand il paraîtra, il vous amusera à connaître quoique aucun passé ne vous amuse guère.
C'est le bruit de la bourse, m’écrit-on que le Pape viendra sacrer le nouvel Empereur. Je n'y crois pas. Pourtant, il se fera sacrer. L'exemple de son oncle, et ses propres relations avec le Clergé lui en font une loi. Par qui ? L’archevêque de Paris sera bien petit Il n’ira pas le faire sacrer à Reims. Peut-être un sacre collectif ; tous les cardinaux Français réunis. Je suppose qu’on a pensé à cet embarras.

Onze heures
Adieu, adieu. Les paroles sont aussi vaines sur l'Empire que sur la santé. Il faut attendre. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Mardi 5 oct. 1852

Je viens de lire les longues pièces Française et Belge sur la négociation commerciale. La pièce Française est plus aigre de ton et plus raisonnable au fond ; la pièce Belge est douce, obstinée et rusée. Il y a, au fond de tout cela, cette difficulté que la Belgique n’a aujourd’hui aucune confiance dans le bon vouloir de la France, et qu’elle ménage les voisins Allemands et autres, beaucoup plus encore qu’elle ne le faisait de mon temps. La France de son côté demande à la Belgique de négocier commercialement avec elle sans tenir aucun compte de la politique. Cela ne se peut pas. Commercialement la France a raison. Politiquement, la Belgique a raison. Je ne vois pas comment on sortira de cette impasse.
Voilà votre lettre d’hier qui m’arrive de très bonne heure. Je ne dis pas qu’on n’a pas raison de réduire à de petites proportions la machine infernale de Marseille ; mais il ne fallait pas en faire, au premier moment, un si gros bruit.
J’ai cru qu’on allait sommer l’Angleterre et la Belgique d'expulser les réfugiés.
Savez-vous un défaut que je découvre au voyage du président ? Il est trop long. Ce n’a pas été bien calculé. Il valait mieux en faire une moitié avant et l'autre après l'Empire. A moins qu’on n'ait voulu avoir pour l'Empire, la manifestation de toutes les grandes villes de France, Lyon, Marseille, Toulouse, Bordeaux. Mais certainement quand le président reviendra, le public sera aussi fatigué du voyage que lui.
Les journaux m’apportent de Bruxelles la réintégration du professeur qui avait lu à ses élèves des fragments du dernier pamphlet de Victor Hugo contre le Président. Cela ne raccommodera pas les affaires entre la France et la Belgique.
Le journal le Pays prend très vivement cet incident. Bacourt doit bien connaître les dispositions de [?], et j’attache quelque importance à ce qu’il vous a dit de la Princesse Wasa. Si elle n’est pas prise à Vienne, elle pourrait bien être reprise d’ici. Adieu, Adieu.
Le départ de Kisseleff me contrarie bien pour vous. Il vous est un agrément et une sécurité. J’espère qu’il reviendra bientôt. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Mercredi 6 octobre 1852

Je suis frappé des arrestations et des saisies de poudre, canons de fusil & opérées à Bordeaux. C'est là évidemment le travail assidu du parti anarchique, et il a, dans chacune des grandes villes où le président doit passer, un foyer de préparatifs et de tentatives, Marseille, Bordeaux, Nantes. C'est très bien fait de traiter tout cela avec mépris, et je voudrais bien qu’on y pût appliquer uniquement les remèdes Anglais ; mais on a affaire à de tout autres hommes, et il faut encore plus de vigilance que de mépris. En Angleterre, il n’y a vraiment que des fous ou des scélérats isolés qui tentent de pareils actes ; chez nous, c’est tout un parti nombreux, fanatique, organisé, qui se recrute abondamment et se gouverne despotiquement. Avec lui, il y a deux dispositions auxquelles, il ne faut jamais se laisser aller, la crainte et l’insouciance ; n'en avoir pas peur et le combattre sérieusement, incessamment, c’est le seul moyen de le vaincre.

Onze heures
Vos conversations sont curieuses. Soyez tranquille, je n'en ferai aucun usage. Je trouve ces propos là fort naturels, car c'est là qu’en viendront les actions aussi tard qu’on pourra et quand on aura épuisé les moyens dilatoires pour échapper à ce qu’il y a de radicalement révolutionnaire dans la situation.
On m’avait annoncé l'ouvrage de Montalembert, et je sais qu’il y travaille. S’il l'achève, il le publiera ; et s’il le publie, cela fera de l'effet, m'importent l'inopportunité du fait, l'humeur du pouvoir, et l'indifférence de la nation. Il reste toujours un public suffisant pour donner du retentissement aux paroles d’une opposition spirituelle et animée. Il y a des temps pour allumer l’incendie, et d'autres pour conserver le feu.
Je ne comprendrais pas une note anglaise sur le lac Français, quand il n’y a point de paroles officielles et avouées. Une dépêche même serait trop et M. Drouyn de Lhuys aurait le droit. de dire : " Qui vous l’a dit ? " Passe une lettre particulière, dans laquelle on serait à l'aise pour parler hypothétiquement et qu’on ferait connaître officieusement.
Adieu, Adieu. Vous ne me dites rien de votre fils Paul. Il n’y a donc rien de nouveau. Il est vrai qu’il faut que M. de Nesselrode soit de retour. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 7 oct. 1852

J’ai eu hier une lettre de Lord Aberdeen qui m'a été apportée à Paris par M. Cardwell. Il y est venu passer quelques jours avec sa femme. Je regrette de ne pas le voir. C’est un homme d’esprit, et Aberdeen me le recommande chaudement. Il nous aurait mis bien au courant de Londres. Lady Allice Peel le connaît beaucoup. J’ai déjeuné avec lui chez elle. Elle vous l’a peut-être déjà amené.
Aberdeen est évidemment, très peu bien veillant pour le Cabinet : " I suppose our Parliament will not meet before the middle of november, and although some indication will be afforded of the relative strength and disposition of parties, it is not at all probable that the existence of the government will be endangered before Christmas. Their real trial will commence in February, and what may be the result, it is extremely difficult to say. Their position, although discreditable and entirely unprecedented, is strong when compared with the scattered forces and disunited taste of their opponents. "
Nous oublions trop que Lord Aberdeen a été le collègue de Peel, de Graham, Gladstone, Cardwell, le Duc de Newcastle, qu’il a pris part à toutes les mesures de réforme commerciale, que c’est là son dernier acte politique, et qu’il reste attaché aux mesures et aux hommes. Il se sépare de ceux qui les repoussent ; il s’unira à ceux qui les adopteront. Il m’a l’air plus préoccupé de nos affaires que des [?], et bien convaincu que l'Empire, " Although it may, at present, make no great change in France or in Europe, is surely pregnant with future complications and wars "
Il est de l’avis de M. de Heeckenen. Il me dit qu’il voudrait bien venir causer. " It is not impossible that, after our short session before Christmas, I may go to Paris for two or three weeks ; but this must be extremely doubtfull. "
Avez-vous fait attention, au discours que Michel Chevalier a adressé au président, à Montpellier, au nom du Conseil général, et à la réponse du Président ? C'est le programme de ce qu’il y a de plus sincère et de plus honnête dans le Bonapartisme.
Il me semble que le Roi de Wurtemberg, des princes allemands, celui qui s'exécute le mieux pour la répression de la presse injurieuse au Président. C'est qu’il est celui qui a le plus d’esprit et le plus d'autorité chez lui. Savez-vous s'il y a un parti pris sur Napoléon 2 ou Napoléon 3 ? La diversité des acclamations me laisse dans le doute à cet égard.
Le départ de M. Frère d'Orbon pour l'Italie prouve que la retraite du Ministère Belge est sérieuse, et qu’il ne pense pas à se reconstituer en se rapieçant.

Onze heures
Je n'ai que le temps de vous dire adieu. Deux visites m’arrivent, en même temps que le facteur Adieu. Adieu. G.

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Val Richer. Vendredi 8 oct. 1852

Fould annonce la politique qu’il prêche. Je ne doute pas qu’il ne donne de bons conseils, et je souhaite qu’il les fasse prévaloir. Je ne suppose pas que Heeckeren conseille la mauvaise politique ; mais probablement, il la prévoit, et il prend ses mesures pour y être prêt. Je vois que, pendant que le voyage suit son cours, les pétitions pour l'Empire vont leur train. On en annonce 521 dans le seul département du Pas de Calais, 51 000 signatures, dans celui de la Marne & Commencez-vous à y croire ?
Je comprends que M. Hogier donne sa démission du poste de Paris ; après les dernières publications de l'Indépendance belge, il lui est difficile de vivre en bons rapports avec M. Drouyn de Lhuys, et les deux partis ne sont pas assez également fortes pour rester l’une devant l'autre en mauvais rapportss comme nous étions, lord Normanby et moi. Je penche à croire que cette mauvaise humeur officiellement affichée sont le commencement de quelque chose de pire.
Avez-vous des nouvelles d’Ellice et compte-t-il toujours venir à Paris à Noël ? Il aura, je suppose, un peu plus d’embarras à être toujours de l’avis de son petit ami, car Ellice est très pacifique et ne se soucie pas de se faire de mauvaises affaires.
J’avais ici hier un petit anglais fort obscur et assez intelligent, traducteur de mes ouvrages en Anglais, qui m’a dit que l'opinion publique en Angleterre était toujours très malveillante, et que le Times, la suivait bien plus qu’il ne la poussait.
J’ai eu avant hier à dîner les gros bonnes négociants et manufacturiers de Lisieux, tous contents et présidentiels, acceptant l'Empire sans le désirer. Les agriculteurs eux-mêmes commencent à être un peu contents ; leurs denrées se vendent mieux.
Je suis vraiment très fâché pour vous du départ de Kisseleff. Je suis moi-même bien plus tranquille sur vous quand il est là. La petite Princesse va donc mieux puisqu’elle sort. Adieu, Adieu.
J’espère que l'ouragan a cessé à Paris, comme ici. C’est un temps qui ne vous vaut rien. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Samedi 9 oct. 1852

J’ai écrit sur le champ à Aggy, directement et par la poste. Je crois que je lui ai dit ce qu’il faut lui dire. Le premier moment doit avoir été l’envie d’aller passer quelques jours auprès de Marion ; mais j’espère qu’elle n'aura pas tardé à sentir que vous avez bien plus besoin d'elle que Marion, et qu’il y a pour elle, bien plus de devoir à rester près de vous. Marion lui-même ou je serais bien trompé, le lui demandera, si elle ne l’a déjà fait. En tous cas, je suis bien aise que le père soit si positif.
Pauvre Fanny ? Si elle n’avait pas été malade, et si malade depuis si longtemps, sa mort me frapperait, comme toutes les jeunes morts. Il semble qu’on ne doive être rappelé qu'après avoir fourmi sa course et bu sa coupe. Mais qui sait pourquoi nous sommes rappelés, et pourquoi nous avons été envoyés ? Il faut vivre, et mourir sans savoir et avoir foi sans savoir.
Les hésitations et les procrastinations sur l'Empire ne m'étonnent pas et n'y feront rien. Cet homme est un singulier mélange de fatalisme et de prudence ; il va à son but aussi certainement aussi irrésistiblement qu’un boulet de canon, mais à pas comptés et en s’arrêtant souvent. Je ne crois pas que le temps d’arrêt puisse être long aujourd’hui ; ce serait une duperie, et un ridicule ; quoi qu’on puisse recommencer les mouvements arrangés. Celui-ci a été arrangé sur une trop grande échelle pour qu’on soit aussi sûr du second coup que du premier ; surtout le premier ayant manqué en bien des endroits. Rien après tout ce bruit serait de la timidité plus que de la prudence. Enfin nous verrons.
Peu importe la persuasion de [Kisseleff] en partant ; elle ne réglera, ni l'événement à Paris, ni la conduite de l'Empereur à Pétersbourg. Et j’espère pour l'honneur de sa sagacité, que [Kisseleff] ne sera pas partout aussi affirmatif.
Quand l'Empire sera fait, viendra la question de la guerre sur laquelle nous aurons les mêmes hésitations et les mêmes procrastinations que sur l'Empire. Probablement plus encore, car le fossé à franchir sera bien plus profond, et nous serons plus près du bord.
J’ai quelques raisons de croire que Morny est plus que jamais dans l’intimité sérieuse du Président, et qu'avant de partir pour son voyage, le président l’a entretenu de toutes les chances possibles de l'avenir, comme on entretient son confesseur et son exécutant testamentaire.
Je doute que Morny et Fould soient aussi bien ensemble qu’ils en ont l'air. On espérait à l'Elysée que le Roi Léopold appellerait M. Lehon pour lui faire un cabinet, et on s'en promettait des merveilles. Il y a là un mécompte ministériel par dessus l'humeur diplomatique.
J’ai reçu ce matin une lettre très amicale de M. le duc de Nemours à qui j’avais écrit quatre lignes de condoléance respectueuse sur l'accident de Mad. la Duchesse d'Orléans. Il me dit qu’elle est bien : " Elle me fait dire elle-même, par dictée, que le repos auquel elle est forcement assujettie aura fait du bien à l'état général de sa santé. L'accident de voiture a été de la nature la plus sérieuse, and the escape is a very narrow one, comme on dit dans ce pays-ci. Le voyage de la Reine n’a donc pas été déterminé par ses alarmes, mais par les sentiments d'affection, de bonté et de charité que vous savez exister en elle. "
Adieu, Adieu.
On me dit que vous êtes contente du régime d’Andral et que vous lui trouvez de l'esprit. J'en suis bien aise et vous avez raison. Adieu. G

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 10 oct. 1852

Lisez, si vous avez des yeux et de la patience pour lire les discours adressés au Président par l’évêque de Carcassonne l'archevêque de Toulouse, et le premier président de la cour d’appel de Toulouse ; ils sont remarquables par la mesure politique gardée au milieu des expressions de la reconnaissance et de la louange. C'est le langage sincère et réfléchi d'hommes sérieux. Dans mes tristesses sur mon pays, je prends plaisir à rencontrer quelques actes, ou quelques paroles qui m’en soulagent un peu.
J’ai aujourd’hui, le plus beau ciel et le plus beau soleil possible. Je me promènerai. Il a fait froid cette nuit, de la glace. Je ferai rentrer demain mes orangers. Si le froid s’établit, nous aurons du beau temps. Nous avons depuis deux mois un temps aussi mauvais que triste. J’espère que celui-ci vous vaudra mieux. C’est un tonique. Mais prenez bien garde ne pas vous enrhumer.
Que signifie cette singulière ordonnance donnée sur la frontière de la Prusse Polonaise, que tout voyageur sera obligé de déclarer en entrant, combien il a d'argent et l’usage qu’il compte en faire ? C'est bien curieux. Est-ce une curiosité Prussienne ou Russe ? ce que j'approuve tout-à-fait et ce qui me paraît un bon petit symptôme de civilisation pacifique, c’est la convention conclue entre la France et les Puissants Allemandes, y compris la Belgique, pour la transmission des dépêches télégraphiques par un chiffre diplomatique pour chaque Puissance, connu seulement de chaque gouvernement et de ses agents au dehors. C'est la seule manière de rendre le télégraphe électrique praticable et utile pour les gouvernements. On se promet probablement qu’on devinera les chiffres étrangers. Mais il s'en faut bien qu’on y réussisse toujours.

Onze heures
Je ne vous dis qu'adieu. Je réponds quatre lignes à Aggy, très présomptueuses. J’espère que ma lettre d’hier lui aura fait quelque effet. Je veux y ajouter tout de suite ma réponse à celle que je reçois d’elle ce matin. Adieu. G.

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Val Richer. Lundi 11 oct. 1852

J’ai parlé de mon mieux à Aggy, deux jours de suite. J’espère qu’entre vous et moi nous l'aurons décidée. Permettez que je ne mette pas Lady Holland tout à fait en tiers. Je suis fort aise du reste qu'elle vous serve. Il faut savoir se serait de tout.
L’article du Times est remarquable. Les feuilles d'havas s'en prévalent, mais sans dire un mot de la condition à laquelle il attache la renonciation à l'exclusion des Bonaparte, et la reconnaissance de l'Empire. Vous aurez la condition, comme le Président aura votre reconnaissance de l'Empire. La paix est dans le besoin, le goût et le caractère de tout le monde.
Duchâtel m’écrit : " Je partage tout-à-fait votre sentiment sur la situation et votre manière de l’apprécier. Je crois comme vous qu’il y a, dans le mouvement en faveur du président, plus de réalité que quelques personnes ne le pensent, c’est un feu qui ne s'allumerait pas de lui-même ; mais la matière inflammable existe, et quand on approche la mèche, elle s'enflamme rapidement et assez vivement. Ce qui est convient aux goûts et au tempérament de la grande majorité de la nation, dont l’intelligence n'est ni assez tendue, ni assez prévoyante pour discerner le manque de racines et de solidité. Nous aurons bientôt l'Empire. Le Président n'y gagnera pas de force vraie et par conséquent il fera un mauvais marché ; mais c’est une phase qu’il était inévitable de parcourir, et quand j’ai vu, il y a six semaines, comment le mouvement se préparait dans les Provinces, je n’ai pas douté, que l'Empire ne fût proche et très proche. "
Vous ne lisez pas le Pays, le rival du Constitutionnel. Il y avait hier un grand article pour prouver aux socialistes que l'Empire de Louis Napoléon peut seul faire pour eux tout ce qu’ils peuvent raisonnablement demander.
Grande attaque aux deux dernières monarchies, et à la République qui ne peuvent rien faire pour les socialistes. Roi d'Algérie serait ridicule. Il n’y a pas assez de Français en Algérie pour leur donner un Roi, et il faudrait aux Arabes un Roi mahométan. Cela ne sera pas. Conquête et colonie, l'Algérie ne peut, de longtemps encore être autre chose.

Onze heures un quart
Voilà une lettre d’Aggy à laquelle je veux répondre encore ; mais c’est trop tard aujourd’hui. J'espère bien que son bon coeur, sa justice, et sa raison surmonteront son chagrin. Adieu adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Je viens d'écrire encore à Aggy. Il faut non seulement qu’elle vous reste, mais qu’elle vous reste convaincue qu'elle doit vous rester, et qu'elle fait bien. C'est une bonne et honnête personne, qui a besoin d'avoir le cœur en repos.
J’ai dîné hier à Lisieux, je suis rentré tard, je me suis levé, tard, et voilà, un voisin qui m’arrive de bonne heure. Je ne vous écris donc que quatre lignes. Je n’ai rien eu de vous hier ; mais c’est tout simple. C’était dimanche avant hier, et ma lettre de samedi vous sera probablement arrivée tard.

Onze heures Voilà vos lettres. Je fais partir celle que je viens d'écrire à Aggy. L'effet n'en peut être que bon. Il faut que vous ayez l’une des deux. Adieu, adieu. Votre pari avec M. Molé est perdu. G.

Val Richer 12 oct. 1852

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 12 oct. 1852
5 heures

Puisque Aggy attend les avis de Clothall, elle ne partira pas. C’était le premier mouvement qui était à craindre. Marion elle-même lui dira, et lui dit déjà de rester. Sa lettre est touchante. Il faut bien que l’âme se dépense quelque part ; quand le bonheur naturel et régulier lui manque, elle se jette dans l’exaltation. Les vieilles filles (pardonnez moi ce mot brutal qui me déplait) sont ou très sèches, ou un peu folles. Marion n’est rien moins que folle ; mais partout où elle trouve un sujet d'émotion, d'affection, de passion, elle s’y précipite, et le cœur déborde. Quand je n'aurais pas déjà de l’autre pour elle, cette lettre m'en donnerait. Qu'ont donc fait ses parents pour la blesser à ce point ? Je suppose qu’Aggy n’a pas besoin que je vous renvoie la lettre de sa sœur.
La Gazette de France, seule, m’a apporté ce matin le discours de Bordeaux. Moins bien fait que celui de Lyon, sauf le para graphe sur la paix qui est très bien dit et très positif. C’était le paragraphe important. Je n'ai jamais douté que ce ne fût là le premier langage et même le premier dessein. Saura- t-on s’y tenir ?
Je présume, d'après ce discours, que l'Empire suivra de très près le retour à Paris. On dit que les Sénateurs iront au devant du président jusqu'à Tours. J’ai peine à le croire.
M. Troplong était, il y a quatre jours, bien tranquille dans sa petite maison de campagne, à huit heures de chez moi. Je crois comme vous que le Pape viendra. Et quand l'Empire aura été reconnu par les grandes puissances, je ne vois pas comment il s'y prendrait pour ne pas venir.
Le Roi Léopold ferait bien de prendre lui-même son parti et de mettre son gouvernement, ministres et chambres, au pied du mur sur cette question de la presse. Il y a certainement là, et depuis longtemps, un grand désordre Européen. Il ne se peut pas que le premier venu ait le droit de pousser, d’une frontière à l'autre, les états voisins dans les révolutions et son propre pays dans la guerre, sinon son propre pays, du moins le pays qui lui donne l'hospitalité.

Mercredi 9 heures
Avez-vous remarqué un article des Débats d’hier sur le suffrage universel ? Trop métaphysique pour votre goût mais spirituel et vrai par un côté ; faisant seulement servir la vrai à voiler et faire passer le faux, ce que je déteste.
Salvandy commence dans l’Assemblée nationale une série d'articles sur l’histoire de la restauration de M. de Lamartine. A en juger par la premier, ils ne seront pas sans intérêt. Je vous parle des articles de journaux, faute d'événements, car aujourd’hui, l'Empire n’est pas un événement. Il en redeviendra un, plus tard.

Onze heures
Vous avez raison de soigner vos yeux. J'espère que cette fluxion passera bientôt. Je vous ai dit à première impression sur le discours. Je viens de le lire et j’y persiste. Le paragraphe qui s'adresse à l'Europe est bon, et bien tourné. Le reste a plus de prétention que d'effet. Si le suffrage universel pouvait tenir ces promesses-là, il serait le maître depuis longtemps. Il n’a jamais fait ce qu’il avait dit. C'est sa nature. Adieu, adieu. G.

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Val Richer, Jeudi 14 oct. 1852

Qu'est ce qu’une petite Princesse de quinze ans, fille du Prince Charles de Hohenzollern Sigmaringen petite fille aussi de la grande Duchesse Stéphanie, et que le Président pourrait épouser à la place de la Princesse Wasa ?
Ce serait bien jeune et bien petit. Il se mariera mieux, l'Empire une fois établi, surtout s’il se tient au bon paragraphe du discours de Bordeaux.
L'effet de ce discours est réel parmi les gens auxquels il est spécialement adressé, les manufacturiers, les négociants, les gros et riches bourgeois. Ils sont comme l'Europe pour eux, l'Empire et la guerre vont ensemble. Le discours a répondu à leurs préoccupations. Il se demandent si la réponse sera bien solide ; mais en attendant l’épreuve, elle leur plaît, et l'impression est favorable.
J’ai diné hier à Lisieux, avec beaucoup de monde. Ce que je vous dis là était général de plus le blé, et les bestiaux se vendent mieux. Là est le thermomètre.

Onze heures
N'avoir pas de lettre m’a beaucoup déplu au premier moment. Mais on me donne de vos nouvelles, soignez vos yeux. Aggy peut toujours bien me dire comment vous êtes. Adieu, adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Je n’ai rien à vous dire, sinon que M. et Mad. William Gurney sont arrivés hier et passeront ici quelques jours ce qui vous est parfaitement indiffé rent. Il est le frère de la première, femme et William Cooper, et il a épousé une fille de sir John Boileau.
Est-ce que Valdegamas va à Rome, comme le disent les feuilles d'Havas ? Je le regretterai. Je regrette toujours un homme d’esprit. Son successeur annoncé, M. Bentram de Lys, ne le vaudrait d'aucune façon.
Voilà de vos nouvelles. Merci des détails que vous m'envoyez, et qui sont curieux. M. de Persigny a raison d'être content. On fait le pas auquel il a toujours poussé. Les diplomates aussi ont de quoi être contents. Le bon langage, leur donne ou les gages pour l'avenir, on barra sur l'avenir si les gages venaient à manquer. Je voudrais que Fould fût content aussi.
Louis Napoléon est du bon sens ; je connais cet embarras là, pour d’autres raisons. Adieu, adieu.
Je serai charmé de revoir votre écriture, mais je ne veux pas qu’il en coûte rien à vos yeux. Adieu. G. Val Richer 15 oct. 1852.

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Val Richer, Samedi 16 oct. 1852

C'est bien dommage que vos yeux soient malades ; ils auraient à regarder. aujourd’hui un magnifique soleil, brillant comme en Juillet. Mais il fait froid.
La réception du Président sera splendide. Le ciel s'en mêle. M. Fould maintient-il le rendez-vous qu’il vous a donné au 16e jour après le retour à Paris ?
Vous aurez de vos fenêtres, le double spectacle du passage du cortège sur la place Louis XV et des amphithéâtres élevés sur les deux terrasses des Tuileries, pour les spectateurs. Ce sera beau. J'espère que vous aurez assez d'yeux pour en jouir un moment.
Je viens d’employer les miens à lire dans le Moniteur une longue pièce du comité des propriétaires de houilles à Mons pour amener le Roi Léopold à l’arranger avec le gouvernement français. Ils sont bien pressés de voir cesser l’augmentation de droits que le decret du président a établis. L'affaire belge d'à présent s’arrangera mais l’arrangement ne mettra pas fin à la situation. Elle est au dessus des questions commerciales.
Je suis assez curieux de lire la circulaire que le gouvernement Belge a adressée à tous les cabinets pour expliquer sa conduite. Elle sera certainement publiée. Je doute un peu de l'opportunité. Il ne peut pas donner publiquement, ses vraies et grandes raisons.
Ma lecture du Moniteur m’y a fait découvrir ce que je ne savais pas ; c’est qu’il se met à publier des Romans feuilletons, comme les autres journaux. C’est inconvenant. Ses romans seront mauvais, comme les autres. Une si méchante invention ne devrait pas pénétrer dans le journal officiel.
24 personnes exécutées à Sinigaglia, chez le Pape, en septembre 1852, pour les crimes de 1848 ! C’est trop tard. Les gouvernements ne peuvent pas commettre de plus grande faute que de faire venir le châtiment longtemps après le crime. L'impression du crime a disparu, blâme moral et peur ; et on a à la place l'impression d'horreur du supplice et de pitié pour le criminel. C'est stupide. La première condition pour l'efficacité de la justice, c’est qu’elle soit prompte.
Je n’ai pas vu le nom de l'Anglais Murray dans ces condamnés. Il me semble qu’il était de cette bande-là. Est-ce qu’on lui a fait grâce ?

Onze heures
Voilà un plaisir. Merci de votre longue lettre. Elle me charme. D’abord pour moi, et puis pour vous, dont les yeux vont un peu mieux. Je ne vous demande point pardon de mon égoïsme. Le papier vert me manquait trop depuis deux jours. Adieu, adieu. G

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Val Richer, Dimanche 17 Oct. 1852

Un brouillard épais au lieu du brillant soleil d'hier. Evidemment, le bon Dieu y a mis de la bonne grâce.
Je suis curieux d'avoir les détails de la journée. Mon gendre Cornélis, qui est allé passer deux jours à Paris me les rapportera ce soir. Il n’y a point de lettres même les vôtres, qui disent tout ce que des yeux ont vu. Je ne puis croire que les conseils de ministres retardent beaucoup la résolution définitive, et l'action. C'est bien fait de n'être pas pressé ; mais il y a des situations où le retard devient, sinon nuisible, du moins ridicule.
Voilà le facteur. Point de lettre de vous. Je ne m'en étonne pas. Vous aurez été pressée, et la poste aussi. Je n'ai comme de raison, rien à vous dire.
J’écris à Aggy pour lui demander pardon. J’ai sans doute avant hier, en jetant au feu des papiers, brûlé par mégarde la lettre de Marion que j'avais mise sur mon bureau, dans une enveloppe. blanche, pour vous la renvoyer. J’en suis désolé. Adieu. Adieu. G.

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Val Richer. Lundi 18 octobre 1852

J’attends, pour avoir quelque chose à vous dire, qu’on parle d’autre chose que d’une seule chose que je n’ai pas vue, et d’une seule question pour laquelle j’ai mon parti pris depuis longtemps. Le Président est rentré et l'Empire est fait. Après ? C'est bien dommage quand j'ai parié avec vous pour l'Empire, que je ne me sois pas donné toute l’année 1852. Mon seul doute porte à présent sur Napoléon 3. Je n'y puis pas croire. Je suis décidé, sur ce point, à ne croire que quand j'aurai vu.
On m’écrit l'adoption du second fils du Prince de Canino comme décidé. Je ne crois pas cela non plus. A quoi bon se presser. Rien n’y oblige. Il vaut mieux rester maître d'adopter qui l’on voudra.
On m’écrit aussi qu'Armand Bertin, se retire de la rédaction des Débats, emmenant avec lui ses amis, et que le Journal, sous le titre de Journal de l'Empire sera mis à la disposition du gouvernement. Encore une chose que je ne crois pas. Je n'ai que de celles-là aujourd’hui. Du reste, mon repos dans mes champs, loin de tout spectacle et de tout bruit, me plaît, et me convient.
Vous perdez Dumon. Il part jeudi ou vendredi, et ne sera de retour que dans la seconde quinzaine de Novembre. Onze heures Votre lettre me chagrine. Je ne veux pas vous en parler davantage. Je crains que tout ce mouvement ne vous ait agitée de là de votre force. Adieu, adieu.
Pourquoi vous parlerais-je de ce qui ne m'intéresse. pas du tout ? Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Mardi 19 oct. 1852

J’ai bien peine à croire qu’on attende six semaines, et je ne trouverais pas cela habile. L'opinion du ministère des affaires étrangères est que l'affaire Belge s’arrangera. On n'y met pas beaucoup d'empressement à Bruxelles où l'on n'est ni bienveillant, ni vraiment inquiet ; mais personne, parmi les gens du métier à Paris ne craint que cela devienne politiquement grave. C’est trop tôt. Tout le monde est et croit à la paix.
Je ne puis pas juger si le Président a eu raison de mettre Abdel Kader en liberté. Cela dépend de l'état de l'Algérie. Il se peut que cinq ans d’absence, aient fait perdre là, à Abdel Kader, presque toute sa force. En ce cas, le président a bien fait.
Le voilà délivré du marquis de Londonderry. Il (le président) vient de faire un très bon acte en nommant Cardinal l’archevêque de Tours. C’est un des homme les plus sensés et les plus justement honorés du clergé.
Qu'est-ce que cet ouvrage que je vois annoncé dans le Journal des Débats, avec une certaine solennité : Mémoires secrets pour servir à l’histoire de la Russie sous Pierre le grand et Catherine 1ère ? En avez-vous entendu parler ? C’est bien vieux pour vous intéresser, quoique ce soit Russe.
Voici, ma seule question sur votre santé. Vous me dites Chomel, Andral. Les avez-vous vus ensemble ? Chomel est-il revenu ? Se sont-ils mis d'accord sur votre régime ?
J’ai des nouvelles de Suisse. La Duchesse d'Orléans porte toujours et portera encore quelque temps le bras en écharpe. Mais elle va bien. Elle retourne décidément à Claremont avec la Reine.
Le Duc de Broglie est resté à Coppet. Il ne revient à Broglie que du 20 au 25. Il me paraît que la rencontre du Président et de Morny a été très affectueuse. Entendez-vous dire quelque chose de Flahaut ? Viendra-t-il à Paris dans cette circonstance ! Je me figure que Mad. de Flahaut a beaucoup d'humeur de n’y pas être.

Onze heures
Voici votre lettre. Je l’aime mieux que celle d’hier. Elle n’est pas abattue. Deux choses seulement ; tout de suite. Je serai charmé quand nous causerons ; mais ne comptez pas sur moi pour disputer beaucoup ; je ne dispute plus guères quand je disputerais trop. Et puis, quoique je sois vraiment désolé d'avoir brûlé la lettre d'Aggy, pardonnez moi d'avoir souri de votre légèreté française. Vous avez l’art de faire d’une pierre, mon pas deux coups, mais trente six millions de coups, pour rendre le coup plus lourd. Je n’ai pas la même goût ; je ne cherche pas en vous les défauts russes. Adieu, Adieu.
Vous ne m’avez point dit pourquoi lord Beauvale est contre le discours de Bordeaux.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Mercredi 20 oct. 1852

Nous ne faisons aucune attention aux affaires d'Orient. Il n’y a plus d'Orient. Les gouvernements de France et d’Angleterre sont trop occupés chez eux et d’eux-mêmes pour regarder au loin. Pendant ce temps, je vois que les révolutions ministérielles se succèdent à Constantinople ; voilà Ali Pacha renversé, le successeur, mais encore l’ami de Reschid Pacha. Je suis sûr que ce sont vos affaires qui se font et que vous faites là. Il n’y a rien à dire. Vous avez raison de profiter des fautes de l'Occident.
Voici une faute qui vous touche peu, et qui m’a choqué. Comment a-t-on, samedi dernier, fait sortir et amené en masse sur le passage du Président, les collèges, et les écoles primaires, des enfants ? Ceci est pire que le suffrage universel. On se plaignait jadis que les étudiants de droit et de médecine, les jeunes gens de 20 ans fussent mis en scène une politique, et on y met aujourd’hui des marmots. Ce n'est ni sensé, ni honnête.
Je ne comprends pas ce que fait Lord Malmesbury pour être mal avec l'Autriche. Je ne leur vois point de sujet de querelle ; à moins que la mauvaise humeur des voyageurs Anglais en Italie, à propos de leurs passeports, ne devienne une question de gouvernement. Ce serait bien absurde. Peut-être aussi le Piémont. qui donne sans doute de l'humeur à l’Autriche. Du reste, les puissances du continent auraient grand tort de se mettre mal avec l'Angleterre ; si jamais l’incendie révolutionnaire se rallumait ce qui n’est pas du tout impossible, c'est encore là qu'elles trouveraient, pour résister, le point d’appui le plus fixe et le plus fort.
Vous avez bien raison de trouver bon que Paris perde l'habitude de faire et de défaire les gouvernements. En soi, l'acte de puissance que font depuis quelque temps les populations des campagnes est excellent ; elles sont hors d'état de gouverner ; mais il ne faut pas qu’on puisse gouverner ou détruire les gouvernements sans elles et contre elles, et la leçon donnée en ceci aux prétentions et aux traditions de Paris est très salutaire.

Onze heures
Je n’ai pas de lettre. Adieu donc. Il fait bien beau temps. J’espère que vous avez le même soleil à Paris et que vous en profitez pour prendre l’air. Adieu, Adieu.
J'ouvre mes journaux. Vous avez perdu votre pari avec M. Molé. Nous aurons l'Empire en Novembre.

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Val Richer, jeudi 21 oct. 1852

Voici une lettre de Marion qu’il me paraît utile que vous lisiez. Prenez y un peu garde ; ménagez leurs sentiments. Comme vous le dites, ce sont des personnes de votre condition, et elles ont du cœur ; il faut qu'elles se sentent à l'aise avec vous. Vous êtes sujette à vous préoccuper trop exclusivement de ce qui se passe en vous, et pas assez de ce que pensent ou sentent les autres.
Voilà donc l'Empire. Je trouve qu’on a raison d'en finir. La délibération du mal ne sera certainement pas longue. Le vote universel prendra une quinzaine de jours. Puis la réunion du Corps législatif chargé de faire le dépouillement. Le second Empire pourra être inauguré au commencement de décembre, le même jour que le premier.
Reste la question du Pape. Ce qui me revient, par des catholiques fervents, est plutôt contraire à l’idée qu’il viendra. Mon instinct à moi est qu’il viendra si on le lui demande formellement. Mais formellement. Il faudra qu’il soit mis au pied du mur.

Onze heures
Génie m’avait écrit que le régime d’Andral vous réussissait mieux que celui de Chomel, que vous repreniez un peu d’appétit et de sommeil, qu’il vous trouvait lui-même meilleure mine. La même impression m'est revenu aussi d'ailleurs. Votre impression à vous me désole. Olliffe est si je ne me trompe, de l’avis d'Andral pour votre régime.
Les feuilles d'havas annoncent ce matin. que " la majorité qui va sortir de l’urne populaire dépassera par son chiffre, tous les résultats antérieurs, y compris le scrutin du 20 décembre. "
Je ne trouve pas qu’il y ait sujet d'être violent contre la mise en liberté d'Abdel Kader, et je suis plutôt porté à croire qu’elle n'aura pas d’inconvénient. L'Algérie doit être bien changée depuis six ans et lui-même bien dépaysé. Ce que je trouve de mauvais goût, ce sont les injures qu'à cette occasion les journaux du gouvernement nous disent à nous qui n'avons fait, dans cette occasion, que ce que le plus simple bon sens commandait alors et ce que le droit politique autorisait parfaitement. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Vendredi 22 oct. 1852

Le Piémont prend, en paroles, ses précautions contre l'Empire. La Gazette officielle de Savoie se répand en compliments pour le Napoléon de la paix, et met la Savoie sous la garde des traits et de l’Europe, comme la Belgique, au même rang. En principe, oui ; en fait, c’est différent. Du reste, je suis de plus en plus convaincu qu’on fera effort pour rester en paix, ici comme partout.
Le ton des journaux anglais change un peu ce me semble. Le Times pousse à l'amnistie générale promettant presque son approbation si elle a lieu. Le Morning Herald qui est, je crois, le journal de Lord Derby, annonce la reconnaissance, sans difficulté. Il n’est même plus question des traités de 1815. Je suis curieux de voir jusqu'à l’on ira, de part et d'autre, sur ce point, dans la demande et dans la réponse. Mon pronostic est qu’on demandera le moins possible, qu’on répondra le moins possible, et que de part et d'autre, on s'en contentera.
Vous ne regardez guère aux chemins de fer qui se préparent. Vous vous contentez de maudire, en vous en servant, ceux qui sont déjà faits. L’Autriche fait, dans ce moment-ci, un acte important par le chemin de fer central de l'Italie ; elle forme une base pratique et solide à la ligue commer ciale qu’elle cherche à conclure là depuis longtemps. Elle aurait dû faire cela bien plutôt. Elle se serait épargné bien des dangers. L’Autriche est restée en Italie puissance conquérante au lieu de chercher à se faire puissance italienne et à se mettre à la tête de la confédération italienne, la seule unité possible de l'Italie. C’était difficile, mais non pas impossible. Le chemin de fer sera un grand pas dans cette voie. On en est assez préoccupé.
Y a-t-il quelque chose de sérieux, autant que cela peut être sérieux, dans la prétention du Lord Maire de Londres de prendre le pas sur le Prince consort aux obsèques du Duc de Wellington ?

Onze heures
C'est désolant. Certainement ne vous fatiguez pas à m'écrire. Mais un mot d'Aggy, je vous prie et je t'en prie, quand vous ne pourrez pas. C'est si facile. Jusqu'à ce que je puisse n'avoir plus besoin de lettres. Adieu. Adieu. G.
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