Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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6. Bruxelles samedi 4 mars 1854

Votre lettre d’hier reçu à mon réveil m’a fait du bien. Un coeur ami pense à moi aujourd’hui. Triste, triste jour, et lorsque tout est si triste ! Le vide autour de moi. Ce que vous me dites sur mon compte est bien vrai. Je suis surprise que vous m’aimiez puisque vous me connaissez si bien. Ah que je me sens malheureuse et aujourd’hui avec redoublement.
Je ne sais aucune nouvelle de l’extérieur, Van Praet n'en avait pas hier soir. Il est très soigneux de moi, et voudrait me distraire. Il m’a amené hier le général Charal. Belle figure, bonne tenue & bonne conversation. Je vous ai dit que Brokham le prussien est mon favori. Tous les autres le mien inclus sont bien peu de chose. Je suis prés de Paris voilà tout le mérite de Bruxelles.

4 heures. On m'annonce. une occasion Prussienne. Je voudrais avoir quelque chose à vous mander, mais il n’y a rien. Je ne sais si vos journaux donneront la lettre de mon empereur ; dans le doute je vous l'envoie. Elle me semble bien modérée, et attestant encore le dîner de la paix ; c'est beaucoup après le ton provocateur de la lettre de l'Emp. Napoléon.
M. Barrot est venu chez moi aussi, c’est le dernier diplomate qui me manquait. Il me plait parce que c’est un français. Ah que j'aime les Français ! mes yeux ne vont pas bien. Le roi Léopold voulait me voir chez lui au Palais. J’ai refusé, ce n’est pas dans nos mœurs. J’irai à Laken un matin. Dans ce moment il est dans son château des Ardennes. Il ne peut pas de son côté venir dans une auberge. Pourrez-vous me dire ce que vous pensez de la lettre de mon empereur ? Je la trouvé vraiment bien faite, mais j’en serai plus sûre si vous me le dites. Hélène vous dit mille souvenirs. Adieu. Voici aussi le manifeste.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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7. Paris, Vendredi 3 Mars 1854

Vos lettres m’arrivent, en général fort tard. Celle d’hier (N°4) m'est arrivée si tard qu’il n’y avait pas moyen de rien ajouter à ce que je vous avais écrit le matin (N°6).
Vos yeux me désolent. Je ne puis croire que ce soit une épidémie ophtalmique spéciale à Bruxelles. Je n’ai jamais entendu parler de rien de semblable dans le climat. Mais tout est possible. Je crois plutôt à l'effet du chagrin, de l’agitation et de la fatigue sur un organe délicat. Vous me mettez à une épreuve intolérable en me parlant, comme d’une chance possible de votre retour immédiat à Paris. Je n'ai rien à dire de l'effet à Pétersbourg, vous seule en êtes juge. Les mots : " êtes-vous encore à Paris ? " m'ont malheureusement trop démontré qu’on ne voulait pas que vous y fussiez ici. On serait certainement étonné, et comme on ne comprendrait pas, on chercherait, à ce retour, d’autres motifs que le véritable ; on ne croit guère en général aux motifs de santé, quoique ce soient les meilleurs. Trop de gens s'en servent pour me nier.
Quoiqu’on ne soit pas ici, plus en goût de la guerre qu’il y a deux mois, on y croit, et on en prend son parti, et on s'y prépare, et tout le monde règle, sur le fait, ses relations et ses plans. Je vous dis, malgré moi et tristement, mes premières idées ; je n'ai encore causé avec personne ; mais je doute que, parmi vos amis sensés et sincères, il y ait une autre impression que la mienne. Vient toujours, en première ligne votre santé, et dans ce fait là, j’ai tant de peine à voir clair, quand vous êtes ici, qu’il m’est impossible de l’apprécier de loin. Que tout cela est triste !
Demain, plus encore que tout autre jour, je voudrais être avec vous, et vous donner quelques douces distractions. Votre fidélité à de chers souvenirs m'a profondément touché dès le premier jour où je vous ai connue. C'est une vertu qui coûte cher, mais que j’aime et que j'honore infiniment. Les coeurs sont si légers, et tout passe si vite dans ces ombres chinoises de la vie !
Autre tristesse en pensant à vous. Vous avez de la religion, et elle ne vous sert pas à grand chose dans vos épreuves, vous n'y puissiez guère de consolation ni de force. En tout, le mal vous fait plus de mal que le bien ne vous fait du bien, et vous souffrez plus de vos défauts que vous ne profitez de vos qualités. Que de choses il aurait fallu pour mettre en vous l’équilibre et l'harmonie dont vous auriez besoin. Adieu, adieu.
Je ne vous dis rien du discours Impérial. Il ne faisait pas grand effet hier, ni le matin, ni le soir. Il aura le sort de presque tout ce que dit et fait son auteur ; il réussira plus dans les masses que dans les esprits difficiles. Si j'étais allemand, j'en serais mièvrement content. Adieu.
J’ai vu hier Montalembert qui m'a beaucoup parlé de vous, avec un intérêt dont je lui ai su gré.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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5 Bruxelles le 3 mars 1854

Voilà votre N°6. Je la reçois au moment où il me faut envoyer celle-ci. Mes yeux allaient mieux hier, moins bien aujourd’hui. Le journal de St Pétersbourg. contient la réponse de mon empereur, vous allez la lire à Paris sans doute. Vous m'en direz votre avis. (sans prévention & vous savez bien que je n’en ai pas.) Moi, je la trouve très bien.
Van Praet m’a fait lecture hier soir du discours de l'Empereur Napoléon. J’ai toujours besoin de réflexion, et mes yeux m'ont empêché de le relire moi-même. Il me semble qu'il y a bien à éplucher. L’Allemagne bien engagée, l’intérêt français en relief. Le discours plaira aux masses. Le pain y joue un plus grand rôle que la guerre. Que ne suis-je à Paris pour vous entendre tous sur le discours, sur la lettre, sur toutes choses. Ah que le pluriel me manque ! Je vous laisse à penser si je regrette le singulier !
J’ai vu hier soir le prince de Ligne & M. de Brouckère m'ont empêché de le relire. Il a de l’esprit, et agréable. Van Praet est chez moi tous les soirs. Il me soigne et me plait bien. Le ministre de France est venu sans me trouver, j’ai pris l'air hier quoiqu'il fait bien froid. Lord Howard aime à venir causer avec moi, il est intime et facile. Le ministre de Prusse est ma meilleure pièce. Kisselef est celui de tous que je vois le moins. J'en reste très étonnée. Chreptovich très soigneux mais que d’heures de solitude et d'ennui & de soupirs. Adieu. Adieu. Ecrivez-moi je vous prie, je n’ai de plaisir que vos lettres vous le savez bien. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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6. Paris, Mercredi 1er mars 1854

J’ai bien fait hier soir ce qui vous convient. Soirée très éparpillée. D'abord chez Mad. d’Haussonville la mère, puis chez Molé, puis et l’ambassade d’Angleterre. A ma première station, rien que les Broglie et les Ste Aulaire, Mad. d’Haussonville et Mad. d'Harcourt en grande toilette de bal, pour Mad. de Chastenay. Drôle de bal, donné seulement pour les femmes mariées. Mad. Piscatory a demandé la permission d'y amener sa fille Rachel, et elle a reçu une réponse si peu gracieuse, faisant sonner si haut l'exception qu’elle n’y est pas allée, non plus que sa fille. Chez M. Molé, peu de monde ; le Mardi gras absorbe tout. Toujours plus de femmes que d'hommes. Duchâtel, le Duc de Noailles, Rémusat, M. de Vogué, Pageot, & Molé triste, et vide, cherchant ce qu’on peut faire pour vous remplacer et ne trouvant pas. " Je ferai tout ce qu’on voudra pour cela. " Je n'ai pas répondu.
Le Duc de Lévis avait des nouvelles très récentes de M. le comte de Chambord qui reste à Prague indéfiniment. Il s'y trouve bien ; l'ex. Impératrice aime beaucoup la comtesse de Chambord. Vous ai-je dit que la Reine Marie-Amélie, en allant en Espagne, avait promis à sa fille la Princesse Clémentine d'aller, en revenant, passer quelques jours chez elle à Cobourg ? Si elle exécute son projet, en revenant plutôt, comme on le dit, à cause des troubles d’Espagne, le comte de Chambord ira probablement la voir à Cobourg. Le Prince et la Princesse de Joinville y seront avec leur mère, et le Duc d'Aumale ira peut-être jusques là au devant d’elle. Double visite donc ; le grand Duc de Gotha et Cobourg (car ce n'est plus qu’un, n'est-ce pas ?) à Paris, et toute la maison de Bourbon à Cobourg. Est-ce que le grand Duc de Gotha est destiné à remplacer ici le duc de Brabant ?
Assez de monde à l’ambassade d'Angleterre ; pas beaucoup pourtant ; les salons ressemblent à un habit trop large. Plus de Français que la dernière fois ; Flahaut, Fould, l’amiral Lasusse, his de Batenval, Michel trouve bien ; l'ex. Impératrice aime beaucoup Chevalier, et quelques autres. Lord Raglan, en conversation intime avec le petit général Chranowski (est-ce bien son nom ?), celui qui commandait l’armée Piémontaise à la bataille de Novare. On dit que c’est un homme capable, quoique battu. J’ai causé un moment avec Fould qui ne recherchait pas la conversation, plus longtemps, avec Flahaut qui était triste et inquiet de l'avenir, pour tout le monde. Peu cependant pour l’Angleterre ; on lui écrit que Lord John commence à mollir un peu sur son bill de réforme, et qu'il pourrait bien être amené à consentir à le laisser tomber. Quelque membre libéral et ami du cabinet proposera de déclarer qu’en ce moment la mesure est inopportune et demandera l’ajournement, qui passera. On dit que si Lady John ne s'en mêlait pas, son mari serait assez traitable ; mais elle ne l'est pas du tout.
Je vous retire, les sages mesures financières que je vous avais annoncées, le rétablissement de l'impôt du sel et des 17 centimes dégrevés sur la contribution foncière. Des gens compétents m'ont dit hier soir qu’il en avait en effet été question, mais que le bon sens avait été battu et que le budget présenté au Conseil d'Etat n'en disait rien. On a craint l'impopularité. Cela vous sera bien égal.
Lady Cowley m'a trouvé bien aimable d'être revenu. Je n'étais dans mon lit, qu'à onze heures et demie.

Jeudi 9 heures
Je reprends ma lettre que j’ai gardée pour une bonne occasion qui part aujourd’hui. La journée d’hier n’a pas été aussi paisible, dans les rues de Paris, que le disent les journaux. Pendant qu'à mon extrémité du Boulevard, on célébrait les obsèques de l'amiral Roussin avec toute la pompe due à un maréchal, canon, garnison sur pied, infanterie, cavalerie, artillerie, église magnifiquement décorée, grande foule de spectateurs curieux et froids, à l'autre extrémité sur la place de la Bastille, huit à dix mille ouvriers avec quelques douzaines de bourgeois se réunissaient pour attendre le convoi de l'abbé de Lamennais, c’est-à-dire une bière suivie par huit personnes, et escortée par un fort détachement de gardes municipaux. L'abbé de Lamennais avait, par son testament, formellement interdit qu’on portât son corps à l'Église, désigné les huit amis qui devaient seuls l'accompagner au cimetière, et ordonné qu’on descendît son cercueil dans la fosse commune, sans aucune cérémonie, pierre, inscription & &
A l’arrivée sur la place de la Bastille, les huit ou dix mille ouvriers ont voulu suivre le corps ; les gardes municipaux s'y sont opposés, ont dissipé la foule, barré une rue et fait cheminer le petit convoi solitaire vers le Père Lachaise. Mais devant la porte du cimetière, ils ont retrouvé, et bien plus nombreuse, la foule qui s’y était rendue par toutes sortes de voies détournées plus de 20 000 personnes, dit-on. Là, nouvel effort du peuple pour entrer dans le cimetière à la suite du cercueil de l'abbé ; nouvelle résistance des gardes municipaux, qui avaient reçu les renforts. On a repoussé, chargé, dispersé la foule, sans coup de feu ; le petit convoi est entré tout seul, la porte du cimetière a été fermée, et l’enter rement s’est fait avec autant de solitude et d'impiété que l’avait voulu le mort. Des agents de police se sont rendus immédiatement aux bureaux des journaux pour les inviter à ne rien dire de tout cela. J'étais, à cette heure-même, chez Mad. Lenormant, avec 25 personnes, Noailles, Voqué, Vitet, Kergorlay &, entendant une lecture de M. Villemain sur les efforts des conquêtes d'Alexandre pour l'influence des Juifs dans le monde et l’aplanissement des voies au Christianisme. M. de Riancey, le rédacteur en chef de l’Union est venu nous raconter ce qui se passait, et les récits de la soirée ont confirmé le sien. Le père Ventura, l’archevêque de Paris, tout le clergé, ont fait leurs efforts pour obtenir de l'abbé de Lamennais quelque parole de repentir, quelque apparence de mort régulière.
On se serait contenté du plus transparent mensonge. On n’a rien obtenu. Le chansonnier Béranger, et cinq ou six autres gardaient la porte du mourant et renvoyaient tout le monde, polis, mais péremptoires. L'orgueil enragé et désespéré du renégat a eu pleine satisfaction. Il ne vivait pourtant plus, depuis trois ou quatre ans que du produit de sa traduction de l'Imitation de J.C. !
La politique de police et de compression continue, sans violence mais non sans astuce et malice. Le 22 février, quand on a été décidé à interdire toute manifestation le 24, le préfet de police a mandé chez lui, un certain nombre de chefs et d’ouvriers des principaux ateliers de Paris. Il leur a notifié l’interdiction en leur déclarant qu'elle serait fermement maintenue. Puis, il a ajouté : " à quoi bon tout cela pour vous ? Vous ne faites que servir les légitimistes et M. Guizot. Lisez la presse ; vous y verrez ce qu’ils veulent et ce qu’ils font."
Il avait devant lui, sur son bureau, un moment de la presse. Il a répété mon nom trois fois, avec l’intention évidente de réveiller dans ce monde là l’irritation contre les légitimistes et contre moi. Je tiens les faits de deux assistants intelligents. Ceci bien pour vous seule, comme de raison. Mais il est clair que la police et la presse, au service du Palais Royal, m'en veulent à mort de la fusion, et voudraient bien trouver à mordre sur moi. Ils ne trouveront pas. Je suis et resterai aussi immobile que décidé. Seulement, ne vous étonnez pas, si ma correspondance est très réservée. Quel volume ! Je me figure que nous causons. Adieu, Adieu.
Dites-moi que vous avez le N°6.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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4 Bruxelles le 1er mars 1854

Ecrivez moi demain jeudi par Hatzfeld. Il envoie un courrier. Portez la lettre vous même avant cinq heures. Je suis bien plus malheureuse que je ne croyais l’être. Mes yeux sont en grande souffrance, & l’ophtalmie règne ici dans la troupe. Si cela augmente, mon mal s’entend, que faire ? Retourner ? Que devenir ? à Paris est ce possible ? Perdre mes yeux, bien obligé. Pensez un peu au ridicule de retour à la fâcherie chez nous. Mais d’un autre côté mes yeux ! Je suis dans une grande perplexité. Pensez, consultez. On me défend d'écrire, car j’ai déjà vu un médecin. Je suis plus malheureuse que je ne puis le dire. J'étais si bien à Paris. A mon dieu ! Dites à Duchatel ma connaissance de sa lettre et l'impossibilité où je suis d’y répondre. Je souffre. même en écrivant ce peu de mots. Vous allez bien me plaindre. Je suis triste, à mourir. Adieu. Adieu.. On me dit qu’à Vienne encore on ne veut pas croire à la guerre.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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5 Paris, Mardi 24 Février 1854
2 heures

Je prends le petit papier. Je n'ai rien aujourd’hui. J’ai passé. hier ma soirée au comité protestant. Ce matin, le beau temps et la mardi gras dispersent tout le monde. On est un peu incrédule ici sur vos immenses armées. On commence à vous croire très forts chez vous et pas très forts quand il faut en sortir ; bien efficaces quand il ne faut que peser beaucoup moins quand il faut agir. On dit qu’il est plus sûr d'emprunter 400 millions que d'attendre des présents, même de 25 millions.
Je suis frappé de deux choses, l’une que la question grandit, l'autre, que vous ne grandissez pas. On entreprend plus qu’on ne croyait ; on vous redoute moins qu’on ne faisait. Sur le premier point, on ne se trompe certainement pas ; l'avenir nous apprendra si on a raison sur le second.
Je viens de voir les lettres de Madrid. Quant à présent, l'insurrection a échoué ; mais, dans la voie où entre le gouvernement de la reine Isabelle, la guerre civile me paraît inévitable. Les partis Espagnols n'abdiquent pas en attendant que leur tour revienne de régner ; ils se battent, même quand ils ne sont pas les plus forts.
C'est le général Randon, dit-on, qui reviendra d'Algérie pour faire l'intérim de la guerre en l'absence du Maréchal St Arnaud. Le général Pélissier restera en Algérie pour y faire l'intérim de gouverneur général. Les généraux Canrobert, Bosquet, d'Allonville et Forest accompagneront le Maréchal St Arnaud. Adieu.
Je dîne demain, chez Duchâtel, samedi chez Mad. Mollien. J’irai ce soir chez Molé et à l'Ambassade d'Angleterre. Mon temps est le tonneau des Danaïdes ; ce que j’y mets ne le remplit pas, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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4 Paris. Lundi 27 Février 1854

On me remet votre N°2. J'accepte votre tristesse, mais non pas votre toux. Il fait doux et beau ici. Quand je sors, je m’applique à ne pas passer par votre bout de la rue de Rivoli. Cela m'est insup portable. Moi à part, vous manquez à tout le monde plus que vous ne croyez. Hier, Duchâtel et Noailles, ce matin Dumon m'ont fait des morceaux sur vous. Noailles restera un soir chez lui. Duchâtel aussi. Mais il n’y a plus même de monnaie de M. de Turenne. J’ai dîné hier chez Broglie avec mon fils. Fini la soirée chez ma fille. Ce soir, j’ai un comité Protestant, puis le chancelier et M. de Neuville.
Voilà le chaos Espagnol commencé. Rien absolument jusqu'ici contre la Reine Isabelle. Son gouvernement a battu l'insurrection. Il va dissoudre les Cortès et le Sénat, et convoquer des Cortès constituantes qui feront une constitution nouvelle, plus monarchique. A Saragosse, le colonel Horé, chefs des insurgés, a été tué à la tête de son régiment, le régiment de Cordoue. Le capitaine général, avec les Grenadiers de la Reine, l’a chassé de la ville. 150 hommes sont restés sur la place, parmi lesquels quelques bourgeois. A Madrid, beaucoup d'hommes considérables ont été arrêtés, Gonzales Bravo, le général Serrano &. On s'attend à une guerre civile où reparaîtront tous les partis, Carlistes, Espartéristes, Républicains & &. Une dépêche télégraphique courait hier soir disant que la République avait été proclamée à Madrid. On n'y croyait pas.
Le Prince Napoléon commandera un corps de réserve, à Constantinople. Duchâtel avait hier une lettre d’Ellice inquiet pour le cabinet anglais, à l'occasion du bill de réforme de Lord John. On croit qu’entre l'opposition, quelques radicaux mécontents et les députés des bourgs que son bill dépouille de leur privilège électoral, il pourrait bien se former une majorité qui lui infligeât un échec qu’il n'accepterait pas. L'échec serait au profit de Lord Palmerston. Je n'y crois pas. Le Parlement ne dérangera pas aujourd’hui le gouvernement. Lord John a du guignon. J’ai une lettre de Croker qui a fait réimprimer en une petite brochure, toute leur correspondance à propos de Moore avec des additions assez piquantes. Il me dit : All the world here of all parties, as Brougham writes to me, agree that I have had a complete victory.
Rothschild ne fait pas l'emprunt. On dit qu’on le mettra en adjudication quand le corps législatif sera réuni. Si vous ne savez pas bien ce que cela veut dire, demandez-le au premier venu qui vous l'expliquera. Le bœuf gras se promène très paisiblement. Il s’appelle M. d'Artagnan, et non plus le Prince Mentchikoff. Adieu, Adieu. G

La fin du discours de Clarendon est remarquable d’un ton plus élevé que de coutume et ouvrant, sur l'avenir, une longue perspective pleine de guerre et aussi de réserves. On prévoit beaucoup, et on ne veut. s’engager sur rien.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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3 Bruxelles lundi 27 février 1854

Vos lettres sont ma seule joie. Continuez-les je vous en prie. Je n’ai pas bougé depuis mon arrivée, ma toux est beaucoup augmentée, mes yeux aussi me font mal. J’ai beaucoup de courants d'air dans mon appartement. Je ne parviens pas à m'en garer. On vient assez me voir, beaucoup même mais cela ne me plait pas. Montalembert seul me plait & il part ce soir. Van Praet est toujours ma préférence et est vraiment très agréable.
Les nouvelles Allemandes nous sont très défavorable, nous aurons tout le monde contre nous. Je crains qu’au lieu d’intimider cela n’aggrave l’obstination. Clarendon a fait un remar quable discours.
Mardi 28 Le duc de Saxe Cobourg arrive aujourd’hui. Il se rend à Paris où sa visite annoncée fait plaisir. Khiva est décidément pris. Et mon Empereur décidement bien en colère contre les Allemands. Je vous remercie de me dire l'emploi de vos journées. Je veux pour vous de la distraction mais point d'habitude. Mes soirées éparpillées. Ah que je pense à tout cela ! & si on me regrette, jugez comme je regrette à mon tour ! Avant hier je me suis pris à pleurer. J'en ai encore mal aux yeux. aujourd’hui. Quelle chute !
Pourquoi le journal des Débats me fait-il faire des visites à Chreptovich & Kisseleff ? Imaginez, débarquant & courant tout de suite ? Le fait est que je n’ai pas encore bougé de ma chambre et quand je bougerai ce sera pour prendre l’air. S'il y en a jamais de prenable. à Bruxelles, mais certainement je ne ferai visite à personne. Il fait très froid et tout a l’air si triste ! Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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3 Paris, Dimanche 26 Février 1856

J’ai trouvé votre lettre hier soir, en rentrant à dix heures et demie. J'en étais bien pressé. Votre tristesse m'attriste et me plaît. Lequel des deux davantage ? Je n’en sais rien. Le 24 s'est passé très paisiblement. Les précautions du gouvernement ont atteint leur but. On n'est pas venu dans les rues, et on sera plus réservé dans les Clubs. Quoique les préparatifs de guerre soient peu bruyants, ils se font pourtant, et quoique la guerre ne soit pas plus populaire qu’il y a deux mois, on s’y accoutume.
M. de Witt m’écrit d'Hyères : “ Il faut reconnaître que jusqu'ici le retour aux préoccupations politiques ne s'est point tourné contre le gouvernement. On ne le rend point responsable de la guerre. La publicité bonne aux pièces diplomatiques a flatté le public, et il approuve l'Empereur de sang froid et comme par raison. La guerre est pour lui affaire de devoir, non de passion ou de plaisir. Ce n’est plus la gloire de la France, c’est l’équilibre Europe qu’on défend. " Je crois que cela est bien observé, et que telle est réellement, surtout en province, la disposition du public.
Le maréchal St Arnaud va mieux ; il est monté à cheval avant hier. C'est décidément lui, dit-on, qui commandera le corps expédition naire, entonné des généraux Pélissier, Bosquet et d'Assonville. Le général Canrobert reste à Paris pour faire l’intérieur du Ministère de la guerre. En fait de mesures financières, on dit que le message du 2 Mars annoncera le rétablissement de l'impôt du sel et d'un certain nombre de centimes dont la contribution foncière avait été dégénérée, il y a trois ans, quand M. Fould était aux finances. On calcule que ces mesures augmenteront le revenu de 50 ou 60 millions à l'aide desquels on se promet de faire les emprunts dont on aura besoin.
Je ne sache pas quel Rothschild ait encore conclu. Voilà tout ce que je sais. J’ai vu peu de monde hier, Broglie et Dupin à l'Académie, Mad. Mollien en en sortant. Elle avait des nouvelles de la Reine Marie-Amélie que les troubles d’Espagne pourraient bien faire revenir plutôt en Angleterre. Elle ne veut pas se trouver au milieu d’un chaos Espagnol.
J’ai dîné chez ma fille. Le soir, une visite chez Mad. de Rémusat. J'étais dans mon lit à dix heures et demie. Je comprends les préférences affichées de votre Empereur pour M. de Castelbajac. Ces petites habiletés aident à la bonne politique, mais ne la remplacent pas. L'alliance Anglo Française résistera à la mine gracieuse ou disgracieuse pour les deux ministres partants. Je lis les mémoires de St Aulaire sur les affaires d'Orient en 1840. Ils m'amusent beaucoup. Rien de nouveau sous le soleil. Adieu.
J'espère qu’il fait beau à Bruxelles comme à Paris. Parlez quelquefois de moi, je vous prie, à la Princesse Kotschoubey J’ai envie qu’elle pense quelquefois à moi. Vous écrirez un jour à Marion. Il ne faut pas qu’elle croie que vous ne vous souciez plus d’elle. Adieu, adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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2. Bruxelles Dimanche 26 février 1854

Merci du triste N°1. Quel brave homme que le duc de Broglie ! Je vois bien que mon chagrin ira en grandissant. Je suis très entourée mais qu’est-ce que c’est ? Et puis si mal arrangée en comparaison de ce que j’étais. Le temps n’est pas froid et cependant ma toux a augmenté beaucoup quoique je ne sois pas sortis du tout depuis mon arrivée. Tout le monde vient, connus et inconnus. Tout le corps diplomatique moins le Français. Lord Howard était en doutes sur l'accueil. Je l'ai fait rassuré. Il est venu avec sa femme, une fille du duc de Portland, très bien & spirituelle, et grande dame. Elle m’a apporté une lettre de Lady Palmerston à moi, très sympathique et bonne. Les Chreptowitch sont toujours là, trop. Le Prussien est excellent. L’Autrichien point d’esprit. Van Praet ma grande ressource. Il veut m'amener M. de Brouckere & le général Chazal. On veut m'amuser. Montalembert a eu l’air bien content de me voir, nous avons causé. Demain il retourne à Paris hélas. Le prince d'Aremberg aussi. Les heureuses gens !
Les nouvelles ici sont que mon Empereur a reçu avec une grande colère les remontrances de l’Autriche & de la Prusse. Qu'à Paris & Londres on presse l’Autriche de telle sorte qu’elle sera obligée de se prononcer & tout de suite, & qu’elle agira. L’enthousiasme en Russie est réel et énorme. Tout le monde veut faire des sacrifices. Un marchand de Moscou nommé Alexis à envoyé à l’Emp. 25 millions la moitié de sa fortune. Hélène va lui donner 300 hommes pour commencer. On dit que nos armées sont immenses. Le 1er avril nous ferons parler de nous. Je ne vois pas ici d’apparence du voyage du duc de Brabant, en tous cas on doute que sa femme l’accompagne. Voilà votre petit billet d’hier continuez, je vous prie. Ce sera mon seul plaisir, mon grand plaisir, ma joie. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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2 Paris, samedi 25 février 1854
Midi.

Je comptais avoir ce matin des nouvelles de votre arrivée. Elles ne sont pas encore venues. Je pars pour l'Académie que je préside le samedi, et de bonne heure. Hier matin, Duchâtel et des Américains, le nouveau ministre. des Etats-Unis à Pétersbourg. M. Seymour. Le soir, chez Mad. de Staël, le Duc de Broglie, Viel-Castel, Langsdorff, Rumpff, Sahune, George d'Harcourt, Mérode. Point de nouvelles du dehors. Les arrestations au dedans faisaient les frais de la conversation. Il y en a eu de nouvelles hier. De plus, M. de Persigny a fait venir les président de trois principaux Clubs, le Prince de Chablais, M. de Biron et un troisième, et leur a, en termes très polis, mais très péremptoires, recommandé plus de réserve dans les propos et les entretiens des Clubs. On a affiché dans les salles : « On ne parle point politique. "
Je doute que l’article du Journal de St Pétersbourg pour justifier l'affaire de Sinope par votre ignorance du texte in extenso de la dépêche anglaise du 27 décembre, produise un bon effet. On n’a pas bonne grâce à dire : « Que ne m’avez-vous montré en détail, et par écrit, toute votre résolution ? Si j’avais su, mot pour mot, combien vous étiez fâchés, j'aurais peut-être agi autrement. " On disait hier soir que l'emprunt n'était pas encore conclu que Rothschild attendait la résolution définitive et complète de l’Autriche. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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1. Paris, Vendredi 24 Février 1854

J'avais résolu de ne pas vous dire un mot de mon chagrin et de mon vide. Cela ne se peut pas. Il y aurait trop de mensonge dans le silence. Mais je ne vous en dirais pas plus long qu'hier matin, en vous quittant. Que Dieu vous garde et vous ramène. Je reste à Paris et vous êtes à Bruxelles. Sans vous, Paris, pour moi, c’est Bruxelles pour vous.
Hier matin, l’Académie. Tout le monde y était, sauf le Duc de Noailles. Dupin m'a demandé si vous étiez partie, avec des paroles de regret et s'excusant de n'être pas allé vous voir ces derniers jours. Je le soupçonne, un peu de n'avoir pas voulu être classé parmi les complices de la Russie. Peu de conversation politique. L’Académie commence à s'occuper du jugement des prix qu’elle a à donner cette année. C'est son coup de feu. Cela la distrait des autres.
Le soir quelques personnes chez moi, entre autres, le Duc de Broglie et son fils. Broglie était venu me voir la veille, et m’avait touché. Après m'avoir parlé de toutes choses, il m'avait dit, d’un bon d’amitié aussi vraie qu’embarrassée " Vous allez vous trouver bien seul ; venez nous voir plus souvent ; nous sommes chez nous tous les jours, les dimanche et lundi chez moi, les mardi, jeudi et samedi chez Mad. d'Haussonville la mère, les mercredi et vendredi chez ma fille et chez Mad. de Stael ; vous aurez toujours là de quoi causer avec des amis. Et puis, venez dîner toutes les fois que vous voudrez, avec Guillaume." Je lui ai serré la main de bon cœur.
On ne parlait que de deux choses l’entrée de l’Autriche dans l'alliance et le soulèvement des Chrétiens de Turquie. Deux grosses choses. On ne sait précisément et certainement ni l’une ni l’autre ; mais on les accueille l’une et l’autre avec faveur, comme des espérances ou des moyens de retour à la paix qui est toujours l'idée fixe de ce pays-ci. Je me trompe ; on parlait un peu d’une deux jours. Moins nombreuses qu’on ne l’avait dit ; mais on en annonçait d'autres. On dit, aussi que quelques personnes seront engagées à aller à la campagne. " à quelle compagne ? - Oh,à leur propre campagne, chez elles, hors de Paris seulement. "
Je ne suppose elle serait bien superflue ; je n'attends que le retour de ma fille Pauline pour m'en aller au Val Richer.
A onze heures, je suis allé signer le contrat de la petite La Redorte. Une cohue immense ; 1700 personnes invitées ; l’ennui de la queue m’a pris ; il faisait sec et pas froid ; j'ai laissé là ma voiture et j’ai été à pied. En arrivant, sur l'escalier, 2 ou 300 personnes montant, 2 ou 300 descendant ; tout le monde de connaissance, étrangers et Français ; quelques rares légitimistes. J’ai vu la Maréchale et La Redorte qui donnait le bras à sa fille ; très jolie. Il m’avait rencontré dans le premier salon ; il est revenu sur ses pas avec sa fille : " Ma fille veut vous bien voir et vous remercier d'être venu."
J’ai mis dix minutes à redescendre l'escalier. Au bas, j’ai rencontré Thiers qui attendait : " N'est-ce pas, lui ai-je dit, que la patience est la plus difficile des vertus ? - Oui ; pourtant, on l’apprend avec l’âge. - Comme on apprend ce qu’on subit." J'étais dans mon lit à minuit. J'espère que vous étiez depuis longtemps dans le vôtre. J’ai joui pour vous du beau temps de la journée. Adieu, adieu. Pour combien de temps ? Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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1 Bruxelles Vendredi 24 février 1854

Ah que j'ai de tristesse dans l'âme. Quel triste voyage ! Et quelle fatigue. Je ne suis arrivée qu’à 10 1/2 Chreptovitch était à la gare pour me recevoir. Je n'ai encore vu que lui. Je vous écris de bonne heure.
J’ai eu une lettre de Berlin. On a à peu près chassé Seymour sans vouloir le voir. Son collègue Castelbajac a été comblé et après avoir ici son audience, c’est l'Empereur lui même qui lui a remis ses passeports & lui a dit ensuite. Puisque vous n'êtes plus le représentant de la France, laissez-moi vous remercier de la conduite noble & chevaleresque que vous avez su tenir dans cette triste affaire. Il lui a remis lui- même alors les insignes de l'ordre de St Alexandre accompagnés d'un écrit de sa propre main. En disant adieu, le général a fondu en larmes.
Ecrivez-moi beaucoup. Chreptovitch dit qu'un on ne sait rien, absolument rien. Il ne fait pas froid & je suis assez bien logée. Adieu, donc & encore. Adieu, quel malheur de vous avoir quitté, d’avoir quitté tout !

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Jean me trouve me levant et à ma toilette. Je l’interromps pour vous dire que je continue à aller mieux. Je recommence à manger du blanc de poulet. Je dors très bien. J’ai autre chose à vous dire, car je pense beaucoup, mais, il me faut du repos et pas de presse. Je vous écrirai dans la journée.
J'attendrai la table. Elle viendra plus sûrement que la paix. Impatientez vous contre les rois et laissez-là les ébénistes.
Je vous renvoie la lettre d'Ellice qui est curieuse plus que rassurante. Je suis pourtant bien aise qu’il persiste à avoir le même pressentiment que moi, quoique je fasse plus de cas de ses nouvelles que de ses pressentiments.
Adieu, Adieu. G.
Samedi 31 déc. 1853

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Deux lignes, par pur scrupule d’exactitude. Quand j’aurais quelque chose à vous dire, je n'aurai nul plaisir à vous le dire, à la veille de vous voir. Nous aurons beaucoup à nous dire. Des anecdotes, des commentaires et des conjectures, la conversation des oisifs. Il pense beaucoup à ce qui se passe et à vous. Adieu. Je fais mes paquets et mes comptes. J'ai renvoyé mon jardinier. Cela me donne cent petites affaires. Adieu. Faites-moi, savoir Jeudi matin, vous voulez que j'aille vous voir. G.

Val Richer. Mardi 15 Nov. 1853 Voilà votre dernière lettre. A jeudi. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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89 Paris le 14 Novembre 1853

Certainement tout et au plus noir, & vous ne tenez pas vos promesses. La guerre. générale est inévitable. L’article du Moniteur a paru à tout le monde très provoquant. Il donne un démenti à l’Empe reur Nicolas et l’on s’attend généralement à ce que cela empêche [Kisseleff] d’aller à Fontainebleau. Je ne suis pas de cet avis du tout. Il faut qu'il aille. Il ne doit pas commencer la guerre.
On reste sans nouvelles. Je n'ai pas besoin de vous dire dans quelle agitation je vis. Je vous attends avec impatience, mais vous aurez de la peine à me remettre en équilibre. On est très à la paix à Londres à ce qu’on dit, mais qu’est-ce que cela signifie ?
L'Angleterre a épousé la France et fera sa volonté. Celle-ci a pris un élan belliqueux. Elle eût préférée peut-être la paix, mais la guerre aussi lui convient. Nous avons très bien fait vos affaires, celles de votre Empereur.
Adieu. Adieu, ma dernière lettre donc, à moins d'un gros événement.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 13 Nov. 1853

Je crois que nous ne comprendrons guère mieux la guerre que la négociation. Je ne parviens pas à démêler qui, des Russes ou des Turcs est resté vainqueur à Oltenita. Vienne dit les Turcs, Berlin dit les Russes. Je crois que ce sont les Turcs. C’est dommage que le Prince Gortschakoff, qui est venu, dit-on, complimenter ses troupes sur leur bravoure, n'en eût pas placé là un assez grand nombre pour que la bravoure fût sûre du succès.
Je suis obstinément pour la paix, comme Lord Aberdeen, et je persiste à croire que c’est à la paix qu’il faut travailler, et qu’on doit réussir à la rétablir. Mais si nous devons être jetés dans la guerre, et dans la grande guerre, je suis pour que les Turcs soient chassés d’Europe. Au moins faut-il que nous avons ce profit en perspective au bout de ce chaos.
Duchâtel m’écrit dans un grand accès d'indignation contre la façon dont " cette misérable affaire a été conduite ; il n’y a pas deux jugements à rendre." Il est du reste plus préoccupé du dedans que du dehors : " L’hiver, dit-il, sera difficile à passer ; il n’arrive que peu de grains étrangers ; le commerce prétend manquer de la sécurité nécessaire. Les denrées autres que le blé, ont manqué comme le blé et même quelques unes dans une plus forte proportion. Le vin est arrivé à un prix que l'ouvrier ne peut pas payer. Il y a un sujet grave d’inquiétude. Les dispositions du peuple, même dans nos campagnes ordinairement si tranquilles, prennent un caractère menaçant ; le socialisme chemine sous terre sans qu’on s'en aperçoive. Il ne suffit pas, pour le détruire, de la comprimer d’une main en l'encourageant de l'autre ; la force est nécessaire contre les idées mauvaises, mais à elle seule, elle est insuffisante ; il y faut le concours énergique des idées vraies, fortement soutenues. "
Il a raison. Il ne reviendra à Paris qu'à la fin de l’année.
Je ne trouve rien à redire à votre manifeste. Il ne dit que l'indispensable, y compris, la phrase sur la foi orthodoxe. Les catholiques ardents ne peuvent pas vous pardonner ce mot orthodoxe. C'est pour cette raison qu’ils aiment mieux les Turcs qui n’ont pas la prétention de l'orthodoxie. Il me semble que la circulaire de M. de Nesselrode en dit plus que le manifeste, et qu’elle laisse entrevoir la chance d’une guerre offensive de votre part, bien au delà du Danube. En général, les commentaires par circulaires ne vous ont pas réussi.

Onze heures
Je reçois à la fois plusieurs lettres. La situation me paraît grossir et gronder. Que c’est absurde ! Mais ce n'en est que plus grave. Adieu, adieu.
Voici la dernière lettre à laquelle vous répondrez. Je vous écrirai encore deux mots mardi. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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88. Paris samedi le 12 Novembre 1853

Notre manifeste déplait ici. La critique du Moniteur est cependant assez mesurée, et entre nous il dit vrai sur l’af faire. Cette pièce est adressée au peuple russe plutôt qu'à l'Europe. Sans avoir trop menti nous prenons l'Empire pour de bons amis. Je suis curieuse de voir ce qu'on en dira en Angleterre. Je suis bien aise qu'on fasse mention des révolutionnaires.
Hier on débitait ici des nouvelles très favorables à nos armes. Je ne sais ce qu'il y a de vrai ou de faux. Constantin m'écrit sans cesse de patienter. Nous voulons que les Turcs s’avancent en nombre suffisant pour les écraser en masse. C’est fort bien, mais faut-il pour cela se laisser battre en détail ? Hier on parlait beaucoup fusion ; la visite des princes d’Orléans avait eu lieu ou allait avoir lieu à Frohsdorf. Fould même m’en a parlé comme d’un “on dit”. C’est une petite diversion à l’Orient.
Les Anglais à Paris traitent notre manifeste de bare faced lie, et disent qu'il aura pour conséquence la chute de Lord Aberdeen.
On parle de Victoire remportée sur les Turcs, je ne croire que quand je serai mieux renseigné. Adieu. Adieu. 1 heure.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Vendredi 11 Nov. 1853

Les feuilles d'havas me donnent une dépêche télégraphique de Vienne, du 8, qui dit que les Russes ont attaqué les Turcs et que ceux-ci ont conservé leur position. Je suis décidé à ne rien croire que les nouvelles officielles, et celles-ci pas toujours.
Je vois que Lord Palmerston a eu une brillante réunion à Broadlands, presque tous les diplomates. Je suis assez curieux de savoir quelle sera la fin de cette carrière.
Le discours au Roi Léopold à l'ouverture de ses Chambres fait un grand contraste avec cette agitation et cette confusion de toute l’Europe. Je voudrais qu’il réussit aussi bien dans les conseils à Londres que dans son gouvernement à Bruxelles. Mais ce ne sont pas les bons conseils qui manquent à Londres. Vous voyez que je n'ai absolument rien à vous dire. Je vous écrirai pourtant encore dimanche et mardi. Jeudi, nous causerons.

Midi.
Triste lettre et triste début d’hier. Je ne vois guères maintenant d’autre chance de salut que celle sur laquelle vous comptez, la bêtise générale. Adieu, adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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87 Paris jeudi le 10 Novembre 1853

Les nouvelles hier étaient très mauvaises dans un engagement entre 12,000 turcs & 9000 russes ceux-ci auraient. par être battus. Le combat fini aurait duré toute la journée du 5. On a épuisé la poudre des deux côtés, on a été réduit à se battre à l’arme blanche et c'est là où le nombre l’a emporté. C’est aux aff. étrangères qu'on donnait ces détails et avec beaucoup de tristesse parce que cela ne laissait plus d'espoir pour les négociations. Le combat a eu lieu près de Silistrie. Je vois que le Moniteur n’en parle pas ce matin. Il faut attendre. Je me trompais le Moniteur en parle. J’ai encore une lettre de Meyendorff, sans grande importance. Il compte sur la neige & le manque d’argent. Les gens venus d’Afrique & d'Asie n'endureront pas la première & tout le monde criera contre l'autre. Dans 2 mois révolte au camps turc. Moi je ne compte plus sur rien que sur la bêtise des gouvernements, right and left. C’est la plus triste & la plus sotte affaire ! Dans ce moment arrive le Manifeste russe du 21 octobre 2 novembre par lequel nous acceptons la guerre, & recourons à la forme des armes " pour obtenir réparation des offenses par lesquelles la Turquie a répondu à nos demandes modérées, & à notre sollicitude légitime pour la défense de la foie orthodoxe en Orient. "
Je copie des journaux étrangers, je suppose le manifeste vrai. C’est bien engagé. On me dit que le langage à St Cloud est devenu très belliqueux. Les journaux le sont. Voilà un triste hiver qui commence. Le froid est venu aussi. Adieu. Adieu.
J’ai vu hier soir Noailles & Berryer. Oiseaux de passage Dumon est fixe, & je le vois tous les jours.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 9 Nov. 1853

Je viens de parcourir, cet immense acte d'accusation contre le complot, de l'opéra comique. Ce sont les mêmes idées, les mêmes desseins, les mêmes paroles que de mon temps. Les noms propres ne signifient plus rien, ni pour le gouvernement, ni pour les conspirateurs. C'est une perversité et une démence permanente, abstraite, qui passe de génération en génération, sans qu’il vaille, la peine de savoir qu’ils en sont les instruments momentanés ; ils ne se distinguent pas les uns des autres, et ils s'attaquent indifféremment à Charles et à Louis-Philippe, à Napoléon III, à Frédéric Guillaume à Ferdinand. Le premier qui trainera réellement ce démon rendra un immense service à l'humanité.
Les journaux ne m’apprennent absolument rien. Sans doute on ne s’est pas encore battu. On ne cache pas longtemps une bataille. Je suis décidé à croire que vous rejetterez les Turcs dans le Danube, et que l'affaire finira par là. J’ai bien des choses à vous dire, mais nous sommes trop près de nous revoir. Nous causerons la semaine prochaine. Je pars décidément. Mercredi soir 16.
J’ai des nouvelles de Broglie, de Piscatory et de Barante qui m’en disent encore moins que les journaux. Barante est frappé de l'apathie universelle, sauf une seule espèce d'homme, la démagogie révolutionnaire : " C'est la seule opinion qui conserve quelque vivacité. De jour en jour, elle manifeste plus de démence et de rage. Elle espère et menace. Les chefs qu’on a ménagés, les envolés des sociétés secrètes qu’on a rappelés du bannissement sont les plus animés. Leur action sur les classes marchandes et sur les gens de la campagne est tout-à-fait nulle ; mais la cherté du pain et surtout du vin, leur donne assez de prise sur les ouvriers de nos villes. " Piscatory ne pense qu’à l'hiver prochain et à la disette.

Onze heures
Adieu, Adieu, à nos prochaines conversations.
Orosmane dit à Zaïre : Mais la mollesse est douce et sa suite est cruelle ; je mets la faiblesse à la place de la mollesse et un politique à la place d'Oromance ; si on n’avait pas été, en commençant, faible avec Lord Stratford, faible avec les Turcs & &, on ne serait pas si embarrassé.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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86 Paris Mardi le 8 Novembre 1853

Reeve est arrivé à Londres. Très sensé et ayant très bien vu toutes choses. Les Turcs se croyant sûrs qu'on les secourra énergiquement à la dernière heure, ne veulent plus entendre parler d'accommodement et croit que qu'au bout Radcliffe n’est plus écouté. Il n’a pas pu venir avec de la cour. Il se brouillera d'emblée avec Baraguey d'Hilliers. Mon correspondant de Londres a beaucoup de soupçons & on ne comprend rien à la mission de votre nouvel ambassadeur, et au cortège menaçant qui l’accompagne. On ne devine pas l'Empereur, le vôtre. On se tient sur ses gardes tout en vivant bien avec lui.
Voici votre lettre. Je crois à tout ce qu'on vous dit sur Lord Palmerston. Pacha est prié pour le 22. Je ne sais pas ce que veulent dire les répugnances de mon Empereur. Il est très pacifique mais il ne cédera rien sur le fond de ses prétentions. J’ai passé hier ma soirée en tête à tête avec Fould. Je n’avais absolument personne. Il a l’air fart tranquile, tout ce monde, le maître inclus, est content de sa situation et n’espère qu’à la faire durer.
Il n’y a pas de nouvelle du théâtre de la guerre. Si elle traîne comme les négociations il y a de quoi s’endormir. Hübner va à Fontainebleau le 14, jusqu'au 18. Kisseleff le 18 jusqu'au 22. [?] Pacha est prié pour le 22. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 7 Nov. 1853

Voici des nouvelles d’Angleterre. On vous les a peut-être données aussi. En tout cas, je vous les donne. Palmerston ne croit pas à l’arrangement de l'affaire Turque. Il dit qu’on ne se découragera pas, qu’on négociera jusqu'à la dernière extrémité ; mais les choses, selon lui, sont si mal emmanchées et votre Empereur a de telles répugnances (qu’est-ce que cela veut dire ?) qu’on n’arrivera probablement pas à la conclusion qu’on demande. Il se prépare pour cette chance ; il trouve sa position bonne ; il a toujours été fidèle à sa politique de liberté Européenne et d'émancipation des peuples ; le cabinet de Paris ne peut douter de sa loyauté. Bref, il est content, et il attend. J’espère qu’il se trompe. S'il ne se trompe pas, vous aurez la France et l'Angleterre unies pour la guerre libérale, au lieu de les avoir une comme de mon temps, pour la paix constitutionnelle. J’ai beau y penser ; je n'y crois pas. Pouvez-vous vérifier si ce qu’on me dit de Palmerston est vrai ?
En tout cas, les coups de canon qui le tirent en ce moment en Valachie amèneront, ou la paix prompte, ou une guerre de trente ans. On m'écrit que le marquis de Viluma quitte Paris pour aller être président du Sénat à Madrid. Si Narvaez ne devient pas bientôt président du Conseil il reviendra comme ambassadeur à Paris. La nomination du frère de M. de Viluma, du général Pezuela comme gouverneur de Cuba n'indique pas que l’Espagne soit près de s'entendre, à ce sujet, avec les Etats-Unis. C'est un militaire espagnol, très brave, très fier et très vif.
Encore une lettre d’Angleterre, de mon ami Hallam. En voici deux phrases, très sensés : - The worst that could now happen would be a decisive advantage in the fields obtained by the Turks. - There is an apparent spirit in this country very much opposed to the temporizing policy of our friend Lord Aberdeen ; but I do not believe, it lies deep, through the press is almost universally in that tone. A good deal of this swing to the refugee and revolutionary party throughout Europe, and I am most anxious for a pacific settlement, in order to defeat their objects.

Midi
Je ne suis plus curieux que des nouvelles de la bataille. Si vous ne passez pas le Danube, je suis tranquille. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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85. Paris dimanche le 6 Novembre 1853

Je n'ai rien à vous raconter de nouveau. On parle d'une bataille gagnée ou perdue par nous. Si le gouvernement sait quelque chose, il le tient bien caché.
Meyendorff me mande que Lord Radcliffe est débordé. Aujourd’hui qu'il est sincère dans ses efforts pour le paix, il est impuissant. Nous ne passerons le Danube en aucune cas, sauf si vous envoyez des troupes. Alors nous soulèverions les populations grecques partout. Villeme est venu me faire une longue visite. Il me plaît beaucoup, malheureusement il part, il est nommée Président de Sénat. Il me fait un éloge très grand de la cour de Séville, vraie cour, brillante, digne, comme on n'en a jamais eu en Espagne. Énormes contraintes avec celle de Madrid. Grande popularité pour l'infante et son mari. La Reine n’est pas jalouse mais elle est en respect devant sa soeur quand elles sont ensemble ; la Reine Christine retourne à Madrid sous peu de jours. Narvaez doit y être, Villeneuve pense qu’il reprendra le gouvernement de l’état, pourvu qu’il n'aspire pas à celui du palais. Cela, la reine n'en veut pas. Grand dépouillement à cette cour de Madrid, moralement et matériellement.
Kisseleff & Hübner sont pris à Fontainebleau. Tous les diplomates qui n'ont pas été à Compiègne le sont également. La cour y va le 12. Il me semble que je n’ai plus rien à vous dire sa good bye & Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, samedi 5 nov. 1853

Il semble que nous devons apprendre bientôt que vous avez battu les Turcs. Si vous suivez mon plan de campagne, votre victoire amènera promptement la paix. Vous y aurez honneur et profit. Les journaux ont tous l’air de savoir vos dernières nouvelles et de croire plus que jamais à la paix. J’attends avec quelque impatience ce qui nous viendra de Valachie. On me dit que le motif du rappel de M. Delacour, c’est qu’il a été trop souvent de l’avis de M. de Bruck, trop favorable à la politique autrichienne.
Depuis que ce pauvre Valdegamas est mort, vous ne pensez certainement plus jamais aux affaires d’Espagne. J’ai quelque curiosité de savoir s’il est vrai que le nouveau ministre américain à Madrid, M. Soulé, qui a été si doux dans son discours à la reine, ait pourtant demandé à acheter Cuba, et ce que pense de cette demande le Maréchal Narvaez. Le voilà rentré à Madrid nous entendrons bientôt parler de lui. Est-il venu vous voir avant son départ ?
On dit que la Reine Christine a été très surprise que la Reine Marie Amélie n'ait pas voulu la recevoir, et qu’elle n’a pas pu comprendre pourquoi. Il y a un certain degré d’égoïsme qui en effet ne peut pas comprendre qu’on ne l'accepte pas toujours tel qu’il est et qu’on lui demande jamais autre chose que ce qui lui convient.
J’ai des nouvelles de la Reine Marie- Amélie ; elle avait passé, les Alpes et assez bien supporté ce voyage. Elle doit être arrivée à Gênes. Si elle ne retombe. pas malade, sa passion d’aller à Séville lui fera braver trois jours de mer. C’est une indisposition du comte de Paris qui a empêché Madame la Duchesse d'Orléans de se rendre à Genève, auprès de la Reine.

Onze heures
Votre lettre ne vaut pas la dernière. Il n’y a plus qu'à attendre les événements. Les hommes ont bien mal jouer leur rôle. Adieu, adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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84 Paris le 4 Novembre 1853

Vous voyez que voilà la guerre. C’est fini des notes dont je vous parlais, on va changer autre chose. N’est-ce pas ridicule toute la conduite de cette affaire ? L’action d'Omer Pacha est réputée très téméraire qui sait. On a tant dit. Il ne peut pas passer. Le voilà passé. Il occupe une portion de la Valachie où nous ne sommes pas entrés. Mauvais pays, malsain mais il peut se renforcer & avancer, & nous battre peut-être. Cela serait une bien mauvaise chance, il n’y aurait plus de terme. J'ai été avant hier à St Cloud faire visite à la [Grande Duchesse] Stéphanie qui m’en avait prié. Je l’ai trouvé changée. Une heure de conversation. Elle est très sensée, & bonne personne. En énorme terreur de la guerre. Toute charmée de l’Impératrice.
Mad. Kalerdgi, part vous Pétersbourg, je la regrette pour mon salon, quand salon, il y aura, car je suis encore à un pauvre régime. Les Mahon sont ici pour quelques jours. La cour va à Fontainebleau le 12. Kisseleff & Hübner y seront priés. Quel beau temps encore ! Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 3 Nov. 1853

Les Turcs ont donc passé le Danube, et vous n’y avez pas fait obstacle, probablement dans l’intention de les battre et de les rejeter ensuite au delà du fleuve, en leur disant : " Repassez si vous voulez. " Je me figure qu’il y a là, pour vous toute une politique, et une bonne politique ; si vous restez fermement dans les principautés, en en chassant toujours les Turcs, mais sans en sortir jamais vous-mêmes, vous ferez un grand pas dans votre destinée, en forçant l’Europe de reconnaître que vous ne voulez point aujourd’hui renverser l'Empire Ottoman ; vous remporterez des victoires en vous épargnant les plus grandes difficultés de la guerre, et vous resterez de plus en plus en mesure de négocier, une bonne paix. Je fais profession de ne rien entendre du tout à la guerre comme guerre ; mais la guerre comme moyen de la politique, je la comprends, et dans cette occasion-ci, je ne serais pas embarrassé pour m'en bien servir.

Onze heures et demie
Vos nouvelles valent mieux que mes plans de politique. Comme vous dites, il faut encore tout que ce soit fini ; mais quand ce sera fini, je ne serai guère plus sûr de la paix que je ne l’ai toujours été. Adieu, adieu. On sonne le déjeuner, et ma toilette n’est pas encore achevée. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer 3 Novembre 1853

Je suis décidé à croire que votre Empereur ne veut pas la guerre, et par conséquent à croire qu’il saisira la première occasion de sortir d’un mauvais pas qui mène à la guerre à la guerre révolutionnaire générale, au chaos Européen.
Si malgré cette perspective, vous aviez votre parti pris de pousser la botte à fond et de jeter bas l'Empire Ottoman pour mettre la main sur les gros morceaux, je comprendrais l'obstination et je n'aurais rien à dire, sinon que le moment est mal choisi pour un si grand coup. Mais je suis convaincu que vous ne voulez pas porter ce coup et alors je ne comprendrais pas que vous ne missiez pas fin, le plutôt possible, à la situation actuelle. Vous n’avez qu'à y perdre. Vous y avez déjà pas mal perdu ; vous y avez perdu votre grand caractère de pacificateur général, de conservateur suprême de l'ordre Européen ; vous avez reveillé les méfiances des autres puissances ; vous vous êtes séparés de l'Angleterre ; vous l’avez unie à la France ; vous avez placé votre plus sûr allié, l'Autriche, dans la situation la plus périlleuse. Vous avez fait autre chose encore ; vous avez fourni à la Turquie une nouvelle occasion de s'établir dans le droit public Européen.
Taxez moi de rancune si vous voulez ; mais ce fût là, en 1840, votre faute capitale, pour isoler, pour affaiblir le gouvernement du Roi Louis Philippe, vous avez alors mis de côté votre politique traditionnelle qui était de traiter les affaires de Turquie pour votre propre compte, à vous seuls sans concert avec personne, vous avez vous-mêmes porté ces affaires à Londres par le traité du 15 Juillet 1840 vous en avez fait de vos propres mains, l'affaire commune de l’Europe. Vous avez été obligés l’année suivante, de faire encore un pas dans cette voie, et la convention des détroits du 13 Juillet 1841, et, de votre aveu, confirmée, pour la Turquie, l’intervention et le concert de l'Europe. Ce n’est pas là, je pense, ce qui vous convient toujours et au fond, et vous deviez être pressés de rentrer avec la Turquie dans vos habitudes de tête à tête. L'affaire des Lieux Saints vous en fournissait, il y a quelques mois une bonne occasion ; après y avoir essuyé, par surprise, à ce qu’il paraît un petit échec, vous y aviez repris vos avantages ; vous l'aviez réglée comme il vous convenait, sans vous brouiller avec la France, et de façon à être fort approuver de l'Angleterre. Pourquoi n'en êtes vous pas restés là ? Tout ce que vous avez fait depuis vous a mal réussi, vous avez eu l’air de vouloir plus que vous ne disiez ; vous n'avez pas fait ce que vous vouliez ; vous vous êtes bientôt trouvés engagés plus avant que vous ne vouliez ; vous avez rallié l'Europe contre vous et jeté la Turquie dans les bras de l’Europe. Pourquoi ? Encore un coup, je ne le comprends pas. Je ne le comprendrais que si je vous croyais décidés à jouer, en ce moment, la grande et dernière partie de cette question, et à mettre, à tout risque, la main sur Constantinople. Et comme je ne crois pas cela, je persiste à penser qu’une seule chose vous importe ; c’est de mettre fin promptement à une situation qui a le triple effet de vous isoler en Europe, d’unir l'Europe contre vous et de placer de plus en plus la Turquie sous la sauvegarde du concert Européen. Vous pouvez sortir de ce mauvais pas, sinon sans quelque déplaisir momentané, du moins sans aucun inconvénient sérieux pour votre politique nationale, et son avenir ; la géographie et le cours naturel des choses vous donnent, dans la question Turque, des forces et des avantages que rien ne peut vous enlever. Pourquoi susciter contre soi un orage quand il suffit de laisser couler l'eau ? Adieu.
J'en dirais bien plus si nous causions. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 1er Nov. 1853

Tout est possible ; ma confiance n’est pas grande ; je reconnais avec vous que la raison est en déroute. Pourtant je ne crois pas à la guerre, à la vraie guerre. Je ne trouve pas que de la part de l'Angleterre du moins, rien en ait l’air. Vous oubliez un peu le prix qu’on met à vous inquiéter, pour que vos inquiétudes aillent à Pétersbourg et pèsent sur les impressions, et par là, sur les résolutions de votre Empereur. Je ne voudrais nuire en rien à cette petite manoeuvre, car moi aussi j’ai grande envie que votre Empereur se prête à ce qu’on lui demande. Il le peut sans perdre autre chose que le puéril plaisir de la taquinerie ou de la bravade ; la facilité qu’il montrera aujourd’hui ne changera rien à l'avenir de la Turquie ni aux destinés de la Russie. La question du fond est depuis longtemps décidée, et n'attend que son jour. Et comme votre Empereur n'est pas pressé, il peut attendre aussi, et en attendant maintenir la paix de l'Europe dans laquelle des questions bien plus grandes que la Turquie sont engagées. Si, pour le porter à cela vos inquiétudes sont bonnes à quelque chose, gardez-les. Mais quand je vous en vois réellement tourmentée, je laisse là ma diplomatie, et je les combats comme si elles ne servaient à rien.
Si j’en crois le Moniteur, vous n'êtes pas oisifs en Chine, et vous voir préparez à profiter là de la chute des Tartares. Encore un point sur lequel vous vous trouverez en présence des Anglais et des Américains. Dans un siècle d’ici, il ne restera plus sur ce globe un pays dont la race Européenne ne soit maîtresse. C'est juste.
J’ai bien fait de n'avoir pas à vous écrire hier ; vous m'auriez trouvé une bien mauvaise écriture ; j’avais les épaules tout-à-fait prises de rhumatismes. Les frictions ont fait leur effet. J’ai très bien dormi cette nuit, et je suis dégagé.
Avez-vous lu les Mémoires du comte Mollien et les extraits du Moniteur ne vous en donnent-ils pas quelque envie ? Vous passeriez les dissertations de finances ; il y aurait encore, dans les conversations avec l'Empereur, et les embarras intérieurs de son gouvernement, de quoi vous intéresser. Si vous vouliez les volumes, il sont dans ma bibliothèque à Paris ; mon fils, qui y retourne samedi, vous les ferait remettre.

Onze heures
Le facteur m’arrive au milieu de la toilette. Je suis bien aise que les diplomates ne fassent des notes, et très fâché que vous passiez des nuits blanches. Vraiment, si la guerre devait sortir de tout ceci il y a longtemps qu'elle aurait commencé, tant on a mal conduit les affaires de la paix. Adieu, adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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83 Paris le 1er novembre 1853

Les nouvelles sont meilleures. [Greville] m'écrit de Londres qu'on venait d'y recevoir une très bonne communication de Nesselrode à Bual, très pacifique & facilitant. En même temps Radcliffe s'agite et de très bonne foi pour arriver à une bonne conclusion. Il venait d’accoucher d'une nouvelle note acceptable. Sur cela doit être arrivé un autre projet de Londres fort semblable à celui du Radcliffe, et on ne doute presque pas à Londres d’un bon résultat. C'est à la demande de Radcliffe que le sursis a été ordonné. Cependant qui sait ce qui se sera passé sur le Danube ? Je ne suis pas tranquille encore, mais beaucoup moins inquiète. Baraguey d'Hilliers n'était pas encore parti hier. Il amène beaucoup d’officiers. Ce serait de la comédie si les affaires sont aussi avancées qu'on le dit. Je ne doute pas que Léopold n'ait beaucoup travaillé à Londres, et là est le point essentiel puisqu'ici on ne fait qu'obéir. Je vois assez les Cowley. Les autres n’aiment pas à venir le soir, ils craignent les questionneurs, je les vois le matin. Adieu. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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82. Paris le 31 octobre 1853

J'espère que votre rhumatisme sera passé quand vous recevrez ceci. Cowley que j’ai vu hier on dit qu’on a élaboré une nouvelle note à Constantinople et que c’est en conséquence de cela que les ambas sadeurs ont obtenu un sursis aux hostilités. Ce n'est donc que demain qu'on commence si l’aventure devant [?] n’est pas regardée comme la guerre. Ce n’est pas nous qui avons tiré les premiers. Nous avions le droit de naviguer sur ce point, il est au-dessous de l'embouchure du Pruth. Il me paraît que les flottes ne feront rien à moins que nous ne franchissions le Danube. Si nous le passons ce sera cas de guerre pour l'Angleterre et pour Cowley est la France, convaincu que jamais nous ne sortirons des principautés. Baraguey d’Hilliers part ce matin avec un personnel considérable. On s'agite beaucoup ici, mais on fait un peu comme vous on ne croit pas encore à la guerre. Quand je pense que depuis 6 mois, chaque pas fait pour la détourner y a mené tout droit je ne puis pas concevoir qu'on se livre à l'espérance du contraire.
En attendant je ne dors pas. Sur huit nuits blanches j'en ai une passable. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 30 oct. 1853

Voilà donc des coups de canon. Je ne connais pas assez les localités pour savoir ce qu’ils valent comme opération militaire ; il paraît que vous avez pris l’initiative. Je serais étonné si vous ne laissiez pas aux Turcs l’embarras de passer le Danube, et de venir vous attaquer dans les Principautés. Militairement cela semble sensé, et politiquement, c’est beaucoup mieux pour vous. Les Turcs ne peuvent soutenir longtemps la guerre offensive. L’article du Moniteur est calmant et pacifique. Mais je ne m'explique pas la nomination du général Baraguey d’Hilliers, sinon par l'Empire des services personnels, abstraction faite de toute politique. Du reste la Bourse et Galignani disent que le Moniteur n’a pas fait sur tout le monde la même impression que sur vous et moi.
Je suis frappé de la froideur et de l’ennui des journaux Anglais sur cette affaire. C'est ce qui arrive des questions factices. Quand le bavardage a jeté son feu, et qu’il faut en venir à l'action sérieuse, il n’y a plus rien, et en voudrait bien n’y plus penser.
J’ai quelque peine à écrire ce matin. Je suis pris, dans l’épaule, d’une douleur rhumatismale assez vive quand je fais un mouvement. Je connais cela. J'en ai été atteint un jour où j’avais à parler à la Chambre des Paires, et j’ai parlé quand même, l’épaule et le cou de travers. Je n'ai plus besoin de si maltraiter mon mal. Cela passera avec quelques frictions et deux ou trois jours.

Onze heures
Voilà une lettre qui me déplait beaucoup. Mais vos impressions sont bien en contradiction avec cette suspension momentanée des hostilités dont les journaux m’apportent le bruit. Je ne crois pas à l'attaque dans la mer Noire. Que tout cela est fou et triste ! Adieu, adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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81. Paris Samedi le 29 octobre 1853

Lord Cowley est venu causer longtemps avec moi. Il me reste de cette conversation l'impression positive que les Anglais nous attaqueront sur la mer noire. Il ne me l’a pas dit, mais c’était trop devinable, et au besoin j'en ai eu la confirmation par Morny, qui a l'air de le craindre aussi. La nomination de Baraguey d'Hilliers a un air très belliqueux aussi, et a fait cet effet généralement. Hier on a parlé de 20 m. hommes qui allaient être embarqués. Je ne sais pas ceci de source Vous voyez que je suis peut être à la veille de quitter Paris. Kisseleff y est tout préparé. Vos pressentiments sont en défaut. C’est la déroute de la raison. J'ai beaucoup écrit hier car j'avais beaucoup à dire. J’ai vu Fould aussi, tous les revenants de Compiègne se sont empressés de venir me voir.
Je passe de mauvaises nuits mon avenir n'est pas drôle. On me dit que Drouyn de Lhuys a ignoré la nomination de Baraguey d'Hilliers. Les courtisans même disent de lui que c’est un querelleur, un brise raison. Voilà le bon côté, il tuera peut-être Radcliffe. On dit que ce sont des réminiscences de l’Empire qui ont dicté le choix, Sébastiani défendant Constantinople. J’aurais beaucoup à vous dire, mais c’est difficile à écrire. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Château de Broglie, Vendredi 28 oct. 1853

Le service des postes est si mal arrangé ici qu’on n’y a que le Moniteur de l'avant-veille. Je n'ai donc pas là ce matin l'article dont vous me parlez. Vous savez que je fais peu de cas des oscillations de cette question. Pourtant je ne puis méconnaitre que la nomination du général Baraguey d’Hilliers a un air belliqueux. On l'envoie là, pour lui faire gagner son bâton de maréchal. Il est plus propre à se battre qu'à négocier. Mais je ne comprends pas comment, il se battrait là. Enfin nous verrons. La décision viendra de Londres, et je persiste à croire que Londres veut la paix. Je doute, comme vous, que le Parlement se réunisse effectivement à la fin de Novembre.
On a ce matin des nouvelles de la Reine Marie-Amélie du 26. Elle est en pleine convalescence, plus de fièvre, et voulant poursuivre son voyage à Séville où tout le clergé fait des neuvaines et des prières publiques pour qu’elle guérisse et qu’elle arrive. Elle partira peut-être de Genève demain samedi pour passer les montagnes par ce reste de beaux jours. Une frégate à vapeur l’attend à Villefranche. La traversée est de trois jours. C'est beaucoup pour elle. Le Duc de Nemours retourne à Vienne où il a laissé sa femme et ses enfants.
Je viens de trouver l'article du Moniteur d’hier dans le petit journal du Département de l'Eure. J'en ai la même impression que vous. C'est convenable, et au fond pacifique. D'après les détails topographiques, que donne le journal des Débats, il ne paraît pas que le passage du Danube, soit en ce moment très difficile puisque les eaux sont très basses Je retourne demain au Val Richer. Ecrivez-moi là, maintenant jusqu'à ce que vous ne m'écriviez plus.
J’ai bien envie de vous trouver un peu bonne mine. Nous avons eu ici hier, et avant hier, dans la soirée, un violent orage, mais très beau temps tout le jour. Adieu, adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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80. Paris le 27 octobre 1853

Rien, sinon le Moniteur. Il me paraît convenable, propre à fixer & calmer l’opinion. C'est là ce que j’en pense après l’avoir parcouru. Je ne saurai que plus tard ce qu’en pensent les autres.
Je ne trouve pas l'air gai à [Kisseleff]. Je ne l’ai pas vu hier. Hübner est chez moi sans cesse, plutôt rassuré. Dumon est revenu. Le duc de Noailles reviendra sous peu de jours. Il n'y a vraiment rien de nouveau. Et nous resterons comme cela pendant quelques jours encore, jusqu'aux coups de canon qu’on tirera sûrement quelque part.
En Angleterre on veut la paix, cela ne dit pas tous les anglais venant de là. Leurs journaux ont bien ce ton aussi. Ellice le gros écrit que le Parlement se réunira. Certainement à la fin de 9bre j’en doute encore, et j’espère que non.
Le temps est superbe. C’est trop beau pour quelle dure longtemps. Adieu. Adieu. Baraguey d'Hilliers va remplacer de Lacour dont on est mécontent.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Au château de Broglie, Mercredi 26 oct. 1853

Certainement si la Grèce prenait parti contre les Turcs et soulevait partout les Grecs, la complication serait grosse et l’Europe Chrétienne bien embarrassée. Mais cela n’arrivera que si vous le voulez, et vous ne le voudrez pas. Il y avait un homme qui est mort, et qui s’il vivait n'y manquerait pas ; c'était Colettis. Il aurait cru trahir, la Grèce et les Grecs s’il avait laissé échapper une telle chance que l'Europe le voulût ou non. Mais ces hommes-là sont rares, et je ne pense qu’il y ait en Grèce un autre Colettis.
Le Duc de Broglie reçoit à l’instant une lettre du Dr Chomel qui est arrivé de Genève le 22. Il avait quitté la Reine le 24, la laissant mieux, mais pas encore tout-à-fait en convalescence. Encore de la fièvre. Il craint l’âge, la saison, la fatigue. Cependant il est plutôt rassurant qu'inquiétant.
On a eu grand tort à Londres de n'être pas parfaitement poli envers votre grande Duchesse. D’autant plus poli qu’on semblait plus près de se battre. La guerre n’est pas une brouillerie entre les personnes. Je trouve misérables ces impolitesses préméditées, par raison d'Etat. Il n’y a à cela ni dignité, ni habilité. C’est une humeur subalterne ou une maladroite, imprévoyance. Reine d’Angleterre, j’aurais rendu extérieurement à votre grande Duchesse tout ce qui lui appartient, sans me préoccuper de la paix ou de la guerre. Empereur des Français j'aurais invité Kisseleff et Hübner à Compiègne comme les autres, sauf à ne pas leur dire là un mot de politique. C’eût été de meilleur goût dans le présent, et de meilleure politique pour l'avenir.
Je suis revenu hier ici, par un temps magnifique qui dure. Il y a chasse aujourd’hui dans la forêt. On court un chevreuil. Mon fils, est parti ce matin avec Albert et Paul de Broglie. Il y aura certainement moins de confusion qu'à Compiègne, et j’espère pas d'accident. J'écrirai à M. Monod pour qu’il n’attende rien. Je crois qu’on a raison. Ce serait bien solitaire. Ecrivez-moi encore et demain Jeudi, je vous prie. Je n'en partirai que samedi matin de bonne heure. Le Duc de Broglie partira aussi samedi pour Paris où Mad. de Staël arrive. Il va conduire son fils Paul à l'Ecole polytechnique où ce jeune homme entre brillamment. Il est spirituel, original, sauvage, et doué, à ce qu’il paraît de dispositions rares pour les Mathématiques.
Adieu, adieu. Où donc est allé Dumon ? Je ne pense pas qu’il doive être absent longtemps. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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79 Paris le 25 octobre 1853

C’est aujourd’hui que commence les hostilités, si elles commencent. On dit que ce n’est que le 22 que les flottes seront à Constantinople. Il y a du louche sur cette question des flottes. Il est très vraisemblable que la guerre s'engage en Asie ; elle peut devenir incommode pour nous si les peuplades environnantes s’en mêlent ; d’ailleurs il y a toujours l'ennui permanent et Schamil.
Je vous ai dit, je crois, que la Grèce se serait prononcée contre les Turcs, je ne sais sous quelle forme, mais ce bruit venant de Lord Cowley je le crois fondé. Ce serait le soulèvement de toutes les populations grecques, et une grande complication de plus. Du reste le langage ici est très à la paix, à Londres aussi. La chasse de vendredi à Compiègne a été vraiment périlleuse. L'[Empereur]. & l'[Impératrice] y ont encore quelque danger. Fould a été blessé, Madame Thayer a eu la jambe cassée. La confusion a été grande. Je vois quelques fois Heeckeren qui nous amuse beaucoup. Il n’y a pas d’autre Français. Il faut renoncer à Monod. On croyait à des camarades évidemment il n’y en a pas. Merci mille fois et pardon de toute la peine que vous avez prise.
Hélène Kotchoubey n’est pas encore revenue de Gand. La voilà n’apportant mille tendresses & pas un bout de nouvelle. La [Grance] [Duchesse] est partie sans prendre congé de la reine, elle a bien fait on n’avait pas été assez poli pour elle. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Lundi 24 octobre 1853

Quand Xérès fit dire à Léonidas " rends-moi tes armes " c’est, je pense, qu’il était un peu embarrassé de passer les Thermopyles ; et Léonidas fit acte de bon sens comme d’héroïsme en lui répondant " Viens les prendre."Il me paraît qu’Omer Pacha, est dans le même embarras que Paris, et qu’il somme le Prince Gortschakoff de passer le Danube et de venir l'attaquer, le menaçant de le passer lui-même et d'aller l’attaquer, en cas de refus. Je ne sais si c’est sérieusement qu’on écrit cela de Bucarest ; il n’y a pas eu beaucoup de situations plus ridicules que celle de ces deux armées qui vont passer l'hiver à se montrer le poing d’un bord du Danube à l'autre. Entendez-vous parler de l’Asie et la guerre peut-elle vraiment commencer là, à défaut de l'Europe ?
Je n'ai pas eu hier de nouvelles de la Reine Marie Amélie. Quand même elle continuerait d'aller mieux, elle serait hors d'état de faire son voyage d’Espagne. Les Princes ont écrit à leur frère Montpensier de venir sur le champ à Genève. On préparait, à Lisbonne, une très belle et très affectueuse réception pour la Reine. La Reine de Portugal mettait du prix à la traiter avec éclat. Le Duc de Nemours est accouru en hâte, laissant sa femme à Vienne où il retournera probablement. Je dis comme vous, je n'ai rien à dire. Je vous quitte pour aller profiter, dans mon jardin d’un temps admirable. Nous avons eu hier le plus beau jour de l’année, chaud et clair. comme dans un bel été. Aujourd’hui sera aussi beau.
Un journal dit que sir Edmund Lyons reprend du service comme marin, et va rejoindre comme contre amiral, la flotte de l’amiral Dundas. Lord Palmerston ne peut pas renvoyer en Orient un agent plus dévoué, plus remuant, plus impérieux, et plus anti-russe.

Midi
Je ne m'étonne pas de toutes ces mollesses. Il n’y a vraiment pas un motif sérieux de guerre, à moins qu’on ne s'échauffe par taquinerie, et ce n'est pas la peine. Adieu. Adieu. Ma fille vous remercie de vos bons souhaits. Elle part ce soir, en assez bonne disposition. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris dimanche le 23 octobre 1853

J’ai des nouvelles de [Greville] enfin rien de remarquable. On travaille à une nouvelle note, et on attendait avec curiosité ce qu’aura dit l’[Empereur] de la déclaration de guerre des Turcs. (cela n’est pas inquiétant !) Les meeting en Angleterre sont a complete failure. Pas un homme considérable n’a voulu y prendre part.
La neutralité de l’Autriche et de la Prusse est due à la fermeté de M. de Manteuffel. Voilà toute la lettre, accompagnée d’assez de dégoût de toute cette affaire. Le Cabinet devait se réunir la semaine prochaine. On me mande de Berlin que nous resterons sur la défense tout l'hiver, et que nous accueillerons toute proposition venant de Constantinople ayant pour but de finir à l'amiable. Cela n’est pas fier! Quelle sotte affaire !
Je vous ferai réponse après demain sur M. Monod. Je ne sais point de nouvelle de Compiègne. Marie [Meiringen] y est. On passera quelques jours de la semaine à St Cloud, et puis Fontainebleau. Les Hatzfeld sont revenus contents & pas bavards. Hübner est toujours aigre. Dumon est réparti. Viel Castel aussi de sorte que je suis assez abandonnée. Adieu. Adieu.
Offrez je vous prie mille voeux de ma part à votre fille. J’espère que ce voyage réussira. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Au château de Broglie, Samedi 22 oct. 1853

Voici la réponse de M. Monod. On fera maintenant ce qu'on préférera. Dites le moi seulement dès que vous le saurez pour que j'en informe, M. Monod.
Je reçois à l’instant des nouvelles de la Reine du 19 à 10 heures du matin, un peu meilleures. On me dit que les mauvais symptômes ont cessé et qu'on est rassuré. J’ai pour que ce ne soit là que les oscillations d’une maladie bien grave. Elle avait été mieux le lundi 17 ; elle est retombée le mardi 18 ; un des poumons s’engorgeait ; il paraît qu’elle était mieux le Mercredi 19. On a fait venir de Paris, une soeur de la Charité qu'elle aime particulièrement.
C'est dommage que G. ne vous écrive plus. Je lui croyais l’âme trop exercée aux pertes ou aux gains de Newmarket pour que ses correspondances en fussent dérangées. Si l'Europe ressemble à la France, M. de Persigny aura raison.
Avez-vous lu l’article des Débats d’hier sur la race Slave, et le théâtre en Russie, et savez-vous qui est M. Pierre Douhaina l’article m’a intéressé, quoique bien long. Les Russes et les Turcs vont remplir les journaux. Je trouve le dernier langage du Times très sensé. On fera évidemment partout tout ce qu’on pourra pour rétablir la paix, et probablement on y réussira. Mais, on a en même temps partout le sentiment qu’il y a beaucoup d'inconnu, dans cette situation, et on se prépare à n'être pas surpris, ni pris au dépourvu par l'inconnu.
Voilà, toutes mes nouvelles. Je pars dans deux heures pour aller passer deux jours au Val Richer. J’ai eu ici un temps affreux. Il fait un peu moins laid aujourd’hui. Adieu. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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77 Paris le 21 octobre 1833

Il n'y a rien de nouveau décidément Charles 3 ne m'écrit plus. C’est bien dommage, et comme je ne vois pas Cowley, il est pour tout le temps à Compiègne, il en résulte que je ne sais pas un mot de Londres. C’est cependant le point intéressant puisqu'il mène Paris.
Persigny dit : " Nous ferons le coup d’Etat Européen aussi facilement que celui de Paris. " J’ai vu hier Ste Aulaire, Noailles & Montebello. Ils ne m'ont rien appris. Si non qu'on a fait une descente chez Mad. [Banchy] et qu’en saisissant ses papiers on lui a fait compliment sur sa belle écriture. On disait ici que la reine Amélie était hors d’affaire. Votre lettre contredit cela. Hélène Kotchoubey est partie ce matin pour Gand où l’attend la grande Duchesse. Je saurais des nouvelles à son retour Lundi. Adieu. Adieu car Je n’ai vraiment plus rien.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Au château de Broglie, Jeudi 20 oct. 1853

Je viens d’en lire bien long, la lettre de M. Xavier Raymond, et le manifeste de Raschid Pacha. C'est bien du bruit. Jamais les hommes ne font plus de bruit que lorsqu’ils n'ont pas envie de faire autre chose. Quand on regarde au fond et de ce manifeste et de toutes les pièces de cette affaire depuis l'origine, on trouve le bruit bien ridicule, car au fond, il n’y a rien. Vous demandez qu’on vous redonne ce que vous avez. On refuse de vous le redonner, mais on reconnaît que vous l'avez. Voilà pourquoi on vous déclare la guerre. Vous dites que vous ne l'acceptez pas, et vous avez raison, et je crois qu’on ne vous la fera pas. Pourtant, il y a là un grand secret un secret de Dieu. A-t-il décidé que le moment de la mort de la Turquie est venue, et par conséquent le moment du remaniement, c'est-à-dire du bouleversement territorial de l'Europe au sujet de l'héritage ? C'est possible ; et moins je vois de motifs assignables, de motifs humains à la guerre, plus j'ai peur quelquefois, qu’il n’y ait là une volonté divine, et que ce ne soit bien lui même qui pousse à la guerre, les hommes qui n'en veulent pas. Nous verrons bien.
En attendant, je cause ici, de cela et de tout. J’irai après demain passer 24 heures au Val Richer pour dire adieu à ma fille Pauline qui en par lundi pour le midi. Je reviendrai, après son départ, passer encore ici la semaine prochaine, et je retournerai au Val Richer, le samedi 29 pour le quitter définitivement le 15 ou 16 Novembre. C'est bien des courses, et mon Cromwell, qui touche à sa fin, en est un peu dérangé. Je serais fâché quand j'aurai fini ; c'était une société dans ma solitude, et un but dans mon oisiveté. Il faudra que je m'en fasse un autre.

9 heures
On m’apporte votre lettre, et le duc de Broglie m'en envoie une du Prince de Joinville qui est en effet très inquiet pour la Reine sa mère. La pleurésie allait mieux ; mais le matin même, une inflammation d’entrailles venait de se déclarer et paraissait grave. On attendait le Duc de Nemours qui venait de Vienne avec sa soeur la Princesse Clémentine. Le duc d'Aumale est en Savoie. Ils ont évité de se trouver tous réunis à Genève, de peur de quelque ennui politique. Je crains beaucoup pour la Reine ; elle est prête, fatiguée ; elle a 71 ans. Il y a de bon médecin à Genève. Ecrivez-moi demain à Broglie. Je n'en partirai samedi qu'après déjeuner. Mais dimanche, je vous prie de m'écrire au Val Richer. J'y passerai toute la journée de lundi. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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76. Paris le 19 octobre 1853

Hübner est fort exalté & content. Son gouvernement reste neutre et le proclame, et fort de la promesse formelle que lui a donné l'Empereur Nicolas de respecter l’intégrité de l’Empire ottoman, l’Empereur d’Autriche réduit son armée du quart. Il fait sonner cela très haut. Ceci est la réponse aux soupçons qu’on avait conçus ici de la triple alliance à Varsovie. Cela me touche peu.
Je n’ai pas la moindre nouvelle de Londres, sauf une lettre spirituelle de la G. D. Marie où elle me dit qu’elle trouve nouveau et drôle d'habiter un pays ennemi.
Dumon m’a dit hier soir, que M. Bansky était très inquiet de la reine Amélie. C’est une pleurésie dont elle est atteinte. Marie Mensingue arrive avec la G. D. Stéphanie. Beaucoup de nouveaux diplomates sont priés à Compiègne, mais toujours Kisseleff & Hübner exclus. Est-ce à Broglie ou au Val Richer que je dois vous adresser ma lettre vendredi ? Il fait bien laid ici et froid. Viel Castel est parti pour 3 semaines. Grande perte pour moi. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Au château de Broglie, mardi 18 Oct. 1853

Je m'assois pour vous écrire et on m’apporte votre lettre d’hier. Celle de M. de Meyendorff est très rassurante. Il faut être deux pour faire la guerre. Le seul embarras, c’est qu’il y a trop de gens pour faire la paix. Ils ont bien de la peine à s'entendre. Ils en viendront à bout pourtant. Mais évidemment vous occuperez les principautés tout l'hiver.
Il n’y a personne ici que les maîtres de la maison. Barante, et Mad. Anisson sont partis avant hier. C’est bien un des lieux les plus tranquilles qu’on puisse imaginer. Beau et froid. On n’y sait point de nouvelles, quoiqu'on les aime. On se promène et on cause beaucoup. Bonne conversation, très sensée. Je trouve la princesse de Broglie changée, maigre et pâle. Ma fille croit qu’elle est grosse. Elle a déjà quatre fils.
J'écrirai demain à M. Monod ; mais sa lettre me fait, comme à vous l'impression qu’il n’a, quant à présent, point de pensionnaires, et je suis tout-à-fait de votre avis, il faut des camarades. M. Meyer, dont il parle est un excellent homme, pasteur luthérien, collègue de M. Morny. Je sais qu’il a en effet plusieurs fils jeunes peut-être à défaut de M. Monod cela conviendrait-il ?
Il est très bon que le Roi Léopold aille en Angleterre. La Reine Marie Amélie s’est arrêtée à Genève assez malade d’un rhume violent. En arrivant, elle avait fait dire à Mad. de Staël, qui est à Coppet de venir la voir, et quand Mad. de Staël est venue, elle n’a pas pu la recevoir. Elle restera à Genève jusqu'à ce que son rhume soit tout-à-fait passé. On n’avait cependant point d'inquiétude sur son compte.
Je suis bien aise que vous ayez retrouvé Dumon, et que du monde vous arrive. Je crois que vous en aurez beaucoup cet hiver. On sera agité sans vrai malheur, ni même vraie inquiétude. On court alors, on voyage.
Je trouve excessif que Kisseleff et Hübner ne soient pas invités à Compiègne. Il n’y a pas de raison pour cela. C'est trop d'empressement à couper l'Europe en deux, sans compter qu’on ne la coupe pas réellement en deux. Tant qu'Aberdeen sera au pouvoir, il ménagera l’Autriche, et la Prusse fera toujours plus que vous ménager. Adieu.
J’irai samedi prochain 22 au Val Richer dire adieu à ma fille Pauline qui part le lundi 24 pour Hières, je reviendrai ici Mardi 25 pour toute la semaine prochaine. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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75. Paris le 17 octobre 1853

Merci de la lettre de M. Monod. Tout est fort détaillé, mais l’essentiel y manque. A-t-il ou n'a-t-il pas d’autres pensionnaires de l'âge ou à peu près de ce jeune enfant. Vous savez combien cela est essentiel pour une éducation anglaise. Des camarades, de la récréation en commun aussi bien que des leçons. Or, d'après la lettre je croirais qu'il serait isolé. Voilà le point à éclaircir. Je suis fâchée de vous donner le grand bore. J'ai eu hier une lettre de Meyendorff, très tranquille. Voici la dernière phrase après avoir dit que le manifeste turc à Paris, le 5 à Constantinople, la déclaration de guerre signifiée le 9 au Prince Gortchakoff s’il ne promet pas d’évacuer les provinces dans l'espace de 15 jours. & & " Ainsi guerre sur le papier, déclarée par la Porte, non acceptée par nous. Que faire dans cette singulière position ? Il est impossible qu'on ne négocie pas avec nous, sans nous, mais toujours pour nous, c-a-d pour la paix. "
J’ai vu hier Morny qui s’était échappée de Compiègne pour quelques heures. Le ton là est extrêmement pacifique. On ne songe pas à envoyer un seul soldat. Toute la diplomatie presque est priée à Compiègne pour plus ou moins de jours. Il n'y a que Kisseleff & Hübner d’exceptés. Je suis fâchée des nouvelles que vous me donnez sur Pauline. Vous faites très bien de commencer pour elle par là où l'on finit, et quelques fois trop tard. [?] la remettre. Je vois déjà beaucoup de monde. Je ne sais trop dire qui. Oiseaux de passage, et des étrangers de toute espèce. Dumon est revenu for good. Le ton public en Angleterre. [...]

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 16 oct. 1853

Je vous envoie la lettre que je viens de recevoir de M. Monod. Vous la trouverez détaillée sensée et très consciencieuse. Vous me direz ce que je dois répondre.
Savez-vous si la Princesse Koutschoubey a reçu ma lettre. Je l’ai adressée à l'hôtel Bristol.
Gladstone a supérieurement parlé à Manchester. Il me paraît que le mouvement belliqueux n’a pas grand retentissement en Angleterre. Je serais charmé que la mauvaise politique fût, là, percée à jour et repoussée, et la bonne comprise et soutenue par le bon sens public. Ce serait un grand triomphe. dans une grande épreuve. Si cela est vous aurez, entre vous Russes et Turcs, bien de la peine à vous battre, et si vous vous battez, on ne se battra pas pour vous et on trouvera quelque moyens d'empêcher que vous ne vous battiez longtemps. A travers toutes nos oscillations et vos agitations, cela me paraît le résultat le plus probable. Si ce n'était vous, je crois que je n'y penserais plus guère.. Je suis à la veille d’un assez grand dérangement, pour l'hiver prochain, dans mon intérieur. Ma fille Pauline, sans être malade, est toujours fatiguée et faible. Elle n’a pas repris ses forces depuis sa dernière couche. Son médecin, qui est venu ici, lui conseille positive ment d'aller passer l'hiver dans le midi, à Hières, ou à Nice. Son mari en est d’avis, et moi aussi. On prévient beaucoup de malheur en prenant tout de suite ces précautions- là. Elle partira donc bientôt, et mon ménage de l'hiver se réduira à Guillaume et moi, avec ma fille Henriette à côté. C’est une contrariété ; mais quand on a ressenti les grandes joies et les grandes peines de la vie, les contrariétés sont peu de chose. Je n'ai pas de vraie inquiétude sur ma fille mais je crois tout-à-fait bon pour elle. qu'elle aille passer l'hiver sous un ciel doux et dans un complet repos. Je remercie Marion de m'avoir tiré d’embarras sur Pianezza.

Onze heures
Voilà votre lettre qui ne m’apprend rien, comme je m’y attendais. Vous m'écriviez le 24 septembre : " Hélène est bien touchée de vous voir vous occuper d'elle. Elle prendra à genoux le précepteur que vous lui recommanderiez. Je vous prie donc d'essayer de trouver et de lui adresser directement votre trouvaille. " Je ne sais pas une autre manière d'adresser directement que d’écrire.
Je crois que là le Duc de Nemours a dû voir, M. le comte de Chambord. Mais je n'en sais rien de positif. Adieu, adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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74. Paris le 15 octobre 1853

Je n’ai vu hier que Molé, Dumon, Vitet, Montebello, tout cela veut apprendre & je n'ai rien à dire, car depuis deux jours on ne sait rien. Molé n'était en ville que pour une heure et pour ses yeux pas même pour Kalerdgi. Je crois qu’on essaie une nouvelle note, qui, quoi je ne sais pas. On voudrait je crois un congrès, mais nous n’en voudrons pas. C’est surtout à Londres et à Paris qu’on y pense.
Hélène Kotchoubey vous écrit. Si vous regardez mes lettres, vous n’y trouverez pas que je vous ai donné le conseil de lui écrire comme vous me le dites. Je ne vous aurais pas infligé cet ennui. En tous cas elle vous est bien reconnaissante de vous être occupé d'elle. Comment adresse-t-on à Broglie ? On dit ici depuis quelque jours que le comte de Chambord & le duc de Nemours se sont vus. Est-ce vrai ? Le temps est beau ici aussi. Je doute que cela dure. Adieu. Adieu.
Je ne sais pas un mot.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Vendredi 14 oct. 1853

Il fait un temps magnifique depuis quatre jours. J’ai envie que cela dure une quinzaine. Je pars lundi pour aller passer dix ou douze jours à Broglie. Je me promènerais beaucoup là. Ici, mon jardin et mon Cabinet me suffisent et se passent plus aisément de beau temps. Écrivez-moi lundi à Broglie (Eure). J’y aurai votre lettre mardi matin. Barante m’a quitté hier. Douce et agréable société. Il sera à Paris lundi et veut être rentré dans ses montagnes, le 29 octobre pour y rester jusqu'à la fin de Mars. Il est occupé de son histoire du Directoire qui éclaira celle de la Convention. Ce sera certainement ce qu’il y aura de plus vrai, faits et appréciations, sur la grande révolution Française. Vous ne lisez pas le siècle, ni moi non plus ; il m'en est tombé l'autre jour un numéro sous la main, le 57e fragment, je crois d’une histoire de de M. de Lamartine.
L'Assemblée constituante, qu’il publie là, en articles, pour gagner de l'argent. A peu près aussi révolutionnaire que son histoire de la Restauration est légitimiste, et beaucoup moins de talent. Personne, ce me semble, n'y fait attention. C’est-à-dire dans notre monde à nous ; mais le monde du Siècle est nombreux, et tenez pour certains que les préjugés, et les manies révolutionnaires vont s'enracinant là, bien loin de s'éteindre.
Les Débats m'ont manqué hier. Ce que je tiens pour évident et pour très rassurant, c’est que si la guerre commence elle se passera entre vous et les Turcs et qu’on ne s’en mêlerait que si vous portiez la main sur Constantinople, ce que vous ne ferez pas, je pense. C'est un accident que cette guerre un malentendu, une bêtise, passez-moi le mot, de tout le monde. On ne souffrira pas qu’elle devienne une folie. Ce n’est pas du tout pour vous rassurer, et pour me rassurer moi-même, que je dis cela ; je le pense bien réellement.

Onze heures
Vous auriez tort d'aller à Bruges. Vous n'êtes pas assez forte pour faire de belles équipées. Adieu, adieu. Ce que dit Balabine est bien drôle.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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73 Paris le 13 octobre

Pas la moindres nouvelle à vous dire. La G. D. Marie m'écrit pour me prier beaucoup de venir la trouver à Bruges la semaine prochaine. J’en aurais bien envie, mais ce serait une folie. Mon [Empereur] est retourné droit de Potsdam à Pétersbourg où il arrivera demain. Je ne sais si on essaye rien de ce côté-ci pour un arrangement.
Je croirais que non, & que tout reste abandonné au hasard et à des escarmouches comme dit Antonini. Balabini est arrivé. Vous savez qu'il était à Constantinople. La seule nouveauté que j’ai apprise par lui c’est que Menchikoff loin d’être insolent a péché par trop de platitudes. Les Turcs ont cru qu'il avait peur, & ils ont tout osé. Voilà du neuf. Balabini a toutes ses preuves. Adieu. Adieu car je n’ai plus rien.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 12 oct. 1853

J’ai Barante ici depuis avant hier ; il ne m’a rien appris, mais nous causons beaucoup. Il est aimable, bon, et de mon avis presque sur toutes choses. Il ne croit pas plus que moi, et que M. de Meyendorff qu’on se batte sérieusement, ni que la France et l'Angleterre s'en mêlent réellement. L’attitude et l’unanimité du cabinet anglais disent aussi cela. Piscatory m'écrit que nous ne tenons pas assez de compte des Barbares, des Turcs eux-mêmes, et que leur ignorance et leurs passions déjoueront, toute la modération Européenne. Je ne le crois pas pourtant ce qui se passe depuis un mois lui donne quelque apparence de raison. Voyez-vous les Holland ? Barante dit qu’ils sont très animés, et que, ces jours derniers. Thiers, chez eux, était fort à la guerre. Il a eu là, à ce sujet, une dispute très vive avec Cousin, grand partisan de la paix. " Voilà comme vous êtes toujours, vous voulez recommencer 1840 & & " Cousin développe très bien un bon thème.
Avez-vous lu la lettre de Montalembert à Dupin qui lui avait envoyé son discours au comice agricole de Corbigny ? C'est vieux, mais c’est vif et bien tourné.
La correspondance d’Havas ferait mieux de ne pas trahir si clairement, dans son petit bulletin politique, son désir de la chute de Lord Aberdeen. J'y trouve aujourd’hui cette phrase : " Au jour où le gouvernement anglais se déciderait à entrer en lutte avec la Russie, il est possible que les précédents de l'illustre diplomate deviennent gênants et qu’il soit utile de remettre la conduite de la guerre en des mains plus vigoureuses et moins engagées ; mais tant qu’il reste quelque espoir de conserver la paix, tant qu’il y a des négociations à suivre, des concessions à solliciter, l'influence pacifique du nom de Lord Aberdeen est bonne, ce nom semble à conserver ? C’est une maladresse d'être à la fois timide et malveillant. On me dit que Naples est assez agité surtout la Sicile ; les correspondances de Malte recommencent. Le Roi de Naples est convaincu que, si la guerre éclatait, la Sicile serait la vraie indemnité anglaise. Les perspectives de cet avenir là commencent à agiter beaucoup aussi Rome et Turin.
Vous devriez lire les nouvelles lettres de la Palatine, Madame mère du Régent. M. de Sainte Beuve en donne dans le Moniteur, un extrait piquant. Je ne connais pas un exemple pareil de grossièreté unique dans le langage ; mais le fond est sensé, spirituel et honnête. Cela vous amuserait. Je ne connais pas du reste encore les nouvelles Lettres. Je n'en parle que d'après le Moniteur.
Onze heures
Adieu, adieu. Je n'ai rien de plus à vous dire. G.
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