Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteurs : Noailles, Paul de (1802-1885)

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Schlangenbad le 19 août 1851 Mardi

La nouvelle de cet empire est la visite faite hier par le roi de Prusse au Johannisberg. Il s’y est arrêté une demi heure en se rendant de Stolzenfels à Mayence. Je suis charmée que le Prince Metternich ait eu cette petite satisfaction mais voilà le roi aussi compromis que possible vis-à-vis des libéraux. La journée a été bien froide & pluvieuse, je n’ai pu sortir qu’en voiture fermée.
Montebello me mande les couches de sa femme & ses inquiétudes. Vous ne m'en avez rien dit. Peut-être au reste cela s'est-il passé depuis votre départ de Paris. Il a l'air bien tracassé de la santé de sa femme. Le 20. Mauvaise nuit, ma tête, mon estomac, ma langue tout va mal. Triste, voyage.
Ce sera curieux de revoir en son temps les acteurs revenir à Paris, & Changarnier sur tout. Que de pitoyables. manœuvres. Quelle pauvre figure he cults. Je reviens à Aberdeen. Il faut absolument que vous lui fassiez sentir la lourde faute qu'il a commise en permettant à M. Gladstone de lui adresser de pareilles diatribes. C’est vraiment honteux. Il devrait faire quelque chose pour se relever de là. Mais Je me rabache. Adieu. Adieu.
La duchesse de Hamilton femme douce & sensée, connaît beaucoup le Président. Elle parle de lui très bien elle vante son esprit, son bon sens, son bon cœur, bon gout. Elle dit tout cela très simplement. Adieu encore adieu. Je vous écrirai encore demain à Paris. Donnez ordre là où vous envoyer ma lettre. à Londres.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Schlangenbad le 19 août Mardi 1851

Merci de votre très intéressante lettre du 14. Vous me trouverez probablement à Paris à votre retour de Londres. Je crois que j'y serai le 30. Je vous adresserai ma prochaine lettre à Paris. Et puis je n’ai plus votre adresse où allez-vous à Londres ? J'espère que vous aurez songé à me le dire. De Paris adressez-moi une lettre à Bruxelles poste restante, de Londres la première aussi car je resterai certainement un jour à Bruxelles. Ensuite à Paris.
Le temps est bien rafraîchi. Et Schlangenbad alors est détestable. Enfin, c’est bientôt fini. Je partirai sans doute dimanche. Constantin sera ici après-demain.
Quelle joie dans tous les journaux radicaux de ces lettres de Gladstone. Vous devriez bien en faire honte à lord Aberdeen. Moi je lui ai parlé assez durement de cela, un petit mot plus doux de vous ferait bien de l’effet, et vraiment il mérite une leçon. Le Roi de Prusse a passé hier à Mayence le jour de la fête de l’empereur d’Autriche ou plutôt ses 21 ans. Samedi le roi reçoit l'hommage de ses nouveaux sujets de Hohenzollern. Grand speech historique à cette occasion. Adieu. Adieu. Que voulez- vous que je vous dise de ce lieu solitaire ? Pas une âme. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 19 août 1851

Ce qu'a dit la Duchesse d'Orléans au Prince de Prusse n'est pas neuf. Il est vrai que c’est là toute la question. Son tort, c’est que cela soit, pour elle une question. Je comprends qu'un grand homme, un homme qui a fait ses preuves, un conquérant, Pépin le bref Napoléon, ne craigne pas d’être un roi élu et d’entreprendre la fondation d’une dynastie ; mais une pauvre femme étrangère qui a déjà vu tomber la dynastie qu’elle veut fonder. C'est dommage que ce ne soit pas à elle que j'écrive ; je lui dirais bien des choses.
En attendant le Roi élu, la querelle intérieure des légitimistes s’arrange un peu. La lettre de Berryer est bonne. Quelle faiblesse que celle de M. de St Priest ? Car il n'entend point se brouiller, avec Berryer ; seulement il veut rester également bien avec M. Nettement. Je voudrais bien causer avec le Duc de Noailles. Je lui ai écrit que je passerais à Paris la matinée du 24. Peut-être aimerait-il mieux venir quand je repasserai. M. Molé m'a vivement pressé d'aller à ce moment là, dîner à Champlâtreux. Je n'ai pas refusé. Nous verrons. J'aurai bien peu de temps. Il y restera jusqu'en novembre. Le Duc de Broglie regrette de ne pas pouvoir venir à Claremont le 26. Il ne le peut pas. Le Conseil Général d’Evreux s'ouvre le 25, et il le préside toujours. C'est plus important que jamais cette année. Les élections de la prochaine assemblée se prépareront là. Si le gros des légitimistes n’auraient pas pris décidément le parti de la révision bien peu d'entre eux auraient été réélus. Je crois qu'avec la conduite qu’ils ont tenue la plupart reviendront.
Que signifie ce bruit de la prochaine arrivée du comte de Chambord à Wiesbaden, dont j'ai la première nouvelle par les journaux ? En entendez-vous parler de quelque autre source ? Est-il vrai qu’on y ait retenu pour lui des appartements ?

10 heures
Je suis bien aise que vous ayez retrouvé mes lettres perdues. Les journaux sont des menteurs ; la Marseillaise n’a point été applaudie à la Sorbonne en même temps que moi ; elle n’a point été chantée ; tout. au contraire ; quelques élèves l’ont demandée ; la grande majorité a crié, non, chut ; et la majorité l’a emporté, vu qu’il n’y avait là point de constitution pour donner la majorité à la minorité. Voilà le vrai, et je l’ai vu. C'est l’Ordre qui pour se consoler de la façon dont j’avais été applaudi, a dit le premier que la Marseillaise avait été aussi. Quelques autres l’ont répété, les autres ne l'ont pas démenti. C'est ainsi qu’on écrit l'histoire. L'an dernier la majorité des élèves avait demandé la Marseillaise, et la minorité avait essayé vainement de l'empêcher. La minorité de l'an dernier est devenue majorité cette année ; voilà le progrès. Et en voilà bien long sur cette question. Guillaume, à qui j'ai transmis vos compliments, a à cœur que vous sachiez la vérité. Adieu, Adieu.
Je suis bien aise que vous vous reposiez de Francfort. Votre sollicitude d’indépendant ne m'étonne pas du tout. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Schlangenbad le 20 août 1851

Mes journées sont si monotones qu’il n’y a vraiment pas de quoi remplir trois lignes. J'ai eu une lettre d’Alexandre aujourd’hui. Il a demandé son passeport. Il ne doute pas qu’on ne le lui accorde vu l’état de sa santé. S' il y a quelque anicroche il s’adressera au Comte Nesselrode. Si cela n’allait pas, je serais la dernière instance, mais je crois que nous n'aurons pas besoin de tout cela.
Le 21. Vous devez avoir reçu toutes mes lettres et entre autres celle où je vous redisais les quelques paroles de la D. d’Orléans au Prince de Prusse. C'est absolument tout ce qu’il a eu le temps de me dire. Constantin est arrivé à Francfort. Il a perdu sa malle sur les chemins de fer, cela le retarde, mais il viendra ce soir tard. Adieu. Adieu. Car il n’y a pas un mot à vous dire. Mon médecin a mis tout Schlangenbad hier en émoi. Il a donné un bal. On n'a jamais vu de bal dans ces montagnes. Il est pour mourir de rire. C’est notre seul amusement à Marion & moi. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Mercredi 20 août 1851

Vous n'aurez ce matin que quelques lignes. Je suis pris d'une violente, migraine. Je viens de me promener trois quarts d'heure dans le jardin pour voir si le grand air la dissiperait ; mais l’air, qui est pourtant charmant, n’y fait œuvre. Je crois que je vais m'étendre sur mon lit. Il n’en sera plus question ce soir. Elles étaient bien plus fréquentes autrefois. Avec beaucoup de plaisirs l’âge emporte aussi quelques ennuis.
Vous ne lisez pas l’Univers ; il conterait ces jours-ci une lettre à Gladstone, très médiocre d’esprit et de forme, mais qui lui donnait, sur quelques uns des faits qu’il a affirmés, des démentis précis et frappants ; par exemple 1800 prisonniers dans les prisons de tout le Royaume de Naples, au lieu de 20 à 30, 000. Et le nom de chaque prison, et le nombre des détenus dans chaque prison, y sont énoncés. Le Roi de Naples et les agents ont grande raison de multiplier les renseignements. Il devrait faire offrir à M. Gladstone de revenir les vérifier lui- même.
Vous vous étiez promis des merveilles de mes lettres écrites de Paris. Vous n'y aurez pas trouvé grand chose. Je n’avais trouvé moi-même à Paris que bien peu de chose. Je n’ai eu rien de mieux à vous envoyer. Je crains bien que ma course en Angleterre ne jette, pour vous comme pour moi, un peu de trouble dans notre correspondance. C’est très ennuyeux. Je ferai tout ce que je pourrai pour l’éviter. Adieu, Adieu.

Je vais réellement me mettre sur mon lit. J’ai la tête lourde, et le cœur barbouillé. Adieu. Je ne fermerai pourtant ceci qu'après avoir reçu mon courrier.

10 heures
Je vous ai écrit mardi matin une longue lettre. Je ne comprends pas ce retard. Votre poste de Francfort est insupportable, et je ne mérite aucun reproche. Je ne vous ai pas écrit le dimanche 10, en arrivant à Paris, parce que ma lettre écrite au Val Richer la veille 9, partait de Paris pour Francfort précisément ce même jour Dimanche 10. C'était donc deux lettres qui vous seraient arrivées le même jour. Peu aurait importe si j’avais eu quelque chose de nouveau à vous dire. Mais je n'avais rien. Je suis très contrarié de votre ennui. Vous aurez certainement eu ma lettre du mardi 12, écrite en partie le lundi, tard en partie le mardi matin. Adieu, adieu.
Adieu, dearest. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Jeudi 21 août 1851

J’ai sur le cœur votre chagrin, je ne veux pas dire votre injustice de Vendredi dernier 15. Ne croyez donc jamais qu'aucune dissipation comme vous dîtes, ni aucune affaire puissent me détourner de penser à vous. Je ne serai content que lorsque je saurai que vous avez eu ma lettre. J'espère bien le savoir demain.

Duchâtel m'écrit qu’il part pour Londres, hier soir. J’irai probablement le retrouver chez Grillon, où il va se loger. Il me dit : " Paris est désert. Les renseignements de tous les points de l’horizon s'accordent à dire que la candidature du Prince de Joinville prend assez vivement. On assure que le président et ses ministres en sont inquiets. Il se pourrait que ce coup d'éperon déterminât le président à agir. Le mouvement que les Montagnards se donnent peut lui faire beau jeu. "
Je ne crois pas beaucoup aux inquiétudes du Président sur la candidature du Prince de Joinville, ni à ses velléités d’agir. A en juger par ce qui m'entoure et ce qui me revient le travail pour cette candidature est plus vif qu’efficace ; il créera une petite scission dans le grand parti conservateur ; pas grand chose de plus. Sur les côtes seulement, la faveur est réelle pour le prince de Joinville. Dans les terres, les campagnes restent pour Louis Napoléon. Si, l’intrigue pour créer, au Prince de Joinville, un parti dans la Montagne réussissait, c’est alors que commencerait le danger. Il ne paraît pas que jusqu'ici, l’intrigue réussisse. Les Montagnards hésitent toujours entre Ledru Rollin et Carnot.
Autre sorte de nouvelles que me donne Duchâtel. " Les Régentistes vont à Londres pour le 26. Rémusat est parti hier. A propos de Rémusat, saviez-vous qu’il vivait intimement avec une Mad. Fagnères l'ancienne maîtresse de Martin du Nord ? Je devais aller aujourd'hui à Champlâtreux. M. Molé me fait écrire qu'il est au lit avec la fièvre. " Vous avez tout ce que j'ai.
J’ai un mot du duc de Noailles, de Maintenon. Il regrette fort de ne m'avoir pas trouvé à Paris. Je lui ai écrit que j'y passerais le 24 ; mais il n’avait pas encore reçu ma lettre. Il attend impatiemment votre retour. Il y a, dans votre lettre du 13, une parole qui me plaît, parmi d'autres. Vous me dites que vous aurez fini dans dix jours, c’est-à-dire le 23 ou le 24. Vous partiriez donc le 25 ou le 26, et vous seriez à Paris le 28 ou le 29. Ce serait à merveille. Je me crois sûr que je partirai de Londres le 29 pour être à Paris le 30.
Je suis fâché que vous ne receviez pas la feuille jaune, le courrier de Paris. Vous y trouveriez sur les auteurs des Correspondances de l’Indépendance Belge et sur les dessous de cartes de ces correspondances, des détails qui vous amuseraient. La coterie Régentiste se donne beaucoup de mouvement de ce côté là. Je ne vois toujours pas clair sans Changarnier. Il a bien de l'humeur de la candidature du Prince de Joinville ; mais je le trouve bien timide à la témoigner.
11 heures
Enfin vous avez ma lettre. Je maudis comme vous les postes allemandes, quoique j'en aie moins souffert que vous. Ce ne sont pas elles qui reçoivent vos lettres. Ce mauvais effet d'Ems me contrarie beaucoup.

Auteurs : Hallam, Henry (1777-1859)

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Vendredi 22 Août 1851

Je puis répondre à votre question de poste. Vous êtes arriérée d'un jour parce qu'on a retenu ma lettre 24 heures à Francfort pour la lire et la copier à son aise. Précisément celle-là contenait, sur ce que j’avais vu à Paris, quelques détails qui pouvaient intéresser. On n’est, en Allemagne ni expéditif, ni soigneux de voiler ce qu’on fait.
Ma course en Angleterre ne me plait pas. Je n'ai personne à y voir qui me plaise. C’est un devoir que j'accomplis. On m'écrit que la Reine ne recevra personne le 25, la veille, je m’y attendais, personne non plus le lendemain le 27. Je ne pourrai donc la voir que le 28. Je compte bien m’arranger en tous cas, pour repartir le 29. Je saurai d’ici là le jour précis de votre retour à Paris.
C’est vraiment bien dommage qu'Ems ne vous ait pas aussi bien réussi, cette année que l’an dernier. Je me répète encore que peut-être le bien viendra plus tard.
Je vois que l’amiral Parker est arrivé devant Tunis avec son escadre et a signifié au Bey qu’il eût à publier la Hatti-Schériff du Sultan qui règle les relations avec la Porte. C'est précisément là ce que notre flotte est allée empêcher quatre fois de mon temps. Ce n'était pas parfaitement correct ; mais on verra quels embarras renaîtront en Algérie, quand la Porte aura repris l'ascendant à Tunis. J'ai reçu hier une nouvelle lettre d'Alexandrie, trés longue sur les progrès du travail anglais en Egypte. S'il continue sans plus d'obstacle, l'Angleterre sera bientôt établie solidement en Egypte. Lord Palmerston a raison de souhaiter ce maintien pur et simple de ce qui existe aujourd’hui.
Mon pauvre ami Rossi a enfin son monument dans l’Eglise de San Lorenzo. Voici un petit rapprochement assez frappant. C’est Tenerani qui a fait ce monument de Rossi. J’ai une lettre de Rossi qui me demandait que Tenerani près de venir à Paris, fit mon buste. Je vous quitte pour faire ma toilette.

Onze heures
Il me revient, par une source pas très élevée, mais trés rapprochée, qu'on parle assez légèrement, autour de Madame la Duchesse d'Orléans de la candidature du Prince de Joinville. On ne croit pas au succès ; mais on se dit qu'il enlèvera, un million de voix, au Président qui ne sera pas nommé d'emblée et qui ne le sera pas non plus alors, par l'Assemblée. On joue toujours au hasard et pour amener une crise. La Duchesse d'Orléans ira, dit-on, en Allemagne, presque aussitôt après l'anniversaire.
Décidément donc vous serez à Paris le 28 ou le 29 au plus tard. Je hâterai mon départ de Londres, en dépit des amis, car il y a toujours des amis. Granville a certainement eu tort de ne faire visite à aucun Ministre. Quoi, pas même à M. Baroche, ni au Ministre du commerce avec qui il avait été en rapport à Londres ? C'est singulier. Adieu, Adieu.
Je voudrais bien que Paris vous guérit d'Ems. Adieu. Vous ai-je dit qu'à Londres, je serais chez Grillon ? Je crois que oui. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Schlangenbad le 23 août Samedi 1851

Votre lettre du 17 me prescrit de continuer à vous adresser les miennes au Val Richer. C’est drôle. Certainement vous ne recevrez plus celle-ci à Londres, & je ne vous écris que par obéissance. Constantin est arrivé il ne me dit rien de nouveau mais bien des détails. Aujour d’hui je vais avec lui dîner au Johannisberg. Ensuite coucher à Bibérich. Demain je m'embarque pour aller coucher à Cologne, de là vous savez. Cela me ramène à Paris bien plutôt que je ne voulais surtout par ce beau temps mais je suis tracassée de ma santé. Ma langue, ma tête. Il faut aller consulter mieux que Kolb. Adieu. Adieu.
Cette lettre ne vous arrivera jamais. Quelle idée de ne pas laisser vos ordres au moins à Paris.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)

Auteurs : Dumas, général (?-?)

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Bibérich le 24 août 1851

J’ai passé ma journée hier au Johannisberg. Je suis venu coucher ici. Je m'embarque dans une heure. Je suis vraiment malade. Vous le verrez, car je suis maigre & changée, & jaune. Je crois que je serai à Paris le 27.
Je hasarde de vous adresser cette lettre à Grillon. Je trouve trop absurde d'écrire au Val Richer. Vous avez mal managed cela, si vous teniez à avoir une lettre. Ce n’est que hier que j'ai eu la vôtre du 17. Constantin me conduit à Cologne. Il fait bien chaud.Adieu, Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Bruxelles Mardi 26 août 1851

Je suis bien fatiguée & je me repose ici aujourd’hui dans la plus mauvaise des auberges. J’ai frappé à onze portes hier. Pas un coin, tout est pris. J’ai vu un moment M. Van Praet, je vais le revoir. Il me dit que la D. d’Orléans part pour l’Allemagne tout de suite. Nous avons causé candidature Joinville. Il dit que l'abstention, le silence sont ce qu'il y a de mieux. Je dis moi que c’est-ce qu’il y a de plus honteux, et je l’ai très élogieusement soutenu & développé. Nous y reviendrons. Si le Prince de Joinville ne déclare pas qu'il n’accepterait pas le Président. Je le tiens pour déshonoré. Je n’ai lu qu’ici le N° de l'Assemblée nationale du 20 à propos de Gladstone. Quel excellent article, admirable. Faites en mon compliment à l’auteur quel est-il ?
Je serai à Paris demain. Je vous adresse encore ceci à Londres. N'est-ce pas qu'il serait par trop ridicule de l'envoyer au Val Richer Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Londres, Mardi 26 Août 1851
Une heure

Je trouve en rentrant votre lettre de Griberich. Merci de me l'avoir adressée directement ici. Je vous dirai pourquoi tenant à avoir vos lettres, comme vous dites avec un si, j’avais cru mieux faire en ne changeant rien. C’est trop long à écrire. Je reviens de l’office. Bien petite église bien pleine. Rien que des Français ; cinq ou six anglais seulement. Deux Princesses étrangères la Princesse Bayration et la Princesse Grasalcovitch.
De mon bord Duchâtel, Dumon, Montebello, Vitet, Tryel, Montalivet, Jayr. Il ne manquait que Salvandy qui n’est pas venu, à dessein, dit-on ; en quoi il a eu tort ; Hébert qui est malade et Canin Gridaine.
Du bord régentiste, Rémusat, Lasteyrie et Ségur. Personne n'a entendu parler de Piscatory ; je ne sais ce qu’il devient. Beaucoup d'autres bons, venus exprès, d'Haubersaert, Ch de la Ferronays, Hippolyte de la Rochefoucauld, Bussion. Les vrais amis nombreux ; les flatteurs rares. Ce qui n'empêche pas les flatteurs d'être les favoris. Dans la tribune réservée, la Reine, la Duchesse d'Orléans, la Duchesse de Nemours, la Princesse de Joinville, le duc de Nemours, le Prince de Joinville, le comte de Paris, le Duc de Chartres, le comte d’Eu et le duc d'Alençon. Point de pompe ; le curé de la chapelle ; l’office des morts complet, grave et simple. L'auditoire recueilli très convenable. Assez de curieux autour, très convenables aussi.
J’irai demain à Claremont. Ce qu'on m’en dit ressemble fort à ce que j'en attends. Triste mélange d'impatience et d'impuissance. Grande ardeur à revenir ; grande terreur d'avoir un avis et de prendre un parti. Et en attendant on prend celui de se laisser faire par ceux qu’on croit le plus capables de nuire. Ils ont perdu le père par leur opposition ; ils perdront les fils par leurs services. J’y vais demain dans l'unique intention de dire mon avis sans y demander de réponse. Il y a, je crois une conduite à tenir, qui n’est pas prompte, mais qui doit être efficace. Reste à savoir si en France, on saura la tenir.
J’ai entrevu Jarnac en sortant de l'église. Il viendra me voir ce soir, et nous causerons. Il est toujours très bon et très décidé.
Ce que vous me dîtes de vous me déplait beaucoup. J'y regarderai, j’espère le 29. Je compte partir, d'ici après-demain jeudi soir. Quand j’aurai fait ma visite à Claremont et donné une matinée à l’exposition, je serai quitte. Le très peu de personnes que j'ai vues me prouvent que les lettres de Gladstone ont fait ici beaucoup d'effet, et de mal. On vient de me les envoyer. Je ne veux écrire à Lord Aberdeen qu'après les avoir lues. Adieu. Adieu, Duchâtel et d'Haubersaert repartent ce soir. Dumon, demain soir. Montalivet avec moi, après-demain. Adieu. G.

Auteurs : Croker, John-Wilson (1780-1857)

Auteurs : Mallac, Eloi (1809-1876)

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 2 septembre 1851 Mardi

Quelle tristesse de ne plus vous avoir ici ! Vous nous laissez la pluie et le journal des Débats pour aujourd’hui. L’article me fâche beaucoup parce qu'il est très bien fait. Je ne sais que dire. J’ai vu Montebello hier au soir. Il a causé longtemps avec le prince de Joinville. Rien de nouveau, ni de plus que le langage que vous avez entendu vous même. Le Prince de Joinville compte entièrement sur Changarnier et Lamoricière. Ils attendent à Claremont le retour du duc d’Aumale pour tenir un conseil de famille et décider le langage & la conduite. J’ai vu hier matin La Redorte. Evidemment il se prépare à tout événement. Il dit que la candidature Joinville gagne tous les jours & que la proposition Créton passera infailliblement pour peu que la montagne ou seulement les républicains s’y prêtent. Je n'ai vu hier que ce que je vous dis là. Ma porte est restée fermée le soir. J'oublie, j’ai vu Hatzfeld avant dîner perplexe, curieux, assez au courant de Champlatreux, pas fort au courant d'ici. Nous avons jasé, & trouvé en définition que le coup d’état devenait nécessaire si l'on ne veut pas mourir. Mais sera-t-on soutenu ? That is the question. Je crois que chaque journée aura son intérêt, sa nouvelle. La commission de permanence se réunit après-demain. Adieu. Adieu.
Votre entrevue hier à 2 heures ne me paraît pas avoir été heureuse. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, mardi 2 sept. 1851

J’arrive, après avoir moins bien dormi qu'à mon ordinaire ; mais je n’en suis pas si fatigué que vous. J’espère que votre nuit aura été bonne. 2 sept. ! Quelle date avec le meurtre de la Reine et de Madame Elisabeth, c’est le plus épouvantable crime de la Révolution ; crime savant, inventé et exécuté de sang froid. J’ai eu dans les mains l’état des salaires payés aux égorgeurs, tant par jour, et par égorgé. Et il y a eu des gens d’esprit assez sots pour croire que c'était là ce qui avait fait l'héroïsme et les victoires des armées françaises.
J’ai été content hier de ma conversation avec Bertin. Je crois qu’elle sera efficace. Sa disposition naturelle est bonne ; mais il est faible et perplexe, et il sera, il a déjà été très travaillé. J’espère qu’il se maintiendra dans une bonne ligne à propos de cette candidature. Il m'a assez parlé des Affaires d'Allemagne. Il a beaucoup entendu dire à Hombourg que la réaction était excessive et inintelligente, surtout en Prusse. Il parait que le Roi de Prusse est bien décrié.
J'ai vu aussi Salvandy que j'ai grondé de n'être pas venu à Londres. Plus on est décidé à déplaire, plus il faut être respectueux. Il arrivait d’Evreux, où il a trouvé le Duc de Broglie extrêmement vif contre la candidature du Prince de Joinville, et toute la politique dont elle est un fleuron.
Il y a eu à Evreux le 26 août un service pour le Roi. Quatre de ses ministres étaient dans la ville, Broglie, Salvandy, Dupont de l’Eure et Hippolyte Passy. Les deux premiers étaient au service, les deux autres se promenaient dans la rue, ce qui a choqué les passants. Les chefs légitimistes du pays. MM. de Vatimesnil et de Blosseville, étaient au service. Adieu. Adieu.

Je vais faire ma toilette et probablement dormir un peu avant le déjeuner. Je suis las. J'ai terriblement couru depuis dix jours. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 3 septembre 1851

J’ai vu hier encore La Redorte, convaincu qu’il n’y aura pas de coup d'État. Il cause souvent avec le Président. Il le trouve perplexe, incertain. Le langage officiel est la pleine confiance. Montebello s’est rencontré chez moi avec La Redorte, il a dit que la seule conduite, bonne efficace était de se rapprocher des hommes conservateurs de s’aboucher avec eux. De convenir de ses faits chacun de son côté. Des promesses de Gentleman. & le Président peut jouer un rôle bien utile, bien grand. La Redorte a assenti, mais il dit que cela ne se traite ni ne s’entame même par intermédiaire. Pour son compte, il s’est refusé à rien dire. Le soir j’ai vu tous les diplomates. Hatzfeld, Kisseleff, Antonini, Hubner, revenu de la veille. Berryer revenu hier matin & repartant aujourd’hui. Il avait passé deux jours chez le duc de Lévis. Il croit qu’il ira pour quelques jours à Frohsdorff bientôt peut-être, il veut voir le comte de Chambord avant la réunion de l’Assemblée.
Le journal des Débats de hier fait beaucoup de bruit. On le trouve habile mais enfin il est Joinvilliste et il admet qu'il pourrait même être Président. Ceci ne s’accorde guère avec ce que vous me dites ce matin. Montebello a causé longtemps hier avec Changarnier. Celui-ci persiste à vouloir être porté. Il croit à son temps et tout au moins à la division des forces entre le président et Joinville. & si lui Changarnier obtenait relativement assez de vous pour être dans les cinq, et bien l’Assemblée le nomme. Il se fait dans ce moment ardent fusionniste plus qu’il ne l'a jamais été !
Voilà ! Je crois que je vais mieux hier soir ne m’a pas trop fatiguée quoiqu'on m’ait retenu jusqu'à 10 1/2. J'ai une lettre de 8 pages de Lord Aberdeen, pleine de pauvres raisons, je vous l'enverrai ou la copie. Je l’ai donnée à Antonini. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 3 sept. 1351
Sept heures et demie

Moi aussi j’avais besoin de dormir. J’y ai réussi. J’étais dans mon lit hier à 10 heures. Je viens de me lever, ne m'étant réveillé qu’une fois dans la nuit. Il fait très beau ce matin, ce qui achèvera de me reposer. Pendant neuf jours de voyage, j’ai passé quatre nuits sur la mer ou en chemin de fer. C’est assez.
On ne sait bien ce qu'on pense que dans la solitude. Plus, j'y pense, plus j’ai peine à croire qu’on tente quelque grand coup. J'ai beau chercher les moyens d'action ; je ne les trouve pas. Et pas beaucoup plus les chances de succès. Je vois bien des gens qui en ont envie, mais, parmi ceux qui en ont envie, presque pas un qui veuille y mettre la main et s'y confier, M. Véron, c’est la France. La conduite expectante, concertée, plus ou moins complètement, plus ou moins visiblement avec le gros des conservateurs de toute sorte me paraît plus probable. S’il n’y avait pas Boulogne et Strasbourg, je n’aurais pas de doute. Mais je le reconnais. Boulogne et Strasbourg sont des raisons de croire à un coup. Voici pourtant la différence. Quand le Président a fait Strasbourg et Boulogne, il n’avait pas de choix ; c'était cela, ou rien du tout. Certainement, s’il était réduit à la même extrémité, il tiendrait la même conduite ; il ferait un coup, n'importe lequel, plutôt que de se laisser tomber à plat. Mais se croit-il réduit à cette extrémité, sans choix aucun à faire ? Je ne trouve pas que jusqu'ici il ait paru bien pressé de le croire, et je ne vois pas pourquoi, il le croirait. A mon avis, il lui est plus aisé de rallier le gros des conservateurs à la perspective de sa réélection que de trouver des instruments et des chances pour un coup d'Etat. Nous verrons, en attendant, je vous envoie mes raisonnements n'ayant pas autre chose à vous envoyer.

10 heures
J'espérais en effet un peu mieux que l'article des Débats qui comme vous dites est très bien fait. J'espérais un long silence. On espère toujours trop. Ils n'ont pas résisté au besoin de faire de la polémique. Je l'avais bien un peu craint en lisant les vives attaques du Constitutionnel.
Moi aussi, je m'attriste de n'être pas avec vous. Mais ce n'est ni pour le coup d'Etat, ni pour aucune candidature. Politiquement nous n'avons, quant à présent, rien à faire, et pas grand chose à dire. Mauvaise condition pour être au milieu du feu. Nous n'avons ni à l'allumer, ni à l'éteindre.
Vous ne me dites pas si vous avez dormi et comment vous êtes. N'y manquez jamais, je vous prie. C'est ma première question à votre lettre quand elle arrive. Adieu. Adieu. Tout est triste. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 4 sept 1851

Vous êtes incomparable pour faire succéder, presque sans intervalle, la plus complète impartialité à la plus vive passion. Vous ne savez que dire à l'article des Débats sur la candidature du Prince de Joinville. Je vous assure qu’il ne détruit rien de ce que vous avez jusqu'ici pensé et dit contre cette candidature. Les Débats ne se sont pas le moins du monde inquiétés de la discuter, d'examiner si elle était bonne ou mauvaise ; ils ont saisi une occasion de faire un hymne, en l’honneur du Prince de Joinville pour couvrir leur embarras sur la question même. Ils repoussent une injure pour se dispenser d'avoir un avis. Que l'effet de leur article puisse être mauvais, je ne le conteste pas, et j’aimerais infiniment mieux qu’ils n'eussent rien dit ; mais je l'ai relu attentivement j’y avais à peine regardé hier matin, en fermant ma lettre ; c'est de la politique purement personnelle dans une situation équivoque, et pour se réserver la faculté de dire plus tard oui ou non selon le besoin de cette situation. Il y a des attaques contre les patrons de la candidature du président et des insinuations contre les patrons de celle du Prince de Joinville. On prépare et on élude. Et on finit par donner au Prince de Joinville des conseils pour son bonheur. Je ne sais ce que fera le Journal plus tard ; mais ceci n’est pas sérieux. Je n'ai encore vu que bien peu de personnes de ce pays-ci ; mais personne ne s'attend à un coup d'Etat ; et s’il arrive sans quelque fait nouveau qui le motive. On n'y comprendra rien.
La disposition des esprits est vraiment singulière et leur fait bien peu d’honneur comme esprit ; on n'a pas du tout le sentiment du danger de la situation ; on est sans confiance, mais aussi presque sans inquiétude. On semble se dire : " Nous nous en tirerons toujours ; après tout, cela ira toujours bien aussi bien que cela va à présent, et cela nous suffit. " Il n'y a point de milieu entre le désespoir de Jérémie et ce stupide aveuglement. Je suis fort triste et encore plus humilié.
Montebello m'écrit, fort triste aussi, mais je vais entrevoir de plus, dans sa tristesse un peu de perplexité. Je n'ai point de perplexité du tout ; nous avons bien plus raison que nous ne croyons. Et il faut nous établir chaque jour plus nettement dans notre avis. Je répondrai bientôt à Montebello. Je voudrais bien qu’il fût tranquille sur sa femme.
Je regarde, et je regarderai attentivement à ce qui se passe en Autriche. Ce sera curieux. Il n’arrivera, à la révolution et aux révolutionnaires, rien qu’ils n'aient mérité ; mais je voudrais bien que la réaction fût conduite habilement, et qu’il en résultât une vraie réorganisation. Je suis un peu pour les gouvernements, comme vous pour les diplomates ; je m’y intéresse, quelque soit leur nom comme à mon métier, et il me semble toujours que je suis pour quelque chose dans leurs revers ou dans ceurs succès.

10 heures
Votre lettre confirme, un peu mes conjectures instinctives. Je croirai au coup d'Etat quand je l’aurai vu. Mais ce qui me plaît le plus de votre lettre, c’est que vous vous sentez mieux. Paris vous reposera et le bon effet des eaux viendra peut-être. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 4 septembre 1851

Vous recevez j’espère le Constitutionnel. Qu'il est curieux celui d’aujourd’hui ! Quel excellent leading article. Et le récit de Claremont d'où vient-il ? Dumon est venu me voir hier matin, il arrivait. Je l'ai mis au courant, il n' avait encore vu personne. La Redorte & Montebello avant le dîner. Parfaitement d’accord qu'il faudrait se rapprocher. La Redorte indique Molé comme la personne la plus propre à cela, lui, Falloux Montebello peut-être. On devrait comprendre cela.
Je n’ai vu le soir que Mercier & Antonini. Je ne sais où étaient mes grandes puissances. Je commence à dormir, mais mes nerfs ne vont pas bien toujours les pieds froids. La Duchesse de Maillé est au plus mal. Il est fort douteux qu'on la sauve. Je ne verrai personne d'ici à la poste, je n’ai donc rien à vous mander aujourd’hui. Le temps se relève, je me fais traîner de 3 à 5. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Vendredi 5 Sept. 1851

Je vois dans les feuilles d’Havas que M. Carlier a livré à la justice un grand complot, qui a des ramifications à l'extérieur comme à l’intérieur, et que déjà 47 personnes sont arrêtées. Que dit-on de cela ? En parle-t-on sérieusement ? Est-ce une préface ? Les Montagnards ont l’air en grande fermentation. L’air, ce me semble, plutôt que la réalité. Ce sont des conspirateurs aussi alarmés qu'obstinés. Si le voeu des conseils généraux pour la révision va comme il paraît, presque à l'unanimité, ce sera un fait grave, et qui pèsera beaucoup sur tout le monde. Dans ce pays-ci, ce voeu a été exprimé sans contestation et sans confiance ; le conseil général a à peine discuté ; le public en veut aux adversaires de la révision sans espérer beaucoup de la révision même.
Ce qui me revient du Général Changarnier est tout-à-fait conforme à ce que vous m’en dites. Voulant être porté, promettant qu'après, il fera tout ce qu’on peut désirer, mais ne voulant, rien faire avant. Je comprends cette attitude quand il était employé par le gouvernement et à la tête de l’armée. Mais à quoi lui sert-elle aujourd’hui ? Si je suis bien informé, la candidature du Prince de Joinville dans le Finistère a peu de chances, et on y renonce. Mais on renonce si peu à le faire élire représentant qu’il est question de la démission d’un député du département de la Somme, en remplacement duquel l'élection du Prince de Joinville serait certaine. On s’en occupe sérieusement à Amiens, et on attend des réponses de Claremont.
Voilà la Duchesse de Montpensier accouchée. Rien ne retiendra plus le Duc d’Aumale à Séville et la délibération de famille, pourra bientôt avoir lieu.
J’écrirai à Lord Aberdeen, quand j'aurai lu sa lettre Je viens d'achever la lecture de celles de Gladstone. C’est un honnête homme qui croit sincèrement ce qu’il dit, mais qui croit bien légèrement ce qu'on lui dit, et qui dit bien inconsidérément ce qu’il croit.

10 heures
Je vais lire le Constitutionnel. L’inconvénient des meilleurs articles, c'est qu’ils fomentent la polémique, engagent les amours-propres et rendent les hésitations et les retours presque impossibles. Adieu. Adieu.
Vous avez raison de vous faire traîner pendant les heures, ou il y a encore du soleil. La Redorte et Montebello ont raison de soutenir, et il ne faut pas qu’on soit du même avis pour rien. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Vendredi le 5 Septembre 1851

Voici Aberdeen. Vous me dites très vrai sur les Débats. Aujourd’hui ce journal est en retraite. Je vous enverrai copie de ce que me dit Beauvale sur Claremont. Le voici ; Marion est expéditive. Comme vous avez bien fait de parler à Claremont. Je suis charmée que les Débats aussi répètent la conversation. Les arrestations font assez d’effet. Il me semble avoir compris que la commission incitait le [gouvernement] à faire des démarches auprès du [gouvernement] anglais.
J’ai vu hier soir des Napolitains. Le [Prince] San Giacomo entre autres ami de mon fils Alexandre. Il arrive de Vienne. Schwarzenberg lui a dit : " Il nous restait une espérance. Un ministre conservateur en Angleterre. C’est fini, L. Aberdeen même fraie avec la Révolution. " Il est impossible de se conduire plus pitoyablement. que ne l'a fait notre ami. Dites-moi que vous lui avez écrit et dit des vérités, de mon côté ce n’est pas fini. Je lui en dirai de bonnes sur sa lettre. What en apology ! Je ne sais vraiment rien. J'ai vu hier Montebello, le soir des diplomates, ils ne savent pas grand chose. J'ai mal dormi, je ne retrouve pas mon équilibre. Adieu. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Samedi le 6 septembre 1851

J’ai vu assez de monde hier soir, et un moment Dumon & Vitet seuls. Nous avons parlé de la lettre dans le Times. Ils sont d’avis de regretter les détails de la mise en scène. Il y a peu de convenance à ce récit pris par le menu. Cela m’avait frappée aussi. Je vous crois brouillée avec Claremont dès cette lettre car il est clair que c’est dans vos conversations qu'on aura recueilli tout cela. L'effet est excellent pour la chose essentielle est peut être un peu dommageable pour vous. Je suis étonnée qu’aucun journal ennemi ne relève cela encore. Je ne vois pas ce qu'il y a à faire. Il faut laisser passer.
On rit beaucoup du journal des Débats d’hier. Le Constitutionnel en tire bon parti ce matin. Léon Faucher a dit hier. Les arrestations sont très nombreuses, & les papiers sont trés importants. A quelqu’un qui lui demandait si l’on avait arrêté quelques représentants, il a répondu, pas encore.
Hubner reconnaît parmi les personnes saisies le plus mauvais des assassins du [général] Latour. Je n’ai pas vu Montebello hier. Sa femme allait moins bien. Moi je me plains aussi. Deux nuits sans sommeil. Je ne saurais comprendre cela. Votre petit ami est venu tout à l'heure. Nous avons parlé de ce qui fait le sujet du commencement de cette lettre. Il n'est pas de mon opinion, & il m'y a fait renoncer facilement. Il y avait tant de monde dans ce salon qu’il n’est pas nécessaire de vous attribuer le récit. En attendant cette lettre du Times fait un bruit énorme. Hubner croit qu’elle retentira bien fortement dans toute l’Europe. Quel abaissement pour les Princes ! Je crois la candidature ruinée par là, ce serait une bien bonne affaire. Je ne sais rien de nouveau à vous dire. Thiers est attendu aujourd’hui. Adieu. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Dimanche le 7 Septembre 1851

Plus j’y pense, plus je suis contente de ce que vous avez fait à Claremont. Comme cela a éclairé la situation ! & puisque vos princes sont de si pauvres gens, tant mieux que cela soit proclamé. Quelle mauvaise race et comme la bonne aura toujours raison de se défier d'eux.
Carlier a dit hier à [Kisseleff] qu'on a saisi surtout des papiers importants. L’affaire n’ira pas devant le jury. Elle sera jugée plus sommairement. La grande chose à présent c’est les élections. On les veut très prochaines. A la question si cela serait encore cette année, il y a eu doute à cause de mouvement de [communes] du nouvel an, mais certainement cela sera au mois de janvier. J’ai vu hier Hatzfeld, Dumon & Kisseleff. J’avais fermé ma porte aux autres. J’étais trop fatiguée. Hatzfeld est d’opinion que les arrestations sont un prélude. Le public ne s’est pas ému le moins du monde. On peut aller de l’avant & de degrés en degrés faire un coup d'Etat qui n’a pas l’inconvénient d’un coup de tonnerre. Je crois qu’on serait fâché à l’Elysée de voir la candidature Joinville tout à fait morte, car elle sert à effrayer les légitimistes et à les rapprocher de l'Elysée. Quant à nous autres nous sommes très décidément pour le Président. Il n'y a pas mieux, il n’y a pas si bien, il n'y a même personne.
Je n'ai plus entendu parler de Morny. La Redorte est parti depuis plusieurs jours. Je n'ai pas encore fait savoir à Changarnier mon retour. Je le ferai demain. Je vous ai dit qu'il va aujourd’hui à Champlatreux avec Montebello. Molé m'écrit pour me presser beaucoup d'aller le voir. J’irai dans la semaine mais pour quelques heures seulement. Comme vous dites bien sur Lamartine ! J'ai un peu dormi cette nuit, pas beaucoup. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 7 sept. 1851

Aberdeen et Gladstone ont fait chacun une faute peu anglaise. Evidemment Gladstone devait attendre pour publier, la réponse du Prince de Schwartzemberg puisqu'il l’avait provoquée ; et quand Aberdeen a vu que Gladstone voulait publier sans attendre, il devait lui refuser absolument l’usage de son nom. Gladstone a eu, pour lui-même, une impatience d'enfant, et Aberdeen a eu pour Gladstone une faiblesse d’amant. C’est très fâcheux, car évidemment aussi, si Gladstone avait attendu quelques jours de plus, la lettre de Schwartzemberg lui aurait donné, un commencement de satisfaction ; il n'aurait pas publié ses lettres ; Schwartzemberg aurait fait à Naples quelque démarche et obtenu quelques adoucissements. Il y aurait eu un peu de bien et point de bruit ; il y a beaucoup de bruit et point de bien. Je leur dirai quelque chose de cela à tous les deux. J’ai là deux excellents amis dont l’un n'a pas un jugement bien sûr, ni l’autre un caractère bien fort. Du reste la lettre d'Aberdeen m’a fait plaisir en ce sens qu'elle m'a prouvé qu’il avait sérieusement agi pour empêcher la publication, et que le Prince de Schwartzenberg l'avait sérieusement écouté. C'est bien dommage que la chose ait mal tourné ; Aberdeen y perdra de son crédit à Vienne et Schwarzenberg de sa bonne disposition.
Vous avez certainement répondu à Beauvale que le récit du Times était vrai. Il y a bien des méprises et des omissions ; mais peu importe l'effet est produit. Et à en juger par l'effet produit à Paris et sur les journaux, je ne serais pas étonné qu'à Claremont, il y eût aussi quelque effet par réaction, et que nous vissions faire là un mouvement de retraite analogue à celui des Débats. Celui-ci est excellent ; je connais les personnes ; elles hésiteront et tarderont beaucoup à se rengager si même elles se rengagent, ce dont je doute. Je craignais qu’il n’y ait là plus de parti pris d'Orléaniste, et plus de pique de journaliste. Pourvu que le Constitutionnel et autres ne les taquinent pas trop sur leur retraite. Beauvale est plus puritain que je ne croyais. C'eût été, de la part du Roi Louis Philippe, une vertue sublime de ne pas se tenir en mesure de profiter des fautes prévoyables de la branche aînée, et d'en accepter au contraire la solidarité, ainsi que celle de ses destinées. Car il n’y avait pas de milieu pour lui ; il fallait ou se distinguer nettement afin de pouvoir rester en France après les ordonnances de Juillet, ou se confondre absolument avec Charles X et émigrer de nouveau avec lui. L’alternative était dure ; et des Anglais qui trouvent très bon que Guillaume 3 se soit tenu si à part du Roi Jacques son beau-père et ait fini par le chasser lui-même n'ont pas le droit d'être si exigeants envers le roi Louis-Philippe. Ceci soit dit sans rien retrancher de ce que je pense et viens de dire à Claremont sur la conduite actuelle.
Je remercie Marion, après vous des deux copies. J'ai aussi de loin mes petits profits dans son séjour auprès de vous. Le langage de Changarnier à la Commission de permanence sur les réfugiés de Londres et le gouvernement anglais m'a frappé. Ce n'était pas à lui à mettre des bâtons, dans ces roues là, que les bâtons soient légitimes au non. [...]

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23014_00250.jpg
Val Richer. Lundi 8 Sept. 1851

Quand je me décide à poursuivre un but ou à faire une démarche, je prends en même temps mon parti des inconvénients du but, ou de la démarche ; il n’y a point d’action qui n'ait son péril et point de succès qui ne se paye.
Je ne veux pas de la candidature du Prince de Joinville ; je la trouve peu honorable et fatale. J'ai voulu qu'on sût mon avis à Claremont, et qu’on sût ailleurs que j’avais dit mon avis à Claremont. D'abord pour mon propre honneur, et pour la liberté de ma conduite, mais aussi pour influer, s'il est possible sur l'événement même et pour écarter ou faire échouer d'avance cette candidature. J’ai donc parlé tout haut à Claremont et partout.
La lettre du Times est pleine de méprises, d'omissions de confusions et d'incon venances ; mais le fond est vrai, et l'effet de la publicité de cette vérité est bon. Je ne m'en plains donc pas. Quand j’ai fait ce que j’ai fait, je savais bien que si je ne le faisais pas, d'autres ne le feraient pas. Je suis de ceux qui attaquent le mal et non pas de ceux qui se contentent de le critiquer. Soyez tranquille ; je ne serai pas brouillé avec Claremont pour cela. On y a certainement beaucoup d'humeur contre moi ; mais on ne se brouille pas parce qu'on a de l'humeur. Tous les Princes sont prudents. Et puis il y en a là qui m’approuvent, quoique je les embarrasse.
L'article du Constitutionnel sur les Débats est bien inopportun. Quand on veut réussir, il faut savoir se taire et être modeste dans le succès ; mais peu importe le succès aux journalistes. Ils sacrifient tout au plaisir de la vanterie et de la taquinerie. Énorme difficulté dans les affaires.
Mad la Duchesse d'Orléans a quitté Claremont avant que M. le Duc d’Aumale y fût arrivé. La délibération de famille ne sera donc pas complète ; il y manquera une grosse pièce. On ne donne pas ses pouvoirs indéfiniment en pareil cas. Je trouve ce voyage de Mad. la Duchesse d'Orléans assez singulier dans ce moment. Du reste ils peuvent rester encore indécis et silencieux. Elle sera sûrement de retour à Claremont au mois de Novembre. Je suis curieux de savoir si Thiers restera à Paris. Son journal l'Ordre devient bien violent contre les légitimistes et les fusionnistes.

10 heures
Je n'ai que le temps de fermer ma lettre. Je viens d'en écrire une très longue à Croker qui en avait besoin pour le L. R. Merci des détails que vous me donnez. Je suis bien aise que Changarnier aille à Champlâtreux avec Montebello. Adieu, adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23014_00252.jpg
Paris le 8 septembre Lundi

Votre lettre sur Aberdeen est excellente. Vous me direz ce que vous lui aurez dit. La mienne est partie, de la tristesse de la part [?] qu'il a à une mauvaise action. Votre observation sur le langage de Changarnier à la Commission me parait bien juste aussi, & neuve. Je ne l’ai entendu faire à personne. Je saurai des nouvelles de lui aujourd’hui.
Hier soir j’ai vu la diplomatie y compris le nonce et mon nouveau favori le Prince San Giacomo. Vraiment charmant. Rien de nouveau du tout. Paris est désert & ignorant. Le Président s’est établi à St Cloud pour la chasse. Constantin me mande qu'on est ravi des ordonnances autrichiennes. L’entrevue entre Le Roi de Prusse & l’empereur d'Autriche à [?] a réussi à merveille. J'écris aujourd’hui à l'Impératrice par une bonne occasion. Adieu ma lettre est pauvre. Je crois que je vaudrai mieux demain. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 9 Sept.1851

Je ne crois pas aux élections si prochaines qu'on vous l'a dit. Elles ne se feront certainement pas avant le mois de Janvier, car la seconde discussion sur la révision ne sera finie qu’en décembre ; et quand Janvier sera venu, on trouvera que le cœur de l’hiver ne convient pas pour faire voyager les électeurs. On attendra probablement jusqu'au mars sans inconvénient, ce me semble, tout ce qui importe, c’est que les deux élections ne soient pas simultanées, et que celle de l’assemblée précède l'autre.
J’ai eu hier la visite d’un des hommes les plus influents et les mieux informés de ce pays-ci. Il trouve que le progrès des idées et des sentiments sains est réel dans les masses, et que pour ces départements du moins il y a plus à espérer qu'à s'inquiéter de l'avenir. Il ajoute que pas un de ceux qui ont voté contre la révision ne sera réélu. Certainement la candidature du Prince de Joinville, qui n’avait pas fait grande fortune dans ce pays-ci, y est, quant à présent, en grand déclin.
Le Roi de Naples a raison de ne pas laisser tomber dans l'eau l’attaque brutale de Lord Palmerston, son annonce d'une réfutation officielle des Lettres de Gladstone n'est pas mal tournée, quoique trop longue et trop [ennuiellée] envers Palmerston lui-même. Trois résultats sortiront de cette affaire ; le Roi de Naples après s'être défendu, prendra quelques mesures, plus ou moins publiques et plus ou moins efficaces, pour que ses prisons et ses procès n'excitent plus de telles clameurs. Palmerston se sera mis de plus en plus dans les bonnes grâces des libéraux Italiens ; et Gladstone, en atteignant un peu son but philanthropique, aura fait grand tort à sa réputation de conduite et de bon sens. C'est l'honnête homme qui paiera les frais du service qu’il aura rendu. Par sa faute j'en conviens. J'ai commencé hier à lui écrire, et à Aberdeen aussi.
Je m'étonne que vous n'ayez pas revu Morny. On le dit bien préoccupé de ses propres affaires. Voilà le mouvement des Conseils Généraux complètement terminé. Il a dépassé l’attente des amis les plus sanguins de la révision. J’avais parié pour 70 consuls qui la voteraient ; il y en a 80.. Cela me touche surtout comme preuve de l'accord qui s'est maintenu entre les deux camps conservateurs. Je ne me préoccupe sérieusement que de cela. C'est cela qui fera le reste, puisque les Princes ne veulent pas le faire eux-mêmes.

10 heures
Adieu, Adieu. Vous ne me donnez rien à ajouter et je n'ai rien d'ailleurs. Je n'ai pas encore là mes journaux. J’ai plusieurs lettres à fermer. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 9 Septembre 1851 Mardi

Thiers est revenu en très belle humeur, il dit que le pays est bien plus démocratique qu’il ne l’avait cru, mais qu'il s'accommoderait très bien de la forme monarchique recouvrant le socialisme. Il va à Londres. Voilà ce qui m’a été dit hier de source à ce qu’il me paraît. Changarnier est bien animé. Plein de professions de dévouement à la bonne cause. Il met toute la gloire à la servir, mais il ne peut pas affecter cela sans compromettre son élection à la présidence sur laquelle il compte, à quoi il travaille, & qui servira au moins à diviser les voix. On veut lui imposer un certain engagement, obtenir quelque garantie, il est prêt à la donner, il faut inventer, chercher. L'Elysée semble disposé à se rapprocher de Molé, on dit même de Changarnier ; je vous redis ce qu'on me dit et tout cela est encore à l’état de symptômes. Je n’ai pas vu Changarnier. J’ai vu hier Mad. Decazes. Elle est convaincu que Joinville sera élu. Elle dit : " Pourquoi pas ? Ceci vaut mieux que 1830. On ne chasse personne. " On fait aujourd’hui l'opération de la peine au Duc Decazes. Il en a fort peur. Lord Granville est ici. Il est venu me voir hier. Spirituel & doux, & ne m’apprenant rien de nouveau.
Je ne me sens toujours pas bien. Pas de sommeil et très nervous. Adieu. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23014_00262.jpg
Val RIcher Mercredi 10 Sept. 1851

Voici ma lettre à Gladstone. Si vous la montrez à quelqu'un, n'en laissez, je vous prie, prendre copie à personne. Je ne voudrais pas qu’en tout ou en partie elle vint à circuler. Ce serait un mauvais procédé envers un ami. Quant à Aberdeen, je lui envoie copie de ma lettre en même temps que l'original que je le prie de faire parvenir à M. Gladstone dont je ne sais pas l'adresse, et j’ajoute pour lui : " Je regrette vivement que M. Gladstone ait publié ces lettres et qu'elles vous soient adressées. Je regrette encore plus, s'il est possible qu’il n’ait pas eu la patience d'attendre la réponse du Prince de Schwartzemberg. Et pour tout vous dire, je regrette surtout que, lorsque vous avez vu qu’il ne voulait plus attendre vous n'ayiez pas cru pouvoir lui retirer l’autorisation d'associer votre nom à sa publication. Vous aviez pris, en écrivant au Prince de Schwartzemberg, le seul moyen efficace de faire porter remède, à ce qu’il peut y avoir de vrai dans les assertions de M. Gladstone. C'est grand dommage qu’il ait détruit lui-même, par sa précipitation, l'efficacité de ce moyen. Le bruit qu’il a fait ne le remplacera pas.” Je lui parle ensuite un peu de nos propres affaires. La nouvelle Lettre du Correspondant du Times insérée dans le Constitutionnel est curieuse. Il y a, ce me semble, moins d’erreurs que dans la première. C'est peut-être parce qu'elle parle de faits qui ne me sont pas personnels, et que j’ai seulement entendu conter. Les Régentistes de l'ordre sont furieux. Evidemment cela leur fait beaucoup de mal. N'avez-vous rien entendu dire de Thiers depuis qu’il est à Paris? Savez-vous si Berryer est effectivement parti pour Frohsdorff ? Je suis bien questionneur. La Gazette de France est contre Berryer, dans une vraie rage. Elle dit qu'il est allé chercher un blanc-seing pour le Triumvirat Guizot, Berryer et Falloux. Elle le compare à Cinna :
Et tu ferais pitié, même à ceux qu’elle irrite,
Si je t'abandonne à ton peu de mérite.

Ce qu’il y a de déplorable c’est que ces violences des Légitimistes pointus font tout, même aux Légitimistes modérés qui en sont l'objet. On prend toujours les pointus pour les vrais interprètes du parti. Je suis de plus en plus frappé de la méfiance et de l’antipathie du pays pour les Légitimistes. Ils ont absolument besoin d’une longue bonne conduite pour reprendre position, et nous avons nous-mêmes de grands soins à prendre pour les aider à revenir sur l'eau au lieu de nous noyer avec eux, ce qui arriverait infailliblement. Si nous nous laissions prendre par eux à bras le corps, et confondre avec eux comme quelques uns le voudraient.

Onze heures
Votre nervosité prolongée me déplait. Vous devriez voir [Chomel]. Je ne crois pas qu’il y ait rien de bien actif à vous faire ; mais peut- être un certain régime, bien suivi, vous calmerait sans vous affaiblir. Adieu, Adieu.
Je reçois un mot du Duc de Broglie. J’irai mardi prochain 16, pour dix ou douze jours. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 10 Septembre 1851

Hier M. de Buttenval, arrivé de Turin. Il est bien noir sur l’Italie. Pas le Piémont là cela va assez bien, & l'on se rapproche un peu de l’Autriche. Mais à Milan, à Florence à Rome, c’est aussi mal que possible. La compression autrichienne arrivée à sa dernière limite dans les deux premières villes. Une explosion, probable. Il ne sait rien sur Naples.
J’ai eu un long tête-à-tête hier soir avec le Général Changarnier. Il a beaucoup parlé et bredouillé, car vous savez que je ne saisis pas tout ce qu'il dit. Il s’est plaint des défiances, des maladresses, du manque d'ensemble dans le parti conservateur. On ne devait pas voter la révision, les départements n'ont été que les échos de la majorité. Elle est donc puissante. Elle pourrait donc faire mieux & autrement qu’elle ne fait. Sur la candidature Joinville il pense comme moi à peu près ; seulement il ne lui préfère pas comme moi le président. Il ne veut ni de l’un ni de l’autre. Et si c’était le Président nous aurions la guerre tout de suite. Il la ferait pour se soutenir. Cela faisait réponse l’indépendance est fort injurieuse pour vous au sujet des lettres sur Claremont.
Je vous écris vite et mal. J'ai les nerfs mal arrangés. Toujours de mauvaises nuits, toujours de l'agitation. Oliffe est revenu hier. Il me trouve changé et mon pouls aussi. Il dit que cela se remettre, mais je ne suis pas entrain de me remettre. J’avais fixé d’aller à Champlatreux aujourd’hui, j'y renonce C'est de la fatigue Adieu. Adieu. Adieu
On a fait hier l’opération à Decazes. Il ne va pas mal aujourd’hui !

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 11 Sept 1851

J'ai passé hier ma matinée à Lisieux. 26 visites ! à la vérité, je n'en ai trouvé que six. Dans les villes de province comme à Paris la société est dispersée et court les champs. Ce n'est pas la peine de vous redire mes observations sur l'état des esprits. Je n’ai rien entendu de nouveau. J'arrive toujours à la même conclusion ; s'il ne survient point d'événement qui dérange la pente des choses, on élira une assemblée plus présidentielle que celle-ci, et puis on réélira le Président, dans la confiance que l'Assemblée couvrira l’inconstitutionnalité de sa ratification. Toutes les autres combinaisons, toutes les autres. prétentions sont en dehors du sentiment national. Il est vrai que, dans mon pauvre pays le sentiment national est bien souvent bafoué et foulé aux pieds. Il se venge ; mais cela ne le sauve pas.
Je travaille beaucoup. J'écris ma politique personnelle ; ce que j’ai cherché pour mon pays ; fragment de Mémoires personnels. Je veux avoir cela tout prêt, pour le publier au moment qui me conviendra. C’est un grand amusement et ce peut être un grand intérêt pour moi. Je crois que cela vous intéressera aussi. On peut très bien trouver la garantie qu’on cherche pour Changarnier. Je suis moins sûr, qu'elle lui convienne quand on l’aura trouvée.
Si Thiers va à Londres, c'est pour faire cesser les hésitations qui existent encore là, qui ont même augmenté, je crois, dans ces derniers temps, et qui empêchent toute conduite positive et publique. Or il n’y a que les conduites positives et publiques qui réussissent. Thiers ira quand le Duc d’Aumale y sera arrivé, pour être de la délibération de famille. Je ne crois pas qu'on lui résiste. Il fera adopter le plan de campagne qu’il proposera. Quel sera ce plan. C'est ce qu’il faudra savoir le plus tôt possible. Il y en avait eu un premier qui a été fort dérangé. Nous verrons ce qui adviendra du second.
Est-ce que personne à votre connaissance, ne parle d'aller aussi voir Madame la Duchesse d'Orléans à Eisenach ? Je n’entends plus parler du tout de Piscatory. Il ne m’a pas écrit depuis que je suis ici. J'en saurai peut-être quelque chose à Broglie. En tout cas je romprais moi-même le silence. Je ne veux, ni me brouiller avec un ami, ni me laisser boucher une fenêtre sur le camp ennemi. Avez-vous quelque certitude qu’il est en correspondance avec la Duchesse de Talleyrand ? Cela vaut la peine de le savoir sûrement. Je m'étonnerais que de la part de Palmerston, cette correspondance eût recommencé sans quelque intention. Il a à la fois beaucoup de premier mouvement et beaucoup de calcul. Et il peut avoir envie de s’entrouvrir, en tous sens des portes.

11 heures
Merci de votre longue lettre. Je vous remercierai bien plus encore quand vous me direz que vous vous sentez mieux. Voilà des visiteurs de Trouville qui viennent me demander à déjeuner. Hippolyte de La Rochefoucauld et cinq ou six Mallet, Labouchère & Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 11 septembre 1851 Jeudi

Je réponds à vos questions. Pas un de mes diplomates n'a encore vu Thiers, Marion seule l’a vu. Elle l'a trouvé engraissé de très bonne humeur. Ses femmes disent qu’elles veulent aller en Écosse. Lui a dit à Marion, qu’il ne s’en souciait pas, & il a joute, je ne veux pas que le Times raconte mes conversations. La vraisemblance est qu'il n’ira pas. Quant à Berryer je l’ai vu hier soir. Il arrivait de la campagne pour avoir aujourd’hui à midi une réunion avec ses ami Noailles & &. Après quoi il s’en retourne de suite à la campagne. Il doute de son voyage à Frohsdorf. Je crois qu’il ne le fera pas.
J'avais hier soir tous mes diplomates & Vieil Castel. Hubner avait eu la veille une audience d'une heure & demie chez le Président. Il en est sorti charmé. Il l’a trouvé plein de sens, & de convenance & d'esprit. Son impression est qu'il est en pleine confiance et sans aucun projet de coup d’état. Il a parlé de Joinville et ne croit pas à ses chances. Il faut l’une ou l’autre condition être légitime ou souverainement populaire. (C'est une autre expression dont il s’est servi, mais à peu près cela) il n’a pour lui ni l’un ni l’autre. Je retourne à Changarnier. Il s’est moqué selon sa coutume à peu près de tout le monde seulement en parlant de Molé il a dit, il ne faut pas que j'ai [?] car dans ce moment il est bien pour moi. Vous ai-je dit que je lui ai raconté la duchesse d'Orléans, se moquant des dîners fusionnistes, & disant Changarnier m’appartient ? Cela l’a piqué un peu et il m'a assez longuement raconté, qu’il ne devait rien aux Orléans.
Hatzfeld le matin. Il est malade et ne sort pas le soir. Il trouve insensé que je veuille me renouveler. Il croit à un hiver très agité mais tranquille dans la rue. Mais vers le premier de Mai si rien n’est décidé, il enverra sa femme en Angleterre, & il me conseille d’y aller alors. Croyez-vous cela vrai ? Voici mon affaire je crois. J’ai envie d’être propre, il n’y a pas assez de péril pour me refuser ce plaisir. Si je n’en avais pas envie, j’ai les meilleures raisons pour ajourner après la crise. Voyons décidez.
Vous aurez soin de me dire comment on adresse des lettres à Broglie. La Duchesse de Maillé est morte hier matin. On dit que c'est une perte. Elle était un centre, et une personne très utile. Montebello va s’établir demain avec sa femme à Beauséjour. Je suis très contente de votre lettre à Gladstone. Soyez tranquille, je n'en abuserai pas. Vous avez encore. été bien modéré. L’article dans l’Indépendance contre vous a fait de l’effet, ce n’est pas dans la correspondance de Paris mais le Leading article. Cela a l'air de venir de la cour. Je vous l’envoie pour le cas où vous ne l’ayez pas. et voici qui je découpe aussi une lettre de Paris sur ce même sujet qui est bien faite / & que je lis à l’instant. Adieu. Adieu

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Vendredi 12 sept 1851

J'ai reçu hier une singulière lettre de Barante, un long plaidoyer en faveur de la candidature du Prince de Joinville. Le plaidoyer lui est, je le parie, venu de Claremont, par la voie des d’Houdetot. C'est une tentative indirecte pour me détourner de mon opposition. J’ai reconnu les raisonnements et presque les paroles de la conversation de Jarnac. On est de mon avis sur la fusion, seul dénouement qui n'aurait point le caractère révolutionnaire On me promet que de tous les présidents possibles, le Prince de Joinville sera le plus disposé et le plus propre à accomplir cette œuvre-là. On me fait observer qu'il ne peut s’y engager expressément, car il diminuerait beaucoup les chances de son élection, et peut-être même celles de la réussite du projet définitif. On espère que sa candidature n'appartiendra pas seulement " à ce funeste tiers-parti qui recommencerait, pour la servir, alliance des banquets. "
On se demande, et on me demande pourquoi les légitimistes, ne se joindraient pas à ce mouvement, dont ils feraient leur profit qui serait aussi le nôtre ; alors la fusion porterait de bons fruits et beaucoup de gens qui n’en sont pas viendraient s’y ranger. " En même temps qu'il me transmet ces arguments, Barante ne se soucie pas que je le prenne tout à fait pour une dupe, car il ajoute : " Ce ne sont point là mes espérances ; mais si j'en avais, elles s’attacheraient à cette branche de salut. "
Je me rappelle en ce moment que les Anisson aussi étaient à Claremont il y a quinze jours. La commission est probablement venue à Barante par cette voie-là. Je lui répondrai sérieusement et innocemment en lui expliquant bien pourquoi je suis convaincu que M. le Prince de Joinville, voulût-il la fusion, ne serait pas en état, s’il devenait président, de résister à Mad. la Duchesse d'Orléans, à Thiers et au courant révolutionnaire qui n’en voudraient pas.
Mes arguments ne réussiront pas mieux par la voie détournée qu’ils n'ont réussi par la voie directe, et que ceux qu'on m'envoie ainsi de nouveau ne réussissent auprès de moi. Mais on verra encore que je suis bien décidé, et que si on persiste, il faut se contenter d'être le candidat de ce funeste, Tiers-Parti recommençant l'alliance des Banquets.
Butenval a fait sa diplomatie avec vous. Adoucir l’Autriche quant au Piémont et l'inquiéter sur une explosion probable du reste de l'Italie. Petite manière d'avoir l'air de protéger un peu les pauvres libéraux Italiens. Je déplore la situation de la France en Italie. Elle n’y sert ni la cause de l'ordre européen, ni celle de sa propre influence. Elle pouvait tirer grand parti de l'expédition de Rome pour l'un et l’autre dessein. Elle ne fait que dépenser là son argent, pour une vaine apparence de pouvoir. C'est une politique aussi puérile que celle de Palmerston est perverse.

10 heures
Votre lettre est très intéressante et vous avez l’air moins fatiguée. Je vous vois quand je vous lis. Si la correspondance du Times, empêche Thiers d'aller à Londres, c’est un second service qu’elle rend.
Je suis trop loin pour prendre exactement la mesure de votre envie de renouveler vos meubles. Car votre envie est la seule bonne raison de ce renouvellement. Je ne crois point à un bouleversement, ni avant 52 ni au printemps de 52. Le péril à mon avis n’est pas grand, et si votre plaisir à avoir un meuble neuf doit être très vif, ayez un meuble neuf. Plaisir à part comme on ne peut pas dire qu’il n’y ait point de mauvaise chance du tout, et comme votre mobilier est encore fort convenable, il est plus sage d'attendre. Conclusion : si c'était moi j'attendrais. Pour vous, je ne puis pas décider ne sachant pas au juste quel plaisir vous aurez à regarder un meuble neuf ; et quel déplaisir à voir encore le vieux. Adieu, Adieu.
Mon adresse à Broglie sera : chez le Duc de Broglie à Broglie. Eure. Adressez-moi là votre lettre de Mardi 16, je ne partirai d’ici mardi qu'à midi. La poste de Lundi, me sera arrivée. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris vendredi le 12 septembre 1851

Saint-Aulaire est venu hier & Vitet & Montebello, voilà pour la matinée. Le soir je n’ai vu qu’Antonini tout seul. J’expédie d'abord celui-ci. Valdegamas avait dîné chez lui se louant extrêmement du gouvernement français qui met la flotte des Antilles aux ordres des gouverneurs de Cuba. Tandis que le gouvernement Anglais donne raison aux américains. Morny aurait eu une entrevue avec Mallat. Est-ce vrai ?
Ce que je sais c’est que Morny est à la chasse. Vitet était bien sombre. Si on ne convient de rien avant l'Assemblée, la gauche proposera les loix pénales contre les votes illégaux & il sera bien difficile de s'opposer. Changarnier pousser à ce vote tant qu’il peut. Comment entre l'Elysée & les légitimistes n’'y a t il pas quelque rapprochement ? Si cela était, tout pourrait aller. Je suis étonnée que le duc de Noailles ne soit pas venu me voir hier. Il passait la matinée en ville. J'ai oublié de vous dire qu'on a envoyé chercher Falloux. C'est Berryer qui me l’a dit. Montebello serait bien d'avis qu'on s’arrangeât avec le président. Saint-Aulaire croit savoir que le duc de Broglie est en grave blâme des lettres dans le Times. C'est un peu l’opinion de tout le monde. Barante dit que son département est très Joinvilliste.
Vous avez là tous les commérages que je sais. Marion a dîné hier chez Salomon Rothschild en famille avec Changarnier. Mad. (James] seule manquait elle est à [Ferrières]. Changarnier folâtre et disant à Marion qu’elle avait eu tort de nous quitter avant hier. Il n'a de secret pour personne. Sa politique est la plus nette dégagée de tout image. Il est monarchien, & veut un Roi. Il n’a pas dit lequel. Le ton de la maison était hostile à l’Elysée. La Rochejaquelein disait hier à Montebello que sa candidature, qu'il avait traité lui-même de plaisanterie devenait très sérieuse, & qu'il avait déjà au-delà de 600 m. voix ! Le duc de Lévis parle très mal de tout projet de rapprochement avec l’Elysée. Marion a vu hier matin M. Royer, très animé et se moquant beaucoup de Changarnier.
Mes nuits continuent à être mauvaises. Je n'ai pas à me plaindre d’autre chose. C'est bien assez. Le Prince Metternich trouve comme moi la lettre d'Aberdeen pitoyable. Marion est convaincu que Gladstone et peut-être même notre ami n'ont pas été fâché de se réhabiliter auprès des libéraux et de reprendre un peu de la popularité que leur avait fait perdre leur vote sur le bill Catholique. Elle pourrait bien avoir raison. Ma lettre est une vraie mosaïque on m’interrompt. Joaillier & tapissier. Je suis embarquée pour ma chambre à coucher. Il faut aller. Mais j’arrête pour les autres. On m’interrompt. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Samedi 13 sept 1851

Je désire que le Président soit dans la disposition dans laquelle Hübner croit l'avoir vu. C'est, je pense, la meilleure, pour lui comme pour nous. Malgré l'éloquence de Barante, la candidature du Prince de Joinville ne me semble pas en progrès ; elle ne supporte pas d’être longtemps sur la scène. Je persiste à ne pas comprendre pourquoi on l’y a mise sitôt. Le calcul est bien faux ou l’étourderie bien grande. La colère de ses partisans est la meilleure preuve que j’ai frappé juste et à propos.
Merci des articles de l'Indépendance belge. Tout cela, c’est toujours du Thiers. Il a à lui le [Rogier], aussi bien que le [Rogier] et presque toutes ces correspondances, sont faites sous ses yeux et par son souffle. Le leading article, je crois, aussi bien que les correspondances. C'est de la politique du Rogier de Bruxelles, ministérielle plutôt que royale. Le Roi Léopold n'est jamais, si agressif, même quand au fond, il est décidé. Et je doute qu’il soit décidé. Nous verrons. Tout cela fait une grosse affaire. J’y ai pris la seule attitude qui me convienne. Advienne que pourra. Il y a un avantage à devenir vieux ; on tient plus à avoir raison et moins à réussir quoiqu'on aie moins de temps, pour attendre le succès.
Malgre les menaces de Changarnier, je ne crois guère à des luttes violentes au mois de mai. Si le vent souffle dans les voiles du président, les résistances annoncées seront balayées, avant de commencer, si le vent ne souffle pas, il y aura embarras pour tout le monde, mais non pas lutte déclarée. Voilà mes pronostics. Nous avons le temps d'y regarder et d'y penser.
Profitez-vous de cet admirable temps pour vous promener, et comment vous en trouvez-vous ? Le soleil ne nous quitte pas depuis huit jours, et la verdure est encore très fraîche. Mais l’air aussi est frais presque déjà froid. Je crois que ma fille aînée, son mari et son enfant iront passer l'hiver dans le midi probablement à Hyères. Leur médecin, le leur recommande fort, pour la santé, et de la petite fille qui est toujours délicate, et du père qui souffre d’une névralgie dans la tête, pour laquelle on dit que la chaleur est nécessaire. Mon autre ménage se porte à merveille.
C'est en effet une perte que la Duchesse de Maillé. Elle était très fusionniste avec le cœur franc, le verbe haut et une bonne maison, ou beaucoup de gens avaient coutume d'aller. Quand je verrai Mad. de Boigne, je lui dirai que sa belle soeur Mad d'Osmond devrait prendre la place de Mad de Maillé. Elle a toutes les conditions extérieures qui conviennent pour cela. Je ne sais si personnellement, elle y est très propre. J'en doute, quoiqu’elle ait de l’esprit. Si je ne me trompe, elle est fusionniste aussi.

11 heures
Votre mosaïque est très utile. C’est un miroir. Il faut savoir tout ce qui se dit même quand on n'en doit pas tenir compte. Mais écrivez-moi donc que vos nuits sont meilleures. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 13 septembre 1851

Le duc de Noailles est venu hier matin. Il ressemble parfaitement au duc de Broglie. “c'en est fait de la France. Nous périssons, seulement j’aime mieux périr avec le Président qu’avec le prince de Join ville " Voilà toute sa politique. On fait venir M. de Falloux. C'est l'homme utile & convenable si l’on peut faire quelque chose. Mais rien ne pourra être fait que lorsqu'on aura vraiment peur. Peur à l’Elysée, puis dans le camps légitimiste. Ce moment sera la proposition Creton. Si elle passe, ou alors les légitimistes se déclarent. Berryer passe à l’Elysée & dira pourquoi. Mais il faut que l’Elysée prenne en retour des engagements. Si la proposition est rejetée ou écartée, on restera comme on est. Des bruits de coup d’état ont circulé dans la journée. Cela vient de quelques déplacements de régiments. Mad. Royer qui est venue voir Marion était toute pleine de cela.
Le soir Dumon, Kisseleff, Antonini, Mercier. Rien de neuf. Marion me quitte aujourd’hui pour huit jours. D'abord chez les Royer & puis à Ferrières. J'ai un peu dormi cette nuit, mais cela ne va pas encore. Adieu. Adieu. C’est drôle, Barante.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris dimanche le 14 septembre 1851

J’ai vu hier Montebello. Kisselef ; le soir Dumon, Viel Castel, Antonini & Hubner. Celui-ci revenait de Champlatreux où je vais faire visite ce matin. Le Times est toujours un sujet de causerie. On ne me dit pas sur cela tout ce qu’on pense mais au fond on regrette qu'il y ait prétexte à vous attribuer les matériaux de ces articles. & tout ce ce que j’accorde c’est que vous avez peut être trop dit à des bavards. Je crois que la rancune sera longue à Claremont. Andral dit que le duc Decazes est perdu. Saint-Aulaire m’a dit l’autre jour tout le contraire.
Marion me manque et me manquera toute la semaine. Votre fille va être à Hyéres dans une grande solitude, mais le climat. est dit-on charmant. Pas de nouvelle du passeport cela m'inquiète tous les jours davantage. Adieu, vous voyez qu’aujourd’hui je suis maigre.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 14 sept. 1851

Ce que vous me dîtes du petit orage contre les Lettres du Times ne me surprend pas du tout. On veut le but ; mais on ne veut ni prendre la peine, ni courir le risque des moyens. Et dès qu’on découvre dans les moyens quelque imperfection un côté faible, on s'y rue et on s'enfuit par là, pour échapper à toute responsabilité. Les hommes ne sont ni plus conséquents, ni plus braves que cela ; je le sais depuis longtemps. Avant d'aller à Claremont, j'ai dit tout haut à bien des gens ce que j’y voulais dire. Quand je me suis trouvé dans le salon de la Reine, j'ai dit en grande partie, tout haut ce que j’avais dit que j’y dirais. Après en être sorti, j'ai redit tout haut, à bien des gens, ce que j'y avais dit. Quoi d'étonnant que tout cela se retrouve dans les lettres du correspondant du Times ? Je ne réponds pas des erreurs des confusions et des inconvenances qui s’y trouvent mêlées, et je ne regrette pas la publicité que reçoit ainsi ce qu’il y a de vrai, car je l'ai voulue. Pour mon propre honneur et pour le succès de la bonne cause qui a besoin qu'on fasse échouer la mauvaise. Voilà mon langage. Je n'en sortirai pas.
Je m'étonne aussi que le Duc de Noailles ne soit pas venu vous voir. On a raison de faire venir M. de Falloux. Soit dans l’intérieur du parti, soit dans ses relations extérieures, on ne peut pas se passer de lui. C’est bien dommage qu’il soit d’une si mauvaise santé.
Autre étonnement, c’est le gouvernement anglais donnant raison aux Américains à propos de Cuba. Valdegamas en est-il bien sûr ? La lettre d'Isturitz au Times m’a tout l’air au contraire d'être concertée avec Lord Palmerston. Si Valdegamas a raison, c’est certainement une grande hypocrisie et une grande platitude de Palmerston envers les Américains. Il ne veut pas contrarier là, le sentiment populaire et il n'agira en faveur de l’Espagne, que sous main. Les Etats-Unis sont une bien grande Puissance
Il faut que la garçonnade soit bien inhérente aux Français, car tous les partis en France, grands ou petits ont leur Gascon, qui même est quelquefois leur héros. M. de La Rochejaquelein est certainement le premier de tous. On me dit ici que sa réélection comme député, dans son département du Morbihan, n'est pas du tout certaine. Je serais bien surpris si, pour être président, il avait dans toute la France, 50,000 voix. Je ne sais rien d'une entrevue de Morny avec Mallac. Je n’y crois pas.

11 heures
Je suis charmé que vous ayez un peu mieux dormi. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Lundi 15 sept 1851

Vous n'aurez aujourd’hui qu’une bien courte lettre. Je dîne à Lisieux. J’ai beaucoup de petites affaires à régler dans la matinée, partant demain pour Broglie. De plus, des épreuves à corriger et à renvoyer. Et pas grand chose à vous dire.
Je ne suis pas surpris du désespoir du duc de Noailles. Je l’y vois marcher depuis longtemps. Tout ceci est trop difficile et trop long. Il a raison dans ce qu’il dit qu'on ne fera rien que lorsqu'on aura vraiment peur, peur partout. La proposition Creton peut en effet amener cette peur-là. Si les meneurs en font tout ce qu’ils s’en promettent, elle nous lancera dans une nouvelle carrière d'événements et de révolutions. Nous recommencerons au lieu de finir. Aussi j’ai peur de cette affaire-là.
Vous ne lisez pas le journal le Pays. La République modérée est exactement dans la même situation, vis-à-vis du président, que les légitimistes. Elle se prépare à aller à lui pour échapper au Prince de Joinville. M. de Lamartine emploie tout ce qu’il a d’esprit à se préparer et à protester que non. Il cherche, à travers ce gâchis, une chance personnelle à poursuivre. Il ne la trouve pas ; la peur de l'Orléanisme le prend. Il revient autour du Président puis il recommence. Voilà la République ; Lamartine, Changarnier, qui sais-je ? Tous rêvent pour eux-mêmes le pouvoir souverain. Une alternative continuelle de rêve et d'impuissance.
L'article du Journal des Débats d'avant hier fera plaisir au Prince de Metternich. J’oublie ceci depuis quatre jours. Pouvez-vous me savoir l'adresse actuelle de M. de Montalembert ? J'ai besoin de lui écrire, et je ne sais où. M. de Mérode n’est probablement pas à Paris ; mais j’espère que Montebello pourra vous dire cette adresse.

11 heures
Puisque vous allez à Champlâtreux, vous y aurez vérifié ce qu’on m’écrit ce matin : " que M. Molé est fort inquiet de sa santé et qu’il a raison de l'être car M. Cloquet s'en inquiète aussi. " Adieu, Adieu. A demain une lettre moins courte. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris lundi le 15 septembre 1851

J'ai mené hier Kisseleff à [?] nous y avons passé deux heures. Je suis revenue dîner chez moi. J’ai trouvé très occupé de ce qui doit, ou de ce qui devrait se passer. S'il voyait le président voici le conseil qu'il lui donnerait. Une présence de cette multitude de partis incohérents voulant les uns une chose, les autres une autre, devant l'impossibilité de parvenir à s’entendre, lui le représentant de 6 millions se croit le devoir et le droit d’aviser & de sauver le pays et il le proclame.
La Constitution est suspendue, la France en état de siège. Il appelle à lui un ou deux représentants de chacun des partis honnêtes du pays. Et dans ce conseil intime on délibère et décide d'une autre forme de gouvernement et puis on l'impose au pays. Tout ceci demande des mesures vives. Ainsi, l’arrestation de tous les meneurs incommodes, [?] Cavaignac & Changarnier. Si le Président ne fait rien du tout, ou s'il fait tièdement, il est perdu et la France avec lui. Il ne faut pas risquer la proposition Creton. Voilà en gros & brutalement l’opinion de [?], je vous prie de ne point me compromettre ni lui. J'ai vu assez de monde hier soir mais je ne sais rien. On s’étonne bien de l’article sur l’Autriche & le Prince Metternich dans Le Journal des Débats. [?] au corsaire ou au charivari de parler de [?] qui arrivent solennellement, mais M. Bertin a vécu dans le monde.
Il n'y a pas un mot de vrai dans tout ce qui est relatif à Metternich, il va à Vienne parce que depuis longtemps il aurait pu le faire, mais il n'a pas été invité. Je suis bien contente de ce que dit le Times sur Gladstone. Morny a vu Mallak mais cela a été sans importance. Après mes insomnies, vient mon estomac. Un grand dérangement. Je n’ai pas de Médecin. Oliffe arrive enfin demain. Adieu. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 16 septembre 1851 Mardi

Depuis minuit je n'ai pas dormi. Voilà une belle nuit ! Je suis accablée. Comment pouvez-vous penser que Metternich soit aise de l’article du [Journal] des Débats. Si quelque chose pouvait l’empêcher d’aller à Vienne ce serait cet article. C'est un bien mauvais service qu’on lui a rendu là. Il l’aura lu en route. C'est avant hier qu'il a dû quitter le Johannisberg.
Le duc de Noailles est venu hier chez moi tout éploré. Il se rendait à Mouchy de Maintenon où la nouvelle de la mort de la Vicomtesse est venue le trouver hier matin. Elle était morte subitement dans la nuit. C'est encore une perte. pour le parti, & un peu pour le monde. Montebello avait eu le matin par un voyageur des nouvelles curieuses de Claremont. Le prince de Joinville disant que si des troubles survenaient en France il répondait au Constitutionnel en allant en Bretagne planter son drapeau c.a. d. celui de Henry V. La Bretagne étant la province la plus légitimiste de France. Il dit encore qu'on se moque de lui ou qu'on l’offense quand on suppose qu'il puisse jamais accepter d'être président. Ceci vient d’excellente source. On se le redit avec précaution. Le Times effraie tout le monde. Qu’est-ce que c'est que vos Princes ? Je les tiens en grand mépris.
Je n’ai rien à vous dire. La journée s'est passée hier très bien. On avait cru à quelque chose. Le président a été très bien reçu partout. Adieu. Adieu. Voilà encore de l’Indépendance

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 17 septembre 1851

J’ai dormi cette nuit. Si je n’avais pas dormi je n’aurais plus été en état de vous écrire. Hier Rothschild, Kisseleff, Hubner, Mercier. Thiers a dit à celui-ci que le Président resterait probablement. Rothschild est bien orléaniste & il veut à tout prix sortir de la République. Il ne se dit rien de nouveau. J’ai rencontré hier le Président. Je l'ai salué avec empressement et respect. Il a bien répondu : “ Moi, je suis très pour le président.” Baroche a dit hier à Antonini que Sartiges lui mande que Lopez a été tué dans un combat et que cette nouvelle est un grand débarras pour le [gouvernement] américain. Quand on a appris en Angleterre que la France voulait soutenir Cuba, le langage, a changé & on marche comme la France. Je vous dis ce que me dit Antonini, c’est mon rapporteur. Montebello, ira je crois certainement à Claremont avant le 4 nov. Il veut aller dire que si on persiste, il votera contre la proposition Creton. Adieu. Adieu.
J'écris enfin à l’Impératrice au sujet de mon fils. Je perds patience et je [?] à elle. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie, Mercredi 17 Sept. 1851

Point de lettre de vous ce matin. Je suis pourtant bien sûr de vous avoir donné exactement cette adresse-ci en vous demandant de m'y écrire à partir d’hier mardi 16. Les déplacements entraînent toujours les ennuis. Il faut attendre à demain. Cela ne me plaît pas du tout.
Je trouve ici un accueil très affectueux, presque plus empressé que de coutume et une disposition bonne, quoiqu'un peu perplexe. Non pas perplexe quant au jugement et au langage ; la désapprobation de la candidature Joinville est ouverte et complète ; mais il y a tristesse d'être obligé de choisir et d’agir effectivement selon son jugement. Il ne croit pas à l'adoption de la proposition Créton. Sur les 300 membres de la réunion des Pyramides, l’Elysée en fera, dit-il, voter contre au moins 200. Non qu’ils soient vraiment Elyséens mais pour soutenir ce qui est et éviter les crises avec ces 200, les légitimistes et la portion de la Montagne qui n’entrera jamais, sur ceci, dans les menées de Thiers, le rejet de la proposition lui paraît plus que probable. Il ne sait rien de Claremont.
Auprès de lui, les auteurs de la candidature Joinville la présentent comme un moyen d'attendre la majorité du comte de Paris. Le Prince de Joinville prêterait effectivement serment et serait président pendant quatre ans. Broglie traite cela de pure chimère ; mais c'est là ce qu’on fait valoir quand on lui en parle.
Pas un mot encore sur les Correspondances du Times. Si le mot ne vient pas de lui même j'irai le chercher. Je ne veux pas des humeurs sous-entendues. Je vois par l’Indépendance Belge que je viens de lire, qu'on continue à exploiter ce thème. Vous savez que cela ne m'a jamais beaucoup touché ; cela me touche moins que jamais depuis le petit article des Débats. Désaveu suffisant, et assez méprisant.
Grande désapprobation ici de Gladstone. Grande crainte de la nouvelle réforme électorale que prépare Lord John. A tout prendre cependant, pas autant de découragement sur toutes choses qu’il en avait il y a quelques mois.
Moi qui désirais surtout aujourd’hui des nouvelles, de votre estomac, je n'en ai d'aucune sorte. C’est très contrariant. Adieu Adieu.
Salvandy m'écrit : " Le Duc de Montpensier m’a écrit il y a quelques jours, son frère étant auprès de lui, quand rien ne le provoquait et il me parle du sentiment avec lequel il m’a suivi, dans toutes mes courses, dans des termes qui doivent vouloir dire, si le Français est du Français, que les deux frères et au moins un sont de notre avis. " Le Français n’est plus du Français. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 18 septembre 1851

J'ai bien certainement adressé ma lettre Mardi comme vous me l’indiquez & comme je fais pour celle-ci. Mes lettres sont toujours mises dans la boîte à 2 1/2. Il n’y a pas de ma faute si vous ne les recevez pas. Voici une nouvelle de Lisbonne de la meilleure source quelqu'un du Palais. [?] est arrivé là chargé de négocier un mariage pour le Président avec la fille de Don Pedro. Vous savez que je vous ai toujours dit que c’était tout trouvé si le Prince Louis se mariait. Mais dans ce moment il n’a à offrir qu’un avenir très menacé. Le gouverne ment français avait donné à Païva une frégate à vapeur pour le mener a Lisbonne. J’ai vu hier soir Dumon Viel Castel & Ribeaupierre arrivés tout frais de Pétersbourg aimable homme.
Quel excellent article hier dans l'Assemblée nationale. Bien rigoureux, bien net. Le pauvre Montebello est inquiet de se femme. Ils sont à Beauséjour. La fièvre a repris de plus fort Voici Saint-Aulaire qui sort de chez moi. Il a vu du monde bien renseigné ce matin. On croit à un coup d'Etat immédiat, tout au moins se croit-on sûr qu’il arrivera avant la réunion de l’Assemblée. Ah mon dieu & moi que faire ? Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie, Jeudi 18 Sept. 1851

Voilà vos deux lettres. Celle d’hier me convient, puisque vous avez dormi. Ne vous couchez-vous pas trop régulièrement à une heure trop constamment la même ? Peut-être feriez-vous bien de ne vous coucher que lorsque vous avez envie de dormir, tôt ou tard selon que l’envie de dormir vous vient. L’irrégularité est difficile à pratiquer systématiquement. Pourtant vous êtes bien maîtresse de votre temps et de vous-même. Le pire, c'est d'être dans son lit sans envie de dormir ; elle ne vient pas là ; il faut l’y porter.
J'espère que votre lettre à l'Impératrice fera l'affaire de votre fils Alexandre. Mais je persiste ; un état de choses où il faut faire mouvoir tant de ressorts et avec tant d’incertitude, pour avoir un passeport n'est pas de mon goût. J'aime mieux plus d’orages, et être libre d’aller et venir comme il me plaît, quelque temps qu’il fasse. Autre dissidence entre nous. Quand j'étais jeune, je faisais comme vous faites ; je méprisais beaucoup, et j'exprimais très haut mes mépris. Aujourd’hui non seulement je méprise moins haut, mais je suis moins prompt et moins dur dans mes mépris. Si je m'y laissais aller, ils iraient trop loin.
Je serais étonné si le Prince de Metternich était de votre avis sur l'article des Débats malgré le fracas assez ridicule qu’on y a fait de ses courriers et de son regain de crédit. Montebello aura parfaitement raison d'aller à Claremont avant le 4 novembre, et d’y dire ce qu’il y veut dire. Il a l’esprit aussi droit et aussi courageux que le cœur. On paye cela assez cher ; mais en définitive, cela vaut plus que cela ne coûte.
Je trouve qu'on meurt bien vite dans ce moment-ci. Un de mes amis du Calvados, membre éclairé et influent du conseil général vient de mourir subitement d’un anévrisme. Le Duc de Noailles fait vraiment une perte. Est-il capable de beaucoup d'affection et de chagrin ? Je lui écrirai un mot de condoléance.
La vie se passe ici fort tranquillement, et on me sait évidemment beaucoup de gré du mouvement que j'y apporte. Ils sont à merveille entre eux mais peu animés et peu expansifs. Le château a été plein hier de visiteurs. Aujourd’hui grande chasse dans la forêt pour les jeunes gens. Ils sont montés à cheval sous mes fenêtres à six heures et demie, pour aller courir un chevreuil.
La jeune Princesse de Broglie est très fatiguée de sa grossesse, maigrie et abattue. Désirant bien vivement une fille. Elle a trois petits garçons qu'elle élève bien. Aussi bonne de caractère que d’air. M. et Mme d’Haussonville viendront ici au mois d'octobre.
Le Duc de Broglie est comme vous sinon en principe, du moins en résultat. Vous êtes très président ; il est, lui, très résigné au Président, ne voyant ni mieux, ni aussi bien, ni autre chose. Tout le reste est intrigue et aventure. En attendant un grand événement, s’il est jamais possible, il ne faut avoir que des événements naturels et tranquilles. Je ne suis pas pressé que Lopez soit tué.
Autant vaudrait qu'on fût assez, et assez longtemps inquiet de cette affaire de Cuba pour qu'on en parlât un peu sérieusement et de concert, aux Etats-Unis. Adieu, Adieu. Dormez donc.... Adieu. G.
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