Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 18 Août 1852

Je reconnais bien M. de Varenne dans l’idée de faire chanter un Te deum en l'honneur de Napoléon dans l'Eglise catholique publique de Berlin. Il manque tout à fait d’esprit et de tact. Berlin est probablement de toutes les capitales de l'Europe celle où un pareil service devait le moins réussir. Dans la Chapelle de la Légation et entre français à la bonne heure, si le Président avait de grandes affaires, il verrait combien de tels agents sont impraticables.
Je remarque, assez de conseils d’arrondissement qui poussent à l'Empire. Nous verrons ce que feront les conseils généraux. A peu près partout, ils sont tels que l'administration, les a voulus, et elle en aura ce qu’elle voudra. C'est commode, mais pas toujours utile.
Les informations de Lord Aberdeen s'accordent avec celles de mes visiteurs anglais. Pour le moment, je crois plutôt à la durée de Derby, plus ou moins modifié, qu'à l'avènement de Lansdowne. Celui-ci serait obligé de dissoudre presque aussitôt. C’est trop d’émotion et trop de dépense. Lord Cowley redoute-t-il toujours Lord Malmesbury ?

Onze heures
Vous avez donc encore Stockhausen ? Je le croyais parti. Aggy n'aura pas la même popularité mondaine que Marion, mais je suis bien aise qu'elle aille un peu dans le monde, et qu’on l'y traite bien. Cela convient à votre salon.
Ce dont je suis bien plus aise, c’est de vos nouvelles de votre fils Paul. Non seulement cela lui montre ce que vous êtes et ce que vous pouvez pour lui, mais j’espère que si on lui ouvre une belle porte, il rentrera avec plaisir dans sa carrière. Je ne puis souffrir de voir un homme distingué perdre sa vie comme un good for nothing. Adieu. Adieu.
Nous avons eu hier ici un immense orage. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Mercredi 6 octobre 1852

Je suis frappé des arrestations et des saisies de poudre, canons de fusil & opérées à Bordeaux. C'est là évidemment le travail assidu du parti anarchique, et il a, dans chacune des grandes villes où le président doit passer, un foyer de préparatifs et de tentatives, Marseille, Bordeaux, Nantes. C'est très bien fait de traiter tout cela avec mépris, et je voudrais bien qu’on y pût appliquer uniquement les remèdes Anglais ; mais on a affaire à de tout autres hommes, et il faut encore plus de vigilance que de mépris. En Angleterre, il n’y a vraiment que des fous ou des scélérats isolés qui tentent de pareils actes ; chez nous, c’est tout un parti nombreux, fanatique, organisé, qui se recrute abondamment et se gouverne despotiquement. Avec lui, il y a deux dispositions auxquelles, il ne faut jamais se laisser aller, la crainte et l’insouciance ; n'en avoir pas peur et le combattre sérieusement, incessamment, c’est le seul moyen de le vaincre.

Onze heures
Vos conversations sont curieuses. Soyez tranquille, je n'en ferai aucun usage. Je trouve ces propos là fort naturels, car c'est là qu’en viendront les actions aussi tard qu’on pourra et quand on aura épuisé les moyens dilatoires pour échapper à ce qu’il y a de radicalement révolutionnaire dans la situation.
On m’avait annoncé l'ouvrage de Montalembert, et je sais qu’il y travaille. S’il l'achève, il le publiera ; et s’il le publie, cela fera de l'effet, m'importent l'inopportunité du fait, l'humeur du pouvoir, et l'indifférence de la nation. Il reste toujours un public suffisant pour donner du retentissement aux paroles d’une opposition spirituelle et animée. Il y a des temps pour allumer l’incendie, et d'autres pour conserver le feu.
Je ne comprendrais pas une note anglaise sur le lac Français, quand il n’y a point de paroles officielles et avouées. Une dépêche même serait trop et M. Drouyn de Lhuys aurait le droit. de dire : " Qui vous l’a dit ? " Passe une lettre particulière, dans laquelle on serait à l'aise pour parler hypothétiquement et qu’on ferait connaître officieusement.
Adieu, Adieu. Vous ne me dites rien de votre fils Paul. Il n’y a donc rien de nouveau. Il est vrai qu’il faut que M. de Nesselrode soit de retour. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 21 sept. 1852

Je regrette cette idée de noviciat pour votre fils Paul ; d’autant plus que, dans l’apparence, il n’y a pas d'objection raisonnable. à y faire ; elle est naturelle. Mais évidemment, pour lui, cela n’est pas du tout nécessaire : c’est ou une pédanterie administrative, ou un mauvais vouloir détourné. Cependant, à moins que sa santé n’y mette tout-à-fait obstacle, si on insiste, il fera bien de se résigner. S'il a envie de rentrer dans les affaires, il ne peut pas espérer qu’il le fera sans ombre de désagrément ou d’ennui. Est-ce que M. de Meyendorff va à Pétersbourg ? Et y va-t-il, en même temps que M. de Nesselrode et Kisseleff ?
Votre calme de Paris n'est rien à côté de celui dans lequel je viens de rentrer ici. Je n’ai, à la lettre, point d'autre bruit que celui du vent, et point d'autres incidents que les alternatives du soleil et de la pluie. C'est bien vraiment le travail au sein du repos. Vie très saine, et au fond. très douce, sauf ce qui me manque.
Je pense avec plaisir qu’Aggy vous revient aujourd’hui. C’est une sécurité pour vous, et aussi pour moi. Marion est une sécurité et un plaisir. Croyez-vous qu’elle vous vienne avec son oncle, vers Noël, pour passer avec vous l’hiver prochain ? Je me figure que cet hiver, la fin surtout, sera très animé, pour les amateurs du mouvement de salon. L'Empire en répandra beaucoup à son début. Plus tard, il lui faudra un autre mouvement, qu’il aura peine à se procurer, du moins à un prix raisonnable.
Vous dit-on à quel moment Lord Palmerston passera à Paris, en conduisant sa femme à Nice ? Il sera bien reçu là. Le gouvernement actuel du Piémont l’a trouvé bienveillant, et le lui rend sans doute. Je trouve que ce gouvernement a un peu l’air de s'affermir. Quelques unes des querelles que le Clergé lui fait sont mauvaises et le servent.
Vos diplomates ont ils rencontré quelque part, M. de Cavour pendant son séjour à Paris ? Il doit avoir vu Thiers. Thiers a été bien venu à Turin.

Onze heures
Puisque Chomel vous voit souvent, je ne crains pas qu’il fasse de grosse faute ; il modifiera à temps le régime. J’attendrai impatiemment la nouvelle.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 7 Sept. 1852

Je vois que M. de Nesselrode en arrivant à Naples s'est rendu à Castelle mare, dans la maison de votre fils Alexandre où demeure son gendre Creptovitch. Votre fils, a donc prêté sa maison à celui-ci. Cela devrait mettre, M. de Nesselrode en bonne disposition pour vos fils. Mais les petits services n'étouffent pas les petites passions. On fait quelques politesses de plus, et on garde sa mauvaise humeur. M. de Nesselrode aura trouvé à Naples M. Turgot. Conversation qui ne l'aura ni beaucoup instruit, ni beaucoup amusé.
Avez-vous entendu dire qu’on rappelât notre Ministre de La haye parce que les Chambres de Hollande ont rejeté la convention conclue avec la France pour la contrefaçon et la propriété littéraire ? Ce serait un peu vif. Il est sûr qu’on n'aura pas fait grand chose en supprimant la contrefaçon, en Belgique si elle va s’établir en Hollande.
Je ne m'étonne pas que M. Molé ne soit pas content de M. de Lamartine ; il ne sera content d'aucune histoire. Les mérites, et les agréments de M. Molé sont des agréments et des mérites essentiellement contemporains ; il faut les voir de près, et en jouir soi-même d’un peu loin, ce sont des ombres pâles qui disparaissent bientôt tout-à-fait. De son temps, M. Molé aura été prise plus qu’il ne vaut, après, il ne le sera pas assez.
Le récit de Waterloo est en effet frappant et attachant dans Lamartine ; trop long et trop arrangé. Cet homme gâte ses richesses en les étalant trop, mais l'étalage est beau, comme dans les magasins de Paris.
Galignani me dit que Lady Lovolace est très malade. Jolie, savante, pédante, folle et coquette. Coquette avec ce singulier. mélange d'affectation et de naïveté que les Anglaises mettent dans la coquetterie. Bonne personne au fond, et de sentiments nobles. Son mari est ce qu’on appelle un homme de mérite.
Je n'ai point de nouvelles des Broglie si ce n’est par Mad. de Staël qui écrit à ma fille Henriette que Madame la Duchesse d'Orléans est venu les voir à Coppet avec ses enfants. Pas contente de sa santé. Les jeunes Princes très bien. Le comte de Paris étonnamment bon cavalier pour son âge. Pas d’autres détails.

10 heures et demie
Bonne longue lettre, qui me plait doublement, d'abord parce qu'elle me donne à penser que vous vous sentiez mieux hier, et puis pour elle-même. La lettre de l'Impératrice est charmante. Le voyage d’Aggy me déplait. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Dimanche 5 sept. 1852

Quand quelque chose vous empêche de m'écrire, faites-moi écrire je vous prie, deux lignes par Aggy ; non pour me donner des nouvelles, dont je me passerais fort bien quand même, il y en aurait, mais uniquement pour me dire ce qui vous empêche d’écrire, et comment vous vous trouvez ; c'est là ce que j'ai tous les jours besoin de savoir, et ce qui me préoccupe quand je ne le sais pas.
J’ai eu hier des visiteurs de Trouville, des Delessert, des Mallet, Hippolyte de La Rochefoucauld, une bande ; ils ont passé ici la matinée. Il y a beaucoup plus de monde, mais pas plus de nouvelles, à Trouville qu'au Val Richer. Il y a eu de la grande compagnie ; elle s'en est allée ou s'en va ces jours-ci. La quantité reste. Le Chancelier et Mad. de Boigne toujours centre le soir, sauf pour ceux qui vont danser au salon. Et toujours très intelligents sensés et causants.
Le 15 Août a été très brillant à Trouville ; illumination de toutes les maisons sur la plage, et celle de Mad. de Boigne très bien illuminée. Et le 26 Août, elle est allée à un très modeste service dans la petite église d'Hennequeville, pour la mémoire du Roi Louis-Philippe. Il y a du bon sens et du bon goût à concilier ce qui est dû aux souvenirs du passé et aux droits du présent, au pouvoir qu’on a servi et aimé et au pouvoir qui maintient l’ordre au profit de tous. Il n’y a pas, dans ce pays-ci, beaucoup de gens qui sachent faire cette conciliation-là.
Voilà, M. de Persigny qui a repris possession de son portefeuille. Est-ce qu’on ne dit rien de l'objet de son voyage à Londres ? Il me revient qu’en dépit des articles du Times et du Moniteur, l’intelligence est très bonne entre le Président et le gouvernement Anglais, et que s’il avait à recevoir de là quelques bons offices, on les lui rendrait volontiers.
Il me revient aussi que la situation de Fould, même en son absence, devient de jour en jour meilleure. On dit, par exemple, qu'aucun ministre n’est plus admis à envoyer au Moniteur un communiqué sans l'avoir fait passer par le Ministre d'Etat. Dans le gouvernement tel qu’il est constitué aujourd'hui, c’est très sensé.
Le vote du Conseil général des Hautes-Pyrénées que Fould présidait, à dû plaire au Président. C'est à la fois le plus positif et le plus large. Quand, M. de Nesselrode, doit-il rentrer à Pétersbourg ?
Je suis impatient de savoir quelles conséquences auront les ouvertures faites à votre fils Paul et les bontés de l'Impératrice pour lui. Je crains un peu d'humeur et de jalousie ministérielle. Le bon vouloir du pouvoir le plus absolu est bien aisément distrait ou entravé.
Avez-vous entendu dire que la Constitution avait été sur le point, il y a quelques jours d'être suspendue pour deux mois, à propos de son article, très inconvenant, il est vrai, sur le duc de Parme ? Antonini s'en est plaint, avec raison. Le Constitutionnel s’est excusé comme il a pu, et on s’est contenté de son excuse publique. Mais il a eu peur. C’est probablement, pour vous une vieille histoire.

Onze heures
Merci de votre lettre. Je suis bien aise que la restauration de M. de Lamartine vous amuse. Je vous chercherai quelque autre lecture. Adieu, Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Vendredi 15 Août 1851

Je suis charmé que vous ayez eu le plaisir de revoir votre grande Duchesse. Vous y avez eu évidemment un grand plaisir. Les Princes ont bien tort quand ils ne sont pas charmants ; ils gagnent tant à l'être, et si vite, et si aisément ! J’espère que la Grande Duchesse vous aidera à faire à Pétersbourg, les affaires de votre fils Alexandre.
Je ne comprends pas bien en ce moment les motifs du dernier Ukase ; l'état de l’occident n’a rien de tentant pour ceux qui viennent y regarder. Si c'était vos paysans qui y vinssent, ou vos petits marchands, je verrais le péril, et je comprendrais la rigueur des précautions ; mais ses riches, des grands seigneurs, je ne vois pas où est pour eux, parmi nous la séduction.
Que dites-vous de l’incendie des Invalides pendant les obsèques du Maréchal Sebastiani ? Et que n'aurait-on pas dit si pareille chose fût arrivée sous la Monarchie ? La République n’a pas de bonheur ; mais elle s'en passe. Le spectacle a dû être très frappant. Ce qui m’en a le plus frappé, c’est le curé éperdu et criant avec passion " Le Maréchal, Messieurs ; sauvez le maréchal ! " La cérémonie profane par la destruction prématurée et violente de ce corps. C'était là son idée fixe. Bel empire des sentiments et des devoirs d'État !
// Vous ai-je dit que j’ai eu à Paris de nouvelles du Général Changarnier ? Il est parti brusquement avant le dernier jour sans voir personne ; il est chez lui, à Autun, inquiet et triste, très blessé du travail pour la candidature du Prince de Joinville, entrevoyant qu’il a fait fausse route, et qu’il n’arrivera pas, mais ne faisant encore qu'entrevoir. Il n’a pas assez d'esprit pour tant de passion. Son journal, le Messager de l'Assemblée, reste toujours dans la même ligne, malveillant pour Berryer, et impuissant à faire, de M. de St Priest, le chef des légitimistes mais y poussant toujours. Le Duc de Lévis et M. de St Priest ont été fort troublés de l'explosion de la guerre civile dans le parti ; mais le résultat est excellent ; les dissidents sentent la nécessité d’un mouvement de retraite et commencent à l'exécuter. Ils sont trop peu nombreux et trop peu considérables pour faire prospérer la séparation. Berryer, et M. de Falloux ont fait là un coup de partie ; ils en recueilleront le fruit, eux et leur monde, dans les élections prochaines. //
Les journaux deviennent plus curieux à lire. Ils se dessinent tous plus nettement ; pour qui sait les comprendre du moins, car ils n'ont jamais été plus artificieux, ni plus menteurs. L’Ordre en particulier, le journal Régentiste, est dans une activité et une anxiété singulière ; il a pour la candidature du Prince de Joinville ; les ardeurs, les impatiences, les méfiances, les tours et détours du Messager pour celle du général Changarnier, et du Pays pour celle de M. de Lamartine. Une vraie Steeple- chase.

10 heures
Vous ne me donnez point de nouvelle instruction, en retournant à Schlangenbad. Je continue donc à adresser mes lettres à Francfort. Je ne me rappelle pas du tout ce qu’il y avait dans les deux qui se sont perdues. Lire les lettre c’est déjà quelque chose ; mais les voler après les avoir lues. Cela ne se fait jamais en France. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Vendredi 10 oct. 1851

Je ne comprends vraiment pas le refus de passeport à votre fils. L’intérêt politique n'est pas assez pressant pour qu'on fasse ce refus à tout le monde. Et si une exception est possible comment l'Impératrice ne l’ait-elle pas obtenu pour vous ? Conséquence, il ne faut être ni le sujet, ni la femme d’un souverain absolu. Qu'est-ce que cela présage pour votre fils Paul s'il y va, et comment se dispensera-t-il d’y aller ?
Je ne trouve pas que la lettre du duc de Nemours fût nécessaire. C'est faire bien de l’honneur au marquis de Londonderry. Et certainement il ne fallait pas lui rappeler qu’il avait dîné aux Tuileries. Ce fou impertinent répliquera, peut-être. Où s'arrêtera la correspondance ? Qui aura le dernier ? Pour tout le monde, il n’y avait qu’une chose à dire, c'est le gouvernement qui n’a pas ratifié la promesse faite à Abdelkader ; il en avait le droit ; lui seul répond de la façon dont il en a usé. J’aurais volontiers accepté de nouveau aujourd'hui cette responsabilité comme je l’ai fait à la tribune, au moment même du fait.
Je ne doute pas que les détails de Mad. de Laigle sur l’intérieur de Claremont ne soient exacts. Ils sont parfaitement d'accord avec ce que j’ai vu et recueilli moi-même dans ma dernière visite. La famille est un faisceau délié, et personne n'est en état de le renouer.
M. Molé connaît beaucoup mieux l'assemblée que moi. Il se peut qu’il ait raison de croire que, si le président ne fait rien avant sa réunion, il est perdu. Je crois de mon côté que, s’il fait quelque chose, j’entends quelque chose d’isolé et d’irrégulier, il est perdu. Le public ne comprendra pas la nécessité et lui donnera tort. Je rabache ; pour faire de telles choses, il faut avoir une veille, et un lendemain, grands tous les deux. L’urgence du péril, les fautes de l'Assemblée peuvent fournir une occasion et un prétexte ; personne ne les voit aujourd'hui. Et la preuve que j'ai raison, c’est que personne, absolument personne ne veut prêter au Président. Le moindre concours pour un tel acte, s'il y avait un péril imminent et un peu de confiance dans le succès, il se trouverait des poltrons même pour y aider.
Avez-vous des nouvelles de Montebello, et savez vous où l'on peut lui écrire ?

Onze heures
Pas de lettre. Pourquoi ? J’ai peur que ce refus de passeport ne vous ait donné une mauvaise journée, puis une mauvaise nuit. Il faut attendre à demain pour le savoir. Adieu, Adieu

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Samedi 25 octobre 1851

Vous n'aurez aujourd’hui que quelques lignes. Je pars après déjeuner pour Falaise où l’on me donne un dîner choisi ; et demain Guillaume le conquérant. Il faut que je me promène ce matin dans mon jardin pour arranger mon discours, car à Falaise je n'aurai pas un moment de loisir. Vous avez bien mal traité la statue du Roi ; on m'a dit qu'elle est belle. Je suis décidé à la trouver.
La Dauphine me revient toujours depuis hier. Deux choses me touchent également ; la grandeur vertueuse, et malheureuse ; la vertu et le malheur dans une condition pauvre et obscure. Dit-on si elle a regretté de mourir, et si elle espérait beaucoup revoir en France son neveu, et aller elle-même à Saint Denis ? Je ne puis pas ne pas être sûr qu'on fera à Claremont tout ce qui convient. Je suppose qu’à Paris toute la société monarchique prendra le deuil, indistinctement.
Voilà l’arrêt au Conseil de Guerre de Lyon confirmé par le Conseil de révision et la double fermeté du Président mise à l’épreuve. Enverra-t-il à Noukahiva, M. Genti et ses complices ? Adieu.
Je vais me promener. Onze heures Je suis bien impatient de la réponse de Pétersbourg. J’espère qu'elle sera bonne et qu'elle calmera un peu vos nerfs. Que devient la lettre que le duc de Noailles devait m'écrire le lendemain ? Soyez tranquille sur Falaise. Adieu, Adieu.
Je vous écrirai demain de Falaise. Je reviendrai ici lundi matin, de bonne heure. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 18 Oct. 1851

Le programme du Constitutionnel hier était précisément le puzzle que vous m’annonciez ; abolir la loi du 31 mai et rester archi-conservateur. Cela paraît et cela est parfaitement sot. Je parie que si le président va jusqu'au bout et trouve de nouveaux ministres, ce sera là ce qu'ils tenteront, et peut-être ce qu'ils feront. Ils seront dominés, subjugués par la nécessité de défendre l'ordre ; nécessité absolue quand on gouverne, et les petites jacqueries qui commencent, les y aideront ; et il faudra bien que le parti de l’ordre vote pour eux quand ils le défendront matériellement. Et il faudra bien que la Montagne vote l'abolition de la loi du 31 mai quand ils la proposeront. Ils seront tour à tour attaqués et soutenus des deux côtés. C’est un jeu honteux, ridicule, et qui perd au bout d’un mois, le gouvernement qui le joue ; mais en un mois le tour est fait, et quand le tour est fait, on rentre dans l'ornière de tous les gouvernements. Je crois vraiment que c'est là ce qu’on se propose comme on le dit et je ne suis pas sûr que ce fût tout à fait impossible sans les incidents qui viendront à la [traverse] surtout celui de la proposition Créton qui mettra le désordre dans ce désordre et jettera au milieu du jeu des cartes nouvelles dont la portée est incalculable.
Prévoie qui voudra ; j'y renonce, et je vais me mettre à faire mon discours sur M. de Montalembert. J’ai reçu hier une lettre de lui qui m'annonce le sien pour demain ou après-demain. Il n'en est pas content. Il me l'envoie tel quel me demandant de donner des coups de crayon partout où je trouverai quelque passage à modifier ou à retrancher.
" Je serai aussi docile que possible à cette censure si compétente et si amicale ! " Propos d'homme d’esprit qui a grande envie de réussir. Je suis sûr qu’il réussira. Son langage n’est pas d'une correction parfaite, ni d’un tour strictement acadé mique ; mais il a une élévation, un éclat, un jour de jeunesse à la fois noble et naïve qui surmonteront les petits défauts et plairont infiniment au public. Je serais bien étonné qu'il en fût autrement.
Voici un passage d’une autre lettre, d'un autre homme d'esprit, M. de Lavergne, qui vit dans un département du centre, la Creuse et qui observe bien " Le pays n'est ni bon, ni mauvais. Paysans et bourgeois se regardent sans amour ni haine. Les uns et les autres ne savant que faire et selon toute apparence beaucoup d'électeurs n'iront pas aux élections. Les paysans voteront encore pour Nadaud, par esprit de Corps, mais sans y attacher une pensée précise de bouleversement. Les bourgeois n'ont pas encore arrêté leurs choix. On m'a fait l’honneur de penser à moi ; mais j’ai refusé. Je n'ai jamais eu si peu d’attrait pour les affaires publiques et si peu de sympathie pour tous les partis. "
Cela ne présage pas grand chose de bon pour les élections prochaines. Ce pays-ci vaut mieux. Cependant les intrigues électorales commencent ; et si ce qu'on me dit est vrai, il y en a de bien étranger, on m'assure que M. de Saint-Priest a fait écrire ici, par M. Nette ment plusieurs lettres contre mon élection, et que le duc de Lévis et le Duc d’Escars ont parlé dans le même sens. Je ne le crois point, mais quand vous verrez le duc de Noailles, dites-lui, je vous prie que cela se dit et qu'on me le dit. Il est bon que ces messieurs le sachent.
Moi aussi, je voudrais bien être sûr que Constantin, a raison dans ses pronostics sur l'effet de notre lettre. Je penche à le croire. Le contraire serait monstrueux.

Onze heures
Adieu, Adieu. Je ne comprends pas Génie. Ou du moins la raison que je suppose n'est pas bonne. Je vais lui écrire. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 11 Oct 1851
Sept heures

Cela me déplait bien de n'avoir pas eu de lettre hier. J'espère que ce n’est pas autre chose, qu'une méprise de domestique ou de la poste quand on s'écrit tous les jours, il est difficile que cela n’arrive jamais. Si vous étiez souffrante, je compte que Marion m'écrirait. Je le lui demande formellement quoique je ne crois pas avoir besoin de le lui demander.
On me mande de source certaine, que le général Changarnier a formellement déclaré qu’il s'abstiendrait dans la proposition Créton, et qu’une fois sa candidature acceptée par les légitimistes, il la maintiendrait envers et contre tous, y compris M. le Prince de Joinville lui demandât-il lui-même de la retirer. Que le Général ait dit cela, je n'en puis guère douter. Qu'est-ce que cela veut dire ? Est-ce de sa part, un acte indépendant et vraiment personnel, ou bien est-ce arrangé avec Thiers, de l'aveu de Claremont ? Est-ce une manière de retirer, sous main, la candidature du Prince de Joinville, et d’y substituer celle de Changarnier en la faisant accepter d’abord par les légitimistes ? Ceci serait très possible, s’il était possible que Changarnier se prêtât à une telle rouerie. On me mande d'ailleurs que Thiers travaille décidément à faire sa retraite sur la candidature Joinville. On ajoute que le gâchis va croissant. Quand il n'y a pas moyen d'empêcher le gâchis, il faut au moins y voir clair.
Je vois que le manifeste de Kossuth à Marseille commence à faire en Angleterre l'effet que j'ai prévu. Les indifférents, comme le Times, comprennent et attaquent. Les bienveillants comme le Globe essayent d'excuser. Palmerston trouve sûrement que Kossuth est un maladroit, qui lui gâte son jeu. Nos journaux à nous n'exploitent pas assez cet incident. Ils devraient commenter le manifeste, et l'admiration qu’en témoignent les révolutionnaires. Cela aiderait les Anglais à comprendre.
Dans la solitude où vous laisse votre diplomatie n’entendez-vous rien dire du tout de ce qui se prépare en Autriche ? Je suis curieux de savoir comment s'arrangeront ensemble les deux idées qui sont là en présence : fortifier l’unité de la Monarchie autrichienne, et laisser à chacun des Etats qui la comptent, une existence et des institutions locales. La conciliation est difficile. C'est cependant le problème. Je présume que c’est la Hongrie qui paiera tous les frais de la Révolution.
9 heures
Génie arrive et me remet votre lettre. Je vous pardonne et je ne vous pardonne pas. Il était bien aise de me faire écrire deux lignes par Marion. Votre lettre à l'Empereur est ce qu’elle doit être pour réussir. Si elle ne réussit pas, je n'en parlerai plus. La lettre à l'Impératrice devait suffire. Je ne suppose pas qu’elle ne la lui ait pas montrée, ou qu’il ait voulu que vous lui demandassiez cette grâce à lui-même. Adieu, adieu. La conversation qui m'arrive est curieuse. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 8 nov. 1851

Vous me permettez du bien petit papier, n'est-ce pas ? J'ai beaucoup à faire ces jours-ci. Je veux absolument avoir fini mon discours, et je l'aurai fini. Une visite de matinée à Lisieux, chez les gens qui m'ont donné à dîner. Une visite. dans mes champs, avec mon fermier et mon homme d'affaires, pour voir s’ils sont bien cultivés et en bon état. Riez si vous voulez, de ma science agricole ; elle me prend mon temps comme si elle était bien profonde.
Je lis tout ce que vous m'écrivez, vous et Marion, tout ce qui me vient d'ailleurs, tout ce que me disent mes dix ou douze journaux ; je ne vois pas de raison de changer mon impression et mon pronostic. Je crois la situation où je suis en ce moment très bonne pour juger sainement. Bien informé des faits et loin du bruit. J’y vais rentrer. Je tâcherai de ne pas m'en laisser étourdir au milieu du bruit, on oublie le plus grand des faits, l'état réel du pays lui-même, et on fait des sottises dont on est averti par des catastrophes.
Je sais bon gré à ce bon Alexandre de sa résignation. Je me préoccupe de la situation de votre fils Paul. Nous en causerons si vous voulez et si cette conversation ne vous agite pas trop.
A tout prendre, j’aime mieux que Lord John ne vienne pas à Paris. Dieu sait ce qu’il aurait dit ou conseillé au Président. Les Anglais n'entendent rien à nos affaires et pourtant leurs paroles ont toujours du poids. Vous êtes vous fait lire le discours de Louis Blanc à Londres dans l’une des fêtes de Kossuth ? C'est le vrai programme du parti au moins des émigrés du parti ; il feront ce qu’ils pourront en 1852 pour soulever une grande prise d’armes à moins que nous ne le fassions exprès de les faire réussir, ils échoueront ; mais ils ne pensent guère laisser passer cette époque sans protester contre les anciens échecs.

4 heures
Nous avons bien les mêmes instincts. J’ai été frappé et désolé des fautes qui commencent. Adieu, adieu. Je suis chaque jour plus pressé de vous retrouver. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, samedi 8 Juin 1850
7 heures

Vous me dites que Montebello ne part pas. Est-ce qu’il ne part pas du tout ? J'espère qu’il ne fait que retarder sa course de quelques jours, et que, la loi de déportation une fois votée, il ira. Je crois sa visite importante. Est-ce que M. Molé est sérieusement malade ? Je suis en train de questions. Manie d'absent. Je ne saurai que demain quelque chose de la séance d’hier soir à Londres. Je n'y compte pas. La question n'est pas assez grosse pour forcer les votes, et les acteurs ne sont pas assez décidés pour exploiter sérieusement une petite question. Ce sont deux curiosités très différentes que celle qui attend quelque chose et celle qui n'attend rien. Pourtant la curiosité y est toujours. Sans croire aux journaux, je suis assez frappé de ce qui vient de Berlin sur la visite du Prince de Prusse à Varsovie. Evidemment, cette visite a changé quelque choses aux dispositions de l'Empereur. Il a bien raison du reste de ne pas se jeter à l'aventure dans ce chaos allemand. Décidé et réservé, c'est son attitude depuis Février, elle lui a réussi. Il n'en doit sortir, s'il en sort, que pour quelque chose de très grand et d’indispensable.

10 heures
Les journaux répètent, et vous confirmez le départ de l'Empereur d’Autriche pour Varsovie. Il y a ou concert entre les trois souverains, ou lutte de deux devant un. Je crois plutôt au dernier fait. La querelle de l’Autriche et de la Prusse n'ira pas à la guerre ; ils ne le veulent pas eux-mêmes et au besoin vous l'empêcherez. Mais c'est une querelle, très sérieuse, querelle de prépondérance et d’ambition, qui recommencera toutes les fois que la question révolutionnaire sommeillera. Les jours de repos sont finis pour l’Europe ; l'être paisible qui était la réaction de l’ère belliqueuse de l'Empire est accomplie. Nous entrons dans la réaction contraire. Je ne crois pas aux grandes et longues guerres ; mais des menaces des commencements des échantillons de guerre, des révolutions, des quasi-révolutions, de contre-révolutions une instabilité générale, rien qui dure et rien qui finisse, c'est là ce qui nous attend pour longtemps.
Ce que Thiers vous a dit de son projet de visite à St Léonard me frappe assez et je crois à votre application de son départ ou de son retard. Je suis ennuyé de cette antithèse ; elle est trop longue et trop monotone.
Voilà Londres fini ; car évidemment le retard, c’est la fin. Quand le cabinet viendra amener qu’il est raccommodé avec la France, la Chambre des Lords ne votera pas une censure ; ou si elle la vote, le cabinet n’en tiendra compte. Ce sera de l'opposition platonique. Les individus s'en peuvent accommoder, mais les corps ne se résignent pas à étaler ce mélange de mauvais vouloir et d'impuissance. Ajournée au 17, la motion de Lord Stanley tombera dans l’eau ou sera rejetée.
Est-il vrai que Mercredi dernier, à l'assemblée générale de l'Institut, au milieu d’un grand discours de Salvandy, un pigeon blanc, qui s'était introduit dans la salle est venu se poser sur sa tête et s'est si bien empêtré dans son toupet qu’on a eu quelque peine à l'en dépêtrer ? On me mande cette bouffonnerie. Je n’y puis pas croire. Ce serait trop drôle. Adieu, et merci de votre longue lettre. Avez-vous encore vos deux fils ? Adieu Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 25 Sept 1850

J’espère que vous aurez bientôt de meilleures nouvelles de votre fils Alexandre. Vous ne me dites pas quel est son mal. Peut-être ne vous l’a-t-il pas dit lui-même. Il a l’air d'avoir un bien bon fond de santé. Dieu vous garde d’une longue inquiétude.
Vous aurez vu qu’on ne pouvait m'en dire, sur la circulaire, plus que je n'en pense. Je trouve le mal très grave et le symptôme encore plus grave que le mal. Que personne ne se soit douté de l'effet ! Certainement cela tourne au profit du Président, et je ne doute pas que ses conseillers, n’en tirent parti. S'ils savent se conduire, la chance est pour eux, non pas pour toujours, mais pour longtemps.
Vous avez raison de trouver à Achille Fould vraiment de l’esprit ; il en a et ce qui est plus rare, son esprit est de l’esprit politique ; il a de la mesure, et de la prévoyance, les deux qualités essentielles de l'esprit politique.
Je regrette de n'avoir pas été à Paris pendant le séjour de Lady Allice. Sa bizarrerie me plaît et sa passion pour vous me touche, Quand vous lui écrirez, parlez-lui de moi, je vous prie, et de mon regret.
La citation de Massillon est une bonne fortune pour La Rochejaquelein. Sa seule bonne fortune dans cette affaire, car elle ne vaut pas mieux pour lui que pour le parti. Il aura beau dire et on aura beau lui dire d'autres paroles. l'excommunication lui restera. Il est déclaré et repoussé dans la région des ombres errantes, rendez-vous des brouillons qui veulent plaire à tous les partis.
Croyez-vous, comme je le vois dans mes journaux, que, de Vienne, on soutienne à Cassel M. de Hassenpflug] ? Que l’Autriche défende les petits Princes de l'Ambition prussienne, je le comprends ; mais je ne la trouve pas, pour cela obligée d’épouser tous les Princes sots.
Que signifie ce qu’on appelle le manifeste du Président inséré dans le Bulletin de Paris et que l'Assemblée nationale attaque si vivement ? Cela fait-il aussi du bruit ? Si c'est authentique, il y a de quoi faire du bruit. Les premières séances de l'assemblée, seront curieuses. Je trouve l'article de M. Véron dans le Constitutionnel habilement fait. Pour lui-même et pour le Président. Il y a du monde, dans le pays, derrière cette position-là. Vous ne lisez pas l’Univers. Il défend la circulaire Barthélemy et reproche aux journaux légitimistes leur faiblesse. Le seul de son espèce.

Onze heures
Je ne vous reviens que pour vous dire adieu. Ne manquez pas, je vous prie, de me donner des nouvelles de votre fils, dès que vous en aurez. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Mercredi 23 Juillet 1851

Que signifient ces nouvelles entraves apportées à la libre circulation des Russes en Europe ? Nécessité de rentrer en Russie tous les deux ans au lieu des cinq, accroissement des frais de passeport & &. Vous voyez que je lis mes journaux attentivement. Est-ce de la politique ou de la pure finance ? Vos fils en seront fort importunés.
Vous ne lisez pas le Pays, le journal de M. de Lamartine. Il vous amuserait par ses Hymnes en l’honneur de la discussion sur la révision, et par son désespoir hypocrite de n'avoir pas pu y prendre place. J'imagine que tous ceux qui crient si fort à présent contre la brusque clôture du débat, ont été charmés d'être dispensés de parler. La situation n’était pas commode pour ceux qui n'ont envie de se commettre, ni pour, ni contre le Président. Je ne vois pas encore clair dans le mois d'Octobre prochain, la question recommencera-t-elle ? Personne ne me paraît décidé. Cela dépendra beaucoup de l’attitude des conseils généraux qui vont se réunir à la fin d'août. S'ils étaient tous comme ceux des départements qui m'environnent, ils ne feraient pas grand effort pour ramener la révision sur l'eau.
Tous ces Princes Allemands qui vous servent de gardes du corps ne vous disent-ils rien des affaires d'Allemagne, et de la diète de Francfort. Pure curiosité d'artiste, car il ne viendra de là aucun évènement ; mais la question de l’entrée de toute l’Autriche dans la confédération m'intéresse. J’ai envie de savoir ce que vous en voulez au fond. Et puis les affaires d'Italie sont à mon avis, les seules interminables en Europe et toujours menaçantes ; il y a là des hommes qui ne peuvent ni réussir, ni renoncer. On m’écrit que le gouvernement piémontais, malgré ses complaisances, ne parvient pas à en avoir assez pour les mazziniens, et commence lui-même à en être excédé. Votre dépêche aux Etats italiens vos amis était bien vraie. Et il est bien vrai que lecture en a été donnée à Londres et à Paris.
On, c’est-à-dire M. Berger, se donne bien du mouvement à Paris pour faire un peu de bruit de la fête qu'on veut donner à l’industrie universelle. Je trouve cela pitoyable. L’hôtel de ville est très beau ; mais même là, un dîner de chevet ne sera pas un rival suffisant du Palais de cristal. Un journal prétend que le Prince Albert y viendra. Je ne puis pas le croire.

10 heures
Mes lettres m'arrivent aujourd'hui avant mes journaux. Je n'aurai les journaux que dans deux heures. Je n'ai de nouvelles de personne. Vous avez bien raison avec Marion, pour les courses comme pour le jeu, drôle de fille. Je m'étonne quelques fois qu’il n’arrive pas plus d'aventures aux Anglaises qui en courent tant. Adieu, Adieu. Je vous quitte pour ma toilette. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 17 Juillet 1850
Sept heures

J’ai aussi mes ennuis, que je ne compare pas aux vôtres. Je mène aujourd hui Pauline faire à Lisieux ses visites de noce. J'ai déjà fait cette corvée avec Henriette, heureusement, beaucoup de personnes sont à la campagne.
La loi de la presse est une mauvaise affaire. Je doute qu'elle passe. Au dernier jour, toute la montagne et le tiers parti, qui ont voté pour les amendements, voteront contre la loi, avec tous les mécontents et tous les timides du parti modéré, légitimiste et conservateur. Et si elle passe ce sera encore une mauvaise affaire. L’assemblée se sera brouillée avec la portion bruyante, et parlante de son propre public, avec les gens qui se sont battus pour elle, dans les départements comme à Paris, avec les honnêtes comme avec les malhonnêtes avec les sages comme avec les fous. Cela ne se peut pas. On retrouvera cela au jour des élections. Il faut avoir une armée, et des sous-officiers dans cette armée, et des braves, quelques fois embarrassants et compromettants, parmi ces sous-officiers. Je crains que nos amis les Burgraves n'aient fait là une mauvaise opération, et que cette loi ne coûte beaucoup plus qu’elle ne vaut. A moins qu'elle ne vaille à l'un d'eux les bonnes grâces de Mad. Kalergi. Mais je ne suppose pas ; n’est-elle pas toujours radicale ?
Je trouve que c’est beaucoup d'appeler la mort du Duc de Cambridge une catastrophe. A cela près que celle-là est connue de tout le monde, il n’y a guère de mort plus insignifiante. Comme sa vie. Du reste j'ai été bien aise de voir les témoignages de respect officiel pour son nom et sa veuve, les discours, les adresses du Parlement et du public. Tout respect est bon et devient presque d’autant plus frappant que la personne n’y entre à peu près pour rien.
Peu ou beaucoup, je suis bien aise que vous ayez Constantin et sa femme. Ce sont des soins, si ce n’est pas de la conversation. On me dit, quoiqu’il me dise lui-même le contraire, que Duchâtel n’ira pas en Allemagne. C'est assez pour lui de prendre les eaux de Carlsbad à Paris et il est plus préoccupé de sa propre santé, qui est bonne, que de celle de sa femme qui me paraît, à moi, très inquiétante. J'ai peur qu’il n'aime vraiment que lui-même. Avec sa disposition à s'ennuyer, c'est bien lourd. La préoccupation de soi-même ajoute à l'ennui, bien loin d'en distraire. Savez-vous ce qu’il faut faire pour se désennuyer ? Relire les Mémoires de St Léonard. Moi qui ne m'ennuie pas, je fais cela le soir, et je ne m'en lasse pas. Je conviens qu’il faut avoir des yeux. Comment vont les vôtres ? S'ils vont assez bien, ne me le dites pas par ménagement. Je comprendrai votre silence.
Comment fait-on l'hiver à Ems, dans des maisons sans poêle ni cheminée ? Est-ce que personne ne vit là en hiver ?
Voici une note qui m'est fort recommandée par des gens que je serais bien aise d'obliger. Excusez le constitutionnalisme des deux premiers paragraphes. Je connais le Général Rybinski, brave homme, ce qu’il y a de plus honnête et de plus tranquille dans l'émigration polonaise. Il me semble que l'Empereur, n'est pas mal disposé pour lui et les siens. Il s'agit uniquement d'aider de pauvres jeunes filles à ne pas mourir de faim. Pouvez-vous, quand vous verrez Constantin lui en dire un mot, et pourra-t-il en dire ou en écrire un mot au Maréchal Paskéwitch ?

9 heures
Votre visite au Prince et à la Princesse de Lippe Schaumbourg Bückebourg met le comble à ma compassion. Adieu, adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, mardi 14 Oct. 1851

Si j'en juge par ce qui m'a dit mon petit homme et par ce qui m’est encore revenu depuis, le trouble et le découragement sont grands parmi les plus intimes et les plus puissants Elyséens. Carlier et Morny mal ensemble, presque brouillés. Morny répétant : "Il n'y a rien à faire puisque personne ne veut nous aider." Il a paru dire qu’il fallait laisser le Cabinet tel qu’il est n'en pouvant former un qui sût ce qu’il y a à faire. Je soupçonne qu’il y a, dans tout cela, plus de jeu que de réalité et pas autant de peur qu’on en montre.
Cartier a, dit-on, grande envie d'être ministre de l’Intérieur, et ne menace de sa retraite sous le drapeau de la loi du 31 mai que parce qu'on ne se prête pas à son désir. Est-ce que M. Léon Faucher ne paiera pas seul les frais de tout ce bruit. Il doit venir à Falaise le 26, présider à la fête de Guillaume le conquérant, aura-t-il le temps ?
Ce que dit Constantin au sujet du passeport de votre fils me donne quelque espérance. Il a probablement quelque raison de parler ainsi. Dieu le veuille ! Faites-lui, je vous prie, mon compliment de condoléance sur la mort de son petit enfant. Quel mystère que l’apparition si fugitive de ces âmes, créées pour ne pas même s’éveiller à la vie ?
Alexis de Saint-Priest est certainement le premier de l'Académie Française qui soit mort à Moscou. Tel que je le connaissais, il a dû lui en coûter beaucoup de mourir. C’était un épicurien et un Voltairien très sensuel et très sceptique. Homme d'esprit d'ailleurs, observateur fin et très médiocre agent. Toujours des prétentions au-dessus de ce qu’il était et de ce qu’il pouvait être. Je ne sais comment nous le remplacerons à l'Académie. Il sera tout-à-l'heure aussi difficile de trouver un Académicien qu’un Président. On aurait bien étonné, M. de Saint-Priest si on lui avait dit qu’il mourrait avant le chancelier.
M. de Falloux sera un jour de l'Académie. Mais je ne crois pas que le moment soit encore venu. On donnerait en le présentant trop tôt de l'humeur à des gens qui doivent voter pour lui. Je suis charmé du succès qu'il a eu en passant à Lyon. Il a bien compris la disposition du moment. C'est avec cette douceur et cette abnégation actuelle qu’il faut parler pour faire faire à la fusion un pas de plus. Le pas sera réel, quoique peu apparent. Quand vous verrez le duc de Noailles reparlez-lui donc de Berryer pour l'Académie. Il faut que l’une des deux places vacantes soit pour lui.
11 heures
Je n'attendais point de nouvelles ce matin. C’est aujourd’hui que la situation fera un pas, si elle doit marcher, ce dont je doute encore. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 30 Sept 1850

Je reçois une assez curieuse lettre de Piscatory. Je vous l’enverrais si vous pouviez la lire. Il ne m’avait pas écrit depuis sa visite à Claremont. La Reine l’a frappé comme tous ceux qui la voient. “ J’ai eu joie à admirer, c'est un plaisir rare dans le temps où nous vivons. J'ai vu les Princes et Mad. la Duchesse d'Orléans. J’ai longtemps causé. Mais je ne crois pas que ce soit fort utile. Les idées de retour m'ont paru passer avant tout. Je le comprends; lorsqu'une telle destinée n'est pas prise par son grand côté, elle doit être intolérable. "
" Quoique aussi loin que moi, vous devez en savoir plus que moi sur ce qui se passe à Paris. Ce sont, ce me semble, de bien vaines agitations ; mais elles disposent bien ou mal les esprits pour le retour de l'assemblée. Voulez-vous me dire ce que vous en pensez ? Qu’est-ce que c’est que ce désordre dans le parti légitimiste ? Y a-t-il là une chance pour que les bons se séparent sérieusement des mauvais ? Cela me paraît fort douteux ; et à titre de simple spectateur, il me semble évident, mais pas mauvais, je l'avoue, que M. Barthelemy a fait une mauvaise campagne. Autour de moi, l'effet n'est bon ni dans l’un ni dans l'autre camp. Ne croyez pas cependant que je prétende voir clair dans ce que pensent mes voisins, petits et gros. Ce qui est incontestable, c’est que l'inquiétude, et le malaise sont généraux ; les uns en sont poussés, en avant ; les autres regardent avec regret la terre qu'ils ont perdue. Je ne crois pas que cela soit sérieux ; mais il est certain que le nom du Prince de Joinville se prononce très haut. Le Président ne gagne pas ; il n’y a que ceux qui ont sérieusement à perdre qui veuillent faire fie, qui dure dans ce semblant de repos. Ce n’est certes pas moi qui reprocherai à personne ses incertitudes ; j’en suis plein; et cela m'inquiéterait. Si je ne savais que quand le feu commence, je ne suis que trop disposé à prendre promptement mon parti. Mais hélas, que ferons-nous ? Pourquoi Dieu a-t-it voulu qu’on eût des enfants sur cette maudite terre ? Ce serait très curieux, et mes semblables m’ont assez désintéressé d'eux pour que je trouvasse tont cela fort amusant. Il n'y a pas moyen, on a des filles à marier du moins à faire vivre ; il ne s'agit donc pas de se passer ses fantaisies. Mais où est la raison ? Où est le bon chemin: où est le but ? Vous êtes bien habile ; et cependant vous ne me le direz pas. Dites-moi pourtant ce que vous pensez ? Quand je ne le sais pas, et plus encore quand je ne viens pas à bout de penser comme vous, je suis prêt à chanter comme les enfants qui sont seuls la nuit, et qui ont peur. "
Ne dites à personne, je vous prie, cette dernière phrase. Son amour propre pourrait être blessé s’il lui en revenait quelque chose et il ne faut pas troubler les bons sentiments en piquant l'amour propre. Mais vous voyez qu'il est incertain, inquiet, et point inabordable pour moi.
Je suis charmé que vous ayez pris le deuil et envoyé un consul général à Bruxelles, deux choses utiles pour l'avenir.
Charmé aussi de ce que Thiers a dit à Mercier sur le Général Changarnier. La double visite dont vous me parlez à Champlâtreux vaut la peine qu'on sache ce qu’ils y ont dit.
J’ai écrit à Villemain pour l'Académie. Je ferai ce qu’elle voudra. La raison veut que je reste ici jusqu'au mois de novembre. Pour mes affaires d'abord qui en ont besoin. Puis, parce que j’ai promis au Duc de Broglie d'aller passer une semaine chez lui, ce que je ferai mercredi 9 octobre. Visite utile. Un bon motif pour revenir plutôt serait charmant ; mais vraiment, il me faut un bon motif, autre que mon plaisir.

Dix heures
Ce qui me fait grand plaisir, c’est que vous soyez tranquille sur Constantin. Je vous ai dit que vous rêviez, et j'avais bien raison. Mais je n'aime pas les mauvais rêves pour vous. La Reine des Belges m'afflige profondément. Quelle prédestination aux épreuves ? La branche cadette ne le cède guère à la branche aînée, ni la Reine à la Dauphine. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, lundi 16 Sept. 1850

Mon instinct ne me trompait pas sur les affaires de Hesse. Je soupçonnais que le grand Duc avait tort. J'espère que le conflit entre les deux grandes Puissances m’aura pas lieu, pas plus pour la Hesse que pour Bade ou pour ailleurs. J’ai confiance dans leur bon sens et dans la lenteur allemande. Même la brutalité n'exclut pas là l'inertie. Au fond, l’Europe ne me préoccupe plus guère, ni d'Allemagne, ni d'Italie, il ne viendra de gros événements. Elles ont jeté toute la gourme qui leur était venue de France, et la France, d’ici à quelque temps ne leur en enverra pas d’autre.
Avez-vous lu les lettres de Mazzini essayant de se justifier des assassinats systématiques ? Ridicule mélange de fanatisme et d'embarras. Il ne veut pas qu’on le croie assassin, et il veut qu’on craigne son pouvoir d’assassin. Vous ne me dites rien de M. de Meyendorff. J’en suis pourtant curieux.
J’ai envie que vous pensiez bien de mon fils, Guillaume. Lisez, je vous prie ce qu’il m'écrit du Norfolk. A sensible boy.
Voici ce que vous désirez pour Fleischmam. Je ne croyais pas ma première lettre compliquée. Elle disait les choses comme elles sont avec détail et sollicitude, comme désirant le but et regrettant les obstacles. Je ne puis rien envoyer de plus décidé. Conrad veut en causer avec son frère. Et comme personne n’est encore amoureux, on n'est ni pressé, ni tout-à-fait indifférent aux considérations mondaines. Melle de Witt une fois mariée, ne pourrait pas continuer à vivre avec sa tante. Cela n'irait pas, et il a toujours été entendu entre eux qu’on se séparerait alors. Ou pour vivre seuls, ils auraient excessivement peu. Il faut ou une bonne carrière, ou de l'amour, ou assez d'argent. En attendant qu’une de ces trois choses là vienne, si elle peut venir, ayez seulement la bonté d'envoyer à Fleischmann ma petite lettre. Vous avez raison ; je peux trouver les lenteurs de mes gendres naturelles, mais je ne dois pas vous en ennuyer.
Thiers me paraît précisément ce qu’il faut pour que la Reine de Hollande et la Princesse de Prusse en raffolent. Elles ne le rendront pas plus sages, ni lui, elles. De l'amusement des deux parts voilà tout. Adieu. Adieu. Je demande tous les jours à ce beau soleil de chasser votre rhume. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 13 Oct. 1851

La conversation de mon petit homme, vous aura intéressée. Le résultat de son voyage sera bon. Il importe beaucoup que le Journal des Débats se tienne en dehors de toute cette intrigue, et le langage du Duc de Broglie à cet égard a été aussi net ; aussi positif que le mien. L’ébranlement me paraît grand sur la loi du 31 mai. Si le Président se sépare dans cette question, du parti de l’ordre et fait un pacte quelconque avec la gauche, ou une portion quelconque de la gauche, il se tire d’un embarras du moment pour se perdre infailliblement un peu plus tard. Si au contraire il manoeuvre bien un peu en dehors du, et un peu de concert avec le parti de l'ordre, il peut amener, à la loi du 31 mai, certaines modifications qui mettront fin à cette question entre les honnêtes gens, et dont il aura, lui président, le profit comme l’honneur, en restant séparé de la Montagne, comme il l’est à présent ce qui est pour lui selon moi, la condition du Salut. Le Président a entre les mains, dans cette question de la loi du 31 mai, un moyen de négociation avec les diverses fractions du parti de l’ordre, qui peut l'aider beaucoup, s'il sait s'en servir à résoudre les autres questions embarrassantes et périlleuses pour lui. Créton, révision, élections & & &.
On me mandait la note de Palmerston à Francfort au moment où vous m'en parliez. Ce serait un acte inconcevable si ce n’était pas un système. Il est décidé à se porter partout, le patron des littéraux, sans s’inquiéter de savoir s’ils sont ou non des révolutionnaires chez lui, il ne craint pas la contagion ; et au dehors, le patronage lui sert. Je suis convaincu que c'est une détestable politique, pour l'Angleterre comme pour le continent ; mais c’est la politique bien arrêtée de Palmerston, non seulement il la pratique, mais il y croit. C'est son esprit qu’il faudrait changer. On y réussirait encore moins qu'à le renverser. Kossuth l’embarrassera. Mais il n'est pas embarrassé de recaler. Surtout quand il n’y a rien à faire, et qu’il ne s’agit que de modifier un peu le ton du Globe ou du Morning-Post.
Kossuth est un grand ignorant ou un grand sot. Il a gâté, pour plaire un moment aux Jacobins de France, toute sa position en Angleterre. J'attendrai avec impatience, le résultat. de votre lettre à l'Empereur. Votre fils Alexandre me préoccupe. Pauvre garçon, accoutumé à Naples, à Castellamare, à se promener dans toute l’Europe, pour s'amuser ou pour se guérir. Échanger cela contre Pétersbourg ou le Caucase.
J'ai reçu hier une lettre de Saint-Aignan qui me frappe assez par sa vivacité contre la candidature du Prince de Joinville. C’est fort simple de sa part car il est, lui, très fusionniste. Mais son langage m'indique qu’il y a là tout un coin de l'ancien orléanisme à qui cette candidature déplaît mortellement. 1 heures Ce n'est pas la brièveté de votre lettre, ni l'absence de nouvelles. qui me déplaît ; ce sont vos nerfs et votre insomnie. Guérissez de cela ; je me consolerai du reste. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 14 août 1851

Je serai donc à Paris le 24, à Londres le 27 ; à Weybridge pour le service le 26, et probablement à Claremont le 27, pour la conversation. Si je resterai à Londres un ou deux jours, c’est ce que je ne sais pas. Je me refuse absolument aux invitations Lord Aberdeen, Sir John Boileau, Croker & & mais peut-être Croker et Sir John Boileau viendront à Londres pour me voir. En tout cas je compte partir de Londres le 29 ou le 30, et être par conséquent à Paris, le 30 ou le 31. Vous voyez que mes plans cadrent avec les vôtres. Je vous prie seulement d'être à Paris le 31 août ou le 1er septembre au plus tard, car j'aurai bien peu de jours à y rester et je n'en veux rien perdre. Je suis entré très activement, dans plusieurs travaux qui ont quelque importance que je veux avoir terminé avant de rentrer à Paris cet automne et qui me laissent peu de liberté.
Je n'ai trouvé les choses, ni si changées, ni si aggravées que vous l’avait écrit Duchâtel. L’intrigue Joinville avance peu, quoique fort active. Les pauvres étourderies du Prince lui-même tombent à terre presque aussitôt que commises. Sauf à recommencer. Les questions qui s’agitent et les événements qui se préparent sont trop gros pour que tout ce petit mouvement y fasse ou y change grand chose. Ce qu’on a gagné, par le progrès de l'union désireuse et réelle entre les deux partis conservateurs est à mon avis bien plus important que les incidents dont on se préoccupe ne sont fâcheux. Voilà la part de mon optimisme. Deux sortes de gens ont raison d'être tristes, des gens difficiles et les gens pressés ; rien de grandement bon ne se fera, ou du moins ne se fera bientôt. Nous avons encore je ne sais combien de sottises à traverser et de sots à user. Ce sera probablement contre ce qui existe aujourd’hui qu’ils s’useront. Quand la France, sera sortie de cet abominable bourbier on trouvera qu'après le malheur d’y être tombée, et tombée par sa faute elle y a eu du bonheur et qu’elle s'en est tiré à bon marché. La candidature Joinville, et la proposition Creton, voilà les embarras réels du moment. Le second fournira peut-être un moyen de sortir du premier.
J’ai été parfaitement content de Berryer. Il n’a qu’une idée fixe, l’élection de l'Assemblée future. C’est à ce but que tout doit être subordonné. Et heureusement, le gros du parti le comprend. Les dissidents même, très peu nombreux commencent à s'inquiéter de l'explosion de leur dissidence et à chercher quelque moyen de boucher le petit trou qu’ils ont fait. M. de Falloux, très sensé et très ferme, mais de nouveau souffrant, est parti pour aller rejoindre sa femme à Nice. Le Président a causé avec Kisseleff, le jour de sa fête à St Cloud, et lui a tenu un langage fort raisonnable. Décidé à se croiser les bras et à attendre que le pays agisse. Il y a toujours des impatients amateurs de Coup d'Etat. Il est peu probable, très peu, qu’ils prévalent quoiqu’on ne soit peut-être pas fâché que le public en ait toujours un peu peur. Cela le rend plus modeste, et plus, empressé à faire lui-même ce qui dispense des coups d'État. Le public s’inquiète d'une circonstance. Un commandement donné, à Paris, au général St Arnauld, le vainqueur de la Kabylie, le plus entreprenant et le plus dévoué des nouveaux généraux africains bien plus capable d’un coup que le Général Magnan de Paris à Londres.
Un de mes amis anglais whig sensé et fort au courant m’écrit : " Lord John has made a promise, a very rash one, it seems to me of a new reform-bill ; and whether, it succeeds or fails, it will not leave us where it founds. I breakfasted this morning with Lord Lansdowne, and tried to find out whether the government had any fixed plan. But I could learn nothing, and I suspect that they have not yet, even seriously considered what they mean to propose. My suspicion is that what they ultimately do propose will be too strong for the Tories and too weak for the radicals ; that they will be defeated by a Tory-radical opposition, and go out ; that a Tory government will come in and reign for 4 or 5 years, and that then the whigs will come back, with a larger or at least a more,(deux mots que je n’ai jamais pu lire).... bill. " Cela me paraît de l'English good sense. Adieu.
J'adresse toujours à Francfort Vous ne m'avez rien dit contre. Votre tête me déplait bien. J’ai peine à croire que vous ne sauviez pas votre fils Alexandre. Ce ne serait pas la peine de prendre tant de peine pour avoir si peu de crédit. Adieu, adieu G

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer dimanche 15 sept 1850

Je suis frappé de ce que vous me dîtes de l’intimité de Changarnier et de Lamoricière. Cela coïncide avec ce qui m'est revenu d'ailleurs, ces jours-ci. Lamoricière dans des conversations intimes, s’est déclaré inconciliable, absolument inconciliable avec les rouges et l'Empire, ou toute combinaison bonapartiste analogue à l'Empire ; du reste prêt à accepter toute autre solution, l'une ou l'autre des deux branches, n'importe laquelle, ou mieux encore toutes deux ensemble ceci dans l’hypothèse où la république régulière ne pourrait pas durer, ce qu’il ne regarde point comme sûr, mais comme très possible. Je vous donne ces ouï dire pour ce qu'ils valent ; ils viennent de bon lieu. Ils peuvent être vrais aujourd’hui et point demain ; Lamoricière est si mobile ?
Les nouvelles de Bruxelles m'affligent beaucoup. La Reine, toute cette famille royale quittant le cercueil du Roi et traversant la mer pour venir s'asseoir auprès du lit de mort de leur fille, de leur sœur ! Quelle épreuve ! quel spectacle ! Les douleurs s’appellent et s'attirent. Je ne sais rien que par les journaux ; mais j’ai le cœur serré à l'idée de ce deuil sur deuil pour la Reine dont la personne, et le cœur, semblaient ne laisser plus de place à un deuil nouveau. Je voulais écrire ces jours-ci à la Reine et à M. le Duc de Nemours. Je n'ose pas. J’attends.
J'espère que vous me donnerez aujourd’hui d'un peu meilleures nouvelles de votre rhume. Décidément enrhumée ou non, et encore plus enrhumée, je vous aime mieux à Paris qu'ailleurs. Vous y avez à la fois plus de repos et plus de mouvement. Je compare ce que vous voyez là, avec votre solitude de Schlangenbad. Et pour avoir cela vous n'avez d'autre peine à prendre que de ne pas sortir de chez vous.
Je suis curieux de ce que vous me direz sur M. de Meyendorff. La nouvelle de Berlin est répétée dans tous les journaux. Je ne puis croire à cette retraite, et encore moins au motif. Mad. Swebach (est-ce bien son nom ? ) doit savoir le vrai. Midi Je regrette de n'avoir pas vu l'article du Times, sur Salvandy. Je suis frappé de la réserve des journaux de toute opinion sur ce sujet. Ils sentent tous que c’est sérieux, et ne veulent ni s’engager ni se compromettre. Je vois ce matin un article du Siècle qui pose, entre la Monarchie et la République, je ne sais combien de questions pleines d'embarras et qui admettent les réponses contraires.
Je suis bien aise d'avoir valu à Constantin les remerciements qu’il a reçus. Vous savez que je lui ai trouvé, sous sa tranquillité modeste et un peu stérile, l’esprit plus ouvert et plus sérieux que je ne supposais. Adieu, adieu. Vous aurez reçu ce matin une réponse sur Fleischmann. Adieu. G.

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Schlangenbad Vendredi 8 août 1851

Ah la vilaine chose que l'absence & les postes allemandes. Rien, rien de vous hier. Je crois vraiment qu'on me vole vos lettres pour les garder et les publier un jour. Je fais du fracas à droite et à gauche. Enfin je vais demain moi-même à Francfort. Voyons comment cela me réussira. Tous les Metternich jeunes sont venus ici voir Marion. On ne parle que des inondations. Le Rhin a quadruplé. Le soir je m'en suis assurée, moi-même en conduisant Ellice jusqu’à Biberich où il a dû s'embarquer ce matin. A Bade il y a eu des dégâts effroyables. Le chemin de fer coupé. Les ponts emportés.
Duchâtel m'écrit de Paris. Il trouve tout bien gâté. Votre prince de Joinville a fait de la belle besogne et Changarnier aussi. Enfin si tout cela tourne au profit de la réélection du président je n’en serai pas fâchée. On serait bien avec une tête comme Joinville !!
La mienne me fait toujours mal, mais elle ne me fait pas faire de sottises encore. Adieu. Adieu. Constantin m'écrit qu'il a grand peur qu'on ne donne pas de passeport à mon pauvre Alexandre. Quelle tristesse cela va lui faire. Je suis bien troublée de cela. Je cherche le moyen de lui être utile. Adieu.

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Schlangenbad le 8 août 1851

Je pense bien à la désagréable. situation que vous fait cette sotte conduite de Claremont. Evidemment la fusion qui devrait être le salut de la France en sera le fléau. c.a.d. que la division éclatant chaque pas, il faudra bien deux bannières. Eh bien ce qu’il y a de mieux à faire, c'est de ne s'en plus mêler. Vous irez à Claremont pour la messe funèbre, dites-là la vérité pour la dernière fois, & souhaitez leur le bonjour. Et puis restez tranquille. Qu'ils fassent leurs affaires à leur façon cela ne peut pas être la vôtre. J’espère que la France restera comme elle est plutôt que de retomber aux mains de ces Princes gamins. Je suis convaincue que tel est aussi le sentiment de l’Europe. C’est toujours la lettre de Duchâtel qui m'a mis dans ce train là, car hélas vos lettres il y a bien longtemps que je ne les connais plus. Je suis impatiente d’arriver à Francfort pour tout vérifier.

7 heures. Voici enfin deux lettres le 3 et 4. Le 31 juillet & le 2 août me manquent. Où sont elles ? Vous serez donc à Paris après-demain, & lundi & Mardi. Sans moi, je ne le comprends pas. Arrangez votre course à Londres de façon à être à Paris le 2 ou le 3 septembre j'y serai certainement alors. Vous donneriez bien quelques jours à l'exposition. Ou bien voulez-vous que je revienne plus tôt ? Je puis abréger. J’attends Constantin après le 20. Ici ou autre part. Le 9 samedi. Vraiment je suis toute malade, ma pauvre tête, je ne sais qu'en faire. Je viens de prendre une médecine il fallait me donner cela plutôt. A 4 heures je vais à Francfort mauvaise condition pour reprendre mon rôle de courtisan. Adieu. Adieu.
Vous me direz des nouvelles de Paris. Adieu.

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Schlangenbad le 23 août Samedi 1851

Votre lettre du 17 me prescrit de continuer à vous adresser les miennes au Val Richer. C’est drôle. Certainement vous ne recevrez plus celle-ci à Londres, & je ne vous écris que par obéissance. Constantin est arrivé il ne me dit rien de nouveau mais bien des détails. Aujour d’hui je vais avec lui dîner au Johannisberg. Ensuite coucher à Bibérich. Demain je m'embarque pour aller coucher à Cologne, de là vous savez. Cela me ramène à Paris bien plutôt que je ne voulais surtout par ce beau temps mais je suis tracassée de ma santé. Ma langue, ma tête. Il faut aller consulter mieux que Kolb. Adieu. Adieu.
Cette lettre ne vous arrivera jamais. Quelle idée de ne pas laisser vos ordres au moins à Paris.

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Schlangenbad le 16 août 1851

Enfin une lettre, celle de mardi mais pourquoi suis-je arriérée d'un jour ? Cela vous n'y pouvez pas répondre. Ah les maudites postes. On me mande de Londres que le duc de Wellington est menacé d'un procès très ridicule a breach of promise of marriage. De la part de Lady Georgia Fane, soeur de Lord Westmorland. Elle a 1600 lettres du Duc, [?] brutales, un peu de tout. Elle les a livrées à son avocat. Elle veut plaider, & obtenir dommages & intérêts, ou le mariage. Cela fait beaucoup de bruit, et certainement le ridicule est grand à 83 ans ! Ellice et C. Greville me mandent cela tous les deux.

Dimanche 17 Certainement l’Ems de cette année m’a été mauvais. Je ne me remets pas de l’effet des eaux, la tête, la langue, le palais, tout est en souffrance, et les forces s’en vont. Voilà une belle équipée. Quel dommage ! Je n’ai rien à vous dire du tout. Je ne vois que la duchesse de Hamilton et je regrette la Princesse Grasalcoviz. Marion est une grande ressource. Demain probablement. Je vous donnerai une autre indication d’adresse. J’attends Constantin. Adieu. Adieu.

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Ems le 2 août Samedi. 1851 6 h. du matin

On m'emballe, et pendant ce temps je vous écris un mot. La comtesse Chreptovitz est arrivée de Londres hier. Elle me raconte à propos du nouvel oukaze pour les passeports, que Nesselrode & Orloff l'ont appris en même temps que le public. L’Empereur l'a fait promulguer d'une manière soudaine, ses ministres l’ignoraient. L’étonnement & le mécontentement ont été grands. J'essaye avec les Chreptovitz de parer le coup qui attend peut être mon pauvre Alexandre. si on lui refuse de sortir du pays, quelle triste affaire. On vient de refuser à une de ses cousines aussi une sœur du petit cousin.
J'ai eu la migraine hier tout le jour, & tout le monde est venu, beaucoup de monde. Je me suis couchée de très bonne heure. J’espère aller mieux à Schlangenbad. Je vous quitte. Adieu. Adieu.

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Schlangenbad le 20 août 1851

Mes journées sont si monotones qu’il n’y a vraiment pas de quoi remplir trois lignes. J'ai eu une lettre d’Alexandre aujourd’hui. Il a demandé son passeport. Il ne doute pas qu’on ne le lui accorde vu l’état de sa santé. S' il y a quelque anicroche il s’adressera au Comte Nesselrode. Si cela n’allait pas, je serais la dernière instance, mais je crois que nous n'aurons pas besoin de tout cela.
Le 21. Vous devez avoir reçu toutes mes lettres et entre autres celle où je vous redisais les quelques paroles de la D. d’Orléans au Prince de Prusse. C'est absolument tout ce qu’il a eu le temps de me dire. Constantin est arrivé à Francfort. Il a perdu sa malle sur les chemins de fer, cela le retarde, mais il viendra ce soir tard. Adieu. Adieu. Car il n’y a pas un mot à vous dire. Mon médecin a mis tout Schlangenbad hier en émoi. Il a donné un bal. On n'a jamais vu de bal dans ces montagnes. Il est pour mourir de rire. C’est notre seul amusement à Marion & moi. Adieu.

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Schlangenbad le 19 août Mardi 1851

Merci de votre très intéressante lettre du 14. Vous me trouverez probablement à Paris à votre retour de Londres. Je crois que j'y serai le 30. Je vous adresserai ma prochaine lettre à Paris. Et puis je n’ai plus votre adresse où allez-vous à Londres ? J'espère que vous aurez songé à me le dire. De Paris adressez-moi une lettre à Bruxelles poste restante, de Londres la première aussi car je resterai certainement un jour à Bruxelles. Ensuite à Paris.
Le temps est bien rafraîchi. Et Schlangenbad alors est détestable. Enfin, c’est bientôt fini. Je partirai sans doute dimanche. Constantin sera ici après-demain.
Quelle joie dans tous les journaux radicaux de ces lettres de Gladstone. Vous devriez bien en faire honte à lord Aberdeen. Moi je lui ai parlé assez durement de cela, un petit mot plus doux de vous ferait bien de l’effet, et vraiment il mérite une leçon. Le Roi de Prusse a passé hier à Mayence le jour de la fête de l’empereur d’Autriche ou plutôt ses 21 ans. Samedi le roi reçoit l'hommage de ses nouveaux sujets de Hohenzollern. Grand speech historique à cette occasion. Adieu. Adieu. Que voulez- vous que je vous dise de ce lieu solitaire ? Pas une âme. Adieu. Adieu.

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Schlangenbad Mardi le 13 août 1850

Les journaux me paraissent fort occupés des dîners militaires du Président. Vous ne manderez quelque chose de Paris sur ce sujet. Est-ce que je retrouverai la république. J’ai eu un mot de Chreptovitch de Kissingen. Il partait avec son beau père pour Vienne. Il avait été question de lui donner l’initiative de Londres pendant l'absence de Brunnow mais on a trouvé que c’était faire trop d'honneur à l'Angleterre, et afin de faire le contraire on y laissera M. de [Bey], parfaitement bête, chargé de ne rien faire.

4 heures Voici votre lettre du 10. Merci, merci. Constantin me fait un long bulletin de Berlin. Le roi enchanté de votre enchantement de Stalgenfeld. S'il avait su, il vous aurait fait préparer un appartement. Le roi aussi bien que le Prince de Prusse mécontent de la Duchesse d’Orléans. Occupés de l'avenir de la France, écoutant Constantin avec curiosité et de son avis. Le comte de Chambord a passé la journée du 6 à Postdam. Il y a fait une impression très favorable. On l'a traité avec de grands égards. Le roi & son frère avaient [mis] le St Esprit. Périgny en est désolé. L’Empereur va faire un voyage d’inspection à Kiev & & et rejoindra plus tard à Varsovie l’Impératrice qui y va dans trois semaines. Venise est possible pour l'hiver, mais rien n’est décidé.
Le 14. Je vous écris de mon lit. Le temps humide ne me va pas. Je n’ai pas dormi. J'ai des douleurs partout. Quel ennui. Hier Mad. Malorte a été à Wisbaden. Elle a vu le Général de Changarnier et lui a même parlé. Elle est dans l’enthousiasme de sa bonne grâce de son grand air. Il lui a dit à revoir à Paris car tant que je n’y serai pas il n’y aura pas de repos en Europe. C’est gros. Il me semble qu'il a la même confiance que le Président. C’est l'effet qu'il a fait sur Mad. M. C'est une personne très sensée, & je crois à ses impressions. Pour moi, je n’irai pas à Wiesbaden malgré ma curiosité. C’est loin c’est fatigant, & j’ai ici une détestable voiture. Le duc de Parme a passé la soirée chez moi. Il me plonge dans l'Italie. Cela ne m’intéresse pas encore beaucoup. Si je suis réduite à sa société il faudra bien que cela vienne. Adieu. Adieu. Je suis bien contrariée de mon lit.

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Schlangenbad Mardi le 12 août 1851

La grande duchesse m’a comblée. Mais elle m'a bien fatiguée, aussi. Hier jusqu’à minuit. Ce matin dès huit heures ! Elle est partie à 10 heures pour Bade & moi un quart d’heure après pour revenir ici. Cette petite rencontre s’est passée parfaitement. C’est comme si je ne les avais jamais quittés cela m’a vraiment touchée. Ainsi n’ai-je rien marchandé, & pendant 48 heures je me suis admirablement conduite. Je ne sais comment cela [?] qui se soutenir même un jour de plus.
Je n’ai pas fermé l'oeil la nuit dernière. J’ai été prise du mal de Thiers à la langue, & j'en souffre beaucoup. J'espère me reposer ici. J’en ai bien besoin. Votre petit mot ce matin me donne bien à penser. Une intrigue avec la montagne pour le Prince de Joinville. Il est capable d’accepter ce secours. J'ai bien mauvaise opinion de vos Princes. Je leur souhaite de tout mon cœur d'échouer.
Marion est revenu de Johannisberg toujours chérie là. Elle y a vu Hubner pendant deux jours. Il se rendait à Venise & retourne à Paris pour la fin du mois. Tout le corps diplomatique a été aux fêtes en uniforme. Vraiment on a fait du Lord mais un empereur Nicolas, c'est un peu drôle. Au reste les fêtes ont été superbes, & le ciel s’en est mêlé aussi. Constantin sera probablement ici Samedi ou Dimanche. La duchesse de Hamilton est ici. Je ne sais si ce sera une ressource, j’en doute. Adieu. Adieu. Ma tête est un peu mieux, mais ma langue me fait bien mal. Elle m'empêche de manger. Adieu.
Fini Mercredi 13 août

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Schlangenbad le 14 août 1851 jeudi

Je viens d'écrire une lettre à L. Aberdeen qui ne lui plaira pas, car je lui dis de bonnes vérités sur sa faiblesse d'avoir permis à Gladstone de lui adresser ces détestables lettres. Vous voyez la joie de L. Palmerston. 8 heures. Voici un mot de vous de Paris, lundi, mais si petit, si court, trop court. J’espère que vous vous serez donné de meilleures proportions le lendemain. Je rentre d'une longue promenade avec la duchesse de Hamilton, personne très digne, très convenable, parlant le Français à merveille, et voilà tout. Les journaux m'apprennent que vous & la Marseillaise avez été très honorés à la distribution des prix. Quel singulier accouplement ! Je suis charmé des succès de Guillaume.

Vendredi 15. Je relis votre billet. Vous trouvez les choses en meillleur train que vous ne croyez. Je suis interrompue par l’arrivée de vos deux lettres perdues 31 & 2. Elles avaient été envoyées à une Princesse de Lieven. Ma nièce à Kreuznach. L'une, elle l’a ouverte. C'est bien égal, c’est une brave femme qui n'y aura pas compris un mot. Je suis ravie d’avoir retrouvé mon bien.
Je me repose ici de Francfort, les deux jours que j’y ai passés m'a vaient vraiment fatiguée, déjà l’idée que je ne m’appartenais pas, que je faisais un peu la volonté d'une autre. Cette idée me chiffonnait. Vous comprenez cela pour moi ? Adieu. Adieu.
Je crois que Constantin sera ici demain ou après- demain. Adieu.

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Schlangenbad le 17 août 1851

Je ne fais que dormir, signe certain de bile. Je n’ai pas voulu prendre mon bain aujourd’hui. Je suis découragée. Je crois que je quitterai ceci le 23 ou 24. Mais je ne veux rien décider encore avant d’avoir vu Constantin. Lundi 18. Constantin ne sera ici que le 21. Il va avant voir à Kissingen Prince [Czernichoff] qui est très malade. Toujours je crois que je quitterai ceci le 23 ou 24. J’irai lentement. Il me semble que dès le 20 je ferai bien de vous adresser ma lettre à Paris. Mais après à Londres à qui ?
Léon Faucher qui est à Londres a beaucoup dit à C. Greville pleine assurance de la réélection du Président. Fort préoccupé d'empêcher tout renoncement du côté de l’Elysée ou du [gouvernement], convaincu qu'en se tenant tranquille on arrive. Voulant dépenser 100 millions en ouvrages à Paris. Cela tient le monde en bonne humeur. Granville a mortellement offensé les Ministres français en ne faisant de visite à aucun d'eux. Il a eu grand tort.
Il y a eu un gros orage cette nuit. Hier la journée était charmante. Une troupe de chanteurs Tyroliens nous a donné un charmant concert sur la terrasse. Les auditeurs en groupes en amphithéâtre. C’était un coup d'oeil ravissant mais pas une âme de connaissance. La duchesse de Hamilton a l'air brisé par le chagrin. Sa fille est toujours à Venise avec son amant. Adieu. Adieu. J’attends vos récits de la dernière matinée à Paris. Il me semble que vous êtes assez content. De quoi ? Adieu. Adieu.

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Schlangenbad le 26 août 6 h. du soir.

Je reçois de Fleichmann de si mauvais renseignements sur les chemins de fer, que je renonce à Bade, & je pars demain pour Paris. C’est donc là que vous continuerez à m’adresser vos lettres. La paix est à peu près faite entre Vienne & Berlin, mon Empereur a arrangé cela. L'Autriche a fait des concessions. C'est Constantin qui me mande cela. Adieu. Adieu. Je porterai ceci à Cologne.

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Schlangenbad le 18 août 1850

Duchatel est venu un voir hier, longue conversation dans laquelle je lui ai beaucoup plus appris que lui ne m’a raconté. Il ne savait rien. Il quitte Kreuznach le 24 et passera quelques jours à Paris avant de se rendre à Lagrange. Le soir nous avons eu en tiers le duc de Parme, qui ne l'a pas beaucoup amusé. La princesse Grasalcovy est allé passer sa journée à Wiesbaden. Je suis très perplexe & j’attends de plus amples informations. Constantin m'écrit que la grande Duchesse Hélène ne reste à Ems que huit jours et qu’elle se rend ensuite à Bade si elle y va en droiture nous ne nous rencontrerons pas. Mais on prétend qu’elle vient à Wiesbaden en passant dans ce cas c'est là que j’irais la trouver. Voilà une occasion de rencontrer le comte de Chambord, il n'y en a pas d’autre, car je ne suis pas assez curieuse.
Je n’ai pas eu de lettres de vous hier, mais vous m’en aviez prévenu. Le temps est toujours détestable. Le duc de Noailles m’écrit tout à l’heure, & me presse d’aller voir sa femme. Je verrai, je n’aime pas à me déplacer. Adieu. Adieu, car je n'ai rien absolument à vous dire. Adieu.

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Richmond vendredi le 3 août 1849

Votre lettre me fait rétrograder dans mes espérances. On restera donc comme on est. Si cela pouvait rester ainsi toujours, je n'ai rien à dire mais cela ne se peut pas. Hier un temps charmant aujourd’hui de la pluie. Une longue lettre de Constantin de Berlin. Sa femme n'accouche pas il s’impatiente. Il voudrait aller retrouver ses cosaques. Je crois qu’au fond il les aime mieux que son ménage. Les élections bonnes, pas assez pour défaire tout le mauvais ouvrage, surtout pas assez pour se rapatrier avec l’Autriche. En Autriche on s'en moque de la constitution promulguée à [?], personne n'y pense plus. On est tout militaire. On veut ressaisir tout le pouvoir que donne la force des baïonnettes. Cependant la guerre traine, mais nous écraserons. C’est toujours le langage. On ne sait que faire de Bade. Pays pourri. La famille régnante très déconsidérée. En Bavière l’opposition unitaire gagne. Constantin furieux du discours de Lord Palmerston. Voilà sa lettre. Le duc de Cambridge m’a fait une longue visite. Cela ne m’a pas extraordinairement divertie. Beauvale valait mieux. J’y ai rencontré le L. Holland qui m'a demandé de vos nouvelles avec bien de la tendresse. Le choléra toujours gros à Londres, sans changement. J'ai diné chez Delmars avec Mad. de Caraman. Voici M. Genaud de Mussy. Pardon & Adieu. Adieu.

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Richmond Samedi 21 juillet 1849
Midi.

J'attends aujourd’hui une lettre du Havre. Le Times ce matin dit que vous y êtes arrivé, et que votre réception a été des huées. Cela fait bien de l'honneur à vos compatriotes ! Ma journée a été triste hier comme le temps. Beaucoup de pluie, point de visites de Londres. J’ai vu les Delmas la vieille princesse, & le soir les Beauvale. Là, bonne et longue et intime conversation.
Lady Palmerston avait écrit une lettre très inquiète, elle croyait à une bataille perdue à propos de la motion de Lord Brougham. Je vois ce matin qu’elle a été rejetée par 12 voix. La séance a duré jusqu'à 4 h. du matin. Brougham. Carlisle. Hugtesberg. Minto. Aberdeen Lansdown, Stanley. Voilà les orateurs & dans l’ordre que je dis là. On m'apporte votre lettre du Havre. Merci, mais vous ne dites pas comme le Times. J'aime mieux vous croire vous, que lui. (C’était dans les ships news, Southampton.)
Vous voilà donc établi chez vous ! que Dieu vous protège. Comme nous sommes loin ! Les discours hier sont si longs, qu’il m’est impossible de les lire. J'ai choisi celui d'Aberdeen, j’y trouve des paroles honorables & justes pour le roi, Lord Palmerston et pour vous. Je relève cela, parce que les journaux de Paris ne rendront surement pas les discours dans leur étendue. Onze heures de séance. C'est long !
Mon fils est revenu de Londres de sa tournée. J’irai peut être le voir demain, quoique je ne me soucie pas trop de l'air de Londres. Il est vrai que le choléra est bien près d’ici à Brentford vis-à-vis Ken. Peut-être à Richmond, mais on ne me le dit pas. Je n’ai pas de lettres du continent. Demain rien de nulle part, ce sera very dull. Adieu, sotte lettre. Je bavarderais bien cependant si je vous avais là dans ce fauteuil, si bien placé pour un entretien intime comme je regarde ce fauteuil avec tendresse et tristesse ! Adieu. Adieu. Adieu.

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Richmond Samedi le 19 août 1848
1 heure

Hélas, voilà mon fils parti ! J’en ai le cœur bien gros. Il l’a vu, et je crois qu'il en est touché. Il va à Bade, de là à Castelamane, & il veut revenir à Brighton à la fin de Novembre. Je n'ose y compter. Le temps est affeux. Tempête et pluie. Comme c’est triste quand on est triste et seule ! Pierre d’Aremberg m’est resté sur les bras hier pendant cinq heures, c’était long. Ce qu'il m’a dit de plus intéressant est la ferme croyance de son parti que dans trois mois Henri V sera en France, Roi. Nul doute dans son esprit et il est entré dans des détails qui m'ont assez frappée. Ce qui a donné de la valeur à ses propos, c'est que une heure après, j’ai vu Lady Palmerston à Kew, qui me dit avec étonnement qu'ils venaient de recevoir de Paris la confirmation de ce que leur disaient depuis quelques temps les lettres particulières que le parti légitimiste avait gagné énormément de terrain, et qu’il était presque hors de doute que le duc de Bordeaux serait roi, & sous peu. Après l’étonnement venait le plaisir. Evidemment le premier intérêt là est que la France redevienne une Monarchie. Enfin je vous redis Lady Palmerston, me donnant cela comme une nouvelle officielle du moins venant de source officielle. Son mari n’a pas paru du tout au dîner donné à G. de Beaumont. Il était retenu à la Chambre. Beaumont a été fort causant, cherchant à faire deviner qu’il n’était pas républicain du tout, et disant très haut qu'on l’était très peu en France. ça et là, quelques propos très monarchistes. On ne lui a pas trouvé la tournure d'un homme du grand monde. Mais convenable, l’air honnête. Tournure de littérateur. Il a bien mal parlé de Lamartine, Ledru Rollin & & D’Aremberg affirme positivement que la Duchesse d’Orléans a pris l’initiative à Frohedorff et qu’elle a écrit une lettre de sympathie, se référant à ce qu’elle avait toujours éprouvé pour eux, & demandant que dans une infortune commune ou confondue les douleurs, & les espérances, & la conduite. Il affirme.
Lady Palmerston très autrichienne disant que l’affaire est entre les mains de l’Autriche, qu'ils sont les maîtres. Espérant qu’ils se sépareront du milanais mais ne se reconnaissant aucun droit pour ce disposer contre le gré de l’Autriche. Impatiente de recevoir les réponses de Vienne. Inquiète de Naples. Mauvaise affaire pour Gouvernement anglais. Le Danemark, espoir, mais aucune certitude de l’arrangement. Toujours occupée du manifeste [?] qu'on trouve plus bête à [?] qu'on y pense. Voilà je crois tout. Je reçois ce matin une lettre de Lord Aberdeen pleure de chagrin de ce que vous ne venez plus. & puis beaucoup d’humeur des articles dans le Globe où Palmerston lui reproche son intimité avec vous. Comme je n’ai pas ce journal je n’ai pas lu.
J'oubliais que G. de Beaumont annonce une nouvelle bataille le dans les rues de Paris comme certaine. J'oublie aussi qu’il tient beaucoup au petit de avant son nom. Le prince Lichnovsky, (celui de Mad. de Talleyrand) est arrivé à Londres, on y arrive comme pendant à Lord Cowley à Francfort. Nothing more to tell you, excepté, que je trouve le temps bien long, bien triste, et qu’il me semble que vous devriez songer à me marquer le jour de votre retour. Depuis le 31 juillet déjà. C’est bien long ! Adieu. Adieu.

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Richmond Samedi le 14 Juillet 1849

En repassant chez moi après vous avoir quitté hier, j’ai trouvé Ellice & mon fils qui venaient d’arriver. Le premier en demandant à dîner. Le second m’annonçant son départ pour une tournée en Angleterre ; il part ce matin fuyant le choléra de Londres et les mauvaises odeurs dans le quartier qu'il habite. il m’a quitté à 7 1/2 de sorte que je n’ai pas causé seule avec lui. Ellice m’a dit que la discussion de la chambre des Pairs était ajournée à vendredi & que la motion de Brougham était fort hostile. Du reste point de nouvelles.
Rodolple Cousin m'écrit de Paris assez tristement sur les affaires en France. Misère, mauvais esprit, impossibilité de continuer comme on est.
Je crois que la place Vendôme me conviendrait mieux. Je flotte. Quoique je fasse j'aurais mieux fait je crois d’épouser Célimène Est- ce bien là ce vers ? Le petit Cousin à moi m'écrit de Pétersbourg. Tout le monde y est triste. Je vous montrerai demain ces deux lettres. Je suis de nouveau un peu souffrante des entrailles ce matin. Est-ce que le choléra serait venu à Richmond ? Adieu à demain. Je ne répèterai plus cela qu’une fois. Ah il y a de quoi mourir de chagrin et je suis bien triste ! Adieu. Adieu.

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Richmond Samedi le 12 août 1848
2 heures

Votre lettre est très curieuse. Toutes vos observations justes et tristes. Je vous trouve triste en général depuis votre départ. L’air anglais est lourd, les Anglais sont lourds aussi et quand on reste quelque temps sans autre frottement, on finit un peu par la mélancolie. Je sais cela parfaitement par mon expérience. Quelle grande affaire que Milan. Quel dénouement pour Charles Albert. Quelle juste punition ! Je ne conçois plus ce que peut devenir la médiation, certaine ment les Autrichiens n’entreront pas en Piémont. Chacun étant chez soi, qui s'agit-il de concilier ? C’est certainement plus moutarde que quoi que ce soit qu’on ait jamais vu. Que votre lettre anonyme est drôle ! Elle ira à Peterhoff. A propos j’ai encore des nouvelles d'Hélène. Tous les fléaux accablent la Russie. Le choléra dans toutes les provinces. La disette, les sauterelles par dessus le marché. L’Empereur fort triste. Pierre d’Aremberg est à Londres, il est venu me voir hier, j’étais sortie, il m'a laissé un mot que je copie. " Le bilieux Cavaignac est un homme qui voudrait et qui croit à la possibilité d'une république raisonnable. Ce sont de semblables croyances dont le temps fait justice. Encore un peu de temps et la république aura tout ce qu’elle voudrait même de l’influence politique sur l’Angleterre, mais ce qui lui manquera ce sera l’argent et les républicains. J’ai visité l’Allemagne et j’ai quitté Paris avant hier. Je suis fâchée de ne pas pouvoir vous faire le récit de ma visite hier à Claremont. " Comment trouvez-vous Pierre d’Aremberg à Claremont ? Il est clair que le travail du Duc de Noailles est devenu comme à beaucoup de monde.
Je pense à aller à Tumbridge Wells, je n'en suis pas tout-à-fait sûre encore, mais j’y ai écrit pour un logement. Mon fils part mardi. Mauvais jour demain, je n’aurai point de lettres. Ce sera votre tour lundi, c'est bien ennuyeux car blank days. Il n'en faudrait pas entre nous ce qu'il ne faudrait pas surtout c’est l'absence, la séparation. Very unwholesome for both. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Mercredi le 25 juillet 1849

Hier à neuf heures il y a huit jours nous nous sommes séparés. Le dernier adieu. Mon Dieu que c’était doux. & triste. Voici votre lettre. Il me semble que vous jugez ici les choses de votre pays comme vous les jugez depuis que vous y êtes rentré ; choses & hommes. Voyons ce que le temps amènera ? Il n'amènera pas de grands hommes, je crois.
Aberdeen est venu me voir hier. II est parti ce matin pour l’Ecosse. Pas très étonné du dévouement de Vendredi. Lord Brougham avait fait un discours des plus lâches, des plus longs, des plus ennuyeux du monde. Le parti était révolté. Il ménageait lord Palmerston avec une tendresse paternelle. Cela a dégouté beaucoup de monde. Quelques Pairs sont sortis disant qu’ils ne voulaient pas voter pour une motion faite par lord Brougham. Je crois que ceci était un prétexte, et que la vraie raison était la crainte de renverser le Ministère. Quoiqu'il ne soit les Lords Hefford, Pembroke. Tankerville, Cantorbéry, Willougby & & & s’en sont allés. Le duc de Wellington est parti aussi, il est vrai que pour celui-là son vote eût pu être de l’autre côté. On l’accuse fort de désorganiser encore un parti qui l’est déjà beaucoup. Lord Aberdeen a eu hier un dernier entretien très long avec lord Stanly. Ils ne sont venus à reconnaître qu’il n’y avait pour le moment aucun moyen de prendre les affaires ensemble quand bien même les circonstances écarteraient les présents ministres du pouvoir. Aberdeen parle très dédaigneusement de Peel. D'abord comme d'un défunt et puis comme du destructeur du plus grand et respectable parti qu’ait jamais eu l'Angleterre. Moi aussi, mon Peelisme est fini. Lady Alice, parle comme les autres. Aberdeen craint fort les meetings radicaux qui vont se tenir partout en faveur des Hongrois. Il trouve que l’esprit démagogique grandit. Cela l’inquiète.
J’ai oublié de vous dire hier qu' Ellice a reçu une nouvelle lettre de Mad. d'Osne sur le même ton. Thiers et toute la famille sera à Dieppe le 3 août pour y passer quatre semaines. Mon fils est venu me voir hier pour quelques heures. Sa tournée dans le pays lui a profité, il se porte mieux. Brunow envoie des courriers à Varsovie. L’Empereur doit y être revenu hier. J’ai été hier au soir chez Lord Beauvale. Nous sommes une grande ressource l’un pour l’autre Bulwer m'écrit une longue lettre de Francfort, Résumé. L’Allemagne veut l’Unité. La Prusse, si elle ne fait pas de fautes, formera une [?] du Nord. Les petits princes disparaîtront certainement. L'Autriche reprendra sa situation après que la guerre de Hongrie sera terminée. Il n’y a là rien de neuf.
Adieu. Adieu. Je pense à vous tout le jour. Cela n’est pas nouveau non plus, adieu, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond le 23 août 1848

J’ai été hier prendre mon luncheon chez Lady Palmerston. Rien de nouveau. Toujours bienveillance pour l’Autriche. Désir d’aboutir, assez d'espérance, (j'espionne les bases) on jette des mots en l'air, et l’idée la mieux accueillie est la mienne : doubler la Toscane par la Lombardie. En grande moquerie de l’Allemagne. En éloges de Beaumont que de son côté est très courtisan pour Palmerston surtout. J’ai rencontré [?] en sortant on me l’a présenté. Je lui ai dit deux mots, il a beaucoup vanté l’accord du Prince & du peuple à Cologne & partout. Il parlait de son roi qu'il a accompagné là. Les Standrish ont dîné chez moi hier. Elle est un peu parente de Madame Beaumont. Elle avait appris que G. de Beaumont s’était beaucoup félicité d'avoir fait ma connaissance.

2 heures
Bonne lettre et bonne nouvelle. Le 1er au lieu du 2. Vingt-quatre heures dégagées. C'est donc Samedi que je vous verrai quel plaisir ! Je suis bien aise de voir que vous attendez du décisif ressortant des pièces. Elles sont terribles. Un grand pays gouverné pendant 5 mois par un set of scoundrels quelle honte ! Et depuis un mois, je ne sais si c’est beaucoup mieux. Je trouve que Cavaignac est un peu compromis. Constantin est appelé à Pétersbourg. Il y est allé avec sa femme pour revenir bientôt à Berlin. Il me dit que Brunner est parti de Berlin l'oreille bien basse. L’affaire danoise s’arrange, Francfort n’est plus si arrogant avec Berlin. Les journaux français ne sont pas là encore. La tempête ces deux jours a été terrible, il y a retard. Il me semble bien difficile qu'il n'y ait pas un éclat à Paris. Adieu. Adieu. J’ai le cœur plus réjoui depuis que les jours sont réduits à mes dix doigts tous les jours j’en couperai un. Adieu. Adieu. Aggy va mieux quel miracle. Adieu. Voici un petit fragment de Marion. Drôle.

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Richmond Mercredi 22 août 1849

J’ai livré à lord Melbourne. Votre lettre sur le Pape. Il en raffole. Elle est admirable. (Il me l'a rendue cependant, mais lue tout à loisir.) C’est dommage que Metternich a tort une fois. dans cette lettre car du reste elle lui ferait un grand plaisir. Nous n’avons rien de nouveau par ici. Mais évidemment la guerre de Hongrie touche à sa fin. Dans huit jours j'espère apprendre le dénouement. Ce sera une grande affaire de terminée après cela cependant viendront pour le gouvernement autrichien les plus grosses difficultés. Vous savez qu'il a demandé à la Bavière 20 m. d'hommes pour venir garnisonner Vienne. Quelle situation pour ce grand empire ! Lord Palmerston est toujours et restera toujours bien hostile à l’Autriche. Il l'est un peu à nous maintenant. Ah comme Melbourne le déteste !
J'ai fait mon luncheon hier chez la duchesse de Glocester. Rien, qu'une excellente femme, et qui aurait bien envie que je passasse l’automne à Brighton avec elle. Mon fils est venu me voir hier. Il a pauvre mine, il est sans cesse malade à Londres et il est trop paresseux pour quitter sa vie de club. Brünnow est à Brighton, il n’y a vraiment personne à Londres. Lord Ponsonby écrit de Vienne à Lord Melbourne une excellente lettre. Toujours occupé à empêcher les personnalités entre Lord Palmerston & le Prince Schwarzemberg. Quand aux affaires de Hongrie, il n’a plus l'ombre du doute. Nous écrasons l’insurrection. L'Empereur sera bien content.

2 heures
Voici votre lettre. Curieux portrait de Lamoricière. Ce doit être vrai. Duchâtel vous mande exactement ce qu’il m’a mandé à moi. Il est clair que la durer de ceci n’est pas possible. Mais d’où partira l’explosion ? Que je voudrais qu'elle se fit vite ! Je n’ai plus aucun goût aux événements ; Je voudrais trouver les choses faites. Adieu. Adieu, vous voyez que je suis stérile aujourd’hui. Adieu.

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Richmond Mercredi 18 juillet 1849
Onze heures

Je veux encore essayer de vous faire parvenir deux mots à Londres. Cette pensée si douce que vous êtes à une heure de distance, il y faut donc renoncer. Renoncer à tant de bonheur ! Ah mon Dieu Hier mes genoux ont fléchi quand vous avez fermé la porte. Je suis restée en prières. J’ai tant prié, et toujours une seule & même prière. Je n’ai pas pleuré. Le moment même d'un grand chagrin me trouve sans larmes. C'est de l’étonne ment. Tout est suspendu en moi. Je me suis mise à la fenêtre, presque sans pensée. Je ne sais ce que j’ai fait ensuite. Je me suis couchée. J’ai dormi un peu, pas beaucoup et je me lève, la désolation dans l'âme !
Une lettre de Constantin de Berlin. L’Empereur est parti subitement de Varsovie pour aller surprendre l'Impératrice le jour de sa fête le 13. Il ne devait passer à Pétersbourg que deux ou 3 jours. Un moment de halte dans les opérations. On veut toucher en masse sur l’armée véritable des rebelles. Tout est calculé. On ne doute de rien, et dans 15 jours ou 3 semaines l’affaire de la Hongrie sera terminée. A Berlin, grand changement dans les esprit même les plus sages. L’unité, l’unité au profit de la Prusse ; les succès dans le Palatinat & dans le grand-duché de Bade ont tourné toutes les têtes. grande haine contre l’Autriche, mille soupçons. Le roi, la reine & une partie du ministère résistent seuls à cet entrainement. Mais la bourrasque est bien forte. Prokesh et Bernstorff sont incapables de rien arranger. Il faut changer ces deux instruments. L’armistice avec le Danemark mécontente beaucoup les Allemands. Enfin beaucoup de fronde à Berlin.
Adieu. Adieu, cher bien aimé, adieu. Voici les larmes. Je m’arrête. Adieu. Dites un mot, pour que je sache que vous avez reçu cette lettre. Voilà du vent. J’ai peur pour cette nuit. Passez-vous sur un bâtiment anglais ou français ? Je ferme ma lettre à 2 1/2. Je l'adresse chez Duchâtel. C’est plus sûr. Mon messager reviendra de la directement. Adieu. Adieu, mille fois. Mon cœur se brise. Adieu.

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Richmond Mercredi le 16 août

Voici votre lettre d'hier. Bonne. J’ai un autre plaisir encore aujourd’hui, c’est que mon fils qui devait parler ce matin reste jusqu’à Samedi. Ces trois jours de plus me font tant de joie. Je ne suis pas gâtée et mon cœur est reconnaissant de tout. Montebello est allé hier à Claremont. [?] venait d'arriver.
Mauvaises nouvelles de Paris. On va porter de suite devant l'Assemblée la question de la fortune du Roi. Père et enfants tout sera décidé selon le bon plaisir de Cavaignac qui est fort hostile. Il y aura des pensions rien de plus. Voyons l’enquête. Voyons la Constitution. Tout cela va venir coup sur coup. Mais l’enquête surtout comment cela ira-t-il ? Il est évident que cela contrarie bien le National. A propos voici l’article dont je vous parlais hier. Voici aussi la lettre de Hugel. Je suis étonnée qu'on sache si peu ce qui s’est passé diplomatiquement en Italie depuis la prise de Milan. Il y a des gens que commencent à douter de l'armistice. Cependant c'était bien le gouvernement français qui envoyait ici cette nouvelle par télégraphe Savez-vous que le Prince Petrullo est venu ici député par le parti réactionnaire en Sicile, expliquer à Lord Palmerston que les Siciliens ne veulent pas de séparation avec Naples. Palmerston a écouté. Petrullo est appuyé de beaucoup de grands noms en Sicile. Je n’ai pas vu encore Pierre d'Aremberg. Je sais qu'on l'a bien reçu à Claremont mais qu’il n'a rien dit qui ressemble au duc de Noailles.
J'ai été assez souffrante hier. Prise d’un frisson désagréable. Question d’estomac. Le temps est trop abominable. Un brouillard épais permanent depuis 3 jours ! Adieu. Adieu. Mon fils a dîné avant-hier avec Syracuse Petrullo & Calonna. Syracuse ultra conservateur. Adieu encore.

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Richmond Mercredi 15 août 1849 6 heures

Je viens de voir lord John, le hasard a fait qu’il me citait un mot un peu radical de Lord Grey l'actuel, je lui dis à cela, que je croyais que lord Palmerston était le seul radical des ministres, qu'au moins on prenait bien du soin pour le classer ainsi et le distinguer des autres. Vous voulez parler du portrait & du discours dans les meetings ? oui. à quoi Lady John observe qu’elle ne croit pas qu’il ait recherché cela. C’est possible, mais il l’a mérité Lord John. I Wonder whether they are flatered by it. Si Lord Palmerston est un homme d'esprit, il devrait ne pas l’être, ce sera la pierre de touche, quant à moi je croirai convenable de lui en faire un compliment de condoléance. Lord John a ri ; bien des petits mots & des petits gestes m'ont prouvé que la chose lui déplairait fort. J’ai eu soin de glisser dans la conversation le mot de position isolée. J’ai voulu vous dire cela tout de suite pour ne pas l'oublier. Hier lord John & les Palmerston ont dîné chez Brunnow avec le duc de Lenchtemberg. Il n’y avait d'Anglais qu’eux. Les Collaredo y étaient mon fils aussi qui ne parait que quand il y a du [?]. Lord John a distingué un nommé Mussard le secrétaire du commandement du Prince avec lequel il a causé & qu'il a trouvé homme d'esprit. Vous ai-je parlé de lui ? Il a vraiment de l’esprit.

Jeudi le 16. Je ne me remets pas et cela m'ennuie. Je fais ce qu'on me dit ; j'ai une très pauvre mine je crois que M. G. de Mussy vient aujourd’hui. Je vois toujours chez moi tout Richmond, je suis sortie aussi le temps était avez beau quoiqu'il soit fort rafraîchi. Lord John en me parlant hier de Rome, me dit qu'on leur demande conseil sur ce qu’il y a à faire là (je suppose qu'il veut dire les Français) et qu'on a répondu d'ici qu’on n’avait aucun conseil à donner. La situation est bien désagréable. Il est évident que la conduite du Pape est insensée. Les français vont-ils soutenir et protéger les cardinaux, ou les combattre ? Ou se retirer de là absolument ? Mauvaise affaire.
Je vous prie ne soyez pas du conseil général. Un journal anglais dit ce matin que vous en êtes. Je ne veux pas le croire.
1 heure. Voici votre lettre. Vitet dit comme le Journal des Débats sur le Havre. Va donc pour la république. What a bore ! Imaginez que les Ellice restent à Brighton, pas de Paris les parents n’en veulent plus. Adieu. Adieu & Adieu dearest.

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Richmond le 8 août 1849

J'ai eu hier une longue & bonne lettre de Montebello. A propos de tous les mea culpa exprimés par tous les côtés, il me dit " Thiers a fait le procès du gouvernement provisoire qui est aussi un peu le sien. Si on était logique il faudrait en conclure que celui qui a le moins failli est M. Guizot et se hâter de l’envoyer chercher au Val-Richer, où, tout considéré je suis bien aise de le voir. Il grandit dans sa retraite et son jour viendra. " Il veut vous faire visite. Il veut venir ici aussi. Je le voudrais bien.
J'ai eu aussi une très bonne et affectueuse lettre du grand duc héritier, pleine de respect, de souvenir, & d’amitié. Il m'écrit de Grodus en marche pour Varsovie à la tête de la garde Impériale. La femme de Constantin est accouchée d'un fils. Il en est dans un grand bonheur. Il allait la quitter le 3ème jour pour retourner auprès de l'Empereur à Varsovie. J’ai vu hier lord John Rusell tout rempli du succès de voyage de la Reine. L’enthousiasme est immense. Cela ne peut s’adresser qu'à la durée d'une dynastie, ou à un très grand homme. Il n'y a plus de grands hommes, et une petite fille de mérite très médiocre devient un objet de vénération et d’idolatrie par cela seul que son arrière grand-père, a régné là où elle règne aujourd’hui. Certainement il y a dans cette réflexion de quoi frapper beaucoup aujourd’hui les esprits partout si toutes fois, les esprits du continent sont susceptibles de réflexions sages.
La princesse Crasalcovy à dîner chez moi hier, nous nous sommes fait traîner à nous trois en calèche très découverte jusqu’à 10 heures du soir par le temps le plus beau, le plus chaud du monde. Cette nuit il y a eu de l'orage mais l'air n’en est pas rafraîchi. J’ai fait lire à John Russell la lettre de Montebello qui l'a fort intéressé. Il dit ce que vous me dites. Cela ne peut pas durer comme cela, mais on ne sait comment s'y prendre. Tranquillité assurée pour quelques mois, mais après ? God knows. Tolstoy m'écrit du Havre. Ce pauvre Pogenpohl est en paralysie. Adieu, dearest Adieu. Mille fois.

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Richmond Mercredi 1er août 1849,

Un nouveau mois, qui sera un bien mauvais mois pour nous comme cela me serre le cœur ! J’ai lu hier une lettre de lord Ponsonby de Vienne à lord Beauvale. Il dit que la guerre peut trainer quelques semaines encore, mais que l’issue n'est pas douteuse, et personne ne s'en inquiète. Il dit aussi que les relations entre la France et l’Autriche sont excellentes ; tant mieux.
Mon fils est venu me voir hier. Brünnow est un peu noir sur la Hongrie. Je ne sais pas de nouvelles du reste. Le choléra continue et grandit. 130 morts dans la journée. C'est beaucoup, & ce n'est pas tout ; on avoue cela, mais le vrai chiffre est au-delà de 200. Je reste cependant. Je me soigne. Je me fais beaucoup trainer dans le parc, il n’y a pas de choléra là. Je passe et repasse devant le beau chêne, & vous savez à quoi je pense et repense tous les soirs chez Beauvale et un peu aussi chez Mad. Delmas.
A propos elle a été bien flattée de votre souvenir. Faites dire un mot à la vieille princesse. Le temps est passable. J’occupe dans ce moment-ci l'appartement qu’avait la Reine. Mais c’est un peu bruyant, & j’espère succéder à Mad. Steigley qui part dans peu de jours.
Je suis allée aux informations à propos de la lettre de l’Empereur au Président ; c'est la même formule que pour le Président des Etats-Unis. Mon grand et bon ami. N’importe je suis bien aise qu’il ait écrit. Je ne vois pas cependant que les journaux français le disent. C’est dans le Morning Chronicle que je l’avais trouvé.
J’ai rendu compte à Lord Aberdeen de ma petite discussion avec Lord John à son sujet. Cela l’amusera. Je n’ai pas manqué avant hier de lui faire parvenir votre lettre. Adieu. Adieu dearest, adieu.
Que c’est long déjà, & que ce sera long encore. Les correspondances de Paris dans les journaux anglais disent qu'on est inquiet. On croit à un coup d’état on le craint parce que les trois partis monarchistes sont divisés mais on ne peut pas rester comme on est. Quel puzzle. Adieu. Adieu.

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Richmond Mardi le 18 septembre 1849

Deux mois, deux grands mois depuis votre départ ! Comme notre courte vie est massacrée. Je comprends que vos hôtes aiment votre visite, mais je suis sure que vous aussi vous aimez avoir à qui parler, avec qui raisonner un peu. Moi je n’ai eu personne. Lord John tout seul, mais il n’y a pas assez de liberté d’esprit. J’avale à tout instant ce que j’allais dire. Cependant sa conversation m’amuse. Nous devisons Hier j’ai passé la soirée, chez eux. Tous seuls à nous trois. Cherchant à comprendre comment peut se débrouiller ce chaos partout, surtout en France, aboutissant un peu à dire, c’est John qui dit que les Français sont particulière ment faite pour un bon despotisme militaire. Je suis d’accord de cela malgré que cela ne vous plaise guère. Je crois vous avoir dit, il y a une dizaine de jours que Lord Palmerston voulait qu'on destituât le gouvernement de Malte pour avoir refusé l'hospitalité aux réfugiés italiens. Lord John ne veut pas, et cela ne sera pas. Il approuve la conduite du gouvernement. Il est très curieux de ce que va faire le gouvernement turc à l'égard de Kossuth & & &. L’Autriche les réclame et nous réclamons les Polonais. Je suis étonnée de n’avoir rien de Constantin depuis la mort du grand duc. Des nouvelles privées parlent du chagrin violent de l’Empereur. Il prend les joies comme les peines avec une fougue, effrayante. Mon fils est venu me voir hier. Le temps tourne au froid, et je commence à craindre que Richmond ne le soit trop pour moi bientôt. Je ne suis cependant pas pressée de Paris. Le choléra, & les menaces de Changarnier. Morny revient ici dans huit jours. Lord Melbourne m'écrit souvent mais il demande, car il ne sait rien. Il me dit sur Lord John " Quel cocher pour l’attelage qu’il devrait conduire, et dont il est mené." Je suis un peu colère contre Melbourne pour une question de 3 £ il laisse aller cette belle maison qu’avait M. Fould. Les Delmas viennent de la prendre. Lord John approuve fort le vote de la Chambre à Turin qui condamne l’arrestation de Garibaldi.
Je vous envoie une lettre de Marion. Je lui avais fait tenir celle où vous me parliez d'elle. (c’était trop long à copier.) Voyez la drôle de fille. Voici votre lettre. Je suis bien aise du peu de valeur que vous attachez à au dire de de Lord Normanby. Mais regardez y toujours et au choléra. Adieu. Adieu mille fois.

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[?] and [?] La pauvre et chère reine m’est plus que jamais respectable & admirable à Claremont par la manière dont elle porte son malheur. Voilà la vraie chrétienne selon Dieu. De tous temps je me disais que si nous nous étions connues nous nous serions calmées et convenues ; envisageant la vie de famille et la vie sur cette terre de la même manière, nos cœurs, se seraient compris. La Duchesse d’Orléans est elle bien ou mal avec elle. Voilà par contre un caractère qui ne m’aurait jamais convenu." J'ai fait parvenir à Claremont par Montebello ce qu’elle me dit sur la Reine et que je trouve charmant.
Longue lettre de Constantin. Francfort défère à la Prusse, l’arrangement avec le Danemark mais il le fait avec des restrictions et des détails qui rendent l’œuvre difficile. Le Roi et l’archiduc se rencontrent aujourd’hui à Cologne. Le Roi étant chez lui cèdera le pas à l’archiduc. On ne se promet à Berlin rien de bon de l’entrevue. Le Comte Ernest Stakelberg que vous avez souvent vu chez moi est à Paris & a été chez Cavaignac. Très bien accueillie par lui. Qu’est-ce que cela veut dire je n'en sais rien. Mais évidemment nous nous rapprochons. Il est clair que si la France pense comme nous et l'Angleterre : sur le Danemark nous devons être être bien avec elle pour agir moralement avec elle. Que veut dire le paragraphe dans le National ou il est question du dernier ministre de la monarchie. Comment seriez-vous dans l’enquête ? Cette enquête va être une bien grosse affaire. Le parti de la rue de Poitiers semble bien déterminée à tout savoir. La Montagne se joint à ce parti là, car Louis Blanc & Caussidière aiment mieux avoir des camarades que rester seuls. Deux heures. Votre lettre d’hier m’arrive à l'instant ; Pas de réponse car elle ne me fournit rien. Votre rhume passe, j'en suis bien aise. N’allez pas imaginer de vous baigner dans la mer ; à nos âges cela est mauvais. Je vous prie ne faites rien de nouveau. Le Tolstoy de Paris est arrivé à Londres & me l’annonce. Je le verrai ici. Il sera assez mieux à entendre. Adieu. Adieu.
Voilà que le National m’est enlevé. Je découperai demain l’article dont je vous parle. Adieu. J’ai aussi une longue lettre de Hugel de Houzard vous l’aurez demain, je l'ai à peine lue. Adieu. Adieu.

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Richmond Mardi le 14 août 1849

Je suis mieux aujourd’hui, mais hier je suis restée tout le jour sur mon lit souffrant beaucoup de crampes & d’agression. Le médecin ici m’a fort bien traitée. Tous mes voisins sont accourus, mon fils aussi de sorte que je n’ai pas été seule. Il ne valait pas la peine d'envoyer chercher Mussy qui était à Claremont. Enfin je le répète je suis mieux, je je crois même que je sortirai. Merci merci des deux lettres de Vendredi & Samedi. Je reviens au duc de Lenchtemberg honnête jeune homme, conversation sensée, pleine d’affection, mais reste étranger sous beaucoup d'autres rapports. Du good sense, et bonne vue des choses. Il a vu l’Empereur il y a quinze jours, qui lui a dit que la guerre en Hongrie serait terminée au plus tard en six semaines donc, dans un mois. Qu’aussitôt, cela fait il dirait le bonjour aux Autrichiens &t rentrerait chez lui avec armes & bagages, mais que son armée resterait en Pologne, prête à d’autres éventualités. La totalité de nos forces actuellement en Hongrie & Transylvanie est de 220 mille hommes, 130 mille de réserve en Pologne. En tout 350 m/ sur pied de guerre. On se préparait à recevoir très bien le général Lamoricière. L'empereur lui a assigné un palais à Varsovie (c'est énorme !) Nous allions nommer de suite ses Ministres à Paris. Brunnow affirme que c’est Kisseleff. Le prince a souci & a dit qu’on était mécontent de Kisseleff sans beaucoup de rapports, & qu’il ne croyait pas que ce serait lui, moi, je crois Brunnow mieux renseigné. Après le Prince j’ai eu une longue visite d'un des cavaliers de sa suite, homme d’esprit, français. Il me dit que l’empereur est devenu très serieux, très grave, qu’on a fort peur de lui. Ces propres enfants. Refus absolu de passeport pour l’étranger, pas une exception, personne, personne ; ne peut sortir de Russie. Cela a été provoqué par la conduite de certains Russes à Paris Branitzky entr'autres. Le Prince repart après demain pour Madère. Grande suite 12 ou 14 personnes, toutes grands noms, & des gens comme il faut !
Je n’ai pas de nouvelles à vous mander d’ici. Les Palmerston devaient y venir coucher hier et à côté de moi lorsque tout à coup ils sont partis pour Tunbridge où un autre petit garçon de Ashley est mourant. Lady Holland m'écrit une lettre assez curieuse. Il parait que Thiers a complètement désorganisé le parti conservateur. Brouillé ouvertement avec Montalembert & Barryer. Molé s’en montre fort triste, & dit : " je ne vois plus ce qui peut sauver le pays." Il y a quelque rapprochement entre l’Elysée & les Invalides. Le rappel d’Oudinot n’est pas du tout sûr. Le ministre le rappelle mais le président lui écrit de rester. Cela serait-il possible ? Oudinot a toujours été mal avec Tocqueville et ne lui faisait pas de rapport tandis qu'il écrirait tout confidentiellement mais par intermédiaire au Président. Je vous donne là lady Holland. Son mari est venu pour huit jours. J'espère le voir. Lady Alice est encore ici mais malade. Elle vient de louer Marble Hill. Le temps est à la tempête. Et je suis ici comme dans une cabine de vaisseau. On meurt beaucoup du Choléra à Londres. Adieu. Adieu.
Voici votre lettre d’accord avec lady Holland quant à la scission dans le parti modéré. Si on va de ce train, Ledru Rollin sera président dans 3 ans. Adieu. Adieu. Adieu. Tournez. Vous me faites bien plaisir en continuant votre langage & votre attitude réservée. Persistez, persistez, sans un moment de distraction. Adieu encore.
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