Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Vendredi le 9 novembre

Je n'ai reçu vie d'important hier. Mais je sais par Montebello qu’il ne s’est rien passé de mémorable. Vous ne voulez pas que je vous parle de l'enseignement, cela m'ennuie trop. Berryer était bien fâché de cela avant hier et je vois tout le monde dans le même train de regret. On dit que Changarnier est bien frondeur et mécontent de l’Elysée encore plus que Thiers. Flahaut est parti le cœur très pris par le procès, mais très décidé à rester en dehors et à Londres. Je sais par lui, qu'avant de donner l’ordre du rappel de la flotte on en a prévenu le gouvernement anglais je trouve cela convenable, puisque la mesure avait été prise d’accord. Mais j'ignore toujours si l'Angleterre a fait de même. Il me restera d’éternels doutes sur la fin de l’affaire tant qui Stratford Canning sera là pour agir. Lord Lansdowne vient d’arriver, je le verrai tantôt. Il m’envoie une lettre de John. Très motu proprio, quant à Rome. Il conseille à la France de s'en aller, et de respecter la volonté du pape. Quant à l’Elysée il dit que tout cela est provenu du rapport de Thiers si dédaigneux pour le président. Celui-ci ne pouvant frapper sur Thiers a frappé sur ses ministres ; cependant il trouve le procédé un peu brusque. Voici votre lettre. Mes observations pour ce qui vous regarde sont ceci. On ne me parle pas de vous. Dans le corps diplomatique personne ne vous nomme. Vous n'avez pas existé, et bien cela me blesse, cela me laisse un doute désagréable sur l’accueil que vous rencontrerez si vous reparaissez. Votre situation est tendue, difficile, la mienne pourrait le devenir, il faudra de l'habileté & du good sense. Nous verrons. La fin de votre lettre me plait, je vous crois décidé à revenir pour la fin de la semaine prochaine, quel plaisir ! Rien dans ce que j'ai appris hier ne me donne lieu d' y voir obstacle. Je suis dans les grosses écritures. Un courrier pour Pétersbourg ce soir, j’écris à l’Impératrice longuement Adieu. Adieu. Adieu.
Dans mes soirées vacantes Je vais quelques fois le soir chez Mad. Swetchine & chez la vicomtesse.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 10 novembre 1849

M. Dunon est venu me voir hier matin. Il est d'avis comme vos autres amis que vous retardiez votre venue ; mais après un peu de dialogue il a reconnu que dans la parfaite incertitude de l'époque d’un événement cela n’avait pas de sens. Le duc de Noailles de son côté est très pressé de votre retour et ne comprend pas pourquoi on vous conseillerait de le différer. Lui voudrait plutôt le hâter. Il désire fort vous lire son discours à l'académie. Il l'a lu à la vicomtesse que le dit charmant. Comme j’avais refusé hier de dîner à l’ambassade d'Angleterre, j'ai imaginé d’être polie, et d'y aller tout de suite après. On venait de se lever de table. Très petit dîner, j’y ai trouvé M. Molé, le général Changarnier et Lord Lansdowne. Changarnier est venu causer et a débuté en me disant que je serais contente des journaux du matin (aujourd’hui) lesquels renfermeraient une sorte de manifeste de M. Carlier très menaçant pour les rouges, et en général d'un ton très ferme, & où se trouve omis le mot république & puis liberté fraternité & & qui sont l’ornement obligé de ces sortes de pièces. J’ai accueilli cette nouvelle avec un grand plaisir, & fort applaudi à tout ce que ressemblerait à de la force, il a soupiré et semble trouver qu'on n'en fait pas comme on ne devrait faire. Un peu de tristesse dans son langage. Comme je ne connais pas l'homme je ne sais pas la valeur de cette [ ?]. Il a encore prôné ce que j'allais. lire. Molé très préoccupé très triste. Point de conversation suivie avec moi. Beaucoup d’aparté avec Changarnier, et [?] & Achille Fould qui sont entrés quelque temps après moi. On m’avait dit le matin que jamais Changarnier ne va chez Molé ni Thiers. C'est convenu. Ils se bornent à se rencontrer. Changarnier préfère cela. Achille Fould m’a abordée, il m’a parlé avec tristesse de la situation qu'il a acceptée, & puis tout de suite il a passé à me demander. de vos nouvelles quand vous reviendrez. J’ai dit que j’espérais dans 8 ou 10 jours. Et puis, que pense M. Guizot ? - M. Guizot pense qu’il faut soutenir l’autorité tant qu’elle donne des gages d’ordre & de force. - M. Guizot a un trop bon esprit pour ne pas penser cela.
Son langage m’a plu. Je ne suis resté qu’une demie heure, je voulais éviter la grande soirée. Les hôtes étaient comblés de ma présence. Il voulait encore descendre dans la rue, je me suis opposée. Le matin j’étais d'une grande impatience de lui, et à ma grande surprise, je ne trouve rien. Le manifeste n’a point paru. Pourquoi ? J’ignore peut-être le moniteur le contient- il ? Dupin est venu aussi. Il s'est borné à me saluer. Je vous répète que j’ai trouvé les visages celui de Molé surtout, triste. Lansdowne est ravi de se trouver à Paris. Le prince Paul affirme qu'on prépare une loi pour supprimer les gardes nationales d'abord dans pour arriver à leur suppression à Paris. Midi. J’ai envoyé chercher le Moniteur. Il n’y a rien. Je suis d'autant plus surprise de ce silence que lady Normanby connaissait la pièce, et la glorifiait hautement. Que s’est-il passé cette nuit qui a fait changer d’avis ? Changarnier m’a dit aussi que les rouges avaient détaché 200 émissaires qu'ils ont lancé dans les départements depuis deux jours. J’attends votre lettre. Mais je finis en attendant. Adieu. Adieu.
Le duc de Noailles vante Molé, et parle mal de Thiers, dans le sens que vous dites. Je viens de recevoir votre lettre, je n’ai pas d’autres nouvelles.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Dimanche 11 Novembre 1849

Hier une longue visite du chancelier. Fort cajoleur pour moi ; mais ne vous nomment pas. Il a aimé & servi tout les régimes. Il n’aime et ne sert plus rien. Il ne croit à rien. Il est très dur pour le Roi & sa race. La chute a été trop honteuse. Au fond la tête du roi était en décadence depuis l'année 41. J'ai manqué Molé hier il est venu trop tôt. Je n'étais pas rentrée. Je le regrette, je lui aurais recommandé ce que je vous ai prié de dire à Broglie à propos de lord Lansdown, du langage à lui tenir. Toute ma soirée a été prise par Kisselef. Nous sommes mutuellement contents l’un de l’autre. Mais il n’est pas tout-à-fait content du reste. Le décousu & les contradictions sont insupportables. On me confirme ce que vous dites de la mauvaise humeur & même de la violence de langage de Thiers. Ni lui, ni Molé n'ont revu le président depuis le message. La femme de Normanby se soutient à l’Elysée On y est ou on redevient très Anglais. C’est mal connaître son intérêt. Hübner est venu le matin ainsi causer longtemps avec moi. Il est positive ment très spirituel. La proclamation de Carlier met en fureur le National. C'est la guerre civile une moitié de la société en lutte avec l’autre, & c’est le gouvernement qui proclame cela ! Voilà le langage. Il finit cependant en recommandant de se tenir tranquille. C’est tout ce qu'il me faut. [...] J’espère que vous avez conservé votre bonne mine anglaise.
Midi 1/2 Je rentre de l'église & j'ai trouvé de vos nouvelles verbales, dont je suis très contente. Adieu. Adieu. Adieu. Quel plaisir de penser au plaisir de cette semaine !

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 11 Nov. 1849
8 heures

Je suis de l’avis de Lord John sur la boutade du Président. Le rapport de Thiers sur les affaires de Rome en a été, sinon la cause, du moins l'occasion déterminante. C’était bien insultant de ne pas dire un mot du président et de sa lettre, comme s’ils n'eussent pas existé. Et c'était bien léger d'insulter ainsi l'homme qu'on a élevé et qu’on ne peut renverser. Cette faute a fait éclore la disposition du Président, disposition préexistante, mais jusque là contenue, et qui probablement fût restée encore à l'état latent, comme dirait le Ministre actuel du commerce. M Dumas, grand chimiste. Je vois d'après ce qui me revient que les hommes intelligents de la majorité ont le sentiment de cette faute, et la regrettent. Mais c’est fait. Et la boutade du président aussi, Tout cela suivra son cours. Puisque Flahaut n'en veut pas être, il a bien fait de s'en aller. Je crois que la faute du Rapport était facile à éviter. Il était facile de faire sur la lettre un paragraphe convenable qui dégageât complètement, l'assemblée de la politique du président en donnant au président lui-même satisfaction pour sa dignité et avertissement pour son gouvernement personnel.
Je suis charmé que Lord John prenne ainsi goût, non seulement à avoir des lettres de vous, mais à vous écrire. Il n'aurait pas vos lettres sans cela, et il a raison d'en vouloir. Vous excellez à rendre la vérité agréable.
Je dis comme vous pour ce qui touche ma situation personnelle en reparaissant. Nous verrons. Nous devons avoir ce qu’il faudra d'habileté et de bon sens. Le silence qui vous choque ne m’étonne pas. C'est de l’embarras et de la platitude, faute d’esprit et faute de cœur. Deux choses, si je ne me trompe, mettront à l'aise, autant qu’ils peuvent être à l'aise, les poltrons et les sots ; d'abord ma manière, et bientôt ma situation même.
Je ne vous écrierai pas de longues lettres ces jours-ci. J’ai beaucoup à faire ; dans mon Cabinet pour conduire mon travail au point où je veux qu’il soit en partant ; et hors de mon Cabinet pour les petites affaires du Val Richer. Il faut aux petites affaires autant d’attention de paroles, et de temps qu'aux grandes. Je suis seul avec mes filles. Mlle Chabaud est partie, pour aller passer quelques jours près de Rouen, chez une de ses amies.

Onze heures
Je ne vois absolument aucune raison d'hésiter, et je suis décidé. Il n’y a que deux espèces de personnes qui me conseillent de ne pas revenir ; celles qui s'en iraient volontiers elles-mêmes, et celles qui ont envie que je ne revienne pas du tout. Adieu, adieu, adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris lundi le 12 Novembre 1849

Mad. de Boigne est restée longtemps ici hier matin. Elle est en grande recherche pour moi. Salvandy est venu aussi. J’ai oublié de le prier pour la soirée. Long tête-à-tête avec Hatzfeld. Quelques indifférents le soir un brouillard ni épais que personne n’a pu venir des quartiers éloignés. Les voisins sont venus. Molé, & Achille Fould, en blâme de la proclamation de Carlier quoique contresigné part F. Barrot. Le corps diplomatique de ce côté-ci de l’eau. Les Normanby toute la soirée, Lansdowne. Mes jolies dames russes. Enfin l’ordinaire. Salon élégant, point politique. Et c'est ce qui me va. Molé avait le matin deux heures de tête-à tête avec Lansdowne, il se disait content. Il avait l’air plus calme que l’autre jour. Lui aussi est resté jusqu’au bout. Le discours du Président hier est l'objet de l’éloge de tout le monde. On commence à croire tout-à-fait que le coup d'état est éloigné, cependant on veut se tenir préparé. Berryer n’est pas venu hier soir. Il m'écrit ce matin que le brouillard, l'a égaré c’est parfaitement. possible. Je deviens impatiente de Constantinople. Beauvale dit : " tout est fini, Brunnow rit. Il n’y a plus de flotte." C’est bel et bon de rire, mais je voudrais savoir vraiment que tout est fini. Vous verrez chez moi un collègue du pauvre Rossi, le duc de Rignoux. Il a l'air bête mais sa femme pas. Quel plaisir de penser que vous arrivez. Vous avez surement du plaisir à faire vos paquets & vos arrangements. La campagne est rude au mois de novembre. Adieu. Adieu. Adieu.
Je ne vous écrirai bientôt plus. A propos sachez que le jour de votre arrivée à Paris, vous me trouverez chez moi entre 7 à 8 heures. Je dis cela pour tel jour de cette semaine.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 14 Novembre 1849

Voici votre lettre, & voici encore la mienne puisque vous m'ordonnez de vous écrire. Mais c’est bien la dernière. Que j'aurai de choses à vous dire. Hier tout le monde était charmé du verdict de Versailles, bon correctif à l'amnistie de la veille qui n’a pas fait grand plaisir dans le monde de la majorité. Le duc de Broglie m’a fait une longue visite hier. Je ne le trouve pas si désespéré, mais je lui en demande pardon c'est un suprême [?]. Il avait vu longtemps Lord Lansdowne, il ne m’a pas raconté ce qu'il lui avait dit mais il lui a parlé de Lord Palmerston comme il en pense. Broglie a chassé Kisselef qui était en train de me raconter sa matinée. Il avait été chez le président je crois que cela a été vif ; on n’aboutit à rien ici. J'ai été le soir passer une demi-heure chez Molé. Très curieux salon, pour moi, qui n'ai jamais été dans un salon politique à Paris. Rien que des députés, Molé resplendit. Il était très flatté de mon apparition. Cela a bon air chez lui, grand [?] et facile. Il m’a présenté M. de Montalembert l’extérieur n’est pas brillant. La conversation bonne, un peu tranchante, cassante, mais ses bons principes couvrent tout. Il y avait là aussi Larochejaquelin. J'ai causé un moment avec Changarnier, je ne l'ai pas bien compris quand il m’a dit qu’on entrevoyait quelque chose derrière le rideau. Broglie était là aussi, une foule d’hommes, en femme pas une, excepté Mad. de Hatzfeld. Il est vrai que je me retire de bonne heure.
A entre 7 et 8.
Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 7 juin Vendredi

J’ai trouvé M. Molé, fort malade. très mauvais visage au moins. Jaune, faible. Il a toujours la fièvre. Bonne conversation, rien à relever que vous ne sachiez ou que vous ne deviniez. Il n'était pas bien au courant de la négociation avec Londres. Il croyait toujours que Lahitte ne faiblirait pas. Mais moi je suis convaincue que Lord Palmerston se sera fâché hier de tout accorder, et avec la complicité du télégraphe français vous savez bien qu'en deux heures de temps on peut parler à Londres de sorte qu’en en terminant même qu’aujourd’hui. Cela arriverait encore à temps pour gâter la discussion de ce soir. Quoiqu’il en soit, nos amis de Londres sont des nigauds d'avoir tant attendu. Thiers était du dîner de Hubner. Il m’a dit qu'il a prévenu le Président de son voyage à Claremont et qu'il comptait y aller dans peu de jours croyant le roi assez mal pour craindre qu’il ne meure très incessamment. Je suis sûre qu’il ne sera de vos voyages respectifs comme de vos luttes parlementaires chacun veut garder son discours, pour répondre à celui de l’autre. (tout ce qu’il m’a dit hier m’a prouvé qu’il est entièrement orléaniste.) Pourvu que l’occasion de le faire en vienne à manquer à tous les deux. (Transportez les deux dernières sentences, ce sera plus concret.) On ne sait rien de Varsovie que ce que disent les journaux. Hubner & Hatzfeld sont également perplexes. Schwarzenberg avait quitté Varsovie, & voilà que son empereur s'y rend, c’est au moins ce que dit le télégraphe de Cologne. c’est drôle. Ce qu’il y a de sûr c'est que le Prince de Prusse est allé à Pétersbourg voir l’Impératrice. Lahitte a dit hier à Chreptovitz si Lord P[almerston] me cède tout je ne puis pas ne pas me reconnaitre satisfait. C’est juste.
Je suis de santé comme j’étais à votre départ. Le mien approche le 20 ou 25, mais je crois que Je verrai Chancel avant, parce que que tout le monde traite d’extravagante l'ordonnance d’aller à Aix-la Chapelle pour la poitrine.
1 heure. Ellice me mande que le Cabinet, très alarmé, et craignant une grande majorité contre lui ce soir, & envoyé une pétition à lord Stanley pour la conjurer au nom du bien public, de remettre la discussion à huitaine. Quand on donne des motifs pareils on n'ose pas refuser. Il donc été obligé de fléchir. La discussion est remisé à Lundi 17. Ellice dit qu'il y aura une grande majorité contre le gouvernement. D’un autre côté voici K[isselef] qui apprend, mais par voie détournée, que Brunnow a l'ordre de partir. Je saurai tantôt ce qu'il y a de vrai. Le vrai est que Brunnow avait demandé un congé, Il lui a été accordé pour l’été de 1851. Ceci serait donc un vrai rappel. Il y a une lettre du Prince Albert à l’université de Cambridge qui indique de la défaveur pour le gouvernement. Je n’ai pas lu encore. Vos réflexions sur les 3 millions sont excellentes. J'en ferai usage. Adieu. Adieu. J’attendrai pour ma lettre, mais je n’attends pas de nouvelle nouvelle à vous mandez.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Samedi le 8 Juin 1850

Montebello part demain soir pour Londres, il sera de retour le 16. Il vous écrira dès Mardi 11 pour vous dire au juste l'état dans lequel il aura trouvé le malade. J’avais assez de monde ici hier soir. Les diplomates, & ses amis Français, le favori Merode, le chancelier, Viel-Castel. Celui ci affirme qu’on prendra toutes ses précautions pour la rédaction de l’arrangement quand cet arrange ment sera convenu. Il ne tardera pas à l’être. Palmerston cède peu à peu sur tout. On ajustera les deux conventions de façon à faire disparaître tout ce que celle d’atténuer a d’onéreux de plus que celle de Londres. C’est particulièrement sur l'engagement pris par la reine de ne rien réclamer de l'Angleterre pour pertes & avaries qu’a coûté le différend. Pal[merston] ne voulait pas résilier cela, & Lahitte s’est obstiné. On croit que sous peu de jours, demain peut-être, Lord P[almerston] cèdera tout. Le bruit du rappel de Brunnow ne repose que sur une lettre particulière de Mareschalchi, ce n’est pas suffisant. Les 3 millions courent bien des chances. Personne ne veut laisser passer cela, & je parie que tous ou à peu près le voteront. Cependant il y a des obstinés dans tous les rangs. Légitimistes, conservateurs. M. Moulin par exemple, un des meilleurs. Il ne veut pas. On ne peut pas deviner ce qui se dira aujourd’hui dans les bureaux.
Voici la dernière phrase de la seconde lettre d’Ellice, celle où il m'annonce l'ajournement. I still think the case in the Lord very serious, & that we cannot get out of it. Une lettre du Prince Albert à l’Université de Cambridge prouve de l’humeur contre le Ministère qu'il appelle the present cabinet. Ceci semble très ominous à Ellice La lettre est dans le Galignani. Je crois que vous le recevez. 2 heures. Je n’ai vu jusqu’ici que [Craptovitch] qui n’a absolu ment rien. Je ferme ma lettre très peu intéressante aujourd'hui je crois que le duc de Noailles s'employait hier pour faire voter ses amis pour les 3 millions. Adieu. Adieu

P. S. Thiers part Lundi, il l'a dit hier à M. Molé. La Redorte vient de me raconter 10 bureaux 4 pour, 4 contre 2 douteux. Les autres pas connus encore. D’Houdetot écrit à son frère que le roi baisse visiblement.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 9 juin dimanche. 1850

La commission détestable. De grands doutes que la dotation soit accordée. Quoi alors ? Le chaos. J’ai dîné hier avec Thiers (chez Mad. Kalergi) il part demain pour St Léonard, il y a passera deux ou trois jours. Il a ouvertement proclamé à dîner son orléanisme. Il a dit et soutenu des thèses très extravagantes. Molé est venu après le dîner. Tous les deux prévoyant le rejet de la loi. Tout le monde frappé de l'ordre du jour de Changarnier. Remis complètement à sa place vis-à-vis du Président et la dernière phrase très bonne à propos de la garde municipale. Longue visite de Morny, bien content de ce que vous m'avez mandé à propos du projet. Quelques avances vers nous, j’ai expliqué comment il fallait les adresser autrement, et que vraiment ceci n’avait pas encore l'air d’un gouvernement. Très ferme résolution de rester ferme vis-à-vis de l'Angleterre. Il n'y a rien de conclu. Molé & Thiers ont laissé pour la possibilité que ce ne soit pas encore fait avant la discussion de Lundi 17.
Montebello part ce soir mais ils sont convenus lui & Thiers qu’ils ne se trouveraient pas à St Léonard ensemble. Thiers très attendri en parlant de l’état où il va trouver le Roi. Broglie a dit à Molé que d’Haussonville revenu de là dit qu'il y a des hauts et des bas dans la santé. Voilà tout ce que je sais. Les Ministres ont déclaré dans les bureaux, qu'ils voulaient la loi telle qu'elle a été présente, et que si on la rejette ou l’amende, ils se retirent. Je suis très pressée, tant de gens à voir ce matin. Et beaucoup à écrire. Je voudrais bien donner à K[isselef] & Chreptovitz quelque chose de mon activité & surtout de ma haine, je me reposerais. Adieu, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Mardi le 11 juin 1850

D’abord lady Palmerston. Voici la copie exacte de sa lettre reçue hier. Vous savez que je lui avais recommandé une chanteuse. Faut-il répondre ou me taire dans tous les cas je suis décidée à rire. C’est impayable. Ce qui m’en plait le plus, c’est l’évidence de la mauvaise humeur, ergo la très mauvaise situation. Quoique vous en disiez, je crois cette situation très mauvaise. C. Greville la regarde comme empirée par l’ajournement. du vote & moi j’ai quelque raison de croire que l’affaire ne sera pas arrangée jusqu’à Lundi. J'ai été hier dîner à Enghien avec mon fils, Chreptovitz & Antonini. Charmante journée mais mauvaise nuit de crampes, pas de sommeil du tout. Je fais venir Chancel. Duchatel est venu un moment le soir, je n’ai reçu que lui. J’étais trop lasse. Il croit que la loi passera. Lady Hollande m'écrit aujourd'hui qu’on craint bien là que l’affaire ne soit pas conclue jusqu’à Lundi ; dans ce cas on est battu sans ressource & Lansdown se retire, ce qui entraîne toute la bande. la Princesse [Léonide Galépine] est en effet la sœur de Paul Tolstoy. Mais avec beaucoup d’esprit, & des relations intimes & directes à la cour. Le [?] de Salvandy est historique. Thiers & Cousin me l'ont conté tous deux. C’est plus étonnant que la Révolution de février.
Je n’ai pas des yeux pour vous redire au long, je vais vous voir certainement dans quelques jours n’est-ce pas ? J'ai fait à Passy la connaissance de cousin. Duchâtel m’a confirmé hier soir ce que N[esselrode] m’avait dit le matin sur votre ami. Quelle faiblesse ! Il faut que vous l’ameniez. Je suis si fatiguée de n’avoir pas dormi et si effrayée d'une consultation demain avec Chancel que me tête n'y est pas tout-à-fait aujourd’hui. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 12 juin 1850
10 heures

Je répondrais sérieusement à Lady Palmerston, pas du tout pour entrer en explication, mais par respect pour votre ancienne intimité. " J’avais toujours cru qu’on pouvait séparer l’Amitié de la politique. Je l’avais toujours fait avec vous. Depuis bien longtemps je désapprouve tout à fait la politique de Lord Palmerston ; je ne vous l'ai jamais laissé ignorer. Mais pour tout ce qui vous est personnel et même pour tout ce qui est personnel à votre mari, sa politique à part, je suis toujours restée votre ancienne et fidèle amie, et je n'ai manqué, je crois, aucune occasion de vous le témoigner. Vous semblez croire aujourd’hui qu’il n’en peut être ainsi et que la dissidence politique doit emporter l’amitié. Je le regrette ; je ne changerai pas d'avis, pour mon compte ; je désire que vous reveniez à penser comme moi. C’est tout ce que je puis faire aujourd’hui. " Cela vaut mieux, je crois, que de rire. Il ne faut pas rire au nez d’une ancienne amitié, ridiculement mais sérieusement fâchée. Du reste son humeur prouve, comme vous le dîtes, que la situation est bien mauvaise. J’en suis charmé, et je fais tous les voeux du monde pour qu’il en soit encore ainsi lundi. Si Lahitte s'en tient à son premier dire, il y a de bonnes chances, car céder pleinement après avoir tant marchandé, c'est descendre bien bas. Pourtant j’ai peur que Palmerston ne cède. Qui sait ? Je partirai peut-être pour Londres le soir de sa chute.
Je suis bien aise que vous voyiez Chomel. Vous le verrez ce matin. Je suis bien fâché de n'être pas là, ou tout près. Chomel est médecin tant pis, mais très clairvoyant, très sensé et poli. Ne vous inquiétez pas des mots dont il se sert et de l’air dont il les prononce ; c’est sa science et son état. J’ai la confiance qu’au fond il ne trouvera point de mal sérieux, et qu’il vous rassurera. Vous m'en parlerez avec détail dimanche matin.
J’ai écrit au Duc de Broglie que j'arrivais et que je partirais lundi pour St Léonard. Je voudrais bien qu’il vint avec moi. J'en doute. Je ne voulai pas croire au pigeon de Salvandy. Cela avait trop un air de prédestination, comme son nom Narcisse Achille. Vous avez raison, c'est plus étonnant que la révolution de Février. Je pense que, la loi du tombeau votée, Montebello partira tout de suite. Je serais bien aise qu’il fût arrivé avant moi. Et probablement Duchâtel aussi.
J'ai des nouvelles positives locales, conçues en ces termes : " the king is getting worse and worse, and there is no hope of his recovery. There is no immediate danger ; but as he gets weaker daily - in body not in mind however - those who may wish to see him had better not to delay much, as it might be too late. " Dites cela, je vous prie à Duchâtel et à Dumon, mais pas textuellement à d'autres. Il ne faut pas qu’on répète les phrases. Adieu, adieu. Si nous avions un télégraphe électrique, vous me diriez la consultation de Chomel dès qu’il sera sorti. On aura cela un jour ; mais nous n’y serons plus. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 13 Juin 1850

Les nouvelles du roi hier étaient si mauvaises que vos amis espèrent que vous hâterez votre voyage. Molé, hier soir, était consterné de l’idée que vous arriverez trop tard. Assez de monde hier soir. Changarnier, Broglie, Molé, Piscatory, le Chancelier Dumon, Duchâtel, tous les gros diplomates. Piscatory pour la dotation tout-à-fait. Chang[arnier] m’a conté que la veille Normanby avait eu une énormément longue conférence avec Lahitte de nouvelles propositions que celui-ci repousse. Cependant Il a fallu tenir un conseil hier. A l'unanimité rejet des propositions de l'Angleterre. comme il y avait eu des méprise sur les conversations. Le militaire a tout rétabli dans une dépêche qui sera portée à la tribune en son temps. En attendant Normanby a dit à [Rnoff] hier, qu'il était honteux de ce marchandage, & il a laissé deviner que Samedi Pal[merston] rendrait les armes. Je mande tout cela à notre ami. Voici une lettre de lui à l’instant même. L'affaire finie on non, si Lord P[almerston] en sort humilié, c’est égal pour la discussion de Lundi. Il ne se dit pas tout-à-fait confiant pour le vote. Peel travaille contre. D’un autre côté Beauvale retire son propos au gouvernement. Ce sera très balancé. Girardin est député. Cela fâche ici. Je n’ai pas trouvé que Molé eut l’air content hier.
Ce n’est qu’aujourd’hui que j'ai la consultation. Je n’en ai pas dormi la nuit, de peur. Vous avez raison pour lady Palmerston. 2 heures Adieu. Adieu. Je tremble de la consultation dans une heure. Adieu. Voici un billet de tout à l'heure

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L013_00082.jpg
Paris le 14 Juin 1850

D'abord, je ne suis pas poitrinaire. Je respire. Chancel veut que j'aille à Ems le 1er juillet. Le détail je vous le dirai. Je vois par votre lettre ce matin que vous ne hâtez pas votre arrivée ici. Duchâtel part Dimanche à 8 h. du matin avec Broglie. Vous ne les verrez donc pas ici. J'ai eu hier une seconde lettre. de Lord A[berdeen]. très bonne. Je l’ai envoyée au G[énéral] Lahitte. J’ai vu hier comme de coutume beaucoup de monde. Ste Aulaire entre autre, qui voudrait bien savoir si vous voulez être porté à l’Institut. Je lui ai dit que je croyais que non. Ai-je mal fait ? Je compte que vous dînerez avec moi dimanche, car sans cela nous aurons bien peu de temps pour nous voir. 1 heures Je viens de voir un de vos fidèles. Il trouve et les autres aussi, qu'il faudrait absolument que vous allassiez tous ensemble. Et puisque Beauvale veut absolument partir Dimanche matin on essayerait de le faire retarder jusqu’à Dimanche soir. Ou bien on vous engagerait bien à ne faire que traverser Paris pour partir avec lui dimanche matin aussi. Ils ont tous l'air de tenir tant à ce que vous & Beauvale allassiez ensemble, que je suis obligé de le désirer aussi et de me résigner à ne pas vous voir à votre passage. Vous me retrouveriez à votre retour. Voyons ce que vous déciderez.
Je me suis trouvée hier soir dans un cercle de [pointus] chez la vicomtesse. Ah, c’était drôle. La dotation. J’ai dit qu'il fallait la voter. M. de la Rochejaquelein était d'une courtoisie pour moi qui était presque de la platitude. On a parlé de prorogation des pouvoirs, et on m’a demandé si je voulais que cela fût voté aussi. Pourquoi pas ? Mais consultez-moi dans deux ans, en attendant votez les 3 millions. Votre nom était prononcé là avec beaucoup de respect. Si je ne vous vois pas, vous saurez de mes nouvelles dans un grand détail par quelqu’un qui vous attendrait chez vous dès 5 heures du matin dimanche. Quel dommage que vous n’arriviez pas demain. ! That would have been the thing. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Lundi 17 juin 1850

Grand jour, qui sera je l'espère un grand échec moral, mais que je ne regarde. plus comme devant amener la chute. Mes correspondances de Londres me disent que le duc de Wellington et Sir R. Peel font tous leurs efforts pour assurer une majorité au G[ouvernement] dès lors c'est un hopeless case. Hier vous n'imaginez pas tous les tricks employés par Normanby pour arriver au dénouement le plus tard possible dans la journée. Si je suis bien informée, l’Angleterre cède de tout & il n'y aurait plus d'embarras. que dans la forme de le rédaction. On a tenu conseil à l’Elysée. Pour Normanby il s'agissait de finir après le départ de la poste, afin que l'opposition à Londres ne peut être informée du résultat. En effet ce n’est qu’après 6 heures qu'il est revenu une dernière fois chez G[énéral] de Lahitte. En définitive hier soir rien n'était terminé mais cela peut l'être ce matin si Normanby a reçu ou s’il tient dans sa poche, l’acceptation absolue.
J'avais beaucoup de monde hier soir. On ne parlait que de cela et de l'amendement fait par la commission. Fould m’a dit que le g[ouvernement] n'accepte aucune transaction. Dalmatie qui était ici m’a parlé comme avait fait un enragé de la commission. Pourquoi est-il si mauvais ? Le brave g[énéral] m’a plu encore plus que de coutume. J'ai été le matin à Passy mais Thiers n'y est pas venu. Tout le monde le blâme bien haut de son apparition à la ch[ambre] haute. Quelle inconvenance on redit de tous côtés qu'il est revenu très fusionniste. Lisons donc l’Opinion publique de samedi ou l’Univers de vendredi. Très curieuse & bonne lettre de Claremont. Je l'envoie à l'Impératrice. Adieu. Adieu. Je suis bien impatiente de vos nouvelles. Makan part ce soir pour vous rejoindre. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 18 juin 1850

J’espère une lettre de vous aujourd’hui. J’ai donné à dîner hier aux Chreptovitz. J’avais entre autres Molé, Changarnier, Morny. Les deux premiers aiment mieux je crois dîner séparément. Le soir je suis allée un moment chez les Hatzfeld. Le g[énéral] de Lahitte y est venu. Je ne sais aucune nouvelle. Seulement rien n’est terminé avec l'Angleterre. On est, je crois, d’accord sur le fond, mais non pas sur la forme. On ne parle que de la dotation. Toujours du doute mais je ne crois vraiment pas possible que cela soit refusé. La discussion à ce que dit Berryer ne viendra que Lundi. Un mot d’Ellice de hier. Mais je n’ai pas à vous parler de Londres. Vous savez tout à présent, & nous, nous n’en savons rien.
Thiers raconte à tout le monde son émotion des [ ?] de St Léonard. On dit qu’il pleure encore en racontant. On dit aussi qu'il est revenu fusionniste. Chreptovitz part après demain avec un grand regret de ne pas vous voir. J’ai écrit à Marion une lettre suppliante, Hélas cela n’y fera rien. Ste-Aulaire me quitte à l’instant. Hier on m’a dit que si l’Assemblée refuse, le pays fera une souscription, et qu'on lui votera 15 millions peut être. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 23 Juin Dimanche

Je suis bien mécontente de cette brusque solution en présence de ces publications anglaises dépêche de [Wyze] & deux de Normanby qui ne me paraissent nullement agréables au g[énéral] de Lahitte. Aberdeen en juge ainsi de ces dépêches, il les trouve insultantes, & il pense bien que l’affaire ne sera pas conclue, il m'écrit fortement sur l’utilité qu’elle ne le soit pas avant lundi. J’ai montré cela mais l’affaire est faite ; les regrets n’avancent rien n'effacent rien. Un malentendu, dit-on, a empêché hier que le Moniteur continue une réfutation (de la dépêche de Wyze), publiée sur la Patrie. Il faut au moins que cela paraisse aujourd’hui.
Il devait y avoir un grand dîner à Ferrières, aujourd’hui tout à coup hier, les convives décommandés parce que Mad. de Rothschild est partie subitement pour l'Angleterre & M. de R[othschild] pour le Havre. Vous concevez que cela fait quelque bruit. L[ord] Aberdeen, Ellice, Greville, Beauvale, tous me disent que la dernière phrase du discours de Lord John à Paris des plus insolents pour l'Europe. L’intention était à l’adresse de Lord Aberdeen, mais c’est trop fort & les grandes puissances dit-on ne peuvent pas avaler cela. Ellice pense, que si le g[ouvernement] porte, la chambre des Pairs rejettera toutes les propositions du g[ouvernement] tous les bills venant de la ch[ambre] des Communes. La confusion, l’irritation, les commérages sont au comble à Londres. Beauvale dit que c'est un enfer. Meyendorff m'écrit que rien ne s’arrange en Allemagne. 300 [mille] Russes toujours en Pologne. Le Prince de Prusse arrive demain à Londres pour le bateau du Prince nouveau né. J’ai été interrompue la tête branlante l'heure avance, il faut écrire à notre ami A.[berdeen]. L’acceptation ici a été conçue dans des termes [?]. Drouyn de Lhuys ne retourne pas encore. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Lundi 24 Juin 1850

Peu de monde hier soir, mais choisi. Lahitte, Molé, Montalembert mon favori. Piscatory. Toute la diplomatie. Lahitte ne sachant pas s'il sera encore Ministre demain. Molé en grand doute, mais je crois plus de doute dans la forme que dans le fond. Piscatory très certain que la loi passera. Montalembert incertain aussi. Enfin, nous verrons. Quant à Londres, demain le télégraphe. Les notes échangées pour la conclusion de l'affaire, sont, de la part de l'Angleterre, longue, pompeuse, gracieuse, regret du passé vif désir de faire bon ménage & & Du côté de la France, les faits très simples, pas un mot de politesse, enfin très sec, à ce que m’a dit [Soluise]. Nous verrons, quand nous verrons. Normanby est venu se plaindre des deux paroles de Dupin en pleine assemblée. Lahitte a répondu qu'il n’a aucun contrôle à exercer sur le Président de l’Assemblée. On ne parle pas du tout encore de renvoyer l’ambassadeur, & on ne sait quel ambassadeur. Gros est revenu hier, disant des choses incroyables de la légation anglaise à Athènes. J’ai vidé mon sac. Il fait bien chaud. Mon départ est fixé pour Samedi. Lundi au plus tard, mais vous saurez tout exactement. Adieu & Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 26 juin 1850
7 heures

J’ai oublié de vous demander quoique j'en sois curieux, si vous étiez allée dimanche à Passy si vous y aviez fait votre rencontre et si vous lui aviez parlé de ce qu'on m'a dit à St Léonard. Je suppose qu'il n'est pas très pressé de vous rencontrer. Il est plus hardi à tendre ses pièges qu'à se trouver en face de ceux qu’il y voudrait prendre.
Le facteur va m’apporter les premières nouvelles de Londres. Je crains bien que la conclusion de l'affaire si petite pour Paris n'ait nui au débat. Le bataillon radical et fanatique qui entoune Palmerston et lui apporte solennellement son portrait, fait peur à bien des gens ; ils saisirent ce prétexte de donner satisfaction à leur peur. Si l'Angleterre, ce qui j’espère bien, n’arrivera pas, devait être emportée aussi par le démon révolutionnaire Palmerston serait le Judas qui le livrerait. Tâchez de savoir de Hübner si l’Autriche est en effet disposée, comme nous l'a dit le comte Creptowitch, à abandonner sa prétention d'entrer dans la confédération germanique avec tous ses états allemands où non allemands. Plus j’y pense, plus je trouve comme le Roi, qu'elle aurait tort d'y persister. La politique simple et attachée uniquement à l’intérêt principal est la seule qui convienne aujourd’hui : aux temps faciles et calmes il appartient de tenir grand compte des intérêts secondaires & de poursuivre simultanément des buts divers. L’Europe n'en est pas là.

10 heures
Certainement, la journée d'avant-hier est grande. Le petit billet qu’il vous a écrit me plait. Il y a de quoi penser à son petit château du Loiret. Décidément, la prudence, l'extrême prudence prévaut partout. Il faut donc que l’initiative vienne des intéressés pour qu’il y ait de bons conseils. Je n’ai jamais douté que dans le cas les conseils seraient bons. Mais je crois aussi que les plus intéressés ne sont pas les seuls intéressés, et qu’il y a bien des manières de prendre soi-même l’initiative sans inconvenance ni imprudence, quand on veut arriver au but. Je viens de lire le commencement de la séance des Communes et du discours de Rocbuck. Voilà donc la question posée entre la politique de l'Angleterre pendant trente ans et sa politique actuelle, entre M. Pitt et Lord Palmerston. Rocbuck condamne, dans le passé la lutte contre la révolution, et promet, pour l'avenir, l'appui de l’Angleterre à la Révolution. Et on appelle cela la cause de la civilisation et de la liberté ! Il est possible que Sir Robert se taise, qu'il laisse injurier ainsi tout ce passé auquel il a pris part, et pousser l'avenir dans ce détestable mensonge qui confond la révolution avec la liberté. Mais je suis décidé à ne pas comprendre son silence. L'occasion est belle pour rendre à son pays un immense service, et avoir, dans son Parlement, un immense succès. Dieu veuille qu’il le fasse ! S’il ne le fait pas, si personne ne le fait, je commencerai à être inquiet pour l'Angleterre. Adieu. Adieu.
Je jouirais bien de ce magnifique temps, si je ne craignais qu’il ne soit trop chaud pour vous. Adieu, adieu. Je ne comprends pas pourquoi ma lettre d'avant-hier a été en retard. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 26 juin 1850

Voici votre lettre d’hier. Celle de Lundi me manque encore, à moins que vous ne m’ayez pas écrit, ce que j’ai peine à croire. La discussion à Londres se prolonge. Lady Allice seule m'écrit, & me dit que Sir J. Graham avait parlé contre le g[ouvernement] & que certainement Peel voterait & parlerait contre aussi ! On croit que la majorité pour le gouvernement sera de 30 voix, plus peut-être. Voici dans ce moment une lettre de Brougham. Il croit aussi à la majorité, mais il dit c’est égal, après le vote à Le Chambre haute Palmerston ne peut pas tenir & Lansdowne ne peut plus présider car les Pairs seront ingouvernables après le démenti qui leur aura été donné par les [Communes]. Voici votre lettre de lundi aussi.
2 heures. J’ai été interrompue Chreptovitz pendant trois heures. Une lettre de Lord Stanley. Content de lui même, & disant que quand bien même la Chambre basse appuierait Lord Palmerston. Il ne peut pas durer. J’ai appris par une source. intime très sûre que les ministres avaient demandé l’intervention active de Changarnier pour emporter le vote. Il y avait donc quelques confidences de ce qui devait se passer à l'Assemblée, mais bien peu. Hier le Président a offert avec convenance ses remerciements au général. On me dit aussi que si l'Assemblée n’avait pas voté pour, le Prince était [?] de retrouver la somme, et bien au delà, dans une souscription nationale, et qu’au fond cette alternative lui eût convenu. Les situations respectives restent ce que je vous disais hier. A Londres hier il restait encore à avaler cinq longs discours : John, Palmerston, Disraeli, Peel, [?], sans compter les autres, c’est ce qui me fait douter qu'on aie pu voter hier. Il fait une chaleur accablante si je pars samedi ce sera le soir. Adieu. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Jeudi 27 juin 1850

Voilà du bien petit papier. Je n'en ai pas d'autre sous la main. Vous partez donc samedi ou lundi. Paris vous manquera beaucoup. Vous venez d'avoir un mois très animé. Paris, et Londres à la fois. Et quelque chose de plus que la pure curiosité. Quoique les deux questions aient l’air réglées, au moment de votre départ, elles renaîtront bientôt. Et vous ne serez pas là pour voir et pour me dire, ni moi non plus pour vous tenir au courant. Nous nous enverrons quelques extraits, de lettres et nos réflexions.
A Paris, il va y avoir un temps d'arrêt. On votera les lois qui sont sur le tapis et le budget de 1851, puis on se prorogera. Et personne ne fera de coup d'état pendant la prorogation. Voilà ce que dit la prévoyance humaine. Londres devrait, ce semble, rester plus animé. Si le cabinet était vaincu la confusion serait grande; s'il est vainqueur, que deviendra le conflit entre les deux Chambres ? Mon pronostic est qu’il commencera par s’apaiser. Lord Stanley a été bien plus modéré que Lord John ; il n'a point jeté le gant aux Communes et à la révolution ; il a strictement limité son coup ; et peut s’arrêter sans se démentir. Mais quel effet aura produit sur la Chambre des Lord l’attaque révolutionnaire de Lord John ? Peut-elle ne pas la ressentir, et ne pas en marquer son déplaisir ? Les Anglais ont beaucoup de retenue ; ils savent faire un pas, et puis attendre. Pourtant la question d'honneur est bien engagée ; honneur de Chambre, honneur d'histoire ; le vieux parti Tory peut-il laisser ainsi traiter ses anciens triomphes ? Est-il assez transformé pour ne plus s'en soucier ? Je vous envoie mes questions et mes spéculations. Le facteur va m’apporter le résultat de Londres. Cela aura probablement duré plus d'un jour.

Dix heures
Ce sera long à Londres. Je vois que j’ai fait les frais du discours de Sir James Graham. Je consens volontiers à être de plus en plus déclaré l'adversaire et le but des coups de Lord Palmerston. Je n'y perdrai pas. Je vous voudrais cette chaleur là quand vous serez à Aix la Chapelle. Je suis convaincu que là, et quand vous prendrez des bains, elle vous serait bonne. Nous avons eu ici hier soir un violent orage. Adieu, adieu. G.
Je reçois ce matin une lettre avec l'adresse de la main de Marion. Je l'ouvre croyant qu'elle m'écrit pour me parler de vous et m'indiquer quelque chose à fair pour l'aider à aller avec vous. Pas du tout ; c’est son père qui m'écrit pour me parler du free trade, de Mad. de Staël, de Cicéron et de St Paul.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 27 juin jeudi 1850

Je n’ai pas vu Thiers dimanche, car je n’ai pas pu aller à Passy. C'était le dernier jour de mon fils aîné qui est parti lundi pour l'Angleterre. Je demanderai à Hubner sur l'Autriche. Londres est bien curieux. Beau discours de Graham, & bien agressif. Cela promet. Lahitte qui était ici hier soir me dit, qu'on lui mande, que le vote est douteux. Moi je persiste à croire que le ministère aura la majorité. Mais quels rudes coups. Aujourd’hui pas un mot de mes correspondants. Ce silence m'étonne. Combien vous me dites-vrai sur ce qui se passe en Angleterre ! 3 heures. Voici un mot d’Aberdeen de hier 26. Nul doute que le g[ouvernement] n'ait la majorité. Il n'y a de doute que sur le chiffre. Palmerston made a most able and effective speech last night, which may probably produce considerable effect on the [?] and war on the vote. Graham had spoken very well this might before. We have still to hear Disraeli, Lord John Russell, and Peel. Whatever may be the result, the governement and especially the [?]. Are greatly damaged. Il ajoute que cela peut traîner jusqu’à vendredi.
D'ici je ne sais rien. On dit que l’Elysée n’est pas content, loin de là. On dit que Baraguey d'Hilliers reste le rival menaçant du Gal. Changarnier, & que l’époque de la prorogation peut-être dangereuse à celui-ci. On va faire la loi sur la presse. On parle de la loi des maires. On espère se séparer dans les premiers jours d’août. Voilà tout ce que je sais. Je sais de plus que je meure de chaud & de paquets et d’arrangements de toutes espèces. Adieu. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Samedi 29 Juin 1850

Ce n’est pas Aix-la-Chapelle. C'est à Ems que je vais en droiture. Je voulais partir ce soir. Je remets, car il ne fait plus si chaud, et une nuit gâtée peut me fatiguer beaucoup. Ce sera demain matin ou lundi. Adressez toujours ici jusqu’à nouvel avis. Je n'ai qu’un mot de Greville qui convient que le discours de Palmerston a été superbe et qu'il a produit un prodigieux effet. Cependant il ajoute, que le fond manque, & que ce n’est pas du tout une réponse à Graham. En somme Il regarde tout ceci comme d’un effet important & dangereux pour la politique de son pays. Voyons Peel ! Aurait-il parlé ? & qu’aura-t-il dit ?
Hier la journée prise par les adieux, que suis restée toute fatiguée. J'ai reçu Duchatel qui avait passé cinq jours à la campagne. Il ne savait rien. Montebello hier a voté aussi contre la loi des Maires. Il ne dit pourquoi, je l'ai oublié... Je crois que c’était pour ne pas diviser la majorité. Le président est de bonne humeur. Il a donné à dîner aux Normanby avant hier. Mardi Lahitte les fait dîner chez lui. Hubner est parti hier soir pour Vienne. Il est venu me dire adieu très abruptement. 2 heures Ellice d’hier soir. Situation de plus en plus tendue & périlleuse. Beau discours de Gladstone & autres. Les grands n'ont pas encore pris la parole. Peel. John, Disraeli, Cobden. Bright. Le débat ira jusqu'à lundi probable ment. Les chances de bonne majorité diminuent à moins de 37 les ministres se retirent. On dit que les Peelistes font des arrangements avec les protectionnistes, pour le cas où les princes seraient appelés au pouvoir. 1ère condition. Pas de dissolution. Mon opinion est qu’on ferait un ministère mixte. Peelistes & Whigs modérés. Ou bien Protectionnistes modérés, s'il y en a et toujours les amis de Peel ! Que Wellington s'en mêlera. Nous verrons. Toujours c’est bien gros, et peut devenir bien grand. Greville m'écrivait du 27. Ellice du 28.
En sortant de chez le duc de Cambridge jeudi la reine a été frappée au visage, par un officiel en retraite avec la canne de cet officier. Elle a paru à l'opéra le soir, grand enthousiasme pour elle.
Les radicaux veulent donner un grand dîner à Palmerston à un des grands théâtres. Tout cela c'est la révolution. Il faut l’arrêter à temps, & c'est ce qui me fait croire au changement de ministère. Viel-Castel et Kisseleff chez moi ce matin de bonne heure. Mareschalchi parle aussi de déconvenue possible pour le g[ouvernement] mais il n’est pas aussi explicite & détaillé qu’Ellice. Il finit en me disant souligné I think there must be change. Adieu. Adieu. N’est-ce pas triste de partir à la veille de mon triomphe ? Mais vous voyez bien que cela entraîne trop loin ce n’est que le télégraphe de Mardi qui annoncerait le vote. Je ne partirais donc que Mercredi. Trop long. Je suis emballée. Adieu. Ecrivez toujours ici.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems Lundi 8 Juillet 1850

Enfin deux lettres de vous du 3 & du 4. Une d’Aberdeen du 5. Le plus vif chagrin. Perte nationale. Ressentie par la nation toute entière, depuis la Reine jusqu'au laboureurs. Jamais ou n’a vu un deuil un chagrin aussi général. Le plus grand homme qu’ait eu l'Angleterre, & pour Aberdeen un ami de 50 ans. Il n'a pas cœur à me parler d’autre chose, ni à spéculer "on the probable consequences of this calamity in our political combination. The session of Parliament will be brought to an early termination." Vous voyez par les journaux toutes les démonstrations. Certainement tout cela prouve que vous et moi nous le mettions un peu au dessous de son mérite. Il n’y a rien à dire devant une opinion aussi universelle. Toutes mes autres lettres d'Angleterre me manquent. J’ai vu hier la duchesse d’Istrie & les deux petites princesses de Beauvale, celle qui est fille du Duc de Mortemart est fort gentille. Mon fils me quitte demain. C’est un grand chagrin pour moi. Aujourd’hui j’ai commencé à boire, par un temps pluvieux, & froid. C’est du guignon. Ah qui je vais m'ennuyer !
Je trouve bien bonne la dernière partie de votre lettre au sujet de l’institut. Je crois que les mois prochains vont être bien fades. Si les vacances de l’Assemblée sont longues il y aura de quoi s’endormir. Ici c'est l’occupation obligée de tout ce qui marche sur deux pieds. Vous ne vous figurez pas l'ennui de ce lieu. C’est pire que ce que j’avais craint. Adieu de peur de trop. vous faire goûter les plaisirs d’Ems. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 13 juillet 1850

Enfin lady Allice & Marion. La première entre dans beaucoup de détails. Elle était auprès de Sir [Peel] après son accident. On ne voyait pas de danger. La veuve dans le plus affreux désespoir, elle est à Marble Hill chez Lady Allice. Le mari est exécuteur testamentaire avec Goulbourne. Peel a laissé tous ses papiers, tous ceux qui doivent être publiées à Lord Mahon, & M. Cardwell. Le fils aîné est arrivé après la mort. Il se conduit à merveille et montre beaucoup de bons sentiments. La reine a beaucoup pleuré, et pendant les premiers jours, elle n'a pas dîné avec son service. Lady Allice dit que maintenant on renversera plus aisément le gouvernement. Mais elle ne dit pas qui le remplacerait. Le Roi & Palmerston a écrit de sa main une lettre très touchante à Lady Peel. Voilà à peu près tout ce qu'elle me dit. Marion dit, que si on se débarrassait de Palmerston. Graham & autres Peelistes pourraient se réunir au gouvernement actuel et le faire durer jusqu’à la fin du Parlement. Autrement le Ministre tombera et les Tories entreraient au pouvoir entraînant avec eux Gladstone & autres. C’est son oncle qui lui mande cela.
Il pleut toujours. Suis-je malheureuse ! La Princesse régnante est venue me voir. Impayable. Curieux, de tout & de moi surtout. Ne sachant absolument rien. C’est risible. Quel petit pays que l’Allemagne. Son mari s’est retiré de l’Union. Il n' a plus guère que les princes de la Thuringe qui y soient restés. On me dit que le Parlement va ériger un monument à Peel, à Westminster. Je ne crois pas que cela ne soit jamais fait ? Adieu. Adieu. Votre lettre hier ne me disait rien. Vous aviez l’air d’être à Ems ! Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 14 Juillet 1850
Sept heures

C’est un plaisir charmant de vous écrire le cœur content. Je puis enfouir bien des choses dans mon cœur sans qu’il y paraisse mais c'est un poids bien lourd.
Nous ne nous sommes pas trompés sur les défauts de Peel ; mais nous n'avons pas prisé assez haut ses qualités, ces deux-ci surtout, son indépendance de tout esprit de parti, et sa préoccupation de la justice envers le masses et de leur sort. C'est là ce que l’a fait grand en lui faisant faire à tout risque, de grandes choses, et ce qui lui vaut aujourd’hui le respect et la sympathie de tout un peuple. Il s'est dégagé des liens qui enchaînent en général les hommes politiques, et il s’en est dégagé pour donner satisfaction aux besoins du peuple, sans s'inquiéter des nécessité du gouvernement. Et il a fait cela en étant un conservateur, un homme d’ordre et de politique sensée et régulière Conduite grande et originale, quoi qu’il n’eût pas dans l’esprit beaucoup d'originalité ni de grandeur.

10 heures
Votre lettre du 9 m’a interrompu. Je ne m’en plains pas. J’ai beaucoup à vous dire encore sur Peel. J'y reviendrai. Je reçois une longue lettre de Lord Aberdeen revenant de Drayton. « It was a sad ceremony ; and to witness the change in that happy résidence, in which I had experienced so much friendship, and had seen so much wisdom, prudence, and integrity of character, required more philosophy than I possessed. " Des détails sur le sentiment public envers Peel. Puis ceci : " His last speech was most important. It was made reluctanly and he greatly dreaded the defeat of tre Govern. ment. From his previous silence, had it not been delivered, the government could have maintained and the public would have believed that he approved of their foreign, as well as of their domestic policy. His manifest reluctance and the moderation of hir manner rendered his censure most effective. " Discussion toujours profonde, quoiqu'avec moins d’aigreur, dans le parti conservateur ; pas de conciliation sur les questions de free trade. Conclusion : " Radicalism is here in the ascendant ; but I am inclined to think that there will be more prudence than we have lately witnessed, abroad. "
Autre lettre intéressante de Mistriss Austin " Lord John's speech was far worse than Lord Palmerston's, and calcutated to do great mischief. Every body speaks of Lord Palmerston's as the most wonderful effort of oratory, considering his age, the heat, and all there was to [?] his difficulties. During five hours, he never faultered, never recalled a word never drank a drop of water, and left off with the very same intonation of voice as he began with. How lamentable that such powers are se employed ! People seem to think that in spite of the " triumph " of tne government, the system of foreign policy has received a severe and salutary, check and that even he will not risk another such struggle. If there were any bounds to human credulity, one might be amazed at hearing sensible men (as I did) talk of " all this being the result of a conspiracy. " I asked in vain what means you, and M. de Metternich, and Princess Lieven, possessed of influencing the mind and opinion of the English - for I maintain that the public was against the government. Nobody can answer. Yet they continue to assert it. We are very much ashamed of the vulgar blustering tone of the speacher en that side." Elle est liée avec Cobden, Sir W. Molesworth, tous ces chefs radicaux qui ont parlé et voté contre Lord Palmerston, malgré leur peuple. Voilà l'Angleterre. Demain, je vous enverrai de la France.
J’ai, ce matin, de Paris, de bonnes nouvelles de vous, par Kisseleff. Votre fils Alexandre était arrivé. Adieu, Adieu, Adieu. Vos lettres arrivent affranchies. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 14 juillet 1850, 10 heures

Le temps se relève depuis ce matin et cela donne courage. Mais voilà les bannis interrompus. Une machine rompue, qui nous met à sec. Ils sont bêtes par ici. Que je suis désolée de cette autre bêtise, les postes. Je n’ai pas manqué un seul jour de vous écrire. De Cologne vendredi 5. D'Ems Samedi 6 lendemain de mon arrivée. Et puis tous les jours comme de raison. Hier je n'ai rien eu de Londres, ni de Paris. Je vous ai raconté Lady Allice et Marion. Selon ses derniers renseignements Meyendorff allait décidement. à Vienne. Je ne lui ai pas répondu à deux de ses lettres.
Je ne puis rien vous dire sur le Danemark. Je n’y entends rien et je n’ai eu personne à consulter. Ma princesse régnante ne sait pas grand chose, elle me dit seulement qu’elle s'est retirée de l’union, & que les autres petits états font de même. Je ne sais pas même si le Duc de Prusse est à Coblence. Je ne vous amuserais pas du tout, je n’ai [rien] reçu à vous conter. Adieu, Adieu, à moins d'une catastrophe entre ici et 4 heures départ de la poste. Elle arrive à 6, c’est arrangé avec intelligence ! Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 17 Juillet 1850
Sept heures

J’ai aussi mes ennuis, que je ne compare pas aux vôtres. Je mène aujourd hui Pauline faire à Lisieux ses visites de noce. J'ai déjà fait cette corvée avec Henriette, heureusement, beaucoup de personnes sont à la campagne.
La loi de la presse est une mauvaise affaire. Je doute qu'elle passe. Au dernier jour, toute la montagne et le tiers parti, qui ont voté pour les amendements, voteront contre la loi, avec tous les mécontents et tous les timides du parti modéré, légitimiste et conservateur. Et si elle passe ce sera encore une mauvaise affaire. L’assemblée se sera brouillée avec la portion bruyante, et parlante de son propre public, avec les gens qui se sont battus pour elle, dans les départements comme à Paris, avec les honnêtes comme avec les malhonnêtes avec les sages comme avec les fous. Cela ne se peut pas. On retrouvera cela au jour des élections. Il faut avoir une armée, et des sous-officiers dans cette armée, et des braves, quelques fois embarrassants et compromettants, parmi ces sous-officiers. Je crains que nos amis les Burgraves n'aient fait là une mauvaise opération, et que cette loi ne coûte beaucoup plus qu’elle ne vaut. A moins qu'elle ne vaille à l'un d'eux les bonnes grâces de Mad. Kalergi. Mais je ne suppose pas ; n’est-elle pas toujours radicale ?
Je trouve que c’est beaucoup d'appeler la mort du Duc de Cambridge une catastrophe. A cela près que celle-là est connue de tout le monde, il n’y a guère de mort plus insignifiante. Comme sa vie. Du reste j'ai été bien aise de voir les témoignages de respect officiel pour son nom et sa veuve, les discours, les adresses du Parlement et du public. Tout respect est bon et devient presque d’autant plus frappant que la personne n’y entre à peu près pour rien.
Peu ou beaucoup, je suis bien aise que vous ayez Constantin et sa femme. Ce sont des soins, si ce n’est pas de la conversation. On me dit, quoiqu’il me dise lui-même le contraire, que Duchâtel n’ira pas en Allemagne. C'est assez pour lui de prendre les eaux de Carlsbad à Paris et il est plus préoccupé de sa propre santé, qui est bonne, que de celle de sa femme qui me paraît, à moi, très inquiétante. J'ai peur qu’il n'aime vraiment que lui-même. Avec sa disposition à s'ennuyer, c'est bien lourd. La préoccupation de soi-même ajoute à l'ennui, bien loin d'en distraire. Savez-vous ce qu’il faut faire pour se désennuyer ? Relire les Mémoires de St Léonard. Moi qui ne m'ennuie pas, je fais cela le soir, et je ne m'en lasse pas. Je conviens qu’il faut avoir des yeux. Comment vont les vôtres ? S'ils vont assez bien, ne me le dites pas par ménagement. Je comprendrai votre silence.
Comment fait-on l'hiver à Ems, dans des maisons sans poêle ni cheminée ? Est-ce que personne ne vit là en hiver ?
Voici une note qui m'est fort recommandée par des gens que je serais bien aise d'obliger. Excusez le constitutionnalisme des deux premiers paragraphes. Je connais le Général Rybinski, brave homme, ce qu’il y a de plus honnête et de plus tranquille dans l'émigration polonaise. Il me semble que l'Empereur, n'est pas mal disposé pour lui et les siens. Il s'agit uniquement d'aider de pauvres jeunes filles à ne pas mourir de faim. Pouvez-vous, quand vous verrez Constantin lui en dire un mot, et pourra-t-il en dire ou en écrire un mot au Maréchal Paskéwitch ?

9 heures
Votre visite au Prince et à la Princesse de Lippe Schaumbourg Bückebourg met le comble à ma compassion. Adieu, adieu, adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 21 Juillet 1850

Le Prince Paul est revenu hier de Francfort. Il y a vu la duchesse de Kent qui lui a dit positive ment : "le ministère ne durera pas, c’est impossible, la reine me l'écrit." Je vous livre texte et auteur. Le Prince Emile me disait avant hier que pour le moment tout est rompu entre l’Autriche et la Prusse, mais cela n'inquiète personne. L’affaire du Danemark est assez embrouillée. C'est pour nous obéir et nous plaire que la Prusse a conclu la paix avec le Danemark au nom de l’Allemagne, maintenant il faut que les états allemands ratifient. Or, c’est une affaire très nationale & qui pique l'honneur allemand. L’Autriche est charmée que la Prusse ne soit un peu dépopulaire par là, et elle refuse de son côté de ratifier, pour se populariser à son tour. Nous allons nous fâcher contre l’Autriche. Voyez quelle confusion ! Notre flotte est là, mais il n’y a pas de troupes à bord.
Le mauvais temps continue. Je fais cependant mes promenades en voiture. A présent avec Constantin. Il a des récits curieux à me faire impossible de les écrire. On commence à Ems à être un peu trop curieux de me voir. Comme je ne vais jamais ni dans la promenade, ni dans le salon, on se fait présenter chez moi, & je commence à être très ennuyée de cela. Hier j’ai été d'une impolitesse remarquable même pour moi. Aujourd’hui je fais dire non aux gens qui demandent à venir. Ce que je vois habituellement c’est les petites princesses de Beauvale et la Duchesse d'Istrie. Le duc de Saxe Meneingen & Rothschild. A présent Paul de Wurtemberg for ever. Mais il ne m'ennuie pas. J'oublie ma princesse régnante, mais celle-là me fait rire à force de modestie & d'ignorance, et de bonne volonté !
Adieu, je suis fâchée de vous faire de si pauvres lettres. Je ne pêche rien dans le salon. Pensez-vous encore à votre projet de visite au Rhin ? Ou bien l'avez-vous abandonnée ? Répondez-moi, & si vous disiez oui, dites en un mot à Lord Aberdeen, en lui disant vos dates. Moi je reste ici jusqu'au 7. Le 8 je pars. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 23 Juillet 1850

Votre lettre ne me donne rien à répondre. Je n’ai pas de lettre d’ailleurs, les journaux sont stupides, & je le deviens. L'année va je crois finir paisiblement. certainement il y a progrès vers le bien partout. Et les rouges sont matés il faudrait bien des fautes pour qu’ils reprissent courage. Il y a beaucoup de nouveaux arrivés ici hier du Lobkowitz, des Windiesch-Graetz ; mais je ne les ai pas vus Je vous ai dit que je ne vais pas là où l'on se réunit, Maintenant voici la rage des parties. Cela ne me va pas non plus. J’aime ma routine.
La Princesse de Prusse cherche à attirer le monde. Aujourd’hui même elle vient tout près d'ici et on recrute pour elle des rencontres. Constantin a refusé net. Il ne veut pas la voir. Elle est trop ridicule et trop anti-russe. Si je pouvais la voir commodément cela m'amuserait assez mais Constantin me dit qu'à Pétersbourg on me saura plus de gré de ne pas la voir que de la rechercher. Ma nièce me plait davantage. D'abord elle est grande, ses yeux sont beaux, elle plait à tout le monde. Les petites princesses de Beauvais, qui sont toutes deux ses cousines en raffolent. Elle sait causer un peu de tout. Elle a de l'aplomb et de la modestie, de beaux cheveux, une jolie main, un teint magnifique. Elle tiendrait très bien ma table de thé. La Princesse [Crasalcovy] est ici avec deux perroquets. Elle a rencontré tout à l'heure chez moi le Prince Windischgraetz, celui qui a été blessé le jour même où on a tué sa mère. Joli jeune homme, mieux que les Viennois ordinairement. Thiers veut aller à Bruxelles chercher quelques renseignements historiques auprès du Prince Metternich. Voilà le temps chaud rêvé. Je me barricade.
Vous voyez que je ne vous dis que des bêtises. Un mot sur les Princes de l’union, le frère du Prince Albert à la tête. Quand la révolution a éclaté partout, ils ont renoncé volontairement à leurs douaires & les ont cédés à l’état contre une liste civile quelle conque. Mais le Saxe entre autre avait stipulé une clause, c’est que s'il venait à renoncer à la souveraineté les biens lui seraient rendus. Et bien aujourd’hui ils veulent tous être médiatisés, incorporés à la Prusse pour recouvrir leur argent. Voilà où en sont les princes de la Thuringe & ce qui les fait persister dans l’union. Vous voyez que je deviens savante peu à peu. Adieu. Adieu. Envoyez-moi mieux que je ne vous donne.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 8 août 1850

Quelle journée hier ! Pas un moment de relâche à la pluie et à une tempête effroyable. Mon fils même n’a pas pu sortir. J’ai vu chez moi la Princesse Lobkovic, le Prince de Chalais & cette petite dame russe nouvellement arrivée. Elle est spirituelle & nous a [?] intime dans les intimistes de la cour. Je vois dans le Constitutionnel une réponse à votre lettre. Je ne sais pas de nouvelle du tout. Je vous envoie la lettre d’Ellice. Vous savez que mon adresse est Schlangenbad Près de Weisbaden Duché de Nassau Allemagne. La Reine de Hollande passe aujourd’hui à Coblence, elle y fait venir la princesse Grasalcovic. Drôle d’intimité pour une femme d’esprit. De là la reine va à Bade. Vous verrez par la lettre d'Ellice que Thiers y sera. La duchesse de Modène arrive ici aujourd’hui (princesse de Bavière belle soeur de la duchesse de Bordeaux) ma grande Duchesse sera ici jeudi prochain. Moi je ne trouverai pas une âme à Schlangenbad.
La pluie continue ici, c’est désolant, si elle va de ce train à Schlagenbad, que devenir ? L'Empereur a appris avec une grande joie que le mariage de sa nièce s’est arrangé. Notre petit prince de [Meklembourg Stréliz] a fait ses conditions. Il veut bien vivre un peu en Russie mais il veut avoir un établissement aussi à Strelitz. Je trouve très bon qu'il ait tenu à sa volonté. L'Empereur a déjà envoyé des cadeaux superbes. Vous voyez que je n'ai rien du tout à vous dire. L'Eglise luthérienne de Wiesbaden vient de brûler tout entière. En attendant qu’une église grecque soit achevée, on avait déposé là le cercueil de la grande Duchesse, femme du duc de Nassau qui est morte en couche, heureusement, le cercueil a été sauvé ! Je finis sans pouvoir ajouter un mot qui vaille. Adieu. Adieu. Ems est bien laid depuis votre départ !

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Paris, lundi 12 août 1850

Les Sainte-Aulaire ont été charmés hier de me voir. Ils m'attendaient au bord de la rivière que j'ai passée dans un petit bateau comme celui dont vous n'avez pas voulu sur le Rhin. Mais quand nous irons ensemble, nous n'userons point du petit bateau ; avec vingt minutes de plus on passe sur le pont de Corbeil. Rien que Mr et Mad. d’Harcourt, M. de Viel-Castel, M. Raulin, un M. de Kermarer, représentant et parent de Sainte-Aulaire, et moi. Amicale et agréable conversation. Il écrit ses mémoires avec passion. Elle a bien de l’esprit. Fusionniste, plus décidée que personne ; ne comprenant pas qu’on ne le soit pas si on est sensé et honnête. Ils sont bien établis. Ils resteront là jusqu'au 15 Janvier. Leurs enfants viennent alternativement leur tenir compagnie. Les d'Harcourt vont en Angleterre à la fin du mois, pour quelques jours le mari pour son héritage, la femme pour rendre ses devoirs à la Reine.
J’ai eu hier une longue lettre de la Reine, ancienne (25 Juillet) ; elle m'a été apportée par quelqu’un qui a fait de longs détours. A ce moment quoique après la fatigue de la première communion de M. le comte de Paris le Roi continuait d'aller mieux. Du moins la Reine le croyait et me le dit. Elle me remercie vivement de l’article de M. de Lavergne dans la Revue des deux mondes. Evidemment cela leur a fait un grand plaisir. Ils seront à Richmond samedi prochain 17.
J’ai oublié de vous dire qu’en passant à Bruxelles, j'ai redit au roi Léopold ma conversation chez vous avec le comte Chreptovitch. Vous vous la rappelez. Il en a été charmé. Van Praet m'a dit que le Général Skrinesky (est-ce le nom ?) n’était plus employé dans l’armée Belge. Il est en retraite. Ils n’ont plus dans l’armée que sept ou huit officiers Polonais dont il leur serait assez facile de se débarrasser. Il ne leur faut qu’une occasion naturelle, qui peut se présenter. Du reste, j’ai trouvé la Belgique, non pas agitée mais assez troublée de la retraite du Ministre de la guerre, retraite forcée par les susceptibilités et la mauvaise humeur de la garde civique de Bruxelles. Le 23 Février sans révolution. Il m’a paru que cela inquiétait les gens d'esprit. Là aussi, il y a de bien mauvaises idées et habitudes qui ne fermentent pas et n'éclatent pas tout de suite, comme en France, mais qui couvent et pourraient bien jouer quelque mauvais tour.
J’ai eu hier la visite de votre ministre des Finances, Achille Fould. Assez tranquille sur l'année 1851, sauf les trois derniers mois. C'est alors qu’il faudra prendre son parti. Le Président part ce matin. A tout prendre on croit que les manifestations favorables l'emporteront sur les manifestations hostiles. Je le crois aussi. Le second dîner militaire à l'Elysée (320 couverts, officiers et sous officiers, pêle-mêle, un choix dans deux régiments de ligne) a été plus tranquille que le premier à vrai dire assez froid. Je doute et on doute que cette pratique continue. Elle réunit médiocrement auprès des acteurs et déplait beaucoup au public spectateur. Je suis allé voir hier Kisseleff que j'ai trouvé sensé et content selon son usage. Il paraît croire d'après des nouvelles très récentes de Péterstourg que décidément l'Impératrice ira passer l'hiver à Venise. Il ne m'a rien dit de M. de Brünnow. Le Roi Othon a été très satisfait du résultat des débats de Londres. C’est à Athènes une reculade, avérée pour l'Angleterre et Lord Palmerston. M. Thouvenel a un congé de trois mois. Mais il reste Ministre à Athènes et en bonne position. M. Drouyn de Lhuys écrit que Lord Palmerston n’est pas reconnaissable, doux, patient, craignant les affaires. s'y prenant de loin pour les éviter et demandant qu'on l'aide à les éviter.
Adieu. Adieu. J’espère que vous êtes bien établi à Schlangenbad. Je pars demain soir pour Trouville. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Schlagenbad le 14 août 1850
2 heures

Je ne me lève que dans ce moment. Le fils du duc de Noailles est venu me voir de Weisbaden. J'ai été obligé de le recevoir quoique dans mon lit. Il m'apportait une lettre de son père d'Aix en Savoie, qui s'annonce pour ce soir à Weisbaden. Il veut savoir où je suis. C’est très commode, je suis tout près. Le comte de Chambord a témoigné une grande joie quand il apprit hier que le duc de Noailles arrivait. Jules a été trouvé le prince à Cologne, il l'a vu arriver avec Berryer et autre qui s'étaient portés à sa rencontre à Hanovre. A Cologne il a simplement passé la nuit. Tous les Français ont fait la navigation du Rhin avec lui, à Weisbaden ils ont trouvé beaucoup d’arrivés de Paris. 9 ou 14 représentants (l'un ou l’autre chiffre j’ai oubliée) et entre autres Benoist d'Azy et quelques autres qui sont de la commission de permanence tous ravis du comte de Chambord. On dit une tête remarquable avec beaucoup de vivacité dans le regard, et une manière digne et charmante. Hier on lui a présenté M. Vezin représentant orléaniste je crois. Il accueille tout le monde avec beaucoup de bonne grâce. Tous les jours 20 personnes à sa table, la maison bien montée. Tous les deux jours soirée. Hier une centaine de personnes. Des dames. La duchesse de Noailles arrivée aussi avec son mari. Tout cela va faire bien du bruit. Probablement de la fumée. Berryer reste là encore. Le prince s’occupe tout le jour. Il n’est encore sorti qu’une fois pour se promener. Il a sa livrée et cela a bon air.
Voilà mes nouvelles de la ville voisine. J'ai bien peur que le duc de Parme ne m'ennuie. Il a l’air parfaitement heureux. de venir chez moi le soir. Il est très intime. Il ne manque pas d'esprit, mais il est un peu bruyant. Décidément je n’irai pas à Weisbaden, ma curiosité ne pourrait être satisfaite qu’en faisant savoir au comte de Chambord que je suis curieuse de lui, et cela je ne le ferai pas. On ne le rencontre pas à la promenade, ainsi je me passerai de le voir. Le 15. Vite je finis. Je me suis levée tard, je ne suis pas bien pardon pardon. J’ai eu deux lettres hier 11 et 12. J’ai peur de n’avoir rien aujourd'hui

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Schlangenbad le 19 août 1850

Et hier encore pas de lettres ! Cela n’est pas juste. Hier une estafette de la grande duchesse pour me supplier de venir à Ems où elle ne passe que 3 jours, & hier soir pendant mon thé avec le duc de Parme & la Princesse Grasalcovytch un aide de camps du duc de Nassau venant me répéter l’invitation d'aller à Ems aujourd’hui pour le cas où la lettre et l'estafette ne seraient pas arrivés. J’ai accueilli cela avec un grand éclat de rire moi, faire cette escapade comme si j’étais un officier bien leste. Je viens à mon tour d'envoyer une estafette à la grande Duchesse. Je lui explique que c’est impossible. Elle passe à Bierich après demain, je lui demande là un rendez-vous. Et elle l’accorde c’est bien, si elle se fâche je me console. La duchesse de Noailles est venu hier ici avec son mari évidement pour m'obliger à lui faire visite. Je la ferai aujourd’hui, j’aime expédier les choses vite.
Vous voyez que je suis dans les aventures, mais je trouve détestable de n’avoir pas eu de lettre de vous. Le duc de Noailles va demain à [Kreuznach]. On attend aujourd’hui 380 Français de plus à Wiesbaden des ouvriers entre autres. Quelques centaines de personnes. sont déjà réparties. Il n'y reste plus que 4 représentants. Adieu. Adieu, toujours mauvais temps, & moi assez mauvaise santé. Je crois Schlangenbad trop humide pour moi. Ce ne sera plus long. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Schlangenbad le 20 août 1850

À mon retour de Wiesbaden hier j’ai trouvé ici vos deux lettres du 15 & de 16. Je vois que Trouville est noyé comme Schlangenbad. Je vous plains moins que moi ; j'ai besoin de chacun pour les bains chauds, et je prévois que sous le rapport de la santé et de la beauté ce séjour ne m’aura été bon à rien. La grande Duchesse arrive demain à Bierich ou Wiesbaden. Je lui ai écrit, j’attends ce qu’elle m’indiquera mais comme elle ne reste en tout quinze jours, ce sera vite expédié. Et alors comme il ne me reste à prendre que cinq bains. Je ne sais ce que je deviendrai. Il est possible que je m'en retourne à Paris avec le duc de Noailles. Nous verrons encore, vous serez prévenu à temps pour la direction à donner à vos lettres.
J'ai été hier faire visite à la duchesse de Noailles. Il y avait un petit coup monté pour m’en traîner plus loin. Je n'ai pas compris. Il y a eu au moins cinq ou 6 lettres écrites. Imperturbable, j’attendais mon dîner. On s'agitait autour de moi, enfin à 4 heures le comte de Chambord est venu faire visite à la duchesse de Noailles. Il est resté une demi-heure. Eh bien, tandis que le duc de Noailles maudissait le prince, moi je fondais en larmes. Voilà ce qui m’est resté de la vue de ce Prince. Les détails c’est trop long. Envoyez-lui ses ennemis. Quelle expression, quel visage ! Quelle attrape si le bon dieu a fait cette tête là pour rien ! mon émotion m’a étonnée mais c’est comme je vous dis là. Son aplomb, sa grâce sont remarquables. Et si naturel et si gai, et fin, charmant. J’étais si lasse en rentrant que je me suis couchée à 8 heures. J’ai renvoyé le duc de Parme. Molé écrit à son gendre que Salvandy va venir ici. Il le mande aussi que les nouvelles du roi sont bien mauvaises. Wiesbaden finit dans huit jours je crois. Adieu. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Trouville, Jeudi 22 août 1850

Vous rendez compte dans la perfection. Reste à mettre à sa juste valeur l'impression et le dire de vos deux interlocuteurs, vous feriez cela à merveille aussi. Si vous aviez vu vous-même. Pourvu que vous laissassiez aussi à votre propre impression le temps de s'apaiser et de le juger. En tout cas, ce que vous me redites est très curieux et très important. Et il y a au bout des paroles, un fait très significatif, l’attitude prise envers. M. de la Rochejaquelein. Le jour où les hommes sérieux et sensés dirigeront au lieu de suivre, le parti sera un parti politique. Cela lui a manqué jusqu'ici. Strasbourg et Wiesbaden, la rive gauche et la rive droite, étrange spectacle ! J'attends avec curiosité des détails sur le Président à Strasbourg. Je les aurai ce matin. Il ne me paraît pas que Besançon, ait été merveilleux. Je suis frappé de ce bal où le Président s’est vu obligé d'aller et dont il s’est hâté de sortir. M. de Montalembert devrait régner à Besançon.
J’ai fait hier ma course chez Mad. Denois par une tempête de pluie, en allant et une tempête de vent en revenant. Ce que c’est que d'avoir promis. Je ne puis souffrir de faire manquer ce que les gens ont pris peine à arranger. C’est un très joli cottage dans un joli pays un peu sauvage. De bons conforts et de beaux tableaux au au milieu des bois et au bord de la mer. J’ai assez conservé la faculté de prendre intérêt quand j'y suis, aux choses dont je ne me soucie pas du tout quand je n’y suis pas. Wiesbaden est très populaire dans cette maison-là. Ce qui n'empêche pas le Président d'y être populaire aussi. On voudrait bien l'avenir qui plaît mais à condition de ne rien risquer dans le présent.

Midi
Je ne m'étonne pas que Duchâtel n’eût rien à vous dire. Il paraît que Creuznach est un vrai trou. Thiers à Bade, Duchâtel à Creuznach pendant que le comte de Chambord est à Wiesbaden, et personne ne leur en demande raison. M. Royer Collard redirait bien encore : " pour M Guizot, on ne lui passe rien. " J’avais raison sur Besançon. Evidemment le Président n'y a pas été bien reçu, s’il ne l'est pas bien à Strasbourg, le voyage sera médiocre. On comptait beaucoup sur la Lorraine et la Champagne, Nancy, Metz, Châlon, Reims. Nous verrons. Ici c'est-à-dire à Cherbourg, il n’aura ni désagrément, ni grand agrément. On l’y attend le 4 ou le 6 septembre.
M. de Daunant m'écrit des Pyrénées où, il se promène depuis six semaines, qu’il n’y trouve pas l'ombre d'un rouge ou d’un socialiste. Rien d’ailleurs dans les journaux. Est-il vrai que Radowitz tombe tout-à-fait ? Adieu, Adieu.
Je voudrais, pour votre plaisir, que vous rencontrassiez votre grande Duchesse. Elle vous intéresserait quelques heures. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 12 septembre 1850 Jeudi

La poitrine est engagée, au point que ce matin j’ai cru que j'exigerais. Une crampe dans le gosier et des cris d’agonisant. Je suis très effrayée. J’enverrai chercher Chancel si cela me revient. Kolb me traite. J’ai vu hier soir quelques diplomates Kisselef très préoccupé de la Hesse. Coups d’Etat, les Impôts perçus par la force, l’état de siège. Il faudra occuper la Hesse. Sera-ce la Prusse ou l'Autriche ? Si l’une entre, l’autre entre aussi, & le conflit peut s'engager. Cela deviendra une affaire.
M. Molé m'écrit tout à l'heure pour me demander à me voir ce matin. Il est venu pour la commission, c'est la première fois qu'il y vient. Il retourne à Champlatreux en me quittant. On dit que le Président revient. ce soir. Mon fils m'écrit de Toplitz que Nesselrode qui y est aussi venait de recevoir l’ordre de ne venir qu'à Varsovie pour le 1er octobre. Ecrivez-moi sur Fleichmann ce que j’aurai à répondre au Père. Adieu, Montebello me mande qu'il sera ici le 15 pour quelques jours. J’attends aujourd’hui St Aulaire et le duc de Noailles. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer dimanche 15 sept 1850

Je suis frappé de ce que vous me dîtes de l’intimité de Changarnier et de Lamoricière. Cela coïncide avec ce qui m'est revenu d'ailleurs, ces jours-ci. Lamoricière dans des conversations intimes, s’est déclaré inconciliable, absolument inconciliable avec les rouges et l'Empire, ou toute combinaison bonapartiste analogue à l'Empire ; du reste prêt à accepter toute autre solution, l'une ou l'autre des deux branches, n'importe laquelle, ou mieux encore toutes deux ensemble ceci dans l’hypothèse où la république régulière ne pourrait pas durer, ce qu’il ne regarde point comme sûr, mais comme très possible. Je vous donne ces ouï dire pour ce qu'ils valent ; ils viennent de bon lieu. Ils peuvent être vrais aujourd’hui et point demain ; Lamoricière est si mobile ?
Les nouvelles de Bruxelles m'affligent beaucoup. La Reine, toute cette famille royale quittant le cercueil du Roi et traversant la mer pour venir s'asseoir auprès du lit de mort de leur fille, de leur sœur ! Quelle épreuve ! quel spectacle ! Les douleurs s’appellent et s'attirent. Je ne sais rien que par les journaux ; mais j’ai le cœur serré à l'idée de ce deuil sur deuil pour la Reine dont la personne, et le cœur, semblaient ne laisser plus de place à un deuil nouveau. Je voulais écrire ces jours-ci à la Reine et à M. le Duc de Nemours. Je n'ose pas. J’attends.
J'espère que vous me donnerez aujourd’hui d'un peu meilleures nouvelles de votre rhume. Décidément enrhumée ou non, et encore plus enrhumée, je vous aime mieux à Paris qu'ailleurs. Vous y avez à la fois plus de repos et plus de mouvement. Je compare ce que vous voyez là, avec votre solitude de Schlangenbad. Et pour avoir cela vous n'avez d'autre peine à prendre que de ne pas sortir de chez vous.
Je suis curieux de ce que vous me direz sur M. de Meyendorff. La nouvelle de Berlin est répétée dans tous les journaux. Je ne puis croire à cette retraite, et encore moins au motif. Mad. Swebach (est-ce bien son nom ? ) doit savoir le vrai. Midi Je regrette de n'avoir pas vu l'article du Times, sur Salvandy. Je suis frappé de la réserve des journaux de toute opinion sur ce sujet. Ils sentent tous que c’est sérieux, et ne veulent ni s’engager ni se compromettre. Je vois ce matin un article du Siècle qui pose, entre la Monarchie et la République, je ne sais combien de questions pleines d'embarras et qui admettent les réponses contraires.
Je suis bien aise d'avoir valu à Constantin les remerciements qu’il a reçus. Vous savez que je lui ai trouvé, sous sa tranquillité modeste et un peu stérile, l’esprit plus ouvert et plus sérieux que je ne supposais. Adieu, adieu. Vous aurez reçu ce matin une réponse sur Fleischmann. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris lundi le 16 septembre 1850

Meyendorff est nommé à Vienne. Médem est un peu fou & va vivre dans ses terres en Courlande. M. de Budberg reste chargé d'affaires à Berlin. On dit un homme d’un grand mérite. J'ai eu hier soir votre lettre par votre portier. Je chercherai à faire aujourd’hui ce que vous me demandez, mais les occasions sont rares. Le Constitutionnel a un grand article politique aujourd’hui, que je trouve excellent. C'est bien ce que je vous ai souvent entendu dire vous-même. Hier peu de monde. Les Holland le prince Paul. Le soir le duc de Bauffremont, d’Estournel & Kisseleff. Point de nouvelles du tout. Les Holland pleins de petits commérages qu'ils ramassent aux Invalides. Le mouvement de troupes est incessant à Paris. Des exercices sans feu. Les Normanby ont passé deux jours à Champlatreux. Ils en reviennent aujourd’hui. Le Constitutionnel dit, pour donner à dîner au Président. Je ne sais pas un mot de ces quartiers-là. Vous voyez que je ne suis pas intéressante du tout. Le duc de Noailles devait revenir hier de Mouchy. Il n’est pas venu. Adieu, Adieu.
Mon rhume reprend. J’ai été hier à l’église, il y avait la courant d’air. Je n’ose rien entreprendre que ma promenade au bois de Boulogne, et le vent d’Est la rend peu agréable. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 18 septembre 1850

Changarnier a été fort en train de confidences. Je voudrais pouvoir tout redire mais je vous dirai l’essentiel. Bien avec le président, & cherchant à le rester. Fort soupçonné par lui mais cajolé. Mal avec le M. de Laguerre. L’assemblée le renverra. Le Président se défend tous les jours d’avoir connaissance du 10 Xbre. Il y est jusqu'au cou. Dans sa tournée recueillant d'assez bonnes paroles du clergé de la noblesse & des paysans. La classe moyenne lui est hostile, (c'est tout le contraire de ce que vous croyez) très décidé à ne pas prolonger les pouvoirs du Président, mais plutôt à les abréger, en complète dissidence avec Molé sur ce point. Mais Molé est un poltron. Le président devrait comprendre que son intérêt est de servir une restauration. Mais il ne comprend pas. Il veut le pouvoir, & il ne le veut que pour avoir quelques chevaux de plus. Plein d’ardeur pour qu'on s’entende avec les légitimistes pour qu’il n’y ait qu’un seul cadeau. Il faut poursuivre mettre tout le monde à l'ouvrage, vous y êtes nécessaire, indispensable. Furieux contre Piscatory, il faut que vous le [?]. La Reine Amélie admirable & puissante sur sa famille plus que n'était le roi. Bien content de tout le chemin qu'on a fait. En pleine, en grande espérance, tenant tous les fils. Thiers croit qu'il me mène. C'est moi qui le conduit où je veux. Une femme entre cela, Mad d'Osne. Mais il lui cache déjà certaines choses. Je l'amènerai à lui cacher tout. Chacun croit me tenir. C'est moi qui tiens tout ce monde. Des questions encore sur Chambord.
La France a vu la ligue, la fronde. Après cela elle a eu un grand règne. Elle aura cela encore. Voilà à peu près l’essentiel. Mad. Rothschild tout le contraire à propos du Président. Il faut le faire durer. Jamais le petit commerce n’a été aussi content, &. Changarnier lui avait raconté tout ce que je lui ai dit sur le comte de Chambord. Elle m’a prié de recommencer. Parce que lui en avait été très frappée. En récapitulant tout Changarnier s'est montré plus légitimiste que je ne l’avais jamais vu. Car que signifierait sans cela sa grandissime colère contre Piscatory qui est allé prêcher à Clarmont une croisade contre les légitimistes.
Le 19. M. Molé ardent pour la fusion au moins autant que vous. Son thème pour faire des conversions est celui-ci : il n'y à que Henri V qui puisse raviver le régime parlementaire. Il développe cela très bien. C’est trop long pour moi, mais il dit que cela entraîne bien des gens. En grandissime et constante méfiance de Changarnier. Carlier qu'il venait de voir, lui a laissé clairement voir qu'on va, dès la rentrée de l'Assemblée, procéder à la prolongation. Carlier dit que les sociétés secrètes sont aussi actives que jamais. En relation avec les autres sociétés européennes. L'Angleterre très malade de cette maladie là. Les Allemands les plus actifs la dedans. Normanby parlant mal de Palmerston & désirant sa chute. Il l’a dit à Molé. Je crois vous avoir tout dit. Molé trouve que Changarnier me mystifie un peu. Après tout c’est possible.
Le 22. Je me souviens exactement du propos suivant de Changarnier. " Thiers a dit à la grande duchesse Stéphanie. Votre neveu est un sot. Il n’y a d'homme important en France que Changarnier, & Changarnier C’est moi. "

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 18 Septembre 1850

J'ai été hier au Pavillon de Breteuil. L'hôtesse charmée et en train. Elle m’a raconté Bade d'où on lui écrit, que les princesses se querellent. Madame Hélène & la reine des Pays tout-à-fait brouillées. La grande duchesse Stéphanie au milieu de cela embarrassée. Thiers au pieds de toutes. Elle m’a répété que Thiers a été ici, qu'elle l'a vu. Qu’il a été à Clarmont ou plutôt à Richmond. Malgré tout cela j’en doute et Dumon que je voyais hier soir en doute aussi. Mad. Rothschild est venue me voir. Vantant beaucoup le bon état de commerce la nécessité de faire durer un si bon état de choses. M. de Sébach gendre du comte de Nesselrode a eu demain une audience du Président. Il a été charmé de lui. Le Prince Paul & lady Holland sont aussi venus hier matin. Celle-ci racontant que lord Palmerston est à Boulogne. C'est des contes. Le soir le général, les Brignoles, les Sébach, Dumon, Kisseleff, Viel Castel, bonne conversation générale. Rien de nouveau. La vraisemblance que l'électeur de Hesse abdiquera. Les Danois victorieux. Je vous écrirai par votre fille. Aujourd’hui j'écris à Varsovie par un coursier. Chreptovitz père vient de mourir subitement. Cela met son fils, fils unique à la tête d'un très grande fortune, et l’a obligé de se rendre de suite en Russie où il passera l'hiver. M. Rollin vient de mourir. Je crois que je ramasse toutes les nouvelles pour vous faire rire ou pleurer. Saint Aulaire arrive demain pour quelques jours. Adieu. Adieu

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Mercredi 18 sept 1850

Je lis Peel and his times. Ce serait trop long pour vous, trois gros volumes ! Votre impatience étoufferait votre curiosité. Mais c'est dommage ; toute l'histoire de votre temps en Angleterre. Peel est entré dans le Parlement, en 1809 et dans les affaires en 1812, au moment de votre arrivée à Londres. Le livre est fait avec simplicité, et bon sens, libéral modéré, comme Peel est devenu à la fin. Le point de départ était bien loin de là et les phases de la transformation sont curieuses à observer. Je vis avec Lord Liverpool, Lord Castlereagh, M. Canning. Vus ainsi de loin et dans l’histoire, les deux premiers font moins grande figure que dans votre conversation. Le pouvoir, même habilement et heureusement exercé, ne suffit pas pour placer un homme bien haut dans la mémoire des hommes ; il faut absolument avoir eu de l'éclat par quelque côté, par la pensée, par l'imagination, par le caractère, par la parole, il importe peu quelle grande qualité, mais une qualité first rate, qui mette un homme à part entre ses contemporains. L'histoire ne laisse à leur rang que ceux-là. Canning a cet honneur. Peel aussi l’aura, à des titres bien différents. Lord Liverpool et Lord Castlereagh, meilleurs ministres de leur temps peut-être descendent à mesure que leur temps s'éloigne ; ils n'avaient rien de ce qui est beau et grand dans tous les temps.
Savez-vous s'il est vrai que M. le Duc de Nemours et les Princes ses frères aient écrit au général Changarnier pour le remercier de la messe des Tuileries ? Ils ont eu fort raison, s'ils l’ont fait et j’avais eu tort, moi de ne pas songer à le leur conseiller. Je serais bien aise d’être sûr qu’ils l’ont fait.
L'article que j'ai lu hier dans le Constitutionnel est certainement de M. Granier de Cassaignac. Je me rappelle qu’il est venu me voir, il y a quelques semaines, dans je ne sais plus quel de mes passages à Paris, et que je lui ai dit une grande partie des choses qui sont là. Il s'est évidemment souvenu et prévalu de cette conversation.
Je vous quitte pour ma toilette. Je vais ce matin faire une visite à dix lieues d’ici chez M. de Banneville. J’avais deux visites lointaines à faire. J’en serai quitte. Il faut que je parte à 9 heures tout de suite après l’arrivée de la poste. Nous avions depuis quinze jours un temps admirable. Ce matin, un grand brouillard, mais de ces brouillards que le soleil dissipe quand il est bien levé. Je compte sur le soleil. J'ai beaucoup perdu de mon optimisme pour les grandes choses ; il me reste encore pour les petites.

9 heures
Voilà votre lettre. Adieu. Je pars. Adieu Adieu. Je suis fort aise de l'accueil fait à Piscatory à Claremont. Adieu, adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 19 Septembre jeudi 1850

J’ai oublié de vous répondre sur le deuil. Je crois qu'en le portant jusqu’à la fin de l’année cela sera bien, et assez. Ce que vous dites sur Liverpool et Castelrengh est vrai. Il reste le choix entre rendre son pays très heureux & même glorieux car c'est ce qu’ils ont fait, et se donner à soi des pages brillants dans l’histoire. Moi, j'honore bien plus lord Liverpool que M. Canning. C’est très bourgeois ici que je vous dis là, je le suis un peu en politique. J’ai vu hier matin, lady Douglas, très bonne personne & qui me plait. Tolstoy est revenu. Un accident dans la famille a hâté son retour. Il regrette beaucoup de n’avoir pas pu aller au Val Richer. Je suis charmée de l’avoir ici. Hier soir M. Mercier, revenant de Bade. Trés curieux sur Bade. Thiers archi orléaniste. Ennemi juré des des légitimistes, & républicains plutôt que cela. La reine de Hollande éprise de lui & lui d’elle. Tous les jours ensemble. C'est assez drôle à entendre. Il parait qu’il n’avait pas encore vu la grande duchesse Hélène. Les princesses en querelle entre elles. La princesse de Prusse en grande hostilité avec la reine de Hollande sa cousine. Thiers n’a pas bougé de Bade. La princesse Mathilde a rêvé.
Achille Fould est venu hier soir aussi. Il a certainement de l’esprit, et de la mesure dont je fais grand cas. Il est convaincu quoiqu’on dise ou qu’on fasse, qu'il en ira de la prolongation de la Présidence comme de la dotation. On la votera & tout le monde. Le pays très tranquille & à aucune époque le gouvernement n’a été plus puissant et plus obéi. J’ai donné à lire à Dumon des articles de l’Indépendance Belge, répétés dans le Galignani, évidemment venus de Clarmont qui atténuent & dénaturent même un peu les messages entre Wiesbaden & Clarmont. Salvandy y est tourné en ridicule. Je ne sais pas un mot d’aucun de ces quartiers, pas même des commérages. Montebello est ici, mais il n’est pas venu me voir encore. Mon rhume continue. C'est bien long, et mes yeux sont enrhumés aussi. Adieu. Adieu.

2 h. tout à l'heure Montebello & M. Molé venu pour la commission. Molé enchanté de ce que vous me dites à propos de l’article dans le Constitutionnel. Il signerait chacune de vos paroles.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Vendredi 20 sept 1850

Je suis charmé que les Danois soient victorieux. Les premiers bruits m’avaient inquiété. Si j'étais à portée, je voudrais savoir le fond des causes de l'obstination des Holsteinois. D'ici elle paraît si absurde qu'on ne la comprend pas. Car ils ne se font certainement pas tuer pour le seul plaisir d’Arnds et de Grimm et de tous ces unitaires Allemands qui ne leur envoient que de très minces secours. Cet acharnement d'un petit pays à ne pas vouloir de la paix, que veulent pour lui tous les grands états, a quelque chose qui n’est pas de notre temps. Je sais assez de l'affaire pour savoir qu'européennement les Danois ont raison. Je voudrais être aussi sûr que localement et selon les traditions et les lois des duchés, ils ont aussi tout-à-fait raison. Quand on n’est que spectateur, on a besoin d'avoir tout-à-fait raison, quand on est acteur, la lutte entraîne. Je trouve ces pauvres paysans Holsteinois plus entraînés qu’ils ne devraient l'être s'ils n’étaient poussés que par les intrigues des Augustenbourg ou par les chimères germaniques. Vous ne lèverez pas pour moi ce doute là, vous n’avez pas assez de goût pour la science.
Si j'étais à Paris, je vous montrerais huit ou dix pages que je viens d'écrire comme préface à la réimpression de Monk. Pas l'ombre de science, mais un peu de politique actuelle, et assez nette. Vous verrez cela avant la publication.
C'est grand dommage que vous ne soyez pas à Bade, entre toutes ces Princesses et Thiers. Cela vaudrait la peine d'être vu et décrit par vous. A coup sûr comme amusement, et peut-être aussi comme utilité. Il a précisément la quantité et la qualité d’esprit qu’il faut pour plaire en quatre ou cinq endroits à la fois. Je doute qu’il fasse rien de bien important ; il est trop indécis pour cela ; mais je ne crois pas non plus qu’il se tienne tranquille. Il est en même temps mobile et obstiné, et il change sans cesse de chemin, mais pas beaucoup de but. Je parierais qu'on ne vous a pas dit vrai au pavillon Breteuil quand on vous a dit qu’il était venu et qu’on l’avait vu. On tient beaucoup là à faire croire que les menées contraires pour les deux branches sont très actives. On vit de la dissidence.

Onze heures
Je vois que j’ai raison de ne pas croire au dire du pavillon Breteuil. J’aurais été fort aise de voir Tolstoy au Val Richer ; mais j’aime bien mieux qu’il soit retourné plutôt à Paris. Il est affectueux pour vous, et il vous est commode. Je vous quitte pour deux visiteurs qui viennent me demander à déjeuner ; M. Elie de Beaumont et M. Emmanuel Dupaty, la géologie et le Vaudeville, l'Académie des sciences et l'Académie française. Ce sont deux hommes d’esprit et deux très honnêtes gens, qui m’aiment et que j’aime. Adieu, adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 21 sept. 1850

Vous avez cent fois raison, il vaut mieux, pour un pays avoir des Liverpool pour ministres que des Canning. Et les Liverpool ont une vraie supériorité, car ils ont un meilleur jugement ; ils voient mieux les choses comme elles sont en effet, et ils se conduisent selon l’intérêt du pays, non selon la fantaisie de leur esprit ou le besoin de leur vanité. C'est pourquoi l’instinct public les regarde, et avec raison comme des hommes plus sérieux. Reste en même temps cet autre instinct qui n'accorde les honneurs de l'admiration publique et historique qu'aux hommes en qui éclate quelque supériorité du premier ordre qui les met, par quelque grand côté de la nature humaine tout-à-fait hors de pair. Les deux instincts sont également fondés et également indestructibles ; ils répondent à deux faits tout différents. Votre sentiment politique n'est donc point bourgeois du tout ; il n’y a rien de plus noble que le bon sens ; mais il n'exclut pas mon observation. Quant à honorer plus au moins les Liverpool ou les Canning, c'est une autre affaire. Question d'estime individuelle, non plus d’intérêt public. Si les Liverpool, avec leur esprit moins haut et moins rare, sont exempts de cet égoïsme vaniteux qui est le tort ordinaire des Canning ils sont infiniment plus honorables. Mais cela n’arrive pas toujours ; j'ai connu des Liverpool tout aussi égoïstes, et tout aussi vains que les Canning. La médiocrité ne met pas toujours à l'abri de la vanité, et la supériorité peut s'élever jusqu'au désintéressement modeste.
Puis, laissez-moi vous dire une autre chose, que je ne dirais pas à d'autres, de peur de passer pour un mystique, ce que je ne suis guère. Je ne sais pas du tout quels sont les desseins de Dieu sur le genre humain, mais certainement il en a car il ne nous laisse jamais tranquilles. Notre bonne et heureuse condition ici bas ne suffit point à ce qu’il veut faire de nous ou par nous. Il ne permet pas que nous nous y établissions. Il jette un levain caché, il frappe un coup imprévu pour nous tenir en fermentation continuelle. Il faut que nous marchions, que nous nous transformions. Quelquefois, nous nous précipitons nous-mêmes à tort et à travers, et Dieu punit notre fougue aveugle. Puis, nous voudrions nous arrêter vivre en repos, jouir de nos biens. Dieu n'y consent pas. Pour son œuvre à lui, le Gouvernement des Liverpool ne suffit pas ; il place à côté d’eux des esprits plus exigeants, plus remuants qui veulent du nouveau, font du bruit, poussent et entraînent les hommes. Vers quel but ? Selon quel plan ? Dieu seul le sait. Mais je crois en Dieu ; j’entrevois quelque chose de ses desseins, et du rôle qu’y jouent les Liverpool et les Canning, les Villèle et les Châteaubriand ; et cela m’aide à me soumettre à ce que j’ignore profondément. Vous avez touché une corde sensible. Aussi vous voyez comme elle résonne.

Onze heures
Je crois que vous pouvez vous dispenser de vous r'abonner au National et à la Presse. Ils ont assez d'abonnés pour oublier de se venger de votre abandon. Girardin est pourtant capable d’être piqué. Je m'étonne que votre ennui l'ait emporté sur votre poltronnerie. Les articles de l'Indépendance belge ne m'étonnent pas. Il y a et il y aura à Claremont une lutte intérieure qui se manifestera par des hésitations, des contradictions et des intermittences. Du reste l'Indépendance belge peut fort bien faire de tels articles, sans Claremont. Le Ministère actuel, dont ce journal est l'organe, est très hostile à la fusion et à tout ce qui de près ou de loin, sent la légitimité. Ce sont les Odilon Barrot de la Belgique. Adieu, Adieu. Ma fille doit arriver à Paris ce matin. Guillaume ira vous demander vos commissions.
Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 22 sept 1850

Je lisais hier dans Peel and his times, le récit de l’entrée de Canning dans le Cabinet de Lord Liverpool, les répugnances du Roi de tous les collègues de Liverpool, le travail de la marquise de Conyngham. Je regardais si votre nom ne venait pas. Il n'est pas venu. C’est un bien froid, sec et vide récit, quoique exact au fond. L’exactitude n’est pas la vérité, ni la vie. J’ai votre récit à vous très présent à la mémoire.
Certainement la revirade ou la conversion de Peel, comme on voudra l'appeler, est la plus complète qui se soit jamais vue. Tendre la main, en entrant aux Orangistes et en sortant, aux radicaux, c'est énorme. Pourtant on entrevoit dès les premiers temps que la revirade pourra se faire un jour, si un jour vient où il convienne qu’elle se fasse. Peel semble avoir toujours pressenti le triomphe des mesures qu’il combattait, et s'être ménagé une issue dans leur sens. Son père l'avait prédestiné et il se croyait lui- même prédestiné à être le successeur de M. Pitt. Ils ont tenu, M. Pitt et lui, les conduites précisément contraires. M. Pitt voulait certaines grandes mesures libérales, l'abolition de la traite l'émancipation des catholiques ; il les a toujours sontenues et avouées, et jamais faites. M. Peel les a toujours combattues, jusqu'au jour où il les a faites. L’un, élevé whig, devenu Tory ; l’autre élevé Tory, devenu plus que Whig. Voilà le facteur et votre lettre qui m’arrêtent au milieu de ma comparaison.

Onze heures
J’allais vous demander ce que signifie le voyage de la Gazette de France (M. Lourdoneix) à Frohsdorff. Je trouve à peu près la réponse dans mes journaux de ce matin. La circulaire du Conseil de M. le comte de Chambord met à l'index, l’appel au peuple. Elle a raison mais par par d'assez bonnes et grandes raisons. Je n’ai pas en idée que cette circulaire ait beaucoup de succès. C’était une excellente occasion de parler à tout le monde en parlant à son parti. L’occasion me semble un peu manquée. Napoléon avait coutume de dire: " L'exécution est tout." Il avait ses raisons pour le dire ; il était fou dans la conception et admirable dans l'exécution. Mais il est très vrai que l'exécution est beaucoup. La meilleure idée, mal exécutée devient une sottise. Moi aussi je n'ai rien de plus à vous dire. Je vous quitte pour me promener, un peu après déjeuner. Il fait encore beau mais d’un beau temps en train de se gâter. Adieu, Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 22 septembre 1850 Dimanche

Saint-Aulaire a dîné hier avec moi. Je lui ai beaucoup plus appris que lui n’a pu me dire. Bonne & charmante conversation. Le soir quelques personne. Bois-Le-Comte entre autres. Esprit très sérieux et très sensé. Il m’a plu. Il dit aussi. La république a déjà fait de bonnes choses, Elle doit en faire encore. Il ne faut pas se presser & la renverser, il faut lui. donner appui. Madame de Castelbajac est venue tard. Elle a laissé son mari à Pétersbourg & elle y retourne. L'empereur à parlé du Président avec estime. Il l'approuve pour beaucoup de choses. Il trouve à redire aux légitimistes. Ils sont trop pressés. Elle est sous le charme de l’Empereur et de la famille impérial, mais on en approche rarement, et la société de Pétersbourg ne me paraît pas lui plaire excessivement. Que dites-vous des deux lettres, Barthélemy & Larochejacquelin ? Celle-ci la suite obligée de l’autre mais enfin quel effet cela va-t-il faire ? C'est bien certainement ce que le duc de Noailles m'a dit être, la pensée & la volonté du comte de Chambord, avec cette manie, il faut que la nation reconnaisse qu’il n'y a de salut que dans le droit, & alors le droit reprend sa place. Je ne sais pas de nouvelle du tout. Lady Dufferin est à Bade. J’ai prié Sainte-Aulaire de lui demander des détails sur les querelles des Princesses ; elle doit les savoir ; le prince de Prusse est à ses pieds. Certainement tout cela m’aurait bien divertie, mais ma tranquilité de Paris me convient bien, et je ne puis pas regretter les auberges. J’ai peur que mon fils Alexandre ne retourne à Naples, au lieu de venir ici. Grand rabat joie pour moi. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, jeudi 26 sept. 1850

On s’apercevra, je crois bientôt qu’on a fait une bévue en forçant les Journalistes, à signer leurs articles. On leur aura donné plus de prétentions et d’importance en leur donnant plus d'humeur. Je dis les journalistes, et non pas les journaux. Sous l’Ancien régime, on ne connaissait que le journal, et non pas les journalistes. C'était le journal qui avait de l'importance, et non pas ses rédacteurs. On aura changé cela au profit des rédacteurs, aux dépens du journal et du public aussi qui aura plusieurs prétentions à satisfaire et plusieurs fortunes à faire au lieu d’une. En Angleterre, les journaux ont de l'importance les journalistes point. On gagnera bien peu de chose par le peu d’embarras, et de crainte qu'on impose aux journalistes, en les obligeant de signer. L’ambition, la vanité et l'habitude auront bientôt surmonté cela. On perdra bien davantage en appelant aux honneurs du théâtre des gens qui vivaient dans les coulisses. Mesure de haine et d'humeur, bonne pour satisfaire la haine et l’humeur inintelligente et imprévoyante hors de là. C'est l’impression qui m’a frappé hier, en lisant mes journaux signés pour la première fois.
Autre raison. Quand les rédacteurs ne signent pas, l'autorité appartient au propriétaire qui a la responsabilité morale du journal. Quand les rédacteurs signent, une partie de l'autorité va à eux avec la responsabilité, c’est-à-dire que l'influence passe de l’esprit de propriété à l’esprit de vanité.
Il me revient que le président est décidé à fondre la cloche l’hiver prochain, c’est-à-dire sa cloche. Il demandera formellement à l'Assemblée la prorogation de ses pouvoirs avec la révision, de la Constitution. Si l’assemblée la lui refuse il ira seul devant le suffrage universel, vraiment universel. Il est décidé à durer, à durer tant qu’il pourra à faire tout pour durer. Je le comprends ; mais je crois qu’il se tromperait si pour durer il lançait lui-même le pays dans une secousse. Il pourrait se tromper beaucoup sur le résultat. Le pays s'en prendra de la secousse dont il ne veut pas à celui qui en aura pris l’initiative, et il la lui fera payer. La force du président est précisément de mettre le pays à l'abri d’une secousse nouvelle, et des maux et ce qui est pire des incertitudes dont l'idée seule fait trembler le pays. S'il est bien conseillé, il gardera à tout prix cette position qui lui donnera au dernier moment, quand il faudra absolument fondre la cloche, plus de chances de durée qu’il n’en trouverait dans un appel prématuré, et non indispensable, au suffrage universel.

10 heures
Votre récit de la revue de Versailles est curieux. Mistriss Howard et Lady Normanby ! Rien de plus, rien de moins. C’est un peu fort.
Vous voyez bien que j’ai raison de dire que Lady Allice me plait. Je vois qu’on a pris aussi le deuil à Berlin pour le Roi Louis Philippe. A ma connaissance, il n’y a pas eu plus de notification là qu'à Vienne. Il n’y en avait point il y a trois semaines. C’est donc spontané. Ils ont raison. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Dimanche 29 septembre 1850

J'ai eu hier toute la journée la tête prise par une violente migraine. C’est un peu passé aujourd’hui. Ce qui ne passe pas c’est mon rhume de poitrine. Je prévois que je le trainerai tout l'hiver. Je n’ai presque vu personne. hier. Le Prince Paul. Madame Kalergis, Balabrice, & Tolstoy vous conviendrez que c’est du régime. Mad. Kalergis voit beaucoup M. de Persigny ; je vous ai dit qu’il est à Londres, & pourquoi il y est. Voilà donc Radony aux affaires étrangères. Cela va nous réjouir ! Je reste sans lettre de Constantin, c’est inconcevable quant à mon fils, je n’aurai de ses nouvelles que de Naples, Cela va encore être bien long.
Vous ai-je dit que Marion est ici depuis dix jours & que je ne l’ai pas vue encore ? Elle m’a écrit de Brighton pour me dire de l’ignorer complètement, que cela lui était nécessaire pour régler le reste de son hiver. Ainsi pas même un petit billet vert, j'obéis. Ils sont tous ici, tout le monde les a rencontrés, & j'en reste là. Je ne comprends pas son calcul, & je crois qu’elle fait une inconvenance et une bêtise. J'oubliais la princesse de Ligne qui est venue me voir hier, le reine des Belges est au plus mal. Voici une lettre de Lady Allice qui a vu la reine à Clarmont dans le désespoir à propos de sa fille. Elle veut aller la voir le 5 octobre. Le duc de Nemours dit qu’il laisse à sa mère cet espoir mais que sa pauvre soeur sera morte avant. Comme c’est triste ! Beauvale me mande que Schwarzenberg demande à l'Angleterre réparation pour l'outrage commis sur la personne du général Haynau et que c'est l’armée autrichienne qui l’exige. Schwarzenberg cite Pacifico, qu’y a t-il à répondre ? Cela peut encore devenir une affaire.
Enfin une lettre de Louise. Constantin absent avec le roi aux manœuvres. Pas de catastrophe, & j’ai été une sotte. J'enverrai à Fleichmann votre première feuille. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 3 octobre 1850
8 heures

Duchâtel m'écrit : " Je trouve l'esprit encore abaissé depuis un an dans ce pays. On ne sait ni ce qu’on veut, ni même ce que l'on désire. On demande l’ordre matériel sans savoir à quelles conditions, ni par quels moyens il peut être procuré. On dérive constamment sur la pente de l’imprévoyance et de la platitude. Aussi la fusion est-elle très peu populaire à Bordeaux. On y aime peu les légitimistes auxquels les conservateurs reprochent, non seulement leurs péchés d'ancien régime, mais leurs alliances des dernières années avec la Montagne. Il est impossible, d’un autre côté, de rien voir de plus maladroit, de plus déplaisant de plus dénué d’esprit politique, que les légitimistes de province. Ils auraient pour but de sa faire détester qu'ils ne s’y prendraient pas autrement.
Le Président, de son côté, a beaucoup perdu. L’idée de l'Empire n'entre plus dans la tête de personne. Les plus chauds partisans du statu quo ne vont pas au delà, d’un nouveau bail de quatre ans. Mais ce que les légitimistes et le président perdent, personne ne le gagne. La France avec ses folies, était destinée à donner le spectacle, digne d’une maison d'aliénés, d’un jeu où il n’y a que des perdants, sans gagnants. Si le bon Dieu ne vient pas à notre aide, nous n'avons guère de chance de nous en tirer. "
Vous voyez qu’il n’est pas gai. Cependant il ne change nullement d’avis et ne renonce point.
Je viens de lire l'article de [?] Marc Girardin dans les Débats. La première partie mauvaise. La Seconde sauf un mot, bonne et utile. Ce qui domine dans les journalistes, c’est la polémique. Ils ont besoin de porter des bottes. On se pique aisément à ce jeu là. Il y a, dans tout cet article, plus de polémique que de politique. Je fais dire ce que j'en pense, sur le ton de l’observation amicale, et dans l’intérêt du Journal lui-même. Son importance subsiste et il en gagne dans le parti conservateur plutôt qu’il n'en perd. Précisément parce qu'il est à la fois fidèle au parti et point étranger à ses passions. Mais on peut agir sur lui, à condition de ne jamais se lasser. C’est la condition de tout succès en ce monde.

Onze heures
L’infamie est grande. Mais je ne crois pas qu’il y ait à hésiter. Il faut vous épargner le désagrément de cette publication. Pur désagrément de journaux et de bavardages, mais qui vous ennuierait fort. Il faut seulement avoir de cette femme une déclaration bon et dûment signée, que le manuscrit qui serait remis est unique, qu’il n’en existe aucune copie, et que toute publication qui en serait faite ultérieurement ne serait qu'une fabrication mensongère. Je sais ce que cela peut valoir avec de telles gens. Pourtant c’est une arme, et un moyen de discréditer s’il y avait lieu. Je suis comme de raison, prêt à aller causer de cela avec vous, s'il le faut. Mais je ne vois guère ce que j'aurais de plus à vous dire et je crois qu’il faut prendre garde de ne pas grossir cette petite indignité. Je ne puis agir d'aucune façon, car je ne pourrais agir sans paraître ce qui aurait de l'inconvénient. Parlez de cela à mon visiteur d’hier, que vous aurez vu ce matin. Il est plus propre que personne à donner un bon conseil, en telle occasion, et à faire ce qu’il peut y avoir à faire pour en finir. Et comme si vous aviez, comme je le présume besoin d’une entremise, il faut mieux que ce ne soit pas la sienne, je joins ici un mot pour lui où je lui indique un homme très propre à s'en charger, très sûr ; et qui le ferait, je n'en doute pas, de très bonne grâce, car il m'est fort dévoué. Remettez ce billet à mon visiteur ; quand vous en aurez causé avec lui, je crois que vous serez de mon avis. Je vous renvoie la lettre. Je suis vivement contrariée, pour vous de l'agitation que cela vous donne. Certainement il est difficile de voir une plus indigne action. Adieu, adieu.
Soyez sûre que les deux personnes que je vous indique sont très intelligentes, et très dévouées. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 12 octobre 1850 Samedi

Le dîner hier, animé. Après le dîner, curieux. M. Fould est venu plein de courtoisie et presque d’intimité pour le général Changarnier, conversation générale ou celui-ci racontait le passé avec vivacité intérêt, & appuyait forte- ment sur ceci. " L'armée m'estime, me respecte & me craint." Avant cela ils avaient passé tous deux dans le salon jaune et ont causé là un quart d’heure. Évidemment il y a quelque chose. La commission se rassemble de nouveau aujourd’hui. On dresse un procès verbal qui rappellera la séance de Lundi, le quasi engagement pris par le général d’Hautpoul d'interdire les cris. La déviation de cette promesse. On blâmera, ce blâme retombe sur l’Élysée. Et cette pièce sera soumise à l’assemblée à sa réunion. Changarnier m’a dit, que la séance avait été vive. M. Dupin très vif contre l'Élysée. J’ai retrouvé dans la Conversation la même impatience que par le passé. M. Molé a été parmi les blâmants.
Du reste Changarnier m'a dit que les nouvelles d’Allemagne étaient bien mauvaises. On s’attend à un éclat. Le Président est fort préoccupé de cela. Il penche pour la Prusse et pour s’en mêler si l’Italie venait à s'agiter en conséquence. Hier on a eu la nouvelle que l’Autriche avait mis à la disposition de l'électeur, un bataillon autrichien qui se trouve sur la frontière. La Reine des Belges est morte hier à 8 heures du matin. Votre pauvre reine !
Marion est venue ce matin la bombe a éclaté. Elle a été très ferme. Deux résolutions de sa part. Rester à Paris auprès de moi. Ou rester à Paris avec sa soeur Fanny malade, s’établir ensemble modestement. Ceci accepté par la mère. Marion est décidée à l’un ou à l’autre parti. C'est sans doute le dernier qui sera adopté. Adieu. Adieu. Il n’a pas été question hier des absents. Adieu. Pas de conversation a parte avec Fould.
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