Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Samedi le 25 octobre

Encore beaucoup de monde hier soir. Vitet, Noailles, le Chancelier, Albert de Broglie, Salvandy, Fould, et la diplomatie. Le chancelier est en grandes éloges de Fould. Il a raison. Sa conduite et son langage sont excellents. Le ministère ne se fait pas, il n’y a pas moyen à moins d'une transaction, peut-être le Président cèdera-t-il un peu. Mais dans ce cas il fallait vous céder à vous, et vous restiez. Mais peut-être le Président était-il bien aise d'un prétexte pour nous chasser. Fould croit à présent que le message sera porté le 4 novembre, seulement il faut que soit proposé un seul ministre comme l’a été le duc de Wellington pendant 3 semaines l’année 34. Fould a trouvé l’expédient bon, on cherchera un duc de Wellington ! Enfin, on a ri.
On parle beaucoup de ce que fera, ou de ce que devrait faire Claremont, vis-à-vis de Frohsdorf. Ils sont capables de se déshonorer. On avait pensé à faire aller, Montebello à Claremont pour rappeler les devoirs de convenance on y a renoncé. Il se croit sûr que tout se fera bien, & spontanément. & que son apparition y aurait [nui]. D’ailleurs depuis les lettres du Times, vos amis sont englobés dans l’extrême colère qu’il y a contre vous à Claremont.
Duchâtel est chez lui faisant ses vendanges. Il viendra probablement du 15 au 20 novembre. Marion a été chez les Thiers tard hier soir. Elle a trouvé le salon triste, Thiers inquiet de lui- même. Le gosier, la langue embarrassés. On dit là tout est bien mauvais mais on s’en tirera, et on finira bien on se moque un peu là de l’importance & de la satisfaction de Changarnier.
Je ne trouve pas le duc de Noailles radieux. Il est agité, occupé de temps à autre passioné. Tout cela restera stérile. Je crois au succès du Président malgré ses fautes. Le Président croit à la platitude de l’Assemblée. Mais il désire peut être qu’elle résiste cela avancerait son affaire. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 24 octobre 1851 Vendredi

Je suis si malade, et si tourmentée que je ne sais pas vous écrire une lettre raisonnable. Pardonnez-moi et acceptez le peu que je vous donne. La crise n’a pas fait un pas. Le public est très insouciant. J’ai vu hier-soir Berryer et beaucoup de monde, trop pour mes nerfs. On est très monté sur tout ce qui se passe. Le parti légitimiste très résolu à tenir tête. Je ne sais pas les autres. On me dit qu'on est très content de Changarnier. La mort de la Duchesse d'Angoulême est un événement et pourrait mener à bien, si à Claremont on veut le bien.
En attendant vous avez vu les paroles du Prince de Joinville à Adiot. Je vous les envoie pour le cas où vous ne les aurez pas. Deux lettres l'une à M. Foucher de lui qu'on a vues sont en contradiction formelle avec cela. Il veut qu'on soit muet, comment [?] cela. Les paroles dites à Adiot sont du 17. Les lettres des 20, & 21. Le Chancelier était aussi chez moi hier soir, très vif sur ce qu’on doit faire par suite de la mort de La [Duchesse] d’Angoulême. Noailles reste encore aujourd’hui ici. Le comte Bual est à Bruxelles. On retient Brunnow à Pétersbourg. Je ne sais ce que fera Brunnow. Mais évident le monument Kossuth fait fiasco. Lord John a réuni le cabinet le 14, & ne lui a pas dit un mot encore sur la réforme. Les Ministres n’en savent pas le premier mot. C’est Bauvale qui me le dit.
Une nouvelle impertinence de Lord [Palmerston] a provoqué de le part de Fortunato une [?] très vive, dit Antonini. La légation napolitaine à Londres est rappelée toute entière. On désigne un autre ministre Carini mais qui n’ira pas encore Antonini est plus furieux que jamais. A propos il est le seul diplomate qui approuve ce que fait le président.
Je suis triste pour moi du retard de votre arrivée à Paris. Pour vous je ne le regrette pas. Je ne vois pas le bien que vous pourriez faire, & je vois, même dans ce qui se passe aujourd’hui l’avantage pour vous de votre absence. Si l'on cherche à peser sur Claremont il vaut mieux pour la chose, que vous y soyez tout à fait étranger. Qu’allez-vous dire à Falaise depuis certaines préfaces il me reste de l’inquiétude dès que vous parlez ou écrivez. Vous me pardonnez mon impertinence.
Je ne sais rien de Morny. Vitet est établi à Paris depuis hier. Je le questionnerai sur Duchatel. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris jeudi 23 octobre 1851

Fould hier soir. Billault est encore possible. Mais tout est difficile, comment trouver des nouveaux qui fassent le [?]. Deux visages révolutionnaires pour rendre le suffrage universel, réactionnaire pour des mesures extrêmement sévère que le Président va mettre au jour. Il est également résolu à l'une & l’autre chose. Très convaincu que l'Assemblée fera sa volonté & si elle ne la fait pas, ça lui est indifférent. Il la place dans une impasse. inextricable, où elle s’avilit, s'annule, entièrement, ou bien elle s’interdit toute chance de réélection. Le Président se venge bien des dégoûts qu'elle lui a fait subir ! Toujours en grandissime désapprobation de ce que le Président vient de faire. Mais persuadé que c'est encore lui qu’il faut soutenir qu’il n’y a que lui de capable de sauver la France. Le Président ou la guillotine. Voilà pour hier soir.
Tout à l'heure le duc de Noailles qui passe la journée en ville. On m’interrompt. La commission s’ajourne à Lundi sauf la nomination du ministère dans lequel cas on s’assemble le lendemain. On écrit à Claremont. pour rappeler qu'il faut envoyer complimenter à Frohsdorf sur la mort de la duchesse d’Angoulême. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 22 octobre 1851

Mon ministère était défait dans le moment où je vous l’envoyais hier. On ne savait rien dans la soirée. On croit beaucoup à [Brunier] aux Aff étrangères & à des collègues tous extra parlementaires. Ce sera un relai, le vrai attelage arrivera plus tard.
Je me sens bien faible. Deux jours de suite vivre sur un artichaut c’est trop extravagant. Aujourd’hui je me révolte, car j'ai des défaillances.
Antonini est revenu hier de Bruxelles. La candidature Joinville se poursuit très hautement. Léopold lui en a parlé, en se donnant pour étranger absolument à tout ce qu'on fait à Claremont. Antonini est convaincu que les Légitimistes seraient des sots s'ils se donnaient à Changarnier.
Le nonce a vu le Président hier il lui a répété les mêmes choses qu'à moins de détails, du moins il ne m'en a pas conté autant. J'oubliais de vous dire que parlant de la loi du 31 Mai il a dit : " Elle était faite en vue des intérêts orléanistes. Elle s’adressait à la bourgeoisie. Moi, mes mandataires c’est le peuple, la campagne. C'est là où je retourne.”
J'ai eu une longue lettre de Lady Palmerston non provoquée, très tendre. & pas intéressante. Vous la verrez quand vous viendrez. Adieu. Adieu.
Le Prince de Joinville a chargé M. Adiot l'orfèvre, le 19, il y a trois jours, d'annoncer qu'il accepte la candidature pour le Président. Arrangez cela avec les lettres où il dit de suspendre !

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 21 oct. 1851

Certainement si vous aviez dîné à côté du Président, vous en sauriez plus que Mad. Narischkin sur ce qu'il pense et prépare. Socrate n'était pas plus habile que vous à accoucher, comme il disait, les gens de ce qu'ils avaient dans l'âme. Voilà probablement la première fois que vous avez été comparée à Socrate.
Le Général Trézel m’avait écrit pour m'envoyer copie d'une lettre, sensée et honnête, qu’il avait adressée au duc de Nemours sur la Candidature du Prince de Joinville, et aussi, et peut-être surtout pour me parler de l'humeur qu’avaient donnée à Claremont les correspondances du Times, et pour me demander quel langage il devait tenir à ce sujet. Je viens de lui répondre une lettre que je crois très bonne, et sur la candidature, et sur le Times. Je regrette que vous ne la lisiez pas. J'espère qu’il aura l'esprit de la faire lire. Je suis de l'avis de Mad. de La Redorte. L’assemblée ne votera pas le rappel de la loi du 31 mai. Le Président n'aura, pour cela ni le gros des Conservateurs, ni le gros des légitimistes, ni la coterie Thiers. Il n’y a pas de quoi faire une majorité, en dehors de cela d’autant qu’il ne complaira pas assez à la Montagne, pour l'avoir toute entière. Il finira par reculer, et par accepter les modifications que voudra faire, à la loi du 31 mai, le parti de l’ordre, et dont la Montagne ne se contentera pas. Il dira à M. Véron: " Je n’ai pas pu obtenir davantage ; et il se croira un peu populaire pour avoir voulu davantage. Mauvaise manœuvre, soit qu’il aille jusqu'au bout, soit qu'il recule."
Palmerston aura son chemin de fer à travers l’Egypte. Je vois qu’il a donné à Abbas-Pacha le conseil de plier et de demander l’autorisation de la Porte. La Porte la donnera, et l'affaire sera faite. C'est une plus grosse affaire qu'on ne pense. L'Angleterre aura en Egypte une administration permanente, et une douzaine de petits forts sous le bois de stations. Je trouve vraisemblable et bonne l’explication que donne Aberdeen de son intervention dans l'affaire Gladstone. Il avait réellement pris le meilleur moyen d'étouffer le bruit. L'impatience de Gladstone l'a déjoué. J'envoie au duc de Broglie copie de ce passage de sa lettre. Aberdeen désire certainement que son explication soit connue.

Onze heures
Merci de votre longue et curieuse lettre. Mais c'est votre consultation qu’il me faut. Vous me la donnerez en détail n'est-ce pas ? Et si cela vous fatigue, Marion. Quel ennui d'être loin. Adieu, adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857) ; Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 21 octobre 1851

Le duc de [Noailles] sort d'ici. Il nie formellement qu'on combatte votre candidature c’est impossible, & il se fait fort de vous faire adresser un démenti de cela par les personnes accusées de ce travail. Berryer accepte son élection à l’Académie et va faire dans la huitaine ses visites aux académiciens. Berryer a passé un jour à Champlatreux. Le parti légitimiste est parfaitement résolu à combattre le projet d'abrogation de la loi du 31 mai. Ils seront unanimes. Ce parti était décidé à voter pour la candidature du Prince Président ; aujourd’hui, c’est différent. Ce sera sans doute Changarnier qui aura ses voix.
J’ai vu hier soir M. Fould. Il croyait que le Ministère était ou allait être fait. Billault, Ducos, Turgot, Casabianca, Ste Arnoult. J'oublie les autres. Turgot aurait les Aff. étrangères.
Fould avait passé la veille toute la journée à St Cloud, dîner avec le Président, avec lui au théatre de St Cloud un mélodrame abominable. Fould toujours très bonne humeur et très décidé à voter contre l'abrogation, et à croire que l’Assemblée ne l'aura pas. Chasseloup était ici aussi. C’est très drôle aujourd’hui, toutes ces situations. Le Président est toujours là [? ] garde de l'ordre. C’est lui ou la guillotine. Et bien, il faut le soutenir, tout en [vaut] qu' il a fait une grave faute.
Le duc de Noailles va vous écrire demain. Il revient à Paris jeudi. Molé rentre en ville le 30. Je vous ai tout dit. J’attends Dimanche ou Lundi la réponse sur mon fils. Je tremble. J’ai vu Chomel, il me met au régime d'un artichaut par jour. Pas autre chose Je me soumets mais cela a l'air d'une comédie. Adieu. Adieu.
On veut reconstituer la réunion dit du Conseil d’Etat. C’est M. Base qui en a fait la proposition. Les légitimistes en sont tout-à-fait d’accord.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 20 Oct. 1851

Que signifie cette ridicule nouvelle du Constitutionnel que Lord [Palmerston] viendra à Falaise pour l’inauguration de la statue de Guillaume le conquérant ? Ce serait trop plaisant. Je donnerais bien 20 fr. pour qu’il vint en effet et pour qu’il parlât. Ce serait encore mieux que Lord John venant s'amuser à Paris.
La lettre d'Aberdeen me donne à croire que la Reine est peu favorable à la nouvelle réforme projetée. Quel dommage que le parti conservateur n'ait plus là ses anciens chefs ! Quelle belle occasion de prendre et d'exercer efficacement le pouvoir à l'approbation de la vraie majorité de l’Angleterre ! Certainement Aberdeen est très vexé de cette affaire Gladstone et il a raison. N'avez vous rien entendu dire de Gladstone à son passage à Paris ? Est-ce vraiment dans le midi de la France qu'il est allé passer l'hiver, comme le disent les journaux ?
Je ne comprends pas que Piscatory n'aille pas vous voir. Il ne m’a point récrit depuis une lettre dont je vous ai cité un fragment très amical. Il médite probablement quelque coup de tête en paroles dont il ne veut pas avoir à parler ni avant, ni après.
Vos détails sur l'attitude et la confiance du Président et de ses amis sont bien curieux. Je crois qu’il se trompe. Il y a beaucoup de vrai dans ce qu’il pense et beaucoup de possible dans ce qu’il espère de l'esprit de la population en général, des masses inconnues ; et si rien ne devait se passer, se dire et se faire dans l’Assemblée avant que le pays eût à se prononcer, le pays pourrait bien donner raison au Président. Mais des trois grands acteurs entre qui le drame se joue, le pays, le Président de l’Assemblée, le Président oublie que celui-ci viendra en scène et bientôt. Et quand il est en scène, tout change, ou bien ce qui ne change pas se tait et ne fait rien. L’oncle avait raison ; il faut bien vivre avec les Assemblées, ou vivre sans assemblée, ou avec des assemblées muettes et nulles. Le neveu entreprend de mal vivre avec des Assemblée qui parlent et décident. Et pourtant il aurait pu bien vivre avec elles. Je n'en finirais pas.
Changarnier a quelque raison d'espérer. Jamais sa chance, je ne dirai pas n'a ôté, mais n'a pu devenir aussi sérieuse que dans le moment. Si tant est qu’il puisse y avoir une chance pour qui n’est pas Prince. Quand pouvez-vous avoir la réponse à ?

Onze heures
Je suis bien aise que vous voyez Chomel. Pourvu que vous fassiez ce qu’il vous dira. Probablement rien de plus qu’un régime pour calmer vos nerfs et vous aider à dormir. Adieu, adieu. Je n'ai rien de nulle part. G. Voulez-vous que je vous renvoie la lettre d'Aberdeen ou que je vous la rapporte à mon retour ?

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 20 octobre 1851

Le Président a dit avant hier que rien ne serait changé à sa politique. L’Europe peut être tranquille sur ce point. Il n'a jamais accepté pour son compte le 31 Mai. Il veut être réélu comme il a été élu. Il le sera. Il restera là où il est. Les vieux temps & les vieux hommes sont passés. Il a beaucoup réfléchi à tout cela, et il a le pays avec lui. Il est fort indifférent à ce que fera, ou ne fera pas l’Assemblée. Son entourage tient un langage très vif, les autres ont plus à perdre que nous. Ils ont des terres, des maisons des familles. Nous sommes indépendants de tous ces biens. Nous irons résolument au but et au bout. Cela sent un peu le brigand, c’est égal.
Hier soir [Hecheren] se croyait sur que Billault entrait que le général [Bourjolis] serait [Ministre] des Affaires étrangères. Saint-Arnaud à la guerre. Ducos je ne sais quoi. Il croyait aussi que Fould resterait. Cela je ne le crois pas du tout. Il faudrait pour cela que le Président se prêtât à une modification de la loi du 31 Mai.
J'ai revu hier soir le brave Lahitte, & cela m’a fait grand plaisir. Le Président rentre à l'Elysée. Samedi J’ai vu assez de monde hier point d’hommes politiques. Thiers a été si effrayé pendant 3 jours, qu’il en a été malade et ses accidents d’aphtes lui sont revenus. On dit beaucoup qui Carlier l’avait prévenu lui & Changarnier qu’ils seraient arrêtés.
Hier [Heseren] disait que le Président ne demandait pas mieux que d’être mis en accusation, alors il ira de l’avant. Je cite [Hesseren] parce qu'il voit dit-on le président tous les jours. Il a beaucoup d’esprit.
Il y aura consultation pour moi aujourd’hui. Il y a de quoi. Je suis toute jaune & tirée.
Samedi
J'avais une loge aux italiens. Je n’ai pas eu le courage ni l’envie d'y aller. Adieu. Adieu.
Vitet a été très frappé de ce que vous me dites du travail légitimiste contre vous. Je verrai le duc de Noailles aujourd’hui je lui en parlerai. Le comte Buol va arriver ici de Londres aussitôt que Kossuth y paraîtra. Hubner m'a dit qui si la princesse Grasalcovitz se permettait le moindre propos factieux, l'Empereur lui ordonnerait sur le champ de revenir en Hongrie. On est là très sévère. Le corps diplomatique blâme toujours ceci, & attend sans curiosité les nouveaux Ministres. On dit beaucoup que ce ne se sera qu’un relais, & que la troupe dorée est derrière. Montebello est revenu. Sa femme va mieux.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris dimanche le 19 octobre 1851

Je n’ai vu personne hier qui put me donner des renseignements nouveaux. Rothschild m’a fait dire que Billault avait refusé. Voilà tout ce que je sais.
Mad. [Marichkein] a trouvé le Président très triste et préoccupé. Il n’a pas dit un mot de la crise. Si j’avais été sa voisine à table j’aurais su m'y prendre. Mad. de la Redorte est revenu me voir hier. En grand blâme du Président, très convaincue que l'Assemblée ne votera pas le rappel du 31 mai. Son mari arrive demain, j’en suis bien aise.
Montebello n’est pas revenu de Tour où il a conduit sa femme. Le départ de Dumon le laisse tout-à-fait sec. J’ai oublié de vous dire hier que Génie est venu me voir. Il était intéressant. Je verrai peut être quelqu’un de la commission de permanence ce matin, mais trop tard pour vous en redire quelque chose. Je vous quitte. Je verrai Chomel. Je commence à m’inquiéter de moi. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 18 octobre 1851

J'ai vu hier soir M. Fould très gai, très décidé ; décidé pour son compte à voter contre l'abrogation de la loi du 31 mai. Très sûr de la résolution du Prince de demander cette abrogation. Presque sûr que l’Assemblée aura peur et fera la volonté du Président. Le Président a fait une faute, il peut en faire impunément beaucoup encore car il est très puissant. Le pays est à lui. Les salons, les classes élevées, tout est unanime à blâmer ce qui vient de se passer. Il n’y a personne qui ne soit de cet avis. Mais cela n'y fait rien. Le prince sait tout cela, & cela lui est égal. Voilà ce qui s’est dit devant une demi douzaine de personnes. Le Prince multiplie les dîners. Aujourd’hui Kisseleff. On joue le soir au Lansquenet. Quand il n'y a pas dîner, le prince va au spectacle. Il rit beaucoup aux variétés. Voilà !
Viel Castel s'en va pour huit jours à Broglie. Baroche est parti pour sa campagne. Tout le monde est en vacances. Hier le Président a donné audience au comte Louis Batthyany qui devait être pendu.
Voici la lettre de Lord Aberdeen. Je lui ai répondu hier. Il est évident que cette affaire Gladstone le vexe beaucoup.
Dans le gros public, je vous rapporte le dire de mon médecin, on est persuadé que l’Assemblée fera la volonté du Président. Elle aura peur des rouges & peur de la popularité du Président ; c’est exactement ce que dit Fould. Il n’avait aucune idée sur le nouveau ministère. Il doute que Billault accepte. On dit que Victor Lefranc a refusé. Piscatory est ici, je suis fâché qu’il ne vienne pas me voir. Changarnier parle beaucoup. Il est en grande espérance. Marion le voit tous les jours chez les Rothschild. Le Baron est couché depuis sa chute. chez moi. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 16 octobre 1851

M. Fould est venu avant le dîner. Très gai mais très décidé. Il doute que le Président trouve des Ministres, mais ceux-ci ne peuvent durer que jusqu’à la rentrée de l'Assemblée, car aucun d'eux ne signerait le projet de loi pour révoquer le 31 Mai. Ils voteront tous contre ce projet. La situation est très violente & le Président très content & très obstiné dans sa pensée. Il n’en reviendra pas. Si l’Assemblée se conduit bien, elle peut reprendre une grande autorité & popularité. Cela est très vrai, si elle est bien conduite. Mais où est le chef ?
Les nouvelles des départements sont mauvaises. Les paysans armés contre les châteaux. Quel moment pour un changement complet de Ministère & de politique. On persiste à dire cependant que ce Président veut rester fidèle à la politique conservatrice & qu’il en donnera des gages. Cela a l’air d’un puzzle !
[Helkerm] était chez moi hier soir. Il avait eu lundi un tête-à-tête de 2 heures avec le Président. Il prétend lui avoir dit toute la vérité & très fortement, & avoir complètement échoué. Le Président s’est plaint avec une grande amertume de Thiers & [?].
Il est 2 heures, je n’ai pas de lettres de vous. Qu’est-ce que cela veut dire ? Voilà Aberdeen que je vous enverrai demain. Constantin après avoir lu ma lettre à l’Empereur [?] mon procès gagné. Puisse-t-il avoir raison ! Cette affaire m'a bien détraquée. Je me sens vraiment malade. Oliffe me traite.
Je vois beaucoup de monde cela me fatigue, l’opinion est bien unanime que le Président a fait une grande faute. On dit qu’il restera à St Cloud. Il a là beaucoup de troupes. Adieu, j’ai donné mes lettres à votre fille, je l'ai manquée. Marion l’a vue & lui a trouvé bonne mine. Adieu.
Je viens de voir Vitet. La commission après avoir entendu les ministres a résolu de ne point convoquer encore l’Assemblée. Cette commission se réunira dimanche. Faucher avait dit qu’ils n'étaient en dissidence avec le Président que sur la loi du 31 Mai. Mais que cela ne lui avait pas permis de rester.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 15 octobre 3 heures

J’ai passé la nuit ayant Oliffe auprès de moi, & des cataplasmes de moutarde autour du corps. Un mouvement de bile affreux. Je me suis levée à l'heure seulement & depuis là jusqu'à présent Molé, Vitet & Montebello. Ils me quittent à l’instant.
La commission a décidé d'appeller demain les ministres. L'avis de Molé est qu’il ne faut pas convoquer l'Assemblée. Il est persuadé que le Président ne fera pas un coup d'état. On ne trouvera pas de ministres. Les anciens resteront en attendant. Thiers est effrayé à mort. Changarnier n’a pas ouvert la bouche à la commission. Montebello seul a parlé pour ce que vous dit le commencement de ma lettre. Pardonnez cette brièveté. Je suis bien souffrante. L'heure me presse. Molé est venu à 11 heures, & repart tout de suite. Falloux est chez lui à Champlatreux. Molé bien sensé. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 14 octobre 1851

Comme votre petit homme n’est pas venu me voir, je ne sais pas un mot de ses conversations. M. Fould est venu hier soir. La retraite des ministres tout entier n’est plus douteuse. Celle de M. Carlier aussi. Le Président est décidé au retrait de la loi du 31 Mai. Dans le conseil qui se tenait à midi à St Cloud, les ministres donneront probablement leur démission, & probablement aussi. Ils seront invités à garder leurs portefeuilles jusqu'à la nomination de leurs successeurs. Ces successeurs très inconnus encore, mais certainement le Président n’ira pas les chercher à la montagne. En même temps qu’il retourne au suffrage universel il donne des gages au parti de l’ordre. Par quelque mesure conservatrice très vigoureuse. Jamais il ne fera ménage avec les démocrates. Il a vu M. Girardin une fois pour une affaire privée. On parle de M. Billant, mais au fait, on ne sait rien. Que fera l’Assemblée ? Si elle accorde le retrait de la loi elle le déjuge. Si elle refuse elle accroît son impopularité au profit de celle du Président. Il y a profit pour lui de l'une ou l’autre façon. Les nouvelles de Bourges & autres villes de ce côté sont que les rouges travaillent beaucoup.
J'avais hier soir Rothschild assez inquiet et curieux. En sortant de chez moi, il a fait une chute dans la cour. Oliffe l’a ramené chez lui, il s'est beaucoup blessé à la jambe. Cet accident a fait lever la séance, il était bien tard 11 1/2. Normanby était venu chez moi le matin, très curieux aussi, & assez inquiet. J’ai dîné hier chez Delmas. à mon heure, mes lampes &. il n’y avait pas eu moyen de refuser. Rothschild hier était Présidentiel, ce qui a fait dire à Fould que tout le monde le deviendrait, & qu’après tout les partis conservateurs de l'assem blée s'étaient conduits, bien maladroitement à quoi [Rothschild] a dit amen aussi. La soirée était fort curieuse. J’ai dit en l'air, Mais pourquoi le Président ne passerait-il pas par dessus la tête de l'Assemblée pour demander pays de rétablir le au suffrage universel ? A quoi de grands éclats de rire, & Fould disant mais vous allez droit au plus vif, c'est là la question. Je saurai quelque chose plus tard, mais trop tard pour vous le mander.
Changarnier a perdu sa sœur. [Rothschild] dit qu’il en est très affecté. Adieu. Voilà tout, pour aujourd’hui. Le Président n’a pas été à Chantilly. On l’attendait préfet & &. C’est Carlier qui a donné le premier le signal de la retraite du Ministère.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 13 octobre 1851

Pas de lettre par la poste, ce qui me fait espérer Génie. Pas de nouvelles ce qui fait croire qu’on délibère. Molé m'écrit un mot pour me dire qu’il ne sait rien. Je suis aussi avancée que lui. La statue de Guillaume le conquérant est exposé aux Champs Elysées. Elle est affreuse. Sa vue ne pourra pas inspirer vos paroles.
J’ai vu beaucoup de monde hier mais rien que des étrangers. En français il n’y avait que Chalais. et d’Aremberg. Hubner est revenu très gai. Il a tout-à-fait de l'aplomb. Valdegamas me dit que Narvaez reste tout l'hiver ici. Voici Génie qui m’envoie la lettre d’Ellice que vous me renvoyez. Comme il n’est pas venu lui-même, je ne sais rien. Adieu.
J’ai vu Montebello un moment bien inquiet de sa femme & ne sachant pas un mot de rien.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 12 octobre 1851 Dimanche

Je n'ai absolument rien à vous dire sur la crise. Je n’ai vu personne hier qui put m'en donner des nouvelles en me rappelant ma dernière conversation avec [Fould]. Je suis portée à croire qu’il y aura modification à la loi, & modification dans le Ministère. Je ne crois pas à [?] tranchée.
J’ai passé 10 heures bien inutilement dans mon lit. Je n’ai pas dormi du tout. Ces insomnies accusent un bien mauvais état de nerfs. Je suis accablée aujourd’hui. J’essayerai de dormir en calèche. Je ne vaux rien pour ce soir, et cependant, il faudra ouvrir ma porte. Montebello est à Passy. Je ne l’ai pas vu encore. Il parait que sa femme n'était pas encore partie pour Tours. Adressez lui donc votre lettre à Paris 73 rue de Varennes. Je serai curieuse de causer avec lui.
Le pauvre Constantin a perdu son second fils âgé de 12 jours seulement. Il répète qu'Alexandre ne peut pas subir un pareil qu arrêt et que l’Empereur ne peut pas l’avoir ordonné. C’est le mot d’ordre, nous verrons. Si vous vous attendiez à des nouvelles, ma lettre va vous désappointer. Cela n’est pas ma faute. Adieu. Adieu

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris samedi le 11 octobre 1851

J’ai enfin dormi, et c'est là tout ce que j'ai à vous apprendre. Les journaux sont pleins du bruit d'un changement. Votre petit ami auquel j’ai confié ma lettre hier, a pu vous porter les dernières nouvelles. Moi, je les ignore, entièrement. Je n’ai vu personne qui pût m'en donner. Viel-Castel ne sait ou ne dit jamais rien, & c’est le plus capable de mes visiteurs d’hier. Lasteyrie a parlé avec humeur feinte ou réelle de la conduite des Princes qui font toujours des bêtises. Il a parlé aussi avec une colère très sincère quoique contenu de Changarnier et tout joute sincère parce qu’elle était coutume. Il croit à la réélection du Président. Me voilà au bout.
Mon fils Paul va venir. Je le crois très effrayé. S’il va en Russie, ce sera pour lui bien pire que pour son frère. Et s’il ne va pas dans 6 mois on met le séquestre sur ses biens. Ce qu'il fera probablement sera de vendre ses terres et très mal. Comme il a des capitaux cela ne le dérangera pas. Et pour ce qu'il dépense il restera toujours beaucoup trop riche. Nicolas Pahlen va venir passer l'hiver à Paris. Kossuth fait un véritable événement en Angleterre. Palmerston reculera certainement. Le Morning post l’indique. Le journal des Débats serait-il bien informé à propos de Gladstone Palmerston & la diète de Francfort ? Hubner revient aujourd’hui de Corse. Adieu. adieu
Francfort est vrai. Je viens de l’apprendre à l’instant.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 8 octobre 1851

J’ai trouvé Molé très bien de santé & imperturbable dans son opinion : que si le Président ne fait rien, il est perdu. Et il est très parfaitement pour le Président. Les articles de l'Union, l’Opinion publique & le Messager édifient sur la candidature Changarnier. Il a refusé de voter contre la [proposition] Creton. On a négocié l’abstention, & je ne sais si l'union s’en contente. Je ne crois pas jusqu’à présent. J’ai vu hier soir beaucoup de monde. & Fould & le duc de Noailles entre autres. Celui-ci aussi grognon & muet qu'il sait l’être. Très insupportable. On fait mieux de rester chez soi. Nous nous sommes querellés sur la lettre du Duc de Nemours. Lui trouve pitoyable qu’un Prince écrive à un journaliste. C’est peut être vrai, mais le genre admis, je trouve la lettre excellente, moins l’hospitalité.
Fould avait comme toujours l'air confiant & gai. Nous sommes restés cinq minutes seuls il était tard. Voici les seules paroles : faire de l'ordre à outrance. Les rouges attendent et espèrent tout des divisions. L'assemblée ne sera pas écoutée, elle est mourante. Mais le Président, il a la puissance, la force. On lui conseille beaucoup d'agir Fould n’est pas de cet avis, cependant ceci ne m’a pas paru définitif.
Mad. de l’Aigle qui revient d'Angleterre a beaucoup vu la famille royale. La reine très fusionniste, mais sans aucune autorité, les princes mal entre eux. Les jeunes disant devant Nemours, si nous avions été à Paris la monarchie ne serait pas touchée. Mad. Joinville mal avec Mad. de Nemours. La première très ambitieuse & gouvernant beaucoup son mari. La reine veut finir dans un couvent.

2 heures le duc de Noailles sort d'ici très content de Carni, il voudrait bien qu’on le prit au journal [Assemblée] nationale. Très content de vos conseils, ce qu’était aussi extrêmement M. Molé à qui j’ai montré hier votre lettre. Soutenir le président. Rester gouvernemental en attendant qu'on puisse faire la Monarchie. L’air est au coup d’état, cela revient de plusieurs bons côtés. Je ne puis plus aller. Mon pauvre Alexandre on lui refuse le passeport et on l’invite à aller au Caucase ! De l’ironie par dessus le marché. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 5 Oct. 1851

Changarnier voudrait bien vous enrôler dans sa candidature. Je ne sais ce qui sera utile, et possible dans les derniers moments. Quant à présent tenez pour certain qu’il n'y a dans le grand public, que trois candidatures sérieuses. Louis Napoléon, de Prince de Joinville, et Ledru Rollin, les trois inconstitutionnelles. Tant la France respecte la Constitution ! Toute tentative pour produire en ce moment une autre candidature la perdrait. Il en arriverait ce qui est arrivé de celle du Prince de Joinville qui a infiniment plus perdu que gagné à être mise en avant si longtemps d'avance. Il y a des forces et des chances qu’il faut réserver, comme ressource de la dernière heure. Je ne sais si Changarnier sera, une de ces chances là. Cela se peut. Et cela ne se pourra plus s'il est mis en scène et ballottée dès à présent.
Plus je vis, plus je prends en mépris l'impatience ; c’est la mère des trois quarts des sottises. Que sert aussi à Changarnier, de faire un tel étalage de son humeur contre Berryer, Falloux, Molé, et même moi qui suis ici dans mon coin ? Pourquoi nous fait-il attaquer tous les jours dans son journal, le Messager de l'Assemblée ? Que ne ménage-t-il Berryer comme il ménage Thiers qu'il semblerait ne pas devoir ménager du tout puisqu'il soutient que, lui Changarnier, n'est-pas du tout Orléaniste, et puisque Thiers, est bien plus encore que Berryer opposé à sa candidature ? Il ne faut pas être si agressif d'un côté et si timide de l'autre. Il ne faut pas surtout, quand on aspire à un grand résultat, se mettre mal patiemment avec les grands chefs, des grands partis pour n'être bien qu'avec les chefs des coteries dissidentes, comme M. Nettement ou tels autres, qui font beaucoup de bruit dans les journaux de peu d'abonnés ou dans les couloirs de l’Assemblée où l'on ne fait rien que bavarder, mais qui n’exercent en définitive aucune action réelle, ni sur les dispositions, des masses, ni sur les votes législatifs.
Je ne peux pas répéter les mêmes mots ; tout cela, c'est de l'impatience, de la boutade ; ce n'est pas de la politique. Changarnier peut avoir des chances éventuelles et qui, à un moment donné, peuvent devenir grandes ; et les galavaude, et les perd en voulant les fixer et les proclamer dès aujourd’hui. Il commet la même faute qu’il reproche à ceux qui lui demandent de se déclarer ouvertement et sur le champ pour Henri V. On sert aussi mal l'avenir de Changarnier, en disant aujourd’hui : " Changarnier est mon président. " qu’il servirait mal, lui-même l'avenir de Henri V en disant : " Henri V est mon roi. "
La correspondance de Lord Londonberry avec le Président sur Abdel Kader est fabuleuse d'impertinence et de niaiserie. Et c’est pour un chef d’Etat, une situation pitoyable que de se croire obligé d'y répondre si sérieusement. On sent là dessous les ménagements pour le grand salon de Park-Lane, dans le passé et peut-être aussi dans l'avenir. Toute cette affaire est parfaitement simple ; le général Lamoricière a fait une convention avec Abdel Kader ; M. le duc d’Aumale l’a ratifiée. Ils étaient bien les maîtres d'accepter ce qu'Abdel Kader leur proposait et de lui donner leur parole ; mais ils n'avaient nul droit d’engager la parole et la conduite du gouvernement. J’ai refusé de ratifier la parole de M. le Duc d'Aumale et du général Lamoricière. C’était mon droit, et j'ai dit dés lors et je maintiens aujourd’hui, que j'ai bien fait d'en user comme j'en ai usé. Que M. le Duc d’Aumale et le général Lamoricière usent le droit de se plaindre et de donner leur démission. Je le reconnais. Leur démission eût été pour moi un embarras ; mais je l’aurais certainement acceptée plutôt que de relâcher Abdel Kader. Je ne sais pas ce qu’ils ont écrit ; mais si lord Londonderry publie leurs lettres, ils n'ont qu'une chose à faire c’est de reporter sur moi la responsabilité du refus de ratification de la parole qu’ils avaient donnée. Ils seront dans la vérité des principes et des faits. Il leur restera, j'en conviens, l'embarras de n'avoir pas donné leur démission. Est-il vrai, comme le dit le Messager de l'Assemblée, que Lord Palmerston lui-même ait écrit au président pour Abdel Kader ? Je ne puis le croire tant ce serait inconvenant. Je suppose que le messager se sera mépris et aura attribué à Lord Palmerston une des lettres du marquis de Londonderry.

10 heures et demie
Je suis bien aise que les légitimistes soient si décidés. Ils ont raison, comme honneur et comme succès. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Samedi le 4 octobre 1851

Le duc de Noailles est venu me voir hier un moment. Vous devez savoir que le Comité légitimiste a décidé ces deux choses. 1° on ne choisira pas de candidat avant l’élection de la nouvelle assemblée & l'on pressera cette élection 2° on ne prendra pas pour candidat à la Présidence un nombre qui aurait voté pour la proposition Creton. L’exclusion est formelle, et elle a été formellement annoncée au général Changarnier Il est évident qu'il a repoussé, et qu’il votera pour. Voilà donc qui est fini. Je trouve l'humeur des Légitimistes très tranchante. Certainement ils finiraient par voter pour le Président actuel.
J’ai rencontré Thiers chez la [duchesse Mackikoff], il y est tous les jours & tout le jour pérorant, ne se compromettant pas. Je lui ai dit quelques petite paroles provocatrices il ne s’est pas laissé entraîner. Il est monarchiste orléaniste et puis c’est fini. Très contenu sur les personnes. Enfin je n'ai rien à citer. On ne se battra pas dans la rue, les rouges sont battus d'avance. On se battra beaucoup à l’Assemblée & & & bien amusé comme tout le monde de la correspondance sur Abdelkader. Cela passe vraiment toute imagination ! Je me permets de blâmer la réponse du président. Lamoricière veut [rosser] Londonderry quand il viendra à Paris.
J’ai vu le soir mes diplomates. Je n’ai pas vu Dumon. Il ne m’est pas très fidèle. On ne parle que d'ici. Je ne sais pas un mot sur ce reste de l’Europe. Thiers était bien monté hier contre l'Angleterre. Sur ce point il dit comme tout le monde. Vitel est parti pour 15 jours pour les environs de Dieppe. Narvaez & Bulwer sont les plus grands amis du monde. Celui-ce retourne à Londres. Lady Cowley est fort malade. Adieu, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Vendredi le 3 octobre 1851

J’ai vu hier matin Saint-Aulaire & Vitet. Celui-ci un moment seulement. La commission de permanence s’était ajournée au bout d'une demi-heure. On a parlé des discours de M. Léon Faucher. On a décidé qu'on lui ferait des questions à la tribune. Changarnier a dit de Léon Faucher qu’il ne fallait pas le prendre au sérieux. Fould a rencontré hier quelqu’un à qui il a parlé sans beaucoup d’assurance Il avait le langage triste, et a laissé la conviction que la loi du 31 mai serait abrogée. Il a dit que c’était une idée fixe dans la pensée du Président. Selon lui, il n'y a que deux vrais pouvoirs, ou la légitimité, ou le suffrage universel. Il représente et veut représenter celui-ci. Odillon Barrot se met en mesure de redevenir Ministre, car Léon Faucher & quelques autres cesseraient de l’être. Barrière est revenu bien malade encore.
Hier soir longuement seule avec Changarnier. J’ai dit ce qu'aurait dû dire Marion. Vous deviez rester à la tête du parti de l'ordre. Vous avez excité des méfiance. Vous n’avez pas d’armée, où est votre parti ? & & & de trés belles vérités. Il a été très irrité. Ah, je n’ai pas de parti ? Si je parle à l'Assemblée tout le monde m’obéit vous verrez quand j'irai à la tribune. Mais que veut-on de moi. Que j'écrive sur mon chapeau [?] Henry V ? Mais c’est insensé. Je suis perdu & tout le monde l'est avec moi. Est-ce que je n’ai pas assez dit ce que je suis. Je l’ai dit pendant 2 heures en tête-à-tête à Berryer. Il est sorti de là disant : que j’étais très réservé. Ce sont des menteurs. On veut toujours me croire orléaniste. Je ne le suis pas du tout. Je n'ai aucune raison de l’être. Alors il m’a fait un beau morceau sur son élection qui ne dépend que des Légitimistes. Qu’ils lui doivent seulement 400 mille voix & c’est fait, il est entre les cinq. Alors un discours à la tribune racontant ses services. Etranger à la Révolution de 30, à celle de 48, étranger à toutes les batailles sanglantes à Paris. En connaissant de batailles que celles sur le sol algérien, à Paris trop batailles pacifiques, voilà l'homme qu’on présente à la France. Très beau discours que ferait Berryer ou tout autre, & il est nouveau. J'écoutais en toute humilité et attention. Grandes éloges de St Priest, Nettemont, Barthélemy. Grande haine de Berryer. Peu d’estime pour les grands hommes. Grande confiance dans sa popularité en France. Mais Thiers lui-même dit que hors Paris, on ne vous connaît pas en France. C’est menti, il n'y a pas un [?] qui ne connaisse mon nom. Depuis trois ans j'ai rempli la France de mon nom. Toujours haine du Président, de mon Président. Je vous promets que j'empêcherai votre Président de le redevenir. Je ne sais ce que je saurais faire mais je suis sûr d'empêcher. Voilà le ton pendant une heure.
Beaucoup de diplomates sont venus ensuite. Il est resté jusqu'au bout de la soirée. Dumon a voulu causer avec lui. Cela ne prenait pas. A moi il avait dit, je ne suis un candidat qu’avec vous, il ne me convient pas d’aller me proposer à d’autres. Je crois que voilà tout sur Changarnier. J'ai fait l’éloge du Président. Nous n’avons eu qu'à nous louer de lui, politique, honnête, & pacifique. Il est parti de là pour l'appeller le candidat de l'Empereur Nicolas. Enfin cela m’a amusée.
Grasalcoviz est arrivée. Elle a eu hier chez elle. Thiers & Changarnier. Kisseleff va mieux. Que dites-vous de la correspondance entre Londonderry & le Président, c'est impayable. Le temps est laid et froid. Paris vaut mieux je crois que la campagne. La duchesse de Montevago a dîné à St Cloud avant son départ, elle est partie hier, après le dîner on a joué au lansquenet. Elle a gagné deux mille francs au Président dont elle était très honteuse. Adieu. Adieu.
[Changarnier] m’a dit que le duc d’Aumale est en pleine approbation de ce qui s'est fait à Claremont. Il m’a dit encore 1000 contre 1 que Joinville se proclamera candidat. Il n’attend que la proposition Creton. Pour celle-là [Changarnier] croit fermement qu’elle sera rejetée. D’autres pensent le contraire, et disent que si l’exil est levé Joinville annoncera qu’il ne veut pas de la Présidence. Il ne veut que rentrer en France.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 2 octobre

Je me suis trompé en écrivant ou vous en lisant. Je parlais de la lettre du Times dans le temps & vous avez lu Thiers. Je veux ajouter à ce que j'aurais pu vous dire hier ceci. Fould en me parlant de la proposition Creton & de ses chances me dit : moi-même si je ne servais pas ce gouverne ment ci, je me croirais obligé de voter pour la proposition. Et puis Thiers avait dit à Marion en parlant du Président : " Changarnier a eu tous les torts dans la rupture. " Dumon se dit malade. Le soir, il vient chez moi le matin. Il est vrai qu'il a mauvais visage. Il a rectifié le dire de Fould en ce sens. - Si l'Assemblée veut décider la révision à la majorité des voix, je la soutiendrai. - Cela change beaucoup le sens, & rend la phrase irréprochable. vous savez que je parle de messages présumés. Tous les jours les perplexités augmentent c.a.d. dans l’opinion des bavards irresponsables & ignorants.
J'ai vu hier la duchesse Decases. Elle croit que le Président perd. Il me semble qu’elle le désire, le corps diplomatique devient tous les jours plus ardent pour le succès du Président. L'article de Véron ce matin me paraît fort bon. J'avais hier soir Viel Castel, Stratford Canning est très embarrassé. Il avait donné au sujet du chemin de fer à la Porte des assurances que la conduite du Conseil anglais à Alexandrie a démenti. Ce sera un démêlé entre Palmerston & Canning. On refuse à Kossuth de traverser la France et on trouve fort mauvais qu'on lui ait permis de mettre pied à terre à Marseille Adieu voilà tout je crois. Adieu

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 1er octobre 1851

J’ai vu M. Fould hier soir, très confiant et très sérieux. Je lui ai dit mon inquiétude il s’en est fort diverti. Certainement il y aura un message. On en est occupé déjà. Les intrigues n'inquiètent pas. Quand on verra le travail [?], les fonds baisser, l’agitation & la peur gagner tout le monde, on viendra à [rescipi ?] & on sera trop heureux de se rallier autour du président. Les légitimistes doivent l’aider à refaire des institutions monarchiques. Voilà le langage. En attendant le Prince s'amuse à St Cloud & son entourage s’y ennuie, avant hier gand dîner dans le salon de la Reine. La belle Mademoiselle Montejo & sa mère la duchesse. Un grand concert de 30 personnes. Fould y va à ce qu’il me semble tous les jours.
J’ai vu Dumon hier matin ; il me dit qu'il vous a écrit ; quand il partira, ce qui sera dans 10 jours, je n’aurai plus de causerie française du tout. Kisselef est malade. Hubner & Hatzfeld en voyage. Vous voyez que je suis très délaissée. Je voulais aller à Champlatreux mais c’est fatigant.
J’ai entendu ces jours-ci parler de votre fils avec les plus grands éloges. Il a une grande popularité dans son collège et dans le monde, mais je dois vous dire qu'on vous blâme de permettre qu'il prenne si jeune encore et sans frein aucun, des plaisirs qui ruinent sa santé. Outre que c’est d'une morale un peu relâchée qui étonne de votre part, c’est d'une imprévoyance qui étonne encore plus. Il est dans l'âge où la constitution se forme & s'endurcit. L'ébranler à présent c’est un immense risque. Pensez au malheur que vous avez eu ! Je vous dis là des choses dures mais vraies. Personne n'ose vous dire la vérité, je crois que c’est parce que personne ne vous aime autant que je vous aime. Veillez sur votre fils & retenez le.
Constantin a un nouveau petit garçon. Personne ne m’a parlé de la Belgique, mais il me semble que le ministère n'y est pas en triomphe. Les Ligue ont marié hier leur fils à M. de Talleyrand. Il va célébrer cela très pompeusement et magnifiquement à [Bélocil]. Don Magnifico tout-à-fait. Il est de l'opposition au Sénat. Adieu, car je ne vois pas de nouvelle à vous dire. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Mercredi 1 Oct. 1851

Je reviens à ce qu'on vous à dit des alarmes de Thiers. Quoique je le sache très prompt et crédule en fait d'alarmes, il a trop d’esprit pour avoir toutes celles des badauds. Il faut que les coups d'Etat aient été et soient encore dans l’air de l'Elysée, plus que je ne l'ai cru. Je persiste cependant à n’y point croire. On en parle probablement beaucoup ; on les arrange, on les discute ; on ne les fera pas. Race de bavards pleins d'imagination, qui s'amusent de leurs plans et s'enivrent de leurs paroles, mais à qui les plans et les paroles suffisent.
Il m’est bien revenu quelque chose de cette fameuse lettre de Thiers dont vous me parlez, et que Normanby a montrée à Rogier. Mais je n'en sais rien que d'incomplet et de vague. C’était, je crois une désapprobation de la lettre de Rogier. Si vous pouvez me donner, à ce sujet quelques détails un peu précis, soyez assez bonne pour me les donner.
Je vois qu’on me fait aller tous les jours à Champlâtreux et assister à toutes les réunions possibles. L’Assemblée nationale a bien fait de rappeler que je suis ici fort tranquille. Je suis très décidé, et très hautement contre la proposition Créton ; mais il ne me convient pas de paraître toujours présent, et actif dans les réunions purement légitimistes, où on la repousse. C’est une malice de Thiers ou de ses gens à l'adresse de Claremont.
Je vous ai dit que Montalembert m'écrit qu’il n’est pas prêt pour son discours qu’il devait m’apporter ici à la fin de septembre. " Je suis bien confus d'avoir à vous avouer aujourd’hui que je n'ai pas encore terminé ce travail. Pour me justifier, je dois dire que j’ai été indisposé au commencement de la prorogation puis distrait et absorbé par une foule de devoirs et d'ennuis électoraux. Cela ne diminue pas le remords que j'éprouve de ne pas vous tenir parole. Je viens donc vous demander humblement quelques jours de délai. "
Je parie qu'il ne sera pas prêt avant la fin d'octobre. Assez grand ennui pour moi, car je ne puis pas faire mon discours sans avoir vu le sien et il me faut bien autant de semaines qu'il lui a fallu de mois, et un peu de loisir. Ce discours sera fort écouté. Il faut qu’il soit bon.
Montalembert ajoute : " J’ai pris la liberté de faire remettre chez vous tout ce que j'ai jamais dit ou écrit. Il y a beaucoup de générosité de ma part à vous faire cette communication aussi complète, car vous pourrez y trouver plus d'une attaque contre vous et contre le Gouvernement que vous dirigiez. Mais la révolution de Février, si elle m'a donné raison sur quelques points, vous a si bien vengé sur tant d'autres qu'il ne saurait rester de ressentiment dans votre cœur contre ceux d'entre vos anciens adversaires qui étaient au fond vos alliés naturels. "
Il a bien raison. Je n’ai pas le moindre ressentiment contre lui. Je suis assez frappé du Firman de la Porte. au Pacha d’Egypte contre le chemin de fer d'Alexandrie à Suez. Je croyais à Sir Stratford Canning plus de crédit à Constantinople. C'est un gros désagrément pour Lord Palmerston qui met à ce chemin beaucoup d'importance. Vous verrez qu’il finira par prendre le parti d'Abbas Pacha contre le Sultan, comme nous avons pris en 1840, le parti de Méhémet Ali. Êtes-vous pour quelque chose dans cette résistance si décidée de la Porte, ou n’est-elle due qu’au travail de Paris et de Vienne ?

Onze heures
Merci de votre lettre très intéressante. Et j'en remercie aussi un peu Marion, excellent reporter. Le mot, si je ne me trompe est plus poli que celui de rapporteur. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 30 Sept 1851

Ce que vous me dîtes de Mad. Gabriel Delessert m'étonne un peu. Je la croyais bien dans les eaux, sinon de Thiers au moins de M. de Rémusat ; et M. de Rémusat, d'après ce qui me revient est au moins aussi engagé que Thiers dans la candidature Joinville. Il n’y a pas moyen de se faire à présent une idée juste des chances de cette candidature ; trop de mois et trop d'incidents nous séparent des jours de l’épreuve. Si l'élection se faisait à présent, l'échec me paraîtrait certain. Qui sait dans sept mois ?
Entendez-vous mettre quelque importance à ce qui se passe en Belgique ? Il me paraît que le ministère Rogier gagne sa partie et qu’il aura un sénat plus traitable. Cela me semble mauvais. Mais après tout, je n‘ai pas envie que la résistance au mal commence en Belgique ; elle y serait trop aisément battue.
Vous devriez jeter un coup d'oeil sur la brochure de M. de Késatry, dont je trouve des extraits dans les Débats. Cela n'a guère d'autre mérite que celui d’une grande franchise ; mais c’est quelque chose. Le gros public qui m’entoure pense tout ce que dit M. De Késatry.
J’ai eu hier la visite de l'inspecteur des écoles primaires de mon arrondissement. Vous ne devinerez jamais pourquoi je vous en parle. Un homme de 40 ans, d'une assez jolie figure, l'air intelligent, un peu familier, très bavard après m'avoir parlé des écoles : " Jai vécu trois ans à Berlin, Monsieur, dans la maison d’un de vos admirateurs. - Qui donc, Monsieur ? - Chez le Ministre de Russie, M. le Baron de Meyendorff. J’ai achevé l'éducation de ses fils. " - Grands détails sur M. de Meyendorff, sur son esprit, sa prodigieuse instruction, sur son intérieur, sa femme, ses fils. J’ai peine à croire que mon inspecteur ait été là, un bon et convenable précepteur. Il s'appelle M. Lambert. Du reste on m'a dit du bien de lui et il s’acquitte bien, ici, de ses fonctions.
Je continue la lecture du Mémoire napolitain décidément, il a trop longuement raison. Je regrette Montebello pour vous. J'ai bien peur qu’un grand malheur ne l'attende. Il en souffrira beaucoup. Est-ce qu’il va établir sa femme à Tours pour l'hiver ?

Onze heures
Je crois tous les jours un peu moins au coup d'Etat auquel je n'ai jamais cru. Thiers est bien bon de s'amuser à avoir peur de Vincennes. C’est du luxe de peur.
Mes lettres ne m'apprennent rien du tout. J'en reçois une de Montalembert qui s’excuse de n'avoir pas encore terminé son discours, et demande un peu de répit. Ce qu’il voudra Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 30 septembre 1851 Mardi

J’ai vu peu de monde hier, mais j’ai su par Marion quelques rapportages. Mad d'Asur lui a fait visite le matin. Et elle a remonté Thiers à dîner chez lady Sandwich. Assise entre lui & M. Royer à table. Il a parlé de Changarnier de ce qu’il eut été s'il avait su se conduire, précisé ment dans les mêmes termes que vous m'en avez parlé le matin & que Marion avait lus. Il n'épargnait rien à la ressemblance. Il n’est pas sûr que le prince de Joinville passe. Le pays est encore fort attaché au nom du Président. Quant à Changarnier c'est risible, le pays ne le connaît pas du tout, il aura pour lui les Légitimistes, & encore.. Beaucoup d’incertitude sur la proposition Creton. Thiers avait dit le matin à Mercier ( qui est venu chez moi le soir) Si Henry V était possible se serait ce qu'il y aurait de mieux peut-être. Mais c’est archi impossible. Le pays, le repousse absolument. Il est impossible. Il nous faut la Monarchie, il ne nous reste donc que la branche cadette, et bien pour faire arriver la Monarchie il faut que le Prince de Joinville soit à la tête du [gouvernement] du pays. Il ne serait pas longtemps président. Tout autre ferait durer la République. Le pays s’y accoutumerait, je ne veux pas de cela. Voilà mes motifs et pourquoi le Prince de Joinville a raison de se laisser faire.
Dumon hier soir était fort noir. On parle de message pour le 4 nov. invitant l'Assemblée à voter la révision à la simple majorité. C’est M. Fould qui avait dit cela à je ne sais qui que Dumon ne m’a pas nommée, le même anonyme ayant rencontré hier aussi M. Granier de Cassagnac celui-ci aurait ajouté et si l’Assemblée recule devant cette illégalité, on casse l'Assemblée. Mais l’armée que dira-t-elle, que fera-t-elle ? Voilà à quoi personne ne répond. On devient très triste très inquiet. Fould a dit que tout s’en allait dégringolant, crédit, ouvrage. & & De raisonnements en raisonnements, on en vient à dire qu’il n'y a que la guerre qui puisse tirer de là. On a tant jasé & si tard que j'en ai très mal dormi cette nuit. Je me lève et il est midi déjà. Bastide & Cavaignac se donnent tous deux pour Joinvillistes.
J'ai fait hier la plus mélancolique des promenades. J’ai été voir Neuilly. Ah quel aspect horrible ! Adieu. Adieu

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Lundi le 29 septembre 1851

J’ai vu toute l’Europe hier soir mais pas de France du tout. Pas un échantillon. Les Normanby sont revenus engraissés, joufflus & de très belle humeur. Il dit que dans tout le midi on ne connaît que le Président. Il a beaucoup vu là M. Royer, qui s’est dit parfaitement autorisé à tenir le langage de sa lettre. Normanby lui a montré le premier la fameuse lettre de Thiers, il en été abasourdi. [Noailles] n'a pas vu Thiers. Byng dit que Thiers se croit menacé d’être mis à Vincennes. Aujourd’hui le Président vient en ville pour un conseil de ministres. Il fait cela une fois la semaine, une autre fois c’est les Ministres qui vont à St Cloud. Il voit Normanby aujourd’hui.
La Princesse Menschikoff qui voit Thiers, beaucoup, me dit qu’il était, il y a quatre jours encore très inquiet d'un coup d’État. Personne n'y croit aujourd’hui. Je n'ai rien absolument à vous dire. Je suis bien aise que votre fille aille à Rome. C'est une idée heureuse. Elle y aura l’esprit bien agréablement occupé & quant à l'air, il n y a rien de mieux. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris dimanche 28 septembre 1851

J'ai vu Granville, plus questionneur que discoureur. Montebello qui avait reçu de M. Moulien une mauvaise lettre, mauvaise sur la fusion. Le Prince Paul très sourd, très malade, très anti Joinville. L'unanimité sur ce point est remarquable. Si on savait cela à Claremont il est impossible que cela ne fasse pas d’effet. J’ai vu les Delessert aussi. Madame, très vive dans le même sens. Tout le monde en critique sévère de Thiers. Pas de nouvelle de la journée. On est tranquille et on le restera probablement pendant le mois d’octobre.
Montebello part après demain pour Brest où il établit son fils dans la marine. De là il ira probablement rejoindre sa femme à Tours. On s'y transporte. Beauséjour n'a pas réussi. Je n’ai pas vu Dumon depuis jeudi. Il part le 10 octobre pour sa province. Adieu. Adieu.
Voici la lettre de Gladstone. Je l'ai relue. C'est un sot.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 28 Sept. 1851

Je ne puis croire que l'Impératrice ne veuille pas ou ne puisse pas faire avoir un passeport à votre fils. Ce serait un argument trop fort en faveur du régime constitutionnel avec tous ses ennuis et ses dangers. Sans vanité, votre correspondance vaut bien un passeport, et je ne pense pas que le pouvoir absolu, pour se maintenir, ait besoin de pousser jusque là l’ingratitude. Encore passe l’ingratitude pour les services rendus ; mais l’ingratitude pour des plaisirs si souvent donnés ! Je ne pardonnerais pas celle-là.
Marion a raison de dire la vérité à Changarnier. Elle peut tout dire, et je suis sûr qu’elle dit très bien tout. Qu'elle lui demande donc un jour dans quelle position il serait aujourd’hui, s’il était resté tranquille et sans impatience, dans son poste de Général en Chef de l’armée de Paris, se tenant en dehors de toutes les querelles parlementaires, et uniquement attentif à être toujours le représentant et le défenseur de l’ordre, soit à l'Elysée, soit à l'Assemblée. Il serait. aujourd’hui, entre Louis Napoléon et le Prince de Joinville le candidat naturel et obligé du parti de l’ordre à la présidence, la seule et assurée ressource de la majorité et du public dans leur perplexité. Pour moi je ne me console pas qu'il ne se soit pas ménagé cette chance simple infaillible, et je n'espère pas qu'en glanant de tous côtes des débris de partis, il s'en refasse une qui en approche, de bien loin. Personne n'est plus noir que moi, dans ce moment-ci.
La déclaration du Général Magnan au Président ne m'étonne pas. La peur gagnera tout le monde. Mais le lendemain du jour où tout le monde a eu peur ne vaut pas mieux que la veille, et nous ne serons pas tirés d'embarras parce que le président y sera tombé.
La Duchesse de Marmier n'a pas le moindre crédit à Claremont, et ses paroles ne signifient absolument rien. Mais elle remplacera là Mad. Mollien qui en dit quelques fois de bonnes. Pas beaucoup plus efficaces, il est vrai. Cependant, je persiste à croire que les bonnes paroles valent mieux que les mauvaises. Je regrette donc Mad. Mollien à Claremont.
Ma fille est assez bien. Elle a un peu dormi. Il iront son mari et elle, passer l'hiver à Rome. La santé de son mari a besoin du midi, et les raisons qui venaient de l'enfant ne subsistant plus. Rome vaut mieux qu' Hyères. Ils partiront vers le milieu d'octobre.

10 heures et demie
Henriette vous remercie de vos paroles qui lui ont été au cœur. Et moi aussi. Elle supportera comme il faut les épreuves et j'espère que Dieu lui enverra encore des joies. Adieu, Adieu. Je reçois ce matin beaucoup de lettres et on m'attend pour la prière. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris samedi le 27 septembre 1851

Dites je vous en prie à votre fille ma vive & sincère sympathie, pour sa douleur. Un semblable malheur m’a frappé à son âge. Quand je me reporte à cette époque de ma vie je ne puis m'empêcher d'un grand remord de n'en avoir pas éprouvé un assez long chagrin. Que de fois depuis j’ai demandé à Dieu une fille, j’ai pleuré cette fille. Pauvre enfant, heureux enfant sans doute. Henriette a plus que je n’avais alors ces sentiments religieux qui font supporter avec douceur les volontés de Dieu, les peines qu'il vous envoie. Elle a plus que moi aussi la réflexion. Marion me prie de vous dire et à votre fille sa plus tendre sympathie. Elle est vraiment touchée de votre affliction.
J’ai vu hier apparaître Bulwer vraiment comme un ghost. Quelle mine ! Il passera sans doute l'hiver à Paris. Les Ministres lui ont fait mille éloges flatteurs, mais Palmerston a été froid. Il demande un autre poste. On ne le lui promet pas. Il ne veut pas retourner en Amérique, & comme je doute qu'on s'emploie en Europe, je suppose qu’il demandera sa pension de retraite. Pacha est venu aussi, on débarquait. Il est nouveau à Pétersbourg & va s’y rendre. Il a voulu tout de suite démentir le bruit qui avait couru qu’il était chargé de négocier un mariage pour le Président, il dit qu'il n'y a pas un mot de vrai. Il parle tristement de son pays. Les septembristes vont tout à l’heure être les maîtres. L'armée est complètement indisciplinée, perdue.
Fould est venu le soir, il y avait du monde nous n’avons pas pu causer. Son dire général est toujours une grande confiance dans le succès & assez de mépris pour tout autre concurrent. Montebello est revenu de Chalons disant que dans la Marne le mouvement napoléonien est irrésistible, unanime. Grande défaveur pour Joinville. Il a causé très longuement avec Léon Faucher, sur les élections d’abord, il lui a dit que le mot d’ordre du [gouvernement] devrait être de voter pour les 446 qui ont formé la majorité pour la révision, & ne pas s’inquiéter de tel ou tel parti. Ceci serait le mot de ralliement. Léon Faucher a gouté cela. On a parlé ensuite de la prorogation. & Léon Faucher a dit que le Président ne l’accepterait certainement pas des mains de l’Assemblée seule, qu’il lui fallait le suffrage du pays. Je trouve qu'il a raison.
Palmerston a fait un bon discours, et habile ; avec de la malice pour n’en pas perdre l'habitude. Comment trouvez-vous la réponse du [gouvernement] napolitain à Gladstone ? Je n’ai pas lu encore. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 26 septembre 1851

Je suis bien triste de votre lettre. Votre pauvre fille me fait une grande peine. On m’a dit hier de deux très bonnes sources 1° que le général Magnan a déclaré au Président qu'il ne devait pas compter sur lui pour un coup d'État. 2° que le Président a fait passer de l’argent en Angleterre. Les propos hier soir n'étaient pas bons.
La duchesse de Marnier part après demain pour son service à Claremont, toute radieuse des excellentes nouvelles de sa province, le Doubs, je crois, pour la candidature Joinville. On cite des lettres de M. de Montalembert dans le même sens, (du fait, pas de la joie.) Thiers a dit hier matin à la Princesse Menchikoff chez qui il va tous les jours. “ Le comte de Chambord est impossible, jamais la France ne l’acceptera. La tentation Joinville n’est pas sûre, mais il faut la tenter, elle a beaucoup de chances, c'est la seule façon de retrouver la monarchie. Mais je conviens que si elle échoue le Prince est perdu & la Monarchie aussi. "
Dumon est revenu charmé de sa journée à Champlatreux. Hatzfeld trouve assez naturel que le Prince de Joinville laisse l'espoir qu'il prêtera serment à la République puisque c'est la seule façon de gagner les votes de la montagne dans la [proposition] Creton. Cette affaire-là se présente tous les jours comme plus graves. On croit beaucoup qu’elle passera dans le public. Le sobriquet de sourd donne de l’intérêt, un petit nom tendre. Je vous répète le bavardage. Et si on bavarde à présent qu’est-ce que ce sera dans quarante jours ?
Changarnier a dit à Marion que dans 15 jours il saurait quelles sont ses propres chances. A propos elle a eu avec lui les scènes les plus drôles. Elle s’est [montrée] soucieuse de ce que vous me dites. Mon pauvre fils attend encore. Il venait d'envoyer ma lettre à Orloff. Les apparences étaient mauvaises au dire du [gouverneur] de la Province le Prince Souvoroff. Vitet est venu me voir hier matin. Spirituel & très perplexe, qui ne l’est pas ? Adieu. Adieu.
Brougham a dîné hier chez Thiers avec Changarnier. Très Présidentielle, mais elle lui a promis de devenir très Changarnier, si lorsqu'il sera président, elle le voit accablé d’injustices & de calomnies, elle sera alors son Don Quichotte enragé. Ceci a fait prendre feu au général et pendant une heure il a harangué avec passion et éloquence. Elle vous amuserait bien, si elle vous racontait cela. Elle est fort drôle. Mad. Rothschild est venue me voir hier pour me la ramener fort engraissée & fort gaie. Gladstone est un fou. Je vous renverrai sa lettre & j’aurais [...]

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 25 Sept. 1851
4 heures

Ma petite fille est morte ce matin, deux heures après que je vous avais écrit. Sans souffrance ; elle s'est éteinte, plutôt par impossibilité de vivre que par maladie, à force de soins, on lui a donné quelques mois de vie ; mais les soins n'ont pas pu davantage. Sa mère est résignée, par soumission à Dieu et par courage naturel, mais très triste ; elle soignait son enfant avec une vigilance passionnée. Je ne crois pas que cela change rien à leur projet de passer l’hiver dans le midi. C’est surtout son mari qui en a besoin.
J’ai eu ce matin vos deux lettres. Certainement tout cela est de la pitoyable conduite. Les légitimistes n'avaient pas et n'ont pas autre chose à faire que de soutenir le président tant qu'ils ne peuvent pas avoir la Monarchie par la fusion, et non seulement de le faire, mais de dire tout haut pourquoi ils le font. Mais ils veulent suivre leurs fantaisies comme s'ils étaient assez forts pour les faire réussir. Tous les partis en France sont à la fois impuissants et intraitables. C’est un spectacle ridicule. Quelque grosse sottise passera à travers tout cela, et elle aura son temps même son temps de triomphe comme toutes les sottises. Puis elle tombera, en ayant aggravé le mal général.
Je suis très triste et très décidé à ne mettre la main dans aucune sottise. Je suis tombé. Si je ne puis pas me relever à ma satisfaction, je resterai à la place où je suis tombé.
Vous ne lisez pas le Messager. Celui qui m'est arrivé ce matin contient un grand article évidemment inspiré par Thiers sur les conférences de Champlâtreux. J'en suis toujours. L'article a l’air fait pour la présidence de Changarnier. Au fond, il laisse le choix entre le Prince de Joinville et Changarnier. Et ce choix restera ouvert jusqu'au dernier moment. Changarnier a son parti pris de n'en prendre aucun et d'être, soit en premier, soit en second, le restaurateur de n'importe laquelle des deux monarchies.
Le propos de M. Carlier, sur de nouvelles élections m'étonne. Ils ont, ce me semble plus à redouter la proposition Créton, et le vote des lois pénales contre la réélection que des élections nouvelles. Mais ils savent sans doute mieux que moi où ils en sont.

Vendredi 26 7 heures
Je me lève. La plus petite et la plus obscure mort est solennelle. Tant que cette pauvre enfant est là, toute la maison lui appartient, et n'est que son tombeau. J’ai écrit à Caen pour faire venir le Pasteur Prostestant qui réside là. Nous n'en avons pas de plus rapproché. Il arrivera ce soir ou demain matin. L’enterrement se fera demain. C’est un grand isolement, et quelques fois un grand embarras, que de n'être pas de la religion générale du pays qu'on habite. Je n’ai nul embarras ; tout mon village, y compris le Curé, est très bienveillant pour moi et se prête avec coeur à tout. Mais l'isolement subsiste toujours.

Onze heures
Votre lettre est intéressante. Et le trio a dû l'être. Vous avez bien raison de dire tout haut votre sentiment. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 25 septembre Jeudi 1851

J’ai vu hier matin Richard, Metternich et Brougham. Celui-ci me racontait. les fureurs du duc de [Wellington]. A propos de [Lady G. Faxe]. Il a déclaré que si quelqu’un s’avisait de lui parler de cette affaire. Il lui passerait son épée par le corps. Brougham s’est bien gardé de lui en parler. Richard m’a raconté les triomphes de son père partout. Il en est bien touché.
Le soir Changarnier & Berryer. Longtemps seuls à nous trois. Cela n'était pas commode du tout. Aucune sincérité. Grand orateur, grand capitaine, on s’envoyait cela à la figure, et des mots couverts. J’ai été plus franche et deux fois j’ai montré mes préférences pour le Président. Le duc de Berryer était qu'il fallait à la fois écarter les deux concurrents princiers, cela plaisait parfaitement. Changarnier, cela m’a paru à moi ou une bassesse ou une sottise. Ces deux messieurs ne se sont pas dit un mot à part. Berryer est parti le premier. Changarnier avait quitté Ferrières pour un rendez-vous à Paris avec le duc de Lévis. C'est pour cela aussi que Berryer était venu en ville.
J'ai une lettre de Molé aujourd’hui, sur le ton que vous connaissez. " Si le Président entendait ses véritables intérêts." & vous devinez le reste. Molé ne reviendra que pour le 1er novembre. Octobre va être encore bien vide à Paris. (Je crois que c’est le contraire qu'il fallait dire. C'est égal.) Le temps est redevenu bien beau. Je fais deux heures de promenade. Marion revient aujourd’hui. Changarnier est très frappé d’elle. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 24 septembre 1851

Hier matin F. Byng. le duc de Noailles. G. Delessert, celui-ci bien triste, bien affecté. Très contre Joinville. Byng ditto. Du reste sur les affaires anglaises un peu de l’avis de la personne à qui il parle. Le duc de Noailles de fort mauvaise humeur, cela est plus saillant que la tristesse. Il venait causer avec le duc de Lévis qui part aujourd’hui pour Frohsdorf comme Molé, Noailles est pour le coup d’Etat. C’est superbe et facile à l’entendre parler. Seulement... Il faut que le Président le fasse seul, personne n’en veut partager la responsabilité. C’est commode. Il ne faut pas dire après cela que c'est le Président qui manque de courage. Les Légitimistes voteront tous contre la [proposition] Créton, mais après si elle est rejetée il leur sera difficile de ne pas voter les lois pénales, ils les voteront donc sous condition expresse qu’elles s'appliquent à Joinville. Le duc Rollin, tous les candidats inconstitutionnels. Voilà donc tout le monde écarté. Alors quoi ? Changarnier. Et Changarnier pour qui est-il ? Tout cela est de la pitoyable conduite. Dumon me disait hier soir que Paul de Ségur arrive de Claremont. La Candidature semble décidée. Le duc d’Aumale est de cet avis. Il est allé à Eisenach. M. A. Bertin finira par appuyer Joinville quoique ce ne soit pas tout-à-fait son goût.
Je regrette que vous ayez quitté Broglie. Il me semble que vous y étiez utile. Mes yeux ne vont pas bien. Voilà mon souci actuel. Marion ne revient que demain. Adieu. Adieu.

Dumon est allé passer la journée à Champlatreux. Montebello revient de Chalons demain. J’ai rencontré hier le Président très triste. Il suivait tout pensif le chemin de St Cloud. Il ne manquait rien. Le cheval se conformait à sa triste pensée. Je trouve comme vous l’article sur la vicomtesse trop, & même beaucoup trop. Vitet ne vient jamais. Je lui fais cependant parvenir des agaceries. À propos, j’ai parlé moi-même au concierge de Montalembert. On ne sait pas son adresse. Pas un de ses gens n'est à Paris. Où demander. Je demanderai cependant encore.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie, Mardi 23 Sept 1851

Je retourne aujourd’hui au Val Richer. Ma fille Henriette n'a pu venir hier ; sa petite fille est de nouveau assez souffrante pour qu’elle n'ait pas voulu la quitter et son mari assez souffrant pour aimer mieux rester chez lui. Ils partiront pour Hières dans les premiers jours d'octobre. Je veux passer avec eux les derniers de septembre.
Je regrette de ne pas achever ici cette semaine ; la conversation y est bonne, et la mienne y est, je crois, utile. Le Duc de Broglie en toujours très sombre, toute solution un peu bonne lui paraît impossible. Personne n’est plus décidé pour le statu quo, sans rien espérer du temps.
Précisément hier il me parlait de Chasseloup comme vous m'en parlez. Il dit que dans son département, il fait très bien les affaires, et que son jugement et son conseil politique sont vraiment très intelligents et sensés. Je ne m'en étonne pas ; je le connaissais peu comme étant de l'opposition ; mais je l’avais entrevu spirituel.
Vous tirez en effet le meilleur parti possible du désert. Comme vous ne me dites guères plus rien des nerfs, et du sommeil, je suppose que cela va mieux. Ne m'en parlez pas. Je suis impatient de savoir Marion de retour. Je voudrais que vous causassiez un peu sérieusement avec M. Vitet. Il est peu empressé, et peu abondant à moins d'être bien à l'aise ; mais vous lui trouveriez beaucoup et du très bon esprit et du très agréable ; fin et naturel.
Je ne m'étonne pas du silence de Lord Brougham avec Lord Aberdeen. Les Anglais sont, les uns envers les autres, ou très brutaux ou très timides ; poussant à l'excès les ménagements jusqu'au jour où ils se donnent des coups de poing.

10 heures
Il n’y a absolument rien dans les journaux. Il me semble que les sévérités du jury pour l'Événement et la Presse font beaucoup d'effet. Adieu. Adieu. Comme je pars tout de suite après le déjeuner, je vais causer un peu avec Broglie. L'article des Débats sur la vicomtesse de Noailles est un peu trop. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 23 septembre 1851 Mardi

Personne ne sait me donner des nouvelles de M. de Montalembert. En sortant tantôt je passerai moi-même à sa porte pour m'en enquérir. Je ne pourrai vous mandez que demain si j’ai fait quelque découverte. M. Carlier a dit hier matin à un diplomate. " Nous allons bien mal. Si nous avions de nouvelles élections nous serions perdus. " Textuel. l’inquiétude commence à devenir générale. Qu’est-ce que ce sera vers Novembre ?
Jai vu hier soir [Glucesberg] entre autre. Son père est convalescent ils ne sont plus inquiets. On me dit que Thiers est engraissé et de très bonne, humeur. Boutonné quant à la candidature Joinville. Pas d’opinion. Il a passé chez moi hier, sans en trouver. M. Pougoulat /je crois que je dis bien / votera pour la rentrée. des Princes. On dit qu’une grande partie des Légitimistes fera comme lui. Le sort de cette cette proposition est fort douteux et le temps qui coule est à l’avantage de Joinville. Peut-on courir ce risque-là ? Mais les grands hommes se proclament / il n'y a que le petit homme qui soit ici, & il ne perd pas son temps. Dumon était noir hier. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris lundi le 22 septembre 1851

J’ai vu assez de monde hier soir, considering le désert. Les deux ministres, mes voisins & le corps diplomatique, & Lord Brougham qui avait déjeuné le matin à Walmart avec le duc de Wellington. Fould est toujours in good spirits. Chasseloup très sensé spirituel. Je n’avais jamais causé avec lui. J’ai trouvé sa manière bonne & le fond très raisonné & bien jugé du nouveau, il n'y en a point. Le Prince de Joinville écrit à beaucoup de marins, & certainement cette correspondance prouve la résolution d'accepter. Fould avait voulu faire un peu clandestinement le voyage ds cristal palace, je crois qu'il y renonce. Les Mouvements de bourse demandent à être surveillés.
Il regrette que vous reveniez si tard. Il est fâché que Molé ne soit pas ici. C'est vrai à la veille d'un si grand événement en revenir que le jour de la bataille, c’est peu prévoyant. Fagel avait vu le Président le matin. Il lui avait paru triste et lui a parlé sur ce ton. Montebello est allé à Châlons pour les commis agricoles. Il ne revient que jeudi. Brougham est en blâme d’Aberdeen comme nous. Mais il n’a pas fait comme nous, il n’a pas osé le lui dire. Ils se sont écrit sans toucher le sujet. Le prince Metternich est reçu triomphalement sur toute sa route dans le midi de l’Allemagne. Bade, Wurtemberg, la plus mauvaise partie. Il arrive aujourd'hui à Vienne. Je ne vois plus Hatzfeld que le matin, il est trop malade pour sortir le soir. Mécontent, triste & un peu noir. Très sensé. Marion ne me reviendra que jeudi. Adieu. Adieu. Comme vous dites-vrai sur Thiers & Ellice !

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 21 septembre 1851

J'ai vu hier Morny longtemps. Il venait une querelle, vous quereller de ce qu'on lui a redit qu’il ne voulait plus d’Assemblée. Ce n’est ni à vous, ni à moi qu'il l'a dit. Moi je l'ai deviné à son sourire, on n’est pas bien coupable de dire que Morny rit. Tout ce que cela me prouve c’est qu'il ne pense pas tout-à-fait ce qu’il pensait il y a trois semaines. Certainement il est plutôt sombre que gai. Il ne m’a rien dit que je puisse relever mais mon impression générale est du découragement. Il doit être raccommodé avec le Constitutionnel car il admire fort ses articles politiques. Il ne voit aucun moyen de compter sur le courage de l'Assemblée en supposant même qu'on se rapproche des hommes importants, ce à quoi on ne me paraît pas trop songer. J'ai manqué hier soir M. Fould.
Le samedi je suis en vacances. J’ai été le passer chez la jeune comtesse avec Ribeaupierre & Kisseleff. Aujourd’hui le temps est atroce. Montebello vient tous les jours. Sa femme l’inquiète mais c’est toujours la même chose. Je ne vois rien à ajouter à ma lettre. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris samedi le 20 7bre 1851

Longue visite de Hatzfeld le matin. Très souffrant & très chagrin de l'être. Très sensé à discuter les chances. Il ne croit pas si facile d’écarter les lois pénales, si la [proposition] Creton est rejetée, les légitimistes tranquilles de ce côté, se retourneront de l’autre pour empêcher la réélection. Croyez-vous cela. On parle beau coup de discussions dans le camp légitimiste. Je ne sais rien, je n’ai pas revu le duc de Noailles.
La [duchesse] de Montebello va mieux. Le soir assez de monde et beaucoup de conversa tion sur l'unique sujet. Le nonce est inquiet en pensant que l’armée à Rome peut se trouver Dieu sait en quelles mains dans quelques mois. Je vous envoie Ellice sans presque l’avoir lu moi-même, mais cela me parait curieux, pour l'Angleterre. Renvoyez-moi cette lettre elle appartient à Marion qui ne l’a pas lue. Je ne lui en ai envoyé que la première partie à Ferrières. Elle y reste jusqu’à lundi. Il fait très froid ici. Adieu. Adieu.
J’ai dormi mais je suis mécontente. Ce sera un mauvais hiver. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris vendredi le 19 septembre 1851

J'ai vu hier M. Fould très longtemps. On ne songe pas à un coup d'État. Il serait sans aucune cause ni prétexte à présent. L'Assemblée se réunira. La [proposition] Creton sera rejetée. La loi pénale pour vote inconstitutionnel sera rejetée. La révision aura au moins la même majorité. Mais alors, le prétexte est trouvé. Devant tant de manifes tations du voeu public entravé par la minorité révolutionnaire, il faut faire. Qui fera ? C’est incertain. L’irrégularité sera commise de l’une ces trois manières : de concert avec l'Assemblée, sans l’Assemblée, ou par le pays. Pourquoi les légitimistes sont-ils si mal pour le Président ? Pourquoi un dédain dans leurs journaux ? Il est sensible aux bons comme aux mauvais procédés. Si on s'approche on sera accueillis. Très disposé à bien recevoir M. Molé moi, mais il faut que quelqu’un commence. (deux fois dans la conversation & sans aucune provocation de ma part) Le Président ne songe pas à se marier. Il n’a point, il n’aura point de dynastie. Il ne se fera pas empereur et l’avenir de la France y songe-t-il ? Henry V hériterait de lui. A part cela, la conversation a été bonne et sensée. Il est parfaitement sûr de son affaire. Le Président n’a qu’à attendre. On lui sait gré de sa patience. Joinville n’a pas de chances et en eut-il tant mieux car c’est cela qui rallie les hommes sensés au président. J’ai parlé de l’Assemblée prochaine, il n’a pas pris cela beaucoup au sérieux on ne peut pas recommencer ce mode de suffrages. C'est une loterie. On peut avoir une chambre rouge tout comme une bonne chambre. Le vote par arrondissement. Il faut revenir à cela. J’en conclus que le coup d’état qui doit se faire embrasserait cette question aussi. Je crois vous avoir répété l’essentiel.
Certainement toute la manière de Fould indiquerait de la tranquillité & de la confiance. Il regrette qu’il n’y ait pas de rencontres. Si on se parlait cela pourrait aller mieux. J'ai manqué hier le duc de Noailles. Je le regrette. Je suis inquiète de Montebello. Il n’est pas venu me voir, & je vois qu'il n'a pas été à la commission. Le voici qui m’a interrompue. Sa femme avait été mal. Elle va mieux j’ai dormi. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie, Jeudi 18 Sept. 1851

Voilà vos deux lettres. Celle d’hier me convient, puisque vous avez dormi. Ne vous couchez-vous pas trop régulièrement à une heure trop constamment la même ? Peut-être feriez-vous bien de ne vous coucher que lorsque vous avez envie de dormir, tôt ou tard selon que l’envie de dormir vous vient. L’irrégularité est difficile à pratiquer systématiquement. Pourtant vous êtes bien maîtresse de votre temps et de vous-même. Le pire, c'est d'être dans son lit sans envie de dormir ; elle ne vient pas là ; il faut l’y porter.
J'espère que votre lettre à l'Impératrice fera l'affaire de votre fils Alexandre. Mais je persiste ; un état de choses où il faut faire mouvoir tant de ressorts et avec tant d’incertitude, pour avoir un passeport n'est pas de mon goût. J'aime mieux plus d’orages, et être libre d’aller et venir comme il me plaît, quelque temps qu’il fasse. Autre dissidence entre nous. Quand j'étais jeune, je faisais comme vous faites ; je méprisais beaucoup, et j'exprimais très haut mes mépris. Aujourd’hui non seulement je méprise moins haut, mais je suis moins prompt et moins dur dans mes mépris. Si je m'y laissais aller, ils iraient trop loin.
Je serais étonné si le Prince de Metternich était de votre avis sur l'article des Débats malgré le fracas assez ridicule qu’on y a fait de ses courriers et de son regain de crédit. Montebello aura parfaitement raison d'aller à Claremont avant le 4 novembre, et d’y dire ce qu’il y veut dire. Il a l’esprit aussi droit et aussi courageux que le cœur. On paye cela assez cher ; mais en définitive, cela vaut plus que cela ne coûte.
Je trouve qu'on meurt bien vite dans ce moment-ci. Un de mes amis du Calvados, membre éclairé et influent du conseil général vient de mourir subitement d’un anévrisme. Le Duc de Noailles fait vraiment une perte. Est-il capable de beaucoup d'affection et de chagrin ? Je lui écrirai un mot de condoléance.
La vie se passe ici fort tranquillement, et on me sait évidemment beaucoup de gré du mouvement que j'y apporte. Ils sont à merveille entre eux mais peu animés et peu expansifs. Le château a été plein hier de visiteurs. Aujourd’hui grande chasse dans la forêt pour les jeunes gens. Ils sont montés à cheval sous mes fenêtres à six heures et demie, pour aller courir un chevreuil.
La jeune Princesse de Broglie est très fatiguée de sa grossesse, maigrie et abattue. Désirant bien vivement une fille. Elle a trois petits garçons qu'elle élève bien. Aussi bonne de caractère que d’air. M. et Mme d’Haussonville viendront ici au mois d'octobre.
Le Duc de Broglie est comme vous sinon en principe, du moins en résultat. Vous êtes très président ; il est, lui, très résigné au Président, ne voyant ni mieux, ni aussi bien, ni autre chose. Tout le reste est intrigue et aventure. En attendant un grand événement, s’il est jamais possible, il ne faut avoir que des événements naturels et tranquilles. Je ne suis pas pressé que Lopez soit tué.
Autant vaudrait qu'on fût assez, et assez longtemps inquiet de cette affaire de Cuba pour qu'on en parlât un peu sérieusement et de concert, aux Etats-Unis. Adieu, Adieu. Dormez donc.... Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 16 septembre 1851 Mardi

Depuis minuit je n'ai pas dormi. Voilà une belle nuit ! Je suis accablée. Comment pouvez-vous penser que Metternich soit aise de l’article du [Journal] des Débats. Si quelque chose pouvait l’empêcher d’aller à Vienne ce serait cet article. C'est un bien mauvais service qu’on lui a rendu là. Il l’aura lu en route. C'est avant hier qu'il a dû quitter le Johannisberg.
Le duc de Noailles est venu hier chez moi tout éploré. Il se rendait à Mouchy de Maintenon où la nouvelle de la mort de la Vicomtesse est venue le trouver hier matin. Elle était morte subitement dans la nuit. C'est encore une perte. pour le parti, & un peu pour le monde. Montebello avait eu le matin par un voyageur des nouvelles curieuses de Claremont. Le prince de Joinville disant que si des troubles survenaient en France il répondait au Constitutionnel en allant en Bretagne planter son drapeau c.a. d. celui de Henry V. La Bretagne étant la province la plus légitimiste de France. Il dit encore qu'on se moque de lui ou qu'on l’offense quand on suppose qu'il puisse jamais accepter d'être président. Ceci vient d’excellente source. On se le redit avec précaution. Le Times effraie tout le monde. Qu’est-ce que c'est que vos Princes ? Je les tiens en grand mépris.
Je n’ai rien à vous dire. La journée s'est passée hier très bien. On avait cru à quelque chose. Le président a été très bien reçu partout. Adieu. Adieu. Voilà encore de l’Indépendance

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 13 septembre 1851

Le duc de Noailles est venu hier matin. Il ressemble parfaitement au duc de Broglie. “c'en est fait de la France. Nous périssons, seulement j’aime mieux périr avec le Président qu’avec le prince de Join ville " Voilà toute sa politique. On fait venir M. de Falloux. C'est l'homme utile & convenable si l’on peut faire quelque chose. Mais rien ne pourra être fait que lorsqu'on aura vraiment peur. Peur à l’Elysée, puis dans le camps légitimiste. Ce moment sera la proposition Creton. Si elle passe, ou alors les légitimistes se déclarent. Berryer passe à l’Elysée & dira pourquoi. Mais il faut que l’Elysée prenne en retour des engagements. Si la proposition est rejetée ou écartée, on restera comme on est. Des bruits de coup d’état ont circulé dans la journée. Cela vient de quelques déplacements de régiments. Mad. Royer qui est venue voir Marion était toute pleine de cela.
Le soir Dumon, Kisseleff, Antonini, Mercier. Rien de neuf. Marion me quitte aujourd’hui pour huit jours. D'abord chez les Royer & puis à Ferrières. J'ai un peu dormi cette nuit, mais cela ne va pas encore. Adieu. Adieu. C’est drôle, Barante.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Samedi 13 sept 1851

Je désire que le Président soit dans la disposition dans laquelle Hübner croit l'avoir vu. C'est, je pense, la meilleure, pour lui comme pour nous. Malgré l'éloquence de Barante, la candidature du Prince de Joinville ne me semble pas en progrès ; elle ne supporte pas d’être longtemps sur la scène. Je persiste à ne pas comprendre pourquoi on l’y a mise sitôt. Le calcul est bien faux ou l’étourderie bien grande. La colère de ses partisans est la meilleure preuve que j’ai frappé juste et à propos.
Merci des articles de l'Indépendance belge. Tout cela, c’est toujours du Thiers. Il a à lui le [Rogier], aussi bien que le [Rogier] et presque toutes ces correspondances, sont faites sous ses yeux et par son souffle. Le leading article, je crois, aussi bien que les correspondances. C'est de la politique du Rogier de Bruxelles, ministérielle plutôt que royale. Le Roi Léopold n'est jamais, si agressif, même quand au fond, il est décidé. Et je doute qu’il soit décidé. Nous verrons. Tout cela fait une grosse affaire. J’y ai pris la seule attitude qui me convienne. Advienne que pourra. Il y a un avantage à devenir vieux ; on tient plus à avoir raison et moins à réussir quoiqu'on aie moins de temps, pour attendre le succès.
Malgre les menaces de Changarnier, je ne crois guère à des luttes violentes au mois de mai. Si le vent souffle dans les voiles du président, les résistances annoncées seront balayées, avant de commencer, si le vent ne souffle pas, il y aura embarras pour tout le monde, mais non pas lutte déclarée. Voilà mes pronostics. Nous avons le temps d'y regarder et d'y penser.
Profitez-vous de cet admirable temps pour vous promener, et comment vous en trouvez-vous ? Le soleil ne nous quitte pas depuis huit jours, et la verdure est encore très fraîche. Mais l’air aussi est frais presque déjà froid. Je crois que ma fille aînée, son mari et son enfant iront passer l'hiver dans le midi probablement à Hyères. Leur médecin, le leur recommande fort, pour la santé, et de la petite fille qui est toujours délicate, et du père qui souffre d’une névralgie dans la tête, pour laquelle on dit que la chaleur est nécessaire. Mon autre ménage se porte à merveille.
C'est en effet une perte que la Duchesse de Maillé. Elle était très fusionniste avec le cœur franc, le verbe haut et une bonne maison, ou beaucoup de gens avaient coutume d'aller. Quand je verrai Mad. de Boigne, je lui dirai que sa belle soeur Mad d'Osmond devrait prendre la place de Mad de Maillé. Elle a toutes les conditions extérieures qui conviennent pour cela. Je ne sais si personnellement, elle y est très propre. J'en doute, quoiqu’elle ait de l’esprit. Si je ne me trompe, elle est fusionniste aussi.

11 heures
Votre mosaïque est très utile. C’est un miroir. Il faut savoir tout ce qui se dit même quand on n'en doit pas tenir compte. Mais écrivez-moi donc que vos nuits sont meilleures. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 9 Sept.1851

Je ne crois pas aux élections si prochaines qu'on vous l'a dit. Elles ne se feront certainement pas avant le mois de Janvier, car la seconde discussion sur la révision ne sera finie qu’en décembre ; et quand Janvier sera venu, on trouvera que le cœur de l’hiver ne convient pas pour faire voyager les électeurs. On attendra probablement jusqu'au mars sans inconvénient, ce me semble, tout ce qui importe, c’est que les deux élections ne soient pas simultanées, et que celle de l’assemblée précède l'autre.
J’ai eu hier la visite d’un des hommes les plus influents et les mieux informés de ce pays-ci. Il trouve que le progrès des idées et des sentiments sains est réel dans les masses, et que pour ces départements du moins il y a plus à espérer qu'à s'inquiéter de l'avenir. Il ajoute que pas un de ceux qui ont voté contre la révision ne sera réélu. Certainement la candidature du Prince de Joinville, qui n’avait pas fait grande fortune dans ce pays-ci, y est, quant à présent, en grand déclin.
Le Roi de Naples a raison de ne pas laisser tomber dans l'eau l’attaque brutale de Lord Palmerston, son annonce d'une réfutation officielle des Lettres de Gladstone n'est pas mal tournée, quoique trop longue et trop [ennuiellée] envers Palmerston lui-même. Trois résultats sortiront de cette affaire ; le Roi de Naples après s'être défendu, prendra quelques mesures, plus ou moins publiques et plus ou moins efficaces, pour que ses prisons et ses procès n'excitent plus de telles clameurs. Palmerston se sera mis de plus en plus dans les bonnes grâces des libéraux Italiens ; et Gladstone, en atteignant un peu son but philanthropique, aura fait grand tort à sa réputation de conduite et de bon sens. C'est l'honnête homme qui paiera les frais du service qu’il aura rendu. Par sa faute j'en conviens. J'ai commencé hier à lui écrire, et à Aberdeen aussi.
Je m'étonne que vous n'ayez pas revu Morny. On le dit bien préoccupé de ses propres affaires. Voilà le mouvement des Conseils Généraux complètement terminé. Il a dépassé l’attente des amis les plus sanguins de la révision. J’avais parié pour 70 consuls qui la voteraient ; il y en a 80.. Cela me touche surtout comme preuve de l'accord qui s'est maintenu entre les deux camps conservateurs. Je ne me préoccupe sérieusement que de cela. C'est cela qui fera le reste, puisque les Princes ne veulent pas le faire eux-mêmes.

10 heures
Adieu, Adieu. Vous ne me donnez rien à ajouter et je n'ai rien d'ailleurs. Je n'ai pas encore là mes journaux. J’ai plusieurs lettres à fermer. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 9 Septembre 1851 Mardi

Thiers est revenu en très belle humeur, il dit que le pays est bien plus démocratique qu’il ne l’avait cru, mais qu'il s'accommoderait très bien de la forme monarchique recouvrant le socialisme. Il va à Londres. Voilà ce qui m’a été dit hier de source à ce qu’il me paraît. Changarnier est bien animé. Plein de professions de dévouement à la bonne cause. Il met toute la gloire à la servir, mais il ne peut pas affecter cela sans compromettre son élection à la présidence sur laquelle il compte, à quoi il travaille, & qui servira au moins à diviser les voix. On veut lui imposer un certain engagement, obtenir quelque garantie, il est prêt à la donner, il faut inventer, chercher. L'Elysée semble disposé à se rapprocher de Molé, on dit même de Changarnier ; je vous redis ce qu'on me dit et tout cela est encore à l’état de symptômes. Je n’ai pas vu Changarnier. J’ai vu hier Mad. Decazes. Elle est convaincu que Joinville sera élu. Elle dit : " Pourquoi pas ? Ceci vaut mieux que 1830. On ne chasse personne. " On fait aujourd’hui l'opération de la peine au Duc Decazes. Il en a fort peur. Lord Granville est ici. Il est venu me voir hier. Spirituel & doux, & ne m’apprenant rien de nouveau.
Je ne me sens toujours pas bien. Pas de sommeil et très nervous. Adieu. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Dimanche le 7 Septembre 1851

Plus j’y pense, plus je suis contente de ce que vous avez fait à Claremont. Comme cela a éclairé la situation ! & puisque vos princes sont de si pauvres gens, tant mieux que cela soit proclamé. Quelle mauvaise race et comme la bonne aura toujours raison de se défier d'eux.
Carlier a dit hier à [Kisseleff] qu'on a saisi surtout des papiers importants. L’affaire n’ira pas devant le jury. Elle sera jugée plus sommairement. La grande chose à présent c’est les élections. On les veut très prochaines. A la question si cela serait encore cette année, il y a eu doute à cause de mouvement de [communes] du nouvel an, mais certainement cela sera au mois de janvier. J’ai vu hier Hatzfeld, Dumon & Kisseleff. J’avais fermé ma porte aux autres. J’étais trop fatiguée. Hatzfeld est d’opinion que les arrestations sont un prélude. Le public ne s’est pas ému le moins du monde. On peut aller de l’avant & de degrés en degrés faire un coup d'Etat qui n’a pas l’inconvénient d’un coup de tonnerre. Je crois qu’on serait fâché à l’Elysée de voir la candidature Joinville tout à fait morte, car elle sert à effrayer les légitimistes et à les rapprocher de l'Elysée. Quant à nous autres nous sommes très décidément pour le Président. Il n'y a pas mieux, il n’y a pas si bien, il n'y a même personne.
Je n'ai plus entendu parler de Morny. La Redorte est parti depuis plusieurs jours. Je n'ai pas encore fait savoir à Changarnier mon retour. Je le ferai demain. Je vous ai dit qu'il va aujourd’hui à Champlatreux avec Montebello. Molé m'écrit pour me presser beaucoup d'aller le voir. J’irai dans la semaine mais pour quelques heures seulement. Comme vous dites bien sur Lamartine ! J'ai un peu dormi cette nuit, pas beaucoup. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Samedi le 6 septembre 1851

J’ai vu assez de monde hier soir, et un moment Dumon & Vitet seuls. Nous avons parlé de la lettre dans le Times. Ils sont d’avis de regretter les détails de la mise en scène. Il y a peu de convenance à ce récit pris par le menu. Cela m’avait frappée aussi. Je vous crois brouillée avec Claremont dès cette lettre car il est clair que c’est dans vos conversations qu'on aura recueilli tout cela. L'effet est excellent pour la chose essentielle est peut être un peu dommageable pour vous. Je suis étonnée qu’aucun journal ennemi ne relève cela encore. Je ne vois pas ce qu'il y a à faire. Il faut laisser passer.
On rit beaucoup du journal des Débats d’hier. Le Constitutionnel en tire bon parti ce matin. Léon Faucher a dit hier. Les arrestations sont très nombreuses, & les papiers sont trés importants. A quelqu’un qui lui demandait si l’on avait arrêté quelques représentants, il a répondu, pas encore.
Hubner reconnaît parmi les personnes saisies le plus mauvais des assassins du [général] Latour. Je n’ai pas vu Montebello hier. Sa femme allait moins bien. Moi je me plains aussi. Deux nuits sans sommeil. Je ne saurais comprendre cela. Votre petit ami est venu tout à l'heure. Nous avons parlé de ce qui fait le sujet du commencement de cette lettre. Il n'est pas de mon opinion, & il m'y a fait renoncer facilement. Il y avait tant de monde dans ce salon qu’il n’est pas nécessaire de vous attribuer le récit. En attendant cette lettre du Times fait un bruit énorme. Hubner croit qu’elle retentira bien fortement dans toute l’Europe. Quel abaissement pour les Princes ! Je crois la candidature ruinée par là, ce serait une bien bonne affaire. Je ne sais rien de nouveau à vous dire. Thiers est attendu aujourd’hui. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 3 septembre 1851

J’ai vu hier encore La Redorte, convaincu qu’il n’y aura pas de coup d'État. Il cause souvent avec le Président. Il le trouve perplexe, incertain. Le langage officiel est la pleine confiance. Montebello s’est rencontré chez moi avec La Redorte, il a dit que la seule conduite, bonne efficace était de se rapprocher des hommes conservateurs de s’aboucher avec eux. De convenir de ses faits chacun de son côté. Des promesses de Gentleman. & le Président peut jouer un rôle bien utile, bien grand. La Redorte a assenti, mais il dit que cela ne se traite ni ne s’entame même par intermédiaire. Pour son compte, il s’est refusé à rien dire. Le soir j’ai vu tous les diplomates. Hatzfeld, Kisseleff, Antonini, Hubner, revenu de la veille. Berryer revenu hier matin & repartant aujourd’hui. Il avait passé deux jours chez le duc de Lévis. Il croit qu’il ira pour quelques jours à Frohsdorff bientôt peut-être, il veut voir le comte de Chambord avant la réunion de l’Assemblée.
Le journal des Débats de hier fait beaucoup de bruit. On le trouve habile mais enfin il est Joinvilliste et il admet qu'il pourrait même être Président. Ceci ne s’accorde guère avec ce que vous me dites ce matin. Montebello a causé longtemps hier avec Changarnier. Celui-ci persiste à vouloir être porté. Il croit à son temps et tout au moins à la division des forces entre le président et Joinville. & si lui Changarnier obtenait relativement assez de vous pour être dans les cinq, et bien l’Assemblée le nomme. Il se fait dans ce moment ardent fusionniste plus qu’il ne l'a jamais été !
Voilà ! Je crois que je vais mieux hier soir ne m’a pas trop fatiguée quoiqu'on m’ait retenu jusqu'à 10 1/2. J'ai une lettre de 8 pages de Lord Aberdeen, pleine de pauvres raisons, je vous l'enverrai ou la copie. Je l’ai donnée à Antonini. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Bibérich le 24 août 1851

J’ai passé ma journée hier au Johannisberg. Je suis venu coucher ici. Je m'embarque dans une heure. Je suis vraiment malade. Vous le verrez, car je suis maigre & changée, & jaune. Je crois que je serai à Paris le 27.
Je hasarde de vous adresser cette lettre à Grillon. Je trouve trop absurde d'écrire au Val Richer. Vous avez mal managed cela, si vous teniez à avoir une lettre. Ce n’est que hier que j'ai eu la vôtre du 17. Constantin me conduit à Cologne. Il fait bien chaud.Adieu, Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Schlangenbad le 19 août 1851 Mardi

La nouvelle de cet empire est la visite faite hier par le roi de Prusse au Johannisberg. Il s’y est arrêté une demi heure en se rendant de Stolzenfels à Mayence. Je suis charmée que le Prince Metternich ait eu cette petite satisfaction mais voilà le roi aussi compromis que possible vis-à-vis des libéraux. La journée a été bien froide & pluvieuse, je n’ai pu sortir qu’en voiture fermée.
Montebello me mande les couches de sa femme & ses inquiétudes. Vous ne m'en avez rien dit. Peut-être au reste cela s'est-il passé depuis votre départ de Paris. Il a l'air bien tracassé de la santé de sa femme. Le 20. Mauvaise nuit, ma tête, mon estomac, ma langue tout va mal. Triste, voyage.
Ce sera curieux de revoir en son temps les acteurs revenir à Paris, & Changarnier sur tout. Que de pitoyables. manœuvres. Quelle pauvre figure he cults. Je reviens à Aberdeen. Il faut absolument que vous lui fassiez sentir la lourde faute qu'il a commise en permettant à M. Gladstone de lui adresser de pareilles diatribes. C’est vraiment honteux. Il devrait faire quelque chose pour se relever de là. Mais Je me rabache. Adieu. Adieu.
La duchesse de Hamilton femme douce & sensée, connaît beaucoup le Président. Elle parle de lui très bien elle vante son esprit, son bon sens, son bon cœur, bon gout. Elle dit tout cela très simplement. Adieu encore adieu. Je vous écrirai encore demain à Paris. Donnez ordre là où vous envoyer ma lettre. à Londres.
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