Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 27 Juillet 1851

Nous ne pouvons pas sortir des orages. J’ai eu beau temps tant que j’ai été seul. nous nous entendons très bien le soleil et moi. Je le trouve très bonne compagnie. Quand je me promène en pleine liberté, et sous des flots de lumière, j'oublie la solitude. Pas toute la solitude. Si je vais à Trouville, ce ne sera que pour me promener. Je n'y coucherai pas. Mais pour peu que j’y aille et que je passe quelques heures, j’irai chercher le Prince George, et je serai aimable pour lui, puisque vous le désirez. J’ai eu ces jours-ci une lettre du chancelier. Toujours aussi sensé et aussi jeune.
Il y a du monde à Trouville, mais peu de gens de connaissance. J’y ai deux nièces, l’une jolie, l'autre pas, l’une spirituelle, l’autre pas, les dons sont partagés. Elles vont venir passer ici deux ou trois jours.
Narvaez a très bien fait de rendre refus pour refus. Palmerston ne sait être ni gracieux ni fier. Un homme de mes amis, que j’avais fait entrer aux Affaires Etrangères, et qui en est sorti avec moi, M de Lavergne (son nom ne vous est pas inconnu) va passer quelque temps en Angleterre. C’est un grand agriculteur, très curieux de voir des agriculteurs anglais et écossais. Je le recommanderai à quelques personnes. Il est bon à connaître, si vous avez Ellice sous la main, faites-moi la grâce de lui dire que M. de Lavergne lui portera probablement une lettre de moi.
Quand Ellice, sera-t-il de retour en Ecosse ? Vous avez raison de regretter d’Haubersaert. Il n'y a pas un plus galant homme, ni plus sensé malgré son langage excessif. Il se plaît à choquer. Cela le fait détester de beaucoup de gens. Puisque vous parlez d'éclipse, il ne faut que de bien petits défauts pour éclipser de bien grandes qualités. N’ayez donc pas peur de l'éclipse. Le monde physique restera dans l’ordre jusqu'au jour où il finira ; et ce jour-là, ce n’est pas du monde physique qu’il conviendra d'avoir peur. Ceci soit dit sans vouloir vous faire peur de l'autre. Je trouve naturel que vous vous inquiétez de ce reçu de [Couth]. Vous le retrouverez. Vous êtes trop soigneuse pour l'avoir perdu. Vous l'aurez trop bien soigné. Vous avez moins de mémoire que d’ordre. Et puis, mention de vos actions et du reçu qu’il vous en avait donné, existe sûrement dans les livres de Couth. Il vous donnera un nouveau reçu si vous ne retrouvez pas le premier.
Voici mes seules nouvelles de Paris. " Il me semble que la démolition du Président suit son cours et qu’elle a fait de grands progrès depuis quelque temps. A Paris, l’opinion commence à se déclarer ouvertement contre lui. Ce dernier fantôme d'autorité s'en va, sans qu’il y ait rien, bien entendu, de prêt ni de possible à mettre à la place. Pour le moment tout le monde désarme ; la prochaine prorogation se fait déjà sentir. Mais tout le monde dit qu’au retour de l'assemblée, la guerre s’engagera très vivement. Nous aurons eu dans l’intervalle la campagne des Conseils Généraux où la lutte va recommencer sous une autre forme. "
Adieu, adieu. Je suis charmé que vous ayez eu un dîner bon et gai. Vous êtes sensible aux deux plaisirs. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems Dimanche le 27 juillet 1851

Une nuit blanche. Les nerfs de la tête agacés, courbatures générales, un feu de fièvre hier. Voilà les bénéfices de la lettre de [Coutte]. C'est bien ignoble d'être agitée & malade comme cela pour une question d'argent. I cannot help it. 10 000 £ de moins dans ma fortune je ne m'y accoutume pas. Ellice écrit à [Coutte] pour expliquer. J'affirme que le dépôt est chez lui, c’est ainsi sûr qu'il est sûr que je suis à Ems. Je l'ai remis cacheté, signé chez lui. Il m’en a donné reçu, ce reçu est mentionné dans mon testament. C'est sûr, parfaitement sûr. Sa réponse est laconique : il m’a rendu ce paquet avec tous les autres titres. Je dis que j’ai repris tous les autres titres moins celui-là. Et ma raison était simple. Un très gros paquet, inutile jusqu’en1858, et moi rentrant dans un pays de révolution. Enfin, je vous ennuie, j’ennuie tout le monde, et je suis honteuse. Si l’affaire ne s'éclaircit pas. (ce à quoi je ne vois pas de chance depuis la lettre de Coutts) je déclare que j’ai été volée dans la première maison d'Angleterre. Comment ai-je pu égarer le reçu ? C'est là où ma raison est en défaut. Moi si exacte, soigneuse de mes affaires.
La soirée s’est bien ressentie du départ de Marion, & de Duchâtel & de mes soucis. Nous proclamons tous Duchâtel le plus agréable homme du monde. Si gai, si en train, toujours en bonne humeur, & tant d'esprit tout prêt & tout naturel. Je le crois bien parfaitement égoïste, qu'est-ce que cela me fait ? Je ne suis pas de votre avis sur la fête à l’hôtel de ville. Comment voulez-vous qu'on reconnaisse autrement les politesses faites à vos commissaires industriels & & en Angleterre ? Et vos fêtes à vous sont cossues, magnifiques, et bien supérieures à celles d'Angleterre. Non, M. Berryer a raison. Je saurai à Francfort sans doute des nouvelles des affaires d'Allemagne. Ici je n’ai aucun moyen d’être bien renseignée.
J'ai une petite nièce ici bien gentille et jolie, une Princesse de Lieven mi ditto. Son mari a l'air bourru. Elle dit qu’il la fait rire, & elle l'aime beaucoup. 28 ans de plus qu’elle. Midi dans ce moment une nouvelle lettre de Coutte, m’informant qu’il a en sa possession mes titres. Ouf ! Mais voilà un banquier bien léger. Adieu. Adieu

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Schlangenbad Dimanche 3 août 1851

Le temps est superbe, mais ma tête ne va pas bien. C’est long. Voilà huit ou dix jours que je suis comme cela. Savez-vous que c'est cette maudite question d’argent qui m'a mis dans cet état. Cette fameuse lettre de [Coutte]. niant le dépôt m’a été remise au moment où je sortais de mon bain. L'émotion a été grande. Très honteuse je le répète ; mais que faire. Je ne suis pas sublime. Au reste Ellice m'envoie une lettre de [Coutte] bien humble. Mauvaise affaire pour lui, mais sa tête ne lui fait pas mal comme la mienne. La poste n’arrive ici que dans l’après-midi à 4 heures je crois, et quel retard dans ces montagnes. Le facteur vient à pied.
Il y a ici un Ministre du Roi de Prusse M. de Westphalen. Je crois ministre de l’intérieur. Je ferais bien quelqu’avance mais je crois me souvenir qu'il a été question de lui tout dernière ment dans une complication ministérielle, et je ne veux pas me bruler les doigts. Le roi de Prusse sera à Stolzenfels le 16. Je n’espère ici personne, absolument. Cela me serait peut-être égal si je me portais bien.

Lundi 4 août. Un seul mot car je me lève tard j’ai pris médecin, je suis assez misérable. Hier Marion m’est revenue de bonne heure, elle était escorté de Richard Metternich & son cousin, radieuse, heureuse, adorée au Johannisberg, surtout pas le vieux prince. Il vit là une grande gloire. Toutes les puissances se courbent devant lui. Je suis bien aise qu'il ait ces jouissances-là. Adieu, adieu.
Vos lettres seront ma seule société ici. Adieu

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Schlangenbad le 4 août lundi 1851

Marion est toute éprise du Pce Metternich (à propos et pour ne pas l'oublier il est dans une grande admiration de votre lettre insérée au Journal des Débats & Ass. nationale) Elle a écouté tous ses récits, tous ses raisonnements avec curiosité, intérêt, & esprit. Elle fait sur tout cela de réflexions pleines de justesse. Il me paraît que lui a été très frappé de son mérite à elle. Ils étaient ensemble tout le jour. Se promenant en tête à tête. On allait se coucher, elle restait seule avec un vieux professeur à l'écouter, & discuter avec lui. On adore Marion là. D’abord elle a été revue en reine. Le fils & la fille sur la rive opposée du Rhin à Bingen. La Princesse Metternich sur le rivage au pied du château. Le Prince sur le péron, et des Ambassades ! La Princesse l'a reconduite jusqu’à moitié chemin de ceci. Elle veut venir me voir, & et espérant que j’irai passer quelques jours chez eux. Mais je ne sais pas si bien écouter que Marion. Certainement cette fille a l’esprit mieux fait & plus solide que le mien. Elle cherche et trouve le mérite dans les profondeurs du rabâchage. Je n’aime pas à prendre tant de peine.

Mardi 5. Pas de lettres hier ! Est-ce que ma combinaison Francfort serait mauvaise ? C’est-ce que je vais apprendre aujourd’hui en attendant cela me contrarie vivement. Cela et mon mal de tête qui continue. Rien n'y fait. Mauvaise année. Le temps est charmant, le lieu aussi. Marion aussi. Mais ma tête, j’en perds la tête. Je n’ai pas un correspondant à Paris, il n’y a que vous qui me donniez des nouvelles. La commission de permanence me semble bonne. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Francfort Dimanche 10 août 1851

Avant de quitter Schlangenbad. J’ai reçu votre lettre du 5, et ce matin ici, celle du 6. Voilà qui est bien, mais les perdues restent perdues. Je suis arrivée ici à 8 h. La grande Duchesse un quart d’heure après moi, et une minutes après j’étais dans ses bras, car c’est ainsi qu'elle m’a reçue. Aussi tendre, plus tendre qu'il y a 16 ans à Pétersbourg. J’ai eu un grand grand plaisir à la voir & la contempler. Elle est charmante. Une heure de conversation intime, toutes choses. Je n’ai retrouvé mon lit qu'à dix et demie. Ce qui est hors de mes habitudes. J'ai dormi un peu. Je passe la journée ici. Demain, je ne sais pas. Ma tête va toujours mal.
Brunnow a été appellé en toute hâte à Petersbourg. On me mande cela de Londres. Il est radieux. J’ignore tout-à-fait pourquoi on l’a fait venir. Mon ministre ici le Prince Gortchakoff qui a été huit ans secrétaire chez mon mari à Londres est un homme d'esprit et fort au courant. Il est content de l’Allemagne, les deux grandes puissances laissent de côté les questions politiques & ne songent dans ce moment qu'à la question sociale. Premier intérêt pour tous, & sur cela on s’entend à merveille, & on agit avec une merveilleuse activité. Je suis interrompue par des visites, & de peur d'accident je fermerai ma lettre. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Francfort lundi le 11 août 1851

Je reste ici encore tout le jour la grande Duchesse me le demande. Hier soir elle est venue prendre son thé chez moi, elle m’a trouvée en tête-à-tête avec le Prince de Prusse qui venait d’arriver & qui est réparti ce matin pour Cologne à la rencontre du Roi. La conversation devenait intéressante. Il me racontait la duchesse d’Orléans qu'il a beaucoup vue à Londres. J'ai regretté de n’avoir pas pu reprendre sérieusement ce sujet. La grande duchesse est vive, animée. Nous somme restés à 3 à nous amuser & rire. Elle est vraiment charmante. Elle plairait bien à mon salon. Elle est allé dîner à Biberich aujourd’hui. Nous passerons la soirée ensemble, & demain nous partons en même temps elle pour Bade, moi pour Schlangenbad.
Je suis un peu fatiguée et la tête va toujours mal. Le Prince Gortchakoff a bien de l’esprit. Il passe son temps chez moi & m'apprend bien des choses. Comme il a envie de Paris ! Qui n’en a pas envie ? Vos lettres m’arrivent ici bien régulièrement à mon réveil. Je serai curieuse de celles que vous m'écrirez de Paris. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Schlangenbad le 14 août 1851 jeudi

Je viens d'écrire une lettre à L. Aberdeen qui ne lui plaira pas, car je lui dis de bonnes vérités sur sa faiblesse d'avoir permis à Gladstone de lui adresser ces détestables lettres. Vous voyez la joie de L. Palmerston. 8 heures. Voici un mot de vous de Paris, lundi, mais si petit, si court, trop court. J’espère que vous vous serez donné de meilleures proportions le lendemain. Je rentre d'une longue promenade avec la duchesse de Hamilton, personne très digne, très convenable, parlant le Français à merveille, et voilà tout. Les journaux m'apprennent que vous & la Marseillaise avez été très honorés à la distribution des prix. Quel singulier accouplement ! Je suis charmé des succès de Guillaume.

Vendredi 15. Je relis votre billet. Vous trouvez les choses en meillleur train que vous ne croyez. Je suis interrompue par l’arrivée de vos deux lettres perdues 31 & 2. Elles avaient été envoyées à une Princesse de Lieven. Ma nièce à Kreuznach. L'une, elle l’a ouverte. C'est bien égal, c’est une brave femme qui n'y aura pas compris un mot. Je suis ravie d’avoir retrouvé mon bien.
Je me repose ici de Francfort, les deux jours que j’y ai passés m'a vaient vraiment fatiguée, déjà l’idée que je ne m’appartenais pas, que je faisais un peu la volonté d'une autre. Cette idée me chiffonnait. Vous comprenez cela pour moi ? Adieu. Adieu.
Je crois que Constantin sera ici demain ou après- demain. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Schlangenbad le 19 août 1851 Mardi

La nouvelle de cet empire est la visite faite hier par le roi de Prusse au Johannisberg. Il s’y est arrêté une demi heure en se rendant de Stolzenfels à Mayence. Je suis charmée que le Prince Metternich ait eu cette petite satisfaction mais voilà le roi aussi compromis que possible vis-à-vis des libéraux. La journée a été bien froide & pluvieuse, je n’ai pu sortir qu’en voiture fermée.
Montebello me mande les couches de sa femme & ses inquiétudes. Vous ne m'en avez rien dit. Peut-être au reste cela s'est-il passé depuis votre départ de Paris. Il a l'air bien tracassé de la santé de sa femme. Le 20. Mauvaise nuit, ma tête, mon estomac, ma langue tout va mal. Triste, voyage.
Ce sera curieux de revoir en son temps les acteurs revenir à Paris, & Changarnier sur tout. Que de pitoyables. manœuvres. Quelle pauvre figure he cults. Je reviens à Aberdeen. Il faut absolument que vous lui fassiez sentir la lourde faute qu'il a commise en permettant à M. Gladstone de lui adresser de pareilles diatribes. C’est vraiment honteux. Il devrait faire quelque chose pour se relever de là. Mais Je me rabache. Adieu. Adieu.
La duchesse de Hamilton femme douce & sensée, connaît beaucoup le Président. Elle parle de lui très bien elle vante son esprit, son bon sens, son bon cœur, bon gout. Elle dit tout cela très simplement. Adieu encore adieu. Je vous écrirai encore demain à Paris. Donnez ordre là où vous envoyer ma lettre. à Londres.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 11 septembre 1851 Jeudi

Je réponds à vos questions. Pas un de mes diplomates n'a encore vu Thiers, Marion seule l’a vu. Elle l'a trouvé engraissé de très bonne humeur. Ses femmes disent qu’elles veulent aller en Écosse. Lui a dit à Marion, qu’il ne s’en souciait pas, & il a joute, je ne veux pas que le Times raconte mes conversations. La vraisemblance est qu'il n’ira pas. Quant à Berryer je l’ai vu hier soir. Il arrivait de la campagne pour avoir aujourd’hui à midi une réunion avec ses ami Noailles & &. Après quoi il s’en retourne de suite à la campagne. Il doute de son voyage à Frohsdorf. Je crois qu’il ne le fera pas.
J'avais hier soir tous mes diplomates & Vieil Castel. Hubner avait eu la veille une audience d'une heure & demie chez le Président. Il en est sorti charmé. Il l’a trouvé plein de sens, & de convenance & d'esprit. Son impression est qu'il est en pleine confiance et sans aucun projet de coup d’état. Il a parlé de Joinville et ne croit pas à ses chances. Il faut l’une ou l’autre condition être légitime ou souverainement populaire. (C'est une autre expression dont il s’est servi, mais à peu près cela) il n’a pour lui ni l’un ni l’autre. Je retourne à Changarnier. Il s’est moqué selon sa coutume à peu près de tout le monde seulement en parlant de Molé il a dit, il ne faut pas que j'ai [?] car dans ce moment il est bien pour moi. Vous ai-je dit que je lui ai raconté la duchesse d'Orléans, se moquant des dîners fusionnistes, & disant Changarnier m’appartient ? Cela l’a piqué un peu et il m'a assez longuement raconté, qu’il ne devait rien aux Orléans.
Hatzfeld le matin. Il est malade et ne sort pas le soir. Il trouve insensé que je veuille me renouveler. Il croit à un hiver très agité mais tranquille dans la rue. Mais vers le premier de Mai si rien n’est décidé, il enverra sa femme en Angleterre, & il me conseille d’y aller alors. Croyez-vous cela vrai ? Voici mon affaire je crois. J’ai envie d’être propre, il n’y a pas assez de péril pour me refuser ce plaisir. Si je n’en avais pas envie, j’ai les meilleures raisons pour ajourner après la crise. Voyons décidez.
Vous aurez soin de me dire comment on adresse des lettres à Broglie. La Duchesse de Maillé est morte hier matin. On dit que c'est une perte. Elle était un centre, et une personne très utile. Montebello va s’établir demain avec sa femme à Beauséjour. Je suis très contente de votre lettre à Gladstone. Soyez tranquille, je n'en abuserai pas. Vous avez encore. été bien modéré. L’article dans l’Indépendance contre vous a fait de l’effet, ce n’est pas dans la correspondance de Paris mais le Leading article. Cela a l'air de venir de la cour. Je vous l’envoie pour le cas où vous ne l’ayez pas. et voici qui je découpe aussi une lettre de Paris sur ce même sujet qui est bien faite / & que je lis à l’instant. Adieu. Adieu

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie, Jeudi 18 Sept. 1851

Voilà vos deux lettres. Celle d’hier me convient, puisque vous avez dormi. Ne vous couchez-vous pas trop régulièrement à une heure trop constamment la même ? Peut-être feriez-vous bien de ne vous coucher que lorsque vous avez envie de dormir, tôt ou tard selon que l’envie de dormir vous vient. L’irrégularité est difficile à pratiquer systématiquement. Pourtant vous êtes bien maîtresse de votre temps et de vous-même. Le pire, c'est d'être dans son lit sans envie de dormir ; elle ne vient pas là ; il faut l’y porter.
J'espère que votre lettre à l'Impératrice fera l'affaire de votre fils Alexandre. Mais je persiste ; un état de choses où il faut faire mouvoir tant de ressorts et avec tant d’incertitude, pour avoir un passeport n'est pas de mon goût. J'aime mieux plus d’orages, et être libre d’aller et venir comme il me plaît, quelque temps qu’il fasse. Autre dissidence entre nous. Quand j'étais jeune, je faisais comme vous faites ; je méprisais beaucoup, et j'exprimais très haut mes mépris. Aujourd’hui non seulement je méprise moins haut, mais je suis moins prompt et moins dur dans mes mépris. Si je m'y laissais aller, ils iraient trop loin.
Je serais étonné si le Prince de Metternich était de votre avis sur l'article des Débats malgré le fracas assez ridicule qu’on y a fait de ses courriers et de son regain de crédit. Montebello aura parfaitement raison d'aller à Claremont avant le 4 novembre, et d’y dire ce qu’il y veut dire. Il a l’esprit aussi droit et aussi courageux que le cœur. On paye cela assez cher ; mais en définitive, cela vaut plus que cela ne coûte.
Je trouve qu'on meurt bien vite dans ce moment-ci. Un de mes amis du Calvados, membre éclairé et influent du conseil général vient de mourir subitement d’un anévrisme. Le Duc de Noailles fait vraiment une perte. Est-il capable de beaucoup d'affection et de chagrin ? Je lui écrirai un mot de condoléance.
La vie se passe ici fort tranquillement, et on me sait évidemment beaucoup de gré du mouvement que j'y apporte. Ils sont à merveille entre eux mais peu animés et peu expansifs. Le château a été plein hier de visiteurs. Aujourd’hui grande chasse dans la forêt pour les jeunes gens. Ils sont montés à cheval sous mes fenêtres à six heures et demie, pour aller courir un chevreuil.
La jeune Princesse de Broglie est très fatiguée de sa grossesse, maigrie et abattue. Désirant bien vivement une fille. Elle a trois petits garçons qu'elle élève bien. Aussi bonne de caractère que d’air. M. et Mme d’Haussonville viendront ici au mois d'octobre.
Le Duc de Broglie est comme vous sinon en principe, du moins en résultat. Vous êtes très président ; il est, lui, très résigné au Président, ne voyant ni mieux, ni aussi bien, ni autre chose. Tout le reste est intrigue et aventure. En attendant un grand événement, s’il est jamais possible, il ne faut avoir que des événements naturels et tranquilles. Je ne suis pas pressé que Lopez soit tué.
Autant vaudrait qu'on fût assez, et assez longtemps inquiet de cette affaire de Cuba pour qu'on en parlât un peu sérieusement et de concert, aux Etats-Unis. Adieu, Adieu. Dormez donc.... Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris samedi le 27 septembre 1851

Dites je vous en prie à votre fille ma vive & sincère sympathie, pour sa douleur. Un semblable malheur m’a frappé à son âge. Quand je me reporte à cette époque de ma vie je ne puis m'empêcher d'un grand remord de n'en avoir pas éprouvé un assez long chagrin. Que de fois depuis j’ai demandé à Dieu une fille, j’ai pleuré cette fille. Pauvre enfant, heureux enfant sans doute. Henriette a plus que je n’avais alors ces sentiments religieux qui font supporter avec douceur les volontés de Dieu, les peines qu'il vous envoie. Elle a plus que moi aussi la réflexion. Marion me prie de vous dire et à votre fille sa plus tendre sympathie. Elle est vraiment touchée de votre affliction.
J’ai vu hier apparaître Bulwer vraiment comme un ghost. Quelle mine ! Il passera sans doute l'hiver à Paris. Les Ministres lui ont fait mille éloges flatteurs, mais Palmerston a été froid. Il demande un autre poste. On ne le lui promet pas. Il ne veut pas retourner en Amérique, & comme je doute qu'on s'emploie en Europe, je suppose qu’il demandera sa pension de retraite. Pacha est venu aussi, on débarquait. Il est nouveau à Pétersbourg & va s’y rendre. Il a voulu tout de suite démentir le bruit qui avait couru qu’il était chargé de négocier un mariage pour le Président, il dit qu'il n'y a pas un mot de vrai. Il parle tristement de son pays. Les septembristes vont tout à l’heure être les maîtres. L'armée est complètement indisciplinée, perdue.
Fould est venu le soir, il y avait du monde nous n’avons pas pu causer. Son dire général est toujours une grande confiance dans le succès & assez de mépris pour tout autre concurrent. Montebello est revenu de Chalons disant que dans la Marne le mouvement napoléonien est irrésistible, unanime. Grande défaveur pour Joinville. Il a causé très longuement avec Léon Faucher, sur les élections d’abord, il lui a dit que le mot d’ordre du [gouvernement] devrait être de voter pour les 446 qui ont formé la majorité pour la révision, & ne pas s’inquiéter de tel ou tel parti. Ceci serait le mot de ralliement. Léon Faucher a gouté cela. On a parlé ensuite de la prorogation. & Léon Faucher a dit que le Président ne l’accepterait certainement pas des mains de l’Assemblée seule, qu’il lui fallait le suffrage du pays. Je trouve qu'il a raison.
Palmerston a fait un bon discours, et habile ; avec de la malice pour n’en pas perdre l'habitude. Comment trouvez-vous la réponse du [gouvernement] napolitain à Gladstone ? Je n’ai pas lu encore. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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40. Dieppe Mardi 20 juillet 1852

Ce sera donc Vendredi j’espère. Mon plaisir sera grand. J'ai été bien souffrante hier, de je ne sais quoi. Il y a un bon médecin ici, M. Godel, je le conseille. Lord Cowley est revenu hier. M. de Thouvenel lui a dit que le Président irait à Bade. Que va faire la Princesse de Prusse qui y est ? Cela me divertit fort. Elle le déteste, elle est curieuse, elle est précieuse, je voudrais voir cela. Il se pourrait qu'elle s'absentât. Si c'est sous forme d'impolitesse cela déplairait fort au roi de Prusse.
Selon le journal des Débats, le voyage est splendide, j'en aurai sans doute un petit récit par Fould. Je ne sais pas l'ombre d'une nouvelle. Il me semble que Cowley trouve que sa reine est un peu trop intime avec Claremont. Au fond il y a là dedans une certaine inconvenance politique. Morny qui est revenu d'Angleterre a dit au duc de Mouchy qu'ici avait été très bien reçu par la société en Angleterre. Delessert y est allé hier, il reviendra dit-il la semaine prochaine. C'est une partie pour moi. J’avais pris le communiqué du Moniteur comme s’adressant à M. Kalerdgi. Lord Cowley m'apprend que c'est moi à propos d'un article du [Morning Chronicle]. Ce journal-là appartient à Aberdeen. Amis anglais, amis français. J’aime mieux des ennemis. J'en dirai mon sentiment à droite et à gauche. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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39 Dieppe le 18 juillet 1852

Dimanche Je n'ai eu hier qu’un mot bien shabby et moi je n'ai rien à dire du tout. Au fond Dieppe est parfaitement ennuyeux les Delessert sont ma vraie ressource et encore. On me mande de Paris que le Président rencontrera certainement la Princesse de Wasa à Strasbourg, (il n’est même pas impossible qu'il aille à Bade.) Cette princesse à 18 ans, jolie charmante. Mon [Grand duc] Nicolas est allé la regarder, entre autres et elle lui a plu extrêmement, mais l’Empereur n'en veut pas à cause de vous de Suède. Elle prendra certainement le Président. Elle se ferait probablement catholique, car elle se serait faite grecque. Tous les entours le poussent au mariage. Il n'y a que [Jérôme] et son fils qui y sont extrêmement opposés.
Voilà votre lettre de hier. Mon adresse est Maison Fauconnet rue Aguado et rue descaliers N°11. Malgré toutes ces rues je donne en plein sur la mer et sur la plage. Je serai bien contente de vous voir ; cependant je répéte encore, si cela vous dérange trop ne venez pas. Voyez ma déférence ! Adieu, car je n’ai rien à vous dire. Le temps est rafraîchi et très agréable. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00161.jpg
40. Dieppe Mardi 20 juillet 1852

Ce sera donc Vendredi j’espère. Mon plaisir sera grand. J'ai été bien souffrante hier, de je ne sais quoi. Il y a un bon médecin ici, M. Godel, je le conseille. Lord Cowley est revenu hier. M. de Thouvenel lui a dit que le Président irait à Bade. Que va faire la Princesse de Prusse qui y est ? Cela me divertit fort. Elle le déteste, elle est curieuse, elle est précieuse, je voudrais voir cela. Il se pourrait qu'elle s'absentât. Si c'est sous forme d'impolitesse cela déplairait fort au roi de Prusse.
Selon le journal des Débats, le voyage est splendide, j'en aurai sans doute un petit récit par Fould. Je ne sais pas l'ombre d'une nouvelle. Il me semble que Cowley trouve que sa reine est un peu trop intime avec Claremont. Au fond il y a là dedans une certaine inconvenance politique. Morny qui est revenu d'Angleterre a dit au duc de Mouchy qu'ici avait été très bien reçu par la société en Angleterre. Delessert y est allé hier, il reviendra dit-il la semaine prochaine. C'est une partie pour moi. J’avais pris le communiqué du Moniteur comme s’adressant à M. Kalerdgi. Lord Cowley m'apprend que c'est moi à propos d'un article du [Morning Chronicle]. Ce journal-là appartient à Aberdeen. Amis anglais, amis français. J’aime mieux des ennemis. J'en dirai mon sentiment à droite et à gauche. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Dieppe le 7 août Samedi

Je suis tout-à-fait décidée, je pars lundi. Ceci m’ennuie et ne fait pas avancer mes jambes. Au moins là l'escalier est plus commode pour me porter à ma voiture. J’ai fini Cromwell aujourd’hui. C’est charmant. A propos quelqu’un me priait l’autre jour de vous demander de trouver un titre qui ne serait ni roi, ni empereur, ni président, ceci vraiment est trop petit et commun. Ne pourriez-vous pas inventer ?
Molé m'écrit de Paris pour demander de mes nouvelles Il va au Marais, & puis à Maintenon, & plus tard fin de Septembre Champlatreux. J'ai eu des nouvelles de Paris par Marion, Drouyn de Lhuys a dit à l’un des grands représentants : L’Empire est inévitable, mais il doit être précédé d'un autre événement. A Paris personne ne doute que le mariage Wasa ne se fasse quoique le père s'obstine à refuser. Le Prince l'a trouvée charmante. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 18 Août 1852

Je reconnais bien M. de Varenne dans l’idée de faire chanter un Te deum en l'honneur de Napoléon dans l'Eglise catholique publique de Berlin. Il manque tout à fait d’esprit et de tact. Berlin est probablement de toutes les capitales de l'Europe celle où un pareil service devait le moins réussir. Dans la Chapelle de la Légation et entre français à la bonne heure, si le Président avait de grandes affaires, il verrait combien de tels agents sont impraticables.
Je remarque, assez de conseils d’arrondissement qui poussent à l'Empire. Nous verrons ce que feront les conseils généraux. A peu près partout, ils sont tels que l'administration, les a voulus, et elle en aura ce qu’elle voudra. C'est commode, mais pas toujours utile.
Les informations de Lord Aberdeen s'accordent avec celles de mes visiteurs anglais. Pour le moment, je crois plutôt à la durée de Derby, plus ou moins modifié, qu'à l'avènement de Lansdowne. Celui-ci serait obligé de dissoudre presque aussitôt. C’est trop d’émotion et trop de dépense. Lord Cowley redoute-t-il toujours Lord Malmesbury ?

Onze heures
Vous avez donc encore Stockhausen ? Je le croyais parti. Aggy n'aura pas la même popularité mondaine que Marion, mais je suis bien aise qu'elle aille un peu dans le monde, et qu’on l'y traite bien. Cela convient à votre salon.
Ce dont je suis bien plus aise, c’est de vos nouvelles de votre fils Paul. Non seulement cela lui montre ce que vous êtes et ce que vous pouvez pour lui, mais j’espère que si on lui ouvre une belle porte, il rentrera avec plaisir dans sa carrière. Je ne puis souffrir de voir un homme distingué perdre sa vie comme un good for nothing. Adieu. Adieu.
Nous avons eu hier ici un immense orage. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Samedi le 21 août 1852

J’ai montré à M. Fould quelques passages de vos lettres où vous me parlez de lui. Il a été très flatté et touché, et frappé de beaucoup de vos observations. A propos de lettres et de citations en voici une de Meyendorff de Vienne. Je vois ici de temps en temps des légitimistes qui se fâchant quand je leur dis que le Prince Président à la vocation de rendre la France gouvernable et de réparer le mal produit par les idées de 89, 1814, 30, & 48.
La princesse Schonberg dîne aujourd’hui à St Cloud. Madame Kalerdgi va arriver dans quelques jours mais pour lever le camp. Elle abandonne Paris for good. Elle a acheté un château prés de Francfort, ce sera sa résidence. Cet hiver elle le passera à Pétersbourg. On dit qu'à Kissingen son langage a été fort hostile à ceci. Elle en partait éprise, (de ceci). C'est une tête sans le sens commun. J’ai vu hier soir Halkeren entre autres, on ne parle que de Thiers tout le monde est curieux de le voir et on n’ose pas s’aventurer ; les uns par crainte de la cour, les autres, de Mad. d’Osne. Hekern est de ceux-ci, les diplomates de ceux-là. Thiers a tout de suite couru chez Mad. Schach, elle l'a trouvée embelli et ravi. Mad Rothschild est auprès de Changarnier. L'Électeur est reparti. On a fait semblant de l’ignorer ici. Stockhausen part aujourd’hui. C'est une vraie perte pour moi il restera [?].
Vous ai-je dit que Lord Cowley est parti pour Londres, le prétexte de son fils, mais au fond pour voir clair dans sa situation ? Or il paraît probable que St. Canning aura les aff. étrangères (détestable choix) & Malumberg Paris. Alors Cowley à Constantinople. Bulwer ira sans doute en Amérique régler le différend. Il pleut depuis deux jours c’est bien ennuyeux. Je me suis très affaiblie ; voilà maintenant mon mal. Quel remède ? Adieu. Adieu.
Hier je n’ai pas pu vous écrire. J’avais écrit une longue lettre à l'Impératrice, et puis est venu une visite et il n'y avait plus moyen avant la poste. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 24 août Mardi 1852

Je ne suis sentie si lasse hier que j'ai fermé ma porte et je me suis couchée à 9 heures. J’ai mal dormi, ma faiblesse augmente. Pour peu que cela continue, j'y périrai. Je n'ai pas d’autre mal, mais je suis prête à crier de faiblesse. J’ai vu du monde le matin, il y a ici peu d’accord dans les procédés le 15. Il me semble qu'à tout prendre c’est les anglais qui se sont le mieux prêtés à la Célébration. Je vous ai dit Berlin. A Hanovre le peuple a [?] d'immortelles ce jour-là la colonne de Waterloo sur une place publique. Enfin il y a de quoi donner ici beaucoup d’humeur, mes sources d’information sur ici me manquent. J’ai rencontré hier au bois le Prince. Très gracieux salut. J’étais avec la princesse Schonberg. Elle est chez moi tous les jours. Elle a de l’esprit, mais pas beaucoup, moins qu'il y a 12 ans.
Les Conseils généraux voguent en plein empire. Ceci vous prouve que je lis le Moniteur. Je n’ai que lui, tous les autres journaux m’ennuient je ne les vois plus. La conclusion du traité avec la Belgique était hier l'événement diplomatique. Je ne m'y connais pas. Adieu. Adieu, car voilà qu'on m’interrompt.
Avez- vous lu les regrets dans le Constitutionnel ?

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 30 août lundi 1848

Malgré le Dimanche j’ai vu peu de monde hier. Le Nonce, Hubner Kisseleff la petite princesse voilà tout à peu près. Beaucoup des seconds sont à la campagne. Les jeunes se promènent au clair de lune. Il fait étouffant à Paris, l’air est très lourd et très chaud et partant très malsain. Mais où aller ? Les châteaux me gênent. Ailleurs je suis seule.
On dit qu'on ne songe ni au mariage ni à l’Empire et les Paris sont ouverts de nouveau. Il ne se fera pas. La princesse de Saxe ne plaît pas, elle est trop ronde et pas assez jolie. L'empêchement pour Wasa serait la mésall iance, elle pèche par la grand mère, mais si elle plaisait beaucoup à l’Empereur on passerait par dessus. Il n’est pas question de retirer les troupes françaises de Rome. Il faut d’abord avoir une armée pour regarder, et on ne l’a pas. Lord Cowley est revenu hier. Je ne l’ai pas vu encore mais je sais qu’il est rassuré sur son compte. Je n’ai point de nouvelle. de Russie. Adieu, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 7 Septembre 1852

J'ai lu tout Mad. d’Arbouville tout Georgia Fullarton. Vos autres recommandations ne me promettent pas grand chose. Trouvez mieux je vous prie ; du vieux historique, mémoires. Ne prenez pas la peine de me les expliquer. Dites les titres et à côté, " bien, passable, curieux. " selon qu'ils le méritent.
Molé a vu Thiers longtemps et l'a trouvé résigné pour longtemps au Président, et puis disant qu'on reviendra à la monarchie mais qu'il faut pour cela que les deux monarchies se réunissent et ensuite l'abdication ou l’adoption, ce qui veut et donc bonjour. Moi je crois que Cowley a raison, et Dieu sait ce que verra la France. Dumon est rentré en ville. Molé part ce matin pour le Marais, mais il reviendra dans 15 jours avant le départ de Kalergi.
Hubner a été étonné de lire qu'on a lancé ma nouvelle frégate portant le nom d'Austerlitz. Toujours ces souvenirs affichés, cela finira par provoquer. Qu'il laisse dormir en paix les masses et les triomphes de son oncle. Je le trouve trop modeste, il a assez fait lui-même et peut se passer désormais de ces souvenirs.
Kalerdgi m’amuse. Elle a beaucoup recueilli, et elle bavarde. Son oncle trouve les Bourbons immensément bêtes. Le général Haynau est parti fort content de son séjour ici. Adieu, adieu. Kolb a décidé les Delmas à rester, cela m’arrange.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 7 Sept. 1852

Je vois que M. de Nesselrode en arrivant à Naples s'est rendu à Castelle mare, dans la maison de votre fils Alexandre où demeure son gendre Creptovitch. Votre fils, a donc prêté sa maison à celui-ci. Cela devrait mettre, M. de Nesselrode en bonne disposition pour vos fils. Mais les petits services n'étouffent pas les petites passions. On fait quelques politesses de plus, et on garde sa mauvaise humeur. M. de Nesselrode aura trouvé à Naples M. Turgot. Conversation qui ne l'aura ni beaucoup instruit, ni beaucoup amusé.
Avez-vous entendu dire qu’on rappelât notre Ministre de La haye parce que les Chambres de Hollande ont rejeté la convention conclue avec la France pour la contrefaçon et la propriété littéraire ? Ce serait un peu vif. Il est sûr qu’on n'aura pas fait grand chose en supprimant la contrefaçon, en Belgique si elle va s’établir en Hollande.
Je ne m'étonne pas que M. Molé ne soit pas content de M. de Lamartine ; il ne sera content d'aucune histoire. Les mérites, et les agréments de M. Molé sont des agréments et des mérites essentiellement contemporains ; il faut les voir de près, et en jouir soi-même d’un peu loin, ce sont des ombres pâles qui disparaissent bientôt tout-à-fait. De son temps, M. Molé aura été prise plus qu’il ne vaut, après, il ne le sera pas assez.
Le récit de Waterloo est en effet frappant et attachant dans Lamartine ; trop long et trop arrangé. Cet homme gâte ses richesses en les étalant trop, mais l'étalage est beau, comme dans les magasins de Paris.
Galignani me dit que Lady Lovolace est très malade. Jolie, savante, pédante, folle et coquette. Coquette avec ce singulier. mélange d'affectation et de naïveté que les Anglaises mettent dans la coquetterie. Bonne personne au fond, et de sentiments nobles. Son mari est ce qu’on appelle un homme de mérite.
Je n'ai point de nouvelles des Broglie si ce n’est par Mad. de Staël qui écrit à ma fille Henriette que Madame la Duchesse d'Orléans est venu les voir à Coppet avec ses enfants. Pas contente de sa santé. Les jeunes Princes très bien. Le comte de Paris étonnamment bon cavalier pour son âge. Pas d’autres détails.

10 heures et demie
Bonne longue lettre, qui me plait doublement, d'abord parce qu'elle me donne à penser que vous vous sentiez mieux hier, et puis pour elle-même. La lettre de l'Impératrice est charmante. Le voyage d’Aggy me déplait. Adieu, adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 24 Septembre 1852

Pas de nouvelle du tout à vous mander, quoique j'ai vu assez de monde hier. Le duc de Noailles le matin. Montalembert, Fould, le soir, au milieu d’un cercle assez nombreux. Quelques jolies femmes, une hongroise fort belle. Molé arrive demain et passera ici 6 jours. Le prince George de Prusse vient demain aussi. On me dit que la Belgique ne fera pas de représaille elle laissera les vins & les soieries tranquilles. Montalembert s’est mis en tête que le Président veut quelque conquête en Afrique et il voudrait bien (Montalembert) que l'Angleterre laissât faire sans réclamer. Il a fort peur de la guerre. On commence à se demander qu’est-ce que fera Paris pour le retour du Président ? On dit que ce sera encore pire qu'en Provence. Le mot est je crois de M. de Maupas. Adieu Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 25 Septembre 1852

J'ai demandé hier au nonce des détails sur l’entrevue à Rome. Les journaux sont bien renseignés. Cela s’est passé comme cela. Quelle impertinence ! Exiger les dossiers pour se faire juge d'une affaire jugée par un [gouvernement] étranger. Je suis bien aise du fiasco. J'ai une lettre de Meyendorff que je vous enverrai quand je l'aurai bien déchiffrée. Le [général] de l’Etang envoyé d'ici a dîné chez Buol avec la Duchesse de Parme. Elle a été charmante pour lui. J'ai revu hier le duc de Noailles. Il a été cause que je vous ai quitté si brusquement. Il est très décidément pour la léthargie. Vous voyez que le voyage est fabuleux. Grenoble et Valence dépassent tout ce qui a précédé. La [grande duchesse] de Mecklembourg est venu hier me faire visite. Grande politesse car je n’y ai pas même été par carte ni rendu visite à sa fille. C'est une bonne femme, animée, en train, curieuse. Mais trop shy pour venir dans mon salon. Je crois que l'absence de Kisseleff sera bien courte. Adieu et adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 27 septembre lundi 1852

Je n’ai vu personne d’officiel hier, je ne sais donc rien que l’arrivée enthousiaste à Marseille. Molé avait hier un langage très adouci. " Je ne demande pas mieux que de ce que la dynastie se fonde, mais il faut trouver une femme ; je suis d’avis de tout ce qui est pour le bonheur de mon pays, je ne servirai pas, mais je ferai des voeux. " Du reste il fondait, Mad. Kalergi part demain.
Le Prince George de Prusse est arrivé hier soir. Je ne sais ce que j’en ferai. Lady Allice Peel est arrivée. Je ne l'ai pas vue encore. Je vous envoye la lettre de Meyendorff que j'avais oubliée hier. Renvoyez-la moi. J'ai eu hier deux heures de tête à tête avec la comtesse de Brandebourg. Conversation bien intime. Brave personne et beaucoup d’esprit. La petite princesse est assez malade. Elle passera certaine ment. L'hiver ici. Je vous ai écrit tous les jours. Vous aurez reçu deux lettres à la fois. Cela n’est arrivé avant hier aussi. Misère générale peut être. J'avais beaucoup de monde hier soir. Toute la diplomatie avide de rencontrer Fould. Elle a été attrapée il n’est pas venu. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris lundi le 4 octobre 1852

M. Fould veut que le complot de Marseille soit traité avec le mépris que méritent de pareils actes. Il loue fort les Anglais de décréter la folie, à défaut de cela qu'on fait est bien fait. Point de haute cour, car l'éclat encourage les incitations. Il ne dit rien sur l’époque de l’Empire mais il me renvoie aux Moniteurs après le 16, jour du retour. Il trouve très naturel que Jérôme soit inquiet.
Le lac français est une parole en l'air à laquelle il ne faut attacher aucune importance la dépêche de [Drouin de Lhuys] est jugée très raide par tout le monde et sa publication un événement. Je crois que je vous ai tout dit. Bacourt qui est ici pour un moment et qui connaît intimement les Wasa mère & fille, dit que si le mariage avec l’Empereur d’Autriche ne se fait pas, vu l'anicroche de la naissance du côté maternel, il ne sait pas pourquoi elle n'épouserait pas le Prince Président. Il la dit charmante dans ce moment elle est à Vienne. Molé part aujourd’hui, pour Champlatreux. Montalembert est parti. Ste Aulaire ne vient jamais me voir. Dumon est à Trouville. Viel Castel chez les d'Haussonville. Kisseleff part à la fin de la semaine j'en suis désolée. Lady Allice ne m’est bonne à rien d’ailleurs. Elle part demain. Les Holland vont je crois rester un peu ici. Voilà toutes ces nouvelles si ma lettre peut s’appeler ainsi. Adieu. Adieu.
On dit qu'on a crié à Nîmes Amnistie. En général cette partie du voyage a été faible.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 9 octobre samedi 1852

Ah quelle rude besogne de gouverner une fille anglaise ! Elle voulait s'échapper tout de suite seule, sans rien ; de ces têtes folles qui suivent leur impuls sans plus. J’ai été fort résolu. Le père m’a armé de son autorité. Il ne faut pas qu’elle parte. Une lettre de vous sera bonne, & n’arrivera pas trop tard. J’espère, car je ne réponds de rien pour moi, cette lettre de toute la journée m’a renversée. J’ai bien besoin de cette agitation de plus. Je n’ai pas mangé et je n’ai pas dormi. La veine de malheures n’a pas tarie encore pour moi.
Hier on disait qu’en même temps que le Prince se fera empereur, il sera roi d’Algérie. Une garde algérienne équivalant à garde impériale. On dit beaucoup de choses. Je croirai ce que je verrai. M. de Caumont est venu me voir. Les Sénateurs iront tous à la rencontre. Le Chancelier est ici. Il est venu le matin, le soir. C’est trop. Je vois qu'étant la seule ressource, il m'ennuiera souvent. S'il n'était pas sourd je ne me plaindrais pas. Je suis très tracassée et bouleversée.
Lady Holland m'est d'un grande aide auprès d'Aggy. Elle a très bon coeur Lady Holland, et elle est très intelligente. Adieu. Adieu, venez à mon secours aussi, et écrivez.
Voici les paroles du Père. Keep Aggy with you by all means. At this season her coming might a danger her & it would only add sorrow to sorrow. If it will be comfortable to her. We shall contrive to get Marion over with her uncle shortly as he is going. Vous voyez d’après cela mon droit et mon devoir de la retenir, et son devoir à elle d’obéir à ses parents.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Je viens d'écrire encore à Aggy. Il faut non seulement qu’elle vous reste, mais qu’elle vous reste convaincue qu'elle doit vous rester, et qu'elle fait bien. C'est une bonne et honnête personne, qui a besoin d'avoir le cœur en repos.
J’ai dîné hier à Lisieux, je suis rentré tard, je me suis levé, tard, et voilà, un voisin qui m’arrive de bonne heure. Je ne vous écris donc que quatre lignes. Je n’ai rien eu de vous hier ; mais c’est tout simple. C’était dimanche avant hier, et ma lettre de samedi vous sera probablement arrivée tard.

Onze heures Voilà vos lettres. Je fais partir celle que je viens d'écrire à Aggy. L'effet n'en peut être que bon. Il faut que vous ayez l’une des deux. Adieu, adieu. Votre pari avec M. Molé est perdu. G.

Val Richer 12 oct. 1852

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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6 Val Richer, Jeudi 2 Juin 1853
9 heures

Le journal des Débats m’a manqué hier, je ne sais pourquoi. C'est comme si toute la politique me manquait. Il devrait traiter votre question en pleine connaissance de cause et sensément. Je doute que votre politique expéditive soit pratiquée. On craint trop les conséquences de toutes choses pour rien commencer vite. Sauf ce que vous m'écrivez, et ce que je vous écris, il est impossible de penser moins que je ne le fais à ce qui se passe.
Je ne m'occupe que de ce qui se passait il y a deux cent ans. Il y a deux cent ans précisément, Cromwell chassait, en personne le Long Parlement et se faisait Protecteur. Je m'amuse parfaitement à le regarder faire et à le raconter. On m'écrit de Londres pour me presser instamment de publier, mon livre cette année même, au mois de décembre, pour l’anniversaire du protectorat. Partout on se plaît aux coïncidences de dates. Je crois que je leur donnerai cette satisfaction.
Vous ne vous souciez guère de la Chine. Cependant le Galignani me dit que les agents anglais et Français ont promis le secours de leurs vaisseaux pour empêcher cet Empire là de tomber. Soutenir deux Empires à la fois en Orient, c’est beaucoup. La coïncidence est singulière. Je suppose qu’elle ne vous plait pas davantage dans l'Orient asiatique que dans l'Orient européen. Mais vous n'êtes pas engagés à protéger les Chinois contre les Tartares comme les Grecs contre les Musulmans. Bizarre spectacle que celui du monde aujourd’hui ! Ce sont des hérétiques, et des schismatiques qui s'en partagent ou s'en disputent la domination. Le Pape ferait plus sagement de voir en eux des Chrétiens que de s'obstiner à les anathématiser, comme au temps où les catholiques dominaient partout. Je suis encore plus frappé de la décadence d’esprit de la cour de Rome que de celle de sa force. C'est dommage.

Onze heures
Le rappel de Brünnow serait drôle. J’ai point à y croire. Les Débats sont curieux en effet. Ils ont raison. Adieu, adieu. Vous avez raison de ne prendre personne à la place de votre Allemand. Marion vaut un homme et une femme. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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18 Ems Samedi le 18 juin 1853

Je suis arrivée très fatiguée, et je ne me repose pas encore. Demain je commence les bains. Il n'y a à Ems personne, jolie perspective. Mon fils meurt d'ennui. Il y a de quoi, il me quittera demain probablement et je ne pourrai pas lui en vouloir.
Nous nous nourissons des journaux. Je ne sais que penser de la grande affaire. Où va-t-elle nous mener tous, l'Europe entière. Il est parfaitement clair que c'est au fond rien ou peu de chose & que Lord Redcliffe seul lui a donné le caractère & les proportions que nous voyons. Je suis comme vous, je ne crois pas à la guerre. & cependant je ne comprends pas comment on pourra se tirer de là sans y recourir. Marion est très shy avec Paul. C'est étonnant comme il lui impose, et il est cependant charmant, & gai & amical. Pas de nouvelles de Constantin.
La Reine Amélie ne viendra pas à Bruxelles pour le mariage du duc de Brabant Elle n'y vient pas non plus pour la confirmation de la princesse Charlotte. Je tiens tout ceci du roi, qui met le plus grand soin à éviter tout ce que pourrait donner ombrage ou déplaire, & qui regrette seulement qu'on se livre à son égard et à l’égard des autres aussi à des soupçons parfaitement injustes, car bien certainement il y a bienveillance pour le gouvernement de France actuel, à Bruxelles à Vienne, à Berlin, à Pétersbourg. Partout la méfiance est très mal placée. Et peut entraver le bien. Adieu. Adieu, envoyez moi des nouvelles et des commentaires.
(Greville me mande que Walewski montre la plus grande joie. Quoiqu’il arrive la bonne entente est rétablie entre la France & l'Angleterre. Les partis orléanistes et légitimistes se montrent très contrariés de cela. L'Emp. de Russie qui ne voyait pas ce rapprochement possible aura été très contrarié en l’apprenant. En [Angleterre]. personne ne croit à la guerre. Mais on trouve la situation de l'Emp. difficile & on cherchera à l’en faire sortir sans trop déroger. Adieu.)

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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30 Ems dimanche le 10 juillet 1853

J'ai eu vraiment un grand plaisir à apprendre le succès de votre fils. Je vous prie de lui en faire mon compliment très sincères. Je comprends la joie que cela vous aura donnée.
Voici la dernière proposition comme à Paris je crois, comme par nous et appuyé par l'Autriche à Constantinople. La Turquie nous enverrait un ambassadeur muni de la certaine note signée. Il nous la remettrait & recevrait en échange l’assurance écrite que nous ne ferons usage de notre protectorat du culte orthodoxe que dans un but religieux, & jamais politique On me demande le secret sur ce projet. Je vous prie donc de le garder. Il doit réussir à moins que Stratford rascal ne s’y oppose.
Je suis charmée de la remise du débat au Parlement. Tout cela à l’air pacifique. à juger par tout ce qui me revient votre gouvernement a une conduite très sage. Aberdeen. est plus gêné que lui, mais au total j’espère aussi que là on ira bien.
La chaleur a été étouffante ici. Aujourd’hui c’est mieux. Ma nièce est partie hier, elle me précède à Schlangenbad, J'y vais samedi le 16. C’est donc là toujours duché de Nassau que vous m’adresserez vos lettres. Je commence à avoir un peu de société ici. D'abord les deux princes de Prusse, le futur roi, & le Prince George, les [Panin], Platen, les de l'Aigle elle est insupportable, une princesse Carolath assez animée. On vient chez moi le soir, à 9 1/2 je chasse tout le monde. Avant 10 heures je suis dans mon lit. A 7 1/2 debout et à la promenade. Je dîne à 3 1/2. Vous avez ma journée avec le bain & les courses en voiture de plus. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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38 Schlangenbad le 28 juillet 1853

J'ai eu quelques surprises ces jours ci. Le Prince Emile est venu ici avant hier pour quelques heures. Nous avons beaucoup et agréablement. bavardé. Hier la reine des Pays-Bas pour deux heures seulement, elle est venue les passer presque en entier chez moi. Je n’avais pas l'honneur de la connaître. Elle n’est plus belle ; très réservée, donnant peu son opinion, mais curieuse, contant bien et me laissant d'elle une impression très agréable. Le peu qu’elle dit est très spirituel. On voit que son père l’adore. Et puis imaginez Mad. jeune Rothschild tombant. ici avec le [général] Changarnier, les vieux sont ici. Ils lui font visite pour quelques jours. Changarnier est venu me voir. Engraissé, tranquile, sensé, non seule ment aucune aigreur, mais des bonnes paroles, rendant justice. Fort occupé de la question d'Orient. Trouvant que son empereur se conduit bien là dedans. Blâmant un peu le mien. Nous n’avons pas parlé de la France.
Madame jeune ne se gène pas, qu’est-ce que dira le [Paron] ? Marion est très amusée. Elle est allé dîner chez eux pour avoir le plaisir de se disputer avec [Changarnier] mais il n'y a pas sur quoi, il est ou très discret, ou un peu converti. En tout cas très patient.
Lord Greville m'écrit très tristement. On s’impatiente en Angleterre. On veut un dénouement immédiat, ou bien la guerre. On commence à avoir de grands soupçons. Moi je reprends toutes mes inquiétudes. Au fait elles ne m'avaient jamais tout à fait quittée. Le temps est toujours orageux ma santé la même, je n'ai pas à m'en vanter. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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39 Schlangenbad le 30 juillet 1853

Le silence de Meyendorff m'inquiète. Constantin en rentrant à Berlin a trouvé Budberg parfaitement ignorant. Il n’avait pas reçu une ligne cependant de tous côtés on croit à la paix. J’ai été assez frappée dans les deux dernières lettres de Greville de ce qu'il dit que l’obstination de Lord Aberdeen à crier la paix sur les toits a dû encourager mon Empereur, & qu’on trouve qu'[Aberdeen] en a fait & dit assez et trop dans ce sens. Malgré cela, il est évident que le pays aussi ne veut de la paix.
James Rothschild va venir ici compléter le congrés de famille. Je suis furieuse et tout le monde ici avec moi de la porte de ce petit endroit. Les lettres & journaux y viennent tard & une fois le jour seulement. On vient hier de faire un nouvel essai par d’autres routes, cela a si bien réussi qu’il n’est rien venu du tout. Il faut attendre ce soir.
J’ai tous les soirs quelque personnes que je renvoie à 9 heures. Rien d’intéressant et pas mal bigarré. Une comtesse Sacy charmante, jolie & spirituelle. Le prince de Croy bête. Le comte de Brie qui [?] les princes Belges fort distingués, un général autrichien Lochi, un peu bouffe italien. Ma nièce dîne toujours avec moi et y est le soir aussi. Marion dîne souvent chez les Rothschild, cela l’amuse. Le temps est toujours variable. Je fais peu de chose de la princesse Charles de Prusse. Elle m’invite chez elle, je n’y vais pas, elle est trop ennuyeuse. Sa cousine la reine de Hollande l’a complètement oubliée l’autre jour elle en est furieuse.
Adieu. Adieu, car je n’ai plus rien à dire.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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40 Val Richer, Dimanche 31 Juillet 1853

On attend tous les jours le dernier mot. Tout le monde y compte. Je ne crois pas le gouvernement anglais embarrassé ; pas plus du moins qu’on ne l'est toujours quand on a sur les bras une grande affaire. Si c’est la paix, Aberdeen triomphera si c’est la guerre, il s'en ira et Palmerston fera la guerre. Ce n’est pas aujourd’hui que je commencerai à y croire.
Piscatory m’écrit qu’il n'y croit pas plus que moi : " On ne peut, dit-il, avoir des doutes à cet égard qu’en songeant à la demie barbarie du terrain où la question est posée. Est-ce qu’il ne pourrait pas se produire là des événements sur lesquels toutes les prudences ne peuvent rien. Si Colettis vivait, il aurait rêvé. Ses amis m’écrivent de façon à me prouver qu’ils rêvent ; mais dans ce coin-là tout est déjà assez régulier pour que ce ne soit pas dangereux." Avez-vous remarqué une lettre écrite de Paris, le 27 Juillet à l’Indépendance Belge, sur l’attitude et le langage des Russes, officiels et non officiels au sujet de l’attitude respective des puissances dans cette affaire ? Voici une anecdote de Province qui n’a nul rapport à l'Orient. On m’écrit de Rennes qu’il y avait, ces jours derniers, une grande assemblée d’une grande société de charité 600 personnes une centaine d'ecclésiastiques. M. de Falloux y est venu et y a parlé. Point de politique du tout la charité chrétienne se servant des chemins de fer pour soulager la misère humaine et propager la parole divine. Il est parti le jour-même. Quelques heures après son départ, des gendarmes d'abord, pour des sergents de ville sont aller à son logement, ont fait toutes sortes de questions, sur ce qu’il avait dit et fait, sur la route qu’il avait prise & des tracasseries, et des précautions. Cela fait assez de bruit à Rennes. Personne ne comprend pourquoi, et certainement il n’y a pas de quoi.
Autre commérage de Vichy. M. de Montalembert y a rencontré une Mad. Vatin, femme d’un notaire de Paris, fort jolie, dit-on, spirituelle, agréable et coquette. Il a été fort assidu auprès d’elle. C’était l’histoire et l’amusement de Vichy.

Midi.
Je suis bien aise que vous ayez des visites qui vous amusent. Et bien aise aussi que Changarnier soit sensé. Il a une grande valeur (dans les deux sens du mot) il est bon qu’il la garde. Je reçois des lettres de Broglie et autres qui ne m’apprennent rien du tout. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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40. Schlangenbad le 1 août Lundi 1853

J'ai enfin reçu une longue lettre de Meyendorff. Je la ferai copier par Marion pour vous l'envoyer. Le dernier mot du 29 est que les Turcs trainent en dépit des conseils de tout le monde et que cela peut durer encore par leur fait, car aujourd’hui tout le monde y va de bon cœur. Le sultan se grise.
Il y a ici la Princesse Charles de Prusse et sa fille. La mère & la fille belles, mais bêtes à un degré étonnant c' est à qui en évitera. Vous comprenez que j’en suis là aussi, et à faire des impertinences. Le roi de Wurtemberg est toujours aimable et assidu. Changarnier part demain je crois, car Mad. [Rotschild] part. Je répète qu'il est très convenable et que moi au moins, je n’ai pas entendu une parole aigre ou amère. Il se croit à Malines pour longtemps. Je vous avoue qu'il ne m’amuse pas. Il parle trop de lui, et il n’est pas naturel. Marion qui le voit beaucoup dit qu'il est beaucoup plus agréable hors de ma présence. Mais elle aussi n’a pas relevé un mot qui ne peut être dit à Paris sur la place publique. C’est un parti pris, ou bien vraie conviction.
Le temps est atroce, parfaitement froid, j’ai repris toute ma toilette d’hiver je me baigne malgré cela. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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41 Val Richer, Mardi 2 Août 1853

J’ai beau faire ; je ne puis partager vos inquiétudes ; ce serait trop fou et trop faux, et trop contraire à tout le passé. Je comprends qu’on soit impatient à Londres, et qu’on vous l'écrive vivement. J’attends la confirmation des nouvelles du [?]. Il me paraît que tout le monde est réservé avec vous, la Reine des Pays-Bas et le Général Changarnier. J’ai toujours entendu dire que la Reine des Pays Bas était charmante. Je vois qu’elle sait l'être de plus d’une façon, discrète ou expansive, en parlant ou en écoutant. Encore une connaissance, et un plaisir que je vous envie. Il faudrait, en traversant la vie, voir au moins une fois toutes les personnes rares qui la traversent en même temps.
Lisez-vous l'Assemblée nationale ? Outre que sa politique est fort sensée ses lettres parisiennes continuent à être quelquefois drôles. Le Général Gortschakoff y a remplacé le Prince Mentchikoff. C'est bien rare qu’il y ait quelque chose de drôle dans les journaux, le défaut de liberté tue la comédie aussi bien que la tragédie. Je ne puis faire dire à mon petit ami d’aller vous voir ; il n’est pas sur le Rhin, et je ne sais s’il ira cette année. S'il y va, ce ne sera que tard, d'après ce qu’il m’a dit ; vous aurez probablement quitté Schlangenbad. Avez- vous fixé le moment de votre départ, et irez-vous passer quelque temps à Bade, comme vous en aviez le projet ? Décidément, nous n'aurons point d'été ; la pluie, et le froid continuent ; ma fille Pauline, qui était allée prendre quelques bains de mer à Trouville, y a été prise d’une fièvre intermittente qui l’a beaucoup fatiguée ; elle est revenue ici ; la fièvre a été coupée promptement, et ma fille va bien ; mais beaucoup de gens se ressentent de cette mauvaise saison. Les inquiétudes sur la récolte recommencent.

10 heures
Voilà votre N°39 de bonne heure, au contraire de vous à qui la poste arrive tard, ou par du tout. Nous verrons ces jours-ci ce que deviendront vos doutes sur la paix. Je rabâche et je persiste. Il est vrai qu'Aberdeen a peut-être un peu trop étalé la paix ; non pas qu’il en ait trop dit sur ce qu’il la voulait ; mais il n’a peut-être pas assez dit qu’il fallait qu’on la voulût aussi de l'autre côté. On n'a de force complète, que lorsqu’on se montre très décidé dans ce qu’on veut et prêt à ce qu’on ne voudrait pas. Mais je reviens à ce que je vous disais l’autre jour, Aberdeen ne serait pas le Ministre de la guerre. Ce serait Palmerston avec toutes ses conséquences. Adieu, Adieu. G.
Mes amitiés à Marion. Il me semble que je ne lui en ai fait aucune depuis votre départ. Je l’aime pourtant beaucoup.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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43. Schlangenbad le 6 août 1853
Je vous envoie copie de deux lettres. Tout cela a très mauvais air, & la réponse de Clarendon à la chambre haute complète et compliquée. Je ne vois plus le moyen d'éviter la guerre et je reste plus triste que jamais. Le roi de Wurtemberg vient sans cesse causer avec moi, il s’étonne et s’afflige car on ne voit pas le bout. Ce serait une grande surprise, aujourd’hui de voir l’affaire s’arranger. Je crains que nous ne voyions pas cela.
Ma santé me tracasse, rien de mieux et presque du pire. Je suis cependant si docile. Tous les Croy sont partis ce matin, c’est une petite très petite diminution pour mon salon, car ils n'ont point d’esprit. Je garde deux hommes de la suite de roi de [Wurtemberg]. Et le comte de Brie Belge qui a cloué les princes & qui est très agréable. Jeune et de bonne mine. Ma nièce reste toujours avec moi. Madame Oudinoff est ici. La Princesse Charles de Prusse est la plus ennuyeuse des femmes, Dieu merci elle ne vient pas. Elle avait voulu le faire mais elle a compris que le deuil de son père devait la retenir chez elle. Je n'ai rien à vous dire du tout qu’adieu.
Les lettres de Meyendorff sont pour vous seul.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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45 Schlangenbad le 11 août 1853

Mon fils Alexandre est arrivé hier, il est vieux de Paris. Je suis plus franchement informée par Meyendorff, mais il me rapporte l'impression des Russes de France, qu’après tout nous avons fort avancé nos affaires, quoique au prix de notre bonne réputation. Celle-là restera fort endommagée. Hier la porte a totalement manqué à Schlangenbad. C’est odieux, ni lettres, ni journaux. Constantinople n’est plus pour moi que question de curiosité.
Les Princes du voisinage se croient obligés quand ils viennent faire la cour au roi de Wurtemberg et à la Princesse Charles de Prusse de se présenter chez moi aussi. C’est ainsi que j’ai vu l’autre jour le Prince régnant de Waldek, beau garçon de 22 ans, timide, embarras sé, labourant le Français avec une peine infinie, à la torture pour trouver un mot. Une scène de comédie ; son premier. ministre était avec lui. important, empesé, grotesque J'ai bien ri après. Marion me fait une collection de portraits des personnes qui viennent chez moi. Elle a un talent rare. Elle se souvient le lendemain matin des visages de la veille, des ressemblances frappantes. Mon fils trouve ceci charmant et ne demande pas mieux que de prolonger notre séjour. Je me laisse aller sans arrêter de place. Le froid diminue voilà tout ce que je puis dire du temps. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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48 Schlangenbad le 17 août 1853

J’ai vu hier lady Jersey arrivant de Londres. Très opposition, mais disant que le Ministère se soutiendra. Prévoyant la chute de l'Angleterre. Elle ne reste debout que pas l’amour et le respect qu’on a pour la Reine.
La G. D. Olga fait furrore. C'est une admiration extraordinaire. Voilà tout Lady Jersey. Mme Rothschild me mande de Paris que Lord Cowley se plaint du gouvernement français qu'il trouve trop russe, ou plutôt trop pressé de la paix. Il me semble que l'Angleterre ne l’est pas moins. On ne sait rien encore de sûr de Constantinople, et il y a encore bien des difficultés à vaincre. Il pleut ici, j'en suis bien fâchée, cela gâte mes derniers moments. C’est mardi le 23 que je quitterai ceci. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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60  Paris le 16 septembre 1853

Grand vide & regret, & reconnaissance. J’ai vu hier les Hatzfeld, Kisseleff, Hubner, Molé. Celui-ci désespéré d’avoir ignoré votre séjour à Paris, il aurait pu vous voir encore hier matin. Son oeil va mieux, il est plein d'espérance.
Kisseleff avec un courrier hier soir. Nous refusons simplement parce que nous n’avons pas affaire à Constantinople. Nous maintenons l’acceptation de la première note de Vienne. Vienne n’a qu’à négocier sur cela avec la Turquie. Cela regarde la conférence & pas nous. Il n’y a donc de notre fait aucun empêchement à ce que cela s’aplanisse encore. Je doute que les Turcs s’y prêtent. J'ai fait visite tout à l'heure à la princesse Mathilde à Breteuil. Elle m’a dit d'excellentes choses sur le ménage impérial. Le bonheur conjugal le plus serein, le plus charmant ; l’Impératrice très douce, très bonne, dévouée, mais une pauvre santé.
La Reine Christine est d'une platitude sans pareille à cela près qui fait rire, on lui trouve beaucoup d’esprit. Pas d’apparence qu’on épouse une de ses filles. Elle a passé 9 jours à Londres, où elle n'a vu ni l’une ni l’autre reine. Après le voyage du nord la cour passera à Compiègne la première quinzaine d'octobre la seconde à Fontainebleau & le 1er Novembre elle s’établit à Paris.
Samedi 1. J’ai eu un mot de Constantin de Berlin, c’est le Cte Nesselrode qui a insisté sur le refus et qui l’a importé. Cela vous prouve bien que la volonté impériale est à la paix. Molé est venu hier soir encore & San Giacomo. On disait au club que les flottes entreraient et iraient même à Constantinople pour rendre au sultan sa liberté d’action & de volonté qu’il n’a pas dans ce moment, & qu’il signerait de suite la note de Vienne. Voilà le tout qu'on donnerait à la promenade. C’est possible.
Je ne crois pas que j'aie rien à ajouter jusqu'au départ de la porte. Adieu donc. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Au château de Broglie, mardi 18 Oct. 1853

Je m'assois pour vous écrire et on m’apporte votre lettre d’hier. Celle de M. de Meyendorff est très rassurante. Il faut être deux pour faire la guerre. Le seul embarras, c’est qu’il y a trop de gens pour faire la paix. Ils ont bien de la peine à s'entendre. Ils en viendront à bout pourtant. Mais évidemment vous occuperez les principautés tout l'hiver.
Il n’y a personne ici que les maîtres de la maison. Barante, et Mad. Anisson sont partis avant hier. C’est bien un des lieux les plus tranquilles qu’on puisse imaginer. Beau et froid. On n’y sait point de nouvelles, quoiqu'on les aime. On se promène et on cause beaucoup. Bonne conversation, très sensée. Je trouve la princesse de Broglie changée, maigre et pâle. Ma fille croit qu’elle est grosse. Elle a déjà quatre fils.
J'écrirai demain à M. Monod ; mais sa lettre me fait, comme à vous l'impression qu’il n’a, quant à présent, point de pensionnaires, et je suis tout-à-fait de votre avis, il faut des camarades. M. Meyer, dont il parle est un excellent homme, pasteur luthérien, collègue de M. Morny. Je sais qu’il a en effet plusieurs fils jeunes peut-être à défaut de M. Monod cela conviendrait-il ?
Il est très bon que le Roi Léopold aille en Angleterre. La Reine Marie Amélie s’est arrêtée à Genève assez malade d’un rhume violent. En arrivant, elle avait fait dire à Mad. de Staël, qui est à Coppet de venir la voir, et quand Mad. de Staël est venue, elle n’a pas pu la recevoir. Elle restera à Genève jusqu'à ce que son rhume soit tout-à-fait passé. On n’avait cependant point d'inquiétude sur son compte.
Je suis bien aise que vous ayez retrouvé Dumon, et que du monde vous arrive. Je crois que vous en aurez beaucoup cet hiver. On sera agité sans vrai malheur, ni même vraie inquiétude. On court alors, on voyage.
Je trouve excessif que Kisseleff et Hübner ne soient pas invités à Compiègne. Il n’y a pas de raison pour cela. C'est trop d'empressement à couper l'Europe en deux, sans compter qu’on ne la coupe pas réellement en deux. Tant qu'Aberdeen sera au pouvoir, il ménagera l’Autriche, et la Prusse fera toujours plus que vous ménager. Adieu.
J’irai samedi prochain 22 au Val Richer dire adieu à ma fille Pauline qui part le lundi 24 pour Hières, je reviendrai ici Mardi 25 pour toute la semaine prochaine. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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2. Bruxelles Dimanche 26 février 1854

Merci du triste N°1. Quel brave homme que le duc de Broglie ! Je vois bien que mon chagrin ira en grandissant. Je suis très entourée mais qu’est-ce que c’est ? Et puis si mal arrangée en comparaison de ce que j’étais. Le temps n’est pas froid et cependant ma toux a augmenté beaucoup quoique je ne sois pas sortis du tout depuis mon arrivée. Tout le monde vient, connus et inconnus. Tout le corps diplomatique moins le Français. Lord Howard était en doutes sur l'accueil. Je l'ai fait rassuré. Il est venu avec sa femme, une fille du duc de Portland, très bien & spirituelle, et grande dame. Elle m’a apporté une lettre de Lady Palmerston à moi, très sympathique et bonne. Les Chreptowitch sont toujours là, trop. Le Prussien est excellent. L’Autrichien point d’esprit. Van Praet ma grande ressource. Il veut m'amener M. de Brouckere & le général Chazal. On veut m'amuser. Montalembert a eu l’air bien content de me voir, nous avons causé. Demain il retourne à Paris hélas. Le prince d'Aremberg aussi. Les heureuses gens !
Les nouvelles ici sont que mon Empereur a reçu avec une grande colère les remontrances de l’Autriche & de la Prusse. Qu'à Paris & Londres on presse l’Autriche de telle sorte qu’elle sera obligée de se prononcer & tout de suite, & qu’elle agira. L’enthousiasme en Russie est réel et énorme. Tout le monde veut faire des sacrifices. Un marchand de Moscou nommé Alexis à envoyé à l’Emp. 25 millions la moitié de sa fortune. Hélène va lui donner 300 hommes pour commencer. On dit que nos armées sont immenses. Le 1er avril nous ferons parler de nous. Je ne vois pas ici d’apparence du voyage du duc de Brabant, en tous cas on doute que sa femme l’accompagne. Voilà votre petit billet d’hier continuez, je vous prie. Ce sera mon seul plaisir, mon grand plaisir, ma joie. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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6. Paris, Mercredi 1er mars 1854

J’ai bien fait hier soir ce qui vous convient. Soirée très éparpillée. D'abord chez Mad. d’Haussonville la mère, puis chez Molé, puis et l’ambassade d’Angleterre. A ma première station, rien que les Broglie et les Ste Aulaire, Mad. d’Haussonville et Mad. d'Harcourt en grande toilette de bal, pour Mad. de Chastenay. Drôle de bal, donné seulement pour les femmes mariées. Mad. Piscatory a demandé la permission d'y amener sa fille Rachel, et elle a reçu une réponse si peu gracieuse, faisant sonner si haut l'exception qu’elle n’y est pas allée, non plus que sa fille. Chez M. Molé, peu de monde ; le Mardi gras absorbe tout. Toujours plus de femmes que d'hommes. Duchâtel, le Duc de Noailles, Rémusat, M. de Vogué, Pageot, & Molé triste, et vide, cherchant ce qu’on peut faire pour vous remplacer et ne trouvant pas. " Je ferai tout ce qu’on voudra pour cela. " Je n'ai pas répondu.
Le Duc de Lévis avait des nouvelles très récentes de M. le comte de Chambord qui reste à Prague indéfiniment. Il s'y trouve bien ; l'ex. Impératrice aime beaucoup la comtesse de Chambord. Vous ai-je dit que la Reine Marie-Amélie, en allant en Espagne, avait promis à sa fille la Princesse Clémentine d'aller, en revenant, passer quelques jours chez elle à Cobourg ? Si elle exécute son projet, en revenant plutôt, comme on le dit, à cause des troubles d’Espagne, le comte de Chambord ira probablement la voir à Cobourg. Le Prince et la Princesse de Joinville y seront avec leur mère, et le Duc d'Aumale ira peut-être jusques là au devant d’elle. Double visite donc ; le grand Duc de Gotha et Cobourg (car ce n'est plus qu’un, n'est-ce pas ?) à Paris, et toute la maison de Bourbon à Cobourg. Est-ce que le grand Duc de Gotha est destiné à remplacer ici le duc de Brabant ?
Assez de monde à l’ambassade d'Angleterre ; pas beaucoup pourtant ; les salons ressemblent à un habit trop large. Plus de Français que la dernière fois ; Flahaut, Fould, l’amiral Lasusse, his de Batenval, Michel trouve bien ; l'ex. Impératrice aime beaucoup Chevalier, et quelques autres. Lord Raglan, en conversation intime avec le petit général Chranowski (est-ce bien son nom ?), celui qui commandait l’armée Piémontaise à la bataille de Novare. On dit que c’est un homme capable, quoique battu. J’ai causé un moment avec Fould qui ne recherchait pas la conversation, plus longtemps, avec Flahaut qui était triste et inquiet de l'avenir, pour tout le monde. Peu cependant pour l’Angleterre ; on lui écrit que Lord John commence à mollir un peu sur son bill de réforme, et qu'il pourrait bien être amené à consentir à le laisser tomber. Quelque membre libéral et ami du cabinet proposera de déclarer qu’en ce moment la mesure est inopportune et demandera l’ajournement, qui passera. On dit que si Lady John ne s'en mêlait pas, son mari serait assez traitable ; mais elle ne l'est pas du tout.
Je vous retire, les sages mesures financières que je vous avais annoncées, le rétablissement de l'impôt du sel et des 17 centimes dégrevés sur la contribution foncière. Des gens compétents m'ont dit hier soir qu’il en avait en effet été question, mais que le bon sens avait été battu et que le budget présenté au Conseil d'Etat n'en disait rien. On a craint l'impopularité. Cela vous sera bien égal.
Lady Cowley m'a trouvé bien aimable d'être revenu. Je n'étais dans mon lit, qu'à onze heures et demie.

Jeudi 9 heures
Je reprends ma lettre que j’ai gardée pour une bonne occasion qui part aujourd’hui. La journée d’hier n’a pas été aussi paisible, dans les rues de Paris, que le disent les journaux. Pendant qu'à mon extrémité du Boulevard, on célébrait les obsèques de l'amiral Roussin avec toute la pompe due à un maréchal, canon, garnison sur pied, infanterie, cavalerie, artillerie, église magnifiquement décorée, grande foule de spectateurs curieux et froids, à l'autre extrémité sur la place de la Bastille, huit à dix mille ouvriers avec quelques douzaines de bourgeois se réunissaient pour attendre le convoi de l'abbé de Lamennais, c’est-à-dire une bière suivie par huit personnes, et escortée par un fort détachement de gardes municipaux. L'abbé de Lamennais avait, par son testament, formellement interdit qu’on portât son corps à l'Église, désigné les huit amis qui devaient seuls l'accompagner au cimetière, et ordonné qu’on descendît son cercueil dans la fosse commune, sans aucune cérémonie, pierre, inscription & &
A l’arrivée sur la place de la Bastille, les huit ou dix mille ouvriers ont voulu suivre le corps ; les gardes municipaux s'y sont opposés, ont dissipé la foule, barré une rue et fait cheminer le petit convoi solitaire vers le Père Lachaise. Mais devant la porte du cimetière, ils ont retrouvé, et bien plus nombreuse, la foule qui s’y était rendue par toutes sortes de voies détournées plus de 20 000 personnes, dit-on. Là, nouvel effort du peuple pour entrer dans le cimetière à la suite du cercueil de l'abbé ; nouvelle résistance des gardes municipaux, qui avaient reçu les renforts. On a repoussé, chargé, dispersé la foule, sans coup de feu ; le petit convoi est entré tout seul, la porte du cimetière a été fermée, et l’enter rement s’est fait avec autant de solitude et d'impiété que l’avait voulu le mort. Des agents de police se sont rendus immédiatement aux bureaux des journaux pour les inviter à ne rien dire de tout cela. J'étais, à cette heure-même, chez Mad. Lenormant, avec 25 personnes, Noailles, Voqué, Vitet, Kergorlay &, entendant une lecture de M. Villemain sur les efforts des conquêtes d'Alexandre pour l'influence des Juifs dans le monde et l’aplanissement des voies au Christianisme. M. de Riancey, le rédacteur en chef de l’Union est venu nous raconter ce qui se passait, et les récits de la soirée ont confirmé le sien. Le père Ventura, l’archevêque de Paris, tout le clergé, ont fait leurs efforts pour obtenir de l'abbé de Lamennais quelque parole de repentir, quelque apparence de mort régulière.
On se serait contenté du plus transparent mensonge. On n’a rien obtenu. Le chansonnier Béranger, et cinq ou six autres gardaient la porte du mourant et renvoyaient tout le monde, polis, mais péremptoires. L'orgueil enragé et désespéré du renégat a eu pleine satisfaction. Il ne vivait pourtant plus, depuis trois ou quatre ans que du produit de sa traduction de l'Imitation de J.C. !
La politique de police et de compression continue, sans violence mais non sans astuce et malice. Le 22 février, quand on a été décidé à interdire toute manifestation le 24, le préfet de police a mandé chez lui, un certain nombre de chefs et d’ouvriers des principaux ateliers de Paris. Il leur a notifié l’interdiction en leur déclarant qu'elle serait fermement maintenue. Puis, il a ajouté : " à quoi bon tout cela pour vous ? Vous ne faites que servir les légitimistes et M. Guizot. Lisez la presse ; vous y verrez ce qu’ils veulent et ce qu’ils font."
Il avait devant lui, sur son bureau, un moment de la presse. Il a répété mon nom trois fois, avec l’intention évidente de réveiller dans ce monde là l’irritation contre les légitimistes et contre moi. Je tiens les faits de deux assistants intelligents. Ceci bien pour vous seule, comme de raison. Mais il est clair que la police et la presse, au service du Palais Royal, m'en veulent à mort de la fusion, et voudraient bien trouver à mordre sur moi. Ils ne trouveront pas. Je suis et resterai aussi immobile que décidé. Seulement, ne vous étonnez pas, si ma correspondance est très réservée. Quel volume ! Je me figure que nous causons. Adieu, Adieu.
Dites-moi que vous avez le N°6.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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13 Paris, Jeudi 9 Mars 1854

Hier soir Mad. de Boigne et Mad. de Ste Aulaire. Chez Mad. de Boigne le service ordinaire ; la petite Duchesse de Maillé y est presque tous les soirs depuis la mort de sa mère ; une jolie souris intelligente et raisonnable. Le Chancelier va toujours. M. Mérimée silencieux, excepté quand on a apporté un grand coffre sculpté en ivoire que Mad. de Menou a légué à M. de Boigne. Est-ce en ivoire ou en os du 15e ou du 13e siècle de Constantinople ou d’Italie ? La conversation s’est animée. Je n'ai point d'opinion ; mais le coffre est joli. Le général d’Arbouville, qui erre de salon en salon comme un soldat en peine, ennuyé et embarrassé de son oisiveté.
Chez Mad. de Ste Aulaire, la famille, qui suffit presque à remplir le salon ; Mad. de Gouchy, la petite Mad. de Barante. Son beau père arrive mercredi, pour deux mois. Il sera aussi de ceux à qui vous manquez.
On disait hier soir que le Maréchal St Arnauld avait définitivement renoncé à commander l’armée. Ce qui l’indique, c’est que ses officiers d’ordonnance qui avaient annoncé et fixé le jour de leur départ, l’ont ajourné. Je trouve la mesure financière propre par Gladstone, très sensée et son discours très honnête. C'est de la bonne administration politique.
M. de Castelbajac est très réservé. Son beau frère, que j'ai vu hier, dit qu’il ne dit rien, sinon que les préparatifs, et l’ardeur sont grands chez vous. Je ne sais rien d'ailleurs. Je ne fermerai ma lettre qu’en sortant pour aller à l'Académie. Je verrai probablement quelques personnes d’ici là ; mais elles ne sauront rien, non plus. Tout le monde devient réservé.

2 heures
Je pourrais dire comme M. de Givré : Rien. rien, rien. Il ne me paraît pas qu’on ait fini avec l’Autriche. Quel article contre vous que celui du Times répété par le Galignani d'hier soir. On vous promet une guerre à mort. Adieu. Adieu.
Quand vous êtes bien, j’attends impatiemment vos lettres pour mon plaisir ; quand vous n'êtes pas bien, presque plus impatiemment. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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18 Paris. Mardi 15 mars 1854

Hier, un dîner agréable chez Mad. de Caraman ; Broglie, et son fils, Montalembert, et sa femme, Berryer, George d'Harcourt, et Lady William Russell. Spirituelle, et étonnée de découvrir qu'elle ne savait pas bien l’histoire de la mort de César. Je lui ai appris l’existence du récit le plus détaillé, le plus contemporain et le plus politique au fait. Il est vrai que la publication en est récente. Elle prend à l'érudition beaucoup plus d’intérêt qu’à la politique.
On parlait assez du Prince de Hohenzollern, et on ne croyait pas que l’attitude de la Prusse eût été aussi bien prise ici que vous le présumez.

2 heures
J’ai été dérangé par trois visites ; mais elles ne m'ont rien apporté. L'emprunt réussit beaucoup ; il y avait hier grand concours de prêteurs. On dit que Fould n’a pas été d’avis de cette démocratie financière. Je n'ai point entendu dire que le maréchal St Arnaud passât par Vienne. Mais on disait hier qu’il allait passer huit ou dix jours à la campagne pour se reposer avant d’entrer en campagne. Je vous enverrai mon Cromwell qui paraît demain. Si vos yeux s'en accommodent, cela vous amusera. Adieu.
Il faut que je sorte pour affaires. Je vais lundi soir passer trois jours au Val Richer, pour affaires aussi. J'y mène un jardinier. J’irai m'y établir complètement du 1er au 15 mai. Ma fille Pauline sera ici, le 15 avril. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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22 Lundi 20 mars 1854

Si Lord Stratford obtient pour les Chrétiens les quatre concessions qu’il a dit-on, formellement demandées, l'abolition du Karatoch, le droit de témoigner en justice, le droit de posséder des terres et celui d'entrer dans l'administration civile et dans la milice, je ne comprends pas ce qui vous restera à demander spécialement pour les chrétiens grecs. Il est vrai que vous avez manifesté, dit-on, l’intention de ne vous occuper que des Chrétiens grecs et de ne pas vouloir que les concessions fussent communes entre eux et les autres. Ceci vous mettrait encore, vis-à-vis de l'Europe, sur un plus mauvais terrain. J’ai peine à y croire.
On disait hier soir que votre refus péremptoire d'obtempérer à la sommation Anglo-française était arrivé le matin, et que vous aviez répondu sur le champ, sans attendre le terme des six jours. On en concluait que vos flottes de la Baltique s'étaient mises en sûreté, autant qu'elles le peuvent sans quoi, vous auriez profité du délai de six jours.
J’ai dîné hier chez Mad. de Boigne ; le chancelier, M. et Mad. de Rémusat, Mad. de Chastenay, d'Haubersart et Lagrené. Le soir, il est venu assez de monde, Dumon, la Duchesse de Maillé, Mad. Mollien, le général d’Arbouville, la petite Lagrené qui est bien jolie. Sa mère ne sort pas ; leur seconde fille sort à peine d’une fièvre typhoïde qui l’a mise en grand danger. le plus de votre absence.
Barante est arrivé, bien portant, et assez en train. Il me semble que, l’hiver dernier, vous l'aviez repris en grâce. Pour moi, amitié à part, je retrouve toujours sa conversation avec plaisir. Il a l’esprit juste, fin, varié et libre, et nous avons le même passé ; grande sympathie. Je ne puis en conscience répéter à Chasseloup Laubat votre compliment de regret.

Midi
Je viens de lire les deux premières des nouvelles pièces communiquées au Parlement. Le Memorandum de 1844 vous vaut mieux que la dépêche de Seymour de 1853. Je n'ai pas encore entendu parler de votre occasion. Adieu. Je pars ce soir pour le Val Richer ; d’où je vous écrirai après-demain mercredi. leur seconde fille sort à peine d’une fièvre Je serai de retour à Paris vendredi matin. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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37 Paris, Jeudi 13 Avril 1854

J’ai vu hier, chez Mad. de Sebach, l'autre jeune baronne saxonne, Mlle de Chérigny, dont la princesse Kotchoubey m’avait parlé. Je lui en dis à elle-même, en détail, mon impression exacte. Ce n’est pas la peine que je vous la répète. Toutes les apparences sont bonnes.
Le rappel de Bunsen est-il vrai ? La façon dont Clarendon en a parlé me porte à y croire. Ce serait en contradiction avec la pente sur laquelle à Berlin même, on paraît d'ailleurs se placer. Mais c’est par les contradictions que les faibles espèrent se tirer des difficultés. L'entrée des Autrichiens, en Servie, à la suite de votre violation du territoire Serbe, fait ici assez d'effet. Les confiants s'en promettent l'engagement décisif de l’Autriche contre vous. Les méfiants demandent, si l’Autriche ne saisit pas cette occasion d'occuper la servir, comme vous la Valachie et la Moldavie. Les Russes à Bucharest, les Autrichiens à Belgrade, les Anglais et les Français aux Dardanelles, voilà l’intégrité et l’indépendance de l'Empire Ottoman parfaitement garanties.
On dit que la revue d’hier a été belle. L'infanterie surtout a frappé les étrangers par sa bonne mine, sa bonne tenue, la précision et la rapidité de ses mouvements. Les chasseurs de Vincennes ont été applaudis au défilé, par l'Impératrice, et par le public. Aussi la garde municipale.
Décidément, la cavalerie anglaise ne traversera pas la France. Je vois sans cesse M. de Marcellus. Il fait ses affaires avec une extrême assiduité. Je lui ai dit que vous m'aviez parlé de lui.
L’évêque d'Orléans et M. de Sacy entreront les premiers à l'Académie. M. de Marcellus sera ensuite sur la même ligne que deux ou trois poètes que vous ne connaissez pas, M. Ponsard, M. Legouvé & &. On dit que le gouvernement veut mettre en avant l'archevêque de Paris contre l'évêque d'Orléans. Ce serait une grande gaucherie. Il n'aurait pas la moindre chance.
Voilà le cabinet anglais hors d'embarras pour son nouveau bill réforme. Ce n'est pas pour une session seulement qu’il est ajourné, mais jusqu'à ce que la guerre soit finie. Quand le grand génie politique manque dans ce pays là, ils ont toujours la ressource du bon sens. Adieu, adieu.
Quand vous recevrez M. Barrot, ayez, je vous prie, la bonté de lui dire que j'ai été très sensible à sa courtoisie, et point du tout surpris. Il était conservateur de mon temps il a eu bien raison de rester ce qu’il était. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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40 Paris, Dimanche 16 avril 1854

J’ai vu hier Marion ; elle est entrée chez moi au moment où je venais de lui écrire, et avant que ma lettre lui eût été portée. Longue conversation. Affectueuse pour vous ; mais ni le père, ni personne de la famille n'a donné comme possible qu’elle aille vivre quelques mois auprès de vous tant que durera la situation actuelle. Cela étonnerait et choquerait tous ceux qui les connaissent. Il n’y a pas moyen d’y penser. J’ai dit tout ce qui se pouvait, tout ce qui se devait dire. Le langage a été catégorique, avec une tristesse sincère, mais sans incertitude. Son oncle lui a offert de la ramener en Angleterre par Bruxelles pour vous voir en passant. J’ai laissé passer cette idée sans l'accueillir. Je ne pense pas que cela vous convienne, et Marion ne le pense pas non plus. Elle est préoccupée de vous, de votre isolement quand la princesse Kotschoubey vous aura quittée. J’ai entrevu qu’en elle-même, elle n'écartait pas toute idée d'aller alors passer quelque temps auprès de vous, mais bien en elle-même, prévoyant beaucoup d'obstacles, et surtout, ne voulant prendre, ni laisser croire qu'elle pouvait prendre aucun engagement. Je vous dis les choses exactement comme elles sont, ni plus, ni moins. Elle cherche quelqu'un qui puisse vous convenir. Les Rothschild lui ont parlé d'une dame Allemande, très bien née, veuve, dont ils disent beaucoup de bien ; Marion doit la voir ces jours-ci. Elle m'en reparlera.
Je dîne avec les Ellice jeudi prochain. chez Duchâtel. L'oncle était venu chez moi jeudi dernier, le soir ; mais je ne recevais pas le Jeudi saint.
Hier soir, chez Mad. de Boigne. Le chancelier. Molé, M. Osmond, M. de La Guiche, le général de La Rue, M. de Solvo. Point d'autre conversation que Cromwell, et les élections de l'Académie. L'évêque d'Orléans accepte ; M. de Sacy et lui seront nommés.
On attend les nouvelles de la Baltique. Point des bouches du Danube. On dit que là, Russes et Turcs, armées et flottes sont à l'état d'attente et ne feront rien de sérieux d’ici à quelque temps. Il pleut beaucoup ; le sol est impraticable et mal soin pour tout le monde. Voilà le Maréchal, St Arnaud parti.
Adieu, Adieu. Je n'ai point eu de lettre d’hier. J'y compte aujourd’hui ; mais elle se fait attendre. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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41 Paris, lundi 17 Avril 1854

Deux jours sans lettres, ni hier, ni avant hier. Je ne comprends pas. J’ai la confiance que si vous étiez malade et hors d'Etat de m'écrire deux lignes, Hélène me donnerait de vos nouvelles. J'espère donc que vous n'êtes pas malade. Mais le déplaisir est grand.

10 heures et demie
En voilà deux 30 et 31. J’aurais dû avoir le 30 hier. Mon plaisir de ce moment me fait oublier mon ennui de deux jours.
Votre commission pour Andrial sera faite avant 2 heures. Elle est un peu délicate ; mais je m’arrangerai pour la bien faire, et j'espère qu’il pourra persister en conscience dans son propre avis. J'y mets presque autant d'importance que vous-même. La Princesse Kotschoubey auprès de vous m'est une grande sécurité. Au moins faut-il que vous l'ayez tout l'été.
Je vous ai dit mon impuissance auprès de Marion. Soyez sûre de deux choses, que j’ai dit tout ce que je pouvais, tout ce qui se pouvait dire, et qu’il n’y a pas moyen. Toute la famille a un parti pris. Et puis, au fond du cœur, sans me le dire, on vous craint.
Laissez lui prendre un pied chez vous ; elle en aura bientôt pris quatre. Vous avez abusé ; il y a un degré d’exigence qui tue la puissance. Aggy n'était pas en état de se défendre ; mais il lui est resté une grande peur de succomber. Marion sait se défendre ; mais elle n’a pas envie d'y être obligée. Elles se sont jadis très étourdiment engagées ; elles ne veulent plus s’engager du tout. Je vous ai dit, la chance que Marion m’avait laissé entrevoir ; si j’avais voulu amener cette chance à devenir une promesse, j’aurais eu un non positif. Vous connaissez la brutalité des Anglais quand ils sont décidés. Je n’ai pas encore vu Ellice. Je causerai Jeudi avec lui.
Brougham aussi est arrivé. Ils parlent beaucoup l’un et l'autre, des difficultés de la guerre ; ils ne se promettent point de succès prompts et décisifs ; mais ils se montrent et ils disent que leur pays est très résolu à continuer, tant qu’il faudra ; ils indiquent trois ans comme le minimum de la durée. C'est presque aussi ridicule que trois jours ou trois siècles. Personne ne peut rien entrevoir dans l'avenir de cet apathique chaos.
Le Duc de Cambridge s'amuse beaucoup ici. Il a retardé son départ pour un grand bal qu’on lui donne aujourd’hui aux Tuileries.
Le maréchal St Arnaud ne commandera point Lord Raglan. Il y aura concert entre les deux armées, mais non unité. Ainsi ont opéré, le Duc de Marlborough et le Prince Eugène, Wellington, et Blücher. Cela a des inconvénients, mais des inconvénients qui n'empêchent pas les victoires.
Je n’avais pas oublié, le courrier de Brock. Mais je n’avais rien à vous dire qui en valût la peine. Hier matin, Duchâtel longtemps et Molé. Hier soir Broglie et Ste Aulaire. Personne ne sait rien, et tout le monde attend sans grande curiosité. L'indifférence politique a remplacé l'indifférence religieuse, ce qui ne veut pas dire qu’il y ait beaucoup de chaleur religieuse. Adieu, Adieu.
Je vous quitte pour faire ma toilette et m'occuper ensuite d'Andral. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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33 Bruxelles le 18 avril 1854

Merci de tout ce que vous faites pour moi. Quelle révélation que tout ce que vous me dites sur Marion. Je m'interroge et je vous jure que je ne me trouve d’autre tort que de l’avoir trop aimée, et de l’avoir trouvé trop indis pensable à mon bonheur. Oui égoïste comme cela et sans réflexion, car une fois la parole donnée j'ai cru que ni elle ni sa soeur n’y manqueraient et j’avais arrangé ma vie sur cela et je me suis donc trompée, que de déception dans la vie ! J’ai appris que la lettre pour Andral n’est partie que hier, je serai bien inquiète jusqu'à la réponse. Vous avez été bien exact et bon. Vous ne me tromperez pas vous !
M. Ozeroff notre Ministre à Lisbonne est arrivé se rendant à son poste, et ne sachant comment y aller. On croit que je pourrai l’y aider. Il faut traverser ou l'Angleterre ou la France et on ne communique plus avec l'un ou l’autre. On écrit d’Italie de grands éloges sur la Duchesse de Parme elle montre beaucoup de tête et d’énergie, elle vient de faire un emprunt pour lequel elle a offert la garantie de toute sa fortune privée. Montessin est allé la complimenter de Florence. Pas de nouvelle. Tout le monde dit Cronstadt imprenable. Sweaburg ditto. Si cela est, cette grande expédition navale fera peu de chose, et c’est cependant de ce côté qu’on porte le plus de forces, et qu’on fait le plus de fracas comme tout ceci peut devenir ridicule. Adieu, Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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43 Paris, Mardi 18 Avril 1854

Je me rectifie. Ce n’est pas aux Tuileries, c’est à l’Elysée, au milieu des décombres et des constructions qu'a eu lieu le bal donné hier au Duc de Cambridge. J’ai passé là à 3 heures ; les ouvriers en foule travaillaient à enlever les pierres, à cacher, les échafaudages à décorer la porte d’entrée qui n’est pas finie et qui sera belle. C’est une idée singulière qu’une fête dans un palais à demi-renversé, à demi construit. Je suppose que c’est pour avoir le soir, le plaisir de jardin qu’il n’y a pas moyen, d'avoir aux Tuileries. La jardin de l'Elysée est charmant dans le moment-ci. J’ai rarement vu un printemps si brillant.
J’ai fait hier quelques visites les Ellice, Milner, sur John Boileau, M. de Falloux. Je n’ai trouvé que Minles et sa femme qui est assez jolie et a l’air spirituelle. C'est la sœur de Lord Crew. M. de Falloux. meurt d'envie de l'Académie. Il ne se présentera pas pour les deux élections prochaines qui sont comme faites ; mais on prévoit bientôt une troisième vacance, et alors il insistera vivement. Il aura bien des concurrents, MM. de Marcellus, Pomard, Legouvé, de Bonnechose & & M. M. de Marcellus aura des voix. M. de Pastoret aussi voudrait bien se présenter ; mais il n’osera pas, et il aura raison. Je ne crois pas qu’il eût une voix.
Il n'y a pas plus de nouvelles ici qu'à Bruxelles. La maréchal St Arnaud a dit en partant qu'au commencement de Juin, il y aurait une armée Franco-Anglaise de 80 000 hommes dans les plaines d'Andrinople. Il est sûr qu’on fait partir de nouvelles troupes. J’ai vu hier un officier du 7e régiment de chasseurs qui n’avait encore entendu parler de rien, et qui vient de recevoir tout à coup l'ordre de partir. Je n’entends pas parler du tout de bruit que je vois dans les journaux Anglais que l’amiral Bruat remplacerait dans la mer Noire l’amiral Hamelin. Andral ne s’est pas encore expliqué, avec moi du moins. Il voulait recueillir des souvenirs et examiner avant de répondre. Mais je serais étonné s'il ne persistait pas pour Ems.
Adieu, adieu. Le bois de la Cambre doit commencer à verdir et à être charmant. Adieu. G.
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