Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Collection : 1854 (1er janvier-21 décembre) : Dorothée, une princesse russe, persona non grata à Paris (1850-1857 : Une nouvelle posture publique établie, académies et salons)

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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186. Bruxelles 12 Xbre 1854

Mon Dieu, moi vous accuser ! Mais comment ai-je pu si mal exprimé ma pensée. C’est par vous que me viennent de tristes lumières voilà tout ce que j’ai voulu dire. Je suis si faible que je ne puis pas entrer en raisonnements. Je vais aux  aujourd’hui faits. J'écris à M. pour lui dire le projet de Nice. Je frémis cependant à la seule mention de ce projet mais il faut vivre. Je lui demande aussi s'il serait bon que j'écrivisse à F. Pauvre innocent Montebello qui me conjure de venir à Paris où je serais reçue par tous à bras ouverts. Parlez lui dites lui. Il est excellent, il peut-être utile, très utile. Ne négligez pas cela et tout de suite. Hélas il n’y a plus d'amitiés. Cependant ce que vous lui direz à lui ne doit pas être dit à d'autres. Molé est parfait, mais sans doute impuissant. Mes protecteurs sont des puissances morales qui devraient compter.
Les jeunes grands ducs sont toujours à Sébastopol, & y restent. L’Impératrice a été très mal, en grand danger. Elle allait mieux. Que va-t-elle devenir quand elle verra la Prusse se joindre à l’alliance. tournez.
Mon empereur doit être dans un état d’esprit terrible je ne me le figure pas réduit à cette extrémité. Hélas il ne se rendra pas. Et on a bien soin en Angleterre de lui dire. Si vous cédez - vous êtes déshonoré.
Je suis curieuse du diner de la Reine aujourd’hui. Ah cent fois le jour, je voudrais vous avoir auprès de moi, pour moi, pour tout ce qui se passe. Adieu. Adieu. J’ai écrit Je suis lasse. Ma faiblesse est grande. Adieu. Adieu.
Que votre affection ne se fatigue pas. Adieu. tournez. Je crains les susceptibilités. Voilà pourquoi je vous envoie la feuille volante. A remettre si vous le jugez bon, si non à bruler.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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186 Val Richer, Samedi 28 oct. 1854

Si vous n'avez pas lu tout entière la lettre d’un de nos officiers, du 39e régiment de ligne, insérée dans les Débats d’hier Vendredi, lisez-la malgré la longueur. Elle est amusante, quoique vulgaire, et à travers bien des bouffés de complaisance nationale, le tableau doit être vrai. Il n’y a point de garçonnades qui égalent, celles de Pétersbourg. Ce que je trouve de plus ridicule, dans de tels mensonges, ce n’est pas le mensonge ; c’est l'enfantillage. J’aime les enfants plus que personne. mais les hommes enfants me sont insupportables. Voilà d'abondantes récompenses pour les vainqueurs de l'Alma. Celles des généraux sont peut-être un peu promptes ; mais pour les soldats, je ne trouve rien de trop. Quand on a donné obscurément ses bras, ou ses jambes pour faire son devoir, on mérite bien un peu d’honneur et d'aisance pour ce qui reste de vie.
Les petits Etats Allemands me paraissent bien vivement préoccupés de la chance d’une rupture entre l’Autriche et la Prusse. Ils ont raison. Autrefois, les Allemands pouvaient se faire la guerre entre eux en conservant leur indépendance. Aujourd’hui s'ils se divisaient, ils ne seraient plus que les instruments des uns et des autres. Entre les grandes puissances de l'Est et de l'ouest l'Allemagne n’a pas trop de tout son poids pour rester aussi une grande puissance. Nous nous sommes moqués des puérilités de la patrie Allemande ; il y a au fond de cela une idée juste. Du reste, je ne crois pas à la rupture. L’Autriche fera des politesses et la Prusse des concessions. L'orgueil Prussien a subi bien des désagréments depuis 1848 ; je doute qu’il les repousse maintenant à coups de canon ; surtout quand les coups de canon seraient très contre la pente nationale.
Ce que vous me dites des dispositions expectantes de l’Autriche jusqu'au printemps avec ce qu'on rapporte, n’est pas d'accord de l'avis du baron de Hess qui a demandé, au dernier conseil de guerre tenu à Vienne que l’Autriche ne demeurât plus sur la défensive. Onze heures Le facteur ne m’apporte rien, et je vous dis Adieu. Est-ce que le retour du Roi Léopold ne vous enlèvera pas quelquefois Van Praet ? Adieu. G. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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187 Bruxelles le 12 Décembre 1854

Voici encore une occasion sure j’en profite. Quand vous m'écrirez sous couvert de Cerini faites faire l'adresse par un autre et n'employez pas votre cachet. J’attends, et j’attends. Je ne vois pas le terme. Voici l’histoire. Le 10 Nov. M. revient à Paris et me le mande, en me demandant de lui écrire de suite une lettre qu'il puisse montrer. Il la montre le 15 fête de l’Imp. On est touchée de ma lettre. On veut que je revienne. On me fait la promesse seulement comme j’ai affaire à un allié ombrageux. Laissez-moi la lettre pour que je la montre à Lord Cowley." Morny me dit l'Emp. va de suite m'envoyer le passeport. Dites-moi le jour, j'irai vous chercher au chemin de fer. Je ferai préparer votre dîner. & &. Vous savez mieux que moi le reste. La seule lettre que j’ai eu depuis de Morny est du 28. " hier 27 l’Impératrice m’a dit diabolique effet en Angleterre, mes affaires d’état, mais c’est égal je ne changerai pas, je l’ai promis. Si sur cela M. heureux & moi plus que lui. Il me dit au revoir ici. Seulement il ajoute "attendez patiemment". C’est ce petit mot qui me jette dans le désespoir. Y a-t-il un terme. Le [?] me tue.
J’ai écrit le 6 ce que vous m'avez dit d'écrire. Pas un mot. Est-ce que je com promets M. ? Je me tâte je voudrais bien savoir si je suis moi. L'objet aujourd’hui des soupçons de tout le monde ! Ah que j'espère cruellement l'importance que j’ai pu avoir, ou plutôt qu'on m’a cru.
Je demande mon repos ma santé, mes amis ; je dis volontiers adieu à toutes les correspondances à tout, pourvu qu'on me rende Paris.
Depuis le 20 Nov., le jour où vous y êtes rentré, je ne tiens plus d'impatience jusque là ma résignation était douce.
Il y a eu quelque chose de mal heureux l’arrivée de Palmerston va était prévenu cependant qu'il n'était pas de mes amis. Enfin je ne veux pas chercher les toutes. Je suis touchée de l’amitié, mais je crains qu’elle ne se fatigue ou qu’elle perde sa puissance. Je vous ai demandé si Fould était bien pour moi. Je le crois. M. se fâcherait-il si jefFrappais à cette porte.
Voici votre lettre d’hier sur ce & j’y ai répondu sujet entre autres & par ma lettre ce matin.
Je crois que chez nous on veut décidément la paix, mais il n’y aura pas moyen si on nous la rend trop dure. Nous sommes extrêmement forts du côté de l’occident. Que je voudrais que Sébastopol tombât (ne répétez pas cet horrible propos) tout serait plus facile. Mais on dit que ce sera imprenable. N'oubliez pas que le 16 Hatzfeld envoie son courrier.
Ah que je voudrais que Montebello veut me voir. Qu'il m’amène son fils. Un jour de causerie avec lui. Des paroles de vous intimes quelque direction. Ou bien le duc de Noailles ou Dumon ferait-il cela ? Mon Dieu quelqu’un à qui parler, me confier. Je suis bien malheureuse. Adieu. Adieu. Adieu. Que cette semaine en octobre a été charmante. Quel inépuisable bavardage. Quel impensable plaisir. Adieu. Vous connaissez le mot de Thiers pour chez vous. J’aime la cuisine. Je n’aime pas le cuisinier. Je ne conçois pas que ma lettre du 6 à Morny soit resté sans réponse.
6 heures
Il est peu utile, il est même dangereux de se plaindre. mais comment ne pas me plaindre au fond du cœur de la publicité donnée à tout cela lorsque M. savait à quel point je tenais au secret. Cela devait rester entre lui l’Empereur et moi. Au lieu de cela, voyez ? Quand on m'en parle, je nie que j'ai fait une démarche. Bavardage provenu de ce que je parle de mon ardent désir d’aller à Paris et que je l'écris à tout le monde. Je vous écris à toutes les heures. J’ai la fièvre. Ah si vous étiez au Val Richer comme je me soucierais que de Paris. Adieu. Adieu.
Il me semble entrevoir dans vos lettres que vous avez peu d'espoir. Au fond je ne comprends pas l’Empereur. C’est montrer trop sa subs[?] à l'Angleterre. Je lui croyais plus d'orgueil que cela. Moi à Paris qu’est-ce que je puis faire. Ne suis je pas en son pouvoir ? Enfin je ne comprends pas. Encore et toujours Adieu.
8 heures Encore un mot. Je vous ai parlé ce matin de Montebello. Il est excellent et peut être très utile. Il voit souvent Fould, ils ont souvent parlé de moi depuis mon départ. Son amitié & son témoignage ont une grande valeur parce qu'il est plein d'innocence et de sincérité. On l’aime là. Il pourrait dire bien des choses qui me seraient très utiles car j’ai toujours causé bien librement avec lui. Mettez-le au fait et je parie qu’il trouvera moyen de me servir.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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187 Val Richer, Dimanche 29 oct 1854 4 heures

L'ordre du jour de Lord Raglan sur les médecins de son armée est bien rude, et certainement bien mérité. On ne donne pas de telles leçons à son propre monde sans une nécessité absolue. Mais il est beau de les donner. Evidemment l’armée anglaise a souffert et souffre encore beaucoup. Quant au siège même le rapport de Canrobert du 13 suffit pour prouver qu’il est difficile, et qu’il sera long. Rien n’est sûr et tout est possible. Mais je ne me lasse pas de redire que vous êtes en présence d’une obstination au moins égale à la vôtre.
Je suis bien aise que l’amiral Bruat se fasse honneur. C’est un homme d’une intelligence et d’un courage rares. Il m’a très bien secondé dans l'affaire la plus difficile, et la plus ennuyeuse que j’ai eue, celle de Taïti. C'est à lui, militairement, comme à moi politiquement, que la France doit d'avoir conservé cette possession à laquelle la Californie, l’Australie, la Chine et le Japon ouverts donnent chaque jour plus de valeur.
J'admire la promptitude de vos nouvelles, mais je ne m'accoutume pas à la lenteur des nôtres ; je ne comprends pas qu’on n'ait pas organisé un service de bateaux et d'estafettes pour faire arriver les rapports de Balaklava à Vienne aussi vite que vos courriers vont de Sébastopol à Moscou. Il est assez naturel que nos généraux en Crimée n’y pensent pas toujours ; leur action est plus importante que notre information ; mais le gouvernement aurait dû régler cela dès le début et très régulièrement. Il est très intéressé à savoir et beaucoup aussi à parler. Quand la presse n’est pas libre, c’est au pouvoir à l'alimenter. Je suis très contrarié que Morny ne soit pas encore revenu à Paris.

Midi
Je trouve les dépêches du Moniteur obscures ; elles en disent plus en un sens que le Prince Mentchikoff n’en a avoué moins dans un autre sens ; elles détruisent plus de fortifications et moins d'hommes. Du reste, je vois qu’on vient d'organiser un service pour que nous ayons des nouvelles directes tous les deux jours. Il est bien ridicule qu’on ait attendu jusqu'à aujourd’hui. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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188, Bruxelles le 13 décembre 1854

Comment n'avez-vous pas eu ma lettre du 11. J'écris tous les jours. J'écris aujourd’hui à Montebello et je le prie d’aller vous voir. Dites-lui de montrer ma lettre à F. Il va chez lui souvent, il pourrait bien y aller à mon intention. Il y a là tout ce qu'il faut. Je passe régulièrement deux nuits de suite sans sommeil c.a. d. Trois heures tout au plus. La troisième nuit 6 h. de sommeil, c’est réglé. Imaginez ce qu'on devient à un pareil régime.
J’attends la poste. Votre lettre y est toujours, que Dieu vous en récompense. Mais M. pas un mot. Mon Dieu, on est donc sans pitié et sans souvenir. Lord Howard dit que l'Angleterre va voir en Crimée 55 m hommes, qu’elle en mettra plus s'il le faut. Il faut Sébastopol, à Londres, à Paris, c’est résolu. Si j’étais l’Emp. Nicolas, je laisserais prendre pour que cela finisse. On devient féroce à Londres, la poste n’accepte plus de lettre à l’adresse de St Pétersbourg. Ce que je vous ai dit de Mme Kalerdgi me parait vrai, quoique les Crept. nient. La source des informations est bonne. En tous cas samedi elle quitte Paris.
Adieu bien vite, on m'interrompt.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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188 Val Richer, Mardi 31 oct. 1854

Il fait le plus magnifique temps qui se puisse voir clair comme en Août doux comme en septembre. J’ai passé presque toute ma journée dans mon jardin. Ce serait charmant, si ce n'était pas les derniers beaux jours. Autrefois, l'hiver avait aussi son charme. Dieu veuille qu’il le retrouve !
La correspondance de nos généraux, Français et Anglais, ne me plaît pas. Je la trouve vague, molle, écourtée, sans caractère. Les vôtres mentent effrontément ; les nôtres ont l’air de ne savoir que dire. Je suis convaincu qu’au jour de l'action, ils feront leur devoir, et qu’ils le feront avec intelligence ; mais il n’y a évidemment là, ni une idée arrêtée, ni une volonté maîtresse. Bizarre contraste jamais guerre n'a été plus factice, plus engagée par le seul fait des hommes et de leurs démarches, bien ou mal conçues ; et l'événement une fois en train, ces hommes, qui l’ont lancé, se trainent à sa suite, languissamment, à tâtons, comme s’ils n'avaient rien prévu et préparé dans ce que seuls, ils ont décidé. On peut être mal informé et point prêt quand on est pris au dépourvu par quelque brusque et impérieuse nécessité mais il faut mieux savoir et diriger d'avantage, ce qu’on a soi-même amené ! Avez-vous quelque idée sur ce qu’il y a de vrai dans ce qu’on dit de l'activité de votre travail aux Etats-Unis et de ses effets ? On prétend que l'opinion américaine, qui vous était très hostile au commencement de cette guerre, tourne en votre faveur, grâce à vos efforts diplomatiques, financiers, commerciaux. Je ne vois pas ce changement dans le peu qui me revient des journaux américains. Mais certainement, si la guerre se prolonge, elle amènera des transformations, et des complications inattendues. La plus grave de toutes serait celle qui amènerait l’Amérique à prendre parti dans des questions purement Européennes, comme celle-ci.
En fait d’Amérique, je ne lisais pas reste ; mais vous me le ferez lire. Mes filles qui ont lu l'original disent comme vous que c’est plein d’intérêt, et charmant par le naturel, mais bien long. Lisez vous vous-même, ou Mlle de Cerini commence-t-elle à vous lire ? Je le voudrais bien. J’ai beaucoup dit à Mme de Seebach qu’elle devait s'y appliquer, car c'était là sa principale utilité.
Midi et demie
Mon facteur est pressé. J’ai à peine jeté un coup d’œil sur mes journaux. Ils ne disent pas grand chose ; mais mon impression, en les lisant, est d'accord avec ce que vous me mandez ; il n’y a pas de grands renforts et Sébastopol sera pris. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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189 Bruxelles le 13 Décembre 1854

Je vous ai envoyé mon 187 par occasion, le comte Caroly. En voici une autre. J'écris quoique je n'ai rien à dire qu’un nouveau sujet d'angoisse. L’Impératrice est très mal. Elle était très mal avant hier. Si j’ai le malheur de la perdre voilà mon dernier lien avec la Russie rompu ?
Que va devenir l’Empereur, je ne puis pas me figurer sa situation, & dans quel moment !
Le ministre d’Autriche qui est venu me voir ce matin est encore plein d'espérance de la paix. Le 28 Nov.; nous avons adhéré par note aux quatre points simplement formellement. Le 30 Bual exprime par note au Prince Gortchakoff la vive satisfaction de son maître. Le 2 on signe le fameux. traité exige dit-on très rudement par Bourqueney & Westemorland. Bual nous déclare que c’est dans le but de rendre la paix plus facile. Trouverons-nous cela ? Dans les préliminaires qui ont dû nous être envoyé, Sébastopol ne sera pas mentionné. L'Angleterre dit-on est fort désireuse de la paix. Je ne crois pas trop. La Prusse va être forcée de se décider. Adieu. Je n’ai rien de nouveau sur mon compte. Mon découragement s’arcroit tous les jours. God bless you. Adieu. 8 heures du soir.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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189 Val Richer, Mercredi 1er Nov. 1854

C’était le mois de Novembre qui nous réunissait. J’y entre avec un sentiment très perplexe.
J’ai eu hier plusieurs visites. Tout le monde croit à la prise prochaine de Sébastopol. Je n’ai jamais vu un si singulier. mélange de doute et de confiance. On ne croit à rien de ce que disent les journaux, même officiels on s'étonne qu’ils n’en disent pas davantage, mais on compte sur le succès. On y compte surtout, passez-moi de vous le dire crument, parce qu’on a cessé de croire en vous dans votre force et dans votre habileté. C'est là, dans notre public, le fait nouveau et important. Fait qui aura certainement beaucoup d'influence sur l'avenir, une influence probablement très exagérée. On s'étonnera quelque jour de vous trouver plus forts qu’on ne vous aura crus, comme On s'étonne aujourd’hui de vous trouver plus faibles qu’on ne croyait.
Le Journal des Débats donnait hier deux dépêches de Pétersbourg et de Berlin (26 Août et 5 sept) que je n’avais pas encore lues. Je suis accoutumé au Style allemand, de dépêches ou de livres ; mais que dites-vous de cette phrase Prussienne : " Nous ne revendiquons pas aux quatre points que la Russie vient de refuser comme base de négociation le monopole d'être exclusivement propres à remplir ce but ; mais nous contenons, en en détachant, l'écorce d’une susceptibilité à laquelle nous ne contestons pas d'être naturelle à y trouver un noyau appelé à reparaître, tôt ou tard, avec telle ou telle modification, comme base de l’arrangement qui assurera à l'Europe les bienfaits de la paix. Le traducteur français est sans doute pour beaucoup dans cette phrase ; mais ce n’est certainement pas lui qui a inventé l'écorce, et le noyau.
Les élections Espagnoles ont à ce qu’on assure, trompé l’attente des révolutionnaires, et pour peu que le ministère veuille résister, il trouvera, dans les Cortés qui s’approchent, un point d’appui. Cela calmera peut-être les désirs d'abdication de la Reine Isabelle. Autrefois, il n’y avait que les grands hommes qui abdiquassent aujourd’hui, c’est une fantaisie qui prend aux plus médiocres. La lassitude et la peur dominent. Notre temps est un temps de mécomptes, mécomptes pour les honnêtes gens, mécomptes pour les coquins. Est-ce un pas vers la décadence ou vers la sagesse ?
Onze heures
Je dis comme ce pauvre de mousseaux de Givré qui ne dit plus rien, car il est mort du choléra : " rien, rien, rien ! " ; mais toujours Adieu, adieu, et adieu. G. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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190. Bruxelles 15 décembre 1854

Voici ce qui fait suite aux notes du 28 & 30 Nov. Autre Gortchakoff et Bual dont je vous ai parlé. Lorsqu’est survenu le traité d’alliance signé le 2 Xbre Gortchakoff est allé exprimer au Cte Bual son profond étonnement.
Il a été vif et a fini par demander ses passeports. A quoi Bual, lui a répondu : demandez plutôt des pleins pouvoirs, car nous allons négocier. Ceci m’a été dit en confidence mais vous pouvez tenir pour certain d’autres côtés tout en confiance dans l’idée que la paix ne dépend que de l’Empereur et qu'on ne la lui rendra pas trop dure.

10 heures. Voilà votre lettre avant tout, que je vous félicite du petit garçon. Félicitez votre fille de ma part. Je m’associe bien à toutes les joies de famille. Vous n'oubliez pas que Hatzfeld à demain une occasion de me faire passer des livres.
Lord Howard vient me voir souvent. Il connait les heures de tête à tête. Je suis très contente de lui. Vraiment l’idée de la paix possible. Toute l’apparence belliqueuse est nécessaire pour inspirer confiance & flatter. La passion populaire. On en sera plus libre d'aboutir à la paix. Je crois donc moi à la sincérité du [gouvernement] Anglais dans ce but. Mais là on doute de la nôtre. On a tort. L'Empereur désire la paix ardemment, et la maladie mortelle de sa femme doit bien augmenter le désir. Il y avait quelque mieux avant hier. C’est toujours ses inquiétudes pour ses fils, mais comment les rappeler tant qu'on se bat ?
Pas un mot de M. Mes souffrances & mon chagrin augmentent. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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190 Val Richer, Jeudi 2 Nov. 1854

Je ne comptais pas vous écrire aujourd’hui ; mais je veux vous dire qu’on a reçu à Paris, du 25, des nouvelles contradictoires, l’une celle des lignes anglaises, forcées et de leur cavalerie abîmée par le général Liprandi arrivé tout récemment avec son corps d’armée ; l'autre que ce même jour, 25 oct. les alliés ont fait, sur Sébastopol une grosse attaque qui a mis la place à bout de résistance. On m'écrit les deux choses ; mais je ne trouve rien du tout dans le Moniteur, et les feuilles d’Havas ne donnent que la première nouvelle la mauvaise pour nous, ce qui me fait craindre qu’elle ne soit la seule vraie. Entre le mensonge et le silence, la vérité est difficile à reconnaître. Il faut attendre. On commence évidemment à être très préoccupé des lenteurs du siège. L'alimentation des armées alliées est une grosse affaire. Il arrive tous les jours à Balaklava, 31 navires chargés, uniquement à cette intention. Il ne faudrait pas que le temps devint trop mauvais.
L’Evêque d'Orléans, sera reçu à l’Académie d’aujourd’hui, en huit jours, le 9. Il l'a demandé afin de pouvoir partir pour Rome, où il est appelé pour décréter l'immaculée conception de la Vierge.
Mlle Rachel (quel nom à mettre après ce que je viens de dire !) ne veut pas jouer Médée. Elle va en appeler du jugement du tribunal. Elle compte beaucoup, sur la protection de M. Fould.
Il y a du malheur sur les familles de mes amis. Ce pauvre Villemain à sa fille aînée, 19 ans, mourante de la poitrine. Il y a de quoi lui rendre la folie. Adieu, Adieu.
Ne soyez pas malade. Vos indispositions sont en général assez simples ; mais votre force n’est pas grande. Il vous faut un bon climat, une vie monotone. du repos d’esprit et Andral. Adieu. G. Ce que vous me dites de l’Autriche et de M. Bach est d'accord avec toutes mes conjectures. Les souverains absolus sont absolument imprévoyants ; pour se débarrasser de l’aristocratie qui les gène, ils grandissent à ses dépens, la démocratie qui les renversera après les avoir servis. S'ils avaient de l’esprit et du courage, ils feraient, à l’aristocratie comme à la démocratie, leur part dans le gouvernement, et les garderaient soigneusement toutes deux pour les limiter et les contenir l’une par l'autre. Mais qui est ce qui a la sagesse de demain ? Adieu encore.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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191. Bruxelles le 16 X 1854

On entre ici dans la saison des dîners, ce qui me prive. de la seule ressource que j'avais le soir, van Praet Il ne sort de là qu'à 10 h. C’est trop tard pour moi. Je ne sais plus que devenir.
Je fais la patience, je tricote ! Quel emploi de mon temps ! Je ne peux pas Cerini ne sait pas lire. Auguste lit quelques lire. fois. N'avez-vous pas pitié de moi ?
Et en hiver, et à l’auberge, et dans cette époque si abondante en événements dont le plus petit aurait défrayé la conversation de mon salon pendant la semaine, n’avoir personne quel exil pour mon esprit.
L’Impératrice va décidement mieux. Je le sais par le télégraphe de Berlin que j'ai fait interroger ce Comme je n’ai matin. pas répondu un mot à la lettre menaçante de mon neveu, il a cessé de m'écrire. Je ne saurai des détails de l’Impératrice que par Meyendorff. On me dit que la Prusse ne se pressera pas d’adhérer au traité du 2 Xbre. Elle a tort, d'autant plus qu'il faudra bien qu’elle y passe. Je trouve les remarques des Débats sur le discours de Lord John très juste. Adieu, toujours avec tristesse, plus que jamais avec tendresse. Adieu.
Tous mes N° sont ils exactement rentrés ?

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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191 Val Richer, Samedi 4 nov. 1854

Il paraît que vous dites vous mêmes à Pétersbourg, que les nouvelles du 25 du Prince Mentchikoff, annonçant un grand succès contre les Anglais, étaient fausses. Le Moniteur donne sous la même date des nouvelles très contraires, et bien cruelles pour l’intérieur de Sébastopol. Je suppose que l’amiral Hachimoff, que nous tuons aujourd’hui, n'est autre que l’amiral Kormiloff que vous avez tué, il y a quelques jours. Vos deux amiraux à la fois, ce serait trop. Quand viendra la fin de cette boucherie ?
Il serait curieux que la mission de M. de Beust et von der Pforten à Berlin aboutît à une dépêche Prussienne dure pour vous à force d’insistance pour vous rendre plus traitables. Je trouve cela dans mes journaux d’hier, et je n'en serais pas étonné. Les petits Allemands vous demandent de les tirer d’embarras par la complaisance, comme vous les en tiriez jadis par la force. Si vous ne les en tirez, ni d’une façon, ni de l'autre, ils s'en prendront à vous de leurs embarras.
Je suis porté à croire que cette concession des chemins de fer autrichiens à une compagnie Française est comme on le dit, une grosse affaire qui influera beaucoup sur les relations des deux Etats. Regardez-y bien ; quoiqu’on en ait souvent et sottement abusé, le mot civilisation n’est pas un mot vague, ni vain ; il y a, sous ce mot, une foule d’intérêts puissants qui deviennent aisément des liens puissants entre les peuples. Puissants par le bien être et par l'orgueil qu’ils satisfont également. Le goût commun et l'état semblable de la civilisation jouent, dans l'alliance Anglo-française, un plus grand rôle qu’on ne pense.
Jusqu’où les Etats-Unis feront-ils du bruit pour l'affront fait à M. Soulé ? J'en suis assez curieux. Je ne pense pas que cela aille bien loin. Au fait le gouvernement ici a eu raison ; les origines et l’ancienne vie de M. Soulé, et son affaire à Madrid, avec M. Turgot, et toutes ses allures méritaient cela. Les gouvernements ne doivent être ni susceptibles, ni insensibles aux injures.
Autre petite curiosité ; la Reine Isabelle, ouvrira-t-elle elle-même les Cortés ? Si elle ne le fait pas, cela donnera un grand élan au parti révolutionnaire dans cette assemblée ; l'absence sera une demi abdication. Si elle paraît en personne il n’y aura plus d'abdication du tout. J’ai peine à croire que l’Espagne tente la république.

Midi
Tout cela me paraît très obscur. Rien de plus ennuyeux que le mensonge. Ma conclusion est que les Anglais ont reçu un assez grave échec et que le siège continue avec les mêmes chances. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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192 Bruxelles le 17 décembre 1854

J'ai reçu votre lettre d’hier. Je n’avais pas dormi cette nuit, & je suis trop triste, pour vous écrire. La démarche directe pour n’obtenir qu'un demi. résultat, je ne la ferai pas. Le plus court sera de mourir cela supprimera les embarras à tout le monde. Il n'y a que vous que je plaigne, car vous m'aimez bien.
Mais moi, vous avoir si prés, et ne pas être avec vous ? Voyez-vous cela me déchire le cœur, et ma santé n’y tiendra pas. Il m’en reste si peu de santé. Pardonnez-moi de ne vous dire que cela aujourd’hui. mais ma pauvre tête n'y tient pas. Et mon coeur brise. Adieu. Adieu.
Pourquoi Montebello ne montre-t-il pas ma lettre à F. ? Cela ne peut faire aucun mal, et cela pourrait faire du bien.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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192 Val Richer, Dimanche 5 nov. 1854

Je reviens à mon post scriptum d’hier. Tout cela est bien obscur, et c’est un grand ennui que l'obscurité dans un si grand intérêt. Trois choses que je ne comprends pas qu’il n’y ait pas un service de dépêches plus régulier et plus fréquent ; que les généraux et les amiraux n'en disent pas davantage dans leurs rapports que le gouvernement n'en dise pas davantage, si les généraux lui en disent davantage. Tout cela est de la pure malhabileté. Il faut savoir parler au public, même des affaires qui vont médiocrement. Notre public a donné la démission de la politique, mais moins de la politique extérieure que de l’intérieure. Pour la politique extérieure, il reste curieux et redeviendrait aisément animé et difficile. D’autant qu’on a soi-même surexcité plus d’une fois le vieil esprit national. Point de rapport, ou point de publication des rapports de l’amiral Hamelin sur l'affaire du 17 où les flottes, et la flotte Française en particulier, et le vaisseau amiral Français, la ville de Paris entr'autres, ont évidemment jouer le grand rôle et beaucoup souffert ! C’est inconcevable. Je dirai du silence comme du mensonge ; c’est une si bonne chose qu’il ne faut pas en abuser, car on l’use et on le décrie.
Par dessus le marché, mon journal des Débats et mon Moniteur d’hier m'ont manqué. Il n’y avait certainement rien que ne m'aient dit l'assemblée nationale et les feuilles d’Havas ; mais c’est impatientant.
Albert de Broglie, qui arrive de Paris m'écrit : " J’ai laissé Paris un peu inquiet des longueurs du siège auxquelles, on aurait du être préparé. Il n’y a point d’incertitude sur l’issue, mais un sentiment, je crois assez juste, que plus la défense des Russes sera longue, moins le coup sera décisif. pour la paix."
Albert me donne des nouvelles des St Aulaire. " Cette pauvre famille, après trois mois de tortures héroïquement supportées est, je crois à bout de forces. Elle n’a voulu voir personne encore J’ai eu un mot de Mad. d'Harcourt, et vu une lettre de Langsdorff à M. Doudan ; l’un et l'autre paisibles et désolés. " Il ne me dit pas que St Aulaire soit malade.
Serez-vous assez bonne pour remercier de ma part, le capitaine Van de Velde de sa brochure sur la guerre de Crimée qu’il a bien voulu m'envoyer à Paris et qu’on m’a renvoyée ici ? Je l’ai trouvée très claire, très intéressante et très vraisemblable pour les ignorants, comme moi.
A en juger par les extraits qu’on en a donnés à Londres et à Paris, les rapports du Prince Mentchikoff sur la bataille de l'Alma sont écrits avec dignité et convenance.

Midi
Avec les journaux, j’ai des nouvelles de Paris, de très bonne source. Je copie : " La version russe relative à l'échec éprouvé par les troupes anglaises était singulièrement exagérée ; mais peu s'en est fallu qu’elle ne fût exacte. La vérité est que le 25, le général Liprandi, à la tête d’un corps de 30 000 hommes a surpris et attaqué l'aile droite du corps d'observation des armées alliées, composée de la division Anglaise qui a été un moment très compromise. Mais l’arrivée du général Bosquet et de la division française a rétabli les choses et forcé les Russes à la retraite. Les Anglais ont fait des pertes sensibles surtout leur cavalerie. Les rapports de leurs généraux rendent l'hommage le plus complet à la valeur et à la décision de nos troupes qui ont dans cette occasion, sauvé la partie. Cette affaire fait le plus grand honneur au général Bosquet. qui paraît être un officier de grand avenir. Vous voyez que j’ai eu la même impression que vous sur les rapports du Prince Mentchikoff.
Adieu, Adieu. G. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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193 Bruxelles Mardi 19 Xbre 1854

Je n’ai pas été en état hier de traiter une ligne votre lettre de Samedi m’avait bouleversée. Elle m’a donné mes attaques de bile des plus violentes. J’ai passé hier tout le jour dans mon lit. J'y suis encore aujourd’hui. mais mieux que hier. Ces secousses ne me vont plus. Que puis-je vous dire ? Mon esprit et mon courage m’abandonnent. Tout ce que je perds de ce côté-là, je le gagne en tendresse de cœur, et mon cœur déborde, et mess yeux pleurent. J'écrirai peut-être à l'Empereur. Ce sera mes résolution soudaine, car par réflexion je ne le ferais pas.
Je me suis fait lire votre discours, très beau, mais la fin n’a pas été de mon goût Nous avons sur certaines choses des gouts différents, et j’ai trouvé le moment mal[ ?]. La Prusse ne se joindra pas encore à l’alliance. C’est le plaisir de trainer, car il faudra bien qu’elle y arrive. Je ne puis pas continuer. Je suis trop faible. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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193 Val Richer. Lundi 6 nov. 1854

J'étais pressé hier en vous envoyant les nouvelles qui m’arrivaient ; je n’ai pas copié le dernier paragraphe. Après les mots sur le général Bosquet, officier de grand avenir, on ajoute : " Les Anglais ont d'ailleurs pris leur revanche. Dans cette même journée du 27, les assiégés ayant tenté une sortie formidable sur les lignes anglaises, (sans doute en même temps que le général Liprandi les attaquait du dehors) ont été complètement battus, et ont laissé sur le terrain mille morts, dont les corps ont été comptés (on souligne ainsi). Tout cela est glorieux, mais horriblement triste.
Les journaux que vous recevrez aujourd’hui ou demain vous donneront probablement les détails. Je vous les envoie en tous cas comme ils me viennent.
J’ai lu en entier, les rapports du Prince Mentchikoff dont je n’avais vu que de extraits. Ils sont vraiment remarquables par l'absence de forfanterie et pas l’équité. Les journaux Anglais nient que le fils de Lord Clanricard ait été pris. Le sait-on positivement de Pétersbourg ?
Avez-vous lu le discours de Lord John à Mansion house pour provoquer les souscriptions au patriotic fund en faveur des familles des tués et des blessés ? Au milieu des éloges à la bravoure et au dévouement des soldats anglais, il les félicite et il félicite le pays de ce que leurs lettres, publiées dans les journaux, ont prouvé " that our rank and file can express themselves with a degree of intelligence and property which, while it marks their good feeling, indicates how much progress has been made in education, since the last war. " Voilà la passion de la civilisation, et cela a été couvert d’applaudissements.
J’ai une longue lettre de Macaulay. Purement littéraire ; des compliments sur Cromwell. Il me dit qu’il publiera dans quelques mois son Histoire de Guillaume 3. Toute préoccupation politique personnelle du moins l'a évidemment quitté : " My health is not very good. But I do not complain. I have numerous sources off happiness, independance, liberty, leisure, book, kind friends and relations."
Il viendra à Paris, le printemps prochain, pour l'exposition. Il nous faut la paix alors, pour que tout le monde y vienne. Midi Je vais lire les rapports détaillés, sur les affaires du 15. Je commence à comprendre celles du 25 et du 26, et j'en conclus que rien n'est fini. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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194 Bruxelles le 20 Décembre 1854

Le Prince Gortchakoff a reçu des pleins pouvoirs pour traiter. sur les trois premiers points pas d'objections, sur le quatrième, révision du traité. Si l'on élève les prétentions de la dépêche de M. Drouin de Luys. Il se retire de la conférence. Décidément nous ne céderons pas sur ce point. Nous tenons Sébastopol, qu'on nous le prenne. Meyendorff est très péremptoire sur ce point, aussi, pas de commission de cette nature-là.
La vive opposition au Foreign unlistement bill provient. de ce qu’on croit que le Prince Albert y a le doit dans l’intérêt des Allemands. C’est très impopulaire. Jeudi 21. Je n’ai pas pu continuer hier, je me suis trouvé mal. L'heure de la poste a passé. Je n’ai pas encore écrit. Je flotte entre le direct & l’indirect dirait, ce sera sans doute celui-ci.
Avez-vous lu le Times du 18 ? La correspondance de l’armée. Quel était pitoyable, quel tableau il en fait. Cholera, dénuement, dans l’armée anglaise. misères de tout sortes ! C’est très curieux à lire tâchez de l’avoir. Cela vaut la peine que vous y prendrez. Kisseleff est très malade. comme moi. Cet atroce climat.
Le général Osten Sacken est mort en Crimée à la tête de 36 m grenadiers, corps d’élite après la garde impériale. Je ne vois pas que les opérations avancent. Le Times dit que le Choléra enlève tous les jours 80 hommes dans l’armée anglaise. Adieu, je suis très faible depuis 3 jours dans mon lit. La[ ?] m’y a laissé hier. Adieu. Adieu. Flahaut arrive à Paris demain. Voyez-le et parlez lui de moi. Et puis parlez moi de lui. Tous vos numéros m’arrivent régulièrement.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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194 Val Richer, Mercredi 8 nov. 1854

Des connaisseurs en fait de tactique politique prétendent à Paris que le gouvernement ne prend point de peine pour prévenir ou dissiper les inquiétudes parce qu’il veut qu’on soit inquiet, se promettant de donner par là plus d'éclat au succès final, et de regagner ce que le Tartare de Bourqueney lui a fait perdre. Je ne crois pas beaucoup à ces finesses, et je m'étonne de plus qu’il faille 17 jours pour avoir des nouvelles de Balaklava. Le Rapport de l’amiral Hamelin est très bien et lui fait honneur ; mais nous aurions de l'avoir au plus tard le 1er Novembre.
S'il est vrai, comme le dit le Constitutionnel, que nos troupes, vous aient repris le 26, les redoutes dont vous vous étiez emparées le 27 et qu'elles aient rejeté le général Liprandi au-delà de la Tchernaia, en même temps, qu'elles repoussaient la sortie des assiégés, l'opération offensive du prince Mentchikoff. aurait complètement échoué, et il lui resterait peu de chances de faire lever le siège par une bataille. Restent toujours deux questions vos renforts arriveront-ils plus vite et en plus grand nombre que les nôtres ? Combien de temps encore avec l’hiver qui approche des assiégeants, nourris par mer, peuvent-ils continuer le siège ? Je suis tout-à-fait de ceux qui croient que Sébastopol sera pris ; mais il faut qu’on se dépêche, car il ne reste plus beaucoup de temps pour le prendre.
Parlons d'autre chose. Faites mettre des bourrelets dans votre appartement pour peu que vous y restiez encore à toutes les portes et à toutes les fenêtres. Faites calfeutrer une fenêtre, s’il y a encore des courants d’air ; c’est assez d’une fenêtre à ouvrir. Avec du charbon et des bourrelets, on peut toujours se défendre du froid, et des vents coulis.
On m'écrit que le Chancelier a repris ses dîners du lundi, et que dans l'avant-dernier il a donné une marque de verdeur qui a diverti ses convives. C'étaient tous des jeunes gens de l'Académie, âge moyen, 60 ans. Le Chancelier a voulu prendre un papier dans son secrétaire, et a laissé tomber un trousseau de chefs, de toutes petites chefs, chefs de portefeuille à papiers qu’on serre, clefs de cassette à lettre qu’on garde. Les jeunes gens ont cherché par terre et n'ont pas trouvé. Le chancelier, tout en leur disant de ne pas se donner la peine, " et très content de nous humilier un peu nous autres sveltes et fringants ", dit le narrateur qui en était à continuer à causer en se promenant dans la pièce, et avec une adresse d’ancien préfet de police, sans faire semblant de rien, il tâtait le tapis du pied droit puis tout à coup, il s'est baissé, et s'est relevé tout aussi vite, le petit trousseau de clefs à la main. Ayez 89 ans à ce prix là. On attend avec assez de curiosité les deux discours de demain à l’Académie. On ne connait pas du tout celui de M. Dupanloup ; mais M. de Salvandy a lu le sien à plusieurs personnes, entr'autres de très longs fragments chez Mad. de Talleyrand. On dit qu’il y aura des hardiesses.
Cela m'amuserait assez d'être à Paris pendant que Lord et Lady Palmerston y sont. Je les verrais un peu et je les aurais beaucoup. Mais je présume qu’ils n'y resteront pas longtemps et moi, je n’y serai pas avant le 20 novembre. Je ne suis pas du tout pressé d'y retourner.
Midi.
Mes journaux annoncent l'assaut pour le 15 ou le 2 Novembre. Si cela était, nous le saurions bientôt. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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195 Bruxelles, Samedi 23 décembre 1854

Très malade hier. Aujourd’hui. un peu mieux, parce qu’après 3 nuits d'insomnie j’ai un peu dormi, j’ai écrit directement. puisque M. le recommandait. J’ai cru au fond que c’était plus sûr. J’ai conjuré de n'en garder le secret.
" On m’envoie tous les jours le bulletin sur l’Impératrice. Elle va mieux mais l’inquiétude n’a pas cessé. L'Emp. fait revenir ses fils, on le lui a annoncé avant-hier. C’est la comtesse Brandsburg qui me transmet tout cela. Je n’ai pas encore écrit un mot à Constantin. J’ai eu hier de lui une lettre où il emplore son pardon. A la bonne heure. Les nouvelles diplomatiques sont mauvaises. Cette affaire n’ira pas. Comment voulez-vous que nous souffrions qu'on nous parle de Sébastopol ? Qu'on le prenne d’abord, mais on ne peut pas nous demander de nous reconnaitre vaincus quand nous ne le sommes pas. Je doute qu'il y ait même le semblant d'une conférence. La démarche de la Prusse à Londres et à Paris restera parfaitement stérile. Cela ne mène à rien. Je vous prie continuez vos lettres, elles sont ma seule consolation. Je suis bien malade mais je serais encore en état d’aller trouver Andral. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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195 Val Richer, Jeudi 9 Novembre 1854

Si j'étais autrichien, le séjour de Lord Palmerston à Paris me déplairait. S’il y machine quelque autre avenir Européen, ce sera aux dépens de l’Autriche. Il lui en veut de ce que malgré les plus belles chances, il n’a pas réussi, en 1848 à la chasser d'Italie. A dire vrai, je ne crois pas qu’il machine grand chose tant que la situation actuelle durera le ministère actuel tiendra. Et la situation actuelle ne peut finir que par la paix, ou par une extension de la guerre qui fera prendre parti à l’Autriche pour l'Alliance occidentale. Ni l’une, ni l’autre chance ne fait les affaires de Lord Palmerston.
Y a-t-il quelque chose de sérieux dans les nouvelles instances qu’on vous adresse de Berlin ? Sérieux en ce sens que si vous dites non, cela fasse faire à la Prusse un pas de plus vers l’Autriche et l'occident ; car je ne suppose pas que vous disiez autre chose que non. La Prusse le sait certainement. Pourquoi donc recommence-t-elle à vous presser ? Est-ce pour se donner, auprès des alliés le mérite d'avoir l’air de les aider, ou bien pour se préparer, dans votre obstination, une excuse pour vous abandonner. Pauvre politique, en tout cas, comme est toujours la politique des faibles entre les forts qui se battent.
Je trouve que la guerre prend, entre les combattants, un déplorable caractère d'acharnement. Ces combats de tous les jours excitent plus de passion que les grandes et rares batailles. Même en France, malgré le peu de goût public pour la guerre, l'animosité s'éveille. Il y a à Lisieux en ce moment un prédicateur missionnaire assez célèbre, l'abbé Combalot ; il prêche tous les jours contre les incrédules, les Protestants et le tyran Tartare. Il disait avant hier : " L’Eglise catholique a triomphé de tous ses ennemis ; elle a abattu Calvin, elle a abattu Voltaire, elle a abattu Robespierre ; elle abattra Nicolas ! " et il est descendu de sa chaire sur cette parole. La classe un peu élevée, les négociants, les magistrats, le barreau, tous les bons bourgeois désapprouvent, les uns sérieusement, les autres en haussant les épaules. Mais le peuple écoute avidement ce prêtre qui est sincère et grossièrement éloquent ; et une haine absurde entre, par ses paroles, dans le cœur de la multitude catholique et patriote. Tout cela est honteux, et aussi dangereux que honteux. Non seulement on perpétue ainsi la guerre ; mais la guerre, ainsi faite, dans l’Eglise de Lisieux en même temps que sous les murs de Sébastopol, laisse des germes qui se développent, même la paix faite, et rendent le gouvernement très difficile. On m’a raconté ces sermons hier à Lisieux, où je suis allé dîner.

Midi
Je me figure que nous ne tarderons pas à apprendre l'assaut. Votre dépêche disant que, le 2, Sébastopol ne l’avait pas encore essuyé, semble indiquer qu’il devait l'essuyer bientôt. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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196 Bruxelles, Dimanche le 24 Xbre 1854

Il faudra donc finir cette année & commencer l’autre dans l’exil. Jamais je n’aurais cru cela possible, ni possible de le supporter. et je vis encore. Je ne parviens pas à fixer mon attention sur ce qui se passe, quoique ce soit bien grand, bien terrible. Je pense cependant beaucoup à l’Impératrice. On me dit qu'à Berlin, cette préoccupation domine tout à fait la politique. On ne s’inquiète que des bulletins. de Patchina. Le retour des grands ducs me parait une mesure extrême et qui prouve le danger où l’on croit leur mère J’ai vu hier quelqu’un arrivant de Vienne. Tout à la guerre et les préparatifs formidables. Le public très mécontent, très russe. Gortchakoff inquiète. Il y a des gens qui croient qu'il est ou qu'il va devenir fou. C’est très possible tel que je le connais. Et j’ai toujours trouvé qu'on avait fait là un choix malheureux.
De bien grands éloges de Bourqueney, mon rapporteur l’a vu et beaucoup cause avec lui. Tous les jours je me persuade davantage de notre ardent désir de la paix, mais de l'humiliation, nous ne l'endurerons pas. Je le répète, nous ne sommes pas battus. Je vais toujours mal, & pas de sommeil. Quand je cause, je m'anime, mais hors de là je tombe.
Ah si j’avais Marion. Cerini, ou rien, c’est tout un. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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196 Val Richer, Vendredi 10 Nov. 1854

Certainement le siège de Sébastopol sera un siège mémorable. Rien ne le dit mieux, dès à présent, que le rapport du général Canrobert du 23 octobre. Outre son énumération des difficultés, le ton en est d’une simplicité grave et presque triste qui révèle l'état d’âme du chef aussi bien que les fatigues et les souffrances des soldats. Les listes de tués, et de blessés commencent à faire de l'effet. Cette malheureuse Mad. de la Bourdonnaye me fait une profonde pitié ; ses deux fils, l’un officier de terre, l'autre officier de mer, tué l’un à l'Alma, l'autre dans l'attaque du 17. Le dernier, presque un enfant, sortait de l'école de Brest, et avait conjuré, l’amiral Bruat de l'emmener Je ne m'étonne pas que l'impression soit si vive, en Angleterre ; il n’y a presque point de famille de la classe élevée qui n'ait là quelqu’un des siens, et leurs troupes, ont encore plus souffert que les nôtres.

Personne ne doute ici de la prise de la place. Le mécompte serait grand si on ne réussissait pas et s’il fallait recommencer le printemps prochain. Mais si on réussit, on sera, de notre côté, fort disposé à se tenir pour content et à vouloir la paix. Je suis fort aise que la disposition soit la même à Londres. Où en sera-t-on à Pétersbourg ? C'est pour le coup que Vienne et Berlin devront peser sur vous de toute leur force. Je ne crois guère à la chute de Buat et de Bach, et au triomphe du parti Russe, même Sébastopol n'étant pas pris. Le parti Russe de Vienne ne resterait pas neutre ; il s'allierait à vous. C'est plus que l’Autriche ne peut faire, et plus que vous ne pouvez pour la soutenir. L'Italie et la Hongrie se soulèveraient à l’instant contre elle, et vous ne seriez pas en état de les lui rendre. Vous vous battez très bravement ; mais il est clair que vous avez bien assez à faire de vous défendre vous-mêmes. Vous ne défendriez pas l’Autriche, d’abord contre la France et l'Angleterre et de plus contre la révolution. Elle ne se mettra pas et ne vous mettra pas à cette épreuve.
Midi.
Pas la moindre nouvelle. Adieu, adieu.
Je voudrais bien savoir que votre rhume est passé.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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197. Bruxelles, le 25 décembre 1854

Il est superflu sans doute de vous recommander de ne pas dire que j’ai écrit directement. Mais j’aime mieux cependant vous faire souvenir, que ce fait s’il venait à être comme plus loin ne me serait jamais pardonné. Et tous les commérages font leur chemin. Je mène une vie bien triste. Van Praet est maintenant entraîné dans des dîners, il ne vient pas tous les soirs. Quand il ne vient pas, je reste seule. Concevez-vous ce supplice pour moi. Hier, j’ai pris le bras d’Emilie pour faire le tour de mon salon, car je ne marche plus sans un bras. Cerini était en soirée, elle y est beaucoup. Elle ne m’est vraiment bonne à rien. Elle ne s’en doute pas.
Il me prend des révoltes de cœur, de raison. Comment suis-je abandonnée ainsi. Comment ai-je mérité d’être traitée aussi. Les événements du jour ne me touchent plus. Comme ils ne mènent pas à la paix, je ne saurais m’y intéresser. Ainsi tout ce qui vous anime à Paris est bien peu de chose pour moi. J’ai pitié de moi-même & je me répète plus souvent ce que je vous ai dit une fois. il serait plus simple de mourir.
Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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197 Val Richer, Dimanche 12 nov. 1854

Moi aussi j’attends j'ouvre les journaux tous les matins avec précipitation. Je veux voir si nous avons fait un pas. A quoi sert que le temps passe, s'il ne nous approche pas du but. Je retournerai probablement à Paris le lundi 20. On commence à être vraiment inquiet à Paris. On parle, à ce qu’on me dit, de Changarnier, et du Maréchal Vaillant qui en a parlé à l'Empereur. Je n'en crois rien. A quoi cela servirait-il ? Il faut que Sébastopol soit pris avant la fin du mois. Le siège ne peut pas durer tout l’hiver. On parle aussi d’un nouvel emprunt ; les uns disent 600, les autres 700 millions. C’est trop tôt.
Comment un messager anglais perd-il ou oublie-t-il les dépêches de son général ? C'est inconcevable. Que de malédictions sur ce criminel étourdi ! Il y a des douleurs dont la pensée seule, sur la tête d’autrui, me bouleverse, et j’ai trouvé hier dans mes journaux, avec une joie vive, qu’un des jeunes. La Bourdonnaye l’officier de terre n’avait pas été tué à l'Alma et qu’il était revenu en France malade, mais en train de guérison. Quand la vieillesse n'endurait pas, elle affaiblit beaucoup. La séance de l’Académie a été très brillante et l'Evêque d'Orléans a eu un grand succès, grand même dans le public indifférent et plutôt disposé à la critique. On m'écrit : " Il y avait moins de prêtres que je ne m’y attendais, et la société un peu moins aristocratique que les relations de M. Dupanloup ne me l'auraient fait supposer. Cette société est encore à la campagne. J’ai aimé bien des choses dans le discours de l'Evêque, l’esprit général qui est élevé et doux, les élans d’une nature sympathique, la foi Chrétienne sans âpreté ni goût de combat, des idées fines exprimées avec une élégance abondante ; trop abondante, et beaucoup de désordre dans cette abondance. On pourrait en retrancher un bon quart et mettre le commencement à la fin et la fin au commencement, le discours n'en vaudrait que mieux. Je n’ai pas encore lu Salvandy. Il n’a pas eu de succès. Long sur long, c’est trop.
Il y a 22 candidats pour la place vacante à l'Académie. Je trouve le discours de la Reine d’Espagne, convenable dans sa soumission triste et inquiète à la souveraineté du peuple. Il y a du bon goût à Espartero de n'avoir pas chanté victoire par la bouche de la Reine vaincue. Nous allons voir comment se dessineront les Cortés et si le parti révolutionnaire monarchique résistera au parti purement révolutionnaire. Je suis porté à le croire.
Vous avez raison de rester dans votre lit si vous toussez beaucoup. Le lit est le meilleur remède contre les rhumes. Depuis que le Roi Léopold est revenu avez-vous vu son médecin ? C'est surtout de soins assidus que vous avez besoin, et rien ne peut remplacer Olliff, pouvoir exécutif d'Andral législateur. Midi.
Je ne trouve que des bruits vagues de nouvelles batailles d’assauts proclamés, et un fait certain, qu’on fait partir de nouveaux renforts. Adieu, adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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198 Bruxelles le 26 Xbre 1854

J’attends, j’attends et j’attends après avoir dit cela je ne sais plus que dire. Je n'ai jamais manqué de vous écrire que le 20 et le 22.
Je ne sais rien. On croit que Gortchakoff, & les Occidentaux y se rencontreront par hasard et entameront un peu de parlage. De conférences, il n'en est pas question. Tout cela marche aussi pauvrement, aussi gauchement qu’a marché toute l’affaire. Et a propos de cela il me parait que la mienne y ressemble comme deux gouttes d’eau. Chaque pas m'enfonce & me recule. Je fais ce qu'on me conseille de faire. Je n’ai plus ma liberté de jugement. Je ne comprends rien. P. 2. Vous me dites que vous avez lu. Qu'avez-vous pu lire ? Je ne m'en fais pas une idée. Des soupçons oui, mais des faits ? L'Anglais est bien l'animal le plus soupçonneux de la terre.
Je suis curieuse du discours d'aujourd’hui si je suis encore curieuse d’autre chose que de moi. Adieu. Vous et moi nous nous impatientons bien, à quoi sert d’avoir de l’esprit. Adieu. Adieu.
La codéine me gâterait l’estomac dit le Médecin et c’est toujours la partie faible. Remarquez que mes insomnies c’est ma tête. Chez vos filles c’était autre chose. Guérissez ma tête. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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198 Val Richer Lundi 13 Nov. 1854

Voilà le soleil, et le froid. Il a gelé cette nuit. Il fera beau le jour. Je voudrais savoir que vous toussez moins. Je persiste à croire que vous ferez bien de rester beaucoup dans votre lit tant que ce ne sera pas tout-à-fait passé. Et n'en croyez pas trop vos impressions du moment, vos fantaisies de grand air. C'est bon quand on est jeune ; à notre âge, il faut avoir chaud, et très peu de variations de température dans l'atmosphère où l’on vit.
Il me paraît que nos généraux ont pris l'offensive pour se débarrasser du général Liprandi. Je crois à cette bataille dont nous avions hier des bruits vagues. On dit que le pays, étant dévasté, vous avez encore plus de peine à y faire vivre votre armée, que nous la nôtre par mer. On fait toutes sortes de réflexions et de calculs pour se rassurer. J’ai peur que vous n'ayez la supériorité du nombre. Le choléra nous a enlevé beaucoup de monde ; aux Anglais plus qu'à nous, mais à nous aussi. On fait effort pour remplir les vides d'après des renseignements que j’ai lieu de croire exacts, les divisions Dulac et de salles qui étaient au camp du midi, et les troupes du camp de Sathonay près Lyon, qu’on fait partir aussi, forment un total de 12 000 hommes. C’est un grand renfort mais il arrivera bien tard.
Je ne sais si lord Palmerston fera de la politique à St Cloud ; il n'en a pas fait au banquet du Lord Maire, son interminable madrigal sur les alliances conjugales, à côté des alliances nationales, était bien anglais, et bien lourd. Aberdeen fait bien à mon avis, de faire en toute occasion de la paix, le fond de sa politique. C'est d’un effet étrange au milieu d’une guerre si vive ; mais ce sont des paroles qui se retrouveront un jour. Les feuilles d’Havas tout l'énumération, de neuf généraux que la guerre vous a déjà coûtés Schilder, Selvan, Dreschen, Chruleff, Bebutoff, Soltikoff, Meyer, Karamsin, et Korniloff. Sans parler des blessés. Est-ce exact ?
Midi
Toujours même situation. Vous dites vrai ; habilité ou non, c’est un grand spectacle, qui fait honneur à tous. Quelle folie de faire tuer tant de braves gens sans nécessité ? Si je disais tout ce que je pense de cette guerre et de la politique dont elle sort, j'étonnerais et j'irriterais bien du monde. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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199. Bruxelles le 27 Xbre 1854

Vous savez mon bonheur, mon passeport & séjour sans terme. Après ma joie je pense à la vôtre. Mais tout de suite après je songe avec effroi aux tribulations qui s’attendent bien loin. Cela sera rude à traverser ! Il me faut quelques jours d’arrangements ici et surtout à Paris. Je vous tiendrai informé du moment, dans ce moment. J’ai la tête pleine, je n’en puis plus. Ecrivez-moi. Je trouve le discours modéré et très convenable. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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199 Val Richer, Mardi 14 nov. 1854

Quel chiffre ? Quand cela finira-t-il ? La neige tombe à gros flocons. Tout à l'heure les prés et les bois en seront couverts. En avez-vous autant à Bruxelles ? Cela vous fait toujours mal. Si vous étiez à Paris, vous auriez vos amis, des distractions et Andral. Je me reproche presque le courage que j’ai eu en étant d’avis que vous deviez partir. C'est un vrai déplaisir de retourner à Paris pour ne pas vous y retrouver.
J’attends des nouvelles de l'assaut. Le Moniteur disait hier comme votre grande Duchesse, le 4 ou le 5. On dit, en effet que Lord Raglan n'en veut pas. Il est épouvanté des pertes qu’il a déjà faites. Est-il vrai qu’il ait tancé, et même renvoyé Lord Cardigan ? Il paraît bien que la bravoure a été très étourdie. Certainement l'assaut sera terrible. C'est la conviction générale que nos forces sont insuffisantes. Si nous avions eu 20 ou 40 000 hommes de plus, ce serait fini depuis longtemps. Je trouve que cela perce dans les rapports des généraux. Canrobert parle des fatigues des soldats, en homme qui n'en a pas assez pour l'ouvrage à faire. On dit que c'était là le seul motif des objections de l’amiral Hamelin à l'expédition. Il demandait plus de monde.
C'est vraiment une honte pour l'administration Anglaise que l’insuffisance des secours médicaux. Si le fils du Duc de Sutherland a été quinze jours sans médecins, qu’est-ce donc des soldats ? C’est un spectacle assez frappant, au milieu de cette dislocation de l'Europe du Congrès de Vienne que le Roi Oscar élevant à Stockholm la statue du Roi son père et la dynastie Bernadotte maintenant, ouvertement sa neutralité. Les deux dynasties nouvelles, le roi Oscar en Suède, le Roi Léopold, en Belgique, sont les seules qui restent neutres tranquillement, et sans contestation.

Midi
Seconde édition, plus grosse, de la journée du 25 octobre ; une bataille à droite, une sortie à gauche. Vous n'avez pas réussi, et vous avez perdu beaucoup de monde. Mais nous en avons certainement perdu aussi. Toujours la même question : arrivera-t-il assez de renforts, et assez tôt, pour qu’on puisse tenir contre vous la campagne, et continuer le siège jusqu'à ce qu’on prenne la place ? Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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200 Val Richer, Mercredi 15 nov. 1851

Ce que je crains beaucoup en ce moment, ce sont les batailles inutiles. Celle du 5 m'en a un peu l’air. Vous n'avez pas été assez battus pour renoncer à vos tentatives de faire lever le siège. Pourtant le rapport du Prince Mentchikoff est court et triste. C'est sans doute en repoussant la sortie de la garnison et en la refoulant dans la place que les alliés ont eu l’air de tenter ce qu’il appelle un assaut qui n’a pas réussi. Le général Canrobert a la une rude opération pour son coup d’essai de général en chef. Les renforts vont lui arriver de tous côtés, Français et Anglais. Combien de temps les flottes pourront-elles tenir la mer. On rabâche. Que faire autre chose ?
Les articles du Times et du Morning Chronicle indiquent qu’on se prépare, si le siège ne finit pas ces jours-ci à le continuer imperturbablement malgré l'hiver, et jusqu'à ce qu’il finisse. Cela doit être possible et si ce n’est pas absolument impossible, on aura raison de le faire, n'importe à quel prix. J’ai trouvé, en écrivant Cromwell, qu'au 17e Siècle avant les amiraux Anglais et Hollandais, Blake et Tromp, on ne croyait pas possible une campagne navale d’hiver, ni dans l’un, ni dans l'autre pays. Ces deux hommes l’ont cru possible, et l’ont exécuté ; ils se sont fait la guerre hiver comme été. La chose ne doit pas être plus impossible dans la mer noire que dans l'Océan. C’est toujours l'alimentation quotidiennement assurée de l’armée qui est la grosse difficulté. Les hommes se font tuer, mais les estomacs n'attendent pas.
L’ardeur pour la guerre est toujours bien grande en Angleterre. Avez-vous remarqué ce petit fait qu’il y a plus de 1200 demandes inscrites par avance pour les commissions qui peuvent vaquer dans l’armée, tandis qu’ordinairement le nombre des demandes ne dépasse pas 100.
Midi
Nous avons toujours la même impression. Pauvre St Aulaire ! Je ne le plains pas ; il était si triste ! On dit que son gendre Langsdorff est atteint d'une tumeur cancéreuse au bras. Adieu, Adieu. G. G. L'Empereur a eu raison de nommer. Morny. J'en suis bien aise.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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201 Val Richer, Vendredi 17 nov. 1854

J’ai écrit hier à Madame de St Aulaire, avec une vraie tristesse. Après bien des années d’une simple habitude de société, son mari, depuis que nous avions fait des affaires ensemble, était devenu pour moi un véritable ami sûr, fidèle, courageux et d’un commerce doux et animé. Je regretterai beaucoup de ne pas le retrouver. Je regrette de ne pas lui avoir dit adieu. Je vous ai mandé, je crois, ce qu’il m'écrivait après la mort de sa mère : " Je ne demande plus à Dieu qu’une grace, c’est que personne ne passe avant moi. Le pauvre homme ne l’a pas obtenu. La mort de sa fille l’a abattu et la maladie l'a trouvé hors d'état de résister. Je ne sais encore aucun détail.
Votre pasteur de la rue Chauchat, M. Verny, mort en chaire à Strasbourg, a laissé une femme et une fille qui sont dit-on, des personnes distinguées, et sans pain. On fait une souscription, parmi les Protestants, pour leur faire un petit capital qui bien placé leur donne de quoi vivre. De Strasbourg, on a déjà envoyé 18 000 francs. Ne voulez-vous pas donner quelque chose, par charité d’abord, et puis pour faire acte de présence à Paris, dans votre église, où M. Verny était, parmi les riches très considéré et parmi les pauvres très populaire ? François Delessert et Léon de Bussierre sont à la tête du comité.
J’attends avec une impatience triste et sans grande curiosité, les détails de la bataille du 5. Quatre généraux Anglais blessés, le général Joymanoff tué une journée entière de lutte et tout cela pour rester dans le statu quo. Il est clair que votre sortie a été repoussée, qu’en vous repoussant le général Forest a voulu, entrer dans la place pêle-mêle, et qu’il a été repoussé à son tour. Vous voyez ce que disent les journaux Anglais du vrai motif de la visite de Palmerston à St Cloud ; s'entendre avec l'Empereur pour qu’il envoie 50 000 hommes de plus, que l’Angleterre payerait. C’est très possible, et je suis très porté à y croire. Ce qu’il y a de certain c’est qu’on travaille vivement ici sur terre et sur mer, pour envoyer, non pas quelques mille hommes, mais une armée de plus.
Que signifie cette dépêche du Standard que le Prince Gortschakoff a annoncé officiellement à Vienne que la Russie, était prête à traiter avec l’Autriche sur la base des quatre garanties ? Je ne comprends pas et je ne crois pas.
Vous aurez cette lettre-ci dimanche. Ecrivez-moi lundi matin à Paris. J’y serai lundi soir à 11 heures, et je vous écrirai de là mardi. Une seule chose me plaît du retour à Paris ; nous nous parlerons du jour au lendemain.
Midi
Voilà le 163. L'Empereur fait très bien de renvoyer à Lady Clauricard son fils. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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202 Val Richer, samedi 18 Nov. 1854

J'étais bien sûr que la mort de ce pauvre Ste-Aulaire vous ferait une vraie peine. Vous avez raison, vous aussi vous perdez un ami. Outre mon regret pour lui, il m'en laisse un autre ; il n’a pas terminé ses Mémoires sur son ambassade de Londres, et il y aurait dit beaucoup de choses que j'aurais été fort aise de savoir dites. Il ne laisse de complet que ses ambassades de Rome et de Vienne. Sa mort laisse à l'Académie une place pour laquelle M. de Falloux se présentera très naturellement, et aura bien des chances d'être nommé. Il a assisté à la séance de l'évêque d'Orléans, et pas avec beaucoup de tact, ni écrit-on. Il a applaudi, et applaudi seul, quand l'Académie, y compris l'évêque est entrée dans la salle. Ce n’est pas l’usage. Personne ne l’a suivi. Il n'en a pas moins persisté dans son applaudissement solitaire et remarqué avec des sourires. On ajoute qu’il est fort changé " il n’a plus l’air souffrant ; il a l’air vieux."
Je n’ai rien trouvé hier dans mes journaux sinon de beaux détails sur l'héroïque étourderie, non pas qu'à faite Lord Cardigan, mais qu’un ordre mal porté et mal interprété lui a fait faire. J’aime beaucoup le mot du général Canrobert en voyant cette charge de la cavalerie anglaise : " C'est magnifique, mais ce n’est pas là la guerre. Cette guerre-ci prouve deux choses ; l’une, que vous n'êtes pas des barbares, l'autre que la civilisation n'énerve pas les peuples. Entre nous, je vous dirai que même sans compter que je suis Français le courage, et le dévouement de nos hommes, officiers et soldats me touchent plus que celui des Anglais. Il y a vraiment, en Angleterre de l’ardeur de l'enthousiasme et du profit national à cette guerre. Chez nous, il n’y en a point. Nous n’y partons que le sentiment du devoir, et le goût du métier. Le sacrifice est plus grand.
Les Turcs ne grandissent pas en Crimée. Silistrie leur vaut mieux que Sébastopol.
Kisseleff doit être bien triste. Brünnow me semble mieux traité que lui. Il a du moins un certain air d'activité. Il va et vient. Votre diplo matie a fait une bien mauvaise campagne. Votre armée vaut mieux.
Midi
Rien de nouveau. Adieu, Adieu. Mon facteur est arrivé très tard.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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203 Val Richer, Dimanche 19 Nov. 1854

Vous n'aurez que deux mots. J’ai une foule de petites affaires à régler aujourd’hui, et probablement des visites. Mais je ne veux pas que vous soyez deux jours sans lettre. Je vous écrirai de Paris mardi matin. Quelle différence, si j’allais vous voir en arrivant.
J’ai eu hier une lettre de Louis de Ste Aulaire. Il aimait beaucoup son père. C’était une famille très unie. Il me dit que sa mère est bien. Elle restera le centre. Elle a très bien élevé les filles qui sont très tendres pour elle.
Nos journaux ne sont pleins que des préparatifs de la nouvelle armée qu’on envoie en Crimée. Le Moniteur de l’armée donne des détails d'état-major et de matériel, qui prouvent qu’il s’agit bien en effet de 40 ou 10 000 hommes. Si Sébastopol n’est pas pris bientôt l’hiver n’interrompra, ni la guerre, ni le siège.
Je ne vois pas que Lord Palmerston soit encore à Paris. Cette visite traine beaucoup uniquement à cause de sa santé, je suppose. Adieu jusqu'au facteur.
Midi
Voilà le N°164 qui me convient fort. J’aurai de vos nouvelles après demain à Paris. Mais vraiment, quand on crache le sang pendant huit jours, il faut voir son médecin, n'importe où et comment. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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204 Paris, Mardi 21 Nov. 1854

Merci du N°165 que j’ai trouvé hier soir, en arrivant, et du 166 venu ce matin. J'en attends bientôt de meilleurs encore ; mais je suis tout à fait de votre avis ne rien dire et laisser couler l'eau. J’ai déjà vu quelques personnes, ce matin. On est triste et inquiet. Le Ministre des finances, M. Bineau s'en va. Il est très malade, la poitrine attaquée, ne pouvant plus parler. Il donne ses ordres à ses employés en écrivant sur une ardoise. Il va à Hyères ou à Pise. Il aura pour successeur, M. Magne, ou M. de Germiny. Le premier est l'homme de Fould et un homme capable. Le choix est important, car il est de plus en plus question d’un nouvel emprunt. On en a débattu le chiffre dans l’un des derniers conseils 300 millions pour minimum, 600 pour maximum. Le Ministre de la guerre a voulu donner sa démission. Il s'est opposé à toute nouvelle levée d'hommes par décret impérial seulement. On a reconnu qu’il avait raison et il reste. Le corps législatif sera convoqué pour le mois de Janvier. L'Empereur a écarté absolument toute idée de faire payer par l’Angleterre les nouveaux envois de troupes. Il a dit : " Les Français ne sont pas des Suisses. Il a eu raison. Lord Palmerston passe, pour très pacifique, et cherchant plutôt des moyens d’arrangement que des chances de grandeur dans de nouvelles complications.

3 heures
Le Duc de Broglie et Vitet me sont arrivés, et s'en vont seulement à présent. Je ferme ma lettre en hâte. Ce pauvre Ste Aulaire est mort tout à coup contre l’attente des médecins, quand on ne lui croyait qu’une indisposition sans gravité. Je trouve mes amis plus tristes et plus inquiets encore que le public ; criant comme vous la paix, la paix. Mais il n’y a plus d'hermites. Vous n'en trouverez point ni Pierre, ni autre. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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205 Paris, Mercredi 22 Nov. 1854

Je trouve plus convenable que vous envoyiez directement votre bon de 500 fr. pour Mad. Verny à M. Français Delessert, (176 rue Montmartre) ; ils seront très bien reçus. J’ai oublié de vous le dire hier. Le Duc de Broglie est revenu passer la soirée avec moi. On rabâche partout. Il paraît que sur la dépense des nouveaux renforts que nous envoyons, on prend un moyen terme ; l'Angleterre se chargera du transport, et d’une partie des frais matériels la solde des troupes restera purement Française. On dit que cela a été arrangé dans un conseil d'avant hier lundi.
Ce qui revient de Crimée, rapports officiels et lettres particulières, Anglaises, ou Françaises est très favorable au général Canrobert ; on le trouve pratique, résolu, simple, actif. On dit qu’il a pour tout ce qui touche à la santé et au bien être des soldats, quelques unes des qualités bienveillantes et vigilantes du Maréchal Bugeaud. C'est le sentiment général que le mal St Arnaud est mort à propos, pour l’armée comme pour lui-même. Nos officiers admirent extrêmement la bravoure des Anglais ; ils en sont émus ; mais on trouve qu’ils ne savent pas faire la guerre. Le général Ferey, le gendre de Bugeaud, écrit qu’on prendra certainement Sébastopol que l'assaut donné et les murs emportés, il y aura, dans les rues, un siège de Saragosse, mais qu’on viendra à bout de tout, et que les troupes ont une ardeur inépuisable. Sa lettre à lui-même est pleine d’entrain. Il commande une brigade de cavalerie légère.
Le trouble était grand hier à la Bourse. Plus à cause des perspectives de l'emprunt que des nouvelles de la guerre.
Berryer sera reçu à l’Académie, le 7 ou le 14 du mois prochain.
Dans le monde littéraire et surtout théâtral (ceci n'est guère Français en ce sens) l’interdiction de la Médée de M. Legouvé fait assez de bruit. Les amis de Mlle Rachel, et de M. Fould se récrient contre un auteur qui veut se faire jouer par force et arrêt de justice. Ceux de M. Legouvé demandent pour quels nouveaux crimes on chasse du théâtre cette pauvre Médée qui en est en possession depuis tant de siècles. Pures querelles de foyer et de coulisse, auxquelles le public est très indifférent. Le public est très sérieux.

10 heures
Je viens de lire les rapports de la bataille. du 5. J’ai le cœur serré. Que de braves gens. Je connaissais sir George Catheart, et le général de Lourmel. Le Prince Gortschakoff a très bien fait de dire : " Nous sommes des Chrétiens ", mais il aurait mieux fait de ne pas dire : " C'était une attaque bête." On peut être Chrétien, et poli. Evidemment on est resté de part et d'autre un peu stupéfait de cette journée ; on a eu besoin de se reposer.
3 heures
Je n’ai rien appris de nouveau ce matin. Adieu. G. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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206 Paris, Jeudi 23 Nov. 1854

Je n’ai vu hier que Mad. Mollien et le Duc de Broglie ; l’une ne ne racontant que Claremont, l'autre, que ses inquiétudes. Le Chancelier aussi est très noir. Il n’y a du reste encore personne ici. Avez-vous remarqué un article du Times, sur les généraux anglais tués le 5, particulièrement sur sir George Catheart ? Vraiment très beau ; une noble oraison funèbre. J’y vois le symptôme d’une profonde émotion en Angleterre. Quoique vous soyez plus durs et moins excités par la voix publique, on doit être ému aussi à Pétersbourg. Vous perdez aussi bien des généraux.
Paris était hier couvert de neige, et très sale. J’ai passé rue St Florentin. Je passe plus vite là qu'ailleurs. Quand m’y arrêterai-je ? Décidément la place Louis XV n’a pas réussi ; la complète suppression des fossés et la multiplication des passages. pour les voitures ont agrandi l’espace outre mesure et lui donnent un aspect illimité qui est désagréable. Le Palais de l’industrie et ses immenses annexes placés, après coup réussissent encore moins ; c’est tout un côté des Champs Elysées converti en un vaste hangar. Quand ce sera plein de choses et de personnes ce sera beau. Mais il faut la paix à l'Exposition de 1855 si elle se fait au milieu de la guerre, elle sera belle encore mais d’une beauté triste. La tristesse est fatale même à la beauté.

9 heures
Je reçois votre 167. Je vais m'habiller et passer chez M. avant le déjeuner. J’espère que je le trouverai. Si je ne le trouve pas je lui laisserai un mot pour lui demander à quelle heure dans la journée, je puis le rencontrer. J’ai toujours craint quelque anicroche de ce côté surtout à cause de la visite de Lord P. Mais j’espère bien que ce ne serait qu’un ménagement momentané.

1 heure
J’ai passé trois quarts d'heure avec M. L'obstacle. est bien ce que je pensais. Obstacle actif. On a parlé de vous deux ou trois fois. Des rancunes, et encore plus de méfiances. On ne saurait prendre trop de soins pour maintenir l'alliance intime et pour écarter ceux qui auraient envie de la rompre. Tout sur ce thème là. Les dispositions plus, les intentions ne sont point changées. Mais il faut un peu de patience. Il faut laisser partir. M. Plein d'amitié et de dévouement, demandant qu’on le laisse faire et assurant qu’il fera. Il ne perd aucune occasion. Il a réponse à tout. Fould est bien. J’ai dit tout ce qu’il y avait à dire, tout ce qui se pouvait dire pour soutenir, pour exciter pour presser. Mais évidemment, pour le moment, il faut attendre. On retarderait en brusquant pour avancer. Je vous répète que je crois à la sincérité du zèle et au bon résultat définitif. Je n'en suis pas moins sorti triste.
On envoie au Prince Napoléon l’ordre de retourner au siège, malade, ou bien portant. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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207 Paris, Vendredi 24 nov. 1854

Je reviens à ma conversation d’hier. Très bonne volonté et très bonne espérance, je pourrais dire certitude. "L'Empereur veut le faire ; il le fera ; il sait faire doucement ce qu’il veut qu’on me laisse faire. " J’ai pris acte. J’ai dit toutes les raisons d’urgence. J’ai dit que je les redirais. Il n’y a évidemment rien de plus à faire aujourd’hui. Le travail contraire est actif et actuel. Il faut le laisser s'éloigner. Quand on dit que vous avez toujours servi, que vous servirez toujours votre Empereur, et que le service de votre Empereur est aujourd’hui plus que jamais, contraire à l'Alliance qu’on garde et à la politique qu’on suit, on trouve facilement créance, même chez les bienveillants. Il y a à ce sujet, des détails et des souvenirs piquants, qu’on fait beaucoup valoir. Lord P. est toujours pour la politique la plus énergique, la plus soutenue la plus étendue. On se prépare à reprendre en Crimée l'offensive, et à porter la guerre au delà des murs de Sébastopol. Les derniers rapports disent que vos troupes ne font point de quartier, qu'elles égorgent les blessés l’histoire du major Russe qui a, dit-on, fait massacrer le colonel Camas tombé sur le champ de bataille, et qui a ensuite été lui-même pris et pendu, fait beaucoup d'effet. La guerre, qui avait commencé courtoisement et chrétiennement, prend un caractère violent et féroce. On s'en irrite de plus en plus. Certainement l'aspect général est sombre.
J’ai vu hier M. de Sacy, l'Académie, Mad. Lenormant, M. Bocher, et le soir le Duc de Broglie qui m'est fidèle tous les jours. Il part demain pour Broglie d’où il reviendra après Noël. Il avait été le matin à Etioles. Cette pauvre famille est comme elle peut être Mad. de Ste Aulaire courageuse et vivante ; M. de Langsdorff, très abattu, le plus malheureux. Après le jour de l’an ils viendront tous s'enfermer dans leur maison de Paris. Peu de monde à l'Académie. Le Duc de Noailles est revenu de Maintenon ; mais il n’y était pas. Le Duc de Mouchy est mourant.

10 heures
La poste ni les journaux ne m’apportent rien. Le Times n’a pas été distribué hier ici. On dit qu’il contenait un article vif sur le Prince Napoléon et sa santé.

2 h.
Le N°168 m’arrive. C'est charmant en effet d'être un peu plus près. Mais c’est toujours bien loin.
Je viens de voir Dumon Calmon, Plichon, M. de Bonnechose &. Personne ne sait rien de plus. Dumon parle seulement de l’inquiétude. des gens d'affaires qui commence à devenir sérieuse. Bineau veut bien aller en Italie pour se soigner ; mais il veut rester ministre et demande un intérimaire. On lui en a proposé un dont il n’a pas voulu (M. de Vitry), parce que c’est un ami de Fould. On lui a dit alors qu’on la remplacerait définitivement. Ce n’est pas encore fait. Baroche veut bien de l’interim des finances, mais à condition qu'au sortir de là, on lui donnera le ministère de l'intérieur où Billaut ne réussit pas. Voilà les commérages ministériels. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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208 Paris, Dimanche 26 Nov. 1854

Je vous en conjure ne vous découragez pas ne vous abandonnez pas à une tristesse bien naturelle. Nous en viendrons à bout. Il y a bonne volonté. Bonne volonté de cœur et bonne volonté de réflexion. Mais vous savez qu’on n'aime pas à discuter et à avoir des embarras en face. Un peu de temps, pas beaucoup j'espère, et point de bruit ; les obstacles seront surmontés. Je dis point de bruit et j'insiste, car on commence à parler de votre retour. Hier soir, chez Mad. de Boigne, le nonce et Mad. de Boigne. m'ont demandé si c'était vrai ajoutant que l'Empereur Napoléon vous en avait donné l'autorisation. J’ai répondu que vous en aviez bien besoin, que vous étiez malade, qu’il vous fallait absolu ment du repos et Andral, mais que je ne croyais pas que rien fût fait. On trouve très simple que l'Empereur Nap vous autorise, et personne n'en doute. On demande ce qu'en pensera votre Empereur. Mad. de Boigne m’a dit en se penchant vers moi. " Sa position ici sera délicate." à quoi j’ai répondu : " Elle verra certainement très peu de monde si elle revient ; seulement ses amis particuliers. Je ne sais qui a mis ce bruit dans l’air. Je n'ai ouvert la bouche à personne. Est-ce un bien ou un mal ? Je ne vois pas bien. Mais Morny m’a paru désirer qu’on n'en parlât pas. Faites lui savoir qu’on en parle un peu, et que cela ne vient ni de vous, ni de vos amis. Les ennemis parleraient-ils dans l'espoir de nuire, c’est possible.
J’ai trouvé là hier soir le Chancelier. Le nonce, le général de la Rue, les Salvo, Boislecomte & &. On ne savait rien, sinon le départ de renforts vraiment considérables. Les deux divisions Dulac et de Salles forment 20 000 hommes. Avant ce gros envois, il est parti 10 ou 12 000 hommes en petits paquets, entre autres 3000 zouaves pris encore en Algérie. On est certainement décidé à prendre Sébastopol et à faire là une campagne d’hiver. Les militaires, en parlant avec une vive admiration de la bravoure indomptable des Anglais, se désolent qu’ils sachent si peu faire la guerre ; il ne se gardent pas ; ils se mettent dans de mauvaise situations ; il faut toujours venir les en tirer." Ce n’est pas le général Canrobert, c'est le général d'Alconville qui disait, à propos de la charge de cavalerie de Lord Cardigan : " C'est magnifique, mais ce n’est pas là la guerre."
Le matin, l'Académie des sciences morales, et politiques, François Delessert et d'Haubersaert. Le premier avait reçu votre chèque et en était très reconnaissant. Il m’a demandé votre adresse pour vous en remercier au nom de la famille et de la commission. On aura à 60 mille francs de souscription d'Haubersaert m’a demandé de le rappeler à votre souvenir. Toujours très sensé et très hardi dans son bon sens. C'est probablement le Duc de Broglie. qui sera nommé à l'Académie Française, en remplacement de Ste Aulaire. Il consent à être porté et il a grande faveur dans l'Académie.

2 heures
Je viens de voir quelques personnes ; mais je n’ai rien appris. On va décidément envoyer 20 000 hommes sur le Danube, pour exciter et soutenir Omer Pacha dans une campagne agressive. On avait dit que Lord Palmerston repartait demain ; mais on assure que la revue de la Garde impériale aura lieu demain et qu’il reste pour y assister. Adieu, adieu. Je n'ai rien de vous ce matin. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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210 Paris, Mardi 28 Nov. 1854

Hier, dans la matiné, le Gal Trezel, Dumon, Montebello Legouvé Liadières, des parents méridionaux. Le soir, Delessert, Hottinguen, Vernes, Robert Pourtale, Oppermann les Protestants financiers. Trezel partait le soir pour Eisenach. Il avait reçu la veille une lettre de M. le comte de Paris, passionnément préoccupé de la guerre, passant ses journées sur des cartes & le pressant de revenir pour en causer. Le vieux, petit et fier général est tout aussi passionné ; le feu lui montait au visage en me disant son regret de n'être pas là pour s’y faire tuer comme ses camarades. M. de Châteaubriand avait raison de le dire et le Times a raison de le répéter : " la France est un soldat. Point d'enthousiasme de guerre pourtant à la revue qui s'est passée hier, bien passé d'ailleurs ; belles troupes et bonne contenance. On critique l’uniforme de la garde impériale, surtout des cent gardes. On dit qu’il y a trop de rose. Mes rapporteurs n'ont pas vu Lord Palmerston. On dit qu’il est parti dimanche, comme on l’avait annoncé. Je le saurai positivement ce matin.
Montebello revenait de Cherbourg où il était allé chercher son fils. Il le garde ici quelques semaines ; après quoi, ce jeune homme s’embarque sur la Virginie, avec l’amiral Guérin qui va prendre le commandement de la station de Chine. On peut se faire tuer là comme ailleurs témoin l'absurde débarquement tente au Kamchatka. L’amiral Price s'est brûlé la cervelle de chagrin de ne pas mieux réussir. Notre amiral à nous, Ferrier. Despointes, n'était point d’avis du débarquement ; mais il n’a pas su se refuser aux bravades du commodore anglais qui succédait à Price. Il a eu tort. Montebello est fort aise, après tout, que son fils aille là le danger est moindre qu’en Crimée, moins quotidien. Il ne reverra pas son fils de trois ans. Nous avons parlé de vous c’est-à-dire de votre santé et de votre tristesse. Il a vraiment de l’amitié pour vous, quoiqu’il ne soit pas allé vous voir. Il dit toujours qu’il ira.
L'Empereur est allé voir sa belle-sœur, la Duchesse d'Albe qui est malade. Elle a voulu lui parler des affaires d’Espagne dont elle est fort inquiète. Il lui a refusé la conversation ne me parlez pas de cela ; je ne veux pas entendre parler d'autre chose. que de la seule chose à laquelle je pense, les affaires d'Orient. La nomination projetée d’Espartero à la Présidence des Cortés constituantes est une manœuvre des démocrates pour le séparer de la Reine et le poser en face du trône, sur le fauteuil de la souveraineté nationale. Vieille pratique révolutionnaire. La Reine sera personnelle ment attaquée, dans sa vie, ses favoris comment sera-t-elle défendue ?
Plus j’y pense, plus l'accord rétabli en Allemagne me paraît une grosse affaire. Je ne puis pas ne pas croire que, si on sait en tirer parti, le rétablissement de la paix peut en sortir. L'Allemagne unie sur le terrain des quatre conditions que la France et l'Angleterre ont demandées, et la Russie les acceptant ; si la paix ne sort pas de là, c’est que décidément, il n’y a plus en Europe que des fous et des sots.

2 heures
Point de lettre de vous. J'espère qu'elle viendra ce soir. Je vois que les Palin ne sont point partis. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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211 Paris, Mercredi 29 Nov. 1854

J’ai eu votre grand 172 hier soir. J'en ferai usage aujourd’hui. L'effet ne peut qu'être bon. Il ne faut négliger aucune occasion de presser en montrant que c’est pressant. Mais évidemment il faut que l'obstacle se soit éloigné. Et probablement quelques jours encore après qu’il se sera éloigné, pour que la convenance y soit et pour que l'impression actuelle y soit moins. Je vous dis les choses comme elles sont. Quand elle n’est pas désespérante, la vérité est calmante. Elle n’a rien ici de désespérant, quoiqu’elle soit triste. Le passé a laissé, dans ces esprits-là, des traces bien profondes. Avez-vous jamais inspiré autant de confiance que de méfiance ? Sur la question que vous me faites, j’ai un avis décidé. Si vous avez à écrire en Angleterre ne parlez pas du tout de l'obstacle qui a agi et parlé ici. Ne faites pas de ceci une question personnelle.
Parlez uniquement de votre mauvaise santé qui vous rend Paris nécessaire et de la vie retirée et profondément tranquille que vous y mènerez. Il ne faut que faire valoir votre motif et répondre à l'objection, sans la mettre sur le compte d'aucune personne spécialement. Je suis très frappé du silence qu’elle a gardé sur ce point en vous pas. C'est ce qu’on a fait, depuis l'origine ; répondant.
N'écrivez pas à Londres sans avoir demandé à M. S'il en est d’avis. Il a beaucoup redit : " Qu'on me laisse faire et qu’on s'en rapporte à mon amitié." C'est beaucoup que le gouvernement Anglais accepte votre acceptation des quatre points. Il ne paraît pas qu'ici on soit aussi avancé. On m’a dit hier qu’un projet d'alliance offensive et défensive, rédigé à Vienne et envoyé naguère ici venait d'être écarté comme liant trop absolument les puissances occidentales aux quatre points. Je crains aujourd’hui deux choses, le coup de fouet que donnera probablement le Parlement anglais, et les petites réserves, les petites piques qui se mêleront de l’un et de l'autre côté, à la négociation des quatre points quand on les aura acceptés en principe. Il y a peu d’esprits qui sachent marcher droit, même au but qu’ils veulent. On s'embarrasse en route dans une foule, de questions et d’intérêts secondaires qu’il spécialement. Je suis très frappé du silence faudrait mettre sous ses pieds et on n’arrive pas. C'est ce qu’on a fait, depuis l'origine ; dans cette malheureuse question, et ce qui nous a mené où nous sommes. Je crains qu’on n'en fasse encore autant et qu’on s'en rapporte à mon amitié." On n'est occupé ici que de l'envoi des renforts qu’on augmente tous les jours. Quoique le pays soit sans passion pour la guerre, l’armée ne demande pas mieux, et il y a grand empressement dans tous les régimes auxquels on demande des hommes. Le Roi de Naples prête ses bateaux à vapeur pour les transports.

2 heures
Je ne comprends pas le retard de ma lettre de Mardi. Je vous ai écrit tous les jours, et j’ai mis moi-même mes lettres à la poste, à la rue Tronchet, samedi est le seul jour où je ne vous ai pas écrit, et je l’ai regretté. Si vous n'étiez pas triste et malade, je me fâcherais qu’il puisse vous passer par l’esprit que vous êtes moins pour moi dans un lieu que dans un autre. Adieu, adieu. Je n'aurai le cœur un peu en repos que lorsque je saurai mes lettres arrivées. Qu'on les lise si on veut, mais qu’on ne les retarde pas. Adieu.
Je reviens des obsèques d’une pauvre jeune femme de 29 ans la fille de Mad. de Champloin, nièce de Salvandy, très heureuse et vertueuse. Morte des suites d’une fausse couche. Famille désolée. Adieu. G.
C'est curieux Mad. Chreptovitch, mais tant mieux. Mad. Kalergis y est aussi. Elle était du moins à la réception de l'Evêque d'Orléans.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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214 Paris, samedi 2 Déc 1854

J’ai passé hier chez Hatzfeldt. Je ne l’ai pas trouvé ; mais je lui enverrai cette lettre avant 5 heures. Bien petite compensation à l'insuffisance de nos communications. Il y a deux choses qu’il faut sans cesse ravaler en écrivant par la poste, la vérité et l'affection.
Je ne reçois rien de M. Je suis convaincu qu’il ne veut venir me voir ou m’engagera l'aller voir que pour me dire que c’est fait et qu’il vous a envoyé votre passeport. Son amour propre y est bien compromis, et aussi celui de son maître après la promesse qu’il a donnée. Ne vous abattez pas, ne vous irritez pas. Vous passerez ce défilé, mais il est difficile. Votre retour fera dire qu’on penche ici vers la paix, et qu’on cherche des liens cachés avec Pétersbourg. Non seulement les ennemis personnels, mais les badauds Anglais en prendront de la méfiance. Non seulement dans les journaux, mais peut-être aussi dans le Parlement. Souvenez-vous de Nicolas Pahlen. Je vous dis tout cela, non pour vous faire perdre l'espérance, car je crois fermement que la chose se fera, mais pour vous faire prendre patience, et comme je le dis à moi-même par le même motif. Je ne crois pas devoir retourner chez M. avant d'avoir reçu de lui quelque avis. Il ne faut pas le fatiguer. Il est toujours souffrant. On dit qu’il se croit très malade. Je ne l’ai pas trouvé changé. J’ai beau chercher ; je ne trouve personne qui croie à la paix prochaine, qui parle sérieusement de votre acceptation des quatre points. Ceux qui ne le disent pas comme ceux qui le disent, sont également convaincus que vous n'en voulez pas sérieusement. Qu’est ce que la révision du traité du 13 Juillet 1841, le seul dont vous parliez ? Celle-là va sans dire. C'est la révision de tous vos anciens traités avec la Porte qu’on demande et celle-là, vous êtes bien loin de la promettre. Il n’y a rien à faire d'ailleurs, tant que Sébastopol n’est pas pris. Plus c'est difficile, plus c’est nécessaire. Si on ne le prend pas cette année on recommencera le printemps prochain, avec des forces doubles, triples de terre et de mer. Toute cette affaire a été un chef d'œuvre d'imprévoyance. J’ai peur qu’elle ne devienne aussi un chef d'ouvre d’entêtement. Je suis bien noir. Il faut que Sébastopol soit pris. C'est, quant à présent. la seule chance sérieuse de paix. On s'en irait de Crimée et on recommencerait à négocier sérieusement. J'en reviens toujours à ce que nous nous sommes dit avec Lord Lansdowne il y a six semaines.
Vous ne vous figurez pas l'effet qu'a produit le prince Napoléon quittant l’armée. Personne ne s'en gêne. On dit que son père a dit : " S'il ne se fait pas tuer, je ne consentirai jamais à le revoir. " Le Moniteur a ajouté à l'effet en disant, un jour, qu’il était rétabli, et deux jours après, qu’il restait à Constantinople. La nomination de Morny comme Président du Corps législatif a beaucoup déplu au Palais-Royal.
Midi
Je sors de bonne heure ce matin, quoique enrhumé. L’Académie des sciences morales et politiques, siège à midi et demi et je la préside. On m’apporte le 176. Guillaume revient du Moniteur ; il coûte 80 fr. par en et 20 fr par trimestre à l'étranger. C'est en France seulement qu’on en a réduit le prix à 40 et 10 fr pour faire concurrence aux autres journaux. Les 2 fr 45 c. sont le résultat d’une nouvelle convention postale avec la Belgique. Ainsi, on ne vous vole pas. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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215 Paris, Dimanche 3 Décembre 1854

Voilà donc le traité d'alliance avec l’Autriche signé. Quels en sont les termes ? Nous verrons. Mais le fait seul est capital. On s'efforce souvent d'éluder ce qu’on fait par les paroles dont on se sert ; mais on n'y réussit que bien peu. C'est le fond des actions que décide de leurs conséquences. Mon ami Bourqueney ne fait pas mal ses affaires. Sa femme doit être bien contente. Elle était beaucoup moins perplexe que lui.
Ce traité facilitera beaucoup à Aberdeen la session qui va s'ouvrir. Ne vous attendez pas à sa retraite. En faisant la guerre, il se promet toujours de faire la paix, et la Reine veut qu’il reste pour la faire en effet le jour où elle sera possible sans un grand effort d’énergie et de courage. Je ne crois pas au succès de l’intrigue Palmerstonienne ; elle est trop publique, et elle mènerait trop évidemment à la guerre révolutionnaire. Si ce que vous dit Ch. Greville est vrai, il n’y a pas là grand danger.
Les marins n'auront plus d'humeur. Ils en avaient un peu et trouvaient qu’on exigeait d'eux ce qu’ils ne pouvaient pas faire, et qu’on ne leur rendait pas justice pour ce qu’ils faisaient. M. Ducos avait plus d’une fois, porté les plaintes à l'Empereur. Les décrets du Moniteur de ce matin y mettront fin. Hamelin a bien gagné son bâton d’Amiral et Parseval Deschênes, qui ne l’a pas autant gagné, le mérite autant. Je connais la plupart des officiers qui reçoivent de l'avancement. Ce sont des hommes vraiment distingués. On ne sait pas assez à quel point le corps d’officiers de notre marine est bien composé.
A tout prendre, je trouve le discours du Roi de Prusse bon. Avec des paroles entortillées il dit franchement sa politique. Ses Chambres, le pousseront un peu, mais pas bien vivement je crois, ni de manière à l'embarrasser. Elles lui savent gré de sa loyauté envers elle-même, et elles ne veulent pas faire grand bruit.
Hier l’Académie des sciences morales et Mad. Mollien en en revenant. Longue conversation sur Claremont intéressante pour moi. La Reine ne tarit pas en éloges sur sa belle fille l'Infante Fernande vertueuse, sérieuse, pieuse, occupée de son mari, de ses enfants, de sa dévotion et de bonnes œuvres, respectée et aimée de tous. Quand faisaient. M. Ducos avait plus d’une fois, le Roi Léopold a été de Calais, il y a eu, dans la famille, un vif mouvement d'humeur ; on a eu quelque envie de quitter Claremont ; les trois Princes se sont réunis pour en délibérer. Mais le bon sens, la justice et l'opinion de la Reine ont prévalu. La Reine Victoire est toujours extrêmement bien pour eux, soigneuse avec affection. Le soir, j’ai dîné chez ma fille Henriette, et je suis rentré à 9 heures et demie pour me coucher. Je suis très enrhumé ; je tousse beaucoup. Mais j’ai bien dormi cette nuit, et j'espère qu’en restant deux jours sans sortir, je m'en débarrasserai. Quand donc vous soignerai-je aussi ?

1 heure
J’ai peine à croire au mot brute. On peut et il faut, en pareil cas, être très sûr ; mais à quoi bon être grossier ? Je vous ai envoyé hier par la voie indiquée, les livres que vous désirez. On est très content de Bourqueney pas précisément dans le cabinet des affaires étrangères, où l’on n'est jamais content que quelqu’un réussisse, mais plus haut. Je viens d'en avoir des nouvelles. Rien de précis sur le traité ; seulement, qu’il est surtout conçu dans la prévision d’une campagne des alliés. sur le Bas Danube. Adieu, Adieu. G.
Mad. Kalergis part des quelques jours ; elle avait annoncé qu’elle passerait l'hiver à Paris ; mois elle y renonce.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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216 Paris. Lundi 4 Décembre 1854

Il faut que vous écriviez, à votre ami d'Ems et de Schlangenbad, une lettre sur le thème que voici :
" Je suis bien malade de plus en plus malade. Je vois, et vous me dites qu'à Londres, on se fait un monstre de mon retour à Paris. Certainement je n’aime pas autant que vous les Anglais et je n'adore pas votre alliance ; mais je vous aime, j’aime votre Empereur, et je ne voudrais pas lui créer le moindre ennui. On a peur de mon salon. Mais je n'en aurai point point du tout ; et si un jour j'en avais un, il serait encore plus ce qu’il était quand j'étais libre, c’est-à-dire favorable à l'Empereur et à l'Impératrice. Elle peut se le rappeler. Mais que je suis loin de les doux souvenirs ! "
" Je crois démêler que pour me témoigner toute sa bonté, l'Empereur attend un succès. Que veut-il de plus que la gloire de ses armes et le traité avec l’Autriche ? Est-ce la prise de Sébastopol. Mais je ne serai plus de ce monde ; déjà j’ai à peine la force de sortir de mon lit, de me lever de mon fauteuil ; je crache le sang && J’aspire avec passion et souffrance à mon appartement de Paris, à mon médecin, à l’air doux et à l’aspect gai qui me viennent par mes fenêtres, à des portes qui ferment et que je ferai fermer à tout le monde, s'il le faut. Et puis, si je retourne à Paris, maintenant, on en pensera ailleurs ce qu’on voudra ; l'escapade sera faite ; mais si on apprend à Pétersbourg, ma démarche et qu’on me défende d'aller à Paris, alors j’entre en état de vraie révolte et pour moi, pour ma famille, la situation est tout-à-fait changée. Hélas, je ne tarirais pas sur les motifs de mon ardent désir. "
Je suis un interprète parfaitement fidèle. M. est venu me voir hier ; très heureux du traité autrichien disant qu’il est complet, qu’on vous fera probablement une nouvelle et dernière sommation, et que si votre réponse n’est pas pleinement satisfaisante, les ambassadeurs seront aussitôt retirés, et l’Autriche entrera en campagne avec ses alliés. Il regarde ceci comme très favorable à la paix. On se loue infiniment de Bourqueney, de sa prudence, de sa patience et de son savoir-faire.
Conseil général. Quand vous écrivez à M. prenez soin que vos lettres puissent être montrées plus haut, et ne donnent pas lieu de croire à un concert habituel entre vous et lui. J’ai entrevu que cela pouvait le gêner et l'affaiblir.
Vous ne savez pas à quel point le travail contre vous est actif et sérieux. Il y a là une méfiance incurable, une conviction de marbre que vous ne sauriez vous tenir tranquille, ne pas travailler contre l'alliance, ne pas servir, à tout prix, votre Empereur qui à son tour, se sert et se servira de vous, par toutes les voies et dans toutes les situations. Certainement, dans le temps de votre grande activité il vous a manqué une habileté, celle de faire penser que vous pouviez être autrement que vous n'étiez, vous soucier d'autre chose que de politique, vous décider par d'autres motifs que le service de votre maître, vivre en dehors de la diplomatie, et des affaires Russes comme hors de la Russie elle-même. Vous êtes, aux yeux des Anglais, la diplomatie Russe incarnée, infatigable, insaisissable. Il n’y a pas moyens de leur persuader qu’il puisse y avoir, pour vous d'autres intérêts, d'autres sentiments, d'autres intentions, d'autres occupations. Un homme peut porter le poids de cette situation exclusive, absolue immuable. Elle ne convient pas à une femme ; il faut qu’elle puisse se retrouver purement et simplement une femme, renfermé dans la vie privée, et que tout le monde puisse le croire.
Ne dites pas trop comme vous me l'écrivez souvent, qu’on fait chez vous, entre les Anglais et les Français, une grande différence, très doux pour les uns, très rude pour les autres. Cela est pris comme une preuve de votre travail contre l'alliance. Et puis, personne ne prend au sérieux cette distinction de votre part. Votre Empereur, dans sa conduite et dans ses conversations avec Seymour, a traité trop légèrement la France et l'Empereur Napoléon pour qu’on voie là autre chose qu’une manœuvre, et une manœuvre trop transparente.
J’aurais bien des choses à ajouter. Mais en voilà déjà bien long et l'heure me presse. Adieu. Adieu. Le bon vouloir est toujours le même. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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217 Paris, Mardi 5 déc. 1854

Je ne pensais hier qu'à vous seule ; je ne vous ai pas parlé du traité Autrichien. L'effet est grand ici ; vous aurez vu qu’il a été grand à la Bourse. On voit là un succès et un gage de paix. La double alliance laissait possible, la guerre révolution naire et le bouleversement de l'Europe ; avec la triple alliance, c’est impossible. Un peu plus tôt, un peu plus tard, l’Autriche rétablira la paix. Je ne suis pas du tout sorti hier, à cause de mon rhume ; mais on est venu me voir, Glücksberg d’abord, puis le chancelier, puis Berryer, puis le Duc de Noailles ; tous disant à peu près la même chose. Le Duc de Noailles, le plus content ; le repos en France et la paix en Europe ont tout son cœur. Personne ne sait encore les dispositions précises du traité. Hübner qu’un de ces messieurs (je ne me rappelle pas si c’est Berryer ou Noailles avait rencontré hier, lui a dit que c’était le plus grand événement qui se fût passé en Europe depuis 1815. Il était radieux. Je le comprends. La Russie affaiblie, l'Allemagne affranchie et unie, l’Autriche rassurée contre la révolution et contre vous à la fois, et médiatrice entre l'Occident et l'Orient, il y a là de quoi charmer les cœurs Autrichiens. Quand la paix sortira-t-elle de là ? Ceux qui y comptent ne l'attendent pas très prochaine, ils doutent que vous accédiez à la nouvelle sommation qui va vous être adressée et alors il faut une nouvelle campagne. Rien n’est à prévoir avec quelque certitude jusqu'à ce que nous avons vu le Parlement anglais.
Le Duc de Noailles veut aller vous voir à la fin du mois. Il m’a dit qu’il serait déjà allé sans la mort du Duc de Mouchy. Il s'occupe des affaires de sa cousine. Mais il affirme qu’il ira. Berryer aussi veut aller vous voir, et je ne serais pas surpris quand il serait le premier. Il se plaint de sa santé, et je l’ai trouvé en effet fatigué et vieilli. Il ne pense pas, ni moi non plus que sa réception à l’Académie ait lieu avant le milieu de Janvier.
Glücksberg m’a intéressé sur l’Espagne d'où il vient et où il va retourner. Il n’a pas maintenant grande inquiétude sur la Reine Isabelle ; il dit qu'à travers ses désordres et son décri qui sont tout ce qu’on en dit, elle ne manque ni d’esprit, ni de courage, et qu’en se mettant pleinement, comme elle l’a fait, entre les mains d’Espartero et de ses amis, elle leur a été toute possibilité de l'attaquer ; l’un deux disait ces jours derniers : " Elle nous force à la défendre jusqu'à ce qu’elle puisse nous faire pendre." Cette réaction arrivera, et c’est Narvaez qui la fera ; mais pas de sitôt. En attendant, il vit à Orléans. On l’a prié de ne pas venir à Paris, et lui-même ne veut pas être où est la reine Christine. Celle-ci est la personne qui a le plus perdu en Espagne dans ces derniers temps ; il paraît qu’elle a tout-à-fait manqué de jugement, et de tact, pleine de prétentions et de tracas sur de petites choses. Son attitude à Paris, il y a deux ans, a déplu en Espagne.
Mon médecin a lu une lettre d’un chirurgien Français devant Sébastopol qui raconte qu'après la bataille du 5 on a surpris un chirurgien Russe errant sur le champ de bataille, et ouvrant les veines aux blessés anglais et français. On l’a pris et fusillé sur place.

2 heures
J’ai eu bien du monde, et des gens qui devraient savoir précisément ce qu’est le traité Autrichien. Personne n'en connait, ou n'en veut dire les dispositions ; mais il fait, sur tout le monde, l'impression d’une garantie future de la paix. Adieu, Adieu. J'attendrai impatiemment demain votre lettre. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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218 Paris Mercredi 6 déc. 1854 2 heures

Je serai bien court aujourd’hui.
J’ai eu des affaires ce matin et du monde jusqu'à présent. Je reçois le 180. Je suis presque fâché qu’il fasse beau ici ; je voudrais vous envoyer ce soleil ; pâle, mais soleil. Je vous en prie, pour moi, ne vous livrez pas à l'abattement.
On se calme sur le traité. On le trouve bon, mais moins gros qu’on ne croyait. Meilleur pour l’Autriche elle-même que pour les deux autres. Le parti de la guerre générale et du remaniement de l'Europe, on est très mécontent. Je serais curieux de ce qu’en dira Lord Palm. J’ai reçu un mot d'Aberdeen à qui j’avais écrit dans l’intérêt de mon ancien chancelier à Londres, M. de Rabaudy. Il me répond qu’il fera ce que je désire, puis, il ajoute : " Shall we ever met again ? I do not become at all more reconciled to this long suspension of interecourse, but I Know not how, it is to be avoided. Doubtless, there is much to be said, and I would give a great deal for an hours conversation with you. But these are vain désires. " Ce n’est pas d’un homme près de quitter le pouvoir.
Le langage de Hatzfeld est amer sur un traite signé si promptement et si incognito.
3 heures
J’ai été encore dérangé pour ne rien apprendre. Tout le monde dit qu’au mois d'avril, la France et l'Angleterre auront en Crimée, 250 000 hommes. Adieu, adieu. Il faut que je ferme ma lettre. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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219 Paris Jeudi 7 déc.1854

Ce n’est pas un délai de trois mois qui est donné à l’Autriche pour vous amener à la paix, ou se décider elle-même à la guerre. Vous devez avoir répondu définitivement à ses nouvelles ouvertures, avant le 1er Janvier prochain. Ce terme passé, si vous n'avez pas accédé, les trois puissances alliées se concerteront immédiatement, sur les mesures militaires à prendre en commun. C'est le sens positif d’un article secret joint au traité. Les articles publics confirment ce qui a été fait ou dit jusqu'ici dans les protocoles de Vienne maintiennent les quatre bases, en réservant aux trois Puissances. La faculté de les étendre selon les événements de la guerre, déterminent avec plus de précision la portée de ces quatre bases, surtout de la dernière, chargent l’Autriche de la nouvelle sommation à vous adresser, et la lient en tous cas, aux puissances occidentales qui lui garantissent en cas de guerre, toutes ses possessions actuelles. On ne doute pas ici, dans le gouvernement que si votre réponse n’est pas favorable, l’Autriche n'entre en campagne contre vous sur le Danube, aussitôt que la France et l'Angleterre y entreront elles-mêmes.
Le délai du 1er Janvier a été assez brusquement substitué à celui de trois mois qui avait d'abord été à peu près convenu.
On a donné de Vienne à Berlin, avis de ce qu’on faisait, 48 heures avant la signature, assez tard pour qu’on n’est pas le temps de faire des objections.
La Prusse s'était décidé à se mettre d'accord avec l’Autriche parce qu’elle avait vu qu’elle serait en grande minorité dans la Diète.
Les dernières nouvelles de l’armée alliée en Crimée sont bonnes, les lettres particulières voudraient bien se combattre sans se brouiller. comme les rapports officiels. L’arrivée des renforts a rendu à nos troupes leur entrain. On s’arrange pour l'hiver. La gaieté des Français gagne et soutient les Anglais. Le Duc de Cambridge est réellement malade, malade du cerveau ; il s’est très bravement. conduit dans la journée du 5 ; mais le spectacle de la lutte et du carnage lui a frappé l’esprit au point de le déranger. Il a absolument besoin de repos.
Mon rhume va mieux, sans être tout-à-fait fini. J’ai recommencé hier à sortir. J’ai rendu une visite au Ministre des Etats-Unis d’Amérique, homme de sens qui m’a paru bien convaincu que son pays ne se mêlerait d'aucune façon, des affaires de l'Europe. Bien pour vous et décidé à être bien, sans sympathie. Le soir chez Mad. de Boigne, le chancelier, le général de la Rue, les Salvo, Mad. Mollien, Viel Castel. J’y dîne dimanche.
J’ai eu hier une longue lettre de Molé, sur les élections de l'Académie. Il appartient, corps et âme à M. de Falloux. L’intervention du nom du Duc de Broglie l’embarrasse fort. Grande confusion dans cette affaire. Les hommes voudraient bien se combattre sans se brouiller. Si le Duc de Broglie ne dit pas formellement qu’il n'en veut pas, c’est lui qui sera nommé. Molé me demande beaucoup de vos nouvelles. Une heure. J’approuve tout-à-fait votre idée. Vous venez consulter votre médecin pour aller ensuite à Nice s’il le juge nécessaire et si vous en avez la force. Cela est bon à dire partout, et ici encore plus qu'ailleurs. L’autorisation en sera plus facile à donner et à justifier auprès de ceux qui en prendront de l’humeur. Il y aurait de la barbarie à vous la refuser.
Vous me direz positivement si vous voulez qu’on réponde dans ce sens, aux questions faites à votre sujet.
Adieu, adieu. Dumon sort d’ici et me demander de vous présenter ses respects vraiment affectueux. Duchâtel arrive demain ou après-demain, pour cinq ou six jours. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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220 Paris, Vendredi 8 déc. 1854

J’ai eu quelques personnes hier soir. Tout le monde a, du traité autrichien, la même impression, une impression favorable à la paix ; mais on doute de deux choses, l’une que vous acceptiez purement et simplement, et immédiatement, ce qu’on vous propose ; l'autre que l'Angleterre veuille sérieusement la paix tant que Sébastopol ne sera pas pris et détruit. J’ai aussi les deux doutes. Quand Sébastopol sera-t-il pris ? Pour le moment, je vois là trois assiégés, Sébastopol Canrobert à Mentchikoff. Tous les trois se retranchent dans leurs lignes pour se prémunir contre les attaques imprévues. On peut passer ainsi tout l’hiver. Sébastopol ne tomberait alors que l'été prochain, devant une campagne encore bien plus grande et plus rude que celle-ci. Tenez pour certain que si vous ne faites pas la paix à présent, vous aurez la guerre au printemps sur une bien autre échelle ; après quoi vous ferez une plus mauvaise paix. Si vous êtes décidés à ne pas la faire de 15 ou 20 ans à perdre vos provinces frontières, à vous retirer de plus en plus loin de l'Europe, peut-être aurez-vous le dernier ; il y a, dans cette hypothèse, quelques chances pour vous, mais dans cette hypothèse seulement. Je ne pense pas que même dans cette hypothèse, le succès valût, pour vous, ce qu’il vous aurait couté.
J’ai fait deux ou trois visites hier en revenant de l’Académie. Mad. de Staël est de retour. Montebello est venu me voir comme je rentrais, très préoccupé du traité. Son frère doit arriver en ce moment même, à Balaklava ; il en reviendra promptement. Il n’est allé que porter des récompenses et des encouragements et chercher des renseignements précis sur les besoins. Dumon, qui est venu aussi, avait rencontré Morny au Club des chemins de fer et l’avait trouvé très convaincu de la paix.
Avez-vous lu les discours des généraux San Miguel et Bonnell sur la reine Isabelle, et n’avais-je pas raison de vous dire qu’elle survivrait à cette secousse ? L’esprit monarchique et l’esprit révolutionnaire existent en Espagne ; lequel des deux étouffera l'autre ? Je n'en sais rien ; mais il faudra bien des années, des siècles peut-être, pour l’une ou l'autre victoire.

2 heures
Pas de lettre ce matin. Je n’ai rien à ajouter à celle-ci. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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221 Paris, samedi 9 déc. 1854 Je ne suis pas sorti hier soir et j'ai vu peu de monde dans la matinée ; deux anciens députés revenant de Province, tous les deux d'accord à dire que la guerre n'est pas du tout populaire, plutôt moins que plus en se prolongeant, mais qu’on n'en fera pas moins tout ce que le gouvernement voudra. On s'attend ici, à un hiver triste. Bussierre, qui revient de Londres, dit qu’on n’y rencontre pas une voiture propre où l'on ne voie quelqu’un en deuil.
L’amiral Hamelin revient Bruat prend le commandement de la flotte Française. Aussi bon marin, et plus entreprenant. Vous aurez vu, dans le Moniteur, qu’il était à terre le 14, au moment où le grand ouragan a éclaté, et qu’il s'était sur le champ mis à la mer, dans un canot, pour aller rejoindre son vaisseau, ce qu’il a fait avec la plus grande peine et le plus grand péril. Le récit de cet ouragan, par un officier à bord du Napoléon, est très dramatique. Vous ne l'aurez peut-être pas remarqué.
On raconte que la Princesse Mathilde passant sur le quai des Tuileries, et apercevant un homme de sa connaissance, le duc Blanchot à qui elle avait quelque chose à dire, a fait arrêter sa voiture. Elle avait à la main en lui parlant, un petit portefeuille, et elle lui a dit : " Vous ne devineriez pas ce que j’ai là dedans ? - Quoi donc ? - Vingt cinq mille francs que l'Empereur vient de me payer. - Et pourquoi ? - J’avais parié contre lui que, quand on se battrait à l’armée, mon frère n'y resterait pas. Il a reconnu que j’avais gagné et il m’a payé."
On raconte aussi beaucoup de paroles, de colère de votre Empereur contre l'Empereur d’Autriche ; trop violentes pour que je vous les redise.
2 heures
Je reçois votre lettre trop tard pour y répondre. aujourd’hui comme vous le désirez. Je le ferai demain. Il y faut le ton et la mesure, justes. Vous avez trop d’esprit pour croire que les foudres de Constantin, quand elles éclateraient, dissiperaient les préventions dont vous êtes l'objet, les préventions résisteraient à de bien autres témoignages. Ce ne serait pas le premier exemple d’un souverain se brouillant. avec son serviteur et le maltraitant pour le mieux accréditer. Tenez pour certain que ce serait là ce qu’on dirait et ce qu’on croirait. Il faut toujours voir les choses comme elles sont Adieu, Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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222 Dimanche 10 déc. 1854

Ne vous livrez pas à votre premier mouvement de révolte. Il en résulterait, pour vous d'abord une lutte puis un isolement que vous ne supporteriez pas. Ce qu’il faut consulter avant tout, dans ses résolutions, c’est sa force, force d'âme et de corps. Nice est le moyen terme dans lequel il me paraît possible et convenable de vous établir, le but qu’il faut pour tout le monde, assigner. à tous vos mouvements. Cela explique et facilite tout, à Paris et à Pétersbourg, à présent, et plus tard.
Constantin me déplait ; non pas pour vous dire ce qu’il pense et vous blâmer de ce qu’il suppose, mais pour vouloir se brouiller avec vous. Il y a des liens que rien ne peut rompre & des amitiés qui doivent survivre à toutes les dissidences. Je ne puis croire que les projets de brouillerie aillent jusqu’à ne pas vous payer ce qu’on vous doit. Ceci dépasserait toute permission. Les dettes d’affaires sont indépendantes des peines de cœur. Il serait trop commode de s’acquitter avec du chagrin.
Voilà deux visites qui m’arrivent. Je n’ai pas le temps de vous dire plus, adieu, adieu. G.
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