Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteurs : Hallam, Henry (1777-1859)

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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92. Ems lundi le 3 juillet 1854

Constantin me mande en date de 25 de Peterhoff que les flottes s'approchaient de Cronstadt. Elles n'en étaient plus qu'à 30 kilomètres. Nous sommes enchantés de cette visite. Toujours de très mauvais propos sur les Anglais, sur le Français pas du tout. Le Lt du Tigne était à Pétersbourg. L’Empereur lui a fait rendre son épée, & permis qu’il retourne en Angleterre. Il n’a pas envie il craint une cour martial.
Le prince Gortchakoff est parti le 25 pour Vienne. Avec une mauvaise réponse naturellement. La guerre avec l’Autriche est inévitable. La première depuis l’existence de l’Empire russe ! Greville me mande que la publication de la dépêche d'Aberdeen lui a été très utile. Il s’est remis sur jambes tout-à-fait. On envoie de nouvelles troupes en Turquie. Il n’y aura plus de troupes régulières en Angleterre du tout dans très peu de temps. On pense toujours là que la pression contre la Russie nous obligera à la paix, je crains qu'on ne se trompe nous ne fléchirons pas aurions-nous toutes les puissances sur les bras. Mon Dieu comment cela finira-t-il ? On croit savoir à Londres qu’entre toutes les tristesses du moment l’Empereur a encore le chagrin de voir la querelle entre ses deux fils aînés, qui serait arrivés à un haut degré de vivacité !
Constantin archi russe, le G. D. héritier bien plus modéré. Je ne crois pas que cela aille très loin, ils ont trop peur du Père ; mais il est certain que les frères ne s’accordent pas. Le roi de Portugal après Bruxelles se rendra à Berlin, de là à Vienne, Cobourg, Paris, St Omer. Voilà toutes mes nouvelles aujourd’hui. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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109 Val Richer. Lundi 3 Juillet 1854

J’ai peur que vous n'ayez raison et que tout ce mouvement de retraite ne soit qu’une opération de guerre, agressive ou défensive, comme l’Autriche. Je ne vois pas jusqu'ici que vous vous retiriez au delà du Pruth ; c’est seulement au delà du Sereth, vous levez le siège de Silistrie et vous évacuez la Valachie, mais vous vous arrêtez en Moldavie passé devient votre quartier général au lieu de Bucarest. Militaire ou pacifique, la reculade est grande, mais je la voudrais pacifique. Vous ne pouvez plus vous faire illusion sur l’Autriche, sa convention avec la Porte pour l'occupation des principautés est sa manière d'entrer dans l'alliance, et elle s’engage à ne faire aucun arrangement avec vous tant que la Porte ne sera pas rentrée, et garantie dans la plénitude de ses droits et de son indépendance. C'est bien décidément l'Europe entière contre vous et vous n'avez encore eu à faire qu'aux Turcs !
Je penche à croire que nous apprendrons au premier jour que la Suède a fait comme l’Autriche et qu’elle est entrée dans l’Alliance.
L’Europe ainsi unie, vous n'aurez pas même la ressource des insurrections et des révolutions. Vos tentatives en Grèce, et en Bulgarie échouent évidemment ; on dit qu'en vous retirant vous emmenez avec vous 5000 Bulgares qui se trouvent compromis avec les Turcs. C'est de la dépopulation de plus en Turquie, et pour vous les partisans de moins. J’ai rarement vu les fautes porter leurs fruits aussi vite et aussi durement.
J’ai peine à faire attention à l'insurrection de Madrid. Vous savez qu’on vous l'imputera, comme la folie des 50 ou 60 Mazziniens qui ont débarqué sur la côte de Toscane. Je saurai quelques détails sur Madrid ces jours-ci ; le Duc de Glücksburg doit en arriver. Son père est plus malade.
Avez-vous lu dans la Revue des Deux Mondes les articles de Viel Castel sur la Correspondance de Lord Castelreagh ? Ils n’ont rien de remarquable ; mais c’est un résumé clair et complet de la politique Européenne de cette époque, qui nous touche encore, et déjà si loin ! France, Angleterre, Russie, quel changement de principes, de conduite, de langage, de puissance. C’est l’Autriche qui a le moins changé.

Midi
Je n’ai rien de Paris et les journaux ne m’apprennent rien. Adieu, adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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91. Ems le 1er juillet 1854

Plus je pense à tout ceci, plus je suis humiliée de la façon dont nous conduisons nos affaires. à ce train là, il vaudrait mieux faire la paix tout de suite. Dieu sait tout ce qui nous est réservé encore si nous continuons cette triste guerre.
Le dernier petit mot de votre lettre du 28 me prouve que vous êtes en pleine espérance. C'est comme vous étiez à la dernière heure à Bruxelles. Hélas, en sera- t-il autrement.
J'ai un besoin énorme de parler de tout ceci, et je n’ai avec qui. Hélène n’est plus praticable. Elle veut pour pendre les Autrichiens elle n’a plus que cela en tête, elle donnerait toute sa fortune pour les anéantir. Richelieu est sensé et nous jasons & rabachons quelque fois. Je suis fâchée que mon fils ne soit pas ici. Avec lui cela irait mieux. Le Times fait un grand éloge de la dépêche d'Aberdeen de l'année 1829 en effet elle est bien faite. Je n'ai de lettre de personne aujourd’hui, je relis la lettre de Constantin. évidement notre retraite n’est pas de la bonne grâce pour l’Autriche, d’après cela c’est seule ment un ennemi de plus. Je suis frappée des soupçons de l'Angleterre contre l'Autriche. En France la nouvelle n’est pas non plus accueillie avec plaisir. Tout me paraît plus confus que jamais. Débrouillez cela. J'aurai demain je crois quelque chose. Ma lettre aujourd’hui est bien bête. Adieu. Adieu.

Dimanche le 2. Elle était si bête, qu’elle n’est pas partie ; elle attend son camarade aujourd’hui. Rien, rien, que mes réflexions qui sont tristes, décidément ce sera une longue guerre. Comment me tirer de là.
Je viens de lire les journaux. Nous ne cédons pas à l’Autriche, Nous cédons à la nécessité de nous mettre en garde contre C'est bien différent, et il est clair que nous nous battrons. Nous n’avons pas battu les terres, que ferons nous des autres ? Vous comprenez que je ne partage aucune de vos espérances. Je n’ai pas ni de lettre de vous, ni de personne, et la seconde porte est arrivée.
Le temps est bien laid, et mon humeur plus laide encore que le temps. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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108 Val Richer, samedi 1er Juillet 1854

Je vous renvoie, la lettre d’Ellice, intéressante si j'y croyais tout à fait, j'en conclurais que la politique de la paix a fait son temps, que l'Angleterre veut du nouveau, n'importe par quels motifs, et à quel prix, et que nous entrons dans une de ces époques où les gouvernements et les peuples dépensent en enfants prodigues, le capital de force, de richesse et de bonheur qu’ils avaient acquis dans ces jours plus sensés. Cela se peut ; il y a bien des symptômes de cet état. Pourtant je n'y crois pas ; je vois bien des symptômes contraires, et je suis sûr que la France n’est pas du tout dans cette disposition.
// Ne croyez pas que je vous dis ceci par pure malice ; tenez pour certain que, s'il y avait dans ce pays-ci une tribune et si ses affaires du dehors, et du dedans, étaient publiquement discutées, ce qui arrive n’arriverait pas. Le vrai sentiment et intérêt de la France se ferait jours et les amis de la paix en Angleterre trouveraient en France un point d’appui. Je conviens qu’il aurait fallu s'y prendre plutôt, et qu’au point où en sont aujourd’hui les choses la paix ne peut se faire que fort à vos dépens.//
Le Duc de Broglie m'écrit : " Voilà l'affaire d'Orient qui entre dans une phase nouvelle ; il me paraît difficile qu’il n’y ait pas, dans tout cela, un dessous de cartes une certaine entente entre la Prusse et l’Autriche et la partie modérée du Ministère anglais. S'il y avait un homme quelque part, les choses étant posées comme elles sont, la paix telle qu’elle s’en suivrait. Mais je n'y crois pas ; je crois que John Bull poussera sa pointe que nous l’y seconderons un peu à contrecoeur, et que l'Allemagne laissera faire. Les événements décideront. "
J’ai aussi des nouvelles de St-Aulaire qui me demande quelques renseignements pour ses Mémoires ; très amical : “ De fréquentes lettres de vous, c’est tout ce que je regrette des ambassades hélas, je serais bien indigne à présent de votre correspondance ; mon esprit s'endort et ma main tremble " Il m’écrit au crayon ; il ne peut plus tenir une plume. C'est ce qui m’arrivera un jour. Sa lettre finit par ceci : " Pauvre Princesse de Lieven ! On croit qu’elle a renouvelé son bail de la rue St Florentin. et j'en augurais bien pour son retour vous me ferez plaisir de mettre, mon nom dans une de vos lettres ; je lui suis bien sincèrement attaché. "
Puisque j'en suis sur les souvenirs, vous vous souvenez de M. Sauzet ; il est à Paris et M. Vitet m’écrit : " C'est à tomber à la renverse ; un spectre, un vrai fantôme. Le pauvre homme m’a donné l'explication de sa maigreur extrême ; c’est son énergie qui l’a dévoré. Par malheur, elle ne lui a pris que son embonpoint et lui a laissé sa faconde, à l’entendre, on le reconnaît." Il paraît qu’il y a eu de vifs débats à l'Académie, à propos des prix Montyon ; les philosophes aux prises avec les dévots ; Cousin et Montalembert se sont querellés vivement. Cousin a été battu. Adieu.
Toujours un temps abominable des torrents de plus depuis trois jours. Si votre Empereur est aussi entêté que mon éternuement, il n’y a guère de chances de paix. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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90. Ems le 30 juin 1854

Voici ce que je trouve dans mes vieux papiers.
" Lord Chatham disait en 1760 que quand il entendait quelqu’un soutenir que la question ottoman n'était pas pour l'Angleterre une question de vie et de mort, il ne parlait plus à cette personne."
Je tourne et retourne dans mon esprit, les nouvelles perspectives que nous ouvre notre reculade. Elle est si étonnante pour un homme du caractère de l’[Empereur] Nicolas, et pour l'orgueil & le fanatisme russe. Je prends Hélène pour type. On ne peut plus lui parler. Son caractère en est changé tout à fait. D’abord elle ne croit pas. Je regrette que Paul ne soit pas ici. Il saurait la mettre à la raison. Elle soutient que nous allons faire la guerre à l’Autriche ; son point de départ est une lettre de la Grande Duchesse Marie qui est parfaitement dans ce sens. Les journaux Allemands disent que notre armée manque de vivres. Quand on ne mange pas, on ne se bat pas. Cela pourrait bien expliquer ce que vous dites des pertes que nous éprouvons dans nos officiers supérieurs. Quelle opinion nous donnons de nous en Europe ! Quelle tappe sur la fatuité Russe. Je serai bien aise de ne pas ressembler beaucoup à mes compatriotes, je me sentirais bien humiliée. Vous figurez-vous le contentement de Hubner.

Midi. Voici une lettre de Constantin de Peterhof le 21 juin. " Au Danube notre position militaire change en présence de l'absence de sécurité que présente l’Autriche. Notre droite se trouvant exposée par la concentration de troupes en Transylvanie Silistrie n’a plus aucun prix pour nous, aussi allons nous, aussi allons nous en abandon ner le siège et nous concentrer sur le Sereth. C'est là qu'on est invité à nous parler pour le moment quitte à mieux sauter plus tard. La conclusion qui a atteint le Maréchal le met hors de combat pour quelques semaines. Il se rendra à Passy." Le reste de la lettre est du fanatisme superlatif. J’ai peine à tenir pour ne pas répondre par quelque sottise à tant d'exagération, d’adulation. Il reste encore. là heureux, si heureux qu'il dit qu’il en oublie sa femme et ses enfants. Voilà ce qu’on devient, voilà ce qu'était devenu mon mari. Que de réflexions à faire. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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107 Val Richer, Vendredi 30 Juin 1854

Je n’ai pas reçu hier la confir mation que j’attendais, si impatiemment. Il me paraît clair que vous avez levé le siège de Silistrie, mais non pas que vous vous retirez des Principautés. Je crains que vous ne fassiez dans cette occasion-ci, ce que vous avez fait depuis le commencement de l'affaire, diplomatiquement et militairement, c’est-à-dire quelque chose d’indécis et d’incomplet un certain mélange d’ambition et de modération d'obstination et de concession, d'étalage guerrier et d’esprit non guerrier. Combinaison déplorable pour vous, et aussi pour l'Europe, car elle ne donne, ni à vous la victoire, ni à l’Europe la paix, et elle détruit à la fois l’idée de votre sagesse et celle de votre force. Tout l'orgueil Barbare possible, ne suffit pas pour tenir lieu d'habileté et de vigueur.
Je vous traite, en personne aussi impartiale, que moi je vous dis tout ce que je pense. Je me figure que, si je causais avec elle, je ferais admettre cela, même à la Princesse Kotschoubey qui a l’esprit juste, si elle a le coeur patriote. La vérité peut attrister, mais elle ne blesse pas quand il n’y a rien de blessant dans l’intention de celui qui l'a dit.
J'aime les deux discours d'Aberdeen, et le second au moins autant que le premier, quoique je trouve toujours qu’il ne le prend pas d’assez haut avec les adversaires. Il a beaucoup plus raison qu’il ne dit. Il ne rattache pas assez son bon sens et son honnêteté à la grande morale et à la grande politique. Il ne donne pas grand air à une conduite qui mériterait de l'avoir, et il se donne un air de faiblesse au moment même où il résiste. Il se défend quand il devrait attaquer, et il se défend amèrement et non pas énergiquement. Je le lis avec un mélange de satisfaction et d'impatience, d'approbation et de regret. Et je m'irrite de l'impertinence hautaine avec laquelle, les hommes qui sont à cent piques au-dessous de lui le traitent quelquefois.
Encore un général mort. N'est-ce pas que le général Schilder était un de vos officiers du génie les plus distingués ?

Midi
Votre N°97 est bien triste, et il y a de quoi. J'ai peine à croire pourtant que, de tout ce qui se passe, il ne sorte pas quelque chose de nouveau. Je vais lire la lettre d’Ellice. A demain. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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89 Ems le 29 Juin 1854

J’ai trop de correspondants. Je me fatigue à répondre et j’aime cependant à bavarder. Une longue lettre ce matin de Greville bien de la mauvaise humeur de notre reculade par la crainte que cela satisfasse l’Autriche et la détache par conséquent de l'accident. Le mieux qu'on pourra espérer sera sa neutralité. (Je crois que je viens de faire là trois fautes de Français c’est égal.) La rage en Angleterre va en grossissant. On veut la Crimée, la destruction de nos flottes, l'indépendance de la Circassie. à quatre on arrivait plus vite au but, à deux cela l’éloigne ainsi toute cette nouvelle aventure sert que la paix. Mais quelle pauvre mine nous avons là. Ce que nous proposait L’Empereur Napoléon valait mieux que ce que nous cédons maintenant à l’Autriche. Il offrait le retrait des flottes ici point de compensation. Si ce n’est l'espoir de détacher l’Au triche. Mais lever le siège de Silistrie, c.a.d. nous avons vaincu par les terre, & nous dessaisir de pptés ! Tout cela est bien humiliants, et doit avoir bien conté à l'orgueil impérial. C’est même si fort que j’ai peine encore à y croire. cinq heures. Je viens de recevoir des nouvelles de Bruxelles. On n’est pas fixé là encore sur la valeur de ce qui vient de se passer. On ne sait que les faits. Ils sont bien gros. On regarde la position de l’Autriche comme prépondérante et ne regardant la chose dans son acception la plus simple on trouve que cela conduit plutôt à la paix qu’à la guerre. La situation d'Aberdeen est raffermie par son dernier discours, c’est-ce qu’on me mande de Bruxelles aussi. Adieu.
Je suis bien impatiente de ce que vous allez me dire de tout ceci. Comme nous aurions à parler ! Adieu

Auteurs : Vitet, Louis, dit Ludovic (1802-1873)

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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106 Val Richer, Mercredi 28 Juin 1854

J’ai eu hier quatre visites, les politiques du pays, à peu près les seuls qui persistent à se préoccuper des événements publics, trois par intérêt d'affaires, un par curiosité d’esprit. Ils venaient tous me demander ce qu’il fallait croire de l'article du Moniteur et de votre retraite au-delà du Pruth. Grande satisfaction, mêlée d’un peu de surprise. Je les ai engagés à se réjouir toujours, en attendant d'être sûrs. Je leur ai parlé d’un Congrès, où tout le monde se réunirait pour traiter du rétablissement de la paix, et qui durerait peut-être dix ans. Ils approuvent fort ; ils aiment beaucoup mieux dix ans de Congrès que dix ans de guerre.
La correspondance Havas regrette votre retraite, et dit que " cette nouvelle sera accueillie avec le plus vif désappointement par les troupes Anglo-Françaises. Le jour qui devait leur faire oublier toutes les fatigues d’une campagne lointaine, le jour de la bataille recule indéfiniment, avant elles, grâce à l'excessive prudence de la stratégie Moscovite. Mais que nos braves soldats ne perdent pas tout espoir ; cet ennemi qui fait à leur approche n'est pas insaisissable, et on pourra le trouver quelque part, fût-ce sur son propre territoire ?
Nous verrons bientôt si votre retraite n’est en effet qu’une manoeuvre de Stratégie, ou bien la Préface d’un Congrès.
Avez-vous remarqué dans le Times, le rapport des ingénieurs Anglais qui étaient à votre service, et qui s'en sont échappées à grand'peine ? Il est curieux ; mais il ne confirme pas ce qu’on vous dit des compliments qu’on fait chez vous aux Français aux dépens des Anglais. Je suis un peu curieux du commentaire que Lord Aberdeen a dû ajouter avant hier soir à son dernier discours. Mes journaux me l’apporteront ce matin. C'est bien dommage qu’il ne soutienne pas plus hardiment, son propre politique, et en renvoyant à ses adversaires leurs attaques.

Midi
Certainement la nouvelle est vraie ; par considération pour l’Autriche, vous évacuez les principautés. Si cela ne mène pas à la paix, il faut que tout le monde soit fou, ou stupide. Je renais à l’espérance. Grand bonheur. Adieu, adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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105 Val Richer, Mardi 27 Juin 1854

M. le Persigny a évidemment de l'humeur ; son départ immédiat pour la Suisse le dit. S'il est encore très amoureux, cela le consolera. Je ne me doutais pas que son long rapport fût un adieu, singulière préface pour congédier un ministre que de mettre au Moniteur le panégyrique de son administration. Les journaux de l'opposition si ce mot existe encore ont mieux parlé hier du ministre en retraite que ceux du gouvernement ; leur ton de regret était plus sincère.
Deux maréchaux en Autriche ! Rien n'indique plus l'approche de la guerre. Ces grands avancements sont toujours, ou un encouragement, ou une récompense. Et chez vous encore un général mort, et l’un de vos plus estimés, si je ne me trompe. Dans le temps de nos grandes guerres, quand nous voyions beaucoup de généraux très, nous disions que les troupes avaient peu d'entrain, et que les officiers étaient obligés de se compromettre pour les enlever. Voilà Napier devant Cronstadt, et avec toutes les forces réunies. Il semble impossible que dans la Baltique et dans la Mer noire, nous n'ayons pas bientôt quelque grosse affaire ; ou bien nous n'en aurons point du tout cette année.
J'avais deviné juste sur la petite duchesse de Melzi. C'est donc dans la jeunesse que les femmes sont folles et les hommes dans la vieillesse. Au reste votre panégyrique des vieilles femmes à propos d’Ellice est mal tombé, et je suis obligé de ne pas l'accepter. Je lisais ces jours-ci qu’entre 60 et 63 ans, la Reine Christine, que le Pape Innocent XI avait d’abord fort bien traité à Rome, est grand peine à obtenir de lui une audience d'un quart d’heure, à cause d’un nouveau galant Français dont elle s'était amourachée. Est-ce qu’il n’en serait pas arrivé autant à votre impératrice Catherine si elle avait eu besoin d’une audience du Pape ?
Nous n'avons pas ici d’aussi fortes variations de température que vous ; il fait beau et chaud depuis quatre jours. Je fais mes foins. A tout prendre les symptômes de la récolte sont bons, et si ce temps-là dure quinze jours, elle sera assurée. En attendant, le pain renchérit toujours, et j’ai eu ce mois-ci, plus de 400 pauvres qui sont venus chercher à ma porte un morceau de pain, et un son ; et je suis dans un des meilleurs pays de France, et mon plus prochain village est à vingt minutes de ma maison.

Onze heures.
Il m'est impossible de ne pas mettre de l'importance à l’annonce du Moniteur que vous avez levé le siège de Silistrie, et que vous vous retirez, au-delà du Pruth. Il n'adopterait pas cette dépêche télégraphique sans en être sûr. Et une foule de détails viennent à l’appui. Si, après cela, vous acceptez un congrès pour traiter du rétablissement de la paix en Europe, sans spécifier à l'avance aucune question, ni aucune solution, les gens qui ne veulent pas de la paix seront bien embarrassés. On peut négocier et disputer des années, dans un Congrès ; on ne recommence pas la guerre. Témoin, le congrès de Münster.
Vous me demandez quand aurons-nous du bon ? En voilà peut-être. Adieu, Adieu, G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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88. Ems le 27 juin 1854
Mardi

Quelle étonnante nouvelle celle du Moniteur d’hier. On me la mande par télégraphe de Bruxelles. Ce changement de front, est-ce pour tomber sur l’Autriche ? Laissant là la guerre de Turquie. C'est là ce que je crois. Voyez où cela nous mène. C’est le feu en Europe. Je n’ose pas espérer que ce soit le prélude à des négociations. Nous sommes trop exaspérés. Enfin je grille de curiosité et il faudra encore attendre ! Que je voudrais avoir avec qui causer. En attendant je vous dis ce pauvre mot qui ne dit rien. Adieu. Adieu.

Le 28. Je n’ai pas envoyé ce chiffon. Il était trop bête. J’ai reçu dans journée un bout de lettre de Brockhausen de Bruxelles qui me montre que là on croit que ceci annonce la paix serait-ce possible ? Too good to be true. Je n’y crois pas du tout. Mais comment allons nous expliquer cette reculade. Ah que de fautes ! Je n'ai rien à vous dire, je suis absorbée par cette dernière nouvelle. Elle va bien vous occuper l’esprit aussi. Mais vous ne parviendrez pas à nous en donner. Adieu. Adieu.
Est-ce qu’en faisant ce que nous demandent les Allemands nous les détacherions de l’alliance ? Enfin je ne comprends rien.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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87. Ems le 26 juin 1854

Vos réflexions sur le débat de la chambre des Pairs sont frappantes. Toute votre lettre est pleine de bonnes et utiles vérités. J’en ferai passer quelques unes plus loin, mais à quoi sert d'éclairer des gens qui ne veulent pas voir. Cependant mon empereur est un homme d’esprit, je ne comprends pas que cet esprit l’ait tout-à-fait abandonné. On est bien monté à Pétersbourg contre le grand voisin. La [Grande Duchesse] M. écrit : " la conduite de l'Autriche est infâme", suit une kyrielle d’inventions. Il n’y a donc rien à espérer de la réponse et nous voilà avec cet ennemi de plus sur les bras.
Après nous être adorés, car c'était un culte personnel, comme la rancune sera profonde ! Je vous envoie une lettre d’Ellice. Malheureusement je ne puis pas la lire vous me direz un peu ce qu'il me dit ... Ne prenez pas cette peine je viens de relire, je devine un peu. Elle est élevée, vous me la renverrez. Greville m'écrit une nouvelle lettre toujours la même chose Je crois savoir que le M. St Arnaud regarde Silistrie comme perdue. La levée de siège était donc une fausse nouvelle. Mais nous y perdons beaucoup de monde, & des personnes de la société. Mais il faut prendre cette forteresse. Je regrette la retraite de Persigny. C'est un honnête homme, & si dévoué. Je ne sais pas du tout pourquoi il se retire. Il y a longtemps que Morny ne m’a écrit. Adieu. Adieu.
I am very desponding. Il faut prendre ou détruire notre flotte de Sevastopol. Pas de paix à [?] de nous avoir humiliés & affaiblis. St Arnaud aura le 15 juillet des personnes de la société. Mais une armée de 145 m h. 70 m. turcs il faut prendre cette forteresse. 50 m. Français, 25 m. Anglais.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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104 Val Richer. Dimanche 25 Juin 1854

Assiégez-vous encore, ou n’assiégez vous plus Silistrie ? Quelles que soient les lois sur la presse, c'est là un fait qui pourrait se dire, et qu’on devrait savoir. Puisqu’on n'affirme rien, j'en conclus que vous assiégez toujours. Mais si le siège continue comme il a commencé, vous y laisserez tous vos généraux.
La nomination du général Hess comme chef de l’armée d'opérations semble dire que le Duc Melzi a raison, et que l’Autriche vous fera la guerre. A ce sujet, je change d’avis tous les jours.
Je suis charmé que le monde vous arrive à Ems. Je vous vois déjà de quoi peupler votre salon le soir. Vous faites, perdez et refaites bien souvent votre fortune de société, petite ou grande. Que devient cette petite Duchesse Melzi ? Est-elle toujours un peu étrange ?
Je ne puis croire que vraiment et d'une façon durable, le beau temps vous vaille moins que le froid. Ici enfin, nous avons beau et chaud depuis deux jours. J'en jouissais pour vous comme pour moi. Ne me gâtez pas mon soleil en vous en plaignant.
Vous n'avez probablement pas lu le grand rapport de M. de Persigny à l'Empereur sur son ministre de l’intérieur. Moi, je l’ai lu et avec intérêt. C'est fait sérieusement, sincèrement et avec une conviction qui ne manque pas de force. Seulement, il y a dans le gouvernement, plus de questions, et les questions sont plus grandes, et plus compliquées que ne le croit M. de Persigny. Il est trop aisément content. Rien ne trompe plus le pouvoir absolu que l'extrême facilité qu’il rencontre d’abord, et quelquefois assez longtemps. On nous rendait, à nous, le Gouvernement trop difficile ; il est, ou plutôt il paraît trop facile aujourd’hui. Autre écueil.

Midi
Je ne m'attendais guère tout à l'heure, en vous parlant de M. de Persigny, que le Moniteur m’apporterait sa retraite. Je n’ai pas un mot de commentaire de Paris ; mais il me paraît impossible que cette retraite n'ait pas un sens politique, et plutôt un sens pacifique qu’un autre. Adieu, Adieu. G.
Je me trompe, on m'écrit que M. de Persigny est remplacé pour deux causes ; comme s'étant expliqué trop durement sur quelques personnes, et comme bouleversant et faisant à la fois languir l'administration. Vraie disgrâce personnelle et purement d’intérieur, dit-on.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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103 Val Richer, samedi 24 Juin 1854

Voilà les deux escadres réunies dans la Baltique. Feront-elles quelque chose ? Elles ont l’air d'hésiter beaucoup. C'est là, jusqu'ici, le côté faible des opérations de l'alliance. L'effet est le moindre là où la démonstration a eu le plus d'éclat. Je ne voudrais pas être à la place de Napier, s’il ne fait rien.
Est-il vrai que l'Empereur envoie son ministre de la guerre, le Prince Dolgorouki, sur le Danube ? Vous aurez surement remarqué l’article des Débats d’hier Vendredi sur l’Autriche. Certainement, si l’Autriche réussit à jouer le rôle, elle y grandira beaucoup. Je suppose que les révolu tionnaires Italiens ont une violente humeur de cette importance et presque de cette popularité que l’Autriche a prise dans l’Alliance Anglo française. Les obscurs semblants de tentatives et les coups de poignard qu’ils donnent çà et là, indiquent des gens bien irrités. Pourvu que la duchesse de Parme ne finisse pas par être elle-même comprise dans les coups de poignard.
Je n'ai pas la moindre nouvelle de Paris. Sinon que Montalembert part dans trois jours, non plus pour Vichy, mais pour Contrexeville. Personne ne comprend comment finira son affaire ; on poursuit l’enquête, on épluche ce qu’il a imprimé ; on ne trouve rien, et on ne veut pas se résoudre à une ordonnance de non lieu. C'est assez ridicule.

Onze heures
Est-ce que les eaux que vous buvez ne sont pas pour quelque chose dans cette irritation de l’intérieur de la bouche ? Que votre médecin y fasse bien attention. J’ai vu cela pour des eaux sulfureuses en France. Pauvre Mad. Marischkin ! Elle avait mal à la gorge depuis bien longtemps. Je ne sais pourquoi je crois que nous sommes dans une crise, bonne peut-être. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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102 Val Richer, Vendredi 23 Juin 1854

Je n'avais hier matin, absolu ment rien à vous dire, j’attendais mon facteur et l'explication, ou le désaveu des dépêches télégraphiques de la veille. J’ouvre d'abord votre lettre, et le récit, très curieux, du général Offenburg puis une lettre de Paris, d'un homme d’esprit, en général assez au courant, obligé par état d'être au courant, et qui voit habituellement les gens le mieux au courant. Il m’écrit : " Voilà l’armée Russe au delà du Pruth ; le bruit commence à se répandre que l'Empereur Nicolas est disposé à faire les concessions nécessaires pour désintéresser les Puissances Allemandes, et pour les séparer de la France et de l'Angleterre. On dit même que des concessions seraient de telle nature qu'elles pourraient bien être acceptées, même à Londres. Je ne puis pas croire que l'Empereur Nicolas soit d'humeur à faire une pareille reculade. Cependant ses affaires militaires sont si mal conduites qu’il pourrait bien être condamné aux plus dures et plus humiliantes extrémités."
J’ai souri du contraste. Triste sourire. Que croire ? Je crois tout ce que vous me dites du général Offenberg, mais non pas tout ce qu’il dit. A dessein ou sans dessein, il a évidemment son parti pris d'avoir pleine confiance. J’ai vu, à la fin du règne de l'Empereur Napoléon, des exemples touchants et ridicules de ces illusions du patriotisme et du dévouement passionné. Vous aviez passé le Rhin, vous marchiez sur Paris ; des hommes d’esprit, des généraux distingués disaient sérieusement que vous n'avanciez que parce que l'Empereur vous laissait faire, qu’il était invincible, infaillible, et qu’il retournerait à Vienne et à Berlin quand il voudrait. Je suis décidé à ne croire personne. Je n'ai confiance dans personne. Je ne croirai que les événements. Encore faudra-t-il qu’ils aient parlé bien haut, et plus d’une fois.
// Je trouve seulement bien déplorable que de grands souverains et de grands peuples se fassent la guerre, à si grands frais et avec de si grands risques dans un si grand aveuglement et une si grande ignorance, les uns et les autres, ler leur vraies dispositions et sur leurs vraies forces. Cela fait honte à la civilisation et à l'esprit humain.//
à vous dire vrai, je crois bien plus et j’attache bien plus d'importance au Débat de la Chambre, des Lords lundi dernier qu'à tous les dîners de tous les généraux du monde. J’ai eu attentivement ces trois discours Lyndhurst, Clarendon, Aberdeen. et j’y ai vu ces deux choses-ci ; la paix encore possible, à des conditions modérées pour vous, et un ministre à Londres pour la faire, si vous la voulez ; une guerre de vingt ans et des ministres à Londres pour la faire si vous voulez courir cette chance. Vous n'avez pour vous, dans ce dernier cas, que les divisions des puissances maintenant unies. L'Empereur Napoléon a eu aussi ces divisions là pour lui, et il en a profité, et il a eu, à plusieurs reprises presque tout le continent avec lui, laissant l’Angleterre seule contre lui. L'Angleterre a repris peu à peu toutes les puissances du continent, et les a ralliées contre Napoléon.//
Tout est fort changé, je le sais, les choses et les hommes. Ne vous y fiez pas ; il y a des faits simples et grands, supérieurs à tous les changements d'hommes et de choses, et qui se développent pareillement au milieu des circonstances les plus diverses ; si une fois la politique générale et nationale de l'Angle terre s’engage contre vous, elle marchera à son but, quelle que soit la mobilité des alliances. Ce sera une lutte à mort, dans laquelle, tôt ou tard. Londres ralliera contre vous l’Europe. Le sentiment Européen ne vous est pas favorable ; si vous laissez, à ce sentiment, l’Angleterre pour chef, vous aurez beau être obstinés, aveugles et dévoués ; en définitive, la lutte tournera mal pour vous.
En attendant la question du moment subsiste ; avez-vous cessé le siège de Silistrie, et le grand théâtre de la guerre va-t-il se transporter du Danube en Crimée ?

Midi
Mon facteur ne m’apporte rien aujourd’hui, et je n’ajoute à ceci que adieu et adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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86. Ems le 23 Juin 1854

Quel discours celui de lord Lyndhurst clair, complet, mauvais pour nous, étonnant de verdeur et de force pour un homme de cet âge. J'aime bien le discours de Lord Aberdeen. C’est le duc de Laval qu'il cite comme ayant appellé Lyndhurst le colonel de Dragons, ce mot était resté. Greville m'écrit. On croit là à la levée du siège de Silistrie je ne puis pas y croire. On veut à toute force nous prendre Sébastopol et brûler notre flotte. On est décidé à nous faire sentir humiliation et pertes. L'occasion est trop bonne. L’Autriche a passé à l’accident.
Tout cela est fort triste, car on ne réduira pas la Russie. Savez-vous ce qui peut arriver ? Il peut arriver la 3ème invasion des barbares, nous ne la verrons pas peut être, peut être aussi sera-t-elle prochaine. Pensez à l'orgueil des barbares. Samedi 24.
J’ai gardé ma lettre espérant quelque chose, rien n’arrive. Vos réflexions sont aussi tristes que les miennes. Je suis fâché de votre mémoire, ma maussaderie au Val Richer. C’est vrai, comment ai-je pu me conduire ainsi ? Ah que de choses dont je me repends. Je pense souvent à présent comme j'aimerais à avoir un petite maison à Lisieux. Ma petite société d’Ems est quotidienne chez moi le soir. Le prince George est le plus heureux du monde de s’être laissé prendre par moi. Il périrait d'ennui. Il est bon musicien. La soirée commence toujours par le chant, Olga et Cerini, le prince les accompagne, & puis il joue des opéras très bien. L'Aide de camps est très beau, les petites filles s’occupent de lui. Le duc de Richelieu dispute, la petite Melri est folle & nous fait mourir de rire. On va comme cela de 8 heures à près de 10. Dans ma promenade du matin je cause avec le duc de Richelieu, devant Hélène c’est impossible elle est fanatique Russe. Richelieu a beaucoup de good sense et nous nous entendons très bien. Les Débats ont aujourd’hui un article extrêmement bien fait de M. de Sacy sans doute, cela lui est envoyé de Vienne. Adieu. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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85. Ems le 22 juin 1854

Quand je ne vous écris pas cela veut dire simplement que je n’ai pas un mot à vous dire. Ne prenez pas exemple sur moi, vous savez toujours parler, parce que vous pensez. Moi je ne pense plus. Je suis tout-à-fait déroutée. No hopes.
Ma seule nouveauté ici. C’est les Melri, elle est un peu folle. Cela fait bien à Ems, un petit changement. Le journal de Francfort qui nous appartient un peu a une lettre de Pétersbourg où les Anglais sont traités de corsaires, les Français des chevaliers courtois, cela m’a fait plaisir. Je n’ai pas une lettre de nulle part. Marion seule m'écrit et naturellement pas une nouvelle. Si fait, elle me dit en grand secret que son oncle est très amoureux de je ne sais qui, dans la société. Voilà des bêtises dont il n'y a que les hommes qui soient capables. Avez-vous jamais ouï dire qu'une vieille femme fût éprise ? Nous avons plus d'esprit que cela.
Ma bouche s’est remise un peu. Mais j’ai une multitude de petits maux très passagers. C’est l'effet des eaux, et quelle saison. Hier à 4 h après-midi 22 degrés à l'ombre, 3 heures après 12.

Le Prince George de Vienne n’est pas animé, & presque pas aimable. En revanche le duc de Richelieu nous divertit, querelleur, moqueur et vraiment de l’esprit. Les d’Ayen vont arriver. On vient chez moi tous les soirs, avec le monde d'Hélène nous sommes 10, c’est beaucoup pour mon petit salon que vous connaissez. Mes prussiens nous trouvent charmants & nous ne le somme guère.
Adieu. Adieu. Quand saurons-nous quelque chose ? et du bon. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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101 Val Richer, Mercredi 21 Juin 1854

Le siège de Silistrie est fatal aux généraux ; Messa Pacha tué et le général Schilder la jambe emportée. La blessure du Maréchal Paskevitch paraît moins grave. Il n’y a pas grand mal à ce que les coups portent un peu haut quelque brave qu’on soit, ces avertissements ont leur effet.
Voilà toutes mes réflexions d'aujourd’hui. Je n'en ai pas plus que de nouvelles. On a beau faire, on a beau écrire tous les jours et n'avoir rien à cacher. Il y a des abymes. entre la correspondance et la conversation. Si nous causions, j’aurais de quoi remplir ces abymes-là.
J’ai eu du regret en vous voyant quitter Bruxelles. Je n’avais pas tort. Vous aviez là du moins des habitués, et des habitués de votre robe. Vous n'aurez à Ems que des rencontres. Le Duc de Richelieu vous restera-t-il un peu longtemps ? C'est à Dieppe qu’il fait ordinairement sa saison d'eaux. Mais pour ce temps-là, les bains de mer ne sont pas encore de saison. Il n’y a encore personne à Trouville. On y attend demain le Chancelier et Mad. de Boigne. Les Broglie y viendront à la fin de Juillet. Assez de monde, dit-on. Cela me dérangera un peu. Le Val Richer est un des délassements de Trouville. Tout le monde n'a pas aussi peur que vous de trois heures de voyage. Vous souvenez-vous comme vous avez été maussade le jour où vous êtes venue ici avec Lady Alice ?
Vous êtes très bonne protestante, mais vous n'êtes ni théologienne, ni philosophe, ni historien ; je ne vous engage donc pas à lire une Défense du protestantisme contre les Ultra Catholiques que M. de Rémusat vient de publier dans la Revue des Deux Mondes. C'est pourtant un écrit très distingué, plein de bon sens et d’esprit, de vérité, et d'à propos. Si nous étions ensemble, je vous le lirais, et je vous le ferais goûter.

Midi
Point de lettre de vous, mais des nouvelles qui seraient bien grosses et bien bonnes, si elles étaient vraies ; le siège de Silistrie suspendu, le maréchal Paskevitch se retirant au delà du Pruth. Il ne manque plus que l'annonce d’un congrès. Je n'ose y croire. En attendant, adieu, Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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84 Ems le 20 juin 1854

Ce que vous me dites de la retraite de Reschid Pacha est très vrai. Mais comment saurons-nous la vérité sur ce qui s’est passé là ? Il y a un grand progrès dans le management des affaires, c'est le secret. La règle est bonne, pas pour les curieux.
Le Prince George de Prusse est ici avec un très bel aide de camps. C'est bon pour mes jeunes demoiselles. Ils sont chez moi le soir, je suis la seule ressource à Ems. Grande incertitude à Berlin et grand mystère aussi. Me voilà prise par la bouche. Une enflure intérieure très incommode, pourvu que je puisse manger. Voilà cette pauvre Mad. Narishkin morte à Heidelberg, depuis trois semaines elle avait le gosier fermé. Elle est littéralement morte de faim. Les Melzi viennent d’arriver. Ce sera quelque chose. Lui ne fait pas un doute que l’Autriche va nous combattre. J’attendrai encore pour croire.
Hélène demeure au [?] c’est devant la promenade, assez loin de chez moi. Cela rend les relation moins fréquentes. Cependant je la vois 2 fois le jour ordinairement. Serait-il possible que l’Autriche occupe les [principautés] ? Est-ce que nous leur ferons place ? Tout est étrange dans cette guerre. Je n’ai avec qui jaser de tout cela ici. Comme cela me va de me taire ! Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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100 Val Richer, Mardi 20 Juin 1864

Voilà un chiffre qui me fait peur. Autrefois, quand nous étions longtemps séparés, nous savions quel jour nous ne le serions plus. Aujourd’hui, plus nous avançons plus nous entrons dans les ténèbres.
Votre Empereur doit être très froissé de ce qui se passe sur la côte de Circassie ; lutter depuis tout d’années contre ces montagnards et voir le terrain qu’on avait conquis, les forts qu’on avait élevés détruits en quelques jours par des coups de main d'étrangers. Je me figure à la fois la tristesse irritée de votre Empereur et la joie si imprévue de Schamyl. Celui-ci doit éprouver les mêmes transports dont Abdel Kader eût été saisi si, pendant qu’il tenait encore sur le bord du désert, les Anglais fussent venus nous chasser d'Algérie. Abel Kader languit à Pérouse. Schamyl a été plus heureux. Vos armées ne me paraissent pas plus actives ni plus triomphantes. en Asie qu’en Europe.
Que signifient ces quatre lignes du Moniteur. " Un arrangement vient d'être conclu à Constantinople, entre l’Autriche et la Porte, pour l’occupation continuelle des principautés de Moldavie et de Valachie par un corps d'armée Autrichien" ? Si c’est vrai, c’est le fait le plus décisif de la situation ; il indique le parti pris, par les Alliés, de soustraire les Principautés au Protectorat Russe et de les placer sous le Protectorat Autrichien. Je ne sais à quoi vous consentirez lors du rétablissement de la paix ; mais certainement si les choses suivent leur cours actuel vous n'aurez pas le statu quo ante bellium.

Onze heures
Voilà votre N°82 et je n’ai rien à dire pour combattre votre tristesse. Je vous écris tous les jours. Je me plains quand vos lettres me manquent un jour. Mais je sais à quel point les lettres sont insuffisantes. Le Duc de Noailles m'écrit qu’il va vous envoyer ses enfants. Petite ressource. Pas un mot de nouvelles. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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98 Val Richer. Lundi 19 Juin 1854

Voilà donc le Maréchal Paskévitch hors de combat ; sa vieillesse ne vaut pas celle du Maréchal Radetzky. Que deviendra le traitement de Maréchal que votre Empereur donne à ce dernier, si l’Autriche se déclare contre vous ? Continuerez-vous de le lui donner ? Certainement, il y avait, dans votre patronage sur les officiers Autrichiens et Prussiens, quelque chose de bien régulier et de bien arrogant. Je comprends que l'Empereur d’Autriche saisisse l'occasion d'en finir avec votre Bolection. Il s’agit de savoir si l'occasion est sûre.
Si vous lisiez les Mémoires de Ste Aulaire en 1838 et 1839. Vous y verriez que le Prince de Metternich lui disait toujours à propos des affaires d'Orient : " Garantissez-moi que la France et l'Angleterre resteront unies, et je me mets sur le champ avec elles. " Apparemment il croit aujourd’hui à la solidité de l’union.
Si on vous prend Sébastopol, regarderez-vous la prise de Silistrie comme un dédommagement suffisant ? Evidemment, le rassemblement des troupes Franco-Anglaises à Varna a pour objet d'attaquer Sébastopol ou de vous faire lever le siège de Silistrie. Il est impossible que le mois de juillet n’amène pas là quelque gros événement.
La Reine Marie-Amélie est arrivée à Claremont en assez bon état. Elle a trouvé à Cologne Mad. la Duchesse d'Orléans qui l’attendait avec son fils, et qui l’a accompagnée jusqu'à Ostende. Le Roi Léopold lui a aussi amené ses petits-enfants. Il est vrai que les Aumale voient beaucoup de monde à Twickenham Le monde n'empêche pas le Duc de travailler à son histoire de la maison de Condé. Il a été question dernièrement d'en insérer un fragment, qu’on dit très intéressant, dans la Revue de Deux Mondes, mais la revue n’a pas osé. Je ne trouve pas l’offre à la Reine du passage par la France de bon goût ; on était trop sûr qu’elle ne serait pas acceptée. Il y a des offenses après lesquelles il ne faut pas avoir des prétentions de courtoisie. Du reste je n’ai pas entendu parler de celle-ci.
Je suis de l’avis du Times ; je trouve la conduite de Lord John dans les arrangements ministériels bien pauvre. C'est sans doute pour se faire pardonner qu’il a tonné si fort contre vous dans son élection à la Cité. Tout cela fait une série d'engagements qui rendent la paix de plus en plus difficile. Lord Palmerston avait-il envie de devenir ministre de la guerre, et regardait-il ce pas comme un acheminement vers le premier ?

Midi.
Point de lettre d'Ems et point de nouvelles d'ailleurs. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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97 Val Richer, Dimanche 18 juin 1854

J’ai probablement tort de mettre quelque importance au voyage du Roi de Prusse à Kenigsberg ; mais toutes les circonstances me semblent indiquer que c’est quelque chose, le départ précipité du roi qui n’attend pas la fête du son frère, le Prince de Prusse qui va rejoindre le Roi, même, M. de Manteuffel qui n’y va pas et qui, depuis quelque temps, doit être devenu assez désagréable à votre Empereur. Enfin, on s'accroche à tout.
Est-il vrai que votre impératrice soit de nouveau très souffrante ? Et à cause de vous et à cause de ce que j’ai entrevu d'elle, je lui porte un véritable intérêt. Donnez-moi, je vous prie de ses nouvelles. Elle doit être au moins fort triste.
Vous avez surement remarqué le trait de M. de Brück à Constantinople : " Au succès des armées des puissances alliées. ! " Cela ressemble bien à une préface de la guerre. Je serai curieux de savoir si, comme le disait, il y a quelques jours le journal des Débats, c'est encore le Prince de Metternich qui, du fond de sa vieillesse et de sa surdité, dirige cette politique. Je penche à le croire.

Midi
J’ai été dérangé par deux visites matinales. Je n'ai que le temps de lire votre n°81 et de vous dire, adieu, Adieu. C'est bien court. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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83. Ems le 18 juin 1854 Dimanche

J'ai eu hier des nouvelles de Bruxelles on pense là que la réponse de mon Empereur à la demande de l'Autriche quand sortirez-vous des [Principautés] [?] sera quand finira la guerre que me font les 3 puissances.
Il y a bien une petite division en Allemagne, et les rois ne se soumettent pas trop aux deux grandes puissances.
J'ai eu hier une curieuse relation de Russie par un vieux général Offenberg aide de Camps général de l’Empereur, très bien venu de lui et qui vient encore de dîner avec lui il n’y a pas 15 jours. Il est malade, il se soigne afin de pouvoir rencontrer à cheval en août. Et bien il me dit que la tranquillité d'esprit chez le maître et les valets est complète. On rit des journaux français des rapports difficiles. On ne s’effraie de rien. On attend l'ennemi de pied ferme, on désire qu’il vienne. On défie l’Europe. La plus grande liberté de langage à la Cour. Dans le public un enthousiasme général, immense. On est très préparé à une guerre de 10 ans, préparé à tous les sacrifices, rien ne coûte volontiers.
On donne son argent & sa personne. Adoration pour l’Empereur. Rien ne peut se comparer à ce mouvement. Le [général Orloff] a fait la guerre de l'année 12. L'exaltation alors n'était rien à côté de ce que c'est à présent. Les provinces allemandes se distinguent & la Finlande est la plus affectionnée de toutes. Vous ne pouvez rien ici contre Cronstadt ni contre Sveaborg, pas mieux Sevastopol imprenable, une descente en Crimée impossible, nous sommes prêts partout. Vous ne pouvez prendre que ce que nous abandonnons. L’Empereur est plus puissant que jamais monarque russe ne l’a été. Il n'y a qu'une chose qu’il ne puisse pas faire la paix. Il y aurait un soulèvement général. Nous voulons la paix à Menchikoff. Je vous redis tout cela parce que à moi cela m’a fait une impression très vive et profonde. Cet homme me dit la vérité. C'est un allemand ce n’est pas un courtisan, pas beaucoup d’esprit, mais l’esprit droit, honnête. Je le connais depuis longtemps, il est fort respecté chez nous. Je crois parfaitement ce qu’il dit. Je m’étonne. Il dit ce qu'il croit & ce qu'il a vu.
Les Anglais honnis, les Français non. L’Empereur compte tout-à-fait sur le Roi de Prusse, moins sur l’Autriche, mais il ne renonce pas. Vous voilà au courant de la Russie. Cela ne me promet pas mon retour à Paris. Le temps est plus doux, et j'en souffre. Le froid m’allait mieux.
Le grand duc Constantin reste à Pétersbourg. Il est ministre de la marine et commande la flotte de la Baltique. Je m'étonne comme vous que les jeunes [Grands Ducs] ne soient pas en Turquie. L'ainé, l'héritier, commande toute l’armée du nord. Adieu. Adieu.

Auteurs : Noailles, Paul de (1802-1885)

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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96 Val Richer, samedi 17 juin 1854 Je comprends que vous soyez curieuse de ce qui se passe à Constantinople. J’ai peine à croire que la retraite de Reschid Pacha ne soit pas quelque chose de sérieux. Il est, depuis bien des années, l'auteur où l’instrument de la politique qui prévaut à Constantinople. Il a bien servi lord Stratford. S’est-il brouillé avec lui, ou bien Lord Stratford le trouve-t-il usé ? Quel autre cheval Turc va-t-il monter ? Reschid avait, pour le gouvernement intérieur de la Turquie, une certaine autorité et respon sabilité personnelle qui manquera à son successeur, quelqu’il soit. Ce sera Lord Stratford qui répondra de l’intérieur comme de l'extérieur à Constantinople. C'est beaucoup. D’autant que j’ai toujours trouvé les diplomates les plus habiles, très impropres au gouvernement intérieur ; les qualités qu’il y faut sont tout autres que celles de leur métier. M. de Talleyrand était curieux à voir comme Président du Conseil dans son court ministère de 1816 ; il était à chaque instant, surpris, embarrassé, sans avis sur les questions et sans action sur les hommes. Et Pozzo, si différent. de lui, n'eût pas mieux fait que lui dans la même position ; ni l’un ni l’autre. n'eût été capable de faire ce que fit Casimir Périer. Nous verrons ce que sera Lord Stratford s'il devient grand visir. Y a-t-il le moindre fondement au bruit que le Roi de Prusse se rend à Stettin pour avoir, sur la frontière, une entrevue avec votre Empereur ? Ce serait le meilleur indice de pourparlers vraiment pacifiques ; mais je n'y puis croire. J’ai peur de devenir aussi incrédule à la paix que je l’ai été longtemps à la guerre. Il me semble que vos généraux se sont conduits très convenablement envers l’équipage et le pauvre capitaine du Tiger échoué sur votre côte. Leur assistance aux obsèques du capitaine m’a plu. Pourquoi le langage n’est-il pas, de part et d'autre, aussi convenable. que de tels procédés ? Puisqu’on ne veut pas être brutal dans les actions, autant vaudrait ne pas l'être dans les paroles. Mais il faut que les mauvais et grossiers instincts trouvent quelque part leur satisfaction. Que de sottes inconséquences dans la nature humaine ! Je suis fâché pour M. de Meyendorff. On le trouvait trop enclin à la paix, trop pressé. qu’on s’arrangeât, et maintenant on dit qu’il a été trop vif et trop cassant si vous lui écrivez encore, parlez-lui un peu de moi, je vous prie, et de la part que je prends à ce qui le touche. Il m’a vraiment inspiré de si loin, beaucoup d’estime et de goût. C'est dommage que nous ne puissions pas causer. Au moins faudrait-il que l’esprit, qui ne sert plus à rien, pût servir à cela. Midi Vous aurez eu Mercredi, si je ne me trompe une lettre moins triste que celle de mardi, plus longue au moins. Je me porte bien. Adieu, Adieu. Voilà un rayon de soleil. J’en profiterai pour me promener. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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95 Val Richer, Vendredi 16 Juin 1854

Vous ne lisez jamais L'Univers. C'est quelque chose de curieux que la violence et la croisade qu’il a entreprise contre vous. Il a été un moment embarrassé ; il était, en train d’une croisade à peu près aussi violente contre l'Angleterre protestante. Mais l'occasion était trop belle ; il a laissé là l'Angleterre protestante et s'est joint à elle contre la Russie Grecque. Si la chance contraire s'était offerte, il l’aurait acceptée et se serait joint à vous contre l'Angleterre. L'hérésie et le schisme, deux ennemis mortels ; peu lui importe contre lequel des deux, il guerroie à mort. Par cela seul que vous êtes des schismatiques, vous êtes les alliés nécessaires, constants de tous les révolutionnaires ; vous avez voulu, de concert avec une partie des Mazziniens, faire de l'Italie un Royaume pour le duc de Leuchtemberg, vous n'avez aidé l’Autriche à dompter la Hongrie que parce que, pour le moment, le tour de la révolution hongroise ne vous convenait pas. Vous êtes partout les appuis de l'Anarchie et de la Barbarie. Et tout cela est cru par un grand nombre de Catholiques, de Prêtres, d'Évêques qui, avec l'Univers croiraient et disaient exactement les mêmes choses du Protestantisme et de l'Angleterre si c'était de ce côté qu’ils avaient affaire. Je n’ai jamais vu tant de passion dans tant de bêtise. C'est une grande pitié de voir une grande croyance, une grande église Chrétienne poussée, si bas par ses plus bruyants défenseurs. Quand je vois, d’un côté cet état d’esprit de l'Univers, de l'autre la Papauté ne pouvant vivre huit jours à Rome sans le secours d’une armée étrangère, il me prend de vives inquiétudes que le Catholicisme ne soit réellement bien malade, et j'en serais désolé, car, dans la moitié de l'Europe, où il a encore l’air de régner, il ne serait remplacé que par le socialisme et l'impiété.
Qu'est-ce que ce M. Ivan Tourgueniev dont le Journal des Débats raconte le livre qui paraît assez piquant ? J’ai connu deux Tourgueniev, man ils s'appelaient Alexandre et Nicolas ; l’un est mort, l'autre était un ancien conspi rateur, condamné à mort chez vous, homme d'esprit et honnête rêveur. Le livre des Débats a été écrit et circule librement en Russie ; c’est une satire nationale des mœurs nationales. J’ai entendu dire que l'Empereur Nicolas pratiquait assez ces satires là, Nicolas Gogol et autres, par espoir de réformer ses moeurs, la vénalité, l'ivrognerie, l'oisiveté. Il aurait mieux fait de pousser dans cette voie que d'envoyer le Prince Mentchikoff à Constantinople.
Je vois que Lord Palmerston a eu un petit échec dans la Chambre des Communes à propos des aumôniers catholiques, dans les prisons ; c'est le pendant de celui de Lord John à propos des Juifs. Le Parlement en donne la liberté d'être aussi Protestant qu’il lui plaît, bien sûr que cela ne renversera pas le Ministère. Je suis bien aise et un peu triste que vous soyez si contente de la Princesse Kotschoubey. Vous ne la garderez pas toujours. Est-elle donc bien décidée à retourner en Russie après Ems ? C’est certainement une très bonne, très sensée, très noble et très aimable personne.

Midi
Je suis très convaincu que mon esprit ne peut rien au mal dont nous souffrons. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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82. Ems le 16 juin 1854

Merci de vos lettres. Sans elles qu’est ce que je deviendrais ? Avec elles je suis déjà si triste ! Il ne nous arrive pas de renfort de société. Le duc de Richelieu tout seul. Cela cause cependant et il est assez au courant. Hélène a un enfant malade. Le temps est toujours détestable. Beaucoup de pluie. Je prends mes bains cependant, plutôt pour me désennuyer.
Je n’ai aujourd’hui exactement pas un mot à vous dire. Je n'en avais pas davantage hier. Cela n'est pas vivre que d’aller ainsi, et il me reste si peu de temps à passer encore dans ce monde que je pleure de désespoir de cette dépense stérile. Dites moi toujours vos nouvelles et vos réflexions. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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94 Val Richer, Jeudi 15 Juin 1854

Je ne vous ai pas écrit hier ; j’avais besoin d'avoir de vos nouvelles. Votre N°77, le premier d'Ems, m'est arrivé le cinquième jour. L’Espace et le temps, tout s’aggrave. Enfin nous voilà rentrés dans l’ordre. Quel ordre ! J’espère que le soleil quand il viendra, vous amènera à Ems un peu de société ; mais quand viendra le soleil ? Ici le temps est affreux. Depuis deux jours il tombe des torrents. Grand mal pour les récoltes et pour mes allées. Le pain a renchéri encore au dernier marché de Lisieux, et plus de la moitié des ouvriers sont sans ouvrage.
On a beau dire que la guerre n'est pas sentie, quand je regarde dans mon petit cercle, je trouve qu’elle se fait très bien sentir ; les affaires sont fort ralenties et la confiance ne reprend pas. Je vous ai dit il y a quatre jours, ce qu’on me disait du Prince Napoléon, et de ses amis à Constantinople. Le journal de Francfort n’a donc pas tort. Lord Stratford aura raison de celui-là comme des autres. S'il est orgueilleux, il doit être content. On ne parle plus, ce me semble, de sa santé. Je suis de mon mieux, sur ma carte, les opérations de la guerre, mais je ne les comprends guère plus qu'elles n'avancent. Je vois seulement que vous n’avez pas pris Kalafat, ni Silistrie, pas plus que les alliés n’ont détruit Sébastopol et Cronstadt. On dit que nous avons tort de trouver qu’on va lentement et que si nous y regardions bien, nous verrions qu’on n’a jamais été si vite. Confirmez-vous ou démentez-vous l’explication qu’on donne des derniers mouvements du Maréchal Paskévitch, et de son quartier général transporté à Yossi ? Est-ce vraiment pour se mettre en garde contre l’Autriche dont on prévoit la prochaine hostilité ?
Maurocordato refuse de faire partie du Cabinet imposé au Roi Othon. Il faudra se contenter d’un plus petit personnage grec. Quelle que soit leur opinion, ceux qui sont un peu gros ne se soucient pas d'être ministres à ce prix. Peu importe aux événements.
Montalembert part cette semaine pour Vichy. Son affaire est donc abandonnée, ou à peu près. On m'écrit que M. Molé a été appelé et M. Villemain rappelé devant le juge d’instruction. Cela a dû contrarier Molé. J’ai des nouvelles de Barante. Complètement seul, avec sa femme, au fond de son Auvergne. " J’y suis témoin de l’apathique indifférence qui d’année en année, s'assoupit davantage. On ne s’intéresse à rien ; on n'est ni content, ni mécontent ; on ne regrette point le passé ; on ne forme pas de désir pour l'avenir ; cette guerre qui commence, l'Europe qui peut la mettre en branle n'éveillent pas même la curiosité. Ces gens-là se contentent de la vue à meilleur marché que vous. Pourtant, c’est vous qui avez raison. Mais je voudrais que vous ne souffrissiez pas de votre ambition non satisfaite."
Adieu jusqu'au facteur. Où loge la Princesse Kotschoubey, car vous ne pouvez pas l'avoir à Bauernhof ? Midi Voilà votre N°78. Je me porte bien quoique j'éternue encore. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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81. Ems le 14 juin 1854

Voilà une longue et bonne lettre de vous, & je ne vous crois plus malade.
J'ai eu des nouvelles de Londres. On accuse fort John Russell d’avoir empêché les arrange ments ministériels sur les quels le public comptait, & on lui en veut fort en conséquence. Sir Ed. Lyons nous a pris [?], & des prisonniers cela est regardé comme une smart affair. On croit là, à Londres, que toutes les forces de terre et de mer vont être employées contre Sévastabol, qu'on ne croit pas imprenable.
Constantin est parti avec le roi jusqu’à Stelin. De là il va pour huit jours à Pétersbourg et revient de suite. Le roi est revenu assez content de son entrevue à Tetschen. L’Autriche n’est pas encore perdue pour nous. Meyendorff a fermé la porte à son beau frère c'est ce qui fait qu’il ne peut pas rester. Gortchakoff le remplace pour le moment.
Nous croyons à la reddition de Silistrie dans 15 jours. Nous n'irons pas cette année au delà de la ligne du Danube. Voilà toutes mes nouvelles. Je suis fatiguée des bains que j’ai commencé & du mauvais temps qui se soutient. Adieu, adieu.
Dites-moi si le petit carré rouge & jaune remplit son but d'af franchir la lettre.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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93 Val Richer, Mardi 13 Juin 1854

Lord Granville sacrifié à lord John cela ne fortifie pas Lord Aberdeen dans le Cabinet. Au reste il importe assez peu ; au point où en sont les affaires, la paix ne se fera pas plus par Lord Aberdeen que par Lord John. La question est trop grandement engagée ; il faut de grands événements pour lui donner une solution.
Voilà une cinquième division d'infanterie qui part pour l'Orient. Je ne sais si la campagne sera trés active cet été, mais certainement, l’année prochaine, il y aura, de part et d'autre, de grandes armées, en présence. On dit à Paris que le maréchal St Arnaud se porte beaucoup mieux et commande trés effectivement.
Est-il vrai que le grand du Constantin commande le siège de Silistrie ? Je ne puis le croire quoique l’amiral Dundas le dise. Il est pourtant, un peu étrange qu'aucun de vos Princes ne soit au feu, réellement au feu. Où sont les deux jeunes grands ducs ? Ne devaient-ils pas aller à l’armée du Maréchal Paskevitch ? Leur nom ne paraît nulle part. Il est vrai que nos journaux ne nous disent pas grand chose. Et le mensonge est ici la conséquence nécessaire du silence. Il paraît que la liberté de la presse était bien excessive, en Finlande, car votre Empereur vient de la restreindre bien rudement.

Midi
Point de lettre encore. Trois jours de suite, c'est beaucoup. J'espère que vous n'êtes pas malade. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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80. Ems Mardi 13 juin 1854

Votre petit mot de Samedi 10 m'attriste. Il était si court, l'écriture mauvaise, seriez-vous malade ? Il ne manquerait que cela à mes misères. Je vous prie portez-vous bien, & dites le moi dans chacune de vos lettres.
Le duc de Richelieu nous est arrivé hier, très inattendu. Voilà un homme au moins. Tout ce qu’il raconte est sensé, & ressemble à ce que me mandent Molé, Noailles. La disposition à Paris est de la curiosité, pas d'inquiétude. Du contentement, du bien-être de la confiance dans la main qui gouverne, et grande obéissance à sa volonté.
On me mande de Bruxelles que l’Empereur Napoléon a en effet offert à la reine Marie-Amélie de traverser la France. On est là à Bruxelles comme partout, très curieux de la remonter des deux grands souverains Allemands & de la réponse que nous allons faire à Vienne. Elle est sans doute déjà arrivée. Je n’espère rien, je tâche de ne penser à rien, je n’y réussis pas. Je trouve bien pauvres les changements faits dans le ministère anglais. Le Times en est dans une grande colère. Je m'étonne de n’avoir rien de mon correspondant. Hélène est toujours bien touchée de votre souvenir, & la petite honorée et étonnée. Comme elle vous amuserait si vous la connaissiez. Cerini est bien bonne & affectueuse & soigneuss mais elle ne sait rien faire du tout. Perfectly useless.
Adieu. Adieu, nous sommes tous deux bien tristes, mais au moins portons nous bien.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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92 Val Richer. Lundi 12 Juin 1854

J’ai reçu bien des lettres hier ; point de nouvelles, comme de raison, mais et des réflexions et des bruits.
Voici Dumon, qui vient de perdre un frère qu'il aimait vraiment : "Faute de nouvelles, on s'amuse du commérages ; on dit que le comte Branicki a été renvoyé de Constantinople, et que le Prince à qui il s'est attaché ne tardera pas à le suivre. Il a pris la suite des relations du général Baraguey d’Hilliers avec Lord Redcliffe, et on prétend qu’il faudra les interrompre de la même façon. "
Rien de plus, sinon, la suite de l’histoire de la médaille commémorative de la Triple alliance ; on dit que les Cardinaux se sont émus de voir les mots Dieu les protége écrits au dessus de Catholicisme, protestantisme, Islamisme, et que le tirage de la médaille a été suspendu, pour retirer la protection de Dieu.
Un ancien député conservateur, homme de sens et qui m'est très frivole, m'écrit de sa province. " L'Empereur Nicolas a rallié au gou vernement toutes les opinions, celle-même des personnes dont les intérêts sont le plus directement atteint par la guerre qui est devenue presque populaire. On est très ignorant des redoutables éventualités que cette guerre peut engendrer, on ne croit pas à sa durée. L’Alliance avec l’Angleterre avait déjà rassuré et l’attitude chaque jour plus décidée de l’Autriche fait espérer une paix prochaine. La grande émotion est calmée, et l'on entrevoit dans les affaires, qui ont été molles pendant tout l’hiver, un mouvement de reprise. Somme toute, la gouvernement gagne ; le Czar lui a fait plus de bien que n'auraient pu lui en faire dix années de bon gouvernement. " Singulière coïncidence de cette phrase avec celle de Morny.
Voici maintenant le vieux Tory Anglais, mon ami Croker. Après des Déclarations sur Cromwell, qui m'ont beaucoup plu : "I endeavor to mean myself from policies, of which my prospects are of the darkest color, for France, for England, for Europe. I see the storm preparing gathering. I may live to see the first explosions ; but I doubt whether even my grand children will see the end of the injustifiable principles, wild pretentions, [?] alliances and general disorganization of European society with which this war is pregnant. "
Mon instinct proteste contre Jérémie ; mais ma raison ne sait trop que lui répondre. J’ai vidé mon sac, et le facteur qui arrive ne m’apporte point de lettres. J’espère pourtant vous savoir demain arrivée à Ems. Adieu, adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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79 Ems lundi 12 Juin 1854

Voilà votre lettre, aussi triste que je le sens moi même. Des âmes en peine, & qui ne prévoient pas quand elles sortiront de cette peine. Vous avez bien de l’esprit dans la manière dont vous me racontez cela, mais ici votre esprit ni celui de personne n’y pourra quelque chose.
On écrit à Hélène de Pétersbourg, la disgrâce de Meyendorff est publique. Il a été trop vif & cassant, il ne fallait pas se brouiller avec son beau frère. Le Maréchal attend et lambine parce qui il veut savoir d’abord s'il a ou non l’Autriche pour ennui. On trouve l’Empereur d’Autriche ingrat et tartuffe. Tout ce que je vous dis là c'est le public de Pétersbourg qui parle. Je ne sais rien de la cour.
Aujourd'hui il fait beau. Si le temps se soutient ainsi je commencerai un bain demain. Pas une âme de plus à Ems. Nous nous sentons bien perdus & ennuyés. Je n’ai pas le courage d'écrire à mes correspondants, je ne sais que leur dire. Nous voilà bien arrangés vous et moi. Union complète. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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91 Val Richer, Dimanche 11 Juin 1854

Si l’on juge par les nouvelles de Grèce, les insurrections intérieures, en Turquie, soit que vous les ayez encouragées ou non, vous seront de peu de secours ; un embarras momen tané pour l'Alliance occidentale, la nécessité de quelques garnisons là et là, mais rien de plus. Les insurrections ne vous vont pas, pas même là. En principe, vous les désavouez, et en fait vous dites tout bas que vous ne voulez point ce qu'elles veulent, l'indépendance et l’aggloméra tion des populations Chrétiennes. On ne dit rien tout bas aujourd’hui, excepté en Russie même partout ailleurs, tout se sait. Je suis sûr que les conversations de votre Empereur, avec Seymour courent la Grèce, la Bulgarie & Je me figure ce qu’on aurait pensé et dit mon ami Colettis, le grand conspirateur contre les Turcs. De quelque côté qu'on envisage cette Affaire, elle est bien mauvaise pour vous. Vous aviez bien raison de vouloir rester tête-à-tête avec les Turcs il devient clair que vous n'êtes puissants contre eux qu'à condition du tête à tête, et que dés que l'Europe s'en mêle votre force d’agression en Orient, force révolutionnaire et force militaire se trouve très insuffisante. Il vous faut absolument deux choses, le tête à tête avec la Porte et l'Europe divisée. L’une et l'autre vous manquent. Vous pouvez croire que la seconde ne vous manquera pas toujours, mais quoiqu’il arrive, la révélation qui se fait en ce moment sur votre compte restera, et vous en souffrirez longtemps. Je ne pense pas que de l’entrevue du Roi de Prusse et de l'Empereur d’Autriche à Teschen, il sorte autre chose que l’attitude actuelle des deux puissances, sauf quelques paroles un peu plus précises sur les développements que cette attitude pourra prendre. Et si vous n'avez pas de grands succès, ces développements, quelle que soit la bonne volonté des Princes, seront de plus en plus contre vous. L'Allemagne ne peut supporter longtemps cette expectative de guerre et de révolution, il faut que de gré ou de force. elle vous fasse faire la paix.
Certainement l'Angleterre est contente de l’Autriche sans cela, Kossuth ne serait pas traité comme il l'est aujourd’hui par le Times, le Morning Chronicle &. Il serait plaisant que la guerre ne détronât que Mazzini et Kossuth.

Midi.
Je n'attendais pas de lettre aujourd’hui. Je suis impatient de vous savoir arrivée et établie. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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78. Ems dimanche 11 Juin 1854

Je n’ai pas de lettre aujourd’hui et comme vous me parliez de vos éternuements dans la dernière me voilà inquiète. Je vous en prie ne me donnez pas d'inquiétudes, je ne saurais pas les supporter.
Paul est parti tout à l’heure Il va passer un mois à Aix la Chapelle et puis nous revenir. Il a besoin de ces eaux. Son départ nous laisse sans un seul homme, c.a.d. sans protection. Les mutations qu'on annonce dans le ministère anglais me semblent bonnes. John à la [Chambre] Haute. Cela fera de Palmerston le leader à la [Chambre] basse. Je ne sais ce que sera l’entrevue de l'Empereur] d’Autriche avec le roi de Prusse. Je persiste à douter que l’un ni l’autre passe à l’action contre nous.
Je serais bien curieuse de savoir tout ce qui s’est passé et ce passe à Constantinople. Evidemment Redcliffe est le tout puissant, et peut être faites vous bien de ne pas essayer de lui donner un rival. Il serait battu. Mais enfin comment la France vit-elle là avec l'Angleterre ?
Ni hélène, ni moi n’avons un mot de Russie ou de Berlin. Et comme nous ne connaissons pas ici une âme nous ne savons rien du tout de cette partie du monde.
J'ai eu ce matin une lettre très longue et très sensée du Comte Molé, très amicale aussi. J’aime qu'on se souvienne de moi et qu’on me le dise. Ah combien moi je pense à tout le monde. Mon monde. Hélène est plus que jamais excellente pour moi. Certainement c’est une personne d'un vrai mérite. Beaucoup de coeur et d’une charité, si intelligente & si soutenue. Elle a une bien bonne influence sur mon fils. Vous voyez que je n’ai pas une nouvelle à vous dire, et je ne prévois pas qu’il m’en arrive ici. Je regrette beaucoup mes pratiques de Bruxelles. Adieu. Adieu, je vous prie portez vous bien, et écrivez-moi tous les jours.

Auteurs : Dumon, Pierre-Sylvain (1797-1870)

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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90 Val Richer, samedi 10 Juin 1854
Midi

J’ai attendu votre lettre et je n'ai que le temps de vous dire, adieu. Je veux vous savoir à Ems. Triste voyage en effet cette année. Je ne suis pas en train de vous égayer. Il faisait beau hier ici ; aujourd’hui très mauvais.
Je n'ai pas un mot de Paris. Je n'ai pas encore là mes journaux. Après tout, il vaut mieux que Kisseleff soit venu vous demander pardon. Il a attendu que vous n'eussiez plus besoin de son appartement. Bien petit, bien petit. Adieu, Adieu.
Et mes respects vraiment affectueux, je vous prie, à la princesse Hélène, et à sa fille. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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77. Ems samedi le 10 juin 1854

Vos lettres font toujours mon plus grand plaisir. Elles vont être maintenant ma seule ressource. Plus de causerie, personne. Il n’y a pas un chat ici. Le temps est affreux, très froid. Je suis gelée. On ne peut pas se baigner par cette température. Mon voyage m’a fatiguée et j’ai eu une attaque de bile bien désagréable à mon âge, il ne faut plus se déranger. Et combien je vais l’être encore.
Les nouvelles du théâtre de la guerre me paraissent bien confuses. Je ne sais que croire. Je me méfie de nos bulletins. Je n’ai pas grande confiance dans les autres non plus 3 heures. J’étais si triste en vous écrivant tantôt que je n’ai pas que continuer. Je reprends après avoir fait quelques pas à pied. J’ai été chercher un piano et des fleurs, leur vue me ranime un peu. Vous ferez bien de me plaindre.
Je vois dans le journal de Francfort que le Gal. St Arnaud se serait plaint à Paris de l'embarras que lui donne Le Prince Napoléon à cause de la protection publique qu'il accorde à tous les réfugiés & aventuriers politiques. Le journal ajoute qu’après un conseil tenu à St Cloud on aurait promis le rappel du Prince si sa présence nuit aux affaires. Je ne sais ce qu'il y a de vrai là à Bruxelles je n’en avais pas entendu parler. Je n’ai pas eu un bout de lettre de personne depuis mon départ. Adieu.
Voilà la pluie, et du vent, & de froid. Ah c est bien laid ici Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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89 Val Richer, Vendredi 9 Juin 1854

Je ne vous ai pas écrit hier un peu parce que je n'avais rien à vous dire, bien plus parce que je vous aurais écrit trop tristement.
Je trouve que la guerre s’établit, à la fois molle et obstinée, pas intolérable pour les peuples et interminable pour les gouvernements. Les grandes affaires ne se terminent que par la force ou par la raison. Où est aujourd’hui la force ? Où est la raison ? Je dis la force ou la raison capable de décider.
Vous ne prenez pas et probablement vous ne prendrez pas Silistrie. On vous fera peut-être lever le siège ; il semble que les trois armées alliées se préparent à cette opération. Soit qu'elles réussissent, ou qu'elles ne réussissent pas, quoi après ? Les diplomates n'en font pas plus que les généraux. Quand on aura mis le prince Gortschakoff à la place de M. de Meyendorff, inventera-t-il quelque meilleur expédient, ou consentira-t-il à quelque plus grande concession ? Je ne vois point de rayons lumineux ; je n'entends point de coup de foudre efficace. J’attends et je n'attends rien. J'en étais là hier, et c'est pourquoi je ne vous ai pas écrit. J'en suis encore là aujourd’hui.
Il y a bien du vrai dans ce que Morny vous a écrit. On était bien bon à Londres de se tant préoccuper du congrès russe de Bruxelles trois mois d'insignifiance, et le voilà dispersé. Rien n’est plus ridicule que la présence réelle et vaine. Je comprends la satisfaction de Chreptowitch.
Je ne me distrais de tout cela qu’en travaillant. Mais je ni plus de grand homme pour me tenir compagnie. Cromwell est mort. Je ne vis plus qu'avec ses fils, ses conseillers et ses ennemis, tous impuissants, et à le continuer et à faire autre chose que lui. J’aurai bien de la peine à prendre l'Impuissance des petites gens aussi intéressante que celle du grand homme.
Voilà ce pauvre Amiral Baudin mort. On lui a donné un bâton pour l'aider à descendre dans son tombeau. C’était un marin capable, hardi, plein d’entrain et d'entraînement avec les matelots. Charlatan d'ailleurs et peu sûr ; cherchant toujours le vent, cachant la ruse sous l’étalage de la franchise. Le Roi de Portugal, en allant à Bruxelles, épousera-t-il la Princesse Charlotte ? A-t-elle pris son parti entre Lisbonne et Naples ? Êtes-vous sûre que l'Impératrice soit grosse ? De Paris, personne ne me l’a mandé. Il est vrai que mes correspondants sont ou absents, ou très paresseux. Duchâtel est revenu à Paris, et ne va plus à Vichy. Je ne sais pourquoi. C’est Vitet qui me l'a écrit.

Midi
Je ne m'étonne pas que vous ne m'ayez pas écrit, avant hier, en partant de Bruxelles. Mais je n’en serai que plus impatient. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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76 Cologne jeudi le 3 Juin 1854

J’entreprends ce voyage avec une grande tristesse. Jusqu'ici je le faisais assez joyeusement. Espoir de santé, de beau temps, & parfaite certitude de Paris au bout de cela. Maintenant quelle différence. Le temps aussi est affreux, froid, pluvieux du brouillard. " Le ciel n’est pas plus noir que le fond de mon cœur. " Enfin que faire.
J’ai eu encore vos 85 & 86 à Bruxelles hier matin. Tout le monde m’a accompagnée au chemin de fer. Russie, Autriche Prusse, Brunnow. A propos avant hier matin quelques personnes chez moi, autres Kisseleff. Je dis ah ah très haut, il s’approche comme un petit garçon. Princesse je viens vous demander pardon, j’ai eu bien tort, grand tort, je vous prie d'oublier. Monsieur en ce cas c’est oublié & puis de la causerie générale. Et puis il se lève pour partir. Encore veuillez me pardonner, j’ai eu bien tort.
Monsieur, je regrette que vous m’ayez dit cela si tard. Et voilà qui est fini j’étais restée 6 semaines sans apercevoir le bout de son nez & avant vous savez. On rit beaucoup. Il n’est pas possible de se conduire plus sottement. Un petit enfant. Je lui ai trouvé bien mauvais visage.
Je ne sais pas de nouvelle naturellement la lettre de Morny m’a fort attristée. Il n'y a rien à espèrer. Adieu. Adieu. Je ne me sens pas bien un mauvais dîner d'auberge hier me rend malade. Hélène & Olga sont charmantes. Cette petite me charme tout à fait. Paul nous mène à Ems, & nous laisse pour aller à Aix-la-Chapelle. Adieu.

Auteurs : Croker, John-Wilson (1780-1857)

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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88 Val Richer Mercredi 7 Juin 1854

Votre soirée est une malice que vous avez faite à Kisseleff en partant. Il la méritait. Je suis toujours bien aise quand je vois les sottises de l’égoïsme un peu punies. Il ne faut pas que tous les désagréments de ce monde soient pour la générosité imprévoyante.
Il fait aussi froid ici qu’à Bruxelles. Cela me vaut des éternuements interminables. Ayez soin, à Ems, de ne pas vous promener tard le soir, en voiture découverte. La vallée de la Lahn est bien aussi humide qu'à la mienne.
Rothschild est bien juif de ne pas vouloir vous donnez 3, 6, 9 mais vous avez raison ; peu vous importe ; il est bien sûr que vous garderez toujours cet appartement-là ; il faut pouvait y revenir à l'heure même où la paux sera faite. Et vous y reviendrez tranquille sur les clubs. Aristocratiques ou démocratiques, il ne faut pas les avoir pour voisins. On apprend tous les jours.
Ce qui vient de se passer pour cette malheureuse guerre a jeté, pour moi, des traits de lumière sur l’histoire. Que de guerres commencées comme celle-ci, sans le vouloir, et pour rien. La vraie différence entre les grands hommes et les petits, c'est que les premiers font toutes choses, même les sottises, par de grands motifs, et que les seconds font, même les grandes choses, par de petits motifs, ou sans motifs. " Mon dieu, pardonne leur car ils ne savent ce qu’ils font ! " C'est la plus profonde comme la plus divinement douce parole qui ait jamais été prononcée.
Pauvre Meyendorff ! Est-ce que le Prince Gortschakoff serait envoyé à Vienne pour l’y remplacer à poste fixe, ou bien seulement en mission temporaire, comme le comte Orloff ? La première mesure serait bien dur pour M. de Meyendorff, et le Prince Gortschakoff me paraît bien petit pour la seconde.
Je voudrais que vous sussiez vous distraire un peu de cette triste attente de tristes nouvelles, et penser quelque fois à autre chose. Engagez Mlle de Cerini à prendre l'habitude de vous lire. Ce n'est vraiment, pour une personne intelligente et cultivée comme elle, qu’une affaire d'habitude. Et je vous recommande encore M. de la Rochefoucauld de M. Cousin. Le Journal des Débats, en donnait hier une longue citation excellente et charmante.

Midi
Point de lettre ce matin. Adieu donc jusqu'à demain. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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87 Val Richer, Mardi 6 juin 1854

Vous voilà donc bien plus loin. Au moins j’espère que votre santé s’en trouvera bien. Ems m'a laissé un souvenir très agréable. J’aime extrêmement les bois et les montagnes. Je me suis beaucoup promené seul à Ems, en pensant que, trois ou quatre heures après, je me promènerais avec vous. Rien n’est plus doux que le mélange de la solitude et de la société qu’on aime.
Votre voisin de campagne à Bruxelles a raison. Vous êtes déjà grandement diminués. J’en suis frappé par ce que j'entends dire aux ignorants et aux simples. Les uns comptaient sur vous comme puissance conservatrice ; les autres vous redoutaient comme puissance envahissante. Vous avez perdu la confiance des uns et la peur des autres. Evidemment vous êtes capables d’une grande et longue résistance passive, mais non pas d’un grand et prompt effort actif.
Votre sécurité Russe vous reste ; votre importance Européenne baisse beaucoup. C'est un fait qui se développera de plus en plus si la guerre se prolonge ; on ne vous atteindra pas au coeur, par où vous êtes Russes ; on vous humiliera, on vous mutilera peut-être sur vos frontières, par où vous êtes européens. Je ne sais ce que cela changera à votre avenir lointain, à vos perspectives séculaires, mais votre situation actuelle et votre avenir prochain en souffriront beaucoup. Ce que l'Empereur Napoléon 1er voulait faire contre vous, en même temps qu’il luttait contre l’Angle terre, l'Angleterre, le fera avec l’aide de l'Empereur Napoléon III. Bossuet s'écrierait ; " Ô mystère des plans et des coups de Dieu. Ô vicissitudes étranges et faces imprévues des affaires humaines. " Faites bientôt la paix, c'est votre meilleur, peut-être votre seul moyen de couper court à tous les développements d’une crise que vous n'avez pas su prévoir.
Y a-t-il quelque chose de vrai dans ce que dit la Gazette de Cologne de la disgrâce, où est tombé chez vous M. de Meyendorff ? Il est aisé de briser les hommes d’esprit à qui l’on a commandé des fautes ; il est difficile de les remplacer.
Adieu jusqu'à l’arrivée de mon facteur. Je vous quitte pour aller profiter dans mon jardin d’un rayon de soleil. Hier, nous espérions le beau temps mais le vent du nord ouest lutte encore pour le froid et la pluie.

Onze heures
Je viens de lire les détails et l'affaire de Hango. Petite expérience d’où il paraît résulter que vos artilleurs tirent bien et que les canons Anglais portent plus loin que les vôtres. Viennent les grandes épreuves. Tout indique que l’armée Turque et un corps Anglo-Français se sont mis en mouvement pour vous faire lever le siège de Silistrie. Adieu, adieu. G.

Auteurs : Vitet, Louis, dit Ludovic (1802-1873)

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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75 Bruxelles le 5 juin 1854

Je fais mes paquets & mes adieux. & je rentre de l’Eglise où j’ai commencé. Ici cela se passe le lundi de la Pentecôte. Brunnow part jeudi, décidement il reste en l’air pour le moment, il retourne à son petit Darmstadt. Kisseleff part également cette semaine pour Wisbade et puis l’Italie. Ces deux messieurs ne sont pas en bonne odeur à Pétersbourg, surtout dans le public. Creptovitch est ravi d’être débarrassé d'eux. Cela le gênait et l'offusquait. Il ne restera plus un russe à Bruxelles.
Pas de nouvelles. On s’étonne des lenteurs partout. Ceci ne ressemble aux choses qui se passaient jadis. Quand on était en guerre on se battait. Cela a passé de mode. Mais comment viendra la paix ? C'est indevinable. Adieu. Adieu. Je suis triste, et vous aussi. Adieu.

Mardi le 6. Voilà une lettre de Morny, il me dit ceci. " Il va se passer en Orient des événements importants, mais seront ils décisifs ? Si nous croisons décidement le fer nous serons en guerre pour bien longtemps. Je crains bien que votre Empereur ma bonne Princesse ne se repente amèrement d’avoir entrepris ces choses. Je devrais dire, j’espère bien, car je suis Français & bon Français. Si l’Allemagne se joint à nous, Dieu sait quel mal on peut lui faire. Et puis toutes les flottes qui n'osent pas sortir du port même à nombre supérieur, ce n'est pas une preuve de grande force ici de confiance en soi. Maintenant chez nous la confiance a repris. Les fonds ont remonté. On ne s’inquiète plus beaucoup de la guerre, on s’y intéresse voilà tout, et si elle est heureuse on s'en amusera. Il n’y aura plus de raison pour qu’elle finisse. Au fond pour nous et notre Empereur nous y avons gagné une position inespérée que 10 ans de paix n'auraient pas produite. Que Louis Philippe serait jaloux s'il vivait encore. "
La reine Amélie passe aujour d’hui. Le roi ira la trouver à Malines et l’accompagnera à moitié chemin d'Ostende. Elle n’a pas voulu s’arrêter ici ni à Laken. Ma lettre était restée hier je la trouvais bête. Je la trouve bien triste aujourd’hui comme je suis triste. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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74 Bruxelles le 4 juin 1854

Je me suis trouvée entraînée hier à une soirée chez moi. On a voulu me faire entendre un chanteur italien de premier ordre. Cela ne m’a pas beaucoup amusé. J’avais tous mes habitués. Ce qui fait que de tous les Russes Kisseleff seul est resté à la maison. J’avais prié les autres.
Aujourd’hui je vais à l’église, & je ferai mes visites d’Adieu. Le temps est possiblement froid. On parle beaucoup du Prince Gortchakoff envoyé à Vienne dit-on. Je le connais fort, il est resté 8 ans premier secrétaire à Londres. Mon mari l'a chassé. Pareille aventure lui était arrivée sous d’autres chefs. Très intelligent. Capable, excellent rédacteur. Insolent, insupportable. Il vaut peut être mieux, je n’en sais rien. Je l’ai revu à Schlangenbad. Là aussi il a fait une impertinence au Roi de Prusse. Le pauvre. Meyendorff ne m'écrit plus du tout. D’abord, malade et bien triste. On me dit ici que dès l'origine de l’affaire on a trouvé à Pétersbourg qu'il faisait fausse route. Il n'était pas assez russe, il voulait qu’on s’arrange. comme cette guerre marche drôlement.
C’est le 1er juin seulement que l’Autriche nous a envoyé une invitation polie de sortir le plus tôt possible des Principautés. La Prusse l’aura fait de son côté. La prise de Silistrie n’est pas cas de guerre. Même le passage des Balkans s’il pouvait avoir lieu, demanderait encore des éclaircissements. Il n'y a donc rien d'imminent du côté de l’Autriche. On dit que l’Impératrice est grosse, Wallisky doit l’avoir annoncé.
Rothschild m’autorise aujourd’hui à ajouter au bail la promesse de ne pas me mettre de club sur la tête. Il n’a pas voulu du 3. 6. 9. Cela m'est égal. J’accepte l’autre forme quoique ce soit drôle. J'envoie le tout à Génie avec l'espoir que je recevrai mon titre Mardi. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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85 Val Richer, Dimanche 4 Juin 1854

Vous avez bien de la peine à prendre Silistrie. Quand on dit cela, vos amis répondent que vous y avez mis deux ans en 1828. Pauvre réponse pour 1854. Si les Turcs et leurs alliés ne sont pas en mesure d'entreprendre rien de grand contre vous cette année, il paraît que ni vous non plus contre eux. Voilà les propos des spectateurs de cette insignifiance mutuelle dans les débats de la guerre, il résulte. Deux impressions contradictoires en apparence, mais toutes deux favorables à la guerre ; on s'impatiente et on a moins peur.
Voilà la session du Corps législatif close sans qu’on lui ait demandé aucun pouvoir discrétion naire ni pour des levées d'hommes, ni pour des emprunts. Cela n'indique pas qu’on aie le projet de faire cette année beaucoup plus que ce qui est déjà fait. Certainement si la paix ne se fait par l'hiver prochain, cette affaire là sera la honte de la diplomatie, au moins de celle qui désire la paix.
Dans la confusion, où est la Grèce, je ne sais ce que sont devenus les anciennes classifications de parti ; mais si elles subsistent encore, le nouveau ministère au Roi Othon est anglais, Maurocordato et ses collègues ont toujours appartenu à cette couleur de mon temps, malgré notre entente cordiale à peu près partout, nous ne nous entendions point en Grèce, et les Anglais y compris, Lord Aberdeen, ne pardonnaient guère à Colettis sa couleur française. Je ne suppose pas qu’on les rende aujourd’hui la même susceptibilité.

18 heures et demie
Je vous ai quittée pour aller faire un tour de jardin. La pluie m'en chasse, une pluie froide par un vent de Nord ouest. Vous avez bien fait de retarder votre départ jusqu'au 7 ; on supporte mieux le vilain temps dans un ancien que dans un nouvel établissement.

Midi
Pas de lettre. Je ne comprends pas pourquoi. Adieu, Adieu. G.
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