Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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354. Londres, Mercredi 29 avril 1840
9 heures

Le petit comité de Holland house s’est transformé hier en 14 ou 15 personnes. Toujours au grand déplaisir de Lady Holland dit-elle ! Elle continue de me soigner comme un enfant favori. J’avais Lord Melbourne et Lord John Russell. Nous avons causé. La conversation est difficile avec Lord John ; elle est très courte. Je vois que M. de Metternich est extrêmement préoccupé de Naples de notre médiation autant que de ce qui a fait notre médiation. L’Angleterre et la France sont bien remuantes. Il n’y aura jamais de repos, en Europe tant qu’elles y seront. En sortant de Holland house, j’ai été un moment chez Lady Tankerville. Elle avait déjà vu Lady Palmerston arrivée à 5 heures. Leur intimité est grande. Elle croit au mariage de Lord Leveson et de lady Acton. En savez-vous quelque chose ?
La mort de Lady Burlington afflige bien du monde. On dit que la Duchesse de Sutherland est désolée. Voilà sa maison fermée pour quelque temps. Mais plus sa maison sera fermée, plus elle sera heureuse de vous y avoir. Dites-moi positivement ce que vous ferez, le jour. Je n’abandonne rien de ce qui est convenu. Je n’ai pu encore renvoyer à Clapham et à Norwood. Demain ou samedi, on ira. Mais répétez, répétez.

Une heure
Ce que vous a dit M. Molé me revient de bien des côtés. On me l’écrit. On me le fait écrire. Il faut laisser dire et écrire. Je suis étranger à toute rancune envers mon parti ; mais je ne me hazarderai pas légèrement. Ma position actuelle est bonne, bonne en elle-même, bonne pour tous les avenirs possibles. J’attendrai une nécessité criante, si elle doit venir. Et je tâcherai de faire, en attendant de la bonne politique, au profit du Cabinet, comme au mien.
Ne croyez pas à la guerre pour Naples, en dépit des fous ou du fou, s’il n’y en à qu’un. Je n’ai jamais vu tout le monde si loin de la guerre si effrayé d’en entendre parler. Elle n’est ni dans la nécessité des choses, ni dans le penchant des personnes. Elle ne reviendra pas encore Génie ira vous voir un de ces jours.
Tout ce que je vous dis la n’empêche  que je ne trouve la séance sur la réforme des éligibles bien mauvaise. Les mesures proposées, et les paroles dites sont peu de chose. Ce qui est grave, c’est la rupture de plus en plus profonde entre le Cabinet, et le parti qui a été, est et sera toujours, au fond, le parti de gouvernement.
Il n’y a pas en France deux partis de gouvernement. On peut bien faire osciller le pendule du pouvoir mais seulement dans de certaines limites. S’il penche tout à fait vers la gauche, la machine se détraque. Je regarde et j’attends non sans inquiétude.
Ce soleil est vraiment miraculeux. Je n’en jouis pas. Je ne vous redirai jamais assez que je ne sais jouir de rien seul. Quand je pense au soleil, quand je trouve l’air doux la verdure charmante, à l’instant mon désir d’en jouir avec vous devient si vif que la jouissance se change en souffrance. Regents Parh est joli ; mais le bois de Boulogne vaut mieux.
Ma mère n’a dû recevoir qu’aujourd’hui la lettre où je renonce à son voyage. Elle pouvait s’en douter ; mais elle ne m’en a pas encore dit un mot. Je suis heureux qu’elle le prenne bien. On m’écrit et elle m’écrit elle-même qu’elle est un peu fatiguée. Elle a marché jusqu’au Tuileries, et a trouvé que c’était trop. Elle ne marche qu’au Val Richer, en passant la journée dehors. Je l’ai engagée à y aller vers le 15 mai. Mes enfants prendront le lait d’ânesse jusques là. A la rigueur, ils pourraient le prendre au Val-Richer ; mais ce serait un peu difficile à arranger, et j’aime mieux qu’il n’y ait pas d’interruption.
On fait prendre des bains à Henriette. On me dit qu’elle avait un peu d’échauffement sur une joue. L’avez vous remarqué? Adieu. J’ai un rendez-vous à 2 heures pour voir un télégraphe par l’électricité. On dit que c’est merveilleux. Une nouvelle serait le tour du monde en deux minutes ; à la lettre le tour du monde. Adieu. Adieu. Comme en revenant de Chatenay.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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356. Paris le 29 avril 1840
10 heures
Montrond et Ellice m’ont pris du temps. J’ai fini par enlever Ellice pour ma promenade en calèche. Le dîner de mon Ambassadeur a été éternel. 2 heures & un quart à table c’est trop fort, et une chaleur et une odeur de peinture J’ai manqué chez moi, Jaubert et Berryer, car je ne suis rentrée que vers 10 heures. J’ai vu Ellice, Stratford Canning, l’internonce et mon Ambassadeur, qui se plaint beaucoup de ce que je ne le garde départ pas jusqu’à minuit. Ellice, qui avait dîné chez Thiers m’a conté la capture de 10 vaissaux napolitains. Thiers en était fort consterné.
Montrond me raconte toujours l’amour du roi pour Thiers, et la nécessite que vous et Thiers restiez bien ensemble, comme un homme qui aurait bien envie que ce fût le contraire, car quand je lui demande pourquoi tant désirer quelque chose qui est, il me répond que les rivalités, les clabaudages peuvent altérer cela ! Moi j’affirme que vous avez tout deux trop d’esprit pour vous brouiller, à moins de très grosses raisons, et que je suis convaincue que vous vous entendez à merveille. Il serait possible que cela déplût au roi. M. Molé est si aigre qu’il trouve même que la duchesse de Nemours n’est pas très jolie. On la dit cependant charmante. Mes diplomates affirment que si une révolution éclate à Naples,  l’Autriche doit s’en mêler et s’en mêlera. Je trouve à Appony l’air bien préoccupé et même égarré. Brignole trouve qu’il s’est trop fait l’homme du Roi, que c’est inconvenant et fort compromettant. J’ai causé beaucoup avec lui hier, il était mon voisin à dîner. On raconte dans la diplomatie que Thiers ayant lu dans l’Allgemeine zeitung un article insolent sur lui, a fait venir M. de Luxbourg et lui a très franchement lavé la tête. Il a raison, le journal est censuré, et dès lors le gouvernement bavarois a à en répondre. Luxbourg n’a pas trouvé une parole à répliquer.
Midi. Voilà cette pauvre Lady Burlington morte. Ce sera un deuil très sincère dans toute cette famille. Le Duc de Devonshire n’aimait que cela au monde. Il est possible que cela fasse un changement pour mon Stafford House. Je regretterai bien Chatsworth aussi, où je devais vous rencontrer. Pourquoi votre lettre ne m’arrive-t-elle pas ?

1 heure pas de lettre. Fagel me parle toujours beaucoup de vous. Dédel lui rend compte d’un entretien qu’il a eu avec vous avant son départ qui a été pour lui d’un grand intéret.
Dédel vous porte aux nues, il ne fait qu’une critique et il dit que sur cela tout le monde pense de même. Votre diner avec O’Connel. Vous ne deviez pas chercher cela. Je ne suis pas tout-à-fait aussi prude mais je suis plus que jamais d’opinion qu’il ne faut pas qu’il entre jamais chez vous. Ce serait une grave faute. Ecoutez ce que dit Montrond d’Ellice qu’il déteste, tous les jours davantage. Je crois à cause de son intimité avec Thiers. C’est le best inutile fellow que je connaisse. C’est drôle. Le beau temps est drôle aussi. Les canicules depuis huit jours ; je n’ai d’autre souci que de me garantir de la chaleur.
Adieu, c’est triste d’écrire deux jours de suite sans répondre. Adieu, Adieu.

[Monsieur Guizot
Ambassadeur de France
Manchester Square
Angleterre.
à Londres]

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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358. Paris, jeudi le 30 avril 1840
9 heures

Il y a aujourd’hui 6 ans que mon mari reçut la lettre de l’Empereur lui annonçant sa nouvelle destination lettre qui lui fit lever les mains au ciel de joie, et moi de douleur. J’ai noté ce jour comme un des plus cruels de ma vie. Il y a aujourd’hui un an que mon fils ainé me déclara qu’il ne me reverrait jamais. C’est un triste jour que ce 30 avril. J’aurai de vous une lettre n’est-ce pas ? Deux probablement, car je n’ai rien eu hier. Rien depuis lundi. C’est long. J’étais inquiette hier. Je suis allée chez votre mère pour savoir si elle aussi manquait de lettres elle avait eu la sienne, ainsi vous vous portiez bien. J’ai trouvé tout votre monde en parfaite santé et vous pouvez être bien tranquille Je me suis promenée avec Marion. J’ai dîné chez M. fFeihman. De la diplomatie. On raconte que Thiers dit à propos de l’affaire des soufres : "Si j’avais fait ce que fait Lord Palmerston, qu’aurait dit l’Europe ?" C’est vrai, entendez-vous les cris d’indignation ? Il y a bien de l’injustice dans le monde. Je n’ai vu personne hier au soir. Ces dîners me font veiller tard et je manque tout le monde. Je n’ai vu que M. de Bacourt et Ellice. Je vous enverrai par le courrier des Affaires étrangères une lettre que j’ai reçue hier de Matonchewitz, elle vous intéressera.

11 heures
Je viens de faire un tour en calèche. La chaleur empêche ma promenade plus tard. J’attends toujours votre lettre vos lettres. Hier matin, j’ai vu longtemps Appony, et longtemps Fagel. Le premier est vert de mauvaise humeur. Il y a bien de l’aigreur dans son fait. Il me raconte bien des commérages. Ces gens-là ont bien envie que vous vous brouilliez avec Thiers. Ils avalent tout ce qui peut ressembler à cela. J’ai dit à Appony ce que je vous disais hier. Il faudrait de bien grosses raisons. Votre bonne intelligence est utile, et tout-à-fait convenable ; il faut qu’elle dure. Fagel est très bon enfant et fort dans le vrai sur toute chose.

Midi.
Voici deux lettres l’une par le petit médecin, l’autre par le gros monsieur. Le petit monsieur l’ayant reçu que hier à 2 heures n’a plus osé venir puisque vous lui disiez de la porter avant l heure. Je l’ai renseigné pour l’avenir. Merci de toutes les deux, et de tout. Vraiment Brünnow est trop bête. L’ Europe finira par répéter cet écho. Je vous ai dit hier un mot direct par la poste pas dessus mon autre lettre. Je répete aujourd’hui. Parlez en français à l’academie. C’était mon premier instinct vous vous en souvenez. Granville m’a déroutée, et j’ai assez de confiance dans ses avis, mais cependant je crois que le Français est plus convenable. De toutes les façons, et j’y reviens avec assurance, parce que j’entends dire qu’un ambassadeur Français doit parler sa langue là où il peut être compris et c’est vrai. C’est votre inclination aussi; c’est donc dit samedi à 8 heures je saurai que vous parlez Français. Vous ne savez pas comme je m occupe et m’inquiète de tout ce qui vous regarde. Votre dîner du 16 mai me parait trop short notice pour cette saison d’autant que tout le monde prend le samedi. Il me parait que le 23 est plus sûr. Je pense que ni les Sutherland, ni les Carlisle, ni le Duc de Devonshire, ni Lord Morpeth n’accepteront. Mais cela ne doit pas vous empêcher de donner le diner Whig, il le faut absolument avant celui-pour les Torys. J’ai écrit ce matin à M. Andral. Je ne suis pas bien de nouveau. Vraiment c’est une étrange santé que la mienne, avec mon régime, mon abstinence je ne conçois pas ce qui me dérange, je ne vois plus d’autre parti à prendre que de ne plus manger du tout. On peut s’acoutumer à cela peut être. Vous pourriez prendre M. e Mrs Slanley dans le dîner Whig si vous avez place. Adieu. Adieu.J’ai bién grondé de ce que ma lettre de samedi a été remise trop tard à la poste. Ordinairement, je les porte moi-même. Je ne suis jamais sure que de moi-même. Je viens de relire la lettre de Matonchewitz. Je vous promets qu’elle vous plaira. Vous ne l’aurez pa encore aujourd’hui. Je veux la faire lire à M. de Pahlen.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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355. Londres, Jeudi 30 avril 1840
8 heures

Je vais déjeuner aujourd’hui à Battertea chez un des favoris de la Duchesse de Sutherland, le Dr. Khay. On veut me faire voir là et à Norwood, de grandes écoles populaires en attendant que j’aille à Eton et à Oxford voir les écoles aristocratiques. A Norwood, je m’enquerrais aussi d’autre chose. Le soleil est décidé à ne pas quitter Londres. Il y fait pourtant une pauvre figure, dans son plus grand éclat. Hier, à dîner, chez Lady Lovelace, l’évêque de  Norvich, bon homme un peu ridicule, un M. Villiers, frère de Lord Clarendon. Tous ses frères ont de l’esprit. Vous savez que Lady Lovelace est la fille de Lord Byron, cette petite Oda sur laquelle il a fait des vers charmants. Elle a de très jolis yeux et l’air spirituel naturel et affecté à la fois. Vous arrangerez cela, car cela est, et même, je trouve cela assez comme en Angleterre. Ils sont naturels et point à l’aise dans leur naturel ; d’où leur vient l’affectation. Je me suis ennuyé. J’ai été finir ma soirée chez Mad. Grote au milieu des radicaux. Mad. Grote, devient un personnage. Lady Palmerston l’a invitée à une soirée. J’ai entendu avant-hier Lady Holland faire un petit complot pour l’avoir à dîner la semaine prochaine à Holland, house, et bien recommander à Lord John Russell d’y venir et de plaire à Mad. Grote. Ils ne lui plairont pas, et elle ne leur plaira pas. Elle a de la hauteur et prend de la place. Ils ne lui en feront pas assez ; elle aimera mieux être reçue des radicaux chez elle qu’une étrangère poliment accueillie, à Holland house. Les complaisances aristocratiques ne peuvent plus se mettre au niveau des fiertés démocratiques. Il peut y avoir là des rapprochements sérieux et sincères, par nécessité, par bon sens, par esprit de justice. Tout ce qui est factice, superficiel, momentané ne signifie plus grand chose. On n’aura pas le vote de M. Grote comme Don Juan a eu l’argent de M. Dimanche.
J’ai été voir hier Lady Palmerston, fort contente de son petit séjour à Broadlands, pas rajeunie pourtant ; je lui trouve l’air fatigué. Elle a besoin de toilette. Le négligé du matin ne lui va plus. Elle est préoccupée des Affaires de Naples. A part l’intérêt du moment, cela lui  déplaît qu’on dise que les révolutions naissent sous la main de Lord Palmerston et de le craindre elle-même un peu. Nous attendons des nouvelles. Je pense que j’aurai un courrier ce matin. Voilà mon courrier. Il m’apporte : 1° de de longues dépêches sur Naples et l’Orient avec de curieuses conversations de Méhémet Ali ; mais point de réponse encore du Roi de Naples. Cela m’impatiente. 2°des lettres et des livres des Etats-Unis d’Amérique où l’on me reproche d’avoir dit trop de bien de Jefferson. 3° l’ouvrage de M. de Tocqueville sur la démocratie en Amerique. 4° Le grand cordon de la légion d’honneur, pour que je le porte demain.
Je vis bien à découvert avec vous. Je vous montre tout, même les petits mouvements de vanité que je méprise.
Je vous quitte pour ma toilette. Je vous dirai encore un mot avant de partir pour Batterrea. J’espère bien que la poste arrivera, auparavant. Mais c’est aujourd’hui mon mauvais jour. Je n’aurai probablement rien de vous.

10 heures et demie
Je monte en voiture, et vous êtes charmante. Mon mauvais jour est excellent. Je ne veux point de mauvais jour. Il n’y en aurait point pour vous si je pouvais écrire le dimanche. J’espère bièn être rentré avant le départ de la poste. Mais à tout hazard, je ferme ma lettre et je la donne à M. Herbet. Si je reviens assez tôt, je la rouvrirai et je vous dirai encore adieu. En attendant Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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356. Londres, Vendredi 1er mai 1840,

356 et 357 en un jour ! C’est charmant. Et un jour où vous n’aviez rien eu ? Je ne comprends pas cela. Mon troisième commissionnaire n’aura pas reçu la lettre à temps avant de sortir de chez lui. J’espère que vous l’aurez eue plus tard. Vos mécomptes me déplaisent autant que les miens. Je ne peux pas dire mieux, ni plus. Je suis de votre avis sur le speech à l’academie royale. Et je crois que bien décidément j’agirai selon notre avis. Mais quelques phrases seulement; pas un vrai speech. Parlant français surtout, si je parle un peu longuement, il faut que ce soit assez pour faire de l’effet. Et l’effet en pareille occassion dans ma situation d’aujourd’hui, c’est une prétention. J’en ai fait assez depuis quelque temps. Je serai donc très court et très simple. Il y aura quelques personnes attrapées. On est curieux de mon éloquence. On ne l’aura pas là. C’est un peu dommage. Je pourrais dire de bien bonnes choses. Mais j’y ai pensé ; soyez sûre qu’un vrai speech aurait en ce moment un air de prétention et de bruit qui même avec le succès, me diminuerait au lieu de me grandir.
Nous avons changé quelque chose à votre distribution des places aujourd’hui à dîner. Je dis nous, car c’est le résultat d’une délibération unanime entre Lord Lansdowne, Lord et Lady Palmerston et moi. Lady Palmerston est très prononcée. J’aurai Lord Lansdowne, et le duc de Wellington à mes côtés. Lord Palmerston aura Lord Melbourne, et Lord Clarendon. Tout bien pesé, je crois qu’ils ont raison. Et leur avis sera mon bouclier.
Je ne risquerai pas la santé du duc de  Wellington. Cela me conviendrait. Mais je ne suis pas sûr que cela plût à mes convives et je suis sûr que cela ne plairait pas chez  nous. Je ne veux pas qualifier ce public-là. Il faut que je l’accepte en attendant qu’il  change.
Thiers ne m’a pas encore envoyé de nouvelles de Naples. C’est qu’il n’en a pas encore. J’en suis impatient. Imaginez le Prince de Castelcicala qui arrive ici pour dire à Lord Palmerston d’être parfaitement tranquille que les vaisseaux anglais peuvent se promener tant qu’il leur plaira sur les côtes de Sicile. Il n’y a pas le moindre mouvement à craindre : "Le Roi est adoré. J’y étais avec lui, il n’y a pas longtemps. Le Roi se levait à quatre heures du matin, montait à cheval, se promenait et était partout admirablement accueilli. Personne ne bougera.» J’ai regardé en riant Lord Palmerston qui me racontait cela. Il a ri aussi. N’en faites pas rire tout le monde.
Je sors de chez M. de Brünnnow, qui était venu me chercher deux fois, le plus amical le plus conciliant du monde, expliquant tout, me parlant de tout, pressé d’en finir, mais d’en finir à cinq, uniquement occupé de nous mettre d’accord l’Angleterre et nous. J’ai tout accepté et j’ai tout dit ; d’abord tout ce que je vous disais l’autre jour sur la situation générale, et puis beaucoup sur la question particulière. J’ai été très loin, en sincérité bienveillante. J’ai plaint les Princes qui croient qu’on peut à la fois avoir raison, en gros et se passer en détail toutes ses fantaisies, qui oublient que leurs paroles les plus légères sont grandes, et que dites par boutade à quelques familiers, elles arrivent avec fracas aux oreilles de tout un peuple. J’ai été très Français, très libre et très flatteur. Tout ce que j’ai dit aurait pu être entendu de très haut et aurait, à coup sûr, fort étonné, mais non deplu. Je serai désormais dans les meilleurs, termes avec M. de Brünnow, et j’en userai.
Mais je persiste dans mon jugement. Au fond, je crois réellement que vous desirez que l’affaire d’Orient s’arrange sans bruit, et qu’une conclusion tranquille vous importe plus à vos proprès yeux, qu’un peu de froideur entre Paris et Londres. M. de Brünnnow ma lu des fragments d’une lettre de M. de Pahlen tout à fait dans ce sens. Il tient beaucoup lui-même à avoir, auprès de moi, cette attitude.
Je ne sais rien de la Duchesse de Sutherland. J’ai été porter mes cartes chez elle, chez Lord Carlisle et chez Lord Morpeth. J’attends bien impatiemment quelque chose de précis sur vos arrangements. Nous commençons à n’avoir pas de temps à perdre. Adieu. Mes nouvelles de famille sont toujours bonnes. J’ai le cœur en repos. C’est quelque chose. Adieu. Adieu. Je serai bien aise du retour d’Ellice.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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359. Paris, vendredi 1 mai 1840

Je n’ai vu personne hier matin, J’ai fait ma promenade habituelle. J’ai dîné chez mad. de Boigne le chancelier, M. Molé. Mes. de Pahlen, d’Appony, les Durazzo Mad. de Castelane, M. et Mad. Girardin. (Il me semble que lui est bête), je vous dirai de ce dîner ce que je vous ai dit d’une soirée chez Mad. de Boigne. On n’est pas poli pour les étrangers. Les Français s’escriment entre eux ; hier ce n’était pas les jésuites ou les jansénistes C’était des tours d’esprit sur des romans, des pièces de théâtre. Les Ambassadeurs n’ont pas ouvert la bouche, moi pas non plus, et moi d’autant plus que j’avais commencé par dire que je n’allez jamais au spectacle, et que je ne lisais jamais de romans, ce quei réhaussait la politesse de passer tout un dîner sur ce sujet là. Vraiment cela n’est pas des égards, et mes deux collègues et moi /vous voyez que je persiste à me compter dans la diplomatie/ nous en avons très spontanément et simultanément fait l’observation après le diner.
Une fois j’ai essayé de causer avec mon voisin le Chancelier cela a été court mais étrange. " Je regarde le ministère comme très établi." Il me répond : " Jusqu’à la fin de la session." - Cela veut dire jusqu’au commencement de l’autre ? - Non car le Roi a renvoyé M. Thiers, une fois en été. - Mais il me semble difficile qu’il puisse y songer une seconde fois ? - Et pourquoi pas ? Nous verrons." Voilà. Faites-vos commentaires. J’ai été passer une heure chez La Duchesse de Poix, les Belgioioso dont je suis éprise, vraiment C’est ravissant de les entendre chanter. M. Molé était le aussi en grandre chuchoterie avec tous les ultas du Faubourg. Lord William Russell me mande que la santé du Roi de Prusse donne de l’enquiétude. Il est faible sans appétit et l’entourage montre des alarmes.
Lord Aberdeen m’écrit une fort longue lettre. Voici sur vous. " You may be assured that the French minister could not have met with a greater piece of good fortune, than to have M. Guizot here as Ambassador at this time. If is not the talent and reputation of M. Guizot that ensures his influence and succes in this country ; but the respect wich is duc to his character. trusting to your having favorably predisposed him, l have made a greater exertion to obtain his acquaintance than is usual with me, and I have been will repair by all. I have been able to observe, although an Ambassador, the features of his character wich are most impressed upon me are honesty and rectitude."
Savez-vous que tout cela est beaucoup pour Lord Aberdeen. Je voudrais bien que vous fissiez la connaissance de Lord Grey demandez quand on trouve sa femme ; ils réçoivent quelque fois le soir. Ils seraient bien sensibles à une avance, et vous ne dérogez pas en faisant une avance à une femme.
Je viens de lire les journaux, voilà votre médiation acceptée par le Roi de Naples. J’en suis bien aise il est 10 heures. Je m’en vais porter moi-même ceci à la poste, car les bureaux se ferment avant midi. Adieu monsieur. J’espère une lettre ce matin. J’attends M. Andral. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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357. Londres, Samedi 2 mai 1840

Mon dîner s’est très bien passé. De 8 heures 1/4 à 10 heures à table dans l’ordre que vous savez et qui m’a paru approuvé de tous. Le debut froid et embarrassé comme toujours et partout. Passé la première demi-heure de l’animation et de la bonne humeur. Le cuisinier et la cave ont eu grand succès. Lord Melbourne a bu du vin de Bourgogne avec un contentement réfléchi. C’est Lord Lansdowne qui a porté la santé du Roi, d’après l’avis de Lord Palmerston. J’ai porté celle de la Reine et de tous les souverains de l’Europe. La Parisienne s’est mariée au God save the Queen. Le service a bien marché un peu précipitamment. Ils étaient trop pressés de bien faire. J’avais prodigué l’éclairage ; il était brillant. Cela manque toujours ici. L’illumination était belle, mais un triste accident s’y est mêlé et me désole. La voiture du baron de Moncorvo a accroché une échelle sur laquelle était monté un pauvre charpentier qui allumait les lampions. Il est tombé et il en mourra. Il a le crâne fracassé à la base. Il n’était pas marié, mais il allait se marier. Je lui ai fait donner tous les secours possibles. Mon médecin, qui est allé le voir ce matin à Middlesex-Hospital où je l’ai fait transporter me dit qu’il n’y a pointl’avait fait de chance de guérison. J’avais pris toutes sortes de précautions contre les accidents. Comment prévenir la maladresse d’un cocher? J’ai beaucoup causé avec le duc de Wellington qui y prenait plaisir, quoique la conversation doive lui donner assez de peine. Il cherche ses idées et ses mots comme un aveugle son chemin. Il m’a raconté Charles X, et comment il avait lui toujours prèvu sa fin. Bien aise de me tenir le même langage que Lord Aberdeen qui m’a déjà dit deux fois : " Je me glorifie d’avoir été en Europe le premier ministre qui ait reconnu le Roi Louis-Philippe."
Je ne donnerai mon dîner Whig que le 23. Le 16 serait trop près. Je mets Mr. et Mss. Stanley à la place de Lord et Lady Lichfield à qui je ne dois rien. J’ajoute Lord Duncannon et le Chancelier de l’échiquier. Les Sutherland et toute la famille ne viendront certainement pas, ce qui me donne de la place.

Une heure
Nous nous entendons merveilleusement. Vous m’écrivez ce que je viens de vous dire. Thiers a raison dans sa question : si j’avais fait ce que fait Lord Palmerston & &. Mais s’il l’avait fait, c’eût été beaucoup plus grave. L’action francaise est bien autrement contagieuse que l’action Anglaise. Nous attendons toujours des nouvelles de Naples. On dit que le Roi de Naples travaille à faire juger par ses propres tribunaux, qu’il n’a jamais pu faire ce qu’il a fait et que le monopole est nul de droit. C’est une manière de sortir d’embarras, comme on en sort.
M. de Brünnnow m’a beaucoup parlé de la modération de l’Empereur, qui a vu nos flottes grossir, arriver, se répandre en Orient et n’a pas mis en mouvement un vaisseau, ni un soldat ; si fort et si pacifique, si puissant et si patient ! J’ai reconnu, j’ai accepté, j’ai loué ! « Et je vous assure, M. le Baron, que mes paroles ont peut-être en ceci quelque valeur, car je sais ce qu’il en coûte, ce qu’il faut prendre de peine pour qu’un gouvernement, un pays soit pacifique quand il est fort et patient quand il est puissant. Je le disais il y a quelques années, à un de mes amis qui partait pour Vienne: "Dites que nous sommes sages, que nous serons sages, et que nous pourrions être fous. C’est là le fond de la situation."
Il m’a beaucoup dit, beaucoup, que votre politique avait réellement changé, que vous étiez entrés dans une phase nouvelle, tout-à-fait hors des voies de Catherine, que vous
vouliez sérieusement, sincèrement, faire durer l’Empise Ottoman, qu’on commençait à comprendre chez vous que Byzance avait été la ruine de Rome. & & Hier, à dîner il était de très bonne humeur.
Ma mère me répond ce matin sur les arrangements pour l’été ; et sans nul doute ils lui conviennent. Elle partira pour le Val Richer du 15 au 20 mai. Mlle Chabaud ne peut partir
plutôt, et j’ai besoin, pour ma tranquillité qu’elle soit avec ma mère. Vers le milieu de juillet, elles mèneront mes enfants aux bains de mer, à Trouville, pour six semaines. Mon médecin en est d’avis. Il m’écrit qu’il vous a vue, et que M. Andral doit vous voir le jour même ou le lendemain. Je vous remercie de lui avoir écrit. Je vous remercierai encore quand vous aurez causé avec lui bien à fond. Dieu sait si ma confiance est excessive. Mais enfin  il faut marcher, dans ce monde, avec cette ombre de confiance et à cette lueur de sécurité qui sont tout ce qui nous est permis.
Le Parlement a recommencé. On s’attend à des luttes toujours renaissantes jusqu’à la fin de juillet. Le budget sera difficile. La motion de Lord Stanley, pour la 3ème lecture de son bill sur l’Irlande est retardée, à cause de Lord Morpeth. Au fond, Lord Lyndhurst ne se remet pas. On tremble de l’arrivée de Lord Brougham, et pourtant, à la Chambre des Lords, malgré le pressentiment d’une fatigue immense, on la désire. On dit que la Chambre des Lords, c’est Lord Brougham. 
Le Duc de Wellington m’a parlé hier d’un certain Montrond. Et il m’a fait la même question que M. Duncombe. Is he still alive ?  Adieu. Il n’y a, dans le n° de ce matin, que deux petits adieux noyés dans le dernier paragraphe, et point d’adieu final. Adieu.
Il y a cinquante à parier contre un, que je parlerai français ce soir. Pourtant si mon impression, sur place, était que l’Anglais convient mieux à l’auditoire, je m’y jetterais effrontément. Mais je ne pense pas. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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360. Paris, samedi le 2 mai 1840
9 heures

J’ai eu votre lettre après le départ de la mienne. Je suis toujours fâchée quand je ne puis pas répondre de suite. Cela abrège la distance lorsqu’on n’a que quatre jours entre soi. Savez-vous que le télégraphe électrique sort de ma famille. Ce gros M. de Shilling que vous avez vu chez moi en 35 (je ne sais si vous vous souvenez de lui). Il était l’inventeur, il y a quelques quinze ans de cela. Mais je crois que vous vous trompez sur la célérité, il fallait cinq ou 6 secondes entre Pétersbourg et Moscou. Midi Voici votre lettre. Ce que vous dites du melange d’affectation et de naturel dans les Anglaises est très juste. En général elles manquent de grâce, cela est sûr. Et puis elles cherchent à s’en donner; ce qui ne va jamais. Je suis fort aise du grand cordon. Je ne suis pas. tout à fait au dessus de ces petites vanités là. Il y a des choses qu’il faut avoir et puis alors c’est fini des petites vanités. J’ai pensé à votre dîner hier beaucoup. Je penserai à celui d’aujourd’hui.
Le duc de Noailles est venu causer pendant longtemps hier matin, Berryer trouve la chambre très occuppée, très animée, non pas sur quelque chose de spécial, mais enfin une disposition à faire ou à voir faire quelque chose. La séance sur les éligibles a classé les partis, cela a plu, et cela a donné le goût d’arriver à quelque chose de plus clair encore. Berryer croit que la Commission fera éclore cela, et que la discussion se développera plus encore. Enfin il voit ressortir une dissolution de la Chambre par le fait de la Chambre elle-même , et non pas par le ministère ce qui mettra la cour dans l’impossibilité de la refuser. Car si même les pairs rejetaient une loi d’incompatibilité, cela ne rendrait pas de nouvelles élections moins nécessaires, les députés fonctionnaires ne pouvant pas rester sous le coup de précautions. La session ne finira donc pas sans quelque chose d’éclatant. Voilà l’opinion de Berryer. Je n’ai vu hier personne à peu près, la fête absordant tout le monde.
Le soir M. Jaubert est venu pour rencontrer Ellice, mais celui-ci a tardé et jamais ils ne feront connaissance. J’ai lu à Jaubert le passage de la lettre de Lord Aberdeen où il parle de vous. Cela a semblé lui faire un grand plaisir. Nous avons causé assez familièrement ensemble. Il me plait. Il me parait être fort content de Thiers, et de la situation en général. Pahlen est entré, je les ai introduced to each other, mais mon ambassadeur a reçu cela bien froidement, trop froidement. Ellice plus tard, rabâchant sur la Chine.
2 heures
Lady Pembroke est venu m’in terrompre avant ma toilette. me voici bien en retard. Je cherche vite si j’ai quelque chose à vous dire je ne trouve pas. Les fontaines sont admirables, Le soleil va toujours. La chaleur aussi, c’est même ennuyeux.
M. Andral m’a écrit pour me dire qu’il ne pouvait pas venir me voir, parcequ’il est trop occupé. Le Duc de Noailles prétend qu’il n’y a que moi à qui pareille avanie arrive. Sur cela j’ai envoyé cherche Chermeside. Ne pouvant avoir le meilleur, je reviens au plus mauvais médecin, mais c’est que je me souviens que de son temps j’allais mieux, peut être fera-t-il encore ce miracle. Je n’ai pas vu Lady Granville à la façon Anglaise elle ferme sa porte à tout le monde mêne moi puisqu’il y a eu un mort dans la famille. Elle peut le faire elle est entourée. Adieu, adieu. J’aurai une lettre demain, et puis lundi ; mais je ne saurai le dîner de l’Académie que mercredi ; c’est bien long. Adieu mille fois. Le Duc de Noailles trouve que votre position à Londres est superbe et qu’elle vous prépare à tout.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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358. Londres, Dimanche 3 mai 1840
10 heures

Eh bien, on ne fait jamais que la moitié de ce qu’on veut. J’ai parlé français ; mais je n’ai pas parlé très briévement. Un speech de sept ou huit minutes, pas un simple remerciement. Cela m’a si bien réussi que j’en suis bien aise. J’ai vu à l’air des gens, que j’étais attendu que, si je me bornais à quelques phrases bien polies, il y aurait beaucoup de désappointement. La curiosité était bienveillante ; le désappointement ne l’eût pas été. Je crois que je me suis rassis au milieu de la curiosité satisfaite et de la bienveillance redoublée. Je vous envoie le speech, que je viens d’écrire pour vous. J’ai trouvé cette réunion assez frappante. Toute l’aristocratie de toute espèce, de toute opinion y était. Et les savants, les lettrés, les artistes, le barreau la cité & deux absences ont été remarquées ; Lord Aberdeen qui n’est pas encore revenu de la campagne, et M. de Brünnow qui n’est pas venu. Le Duc de Wellington a remercié du toast to the navy and the army. Je répète ce que je vous ai dit : Un aveugle qui cherche son chemin. Je devrais dire un aveugle apoplectique. J’ai été très touché de ce spectacle, la grandeur d’un côté, le respect de l’autre, et entre deux la décadence l’impuissance. Il y avait bien de la force d’âme dans le vieillard balbutiant et chancelant. Mais je ne suis pas sûr qu’arrivé à cet état physique, il n’y ait pas plus de dignité à se retirer du milieu des hommes et à finir sa vie, en présence de Dieu seul et de ses enfants. L’exposition ne vaut pas grand chose. Trois ou quatre bons tableaux ; de jolis paysages et des chiens admirables. Souvent beaucoup d’esprit et de sensibilité dans l’intention ; mais une ignorance et un mépris du dessin, et de la peinture  qui sont étranges. Milton dictant le Paradis perdu à ses filles a beaucoup de succès. Le Milton est beau, bien grave, bien méditatif, bien inspiré. Les filles sont d’une gentillesse déplorable. On aime beaucoup la gentillesse ici. Un très bon portrait du Duc de Wellington expliquant ses dépêches au colonel Gurwood. Je ne sais pourquoi je vous dit tout cela qui ne vous fait rien.

4 heures
Ce que vous me mandez de Lord Aberdeen me plait beaucoup. J’espère et je crois qu’il dit vrai. Si je ne me trompe nous serons désormais fort à l’aise ensemble. Tout va bien avec les Anglais quand une fois la glace est enfoncée. J’ai dit hier à Lord Grey, que je desirais beaucoup avoir l’honneur d’être présenté à Lady Grey. Demain ou après-demain, j’irai lui faire une visite, à lui, et il me présentera lui-même. En général, je ne crains pas du tout de déroger. J’ai foi dans ma noblesse. Ma pente serait plutôt de ne pas me soucier des petites précautions de dignité convenue. J’y prends garde ici, à cause de l’officiel. Lord Grey, qui a été aimable pour moi, et a paru prendre plaisir à me voir, n’est pas venu chez moi, probablement par un peu de fierté timide et de mauvaise humeur. Mais vous avez raison. Pour Lady Grey ; il n’y a point de difficulté. L’avance est naturelle et Lord Grey y sera compris. M. de Brünnow sort de chez moi. Deux grandes heures. Eh bien, je ne retire rien de ce que j’ai dit mais je dis autre chose. C’est un esprit grossier et subalterne, dénué de ce tact qui tient à l’’élévation, à la finesse et à la
promptitude des impressions, c’est un commis qui sert son maître, et qui le flatte encore plus qu’il ne le sert voulant d’abord se servir lui-même. Mais, malgré et sous tout cela, il a de l’intelligence de la capacité assez d’étendue et de rectitude dans le jugement, je crois même de la bonne
intention, et de l’honnêteté. Nous nous sommes dit beaucoup de choses ; et le bien que je vous dis là, m’a apparu dans la conversation. Il ne sait pas s’y prendre pour servir la bonne  politique, et il ne se cassera pas le cou pour elle. Mais en gros, il la comprend, et si je ne me
trompe, au fond, il la préfère. M. de Nesselrode a raison de l’employer. Du reste, il professe presque autant d’admiration pour M. de Nesselrode que pour l’Empereur. Je conviens de l’impolitesse qui vous choque. Je l’ai vue souvent. Mais soyez sure qu’elle est bien générale. Je la rencontre ici comme ailleurs. Et j’ai le droit de le dire, car je suis encore ici à cet état de bête curieuse qui fait qu’elle ne tombe pas sur moi. L’esprit de cotérie domine dans le monde. Chacun reste avec ses familiers, dans ses habitudes, pour ne pas se gêner, par égoïsme et aussi par stérilité d’esprit. Cela est assez sot et fort ennuyeux. Il faut rompre hautainement avec ces mauvaises manières là, leur faire sentir qu’on les aperçoit et leur imposer plus d’égards et une autre conversation. Personne n’est plus propice que vous à leur donner une telle leçon. Mais probablement cela
aussi, vous ennuierait.

Lundi une heure
Ce que vous me dites de M. Andral me contrarie beaucoup. Il se sera piqué que vous ne l’ayez pas reçu quand il est venu. Quel ennui que d’être loin et de ne pouvoir rien faire soi-même ! Je traiterais avec les susceptibilités. Mon petit médecin me dira quelque chose là dessus. Parlez-lui en quand vous le verrez. Et s’il n’y a pas moyen d’avoir
M. Andral, voyez M. Chomel. Il est tout aussi habile. N’y mettez pas de fantaisie, je vous prie, ni de négligence. Demandez-lui son jour, son heure, et soyez là quand il viendra. Décidément, Norwood. Répondez-moi là dessus.
Avez-vous écrit aux Sutherland ? Dès que vous aurez
quelque chose de bien arrêté, dites-le moi. Je suppose que vous savez que Paul est parti Vendredi pour Pétersbourg. M. de Brünnnow m’a dit que sa conduite envers vous, lui avait fait le plus grand tort là. Et ici, Lady Palmerston me
dit la même chose. Elle en pense bien mal.

2heures 1/2
J’ai été interrompu par Nouri Effoudi qui voulait causer avec moi, dit-il. Je m’y suis prêté de mon mieux, mais avec peu de succès. Quelle pitié ! Il faut que je sorte. J’ai une multitude de visites à faire. Adieu. Adieu. Ce discours fait un gros paquet. Adieu

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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361. Paris, dimanche le 8 de mai 1840

J’ai fait ma promenade hier avec Ellice, mon dîner seule. Le soir il y avait musique chez Mad. de Castellane ; j’y ai été. C’était charmant. Quand je dis musique c’est toujours les Belgioioso, ni plus, ni moins, mais il est impossible que ce soit mieux. On parlait beaucoup hier au soir d’une lettre circulaire de M. Jaubert aux membres conservateurs de la Chambre pour leur dire que le ministère voulait étouffer la proposition, Rémilly. Cela faisait faire mille commentaires. Là où je me trouvais ils n’’étaient point bienveillant. Appony est toujours d’une humeur de dogue. Mon ambassadeur est silencieux comme de coutume. Appony dit que l’irritation du roi de Naples contre Lord Palmerston est toujours bien vive, et qu’elle rendra l’effet de la médiation bien difficile et bien lent. Mad. la duchesse d’Orléans a la rougeole, mais bénine. On la dit en général cependant dans un triste état. Il y a bien des mois. qu’elle ne prend presque plus d’aliment. Elle dépérit. Le chancelier hier était bien important et Mad.de Boigne très jolie, vraiment jolie, c’est drôle !
10 h. Voici votre lettre. je suis bien aise de vous voir enfin dans de bons rapports avec Brünnow. Je suis sure que vous lui direz des choses utiles, mais je suis tout aussi sure qu’il ne rapportera que ce qui peut flatter. Vous êtes donc entré dans est Ashburnham house, dont le nom seul me cause une émotion de joie et de douleur que je ne saurais décrire. Je crois. que je mourrais en passant le seuil de cette porte. Je pense bien à mon voyage. Mais je suis très peu fixé encore sur la manière dont je serai Londres. Il est convenu que je logerai chez les Sutherland ; s’il y avait un changement il me semble qu’il doit venir de leur part, car je ne saurais leur montrer moins de désir d’être avec eux aujourd’hui qu’ils sont dans l’affliction, au contraire cependant il est très possible. que de leur côté ils préfèrent ne voir personne. Je ne sais vraiment comment arranger cela dans ma tête. J’attendrai un peu, je verrai au bout du compte, où trouver toujours deux chambres dans une auberge. Cela me sera désagréable, mais il n’y aurait pas de choix. Soyez sur que nous serons ensemble Le 15 de juin, mais probablement avant.
midi. Je rentre de ma première promenade. J’en fais trois quand je le peux, à dix heures. Après 4 heures et après mon dîner. Que j’aime vos lettres. Adieu Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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363. Paris, Lundi 4 mai 1840,
10 heures

Je viens de vous écrire par Ellice. Vous avez cette lettre là quelques heures après la présente. Les Appony m’ont fait une longue visite hier et puis le prince Paul, et puis Ellice que j’ai mené au bois de Boulogne pour causer. Malgré les assurances d’Appony que Naples restera tranquille on commence à craindre des soulèvements. Quelle énorme complication, si cela arrivait. On dit que vous venez de découvrir un complot trâmé à Bourges. pour empoisonner la petite reine d’Espagne et sa soeur. Quelle horreur ! Le prince Paul croit fermement que la proposition Rémilly sera discutée dans cette session même. L’autre jour chez Mad. de la Redorte où je faisais visite, M. de la Redorte disait non, et M. Piscatory soutenait oui. Vous le saurez mieux. J’ai dîné seule ; après le dîner pluis allée faire ma cour aux Tuileries pour la fête du Roi, mais tout le monde était à Versailles. J’ai été chez Lady Granville que j’ai revue pour la première fois depuis la mort de lady Burlington. Granville est couché, il a la goutte, Ensuite je suis allée courir après les rossignols chez Mad. Locke. Vraiment ces Belgioioso, c’est charmant, et je vais partout où je puis les entendre. Au fond la passion de la musique me revient.
A propos la petite de Contades est fort éprise de l’un de ces rossignols, le plus gros. Elle est une petite personne un peu étrange. à onze heures j’étais dans mon lit, mais la chaleur m’ote le sommeil depuis quelques jours.

2 heures
Vraiment je suis bien fatiguée. Je vous écris, j’éris à mon fils, j’ai eu une longue séance avec votre petit ami. J’ai répondu à Alexandre ceci. " M. de Brünnow ne m’empichèra pas de faire ce qui me plait. Je ne reconnais ce droit à personne." Ma lettre adressée à Ashbrurnham house. Je vois que ceci figurerait mieux dans une lettre que vous porte Ellice. Mais elle est déjà fermée. Je viens de recevoir 357. Cela me servira jusqu’après demain. Si vous saviez l’horreur que j’ai du mardi ! J’ai envie de remplir toute cette page d’adieux. Vous seriez bien content de moi si vous saviez tout ce qui se passe en moi. Adieu. Adieu. Je viens de vous envoyer la lettre de Metternich par votre bureau. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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362. Paris, lundi 4 mai 1840

Je vous envoie copie exacte d’une lettre de Lady Palmerston reçue hier. Je ne lui répondrai que vendredi. Assuré ment vous jugerez cette lettre comme je la juge. Lady Palmerston n’est pas assez fine ! Je ne me dérangerai. pas pour les sots, cela serait trop bête, et je prends acte de ce qu’elle serait très fâchée d’un retard. Mais voyez un peu toutes ces petites gens qui travaillent d’avance, et tout cela sans doute avec des protestations d’amitié et d’intéret pour moi. que j’aurais de choses éloquentes à vous dire sur tout ceci ; et des choses un peu orgueuilleuses. Il vaut bien la peine d’avoir de l’esprit si c’est pour se géner pour les sots. On marche dessus, on ne s’écarte pas pour eux. Tout ce que cela fera de plus, c’est de me faire rire, car leur inquiétude préparatoire est déjà fort drôle. Le reste de la lettre est pour me prier de mettre Thiers en garde contre Ellice ; dont elle me dit beaucoup de mal. En vérité tout cela sont de mauvais tripotages. Ellice est un très bon homme, quand nous en parlons Thiers et moi, c’est pour en dire tous les deux beaucoup de bien. Je garderai mon opinion de lui. C’est lui qui vous porte le présent n° et son annexe. Il sera à Londres, mercredi soir.
Tout le monde diplomatique même Granville a remarqué la hauteur et la froideur avec les quelles le Roi a traité Thiers à la cour le 1er de mai. Décidément le Château trâme contre lui, et ne prend pas la peine de cacher sa haine. Ellice pourra vous conter beaucoup de choses car il a vu Thiers tous les jours et Thiers lui dit tout. Sa situation me parait un vrai tour de force, combien cela pourra-t-il durer ainsi ?
Adieu. Je vous quitte pour vous reprendre sur une autre feuille. Adieu. Adieu.
Midi.
Voici que je reçois une lettre de mon fils Alexandre du 2 de Londres. "J’ai dîné chez Brünnow. Il était très curieux de savoir si votre projet de venir ici était sérieux. Il a fait une mine bien longue en recevant de moi. l’assurance que vous arriviez à Londres au commencement de juin. Il en avait déjà entretenu mon frère et lui en avait signalé tous les inconvénients. Il me parait très préoccupé." Eh bien que dites-vous de tout cela ? moi, voici ce que je dis je vais à Londres.
1 1/2
Génie sort de chez moi. Il m’a tout lu. J’approuve parfaitement. Il faut une énorme raison. Vous avez raison en tout. Je vous remercie beaucoup, beaucoup. Adieu. Adieu. J’ai souligné dans la copie les deux textes à traiter dans ma réponse.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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364. Paris, mardi 5 mai 1840
10 heures

Je vous prie de me répondre sur le sujet des copies que je vous ai envoyées par Ellice. Je trouve cela parfaitement maladoit dans la forme et pitoyable pour le fond. Encore. une fois, soyez bien sûr que cela ne me dérangera pas, je serais même tentée d’ajouter au contraire, et s’il n’y avait du ridicule, je partirais plutot demain que dans un mois. Mais je vous prie de me parler de cela, je voudrais quelques bonnes petites phrases pour y répondre. J’ai encore vu Ellice hier longuement. J’ai fait ma promenade, mon dîner seule. Le soir les deux Pahlen, Arnim, les Durazzo, les Valambrozo, quelques autres. Mais savez-vous que tout ce monde m’occupe, vous ne savez pas comme le soir m’ennuie depuis le 24 février ! Mon fils me revient à la fin de la semaine et restera avec moi à peu près. jusqu’à mon départ.
1 heure
J’ai fait ma promenade et j’ai vu Chermside. Je suis mieux depuis qu’il m’a reprise. J’ai lu ce matin des vers charmants de Victor Hugo dans le feuilleton du journal des Débats, lisez cela. Il y a une strophe qui m’a beaucoup frappée surtout. Le dernier vers est je crois ceci.
Tout commence ici bas; et tout finit ailleurs.

Je ne vous ai pas assez dit combien je suis contente de ce que m’a montré Génie hier. Je suis contente du présent et contente de l’avenir. Vous avez mille fois raison. Que de choses à nous dire.
J’ai été dire adieu à mad. Talleyrand hier, elle part demain. Elle va droit à Berlin. se plonger dans les royautés Je crois qu’elle y trouvera l’Empératrice aussi. Le Roi de Hanovre m’a mandé que le roi de Prusse est faible et ne veut pas. bouger de Postdam. Toute la Prusse est convaincue qu’il doit mourir cette année. Il me semble que l’affaire Naples va bien, j’en suis charmée. Le temps est convert aujourd’hui. Je voudrais de la pluie, je me sens les poumons desséchés de cette chaleur. Adieu, j’ai écrit une longue lettre à Matonchewitz ce matin. il faut encore expédier le Hanôvre.
On dit que Brougham ne retournera pas en Angleterre, et qu’il ne peut pas y retourner. Adieu. Adieu. As much as you like.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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359. Londres, Mardi 5 mai 1840
9 heures

Lady Palmerston m’a parlé hier de votre voyage. Elle vous attendait pour le 15 juin. C’est sans doute ce que vous lui avez dit. Mais elle a de l’incertitude sur les dispositions des Sutherland. Elle craint qu’ils ne veuillent être seuls assez longtemps. Ils sont désolés. Le Duc n’a encore vu personne. De plus on lui a dit (à Lady Palmerston) que Lord Burlington devait revenir avec eux à Stafford house et y rester quelque temps. Tout cela me préoccupe beaucoup. Que ferez vous ! Quand viendrez-vous ? Où serez vous? On me dit qu’il y a un très bon et très agréable hôtel, à Blackheath, plus près que le Park-hôtel de Norwood. J’y enverrai M. Herbet, après-demain. Mais cela ne serait bon que pour quinze jours ou trois semaines, en attendant que Stafford-House, vous fût ouvert. Quand vous recommencerez à voir Lady Granville, vous saurez quelque chose de plus. Je suis dans une grande perplexité. Mon désir de vous voir, de vous avoir ici, est extrême, bien plus profond, bien plus de tous les instants que je ne saurais le dire. Et ma crainte que, venue ici, vous n’y soyez pas bien, pas assez commodément, pas assez agréablement, est grande aussi. Mon affection pour vous est pleine de sollicitude, et de complaisance. Je voudrais rendre l’air constamment doux sur votre tête, la terre parfaitement unie sous vos pieds. Je me sens près de m’attendrir en pensant à vous, comme à ma petite fille malade.
Je suis seul, très seul, et au fond très triste d’être seul ; personne ne sait à quel point ce que je supporte me pèse. Mais je pense comme Orosmane, et je ne veux pas que, pour venir ici, ou quand vous serez ici : Il en coûte un souper qui ne soit pas pour moi.
En attendant pensez bien, regardez bien, je vous prie, à l’état des affaires. Il m’inquiète et chaque jour davantage. Les éléments de la situation ont été mis sous vos yeux. En
apparence et en elles-mêmes, toutes les questions sur le tapis sont misérables. Mais elles couvrent la dissolution, à laquelle si rien ne change la pente on peut être fatalement poussé. Or la dissolution au milieu de ce qui se passe, sous l’influence de la gauche prépondérante. C’est un mal et un
danger que personne ne saurait mesurer. Rappelez-vous sous quels auspices le cabinet s’est formé dans ses rapports avec moi : "Point de réforme, point de dissolution." Ce sont les paroles qu’ils m’ont écrites et dont j’ai pris acte. On m’écrit beaucoup, dans des sens fort contraires. Mais ce qu’on m’écrit m’importe assez peu, ce sont les faits qui me frappent. On ne me précipitera pas dans la réforme et la dissolution, je le sais très bien. Je ne veux pas qu’on my fasse glisser. Je ne veux pas me tromper sur le moment de reprendre le gouvernement de mon parti. Je ne veux pas non plus le laisser échapper. Mon honneur y est engagé comme le bien de mon pays. Encore une fois regardez bien à tout. Faites venir Génie. Causez à fond avec lui. Il est fort au courant et plein de sens. Pour les choses même pour moi, pour tout, ce qui vaut le mieux ce que je désire c’est que mon séjour ici se prolonge, se développe. J’y grandis pendant que mon avenir se prépare ailleurs. Je tiendrai donc ici jusqu’à la dernière extrémité. Mais il ne faut pas dépasser la dernière extremité. 

4 heures
Vous êtes aussi dans l’incertitude. Vous me promettez positivement le 15 juin, et probablement plutôt. J’attendrai désormais toutes les lettres avec un redoublement d’impatience. J’ai été hier chez Lord Grey, pour lui et pour Lady Grey. Je sais déjà qu’il en a été charmé. Il le désirait beaucoup. Il passe chez lui presque toutes les matinées à compter les gens qui viennent et ceux qui ne viennent pas. Je ne l’ai pourtant pas rencontré. Il est venu chez moi ce matin. J’étais sorti un moment pour mener M. Lenormant voir les tableaux de Sir Robert Peel. Je dîne Jeudi à Holland house, samedi chez Peel, le 16 chez Sir Gore Ouseley, le 17 chez lord Minto. Qu’est-ce que Sir George et Lady Philips qui m’invitent à dîner pour le 14 ?
J’ai bien envie de refuser. Hier soir un bon concert chez Mad. Montofiore, les Juifs. Ce soir, un bal chez la Comtesse de Falmouth. Lady Jersey me presse d’y aller. Lady Jersey
m’accaparerait volontiers. Elle est exigeante. Elle me fait la mine quand je ne vais pas chez elle assez souvent. Mais j’ai un grand courage contre les indifferents. 
Adieu. J’ai une dépêche à écrire. Si je ne me trompe le médiation marchera à travers ses embarras. Les affaires qui commencent ne peuvent pas être finies. Les hommes sont paresseux et pressés. Ils veulent être arrivés et ne pas prendre la peine de marcher. Adieu. Adieu. Promenez-vous beaucoup. Je crois que le temps va changer ici. Je suis à Londres depuis plus de deux mois. Je n’ai encore vu pleuvoir que deux fois tout le monde dit que c’est inouï. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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365. Paris, Mercredi le 6 mai 1840
10 heures

Dieu merci le mardi est passé. Je le déteste. J’ai eu hier une longue visite de Montrond. Toujours la même chanson, l’amour du Roi pour M. Thiers. Il ne lasse pas, quoique de mon côté je ne me lasse pas non plus de lui dire que je n’en crois pas un mot. J’ai été au bois de Boulogne, mais le froid m’a saisi je suis revenue. J’ai été faire ma cour à Madame. Elle m’a reçue. Le roi y est venu. Il a beaucoup parlé, avec beaucoup d’esprit comme de coutume. Il a parlé de toutes choses, mais il n’a pas promoncé un nom propre. Je lui ai fait compliment sur sa prodigieuse fécondité dans ses réponses le 1er de mai. J’ai pris la liberte d’applaudir à ce qu’il a dit, et à ce qu’il n’a pas dit. Il a paru très sensible à cette dernièrs observation.
"J’ai eu ma satisfaction sur messieurs les députés, je suis charmé que vous l’ayiez remarqué.’ En parlant de toutes choses le seul individu désigné, quoique pas nommé a éte M. Molé. " Ces messieurs après avoir mis tout en œuvre pour tuer la loi de dotation, afin de tuer mon ministère arrivent deux heures après me faire visite et se confondre en regrets de ce qui venait d’arriver." !!
Il s’est dit content pour le moment. Je n’ai vu percer aucune amertume marquée, je n’ai point remarqué en lui l’énorme changement que signalent les diplomates. Il était in spririts, parfois très drôle, content de l’affaire de Naples, très décidé pour la paix de tous côtés, parlant très bien sur l’affaire de l’Orient, relevant avec satisfaction le beau Débat à la Chambre des Pairs, du raisonnement sur la direction des esprits en France. Voilà à peu près comme la demi-heure a été remplie.
J’ai fait une courte visite à Lady Granville. Son mari est souffrant et couché. J’ai dîné seule. Le soir j’ai vu Appony, Brignoles, mon ambassadeur, Médem, Escham, Carreira, l’internonce, le duc de Noailles. Celui-ci raconte qu’il y a beaucoup d’intrigues ou du moins beaucoup de bavardages ; on fait de nouveaux ministères dont vous êtes, on clabaude. M. de Lamartine a des conciliabules chez lui. C’est le plus animé, et le moins compatible. M. Molé sent que lui, Molé, est hors de question mais il souffle pour qu’on renversa. Le parti conservateur est très raffermi. Le journal des Débats lui donne courage. Le journal des Débats ne serait pas si hostile au ministère, s’il n’avait de bonnes raisons de croire à sa chute prochaine. Voilà le rapport de M. de Noailles, qui finit toujours par "vive Thiers", car il a beaucoup de goût pour lui.
Appony venait de chez le roi. Il était de belle humeur. Le Roi va donner à dîner au corps diplomatique trois diners de suite. Mad. la duchesse d’Orléans tousse beaucoup ; elle est encore au lit. On prend beaucoup de précautions autour du roi qui n’a jamais eu la rougeole. Elle est très générale ici. J’attends votre lettre.

2 heures.
Je l’ai reçue pendant, ma toilette. Le dernier mot de votre speech à l’Académie est charmant. Je vous remercie de me l’avoir envoyé. Au fond vous avez raison d’avoir parlé avec un peu d’étendue surement on eut été désapointé du contraire. Le roi m’a fait des questions sur l’Angleterre, des questions générales sur la disposition des partis. J’ai écrit ce matin à Lady Palmerston, mais ma lettre ne partira que dans deux jours. Adieu. Adieu. Vous ne savez pas combien je pense à vous toujours. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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360. Londres, Mercredi 6 mai 1840
Midi

J’ai été dérangé depuis que je suis levé. Mon courrier de ce matin, m’a apporté je ne sais combien de petites affaires. J’ai beaucoup perdu en perdant Bourqueney. Il les faisait toutes, bien, promptement sans bruit. Il savait se décider seul.
La lettre de Matonchewitz me convient fort. On a raison quand on est de mon avis. Quel pays que celui dont tout homme d’esprit parle avec le sentiment qui éclate là ! Il est sûr que pour tout le monde, l’affaire d’Orient a été mal emmanchée. Je ne sais si je la finirai bien. Je borne ma présomption à croire que, si j’avais été ici, personne ne l’aurait commencée comme on l’a fait. Presque toutes les difficultés viennent aujourd’hui de l’embarras que chacun éprouve à changer de chemin.
Ma demi-heure au bal de Lady Falmouth, a été bien ennuyeuse. J’y suis arrivé après onze heures, le premier ! Tout le monde était encore à l’opéra où l’on s’était donné rendez-vous pour applaudir Tamburini. Lady Falmouth est devenue toute rouge et Lord Falmouth tout pâle en se voyant tête-à-tête avec moi, et obligé de m’amuser pendant je ne sais combien de minutes. Ils y ont très poliment fait de leur mieux. Enfin sont arrivés Lady Cowley, Lord Clare, Lord Haddington. C’était du bien pur Torysme. Je fais tant de nouvelles connaissances que j’oublie quelquefois les noms. Je cause très familiérement sans
savoir avec qui. J’étais dans mon lit à minuit et demi.
Lord Aberdeen a eu beaucoup de succès à la Chambre des Lords avec son bill sur l’Eglise d’Ecosse ; a very clever speech. J’en suis bien aise. Si nous vivions longtemps ensemble, vraiment de près nous finirions par de l’intimité. J’aime sa tristesse. Il se prépare à prendre le rôle du Duc de Wellington ; modérateur des Torys. Cela se voit. Il fait bien. Mais il n’empéchera pas une scission dans le parti. Là où elle est la déraison est bien profonde et bien hautaine. On entrevoit, contre Peel, une humeur immense, timide, mais courroucée de sa propre timidité. Le Duc seul contient.

3 heures et demie
Je viens s’apprendre qu’Alexandre a eu hier un accident, rien de grave, il est à merveille ; j’ai de ses nouvelles d’il y a deux heures. Il était en cabriolet; le cheval s’est emporté ; il est tombé. On l’a saigné ; il a parfaitement dormi cette
nuit ; il est fort bien aujourd’hui. Le chirurgien est pleinement rassurant. Dans deux ou trois jours, il n’y paraîtra plus. M. de Brünnow doit vous écrire aujourd’hui pour ne vous laisser aucune inquiétude.
Une horrible affaire s’est passée cetle nuit. Le vieux Lord Willian Russell a été assassiné dans sa maison, dans son lit, égorgé à la lettre, la tête presque tranchée. On a volé quelques bijoux, un peu d’argent. On suppose que ce sont des domestiques, des amants des house-maids. On ne sait encore rien de precis. Le débat sur le bill de Lord Stanley, qui devait avoir lieu ce soir est remis à causé de Lord John. La reine était charmante ce matin à son lever, parfaitement gracieuse et digne. Elle est un peu engraissée. Je lui ai présenté deux Français qui sont ravis de son air et de sa personne. Le lever n’était pas très nombreux. Le Prince de Casteleicala a la plus grossicre et la plus familière tournure provençale qui se puisse voir.
Je n’ai pas encore entendu parler d’Ellice. Je l’attends impatiemment. Que ne donnerais- je pas pour causer deux heures avec vous ! Eh bien en y pensant le plaisir de vous
voir surpasserait à tel point toute autre idée qu’il m’en distrairait absolument, & qu’il me faudrait plus de deux heures pour penser un peu à autre chose. Adieu. Je voudrais vous envoyer à propos de l’accident d’Alexandre, toute la sécurité qu’il y a lieu d’avoir. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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366. Paris, Jeudi le 7 de mai 1840
10h 1/2

Lady Pembroke a passé ici quelque jours. Je l’ai vue tous les jours, c’est une de mes plus veilles connaissances. Elle est répartie ce matin, pour Londres. Je vous dis cela parce que je crois avoir oublie de vous la nommer dans mes lettres et Je vous dois compte de toutes les minuties.
J’ai été chez Lady Granville et la petite princesse hier. Lord Granville est toujours couché, je ne l’ai pas vu. M. Thiers va le voir tous les jours. Bulwer, est venu assister à mon dîner, il est un peu mieux, mais il marche toujours sur des béquilles. Le soir mon ambassadeur, le duc de Poix, Caraffa, Hatzfeld, les ducs Kielmansegge. Le Roi de Hanôvre m’écrit, et me demande des lettres.
M. de Pahlen revenait de la cour. Il avait trouvé le roi tout seul, qui l’a retenu pendant plus d’une heure. Point de nouvelles.

Midi.
Voici votre lettre à l’heure où je vous écris, vous avez reçu ce que je vous ai envoyé par Ellice et vous avez l’explication de la sollicitude de Lady Palmerston, et de l’incertitude titude sur Stafford house. Rien ne me serait plus déplaisant (à part vous) que de ne point aller en Angleterre après ce qu’on vient de m’écrire. Faire la volonté, la fantaisie de ces petite diplomate ! Voyez-vous cette idée m’irrite, et me ferait partir demain, comme je crois vous l’avoir déjà dit. Ainsi qu’on trâme pour que les Sutherland ne me reçoivent pas, cela m’est parfaitement indifférent. j’irai à l’auberge à Londres, hors de Londres. C’est égal. Je ne vois qu’une seule raison qui puisse me faire renoncer à y aller, une suule c’est si vous me priez de ne pas venir, si vous y voyez de l’inconvénient pour vous. Répondez- moi à cela. Je m’indigne quand je pense qu’une pitoyable intrigue, de pitoyables gens puissent contrarier une seule des fantaisies de deux êtres comme vous et moi et ici ce n’et pas une fantaisie c’est du bonheur, un immense bonheur ! Répondez-vite, il me semble que je ne puis pas douter de votre réponse. Envoyez regarder à Blackheath, c’est assez bien comme distance. Il ne reste aucun doute dans mon esprit sur l’auteur de toute cette intrigue pour m’empêcher de venir, relisez bien les paroles, que m’écrit alexandre, et voyez les dates. Sa lettre et celle de Lady Palmerston sont du même jour, le 1 mai. Je me trompe celle d’Alexandre est du 2. Son entretien avec Brünnow dont il me rend compte a eu lieu le 29. C’est Brünnow que mon arrivée dérange. C’est Brünnow qui remue tout pour l’empêcher. Ne vous trouveriez vous pas bien sot de faire la volonté de Brünnow.
Je cherche à comprendre, je ne comprends pas pourquoi il ne veut pas. Ce que je comprends bien moins est comment Lady Palmerston se laisse entraîner. Mais enfin n’y songeons plus. Je suis très résolue et j’irai à moins que vous me disiez non. Je vous prie de ne pas me dire non. Adieu. Adieu.
Il pleut, tout le monde en est réjoui. S’il pleut aussi longtemps qu’il a fait beau. Il y aura de quoi se pendre. Adieu. Adieu. Je suis impatient de votre réponse, Adieu. Kielmansegge disait hier avec autorité : "Il y aura la dissolution" d’un ton sans appel. Adieu.
Je viens de recopier ma lettre à Lady Palmerston afin de pouvoir vous envoyer la minute. Je l’ai écrite telle que vous voyez les corrections. Elle partira demain, elle ne la recevra donc que dimanche ou lundi matin. Vous l’aurez Samedi. Dites-moi si c’est bien. J’ai vouliu dire aussi la vérité sur Ellice, car je trouve qu’on est bien dur pour lui. Granville ne pense pas très bien.
Adieu encore car c’est par ce mot qu’il faut toujours finir. Adieu. Je n’ai pas voulu attendre votre réponse qui ne peut venir que samedi car au fond ce que je dis là, je l’aurais dit dans tous les cas. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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361. Londres, Jeudi 7 mai 1840
11 heures

Alexandre va bien. J’y ai passé moi-même hier, à 7 heures et demie. On m’en a donné de bonnes nouvelles. Je viens d’y envoyer, et on me fait dire qu’il dort, qu’il a passé une bonne nuit, que tout est au mieux. J’espère que vous serez tranquille. Mais cela retardera certainement son retour vers vous. Quelle fièvre que la vie! Je répète toujours la même chose et il me semble que je l’apprends tous les jours. C’est en descendant l’escalier de S. James, après le lever de la Reine, que j’ai appris l’accident de votre fils, et je me suis senti, pour votre compte, comme je l’étais pour le mien propre, il y a trois semaines. Quand nous reposerons-nous ? Un des amis du grand Janséniste Antoine Arnauld l’engageait à ne pas tant travailler, à se reposer : « Non. Non, n’aurons-nous pas l’étermité pour nous reposer ? " Je l’espère bien. Ellice n’était pas arrivé hier soir. J’en suis très impatient. Mais j’entrevois, par une convenable, pote phrase du 363 ce dont il s’agit. Cela se rapporte à quelques insinuations que m’a faites, l’autre jour Lady Palmerston. Ils ont donc bien peur de vous voir ici. Cela me parait pitoyable. Faites comme vous dîtes.
Je vous quitte pour aller déjeuner chez un chanoine de Westminster Abbey, avec Lord Mahon, Lord Littleton et M. Macaulay. Ils prennent plaisir à me montrer les tombeaux de leurs grands hommes et à m’en parler.

3 heures
Ellice sort d’ici, arrivé tout à l’heure. J’avais deviné juste. Il paraît qu’un grand Empire et trois royaumes ont peur que nous n’ayons, à nous deux, plus d’esprit qu’il ne leur faut. Je ne peux pas imaginer une autre raison.
Vous deviez venir ici bien avant qu’il fût question que j’y vinsse. Vous aviez amorcé votre voyage pour les premiers jours de juin. Vous ne l’avez pas avancé parce que je suis venu ; au contraire, vous le retardez plutôt de quelques jours. Je suis ici depuis trois mois. Ma position est prise avec tout le monde. Elle est aujourd’hui avec M. de  Brünnow, ce qu’elle restera, parfaitement convenable, polie, régulière. Quelle différence y aura-t-il entre le mois de Juin et le mois de Juillet ? C’est puérile, si ce n’est pas fin. Et si c’est fin, ce n’est pas assez fin. Je dis donc comme vous, et j’espère que vous ferez comme vous dites. En vérité, les grandes entraves de la vie sont déja bien lourdes ; si on se charge encore des petites, il n’y a pas moyen.
Je viens de causer un moment avec Ellice ; bien court. Bülow est entré. Nous ous reprendrons. Certainement, il est très bon homme et très spirituel ; un peu affairé, un peu important, un peu remuant, comme les oisifs actifs. Mais on n’a qu’à ne pas se laisser faire par lui. J’admire toujours les gens qui ne veulent pas qu’on sente les mérites, et qu’on en profite, et qu’on en jouisse, parce qu’il y a quelques inconvénients dont il faut prendre la peine de se garder.

4 heures 1/4
Encore une interruption de M. Murray pour la cuisine de la Reine. On me porte une grande confiance, en ce genre. J’ai encore deux lettres à écrire. Adieu. Comme dans le 363 ; toute la page. Je suis charmé que vous approuviez ce que vous avez vu. J’y comptais. Mais j’ai bien peur que ma situation ne devienne pressante. Et je n’ai pas envie d’être pressé. Adieu. La page n’est pas pleine.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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362. Londres, Vendredi 6 mai 1840
18 heures

Alexandre continue à aller mieux, c’est-à-dire qu’il va bien. J’ai encore votre inquiétude, sur le cœur. J’aurais voulu le voir, pour vous dire que je l’avais vu. Je n’ai pas cru devoir insister. Les accidens m’entourent. Hier, un de mes attachés que j’ai amené, le jeune Banneville a fait une chute de cheval à Turnham-Green. On a cru d’abord que c’était grave. Il était sans connaissance. On l’a saigné deux fois. J’ai été averti en m’éveillant et je suis allé sur le champ le voir et le chercher dans la mauvaise auberge, où il était. Il est bien. Je l’ai ramené. Ce ne sera qu’un accident. Je vais écrire à sa mère. Ce sont des Normands de mon voisinage. Je ne sais pourquoi la poste arrive si tard aujourd’hui. Je n’ai encore rien. J’ai dîné hier à Holland house, avec Lord Melbourne, Lord Lansdowne et Lord Normanby. De là chez Lady Willonghby. On me presse de toutes parts de prendre des engagements de châteaux pour août et septembre. Je n’en prends aucun. Je veux garder ma liberté. Ellice a été content de votre santé, de votre apparence. Il dit que vous courez beaucoup et sans trop de fatigue. Il m’a même parlé de je ne sais quel projet de spectacle où vous deviez aller avec Lady Granville et lu,i voir je ne sais quelles premières années de Richelieu et Mlle Déjazet. Je n’ai pas cru cela. Je ne me  figure pas vous vous amusant du mauvais goût, même gai.
J’ai trouvé Ellice assez préoccupé de l’état des affaires à Paris et sans grande confiance, pour le Cabinet. Vous a-t-il tenu le même langage?

2 heures

Voilà le 365. Je suis convaincu que votre impression, sur le Roi est la vraie. Il échappe à la pénétration de vos diplomates. Il a des premiers mouvements très irréfléchis et des profondeurs, incommensurables qui les trompent  également.
Ma réponse à vos copies vous sera arrivée trop tard à cause du retard d’Ellice. J’ai relu. Je me répète. C’est bien puérile ou bien maladroit. Je devrais dire et, non pas ou.
Que j’ai à vous dire sur les choses et sur les personnes! Quand vous le dirai-je? Lord Burlington, ne reste pas à Stafford-House. Il est reparti pour la campagne. Je ne vous réparle plus de Blackheath, ni de Norwood. La seule concession qu’il faille faire aux sots, c’est de ne rien faire que bien publiquement à leur barbe ; n’est-ce pas ? Vous devriez bien être déjà ici et m’indiquer quelque chose à envoyer à mes enfants. M. Lenormant part après demain. Je sais pour Guillaume.
Je lui enverrai une toque écossaise, vrai highlander, le bigarrage et la plume. Mais pour mes filles, je cherche sans succès. On donne trop aux enfants; ils ont de tout avant d’en jouir. Pourtant les miens ne sont point blasés, je vous en réponds ; le plus petit et le plus beau présent leur font le même plaisir et un plaisir très vif.
Mon dîner whig sera bien complet. Tout le monde accepte, même Lord Melbourne qui dîne peu en ville, et ne dînait à peu près jamais à Hertford-House. Puisque vous ne m’avez rien dit du dîner du 1er mai, c’est que rien ne vous est revenu, ni sur le cuisinier, ni sur le service.
On me répète que M. de Metternich a un dépit énorme de notre médiation à Naples. Est-ce pour quelque chose dans l’humeur d’Appony ? Je suis fort aise que cette médiation réussisse. Ce sont mes premières armes.
Les Ministres me paraissent ici assez préoccupés du bill de Lord Stanley et de leur budget. Ils ne finiront leur session que fort tard. La mort de ce pauvre Lord William Russel, leur fait perdre huit jours. On dit que Lord John est frappé du malheur des siens. C’est un excellent homme. Il vit beaucoup avec ses enfants et les élève en partie lui-même.
Adieu. La chaleur a cessé, mais la pluie n’est pas venue. Adieu Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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367. Paris, le 8 mai 1840,
à Midi

Je suis dans les plus grandes angoisses. M. de Brünnow m’écrit un mot pour me dire que mon fils a eu un grand accident qu’il est hors de danger. qu’on m’écrira encore pour me donner des détails de sa convalescence. Mais je ne crois à rien qui me rassure. Je ne pense qu’au grand accident. Vous m’avez écrit, d’autres m’écriront j’espère. Je demande à Dieu s’il veut m’accabler encore ? Je me jette à genoux, je pleure. J’attends ; je veux partir ; je ne sais que faire. Vous m’aurez écrit, vous m’écrivez vous me direz tout. 1 heure. Votre lettre n’arrive pas. Pourquoi ?Je ne puis vous parler que de mon fils. Le seul qui me reste ? Prenez je vous en conjure le informations les plus minutieuses. vous me direz tout.

1 heure.
Votre lettre n’arrive pas. Pourquoi ?Je ne puis vous parler que de mon fils. Le seul qui me reste ? Prenez je vous en conjure les informations les plus minutieuses. M. Beakenson 9 Argyll Street. M. Gale 2 Berkeley Square. Ashburnham-house enfin. Sachez bien la vérité. Dites la moi. Si la convalescence n’est pas rapide, immédiate, je pars ; mais pour cela il faut que je connaisse au juste l’état où il se trouve. s’il se remettait rapidement je sais qu’il préfèrerait venir passer quelques semaines auprès de moi à Paris. Enfin vous me direz le vrai. Les autres me diraient peut être ce qui leur convient.
Voici votre lettre, Dieu merci elle me rassure un peu. Mais je ne reprends rien de ce que je viens de vous dire. Sachez tout le détail que je vous demande. Je vous en supplie. Ce qui vaudrait mieux encore c’est le chirurgien Brodie qui le soigne je crois. Je veux savoir exactement quand il sera en état de se remettre en mouvement. Si c’est long ; je vais de suite à Londres. Votre lettre me remet un peu les nerfs. Il me semble que je ne respirais pas depuis la lettre de Brünnow. Je crois ce que vous me dites, et je suis plus tranquille. Demain vous m’en parlerez encore et tous les jours n’est-ce pas ?
Ce pauvre lord William Russell ! Je l’ai beaucoup conu. Lady Granville dit qu’il n’y a aucune nécessité d’accepter le dîner de Sir G. Philips. C’est de petites gens, sans importance et rien que de l’ennui, vous en avez assez. J’ai été faire visite hier à Mad. de Boigne, j’y ai vu M. Molé. Mais on est bien boutoné dans le salon de Mad. de Boigne. Cependant, on chuchote. Beaucoup de gens croient à la dissolution et tous trouvent la situation critique et grave.
Adieu Monsieur, Je vous conjure de me dire sur mon fils tout ce que vous apprendrez. Adieu.

Auteur : Baudrand, Marie-Etienne-François-Henri (1774-1848)
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Vous êtes mieux placé, sous quelque rapport, que nous le sommes ici, pour juger l'état politique du moment. Les documents publics et les correspondances privées vous fournissent des données à peu près suffisantes pour bien asseoir votre jugement, et vous êtes à peu près en dehors de l'esprit de coterie, qui est souvent une cause d'erreur.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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368. Paris, le 9 mai 1840,
10 heures

Je suis dans la plus gande impatience de l’arrivée de la poste. Vous étiez comme cela il y a quelque semaines vous savez ce que c’est d’attendre quand on a le cœur inquiet J’ai eu deux lettres dans le courant de la journée, d’un comte Esterhazy, camarade de mon fils, et de Beakhauser. Toutes les deux confirment le mieux dans son état. Mais l’accident a été bien bien grave, et je ne pense qu’à cela. Cette lettre de Brünnow hier matin m’a tellement saisi que j’en suis vraiment malade mes jambes m’ont manqué hier tout le jour, et cette nuit a été bien mauvaise. Il ne me faut pas de secousse, je n’ai plus de quoi les supporter. Je n’ai vu personne hier que Mad. Appony, Brignole, le prince Labanoff, et Pogenpohl. Celui-ci est le correspondant de Beakhausen. A propos mon fils demeure à Berkeley square, 2. Je ne puis vous parler que de lui. Il ne me sort pas de la tête.
J’ai envoyé hier ma lettre à lady Palmerston mais changée. Voyez tout ce qui vient après la première citation et sautez à " Il ne vaudrait pas la peine d’avoir de l’esprit ? " jusqu’à : " Et je passerai." Ensuite voici : " Mon importance politique est finie, je jouis des bénéfices de ma nullité, tant pis pour ceux qui ne veulent pas les reconnaître elle est cependant bien légitime. De grands malheurs et de grandes injustices ont établi mon indépendance." Après cela : " Je vais en Angleterre" & & Et j’ai inséré là : " Je ne retarderai pas mon arrivée pour les petites inquiétudes des petits diplomates." Il n’y a rien là qui puisse blesser lady Palmerston quoique sa lettre m’ait blessée.
J’ai écrit à la duchesse de Sutherland une lettre qui la met à son aise tout en lui prouvant que pour ma part je me serais crue bonne à faire partie de sa famille, tout juste dans un moment d’affliction.

2 heure
Dieu merci votre lettre me rassure, quelle providence que votre affection. Personne n’a songé à me dire un mot, le lendemain du jour où l’on m’allarme. Il faut absolement que je sache si la convalescence de mon fils sera longue. Car décidement si elle traînait, j’irais en Angleterre de suite. Vous me direz cela. J’ai répondu hier à M. de Brünnow en lui envoyant un petit mot pour mon fils. 5 heures. Le duc de Noailles est venu m’interrompre. J’ai à peine le temps de fermer ceci. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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363. Londres, Samedi 9 mai 1840
midi
Votre question m’a fait sourire. Non, je ne vous prie pas de ne pas venir. Du reste, je vous ai répondu hier. Vous avez mille fois raison ; ce serait nous, vous et moi, qui serions des sots si nous écoutions les sots. Votre reponse à Lady Palmerston est excellente. Pourquoi en avez-vous donc coupé la fin ? Quel secret y avait-il là ? Je suis curieux.
Je vous attends comme je vous attendais. J’aime votre phrase : "Envoyez regarder à Blackheath." J’y enverrai après-demain, malgré ce que je vous disais hier. Alexandre va très bien. Je suppose qu’il ne tardera pas à partir. Bien des fois, depuis trois jours, j’ai pensé que ce serait vous peut- être qui partiriez pour venir le voir, et que lundi, mardi... Qui sait?
Si vous n’êtes pas partie, on ira vous montrer encore quelque chose. Votre jugement m’importe et votre approbation me charme. Du reste Kielmanseggo se trompe. J’ai lieu de croire que la proposition Rémilly tombera dans l’eau et avec elle toute chance de dissolution. J’en serai fort aise. Je ne fais nul cas de la politique pessimiste. Je suis prêt à accepter quand elles viendront, toutes les chances de ma destinée ; mais je n’en suis pas préssé.
J’ai reçu d’Henriette, sur l’abandon de leur voyage ici, une lettre d’une tendresse charmante, et aussi pieuse que tendre. Elle a le caractère fort tourné à la piété avec un petit esprit, fort indépendant, et même un peu entier, elle  aime à regarder en haut et à respecter. Elles partiront pour le Val Richer le 20 mai. On m’écrit que la Normandie est charmante ; un immmense verger en fleurs. Les champs sont couverts de pommiers.
Vous vous êtes donc décidée à vendre vos diamants. Vous ne me l’aviez pas dit. Que de choses on ne se dit pas en s’écrivant tous les jours !

3 heures
J’ai été interrompu par Alava et M. de Pollon. Je crois que je suis assez bien dans la petite diplomatie. Vous me le direz quand vous aurez passé quinze jours ici., Ma porte leur est toujours ouverte ; ma table souvent. Ils ont l’air de trouver que je fais honneur au corps.
Ils s’ennuyent beaucoup. Le départ de Mad. de Blome leur a été une de leurs ressources. Elle restait chez elle presque tous les soirs. On m’a amené hier un petit secrétaire de Suède, un baron de Manderstrome, qui a de l’esprit. Il a beaucoup vécu chez vous et vous connait bien. On dit qu’à la place de l’affaire de Naples qui s’arrange, Lord Palmerston va avoir une petite affaire avec le Portugal. Il s’agit d’une réclamation de quelques 350 000 livres Sterling
qu’on demande au Portugal et qu’il voudrait bien ne pas payer. Le Maréchal Bérerford y est compris pour 85 000 livres, et le duc de Wellington pour 17 000. Si le Portugal ne consent pas dans quinze jours, on parle de mesures coërcitives, comme l’occupation de quelque colonie, Goa ou d’une des Açores, ou l’une des Îles du Cap Vert. Ce sont les bruits de la petite diplomatie. Il ne faut pas. Le général Cordova est mourant à Lisbonne. Il était sur le point de partir pour se rendre en France.
Adieu. Je cherche si j’ai encore quelque chose à vous dire avant de me mettre à je ne sais combien de petites affaires qu’il faut que je règle aujourd’hui. J’ai beaucoup de petites affaires. Quel ennui d’être seul. Il est double ; le vide et le tracas. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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364. Londres, Dimanche 10 mai 1840
4 heures

Je m’attendais à toute votre inquiétude. Les nouvelles de chaque jour vous auront rassurée. Celles de ce matin sont très bonnes. Je vous ai dit exactement tout ce que j’ai su. Si j’avais trouvé qu’il y ait lieu de vous dire positivement : Venez, je vous l’aurais dit sans hésiter. Je saurai demain matin, quels sont les projets de votre fils, s’il compte toujours aller vous retrouver, quand. Vous le savez probablement déjà. Il est chez M. Gale, 2 Berkeley Square.
Les accidents de la semaine ne tournent pas mal. Mon petit Banneville est presque sur pied. Je viens de Blackheath. J’ai mieux aimé aller regarder moi-même. Vous ne pouvez pas être là. Il n’y a qu’un hôtel the Green-man, trop petit et pas convenable pour vous. Le Park-hotel de Norwood est infiniment mieux. Il m’a paru vraiment bien et très agréablement situé. Si les Sutherland vous reçoivent chez eux le 1er juin, vous viendrez si peu de jours auparavant que la distance de Norwvood importe assez peu. Et s’ils ne vous reçoivent pas, vous viendrez à Londres.
Je viens de conclure en trois jours une petite négociation qui fera grand bruit. J’ai redemandé les restes de Napoléon et on nous les rend. Ils seront déposés aux Invalides. Il y a plaisir à faire des Affaires avec Lord Palmerston quand il est de votre avis. Il les mène simplement et rondement. Ne parlez de ceci que quand on en parlera. Probablement on en parle déjà. Mais en tout cas, je désire que la publicité ne vienne pas de vous. On m’a promis de Paris une immense poputarité si je réussissais. Encore une fois, attendez qu’on en parle. Je ne sais pourquoi je vous répète cela.
J’ai dîné hier chez Sir Robert Peel, un dîner de Royal academy. Il y en avait un aussi chez Lord Lansdowne où j’aurais dû être aussi. Mais Peel avait eu la priorité. Je ne dînerai point chez les Philips. Je commence à supprimer quelques ennuis. Je me suis promené dans le parc de Greenwich. Je voulais retourner à Richmond. Mais  je n’ai pas eu le temps.

Lundi 3 heures
Voici les renseignements les plus exacts et les plus complets. Alexandre continue d’aller bien. Chez lui, on dit et il dit lui-même, ce matin, qu’il partira dans huit jours pour Paris. J’ai envoyé Herbet, chez Brodie. Il l’a vu et à causé avec lui. Brodie trouve Alexandre bien, si bien a-t-il dit, qu’il n’ira pas le voir aujourd’hui. Mais à cette question d’Herbet: " Croyez-vous que le Prince Alexandre puisse partir dans huit jours ? " Brodie a répondu positivement; " He cannot. - Et dans quinze jours? Brodie a dit que c’était probable ; mais qu’en homme sensé, il ne voulait pas en répondre. Vous savez à présent le véritable état des choses. Il n’y a absolument aucun danger ; mais il faut du temps. Je n’ajoute rien. Décidez.
Je viens d’un grand meeting que devait présider Lord John Russel et où il a été remplacé pas Sir George Grey. Il a fallu comme de raison, y prendre la parole to second a motion. Il me semble que m’a popularité ne faiblit pas. J’ai reçu pour ce mois-ci quinze ou vingt invitations, à des meetings semblables. J’ai choisi les deux les plus considérables. Je n’irai qu’à ceux là.
J’irai peut-être dans deux heures à la Chambre des Lords où le Chancelier doit proposer un bill sur lequel parlera Lord Lyndhurst. On dit qu’on attend Lord Brougham le 23.
Votre "il ne peut pas" serait donc faux. No news. Si ce n’est que Palmella s’oppose à la demande Anglaise à Lisbonne. Mais on dit que ce pourrait bien être pour renverser le Cabinet portugais, et prendre sa place. Adieu.
J’approuve les changement à la lettre. Que j’ai de choses à vous dire ! Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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369. Paris, dimanche le 10 mai 1840
10 heures

Je suis comme hier, comme tous les jours, passés et futurs, j’attends votre lettre. Je suis moins inquiète mais j’ai toujours de l’anxiété pour mon fils, et je ne compte que sur vous.
Je me suis promenée seule, je n’ai vu le matin que le duc de Noailles, il avait eu un long entretien avec M. de Montalivet. M. de Montalivet veut que la proposition Remilly soit discutée, parce que repoussée ou adoptée, elle nécessitera une dissolution Et que le Roi ne la laissera jamais faire à Thiers. C’est donc le moyen le plus sûr, et le seul de se défaire de lui. Le duc de Noailles, a représenté le danger, il a dit tout ce qu’il est raisonnable de dire et de penser, il a fait quelque effet mais il croit le projet très arrêté dans certaines têtes. M. Molé qui est venu hier soir, n’a par l’air aussi sur que la discussion s’engage. Il croit que le ministre, parviendra à faire trainer le rapport ou à ajourner la discussion. J’ai eu de plus que lui, Appony et M. de Pahlen, quelques femmes. Je suis triste, malade J’avais tout le jour hier une migraine à pleurer. Je ne me suis endormie qu’à 3 heures du matin. J’ai été très ébranlée par cette nouvelle avant-hier Le temps est au froid. J’en suis bien aise, cela me va mieux.

Midi
Je viens de faire une vilaine chute dans ma chambre, en m’appuyant conte le dossier d’une chaise. le dossier est parti. je suis tombée rudemen à la renverse. Je viens d’envoyer chercher un chirurgien. Votre lettre m’arrive, Dieu merci vous me rassurez tout-à-fait sur mon fils. Ne croyez jamais que j’aille voir Melle Dejazet. Je n’aime pas le mauvais goût, vous avez bien fait de ne pas croire. Jamais. Jamais. Ellice pensait mal du ministère ici. Adieu ma tête me fait mal, adieu, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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370 Paris Lundi 11 mai 1840,
10 heures

Je suis bien inquiète malgré ce que vous me dites, malgré les autres lettres que l’on m’écrit. Bulwer m’a envoyé une lettre de Cumming dans laquelle il dit que vendredi à 2 heures mon fils n’était pas hors de danger. C’est horrible à Bulwer de m’envoyer cela mais enfinr cela c’est la vérité, car c’était écrit dans la chambre d’Alexandre. J’en suis renversée. Votre lettre ce matin me parlera de lui, mais je la recevrai sans vraie sécurité. Tous mes amis veulent ma tranquillité. Ce sot est le seul qui dise vrai. Je veux partir, on me retient, on dit que je n’en ai par la force c’est vrai peut-être, et cependant cette inquiètude n’est pas souotenable. Il ne m’a pas encore écrit une ligne. Bruwer, lady Palmerston, lady Jersez m’ont écrit hier. Cela ne me fait plus rien. Vous ne savez pas comme je souffre, comme je suis sans force, sans courage, sans espoir. Je n’en puis plus. Midi Voici votre lettre. Vous me parlez si peu de mon fils et à peu près comme quelqu’un qui n’en sait rien de direct car tandis que lady Palmerston me mandait vendredi qu’on venait de le saigner encore, Vous me dites : " Je suppose qu’il ne tardira pas à partir. " Mais il ne faut pas supposer, il faut savoir. Pardon de ce reproche, mais même vous, vous ne savez pas ce que suis, ce qu’une mère éprouve d’angoisse, et vous savez cependant que personne n’a pour moi de véritable compassion, et de véritable soucis, je les attendais de vous. Vous aurez bien vu par mes lettres que je voulais parter de suite, mais raison nablement il fallait que j’attendisse quelque chose de précis sur son état, car votre première lettre me disait " dans deux ou trois jours il n’y paraîtra plus. " Ce n’est donc rien. D’autres lettres m’alarment plus on moins. Lui ne m’écrit pas une ligne, personne ne me dit l’opinion des médecins sur la durée de sa convalescence, enfin au milieu de beaucoup d’amis, je reste cependant ignorante de tout ce que je vous voudrais savoir. Pardonnez moi encore ce réproche, mais vous aurez dû me dire davantage et ne pas vous en rapporter seulement au dire de votre domestiques. Je suis bien triste et bien découragée de l’abandon dans lequel je reste ! Personne, personne qui me montre un intérêt vraiment tendre, vraiment intelligent.
Savez- vous que la vie m’est bien à charge, je ne sais plus qu’en faire. J’étais meilleurs à voler que lord William Russell, et on m’aurait fait moins de peine qu’à lui de me tuer. Si cela ne vous donne pas trop d’embarras ayez la bonté de parler ou d’écrire à sir Benjamin Brodie et de lui demander exactement combien peut durer encore la convalescence de mon fils. Et ayez la bonté aussi de m’envoyer sa réponse. J’attendrai donc jusqu’à vendredi, car ce jour là j’aurai votre réponse.
Vos filles sont venues me voir hier. Elles se portent à merveille. Toutts les deux sont engraissées. Pauline est bien jolie. Guilllaume n’avait pas voulu quitter son sabre et son tambour. vos filles m’ont trouvée couchée et bien triste.
Il n’y avait qu’un mot de plus à la lettre à lady Palmerston pour lui dire que Nicolas Pahlen irait à Londres aussi, la lettre n’’était pas finie. J’ai déchirée ce bout de lettres parce que j’étais pressée d’avoir une allumette et je n’avais rien sous la main. Ma chute d’hier n’a pas eu de suite, mais ma santé est fort altérée de l’inquiétude que j’éprouve pour Alexandre. Je n’ai pas un mot de nouvelle à vous dire, et je suis bien fatiguée, bien malheureuse. Adieu. Adieu.
Je viens de recevoir une lettre de Burkhausen. On ne lui permet encore ni de lire ni décrire, il est très faible dans son lit, la convalescence durera bien des semaines. Je fais mes préparatifs. Si j’ai la force. Vous voyez que c’est moi qui vous donne des nouvelles de mon fils. Pardonnez-moi, encore, pardonnez moi. Je ne veux pas être inquiète mais je suis très triste.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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371. Paris, Mardi 12 mai 1840

Je pars après demain ; ayez la bonté de m’écrire un mot à Boulogne et en autre mot lendeman à Douvres. Dites-moi seulement comment est mon fils, mais dites le moi, non sur le dire d’un domestique ; mais du médecin. Je n’ai pas un instant de repos. Je suis malade moi même, je ne sais avec qui je pars. Je suis très malheureuse. Adieu.

[Monsieur Guizot Ambassadeur de France Manchester square Angleterre à Londres]

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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365. Londres, mardi 12 mai 1840,
10 heures

M. de Brünnow m’a confirmé, hier soir à la cour, ce que je vous ai écrit. Lui aussi est convaincu qu’Alexandre ne peut pas partir avant quinze jours au plus tôt. Au moment de l’accident, il a écrit à Paul, et Paul s’est arrété à Hambourg, attendant de nouvelles nouvelles de son fière. Il les aura reçues deux jours après, et aura continué son voyage. Alexandre va de mieux en mieux. Le bal était joli, 6 ou 700 personnes, et beaucoup de belles. Toujours Lady Seymour et Lady Douro en tête. Lady Withelmine, Stanhope charmante, plus animée que les deux autres. Lady Canning fort jolie. Lady Lovelace très agréable, d’un agrément qui ne ressemble à aucun autre, et où son esprit est pour autant que son visage. Elle a quelque chose de très naturel et de très imprévu à la fois. On ne sait ce qu’elle va dire, et ce qu’elle dit n’a rien de bizarre ni d’affecté. Je lui ai donné des danseurs. J’en ai trois à ma disposition et je m’en sers. Ils sont fort apprèciés ici. On en manque. Il y a ici, dans les relations entre hommes et femmes, dans ce qui paraît du
moins de la part des hommes, un peu d’insolence, de la part des femmes un peu d’empressement. Cela ne me plaît pas. La Reine a dansé trois contredanses avec  le Prince George de Cambridge, le duc de Bucclengh. J’oublie le troisième. Quelques personnes s’en désolaient ; elle n’est donc pas grosse. Elle a dansé en femme grosse rarement et doucement. Elle qui prend d’ordinaire un espace immense, elle contenait ses pas sous sa robe. Elle est très gracieuse pour moi. Et son mari aussi. Et la Duchesse de Cambridge extrêmement. Elle s’est plainte à moi de ne pas me voir assez souvent. On a dansé ce qu’ils appellent la danse écossaise ; une vraie danse, comme des gens qui s’amusent et qui ont envie de s’amuser davantage.
Le Duc de Bucclengh et Lord Ossuloton l’ont dansé à merveille. Et aussi la petite belle fille d’Ellice, qui ressemble parfaitement à une bruyère.
Beau souper médiocre. Louis vaut mieux que Francatelli. J’ai fait mon devoir en conscience. Je ne suis sorti qu’après la Reine, à 2 heures et demie. Bülow et les autres en prennent plus à l’aise. J’ai attendu ma voiture un temps énorme. Ce service-là n’est pas bien ordonné. Je n’étais dans mon lit qu’à 3 heures et demie Je fais mon devoir aussi, ce me semble. Je vous conte toutes les frivolités de Londres, qui sont les miennes. C’est long pour un spectateur. Sir Robert Peel était là, sa femme, sa fille ; venus de bonne heure, restés tard. Quelques uns des plus vifs et sévères conservateurs. Sir Robert Inglis. Mrs. Stanley m’a dit que son mari avait passé une matinée à examiner la liste des invitations.
Point de nouvelles d’ailleurs.

Une heure
Comment vous laissez-vous tomber ? Si vous pensiez à moi toujours, comme vous le dites, vous ne feriez pas cela. J’attendrai la lettre de demain avec un redoublement d’impatience. Je déteste les incidents. Ile sont toujours mauvais.
Je vois ce soir chez le Duc d’Argyle. Un nouveau duc d’Argyle,Tory ; le premier de son nom depuis longtemps. Il connait et voit peu de monde. Voilà une invitation à dîner chez Sir Robert Inglis pour le 10 juin. C’est s’y prendre à l’avance.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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372. Paris le 13 mai 1840

J’ai revu l’écriture de mon fils, j’en ai remercié Dieu du fond de mon âme. Je respire ; je me mets maintenant à sa disposition, je lui ai écrit aujourd’hui. Dans mon inquiétude je faisais ma volonté, et demain je partais. Dans sa convalescence je veux faire sa volonté à lui, afin de ne point contrarier le projet qu’il aurait de venir passer quelques temps encore à Paris. Il me dira donc, si sa convalescence devait durer, il veut se rendre de suite après à Baden, alors je me rends de suite à Londres. Si au contraire il veut et peut venir à Paris passer quelques semaines, Je l’attends. Vous saurez donc mon mouvement par d’autres que, par moi. Car cela va se décider entre Brodie et mon fils. Benkhausen sera instruit de cela aussi ; je lui avais écrit hier comme à vous que je partais demain. Je vous avoue que ce répit me soulage. Mon angoisse, mes tracasseries m’avaient donné la fièvre, je déraisonnais, tant j’étais agitée, il me semble que deux jours de vrai repos seulement me feront grand bien. Je vous conjure de m’écrire tous les jours, de ne pas vous fâcher des reproches que je vous ai faits. Songez un peu à tout ce qui traverse la tête quand on a le cœur vraiment inquiet. Voyez les contradictions entre vos lettres et celles des autres. Vous ne voyant pas mon fils, les autres le voyant. Enfin pardonnez-moi, et écrivez-moi je vous en supplie, sachez me dire tous les jours un mot de lui, mais un mot vrai. N’est-ce pas vous le ferez ? Si je partais demain, je vous verrais dans peu de jours ! Cette pensée un fait tressaillir. Mais enfin ce que je décide, ou plutôt ce que j’abandonne à la décision de mon fils me paraît raisonnable. N’est-ce pas ?
Le coup de théâtre a été frappant hier à la Chambre, mais j’ai cherché votre nom dans le discours de M. de Rémusat sans le rencontrer cela m’étonne ! Le fait a beaucoup d’éclat, en a-t-on bien pesé la portée ? Défendez-vous à la famille Bonaparte d’assister aux obsèques ? Ce serait une inique injustice. En le permettant, cela n’est pas sans danger. Cette cérémonie touchant peut-être dans le moment de nouvelles élections (car vous les aurez) n’est-elle pas un coup monté par la Gauche ? Enfin, enfin, tout est étrange.
Je viens de voir Génie. ce que j’ai lu est parfait mais ce qu’il m’a dit de la séance d’hier de la commission est bien mauvais. L’été ne se passera pas sans quelque événement qui doit influer sur votre destinée. C’est là ce qui me préoccupe beaucoup. Je n’ai vu personne ces deux derniers jours quoique tout le monde. soit annoncé. Je n’ai reçu que lady Granville tous les jours à 6 heures, et mon ambassadeur le soir à 10. Personne ne m’a vue du reste. J’étais dans un état abominable. Le petit mot de mon fils m’a fait un bien immense. Il me semble que je sois d’une grande maladie. J’étais en démence. A propos M. Molé était donc mieux enformé que vous quand il me disait il y a cinq semaines qu’on redemandait les restes de Napoléon ! Vous le niiez alors.
Adieu. Je suis pressée, parce que devant partir demain je me suis mis sur le corps une quantité d’embarras dont je ne puis pas sortir tout de suite. Adieu. Adieu. Adieu. Encore Adieu. N’essayez par de voir mon fils cela le troublerait mais faites encore parler Brodie, c’est infiniment plus sûr. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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366. Londres, Mercredi 13 mai 1840,
10 heures et demie

Je devrais vous dire que votre lettre me blesse car c’est vrai. Je n’en ai pas le courage. Vous aurez vu ce matin même que je n’avais pas attendu votre demande pour vous envoyer l’opinion exacte de Brodie. Passé le premier moment et après vous avoir très véridiquement informée et rassurée, j’ai eu deux raisons pour ne par vous donner chaque jour de plus long détails. Quoique j’aie passé moi-même à la porte d’Alexandre, quoique j’ai envoyé deux fois, par jour, savoir de ses nouvelles en ordonnant à mon valet de chambre de parler au sien, j’ai mis dans mes informations quelque réserve ; je ne suis pas allé moi-même voir votre fils, par égard pour les commérages qui s’adressent à vous dans ce moment et vous préoccupent ou vous impatientent plus que moi. Je n’ai pas voulu non plus agiter votre imagination en vous donnant des détails qui grossissent de poste en poste et arrivent faux bien que partis vrais. Je vous ai dit la vérité. Je vous l’ai dite tous les matins. Je me suis enquis avec autant de sollicitude pour mon propre enfant. Je vous ai écrit comme je demande qu’on m’écrive. Il me semble que cela n’était pas difficile à voir dans mes lettres. Et en l’y voyant, vous ne m’auriez pas écrit un jour : quelle providence que votre affection ! Et le lendemain: si cela ne vous donne pas trop d’embarras, ayez la bonté d’écrire ou de parler à Sir Benjamin Brodie. Au moment même où vous m’écriviez cela, Lundi à midi je menais moi-même, dans ma voiture, M. Herbot à la porte de Brodie, et j’attendais sa réponse.
Je ne puis pas ne pas croire qu’en y pensant un peu plus, en ne vous livrant pas tout entière à votre première impression, vous vous épargneriez, dans les plus mauvais moments, beaucoup de tristesse pour vous beaucoup d’injustice envers moi.
Je vous répète ce que je vous ai dit, dans l’opinion bien arrêtée de Brodie ; Alexandre ne peut songer à partir avant quinze jours au plutôt. Et vous savez que les médecins prennent toujours plus de temps qu’ils n’en ont demandé d’abord. Je suppose donc que vous vous mettrez en route. Samedi peut-être. J’espère qui vous le pourrez sans trop de fatigue.
Le temps est beau. Arrivez ; vous vous trouverez très pardonnée. Je vous pardonnerais quand même. Un pardon sincère, quoique triste. Encore une chose qui me vient à l’esprit. Cumming, Brünnow. Lady Palmerston, Lady Jersey Benkhausen, tout ce monde là écrit beaucoup plus légèrement que moi, se souciant beaucoup moins de l’impression que feront sur vous leurs paroles. Moi, je pense à ce que je vous dis ; d’abord pour vous dire la vérité ; ensuite pour ne pas vous donner une impression qui aille au-delà de la vérité.

Je relis votre lettre. J’aurais mieux fait de ne pas la relire. Personne, personne qui me montre un intérêt vraiment tendre, vraiment. Ma Providence a été bien vite détrônée.

3 heures

J’ai été hier soir au bal chez le duc d’Argyll. Un bal trop grand pour une si petite maison. Une magnificence d’emprunt, qui n’était pas celle de la veille et ne sera pas celle du lendemain.
Le Duc un tout petit homme maigre, et de plus petite mine. La Duchesse, une petite grosse femme ronde, rouge, empressée. Rien de bien qu’un boy de quinze ou seize ans, le marquis de Sorn, joli quoique roux, l’air sérieux et content, poli avec un peu trop de confiance. Il m’a dit avec une fierté enfantine qu’il m’avait rencontré à la Chambre des communes, ce qui était vrai. A sa vue, à ses paroles, le souvenir de mon orgueil et de mes joies paternelles m’a traversé le cœur. Que de plaies cachées au milieu d’un bal !
Adieu. Je vous écrirai demain à tout hasard ; et vendredi matin, je saurai décidément ce que vous faites. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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373. Paris, le 17 mai 1840,
10 heures

J’ai vu Appony hier matin. Plus tard lord Granville. Le soir mon Ambassadeur et le duc de Noailles. Je tiens ma portie fermée encore à tous les autres ; je suis faible et souffrante. On ne parle que des cendres de Napoléon ! Les ambassadeurs n’admettent pas qu’il soit possible de permettre à sa famille d’assister aux obsèques. L’Europe réunit lui a interdit l’entrée du sol français. D’ailleurs il faudrait un décret de le chambre pour le permettre. Je trouve également difficile de l’accorder et de défendre. Ce qui est bien sûr c’est que Vous vous êtes créé là de très grands embarras pour l’avenir. Les étrangers ajoutent : " les dangers sont pour la France, qu’elle s’en tire. Granville parle comme cela aussi. Il me parait fort content de la manière dont lord Palmerston a accueilli tout ceci. En effet, il y a une une très bonne grâce. On pense généralement que la réhabilitation du Maréchal Ney sera une conséquence inévitable. Appony se prononce avec force contre cela. Le duc de Noailles dit que ce serait grave, en ce que cela casserait l’arrêt de l’un des grands corps de l’état. Je vous envoie le partage. L’affaire Rémilly est noyée pour le moment. J’ai enfin assez bien dormi cette nuit; la lettre de mon fils m’avait calmée, mais après une gande excitation le calme amène la fatigue, ce s’est qu’alors qu’on sent tout le mal qu’on s’est fait ! Il y a des gens qui disent que ces trois jours m’ont fait maigrir beaucoup, et je le crois. Vous recevez aujourd’hui la lettre dans laquelle je m’annonce et demain celle qui la détruit. Je pense à votre plaisir, et puis à votre désappointement. Je pense à tout, à tout ce qui vous passe par le cœur. Mais vous trouverez que j’ai raison, que mon inquiétude devait me faire aller ; que les nouvelles d’hier doivent me faire soumettre mes mouvements à la volonté de mon fils. Je ne veux contrarier en rien ses projets. Je sais qu’il déteste le séjour de Londres, et dès qu’il me dira ce qu’il faut faire, je me déciderai. Je reste prête à partir sur l’heure. Midi. Voici votre lettre. Elle confirme tout ce que vous me disiez hier sur mon fils, demain j’aurai de ses nouvelles plus directes et peut- être même sa décision sur mes mouvenents, car dès lundi je lui avais écrit sur ce sujet. Samedi je n’aurai rien de vous car vous m’aurez écrit à Boulogne. Je suis fatiguée, abimée, encore. un peu inquiète et l’incertitude sur ce que je vais faire dans peu de jours me tournente aussi. Voilà comme on passe sa vie ! C’est à peine vivre. Adieu, adieu. Je vois que Londres vous plait, cque vous vous y amusez. Au fond je ne vous croyais pas si susceptible d’être amusé. Mais c’est une disposition heureuse. Ah mon Dieu que je me tirais vite moi de ces bals de cour, et quand je ne pouvais pas m’en tirer, que je supportais impatiemment cette gêne ! Quelle mine désagréable je faisais au roi. Il y a bien des points sur lesquels nous ne nous ressemblons pas, mais vous avez raison. Et moi, j’ai tort. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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367. Londres, Jeudi 14 mai 1840,

Votre fils va bien. Je ne vous dis rien de plus parce qu’il n’y a rien de plus à dire. Je vous ai toujours dit la vérité, et je n’ai rien négligé pour la savoir. Au moment où vous m’écriviez Lundi cette lettre dont je suis blessé, j’étais dans ma voiture à
la porte de Brodie, attendant M. Herbet que j’avais envoyé causer avec lui, et qui m’a rapporté les détails que vous avez reçus hier. Adieu. Je vous écris aujourd’hui à Douvres aussi bien qu’à Boulogne. Si vous êtes partie aujourd’hui comme vous me le dites, je doute que ma lettre arrive à temps à Boulogne. Vous l’aurez à Douvres. J’écris poste restante. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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368. Londres, Jeudi 14 mai 1840

Votre fils va bien. La convalescence suit son cours régulier. Je ne vous dis rien de plus parce qu’il n’y a rien de plus à dire. Je vous ai toujours dit la vérité et je n’ai rien negligé pour la savoir au moment où vous m’écriviez Lundi cette lettre dont je suis blessé, j’étais dans ma voiture à la porte de Brodie, attendant, M. Herbet que j’avais envoyé causer avec lui, et qui m’a rapporté les détails que vous avez reçus hier. Adieu. Ceci est la répétition d’une lettre que je vous adresse en même temps à Boulogne. Si vous êtes partie aujourd’hui, je doute que ma lettre de Boulogue vous arrive. Vous trouverez celle-ci à Douvres. J’écris poste restante. Adieu

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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375. Paris, vendredi 15 mai 1840

Je viens de vous écrire une longue lettre, mais elle ne partira que demain. Je veux vous dire en attendant de mes nouvelles. Je reçois dans ce moment une lettre de Benckhausen remplie de détails sur mon fils. Il m’annonce qu’il compte être à Paris entre le 20 et le 25, c’est-à-dire dans dix jours. Je suis donc décidée à l’attendre. On disait hier de mauvaises nouvelles d’Afrique, et la séance a été animée, en général on semble animé sur toute chose. L’affaire Napoléon exalte beaucoup. Au total on approuve, c’est la première impression mais à la réflexion on trouve bien des conséquences graves. Je me remets, je dors ; j’avais passé une semaine sans sommeil et je n’aurai le cœur tranquille que quand je reverrai mon fils. Il me faut autre chose aussi pour qu’il le soit tout à fait.
Adieu Monsieur, j’ai rouvert ma porte hier, j’ai vu le soir M. Molé. J’avais vu le matin le duc de Poix qui avait demandé mon heure pour m’entretenir de son fils et voici ce qu’il me prie beaucoup de vous soumettre. Faites-moi la grace de me répondre. M. Louis de Noailles attaché payé à Naples, désire vivement passer dans cette qualité à Londres. S’il n’y avait pas à Londres une place de secrétaire, le duc de Poix en a parlé à Thiers, qui a promis de s’en occuper, mais il est occupé de trop de choses pour qu’on puisse compter qu’il y songe. La question à vous adresser est celle-ci: Agréeriez -vous M. Louis de Noailles ? Ses parents en seraient bien heureux. Il a déjà été à Londres avec M. de Talleyrand, il y est connu avantageusement, il était fort répandu dans la société. C’est un excellent jeune homme. Pouvez-vous faire cela pour lui ? On dit qu’il aurait un rival auprès de vous, M. de Vandeuil. Est-ce vrai ? Je serais bien charmée si mon entremise pouvait être utile au duc de Poix, et je me permets. de vous dire que vous me feriez à moi un bien grand plaisir aussi. Dans tous les cas ayez la bonté de me répondre. Il me semble qu’un beau nom (et ils sont un peu rare) mériterait d’être encouragé.
Adieu, encore, Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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374. Paris, Vendredi 15 mai 1840

Vous me l’avez dit une fois, mon chagrin tourne toujours en injustice. C’est possible, mais voyez la différence entre nous. Je suis pressée d’être injuste et vous, vous êtes injuste à la réflexion. Vous me grondez beaucoup, vous avez vraiment tort. Voici sur quoi ma vivacité à éclater. Votre lettre vendredi : Alexandre va très bien. Je suppose qu’il ne tardera pas à partir.
Cuming Vendredi : Poor Alexandre is still very very ill. The Surgean won’t prononce him out of danger.
J’ai copié exactement. Mettez-vous à ma place. Et puis le lendemain Beackhausen confirme la lettre de Cumming en ce sens, que ce n’est que Samedi qu’en effet le chirurgien a déclaré que le danger était passé, mais qu’il fallait beaucoup de soin. Vous m’entretenez dans une pleine sincérité, et quand la vérité est venue, elle m’a terrassée. J’étais dans un état près de la folie. je m’étais pleinement fiée à vous et assurément en vous adressant plutôt à Brodie ne sachant en dire dès le commencement "ce sera long", au lieu de me dire dès Mercredi le 6, " dans deux ou trois jours il n’y paraîtra plus". Il en serait résulté deux choses ; c’est que je serais partie sur le champs et que je n’aurais pas eu ce terrible contre coup qui m’a abîmée. Et puis et surtout, je ne vous aurais pas écrit une lettre qui vous fait de la peine, vous aviez bien vu (car vous me citez ma phrase) à quel point ce n’était que vous que je voulais croire. En y regardant bien vous ne me gronderiez pas autant, je ne mérite pas cela, mais beaucoup de pitié. Vous voyez bien que j’ai senti que j’étais vive, que j’étais peut-être inquiète, je vous en ai demandé pardon, je vous le demande encore. N’ajoutez pas à tout ce que je ressens de peine de tous les genres.
En voulez-vous de l’injustice encore ? Voulez- vous de la franchise. Eh bien, j’avais bien envie hier de vous écrire une page remplie de M. Antonin de Noailles, de M. de Flamarens, je cherche encore. qui sont les beaux jeunes gens de Paris ! Pour faire pendant à une page remplie d’observation sur les charmes de 6 ou 7 belles femmes du bal de la Reine. Je fais des découvertes sur vous depuis que vous êtes à Londres. Allez-vous vous fâcher ? Me punissez-vous d’être franche ? Faut-il que je déchire cette feuille ? Je suis très combattue. Vous avez exigé que je vous dise tout. Vous voulez avant tout lire tout-à-fait dans mon cœur, et cependant, vous me ferez peut-être me repentir de ma franchise. Savez-vous ce que je crois ? C’est qu’on m’en doit avec cette rigueur que de près ; de près, lorsqu’on peut si vite effacer, expliquer. Ah de près, je sais bien que vous ne vous fâcheriez pas ! Vous feriez le contraire ! Vous verriez ce qu’il y a de profond, de tendre derrière mes paroles. J’ai beaucoup, beaucoup à dire encore, je dis trop, je dis trop peu, J’ai le cœur gros. Je lis les journaux. J’ai cherché pour voir s’il n’y avait vraiment au bal que des jeunes femmes. J’ai trouvé lord Grey, le duc de Wellington. Est-ce que vous ne causez pas avec ces personnes-là pendant 6 heures de suite que vous restez à un bal ? Vous ne me les nommez pas. Certainement et vous le dites-vous même, vos lettres sont frivoles. Vous êtes dans le tourbillon de Londres, vous le suivez en conscience, j’avoue que je n’en trouve par la raison, car je sais fort bien que c’est inutile quand on n’en a pas le goût. Je connais la mesure du temps de résidence à toute ces gaietés là. Je le sais, mais vraiment je ne vous connaissais pas. Vous êtes jeune. Je vous le disais hier sous une autre forme, vous avez sans doute raison, en tout cas vous en êtes plus heureux. Moi, je n’ai rien de jeune ou de gai à vous dire, je vous raconte du grave.
J’ai vu hier matin M. de Bourqueney, il m’a assez intéressé ; il sait plus que n’en savent la plus part des personnes qui me parlent. Après lui Montrond et le duc de Poix. Montrond étonné de ce qu’ils vont se dire le roi et lui, en se souvenant de tout ce qu’ils se disaient sur Napoléon quand ils étaient ensemble en Sicile.
Je retourne à Bourqueney qui me dit : " On est bien content de M. Guizot ici et des succès qu’a eu sa négociation pour les reste de Napoléon, vous devriez Madame lui dire cela en lui écrivant.
- Moi Monsieur ? Mais je l’ignore ; je n’ai pas entendu nommer M. Guizot dans tout cela.
- Comment Madame ? Mais M. Thiers le disait encore hier au roi.
- A l’oreille peut-être, Monsieur." Voilà exactement notre dialogue.
M. Molé est venu hier au soir tout rempli du sujet. Il est ému de la chose, mais il trouve que c’est trop tôt, qu’on remue trop les esprits, que cela est fait avec légèreté sans en avoir examiné les conséquences. La famille, la légion d’honneur, le tapage dans les rues. Il a tout passé en revue. Il dit que s’il avait cru le temps. venu de redemander les cendres de Napoléon; c’est lui Molé qui l’aurait fait, mais qu’alors il aurait autrement qualifié cet acte que ne l’a fait M. de Rémusat, que le discours de M. de Rémusat c’est la révolution, elle toute seule qu’on honore, que lui aurait montré Bonaparte comme la restauration de la religion, de l’ordre, des lois, de l’autorité, et fait tourner tout cela au profit de la monarchie tandis que M. de Rémusat n’a remué que les passions révolutionnaires et il dit que magnanime et légitime voilà les deux grands mots du discours. L’un et l’autre parfaitement, absurdement, appliqués. Ceci est assez vrai. Il critique les Invalides, il veut St Denis, le caveau que Napoléon lui même avait fait arranger pour sa race. Les Invalides, c’est encore l’enfant de la Révolution, et non le monarque. Il ajoute : " Je suis sûr que M. Guizot a trouvé que c’était trop tôt, ou bien qu’il aurait tiré de cet événement le parti que j’ai indiqué, et non les phrases qu’a débitées M. de Rémusat." Il m’a dit hier que c’était Villemain qui lui avait annoncé cela il y a 6 semaines lorsque je vous l’ai redit.

Samedi le 16, à 11heures. J’ai reçu ce matin une lettre de mon fils. Ce pauvre garçon est demeuré sourd d’une oreille, et a perdu l’usage du bras gauche. Il me mande qu’il part de Londres après demain, qu’il restera auprès de moi juqu’à mon départ. et qu’il ira ensuite à Bade. J’ai écrit avant-hier à Boulogne, pour qu’on m’envoie votre lettre. La journée sera triste je ne recevrai rien !
J’ai été voir votre mère hier. Elle est parfaitement bien, et elle a été fort compatissante pour moi. Vos filles faisaient de la musique. Guillaume jouait avec son fusil. C’est le seul que j’ai vu ; il a fort bonne mine. J’ai été voir la petite princesse. J’ai fait dîner Pogenpohl avec moi. Nous avions à règler des comptes, et il s’était occupé de tous mes préparatifs de départ. Le soir, j’ai vu les trois Ambassadeurs, et Médem, Tcham, Armin, & & M. de. Pahlen venait de chez le roi.
Le départ du M. le Prince de Joinville. est retardé à cause de sa rougeole. Il me parait que tout le monde est triste, et qu’on trouve que Thiers est trop ivre. Je ne sais guère ce qui se passe. Appony est d’une mauvaise humeur contenue J’ai fait visite hier à Mad. de. la Redorte. Elle est glorieuse. Elle affirme qu’on ne permettra pas à la famille Bonaparte de venir. C’est bien là la résolution mais assurément ce sera la première fois dans le monde que, les seuls exclus de funérailles soient les parents du défunt. On demande l’effigie de Napoléon sur la légion d’honneur, institué par le souverain légitime de la France. Ah, le discours de M. de Rémusat ! En le relisant Il est bien étrange. Au premier coup d’oeil cela a bon air, c’est ronflant, mais à l’analyse ! Je suis curieuse de votre opinion mais elle m’arrive à travers de l’eau salée !
J’ai dormi encore cette nuit, je m’en vante comme du fait le plus intéressant des 24 heures.
Adieu. Voulez- vous que je déchire cette lettre ! Voulez-vous, voudrez vous toujours que je vous dise tout avec ma funeste franchise, comme l’appelle lady Granville ? Je prends un juste milieu je déchire et j’envoie. Adieu, adieu, si vous saviez combien je pense à vous, comment j’y peuse ! Ah ! vous seriez content si cela vous fait encore plaisir. Comme autre fois, adieu,adieu, adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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369. Londres, Vendredi 15 mai 1840

Une heure
Votre fils va bien. Brodie devait l’autoriser à sortir en voiture aujourd’hui ou demain. Je saurai avant de fermer ma lettre, si en effet, il est sorti. Il a eu une petite indigestion, uniquement pour avoir trop copieusement dîné. Mais sans aucune suite fâcheuse.
Vous me dites aujourd’hui : " N’essayez pas de voir mon fils, cela le troublerait." C’est ce que j’ai pensé dès le premier jour.
Je ne vous en veux point. Je vous pardonne tout. Je reste surpris et triste. Vous souvenez-vous de ce que disait la petite Princesse men éfonne Dunfultass? J’ai cette folie de vouloir que ce qui est beau soit parfait.

3 heures et demie
Je reviens de Buckingham-Palace. J’avais des lettres à remettre à la Reine. Comme de raison, Lord Palmerston l’a fait attendre un quart d’heure seulement. J’ai été heureux jusqu’ici. Il a toujours été avec moi d’une ponctualité exemplaire. Je ne l’ai pas encore attendu plus de dix minutes. Il y a cinq semaines, je n’avais pas entendu dire un mot des restes de Napoléon. Thiers m’en a parlé le jeudi 7 mai pour la première fois. J’ai vu Lord Palmerston le même jour. Il m’a donné, le samedi 9 l’assentiment du Cabinet, et il a écrit le même jour à Lord Granville. J’ai fait savoir la nouvelle à Thiers, Dimanche 10 par le télégraphe. Il a reçu le lundi 11 mon courrier et communication, par Lord Granville, de la dépêche de Lord Palmerston. Il a présente sa loi le mardi 12 ; et je lui enverrai très probablement ce soir 15 le reglement détaillé du mode d’exécution ; le nom de l’officier anglais qui ira sur notre frégate, porteur des ordres du Cabinet au Gouverneur de St Hélène. Vous avez la chronologie compléte de cette affaire.
J’ai été chargé de l’arranger ici. Je l’ai fait. Je ne suis pas chargé des conséquences. Du reste, nous sommes, je crois, destinés à vivre sous un horizon couvert de gros nuages qui  ne portent pas de tonnerre.
Je n’ai pas éte surpris de ne pas voir mon nom dans le discours de M. de Rémusat, et je le trouve assez convenable. Il ne devait y avoir dans ce discours comme il n’y a en effet, que quatre noms : le Roi, Napoléon, la France et l’Angleterre. Ce que j’admire, sans en être surpris c’est l’art avec lequel les journaux, ministeriels ou de la gauche, ont évité de parler de moi à ce propos. Cela m’arrivera souvent. Même quand on m’aura écrit : " Réussissez dans cette affaire et nous vous en laisserons tout l’honneur."
Moi aussi, je suis préoccupé de l’été qui commence et de ce qu’il peut apporter dans ma destinée. Mais ma situation est claire pour moi et ma résolution arrêtée. Je suis donc préoccupé sans agitation. Un homme d’assez d’esprit m’écrit : " On connait ici tout l’avantage de votre position, on l’admire et on l’envie. Vos amis sont peut-être ceux qui s’en arrangent le moins. Ils trouveraient assez bon que quelque cause de mécontentement vous ramenât à Paris afin que vous passiez leur dire ce qu’ils ont à faire. Il n’y a de direction nulle part. Le ministère manque complètement d’assiette. La gauche n’en sait pas encore assez long pour se conduire sagement ; et la droite paye en détail pour ses lachetés précédentes. Restez bien longtemps le plus loin possible de ces misères et gardez le moins de pitié possible pour les détresses de l’amitié.
Qu’en dites-vous ? Pourtant je me méfie de ce conseil, car c’est mon penchant. Je ne veux pas devancer d’une minute la nécessité ; mais je ne veux pas lui manquer.

5 heures
Votre fils n’est pas sorti à cause de la pluie, et aussi par prudence. Il ne sortira probablement pas avant Lundi. Mais il va de mieux en mieux. Je ne doute pas qu’il ne préfère aller à Paris, et ne vous engage à l’y attendre. Adieu. Je vous ai écrit hier à Boulogne et à Douvres, poste restante. Adieu. Adieu
Réposez-vous.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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370. Londres, Samedi 16 mai 1840
Une heure

Les nouvelles sont toujours bonnes. Je crois qu’il n’y aura bientôt plus de nouvelles. Je vous ai toujours dit le vrai, seulement comme j’ai pensé en même temps à la vérité de ce que je vous disais et à l’impression que vous en recevriez, j’ai ménagé mes paroles pour vous calmer sans vous tromper. Vous avez des correspondants qui n’y ont pas pris tant de soin. C’est fort, simple.
J’ai souri en voyant que vous croyez que je m’amuse beaucoup au bal. Demandez à Lady Palmerston qui me parlait l’autre jour de mon air fatigué et ennuyé en me promenant dans cette longue galerie de Buckingham-Palace. Mais deux choses sont vraies; je me défends de mon mieux contre l’ennui, et quand il l’emporte, je me résigne. Je m’impatiente peu. L’impatience me déplait et m’humilie. J’ai besoin de croire que je fais ce que je veux. Et quand je suis forcé de faire ce qui ne me plaît pas, j’accepte la nécessité pour échapper au sentiment de la contrainte. Si je ne me résignais pas, je me révolterais.

Je comprends tout ce qu’on dit sur les suites des cendres de Napoléon. Il y a beaucoup à dire. Je ne suis pas inquiet au fond. Les pays libres sont des vaisseaux à trois ponts ; ils vivent au milieu des tempêtes ; ils montent, ils descendent, et les vagues qui les agitent sont aussi celles qui les portent et les font avancer. J’aime cette vie, et ce spectacle. J’y prends part en France ; j’y assiste en Angleterre. Cela vaut la peine d’être. Si peu de choses méritent qu’on en dise cela ?
J’ai dîné hier chez Ellice, en famille. Il est vraiment très bon, et très spirituel. Et il s’amuse de si bon cœur ! Ils étaient fort contents. Le Chancellier de l’échiquier a eu un grand succès aux Communes. Son augmentation de 2 500 000 livres de taxes passera presque sans difficulté. Son statement a été trouvé excellent, simple, vrai. De plus le Cabinet est charmé de l’appui que le Duc de Wellington lui a donné l’autre jour en Chine. Jamais le Duc n’a été plus populaire parmi les whigs. Il y met un peu de coquetterie.
Il approuve fort ce qu’on a fait pour Napoléon.
Dedel est de retour. Le Roi de Hollande à parfaitement pris son parti sur Mlle d’Outremont. Il n’y pense pas plus que s’il n’y avait jamais pensé. Mais tout n’est pas fini entre lui et ses Etats-généraux. Ils auront beaucoup de peine à s’entendre sur les changements à la Constitution, car ni lui, ni les Etats ne cèderont. Mais point de guerre à mort non plus. A des entêtés qui ne se veulent pas de mal, il ne faut que du temps.
J’ai reçu un charmant petit portrait de ma fille Pauline ; d’une ressemblance excellente. Et elle a bon visage dans son portrait. On m’assure que ce n’est pas un mensonge. Ils ne partiront pour la campagne que vers la fin du mois. M. Andral a désiré qu’ils attendissent jusque là, pour prolonger un peu le lait d’ânesse.

3 heures et demie
Je viens de voir Lady Palmerston, et par elle son mari. C’est une personne de beaucoup de good sens et très pratique. Savez-vous qu’il n’est pas commode d’avoir à régler ce qui se passera à 2000 lieues, dans une affaire toute d’égards et de convenances, et de donner une pacotille de bon esprit et de mesure à des hommes qui n’en ont pas trop chez eux?
Je vous quitte pour écrire à Thiers le résultat de ma conversation, car j’ai vu aussi Lord Palmerston aujourd’hui comme hier les journaux ministériels ou quasi ministeriels, gardent le silence sur mon nom à propos de Napoléon. Je vous disais hier que je ne m’en étonnais pas. Pas plus aujourd’hui. Mais je suis bien aise qu’on sache que je le remarque, sans m’en étonner.
Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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371. Londres, Dimanche 17 mai 1840
10 heures

Mon premier mouvement en lisant vos lettres est de croire que tout ce que vous me dîtes, c’est vous qui le dites et qui le pensez. Je suis toujours sur le point de discuter avec vous, contre vous, comme si c’était vous les opinions et les commérages que vous me transmettez. Si nous étions ensemble, je m’y laisserais aller ; ensemble, on a du temps pour tout. De loin, cela, n’en vaut pas la peine. Vos sentiments à vous sont les seuls qui méritent que je m’y arrête et que nous nous mettions d’accord. Avec vous seule, je ne puis souffrir le désaccord. C’est à propos de tout ce qu’on dit sur le retour de Ste Hélène que je vous dis cela. Je laisse donc sans reponse les prédictions et les confectures. Mais une chose me préoccupe, c’est
la crainte que les commissaires qu’on enverra là ne se laissent aller à des récriminations à quelques paroles amères, blessantes. On en est ici assez préoccupé. L’affaire a très bien commencé en haut, très noblement. Il fautqu’elle se passe bien aussi en bas dans l’exécution.
J’écris à Paris toutes les recommandations possibles en ce sens. Un bâtiment lèger anglais le Delphin, partira Mercredi de Portsmouth, pour aller porter à Ste Helène l’ordre de translation. La frégate francaise aura une copie authentique de l’ordre et des instructions. L’allée et le retour prendront quatre mois. Nous n’aurons rien qu’au mois de Novembre.
J’ai dîné hier chez Sir Gore Ouseley avec le duc de Cambridge, le duc et là duchesse de Buckingham, leur fille, lady Anna, Temple, Bülow, Brünnow &. C’était ennuyeux aujourd’hui chez Lord Minto.

2 heures
J’en suis fâché, à cause du plaisir que cela vous aurait fait. M. de Noailles vient trop tard. Il y a trois semaines, par une dépêche du 1er mai, j’ai demandé la place d’attaché payé à Londres pour M. de Vandeul, qui est depuis un an à l’Ambassade comme attaché libre et dont je suis fort content.
Au département, on regarde, je crois, la nomination de M. de Vandeul comme certaine. Je regrette tout-à-fait de ne pouvoir faire en cette occasion ce que désire M. le duc de  Poix, et je désire à mon tour que quelque autre occasion, me soit offerte. Serez vous assez bonne pour le lui dire de ma part ?
Voilà une petite boite qu’on mapporte avec un billet de Lady Williams qui dit ceci : " the box contains a few patterns of babies clothes which, Mad. Graham begged Lady Williams to send her from hence and trusting to the french Embassy for convoying them to Paris. All that Lady William can offer en externation for the liberty Madame Graham is taking, is the observation that it is not probable she will ever repeat the offence again."
Lundi, 9 heures

Lord et lady Lansdowne, lord et lady Palmerston, lord Moutaggle, M. Macaulay et deux petits inconnus. Voilà notre dîner. Nous avons causé jusqu’à 11 heures. Lord Monteagh et M. Macaulay sont de bons meubles de conversation. Les Anglais sont singuliers ; ils aiment beaucoup la conversation ; quand elle s’anime et se varie, ils ont l’air d’y prendre grand plaisir. Et d’eux-mêmes, ils n’ont pas de conversation ; ils restent ensemble immobiles et silencieux, et s’ennuyent quand ils pourraient s’amuser. Ils ne savent pas faire ce qui leur plait, ni jouir de l’esprit qu’ils ont. Le feu est là, mais couvert ; il faut que l’étincelle qui l’allumera vienne d’ailleurs. En sortant de chez Lady Minto, je voulais aller finir ma soirée chez Lady Jersey ; mais par réflexion, je n’y suis pas allé. Deux Dimanches de suite, c’est trop. Elle abuserait. C’est l’insignifience la plus envahissante que je connaisse. Je me moque de moi-même quand je m’aperçois de toutes les petites précautions que je prends, toutes les petites combinaisons que je fais. Je pense à toutes les petites choses du monde comme si je n’avais jamais fait que cela, et ne me souciais que de cela ! e suis le contraire des Anglais; ils ne savent pas faire ce qui leur plaît ; moi, je puis savoir faire ce qui ne me plaît pas et m’occupe et presque mintéresser à ce qui m’est parfaitement indifférent, pour ne pas dire plus. Au fait, j’ai raison ; quand on n’a pas le fond du cœur plein et satisfait, il faut mettre à la surface de la vie, tout ce qu’on trouve sous sa main. Qu’il y a loin de la surface au fond, et quel vide immense peut exister dans des journées dont tous les moments sont remplis !
La Reine me prend Lord Melbourne samedi prochain. Elle l’emmène dîner à la campagne. J’ai souri de l’embarras avec lequel il me l’a dit. Embarras point réel, car personne n’est au fond moins embarrassé que lui, et ne prend plus ses aises, en toutes choses, et avec tout le monde. En quoi il a raison. Mais les apparences sont embarrassées. Nous sommes toujours fort bien ensemble. C’est l’homme du Cabinet qui a le plus d’esprit, le plus juste et le plus original.

3 heures
Oui toujours tout dire, toujours votre funeste franchise qui ne vous sera jamais fumeste. Le grand, le vrai mal de loin, c’est qu’il n’y a pas moyen de tout dire, car on n’écrit jamais tout ; ce qu’on écrit est si peu ! et comme reproche et comme tendresse. Vous me grondez à moitié. Je vous ai grondée à moitié. J’avais bien autre chose à vous dire que ce que je vous ai dit. Mais j’ai eu un tort, un grand tort, j’en conviens. J’aurais du envoyer chez Brodie dès le premier moment , et y renvoyer tous les jours, et vous transmettre scrupuleusement ses paroles. J’y ai pensé. Je ne l’ai pas fait, sottement, par sot ménagement. Je ne connais pas Brodie. Il est peut-être bavard. J’ai craint qu’il ne s’étonnat d’un soin si assidu, qu’il ne racontât son étonnement, qu’on n’en prit occasion de bavarder comme lui. Crainte puérile absurde. J’ai eu tort. Mais j’en ai été trop puni. J’en ai été barbarement puni. Vous m’avez écrit ce que vous m’avez écrit. Vous avez dit à Génie tout ce que vous m’avez écrit, pis probablement car vous lui avez dit que vous étiez si fâchée que vous partiriez pour Londres, sans m’en avertir. Ma mère a appris en envoyant savoir de vos nouvelles, que vous partiez le surlendemain. Vous seriez partie sans le lui avoir dit, sans avoir vu mes enfants. Voilà ce que vous avez fait. Et sais-je ce que vous avez pensé ? Cela est insensé ; cela est injuste, inique, révoltant. Savez-vous ce que vous deviez penser et faire ? Vous deviez être fâchée, très fachée contre moi et me le dire aussi vivement que vous l’auriez voulu, que votre emportement vous l’aurait suggéré. Et vous deviez en même temps deviner mon motif, l’entrevoir du moins ; et voir aussi tout le reste, et me croire un peu, même quand les autres vous disaient le contraire. Les autres ne vous ont écrit que lorsqu’ils ont été eux-mêmes à peu près rassurés, et dans leur froide irréflexion, ils vous ont dit alors tout ce qu’ils avaient craint plus qu’ils n’avaient craint car on exagère toujours le mal qu’on a caché. Moi, j’envoyais deux fois par jour ; on parlait au valet de chambre de votre fils ; je passais moi-même à sa porte. Je recueillais indirectement des renseignements de qui je pouvais. J’ai envoyé au Time quand il a donné des nouvelles alarmantes de votre fils. Et je vous mandais chaque jour ce que je savais ce que je recueillais. Et je vous le mandais de la façon la moins alarmante pour vous. Vous deviez deviner, vous deviez croire tout cela. C’est bien la peine d’avoir pensé et senti tout ce que nous avons pensé et senti ensemble depuis trois ans, de nous être dit tout ce que nous nous sommes dit l’un à l’autre, et l’un sur l’autre pour qu’en un jour, en une heure, tout cela s’évanouisse, pour qu’un tort, un mécompte d’un jour efface toute confiance, pour qu’on pense et parle comme on penserait et parlerait d’une personne qu’on connaitrait beaucoup, et qui aurait manqué d’obligeance ou de soin ! Il est près de cinq heures. La poste me presse, et j’ai encore tant de choses à vous dire ! vous avez raison de loin, il vaudrait mieux se taire ; la vérité n’est pas possible. La vérité est pourtant le remède à tout, le seul remède. Vous vous croyez bien sérieuse, bien passionnée. Vous avez des légèretés, inimaginables, toutes sérieuses et passionnées qu’elles sont. Car c’est une légèreté inimaginable coupable que de s’abondonner à une idée, à une impression du moment, si complètement qu’on oublie tout le reste, tout ce qu’on a pensé, vu, cru, & qu’on croit toujours au fond de son âme ce qu’on croira, ce qu’on verra le tendemain. Moi, je n’oublie rien. Je pense à tout, toujours, et mon sentiment pour vous est toujours le même, et je suis juste envers vous, dans les plus mauvais moments. Vous comprenez bien que je n’accepte pas votre querelle sur les bals et les jeunes femmes. J’en aurais ri en récevant votre lettre si j’avais été en train de rire. Je crois vous avoir dit une phrase charmante de mon puritain John Newton :
" Since the Lord gave me the desire of my heart in my dearest Mary, the rest of the sex are no more to me than the tulips in the garden. "
Si cela ne vous plait pas, je ne vous parlerai plus jamais des tulipes que j’ai trouvées belles.
Il faut pourtant que je finisse. C’est grand dommage car je n’ai pas fini. Adieu pourtant. Adieu toujours. Je crois en effet que vous ne me connaissez pas. Adieu encore.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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376. Paris, dimanche le 17 mai 1840

J’ai reçu votre petit mot adressé à Boulogne et votre lettre du lendemain adressé à Paris. Je ne trouve ni dans l’une ni dans l’autre, plaisir, ou regrèt. Ma venue ou mon absence c’et égal, et je m’étais trompée quand je me figurais que vous seriez content, et quand je me figurais ensuite que vous seriez désappointé. Plaignez-moi de cette triste disposition qui me fait attacher de la valeur à tout, à tout ce qui vient de vous, à rechercher même plutôt la peine, que le bonheur. J’ai un caractère abominable, il est devenu tel. Mes malheurs m’ont aigrie. Je cours au devant de la peine, je me crois vouée à tous les mécomptes comme à toutes les afflictions. Je n’ai aucune force, aucune énergie au fond de mon âme, je n’y rencontre que le désespoir. Dieu a été bien sévère pour moi, les hommes bien injustes. J’avais trouvé du repos, c’était auprès de vous. Ce serait encore auprès de vous, mais sans vous, loin de vous tout me manque. Je ne sais pas me relever. Je tombe, je tombe, parce qu’il me semble qu’il ne vaut la peine de rester debout. Dieu m’avait créée bien différente. Le fond de mon cœur était de la joie, de la confiance, de la confiance en moi, de l’affection pour les autres, un inépuisable fond de tendresse. Elle y est encore au fond de mon cœur, mais une tendresse si triste, et cependant, si vive. Quand vous me grondez, ou quand vous m’écrivez des lettres froides, avant de finir regardez bien l’état dans lequel elles vont me trouver. Pensez à mon isolement, à ma faiblesse. Je suis susceptible, je suis méfiante, je vous dis tous mes défauts et vous les connaissez, mais vous m’avez prise for better and for worse ! Ayez pitié de moi, dites-moi toujours quelque chose qui me relève. Je n’ai que vous, vous seul au monde pour soutenir mon pauvre coeur.
Cette affaire Napoléon me parait tous les jours plus absurde. Jusqu’à ce qu’une autre affaire me la fasse oublier, je regarderai celle-ci sous toutes ces faces et elle ne m’en présente pas une qui n’ait son incovénient ou son danger. Le silence des journaux importants est fort remarguable. Ils n’osent pas blamer, et approuver tout-à- fait est difficile. Lord Granville m’a dit que Thiers lui avait parlé depuis longtemps de cette affaire, et il a dit la même chose à M. Molé, ce qui fait dire à M. Molé que vous devriez être un peu étonnée d’être le dernier informé d’un projet qui devait passer pas vous. Or M. Molé nie même que vous y ayiez été employé. Et il ajoute : " J’ai bien fait une fois de même à l’égard du Général Sébastiani, mais avais des motifs de lui faire quelque chose de désagéeable. Je ne savais pas que M. Thiers eut de semblables motifs à l’égard de M. Guizot." Je ne sais si je fais bien de vous faire ce rapportage ; je crois toujours devoir vous tout rapporter, mais vais ferez fort bien de l’ignorer, car cela prouve seulement l’envie de la part de M. Molé de vous mettre mal avec Thiers. Si les journaux du Ministère vous avaient nommé dans cette circonstance ils auraient empêché M. Molé de tenir ces propos.
Surement je me le rappelle bien (nin cigöuns vur cältnib!). Moi, j’y ai mis des nuages, de bien petits nuages. Mon mauvais caractère à fait cela. Prenez pitié de ce mauvais caractère oubliez, pardonnnez. Vous avez des joies encore sur la terre, moi, je n’ai que vous ! Au fond je crois que vous préférez aussi que je vienne plus tard. Quand je lis vos lettres et que je me rapelle la vie de Londres, pour ceux qui le font vraiment. Je ne vois pas où serait ma place, mon heure entre les affaires et les plaisirs. c’est peut-être cette reflexion qui vous a empêché de me montrer le moindre plaisir de mon arrivéé. Je lis, je relis ces deux lettres. Je n’y trouve pas un demi mot, et s’il n’y avait pas adieu Ah ! qu’est-ce que je deviendrais ? Je compte toujours être à Londres le 15 juin, y comptez-vous aussi ? Y voyez-vous le moindre inconvénient pour vous. C’est politiquement que je vous fais cette question.
Adieu, adieu, rendez-moi un peu de joie, un peu de bonheur, un me grondez pas ; jamais, jamais. Il faut que j’aie bien des torts pour que vous m’ayiez traitée si sévèrement dans un moment où vous savez que j’ai tant d’angoisses dans le cœur. Ma lettre d’hier vous aura déplu aussi. Je voudrais la reprendre, et cependant savez-vous ce qui m’arrive ? L’orage gronde et grossit dans mon cœur tant que je n’ai pas parlé, dès que je vous ai dit je me sens soulagée. Il me semble que vous m’avez répondu, que de douces paroles. m’ont calmée, que j’ai pleuré de tendresse, et je me répose.
Adieu. Adieu, me connaissez- vous bien ? Je ne crois pas encore. Adieu, répétez adieu comme moi, comme moi. Ah quel soupir s’échappe de mon cœur dans ce moment, adieu !

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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378. Paris lundi 18 mai 1840
6 heures
J’ai oublié ce matin de vous dire que j’ai reçu une lettre de Lady Palmerston, où elle me dit ceci. " j’ai reçu votre bonne lettre du 7 et je m’en remets, à vos fortes raisons. Il est bien clair d’après ce que vous me dites qu’un délai dans votre arrivée est hors de question et puis raisonnable. En tout cas ce sera un grand plaisir pour moi de vous revoir et j’aurais été personellement bien fâchée que par raison de prudence ou autres vous eussiez trouvé sage de déférer ce que je désire depuis si longtemps." Il est clair qu’un retard ou remise ferait toujours encore un grand plaisir mais je ne veux pas le comprendre ainsi. Une longue lettre avec mille nouvelles, et puis la fin." Je vous embrasse tendrement, et nous ferons tout notre possible pour vous rendre votre séjour ici agréable."
Ellice me mande qu’il a entendu traiter le sujet de mon arrivée à la table de Lady Holland par les diplomates très alarmés, et qu’il en a beaucoup ri sous cappe. Mais qu’est-ce que ces gens s’imaginent ?
On a répandu le bruit que le roi avait la rougeole, et cela a fait subitement tomber les fonds. Il n’y a pas un mot de vrai. Mais il est vrai qu’il n’a pas eu la rougeole et qu’on prend des précautions autour de lui.

Mardi 9 heures
J’ai dîné seule, le soir les trois ambassadeurs, les d’Aremberg, Mad. Appony, la Princesse Razonmowsky, M. de la Rochefoucault. Appony très silencieux et triste. M. de Pahlen fort causant. M. de Brignoles venait du château. Le Roi lui a dit l’alarme du matin à la bourse, il se porte très bien On dit que c’est lui le Roi qui se vante d’avoir eu la premiere idée pour les restes de Napoléon où est le vrai ? On parle très mal de l’Afrique. M. Piscatory a seul raison, c’est-à-dire qu’il a seul le courage de dire ce que pense beaucoup de monde. On dit que Sébastiani l’autre jour a perdu la parole à la troisième phrase de son court discours, & que c’est les journalistes qui l’ont achevé.

Je ne sais comment je passerai ce mauvais jour. Je ne sais ce que m’apportera demain que me dira votre lettre. Le cœur me bat. Si vous pouviez me voir, voir dans mon cœur ! Il n’y m’a jamais eu de plus accupé de vous. Je vous redis toujours la même chose. Depuis quatre jours c’est moi qui parle sans cesse, j’ai la fièvre. Je vous tourmente. Vous n’aimez pas cela. Vous voulez un bonheur tranquille. Eh moi, même je le veux comme je le désire. Mais de loin, je ne me gouverne pas. Vous voyez comme ce mot montre bien que c’est vous qui me gouvernez. Ordonnez, ordonnez-moi ... de me taire. voilà ce qu’il y a de plus sûr. Trouverais-je un seul mot d’affection dant la lettre de demain ? S’il n’y était pas !

Adieu je devrais finir ; je ne peux par finir. Je voudrais courir au devant de votre lettre, et quand elle sera là je n’aurai pas le courage de l’ouvrir. Voyez-vous mon angoisse ? Ah, comme tout cela empêche d’engraisser. Je suis bien tranquile pour mon fils maintenant, mais je suis peu tranquille pour ma tête Dites-moi des nouvelles aussi. Je ne sais absolument rien. Comment est-ce que l’affaire d’Orient n’aurait pas fait un pas en avant ou en arrière ? Que fait M. de Metternich ? Je songe quelque fois à ces chose-là pour me distraire, mais j’y songe " en creusant dans le vide" comme dit M. de Metternich, car je ne sais rien. Je viens de lire le portrait de M. de Broglie dans un des cahiers. de cette biographie dont je vous ai déjà parlé, je vous l’enverrai jeudi car le commencement me parait excellent. Avez-vous lu les autres, le vôtre, Berryer, Thiers ? Vous ne m’avez pas répondu. N’oubliez pas que vous portez la santé de la Reine au dîner chez Lord Palmerston le 25. Adieu que m’avez-vous écrit hier, que m’écrirez-vous aujourd’hui ? Je ne rêve qu’à cela. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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372. Londres, Lundi 18 mai 1840
5 heures et demie

Quand j’ai passé ce matin, à la porte de votre fils, il était sorti pour aller se promener. Il va bien. Il ne part point lundi, comme vous paraissez vous y attendre, mais seulement samedi. On m’assure qu’il n’a point du tout perdu l’usage du bras gauche. Je crains qu’on n’exagère, en vous en parlant.
Adieu. Madame. J’ai à peine le temps d’envoyer ces quatre lignes à la poste.

Mots-clés :

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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377. Paris, lundi 18 mai 1840,
9 heures

Je ne sais ce que je ne donnerais pas pour ravoir ma lettre partie samedi. Je suis sûre que j’ai plus peur que le valet de chambre de lord William Russell lorsqu’il comparait devant le magistrat Je me dis mille fois, plus que vous ne pourrez me dire. je m’accuse de tout, de tout. C’est encore ma disposition de me regarder moi comme l’auteur de tous mes maux, je me fais à moi des sermons, des sermons. Les uns ne profitent pas, je manque aux autres. Livrez-moi à ma propre condannnation, ce serait vous venger assez. Mais je vous le demande à genoux, ne me dites pas une parole dure, pas une qui me laisse croire, ou deviner que vous m’aimez moins. Je vous demande pitié et clémence. Ah, quand nous reverrons-nous ? Tout alors sera bien ! Henriette et Guillaume sont venus me voir hier. Guillaume m’a montré son bonnet écossais et sa canne, il en est ravi. Henriette engraisse, trop selon moi mais enfin c’est de la santé ! On dit que vous aussi vous engraissez. Quand je serai heureuse, j’engraisserai pour le moment je ne puis pas m’en vanter.
J’ai fait tristement, le tour du bois de Boulogne, j’ai dîné tout aussi tristement seule. Le soir j’ai fait des visites, Mad. de Boigne, les Granville, Mad. de Brignoles. Chez Mad. de Boigne le chancelier, M. de Cases, M. Piscatory que je ne regarde plus si désagréablement. Le dire là est que Napoléon c’est peu de chose. Cela ne fera pas le moindre bruit, cela n’a pas la moindre emportance. Mad. de Boigne m’a dit en Anglais, qu’à son grand étonnement on en est ravi aux Tuileries. Si tout ce monde a raison il est bien clair que je radotte.
Granville est toujours couché Thiers y est venu et nous avons attendu seuls dans le premier salon. Il était excédé de fatigue, de mauvaise humeur ! Quand j’ai vu cela je n’ai pas été très aimable non plus. J’ai parlé Napoléon. Il m’a dit que cela se passerait grandement; magnifiquement et tranquillement. La famille ? Elle n’a rien à y faire et si un seul ose se montrer il serait jeté dans la prison. Il a été excessivement vif sur ce point. Il ne m’a pas parlé de vous pour la première fois, je crois.
A propos le Prince Paul de Wurtemberg était venu le matin tout gros des catastrophes qu’il prévoit. Il ne comprend pas la folie d’avoir été chercher de gaieté de cœur une occasion de trouble dans les esprits et de désordre sûrs dans les rues. Il en a parlé à Thiers en lui repré sentant tout cela avec des verres grossissants. Thiers a dit : " Je réponds de tout , mais il n’y a que moi qui le puisse. Sous tout autre ministère, cela pourrait faire une révolution." Si cela était vrai, il aurait donc fait un bail au moins de 6 mois. Et qui sait ? on dit déjà que les obsèques ne se feront qu’en avril prochain. le Prince Paul ajoute : " Thiers se croit le Cardinal de Richelieu, rien n’égale sa confiance, et son audace." Je vous redis tout.
Chez les Brignoles, j’ai rencontré toute la Diplomatie et la société élégante. M. de Pahlen a envoyé un courrier hier matin, ce courrier touvera l’Empereur et mon frère à Varsovie ; c’est à ce dernier que le courriier est adressé. Mon ambassadeur a rendu compte entre autre d’un incident du dîner qu’il a fait à la cour, où les Princes de Cobourg, père et fils ont pris le pas sur lui. Comme Appony y était aussi, et qu’il est le doyen, et qu’il a souffert cela sans souffler, il n’appartenait pas au plus jeune de faire une scène, mais il rend compte et demande des directions. S’il m’avait consultée, j’aurais protesté ici tout de suite après ce dîner, car cela est hors de toutes les règles.
Voici une lettre de mon fils, très bonne, très sassurante, et une longue lettre d’Ellice très intéressante qui me fait voir un peu dans la entrailles de toutes les intrigues Anglaises. Il me semble que les embarras ministériels ne sont pas tous surmontés. Qu’est- ce que veut dire Ellice en affirmant que l’Autriche pousse aux mesures coercitives contre le Pache, et qu’il est pour se vanger de la médiation de la France dans l’affaire de Naples ! Est-ce vrai ?

Midi. Voici votre lettre de Samedi qui me fait enore plus rougir de ma lettre de samedi. Je vous remercie de vous être ennuyé à un bal où je croyais que vous vous étiez amusé, et je suis prête à me battre de l’avoir cru ; & plus encore de vous l’avoir écrit. Traitez-moi comme un enfant, mais un enfant qu’on aime. Oui je vous en prie, qu’on aime.
Le portrait de Pauline ne vous trompe pas elle a bien bon visage et elle est jolie, très jolie. Je vous dis qu’elle sera bien belle. Je comprends fort bien le très grands embarras pour les très petites affaires, et votre votre affaire à Ste Hélène en est. D’abord le cérémonial entre des gens qui ne reconnaissent que le général, et ceux qui reconnaissent plus que le Souverain légitime (car M. de Rémusat l’a classé comme cela), car St Denis est trop peu pour lui, le cérémonial sera fort difficile à établir. Je suis bien aise que Lady Palmerston vous plaise et vous soit utile. C’est une personne qui applique toujours son esprit à rendre tout simple et facile. C’est une charmante qualité. J’aime aussi que vous aimiez Ellice. En général, il me semblerait étonnant que vous n’aimassiez par les gens que j’aime.
1 heure
Je viens de faire un tour aux Tuileries, je perds l’habitude de marcher et je me fatigue tout de suite. Je reviens à vous comme avant, comme toujours, avec répentir et tendresse, et celle-ci si vive, si vive. Adieu. Adieu. Je vous remercie de ce que vous me dites de mon fils. Il me trompe un peu je crois sur l’époque de son départ. Il ne faut pas qu’il se hâte ; maintenant que j’ai le cœur tranquille sur son compte ; je l’aurai attendu. Adieu. Adieu. On dispute sur le lieu de la sépulture. Pasquier veut le Panthéon. Beaucoup vont pour la Madeleine. Molé pour St Denis.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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373. Londres, mardi 19 mai 1840,
9 heures

Je reprends où j’en suis resté hier. Je n’ai pas fini ; et puisque j’ai commencé ; je veux finir. C’est bon pour tous deux. Il est impossible que ma lettre d’hier vous afflige. Ce n’est pas à cause de vous seule, ni par pur ménagement pour vous qu’en vous donnant des nouvelles de votre fils, j’ai écarté, autant que la vérité me semblait le permettre, toute exagération, toute alarme brusque et violente. Je présumais que sur la simple nouvelle de l’accident, vous partiriez, moitié pour l’accident, moitié pour venir plutôt. Le motif était triste, mais bien suffisant bien convenable. Je me serais fait scrupule d’y rien ajouter, scrupule de profiter d’un si triste motif pour presser votre résolution. Votre arrivée ici, je la desire, je l’attends depuis que j’y suis. Je t’attends tous les jours, à toute heure. Je voulais la devoir, plus prochaine un peu à vous, à votre libre empressement, pas uniquement à un malheur. Je n’ai pas médité, combiné tout cela, vous savez comme on agit quand le cœur y est mêlé ; un peu confusément par instinct ; mais l’instinct n’est pas moins réel, ni moins puissant pour n’être pas clair. Je suis sûr que ce que je vous dis là a été pour beaucoup dans la réserve de mon langage.
Vous n’êtes pas venue. Vous avez attendu. Tout à coup vos craintes sont devenuer vives. Vous avez été sur le point de partir. Le désir de venir plutôt n’y était plus pour rien. Vos craintes sont devenues un peu moins vives, vous avez mis votre départ en question. Vous avez soumis cette question à votre fils. Vous n’êtes pas partie. J’ai été triste et fâché. Voilà la vérité. C’est comme si vous aviez tout vu. J’ai pensé à moi dans tout cela, à vous pour moi. M’accusez-vous ? Vous plaignez-vous? Vous me direz que j’aurais dû vous dire cela, tout de suite. Non, ne comptez jamais là-dessus. C’est ma nature, c’est ma shyness à moi, de garder en moi, pour moi seul, au moment où je l’éprouve tout chagrin mêlé de mécompte. Il me déplait de voir ainsi mon âme à la merci de qui ne sait pas lui épargner toute tristesse. Je me reprends alors, je me replie sur moi-même; et ne pouvant supprimer la peine je supprime absolument la plainte. Il faut être indépendant quand on est triste. Je conviens qu’en étant triste, on peut être injuste, on peut trop penser à soi. Je crois bien que j’ai été un peu injuste envers vous, que je n’ai pas assez pensé à vous, à votre santé, à votre faiblesse, à votre trouble, à l’empire exclusif, déréglé, que prend sur vous votre imaginution ébranlée. Vous me le pardonnerez ; vous me le pardonnerez avec joie n’est-ce pas ? Car au fond, il n’y a rien là qui vous doive affliger. Et je ne me changerai pas, pas plus que vous. Avez-vous envié que je change ? Pas moi, malgré tout ce que je vous ai dit et tout ce que je ne vous ai pas dit depuis huit jours.
Je suis rentré cette nuit à une heure, de la Chambre des Communes. Lord John Russell, et Lord Stanley ont bien parlé. Le dernier m’a frappé, par sa bonne grace forte et simple. Le Cabinet a eu un échec, et en aura probablement
un second ce soir. On croit que le bill de lord Stanley passera à la 3ème lecture. Mais il périra dans la discussion du détail des clauses. Etrange situation, la faiblesse aux prises avec l’impuissance. J’y retourne ce soir. Il y aura O’Connell, Macaulay, Sir James Graham, Sir Robert Peel. Jusqu’ici, c’est une excellente discussion, un jour lumineux, sans soleil. Ceci bien pour vous seule. Il y a deux choses, que je ne peux montrer qu’à vous, ma faiblesse et mon orgueil.

2 heures
Oui vous avez raison; Je vous ai prise for better and for worse, et j’ai tort toutes les fois que je ne vous dis pas quelque parole bien tendre bien douce, qui se mêle à tout à votre tristesse, à la mienne, à nos injustices communes. De loin, j’oublie que je suis loin, que les moindres mots sont définitifs, irrévocables, durs, grossiers. Vous l’oubliez aussi. Ne l’oublions jamais, jusqu’à ce que nous ne soyons plus loin, l’un de l’autre, que nous n’ayons plus besoin de penser à rien, que toute méprise disparaisse, que toute injustice se répare, que tout mal se guerisse par cette admirable panacée de la présence, d’une présence charmante et chérie avant le 15 juin, n’est-ce pas ? Il le faut, car il faut que nous soyons ensemble, le 15 Juin. Je vous ai répondu ce matin. Je ne trouve rien dans votre lettre à quoi je n’aie répondu. Et vous voyez bien que celle d’hier ne m’a pas déplu. Adieu. Adieu. Adieu. Comme vous, à présent je serai impatient jusqu’à ce que vous ayiez reçu ma lettre d’hier, celle-ci jusqu’à ce que vous me l’ayiez dit. L’horrible chose que l’absence. Que d’agitations insensées ! Que de peines absurdes ! Adieu encore. Adieu pour le chagrin passé. Adieu pour le bonheur à venir. Adieu. Je fais presque aujourd’hui comme hier. Je ne vous dis pas que l’état d’Alexandre est toujours très bon. Vraiment il n’y a plus de nouvelles à vous donner. Je vous ai écrit hier deux fois. Savez-vous quelque chose de la Duchesse de Sutherland. Et si elle vous a répondu, quoi?
Adieu encore.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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374. Londres, Mercredi 20 mai 1840
Une heure

Je ne serai content qu’après demain, quand nous serons rentrés tous les deux dans les bonnes lettres. Merci du 377 bien tendre. Une fois pour toutes (s’il y a moyen avec vous de dire une fois pour toutes) ne craignez jamais la franchise. Dites-moi tout et trouvez bon que je dise tout. Il ne peut y avoir de nuages, entre nous qu’à la surface. Perçons-les toujours ; au delà, nous trouverons toujours le Ciel. Savez-vous qu’à mon avis il est ridicule qu’il y ait jamais des nuages entre nous ? Nous sommes au dessus. Nous devrions toujours voir clair, parfaitement clair l’un dans l’autre. Ceci prouve que nous n’avons pas autant d’esprit que nous croyons.
Ayez l’esprit d’être ici avant le 15 juin. J’y compte ; mais j’en parle. Je ne sais pas encore sûrement quel jour part votre fils. On m’a fait dire samedi, mais par approximation. Il n’y a du reste plus de nouvelles à vous en donner.
Ellice m’a dit qu’il vous avait écrit, et ce qu’il vous avait écrit. Je crois qu’il a raison, et que le Cabinet s’en tirera. Mais cela n’a pas grand air. Les conservateurs n’ont pas grand air non plus. Une opposition si forte si bien gouvernée et qui n’ose pas, qui ne peut pas devenir gouvernement ! De son propre aveu ! Elle porte son mal en elle-même comme tout le monde. Ce sont les Newcastle et les Londonderrys qui empêchent l’opposition de devenir le gouvernement. Si tous les conservateurs étaient de l’espèce de Peel, ils seraient les maîtres. Mais tenez pour certain qu’ici comme chez nous il y a des résistances et des arrogances que le pays n’acceptera plus jamais ; il y a des réformes où si vous voulez un mot plus modeste, des changements, faits ou à faire qu’il faut que tout le monde accepte, et qui rendront incapables de gouverner quiconque ne les acceptera pas, sérieusement et sincèrement. Deux choses ici me frappent également, la puissance de l’esprit de conservation et la puissance de l’esprit de réforme. Deux choses sont également faibles, rejetées mortes, quoique l’une fasse du bruit et que l’autre ait encore de l’éclat, le Chartisme et le vieux Torysme. Malgré les apparences et le fracas des paroles, et l’obstination des engagements de parti, ce pays-ci est le pays du juste milieu par excellence. On n’aura un gouvernement fort que lorsque, de part et d’autre on se sera rendu et établi en commun dans ce camp là, qui est un fait accompli quoique pas encore accepté.
Je suis sorti cette nuit à 2 heures de la Chambre des Communes. Débat très médiocre et très ennuyeux. Nul homme important n’a parlé. Sauf lord Howick qui a bien parlé, mais sans faveur et dans une position délicate. J’y ai gagné un torticolli. On est mal assis et j’avais un vent coulis sur l’épaule gauche. Pourtant j’y retournerai ce soir. Je veux voir la fin. On me dit qu’O’Connell parlera ce soir. Evidemment, il n’a pas voulu répondre sur le champ à Lord Stanley. Sur son hardi et puissant visage, il y avait un peu de timidité et d’embarras.
Je ne doute pas que M. Molé ne remue ciel et terre pour nous brouiller Thiers et moi. Il n’est pas le seul. Et il est vrai que Thiers, a laissé entrevoir un défaut à la cuirasse par le puéril silence de sa presse à mon sujet à propos de Napoléon. Je m’étonne que les journaux qui ont envie de nous brouiller ne s’en soient pas déjà avisés. Cela viendra très probablement. Quant à moi, je me suis contenté d’écrire à deux ou trois personnes comme vous : " Cela ne m’étonne pas ; mais je le remarque. " Je ne me brouillerai point. Un moment viendra, peut-être où je me séparerai. Je suivrai exactement la ligne de conduite que vous savez.
Je regrette que vous n’ayiez pas vu ma petite note pour redemander Napoléon. Je crois que vous la trouveriez convenable par la simplicité et la mesure. Je suis pour les Invalides ; une sépulture militaire, religieuse et exceptionnelle. Les places publiques sont impossibles et inconvenantes. Le Panthéon est un lieu commun profane et profané. La Madeleine serait un tombeau grec. St Denis est pour les Rois de profession. Les Invalides seuls vont bien à l’homme, et à lui seul. Adieu.
Cela me déplait de vous quitter. Je voudrais vous écrire toujours. Mais j’ai des affaires. Venez et laissez moi le soin de votre place. Vous serez ma première affaire et mon seul plaisir. Adieu, Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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379. Paris Mercredi 20 mai 1840,
9 heures

A mon réveil dans mon lit, on me remet le 372 venu directement n’aurai-je que cela ? Me punissez- vous en éludant ? Faudra-t-il rester 24 heures encore dans un état d’angoisse abomminable ? Une réponse sur Madame ? Il est à sa place le Madame, mais vous l’aurez jugé à propos. Mais moi, aujourd’hui, j’aurais mieux aimé des coups de bâton que Madame ! Et cependant, je n’ai pas été élevée dans ce qu’on appelle des idées russes. Je vous remercie des nouvelles de mon fils, les plus fraîches et les plus sûres que j’aie.
Vous êtes bon de passer à sa porte, je vois vraiment que son état ne mérite plus cette sollicitude, et cependant jusqu’à son départ faites moi la grâce de me donner de ses nouvelles tous les deux jours.
Montrond est venu hier matin, il m’a trouvée dans une attitude et une mine d’idiote, je crois qu’il m’a dit le mot. Je regardais des allumettes, avec un air égaré. Il m’a demandé ce que j’avais. Je lui ai dit que j’avais envie, de me pendre ou de me noyer. "J’ai bien quelques fois cette envie-là aussi, mais je remets." Et puis il a bavardé, et m’a presque distrait de ma triste disposition.
Nous avons parlé de tout. Je lui ai fait cette question-ci. Entre ces deux versions opposées, celle que Thiers a inventé la translation des restes de [Napoléon], et arraché avec peine l’aveu du Roi ; et celle que c’est le Roi qui l’a imaginé et Thiers obéi.
"Laquelle dois-je croire ?
- Croyez ce qui est le plus vraisemblable. Le fait est de Thiers."
Pour vous expliquer ma question vous saurez que le Roi a dit à Appony que c’était son idée à lui et qu’Appony le croit parfaitement. Je crois que j’ai oublié de vous dire le récit de Granville. Il y a bien longtemps, c’est-à-dire bien longtemps avant le 1er de mai que Thiers est venu lui parler de cela et l’a prié de sonder lord Palmerston sur l’accueil qui serait fait à cette demande. Et puis Thiers lui a dit qu’il valait mieux ne pas sonder et il lui en a fait la demande directe de la part du gouvernement français. Je vous dis exactement, ce que m’a dit Granville. Grandement j’aime mieux qu’on vous ait ordonné de terminer une négociation déjà commencée. Je serais fâchée qu’on vous eut consulté, car c’est à mon avis une impudente affaire. De cette façon vous n’êtes responsable de rien. Je dois ajouter que Bourqueney m’a dit ceci. Le 1er mai lorsque Thiers est venu avec le Cabinet féliciter le Roi sur sa fête, le Roi lui a répondu en lui octroyant les restes de Napoléon. Bouquet pour bouquet. Vous savez maintenant tout ce que je sais sur cela. Vous trouvez que j’y pense beaucoup. C’est que vous verrez que ce sera beaucoup.
Je ne saurais vous dire la mélancolie de toute ma journée hier, Je suis si triste, si triste ! Et seule, seule ! Le soir j’ai eu lord Harrowby qui traverse pour retourner en Angleterre. C’était l’ami de Pitt. Il a été 40 ans ministre, j’étais fort lié avec sa femme. Si vous le rencontrez faites sa connaissance. Pas un Anglais ne parle français aussi bien que lui et il parle de tout. L’automne arrive, le prince de Chalais, Gabriac, beaucoup d’autres je ne sais plus qui. Mais j’étais si peu entraînée ! Je crois qu’on aura trouvé ce que Montrond m’a dit.

Midi. Rien, pas une autre mot !

2 heures
Je viens de remercier Dieu comme je l’ai fait le jour où mon fils lui-même m’a annoncé qu’il était hors de tout danger. Votre lettre a été pour moi cette lettre là, plus que cette lettre là ! Ah je vous dis bien la vérité. J’étais aujourd’hui prête à pleurer à chaque instant. Je suis sortie, non pour marcher mais pour m’appuyer sur la terrasse vis-à-vis mon appartement. Je regardais chaque passant avec envie, j’étais si sûre que chacun d’eux était plus heureux que moi. Mes larmes ont coulé ; un promeneur m’a regardée avec étonnement, c’est le seul qui s’en soit aperçu. Je suis redescendue de la terrasse, j’ai honte de vous dire tout ce qui s’est passé en moi, je ne savais si je tournerai à droite ou à gauche ; à droite pour rentrer chez moi, à gauche vers le pont. Et je me disais. Il ne saura jamais comme je l’ai aimé ! Mes jambes me manquaient ; dans ce moment je vois une jeune figure d’homme devant moi, l’air riant, ôtant son chapeau mettant la main dans son habit, & me présentant une lettre. Ce n’est qu’alors que j’ai reconnu le jeune homme. Ah s’il s’entend en physionomie comme j’espère qu’il s’entend en médecin, qu’il doit avoir fait d’étranges observations sur mon visage. Je la tenais donc cette lettre, et il me semblait que je n’aurais jamais la force d’arriver jusqu’à chez moi pour la lire. Ah que d’émotions j’ai eu ce matin, que de pensées contraires, que d’amour, que de désespoir ! Vous ne comprendrez pas tout ce que je vous dis, cela a l’air de folie, et je crois que cela y touche. Je suis rentrée, j’ai couru au dernier mot, et ce n’est qu’a sa vue que j’ai respiré. Quelle lettre ! Que je vous aime, que je vous bénis. Parlez-moi des tulipes tant que vous voulez, comment avais-je oublié les tulipes ? John Newton, quel brave homme ! Adieu. Adieu. Je suffoque mais cette fois, c’est de plaisir, et d’un tel plaisir ! Je ne serais jamais parti sans voir votre mère et vos enfants. Et j’ai dit à Génie ce que j’avais sur le cœur. parce qu’il est entré dans le moment où je venais de lire les deux lettres contradictoires, mais ne parlons plus de cela. Ne parlons plus que d’.... Je ne sais ce que je dis, mon cœur bondit de joie. Ah, qu’il est jeune mon cœur. Adieu. Adieu, toujours. Adieu

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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375. Londres. Jeudi 21 mai 1840
10 heures

On est venu m’éveiller cette nuit à 3 heures, pour m’apporter la division de la Chambre des Communes, et j’ai expédié sur le champ un courrier à Calais pour qu’on le sût à Paris par le télégraphe. Non qu’il doive, je crois, en résulter ici aucun evènement. C’est pourtant un gros fait. On me dit que Peel a très bien parlé et O’Connell médiocrement. Il a voulu être modèré. On l’avait fort sermoné à ce sujet. C’est Lord Duncannon qui est son prédicateur. Et O’Connell répond toujours : " you are right ; I won’t do it again." Il a trop bien obéi hier. On prévoyait ce résultat, même à Holland House où j’ai été hier soir au lieu d’aller à la chambre. Devinez qui j’y ai trouvé? Mr Mrs Grote qui y avaient dîné. C’était un coup monté. Peut-être vous en ai-je déjà parlé quand ils ont été partis, j’ai demandé à lady Holland si elle avait un privilège contre les poursuites, for treating and bribery.

2 heures
Je viens de chez Lord Aberdeen. J’aime sa conversation, et je crois qu’il aime la mienne. Il y a beaucoup de shyness dans sa froideur. Et aussi de sadness. Il est préoccupé de cette affaire Napoléon. On commence à l’être ici, beaucoup plus qu’au premier moment & plus que moi. Je suis accoutumé aux apparences, et aux démonstrations bruyantes. Cependant, il est sûr que des embarras viendront de là. Ce qu’il y avait de bien est déjà recueilli ; il faudra subir le mal. Mais je ne crois pas au danger. Pourvu qu’il y ait un pouvoir qui s’en défende. En tout cas, la question est lointaine. Le retour n’est pas possible avant le mois de Novembre.
L’Orient est stationnaire. Je reste toujours sur mon terrain. On n’y vient pas. Mais on n’ose pas avancer sur le sien. Je m’applaudis du parti que j’ai pris de dire dès le premier moment, ce que je devais dire à la fin. Plus j’y pense, plus je suis convaincu que notre politique est la seule sensée. Rallumer la guerre entre les Musulmans, et courir le risque de l’allumer entre les Chrétiens pour la question de savoir si quatre ou seulement deux Pachalih de la Syrie appartiendront au vieillard qui règne à Alexandrie ou à l’enfant qui dort à Constantinople, en vérité c’est bien léger. Et je tiens pour certain qu’ici il n’y a pas trois personnes qui ne soient au fond de mon avis. De celles qui y ont pensé, s’entend. Il n’y en a pas beaucoup.
Les Affaires Etrangères occupent bien peu le public anglais. Je dis beaucoup sur cette question d’Orient ce qui est parfaitement vrai ; la politique que nous soutenons ne nous causera aucun embarras, à l’intérieur, car tout le monde, en France en est d’avis ; aucun embarras à l’extérieur, car le jour où l’on voudra agir sans nous, les embarras seront pour ceux qui entreprendront de faire, et non pour nous qui regarderons faire. L’hypothèse la plus défavorable ne nous met donc pas dans une position redoutable.
M. de Metternich a eu certainement beaucoup d’humeur pour Naples ; et dans son humeur, il s’est montré plus disposé à faire ce que voudrait Lord Palmerston en Orient. Mais sa disposition est vague, comme tout dans l’affaire. Quant au Pacha, il dit que si on le bloque dans Alexandrie, il sautera par dessus le blocus, c’est-à-dire pas dessus le Taurus. Je connais ces petites biographies, les premiers cahiers, le mien compris, qui était très bienveillant, et assez spirituel. Je connais Thiers, aussi ; mais non pas, le Duc de Broglie, ni Berryer, ni Dupin, ni Lamartine, vous serez bien aimable de m’envoyer ceux-là. L’ouvrage m'a paru écrit à bonne intention. Sait-on par qui?
Certainement, je porterai la santé de la Reine, le 25. Je suis en pension chez lady Palmerston. Elle dine samedi chez moi ; moi dimanche chez elle en petit comité, et lundi en full house. Je l’ai beaucoup vue depuis quelque temps et plus je la vois, plus je la trouve aimable. Elle dit qu’à présent je plais beaucoup à M. de Brünnow et qu’il parle de moi tendrement. Adieu.
J’ai le cœur à l’aise depuis hier à votre sujet. Je voudrais que ma grande lettre vous fût arrivée avant la petite. Je ne l’espère pas. Adieu.
Vous devriez vous arranger pour être ici le samedi 13 Juin. Au plus tard le Dimanche 14. Vous ne vous faites pas scrupule, je pense, de voyager le dimanche. Je ne trouve pas qu’on soit aussi austère ici à ce sujet, qu’on me l’avait dit. Le gros Monsieur vient passer quelques jours à Londres et vous en avertira. Ce que vous pourriez lui remettre passera de sa main dans la mienne. Que j’ai de choses à vous dire ! Et que de choses à entendre, que j’aime mille fois mieux !
Adieu, encore ; jamais pour la dernière fois.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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380. Paris jeudi le 21 mai 1840

J’ai eu hier matin une longue visite d’Appony. Il a eu enfin une longue conférence avec Thiers, il parait qu’ils se sont dit beaucoup de choses obligeantes, et plus encore de choses aigres. Ainsi sur la question d’Ancône.
"- Si j’avais été ministre jamais la France n’aurait rendu Ancône.
- En ce cas vous aurez eu la guerre.
- La guerre ? Vous n’auriez pas où la faire.
- Comme nous ne voulons pas nous brouiller, finissons cet entretien."
Voilà un spécimen de la désobligeance. Voici pour les politesses. " Le prince Metternich est certainement le premier homme d’état en Europe. Il n’a surement pas pas besoin de mon suffrage, mais enfin je reconnais tout son mérite."
Le Roi a parlé à Appony de la translation des restes comme d’un acte de son invention. "Tôt ou tard, cela aurait été arrachée par les pétitions. J’ai mieux aimé octroyer. Il n’y a pas de danger ; la famille est sans importance. Le discours de M. de Rémusat n’a pas le sens commun je lui ai demandé ce que voulait dire sa dernière phrase, la comparaison de la gloire avec la liberté. Il m’a répondu qu’au fond il n’en savait rien, mais que cela avait fait un bel effet."
Croyez ou ne croyez pas, comme il vous plaira. Appony n’a pas inventé. Le temps est au froid. Pas de promenade au bois. J’ai dîné chez mon ambassadeur. plus de 30 personnes, toute la société blanche. Le soir il est venu chez moi, cela a été court, car je n’étais sortie de chez lui qu’après 10 heures.
J’attends ma lettre ce matin sans palpitation, avec impatience, avec joie, car elle sera bonne, elles seront toujours bonnes, n’est-ce pas ?
J’ai un chagrin de ménage. depuis l’assassinat de lord William Russell je n’ai plus foules qu’Eu génie reçût son mari chez moi. Le mari s’est fâché et me reprend sa femme, et je l’aimais beaucoup, car elle est jolie et alerte, & intelligente. Je cherche ; je veux de l’esprit, une jolie figure et pas de mari.
M. de Noailles, qui était hier mon voisin à dîner me dit que M. de Lamartine veut parler, contre la proposition du retour de Napoléon et qu’il s’arrange avec M. Garnier Pagès qui parlerait contre aussi dans ce cas, Berryer s’en mêle. Mais il est vraisemblable qu’on fera comme pour la loi de dotation en sens inverse. Vote silencieux. Logiquement et légalement on soutient que la loi contre la famille doit être reportée du moment qu’on réhabilite le chef. Quitte à faire une nouvelle loi qui les exile pour leurs méfaits. Ce qui est sûr c’est qu’on n’évitera pas du parlage sur ce point. midi Voici votre lettre bonne tendre, mais puisque vous avez continué le sujet, moi aussi je me force de revenir pour me défendre. Encore une fois voici vos paroles.
Mercredi 6 mai. " Alexandre a eu hier un accident, rien de grave & & dans deux ou trois jours il n’y paraîtra plus. "Vendredi 8 Mai. " Alexandre continue à aller mieux, c’est-à-dire qu’il va bien Samedi 9 mai. Alexandre va très bien. Je suppose qu’il ne tardera pas à partir." Voilà les nouvelles reçues de vous aux deux premières, croyance implicite. A la troisième, étonnement car Cumming disait ce que je vous ai mandé, et le silence total d’Alexandre confirmait plutôt Cumming que vous. Vous voyez bien que jusqu’à lundi 11 où je reçois votre lettre de Samedi à celle de Cumming, il n’y avait pas de quoi songer à partir je dis songer raisonnablement, car j’y avais bien songé dès la première minute et vous retrouverez surement cela dans ma première lettre après avoir appris l’accident. Et là c’était pour vous que j’allais, avec l’accident pour prétexte. Il n’y avait que votre phrase "dans deux ou trois jours il n’y paraîtra plus" qui me tenait perplexe, car je pouvais me croiser avec lui en route et le manquer. Lundi donc en recevant les deux lettres contradictoires, j’ai cru Cumming. Mon angoisse est devenue horrible, j’ai fait à la hâte mes préparatifs de voyage. J’y allais en dépit de vous, oui en dépit de vous ; et regardez-y bien, j’ai raison de dire cela. "Je suppose qu’il ne tardera pas à partir " était m’engager indirectement à rester. Vous ignoriez l’état où était mon fils et j’étais blessée de cette négligence ; ou le sachant, vous vouliez m’empêcher d’arriver en me disant "il ne tardera pas a partir". Et voici ce que j’ai cru : tout ces embarras diplomatiques vous ont amené à penser qu’en effet il serait plus commode pour vous que je ne vinsse pas. Je ne doutais pas de votre droit mais je pouvais croire à un excès de prudence, et c’est ainsi que j’avais fini par traduire votre phrase ; vous en retrouvez des traces dans la question que je crois vous avoir adressée il y a deux ou trois jours. Si je me suis expliquée clairement, il est impossible que vous ne me donniez pas raison et j’ai trouvé confirmation de mes conjectures dans l’absence totale de plaisir ou de regret lorsque vous avez su que je venais & puis que je ne venais plus. Je courrais donc vers mon fils, vers mon seul enfant, mon fils en danger ! Je songeais bien, je songeais beaucoup au bonheur de me retrouver auprès de vous, mais votre réserve, votre manière détournée de m’empêcher de venir me glaçait un peu. Dites ? Y a-t-il tant d’injustice à avoir cru entrevoir cela ? Je vous ai tout dit. Si cela n’est pas clair c’est que je n’ai pas su le rendre tel, mais j’ai compris comme cela, absolument comme cela. Voilà donc partie du 11 et tout le 12 employés à des préparatifs fatigants, odieux, car vous ne savez pas tout ce que j’avais à faire. Trouver un courrier pas un de mes gens ne pouvait aller avec moi, ils ne savent pas un mot d’Anglais ! Trouver quelqu’un pour m’accompagner dans ma voiture. Arranger ce que je laisse, ce que j’emporte. Pas un petit détail, pas un embarras m’a été épargné par personne. Je tombais de lassitude, je tremblais pour mon fils, j’avais la fièvre, ah quelles horribles journées ! Enfin mercredi 13, je reçois la première lettre de mon fils et une excellente, détaillée de Burkhausen, qui me rassurent complètement. C’est en devenant tranquille que j’ai reconnu toute ma faiblesse. L’inquiétude me soutenais. le calme de cœur m’a enlevé toutes mes forces factices et dans cet état j’aspirais à un peu de repos. J’ai remis mon départ de 4 jours, pour avoir les réponses d’Alexandre. Je subordonnais mes mouvements à ses volontés. C’était parfaitement naturel, parfaitement juste. Avant même sa réponse à ma demande, il m’a supplié de ne pas venir, de l’attendre, parce qu’il ne tarderait pas à partir. Et hier il me mande qu’il sera certainement ici le 26, pour y passer quinze jours Auprès de moi. Eh bien, dites-moi ; ai-je eu tort ? Aussi tort que vous le dites ? Vous m’expliquez votre réserve, c’est un peu trop subtil. Vous êtes trop fier avec moi ; ce qu’il faut être, c’est franc, toujours franc. Je comprends un peu votre réserve. Et bien moi, comprenez-moi, aussi. Lorsque j’ai tremblé pour mon fils je n’osais presque pas m’avouer qu’à côté de mes angoisses il y avait un plaisir, que j’allais vous revoir ! C’était dans le fond de mon cœur, mais caché ; je réprimais la joie. Elle me semblait un péché, un péché dont Dieu allait me punir. Il me semblait que dans ce moment je ne devais être que mère, n’avoir qu’une pensée, un vœux. Vous le savez bien, il y a des contradictions dans le cœur... ce n’est pas exactement ce que je veux dire. Je crois, et cela vous ne le savez pas, que j’ai l’esprit faible ; quand un malheur m’atteint ou me menace, il me semble que j’ai à expier ; qu’en me châtiant j’obtiendrai mieux grâce ; qu’en ne pensant qu’à Dieu, et à l’être cher pour qui je tremble, Dieu viendra à mon aide. J’écartais votre image, et elle était cependant toujours là, comme je vous dis dans le fond, tout-à-fait le fond de mon cœur. Je ne vous ai rien dit alors je ne sais rien vous dire de direct ; je ne vous ai parlé que de mon fils. Vous en avez été blessé, et voilà où nous nous sommes mutuellement mépris depuis le moment où je n’ai plus tremblé, n’avez-vous pas vu ce que je tenais si caché se faire jour de nouveau avec passion ? Ne m’avez- vous pas vu trembler de nouveau mais pour un bien autre intérêt ! Le doute était venue, les tulipes me dérangeaient. Que sais-je ? Sait-on tout ce qui vient à l’esprit ? Je répète avec vous. Que d’agitations insensées ; que de peines absurdes ! Allons, c’est fini. Adieu et adieu répété tant que vous voudrez. Ah si vous étiez là ! Quelle froide chose que du papier pour répéter un Adieu pareil.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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382. Paris, vendredi le 22 mai 1840
Midi

En écrivant ce matin, j’avais totalement oublié le vendredi. Je m’amende, et je viens Monsieur, vous donner de mes nouvelles. Je vous remercie mille fois de votre lettre reçue dans ce moment. Mon fils aussi m’écrit, je doute qu’il quitte Londres avant Mardi le 26, mais je ne le presse pas car je veux avant tout qu’il se ménage. On dit que Thiers a rapellé le duc d’Orléans. En effet, il n’y a rien à faire pour lui en Afrique. Il a prouvé, ce qu’on savait fort bien, qu’il est brave mais vraiment c’est une campagne manquée. Si on discute l’affaire des cendres de Napoléon j’irai surement à la Chambre. Les Poix sont bien tristes d’être arrivés trop tard ; ils s’en prennent presque à moi. Le fait est qu’ils comptent trop que mon intervention serait heureuse. Que savez-vous du roi de Prusse. Moi, je crois qu’il va finir. Lord Granville célèbrera probablement la fête de la Reine couché sur sa chaise longue. Il chargera Appony de faire les honneurs de son dîner. Adieu Monsieur, voilà une pauvre lettre. I can not help it Adieu.
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