Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Au château de Broglie, Mercredi 26 oct. 1853

Certainement si la Grèce prenait parti contre les Turcs et soulevait partout les Grecs, la complication serait grosse et l’Europe Chrétienne bien embarrassée. Mais cela n’arrivera que si vous le voulez, et vous ne le voudrez pas. Il y avait un homme qui est mort, et qui s’il vivait n'y manquerait pas ; c'était Colettis. Il aurait cru trahir, la Grèce et les Grecs s’il avait laissé échapper une telle chance que l'Europe le voulût ou non. Mais ces hommes-là sont rares, et je ne pense qu’il y ait en Grèce un autre Colettis.
Le Duc de Broglie reçoit à l’instant une lettre du Dr Chomel qui est arrivé de Genève le 22. Il avait quitté la Reine le 24, la laissant mieux, mais pas encore tout-à-fait en convalescence. Encore de la fièvre. Il craint l’âge, la saison, la fatigue. Cependant il est plutôt rassurant qu'inquiétant.
On a eu grand tort à Londres de n'être pas parfaitement poli envers votre grande Duchesse. D’autant plus poli qu’on semblait plus près de se battre. La guerre n’est pas une brouillerie entre les personnes. Je trouve misérables ces impolitesses préméditées, par raison d'Etat. Il n’y a à cela ni dignité, ni habilité. C’est une humeur subalterne ou une maladroite, imprévoyance. Reine d’Angleterre, j’aurais rendu extérieurement à votre grande Duchesse tout ce qui lui appartient, sans me préoccuper de la paix ou de la guerre. Empereur des Français j'aurais invité Kisseleff et Hübner à Compiègne comme les autres, sauf à ne pas leur dire là un mot de politique. C’eût été de meilleur goût dans le présent, et de meilleure politique pour l'avenir.
Je suis revenu hier ici, par un temps magnifique qui dure. Il y a chasse aujourd’hui dans la forêt. On court un chevreuil. Mon fils, est parti ce matin avec Albert et Paul de Broglie. Il y aura certainement moins de confusion qu'à Compiègne, et j’espère pas d'accident. J'écrirai à M. Monod pour qu’il n’attende rien. Je crois qu’on a raison. Ce serait bien solitaire. Ecrivez-moi encore et demain Jeudi, je vous prie. Je n'en partirai que samedi matin de bonne heure. Le Duc de Broglie partira aussi samedi pour Paris où Mad. de Staël arrive. Il va conduire son fils Paul à l'Ecole polytechnique où ce jeune homme entre brillamment. Il est spirituel, original, sauvage, et doué, à ce qu’il paraît de dispositions rares pour les Mathématiques.
Adieu, adieu. Où donc est allé Dumon ? Je ne pense pas qu’il doive être absent longtemps. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Lundi 24 octobre 1853

Quand Xérès fit dire à Léonidas " rends-moi tes armes " c’est, je pense, qu’il était un peu embarrassé de passer les Thermopyles ; et Léonidas fit acte de bon sens comme d’héroïsme en lui répondant " Viens les prendre."Il me paraît qu’Omer Pacha, est dans le même embarras que Paris, et qu’il somme le Prince Gortschakoff de passer le Danube et de venir l'attaquer, le menaçant de le passer lui-même et d'aller l’attaquer, en cas de refus. Je ne sais si c’est sérieusement qu’on écrit cela de Bucarest ; il n’y a pas eu beaucoup de situations plus ridicules que celle de ces deux armées qui vont passer l'hiver à se montrer le poing d’un bord du Danube à l'autre. Entendez-vous parler de l’Asie et la guerre peut-elle vraiment commencer là, à défaut de l'Europe ?
Je n'ai pas eu hier de nouvelles de la Reine Marie Amélie. Quand même elle continuerait d'aller mieux, elle serait hors d'état de faire son voyage d’Espagne. Les Princes ont écrit à leur frère Montpensier de venir sur le champ à Genève. On préparait, à Lisbonne, une très belle et très affectueuse réception pour la Reine. La Reine de Portugal mettait du prix à la traiter avec éclat. Le Duc de Nemours est accouru en hâte, laissant sa femme à Vienne où il retournera probablement. Je dis comme vous, je n'ai rien à dire. Je vous quitte pour aller profiter, dans mon jardin d’un temps admirable. Nous avons eu hier le plus beau jour de l’année, chaud et clair. comme dans un bel été. Aujourd’hui sera aussi beau.
Un journal dit que sir Edmund Lyons reprend du service comme marin, et va rejoindre comme contre amiral, la flotte de l’amiral Dundas. Lord Palmerston ne peut pas renvoyer en Orient un agent plus dévoué, plus remuant, plus impérieux, et plus anti-russe.

Midi
Je ne m'étonne pas de toutes ces mollesses. Il n’y a vraiment pas un motif sérieux de guerre, à moins qu’on ne s'échauffe par taquinerie, et ce n'est pas la peine. Adieu. Adieu. Ma fille vous remercie de vos bons souhaits. Elle part ce soir, en assez bonne disposition. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Au château de Broglie, Samedi 22 oct. 1853

Voici la réponse de M. Monod. On fera maintenant ce qu'on préférera. Dites le moi seulement dès que vous le saurez pour que j'en informe, M. Monod.
Je reçois à l’instant des nouvelles de la Reine du 19 à 10 heures du matin, un peu meilleures. On me dit que les mauvais symptômes ont cessé et qu'on est rassuré. J’ai pour que ce ne soit là que les oscillations d’une maladie bien grave. Elle avait été mieux le lundi 17 ; elle est retombée le mardi 18 ; un des poumons s’engorgeait ; il paraît qu’elle était mieux le Mercredi 19. On a fait venir de Paris, une soeur de la Charité qu'elle aime particulièrement.
C'est dommage que G. ne vous écrive plus. Je lui croyais l’âme trop exercée aux pertes ou aux gains de Newmarket pour que ses correspondances en fussent dérangées. Si l'Europe ressemble à la France, M. de Persigny aura raison.
Avez-vous lu l’article des Débats d’hier sur la race Slave, et le théâtre en Russie, et savez-vous qui est M. Pierre Douhaina l’article m’a intéressé, quoique bien long. Les Russes et les Turcs vont remplir les journaux. Je trouve le dernier langage du Times très sensé. On fera évidemment partout tout ce qu’on pourra pour rétablir la paix, et probablement on y réussira. Mais, on a en même temps partout le sentiment qu’il y a beaucoup d'inconnu, dans cette situation, et on se prépare à n'être pas surpris, ni pris au dépourvu par l'inconnu.
Voilà, toutes mes nouvelles. Je pars dans deux heures pour aller passer deux jours au Val Richer. J’ai eu ici un temps affreux. Il fait un peu moins laid aujourd’hui. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 12 oct. 1853

J’ai Barante ici depuis avant hier ; il ne m’a rien appris, mais nous causons beaucoup. Il est aimable, bon, et de mon avis presque sur toutes choses. Il ne croit pas plus que moi, et que M. de Meyendorff qu’on se batte sérieusement, ni que la France et l'Angleterre s'en mêlent réellement. L’attitude et l’unanimité du cabinet anglais disent aussi cela. Piscatory m'écrit que nous ne tenons pas assez de compte des Barbares, des Turcs eux-mêmes, et que leur ignorance et leurs passions déjoueront, toute la modération Européenne. Je ne le crois pas pourtant ce qui se passe depuis un mois lui donne quelque apparence de raison. Voyez-vous les Holland ? Barante dit qu’ils sont très animés, et que, ces jours derniers. Thiers, chez eux, était fort à la guerre. Il a eu là, à ce sujet, une dispute très vive avec Cousin, grand partisan de la paix. " Voilà comme vous êtes toujours, vous voulez recommencer 1840 & & " Cousin développe très bien un bon thème.
Avez-vous lu la lettre de Montalembert à Dupin qui lui avait envoyé son discours au comice agricole de Corbigny ? C'est vieux, mais c’est vif et bien tourné.
La correspondance d’Havas ferait mieux de ne pas trahir si clairement, dans son petit bulletin politique, son désir de la chute de Lord Aberdeen. J'y trouve aujourd’hui cette phrase : " Au jour où le gouvernement anglais se déciderait à entrer en lutte avec la Russie, il est possible que les précédents de l'illustre diplomate deviennent gênants et qu’il soit utile de remettre la conduite de la guerre en des mains plus vigoureuses et moins engagées ; mais tant qu’il reste quelque espoir de conserver la paix, tant qu’il y a des négociations à suivre, des concessions à solliciter, l'influence pacifique du nom de Lord Aberdeen est bonne, ce nom semble à conserver ? C’est une maladresse d'être à la fois timide et malveillant. On me dit que Naples est assez agité surtout la Sicile ; les correspondances de Malte recommencent. Le Roi de Naples est convaincu que, si la guerre éclatait, la Sicile serait la vraie indemnité anglaise. Les perspectives de cet avenir là commencent à agiter beaucoup aussi Rome et Turin.
Vous devriez lire les nouvelles lettres de la Palatine, Madame mère du Régent. M. de Sainte Beuve en donne dans le Moniteur, un extrait piquant. Je ne connais pas un exemple pareil de grossièreté unique dans le langage ; mais le fond est sensé, spirituel et honnête. Cela vous amuserait. Je ne connais pas du reste encore les nouvelles Lettres. Je n'en parle que d'après le Moniteur.
Onze heures
Adieu, adieu. Je n'ai rien de plus à vous dire. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 8 octobre 1853

Je renonce plus que jamais à prévoir ; on ne prévoit pas les emportements de Barbares ignorants, ni les faiblesses d'Etats puissants, ni les étourderies de Ministres hommes de sens et d’esprit. Je ne sais si je radote dans mon coin ; mais, à mon avis, il n’y a pas, à cette crise si grave, un seul motif sérieux et elle aurait pu très aisément être évitée au premier moment et termine dix fois depuis qu’elle a commencé. C’est ce qui fait que je ne crois pas encore aux conséquences extrêmes. Que la guerre soit absolument faisable dans cette saison, c’est possible ; mais elle est à coup sûr, plus difficile. Vous n'attaquerez pas les Turcs. Pour vous attaquer, il faut qu’ils passent le Danube, très mauvaise chance pour eux. On restera probablement l’arme au bras ; et si on ne se bat pas tout de suite, passera-t-on l’hiver sans rien faire pour se battre au Printemps ? C'est le comble de l’invraisemblance. Je retombe toujours dans ma raison. Pourtant je suis inquiet. Je crois que je ne le serais pas du tout, si je ne l'étais pas pour vous. Mais vous êtes dans la question. Je persiste à croire qu’il s'est passé à Olmütz quelque chose que nous ne savons pas et qui laisse une poste entrouverte pour la paix.
Parlons d'autre chose. Avez-vous lu la vie du Marquis de Bouillé par son petit-fils René de Bouillé ? Cela vous intéresserait. Vous passeriez la partie militaire. M. de Brouillé a été l’un des rares hommes de sens et du caractère du parti émigré dans notre grande révolution, et il a été, en rapport avec tous les hommes considérables de son temps.

Onze heures
Bonne lettre dans notre péril. J’ai toujours confiance à la dernière extrémité. S'il y a quelque nouvelle chance de négociation, Aberdeen ne se retirera pas. Très probable ment d'ailleurs, il ne se retirerait pas seul, et vous savez qu’un cabinet nécessaire à l'intérieur, ne se dissout pas pour des raisons de politique extérieure. J’ai trouvé, pour la Princesse Koutschoubey, non pas tout ce qu’elle cherche, mais quelque chose qui, je crois, peut lui suffire quant à présent et vaut peut-être mieux pour commencer. Je le lui écrirai demain à elle-même, puisque vous le désirez. Je n'ai pas le temps ce matin. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 2 octobre 1853

J’aime bien le discours de Gladstone à Inverness. Voilà, comment il faut parler de la politique de la paix. Ceux qui ne la recommandent qu'au nom du repos et des intérêts matériels ne savent pas qu’ils sont les mobiles les plus puissants sur l'esprit des peuples. Et puis, je trouve le ton de Gladstone décidé et ferme. Palmerston aussi a bien parlé. Si l'Angleterre persiste dans cette voie, je persisterai aussi dans ma confiance. J’ai lu dans l’Assemblée nationale d’hier. Le texte original de vos deux notes. La première est en effet très bonne au fond et dans la forme, pacifique avec la dignité tranquille d’un grand gouvernement. Mais je suis tout à fait de l’avis de ceux qui désapprouvent la seconde. Je n'entre pas dans la débat des phrases et des mots. A quoi bon le débat même, y eussiez-vous cent fois raison ? La première nole établissait très bien votre position générale, et en haut ; pourquoi descendre à des questions très particulières, et très petites dans leur aspect, quel que soit le lien qui les rattache à la grande ? Pourquoi vous faire avocats et théologiens, et fournir aussi aux cabinets et aux journaux l'occasion de se faire avocats et théologiens à leur tour ? Ils abusent de l'occasion, et par là, ils entretiennent la prévention populaire qui vous soupçonne de vouloir tout autre chose que ce que vous dites. Et c’est cette prévention qui embarrasse et affaiblit les gouvernements amis de la paix. Votre situation et votre politique envers la Turquie sont si complexes que vous ne pouvez entrer dans les détails sans prêter le flanc par quelque côté ; vous voulez aujourd’hui la paix, le statu quo, et en même temps vous saisissez, vous ne pouvez pas ne pas saisir, quand ils se présentent, les moyens de faire des pas vers un avenir qui n’est, ni le statu quo, ni la paix. Vous êtes donc incessamment exposés à ce que vos intentions présentes et vos vues d'avenir se mêlent et se donnent des démentis mutuels et dans cette confusion, le public, qui n’y regarde. pas de près, confond à son tour toutes choses, et prête à vos démarches, à vos paroles d'aujourd’hui un sens qu'elles n’ont pas aujourd’hui, mais qu’on y peut mettre quand on se transporte dans l'avenir. C’est là l'écueil dont vous avez à vous garder, et votre note explicative nous y pousse au lieu de vous en éloigner. Je ne connais pas de plus grand danger, dans les grandes affaires, que la fantaisie de prouver en détail qu’on a et qu’on a toujours eu raison.
J’ai des nouvelles de Claremont. La Reine est en effet revenue malade de la mer ; mais elle repart, et elle est, je crois, déjà repartie par Douvres et Ostende pour aller par terre s'embarquer à Gênes d’où la traversée, en Espagne est beaucoup plus courte et par une mer plus douce.
J’espère que l’indisposition de Marion n'est rien. Avez-vous eu, avec elle, votre conversation et va-t-elle passer quelques jours en Angleterre ?

Onze heures
Certainement, si la guerre éclate, tout le monde sera fou et aura été bien maladroit. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Vendredi 30 sept. 1853

Au point où en sont venues les choses, il n’y a plus de marge, ni de choix pour la conduite, à tenir ; il faut faire aujourd’hui ce qu’on eût dû faire au moment où l’on a rédigé à Vienne la note de transaction, insister péremptoirement auprès du sultan pour qu’il accepte de la main de Puissances amies, ce que votre Empereur a eu le bon esprit d'accepter, sans débat, de la main de Puissances méfiantes et jalouses. Et quels dangers réels la retraite, ainsi imposée au sultan l’expose- t-elle chez lui, et que peut-on faire pour la couvrir ? Je ne connais pas assez l'état des faits à Constantinople, ni le détail des négo ciations à Vienne pour avoir, à cet égard, des idées précises et pratiques. On a fait entrer des vaisseaux dans les Dardanelles ; on est donc en mesure de protéger le sultan contre le parti de la guerre, et de lui assurer la liberté de faire ce qu’on lui demande. On voudrait, ce me semble, rédiger à Vienne, au nom des trois puissances, une nouvelle note explicative de la première, et qui en donnant au sultan, sur ses objections, une certaine satis faction, elle ou apparente, lui permit de signer. sans embarras. Je comprends la possibilité d’une telle note, quoique je sois hors d'état s'en indiquer les normes ; mais elle n’est possible qu’en s'en entendant avec votre Empereur et en s’assurant qu’elle ne dérangera rien à son acceptation. Il ne faudrait pas que le commentaire lui fit repousser le texte qu’il a consenti. Comme je suppose toujours que votre Empereur veut la paix et ne joue pas un double jeu, je ne vois pas pourquoi il ferait objection à une telle note convenable ment rédigée, et qui sauverait un peu l’honneur du Sultan obligé de signer la première après l'avoir repoussée. C’est une affaire de procédés et de langage. Si on veut s'entraider et si on sait s'exprimer, on doit en venir à bout. Seulement, il faut que cette nouvelle note soit faite en commun par les trois puissances qui ont rédigé et proposé la première, son efficacité à Constantinople dépend du concert à Vienne. Encore ici, l’entente avec votre Empereur est nécessaire ; s'il travaille à détruire l'action commune et à séparer immédiatement l’Autriche de la France et de l'Angleterre, il rendra la note explicative impossible, et tous les embarras de la situation renaîtront d’autant plus que la note explicative me paraît aussi nécessaire à Londres qu'à Constantinople, et qu’il y a des ménagements à avoir pour la passion Anglaise aussi bien que pour la barbarie Turque.
Loin des incidents de Constantinople et des conversations de Vienne et d'Olmütz, tout ceci. n'est probablement que du bavardage. Je vous le donne comme il me vient à l’esprit. M. Monod voyage depuis plusieurs semaines, en Allemagne ; il était, depuis huit jours à Berlin. Voilà pourquoi je n'ai pas de réponse. Il sera dimanche à Paris.

Onze heures
Ne connaissant pas votre seconde dépêche explicative, je ne puis en tenir compte, ni savoir quelle part lui faire. Je suis de l’avis de Fould. Cela s’arrangera. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 28 sept 1853

Je ne suis revenu hier qu'après une heure. Dix sept lieues et vingt sept heures pour aller dîner, c’est beaucoup. Il faut pour cela, aimer beaucoup ses amis et avoir bien envie de leur faire plaisir. Aussi fais-je.
Si l’entrée des flottes ne met pas le Sultan et Reschid Pacha en volonté et en état de signer la note de Vienne et d'en finir de cette pitoyable situation, c’est évidemment qu’il n’y a plus aucun gouvernement à Constantinople et que le moment de la chute de l'Empire Ottoman est arrivé. C'est possible. Ce n'est pas un bon moment pour une si grosse affaire. L’Europe est divisée, et mal disposée. Les questions, et les dispositions révolutionnaires sont au fond, et au-dessus de toutes les autres. Elles décideront des alliances et des conduites. C'est le chaos dans les ténèbres. Attendons l’entrée des flottes mettra peut-être fin, pour quelque temps, à la crise. C’est toujours mon pressentiment.
L’Angleterre me paraît entrer sans motif sérieux, dans une de ces ébullitions populaires qui lui ont quelquefois fait faire de grosses fautes, mais dont pourtant, elle est presque toujours sensément sortie. Et sortira-t-elle cette fois, ou y succombera-t-elle ? Cela dépend de ses chefs. Il y a, j'en suis convaincu, dans le pays, des points d’appuis assez forts pour résister aux meetings et faire prévaloir la bonne politique. Le bon jugement, et le bon vouloir ne manquent pas à lord Aberdeen. Aura-t-il assez d'énergie ? Je le désire vivement pour lui, pour son pays et pour l'Europe.

Onze heures
Voilà une longue lettre et intéressante, quoique toute cette agitation soit vraiment assez ridicule pour une question qu’il serait si aisé de finir. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Vendredi 23 sept 1853

Votre note a deux mérites pour l'Europe, elle est très pacifique ; pour la Russie, elle prend la bonne position ; vous acceptez tout ce que l'Europe a demandé, et vous lui laissez l’embarras de le faire accepter à Constantinople. Vous prenez la peine de lui indiquer comment elle doit s’y prendre pour le faire accepter ; elle n'a qu'à déclarer franchement et énergiquement à la Porte & & Vous dites d'avance que vous évacuerez les Principautés dès que la note de Vienne sera acceptée à Constantinople et l’ambassadeur Turc arrive à Pétersbourg. Il n’y a rien à vous dire, vous profitez de vos avantages, en rassurant pleinement l’Europe sur vos desseins. Si l'Europe ne sait pas maintenir la paix, ce sera sa faute et non pas la vôtre. Elle la maintiendra. Elle obligera la Porte à accepter la note. Je ne sais pas par quelles lenteurs et qu’elles oscillations, il faudra passer pour en arriver là ; mais on y arrivera. Le résultat contraire serait trop ridicule et trop périlleux. En attendant le discours de Lord John ne me plaît pas du tout ; il admet beaucoup trop la chance de la guerre. Si c'est de la part de cette fraction du Cabinet une disposition à céder à l'opinion belliqueuse anglaise, c’est grave ; si ce n'est que ménagement pour cette opinion, avec l’intention au fond, de lui résister, je crois les ménagements plus dangereux qu'utile. Le cabinet anglais me paraît avoir deux peurs ; pour de la guerre, et peur d’un débat, en faveur de la paix dans le Parlement. Il voudrait la paix, sans débat. C’est une utopie. Il faut toujours se battre quelque part, et il vaut mieux se battre au dedans pour faire triompher la bonne politique qu'en dehors en l'abandonnant.
Je vois que votre grande Duchesse Marie, quitte l’Angleterre, malgré le goût qu’elle y a pris. Elle a raison de la quitter ; mais son goût me donne bonne opinion d'elle. Je dis de l’Angleterre ce qu’on a dit des ouvrages des grands maîtres.
C'est avoir profité que de savoir s'y plaire. Je suis de votre avis sur les paroles de l'Empereur au camp de Satory ; elles sont bonnes et bien dîtes à la fois militaires et pacifiques, agréables pour le dedans et pour le dehors ; et d’une flatterie noble, de celle qui relève ceux à qui elle s'adresse au lieu de les corrompre.
Avez-vous vu le maréchal Narvaez ? Ce sont ses amis qui rentrent au pouvoir à Madrid. Ils ne se suffiront pas longtemps à eux seuls. Ils auront besoin de lui. Dit-on que la Reine Christine retourne en Espagne ? Je suis en train de questions. Barante est-il à Paris ? Sa fille devait accoucher dans le cours de ce mois. S'il y est, vous seriez bien bonne de me dire son adresse. J’ai à lui répondre et je ne sais où le prendre. Il doit venir me voir au commencement d'Octobre. J’ai reçu hier une lettre de Piscatory qui veut aussi venir vers cette époque. Mes enfants remplissent presque ma maison, et j’ai besoin d’espacer mes hôtes pour ne pas les faire coucher à la belle étoile.
Adieu, Adieu. Le beau temps continue. J'en jouis autant au bois de Boulogne qu’au Val Richer. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, lundi 19 Sept 1853

Vous avez très bien pris votre position, en vous tenant en dehors des discussions avec la Porte, et on en renvoyant à la conférence de Vienne tout l'embarras. C'est la seule marche correcte et, c’est en même temps la plus pacifique. Quand on aura décidé la Porte à accepter ce que vous avez déjà accepté, on viendra vous le dire, et tout sera fini. On l’y décidera, je n'en doute pas, n'importe par quels moyens. On aurait dû commencer par là. La situation est fausse pour tout le monde ; tantôt on prend, tantôt on ne prend pas l'Empire Ottoman au sérieux, on le traite tour à tour comme un grand état et comme un cadavre. De là, les fautes. On oublie à chaque instant l'attitude qu’on avait et le langage qu’on tenait l’instant d'auparavant. On ne sait pas être aussi inconséquent et contradictoire qu’il le faudrait. Je m'amuserai à voir comment on s'y prendra pour se donner à soi-même. Tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre, tant de démentis. J’ai beau faire ; je ne peux m'attendre à rien de plus grave dans cette question.
Votre Empereur devrait bien interdire au prince Gortschakoff les proclamations. Si Omer Pacha en faisait de son côté, la guerre serait difficile à éviter.
Je vois que Lord Palmerston a quitté Londres. D'autres aussi sans doute. On sera convenu de l'action commune. Je suis fort aise que Molé ait de l’espoir pour ses yeux ; s'il y a un commencement de mieux, c’est la preuve qu’il n’y a point de paralysie, du nerf optique. Si vous le revoyez, soyez assez bonne pour lui dire que je regrette aussi beaucoup de ne l’avoir pas vu avant mon départ. Je n’ai trouvé jeudi dernier à l’Académie que Vitet et Cousin avec qui causer, Ste Aulaire n’y était pas, ni aucun autre de mes amis. La Reine Christine abuse de la platitude. C'est un mal très commun, et qu’on pourrait s’épargner sans le moindre inconvénient. Elle aura eu de l'humeur de n'être pas reçue à Claremont. Le Duc de Montpensier s'en ressentira peut être. A la vérité, quand on a de l’esprit et de la bassesse, on n'a guère d'humeur. Adieu.
Je n'ai plus à vous parler que du beau temps. Vous en jouissez au bois de Boulogne. Mes bois sont plus jolis, mais vous n'y êtes pas. Adieu.
Mes amitiés à Marion. G. Lisez dans le dernier numéro de la Revue des deux Mondes, une bouffonnerie intitulée : la mission trop secrète. Trop longue, mais drôle.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Quatre lignes seulement j’ai plusieurs choses à finir d’ici à demain et rien à vous dire. Je doute que vous m'envoyez aujourd’hui la solution de Pétersbourg ; cela traînera encore. Je ne puis croire à la complète folie des Turcs ; à moins que vous ne la vouliez vous- mêmes. L’article du Times, que m'ont donné les Débats d’hier est plein de doute et d’inquiétude. A dimanche, les commentaires.

Onze heures
Vous aurez raison d'accepter. Cela ne vaut vraiment pas tant de bruit. Adieu. Adieu, à Dimanche.

Val Richer, Vendredi 9 Sept 1853

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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57 Val Richer. Mercredi 7 sept. 1853

Voici une lettre de Lord Aberdeen qui a de l'intérêt. Je le crois plus confiant dans la conclusion qu’il ne le dit. C'est sa maxime qu’il ne faut jamais être ni surtout paraîtra sûr ; en quoi il a très habituellement raison. Moi qui ne suis qu’un spectateur sans responsabilité, je persiste à tenir l'affaire pour terminée. On disait, il y a six semaines, que les Turcs ne demandaient qu'à céder, que c’étaient les puissances, et Lord Stratford, ou non des puissances qui les en empêchaient. Apparement elles seront bien en état de les faire céder aujourd’hui.
Je trouve que votre Empereur a là une excellente occasion de reprendre en Europe le terrain qu’il y a perdu ; on lui sait déjà beaucoup de gré de la bonne grâce avec laquelle il a accepté la note de Vienne ; si maintenant, il est plus modéré que les Turcs et passe par dessus leurs petites exigences pour mettre fin à la crise au lieu de s'en servir pour la prolonger, on sera frappé de sa magnanimité russe, de sa sagesse Européenne ; on regardera presque la paix comme un don de lui, et la question sera close à son honneur comme à son profit.
Le Duc de Broglie et Mad. d’Haussonville, sont venus me voir avant hier. Nous avons causé tout le jour. Broglie triste et sensé, trouvant, comme vous le dites, et comme cela est évident, que l'Empereur Napoléon, a gagné que l'affaire d'Orient a bien tourné pour lui, qu’il s’y est conduit habilement & & Cela vaut mieux que la popularité au Dieppe. Un souverain est toujours populaire aux eaux où il amène du monde.
J’ai vu ce pauvre Molé quand j’ai été à Paris pour l'Académie. C'est fort triste, un peu moins pour lui que pour d’autres, parce qu’il a toujours plus vécu de la conversation que de la réflexion ou de l'étude. Il paraissait croire que c’était une cataracte, déjà formée, sur un oeil et en train de se former sur l'autre. On peut opérer cela. Triste ressource, mais ressource. On n’a pas besoin d'être un héros mutilé pour finir comme le maréchal de Rantzau ; Et Mars ne lui laissa rien d'entier que le coeur, heureux ceux à qui le coeur reste entier ! Après tout, c’est par là qu’on vit. Adieu, je vais faire ma toilette. J’aurai de vos nouvelles ce matin. Je vous écrirai encore vendredi. Puis, je vous verrai dimanche. Vrai jour de fête. Adieu.

Onze heures
Voilà votre lettre. Ce serait bien du bruit. Mais si Constantinople est sens dessus dessous, tout suivra. Adieu. Vous savez bien que je ne m'ennuierai pas.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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55 Val Richer, samedi 2 Sept 1853

Postdater n’est pas français du tout ; il pourrait l'être, car le mot serait correctement formé ; mais il ne l'est pas. Antidater ne signifie, rigoureusement parlant, que changer une date en mettant celle d’un jour antérieur, et c’est la définition qu’en donne l'Académie ; mais l’usage a étendu ce sens, et on dit antidater toutes les fois qu’on met une fausse date à la place de la vraie, soit qu'on mette celle d’un jour antérieur ou postérieur. Quand nous en serons à ce mot dans la discussion de notre nouveau dictionnaire, je demanderai qu’on modifie la définition et qu’on adopte celle de l'usage étendu. Vous m’y aurez fait penser.
Je trouve que les cinq modifications demandées par la Porte à la note de Vienne ne valaient guère la peine d'être faites, et ne valent pas celle d'être refusées ; ce sont des susceptibilités de Duellistes ou des subtilités de théologiens. La première a seule quelque intérêt pour vous ; il peut convenir à votre Empereur, pour la Russie, que le Sultan lui-même reconnaisse la vive sollicitude que les Empereurs de Russie ont de tout temps témoigné pour l'Eglise grecque, et le Sultan à mon avis, peut très bien reconnaître ce fait sans déroger. J’aurais été plus difficile que le sultan pour la troisième modification, j’aurais demandé le changement de ces mots : restera fidèle à la lettre et à l’esprit &, car ils impliquent un peu qu’il ne l’a pas toujours été, et il peut moins convenir de cela que de votre vive sollicitude pour l'Eglise grecque. Mais en vérité, il n’y a pas là de quoi fournir à une demi heure de conversation sérieuse entre hommes sensés ; et que ces modifications soient acceptées ou refusées, la situation des parties, comme on dit, restera en droit et en fait, absolument la même. Acceptez-les donc et n’en parlons plus.
Je suis très touché de l’intérêt que M. de Meyendorff veut bien porter au succès de mon fils, et je l'en remercie. Ma part dans l’éducation de mes enfants a été de m’arranger pour les faire vivre avec moi et pour causer avec eux. Je les ai eus tous les jours, de très bonne heure, à déjeuner et à dîner avec moi, heure d’intimité et de conversation. L'affection et le développement intellectuel y ont également gagné. Mon fils, a du reste suivi les classes et mené la vie de collège ; mais sans se détacher de la famille. Je suis un grand partisan de la famille, en pratique quotidienne comme un principe politique. En fait d’arrangements de famille, je vois avec une vive contrariété qu’on se décide au prolongement du boulevard de la Madeleine et qu’on va se mettre à l'œuvre. On me prendra donc ma maison. Grand déplaisir, outre l'ennui d’un déménagement. J’avais bien compté mourir dans ce nid-là.

Onze heures
Votre lettre de Bar m'était arrivée tard, et je voulais faire une petite recherche sur postdater, avant de vous répondre. Voilà la cause de mon retard, volontaire et non étourdi. Adieu, Adieu. Je répondrai à Marion. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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54 Val Richer, Jeudi 1er septembre 1853

Merci de vos quelques lignes de Strasbourg. J’espère en avoir quelques unes ce matin de Paris. Vous devez y être arrivée avant hier soir. Vous n'y trouverez pas plus de soleil qu’à Schlangenbad je n’ai jamais vu un plus affreux été. Mais vous vous reposerez chez vous. A mon avis on n'est bien que là où on doit rester. Grand signe de vieillesse.
Je n’aime pas ces petites modifications demandées à Constantinople. J’espère qu’elle sont aussi insignifiantes qu’on le dit. Les reproches du Times à la Porte, m'en font un peu douter. Du reste, j'en reviens toujours à mon dire ; si vous ne désirez pas, en secret, que la question dure, elle finira. Bien des gens à Londres, et à Paris, croient que vous ne voulez pas qu'elle finisse, et que vous comptez sur les objections de la Porte. Si cela est, petites ou non, elles sont graves.
Faites-vous attention aux actes et au langage des agents des Etats-Unis, chez eux et en Europe, le Président Pierce, le ministre Soulé, le chargé d'affaires Brown ? Il y a là du nouveau. Tenez pour certain que le nouveau monde se mêlera bientôt, et bien activement, des affaires de l'ancien, et avec toute l’arrogance et l'hypocrisie démocratiques.

Onze heures
Je suis charmé de vous savoir arrivée et hors des auberges. Merci de deux copies. La vivacité de Constantin m'amuse. La paix ne s'en fera pas moins. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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52 Val Richer, Vendredi 26 Août 1853

Je vous écris à Paris où je suppose que vous arriverez demain. Je vous ai écrit à Francfort d’où l’on vous renverra ma lettre si vous y avez passé trop tôt pour l'avoir, ce qui me paraît probable. Je ne reviens pas sur ce que je vous disais. Il aurait fallu vous attendre trop longtemps. J’aime mieux refaire 95 lieues que perdre huit jours. J’irai vous voir du 10 au 15 septembre. J’attends deux visites dans les premiers jours de septembre. Certainement je causerai plus longtemps avec vous qu’avec l'Académie. J’ai grande envie de vous voir et de causer. La personne d'abord, puis la conversation. Ce serait charmant que nous fussions toujours du même avis ; la sympathie vaut mieux que la dispute ; mais là, où le premier plaisir n'est pas, le second à encore son prix. Je suis fort aise que vous soyiez content, à Pétersbourg de votre sortie de l'affaire Turque. Je ne pense pas qu’on soit mécontent à Londres et je crois que, s’il n’y avait point eu d'Angleterre, ou si elle ne s'en était pas mêlée, vous seriez encore plus contents. C'est elle qui vous a empêchés de faire toute votre volonté. Là est son succès, quelles qu'aient été ses fautes. La politique extérieure Anglaise fait beaucoup de fautes de détail, car elle ignore beaucoup, tant le continent lui est étranger, et elle est pleine de transformations brusques, et de soubresauts, comme il arrive dans les pays libres ; mais en gros et dans l’ensemble des choses, le bon sens et la vigueur y sont toujours et la mènent au but. Quant à l'affaire elle-même, comme je ne m'en suis jamais inquiété, j'en attends très patiemment à la dernière fin. J’ai reçu hier des nouvelles de Barante qui ne me paraît pas s'être inquiété non plus.
Le mariage de l'Empereur d’Autriche était très inattendu. En Normandie du moins. Je ne suppose pas qu’il y ait là aucun goût personnel. C’est un lien de plus avec la Bavière que l’Autriche tient toujours beaucoup à se bien assurer, comme son plus gros satellite en Allemagne. Les Belges me paraissent ravis de leur Duchesse de Brabant. L’Autriche aura toujours bien à faire avec les deux boulets rouges qu’elle traine ; mais elle se relève bien tout en les traînant. Je voudrais connaître un peu au juste son état intérieur. J’entends là dessus bien des choses contradictoires.
On m’a dit à Paris que le travail pour faire venir le Pape avait sérieusement recommencé. On vous le dira sans doute aussi. En France, dans les masses, certainement l'Impératrice est populaire ; on aime mieux la beauté, et le roman que la politique, on s'y connaît mieux. Je suis venu, samedi de Paris à Rouen par un train qui précédait d’un quart d'heure celui qui devait mener le ménage impérial à Dieppe. Toute, la population était en l’air pour les voir passer ; et ce n'était pas de la pure curiosité ; il s'y mêlait de l’intérêt.

Onze heures 1/2
Voilà mon facteur et n'en à ajouter. Adieu, adieu.G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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50 Paris, Vendredi 19 Août 1853

La séance de l'Académie. Française a eu lieu huit jours plutôt que je ne pensais. Je suis arrivé hier matin pour y assister. Je repars demain. Il n’y a absolument personne ici. De mes amis ; Dumon seul.
Je trouve le public très rassuré ; et pourtant il court de mauvais bruits sur les Principautés ; on doute de la prompte évacuation. Je me soucie peu des bruits ; mais je suis frappé du débat du Parlement surtout, du discours de Palmerston. Il n’a jamais été si Turc, jamais si décidé à la guerre pour l'indépendance de la Turquie, jamais si confiant dans les moyens de résistance de la Porte et dans l'efficacité de l'alliance Anglo-française pour la soutenir. Ici, le langage et toutes les démonstrations du gouvernement sont archi pacifiques, et font regarder l'affaire comme terminée. Je sais qu’au ministère de la guerre, on n’a pas douté un moment de la paix et qu’on n’a fait aucun préparatif pour une autre chance. Mais je persiste à croire qu’on aurait accepté et qu’on accepterait volontiers cette autre chance, et que la sympathie est toujours grande pour Palmerston.
Mad. de Hatzfeld est la seule ressource du petit nombre d’âmes politiques en peine qui errent encore à Paris. Elle reçoit les jeudi et lundi. Je passerai à sa porte ce matin. Je ne la trouverai probablement pas. Il fait très beau. Tout le monde se promène. La fête du 15 a été très brillante. Paris était plein d'étrangers. Il se vide. J’ai vu Mad. de Boigne en passant à Trouville. La mort de sa belle-soeur a été pour elle un vrai chagrin, autant qu'elle peut avoir un chagrin. Mad. d'Osmond est morte tout à coup, par une pression du cœur sur les poumons ; elle a été asphyxiée. Sa fille, la Duchesse de Maillé, venait de la quitter ; on a couru après elle, sur le Boulevard. Elle est revenue en courant ; sa mère était morte. Mad. de Boigne attend ces jours-ci à Trouville toute sa famille.
On s'amuse beaucoup à la cour. La Reine Christine y est en grande faveur et fait ce qu’il faut pour être en faveur. On parle du mariage d’une de ses filles avec le Prince Napoléon. On reparle aussi du sacre et du Pape. En attendant l'Impératrice a de grands succès au jeu du ballon, en plein air. Adieu. Ce n’est pas la peine de venir à Paris pour n'y apprendre que cela. Aussi n’y suis-je pas venue pour rien apprendre. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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48 Val Richer, Mardi 16 Août 1853

Puisque votre fils trouve Schlangenbad charmant et que votre santé s'en trouve, sinon beaucoup mieux, du moins pas plus mal. Vous avez raison d'y rester encore. Le changement sans rien savoir pourquoi, est un grand ennui. Nous aurons, sans doute avant la clôture, un grand exposé de l'affaire Turque dans le Parlement ; Lord John l’a promis. Il n’y sera pas embarrassé ; le cabinet Anglais a bien conduit sa barque ; il a maintenu la paix, en se montrant prêt à faire la guerre ; il a protégé efficacement la Turquie et rallié à lui la France sans se mettre à leur disposition. C'est de la bonne politique de temporisation et d’ajournement des questions. Personne aujourd’hui n'est en état, ni en goût d'avoir une politique qui les décida. Vous me dites que les Russes de Paris trouvent qu'après tout, et au prix de votre bonne réputation en Europe, vous avez fort avancé vous affaires ; je ne connais pas assez bien les faits pour en bien juger ; mais si cela est, soyez contents aussi ; tout le monde le sera. La Turquie l'est certainement autant que peut l'être un mourant qui n’est n'est pas mort, et pour la France, on dit qu’elle l'est beaucoup. Le public l'est car il voulait la paix, et il sait gré au gouvernement de l'avoir maintenue. Le gouvernement a de quoi l'être, car il a sa part dans le succès pacifique, et il s'est mis fort bien avec l'Angleterre. L’est-il bien réellement, au fond de l'âme ? J'en doute un peu. Mon instinct est que l'Empereur Napoléon aurait préféré l’union belligérante avec l’Angleterre, le Ministère de Lord Palmerston et toutes les chances de cet avenir-là. Je penche à croire que c’est là le but que, de loin et sans bruit, il poursuivait. Mais il ne s'y est pas compromis ; et ce n’est pas un échec pour lui de ne l'avoir pas atteint. Il peut donc se féliciter aussi. J’ai rarement vu une affaire où tout le monde ait été si embarrassé pour être, à la fin, si satisfait.
Je ne pense pas que l'Empereur Napoléon, se soit fait, dans le public, le même bien par le Rapport qu’il s’est fait faire pour montrer en perspective huit ou dix millions à payer en vertu du testament de son oncle. C'est se donner un gros embarras pour une nécessité bien peu pressante. Il y a assez de questions vivantes ; pourquoi exhumer les mortes ?

10 heures
Voilà votre N°46. Je ne partage pas du tout les soupçons de lord Greville à l'endroit des Principautés. Vous êtes entrés nécessairement. pour couvrir vos concessions sur vos premières demandes à Constantinople ; vous vous en irez loyalement. Question d’honneur dans l’un et l'autre cas. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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47 Val Richer, Dimanche 14 Août 1853

Vous avez raison ; mon impression sur les promenades de votre flotte dans la Batique et sur le camp de Chobham n'était pas fondée. Au fait, rien n’est plus naturel. Je ne doute pas que si la Porte se refusait à accepter la note de Vienne, la France et l'Angleterre ne lui retirassent leur appui. Il n’y aurait pas moyen de faire autrement. Mais je suis convaincu qu’on n'en viendra pas là. Il paraît que la vivacité du public anglais sur cette affaire était réelle et qu’elle avait gagné même les gros marchands de la Cité. Un de mes amis m’écrit en sortant de chez Samuel Gurney “ J’ai remarqué avec assez de surprise que le pacifique Duché partageait le sentiment d'impatience et d’irritation qu'inspire généralement ici la politique russe ; on est peut-être plus animé sur la question d'Orient à Manchester et à Birmingham qu'au camp de Chobham." On n'en sera pas moins fort aise de pouvoir se calmer.” Je viens de lire les détails de la Revue de Spithead. Ce devait être beau. Je vois que votre grande Duchesse Olga y était. C’est de bon goût. Tout le monde aime la paix aujourd’hui les rois comme les peuples ; la guerre dérangerait tout le monde.
Adieu.
Je n'ai vraiment rien à vous dire. M. Mallac me disait l'autre jour, à propos de l'Assemblée nationale : " Que deviendrons- nous maintenant et de quoi parlerons-nous, la question d'Orient terminée ? : " Nous n'aurions pas le même embarras si nous causions, mais de loin, le cercle est plus restreint. Barante va venir à Paris pour les couches de sa belle fille. Il viendra me voir ici. Duchâtel part demain pour le Médoc. Le Duc de Broglie est à Broglie. Molé au Marais. Je ne trouverai personne, à Paris la semaine prochaine. Quelques personnes y viendront pour la séance de l'Académie. J'en repartirai le lendemain. On dit qu’il faut lire les Mémoires de la baronne d'Oberkirch. Adieu. J'espère que vous avez votre fils. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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45 Val Richer, Mardi 9 Août 1853
3 heures
Il se peut fort bien que votre Empereur ait eu raison de penser à la Russie plus qu’à l'Europe. Je ne suis pas juge du cas particulier ; mais en thèse générale, on a toujours raison de se préoccuper du dedans plus que du dehors. Le pauvre roi Louis-Philippe se préoccupait infiniment du dedans ; à ce point qu’il en désespérait. Il a certainement en grand tort de faiblir le 22 février, et cette faiblesse a été la cause prochaine de sa chute ; mais il a été de tous, le moins surpris de ce qui lui est arrivé, tant, il en connaissait les causes générales et lointaines, et les regardait comme irrésistibles. Deux dispositions parfaitement contradictoires s'alliaient en lui ; dans l’ensemble, il était sans espérance, sans confiance, convaincu qu’il ne réussirait pas à fonder sa monarchie, que la France était vouée à l’anarchie et à la révolution dans chaque occasion particulière, quand le jour du péril venait, il était imprévoyant et sanguin, convaincu qu’avec un peu d'adresse, de souplesse et de patience. Il reviendrait sur l'eau et se relèverait après avoir plié, les deux dispositions ont également contribué à le perdre ; il a vu à la fois trop en noir et trop en beau ; il a trop désespèré du présent et trop espéré de l'avenir. On pouvait très bien résister en Février 1848, il ne l’a pas cru. Il a cru qu’il reviendrait du renvoi de son cabinet et même de son abdication ; et cela ne se pouvait pas. Il avait cela, et seulement cela, de commun avec Louis XI qu'il faisait beaucoup de fautes, et qu’il excellait. à s'en tirer, et qu’il espérait toujours avoir le temps de s’en tirer. Le temps lui a manqué pour se tirer de la dernière. Le chagrin a été pour plus de moitié dans sa mort. Le désespoir de votre N°43 est mal tombé, ce matin, après les quatre lignes du Moniteur d'hier. Vous aurez certainement eu directement l’avis de l'adhésion de votre Empereur à la proposition combinée à Vienne ? Je tiens pour impossible que le sultan n’y adhère pas aussi. Je suis donc de l’avis du Moniteur, et de la Bourse Je regarde l'affaire comme finie. Vous vous serez beaucoup tourmentée en pure perte. A part l’intérêt Européen, je suis charmé que vous voyez un terme de vos inquiétudes.

Mercredi 10 9 heures
Il me revient que Kisseleff est très content, et qu'on est très content de lui à Paris. Son attitude. et son langage, pendant toute cette crise, ont été très fermes et très tranquilles. C'est Morny qui a renversé M. de Maupas, et fait supprimer le ministre de la police. Il s'est allié pour cela avec Persigny. L'Empereur Napoléon est content de Drouyn de Lhuys et du mélange de pacifique et de guerrier qu’il a mis dans ses conversations et dans ses pièces. Bon pour tous les en cas. M. d’Hautpoul a obtenu la permission de recommencer à se promener, en mer avec son yacht de Trouville.
Mad. la Duchesse d'Orléans confie M. le comte de Paris à Paul de Ségur pour aller faire un tour en Irlande. Adieu, adieu. J'espère que demain le facteur m’apportera votre tranquillité au lieu de votre désespoir.
Par grand hasard, j’ai reçu hier une lettre de Massi ; on me dit : " La paix jusqu'ici n’est pas troublée par l'occupation ; les troupes russes observent la plus exacte discipline et payent tout ce qu'elles consomment.” Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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43 Val Richer, Samedi 6 Août 1853

Merci de la lettre de M. de [Meyendorff] qui m’a beaucoup intéressée. Je suis charmé que les miennes l’intéressent un peu. J’aimerais bien mieux causer avec lui. Je lui dirais que je n'ai jamais pensé à un protectorat collectif des Chrétiens en Turquie. J'en sais, comme lui, l'impossibilité pratique. Ce qui me paraissait praticable, c'était que votre Empereur, puisque on regardait un engagement de la Porte envers lui comme attentatoire à l’indépendance Ottomane, proposât lui-même que la Porte prit le même engagement, non plus envers lui seul, mais envers toutes les Puissances Chrétiennes, laissant chacune de ces Puissances protéger ensuite, pour son compte, ses propres dieux Chrétiens, l’une les Grecs, l'autre les Catholiques, l'autre les Protestants &
Mon idée n'était qu’un expédient pour sortir de la difficulté du moment par une porte qui ne fût plus seulement Grecque et Russe, mais Chrétienne et Européenne, qui fût par conséquent plus grande pour votre Empereur et unobjectionable pour les autres. Ce sont les situations prises qui décident. des affaires je voyais là une bonne situation à prendre, bonne pour la dignité et pour la solution. Voilà tout. Cela ne signifie plus rien aujourd’hui. Le sultan a beau se griser et traîner. L'affaire finira bientôt puisque tout le monde veut, qu'elle finisse. Les embarras ne sont des périls que lorsqu’il y a des puissants qui veulent en faire des périls.
Vous ne lisez probablement pas les récits de la révolution de Chine. S'ils sont vrais il y aura bientôt là, pour l'Europe, de nouveaux Chrétiens à protéger. Seront-ils Grecs, Catholiques ou Protestants ? Je crois que vous avez une mission religieuse à Pettiny. Du reste, ces Chrétiens chinois, orthodoxes ou non, me paraissent en train de se bien protéger eux-mêmes. Convaincu, comme je le suis, que le monde entier est destiné à devenir Chrétien, je serais bien aise de lui voir faire, de mon vivant, ce grand pas.
Avez-vous des nouvelles de la grande Duchesse Marie ? Le voyage de la grande Duchesse Olga en Angleterre est-il déterminé par la santé de sa sœur ? Dieu veuille épargner à votre Empereur cette affreuse épreuve ! Il m’arrive le contraire de ce qui arrive, dit-on, ordinairement ; je deviens en vieillissant, plus sympathique pour les douleurs des autres ; mes propres souvenirs me font trembler pour eux comme pour moi-même.
Je voudrais vous envoyer un peu du beau temps que nous avons depuis quelques jours ; très beau, mais pas chaud. C'est le vent du Nord avec le soleil. Nous n'aurons décidément point d'été. Vous ne me dites rien de l'effet de vos bains ; mais à en juger par l’air de votre silence, Schlangenbad vaut mieux qu'Ems.
Changarnier parle en effet trop de lui. Mais quand vous n'avez rien à faire des gens, vous ne savez pas assez les prendre par le bon côté, et mettre à profit ce qu’ils ont tout en voyant ce qui leur manque. Vous vous ennuyez trop de l'imperfection dès qu’elle ne vous est bonne à rien.
Adieu, adieu. Je ne fermerai ma lettre que quand mon facteur sera venu ; mais il ne m’apportera probablement rien à y ajouter. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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42 Val Richer, Jeudi 4 Août 1853

J’ai devant moi le plus épais brouillard que j'ai vu depuis longtemps dans un pays où j'en vois beaucoup ; mais c’est un brouillard blanc du matin que le soleil élève et dissipe en une heure, et qui présage une belle journée. Nous en retrouvons quelques unes, mais sans suite et sans sécurité mêlées de mal et précaires, comme tous les biens de la vie.
Je ne suis pas inquiet comme vous ; je suis pourtant moins tranquille que je ne l’ai été jusqu'ici. La question primitive et turque me paraît arrangée ; vous demandez moins que vous ne vouliez d'abord ; la Porte dira ce que vous voulez ; vous lui répondrez comme elle vous le demande ; il n’y a là plus d’embarras. Mais il y en a maintenant entre l'Europe et vous ; un gros et un petit. Le gros tient à la position isolée que vous travaillez à reprendre envers la Porte ; le petit a été créé par les circulaires de M. de Nesselrode. Une question de vieille politique et une question d’amour propre récent. J'espère bien, ou plutôt je compte que ni l’une, ni l’autre n’amènera la guerre ; mais je ne vois pas encore comment on les arrangera l’une et l'autre, à la quasi satisfaction des partis intéressés, condition nécessaire de tout arrangement. Il faudra bien qu’on en vienne à bout. Quand ce sera fait, je me donnerai le plaisir de vous dire ce que, depuis longtemps, j’ai à vous dire, et je ne vous dis pas.
Je vois que vous aussi vous faites parader vos flottes dans la Baltique comme dans la mer noire. Est-ce bien utile et de bien bon goût ? Cela me fait un peu le même effet que le camp de Chobham en Angleterre, un joujou rare et fragile dont on s'amuse. En général, il ne faut pas se mettre beaucoup en avant par le côté où l’on n'est pas le premier. Il paraît que notre ami Aberdeen a couru un véritable danger. Les cabs font bien du bruit à Londres. Je ne leur aurais jamais pardonné s'ils lui avaient fait vraiment mal, car je l’aime toujours beaucoup malgré son silence que je comprends. Plus on aurait envie de causer à coeur ouvert, moins on parle quand on ne le peut pas.
Avez-vous fait quelque attention, dans le Galignani, aux articles tirés d’un nouveau journal Anglais, the Press, qui me paraît se consacrer à la cause de l'Aristocratie territoriale, intelligente et libérale, de l'Angleterre ? Je viens d'en lire un, sur l’Angleterre, la Russie et les Etats-Unis, qui est très spirituel et très politique. Je voudrais bien que cette cause-là, qui est la bonne, fût bien défendue ; elle l'est bien faiblement depuis longtemps.
Je vous quitte pour faire ma toilette. Je pars ce matin à 10 heures, pour une course de campagne qui me prendra la journée. Je fais plus de ces courses-là que je ne voudrais. Mon gendre Conrad cherche à acheter une petite terre dans ce pays-ci, et il me demande d'aller voir tout ce qu’on lui propose. J’espère que ce sera bientôt fini. Pauline est encore un peu souffrante, plus de fièvre, mais une névralgie douloureuse, et qui l'abat.

10 heures
Adieu, adieu. Je pars sans que mon facteur soit arrivé, ce qui est toujours un grand ennui. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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15 Val Richer, samedi 11 Juin 1853

Un nouveau délai, c’est quelque chose, pendant ce temps là, on négocie certainement à Vienne à Londres, à Paris. Si on sait s'y prendre, il doit venir de Constantinople quelque ouverture que l'Empereur ne puisse pas se dispenser au moins d'écouter, et qui engage une négociation nouvelle. Je suppose toujours que l'Empereur n’a pas son parti pris d’engager la question dernière, et de jeter bas, l'Empire Ottoman. Sauf cette hypothèse il est impossible que l'affaire ne s’arrange pas.
On m'écrit de Londres : " I see Lord Aberdeen very frequently happily rather a friend than patient. His healthy, since he took office, has been better than usual, though you will judge from what you see of tre current of affairs that he cannot he without various inquiétudes. The Turkish question, under ils present aspect the India Bill in its future course and the Education bill under the various perplexities which religious fond impose upon it, are all subject which may well afford to him thought and anxiety. " (Je vous supprime les questions intérieures) " On the Turkish questions I will not speak. A few days or weeks will decide them for good or ill, and the anticipation here is (or was yesterday, that all will end in compromise."
Est-il vrai que Lord Stratford ait proposé à ses collègues de faire une réponse collective aux questions de la Porte, et qu’on s’y soit refusé, en se bornant à des réponses identiques rédigées par M. Delacour ? Cela serait assez significatif et cette fois-ci encore comme en 1840 l’Angleterre aurait de la peine à se faire suivre de ses alliés.

Onze heures
Merci de ce que vous m'avez fait écrire. J’espère que votre fatigue n’est pas sérieuse. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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4 Val Richer, Mardi 31 Mai 1853

Faut-il que je vous renvoie la lettre d'Ellice à Marion ? Elle est intéressante et j'en remercie Marion. Si on a conseillé à la Porte de déférer la question aux quatre puissances, ce n'est pas très prévoyant, et si après cela, on ne soutient pas la Porte, ce n’est pas très brave. Je regrette quelque fois de porter tant d’intérêt à la paix, car j'en prends très peu aux Turcs ; je voudrais voir ce beau pays rentrer dans le giron Chrétien. Mais St Marc Girardin a raison ; il en coûterait trop cher aujourd’hui, il en coûterait une nouvelle explosion de la révolution, en Europe. Il faut attendre, pour cela comme pour tout le reste. Je doute toujours du canon.
Voilà la session du Corps législatif close. Elle n’a pas été brillante pour le pouvoir, mais je trouve qu’il s'est conduit sagement, en ne s’entêtant pas et en transigeant sans bruit avec les velléités de résistance qu’il a rencontrées. De résistance, j’ai tort ; c’est d'indépendance, et d’indépendance très mesurée qu’il faut dire. Si le Gouvernement sait accepter peu à peu cet adoucissement à la réaction qui a marqué son origine, il s'en trouvera bien et le pays aussi. On a beau avoir réussi dans un coup d'Etat ; il n’y a pas moyen de rester aussi absolu que le jour où on l’a fait.
Je suis pressé de savoir comment vous aurez remplacé votre professeur Allemand. Quels mauvais renseignements vous sont donc venus sur son compte ? Il est vrai que la sagacité de ce bon Tolstoy n’est pas, une garantie suffisante.

Midi
Mon facteur arrive très tard. Mais il m’apporte une bonne lettre. Vous ne me dites pas encore quel jour vous partez. Je suis de l’avis de Hübner ; cela s’arrangera. Le trouble des spéculateurs de toute sorte m'amuse. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 28 Mai 1853
8 heures

Je ne vous ai pas écrit hier en arrivant. J'étais en retard et mon facteur, en avance. Le temps m'a manqué. Je suis arrivé fatigué. Je le suis depuis quelque temps. J’ai besoin du bon air et du profond repos que je trouve ici. Le silence et la solitude ; rien à entendre et personne à attendre, pas plus de dérangement que d'affaire. Quand on devient vieux, il faut ou de grands intérêts ou un grand calme ; le mouvement de Paris dans l'oisiveté est une fatigue sans excitation. Je ne regrette absolument que vous. Il est vrai que ce qui est beaucoup.
Que du moins notre séparation profite à votre santé comme à la mienne. Vous ne serez pas aussi seule à Ems que moi au Val Richer et vous ne le supporteriez pas. J’espère pourtant que vous vous reposerez, et que vous reviendrez mieux portante que l’an dernier.
Prés, bois, champs, feuille, fleurs, tout est resplendissant de fraîcheur, et de jeunesse. Le soleil brille surtout cela. Quelques ondées de pluie coupent de temps en temps les rayons du soleil. C'est charmant à voir. Outre le plaisir du moment dans ce spectacle, j’aime à penser qu’il se renouvelle et se renouvellera chaque année depuis et pendant je ne sais combien de siècles, apportant à je ne sais combien de millions du créatures le même plaisir.
J’attends les nouvelles de Constantinople, avec curiosité, mais sans vraie inquiétude. Plus j’y pense, plus je me persuade que rien de grave n’en peut sortir, même quand vous vous brouilleriez tout-à-fait avec la Turquie, même quand vous lui feriez un peu de guerre. Il n’y a de grave aujourd’hui que ce qui engage la question révolutionnaire et tout l’Europe. On n'en viendra pas là.
Je suis frappé de la tranquillité de la bourse de Londres à côté de la vivacité des journaux anglais. Adieu. J’attendrai le facteur pour fermer ma lettre. Adieu, Adieu.

Onze heures
Je crois encore moins à la chute de Lord Aberdeen qu'à la guerre. Les Anglais ont encore plus de bon sens pour la dedans que pour le dehors. Je ne m’agite pas de tous ces bruits ; je n’aime pas, ensuite, à m'être agité pour rien. Merci de vous trouver triste et misérable. sans moi. Adieu, adieu.
Il ne fallait rien moins à Lord Cowley qu’une grosse fusion. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 30 oct. 1852

L'affaire Belge me paraît, pour le moment, bien près d'être arrangée ; le ministère Broucker va se former ; il avait été appelé comme le plus propre à terminer les négociations avec la France. Il s'acquittera de sa mission, et la question commerciale ne sera plus un prétexte aux querelles politiques. Resteront la presse et les réfugiés, nous verrons si les Chambres belges feront quelque chose à cet égard.
Albert de Broglie me disait hier que la Suisse était inondée du pamphlet de Victor Hugo ; on l’offre aux voyageurs sur les bateaux à vapeur, dans les auberges. Les radicaux sont toujours les maîtres là, et très malveillants pour le président.
Le Piémont en revanche se loue beaucoup du président. M. de Cavour dit qu’il a été presque étonné de l'accueil que lui a fait le gouvernement français et de la bienveillance, toute politique, qu’on lui a témoignée. Ils n'ont, disent-ils, absolument aucune inquiétude, pour la Savoie et ils comptent sur un appui diplomatique s’ils étaient tracassés d'ailleurs.
Il me paraît qu’il n’y a guère de doute sur la venue du Pape, si on le lui demande formellement. A part toute autre considération, son caractère l’y poussera ; il a le goût de la popularité ; il en trouvera plus en France que partout ailleurs, et comme Pape, et comme formateur libéral.
La Times est bien violent sur l'affaire de l'emprunt Turc. Il y a là quelque chose que je ne sais pas, et qui donne à Londres, et à Paris beaucoup d'humeur, peut être à des gens qui manquent là une bonne occasion de donner beaucoup d'argent.
La Duchesse d'Orléans était très souffrante. vraiment très souffrante avant son accident ; les entrailles en fort mauvais état ; le repos absolu qu’elle a dû garder lui a fait un bien réel. Elle est, à tout prendre, bien aise de retourner en Angleterre, dans sa famille ; elle commençait à la trouver fort seule, délaissée ; elle n’a, auprès d'elle, personne qui puisse lui donner un bon conseil et un utile appui. Elle passera l’hiver dans quelque bon coin du midi de l’Angleterre. Le climat de Claremont ne lui réussit pas.
Le comte de Paris a été très bien au moment de l'accident de voiture intelligent, courageux et affectueux. Je recueille des bribes de conversation, en attendant mieux.

4 heures et demie
Mon facteur vient tard. Abdel Kader ne déshonore pas votre appartement de la Terrasse. C'est un grand homme malheureux. Il y a des grands hommes dans le désert. Adieu, Adieu.
Je crois sans en savoir rien de plus que ce que vous m'en dites, que l'Empire commencera modestement. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 28 oct. 1852

J’ai passé hier ma journée avec une très désagréable migraine. Je me suis couché à 9 heures. Nous avons le plus sot temps du monde, des pluies sans fin, avec des coups de tempête. J’ai dormi et je suis mieux ce matin, mais encore la tête lourde. Les Anglais me semblent bien nombreux à Paris. Ils viennent assister à l'avant scène de l'Empire.
Le 4 novembre verra recommencer à Londres le régime parlementaire, à Paris le régime impérial. Je trouve que le gouvernement, est, de tous, celui qui s'est conduit dans cette perspective, avec le plus de prudence et de dignité. Il n’a témoigné ni bon, ni mauvais vouloir ; il n’a point donné lieu de croire qu’il eût d'avance aucun parti pris ; il n’a cherché ni à détourner, ni à pousser. C'est à lui qu’il est le plus facile de reconnaître l'Empire, sans démentir en rien, je ne dirai pas ses paroles, mais sa physionomie. C'est décidément le moins léger et le moins gascon des gouvernements. Il n’est cependant pas en train de grandir dans ce moment-ci. Le cabinet et l'opposition auront petite mine l’un et l'autre le 4 novembre.
Je suis frappé du ton des journaux Anglais qui engagent la Reine " to forget party distinctions and to lend for a score of men, only because they are the ablest in view." 
Cela ne sera pas, ce n’est pas possible ; mais c’est l'indice d’un sentiment national bien menaçant pour Lord Derby. Ceci finira, dans le cours du Parlement qui commence, par l’alliance des Whigs et des Peelites. John Russell et Aberdeen.
Dit-on de quelle manière l'Empire sera annoncé aux puissances étrangères ? Y aura-t-il des envoyés extraordinaires, ou se contentera-t-on d’une circulaire aux agents Français ordinaires, avec ordre de la communiquer ? Cela n’a aucune importance en soi ; pure curiosité de spectateur. En tout cas, la reconnaissance aura lieu. Probablement, on mettra de part et d'autre, peu de faste dans la demande et dans la réponse.
Du reste, la situation du président est la meilleure ; il fait ce qu’il veut sans s'inquiéter de savoir si cela plaît ou déplaît. Il sait que la réponse sera à peu près la même, soit que la demande plaise, ou déplaise. Il peut être aussi modeste qu’il le voudra dans la forme. La modestie sera bon goût et non faiblesse.
Savez-vous le sens de cette querelle à Constantinople sur l'Emprunt Turc ? Je ne comprends par pourquoi la France s’y est engagée, ni pourquoi nous nous ferions à la fois les Protecteurs des Lieux saints et des Juifs. Je ne vois pas bien non plus pourquoi vous mettez de l'importance à faire échouer cet emprunt ; ce n’est pas une innovation parlementaire, et ni la France, ni l’Angleterre n’y gagneront grande influence à Constantinople. Vous pourrez toujours, pour abattre cette influence, faire faire banqueroute à la Turquie.

Onze heures
Je n'ai pas de lettre ; mais j’ai de vos nouvelles J'espère que votre rhume ne durera pas. Adieu Adieu. Voilà donc l'emprunt Turc rejeté. Encore une fois, je ne comprends pas pourquoi On fait de cela, chez nous, une si grosse affaire. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Mercredi 20 oct. 1852

Nous ne faisons aucune attention aux affaires d'Orient. Il n’y a plus d'Orient. Les gouvernements de France et d’Angleterre sont trop occupés chez eux et d’eux-mêmes pour regarder au loin. Pendant ce temps, je vois que les révolutions ministérielles se succèdent à Constantinople ; voilà Ali Pacha renversé, le successeur, mais encore l’ami de Reschid Pacha. Je suis sûr que ce sont vos affaires qui se font et que vous faites là. Il n’y a rien à dire. Vous avez raison de profiter des fautes de l'Occident.
Voici une faute qui vous touche peu, et qui m’a choqué. Comment a-t-on, samedi dernier, fait sortir et amené en masse sur le passage du Président, les collèges, et les écoles primaires, des enfants ? Ceci est pire que le suffrage universel. On se plaignait jadis que les étudiants de droit et de médecine, les jeunes gens de 20 ans fussent mis en scène une politique, et on y met aujourd’hui des marmots. Ce n'est ni sensé, ni honnête.
Je ne comprends pas ce que fait Lord Malmesbury pour être mal avec l'Autriche. Je ne leur vois point de sujet de querelle ; à moins que la mauvaise humeur des voyageurs Anglais en Italie, à propos de leurs passeports, ne devienne une question de gouvernement. Ce serait bien absurde. Peut-être aussi le Piémont. qui donne sans doute de l'humeur à l’Autriche. Du reste, les puissances du continent auraient grand tort de se mettre mal avec l'Angleterre ; si jamais l’incendie révolutionnaire se rallumait ce qui n’est pas du tout impossible, c'est encore là qu'elles trouveraient, pour résister, le point d’appui le plus fixe et le plus fort.
Vous avez bien raison de trouver bon que Paris perde l'habitude de faire et de défaire les gouvernements. En soi, l'acte de puissance que font depuis quelque temps les populations des campagnes est excellent ; elles sont hors d'état de gouverner ; mais il ne faut pas qu’on puisse gouverner ou détruire les gouvernements sans elles et contre elles, et la leçon donnée en ceci aux prétentions et aux traditions de Paris est très salutaire.

Onze heures
Je n’ai pas de lettre. Adieu donc. Il fait bien beau temps. J’espère que vous avez le même soleil à Paris et que vous en profitez pour prendre l’air. Adieu, Adieu.
J'ouvre mes journaux. Vous avez perdu votre pari avec M. Molé. Nous aurons l'Empire en Novembre.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Le 31 Août 1852

Ma maison est fort tranquille aujourd’hui. J’y suis seul avec mes filles et mes petites filles. Tous les hommes sont partis pour la chasse qui s'ouvre ce matin. Pauline n’est pas du tout malade, elle a eu quelques soins à prendre pour se remettre de ses couches et un commencement de mal de gorge qui l’a fait rester, 24 heures dans son lit, mais ce n'était rien et elle va bien, comme une personne délicate.
Il y a longtemps que Génie ne m’a écrit. Dans ce que dit le Moniteur sur Constantinople, il n’est pas du tout question des Lieux Saints. Je suppose que cette affaire-là, en est resté où elle était, et qu’on parle des petites affaires arrangées pour éviter de parler de la grosse qui ne l'est pas.
10 heures et demie.
Il ne fait pas chaud du tout ici. Je voudrais bien vous envoyer un peu de ma fraîcheur et de ma verdure normande. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 30 Août 1852

J’ai dîné hier à Lisieux avec l'Évêque, son clergé et les gros bonnets de la ville. Le clergé toujours bienveillant, pour le président. Les laïques sans enthousiasme pour l'Empire et craignant qu’il n’amène la guerre. Tout le monde sensé dans un horizon bas et court. La conversation ne s’arrêtant pas sur la politique et cherchant, d’un sentiment général à se porter ailleurs ; tantôt sur les questions économiques, tantôt sur les questions religieuses. C’est un assez amusant spectacle que de voir ces bourgeois au fond très peu dévots quoique respectueux essayer de prendre intérêt à la querelle des auteurs chrétiens et des auteurs païens, aux citations des pères de l'Eglise, et à la tenue des synodes des prêtres du diocèse.
Avez-vous lu un article du Globe sur les affaires d'Orient, France and Turkey, bien fait et curieux ? Il me paraît que le renvoi de Rachid Pacha, s'il est sérieux ne tournera qu’à votre profit. Plus on ira, plus on sentira la faute d'avoir relevé solennellement cette question des Lieux Saints. La politique de la France en Turquie depuis vingt ans est un tissu d'inconséquences et d'étourderies.
J’étais moi-même dans cette mauvaise voie, en 1840, jusqu'à mon ambassade en Angleterre. J’ai essayé d'en sortir de 1840 à 1848 en me tenant tranquille en Orient, et en n'y traitant aucune question que de concert soit avec la Porte elle-même, soit avec toutes les grandes puissances Chrétiennes quand il fallait agir contre la Porte, c’est-à dire sur la Porte, malgré elle. Il n’y a pas autre chose à faire, tant qu’on ne sera pas décidé à fondre, avec du canon, la cloche. de ce pauvre Empire. On s'en apercevra. pour la seconde fois, lorsqu’on se sera mis, pour la seconde fois, dans quelque mauvais pas, comme il nous est arrivé en 1840 à propos de Mehemet Ali.
Le Moniteur, est un peu embarrassé à parler convenablement du déplacement du monument élevé au Duc d'Enghien dans la chappelle de Vincennes. C’est une pauvre raison à donner de ce déplacement que la nécessité de faire plaisir aux artistes " en rétablissant la symétrie des belles lignes architecturales du temple bâti par St. Louis. " Une phrase sur " le respect qu’on doit à la cendre des morts " n’est pas une compensation suffisante. Il ne fallait pas toucher du tout à la cendre de ce mort-là. Elle brûle encore et brûlera toujours quiconque y touchera.
Pourquoi M. de Persigny est-il à Londres ? Est-ce, comme, on l’a dit, pour le traité de commerce qu’on a tout récemment démenti ? J’ai peine à le croire. Il y a là des intérêts puissants, et auxquels il est aussi imprudent de toucher qu'au monument du Duc d'Enghien

11 heures
Voilà le facteur et le général Trézel qui m’arrivent à la fois. Je n'ai que le temps de vous dire Adieu, et adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, dimanche 22 Août 1852

Ce mauvais temps continu me déplait ; il gâte les blés du mon fermier qui ne me paye pas et moi, il m'enrhume ; j’ai la gorge prise depuis quelques jours ; je tousse beaucoup le matin. Je vais faire venir quelques bouteilles d'Eaux bonnes. C'est mon remède habituel. Mais probablement les remèdes s’usent à mesure qu’on s’en sert, et surtout à mesure qu’on vieillit.
Que signifie la nouvelle chute de Reschid Pacha ? Je suis enclin à n’y voir qu’une comédie, car Ali-Pacha, qui le remplace a toujours été son homme, et tout-à fait dans la même politique Turcs et Français ne savent comment se tirer de cette question des lieux saints. Il ne fallait pas l'élever, et le jour où l’on voulait absolument l'élever, il fallait commencer par la traiter officieusement avec vous, à Pétersbourg, avec l'Empereur en personne qui, probablement, eût pu être amené à comprendre et que conseillait l’intérêt commun de la Chrétienté. Il est difficile à présent que la France accepte la dernière décision de la Porte, et je ne sais comment fera la Porte pour en prendre une autre.
Je trouve dans les feuilles d'havas un petit article qui indique que le Gouvernement est décidé à solliciter indirectement des conseils généraux, des votes en faveur de l'Empire. On s'y félicite beaucoup de la presque unanimité qui s'est manifestée à cet égard dans les conseils d'arrondissement, et on finit par dire : " Cela présage d’une manière certaine que les conseils généraux formuleront à leur tour cette même pensée plus explicitement et plus unanimement encore. "Les feuilles d'havas sont plutôt adressées, aux fonctionnaires qu'au public, et elles donnent des instructions plus que des nouvelles.
Je vois que Lord Cowley est allé à Londres. Est-ce pour les propres affaires ou pour celles du public. Ce retard prolongé de la réunion du Parlement n’a pas bon air. On concevait le retard des élections, pour les préparer ; mais à présent que les élections sont faites pourquoi en faire attendre le secret ?

Onze heures
Vous répondez à ma question sur Cowley. Quoique je le connaisse peu, je le regretterai s’il s'en va. C'est plus sérieux que Lord Malmesbury. Je viens de prendre un verre d’Eaux bonnes J'en avais apporté. Je vous quitte pour aller me promener un peu avant déjeuner. On dit qu’il le faut. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Mercredi 1 Oct. 1851

Je reviens à ce qu'on vous à dit des alarmes de Thiers. Quoique je le sache très prompt et crédule en fait d'alarmes, il a trop d’esprit pour avoir toutes celles des badauds. Il faut que les coups d'Etat aient été et soient encore dans l’air de l'Elysée, plus que je ne l'ai cru. Je persiste cependant à n’y point croire. On en parle probablement beaucoup ; on les arrange, on les discute ; on ne les fera pas. Race de bavards pleins d'imagination, qui s'amusent de leurs plans et s'enivrent de leurs paroles, mais à qui les plans et les paroles suffisent.
Il m’est bien revenu quelque chose de cette fameuse lettre de Thiers dont vous me parlez, et que Normanby a montrée à Rogier. Mais je n'en sais rien que d'incomplet et de vague. C’était, je crois une désapprobation de la lettre de Rogier. Si vous pouvez me donner, à ce sujet quelques détails un peu précis, soyez assez bonne pour me les donner.
Je vois qu’on me fait aller tous les jours à Champlâtreux et assister à toutes les réunions possibles. L’Assemblée nationale a bien fait de rappeler que je suis ici fort tranquille. Je suis très décidé, et très hautement contre la proposition Créton ; mais il ne me convient pas de paraître toujours présent, et actif dans les réunions purement légitimistes, où on la repousse. C’est une malice de Thiers ou de ses gens à l'adresse de Claremont.
Je vous ai dit que Montalembert m'écrit qu’il n’est pas prêt pour son discours qu’il devait m’apporter ici à la fin de septembre. " Je suis bien confus d'avoir à vous avouer aujourd’hui que je n'ai pas encore terminé ce travail. Pour me justifier, je dois dire que j’ai été indisposé au commencement de la prorogation puis distrait et absorbé par une foule de devoirs et d'ennuis électoraux. Cela ne diminue pas le remords que j'éprouve de ne pas vous tenir parole. Je viens donc vous demander humblement quelques jours de délai. "
Je parie qu'il ne sera pas prêt avant la fin d'octobre. Assez grand ennui pour moi, car je ne puis pas faire mon discours sans avoir vu le sien et il me faut bien autant de semaines qu'il lui a fallu de mois, et un peu de loisir. Ce discours sera fort écouté. Il faut qu’il soit bon.
Montalembert ajoute : " J’ai pris la liberté de faire remettre chez vous tout ce que j'ai jamais dit ou écrit. Il y a beaucoup de générosité de ma part à vous faire cette communication aussi complète, car vous pourrez y trouver plus d'une attaque contre vous et contre le Gouvernement que vous dirigiez. Mais la révolution de Février, si elle m'a donné raison sur quelques points, vous a si bien vengé sur tant d'autres qu'il ne saurait rester de ressentiment dans votre cœur contre ceux d'entre vos anciens adversaires qui étaient au fond vos alliés naturels. "
Il a bien raison. Je n’ai pas le moindre ressentiment contre lui. Je suis assez frappé du Firman de la Porte. au Pacha d’Egypte contre le chemin de fer d'Alexandrie à Suez. Je croyais à Sir Stratford Canning plus de crédit à Constantinople. C'est un gros désagrément pour Lord Palmerston qui met à ce chemin beaucoup d'importance. Vous verrez qu’il finira par prendre le parti d'Abbas Pacha contre le Sultan, comme nous avons pris en 1840, le parti de Méhémet Ali. Êtes-vous pour quelque chose dans cette résistance si décidée de la Porte, ou n’est-elle due qu’au travail de Paris et de Vienne ?

Onze heures
Merci de votre lettre très intéressante. Et j'en remercie aussi un peu Marion, excellent reporter. Le mot, si je ne me trompe est plus poli que celui de rapporteur. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 8 nov. 1849
8 heures

Je fais dire au Duc de Broglie, ce que pense Flahault. Je ne vous réponds pas qu’il le fasse. Il est dans une disposition à la fois, très amère et très réservée, de plus en plus dégouté de se mêler de ce qui se passe, en quelque façon que ce soit soit pour nuire, soit pour servir. Je suppose que Lord Lansdowne ne compte pas rester longtemps à Paris. Il serait bien bon en effet qu’il vît les choses telles qu’elles sont réellement. Je ne sais pourquoi je dis cela, car je ne pense pas qu’il résulte grand chose à Londres de son opinion sur Paris, quelle qu’elle soit. Il est de ceux dont le bon sens ne sert à rien quand il faut qu’ils fassent un effort pour que leur bon sens serve à quelque chose. Je suppose aussi que de Pétersbourg, on ne fait pas grand effort pour empêcher, en Hongrie, les exécutions qu'on déplore. C'est le rôle des sauveurs de déplorer et de ne pas empêcher, de nos jours, la Restauration a fait cela en Espagne, la République à Rome ; et vous en Hongrie. Cette affaire des réfugiés hongrois finit bien pour vous. Il était bon à l'Empereur d'avoir à se plaindre de l'action anglaise, et de le faire un peu haut. La République française, sans l'afficher ouvertement, en ayant même l'air de ne pas le vouloir, vous aidera beaucoup à faire de la Turquie votre Portugal. L'état de l'Europe vous est bien bon. L’Autriche sauvée par vous, la France annulée, vous n'êtes en face que de l’Angleterre. Si vous ne faites pas trop de boutades, vous gagnerez bien du terrain. Le refus de la présidence décennale et d’une bonne liste civile est une preuve sans réplique qu’il y a parti pris pour l'Empire. Quand ce jour-là viendra, la partie sera difficile à jouer pour tout le monde. Président, assemblée et chefs de l’assemblée, armée et chefs de l’armée, sans parler du public, pour qui rien n’est difficile, puisqu'il ne fait rien et laisse faire tout. Ce sera l'une de ces grandes eaux troubles, où les petites gens habiles font leurs propres affaires, et ceux-là seuls. Donnez-moi, je vous prie si vous pouvez quelques détails sur ce terrain que je trouverai pour mon propre compte, et qui vous indigne. Je le vois d’ici en gros ; mais il est bon de savoir avec précision, et d'avance. J'en serai plus instruit qu'indigné. J’ai une indignation générale, et préétablie qui me dispense des découvertes. Mad. Austin est à Paris. Elle a trouvé à Rouen, M. Barthélemy, Saint Hilaire qui l’a fort rassurée, et qui l’y a conduite. J'attends aujourd’hui des lettres qui me feront, je pense prendre un parti à peu près précis sur le moment où j'en ferai autant.

Onze heures
Les lettres que je reçois me disent à peu près toutes comme Sainte Aulaire, et le duc de Noailles. Je me tiens donc pour à peu près décidé pour la fin de la semaine prochaine. N'en dîtes rien. Ce sera un charmant jour. Adieu. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Vendredi 2 Novembre 1849
8 heures

Mon impatience de savoir est extrême. Ce Cabinet s’est-il fait de concert entre le président, et la majorité, ou est-ce qu'un coup de tête du président ? Sera-t-il soutenu ou désavoué par la majorité et ses chefs ? Mon bon sens me porte à croire à la première chance. Deux ou trois billets que j'ai reçus hier m'indiquent plutôt l'autre. Cela importe infiniment pour la suite. si la majorité est consentante, si ce sont là des doublures mises en avant- pour faire ce que ne veulent pas faire les premiers acteurs, il n’y a rien de grave à craindre prochainement, la situation actuelle avancera sans se bouleverser. Dans le cas contraire, le chaos peut être imminent. Mon instinct me dit bien que même dans le chaos, il est impossible que les honnêtes gens avertis, et armés, et postés comme ils le sont se laissent battre et chasser. Mais j’ai appris à me défier de mon instinct. Vous me préoccupez avant tout par-dessus tout. Le monde s’arrange comme il pourra, quand il pourra. Il a de la force pour supporter et du temps pour attendre. Mais vous ! Je ne crois pas au danger. Je ne crois pas que votre seconde impression vous trompe, et que vous ayez tort d'avoir moins peur depuis que vous êtes dans la mêlée. Mais qu'importe ce que je crois ou ne crois pas ? Et j’attends et je ne puis faire qu'attendre. Je compte que le courrier, m'apportera tout à l'heure, le sens et la direction de l'incident. Vous avez toute raison ; si le gouvernement a le sens commun, il rappellera d'Orient sa flotte. Toute prolongation de démonstration serait parfaitement déplacée et sotte. Et l'Angleterre devrait en faire sur le champ autant. On vous doit, non seulement le fond, mais toutes les apparences possibles d'égards et de bons procédés. Les questions qui peuvent subsister encore entre vous et la Porte, l'expulsion effective des réfugiés, le lieu de leur retraite, les provinces du Danube, tout cela se réglera, d’autant mieux que l'occident s'en mêlera moins et surtout aura moins l’air de s'en mêler. Je ne puis croire que Sir Stratford Canning s'oppose formellement à ce que la Porte envoie les réfugiés vers tel point plutôt que vers tel autre. Qu'ils aillent en Angleterre ou en Amérique, rien n’est plus indifférent. Une fois sortis de Turquie, ils finiront toujours par aller à peu près où ils voudront en occident. Je ne comprends par Normanby poussant à l'Empire à tort et à travers, sans s’inquiéter de savoir si la majorité en veut, ou n'en veut pas, et uniquement pour maintenir son influence sur le président. Cela me paraît de la part de l'Angleterre, un jeu bien sot et bien inutile. Le joue-t-elle réellement ? Mad. Austin a traduit jusqu'ici, et traduit encore. Elle aura traduit demain tout ce qui est prêt, et elle part Lundi pour aller passer quinze jours à Paris où elle a affaire et d’où elle retournera à Londres. J’aurais ri de votre remarque si je pouvais rire. Je vais faire ma toilette. Vous connaissez cette impossibilité de tenir en place, ce besoin d'aller et de venir ; et de faire quelque chose, quand on ne fait rien et qu’on attend.

Onze heures et demie
C’est évidemment du bien nouveau qui commence. Plus curieux d'abord que menaçant. Il faut attendre pour penser. Adieu, adieu, Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 31 octobre 1849
8 heures

L'Empereur a eu raison de finir vite et avec le Turc seul. Mais je crois que Palmerston ne se console aisément d'être arrivé un peu tard. Vous connaissez sa fatuité ; il se dira : « mon oncle a suffi." Ceci ne changera point les situations à Constantinople ; votre influence à vous est là au fond, partout et de tous les jours ; celle de l'Angleterre n'est qu'à la surface et pour les grands jours ; on craint tous de vous; on espère quelque chose de l'Angleterre. La porte n'est pas égale. Non seulement les pas en avant, mais les pas de côté, mais même les pas en arrière tout en définitive, vous profite à vous tant votre position est forte et naturellement croissante. L'Empereur prouve un grand esprit en sentant cela, et en se montrant modéré et coulant quand il le faut. Il y risque fort peu, et probablement, un peu plus tard, il y gagnera au lieu d’y perdre. Mais ayez plus de confiance dans cette sagesse, et ne croyez pas si aisément à la guerre pour des boutades. Je suppose que Vienne restera quelque temps sans donner de successeur à Collaredo. Il faudra que Londres se contente de Keller. Vienne a raison. Montrer sa froideur sans se fâcher, c'est de bon goût d'abord, et aussi de bonne politique. L’Autriche n'en sera pas moins grande à Londres parce que son agent y sera petit. Mais le corps diplomatique de Londres descend bien. Méhémet Pacha et Drouyn de Lhuys en sont maintenant les plus gros personnages. Puisque M. Hübner est enfin venu vous voir, ce dont je suis bien aise, causez un peu à fond avec lui de la Hongrie. Ce pays- là est entré dans l’Europe. On regardera fort désormais à ses affaires. Est-ce sage la résolution qu'on vient de prendre à Vienne de maintenir, quant à la Hongrie, la Constitution centralisante de mars 1849, et de considérer son ancienne constitution comme abolie, au lieu de la modifier ? Je n’ai pas d'opinion; je ne sais pas assez bien les faits ; mais je suis curieux de m'en faire une. Puisque M. Hübner est un homme d’esprit il vous reviendra souvent. Je me promets de m'amuser de votre visite à Normanby. Que de choses à nous dire ! Précisément les choses amusantes. On ne rit pas de loin. Vous avez bien fait de faire cette visite. Au fond, c'était, je crois la règle. Et puis il n’y a que les petites gens qui comptent toujours par sols et deniers. Vous aurez ceux là bien plus empressés. L'accompagnement dans la rue est le commencement de l'attitude. Plus j’y pense, plus je crois que mon avis tel que je l'ai dit à M. Moulin est le bon. Il vous sera revenu par Petersham. Ne se prêter à aucune demi-mesure extralégale, et pousser à la formation du plus décidé, et du plus capable cabinet conservateur possible. Les répugnances de ceux qui ont sauté le fossé de la république sont ridicules ; c’est du calcul égoïste ou pusillanime, non de la fierté. Je suis en cela de l'avis du duc de Noailles. Le Gouvernement du tiers parti ne compromet et n'use pas les conservateurs, c’est vrai ; mais il ne leur profite pas ; aujourd’hui du moins il ne leur profite plus. Et bientôt, il les mettra tout-à-fait en danger, M. Dufaure couve maintenant M. Ledru Rollin. Etrange. situation ! Les conservateurs ont le pouvoir et ne le prennent pas. Cela a pu être sage d’abord ; mais ce qui est sage d’abord ne l'est pas toujours. J'en parle bien à mon aise moi qui suis en dehors. Mais pourquoi n’en parlerais-je pas à mon aise ? Onze heures Trouvez-vous étrange qu’en parlant à M. Moulin de mon plaisir à revenir à Paris, je n'aie parlé que de mon fils, et de mes livres ? Adieu, adieu, adieu.
Je ne vous gronde pas. Je ne me plains pas. Vos velléités d’injustice m'irritent et me plaisent. Quant à l’air gai, je vous ajourne à la rue St Florentin. Adieu Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 29 octobre 1849
7 Heures

Vous rappelez-vous bien le 29 octobre, il y a neuf ans mon arrivée à Paris le 26 et les trois jours qui précédèrent la formation du Cabinet ? Je suis décidé à ne pas croire que ce jour-là, et tout ce que j’ai fait du 29 octobre 1840 au 24 février 1848 m'ait été bon à rien. Mais aujourd’hui il n’y a que Dieu qui sache à qui cela a été et restera bon. Hier quand j’ai fermé ma lettre, je n’avais pas ouvert mes journaux. Excellente nouvelle de Pétersbourg. Vous savez que j'y ai toujours compté. Et je pense comme vous que ce n'est pas fini pour les Turcs. L'Empereur n’a pas besoin de se remuer beaucoup pour avancer beaucoup. Bonne nouvelle aussi d’Espagne. Je tiens à Narvaez comme artiste politique, et pour le bon exemple. Je n’avais d’inquiétude que parce qu’on ne sait jamais où en est et ce que fera la Reine Christine. Elle et Narvaez se détestent et se craignent. Mais la haine et la crainte ne leur enlèvent pas leur bon sens. J’en suis charmé. Tant que ces deux personnages se soutiendront mutuellement, l’Espagne se maintiendra. Je suis assez amusé de la fausse joie qu'aura eue Lord Palmerston. Il n’a depuis longtemps que le plaisir des revers de ses adversaires, pas du tout celui de ses propres succès. Il y a bien à parier que Lord Normanby aura lu votre lettre. N’appartient-il pas plutôt à Lord John qu'à Lord Palmerston ? Malgré cela, s’il vous a lue, il se sera donné probablement le mérite d'en dire quelque chose à son chef direct. Il ne lui aura rien appris, rien sur vos sentiments et rien qui le corrige. Outre M. Moulin, j’ai eu hier un autre ancien député conservateur un brave capitaine, le vaisseau, M. Béchameil qui a été destitué après Février à cause d’une lettre de lui à moi que la Revue rétrospective à publier. Il n'en est pas moins décidé, ni moins dévoué. M. Moulin est tout-à-fait un homme de sens et d’esprit. Je le trouve très inquiet, non seulement, en Général et pour l'avenir, mais prochainement. Persuadé que le Président par détresse d'argent autant que par ambition, cherche à faire et finira par faire le coup d'Etat impérial. Faire, c’est-à-dire tenter. Et cette tentative peut amener quelque grand désordre même un triomphe momentané des rouges. Ceci, je ne vois pas comment, l'assemblée étant là, et le Président ne pouvant pas la chasser, ni se faire Empereur par la grâce des rouges qui eux chasseraient bien l’Assemblée par la violence. Mais peu importe que je voie ou que je ne voie pas comment le désordre peut éclater. Evidemment les hommes les plus sensés et les mieux informés craignent qu’il n'éclate. Ceci me préoccupe. Pour vous d’abord. Il y faut bien regarder. Montebello est très bon pour vous tenir bien au courant. N'hésitez pas, comme renseignement à faire venir aussi mon petit fidèle, et à savoir de lui ce qu’il sait. Il est toujours, bien instruit. Au fond, je ne crois pas à ces crises prochaines. Toute crise qui ne sera pas absolument indispensable, et imposée aux hommes par des nécessités actuelles, sera ajournée. Mais nous sommes tombés à ce point qu’il faut craindre même les maux auxquels on ne croit pas. Je ne suis pas très étonné de la simple carte du Duc de Broglie. Je vous dirai pourquoi. Vous n'avez pas idée de sa disposition d'esprit. On va jusqu'à dire que les affaires d'argent de Morny sont si mauvaises que, pendant son séjour à Londres, son traitement de représentant à été saisi à Paris par des créanciers. Je ne puis pas croire cela.

Midi.
Voilà votre lettre. A demain les réponses. Je n’ai jamais craint la guerre Turque, mais j'ai le cœur bien plus léger depuis que je ne peux plus la craindre. Adieu, adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 25 oct. 1849
7 Heures

Un homme d’esprit m'écrit ceci : « Ne trouvez-vous pas que tout ce qui se passe autour de Constantinople ressemble singulièrement aux préludes du partage de la Pologne ? Il y a même, quant à nous, analogie dans la position. » Il y aurait du vrai à cela, s’il n’y avait pas, partout en Europe, ce qui n’y était pas au milieu du dernier siècle, la révolution flagrante. Les gouvernements seraient fous aujourd’hui si, pour penser à l’ambition, ils oubliaient la révolution. A ce jeu-là, elle ferait plus de conquêtes qu'eux et leur ferait bientôt payer cher celles qu’ils croiraient avoir faites. Les gens d’esprit ont le défaut de courir après tous les feux follets qu’ils aperçoivent, et qu’ils prennent pour des lumières. Cela les empêche de voir le grand soleil qui est en haut, et qui leur montre le vrai chemin. Je ne m'étonne pas de vos terreurs ; je m’en désole ; et à cause de ce que je leur trouve de fondé, et à cause de ce que je leur trouve d’exagéré. De la sécurité, le sentiment de la sécurité à Paris, vous n’avez pas pu y compter ; je n’ai pas à me reprocher de vous avoir rien dit qui pût vous tromper à cet égard. Aujourd’hui en France, il faut se résigner au fait et au sentiment de l’insécurité. Mais rien n’annonce des désordres prochains matériels et il y a tout lieu de croire que même survint-il quelques désordres de ce genre, il n’y aurait point de dangers pour les personnes, surtout pour les personnes étrangères, surtout point de dangers si prompts qu’ils fussent imprévoyables et indétournables. Il ne faut donc ni s'endormir ni perdre le sommeil. Quel ennui d'être loin et de ne pas avoir avec vous, sur ce point là encore plus que sur tout autre, ces conversations infinies où à force de se tout dire, on finit par atteindre ensemble à la vérité et pas s'y reposer! Enfin dans trois semaines nous en serons là. J’attends assez impatiemment ce qui a dû se passer hier à l'assemblée à propos de Napoléon Bonaparte qui a dû se plaindre qu'on mît de côté sa proposition sur le rappel des bannis pour ne s'occuper que de celle de M. Creton. C'est le second défilé du moment à passer. Si on le passe à l'aide de ces quelques paroles du rapport sur la proposition de M. Creton : ne pas prendre, en considération, quant à présent, et avec regret, on s’en sera tiré à bon marché. Avec qui et avec quoi le Président. ferait-il son coup d’état impérial avant la fin de l'année ? Je comprends qu’il ait besoin d’argent ; mais pour se procurer de l'argent, il faut, ou une assemblée qui vous le donne de gré, ou des soldats qui le prennent, pour vous, de force. Je ne vois à sa disposition ni l’un ni l’autre moyen. Il est vrai qu’à Strasbourg et à Boulogne, il ne les avait pas non plus ni l'un ni l’autre, à cela, je n'ai point de réponse, sinon qu'à Strasbourg et à Boulogne, il n'a pas réussi. Il s’appelait pourtant Louis Napoléon comme aujourd’hui. C'est beaucoup un nom ; ce n'est pas toujours assez.

Onze heures
Votre lettre d’aujourd'hui me plaît, politiquement et personnellement. Ne vous fatiguez pas. Adieu, adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 23 octobre 1849
7 heures

Madame Austin m'est arrivée hier. Voici ce que m’écrit Reave : « Je suis revenu à Londres au moment de la discussion turque. Au fond, de part et d’autre, je sens que nous avons pris cette affaire un peu trop vivement et Lord Palmerston en a profité pour jeter une pierre dans le jardin de ses adversaires. Mais il en résulte que l’Angleterre a montré que les endormeurs du Peace congress, ne l’avaient pas tout à fait assoupie, que l'Empereur de Russie s’attachera davantage à son état de repos armé ; et que l’on a acquis ici des notions plus justes sur la valeur vraie de la soi-disant alliance de la République française, qui consiste essentiellement à ne rien faire. A tout prendre, je ne regrette pas cette petite campagne, malgré le petit ridicule qui s’attache à tout excès de vigueur hors de propos. Du reste la mission arrogante du Prince Radziwill et l'exécution militaire de Louis Balthiany, sans la procédure judiciaire qui devait faire ressortir sa culpabilité sont, je crois, les deux fautes capitales des Empereurs alliés. On dit qu’il a été saisi une correspondance de Bathory, étant ministre avec le Roi Chartes Albert. Si cela est vrai, il aurait suffi de constater le fait devant la justice. du pays pour le conduire au supplice d’une manière légitime. »
Vous voyez qu’on sait à quoi s’en tenir à Londres sur le concours qu'on peut attendre de la République française, et qu’on ne croit pas à de bien grands coups après tant de bruit. Vous dites bien : le problème à résoudre pour l'Empereur c'est de concilier la grande attitude avec la raison. Il en viendra à bout, sa boutade n’a pas été heureuse ; elle a retourné contre lui l'Europe qui allait à lui, et elle ne lui vaudra pas en Turquie ce qu'elle lui a fait perdre en Angleterre et en France. Il n'en avait pas besoin pour faire, à l'occasion des affaires de Hongrie, un grand pas vers Constantinople. Le pas était fait ; et s'il tenait à le constater, il y avait dix manières d'atteindre ce but là, à meilleur marché. L'Empereur s’est laissé aller à une première idée, et à un premier accès de vainqueur. Il lui en coutera quelque chose de le reconnaitre et de rentrer dans une autre voie. Mais il le fera. Il a un sentiment trop juste de sa mission et de son intérêt de souverain, je veux dire de grand souverain, pour le lancer et pour lancer l'Europe dans le chaos de la guerre et de la révolution parce qu'on ne lui livrera pas Bem et Dembinski. Je suis très curieux, mais plus curieux qu'inquiet du résultat de la mission de Fuad. Effendi. Reeve me dit peu de chose de l'état des esprits en Angleterre sur nos affaires intérieures. Ceci seulement qui est sensé et qui me plaît assez. « Nos yeux se tournent de nouveau avec. sollicitude vert la France. Si M. Thiers se décide enfin à prendre un rôle plus actif, je ne vois devant lui qu’une des catastrophes qui lui sont familières. Il ne manquerait plus que cette direction suprême pour couronner les malheurs du pays. Je suis de plus en plus heureux que vous soyez complètement étranger à ce qui se passe dans cette assemblée. C'est là, je crois le sentiment de tous vos amis de ce côté de la manche, et de plusieurs de ceux qui m’écrivent de l’autre. Dans une position aussi radicalement fausse que celle de la République, il est impossible de faire autre chose du pouvoir qu’une déplorable fiction. " Je suis content de l’issue du débat sur Rome. Le défilé est passé. Le gouvernement, Président. et cabinet s’en tire sans y grandir, et la bonne cause est la seule qui ait été bien défendue. Ce sont là, pour le moment, les seuls résultats auxquels en toute occasion, il faille prétendre. Je doute que j’ai aussi pleinement satisfaction dans les deux questions encore sur le tapis, l'affaire turque et le rappel des deux branches bannies. On passera aussi ces deux défiles ; mais personne, je le crains ne dira ce qu’il y aurait à dire sur l’une et l'autre affaire, comme Montalembert, et même La Rozière, l'ont dit dans celle de Rome.
Onze heures et demie
Adieu, Adieu. Je n'ai que le temps de fermer ma lettre La vôtre est intéressante. J'en reçois une de Piscatory qui l’est aussi. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 20 octobre 1849
sept heures

Il y a un jour de moins entre vous et moi. J’aurai après-demain votre réponse à ceci. C’est charmant, en attendant mieux. Cela me plaît que vous soyez rentrée à Paris par un beau soleil. Dans l’arrangement de votre vie, indépendamment des anciennes connaissances qu’il faut reprendre, peut-être y en a-t-il aussi quelques nouvelles qu’il vous convient de faire, soit à cause de leur value personnelle, soit à cause de l’importance qu'elles ont prise dans ces derniers temps. Montalembert, Falloux (s’il vit), Bussierre, d’Haussonville, Piscatory. Je ne crois pas qu’il faille étendre votre cercle, et les étrangers en sont, et doivent en être, toujours le fond. Mais vous aurez des vides. Du reste, vous jugerez mieux de cela après- quelques jours de séjour que moi d’ici. J’avais pensé à M. de Tocqueville, s'il se recherchait comme de raison. Il est homme d’esprit, de bonne compagnie et sûr je crois. Mais il ne serait pas sans inconvénients. Je vous dis ce qui me passe par l’esprit.
Les inquiétudes de Brünnow me frappent un peu. Vous vous rassurerez à Paris. Evidemment, on n’y veut. pas, se mêler de l'affaire. Tous les Chefs de la majorité sont pour qu'on ne s'en mêle pas. L’assemblée est plus forte que le Président. A la vérité, il peut toujours faire un coup de tête, et au bout de son coup de tête peut venir un coup de canon de la flotte qui est partie. Pourtant je persiste à n'y pas croire. Je vois qu’on donne ordre à la flotte d'attendre à Naples. Il y aura encore des hauts et des bas ; les Turcs pourront se méprendre, l'Empereur pourra se fâcher. On finira par s’arranger. J'en reviens toujours à mon dire sur Lord Palmerston lui-même ; patron de tous les révolutionnaires, oui ; champion, non. On m’écrit : " Le Général Dumas et M. de Montalivet sont ici à quêter des voix pour obtenir le rappel de la loi de bannissement. Si ce rappel était prononcé, . nous verrions le Roi au château d'Eu de par la grâce de Louis Bonaparte, M. le Duc d’Aumale à Chantilly, et M. le Pince de Joinville aux ordres de Tracy." Je n’y veux pas croire, et je n'y crois pas. Mais c’est déplorable qu’on puisse le dire. Il n’y a évidemment pour cette proposition sur les bannis, que l’ajournement. Le rejet serait une indignité. L'adoption, le feu mis à la soute aux poudres. Je sais cette manière de voter et de motiver l’ajournement qui exciterait peut-être, au moment même un orage, mais qui ferait éviter le piège et faire un grand pas. Imaginez qu’on dit qu'il est question de Victor Hugo pour remplacer M. de Falloux. Mais on compte sur un discours qu’il doit prononcer, qu’il a peut-être prononcé hier à propos des Affaires Rome, pour rendre cela impossible. Comme de raison, nous avons beaucoup causé, Boislecomte et moi, de la Suisse et du Sonderbund. Il a bien à cœur de me persuader qu’il a dû se tromper sur la force du Sonderbund. Il est vrai que tout le monde s’y est trompé comme lui. Il m’a donné, sur M. de Radowitz, quelques renseignements assez intéressants, et qui me font penser que cet homme a de l’avenir. Il (Boislecomte) m’a parlé de M. de Krüdener comme d’un homme de beaucoup d’esprit, et d'encore plus de malice. Il assure que le peuple du Sonderbund était très bon et se serait très bien battu, que ce sont les chefs qui ont manqué. Bêtise et Mollesse. Maladies générales.

Onze heures
Je n'admets pas, à aucun prix et en aucun cas les derniers mots de votre lettre. Mais nous n'en viendrons pas là. Je crains bien des choses, mais pas tout. Adieu, adieu, adieu. Reposez-vous et soignez votre rhume. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 18 oct. 1849
8 heures

Vous arriverez aujourd’hui à Paris, par un temps admirable. Votre appartement sera gai, selon sa coutume. Les feuilles des Tuileries ne doivent pas être encore tout-à-fait tombées. Que Dieu protège votre retour et votre séjour ! La confusion me paraît bien grande : ce qu’il y a de faux dans la situation du Président et d’étourdi dans son caractère est près d'éclater. Je penche à croire qu'on se raccommodera. L'explosion met tout le monde en danger et ne peut profiter à personne. Mais des perspectives nouvelles se sont ouvertes. On sait que le président. et la majorité ne marcheront pas jusqu’au bout, dans la même voie, que le président peut vouloir se faire une autre majorité. Plusieurs de ses ministres actuels l'y poussent. M. de Falloux est hors d'état de rentrer dans les affaires et va en sortir définitive ment, si ce n’est déjà fait. Nous ne tarderons pas à voir du nouveau. Le séjour de Morny à Londres est bien singulier dans ce moment. Vous verrez qu'il vous informait mal sur les dispositions du Président dans l’affaire de Constantinople. Affaire qui du reste ne deviendra pas grosse, comme je l’ai pensé dès le premier jour. La démission de Collaredo me frappe. Il est difficile qu’on n'en dise pas tout haut le motif; et certainement cela ne vaut rien pour Palmerston. Mais rien n'y fera rien. Les questions du Cabinet anglais ne se décident pas par la politique étrangère. Nous nous le sommes dit cent fois, et nous l’oublions toujours. Vous serez fâchée d’apprendre en arrivant. que Brignole va à Vienne comme Ministre. Je le regrette. C’était presque le dernier débri de notre corps diplomatique. On me dit que M. de Hübner est homme d’esprit.

Midi
Mon facteur arrive, très tard. Je n'ai que le temps de vous dire, adieu et adieu. Je suis charmé que vous trouviez mes raisons bonnes et je trouve les vôtres bonnes aussi. Donc à la mi-novembre. On m'écrit que la paix est faite entre le Président et la majorité. Le Président a cédé. Il fait bien adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 17 octobre 1849
9 heures

Je suppose que vous voguez déjà, vers la France. Le temps est superbe. Point de vent. Grand soleil. J’espère que vous l’avez comme moi. Vous trouverez une lettre en arrivant à Boulogne. Que je suis impatient de vous savoir débarquée, seulement après-demain. Je suis bien curieux de votre impression sur Paris. Tous les gens qui ont des impressions, un peu sérieuses et vraies me disent que c’est triste. Vous y arrivez dans un moment important. On dit le président de bien mauvaise humeur. Le rapport de Thiers l’a beaucoup blessé. Je ne trouve pas que le silence absolu sur sa lettre soit habile, dans aucune hypothèse. Cela, et la question des bannis, et son attitude dans l'affaire Turque, tout en ce moment le livre à M. Dufaure, et le fait pencher vers la gauche, vous en apprendrez à Paris bien plus que je ne puis vous en dire. On me dit que M. Dufaure a reçu ces jours-ci beaucoup de rapports d’agents intelligents, étrangers à son département, envoyés çà et là par le Ministre des finances pour des inspections financières mais qui ont bien observé, l'état des prêts, l’attitude des fonctionnaires, et ils disent tous au Ministre de l’intérieur que le socialisme est partout en progrès d'une multitude de fonctionnaires le servent, et qu’il y aurait le plus grand danger à tenter de nouvelles élections par le suffrage universel. M. Dufaure écoute, regarde à les pieds, et ne répond rien. Lord John a raison de regretter vos conversations. Elles lui étaient agréables, et certainement aussi un peu bonnes. Que de choses arrivent parce que ceux qui les font n’ont jamais entendu la bonne cloche ! Notre flotte est partie peur Smyrne. L’amiral Parseval, qui la commande, est un homme sensé tranquille et honnête. Il ne dépassera pas et n'échauffera pas des instructions. Herbet m'écrit de Madrid : « L’Espagne est complètement pacifiée. Il faut maintenant qu’elle soit administrée, et ce sera peut-être plus difficile. Il est bien à regretter que le Maréchal Narvaez, n'ait pas la santé qu’il lui faudrait pour accomplir cette grande œuvre. Il est le seul qui compte en Espagne. C’est un Cardinal de Richelieu en épaulettes. J’ai une longue lettre de Barante. Il travaille sérieusement, me dit-il, à une histoire de la Convention. Il espère qu’une affaire l’appellera à Paris vers la fin de Novembre, Sans quoi, il n’y viendrait que deux mois plus tard, par économie. Les Ste Aulaire sont à Etioles. Je m'obstine à vous donner des nouvelles de Paris. La première lettre qui me viendra de vous de là, me fera bien plaisir.
Onze heures et demie
Voilà votre lettre. Si vous avez à Folkstone le même temps que nous ici, vous passerez certainement aujourd’hui. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L012_00266.jpg
Val Richer, mardi 16 octobre 1849
8 heures

Je ne pense pas que même en essuyant aucun retard, vous puissiez être demain soir à Paris. Vous ne partirez certainement pas de Boulogne aussitôt après votre arrivée. Vous y coucherez. Mais je ne veux pas courir la moindre chance qu'en arrivant à Paris vous n'y trouviez rien de moi. C'est bien assez de n’y pas être moi-même. Boislecomte est ici jusqu’à demain soir. Nous avons déjà beaucoup causé. Très noir, mais point démoralisé. Croyant à un avenir possible, mais lointain. Vous en saurez bientôt plus que je ne puis vous en dire. Il me paraît que pour le moment. Rome n’est plus rien. Constantinople pas grand chose ; c’est l'adoption, ou le rejet, ou l'ajournement de la proposition sur les rois bannis qui est la grosse affaire. La réunion du conseil d'Etat en a été bouleversée. Je doute que la majorité reste longtemps intacte et immobile. Il faudra qu'elle avance. Et si elle avance, elle se divise. Etrange pays, où tout le monde parle sans cesse de progrès, et où personne n'en fait aucun ! Cependant j’ai une lettre de Piscatory qui croit l'affaire de Constantinople grosse. Il en est très occupé, ou plutôt préoccupé. La majorité ne paraît avoir aucun goût à s'embarquer, dans la barque de Lord Palmerston. C'est le président qui porte tout son poids de ce côté. Adieu, adieu. Quand vous m'écrirez de Paris, vous m'enverrez les faits, je vous renverrai mes réflexions. En attendant que faits et réflexions nous soient communs. Adieu, adieu, adieu.
P.S. Voici, en résumé, les deux faits. qui me sont signalés comme nouveaux et importants. 1° La France est à la remorque et à la merci de l’Angleterre dans l'affaire de Constantinople. C'est le président qui l’y a mise. Son cabinet était divisé. Molé et Thiers lui conseillaient de n'en rien faire. 2°. La majorité s’est séparée, ou est près de se séparer du Président, sur Rome, sur Constantinople et sur le rappel des bannis. Pronostics d'immense confusion. Armand Bertin était attaché à l'Ambassade de M. de Châteaubriand. Un soir en rentrant M. de Châteaubriand lui dit : " Madame de Lieven me traite bien mal. Elle ne sait pas à qui elle a affaire ni quels sont mes moyens de me venger. Certainement je me vengerai ? " Votre article d’Outretombe a été écrit alors de verve de vengeance. Il y a ajoute depuis ce qui me regarde. Je vous dis ce qu’on vient de me dire. Je ne l’ai pas lu.
Onze heures
Merci de votre second mot de Londres. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Vendredi 12 oct. 1849
huit heures

Ceci va donc vous chercher à Clarendon. Je suis allé vous y chercher il y a dix huit-mois, et neuf jours dans la voiture de Lady Allice ; deux heures après mon arrivée à Londres. Quel long espace dans notre courte vie ? Je comprends que Metternich et Wellington, ne se soient pas dit adieu sans émotion. Ils n’y sont pas fort sujets ni l’un ni l’autre, mais il n’y a point de cœur si froid qui résiste à toutes les scènes de la tragédie humaine. C’est sur eux-mêmes d'ailleurs qu’ils se sont attendris. C'est ce qui finit par arriver à ceux qui ne s'attendrissent sur personne. Il y a tant de quoi avoir pitié dans la vie ! On connait tôt ou tard ce sentiment, pour soi-même, si ce n’est pour les autres. Je suis charmé que vous soyez plus tranquille sur Constantinople. Il n’y a vraiment pas moyen de croire à cette guerre. C'est dommage que l'Empereur ait fait une telle boutade. A moins qu’il ne la retire en en tirant parti. Je suppose qu’il finira par là. Avez-vous lu la lettre de M. de Tocqueville à M. Rush à propos du Poussin de la République aux Etats-Unis ? Je l'aurais mieux aimée autre. Il y a un peu de petit épilogage pour couvrir un peu de faiblesse. Il y avait plus de dignité à convenir franchement et brièvement la grossière bêtise de l’agent qu’on venait de rappeler. Je regrette de voir un homme d’esprit et un galant homme engagé dans un mauvais service, et portant la peine. Boislecomte m’a écrit pour me demander à venir me voir. Il viendra passer ici lundi et mardi. Nous causerons. Il a précisément un esprit de conversation prompt et fécond ; des aperçus à l'infini, et en tous sens. Il ne sait pas toujours bien choisir, ni voir bien clair dans toutes les routes qu'il ouvre, son attitude est très bonne. Certainement après Février, mon régiment s’est fait et m'a fait honneur. Repassez les noms et les conduites. Broglie, père et fils, Flahaut, Dalmatie, Rossi, Bussierre, Bacourt. La Rochefoucauld Piscatory, Glücksbierg, Jarnac. Il n'y a que Rayneval qui ait faibli bien vite. J’espère que Marion viendra vous voir à Londres avant que vous n'en partiez. Est-ce qu’il n’y a vraiment pas moyen de les attirer à Paris ? Vous devriez mettre Bär Ellice dans ce complot. Mais vous ne l’avez pas sous la main. Adieu jusqu'à la poste. Je vais faire ma toilette. Adieu, adieu.

Onze heures
Vous partez donc mardi. Malgré toutes les incertitudes de l'avenir, j'en jouis et j'en jouirai comme si je comptais sur l'éternité. Adieu. Adieu. Voici le billet que je reçois de Guéterin. Il n'y a pas de mal que vous l’ayez. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer 11 oct. 1849
8 heures

Puisque vous n'avez pas été absolus et péremptoires dans votre demande, ni la Porte dans sa réponse, raison de plus pour que l'affaire s’arrange. On trouvera quelque expédient qui couvrira la demie-retraite que fera de son côté chacune des deux puissances. Nous n'avons vu la guerre avorter depuis vingt ans malgré les plus forts motifs de guerre du monde pour la voir éclater par un si misérable incident. C'est comme la guerre entre la France et l'Angleterre pour Tahiti. Nous en avons été bien près ; mais ce n'était point possible. Il me parait que Fuad Efendi n'a pas été renvoyé à la frontière et qu’il doit être arrivé à Pétersbourg. La tranquillité où l'on est à Vienne sur cette question me parait concluante. S'il y avait la moindre raison de craindre, les esprits Autrichiens seraient renversés. Jamais l’Autriche n'aurait été à la veille d'un plus grand danger. Je vous répète qu’à Paris personne ne s’inquiète sérieusement de cette affaire. M. de Tocqueville a été, jusqu'ici, un homme d’esprit dans son Cabinet et dans ses livres. Il est possible qu’il ait de quoi être un homme d’esprit dans l'action et gouvernement. Nous verrons. Je le souhaite. C’est un honnête homme et un gentleman.
Je savais bien que ma petite lettre au Roi pour son anniversaire lui ferait, plaisir. J'ai reçu hier la plus tendre réponse. Après toutes sortes de compliments pour moi, dans le passé : « vous me donnez la plus douce consolation que je puisse recevoir, non pas à mes propres malheurs, (ce n’est pas de cela dont je m’occupe); mais à la douleur que me causent les souffrances de notre malheureuse patrie, en me disant que vous anticipez pour moi une justice à laquelle j'ai été peu accoutumé pendant ma vie. Cette justice, je l'espère et surtout je la désire pour vous comme pour moi. Mais j’ai trop peu de temps devant moi pour me flatter d'en être témoin avant que Dieu m’appelle à lui. La maladie du corps politique est bien grave. Ses médecins n’en connaissent guères la véritable nature, et je n’ai pas de confiance dans l’homéopathie qui me parait caractériser leur système de traitement. J’aurais bien envie de laisser couler ma plume mais je craindrais qu'elle n'allât top loin. Ma bonne compagne, qui se porte très bien, et qui a lu votre lettre, me charge de vous dire qu'elle en a été bien touchée.» J’ai été touché moi de cette phrase : une justice à laquelle j’ai été peu accoutumé, pendant ma vie. Il parle de lui-même comme d’un mort. Lord Beauvale a en effet bien de l’esprit, et du meilleur. Merci de m'avoir envoyé sa lettre. Je regrette bien de ne l'avoir pas vu plus souvent pendant mon séjour en Angleterre. Recevez-vous toujours la Presse ? Je ne la reçois pas, mais, M. de Girardin m'en envoie quelques numéros, ceux qu’il croit remarquables. J'en reçois un ce matin. Tout le journal, plus un supplément, remplis par un seul article le socialisme et l'impôt. Vous feriez je ne sais pas quoi plutôt que de lire cela. Je viens de le lire. Une heure de lecture. Tenez pour certain que cela fera beaucoup de mal. C'est le plan de budget, de gouvernement et de civilisation de M. de Girardin. Parfaitement fou, frivole, menteur, ignorant, pervers. Tout cela d’un ton ferme convaincu, modéré, positif, pratique. Des chimères, puériles et détestables présentées de façon à donner à tous les sots, à tous les rêveurs, à tous les badauds du monde l'illusion et le plaisir de se croire de l'esprit et du grand esprit et de l'utile esprit. Quelle perte que cet homme-là ! Il a des qualités très réelles qui ne servent qu’à ses folies et à ses vices. Personne ne lira ce numéro en Angleterre, et on aura bien raison. Et j’espère que même en France, on ne le lira pas beaucoup. C’est trop long. Mais rien ne répond mieux à l’état déréglé et chimérique des esprits. Je vous en parle bien longtemps, à vous qui n'y regarderez pas. C'est que je viens d'en être irrité.
Onze heures J’aime Clarendon Hôtel. C’est un premier pas. Je vous écrirai là demain. Vos yeux me chagrinent. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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[…] ce qu'il ne veut pas. C’est une double manière d’éviter la responsabilité. Je n'ai aucune nouvelle personnelle de Thiers. Je ne l’ai pas vu, depuis mon retour de Dieppe. J’entends dire que, dans la commission des Affaires de Rome, il fait des morceaux d’enthousiasme sur le motu proprio, sur les cardinaux et sur le Pape. La commission du budget ajourne, le plus qu'elle peut l'examen des questions, d'impôt, c'est le plus gros embarras de la session. Il est probable que les anciens impôts seront rétablis. Rien n’est plus nécessaire mais rien n'est plus dangereux."

Pas un mot des affaires de Constantinople ; ce qui me prouve qu’à tort ou à raison, on n'en est guère préoccupé. Mercredi 10, Huit heures Je me lève tard et je me suis couché hier de bonne heure. J'avais un peu mal à la gorge. Je vais mieux ce matin. J’espère que la pluie va cesser et le froid sec commencer. Je l’aime beaucoup mieux. Ma maison ferme mieux que je n'espérais. J’ai de bon bois et je ferai de grands feux, presqu'au moment où j'irai me chauffer dans ma petite maison rue Ville-l'Evêque et votre bonne chambre rue Florentin. Vous ne m’avez pas dit si vous aviez quelqu'un en vue pour vous accompagner. Quel plaisir (petit mot) si nous pouvions passer tranquillement notre hiver dans nos anciennes habitudes ! Je me charme moi-même à me les rappeler. Hélas connaissez-vous ces trois vers de Pétrarque : Ah ! Nostra vita, ch'e si bella in vista, Com' perde agevolmente, in un matino, Quel che'n molti anni a gran pena s'acquista ! « Ah, notre vue, qui est si belle en perspective, comme elle perd aisément, en une matinée ce qui s’acquiert à grand peine, ou beaucoup d’année ! " Je crois que je vous fais injure et que vous savez bien l'Italien. Onze heures Voilà votre lettre. Nous causerons demain. Je persiste toujours à n'avoir pas peur. Adieu Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 6 oct. 1849
Six heures

Je suis charmé que vous soyez un peu rassurée. La guerre pour un tel motif, m’a paru, dès le premier moment, quelque chose de si monstrueusement absurde que je ne suis pas venu à bout de la craindre. Je vois, d’après ce qui me revient. de Paris, que personne n'a été et n'est inquiet. Je n'en attendrai pas moins avec grande impatience le dénouement. Votre inquiétude m'a préoccupée presque comme si je l’avais partagée. Vous êtes-vous donné le plaisir de lire ce matin, dans les Débats d'hier, l'inquiétude de M. de Lamartine craignant d’être brouillé avec Louis Blanc? J’ai rarement vu une bassesse plus étourdie et plus ridicule. Qu’y a-t-il de nouveau dans vos yeux ? Est-ce Travers que vous êtes allée voir ? Verity est-il revenu à Paris ? Comment fait Lady Normanby depuis que son médecin de confiance, M. Raspail est en prison ? Je ne sais pourquoi je vous parle de Lady Normanby. Rien à coup sûr, ne m'est plus indifférent. Êtes-vous bien sûre que Lord John ne fût pas au conseil de mardi ? Les journaux disent qu’il y était. Par décence peut-être, car son absence, dans une telle question est vraiment singulière. Je trouve que l’Assemblée de Paris a bien pauvre mine, la mine de gens qui ne savent absolument que faire et qui s'ennuient d'eux-mêmes. Vous n’avez pas d’idée du profond, chagrin du Duc de Broglie de se trouver là, son déplaisir personnel est pour plus de moitié dans son découragement général. Et pourtant il dit, et tout le monde dit qu’'il y a 300 hommes fort sensés, fort bien élevés, fort honnêtes gens, de vrais gentlemen. Que de bien perdu en France, par le contact avec du mal qu’on ne sait pas secouer ? Je ramasse toutes mes miettes. Je n’ai rien à vous dire. Si nous étions ensemble, nous ne finirions pas.

Dimanche 7 oct. 10 heures
Guillaume est parti hier loin pour Paris. Il rentre demain au collège. Je suis sûr que je ne rentrerai pas dans Paris sans une émotion qui serait une profonde tristesse si vous n'y étiez pas, qui disparaîtra devant la joie de vous retrouver. Vous n'avez probablement pas lu l’exposé des motifs du Ministre des finances en présentant le projet de loi qui ordonne le paiement à Mad. la duchesse d'Orléans de ses 300 000 fr. de [ ?] pour 1850. C’est un chef d’œuvre de platitude. Un effort de chaque phrase de chaque mot pour réduire la question à une question de notaire à une nécessité de payer une dette criante qu’il n'y a pas moyen de renier. J’étais humilié en lisant, si c'est là ce qu’il faut dire pour faire voter la loi, honte à l'assemblée ! Si M. Passy a parlé ainsi pour se rassurer lui- même contre sa propre peur, honte à M. Passy ! Les journaux légitimistes que je vois sont embarrassés, et au fond, plutôt mal pour Mad. la Duchesse d'Orléans à propos de cette question Cela aussi est honteux. Ils croient toujours que c’est elle qui résiste le plus à la réconciliation des deux branches. J’ai ici M. Mallac qui est venu passer deux jours avec moi. Il ne m’a rien apporté ne venant pas de Paris, sauf quelques détails assez intéressants sur les derniers moments du Maréchal Bugeaud et assez amusants sur le séjour de Duchâtel à Paris. Il ne s’y est guères moins ennuyé qu’à Londres. Croker m’écrit dans un accès de bile noire qui se répand sur tout le monde, voici la France : « the whole nation, gentle and simple outraging heaven and earth with a je le jure which no man of your 12 millions of election meant to keep ; and now the country is so entangled in this web of falsehood and fraud that I at least, can see no way. I don't even say no honourable way-but no way at all out of it but by another revolution in which the whole people must kneel doin, say their confiteor et mea maxima culpa and confess themselves to have been de misérables pêcheurs et poltrons. Voici l'Angleterre. " you see the ordinary affairs of life go on tolerably under this feeble and impostor administration, which, leads me to doubt whether truth honour or strength are necessary ingredients et Constitutional governenent. " Il a de la verve dans sa bile. Midi Je ne comprends pas pas de lettres. Vous les aurez eues le lendemain. J’en suis désolé. Temps affreux. Adieu, adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, 5 octobre 1849

Ce que vous me dites de la différence qui existe entre les demandes de l’Autriche et les vôtres me frappe, et me confirme dans ma première conjecture. Vous ne voulez pas, aujourd’hui, la ruine de l’Empire Ottoman ; mais vous voulez mettre une bonne occasion à profit pour faire un grand pas. Vous demandez péremptoirement l'extradition, au nom de la lutte contre les révolutions. Si la Turquie vous l'accorde c’est un grand coup sur les révolutionnaires ; si elle vous la refuse, c'est une grande raison, et très plausible, pour prendre vous-même vos suretés. Et vos suretés, c’est l’occupation forte et permanente des Provinces Danubiennes qui couvrent vos frontières, et sont contre vous, le foyer de révolution. Vous ne vous les approprierez pas encore tout de suite et d’un seul coup ; mais vous vous y fortifierez, vous vous y établirez ; vous les gouvernerez, provisoirement encore, mais vous-mêmes et en votre propre nom. La Turquie payera ainsi les frais du secours que vous avez donné à l’Autriche, et vous lui prendrez, en provinces les garanties qu'elle vous aura refusées en réfugiés. Et l’Europe ne vous fera pas la guerre pour cela, tandis que si vous attaquez la Porte pour Bem et Kossuth l’Europe la défendra peut-être, probablement même. Si vous attaquez la Porte pour Ben et Kossuth, l’Europe verra là la ruine de la Porte, et de votre part un parti pris de la détruire. Elle ne veut pas souffrir cela. L’Europe est accoutumée au contraire à vous voir avancer et grandir dans les provinces danubiennes. Et même résignée, au fond, à vous y voir établir en maîtres définitifs, car elle regarde cela comme inévitable. Le temps des longues prévoyances et des résolutions fortes prises, en vertu des longues prévoyances est passé pour l’Europe occidentale. La France ne pense plus à cette grande politique et l'Angleterre n'en veut plus. Vous pouvez faire tout ce qui exigerait. que la France et l’Angleterre, pour vous en empêcher adoptassent et pratiquassent de concert cette politique là. Mais il y a tel acte en soi bien moins grave que l'occupation définitive des Provinces Danubiennes qui peut soulever en France, en Angleterre dans toute l’Europe occidentale une de ces émotions publiques soudaines, puissantes qui jettent les gouvernements dans ces résolutions extrêmes auxquelles leurs propres calculs et desseins ne les conduiraient pas. Votre exigence de l'extradition, poussée jusqu'à la guerre, pourrait bien être un acte semblable et produire de tels effets. Si donc l'Empereur ne veut pas engager aujourd’hui, en Orient la question suprême, je ne puis croire qu’il ait fait sa demande avec l’intention de la soutenir à fond ; ce serait trop méconnaître l'état des esprits en Europe et trop risquer pour un petit motif. Je suis tenté de croire à une ambition et à une intention plus détournées. Voilà mon impression, et sur quel raisonnement elle se fonde. Et j'aboutis toujours à ma même conclusion ; la guerre ne se fera pas. Autre raison décisive. L'Empereur, qui en veut surtout aux révolutions, ne peut pas soulever une guerre dont le drapeau serait : « L’Angleterre et la France patronnent et couvrent les chefs de révolutions. » Mais ma raison n'est décisive que si bien certainement l'Empereur ne veut surtout aux révolutions, et ne songe pas à en profiter pour aller à Constantinople. Adieu en attendant votre lettre.

Onze heures et demie La voilà. Et probablement de bien vives agitations de votre part, et de bien longs raisonnements de la mienne pour un incident pas grand chose. C’est égal ; la seule chance valait bien la place que nous lui avons faite. Adieu, adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 4 oct 1849
2 heures

Je ne puis croire à cette guerre ; à moins que votre Empereur n'ait un parti pris de la vouloir, ce que je ne crois pas. Je ne pense qu'à cela et j’arrive toujours à la même conclusion. Ils s’évaderont. Je vois déjà dans un journal de ce matin, que Kossuth s'est évadé. Ce n’est probablement pas encore vrai. Cela deviendra vrai. Faire la guerre parce qu’ils se seront évadés, pour en punir la Porte comme un geôlier négligent ou vendu, est impossible. Certainement si l’Angleterre soutenait effectivement la Porte, la France en ferait autant. Peut-être même, ici, n'en serait-on pas fâché. Une occupation qui serait distraction. Ce pays-ci s’inquiète des francs jamais des millions. Il déteste de donner de l'argent ; mais il aime à le jeter par les fenêtres. Je ne peux me résoudre à examiner sérieusement l’hypothèse où vous ne pourriez habiter ni Londres, ni Paris. Naples, si une fois vous y étiez arrivée aurait, pour l’hiver le mérite du climat. Bruxelles serait froid, mais sûr. La Belgique resterait neutre. Et au moins aussi bonne compagnie à Bruxelles qu'à Naples. Et bien plus près. J’en parle parce que vous m'en parlez. Je répète encore que je n'y crois pas. Mais il résultera de cette affaire-ci une situation bien plus accentuée, comme on dit aujourd'hui, en Europe ; la Russie et l’Autriche d'un côté, la France et l’Angleterre de l'autre, la Prusse entre deux, penchant géographiquement du premier côté, moralement du second. C’est très mauvais. L’Europe coupée en deux c'est de l'encouragement et de la force pour les révolutionnaires de tous les pays. Il ne se peut pas que l'Empereur ne voie pas cela. Certainement si cette guerre éclatait l'Italie et la Hongrie recommenceraient. Et Dieu sait qui les imiterait. Il ne faut pas ouvrir de telles perspectives. Pour la troisième fois, je n'y crois pas. Vous viendrez bientôt à Paris. Mais il est clair, qu’il faut attendre un peu pour y voir plus clair. Avez-vous remarqué dans les débats d’hier 3, la lettre de [Bucha?] ? Assez piquante probablement du vrai. La réponse napolitaine à Lord Palmerston est très bonne. Peu lui importe. Il veut. s'afficher Protecteur de la Sicile. Par routine et par mauvais esprit. Le même partout et toujours. C’est un spectacle qui m'ennuie. Je ne lis pas les Mémoires d’Outre-tombe. C’est vous qui me faisiez lire ces frivolités-là, Outretombe, Raphael. Quand je ne vous ai pas, je ne me doute pas qu'elles paraissent. Je vais demander les passages où il est question de vous. J’ai eu la brochure de M. Dunoyer. Honnête homme, lourd et courageux. Plein de pauvres idées, et d’erreurs de fait sur les journées même de Février, mais beaucoup de sens et de bonne hardiesse sur la situation générale d’à présent. Je n'ai rien du tout de Paris. Ce silence absolu et la nullité des premières séances de l'Assemblée me font croire qu’il se brasse quelque chose. On se tâte, on se prépare, on doute, on projette tout bas ; et en attendant on se tient coi. Je ne crois toujours à rien de plus gros qu’à une modification du Cabinet.
Onze heures et demie
Voici votre lettre. Je persiste toujours à ne pas craindre ce que vous craignez. J’ai écrit à Paris pour être bien précisément tenu au courant des intentions et des dispositions du gouvernement et du public. Ce que j'en sais déjà ne me permets pas de douter que la France ne fasse tout ce que fera l'Angleterre et qu'elle ne pousse l'Angleterre plutôt que de la retenir. Adieu, adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 3 oct. 1849 Six heures

J’ai eu des visites toute la matinée, de Caen et des environs. Assez amusantes conversations. Des malades qui viennent consulter un médecin pour qui ils professent une grande confiance, et qui discutent toutes ses ordonnances et rejettent les remèdes qui ne leur plaisent pas. Un peu, comme vous. C'est dommage que Molière ne soit pas là. J'espère seulement qu’il se moquerait plus des malades que du médecin. Plus j’y pense, moins je crois que l'affaire de Constantinople puisse devenir sérieuse. On ne se fera pas la guerre, personne ne fera la guerre pour Bem et Kossuth. L'Empereur voudrait-il une occasion de quereller la Porte pour l’établir définitivement dans les Provinces du Danube ? La France et l'Angleterre consultées ne pouvaient répondre autrement qu'elles n'ont fait et la Porte, en les consultant, savait bien ce quelles répondraient. à Pétersbourg et à Vienne aussi, on devait savoir d'avance la demande d’avis et la réponse. C'est là ce qui me frappe. Je suis peu préoccupé de l'affaire en elle-même, mais assez de la façon dont on l’a engagée, comme si on avait envie quelle devint grosse. Je persiste à croire qu’elle ne le deviendra pas. Je craindrais bien plus ce que vous m'avez dit de la Grèce. Une révolution là, pourrait fort bien engager la question d'Orient. Vous conviendrait-il qu’elle s’engageât aujourd’hui quand vous seuls en Europe avez les mains libres et fortes ? L'occasion pourrait tenter un esprit super ficiel. Je crois qu’elle le tromperait en le tentant. Qu'avez-vous besoin de vous remuer ? Vous gagnez sans mettre en jeu. L'Empereur est dans une situation très rare pour un souverain absolu. La force morale est de son côté. Il grandit d’autant plus qu’il fait moins, ou ne fait que par une nécessité évidente. Tous les dangers que courent les autres états Européens, tournent, pour lui en crédit et grandeur. Pourquoi créerait-il lui- même à l’Europe un danger nouveau qui pourrait changer le courant de l'opinion Européenne ? Protéger la Turquie, la Grèce, l’Autriche, le Danemark, protéger tout le monde et n'inquiéter personne, c’est là son rôle aujourd’hui, si je ne me trompe, son rôle d’ambitieux. On n'aura jamais fait plus de chemin avec moins de mouvement. Je serais bien aise de voir la réponse de Schwartzemberg à Palmerston. Pur plaisir du curiosité vindicative. La réponse ne fera pas plus à Londres que la dépêche n’a fait à Vienne. Lord Palmerston est le plus incorrigible des esprits. Il ne comprend pas ce qu’il n’a pas pensé.

Jeudi, onze heures et demie
J'attends le facteur qui est en retard sans doute à cause du vent et de la pluie qui tombe par torrents. Nous avons un détestable temps depuis quatre jours. Je viens d’écrire au Roi pour son anniversaire ( 6 Octobre) Tristes retours aujourd'hui. Je suis sûr que me lettre lui fera un petit plaisir. Il entre dans sa 77e année. Voilà votre lettre qui me troublerait infini ment si je craignais, ce que vous craignez. Je ne le crains pas. Jusqu'ici. Je vous en reparlerai dans la journée. Je le crains si peu que je n’avais pas pensé à cette terrible chance. Adieu Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 3 Oct. 1849 9 heures

Je comprends que l’Autriche et la Russie insistent pour se faire rendre les fugitifs hongrois et polonais. Je comprends que la Turquie, refuse de les rendre. Certainement aucun des grands gouvernements Européens ne les rendrait. Être la seule nation en Europe capable de cela, c’est beaucoup. Les Turcs ne sont plus assez barbares. Sont-ils assez faibles ? Si j’avais à parier, je parierais que les fugitifs s’évaderont et iront en Angleterre. Vous ne ferez pas la guerre à la Turquie pour les reprendre. La France et l’Angleterre ne vous feront pas la guerre, avec la Turquie pour l'aider à ne pas vous les rendre. Tout le monde sera dans une impasse dont tout le monde voudra sortir. Ils s’évaderont. On criera d’un côté, on se taira de l'autre. Et bientôt on n’en parlera plus. Resteront dans le monde Kossuth, Bem, et Mazzini, trois hommes qui se seront fait un nom dans les événements de 48 et 49. La seule chose qui en reste. En apparence du moins et pour quelque temps car si les évènements ont été impuissants et ridicules, leurs causes subsistent, toujours redoutables, à ces trois hommes correspondent trois questions dont deux, l’Italienne et la Polonaise sont insolubles mais très vivaces et dont la troisième la Hongroise ne peut être résolue que par un bon gouvernement Autrichien, ce qui n’est par sûr. Et le vent de folie révolutionnaire, et socialiste soufflant toujours sur ces trois places de l’Europe, il y a à parier que l’accès de fièvre chaude qu'elles viennent de lui donner n’est pas le dernier. Si vous lisiez les journaux légitimistes, vous verriez que le parti catholique lui-même, les politiques du moins, M. de Falloux en tête ne songent qu’à profiter du Motu proprio du Pape pour sortir de Rome sauf à négocier encore après pour obtenir de lui quelque chose de plus, un peu plus d’amnistie ou un peu plus de constitution. On n'insistera pas sur le dernier point. Qui gardera le Pape et Rome après cela ? Peu importe. On aimera mieux les Espagnols que les Autrichiens. On se résignerait aux Autrichiens. L’armée française aura rétabli le Pape dans Rome, et protégé la politique modéré. C’est assez pour s'en aller. Que la politique modérée, et le Pape deviennent ensuite ce qu’ils voudront. La République française ne songe qu'à se laver les mains des révolutions et des restaurations qu'elle a faites. Ni pour les unes, ni pour les autres, elle ne se charge du succès.
Je suis frappé de la rentrée en scène, à Paris de Proudhon et de Louis Blanc par leurs nouveaux journaux la Voix du Peuple et le Nouveau monde. Le parti modéré a beau vouloir dormir ; ces gens-là, ne le lui permettront pas. Ou des batailles au moins annuelles dans les rues, ou un gouvernement assez fortement constitué pour que ceux-là, même qui ont envie de la bataille la croient impossible ; il n’y a pas moyen d'échapper à cette alternative. Il faut que la société mette le socialisme sous ses pieds, ou qu’elle meure de sa main. Et pour mettre le socialisme sous ses pieds, il faut ou cent mille hommes et le général Changarnier en permanence dans Paris, ou un vrai gouvernement. Combien de temps maintiendra-t-on le premier moyen pour s’épargner la peine de prendre le second ? C’est la question.

Onze heures
Nous ne pouvons nous répondre que le lendemain. Je vois que vous craignez plus que moi que la rupture entre la Russie et la Porte ne devienne sérieuse. Si elle devenait sérieuse, vous auriez le dernier. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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29 Val Richer Mardi 26 août 1845

Je me brouille dans mes Numéros. Mais ce n'est plus la peine de compter sur mes doigts. Je n’ai plus que trois fois à vous écrire. Charmant plaisir samedi. Jarnac m'écrit : " Ma petite course à Southampton m’a fait perdre les deux derniers jours de Madame de Lieven à Londres ce que j’ai fort regretté. Je crois qu’elle s’est plu ici, et qu’elle est contente de ses consultations. Ce qui m'en revient indirectement est fort satisfaisant. " J'ai toujours préféré que vous passassiez le temps de mon absence, en Angleterre. Quand vous n'êtes pas avec moi, je vous aime mieux là qu'ailleurs. Je ne vous trouve bien que là.
J’ai eu hier mes 20 amis à déjeuner, bien contents de moi, je crois, et de Guillet. Après déjeuner, c’est-à-dire vers 4 heures comme j’allais me promener, le général de la Rue m'est arrivée du château d’Eu où il venait d'arriver d'Afrique après avoir échangé les tarifications du dernier traité avec le Maroc. C’est un homme d'assez d’esprit avec le plus beau coup de sabre imaginable sur la joue gauche. Il m’a intéressé sur l’Afrique, le maréchal Bugeaud, l’Empereur de Maroc, Sir Robert Wilson, Sidi Bousalam &. Sir Robert malgré la verte réprimande de Lord Stanley, continue toujours à se mêler beaucoup du Maroc et à y faire ce qu’il peut contre notre influence. Il agit par le consul Marocain à Gibraltar et par le Pacha de Sétuan, jeune grand seigneur marocain avec qui il est lié et qu’il va voir souvent. Notre campagne de l’année dernière contre le Maroc a fait là un effet immense et qui subsiste, à ce qu’il parait.
Le pauvre Consul Général d'Angleterre, M. Drummond Hay excellent et très loyal homme, est mort de chagrin de n'avoir pas réussi à prévenir l’évènement et d’avoir vu la prépondérance, à peu près exclusive de son pays périr là, entre ses mains. Le nom du Prince de Joinville reste là fort grand. Il a laissé chez les Marocains une vive impression de courage, de savoir-faire, de sagesse, et de politesse. Le Général de la Rue m'a quitté à 9 heures. Le Maréchal Bugeaud vient passer trois mois en France, chez lui, et va faire, en arrivant une visite de quelques jours au Maréchal Soult à Soultberg-(Le Maréchal ne dit et n'écrit jamais autrement. Par tendresse pour la Maréchale Allemande.) La conversation entre les deux Maréchaux sera fort tendue, fort diplomatique, & par moments fort orageuse. Je vais faire ma toilette. J’attends tout-à-l ’heure Salvandy et Broglie.

9 heures
Voici un courrier qui m’apporte de grosses nouvelles, la destitution de Riga Pacha à Constantinople la retraite de Métaxa à Athènes. Je m’attendais à celle-ci et elle me déplaît quoique tout ce qui me revient de Grèce me porte à croire que Colettis n’en sera pas ébranlé. Mais rien absolument n’annonçait la première, et elle a été imprévue pour tout le corps diplomatique européen. Bourqueney ne se l’explique pas bien encore. Cependant, au premier aspect, il la considère comme une victoire du parti réformateur en Turquie.
Je vais lire tout cela, attentivement. Raisonnablement, le moment vient de retourner à Paris. C’est bien heureux que la raison me fasse tant de plaisir. Je reçois une lettre du Duc de Noailles. Il a eu son fils malade, mais le rétablissement est complet. Il me demande beaucoup de vos nouvelles. et finit en me disant : " Madame de Lieven aurait bien mérité, par son aimable intérêt, d'être invitée à la cérémonie qui aura lieu ici. Dimanche prochain, la pose de la première pierre du viaduc à Maintenon du chemin de fer de Chartres. " Adieu. Adieu. G.
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