Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Le 2 Nov. Mardi

Quoique je n’ai pas encore vu Hatzfeld je sais que ce qu'il porte est la pleine confiance que nous les 3 sommes d’accord sur la conduite & le langage à tenir devant le nouvel événement. Avec cette assurance je reste parfaitement tranquille, mais il me faut Kisseleff. Je ne sais rien du tout. J’ai vu hier peu de monde après-demain sera curieux. Je ne suis pas content du tout de Hubner. Le temps est bien doux & j'en essayerai aujourd’hui au bois de Boulogne. Si vous me voyez vous com prendrez mes courtes lettres. Pas de forces. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 1 Novembre 1852

Je suis bien aise d’entrer dans ce mois. Il faut que j’ai bien du goût pour vous, car je n’en ai pas le moindre. pour Paris. Il est vrai qu’on n'a rien à se dire à présent. Et je ne crois pas qu’on est grand chose à se dire de quelque temps, sauf de cérémonies, ce qui est le plus ennuyeux bavardage. Je ne suis pas surpris de Lavalette, Mussuren et Callimachi. C'est ce que j’avais présumé. Il est déplorable que de telles perturbations puissent venir de là. Stratford Canning à Paris ne serait pas commode. Moins dangereux pourtant là, ce me semble, que partout ailleurs. Il est honnête, ferme et capable. Trois qualités que j’aime par goût et dont l'expérience m’a fait faire encore plus grand cas. Vous même, vous l’aimeriez certainement mieux à Paris qu’au Foreign office à Londres.
Abdel Kader me fâche. Non pas pour ses trouve qu’il y a, dans l’ouvrage, plus de talent que jamais. Il écrit toujours avec négligence. Il aura son public, peu nombreux, par insouciance, ou par timidité plus que par opinion. Pour moi, le régime parlementaire à part, je suis décidé à lui savoir beaucoup de gré de se prononcer, lui catholique dans ce moment-ci, pour la liberté religieuse. Je ne sais si son livre fera grand bien à l'Eglise catholique ; mais je suis sûr que Valdegamas et ses amis lui font beaucoup de mal. Je suis certainement le plus catholique des Protestants, mais je reste Protestant. La France ne reviendra pas protestante ; mais si on croit qu'elle redeviendra catholique, comme l'Univers, on se trompe fort.
A propos de Protestants, voici une question qui ne vous touche pas du tout, et dont probablement personne ne vous a parlé, mais enfin auriez-vous par hasard entendu dire si la conviction de l'Eglise Anglicane a quelque chose de sérieux et si le gouvernement anglais se propose de la faire ou de la laisser revivre ? Pardonnez moi, ma demande.
Cuba me paraît bien près de redevenir une grosse affaire. Ce sera une grande iniquité et un grand désordre international que l'Europe laissera consommer. La politique de toute l’Europe est en décadence. Gouvernements et peuples ont l’air de gens pour qui les événements du temps sont un fardeau trop lourd, et qui se décident à le laisser par terre et à s'asseoir eux-mêmes par terre à côté, ne pouvant le porter. Qu'est ce donc que cette tentative d'assassinat à Florence sur le comte Baldasseroni ? Mais je vous fais vraiment trop de questions. Avant quinze jours, ce sera de la conversation, ce qui vaut beaucoup mieux.

Onze heures
Vous faites bien de profiter du moindre rayon de soleil pour vous promener, et je remercie Aggy de ses quatre lignes. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 1er Novembre 1852

Beaucoup de monde hier soir. Fould très entouré. Discret, rêveur, plutôt triste, maigri. La fabrication de l'Empire n'engraisse pas les gens. La descendance directe, l’adoption, à défaut de cela Jérôme, voilà le fond du Sénatus consulte. Tout sera convenu jeudi. Rogier aussi était chez moi hier soir. Le ministère [?] est fait. La presse sera certainement mise à la raison en Belgique. Il faut des lois de 7bre. Toutes les puissances insistent. [Cavou] est à la tête du Ministère à Turin. C’est l'Angleterre qui l'a poussé là. Hatzfeld est arrivé hier soir Hubner l’avait vu un moment et en revenait triste. Tout est incertain. Attendons Pétersbourg. Abdel Kader fait fureur en haut, en bas partout. Il retourne la semaine prochaine à Amboise. Adieu. Adieu. Les forces s’en vont tous les jours.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 31 octobre 1852

Hier il n’y a pas eu moyen. de vous écrire. Depuis midi Cowley & la reste de l'Europe. sans désemparer. Chacun se conte sa nouvelle. Je n'ai rien de direct. Pas un diplomate n’approche de St Cloud. Cela ira comme cela jusqu’à près l'Événement, car que peut- on se dire à présent ? Et moi aussi je n’ai rien à dire, rien à vous conter. J'écris à l’Impératrice par des occasions un peu le bavardage de mon salon, je n’en ai pas d’autre.
Le 4 est attendu avec curiosité. Ma rue est remplie de curieux pour voir Abdel Kader. On le dit superbe. Le Moniteur vous en régale aujourd’hui. Callimachi prend sa destitution assez gaiement. On dit que lui, Lavalette & Monssouron? qui est à [?] ont fort bien arrangé leurs affaires. Je ne sais pas du tout si nous nous sommes mêlés de ce qui s’est fait à Constantinople. Stratford Canning travaille beaucoup à se faire nommer à Paris, je doute qu’il réussisse. Hatzfeld arrive aujourd’hui. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 30 oct. 1852

L'affaire Belge me paraît, pour le moment, bien près d'être arrangée ; le ministère Broucker va se former ; il avait été appelé comme le plus propre à terminer les négociations avec la France. Il s'acquittera de sa mission, et la question commerciale ne sera plus un prétexte aux querelles politiques. Resteront la presse et les réfugiés, nous verrons si les Chambres belges feront quelque chose à cet égard.
Albert de Broglie me disait hier que la Suisse était inondée du pamphlet de Victor Hugo ; on l’offre aux voyageurs sur les bateaux à vapeur, dans les auberges. Les radicaux sont toujours les maîtres là, et très malveillants pour le président.
Le Piémont en revanche se loue beaucoup du président. M. de Cavour dit qu’il a été presque étonné de l'accueil que lui a fait le gouvernement français et de la bienveillance, toute politique, qu’on lui a témoignée. Ils n'ont, disent-ils, absolument aucune inquiétude, pour la Savoie et ils comptent sur un appui diplomatique s’ils étaient tracassés d'ailleurs.
Il me paraît qu’il n’y a guère de doute sur la venue du Pape, si on le lui demande formellement. A part toute autre considération, son caractère l’y poussera ; il a le goût de la popularité ; il en trouvera plus en France que partout ailleurs, et comme Pape, et comme formateur libéral.
La Times est bien violent sur l'affaire de l'emprunt Turc. Il y a là quelque chose que je ne sais pas, et qui donne à Londres, et à Paris beaucoup d'humeur, peut être à des gens qui manquent là une bonne occasion de donner beaucoup d'argent.
La Duchesse d'Orléans était très souffrante. vraiment très souffrante avant son accident ; les entrailles en fort mauvais état ; le repos absolu qu’elle a dû garder lui a fait un bien réel. Elle est, à tout prendre, bien aise de retourner en Angleterre, dans sa famille ; elle commençait à la trouver fort seule, délaissée ; elle n’a, auprès d'elle, personne qui puisse lui donner un bon conseil et un utile appui. Elle passera l’hiver dans quelque bon coin du midi de l’Angleterre. Le climat de Claremont ne lui réussit pas.
Le comte de Paris a été très bien au moment de l'accident de voiture intelligent, courageux et affectueux. Je recueille des bribes de conversation, en attendant mieux.

4 heures et demie
Mon facteur vient tard. Abdel Kader ne déshonore pas votre appartement de la Terrasse. C'est un grand homme malheureux. Il y a des grands hommes dans le désert. Adieu, Adieu.
Je crois sans en savoir rien de plus que ce que vous m'en dites, que l'Empire commencera modestement. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Vous me pardonnerez ce petit papier. Nous ne causerons longuement que dans quinze jours. Je serai à Paris de demain, en quinze.
J’avais deviné le 2 Déc. J'hésitais entre le 2 et le 10. Il a préféré l'avènement de son oncle au sien propre. Je reçois un mot de Molé qui s'ennuie à Champlâtreux quoiqu’il soit décidé. à y rester jusqu'à Noël. Il me paraît en good spirits, presque high. Montalembert m’écrit aussi pour m'envoyer son livre ; il espère que je lui pardonnerai d'être si catholique en faveur de ce qu’il est si parlementaire.
Je pardonne tout à tous, aux uns parce qu’ils sont mes amis, au autres parce qu'ils sont mes ennemis. Voilà qui est bien politique et bien chrétien.
Je suis interrompu par Albert de Broglie qui vient dîner avec moi. Son père n’arrive que dans quelques jours. Adieu, Adieu.

Val Richer 29 oct 1852

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 29 octo. Vendredi

J’ai vu hier Cowley. Morny, assez de monde. Callimachi est destitué. Cowley sera je crois absent le 2 Décembre. Il va à Londres pour les funérailles le 20, & ne se pressera pas de revenir. Le corps diplomatique est fort perplexe, je ne sais comment se passera la séance Impériale. Logiquement, rigoureusement, impossible que le [corps diplomatique] y assiste et son absence ne préjuge rien du tout. Mais nous verrons. Je vois par le langage de Morny de Hecken, enfin de tous, que l’on n'évitera pas Jérôme et son fils dans la copie de succession. Jérôme est de nouveau dans le troisième ciel. Il a dit à Lord Holland que tout était convenu. Son fils doit se marier, épouser une princesse. On l’établira en Algérie. Tout ce qu’on dit de promotion de grand dignitaires, grandes charges, est une fable ; l’Empire commencera modestement. Flahaut va venir pour voter pour l’Empire. Le livre de Montalembert me paraît n’avoir pas le moindre succès. On dit qu’il n’a pas le sens commun. Un règne parlementaire à condition qu’il n’y ait pas de libéraux ! Comme je n’ai pas lui je ne sais pas. Valdegamas en parlait très mal hier, et surtout dans le sens que Mont. déraisonne. On dit aussi que c'est écrit avec négligence.
Je vous ai dit qu’Abdel Kader habite mon appartement à la Terrasse ? Adieu. Adieu. On dit de plus en plus à Londres que Palmerston va entrer aux affaires comme Ministre des Colonies. Je n’y crois pas encore.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 28 octobre 1852

Le 2 Décembre me paraît le jour fixé pour la proclamation de l’Empire. Cela se passera aux Tuileries. Les paris sont ouverts à propos des Jérômes. La haine contre eux est universelle. L’affaire turque fait quelque bruit. Je ne m'y entends pas du tout. J’ai été un peu délaissée ces jours-ci par les habiles, de sorte que je n'ai rien d'intéressant à vous dire. Le Lord Holland est venu me voir hier. Il revient de Moscou et d’Alger ! Et part aujourd’hui pour l'Angleterre, beaucoup d'Anglais traversent Paris, peu s'y arrêtent. Il y a longtemps que je n’ai vu Cowley. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 28 oct. 1852

J’ai passé hier ma journée avec une très désagréable migraine. Je me suis couché à 9 heures. Nous avons le plus sot temps du monde, des pluies sans fin, avec des coups de tempête. J’ai dormi et je suis mieux ce matin, mais encore la tête lourde. Les Anglais me semblent bien nombreux à Paris. Ils viennent assister à l'avant scène de l'Empire.
Le 4 novembre verra recommencer à Londres le régime parlementaire, à Paris le régime impérial. Je trouve que le gouvernement, est, de tous, celui qui s'est conduit dans cette perspective, avec le plus de prudence et de dignité. Il n’a témoigné ni bon, ni mauvais vouloir ; il n’a point donné lieu de croire qu’il eût d'avance aucun parti pris ; il n’a cherché ni à détourner, ni à pousser. C'est à lui qu’il est le plus facile de reconnaître l'Empire, sans démentir en rien, je ne dirai pas ses paroles, mais sa physionomie. C'est décidément le moins léger et le moins gascon des gouvernements. Il n’est cependant pas en train de grandir dans ce moment-ci. Le cabinet et l'opposition auront petite mine l’un et l'autre le 4 novembre.
Je suis frappé du ton des journaux Anglais qui engagent la Reine " to forget party distinctions and to lend for a score of men, only because they are the ablest in view." 
Cela ne sera pas, ce n’est pas possible ; mais c’est l'indice d’un sentiment national bien menaçant pour Lord Derby. Ceci finira, dans le cours du Parlement qui commence, par l’alliance des Whigs et des Peelites. John Russell et Aberdeen.
Dit-on de quelle manière l'Empire sera annoncé aux puissances étrangères ? Y aura-t-il des envoyés extraordinaires, ou se contentera-t-on d’une circulaire aux agents Français ordinaires, avec ordre de la communiquer ? Cela n’a aucune importance en soi ; pure curiosité de spectateur. En tout cas, la reconnaissance aura lieu. Probablement, on mettra de part et d'autre, peu de faste dans la demande et dans la réponse.
Du reste, la situation du président est la meilleure ; il fait ce qu’il veut sans s'inquiéter de savoir si cela plaît ou déplaît. Il sait que la réponse sera à peu près la même, soit que la demande plaise, ou déplaise. Il peut être aussi modeste qu’il le voudra dans la forme. La modestie sera bon goût et non faiblesse.
Savez-vous le sens de cette querelle à Constantinople sur l'Emprunt Turc ? Je ne comprends par pourquoi la France s’y est engagée, ni pourquoi nous nous ferions à la fois les Protecteurs des Lieux saints et des Juifs. Je ne vois pas bien non plus pourquoi vous mettez de l'importance à faire échouer cet emprunt ; ce n’est pas une innovation parlementaire, et ni la France, ni l’Angleterre n’y gagneront grande influence à Constantinople. Vous pourrez toujours, pour abattre cette influence, faire faire banqueroute à la Turquie.

Onze heures
Je n'ai pas de lettre ; mais j’ai de vos nouvelles J'espère que votre rhume ne durera pas. Adieu Adieu. Voilà donc l'emprunt Turc rejeté. Encore une fois, je ne comprends pas pourquoi On fait de cela, chez nous, une si grosse affaire. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 27 oct. 1852

Il était difficile de croire que l’insignifiance des journaux pût augmenter. Elle augmente pourtant. Le voyage du Président les animait un peu. Les cérémonies de l'Empire seront quelque chose, pas longtemps. Tant que la peur du socialisme et la prospérité de la Bourse dureront, ce sera bien. Mais après ? On arrive toujours à ce mot là. On dit ici que le suffrage universel sera convoqué pour le 21 novembre. On n'y pense guère, mais on votera. Je ne crois pas à une diminution considérable du nombre des votes.
Certainement Chasseloup ne donnera pas sa démission. Il est de ceux à qui le régime parlementaire convenait le mieux ; toujours un peu dans l'opposition, sans les efforts et les périls de la résistance. Aujourd’hui, l’opposition serait trop sérieuse. J’ai plus de doute sur Montalembert. Pourtant je n'y crois guère. Annonce-t-on toujours son ouvrage ?
Les états italiens ne savent ce qu’ils font pas plus la Toscane que Naples d'hommes gens condamnés aux travaux forcés pour avoir lu la Bible dans leur maison, avec quelques uns de leurs amis. Cela n’est pas de notre temps parlementaire ou non, pas plus que la torture. Ce qui est déplorable, c'est qu'on use ainsi en sottises la réaction d’ordre à ce moment-ci, et qu’on amènera une réaction, en sens contraire dont on ne saura comment se défendre. Les hommes sont bien sots quand ils ne sont pas bien fous.

Onze heures
Lord Minto a raison de se tenir pour fini. Adieu, adieu. J’espère que vous n'avez pas eu cette nuit l'épouvantable vent qui m’a réveillé trois ou quatre fois. Vous n'auriez pas dormi du tout. Adieu. G.

Auteurs : Molé, Louis-Mathieu (1781-1855)

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 26 oct. 1852

Il m’est revenu hier que le roi Jérôme avait de nouveau repris grande confiance. L'examen attentif des anciens Senatus consultes rend difficile, le système de l'adoption. L'Empereur Napoléon l’a formellement interdit à ses successeurs. On ne veut pas s'écarter de sa volonté. J’ai peine à croire à une superstition si jeune.
Il me revient aussi qu’on parle d’une protestation du comte de Chambord. Vous m’avez dit que ses amis, le Duc de Noailles entre autres, le niaient tout-à-fait, et conseillaient le silence. Il y a du pour et du contre. Le silence est peut-être le plus sensé et le plus probable.
Entendez-vous dire que la bourse est inquiète et que malgré le discours de Bordeaux et l'hymne de Mlle Rachel, les idées de guerre roulent dans des têtes qui ne sont pas sans importance ?
Je persiste à croire à la paix prochaine. Je suis convaincu que l’Europe y aidera jusqu'à la dernière limite de la possibilité.
Mes hôtes Anglais sont partis hier. J’ai fini des visites. J'en ai eu cette année au moins autant que j'en désirai. Certainement si je n'étais pas pressé d'aller vous voir je resterais ici plus tard. J’ai peu de curiosité pour les petites choses, et peu d’espérance, pour les grandes.
Le mouvement et le bruit de Paris ne conviennent guère à cette disposition. Mais je veux vous voir. Je compte décidément partir le 12 et vous voir le 13. Ma fille aînée part le 2.

Onze heures
J’ai toujours un peu craint, je vous l'avoue, que votre faveur n'allât pas beaucoup au delà de l'amusement que vous donnez. L’égoïsme, tantôt sérieux, tantôt frivole, est la vice d'en haut. Quand on a obtenu ce qu’on veut, ou ce qui plaît, on ne pense plus à rien ni à personne.
On pouvait prédire l'apoplexie d’Appony. Ce serait plus singulier si c’était sa femme. Adieu, Adieu.
Il fait bien vilain. Je crois qu’il est certain qu’à propos de l'Empire, on ne fera et ne dira rien à Claremont. La Duchesse d'Orléans avait quelque envie de parler, au nom de la monarchie constitutionnelle. Les Princes sont décidés à se taire.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 26 octobre Mardi

J’ai vu hier lord Minto, il va passer l'hiver à Gènes. Il croit que le Ministère peut durer... Pour son compte il a fini à tout jamais. John Russell est gros et gras et en train. J’ai vu Fould aussi, très occupé, intéressé à ses occupations. Toujours de plus en plus charmé du Prince. La [?] de l'acceptation aura lieu aux Tuileries avant la mi Décembre. Le suffrage universel le 21 ou le 28 Novembre. Appony est bien mort. Le duc de Noailles est venu m'interrompre. Il est plus résigné que M. Molé. Il n'y a cependant plus rien à faire que cela. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Lundi 25 oct. 1852

Je ne crois pas à la démission de Montalembert. Je ne la comprendrais guère. Parmi les hommes engagés dans le régime actuel, il n’y a que les républicains qui aient sujet de donner leur démission à propos de l'Empire. Ils ont perdu depuis longtemps la réalité de ce qu’ils appellent. la République, quand le nom même leur ait enlevé, s'ils restent, c’est qu’ils abdiquent, et se font impériaux. Presque tous le feront. Ils ont de grands exemples. Est-ce que la représentation de Cinna est une annonce de l’amnistie ?

Onze heures
Moi aussi, j’ai été interrompu par des campagnards qui se sont arrêtés chez moi en allant à Lisieux. Je n’ai rien à vous dire qu'adieu. Sinon que je compte être à Paris le 13 Nov. Je partirai d’ici le 12 au soir. Adieu, Adieu. G.

Je fais comme vous j'économise le papier, quoiqu’il ne soit pas vert.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 25 oct. lundi

Les Jerômes toujours très inquiets. Point de nouvelles. J’ai vu hier soir Chasseloup Laubat. Il a causé avec Mad. de La Redorte, et s’est montré très doux. Il ne donnera pas sa démission. Il en fera aucune opposition. Il a l'air résigné et triste. Appony l’Ambassadeur est mort d’apoplexie. Voilà ce qu’on annonçait hier soir. Ce que vous me dites sur [Palmerston] m’a été dit hier aussi par les Holland. J'ai à propos de mon fils Paul des correspondances qui me fatiguent, je ne sais ni comment ni quand cela aboutira. L’essentiel est de le revoir ici. c.a.d. de Londres. le reste on s’en passe. Alexandre n’a pas encore. son passeport. On me dit que ma faveur est toujours bien grande à la cour. Mais si cela n’a d’autre résultat que d'aimer mes lettres je suis peu avancée. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 24 oct. 1852

Ce que vous me dites d'Aggy me fait plaisir. Il n'y a point de bonne. volonté ni de soin des convenances qui suppléent à un sentiment naturel et vrai. C'est ce sentiment qu’il faut inspirer à ceux qui nous entourent pour qu’ils se portent de coeur à ce qu’ils font pour nous, et y prennent eux-mêmes plaisir.
J’ai reçu hier de Londres, une lettre assez intéressante. Voici ce qui vaut la peine de vous être envoyé : " Rien n'a été fait pour amener la reconstitution de l'opposition libérale. Lord Palmerston a déclaré qu’il était prêt à faire partie d’une combinaison Whig, avec Lord John Russell pourvu que celui-ci, n'en fût pas le chef. Lord John a déclaré qu’il n’entrerait dans aucun cabinet sans en être le chef. Lord Lansdowne consulté sur cet antagonisme, a déclaré carrément qu’il n'était pas du tout disposé à se charger en personne, du premier rôle et qu’il croyait la présidence de John Russell nécessaire à un gouvernement libéral.
On se demande si le mauvais succès de ces démarches aura pour effet d’amener un rapprochement entre Lord Palmerston et le pouvoir actuel. Des deux côtés, on a envie de s'entendre, et pour peu que le cabinet ait l'air de prendre de la durée, je ne serais pas étonné de voir arriver cet étrange résultat. John Russell perd du terrain à chaque pas qu’il fait ; et ce qui achève de le perdre, c’est qu’il met tout l’entêtement de son caractère à méconnaître sa véritable position. Le Cabinet montre une étonnante incapacité dans tout ce qu’il entreprend, et il est plus menacé par ses fautes administratives que pour ses principes. Cependant je crois qu’il aura une certaine Revue, et que tout l’esprit de ses adversaires comptera moins que les votes de ses amis. Le langage du Duc de Newcastle et de ses amis est toujours fort hostile à Lord Derby, et leurs vues exagérées sur les questions religieuses les séparent de tout le monde. "

Onze heures
Je ne comprends pas que le Président et ses amis hésitent à adopter, dans leur sénature consulte impériale le système de l'adoption. C'est évidemment, celui qui lui laisse, à lui, le plus de liberté en lui donnant sur tout le monde, le plus de pouvoir. Et le seul qui fasse que tout n’est pas réglé par l'Empire, et qu’il y a encore un avenir douteux à chercher et à attendre, de la stabilité et de l’inconnu, il faut ces deux choses-là à ce pays-ci. Adieu, Adieu.G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris dimanche 24 octobre 1852

On dit que l’inquiétude revient dans le camp de Jérôme. Que tout l’entourage travaille contre eux. Les Paris sont ouverts. Le Père ne cesse de dire " il n'y a pas d’Empire sans le frère de l’Empereur." Si c’est une continuation de dynasties, il a raison enfin nous verrons dans 15 jours. Les articles du J. de Francfort étonnent tout mon cercle. Je ne puis pas continuer. Adieu. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 23 octobre

J’ai vu hier M. Fould. Je lui ai raconté le commérage Holland sur Jérôme. Impénétrable sur cela commence sur le reste. Il me renvoye au Sénatus consulte le 6 novembre. Montalembert va dit-on donner sa démission et quelques autres aussi. Fould croit beaucoup au rapprochement plus on moins prochain des nombreux des légitimistes. Lovenjelen a eu une audience en présence de [Drouin] de Lhuys. Le Prince lui a demandé combien il avait vu de [Ministres des affaires étrangères] en France depuis qu’il y réside. 32. - Arrêtez-vous à ce chiffre celui-ci vous restera.
Dumon est venu me dire Adieu hier. Le Chancelier est un peu malade. Mad. de Boigne est revenu. Thiers exhorte les Mahon partout. Je crois que rappeler qu'en effet le Lord maire roi de la cité ne cède le pas qu'au roi, la reine aujourd’hui. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 23 Oct 1852

Je fais comme vous le désirez : je ne vous parle pas de votre santé. Mais je compte que d'autres mon parleront. J’ai le malheur, un vrai malheur, de ne pas avoir pleine confiance dans vos impressions ; mais je ne puis rester dans mon incertitude. Dieu veuille que cette fois encore, vos impressions vous trompent et que j'aie raison d'en douter !
Maintenant que l'Empire est fait ; il semble qu’on n'aie plus à parler de rien. J'entends faire beaucoup de raisonnement sur la seule question qui reste, sur le chiffre des suffrages. Je ne me donne pas la peine d’y penser. Je suis convaincu que le chiffre sera fort.
Pas plus que vous, je ne puis croire à Napoléon 3. La faute est si claire et le moyen de l'éviter si simple ! C’est très bien fait de vouloir être roi légitime ; mais il ne faut pas s'y prendre trop tôt, pas plus que trop tard.
Protecteur des lieux saints serait une autre faute un peu ridicule. Si on avait réussi dans la négociation de Constantinople, si on était rentré en possession de la prépondérance sur les Lieux Saints, à la bonne heure ; mais après avoir à peu près échoué, la vanterie serait trop forte. Et qu’en dirait-on chez vous ? Il y a là une question d’amour propre religieux sur laquelle vous vous êtes toujours montrés, très susceptibles.

Onze heures
Votre lettre me plaît. Elle est plus animée. Je voudrais savoir tout ce qui vous abat ou vous relève, suivre toutes vos impressions. J'y réussis bien mal de loin. Adieu. Adieu. Ce que vous me dites d’Aggy me fait plaisir. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Vendredi 22 oct. 1852

Le Piémont prend, en paroles, ses précautions contre l'Empire. La Gazette officielle de Savoie se répand en compliments pour le Napoléon de la paix, et met la Savoie sous la garde des traits et de l’Europe, comme la Belgique, au même rang. En principe, oui ; en fait, c’est différent. Du reste, je suis de plus en plus convaincu qu’on fera effort pour rester en paix, ici comme partout.
Le ton des journaux anglais change un peu ce me semble. Le Times pousse à l'amnistie générale promettant presque son approbation si elle a lieu. Le Morning Herald qui est, je crois, le journal de Lord Derby, annonce la reconnaissance, sans difficulté. Il n’est même plus question des traités de 1815. Je suis curieux de voir jusqu'à l’on ira, de part et d'autre, sur ce point, dans la demande et dans la réponse. Mon pronostic est qu’on demandera le moins possible, qu’on répondra le moins possible, et que de part et d'autre, on s'en contentera.
Vous ne regardez guère aux chemins de fer qui se préparent. Vous vous contentez de maudire, en vous en servant, ceux qui sont déjà faits. L’Autriche fait, dans ce moment-ci, un acte important par le chemin de fer central de l'Italie ; elle forme une base pratique et solide à la ligue commer ciale qu’elle cherche à conclure là depuis longtemps. Elle aurait dû faire cela bien plutôt. Elle se serait épargné bien des dangers. L’Autriche est restée en Italie puissance conquérante au lieu de chercher à se faire puissance italienne et à se mettre à la tête de la confédération italienne, la seule unité possible de l'Italie. C’était difficile, mais non pas impossible. Le chemin de fer sera un grand pas dans cette voie. On en est assez préoccupé.
Y a-t-il quelque chose de sérieux, autant que cela peut être sérieux, dans la prétention du Lord Maire de Londres de prendre le pas sur le Prince consort aux obsèques du Duc de Wellington ?

Onze heures
C'est désolant. Certainement ne vous fatiguez pas à m'écrire. Mais un mot d'Aggy, je vous prie et je t'en prie, quand vous ne pourrez pas. C'est si facile. Jusqu'à ce que je puisse n'avoir plus besoin de lettres. Adieu. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Vendredi le 22 octobre

Je vous assure que je traite Aggy avec tendresse et sympathie. Le père Ellice m'écrit lettre sur lettre pour m’en remercier. Nous parlons sans cesse de la famille. Le frère est ici à présent. Je suis très bonne pour lui, & tout cela marche avec convenance & amitié. Merci toujours de l’avis. Jérôme a dit hier à Lord Holland que le [S. Cte]. le déclarerait héritier présomptif & son fils après lui. Eux deux seuls princes de Sacy & [Altesse] . 2 millions de rente. Il est au comble de la joie. Nous verrons si c’est vrai.
Ce soir le Prince va aux Français. Melle Rachel lira une pièce de vers. L’Empire c'est la paix. Le spectacle sera curieux. Il commence par Cesina. J’ai revu hier le duc de Noailles. La curiosité le ramène à tout moment à Paris mais pour une heure seule ment. Hier il a trouvé chez moi beaucoup de monde, nous n’avons pas causé. Hubner [ment] comme un poisson, malheureux, d’être seul. Hatzfeld tarde. Le Nonce et [Lovenjelen] ont eu hier des audiences du Prince. Frappés tous deux de la transformation. Aussi gracieux & simple que de contenu, mais l’oeil ouvert, vif la parole élevée, l’air satisfait glorieux, radieux. Abdel Kader lui a écrit une lettre où il reconnaît son sujet. Mad. de Contades a fait lecture le soir de cette lettre à St Cloud, style ardent & passionnée reconnaissance. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, jeudi 21 oct. 1852

Voici une lettre de Marion qu’il me paraît utile que vous lisiez. Prenez y un peu garde ; ménagez leurs sentiments. Comme vous le dites, ce sont des personnes de votre condition, et elles ont du cœur ; il faut qu'elles se sentent à l'aise avec vous. Vous êtes sujette à vous préoccuper trop exclusivement de ce qui se passe en vous, et pas assez de ce que pensent ou sentent les autres.
Voilà donc l'Empire. Je trouve qu’on a raison d'en finir. La délibération du mal ne sera certainement pas longue. Le vote universel prendra une quinzaine de jours. Puis la réunion du Corps législatif chargé de faire le dépouillement. Le second Empire pourra être inauguré au commencement de décembre, le même jour que le premier.
Reste la question du Pape. Ce qui me revient, par des catholiques fervents, est plutôt contraire à l’idée qu’il viendra. Mon instinct à moi est qu’il viendra si on le lui demande formellement. Mais formellement. Il faudra qu’il soit mis au pied du mur.

Onze heures
Génie m’avait écrit que le régime d’Andral vous réussissait mieux que celui de Chomel, que vous repreniez un peu d’appétit et de sommeil, qu’il vous trouvait lui-même meilleure mine. La même impression m'est revenu aussi d'ailleurs. Votre impression à vous me désole. Olliffe est si je ne me trompe, de l’avis d'Andral pour votre régime.
Les feuilles d'havas annoncent ce matin. que " la majorité qui va sortir de l’urne populaire dépassera par son chiffre, tous les résultats antérieurs, y compris le scrutin du 20 décembre. "
Je ne trouve pas qu’il y ait sujet d'être violent contre la mise en liberté d'Abdel Kader, et je suis plutôt porté à croire qu’elle n'aura pas d’inconvénient. L'Algérie doit être bien changée depuis six ans et lui-même bien dépaysé. Ce que je trouve de mauvais goût, ce sont les injures qu'à cette occasion les journaux du gouvernement nous disent à nous qui n'avons fait, dans cette occasion, que ce que le plus simple bon sens commandait alors et ce que le droit politique autorisait parfaitement. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Le 21

Mon découragement & ma faiblesse sont si grande que je vous prie d’avance de me pardonner quand je ne vous écris pas. Je ne peux pas. Les Mahon sont ici. Je continue à voir beaucoup de monde, j’irai comme cela jusqu'au dernier moment. J’ai bien assez de mes nuits blanches pour penser à autre chose que le monde. Je ne sais rien que l’agitation des diplomates sur le chiffre III. J’espère que le Prince ne fera pas cette haute faute. Il me paraît qu'Abdel Kader est fort blâmé. On dit qu’outre roi d’Algérie le futur empereur veut aussi s’intituler protecteur des lieux saints.
Voilà tout ce que j'ai ramassé. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Mercredi 20 oct. 1852

Nous ne faisons aucune attention aux affaires d'Orient. Il n’y a plus d'Orient. Les gouvernements de France et d’Angleterre sont trop occupés chez eux et d’eux-mêmes pour regarder au loin. Pendant ce temps, je vois que les révolutions ministérielles se succèdent à Constantinople ; voilà Ali Pacha renversé, le successeur, mais encore l’ami de Reschid Pacha. Je suis sûr que ce sont vos affaires qui se font et que vous faites là. Il n’y a rien à dire. Vous avez raison de profiter des fautes de l'Occident.
Voici une faute qui vous touche peu, et qui m’a choqué. Comment a-t-on, samedi dernier, fait sortir et amené en masse sur le passage du Président, les collèges, et les écoles primaires, des enfants ? Ceci est pire que le suffrage universel. On se plaignait jadis que les étudiants de droit et de médecine, les jeunes gens de 20 ans fussent mis en scène une politique, et on y met aujourd’hui des marmots. Ce n'est ni sensé, ni honnête.
Je ne comprends pas ce que fait Lord Malmesbury pour être mal avec l'Autriche. Je ne leur vois point de sujet de querelle ; à moins que la mauvaise humeur des voyageurs Anglais en Italie, à propos de leurs passeports, ne devienne une question de gouvernement. Ce serait bien absurde. Peut-être aussi le Piémont. qui donne sans doute de l'humeur à l’Autriche. Du reste, les puissances du continent auraient grand tort de se mettre mal avec l'Angleterre ; si jamais l’incendie révolutionnaire se rallumait ce qui n’est pas du tout impossible, c'est encore là qu'elles trouveraient, pour résister, le point d’appui le plus fixe et le plus fort.
Vous avez bien raison de trouver bon que Paris perde l'habitude de faire et de défaire les gouvernements. En soi, l'acte de puissance que font depuis quelque temps les populations des campagnes est excellent ; elles sont hors d'état de gouverner ; mais il ne faut pas qu’on puisse gouverner ou détruire les gouvernements sans elles et contre elles, et la leçon donnée en ceci aux prétentions et aux traditions de Paris est très salutaire.

Onze heures
Je n’ai pas de lettre. Adieu donc. Il fait bien beau temps. J’espère que vous avez le même soleil à Paris et que vous en profitez pour prendre l’air. Adieu, Adieu.
J'ouvre mes journaux. Vous avez perdu votre pari avec M. Molé. Nous aurons l'Empire en Novembre.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 20 octobre

Chomel d’abord et à présent Andral, celui-ci tous les jours depuis 20 jours et moins bien depuis lui. Voilà. J’ai vu hier Fould longtemps. C’est en décembre que sera fait l’Empire. Ce n’est pas lui qui a conseillé la mise en liberté d’Abdel Kader. Le blâme est plus général que l’approbation. Thiers est violent dans les premiers. Je vois beaucoup de monde. On cherche à me distraire. Tout le monde me trouve bien changée. Les forces s’en vont tous les jours. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Mardi 19 oct. 1852

J’ai bien peine à croire qu’on attende six semaines, et je ne trouverais pas cela habile. L'opinion du ministère des affaires étrangères est que l'affaire Belge s’arrangera. On n'y met pas beaucoup d'empressement à Bruxelles où l'on n'est ni bienveillant, ni vraiment inquiet ; mais personne, parmi les gens du métier à Paris ne craint que cela devienne politiquement grave. C’est trop tôt. Tout le monde est et croit à la paix.
Je ne puis pas juger si le Président a eu raison de mettre Abdel Kader en liberté. Cela dépend de l'état de l'Algérie. Il se peut que cinq ans d’absence, aient fait perdre là, à Abdel Kader, presque toute sa force. En ce cas, le président a bien fait.
Le voilà délivré du marquis de Londonderry. Il (le président) vient de faire un très bon acte en nommant Cardinal l’archevêque de Tours. C’est un des homme les plus sensés et les plus justement honorés du clergé.
Qu'est-ce que cet ouvrage que je vois annoncé dans le Journal des Débats, avec une certaine solennité : Mémoires secrets pour servir à l’histoire de la Russie sous Pierre le grand et Catherine 1ère ? En avez-vous entendu parler ? C’est bien vieux pour vous intéresser, quoique ce soit Russe.
Voici, ma seule question sur votre santé. Vous me dites Chomel, Andral. Les avez-vous vus ensemble ? Chomel est-il revenu ? Se sont-ils mis d'accord sur votre régime ?
J’ai des nouvelles de Suisse. La Duchesse d'Orléans porte toujours et portera encore quelque temps le bras en écharpe. Mais elle va bien. Elle retourne décidément à Claremont avec la Reine.
Le Duc de Broglie est resté à Coppet. Il ne revient à Broglie que du 20 au 25. Il me paraît que la rencontre du Président et de Morny a été très affectueuse. Entendez-vous dire quelque chose de Flahaut ? Viendra-t-il à Paris dans cette circonstance ! Je me figure que Mad. de Flahaut a beaucoup d'humeur de n’y pas être.

Onze heures
Voici votre lettre. Je l’aime mieux que celle d’hier. Elle n’est pas abattue. Deux choses seulement ; tout de suite. Je serai charmé quand nous causerons ; mais ne comptez pas sur moi pour disputer beaucoup ; je ne dispute plus guères quand je disputerais trop. Et puis, quoique je sois vraiment désolé d'avoir brûlé la lettre d'Aggy, pardonnez moi d'avoir souri de votre légèreté française. Vous avez l’art de faire d’une pierre, mon pas deux coups, mais trente six millions de coups, pour rendre le coup plus lourd. Je n’ai pas la même goût ; je ne cherche pas en vous les défauts russes. Adieu, Adieu.
Vous ne m’avez point dit pourquoi lord Beauvale est contre le discours de Bordeaux.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 18 octobre 1852

J’attends, pour avoir quelque chose à vous dire, qu’on parle d’autre chose que d’une seule chose que je n’ai pas vue, et d’une seule question pour laquelle j’ai mon parti pris depuis longtemps. Le Président est rentré et l'Empire est fait. Après ? C'est bien dommage quand j'ai parié avec vous pour l'Empire, que je ne me sois pas donné toute l’année 1852. Mon seul doute porte à présent sur Napoléon 3. Je n'y puis pas croire. Je suis décidé, sur ce point, à ne croire que quand j'aurai vu.
On m’écrit l'adoption du second fils du Prince de Canino comme décidé. Je ne crois pas cela non plus. A quoi bon se presser. Rien n’y oblige. Il vaut mieux rester maître d'adopter qui l’on voudra.
On m’écrit aussi qu'Armand Bertin, se retire de la rédaction des Débats, emmenant avec lui ses amis, et que le Journal, sous le titre de Journal de l'Empire sera mis à la disposition du gouvernement. Encore une chose que je ne crois pas. Je n'ai que de celles-là aujourd’hui. Du reste, mon repos dans mes champs, loin de tout spectacle et de tout bruit, me plaît, et me convient.
Vous perdez Dumon. Il part jeudi ou vendredi, et ne sera de retour que dans la seconde quinzaine de Novembre. Onze heures Votre lettre me chagrine. Je ne veux pas vous en parler davantage. Je crains que tout ce mouvement ne vous ait agitée de là de votre force. Adieu, adieu.
Pourquoi vous parlerais-je de ce qui ne m'intéresse. pas du tout ? Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 18 octobre lundi 1852

J’ai vu du monde hier, mais je ne sais rien de plus à vous dire. Mad. Roger me dit que la reine Amélie a dû quitter Lausanne hier pour retourner à Claremont. La [duchesse] d’Orléans la suivra dans 10 jours. C’est Chomel qui s’est opposé à Eisenach comme trop froid. Il me paraît toujours que ce ne sera qu’en Décembre que se fera l’Empire. Voilà Paris un peu humilié il avait l'habitude d'imposer à la France tous les gouvernements aujourd’hui la campagne fait la loi à Paris. [?] vient à la suite de la France.
Je suis bien fâchée dans un moment pareil d’avoir si peu avec qui causer. Il est vrai que ce serait plutôt pour dis puter, n'importe cela fait passer le temps, et m'empêcherait de penser à ma triste santé. Aggy est bien fâché de la perte de la lettre de sa soeur, & moi aussi. Légèreté française. Adieu. Adieu.
Lord Aberdeen me mande que l’[Angleterre] & l’Autriche sont aussi mal ensemble aujourd’hui que sous [?]. Beauvale est content du discours de Bordeaux. Je crois vous l’avoir dit et pourquoi.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 17 Oct. 1852

Un brouillard épais au lieu du brillant soleil d'hier. Evidemment, le bon Dieu y a mis de la bonne grâce.
Je suis curieux d'avoir les détails de la journée. Mon gendre Cornélis, qui est allé passer deux jours à Paris me les rapportera ce soir. Il n’y a point de lettres même les vôtres, qui disent tout ce que des yeux ont vu. Je ne puis croire que les conseils de ministres retardent beaucoup la résolution définitive, et l'action. C'est bien fait de n'être pas pressé ; mais il y a des situations où le retard devient, sinon nuisible, du moins ridicule.
Voilà le facteur. Point de lettre de vous. Je ne m'en étonne pas. Vous aurez été pressée, et la poste aussi. Je n'ai comme de raison, rien à vous dire.
J’écris à Aggy pour lui demander pardon. J’ai sans doute avant hier, en jetant au feu des papiers, brûlé par mégarde la lettre de Marion que j'avais mise sur mon bureau, dans une enveloppe. blanche, pour vous la renvoyer. J’en suis désolé. Adieu. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Dimanche 17

Je suis positivement très malade, car les douleurs se joignent à tous les autres accidents. Chomel, Andral ... ne parlons plus de ma santé jusqu'à ce qu'on ne parle plus de moi.
Tout a été superbe hier, on est venu voir de chez moi, je n’ai rien regardé, rien ne m’intéresse. Le Prince a vu hier matin Abdel Kader à Amboise & lui a rendu la liberté il attendra seulement à Amboise ou au Trianon, comme il voudra que l’arrangement soit conclu avec la porte. C’est Mouchy qui est venu me dire cela, il accompagnait le Prince. Aujourd’hui conseil à l’Elysée. On dit qu'il faut prôner l’Empire, d’autres affirment qu’il n’arrivera que dans six semaines. Pas d’enthousiasme hier mais très bon accueil et tout le monde content. Le spectacle superbe. La mauvaise humeur contre la Belgique est en grand progrès et si sa presse continue moi je croirais à l'invasion, et alors, bonjour. Adieu en attendant. Adieu.
Aggy redemande sa lettre de Marion.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 16 oct. 1852

C'est bien dommage que vos yeux soient malades ; ils auraient à regarder. aujourd’hui un magnifique soleil, brillant comme en Juillet. Mais il fait froid.
La réception du Président sera splendide. Le ciel s'en mêle. M. Fould maintient-il le rendez-vous qu’il vous a donné au 16e jour après le retour à Paris ?
Vous aurez de vos fenêtres, le double spectacle du passage du cortège sur la place Louis XV et des amphithéâtres élevés sur les deux terrasses des Tuileries, pour les spectateurs. Ce sera beau. J'espère que vous aurez assez d'yeux pour en jouir un moment.
Je viens d’employer les miens à lire dans le Moniteur une longue pièce du comité des propriétaires de houilles à Mons pour amener le Roi Léopold à l’arranger avec le gouvernement français. Ils sont bien pressés de voir cesser l’augmentation de droits que le decret du président a établis. L'affaire belge d'à présent s’arrangera mais l’arrangement ne mettra pas fin à la situation. Elle est au dessus des questions commerciales.
Je suis assez curieux de lire la circulaire que le gouvernement Belge a adressée à tous les cabinets pour expliquer sa conduite. Elle sera certainement publiée. Je doute un peu de l'opportunité. Il ne peut pas donner publiquement, ses vraies et grandes raisons.
Ma lecture du Moniteur m’y a fait découvrir ce que je ne savais pas ; c’est qu’il se met à publier des Romans feuilletons, comme les autres journaux. C’est inconvenant. Ses romans seront mauvais, comme les autres. Une si méchante invention ne devrait pas pénétrer dans le journal officiel.
24 personnes exécutées à Sinigaglia, chez le Pape, en septembre 1852, pour les crimes de 1848 ! C’est trop tard. Les gouvernements ne peuvent pas commettre de plus grande faute que de faire venir le châtiment longtemps après le crime. L'impression du crime a disparu, blâme moral et peur ; et on a à la place l'impression d'horreur du supplice et de pitié pour le criminel. C'est stupide. La première condition pour l'efficacité de la justice, c’est qu’elle soit prompte.
Je n’ai pas vu le nom de l'Anglais Murray dans ces condamnés. Il me semble qu’il était de cette bande-là. Est-ce qu’on lui a fait grâce ?

Onze heures
Voilà un plaisir. Merci de votre longue lettre. Elle me charme. D’abord pour moi, et puis pour vous, dont les yeux vont un peu mieux. Je ne vous demande point pardon de mon égoïsme. Le papier vert me manquait trop depuis deux jours. Adieu, adieu. G

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Le 15 octobre

Je brave la consigne cela m'ennuie. L'effet du discours est grand et bon. Tout le corps [diplomatique] content. Je les ai tous vus. Cowley dit un chef d'œuvre. [Drouin de Lhuys] lui a dit que cela devait effacer le lac français petite flatterie qui a fait son effet. Hubner content aussi avec la remarque que ce qui est une sécurité pour l’Europe est également une satisfaction à la France, il a parlé pour plaire extra et intra muros. Pourquoi ne pas croire à la sincérité ? Ou pour le moins dire qu'on le croit. Persigny est venu me voir bien content, il y a de quoi ; tous ses [?] qu’on regardait comme autant d’extravagances accomplies. C’est enivrant et cela ne l'enivre pas du tout, au contraire pour la première fois je l’ai trouvé très modeste. Lui et son maître sont les moins étonnés de tous. Ils savaient que cela devait être et ils prennent cela très tranquillement tout cela tient de la fable et c'est bien cependant une réalité.
Je vois Fould souvent, très occupé. Et très content. On dit que Jérôme l'est, puis il affecte de l'inquiétude. Le Prince entre demain aux Tuileries, il y trouvera sa famille. Ensuite il ira dîner et coucher à St Cloud. Après viendront les conseils de Ministres, où l’on décidera l’époque & le comment. Personne ne le devine encore, et les ministres pas plus que les autres. Seulement Fould me dit : il n’est jamais pressé. Paris sera très en fête demain. Des arcs de triomphe partout. [?] sous mes fenêtres à l’entrée du jardin. Je ne sais rien de la Princesse de H. Sigmarignan. Mais évidement il faut une femme mais Le nonce est embarrassé mais quand on lui demande si le Pape viendra, il ne dit pas non. Le départ de [Kisseleff] me désole et désole Hubner. Hatzfeld revient dans huit jours. [Kisseleff] est parti sans connaître le discours. Que j’aurais de drôleries à vous raconter et elles seront perdues oubliés quand nous nous reverrons. Aggy a reçu l'ordre formel de rester. Elle reste, plus tard Marion viendra. Je vois Andral tous les jours & je vais tous les jours pire. Adieu.
Voilà tout ce que mon oeil me permet de vous écrire. Aggy redemande la lettre de sa sœur. Envoyez-la moi.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Je n’ai rien à vous dire, sinon que M. et Mad. William Gurney sont arrivés hier et passeront ici quelques jours ce qui vous est parfaitement indiffé rent. Il est le frère de la première, femme et William Cooper, et il a épousé une fille de sir John Boileau.
Est-ce que Valdegamas va à Rome, comme le disent les feuilles d'Havas ? Je le regretterai. Je regrette toujours un homme d’esprit. Son successeur annoncé, M. Bentram de Lys, ne le vaudrait d'aucune façon.
Voilà de vos nouvelles. Merci des détails que vous m'envoyez, et qui sont curieux. M. de Persigny a raison d'être content. On fait le pas auquel il a toujours poussé. Les diplomates aussi ont de quoi être contents. Le bon langage, leur donne ou les gages pour l'avenir, on barra sur l'avenir si les gages venaient à manquer. Je voudrais que Fould fût content aussi.
Louis Napoléon est du bon sens ; je connais cet embarras là, pour d’autres raisons. Adieu, adieu.
Je serai charmé de revoir votre écriture, mais je ne veux pas qu’il en coûte rien à vos yeux. Adieu. G. Val Richer 15 oct. 1852.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 14 oct. 1852

Qu'est ce qu’une petite Princesse de quinze ans, fille du Prince Charles de Hohenzollern Sigmaringen petite fille aussi de la grande Duchesse Stéphanie, et que le Président pourrait épouser à la place de la Princesse Wasa ?
Ce serait bien jeune et bien petit. Il se mariera mieux, l'Empire une fois établi, surtout s’il se tient au bon paragraphe du discours de Bordeaux.
L'effet de ce discours est réel parmi les gens auxquels il est spécialement adressé, les manufacturiers, les négociants, les gros et riches bourgeois. Ils sont comme l'Europe pour eux, l'Empire et la guerre vont ensemble. Le discours a répondu à leurs préoccupations. Il se demandent si la réponse sera bien solide ; mais en attendant l’épreuve, elle leur plaît, et l'impression est favorable.
J’ai diné hier à Lisieux, avec beaucoup de monde. Ce que je vous dis là était général de plus le blé, et les bestiaux se vendent mieux. Là est le thermomètre.

Onze heures
N'avoir pas de lettre m’a beaucoup déplu au premier moment. Mais on me donne de vos nouvelles, soignez vos yeux. Aggy peut toujours bien me dire comment vous êtes. Adieu, adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 12 oct. 1852
5 heures

Puisque Aggy attend les avis de Clothall, elle ne partira pas. C’était le premier mouvement qui était à craindre. Marion elle-même lui dira, et lui dit déjà de rester. Sa lettre est touchante. Il faut bien que l’âme se dépense quelque part ; quand le bonheur naturel et régulier lui manque, elle se jette dans l’exaltation. Les vieilles filles (pardonnez moi ce mot brutal qui me déplait) sont ou très sèches, ou un peu folles. Marion n’est rien moins que folle ; mais partout où elle trouve un sujet d'émotion, d'affection, de passion, elle s’y précipite, et le cœur déborde. Quand je n'aurais pas déjà de l’autre pour elle, cette lettre m'en donnerait. Qu'ont donc fait ses parents pour la blesser à ce point ? Je suppose qu’Aggy n’a pas besoin que je vous renvoie la lettre de sa sœur.
La Gazette de France, seule, m’a apporté ce matin le discours de Bordeaux. Moins bien fait que celui de Lyon, sauf le para graphe sur la paix qui est très bien dit et très positif. C’était le paragraphe important. Je n'ai jamais douté que ce ne fût là le premier langage et même le premier dessein. Saura- t-on s’y tenir ?
Je présume, d'après ce discours, que l'Empire suivra de très près le retour à Paris. On dit que les Sénateurs iront au devant du président jusqu'à Tours. J’ai peine à le croire.
M. Troplong était, il y a quatre jours, bien tranquille dans sa petite maison de campagne, à huit heures de chez moi. Je crois comme vous que le Pape viendra. Et quand l'Empire aura été reconnu par les grandes puissances, je ne vois pas comment il s'y prendrait pour ne pas venir.
Le Roi Léopold ferait bien de prendre lui-même son parti et de mettre son gouvernement, ministres et chambres, au pied du mur sur cette question de la presse. Il y a certainement là, et depuis longtemps, un grand désordre Européen. Il ne se peut pas que le premier venu ait le droit de pousser, d’une frontière à l'autre, les états voisins dans les révolutions et son propre pays dans la guerre, sinon son propre pays, du moins le pays qui lui donne l'hospitalité.

Mercredi 9 heures
Avez-vous remarqué un article des Débats d’hier sur le suffrage universel ? Trop métaphysique pour votre goût mais spirituel et vrai par un côté ; faisant seulement servir la vrai à voiler et faire passer le faux, ce que je déteste.
Salvandy commence dans l’Assemblée nationale une série d'articles sur l’histoire de la restauration de M. de Lamartine. A en juger par la premier, ils ne seront pas sans intérêt. Je vous parle des articles de journaux, faute d'événements, car aujourd’hui, l'Empire n’est pas un événement. Il en redeviendra un, plus tard.

Onze heures
Vous avez raison de soigner vos yeux. J'espère que cette fluxion passera bientôt. Je vous ai dit à première impression sur le discours. Je viens de le lire et j’y persiste. Le paragraphe qui s'adresse à l'Europe est bon, et bien tourné. Le reste a plus de prétention que d'effet. Si le suffrage universel pouvait tenir ces promesses-là, il serait le maître depuis longtemps. Il n’a jamais fait ce qu’il avait dit. C'est sa nature. Adieu, adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Je viens d'écrire encore à Aggy. Il faut non seulement qu’elle vous reste, mais qu’elle vous reste convaincue qu'elle doit vous rester, et qu'elle fait bien. C'est une bonne et honnête personne, qui a besoin d'avoir le cœur en repos.
J’ai dîné hier à Lisieux, je suis rentré tard, je me suis levé, tard, et voilà, un voisin qui m’arrive de bonne heure. Je ne vous écris donc que quatre lignes. Je n’ai rien eu de vous hier ; mais c’est tout simple. C’était dimanche avant hier, et ma lettre de samedi vous sera probablement arrivée tard.

Onze heures Voilà vos lettres. Je fais partir celle que je viens d'écrire à Aggy. L'effet n'en peut être que bon. Il faut que vous ayez l’une des deux. Adieu, adieu. Votre pari avec M. Molé est perdu. G.

Val Richer 12 oct. 1852

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 11 oct. 1852

J’ai parlé de mon mieux à Aggy, deux jours de suite. J’espère qu’entre vous et moi nous l'aurons décidée. Permettez que je ne mette pas Lady Holland tout à fait en tiers. Je suis fort aise du reste qu'elle vous serve. Il faut savoir se serait de tout.
L’article du Times est remarquable. Les feuilles d'havas s'en prévalent, mais sans dire un mot de la condition à laquelle il attache la renonciation à l'exclusion des Bonaparte, et la reconnaissance de l'Empire. Vous aurez la condition, comme le Président aura votre reconnaissance de l'Empire. La paix est dans le besoin, le goût et le caractère de tout le monde.
Duchâtel m’écrit : " Je partage tout-à-fait votre sentiment sur la situation et votre manière de l’apprécier. Je crois comme vous qu’il y a, dans le mouvement en faveur du président, plus de réalité que quelques personnes ne le pensent, c’est un feu qui ne s'allumerait pas de lui-même ; mais la matière inflammable existe, et quand on approche la mèche, elle s'enflamme rapidement et assez vivement. Ce qui est convient aux goûts et au tempérament de la grande majorité de la nation, dont l’intelligence n'est ni assez tendue, ni assez prévoyante pour discerner le manque de racines et de solidité. Nous aurons bientôt l'Empire. Le Président n'y gagnera pas de force vraie et par conséquent il fera un mauvais marché ; mais c’est une phase qu’il était inévitable de parcourir, et quand j’ai vu, il y a six semaines, comment le mouvement se préparait dans les Provinces, je n’ai pas douté, que l'Empire ne fût proche et très proche. "
Vous ne lisez pas le Pays, le rival du Constitutionnel. Il y avait hier un grand article pour prouver aux socialistes que l'Empire de Louis Napoléon peut seul faire pour eux tout ce qu’ils peuvent raisonnablement demander.
Grande attaque aux deux dernières monarchies, et à la République qui ne peuvent rien faire pour les socialistes. Roi d'Algérie serait ridicule. Il n’y a pas assez de Français en Algérie pour leur donner un Roi, et il faudrait aux Arabes un Roi mahométan. Cela ne sera pas. Conquête et colonie, l'Algérie ne peut, de longtemps encore être autre chose.

Onze heures un quart
Voilà une lettre d’Aggy à laquelle je veux répondre encore ; mais c’est trop tard aujourd’hui. J'espère bien que son bon coeur, sa justice, et sa raison surmonteront son chagrin. Adieu adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris lundi le 11 octobre 1852

Hier il n’y a pas eu moyen de vous écrire. Une matinée toute employée à empêcher Aggy de partir. Quel ouvrage, quelle fatigue pour moi. Marion me parait toucher un peu à la folie. Je vous envoie sa lettre, c’est une exaltation touchante, mais c'est trop. Evidemment ses relations avec ses parents sont bien mauvaises elle les prend en horreur. Qu'ils me l'envoient. Je suis convenue avec Aggy qu’elle attendra ici que ses parents lui permettent de revenir. S'ils la veulent je n’y peux plus rien mais j'ai écrit au Père et à Marion dans un sens très raisonnable, & qui devrait les faire persévérer à désirer qu'ils ne reviennent pas. Je vous remercie du travail que vous faites de votre côté.
Je vous ai fait dire un mot hier par votre petit ami. Cela me venait de Mad. de Contades qui avait lu la dépêche chez Persigny. Ce que dit le Moniteur aujourd’hui n’est pas si clair mais il l’indigne. Au surplus attendons le texte même des discours qui a été dans tous les cas très important. Je regrette que Fould ne soit pas venu.
Le comte [Nesselrode] m'écrit une bonne lettre sur Paul. Il causera avec lui et ne soumettra rien à l’Empereur que d’accord avec mon fils. Meyendorff est très monté contre la presse Belge, & veut qu’on en finisse. Il faut de lois de septembre & qu’elles s’exécutent, la protection de l’Europe est à ce prix. A Berlin on pense de même et qu'il faut forcer le Piémont aussi. La France a le droit de le faire. Cowley a peur de Stratford Canning. Il craint qu’on ne veuille accréditer un nouvel ambassadeur auprès du nouvel empire. Le nonce n'ex prime guère de doute sur l’arrivée du Pape. D’autres diplomates disent qu’il ne faut pas permettre que le Pape vienne. Je crois moi qu'il viendra. Je ne sais rien ce matin. Le Prince de Ligne qui retourne demain à Bruxelles a l'espoir d'être nommé ici, je le désire. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 10 oct. 1852

Lisez, si vous avez des yeux et de la patience pour lire les discours adressés au Président par l’évêque de Carcassonne l'archevêque de Toulouse, et le premier président de la cour d’appel de Toulouse ; ils sont remarquables par la mesure politique gardée au milieu des expressions de la reconnaissance et de la louange. C'est le langage sincère et réfléchi d'hommes sérieux. Dans mes tristesses sur mon pays, je prends plaisir à rencontrer quelques actes, ou quelques paroles qui m’en soulagent un peu.
J’ai aujourd’hui, le plus beau ciel et le plus beau soleil possible. Je me promènerai. Il a fait froid cette nuit, de la glace. Je ferai rentrer demain mes orangers. Si le froid s’établit, nous aurons du beau temps. Nous avons depuis deux mois un temps aussi mauvais que triste. J’espère que celui-ci vous vaudra mieux. C’est un tonique. Mais prenez bien garde ne pas vous enrhumer.
Que signifie cette singulière ordonnance donnée sur la frontière de la Prusse Polonaise, que tout voyageur sera obligé de déclarer en entrant, combien il a d'argent et l’usage qu’il compte en faire ? C'est bien curieux. Est-ce une curiosité Prussienne ou Russe ? ce que j'approuve tout-à-fait et ce qui me paraît un bon petit symptôme de civilisation pacifique, c’est la convention conclue entre la France et les Puissants Allemandes, y compris la Belgique, pour la transmission des dépêches télégraphiques par un chiffre diplomatique pour chaque Puissance, connu seulement de chaque gouvernement et de ses agents au dehors. C'est la seule manière de rendre le télégraphe électrique praticable et utile pour les gouvernements. On se promet probablement qu’on devinera les chiffres étrangers. Mais il s'en faut bien qu’on y réussisse toujours.

Onze heures
Je ne vous dis qu'adieu. Je réponds quatre lignes à Aggy, très présomptueuses. J’espère que ma lettre d’hier lui aura fait quelque effet. Je veux y ajouter tout de suite ma réponse à celle que je reçois d’elle ce matin. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 9 octobre samedi 1852

Ah quelle rude besogne de gouverner une fille anglaise ! Elle voulait s'échapper tout de suite seule, sans rien ; de ces têtes folles qui suivent leur impuls sans plus. J’ai été fort résolu. Le père m’a armé de son autorité. Il ne faut pas qu’elle parte. Une lettre de vous sera bonne, & n’arrivera pas trop tard. J’espère, car je ne réponds de rien pour moi, cette lettre de toute la journée m’a renversée. J’ai bien besoin de cette agitation de plus. Je n’ai pas mangé et je n’ai pas dormi. La veine de malheures n’a pas tarie encore pour moi.
Hier on disait qu’en même temps que le Prince se fera empereur, il sera roi d’Algérie. Une garde algérienne équivalant à garde impériale. On dit beaucoup de choses. Je croirai ce que je verrai. M. de Caumont est venu me voir. Les Sénateurs iront tous à la rencontre. Le Chancelier est ici. Il est venu le matin, le soir. C’est trop. Je vois qu'étant la seule ressource, il m'ennuiera souvent. S'il n'était pas sourd je ne me plaindrais pas. Je suis très tracassée et bouleversée.
Lady Holland m'est d'un grande aide auprès d'Aggy. Elle a très bon coeur Lady Holland, et elle est très intelligente. Adieu. Adieu, venez à mon secours aussi, et écrivez.
Voici les paroles du Père. Keep Aggy with you by all means. At this season her coming might a danger her & it would only add sorrow to sorrow. If it will be comfortable to her. We shall contrive to get Marion over with her uncle shortly as he is going. Vous voyez d’après cela mon droit et mon devoir de la retenir, et son devoir à elle d’obéir à ses parents.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Samedi 9 oct. 1852

J’ai écrit sur le champ à Aggy, directement et par la poste. Je crois que je lui ai dit ce qu’il faut lui dire. Le premier moment doit avoir été l’envie d’aller passer quelques jours auprès de Marion ; mais j’espère qu’elle n'aura pas tardé à sentir que vous avez bien plus besoin d'elle que Marion, et qu’il y a pour elle, bien plus de devoir à rester près de vous. Marion lui-même ou je serais bien trompé, le lui demandera, si elle ne l’a déjà fait. En tous cas, je suis bien aise que le père soit si positif.
Pauvre Fanny ? Si elle n’avait pas été malade, et si malade depuis si longtemps, sa mort me frapperait, comme toutes les jeunes morts. Il semble qu’on ne doive être rappelé qu'après avoir fourmi sa course et bu sa coupe. Mais qui sait pourquoi nous sommes rappelés, et pourquoi nous avons été envoyés ? Il faut vivre, et mourir sans savoir et avoir foi sans savoir.
Les hésitations et les procrastinations sur l'Empire ne m'étonnent pas et n'y feront rien. Cet homme est un singulier mélange de fatalisme et de prudence ; il va à son but aussi certainement aussi irrésistiblement qu’un boulet de canon, mais à pas comptés et en s’arrêtant souvent. Je ne crois pas que le temps d’arrêt puisse être long aujourd’hui ; ce serait une duperie, et un ridicule ; quoi qu’on puisse recommencer les mouvements arrangés. Celui-ci a été arrangé sur une trop grande échelle pour qu’on soit aussi sûr du second coup que du premier ; surtout le premier ayant manqué en bien des endroits. Rien après tout ce bruit serait de la timidité plus que de la prudence. Enfin nous verrons.
Peu importe la persuasion de [Kisseleff] en partant ; elle ne réglera, ni l'événement à Paris, ni la conduite de l'Empereur à Pétersbourg. Et j’espère pour l'honneur de sa sagacité, que [Kisseleff] ne sera pas partout aussi affirmatif.
Quand l'Empire sera fait, viendra la question de la guerre sur laquelle nous aurons les mêmes hésitations et les mêmes procrastinations que sur l'Empire. Probablement plus encore, car le fossé à franchir sera bien plus profond, et nous serons plus près du bord.
J’ai quelques raisons de croire que Morny est plus que jamais dans l’intimité sérieuse du Président, et qu'avant de partir pour son voyage, le président l’a entretenu de toutes les chances possibles de l'avenir, comme on entretient son confesseur et son exécutant testamentaire.
Je doute que Morny et Fould soient aussi bien ensemble qu’ils en ont l'air. On espérait à l'Elysée que le Roi Léopold appellerait M. Lehon pour lui faire un cabinet, et on s'en promettait des merveilles. Il y a là un mécompte ministériel par dessus l'humeur diplomatique.
J’ai reçu ce matin une lettre très amicale de M. le duc de Nemours à qui j’avais écrit quatre lignes de condoléance respectueuse sur l'accident de Mad. la Duchesse d'Orléans. Il me dit qu’elle est bien : " Elle me fait dire elle-même, par dictée, que le repos auquel elle est forcement assujettie aura fait du bien à l'état général de sa santé. L'accident de voiture a été de la nature la plus sérieuse, and the escape is a very narrow one, comme on dit dans ce pays-ci. Le voyage de la Reine n’a donc pas été déterminé par ses alarmes, mais par les sentiments d'affection, de bonté et de charité que vous savez exister en elle. "
Adieu, Adieu.
On me dit que vous êtes contente du régime d’Andral et que vous lui trouvez de l'esprit. J'en suis bien aise et vous avez raison. Adieu. G

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 8 octobre 1852

Je donnerai cette lettre à votre petit ami. Mais elle ne méritera pas une si bonne occasion. J’ai vu du monde. Je ne sais pourquoi l’idée s'établit, qu’il n’y aura pas d'empire de sitôt. [Kisseleff] s'en va persuadé de cela tout-à-fait. D’un autre côté hier soir Valdegamas affirmait que le Pape viendra sacrer l’Empereur. Le Nonce qui était là, a seulement répondu que dans son discours de Lyon le Prince a rappelé que l’Empereur Napoléon a été sacré par le Pape. J’ai trouvé cette réponse un peu compromettante.
Je ne sais rien d'Angleterre. Je ne crois pas que Cowley ait été dans le cas de reparler du lac. Le duc de Noailles est venu pour un moment. Il n’a plus qu'une idée fixe. La peur qu'on n'assassine le Président. Il ne pense pas à autre chose. Il voudrait lui donner 50 ans de vie & de pouvoir. Si l’Empire se fait, le chiffre sera une question. N. III effacerait les deux monarchies, cela n'est pas admissible. Louis Napoléon serait le plus naturel.

Midi 1/2 Dans ce moment je reçois une lettre d’Ellice père qui m’annonce la mort de Fanny. Je suis dans un grand trouble pour cette pauvre Aggy. Comment le lui dire ? Enfin je m'en tirerai. Le père me prie ou supplie de la garder chez moi c’est bien ce que j’entends, mais comme je crains son élan vers Marion écrivez lui un mot (à Aggy) Very impressive à votre façon pour lui dire que vous savez que son Père veut absolument qu’elle ne retourne pas, et que par dessus le marché ce serait cruel & inhumain de m'abandonner malade. Enfin regardez comme impossible qu'elle songe à me quitter même pour 8 jours. Tout à fait inutile. Je vous prie écrivez bien. Le Père veut que Marion vienne ici avec l'oncle en décembre, il m'a l'air d’avoir grande envie de se débarrasser de ses enfants. Adieu. Adieu vite.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Vendredi 8 oct. 1852

Fould annonce la politique qu’il prêche. Je ne doute pas qu’il ne donne de bons conseils, et je souhaite qu’il les fasse prévaloir. Je ne suppose pas que Heeckeren conseille la mauvaise politique ; mais probablement, il la prévoit, et il prend ses mesures pour y être prêt. Je vois que, pendant que le voyage suit son cours, les pétitions pour l'Empire vont leur train. On en annonce 521 dans le seul département du Pas de Calais, 51 000 signatures, dans celui de la Marne & Commencez-vous à y croire ?
Je comprends que M. Hogier donne sa démission du poste de Paris ; après les dernières publications de l'Indépendance belge, il lui est difficile de vivre en bons rapports avec M. Drouyn de Lhuys, et les deux partis ne sont pas assez également fortes pour rester l’une devant l'autre en mauvais rapportss comme nous étions, lord Normanby et moi. Je penche à croire que cette mauvaise humeur officiellement affichée sont le commencement de quelque chose de pire.
Avez-vous des nouvelles d’Ellice et compte-t-il toujours venir à Paris à Noël ? Il aura, je suppose, un peu plus d’embarras à être toujours de l’avis de son petit ami, car Ellice est très pacifique et ne se soucie pas de se faire de mauvaises affaires.
J’avais ici hier un petit anglais fort obscur et assez intelligent, traducteur de mes ouvrages en Anglais, qui m’a dit que l'opinion publique en Angleterre était toujours très malveillante, et que le Times, la suivait bien plus qu’il ne la poussait.
J’ai eu avant hier à dîner les gros bonnes négociants et manufacturiers de Lisieux, tous contents et présidentiels, acceptant l'Empire sans le désirer. Les agriculteurs eux-mêmes commencent à être un peu contents ; leurs denrées se vendent mieux.
Je suis vraiment très fâché pour vous du départ de Kisseleff. Je suis moi-même bien plus tranquille sur vous quand il est là. La petite Princesse va donc mieux puisqu’elle sort. Adieu, Adieu.
J’espère que l'ouragan a cessé à Paris, comme ici. C’est un temps qui ne vous vaut rien. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 7 oct. 1852

J’ai eu hier une lettre de Lord Aberdeen qui m'a été apportée à Paris par M. Cardwell. Il y est venu passer quelques jours avec sa femme. Je regrette de ne pas le voir. C’est un homme d’esprit, et Aberdeen me le recommande chaudement. Il nous aurait mis bien au courant de Londres. Lady Allice Peel le connaît beaucoup. J’ai déjeuné avec lui chez elle. Elle vous l’a peut-être déjà amené.
Aberdeen est évidemment, très peu bien veillant pour le Cabinet : " I suppose our Parliament will not meet before the middle of november, and although some indication will be afforded of the relative strength and disposition of parties, it is not at all probable that the existence of the government will be endangered before Christmas. Their real trial will commence in February, and what may be the result, it is extremely difficult to say. Their position, although discreditable and entirely unprecedented, is strong when compared with the scattered forces and disunited taste of their opponents. "
Nous oublions trop que Lord Aberdeen a été le collègue de Peel, de Graham, Gladstone, Cardwell, le Duc de Newcastle, qu’il a pris part à toutes les mesures de réforme commerciale, que c’est là son dernier acte politique, et qu’il reste attaché aux mesures et aux hommes. Il se sépare de ceux qui les repoussent ; il s’unira à ceux qui les adopteront. Il m’a l’air plus préoccupé de nos affaires que des [?], et bien convaincu que l'Empire, " Although it may, at present, make no great change in France or in Europe, is surely pregnant with future complications and wars "
Il est de l’avis de M. de Heeckenen. Il me dit qu’il voudrait bien venir causer. " It is not impossible that, after our short session before Christmas, I may go to Paris for two or three weeks ; but this must be extremely doubtfull. "
Avez-vous fait attention, au discours que Michel Chevalier a adressé au président, à Montpellier, au nom du Conseil général, et à la réponse du Président ? C'est le programme de ce qu’il y a de plus sincère et de plus honnête dans le Bonapartisme.
Il me semble que le Roi de Wurtemberg, des princes allemands, celui qui s'exécute le mieux pour la répression de la presse injurieuse au Président. C'est qu’il est celui qui a le plus d’esprit et le plus d'autorité chez lui. Savez-vous s'il y a un parti pris sur Napoléon 2 ou Napoléon 3 ? La diversité des acclamations me laisse dans le doute à cet égard.
Le départ de M. Frère d'Orbon pour l'Italie prouve que la retraite du Ministère Belge est sérieuse, et qu’il ne pense pas à se reconstituer en se rapieçant.

Onze heures
Je n'ai que le temps de vous dire adieu. Deux visites m’arrivent, en même temps que le facteur Adieu. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 7 octobre 1852

Il y a si peu de monde à Paris dans ce moment que j’en suis à prévoir une complète solitude après le départ de Kisseleff. Je n’ai pas un habitué. C'est désolant. Quelle perte que Stockhausen ! Molke vient tous les matins, mais il ne le remplace pas. Je ne sais rien d’hier. On dit que le conseil est divisé sur la question de la réception à faire au Président. Faut-il ou ne faut-il pas de fracas ? Les plus sages Fould & & veulent le convenable, l'ordonnance. Les autres voudraient des arcs de triomphe de l’étalage. On ne sait pas ce que veut le Prince. Je tiens toujours mon pari avec Molé, pour l’Empire avant Le 1er Janvier. L'armée autrichienne rend de grands honneurs funèbres au Duc de Wellington. Il ne sera sans doute de même chez nous au retour de l’Empereur. Sans doute il y aura de partout des députations pour assister à ses funérailles. On dit qu’elles sont fixées au 13 Novembre. On disait hier aussi que le Parlement s’assemblerait le 26 octobre. Nous saurons cela bientôt.
Voilà la petite Princesse qui m'interrompt et l'heure qui presse. Adieu. Adieu.

Auteurs : Orléans, Louis Charles Philippe Raphaël d' (duc de Nemours) (1814-1896)

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Mercredi 6 octobre 1852

Je suis frappé des arrestations et des saisies de poudre, canons de fusil & opérées à Bordeaux. C'est là évidemment le travail assidu du parti anarchique, et il a, dans chacune des grandes villes où le président doit passer, un foyer de préparatifs et de tentatives, Marseille, Bordeaux, Nantes. C'est très bien fait de traiter tout cela avec mépris, et je voudrais bien qu’on y pût appliquer uniquement les remèdes Anglais ; mais on a affaire à de tout autres hommes, et il faut encore plus de vigilance que de mépris. En Angleterre, il n’y a vraiment que des fous ou des scélérats isolés qui tentent de pareils actes ; chez nous, c’est tout un parti nombreux, fanatique, organisé, qui se recrute abondamment et se gouverne despotiquement. Avec lui, il y a deux dispositions auxquelles, il ne faut jamais se laisser aller, la crainte et l’insouciance ; n'en avoir pas peur et le combattre sérieusement, incessamment, c’est le seul moyen de le vaincre.

Onze heures
Vos conversations sont curieuses. Soyez tranquille, je n'en ferai aucun usage. Je trouve ces propos là fort naturels, car c'est là qu’en viendront les actions aussi tard qu’on pourra et quand on aura épuisé les moyens dilatoires pour échapper à ce qu’il y a de radicalement révolutionnaire dans la situation.
On m’avait annoncé l'ouvrage de Montalembert, et je sais qu’il y travaille. S’il l'achève, il le publiera ; et s’il le publie, cela fera de l'effet, m'importent l'inopportunité du fait, l'humeur du pouvoir, et l'indifférence de la nation. Il reste toujours un public suffisant pour donner du retentissement aux paroles d’une opposition spirituelle et animée. Il y a des temps pour allumer l’incendie, et d'autres pour conserver le feu.
Je ne comprendrais pas une note anglaise sur le lac Français, quand il n’y a point de paroles officielles et avouées. Une dépêche même serait trop et M. Drouyn de Lhuys aurait le droit. de dire : " Qui vous l’a dit ? " Passe une lettre particulière, dans laquelle on serait à l'aise pour parler hypothétiquement et qu’on ferait connaître officieusement.
Adieu, Adieu. Vous ne me dites rien de votre fils Paul. Il n’y a donc rien de nouveau. Il est vrai qu’il faut que M. de Nesselrode soit de retour. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 6 octobre 1852

Ce que vous me dites des dépêches belge & française me paraît très frappant et doit être vrai. J’ai vu Fould hier soir qui ne savait pas encore comment cela se dénouerait. Je lui demandais de quelle couleur seraient les nouveaux ministres. Il en répondit : Le roi en cherche-t-il ? Je l’ai trouvé monté sur un tout autre ton que Hecken. La paix, la paix, & l’Empire sera modeste. Cela ne ressemble pas du tout à avant hier. D’abord [Hekern] est un hâbleur et puis je crois qu'il a plus dans ce cas là on cherche à faire peur aux autres, façon de se rassurer. J’ai vu très peu de monde hier. Comme quotidien personne qu’Andral. J’attends Dumon j'aime bien à pouvoir compter sur quelqu’un. Je suis très interrompue et nervous, je vous dis Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00387.jpg
Val-Richer, Mardi 5 oct. 1852

Je viens de lire les longues pièces Française et Belge sur la négociation commerciale. La pièce Française est plus aigre de ton et plus raisonnable au fond ; la pièce Belge est douce, obstinée et rusée. Il y a, au fond de tout cela, cette difficulté que la Belgique n’a aujourd’hui aucune confiance dans le bon vouloir de la France, et qu’elle ménage les voisins Allemands et autres, beaucoup plus encore qu’elle ne le faisait de mon temps. La France de son côté demande à la Belgique de négocier commercialement avec elle sans tenir aucun compte de la politique. Cela ne se peut pas. Commercialement la France a raison. Politiquement, la Belgique a raison. Je ne vois pas comment on sortira de cette impasse.
Voilà votre lettre d’hier qui m’arrive de très bonne heure. Je ne dis pas qu’on n’a pas raison de réduire à de petites proportions la machine infernale de Marseille ; mais il ne fallait pas en faire, au premier moment, un si gros bruit.
J’ai cru qu’on allait sommer l’Angleterre et la Belgique d'expulser les réfugiés.
Savez-vous un défaut que je découvre au voyage du président ? Il est trop long. Ce n’a pas été bien calculé. Il valait mieux en faire une moitié avant et l'autre après l'Empire. A moins qu’on n'ait voulu avoir pour l'Empire, la manifestation de toutes les grandes villes de France, Lyon, Marseille, Toulouse, Bordeaux. Mais certainement quand le président reviendra, le public sera aussi fatigué du voyage que lui.
Les journaux m’apportent de Bruxelles la réintégration du professeur qui avait lu à ses élèves des fragments du dernier pamphlet de Victor Hugo contre le Président. Cela ne raccommodera pas les affaires entre la France et la Belgique.
Le journal le Pays prend très vivement cet incident. Bacourt doit bien connaître les dispositions de [?], et j’attache quelque importance à ce qu’il vous a dit de la Princesse Wasa. Si elle n’est pas prise à Vienne, elle pourrait bien être reprise d’ici. Adieu, Adieu.
Le départ de Kisseleff me contrarie bien pour vous. Il vous est un agrément et une sécurité. J’espère qu’il reviendra bientôt. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 5 octobre 1852 Mardi

Sainte-Aulaire est venu me voir hier soir. Il me dit que Montalembert était venu à Paris pour soigner l'impression d'un ouvrage qui va paraître sur le gouvernement représentatif & sur l’église. Le fond sera que la religion ne peut fleurir qu’avec la liberté, qu'il n’y a pas de liberté en France & que les prêtres ne sont plus que des courtisans, il veut un [gouvernement] représentatif. Vous voyez comme cela va faire fortune ici ! Je doute que son ouvrage paraisse. Il est indigné de la servilité du clergé. On le dit très amer. comme je ne l'ai jamais vu seul, je n’en sais rien.
Hecken est aussi venu hier soir entre le sérieux & le comique c'était assez drôle et assez menaçant. Après l’empire on prendra la Savoie en conseillant au roi de Sardaigne de se dédommager par la Lombardie, & puis on effacera la Belgique. Et puis, si la Russie et l’Autriche se fâchent, on leur lancera la révolution. Tout cela accompagné d'éclats de rire, vous en ferez ce que vous voudrez. Non pas ceci à la lettre s’il vous plaît car même en plaisanteries je n'aime pas que rien ressorte de chez moi. On trouvera une princesse. Cela ne peut pas manquer. Le Moniteur annoncera les fiançailles un beau jour lorsqu'on s’en doutera le moins. Jérôme est inquiet et mécon tent. L’Empire héréditaire et l’adoption cela ne lui convient pas du tout, & il dit : " Le frère de l’Empereur est plus fort que le neveu. " Vous fais-je assez de commérages ? On voulait savoir hier qu'il était venu une note Anglaise sur le lac français. Je veux bien croire à une dépêche peut être, à une note non. Au reste, je ne sais rien de direct depuis ce que je vous ai dit sur ce sujet. Il y a des tempêtes affreuses la nuit. Kisseleff part dimanche. Adieu. Adieu.
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