Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 8 nov. 1851

Vous me permettez du bien petit papier, n'est-ce pas ? J'ai beaucoup à faire ces jours-ci. Je veux absolument avoir fini mon discours, et je l'aurai fini. Une visite de matinée à Lisieux, chez les gens qui m'ont donné à dîner. Une visite. dans mes champs, avec mon fermier et mon homme d'affaires, pour voir s’ils sont bien cultivés et en bon état. Riez si vous voulez, de ma science agricole ; elle me prend mon temps comme si elle était bien profonde.
Je lis tout ce que vous m'écrivez, vous et Marion, tout ce qui me vient d'ailleurs, tout ce que me disent mes dix ou douze journaux ; je ne vois pas de raison de changer mon impression et mon pronostic. Je crois la situation où je suis en ce moment très bonne pour juger sainement. Bien informé des faits et loin du bruit. J’y vais rentrer. Je tâcherai de ne pas m'en laisser étourdir au milieu du bruit, on oublie le plus grand des faits, l'état réel du pays lui-même, et on fait des sottises dont on est averti par des catastrophes.
Je sais bon gré à ce bon Alexandre de sa résignation. Je me préoccupe de la situation de votre fils Paul. Nous en causerons si vous voulez et si cette conversation ne vous agite pas trop.
A tout prendre, j’aime mieux que Lord John ne vienne pas à Paris. Dieu sait ce qu’il aurait dit ou conseillé au Président. Les Anglais n'entendent rien à nos affaires et pourtant leurs paroles ont toujours du poids. Vous êtes vous fait lire le discours de Louis Blanc à Londres dans l’une des fêtes de Kossuth ? C'est le vrai programme du parti au moins des émigrés du parti ; il feront ce qu’ils pourront en 1852 pour soulever une grande prise d’armes à moins que nous ne le fassions exprès de les faire réussir, ils échoueront ; mais ils ne pensent guère laisser passer cette époque sans protester contre les anciens échecs.

4 heures
Nous avons bien les mêmes instincts. J’ai été frappé et désolé des fautes qui commencent. Adieu, adieu. Je suis chaque jour plus pressé de vous retrouver. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris dimanche le 9 Novembre 1851

Molé hier soir gêné sur l'affaire de questeurs. [?] sur l'affaire Faucher, en tout de mauvaise humeur. Mérade en grand blâme. Je lui ai dit ce que vous vouliez qu'il sût et dans les termes convenables. Il rendra cet avertissement. Il est bien temps que vous reveniez. Il me semble qu'on perd la tramontane. Cela fera gagner le Président. Il y a deux jours que je n’ai vu Fould. La santé ne va pas mal. Un peu de fatigue hier soir parce qu'on est resté jusqu'à 11h. passées ! La nuit s'en est un peu ressentie, mais cependant tant bien que mal il y a eu 7 h. de sommeil. Voilà toute ce que j'ai à dire. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 9 nov. 1851

Je viens de finir mon discours, et je vais donner ces deux jours à mes visites et à mes affaires. Que j’ai envie de vous trouver mercredi moins fatiguée ! Mais si vous l'êtes encore beaucoup je vous soignerai enfin. Au moins vous ne vous ennuyez pas.
Singulier spectacle. Quiconque prend l’initiative du moindre mouvement inutile, quiconque dépasse la nécessité de l'épaisseur d’un cheveu est aussitôt condamné et délaissé par le pays. C’est de la politique thermométrique. Il faut avoir le coup d’oeil bien sûr et le pied bien ferme pour marcher droit dans une telle atmosphère. Certainement d’ici la nomination de Vitet et la proposition des questeurs me paraissent deux fautes graves et si j’avais été là, je les aurais déconseillées. Je verrai ce qu’on me dira pour les justifier. Je suis du reste, bien décidé à n'en croire moi-même plutôt que ce qu’on me dira. Ecouter tous les avis et agir toujours selon son propre avis, c’est la bonne règle quand on a du bon sens C'est facile quand on n'est que donneur d'avis, et point acteur. Je ne puis croire que la majorité se laisse mener longtemps par Thiers, et Changarnier ; elle reconnaîtra bientôt qu’ils la mènerait perdre. Les montagnards ont voté pour Vitet évidemment pour brouiller la majorité. Je ne crois pas du tout à M. de Hackereen.
Thiers a-t-il, ou n'a-t-il pas été au service de la Madeleine pour la Dauphine. Je puis encore vous faire une question. Mais mardi, Marion n'aura plus à vous remplacer. pour m'écrire.

4 heures
Je suis charmé que vous recommenciez à manger pourvu que vous digériez. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Lundi le 10 novembre 1851

Soirée très orageuse hier. L'allocution du Président aux affaires. Piscatory, Molé, Berryer, Montebello très montés. Montalembert n’en parlait pas. Fould approuvait en général cependant cela était regardé comme une nouvelle provocation, et l’on croit généralement que l’Elysée veut la crise.
Je vous verrai donc après demain. Grande joie. Mais voici deux recommandations. 1° Ne venez pas avant 3 1/4 je ne puis pas vous recevoir avant.. C’est trop long à expliquer. 2° faites-moi la grâce pour tout ce premier jour de vous borner à écouter tout le monde, et puis vous digèrerez ce mauvais dîner et vous pourrez avoir un avis le lendemain. On en sera très avide, c’est tout juste pour cela qu’il ne faut pas vous presser. Mon impression à moi est de trouver la conduite du duc de Broglie très bonne. Je ne suis pas suspect quand je le loue. Je trouve à Molé l’air mal à l’aise. Au reste depuis bien des jours je n'ai plus de tête-à-tête.
2 heures. Adieu. Adieu. Des nouvelles indirectes disent que le passeport est accordé !

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, lundi 10 Nov. 1851

Voici la fin. Après demain à 1 heure, je vous verrai. Marion me dit que vous recommencez à manger, et Génie qu’il vous a trouvée en assez bon état. Tout cela est médiocre, mais enfin le mieux a commencé.
Je ne puis pas regretter, pour mon compte de n'avoir pas été plutôt à Paris. Ce qui s'y passe me paraît pitoyable et déplorable. Je ne comprends pas que ces gens d’esprit perdent volontairement les avantages de la situation que leur ont faite des sots ; et il faudrait qu’on m’apprît de bien importantes choses que j'ignore et que je n’entrevois pas du tout, pour m'ébranler dans ma conviction. Nous verrons.
Je suis très curieux d'entendre Molé et Vitet. J’ai vu hier, ici et à Lisieux, quelques honnêtes gens dont le langage révélait déjà l'effet de ce qui se passe. Ils s'en étonnent et recommencent à donner tort à l'Assemblée, sans redonner raison au président. Ils iront plus loin si on continue. Adieu. Adieu. Marion a été un suppléant charmant. Adieu. G.
Voilà vos quelques lignes qui me plaisent. Mais il ne faut pas veiller jusqu'à 11 heures. Merci de ce que vous avez dit à Mérode.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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39 Val Richer, 12 Juillet 1852

C'est curieux à quel point on peut vivre dans le passé. Je m'occupe des nouvelles d'aujourd’hui, je lis mes journaux par routine, par convenance ; au fond, ce n’est pas à cela que je pense spontanément et avec intérêt l’histoire de Cromwell, et ma propre histoire de 1830 à 1848 voilà ce qui m'interesse, ce qui remplit, et anime mon esprit. C'est dommage que vous n'ayiez pas la même disposition ; je serais bien plus intéressant pour vous. Mais vous m'aimez que le présent vous êtes la contemporaine par excellence.
Que va-t-il arriver en Angleterre ? Vous devriez bien me le dire, car cela, j'en suis curieux aussi, selon ma conjecture, rien de décisifs, quand ils n’ont point de grande entreprise sur les bras et point de grand homme à leur tête, ils savent vivre, modestement au jour le jour faisant petitement leurs petites affaires, et se contentant de ne point faire de grosses sottises. Si le Président a la même sagesse il durera tant qu’il voudra.
Je suis bien aise que les radicaux des corps francs laissent Thiers tranquille à Verrey. Quand les justices providentielles arrivent, mon premier mouvement est la satisfaction. Mais je pense très vite aux personnes à leurs souffrances, à leurs chagrins, et je n’ai plus du tout soif de justice. D'ailleurs, après ses amis ce qu’on aime le mieux ce sont ses ennemis. Je m'intéresse à Thiers. Je ne le voudrais pas puissant mais point malheureux. Je ne vois pas pourquoi on met M. Drouyn de Lhuys aux affaires étrangères à la place de M. Turgot ; il a un peu plus d'encolure diplomatique au fond. Il ne fera ni plus, ni mieux. Passe pour ôter M. Duruffé des travaux public ; on peut avoir là un homme capable ; il y sera utile sans y être embarrassant. Est-ce que M. Magne, qui y était du temps de M. Fould ne serait pas disposé à y revenir ? C'est un homme vraiment capable. Je ne sais pourquoi je vous parle de cela. J’ai vu hier quelqu'un qui venait de Dieppe. Il dit qu’il y a beaucoup de monde, et très bonne compagnie, et qu’on trouve très bien à s'y loger. Mais je ne me fie pas à ce rapport, c’est un homme du pays, moins difficile que vous en fait de logement. Il vous faut la plage, ou près de la plage et un bon appartement dans la meilleure auberge.
Je vous quitte pour attendre plus patiemment le facteur en faisant ma toilette. Malgré la chaleur j'irai faire aujourd'hui une visite à trois lieues, dans un assez joli château. J’ai là un voisin savant, antiquaire infatigable qui ne vit qu’avec Guillaume le conquérant et Bossuet.

11 heures
Je suis bien aise que votre temps soit si plein, et vous savez que je ne me fâche jamais. à demain la conversation sur mon peu de curiosité en ce moment. Si j’avais pu aller à Paris, j’y serais allé pour vous voir plus que pour vous entendre. Je vous écrirai donc demain à Dieppe. Adieu, adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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36 Dieppe le 13 juillet 1852

Me voilà et tout seule, et logée loin du peu de personnes qui sont ici parmi mes connaissances. Et un orage épouvantable, des éclairs, la foudre qui tombe à côté. Je suis dans le désespoir la terreur. Toute seule c’est affreux. Triste sort. Aggy pouvait arriver aujourd’hui. Elle l’avait promis. Je suis venue la prendre ici. J’ai envoyé la chercher à Boulogne, toutes les précautions prises. Je vais pleurer, je n'ai que cela à faire.
Hier j'ai vu Fould encore très longtemps. Il a été très intéressant mais vous êtes trop loin. Votre petit ami me dit que d'ici vous n'êtes pas loin. C'est bien dommage que je ne vous vois pas. J’ai une bonne chambre à vous donner. Mais je n’aime pas faire des invitations qui seraient refusées.
Mercredi matin ma lettre n'a pas pu être finie pour la poste. Je l'achève ce matin. Je viens de recevoir la vôtre d’avant hier. Avant de me coucher j’ai encore vu venir tous les Delessert très aimables pour moi. Ils seront ma meilleure ressource. Aggy m'écrit qu’elle sera ici demain. Je le croirai quand je la verrai. Ah que je suis devenue soupçonneuse !
Fould n'était pas encore sûr de partir avec le Président. L’entourage n'aime pas je crois sa faveur. Il attendait qu'on lui répète l’invitation. Il a bien du tact, de la réserve, de la finesse, et de l’esprit. Le changement de [Ministère] qui va se faire en Belgique plaira au Président. On veut de là lui envoyer Ligne comme ministre, j’avais cru que ce serait très bien accueilli. Pas du tout. Des préventions. Il a tort. Mais on peut être un très excellent Président & n'avoir pas toujours raison.
L'air de la mer est excellent. Je suis heureuse d’être sortie de Paris cette fournaise. Adieu. Adieu.
Il y a ici les Cowley, les Mouchy, les Delessert, le duc de Richelieu, les Delmas. Mais on est éparpillé. Adieu.

2 heures. Votre lettre de hier 13 m’arrive à l’instant, c’est bien vite, nous sommes donc bien près ! Inutile.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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40. Dieppe Mardi 20 juillet 1852

Ce sera donc Vendredi j’espère. Mon plaisir sera grand. J'ai été bien souffrante hier, de je ne sais quoi. Il y a un bon médecin ici, M. Godel, je le conseille. Lord Cowley est revenu hier. M. de Thouvenel lui a dit que le Président irait à Bade. Que va faire la Princesse de Prusse qui y est ? Cela me divertit fort. Elle le déteste, elle est curieuse, elle est précieuse, je voudrais voir cela. Il se pourrait qu'elle s'absentât. Si c'est sous forme d'impolitesse cela déplairait fort au roi de Prusse.
Selon le journal des Débats, le voyage est splendide, j'en aurai sans doute un petit récit par Fould. Je ne sais pas l'ombre d'une nouvelle. Il me semble que Cowley trouve que sa reine est un peu trop intime avec Claremont. Au fond il y a là dedans une certaine inconvenance politique. Morny qui est revenu d'Angleterre a dit au duc de Mouchy qu'ici avait été très bien reçu par la société en Angleterre. Delessert y est allé hier, il reviendra dit-il la semaine prochaine. C'est une partie pour moi. J’avais pris le communiqué du Moniteur comme s’adressant à M. Kalerdgi. Lord Cowley m'apprend que c'est moi à propos d'un article du [Morning Chronicle]. Ce journal-là appartient à Aberdeen. Amis anglais, amis français. J’aime mieux des ennemis. J'en dirai mon sentiment à droite et à gauche. Adieu. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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37 Dieppe jeudi 15 juillet 1852

Delessert que j’avais chargé de me trouver une maison, m'en a donné une fort commode, sur la rue, un peu loin de tout le monde c’est vrai, mais enfin très bien, seulement je la trouve bien humide et je commence à avoir peur. J’aime mieux les auberges mais il n'y a pas un trou. Il faut donc rester.
J’attends Aggy avec impatience aujourd’hui enfin. Je n’ai pas de nouvelle à vous dire. J’ai écrit à l’Impératrice une longue lettre ce matin. Je puis lui écrire tendrement bien à mon aise. Je lui ai mandé mes observations de Paris, il y a un courrier prussien.

5 heures. Voilà Aggy arrivée. Dieu merci. Bien mauvaise mine, il faut que je raccommode cela. Lord Cowley croit que le parti ministériel aura 300 voix à la chambre, ce n’est pas la majorité, mais c'est un parti très compacte, et dont on pourra toujours tirer de bonnes choses. La grande aigreur est entre les Peelistes & les Derby. Est-il possible ! et Aberdeen en est ! Adieu. Adieu.
Je n’ai rien de plus à ajouter.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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41 Val Richer, Jeudi 15 Juillet 1852

Je n'ai point eu de lettre de vous hier, et je ne vous ai pas écrit. Point par représailles, mais je n'avais vraiment rien à vous dire. J’espère que ce matin, je vous saurai arrivée à Dieppe. Pourvu que les lettres à Dieppe ne soient pas obligées de passer par Paris pour venir ici. J'en ai peur. Avez vous idée du temps que vous passerez là ? Je serais bien fâché si le monde finissait aujourd’hui, comme on dit que le dit M. Arage ; j’ai envie que nous nous revoyons encore dans celui-ci avant de nous rejoindre vous l'autre.
Vous me parlez beaucoup des tendresses de l'Impératrice, et c'est à merveille ; mais vous ne me dites rien des résultats. Est-ce qu'elle ne vous a rien promis pour les passeports de vos fils ? Elle n’a peut être pas osé. Pardonnez-moi ; j'oublie toujours le pouvoir absolu.
J’attends avec quelque curiosité le remplacement des ministres belges. Je me méfie beaucoup du bon sens et du savoir faire du parti catholique. Je lui connais quelques hommes très distingués ; mais ils sont eux-mêmes sous le jeu de prétentions ecclésiastiques impraticables. Le Roi Léopold est patient, et habile. Il trouvera des moyens termes, et il gagnera du temps. Quand donc ferez-vous tout-à-fait votre paix avec lui ?
Les journaux annoncent positivement et à jours fixe l’arrivée du comte de Chambord, à Wiesbaden. J’ai peine à y croire. En avez-vous entendu parler ? Parle-t-on aussi du voyage de Changarnier à Vienne.

11 heures
Pas de lettre. Dieppe passe sans doute par Paris. À demain donc. J’ai envie de vous savoir arrivée, sans trop de malaise par cette chaleur. Adieu. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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38. Dieppe le 16 juillet 1852

Tout ce que l’Impératrice pourra faire pour moi, elle le fera. Cela elle me l’a dit & je crois tout ce qu’elle me dit. Je crois aussi qu'il y aura plus haut bienveillance pour moi. J'éprouve donc une certaine sécurité. Mais de promesse je n’ai pu en avoir aucune. Mais voici venir une autre aventure. L’Empereur a fait faire des avances à mon fils aîné, il désire le reprendre au service et lui donner un poste convenable. Voilà les premières paroles qu'il lui a fait dire après cela il faut se voir, s'entendre. Paul acceptera un poste diplomatique indépendant et je lui conseillerai de n'être pas difficile, mais il faut qu'on lui dise quoi, & Nesselrode cet absent, & Orloff aussi va l’être. Tout cela est remis à assez loin, en attendant j'aurai à soigner ces préliminaires et c'est assez difficile avec tous ces éparpillements.
La chaleur commence à devenir lourde ici aussi. Je vois les Delessert beaucoup. Lord Cowley tous les jours. Mais on ne se réunit pas et je ne suis pas bonne à cela maintenant car je vais me coucher à 9 heures vraiment avec les poules. Je n’ai pas la moindre nouvelle. Le comte de Chambord ne songe pas à venir à Wisbade, c'est ce que m’a dit le duc de Noailles. Pour Changarnier je crois bien qu'il va à Vienne, on le croyait à Bruxelles. Vous savez que M. Molé est à Trouville.
Adieu, nous n'aurons rien de bien intéressant à nous écrire. Moi je végèterai. Un ennuyeux été à traverser et sans profit pour ma santé. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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42 Val Richer 16 Juillet 1852

J’attendais votre lettre pour vous écrire, et mon facteur arrive horriblement tard. Un orage en route ; point ici. Vous n'aurez que trois lignes. Je vous répondrai à mon aise demain.
Je crois en effet que nous ne sommes pas loin, et j'en suis charmé. Charmé aussi que vous ayez une chambre à me donner. Je m’arrangerai pour en profiter. Votre méfiance m'amuse et me choque. Adieu. adieu.
J’espère bien qu'enfin vous aurez Aggy. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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43 Val Richer, Samedi 17 Juillet 1852

Dites-moi votre adresse Dieppe ; encore faut-il que je sache où aller vous chercher, quoique je sois sûr que je vous trouverais partout où vous seriez. Je compte aller vous voir la semaine prochaine. Je ne puis vous dire aujourd’hui précisément quel jour. J’irai par Trouville. Le Havre et Rouen.
J’ai envie qu’il fasse encore beau ce jour-là. Il pleut aujourd’hui à la grande satisfaction du tout le monde et même à la mienne pour la première fois hier, j’ai souffert du chaud. J’avais si mal dormi, dans la nuit que je me suis levé à 4 heures du matin. J’ai très bien dormi cette nuit.
Je passerai deux jours avec vous. J’attends la semaine suivante, M. Hallam, et Sir John Boileau. J’aurai du plaisir à les revoir. Ils me donneront les détails sur l’Angleterre. L'échec électoral qui Peelistes est frappant, si notre ami Aberdeen était à élire, il n'aurait peut-être pas été réélu.
Le succès du Cabinet en Irlande prouve à quel point les élections sont surtout protestantes. Cette chambre des communes sera partagée par moitié. Donc bien difficile à gouverner et bien mauvais instrument du gouvernement. mais je persiste à croire, pas de danger.
Le Président se trompe, s’il se méfie du Prince de Ligne. Le Prince de Ligne sera comme voudra son Roi. Et d'ailleurs si, aise d'être à Paris, lui et sa femme, qu’ils feront ce qu’il faudra pour y rester, et pour y être bien venus.
Vous avez toujours trouvé à Fould les mérites que vous lui trouvé aujourd’hui, et qu’il a en effet. Preuve de votre pénétration et de votre tact. Je désire qu’il reste en faveur ; il ne donnera que de bons conseils.
Mes journaux d'aujourd’hui me diront s'il va à Strasbourg. Si vous avez la Revue des deux mondes, (1er et 15 Juillet) lisez deux articles de M. de Rémusat sur Horace Walpole, et Angleterre du 18 siècle. Vous le trouverez bien parlementaire, mais spirituel, et intéressant.
Voilà donc Mad. Seebach établie à Paris Elle y sera une lionne de toilette l'hiver prochain. La Russie sera-t-elle aussi brillante que l'hiver dernier ?
On m’a raconté bien des choses de Mad. Kalergi. Il me paraît que le séjour de Mlle Rachel à Berlin a été très orageux. Vous voyez que je lis les nouvelles frivoles, faute d'autres.

11 heures Enfin vous avez Aggy. J’en suis bien content. Vous vous soignerez l’une l’autre. Adieu, Adieu. Je suis à ma toilette. Votre adresse. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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39 Dieppe le 18 juillet 1852

Dimanche Je n'ai eu hier qu’un mot bien shabby et moi je n'ai rien à dire du tout. Au fond Dieppe est parfaitement ennuyeux les Delessert sont ma vraie ressource et encore. On me mande de Paris que le Président rencontrera certainement la Princesse de Wasa à Strasbourg, (il n’est même pas impossible qu'il aille à Bade.) Cette princesse à 18 ans, jolie charmante. Mon [Grand duc] Nicolas est allé la regarder, entre autres et elle lui a plu extrêmement, mais l’Empereur n'en veut pas à cause de vous de Suède. Elle prendra certainement le Président. Elle se ferait probablement catholique, car elle se serait faite grecque. Tous les entours le poussent au mariage. Il n'y a que [Jérôme] et son fils qui y sont extrêmement opposés.
Voilà votre lettre de hier. Mon adresse est Maison Fauconnet rue Aguado et rue descaliers N°11. Malgré toutes ces rues je donne en plein sur la mer et sur la plage. Je serai bien contente de vous voir ; cependant je répéte encore, si cela vous dérange trop ne venez pas. Voyez ma déférence ! Adieu, car je n’ai rien à vous dire. Le temps est rafraîchi et très agréable. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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44 Val-Richer 18 Juillet 1852

La poste, même française, me traite toujours plus mal que vous. Vous avez mes lettres le lendemain ; je n'ai les vôtres que le sur lendemain. Je ne comprends pas pourquoi cette différence.
Je serais charmé que votre fils, Paul rentrât au service. C'est vraiment dommage qu’un homme d’autant d’esprit perde sa vie comme il le fait. Il le regretteront un jour. Pour mener cette vie oisive, et s'en contenter, il faut être jeune ; la jeunesse remplit tout. Mais quand on devient vieux, deux choses deviennent nécessaires, une famille et ses occupations.
Si Schlangenbad, contribue, comme je le présume, à rendre ces arrangements-là plus faciles ou plus agréables, ce sera une bonne et juste récompense de votre fatigue.
Je ne savais pas que M. Molé fût à Trouville. Je l’y verrai en y passant pour aller vous voir. Je ne puis fixer précisément mon jour qu'après demain à cause d’une lettre que j’attends. Mais ce sera probablement vendredi ou samedi.
Malgré l'ennui, vous avez raison de vous coucher de bonne heure. Mon expérience d’ici me le persuade tout-à- fait. Je suis toujours couché à 10 heures et presque toujours levé à 5. Ce régime me réussit très bien. C'est l’ordre naturel.
Je n’ai pas plus de nouvelles que vous. Les journaux, et j'en reçois sept ou huit, ne m’apportent rien. Montalembert, m'écrit de Vichy, où il s'ennuie fort, me dit-il. Il m'envoie ce qu’il a dit, l'avant veille de la clôture du corps législatif, sur les décrets du 22 Janvier, commençant par cette phrase : " Je désire faire une très courte observation et je vous promets d'avance de ne pas demander l'autorisation d'imprimer ce que je vais dire " et finissant par celles-ci : " Nous aurons sans aucun doute, un jour à discuter cette mesure ; les lois de finances nous y amèneront ; nous le ferons alors en toute liberté. D’ici là, il faut qu’on sache, que nous n'y sommes en rien associés, ni compromis. Quant à moi, je profite de cette première occasion pour élever dans le triple intérêt de la propriété cruellement ébranlée, de la justice méconnue et d’une auguste infortune, mes solennelles réserves contre une faute qui a été sans excuse, sans prétexte, sans provocation aucune, et que l’on s’attache chaque jour davantage à rendre irréparable."
Vous voyez que selon sa coutume, il n’a pas mâché les paroles. La Reine, et le duc de Nemours lui ont écrit pour le remercier. Adieu.
J’aimerai mieux la fin de cette semaine que le commencement. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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40. Dieppe Mardi 20 juillet 1852

Ce sera donc Vendredi j’espère. Mon plaisir sera grand. J'ai été bien souffrante hier, de je ne sais quoi. Il y a un bon médecin ici, M. Godel, je le conseille. Lord Cowley est revenu hier. M. de Thouvenel lui a dit que le Président irait à Bade. Que va faire la Princesse de Prusse qui y est ? Cela me divertit fort. Elle le déteste, elle est curieuse, elle est précieuse, je voudrais voir cela. Il se pourrait qu'elle s'absentât. Si c'est sous forme d'impolitesse cela déplairait fort au roi de Prusse.
Selon le journal des Débats, le voyage est splendide, j'en aurai sans doute un petit récit par Fould. Je ne sais pas l'ombre d'une nouvelle. Il me semble que Cowley trouve que sa reine est un peu trop intime avec Claremont. Au fond il y a là dedans une certaine inconvenance politique. Morny qui est revenu d'Angleterre a dit au duc de Mouchy qu'ici avait été très bien reçu par la société en Angleterre. Delessert y est allé hier, il reviendra dit-il la semaine prochaine. C'est une partie pour moi. J’avais pris le communiqué du Moniteur comme s’adressant à M. Kalerdgi. Lord Cowley m'apprend que c'est moi à propos d'un article du [Morning Chronicle]. Ce journal-là appartient à Aberdeen. Amis anglais, amis français. J’aime mieux des ennemis. J'en dirai mon sentiment à droite et à gauche. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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46 Val-Richer Mardi 20 Juillet 1852

J’ai eu hier trois lettres de Paris toutes également insignifiantes, quoique de gens bien informés. La chaleur, le voyage du président, et les chiens enragés, on ne s'occupe que de cela. Je ne vois pas que nulle part en Europe, on fasse rien de plus important, excepté en Angleterre. Croyez-vous que la question ministérielle se décide à la petite session qui va avoir lieu à la fin d'août, ou que ce soit une pure formalité, après laquelle tout débat sera remis au mois de Novembre ?
Quel est le journal Anglais auquel s'adresse le communiqué du Moniteur. Je ne lis ici que mon Galignani qui ne contenait absolument rien de semblable.
Le Roi Léopold tarde bien à revenir à Bruxelles. Il veut probablement laisser en paix ses ministres qui s'en vont dans l’embarras avant de s'y mettre lui-même. Je trouve qu’il serait bien bon d'accepter cet embarras. Ses ministres actuels ont encore la majorité Ils sont tenus de gouverner tant qu’ils ne l’ont pas perdue. C'est le jeu du Roi, je pense de les obliger à rester jusqu'à ce qu’ils la perdent en effet, et à convenir qu’ils ne se croient pas en état d'affronter les élections. Les Rois constitutionnels ont bien des ressources quand ils ont l’esprit et le courage d’un [?].

11 heures
Voilà mon facteur. Je n’irai vous voir que mardi prochain 27. Le Duc de Broglie m’écrit qu’il part le 29 pour la Suisse et il me demande, s’il peut venir que voir d’ici à lundi. Il ne peut me dire précisément quel jour ayant du monde, chez lui. Je tiens à le voir avant son départ. Je resterai donc chez moi jusqu'à lundi 26 inclusivement, et mardi, j'irai vous voir. Wasa est un beau nom même détrôné. Adieu. Adieu.
Je suis charmé, pour vous, que le temps soit rafraîchi. Pour moi, je regrette le soleil. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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41 Dieppe Jeudi le 22 juillet 1852

Mardi est bien loin, mais je suppose qu'il arrivera un jour. J'ai été tracassée et occupée. J’ai beaucoup réfléchi au Moniteur, je ne puis pas laisser là cette affaire d'un autre côté je ne veux rien faire sans Kisseleff. Je lui adresse donc aujourd’hui. une lettre pour Persigny. Il me dirigera là dedans, je vous dirai ce que j’aurai fait. Je ne sais pas de nouvelle. M. de St Priest a été ici, toujours très fusionniste mais vous savez que je ne le connais pas. Vous parlez très sensibly de l’Empire. A propos vous me deviez 5 Francs au ler Juillet nous ferons un autre pari si vous voulez. Lord Cowley que je vois tous les jours ne sait rien de nouveau d'Angleterre. On m’envoie de là le grand article qui a motivé le communiqué du Moniteur sur moi. On promet entre autre à Marion un mari et une fortune si elle me dispose à servir le président auprès de l’Impératrice. Le tout est de cette force. Comment va-t-on ramasser de ces choses là & y répondre. Est-ce possible ? Adieu. Adieu.
Je ne suis contente ni de la mer ni de ma santé. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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48. Val-Richer, Jeudi 22 Juillet 1852

Ce retard, jusqu'à mardi me contrarie beaucoup. Je m'étais promis de vous voir demain. Je ne pouvais pas refuser cette semaine à Broglie qui part pour trois mois, la semaine prochaine. Et toutes choses sont ennuyeuses à arranger de loin. Enfin, à Mardi.
Je voudrais vous envoyer tous les jours quelque nouvelle un peu amusante. Il n’y a pas moyen. Pour surcroît de disette, mon Journal des Débats m’a manqué hier. Il n’en sait et n'en dit pas plus que les autres, mais je suis accoutumé à mettre un peu plus de valeur à ce qu’il dit. Puisque le Président va à Bade, et prolonge son séjour à à Strasbourg, je présume qu’il arrange son mariage à la bonne heure.
Je sais gré à votre Empereur de ne vouloir pas de cette Princesse pour son fils à cause de son voisin. Il n’est pas intraitable, et sait soigner ce qui lui convient, même quand l'origine lui en déplait. C'est le complément de sa visite au Roi Charles-Jean.

10 heures et demie
Voilà votre lettre d'avant hier mardi, car décidément vous ne m’avez pas écrit lundi. J'espère que votre souffrance est passée. J’ai entendu bien parler de M. Godet, à des connaisseurs.
Le temps qu’il fait doit vous convenir, chaud et point étouffant.
Je crois que vous êtes injuste envers lord Aberdeen. Il n’est pour rien dans le Morning Chronicle. Ce sont, il est vrai, des gens de ses amis, le Duc de Noailles, Lord Canning, M. Smythe qui ont acheté, ce journal est qui le fait faire. Mais lui n'en est point et ne s'en mêle point. Je ne lui connais en fait de journaux, de relations qu'avec le Times et il met trop d'importance à celle-là, pour en cultiver d'autres.
Si la Princesse de Prusse quitte Bade au moment même, ce sera en effet une assez grosse impolitesse. J’en doute. La curiosité l'emportera.
Je viens de jeter un coup d’oeil sur mes Débats, deux numéros à la fois. Ils annoncent la modification ministérielle, M. Magne est un très bon ministre des travaux publics. Mais je ne comprends pas pourquoi M. Turgot à la secrétairerie d'Etat à la place et M. Casabianca.
On m'écrit que le comte de Chambord vient d'adresser à ses amis une nouvelle note encore plus catégorique quant au serment. Il l'a fait à cause des élections prochaines des consuls généraux. Cela chagrinera bien des gens ; mais si j'en juge par ce qui m’entoure et ce qui me revient, la plupart, obéiront. Adieu, Adieu.
La cloche sonne, le déjeuner. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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49 Val-Richer Vendredi 23 Juillet 1852

M. de Persigny a de l’esprit et de la foi, ce qui est bien plus efficace que de l’esprit. Son discours aux articles a dû agir sur eux ; la foi est communicative. Mais les commentaires ne valent pas le texte, en voici un que je trouve dans les feuilles d'havas : " L’art a désormais de beaux horizons ; dans son libre développement, il côtoiera les merveilles de la civilisation moderne sans descendre des sommités où il plane, car le prodigieux avènement du Prince Louis Napoléon a ranimé cette fibre poétique qui sommeillait chez le peuple depuis l'Empire, et qui s'accommode, si bien des inspirations de l'art. Les artistes auront désormais un protecteur plus puissant que tous les rois de la terre le peuple lui-même ressaisissant, avec sa dignité ses allures chevaleresques et artistiques. " Nous n'avons plus maintenant qu'à attendre des Michel Ange et des Raphaël démocratiques.
Je viens de me lever. Le temps, est magnifique ; le soleil, qui se lève, en même temps que moi, chasse devant lui les vapeurs de ma vallée. Je suis vraiment bien fâché de ne pas aller vous voir aujourd’hui. J’aurais aimé à arriver à Dieppe, par ce beau temps. J'espère qu’il fera aussi beau mardi.
Si le Président revient aujourd’hui à Paris, il sera mieux traité du ciel qu’il ne l'a été à Strasbourg au moment du défilé villageois. Je prends toujours en compassion les fêtes populaires dérangées par la pluie.
Il me paraît que tous les Princes Allemands se sont conduits courtoisement dans cette occasion, Prusse, Wurtemberg, Bade, Hesse, et je ne sais combien d’autres. Je serai curieux de la relation que vous donnera Fould, car j'ai enfin trouvé son nom dans les Débats.
Que faites-vous du duc de Richelieu ? Je soupçonne qu’il est de ceux qu’on rencontre volontiers une demi heure une fois par semaine, mais dont la société quotidienne et prolongée n’a pas grand intérêt. Il ne me paraît pas qu’on s'amuse beaucoup à Trouville ; le chancelier a souffert de la chaleur. On attend beaucoup de monde, dans le mois d'Août.
Vous ne me dites rien d’Aggy. Comment se trouve-t-elle et comment vous en trouvez-vous ? Comme conversation elle ne vaut pas Marion. Je présume qu'Ellice ne lui écrit pas autant qu'à sa sœur. Savez- vous ce qu’il dit de leurs élections ?
11 heures
Pas de lettre et rien de plus à vous dire. Adieu donc. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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42. Dieppe samedi 24 Juillet 1852

J'ai eu une discussion assez vive hier avec lord Cowley sur lord Palmerston. Amusant, il a fini par ne plus savoir que dire. Au reste il faut en prendre son parti. Palmerston reviendra au pouvoir plus puissant que jamais, premier ministre. C’est l'homme le plus considérable et le plus populaire de l'Angleterre dans ce moment. Voilà Lady Allice Palmerston aussi. Je ne sais sur le voyage de Bade rien que ce que me dit Stolham et ce n’est pas grand chose.
Le Prince a fait visite au Margram Guillaume, il n’avait pas vu la Princesse de Prusse encore. Le Régent. de retour à Carlsrohe de Berlin est très embarrassé, il ne sait que faire. Le grand duc de Hesse a envoyé son ordre par son premier ministre. Le Prince en retour lui a envoyé la légion par le colonel Fleury. On regarde tout ce voyage comme une intrigue de femmes finissant par un mariage. Le Prince se promène avec la [Marquise] Douglas entouré de la police française. Voilà la lettre du correspondant de [Stolham]. Thouvenel avait entendu dire que Fould aurait la secrétairerie d'Etat, moi je doute. Quant à Drouyn de Lhuys c'est sûr il a les affaires étrangères.
Vous ne me trouverez pas en bon état, et je ne sais vraiment que faire de ma personne. J’essaye tout ce qu’on me prescrit, & puis il survient des symptômes qui font qu'il faut changer. Cela ne m’inspire naturellement aucune confiance de corps. Le repos, la tranquillité d'âme & la distraction d'esprit. Voilà ce qu'il me faut. Le premier dépend de moi, les deux autres, des autres et là se produit ma misère. Vous m'aiderez au N°2 quant à la troisième condition elle ne peut venir qu'avec l'hiver. A quelle heure serez vous ici Mardi ? Vous pourriez vous dispenser d'amener votre valet de chambre. J’ai tout mon monde ici. Voilà des visites. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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50. Val-Richer, samedi 24 Juillet 1852

C'est vrai, Mardi est bien loin ; mais il viendra dans trois jours, et quand nous aurons causé, vous serez convaincu comme moi que je ne pouvais faire autrement. Broglie n’est pas encore venu, je crois qu’il viendra ; mais ne vint-il pas, il fallait que je lui donnasse la semaine qu’il me demandait. Soyez sûre que vous serez de mon avis.
Je crois aussi que vous devez faire quelque chose sur ce sot communiqué du Moniteur. J’ai bien regretté et je regrette bien de n'être pas là, pour vous dire tout ce que je pense à ce sujet. Vous faites bien en tout cas de consulter Kisseleff. Peut-être serai-je à temps mardi.
Voilà des nouvelles qui m’arrivent de Londres, assez curieuses : « The government reckoned, on 307 which seemed tour un excessive estimate. They have got about 312 and may win two or three more. Such a party well disciplined may for a time be master of the house of common especially against a disjointed opposition without principles and without leaders. I think the main cause of Lord Derby's success has been the absence of my competitor or antagonist whom the country can tolerate and accept [?] Lord John Russell, leaned to the conservative side, he might have become such an Antagonist, and he has discovered this too late, for he is now in communication with lord Aberdeen. But by adopting the radicals, he destroyed his party and his position. The policy of the Whigs is now to avoid all hasty or premature attacks on Lord Derby, and to judge of the measures he is prepared to bring forward. But the position of the government is only the more critical, for at heads, a party prepared to demand more than it can execute... M. Lady Palmerston said to me last night triumphantly : " Observe, no one in the whole country dare, to call himself a follower of Lord John Russell ; even hastings Russell says he is a follower of sir R. Peel. " Vous connaissez mon correspondant. Adieu, Adieu.
Je voudrais bien que l’air de la mer vous fît un peu de bien. C'est vrai, je vous dois 5 fr.. Mais je ne veux pas recommencer. Je vous paierai mardi. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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51 Val-Richer Dim. 25 Juillet 1852

Je partirai d’ici, Mardi matin, et j’espère bien arriver à Trouville avant que la marée n'emmène les steamers qui vont au Havre. Pourtant je ne sais pas bien exactement les heures de marée, et si je manquais la première je pourrais bien manquer aussi l’un des deux convois de chemin de fer dont j’ai besoin du Havre à Rouen, et de Rouen à Dieppe. Ne vous étonnez donc pas si je ne vous arrivais que Mercredi matin, cela tiendrait uniquement à quelque défaut de coïncidence dans les convois. Je ne veux pas arriver à Dieppe quand vous serez couchée. J’aimerais mieux coucher à Rouen.
On m'écrit que les ministres de Paris, pendant le voyage du Président niaient absolument toute modification dans le Cabinet. Turgot, disait-on, ne voulait pas entendre parler du Ministère d'Etat. On dit aussi que lorsqu'ils ont reçu les dépêches qui mettaient en saillie les cris de Vive l'Empereur, ils ont hésité un moment à les publier. Est-ce décidément la Princesse Wasa ou une Princesse de Leuchtenberg qui est l'objet de la recherche ?
Vous aurez remarqué ce qu’on m'écrit de Londres sur le rapport de Lord John Russell avec Lord Aberdeen. Il serait plaisant que Lord Palmerston passât dans le camp conservateur et Lord Aberdeen dans le camp Whig. Nous n’y verrons pas clair avant le mois de Novembre.
10 heures et demie Je n’ai rien à ajouter. Adieu jusqu'à après-demain. G

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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42. Dieppe samedi 24 Juillet 1852

J'ai eu une discussion assez vive hier avec lord Cowley sur lord Palmerston. Amusant, il a fini par ne plus savoir que dire. Au reste il faut en prendre son parti. Palmerston reviendra au pouvoir plus puissant que jamais, premier ministre. C’est l'homme le plus considérable et le plus populaire de l'Angleterre dans ce moment. Voilà Lady Allice Palmerston aussi. Je ne sais sur le voyage de Bade rien que ce que me dit Stolham et ce n’est pas grand chose. Le Prince a fait visite au Margram Guillaume, il n’avait pas vu la Princesse de Prusse encore. Le Régent de retour à Carlsrohe de Berlin est très embarrassé, il ne sait que faire. Le grand duc de Hesse a envoyé son ordre par son premier ministre. Le Prince en retour lui a envoyé la légion par le colonel Fleury. On regarde tout ce voyage comme une intrigue de femmes finissant par un mariage. Le Prince se promène avec la [Marquise] Douglas entouré de la police française. Voilà la lettre du correspondant de [Stolham].
Thouvenel avait entendu dire que Fould aurait la secrétairerie d'Etat, moi je doute. Quant à Drouyn de Lhuys c'est sûr il a les affaires étrangères.
Vous ne me trouverez pas en bon état, et je ne sais vraiment que faire de ma personne. J’essaye tout ce qu’on me prescrit, & puis il survient des symptômes qui font qu'il faut changer. Cela ne m’inspire naturellement aucune confiance de corps. Le repos, la tranquillité d'âme & la distraction d'esprit. Voilà ce qu'il me faut. Le premier dépend de moi, les deux autres, des autres et là se produit ma misère. Vous m'aiderez au N°2 quant à la troisième condition elle ne peut venir qu'avec l'hiver. A quelle heure serez vous ici Mardi ? Vous pourriez vous dispenser d'amener votre valet de chambre. J’ai tout mon monde ici. Voilà des visites. Adieu. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Dieppe le 2 août lundi 1852

Voici ce que m'écrit Fould. " je ne pensais guère vous écrire. encore de Paris. C’est presqu'au moment de monter en voiture et mes chevaux commandés sur toute la route de Pyrénées que j'ai été appelé à St Cloud. La mission que j’ai acceptée me paraît pleine de difficulté, et ce n’est pas sans quelque préoccupation que je l’ai acceptée. Ce sont des fonctions nouvelles que le début de mon prédécesseur a laissé à peine ébauchées. La bonté du Prince et la bienveillance avec laquelle il m’a promis de m'aider ne m’a pas permis d’ailleurs d'hésiter. "
Je lui ai répondu pour le féliciter et moi aussi Voici Beauvale. Je suis moins bien que hier. Les mouvements plus gênés. Et la marche plus impossible. J'en suis bien triste. On me dit que toutes les épurations, et nominations dans le conseil d’Etat sont à l’adresse des décrets d’Orléans.
Mardi le 3. L'heure de la poste était passée Aggy qui devait terminer ma lettre et la fermer n'était pas là. Je suis bien fâchée. J’étais souf frante. Je le suis encore un peu plus ce matin. Une pauvre nuit, provenant de mon inquiétude sur mon compte. Beaucoup plus que de mes souffrances, car quand je ne remue pas je n’ai point mal. Mais mon imagination va, va & je n'ai personne pour la régler.

2 heures. Le médecin revient aux tous premiers remèdes du premier jour de l’arnica. Reprendre l’alphabet par la lettre a. c’est bien ennuyeux. Je me suis fait traîner en calèche. Tolstoy au lieu de vous ! Stohkansen me mande qu'il payerait cher pour avoir une bonne occasion pour m'écrire. Il la faut bonne. Je ne puis pas deviner, c'est bien dommage. Hatzfeld a dîné à St Cloud. Promenade dans la forêt, navigation sur l'Étang de Villeneuve l'Etang. Le Président menant lui même la barque. Trés agréable journée. Je ne sais rien de plus à vous dire.
Je me soigne, je me tourmente & Je m'ennuie. Au fond je serais mieux à Paris. Tout est si incommode ici. Aggy vous remercie de votre souvenir. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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52 (je crois) Val Richer, 2 août 1852

Je vous ai quitté avec au moins autant de regret que j’ai eu de plaisir à vous revoir. J’ai trouvé ces quatre jours très doux. Serait-ce toujours aussi doux si nous passions toute notre vie ensemble ? Je le crois, pourvu que nous prissions le parti de nous dire tout. La réticence ne nous va ni à l’un ni à l'autre. Et qui se dit tout ?
J’aurai demain seulement de vos nouvelles. Je ne puis comprendre pourquoi les lettres de Dieppe mettent deux jours à venir ici. J’ai fait votre commission à Lord Cowley sur le message que le duc de Mouchy vous a apporté. Il vous trouve pleinement satisfaite. Comme il n’avait pas encore ouvert son Moniteur, il ne savait pas encore la nomination de Fould. Il en a été fort aise. Certainement c’est une bonne chose. J’ai un peu ri du soin du Moniteur à bien dire que ce serait le dernier changement de Ministres, Crise ministérielle cela ressemble, trop à un régime parlementaire. Du reste il aura raison. Son oncle gardait ses ministres.
Vous avez satisfaction sur le prétendu traité du Morning Chronicle. Tous les journaux malveillants, ou bienveillants, le traitant de fable. L’Assemblée nationale dit : " Nous croyons que le traité du 20 Mai 1851 n'existe, pas par une raison qui en vaut bien une autre, c’est que les traités de 1815 existent." Je ne trouve du reste absolument rien dans mes journaux.
Quelles nouvelles me donnerez-vous de votre jambe ? Je suis convaincu que, si vous ne faites pas d'effort pour marcher trop tôt, ce ne sera pas long. C’est un grand déplaisir que de vous voir ou de vous savoir souffrante ; je ne veux pas sympathiser avec l'exagération de vos impressions, et j’ai l’air de ne pas me soucier de votre mal. Portez vous toujours bien, je vous en prie.
J’ai retrouvé ma maison en bon état. Je suis un peu fatigué. A Rouen, je ne me suis pas couché ; je n’ai fait que m'étendre sur un lit. Il fallait se relever à 2 heures et demie. Je suis encore très disponible ; mais je m'en ressens quelques jours.
J’ai vu Olliffe à Trouville. Je lui ai rendu compte de vous. Il ne m’a donné pour vous que les conseils que vous suivez. Il doit faire une course à Paris dans huit ou dix jours. J’aimerais mieux que ce fût dans quinze et je le lui ai dit. Il quittera Trouville à la fin du mois. M. Molé a été pris le lendemain de son arrivée, d’une névralgie d’entrailles, comme dit Olliffe, qui l’a assez inquiété. Il est reparti sur le champ.
Je n'ai vu personne d'ailleurs à Trouville. Je n'y ai passé que trois quart d'heure. Il y a un monde énorme, comme à Dieppe. Le temps est toujours magnifique. J’aurai mes Anglais Mercredi, ou Jeudi. Adieu. Adieu.
J’aimais mieux la semaine passée. Adieu. G.
P.S.: Mes vraies amitiés à Aggy. J’ai été charmé de la retrouver, et de la retrouver près de vous.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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53 Val-Richer, Mardi 3 Août 1852

Je ne trouve pas que le Constitutionnel soit aussi aimable pour M. Fould que je m’y attendais à travers les félicitations et les compliments, on sent percer un peu de froideur, et quelques réserves. Est-ce que Fould serait rentré dans les affaires sans concert avec Morny et contre son gré ?
Autre remarque. La rentrée de Fould coïncide avec l’épuration du Conseil d'Etat en raison des votes dans le procès des biens d'Orléans trois des Conseillers d'Etat qui ont voté contre les décrets du 22 Janvier sont, l'un révoqué, l'autre mis à la retraite, le troisième placé autrement, et plus mal. Cela cadre peu avec l'avènement au pouvoir d’un opposant aux décrets. Il est vrai que M. Persil ancien garde des sceaux du Roi Louis-Philippe, est nommé Conseiller d'Etat en remplacement de M. Cornudet, révoqué. Est-ce que cela serait donné aux Orléanistes, à titre de dédommagement ? M. Persil est un homme capable, qui aurait mieux fait de rentrer aux affaires un autre jour et par une autre porte, puisqu’il y voulait rentrer.
Le Moniteur s’est empressé de démentir indirectement le bruit répandu que l’entrée à l’Ecole normale avait été interdite aux élevés protestants, à cause de leur religion. Il a bien fait. La liberté des cultes est un des droits auxquels, ce pays-ci tient le plus et que l'Empereur Napoléon, a le plus soigneusement respecté. Il paraît bien que M. Fortoul ministre de l’instruction publique avait fait ou dit quelque chose dans le sens dont on parlait. Il se sera ravisé. C’est un homme d’esprit, un peu léger.
Donnez-vous bien du mal pour être un grand homme ; votre statue, en bronze sera vendue aux enchères, au bout de deux siècles, à la porte de votre propre pays, pour 7.270 francs pas un quart de la valeur du bronze. C'est ce qui vient d’arriver à ce pauvre Gustave Adolphe dans l'île d'Héligoland. La statue avait fait naufrage l’un dernier, en venant de Rome à Gothenburg, et la municipalité de Gothenburg, qui l’avait commandé n'a pas voulu la racheter des mains des pauvres marins d'Héligoland qui l’avaient repêchée. Il est vrai que Gustave Adolphe n'en reste pas moins Gustave Adolphe. Sa statue a pu se noyer, mais non pas son nom. Du sein de leur séjour inconnu, les grands hommes doivent à la fois jouir de la longue trace qu’ils ont laissé ici bas, et prendre en pitié les accidents d’ingratitude et d’oubli qui leur arrivent. Je me figure que l'impression causée par le spectacle de ce monde, quand on est est hors, et complètement détaché, doit être celle d’un dédain bienveillant, et doux.
Adieu, en attendant votre lettre. Je vous quitte pour faire ma toilette. Je voudrais bien apprendre qu'avant hier Dimanche, vous avez posé le pied par terre sans trop de douleur.
// si vous écrivez à M. Fould, ce qui me paraît probable, seriez-vous assez bonne pour lui dire que du fond de ma retraite, je suis charmé de le voir rentrer sur la scène ? Il s'y conduira certainement en homme d’esprit, et de sens et tout le monde aura à y gagner. //
11 heures
Merci de votre petite page. C'est bien long ce que dit Velpeau. Je regrette de n'avoir pas été là quand il est venu. Adieu, Adieu. G.

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Dieppe le 4 août Mercredi. 1852

Je suis comme hier, & le jour précédent. Ni mieux, ni pire. Broutelle veut que j’ai courage et confiance ; c'est beaucoup exiger. Je n’ai pas la moindre nouvelle. Mme St Arnaud est ici. Son mari arrive demain, mais comme je ne les connais pas, c'est inutile.
Je lis dans l’Indépendance votre Cromwell. C’est charmant. j’ai écrit à Meyendorff. Je n’ai plus à qui écrire, pas un mot à dire à l’Impératrice Je m'ennuie beaucoup. Et je serais bien aise de tourner le dos à Dieppe. Il ne vaut guère la peine de vous envoyer ma lettre pour les choses que je vous dis. 5 heures J'écrirai tout exprès à M. Fould pour lui faire votre message. Le duc de Mouchy est reparti pour Paris. J'aime mieux le voir revenir. On est bien seul ici.
Adieu. Adieu, pas un mot pas un seul à vous dire. Au fond j’allais mieux le 4ème jour que je ne vais aujourd’hui le 9ème.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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54 Val-Richer, Mercredi 4 août 1852

Je suis très contrarié des quinze jours d'immobilité auxquels Velpeau vous condamne ; il a probablement raison. Mais c’est bien ennuyeux. J’aurais mieux fait de ne pas aller vous voir ; vous ne seriez pas montée dans ma chambre, et vous ne seriez pas tombée. C'est là tout ce que j'ai de mieux à vous dire.
L'insignifiance des journaux est complète. Ceux qui ne peuvent pas critiquer ne veulent pas louer. Pour surcroît le Journal des Débats, m'a manqué hier. Quand on supprime ainsi à l’esprit son aliment, on devrait supprimer aussi l'esprit lui-même. Cela se fera peu à peu.
J’ai eu hier une longue lettre de Barante qui prévoit ce résultat, car il me dit : " Lorsqu'on ne s’intéresse pas à soi-même on est indifférent à tout ; l’esprit s'éteint quand les sentiments sont glacés ! "
Il m’écrit du Mont Dore, où il est allé pour ne pas être repris l’hiver prochain de son extinction de voix.

Jeudi 5 Août
Je n’ai pas fait partir hier cette page qui n'en valait pas la peine. Vous ne m’avez pas écrit non plus. J’espère bien que ce n’est pas quelque mauvaise raison, accident ou autre. Je n'ai pas plus de nouvelles aujourd’hui qu’hier.
Mon fils, m'en apportera peut-être quelqu’une demain il est allé passer 48 heures à Paris pour un examen. Mes Anglais arrivent aussi demain.
Je vois que les élections des conseils généraux sont ce que j’attendais, ou immense majorité ministérielle c’est-à-dire présidentielle. Il me semble aussi que les pétitions impériales commencent à circuler. On m'écrit que les exilés espèrent quelque chose, du 15 Août. Ceux d’entre eux qui sont petits et modestes accepteraient volontiers l'Empire, s’il devait les faire rentrer. Que feraient les autres, Thiers, Rémusat, les généraux ? Il ne serait pas glorieux, pour eux de rentrer au milieu des Vive l'Empereur ! Ils rentreraient pourtant, s’il le leur permettait.
Avez-vous lu, dans le Galignani du 3 un article curieux du correspondant américain du Times sur Kossuth ? Il fera plaisir à Hübner.

11 heures
Voilà une lettre qui ne me plaît pas. Vous vous faites vous-même bien plus de mal que vous n'en avez. C'est singulier d'avoir l’esprit si juste, si ferme sur toutes choses, excepté sur soi-même. Je suis bien fâché de n'être plus là. Adieu, adieu. Merci de la lettre de Beauvale. Merci pour vous et pour Aggy. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Dieppe jeudi 5 août 1852

Vraiment votre Cromwell est d'un intérêt énorme. Je le dévore dans l'Indépendance. Je suis au troisième feuilleton. Est-ce que l'ouvrage à Paris, est en vente et où ?
Je suis comme hier. Je saurai tantôt s'il y a une nuance, en essayant de mettre le pied à terre. Je suis bien poltronne. Je n’ai pas de lettre du tout. Je ne sais rien, et je ne saurai rien jusqu'à samedi. Lord Cowley arrive ce jour-là, mais seulement pour une heure. Si je manque cette heure-là c’est fini Aggy a reçu hier une lettre où on lui dit qu'on va transporter Fanny à Brompton. Marion l'accompagnera. Les parents resteront seuls à la campagne. Voilà encore une belle affaire ! Je n’ai pas l'air de croire que cela me regarde, et elle ne m'a rien dit dans ce sens. Mais ne suis-je pas menacée d’une bombe ? Vous savez à quel point ce serait un malheur. Avant ceci j'avais écrit hier matin une lettre au Père, pleine de gratitude et de bonheur de sa présence. Peut-être voudront-ils essayer du tête-à-tête. C'est très anglais, cela.

2 heures Des personnes venues de Paris, inconnues à moi, disent que les nominations au Conseil d'état ont fait beaucoup d’effet. Celle de Cormenin surtout, pas bon. Ensuite on trouve Fould bien compromis. Certainement tout-à-fait, moi je reste charmée qu'il soit rentré aux affaires. Cela le fixe à Paris. Je fais quatre pas, soutenue par quatre bras. Cela va bien pauvrement. Adieu. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Dieppe le 6 août 1852 Vendredi

J’en reste où vous m'avez laissée. Ma patience m'échappe ; il est très possible que je m’en retourne Lundi à Paris. Je vous dirai cela demain. Mad. de Contades est venue. Demain arrive Persigny qui a besoin de se soigner pour son propre compte. Les Delessert partent Mercredi. Le temps est un peu orageux. Tout Dieppe est bien gâté pour moi depuis mon accident. Grande tristesse de ne pas en voir la fin.
On dit que le mariage Wasa ne va pas que le Père n'en veut pas et que même la [grande duchesse]. Stéphanie n’y va pas de grands cœur. C'est de Mad. de Contades que je tiens tout cela. Tolstoy a l'un de ses enfants très malade, il les ramène à Paris et ne m'y ramenera pas moi. Adieu. Adieu, pardon de la demi feuille.
Je vois au reste qu’elle est même de trop. Je n’ai rien, je ne sais rien. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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55 Val Richer, 6 Août 1852

Vous ne m’avez pas dit si Velpeau, en vous condamnant à quinze jours d'immobilité, vous avait prescrit quelque chose de particulier, ou s’il s'était simplement borné à approuver les prescriptions de M. Brantel.
Mon fils arrive ce matin, et m’apporte, non pas des nouvelles, mais quelques détails, sur les faits connus.
On trouve en général que M. Fould a payé un peu cher sa rentrée au pouvoir en contresignant, les décrets de révocation des Conseillers d'Etat renvoyés à cause des décrets d'Orléans. Le Président, dit-on, l’a formellement exigé et il exigera aussi de M. Magne, quelque acte d’adhésion analogue. Il veut que tous ceux qui le servent, adhérent. Morny se donne comme ayant beaucoup contribué à la rentrée de Fould, et on annonce que MM. de Persigny et de Maupas ne sont pas bien fermes sur leurs étriers. Je n'en crois rien, et je crois que Fould s’arrangera avec eux.
L'avènement de Drouyn de Lhuys trouble Brenier qui n’a jamais été bien avec lui, et qui ne se promet pas d'être mieux. Waleski aussi est trouble ; Drouyn de Lhuys parle légèrement de lui, et le Président. n’a pas été content de ses pronostics sur les élections Anglaises.
On croit que les difficultés pour le mariage du Président avec la Princesse Wasa ne sont pas toutes levés, et que le père et la mère, pour la première fois du même avis, s'accordent à s'y opposer. Ce sera le Cabinet de Vienne qui lèvera, s’il veut, les difficultés là. Voudra-t-il ? Je vous répète les commérages tels quels.
On dit que les révocations dans le Conseil d'Etat, ne sont pas finies, on en voulait faire plusieurs autres, pour la même cause. Il reste cinq conseillers d'Etat qui ont voté contre les décrets. C'est Fould qui a obtenu l'abandon, ou l’ajournement de la rigueur complète.
C'est bien dommage que la bonne occasion manque à Stockhausen. Faites moi la grâce, je vous prie, si vous lui écrivez de lui dire combien je regrette son départ ; il était très bien informé de très bonne conversation, et aussi agréable que sûr.
Comptez-vous toujours retourner à Paris le 14 ? Vos fenêtres seront bien recherchées pour les fêtes. Adieu. Adieu.
Je ne serai content que quand vous me direz : " Je marche. " G.
P.S. Je m'impatiente aussi que vous n'en finissez pas. Mais j’ai vu plusieurs fois de tels accidents, pas graves et supportables. Ecrivez-moi toujours que vous ayez quelque chose à me dire, ou non. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Dieppe le 7 août Samedi

Je suis tout-à-fait décidée, je pars lundi. Ceci m’ennuie et ne fait pas avancer mes jambes. Au moins là l'escalier est plus commode pour me porter à ma voiture. J’ai fini Cromwell aujourd’hui. C’est charmant. A propos quelqu’un me priait l’autre jour de vous demander de trouver un titre qui ne serait ni roi, ni empereur, ni président, ceci vraiment est trop petit et commun. Ne pourriez-vous pas inventer ?
Molé m'écrit de Paris pour demander de mes nouvelles Il va au Marais, & puis à Maintenon, & plus tard fin de Septembre Champlatreux. J'ai eu des nouvelles de Paris par Marion, Drouyn de Lhuys a dit à l’un des grands représentants : L’Empire est inévitable, mais il doit être précédé d'un autre événement. A Paris personne ne doute que le mariage Wasa ne se fasse quoique le père s'obstine à refuser. Le Prince l'a trouvée charmante. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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56 Val Richer, Samedi 7 août 1852

Je vous trouve dans une disposition de grand abattement. Je voudrais bien que vous ne vous y laissassiez pas aller. Pardonnez-moi ce ridicule mot ; je n’ai pas le courage d’un de mes vieux amis de la vieille bonne compagnie du dernier siècle, M. Suard, secrétaire perpétuel de l'Académie Française, le Villemain d’alors ; il ne consentait jamais à dire passassiez, laissassiez, cassassier, et tous les ssassiez du monde ; il disait toujours, laissiez, passiez &&, et quand on remarquait que ce n'était pas correct, il se contentait de répondre : " Personne ne peut supposer que je ne le sache pas.
Je voudrais donc que vous ne vous laissiez pas aller à l'abattement ; vous n'êtes pas en état de supporter l'abattement dans l’ennui. J’aime mieux que l'ennui vous irrite ; vous ferez alors quelque chose pour vous en tirer. Je compte toujours que vous retournerez à Paris le 14 d'aujourd’hui, en huit, soit que vous marchiez ou non. J’espère que vous marcherez un peu.
Mes Anglais sont arrivés hier, par un assez beau temps. Ils étaient à peine, chez moi qu’un violent orage a éclaté, pluie, grêle, mes allées et mes fleurs ravagées ; vous ne connaissez pas les chagrins de propriétaire.
M. Hallam est intéressant, et inquiet. Le progrès des radicaux et la complaisance, sans limite assignable, de Lord John et de sir James Graham pour eux, l'inquiètent. Il ne sait rien de Lord Aberdeen, il ne le croit pas infecté de cette complaisance, il ne veut pas le croire. Quant à présent, Lord Derby tiendra ; il y a au moins 60 libéraux opposants, mais honnêtes, qui ne veulent pas l'attaquer ; ils le verront faire et si on l'attaque factieusement, ils le soutiendront. Lord John trop décrié pour redevenir, en ce moment chef de Cabinet, même si la place était vide.
La Reine s'adresserait à Lord Lansdowne qui malgré son âge et sa retraite ne pourrait pas refuser ; bien des gens serviraient sous lui qui ne voudraient pas servir sous Lord John. En ce cas Lord Palmerston deviendrait leader des communes comme chancelier de l'échiquier, et Lord John irait à la Chambre de Lords. Ce serait, pour lui, une grande défaite.
Hallam ne croit pas que les querelles religieuses deviennent the leading question ; il craint davantage une nouvelle motion de réforme parlementaire et le conflit de toutes sortes de propositions et de systèmes sur ce point.
Du reste immense prospérité, sécurité et confiance dans l'avenir, sans confiance dans personne. Autant, et (il l’espère) plus de progrès dans le good sense populaire que dans le radicalisme. On dit le petit Prince de Galles très intelligent et très bon.
Plus de 16 membres nouveaux dans la Chambre des Communes ; personne qui promette de devenir quelqu’un. Une très belle récolte et une admirable perspective de grouses pour le 12 Août.
Voilà les conversations d’hier soir. Ils m'ont fait coucher à près de onze heures. Adieu, en attendant, la poste. Je vais faire ma toilette.
Onze heures
Quatre pas c’est beau ! J'en suis bien content. J’espère tout-à-fait que vous marcherez bientôt et je compte qu'Aggy restera toujours. Adieu. Adieu.
Je n’ai pas deux minutes de plus. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Dieppe Dimanche le 8 août 1852

Kolb vient d'arriver. C'est lui qui me ramènera demain à Paris. J’ai eu une longue visite du ministre de l'intérieur ce matin. Je l’ai trouvé extrêmement changé. Il a bien mauvaise mine, & il se dit très malade. Il veut rester ici assez de temps. Il m'a beaucoup parlé mariage. Il se figure que l'Europe veut l’empêcher. Il se fait des dragons. Il croit tout-à-fait à la guerre venant des puissances autre dragon. Et puis & puis toute la conversation curieuse. Je regrette de partir lorsqu'il arrive. Les conversations avec lui m’auraient intéressée.
J’ai vu beaucoup de monde aujourd’hui & je suis fatiguée. Voilà donc Thiers, et tout le reste civil rappelé. Persigny ne me l’avait pas dit. Si je le revois je lui en parlerai encore. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 8 Août 1852

Je rentre dans nos habitudes ; je ne numérote plus. C’est un petit travail de chaque matin.
La translation à Brompton est un triste symptôme. On envoie là les [?] dont on n'espère plus grand chose, et qui ne sont pas assez forts ou assez riches pour être transportés à Pise où à Madère. On dit que l’air y est plus doux, et plus égal que dans Londres. Il y a un bal hôpital for consumption.
Pauvre Fanny ! Je suis toujours plus touché de la mort de ceux qui sont jeunes, et qui n’ont pas connu les douceurs de la vie.
Un de mes amis dont vous connaissez le nom, M. Moulin m'écrit : " Mon avis a toujours été et est qu’il ne faut pas abandonner les fonctions de représentation locale quand elles sont gratuites, électives et qu’on peut les conserver ou les obtenir sans trop d'effort."
J'aurais vivement mécontenté par la conduite contraire mon vieux canton de La Tour d'Auvergne que je retrouve fidèle à toutes mes fortunes aujourd’hui comme après 1848, et qui va probablement me réduire à la presque unanimité. J’ai compris d'abord les instructions de Venise comme moyen de modérer l'ardeur du parti légitimiste à se porter vers les fonctions publiques dont il a été si longtemps privé, mais je ne m'explique pas l’insistance avec laquelle, on vient de les reproduire à la veille des élections des conseils généraux. En Auvergne, elles n'ont reçu, elles ne reçoivent aucune exécution ; pas un légitimiste ne s’est retiré ; tous les légitimistes de nos conseils électifs vont y rentrer. Comme nous ne sommes pas un pays de grande propriété, le parti ne peut avoir influencé que par le patronage des intérêts locaux ; il perd toute autorité, toute importance s'il se retire sous sa tente, et sa retraite inspire plus de sarcasmes que de regrets.
Je suis bien aise que Cromwell vous amuse. Je vous en envoie sous bande un exemplaire. Cela a été inséré dans la Revue contemporaine, et ne se vend point séparément. On m'écrit que cela fait quelque bruit à Paris, et j'en juge par la fureur avec laquelle Emile Girardin l’attaque dans la Presse. Les amis du Président, ont tort de s'en fâcher. Cela n'a été écrit, ni pour lui, ni contre lui. J’ai pensé à son oncle en l'écrivant, à lui pas du tout. Il est vrai que l'allusion subsiste à la seconde génération, et que la conclusion est que Cromwell fit bien de ne pas se faire Roi. Si j'étais l’un des conseillers du Président, je lui conseillerais de faire comme Cromwell, qui mourut dans son lit, à Whitehall tranquille, et puissant. Mon conseil déplairait probablement, ce qui n'empêcherait pas qu’il ne fût bon.
Adieu. Je passe mon temps à me promener et à causer avec mes Anglais qui ont l’air de se plaire ici. Ils me quittent, le 15, et je pars le même jour pour aller près de Caen marier M. de Blagny. Je rentrerai chez moi le 13 pour n'en plus bouger. Adieu, adieu.
J’espère que la lettre de ce matin me dira que vous avez marché.

11 heures
Malgré votre lettre, j'adresse encore à Dieppe, Pour vous, je crois que vous serez mieux à Paris d’autant que les chaleurs de l'été me semblent passées. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 9 Août 1852

La pluie n’est pas commode à la campagne quand on a des hôtes à amuser. Je crois pourtant qu’ils s'amusent. Nous avons toujours trouvé jusqu’ici deux heures dans la journée pour nous promener. Ils me quitteront demain soir et j'irai à Caen après-demain matin.
Leurs nouvelles de Londres sont insignifiantes. Sir John est un Whig bien déterminé. Il reconnaît les fautes de son parti, mais il n’en parle pas. Quand la conversation tombe sur Lord John ou sur Palmerston, il baisse les yeux et attend qu’on ait fini.
Le Duc de Bedford, n'a jamais donné et ne donnera jamais un sou à son frère John. Il a pris la passion de thésauriser en s'y livrant d’abord pour payer 700 000 liv. St. de dettes. Maintenant les dettes sont payées, et il a 200 000 Iiv. st. de revenu, mais il thésaurise toujours. Cela ne vous fait rien du tout ; mais je vous dis ce que j'entends, n'ayant rien à vous dire d'ailleurs.
Ou la réserve est bien grande à Paris, ou l’on y est bien résigné au statu quo. On n’entend plus parler ni d'Empire, ni de mariage. Il n’est question que du Conseil supérieur de l’instruction publique et de l’abstention des électeurs aux conseils généraux. Evidemment ceci a beaucoup fâché. On se trompe, si l’on croit que les préméditations, et les influences de parti ont décidé ce fait ; la paresse et l'indifférence y sont pour bien d'avantage. On a mis le pouvoir politique dans des classes qui n’y prennent intérêt que pour tout bouleverser ou pour se défendre d’une crise de bouleversement.
Je plains bien votre neveu Tolstoy. J'espère que ses inquiétudes passeront bientôt. Dîtes le lui, je vous prie, de ma part. C'est un excellent homme.

11 heures
Je vous aime mieux à Paris. Vous y serez plus commodément et mieux entourée. Je regrette qu'Olliffe n’y soit pas. J’espère qu’on vous renverra à Paris un exemplaire du Cromwell que je vous ai fait adresser hier à Dieppe. Cela ne se vend pas. Adieu, Adieu.
Je trouve, on ouvrant mon Journal, la rentrée, des principaux exilés, Fould a bien fait de donner cette compensation.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris mercredi le 10 août 1852

Je ne vous ai pas écrit hier. Je n’ai pas trouvé un moment. Du monde, des affaires, & quelle affaire pour une estropiée de s'embarquer pour Paris ! Un train spécial détestable. Je ne suis arrivée qu'à 9 heures éreintée. J'ai reçu à Dieppe encore votre lettre & la revue dont je vous remercie bien, & ce matin encore votre lettre. Je me lève après avoir assez bien reposé.
Je verrai quelques personnes ce matin. Avant hier soir tout Dieppe était chez moi, entre autres Madame de Persigny que son mari m'a amené. Elle est jolie, très jeune, & ils ont l’air fort amoureux. Mais elle est mieux portante que lui. Tout Paris est bouleversé des préparatifs de la fête. Chez moi ce sera superbe.
J’ai trouvée une invitation pour St Cloud pour le 16. Un bal. Cela me va ! Ma conversation le matin avec Persigny était au fond très curieuse quand une [race] a été chassée trois fois, quand de si grand, de si haut, on est tombé si bas, c'est fini archi fini. Il n’y a que cette race-ci pour la France, le monde est gouverné pas des symboles. Ce nom de Napoléon est un symbole. Il restera personnifié n’importe en qui. Celui-ci crée & fonde. L'administration, les institutions survivront à l'honneur et avec [?] père, ou Napoléon fils cela ira. Tout de même quand même on aurait le malheur de perdre celui-ci ou qu’il ne laissât pas d’enfants. L'Europe ne comprend pas la France, & en général la transformation des idées en Europe. [Persigny] a l’esprit frappé qu'on veut empêcher le mariage. Moi je ne le crois pas du tout.
Adieu. Adieu on m'interrompt.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer 10 Août 1852

C'est dommage que la note du Journal de Francfort sur le prétendu traité du Morning Chronicle, ne soit pas mieux rédigée, elle est pleine de bon sens. C'est de la politique à la fois vraie et prudente ; accord rare. Mais les Allemands ne savent jamais donner, même au bon sens, le mérite de la simplicité et de la clarté.
Je suppose que les exilés ne se le feront pas dire deux fois pour rentrer. Il me revient que Thiers s'ennuyait autant en Suisse qu’en Angleterre. Mes Anglais me disent qu'à Londres, son ennui avait fini par devenir un sujet de moquerie générale. Les Anglais seuls, à mon avis n'avaient pas le droit de s'en moquer eux qui s'ennuient tant, et chez eux plus qu'ailleurs.
C'est surtout pour Rémusat et Lasteyrie que ceci me fait plaisir ; ce sont d'honnêtes gens peu riches, que l’exil dérangeait beaucoup et qui le supportaient dignement.

11 heures
C'est dommage, en effet que vous quittiez Dieppe au moment où M. de Persigny y arrive. Les conversations auraient été intéressantes. D’autant qu’il est loin, ce me semble, de voir les choses comme elles sont. Le mal, s’il vient, viendra de là ; des désirs et des alarmes révolutionnaires. Ce sont les dragons qui amèneront la guerre.
Je suis bien aise que vous ayez fait venir Kolb pour vous ramener. Vous ne me donnez pas aujourd’hui des nouvelles de vos jambes. Je pars demain pour Caen à 7 heures du matin. Je ne vous écrirai pas demain, et probablement cette petite course troublera un peu notre correspondance. Je serai de retour ici, Vendredi. Je ne vois rien dans mes journaux et je n'ai point de lettre. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris mercredi le 11 août 1852

Il vient de m'arriver un grand malheur. Mon Maître d'hôtel est mort subitement ce matin. J'en suis toute bouleversée. C'était un excellent homme, et un excellent serviteur et je ne sais comment le remplacer et je suis toute troublée et triste de cette catastrophe. Il y en a trop dans ma maison depuis quelque temps. Emilie vient de perdre sa soeur, il y a quatre jours. Fortunée a perdu son mari, il y a deux mois Auguste voit mourir sa femme. Moi je tombe. Qu’est-ce qui m’est réservé encore ?
J’ai vu quelques personnes hier et j’en ai manqué beaucoup d’autres & les plus intéressants. L'Autriche dînait hier à St Cloud. Je n’ai rien appris de nouveau. Duchâtel est venu encore une heure avant son départ. Kisseleff, bonne mine depuis Vichy. Mad. Strogonoff qui est partie ce matin. Elle est venue hier deux fois. Très aimable femme. Il pleut aujourd’hui. Je marche un peu mieux, mais toujours soutenue et très soutenue. Autre malheur. Tolstoy va perdre son fils le plus jeune. Je suis entourée de tristesse et je suis très triste. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Au château de Lion sur Mer Jeudi 12 Août 1852

Uniquement pour que vous ne soyez pas deux jours de suite sans lettre.
Je suis arrivé hier ici à 2 heures. Mariage civil à 4. Dîner de 30 personnes. Musique et Whist. Aujourd’hui, nous partons pour Caen à 10 heures ; mariage à l’Eglise. Retour ici. Dîner de 50 personnes. Bal. Je repartirai demain après déjeuner pour le Val Richer.
Vraie corvée de bon voisin et de protestant pour tout dédommagement la vue d’un joli château du 16e siècle de beaux arbres et de la mer. La mariée jolie bon air et froide. Le marié pas joli et froid. Toutes les convenances parfaites. Adieu.

Il pleut à torrents. Vous n'aurez pas eu ce temps là lundi pour votre retour à Paris. Vous y voilà rétablie. Dieu veuille que rétablie soit le vrai mot ? Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris vendredi 13 août 1852

Je ne sors pas des émotions. Hier l’enfant de Tolstoy agoni sant. J’y ai envoyé Aggy quatre fois. Le père incapable de rien faire, sanglotant, bon à rien qu'a pleurer. Je ne sais pas aujourd’hui.. Elle vient d'y aller.
J’ai vu hier Fould très longtemps j'ai été très contente de sa conversation. Sa situation est grande, importante ; il le sent et se conduira là avec honnêteté et habileté. Il est de fait et même de forme premier ministre. Les autres lui rendent compte de tout, c’est lui qui règle l’ordre du jour pour le Conseil que le Prince préside deux fois la semaine. L'idée du Prince est qu’il n'a besoin véritablement que de deux ministres. Celui-ci le ministre d’état résumant le travail de tous les autres, & le ministre de la police sachant lui tout et rapportant tout. Les collègues de Fould sont très bien pour lui et acceptent volontiers la supériorité de sa situation. Il voit le Prince tous les jours. Personne aujourd'hui n’a plus que lui des allures intimes. Il n'en abusera pas. Il a certainement l’esprit très bien fait.
Le Prince partira le 10 7bre pour sa tournée du midi. Une absence de 20 jours. On regarde comme moi Persigny comme très malade. Il ne reprendra pas de sitôt les affaires. Il est abîmé. Il rentre les fêtes & voilà tout. pour Dimanche 15 te deum à la Madeleine. Le Corps diplomatique en uniforme y assistera. Revue de la garde nationale sous mes fenêtres. Jeux, joutes nautiques, tout le jour. Grand dîner diplomatique aux aff. étrangères. A 9 h. le corps diplomatique en grand uniforme, viendra rejoindre le Prince à l'hôtel de la [Marine] pour le passage du Mont St Bernard. Les préparatifs sont immenses. Il faut voir ce qu’en dira le bon Dieu. Moi je souhaite bien du beau temps.
On ne parle plus du mariage. On dit sourdement que l’Autriche empêche, je ne saurais le croire Hubner a dîné à St Cloud, avant-hier, très bien traité. Interrompue, Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris samedi le 14

Vous n’avez pas idée de la grandeur, splendeur, variété, des préparatifs pour demain. C'est immense. Ils coûtent déjà plus d’un million. Je marche un peu mieux, et toujours très mal avec des bras.
Hier soir j'ai vu beaucoup de monde, Hecken entre autre, disant que Fould est premier ministre et s’en réjouissant. On ne parle pas volontiers du mariage. Et on dit qu' on n'y a jamais sérieusement pensé. Je commence à croire qu’il ne se fera pas. La Princesse Schoenbourg est ici, très changée. La Comtesse de Brandebourg amie intime de l’Impératrice est arrivée aussi. Et la princesse Paskévitch, en voilà des princesses !
L'Électeur de Hesse est arrivé que fera-t-il ? On est ennuyé de cela. S'il ne fait pas visite on pourrait l'envoyez promener. S'il la fait que diront ses camarades ? L’enfant de Tolstoy n’est pas mort. Il y a un peu d'espoir. La visite de la reine d'Angleterre, semble être de l’intention, marquer la protection.
Je vous écris à bâtons rompus. Je suis dans les horreurs de maîtres d'hôtel. Ah quels tracas pour une femme & seule sans conseil. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, samedi 14 Août 1852

Je suis très fâché de la mort de votre pauvre maître d'hôtel. Je ne sais pas ce qu’il valait au fond ; mais d'apparence, il vous convenait à merveille, et vous le remplacerez difficilement. Les petites difficultés de la vie ne vous valent rien.
Ce pauvre Tolstoy me touche infiniment. Il est dévoué à ses enfants comme un père et comme une bonne. De quoi donc ce petit garçon est-il si malade ? C'est le second, je pense. J’ai trouvé à l’aîné bien bonne mine quand je l’ai vu à Dieppe. Faites moi la grâce de ne pas laisser ignorer à votre neveu que je suis vraiment préoccupé de lui et de son chagrin. Il y a de mauvaises veines dans la vie, dans la vie domestique comme dans la vie politique ; mais elles s’épuisent.
Vous recommencez à marcher. J'espère que la mauvaise veine est finie. Dieu vous garde ! Avez-vous vu quelque médecin ou chirurgien depuis votre retour à Paris, car Olliffe n’y doit pas être ?
Je suis revenu ici hier à 6 heures avec les entrailles assez souffrantes. Malgré ma sobriété, les dérangements de vie et de régime se font toujours sentir. Je suis mieux ce matin. J’ai dormi longtemps.
Je trouve ici des lettres, mais point de nouvelles. La plus vraie nouvelle à mon avis, c'est le livre de Proudhon, et l'autorisation de paraître que le président lui a donnée, après avoir lu son livre, et la lettre. Je trouve cela grave, sans m'en étonner. Dans un régime de liberté de la presse, ce ne serait rien qu’un mauvais livre de plus par un homme d’esprit, mais aujourd’hui, c’est quelque chose. Peut-être n’est-ce pas vrai. Je le voudrais. Le Président aurait tort, s’il s’engageait dans cette voie-là. On ne peut pas faire à la fois sa cour au Clergé et à Proudhom.
Que signifie le voyage de la Reine d'Angleterre à Anvers ? Est-ce une simple fantaisie de promenade, ou une marque d'intimité protectrice ! On me dit qu’il y a un mouvement de l'Elysée vers Londres, et qu’on verra la preuve dans un traité de commerce qui fera des concessions à l'Angleterre pour l'importation des fers et des houilles. Si ce traité a lieu, il fera du bruit.
Le retard du voyage du Président dans le midi me fait croire au mariage. Je comprends les inquiétudes de M. de Persigny et je ne les crois pas fondées. Si le Président veut réellement se marier, il se mariera que cela plaise, ou non, ailleurs. On ne fera rien de grave pour l'empêcher.

Onze heures 1/4
Mon facteur arrive très tard ; mais en revanche, il m’apporte une lettre intéressante. Pauvre Tolstoy ! Adieu, adieu. A demain les affaires, c’est-à-dire la conversation, c’est à dire l'écriture qui ne vaut pas le quart de la conversation. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 15 Août 1852

Que d'éclat, de mouvement et de bruit vous aurez autour de vous aujourd’hui, autant que j'ai autour de moi de silence et de repos. Le contraste m'amuse à le figurer.
Ce que vous me dites de l'impression que vous a faite, la conversation de Fould me plaît. C’est toujours bon qu’un homme d’esprit juge sa situation grande, car c’est un gage qu’il s'y conduira grandement et sensément. Quand on a son amour propre satisfait et le sentiment d’une haute responsabilité, on est en voie de sagesse. M. Fould en aura besoin.
J’ai vu du monde dans la petite tournée que je viens de faire, des gens de parti et des gens tout-à-fait étrangers aux partis des beaux esprits et des esprits simples de gros bonnets de province et des paysans ; voici mes deux observations. Le gouvernement du Président a gagné comme avenir ; on le croit établi et on croit qu’il durera, on ne voit rien qui puisse le renverser et lui succéder. Il n’a pas gagné comme considération et renom de capacité ; il a en général pour serviteurs des hommes inférieurs et des brouillons légers ou peu estimés. Durer ne suffit pas ; il faut monter en durant.
Il y a de l’inquiétude, dans le pays pour les récoltes, et si le temps qu’il fait depuis quinze jours se prolonge encore autant l’inquiétude sera fondée. Les moissons se font mal ; la pluie perd les blés.
Avez-vous vu Morny depuis votre retour ? Est-il bien avec Fould ? Les feuilles d'Havas insistent beaucoup pour bien établir qu’il n’y aura plus de changement dans le Ministère, et je suis persuadé qu'elles ont raison. Mais si la santé de M. de Persigny devenait de plus en puis mauvaise, il faudrait bien y pourvoir. Je me figure qu’en pareil cas, M. Jayr serait l’un des hommes auxquels le Président songerait. Je ne sais pas du tout quelles sont en ce moment ses dispositions. Sa capacité est réelle.

11 heures
Puisque vous marchez mieux, vous marcherez bien. Mais ne hasardez rien. Ce que vous me dites de l'enfant de Tolstoy me fait grand plaisir. Il pleut ici à torrents. Que deviendrez vous ce soir à Paris, vous et tous vos lampions ? Adieu, adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 16 août 1852

Je ne puis vous rien dire d'important de la journée d’hier. Il y avait foule chez moi mais on ne se préoccupait absolument que de la foule, et du feu d’artifice. Le tout superbe et surpassant tout ce que j’ai vu. On dit qu’il n’y a eu aucun mauvais cri le matin dans la garde nationale et que la [?] a beaucoup crié Vive l’Empereur. J’ai eu tout ce spectacle sous mes fenêtres. A la madeleine Fould a pris le pas sur tous les ministres. Persigny assistait, mine effrayante. Il retourne à Dieppe. C'est Magne qui le remplace et très bien. Je n’ai pas vu Morny mais je sais que lui et Fould sont très bien ensemble.
J'ai eu une longue lettre de Lord Aberdeen. Il croit qu’avant octobre même ou pourra juger de la situation du Ministère. En cas de changement il croit à Lansdowne. Jamais Palmerston aux aff. étrangères. Assez aigre sur ici.
Midi. Voilà Auguste qui s'en va à Angers. Sa femme est morte, il faut qu'il aille. Je reste seule avec Jean, joli ménage ! Je n’ai pas encore de maître d’hôtel. J'espère que vous me trouvez à plaindre ! Le petit Tolstoy n'est pas mort encore, & pas à sauver. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 16 Août 1852

Si vous avez eu hier soir le même temps que nous, les illuminations auront brillé librement et la fête aura été belle ; le ciel ici était sombre, mais sans pluie, et pas beaucoup de vent. Ce matin, à 5 heures et demie, un temps superbe, pas un nuage ; le brouillard est venu et couvre ma vallée.
L’Electeur de Hesse aurait tort de ne pas faire sa visite. Je comprends qu’on ne vienne pas, c'est une politique ; mais venir et ne pas donner signe de vie au chef du pays, c’est une impolitesse impertinente qui ne convient jamais à de grands seigneurs. Vous me direz ce qui sera arrivé, n'est-ce pas ? J'en suis curieux.
Les journaux de Bruxelles mettent quelque affectation à dire que la Reine Victoria est restée enfermée dans son appartement, à Lacken, depuis le matin jusqu'à 4 heures. Donc temps donné à la conversation avec le Roi Léopold et aux affaires. Je ne doute pas que le voyage, n'ait un but d’amitié et de protection affichée.
Dit-on quelque chose, du pamphlet de M. Victor Hugo ? A en juger par les extraits que je lis dans les journaux, c’est aussi fou et aussi ridicule que celui de Proudhon, avec la fureur contre le président de plus. Voilà deux socialistes qui le proclament, l’un le plus utile ami, l’autre le plus odieux ennemi de la révolution. L’un est proscrit, l'autre bien traité. C’est naturel.
M. Thiers, M. de Rémusat, et les autres sont-ils déjà revenus à Paris, ou bien annonce-t-on leur prochain retour ?
Lord Londonderry est assommant avec sa correspondance. Le Président doit en être bien ennuyé. Il ne peut pas relâcher Abdelkader ; l'Algérie serait bientôt sans dessus dessous, tout le monde le craindrait du moins. Je comprends que le Duc d’Aumale fût embarrassé de le voir retenu par le gouvernement de son père. Mais le Président n’a rien promis à Abdelkader. Pourquoi s’est-il laissé aller à promettre quelque chose à Lord Londonderry, ou à peu près. Il devrait le connaître.
Soyez assez bonne, je vous prie, pour parler un moment de moi à la Princesse Schönberg et lui exprimer tout mon regret de ne pas la voir. J’aurais été charmé de causer avec elle ; elle était, et je suis sûr qu’elle est toujours charmante. Quand on l'a été vraiment, on ne change pas. Adieu.
Vous ne me dites pas si vous avez trouvé un maître d'hôtel. Je ne sais pourquoi les embarras de ce genre, vous troublent tant ; vous vous en tirez toujours bien. Le fou en veut aux papiers et aux bijoux présidentiels. Le ministère de l’intérieur et l’Elysée, c’est trop. 10 heures Pas de lettre. Ou vous n'aurez pas eu le temps de m’écrire, ou votre lettre aura été mise trop tard à la poste qui est partie plutôt. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 17 août 1852

Dans toute la journée hier je n’ai vu que Stolham, & la Duchesse Decazes. Tout le reste se reposait de la veille et se préparait à St Cloud. Aggy même y a été. Il ne restait rien à Paris pour moi. St Cloud a été brillant, beau ; Aggy très fêté par tout le monde. Le Président gracieux pour elle. Des nouvelles, elle ne m'en a point rapporté. Je serai donc très peu intéressante aujourd’hui car ma lettre part toujours avant que je n'aie vu du monde. L'Électeur ne se présente pas. Il a vu le feu d’artifice dimanche de dessus les plombes dans ma maison à côté des chambres de mes domestiques. Je saurai ce qu'on en pense ici.
Je reçois dans ce moment une lettre de Paul. L’Impératrice l’a fait venir et l’a tenu une heure et demi. C'est énorme et une énorme faveur. Voyez comme elle est bonne & fidèle ! Paul ne peut assez se vanter de sa bonne grâce pour lui, moi j'en suis bien touchée. Mes jambes vont mieux, je marche avec mon parapluie en guise de canne, je ne veux pas de canne. J’espère bientôt être émancipée. Je n’ai pas entendu parler du tout du pamphlet de Victor Hugo. Remarquez que je ne vis qu'avec des diplomates. Meyendorff m'écrit. L'Autriche & la Prusse ne s'arrangent pas (le Zollverein) ce qui n'empêche pas que sur les grandes affaires, les grands principes, on ne soit en complet accord.
Mad. Decases me dit que Thiers va arriver. Son mari ira vous voir au Val Richer. On a été étonné de ne voir personne de la famille Bonaparte auprès du Prince [...]

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 17 Août 1852

Le Duc Decazes est venu hier et repart aujourd’hui. Il est à Trouville, où la foule change sans diminuer. Il est assez curieux à entendre à cause de son intimité avec le Roi Jérôme qu’il vient de voir au Havre.
Le Roi Jérôme ne croit pas au mariage du Président ; non seulement il n’en veut pas, mais il n'y croit pas ; il soutient même que le Président, au fond, ne s'en soucie pas. Il affirme que son fils, Napoléon est très bien avec son cousin. Decazes dit qu’en effet ils s'étaient bien remis, mais que dans ces derniers temps, ils ont recommencé à être mal. Rien de nouveau d'ailleurs, les dissensions intérieures des chefs du sénat, le Roi Jérôme, le vice président, M. Mesnard, le grand référendaire d’Hautpoul &. Cela ne vous fait rien, ni à moi non plus, ni à personne.
J’ai vu une lettre de Mad. [Donne] écrite de Vevey peu de jours avant le rappel des exilés. Ils ne s’y attendaient pas du tout. //
Le retour de Fould aux affaires est un sujet très général de satisfaction. On n'en attend que du bien, et on en attend du bien. La destitution des trois conseillers avait beaucoup étonné. On s’imagine que le rappel des exilés ne sera pas la seule compensation.

10 heures et demie.
Je vous plains vraiment, et tout-à-fait. Ce sont de grands ennuis pour tout le monde, et vous êtes moins faite que personne pour ces ennuis-là. Je voudrais bien vous y aider un peu ; mais de loin, je ne puis rien. Je suis surtout préoccupé du maître d'hôtel. C'est votre grosse prière et la plus difficile à trouver. Auguste vous reviendra bientôt. J’espère que Jean fait de son mieux.
Pauvre Tolstoy ! Adieu, Adieu.
Je n'ai pas encore fait ma toilette. Decazes m’a retardé. Il vient de partir. Il est un grand exemple de ce que peut le courage contre un mal incurable. Il me paraît que la fête a été superbe, sauf les illuminations, dit-on. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 18 août Mercredi. 1852

L’entant de ce pauvre Tolstoy est mort cette nuit. Huit jours d'agonie c’est affreux. Le pauvre homme est brisé. Molé m’est arrivé hier. Très inopinément avec une très bonne mine. Il dit que la Duchesse d'Orléans est parfaitement brouillée avec sa famille. Elle triomphe de l'échec. Elle ne veut plus ramener. ses enfants à Claremont ils y puisent de mauvais principes. Jamais elle, elle ne cèdera sur les droits de son fils. Changarnier se dit brouiller avec elle aussi. Thiers revient demain ou après. Voilà tout Molé plus la très grande humeur de tout. La corde est trop tendue. Il abuse de son pouvoir le mécontentement gagne. Il éclatera. Je ne crois pas cela du tout. Il passe encore la journée ici. Le bal de St Cloud a été une foule & un fouillis. On ne sait pas même si on a dansé. Le Prince donnera dit-on deux autres bals plus selects. Milnes est venu plusieurs fois me voir. Il est bien adouci. Rien de nouveau à vous dire. Je n’ai vu personne d’intéressant ces deux derniers jours.
Adieu. Adieu.
J’ai trouvé un [Maître d’hôtel] reste à voir s'il est bon.
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