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Brompton, Samedi 9 septembre 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
9 heures
Je vous ai quittée hier à 4 heures moins un quart. J'étais chez moi à 4 heures 35 minutes, ayant changé trois fois de voiture, le railway, mes pieds et l’omnibus. On ne peut guères surmonter mieux l'obstacle de la distance. Mais l’ennui de la séparation reste et il est grand. J'étais levé ce matin de bonne heure. Non seulement je travaille, mais j'y reprends plaisir. Je retrouve cette confiance de ma jeunesse où je croyais à l'efficacité de mes paroles autant qu'à la vérité de mes idées. A la réflexion, j’en rabats ; mais le fond reste. Grâce à Dieu, car pour être un peu puissant, il faut, non seulement vouloir l'être mais croire fermement qu’on le sera.
Je n'ai rien appris hier soir. Rumigny part aujourd’hui. Il est de ceux qui voudraient que de Claremont, on se montrât, en parlât, on fit sentir sa présence à ses amis. Il dit que les amis le demandent, se plaignent du silence. Il rappelle la proclamation que Zea Bermudes fit faire à la reine Christine chassée en 1840, et la bonne position d'attente que ce seul fait rendit à la Reine. Il se peut que le moment vienne, pour le Roi, de dire quelque chose ; mais, à coup sûr, il n’est pas venu. Je viens de vous renvoyer Jean. Je persiste dans mes deux avis. Il faut proposer ce que vous dit Lutteroth. Il faut sommer Lady Holland de se retirer. Rothschild vous donnerait en tous cas, la préférence. Les Holland ne sont que des oiseaux de passage. Merci du gibier.
Midi
Que dites-vous des derniers mots de la Lettre de Louis Bonaparte ; on ne détruit réellement que ce qu'on remplace ? C’est une candidature bien déclarée. J’ai toutes les peines du monde à prendre cet homme-là un peu au sérieux. Pourtant il a été quelques jours un prétendant sérieux. Il pourrait le redevenir. Il faut pas se donner une démolition de plus à faire. Bon avis aux partis monarchiques pour qu’ils s’entendent. Le Journal des Débats continue. Le Gouvernement de Cavaignac est bien isolé. Le National pour tout appui ! Et le National embarrassé, triste. Il est impossible que cette situation dure longtemps.
Je regrette ce pauvre général Baudrand. Il n’avait plus rien à faire en ce monde. Mais je n’aime pas que les honnêtes gens meurent. C'était un soldat vertueux et gentleman. Très noble type. Il sera mort tristement et tranquillement. Il y a certainement quelque chose de nouveau de la part de l’Autriche. Vous l'aurez peut-être su hier soir. Je regarde attentivement aux préparatifs de Marseille. Ce ne sont pas des préparatifs de guerre. Il ne peuvent avoir pour objet qu’une démonstration. Où ? Pourquoi ? Le Pape ne parait pas menacé en ce moment. Le discours de la Reine est bien confiant dans la pacification. Croker croit à la guerre. Il m’écrit. « I am more and more convinced that this republic must end speedily, in another convulsion whether thal will produce another republic, red or rose, or a monarchy,or a regency. I cannot guess ; but as soon as ever the dictatorial sword it theather, we shall have another Struggle, in Paris ; and then also, if not before, a continental war. Je ne crois pas. Adieu. Adieu.
A demain Holland house. n'oubliez pas la lettre dont je vous ai envoyé tout à l'heure un paragraphe. Adieu. G.
J'ai donné transmis à mon avocat les renseignements que vous avez bien voulu me transmettre sur mon procès, Il en a causé de nouveau avec mon oncle qu’il a trouvé mieux disposé pour une transaction et prenant lui-même quelque peine pour y disposer les autres parties intéressées. Mais il y a pour celles-ci surtout, et pour la situation où elles se trouveraient si la transaction avait lieu, certaines garanties qui paraissent indispensables. Je n'y vois, pour mon compte aucune difficulté. Quand mon avocat trouvera les choses assez avancées pour que j'aie à répondre, je vous prierai de me dire votre avis. Encore une fois, je ne vous demande plus pardon de vous ennuyer ainsi de mes affaires. Mais certainement il y a progrès vers la conciliation.
Brompton, Samedi 9 septembre 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je n'hésiterais pas non plus à demander aux Holland de ne pas chasser sur vos terres. C’est évidemment pour eux que Tanski négocie. Ils ne peuvent vous refuser. Vous pouvez, je pense donner latitude à Luttenoth jusqu'à 9000 fr. Adieu, adieu. Je vous écrivais. Je vais reprendre.
G. Samedi 9 sept.
Voici ma phrase sur votre procés. J’aime mieux vous envoyer la minute par Jean.
Mots-clés : Finances (Dorothée), Procès, Réseau social et politique
Richmond, Samedi 9 septembre 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je viens d’écrire à Lutteroth & d'accepter tous ses avis. Savez-vous que l’affaire danoise devient bien grosse. Moi je crois que Francfort croulera de cette affaire-là. Il est impossible que la Prusse le soumette à ces insolences, voyez un peu où tout cela peut mener ?
Je n’ai pas rencontré hier le Koller, je n'ai donc rien du tout à vous dire, mais j'écris as in duty bound. Et pour quelque chose d’autre encore, mon grand plaisir. Je suis étonnée de n’avoir rien de Lady Palmerston. Ils sont allés à Broadlands.
Vos filles ont un peu choqué l’Assemblée à la prorogation avec leurs robes montantes. Clauricarde & moi nous vous avions bien recommandé la tenue comme pour un grand dîner, mais vous n'écoutez pas, ou vous ne vous faites pas écouter. Vous serez fâché de la mort de Baudrant, Adieu. Adieu à demain 5 heures à Holland house. Adieu.
Richmond, Vendredi 8 septembre 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
Voici la réponse de Lutteroth. Je vous prie de me dire ce que je dois faire. Il me parait clair que j’ai pour rivale Lady Holland. Cela devient grave. Croyez- vous que je puisse lui demander à elle de renoncer ? Il faudra bien cela car ils sont gens à donner beaucoup s’ils tiennent à cette idée. Moi je ferai la proposition que m’indique Lutteroth. N’est-ce pas ? Renvoyez-moi sa lettre demain après l'avoir lue, & donnez-moi votre avis.
Adieu Adieu, trop courte visite, mais bonne comme toujours. Adieu. Adieu. Of course pas de nouvelles. Adieu.
Je me décide à vous envoyez Jean, il sera chez vous demain à 9 1/2. Ayez la bonté de lui remettre votre réponse avec la lettre de Lutteroth. Jean porte chez vous un dindonneau, un canard du Brésil, (voyez comme je suis savante ?) Un grouse et 2 perdreaux, 5 pièces en tout. Il faut que je réponde à Lutteroth demain, parce que dimanche rien ne part, et vous voyez que je suis tenue à faire connaître ma réponse mardi. Ne retenez Jean que ce qu'il faut pour me répondre. Je vous écris demain comme de coutume.
Brompton, Jeudi 7 septembre 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
8 heures
Je suis arrivé hier trop tard pour vous écrire. Je ne vous dirai pas grand chose ce matin. Demain à dîner. Visite intéressante et utile. Très bonne disposition. Peu d’espérance et beaucoup de sagesse. Quand je dis peu d’espérance, je veux dire peu d’espérance pour le bon gouvernement de l'avenir. Grand effroi des difficultés, peut-être des impossibilités. Le monde s’en va. Ce qui est aujourd'hui s'en ira certainement. Mais comment fera, pour ne pas, s'en aller aussi ce qui viendra après, quoique ce soit assez de penchant à croire qu’il a été la dernière bonne chance, et que n'ayant pas réussi, rien ne réussira. Un peu moins d’inquiétude sur ses intérêts privés mais se créant à lui-même, sur ce point toutes sortes de questions et d'embarras. Extrêmement préoccupé des chances de guerre. Si elle éclate ce n’est plus seulement le monde qui s’en va c’est le monde qui finit. Guerre générale. Un peu plus tôt, un peu plus tard, l'Angleterre y sera attirée. En résumé, tout son ancien esprit, point d’esprit nouveau. Rien n'entre plus. Assez blessé et je le comprends de cette parfaite similitude, égalité établie, dans le discours de la Reine, entre les rapports actuels des deux pays et les rapports antérieurs. Vous aurez bien vu, en lisant le discours que je ne l’avais pas bien entendu. Encore bien plus blessé de l’article du Times d’hier. Les Princes sont allés au Parlement par égard, pour la Reine qui leur avait envoyé des billets. Cela seul aurait dû les faire traiter eux-mêmes avec plus d'égard.
Très bonnes nouvelles d'Espagne et de Séville en particulier. Attendant la nouvelle de l'accouchement. Le Duc et la Duchesse de Montpensier en très bonne position, même auprès des Progresistas qui les épouseraient, au besoin. Quelque inquiétude, non pas sur, mais pour Narvaez. Il pourrait bien être remplacé par O’Donnell, sans que le pouvoir sortît des mains des modérés. La Reine Christine pourrait bien vouloir cela, pour se raccommoder un peu avec Londres. Penchant à croire qu'elle aurait tort, mais ne s'en inquiétant pas beaucoup. L'important, c'est le pouvoir de la Reine Christine et des moderados, et celui-là n’est pas du tout compromis. Grande satisfaction de la correspondance d'Eisenach. L’attitude y est bonne et en parfaite harmonie avec celle de toute la famille. Mais on dit que la Duchesse d'Orléans a maigri. J'ai vu les trois Princes qui revenaient de la chasse. On leur a donné la chasse de l'Avemont. Grand soulagement à l'ennui.
J’ai rencontré en revenant la Reine douairière qui y allait. Et j'y rencontre toujours Lady Cowley, et Georgina. Nous sommes revenus d'Esher ensemble. Le reste à la conversation de demain.
En fait d’intérêts privés, je vous donnerai des nouvelles du procès qui vous touche. Je crois qu’il y a bien des chances d’arrangement. Je vous dirai ce que vous auriez à dire pour y aider. J’attends votre lettre à 9 heures. Mais je ferme celle-ci pour qu’elle parte tout de suite et que vous l'ayez dans la journée. Si quelque chose m’arrive, je vous écrirai ce soir. En tout cas, à demain dîner. Adieu Adieu. G.
Brompton, Jeudi 7 septembre 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
Oui l'absence du mot république déplaira à Paris. Pas à tout Paris tant s'en faut. Les Débats sont très bons en effet, surtout aujourd’hui. Une indifférence si tranquille sur la non durée de tout ceci ! Mais les possesseurs se défendront jusqu'au bout. Cavaignac révèle un peu plus chaque jour son fanatisme. Il pressent le combat et déclare à ses ennemis qu'il les tuera tant qu’il pourra. Lisez un peu le discours de M. Fresneau. Je dis un peu parce qu'il est bien métaphysique pour vous. C’est évidemment, un homme d’esprit. Légitimiste. Adieu. Adieu. Adieu. G.
Jeudi 7 sept 1848 Onze heures
Richmond, Jeudi 7 septembre 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
1 1/2
En attendant votre lettre qui me donnera de quoi répondre peut-être je n'ai absolument rien à vous dire. Montebello est parti un peu fâché lui-même. Moi je le sens beaucoup, je ne sais plus qui prendre, qui apprivoiser, pour 9 heures le soir. Voici une lettre de Mugendorf que vous me rendrez. Quelle idée de me faire attendre deux ou trois ans ! J'espère qu’il ne parle que de l’Allemagne et que les Français seront plus testés à la course. Je commence à m’impatienter beaucoup. J’ai vu hier Jumilhac, grand ami de Berryer. Plein d’espoir et de prudence
3 heures. Le diner de demain est just off. Ainsi vous viendrez dîner n’est-ce pas ? J’y compte tout-à-fait & ma voiture sera là pour vous prendre avant 6 heures. Je rentre d'un déjeuner chez La Duchesse de Gloucester, rien qu’une bonne femme et de bons grouse. Adieu, adieu. Je n’ai pas eu votre lettre encore. Londres est bien loin de Richmond. Adieu.
Mots-clés : Circulation épistolaire, Réseau social et politique
Paris, ce 9 septembre 1848, Amélie Lenormant à François Guizot
Brompton, Mercredi 6 septembre 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
10 heures
J’ai trouvé hier soir un billet du Roi qui m'attendra aujourd’hui. Je pars de chez moi à 11 heures pour être au railway à midi. J’espère être revenu avant l’heure où part la poste de Brompton (6 heures) Mais à tout hasard, je vous écris quatre lignes ce matin pour que vous ne soyez pas inquiète si ma lettre de ce soir était en retard.
Je viens de lire mes journaux. Voilà l'assemblée enracinée jusqu'après le vote des lois organiques. Je suis de plus en plus frappé du silence des hommes importants, sur toutes les questions importantes. C’est un calcul incompréhensible, ou une désertion inconcevable. Voici la place de la France. On n’y sait pas attendre sans renoncer. Le débat de la constitution sera un immense ennui. Personne ne partira. Personne n'écoutera. Et il finira Dieu sait quand !
Adieu. Adieu, si vous n'étiez pas si loin, je saurais si vous avez mieux dormi. Ah le bon vieux temps ! Adieu. G.
Mots-clés : Politique (France), Réseau social et politique
Richmond, Mercredi 6 septembre 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
1 heure
Savez-vous que je trouve le discours de la Reine très bien. & la partie extérieure d'une mesure et convenance parfaites ? Ne le pensez-vous pas aussi ? J'aime assez les Débats ce matin. Langage toujours dédaigneux pour les travaux de l'Assemblée, et puis la fin « puisque le suffrage universel envoie des gens qui ne savent pas lire, à quoi bon la liberté de la presse ? »
Positivement la question italienne dort, on veut du moins le faire croire. Je crois toujours que c'est un calcul pour ne pas effrayer la bourse, et qu’en attendant on prépare, & on fera une petite démonstration à la façon d’Ancône, pas autre chose. Je n'ai rien absolument à vous dire.
Montebello part demain, c’est certainement un chagrin pour moi. J’ai fait la lettre pour Bulwer, bonne, je crois. Ne pensez-vous pas qu'on remarquera, avec un peu de dépit à Paris que la France n’est pas appelée république dans le discours de la Reine ? Moi, je trouve cela très bien. Adieu, car je n’ai pas autre chose à vous adresser adieu.
Richmond, Mercredi 6 septembre 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
6 heures
J’avais tout-à-fait oublié une promesse de dîner vendredi chez miss Mitchell. Elle est venue me le rappeler tout à l’heure en me disant que M. de Beaumont y dinait aussi et à 6 heures tout exprès pour moi. Voyez donc, je crois qu’il vaut mieux que j'y aille. Pourriez-vous dès lors venir me voir vendredi matin ? What do you think ? Voici les Holland, mauvais moment car je veux dîner.
6 1/2 Salvandy n’était pas attendu du tout dimanche. Cela l’a fort embarrassé, & par-dessus le marché il arrive avec son fils. Les Holland craignent que le speech ne plaise pas à Paris. Deux mots y manquent la reconnaissance & la république. Mais au fait quoi reconnaître ? & ceci ressemble-t-il à une république ? Ils me disent que le roi est tout à la guerre. Non sense. Adieu. Vous me direz si vous venez vendredi et à quelle heure pour que ma voiture soit là. Adieu.
Brompton, Lundi 4 septembre 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
Midi
Je ne veux pas que vous soyez sans lettre demain toute la matinée Quoique je réserve pour le soir la longue conversation. J’ai vu Dumon hier au soir ; pas Salvandy qui dînait à Holland House, et en est sorti trop tard. Salvandy vient de m'écrire qu'il viendrait me voir demain matin. Il est, à ce qu’il paraît, en assez mauvaise santé et dans un état de grande excitation, ne pouvant ni travailler, ni donner. Il avait quelque envie d’aller se faire juger à Paris, pour donner quelque satisfaction à son agitation. Il a cédé aux premières objections de Dumon. Il est ici pour quelques jours. Montalivet est venu surtout pour les affaires privées du Roi. Elles paraissent en meilleur train. Le gouvernement veut en finir et a demandé que le Roi nommât un fondé de pouvoir avec lequel il pût débattre et traiter. On a indiqué en même temps que Dupin serait accepté. Dupin, consulté, a dit qu’il accepterait. Et le Roi, après quelque hésitation, vient de nommer Dupin. On est fort préoccupé, à Claremont de la crainte que quelque incident ne vienne déranger cette bonne veine. On avait entendu dire que je me proposais d'écrire. On a témoigné à Dumon le désir que j’attendisse. Il a fort rassuré. Montalivet a dit à Dumon les mêmes choses qu’à Montebello sur la fusion, et sur ce qu'on en pensait à Claremont. A demain les détails.
Lady Palmerston devrait bien me rendre un petit service, trop petit pour que je me fasse la petite affaire de la demander à son mari. Mad. Baudrand avait envoyé à mes filles, par André un petit pot à crème en argent, fort joli, dit-on. La douane l’a pris sur André et l’a retenu. Je voudrais bien qu’on me le fit rendre en payant, comme de raison les droit exigés, si mon ami Ellice était ici, c’est à lui que je m'adresserais. Il a fait toutes mes affaires de ce genre. Mais Glengwich est trop loin. Et je m'adresse à Dieu, à défaut de ses saints, si tant est qu’Ellice soit un saint, et un saint de Lord Palmerston. Pouvez-vous écrire ou dire à Lady Palmerston deux mots sur mon pot à crème ?
L'impression de Paris est à la guerre. Le gouvernement parait croire qu’une forte démonstration suffira pour rendre l’Autriche plus traitable. Mais les démonstrations mènent loin. Vous voyez qu'on en médite une sur le Rhin en même temps que sur les Alpes. Je persiste à douter. Pourtant, pour Cavaignac, l’alternative est cruelle. Si l’Autriche cède, ou s’il la bat, ce sera pour lui un grand succès. Londres a un bien grand intérêt à ne pas lui laisser courir cette chance, car c’est en le triomphe de Paris tout seul, ou la guerre générale. Je répète que je persiste à douter. Adieu. Adieu.
André a remis à Jean, avec vos paquets, deux bouteilles de vin de Bordeaux. Gardez-les moi, je vous prie. Adieu. Adieu. G.
Lord Aberdeen m’a renvoyé votre lettre du 28. Il ajoute : " I'm already in debt with the Princess, and will write to her very soon."
Richmond, Jeudi 1er septembre 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
3 heures.
Et moi aussi je ne sais rien dire, aujourd’hui que nous sommes si près de demain. à demain donc à Putney bridge ; intra s'il pleut, extra, s'il ne pleut pas. Je suis bien contente de voir ce beau temps pour votre voyage. Adieu. Adieu.
Lowestoft, Jeudi 31 août 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
9 heures
Voici la dernière. Few words. Je supprime tous ces raisonnements par lesquels, on essaie de se persuader qu'on cause. Le temps est superbe.
J'attends Sir John Boileau et sa femme qui viennent me faire une visite d'Adieu. J’en ferai moi-même trois ou quatre dans la ville, car c'est une jolie petite ville, très propre et très sereine. Je ne veux pas dire gaie. Rien n'est gai en Angleterre, mais il y a beaucoup de sérénité. J’ai fait connaissance à Ketteringham-Park, avec l'existence d’un country gentleman. Ici, avec celle d’un clergyman, un M. Cunningham excellent homme qui ne sait qu'inventer pour me témoigner son amitié. Tout cela fait une société bien réglée, et j’espère bien solide. Je leur ai dit à Yarmouth, en finissant: « Keep your faith, keep yours lands, be faithful to the example, to the traditions ef your ancestors aud I trust god will continue to pour on your conntry, his host, his most abundant, his most fertilising blessings " Most enthousiastick cheers and Vivas, Guizot.
Adieu. Adieu. Je ne fermerai ma lettre qu'après avoir reçu la vôtre. Mais je ne suppose pas qu'elle me donne grand'chose à ajouter. Adieu. Adieu.
2 heures
J’irai samedi par Putney, et j’y serai à 4 heures et demie. Toujours un peu dans la dépendance des omnibus qui passent à Pelham Crescent. Mais en tous cas, j’irai par Putney. Quel dommage de n'avoir pas été ensemble hier 30 ! En Angleterre ! Nous causerons samedi de la médiation de l’appartement et de la loge. Adieu, Adieu. Adieu. G.
Richmond, vendredi 31 août 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
Ceci va à Brompton, quelle victoire. Je viens de recevoir votre lettre. Combien nous aurons à nous dire ! Je persiste à me trouver Samedi sur le port de Putney à 4 1/2 ne le dépassez pas si par hasard vous étiez là avant moi, car il y a deux routes, je vous trouverai près de l’Eglise, ou bien c’est vous qui m'y trouverez. J’ai été voir Lady Palmerston hier. Elle est malade. Elle m’a dit : " M. de Beaumont est très agréable nous l’aimons bien, & puis il dit une chose bien vraie, c’est que la république peut être mille fois plus facile ou docile pour l'Angleterre que ne le serait jamais une monarchie. Ainsi pour le moment mon mari trouve aussi que c’est très bon. " Sur l’Italie. " Mon mari dit qu'après tout Charles Albert est très injustement accusé. Les Milanais se révoltent, chassent les Autrichiens et l’appellent lui à leur secours ! Pourquoi ne l'aurait il pas donné ? " Vous voyez l’indulgence & la disposition. Pas de réponse encore de l’Autriche le National a vu cela aujourd'hui un article très menaçant. Je viens de lire dans le Times votre discours à Yarmouth, extrêmement bien, & évidemment exact parce qu'il y a même quelques fautes de langue. Never mind. Il n’y en a qu’une positive. C'est le mot awfull. Vous voulez dire solennel ou imposant, et vous avez dit effrayant. Mais au total c'est un discours qui a dû faire beaucoup d’effet & de plaisir et qui est d'une grande connivence.
6 heures.
Je vous écris au milieu d’un orage effroyable. Voici deux heures qu'il dure. J’étais rentrée heureusement une minute avant d’une visite faite chez la Duchesse de Cambridge. J’y ai rencontré la prince Metternich. Quel ton ! C'est de plus fort en plus fort. Rien de nouveau. Elle annonce au nom de son mari que Septembre sera horrible, du massacres par tout. Enfin l’apogée de la révolution en Europe. Nous bavarderons bien sur tout cela. C'est bien long encore après demain. S’il pleuvait lorsque vous arriverez à Putney bridge vous savez que l’entrée des ponts est à couvert, & que vous pouvez vous abriter chez le turnpike keeper. Mais j'y serai avant vous. Je vous écrirai encore demain. Adieu. Adieu. Comme Samedi est loin. Adieu.
Richmond, Mercredi 30 août 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
Reconnaissez-vous cette date ? Toujours nous sommes séparés ce jour-là, Et toujours par votre faute. Enfin vous revenez après demain, & cela me fait tout pardonner. Neumann m'a fait une longue visite hier. Italie & Autriche pas d'autre conversation sur la médiation. Il ne comprend aucune des trois alternatives. Si on fait de Milan un duché séparé, fut [?] un archiduc, c'est un second Cracovie. Un foyer d’insurrection où se donnent rendez-vous tous les révolutionnaires de l'Europe. Polonais & & Le donner à la Toscane ? Cela n'a pas de sens, il n’y a pas contiguïté. Modène et Parme sont là debout et veulent le rester. Et la Sardaigne ? C'est une monstruosité. Jamais l'Allemagne & l’Autriche n'y consentiront. En définitive Milan doit rester à l’Autriche. Neumann arrive d’Autriche et vient de causer avec Wessenberg à Francfort. A Vienne situation déplorable. L’Empereur est revenu trop tôt. Il devait rentrer avec Radsky et 30 mille hommes. Il n’y a que cela pour faire tout rentrer dans l’ordre. A Vienne comme à Paris, gouvernement militaire. Il faut y arriver! Le Ministère Autrichien pitoyable, tous des gens qu'on peut payer, il n'en excepte pas même Wessenberg. Cela me parait trop fort.
Lutterotte écrit à Montebello que toute l’affaire à Paris a été une comédie, tous les rôles étaient appris. Cela n’a pas grand air et cela fera du tort à la réputation & rigide droiture de Cavaignac. Le fait est qu’il est gouverné par la coterie du National, & il subira ce joug jusqu’au bout. J’attends votre lettre après quoi j’irai peut être à Londres for a change, et pour quelques emplettes. L'opéra italien rouvre à Paris le 3 octobre. J’ai bien envie de reprendre ma loge pour ne pas perdre mon droit. Je la sous-louerai. L'idée de renoncer là à ce que j'y ai eu m’est insupportable. Quant à mon appartement nous en causerons. Vous ai-je dit que Lutterotte croit qu'on le donnera pour 800 francs ?
Midi.
Voici votre lettre comme vous jugez bien ce qui s’est passé à Paris ! C’est merveilleux. Adieu. Adieu. Dernière lettre à Lowestoft. Vous trouverez la suivante à Brompton. Si vous pouviez encore me dire que vous irez surement par Putney, j’irais vous chercher moi-même au port de Putney samedi, c'est une promenade. Je serai là à 4 h. 1/2. Vous savez que je suis exacte.
Adieu. Adieu. Adieu.
Lowestoft, Mercredi 30 août 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
9 heures
Nous approchons bien. Je ne vous écrirai plus et n'aurais plus de lettres de vous qu’aujourd’hui et demain. Quelques lignes, je vous prie à Brompton vendredi, à mon arrivée.
Avez-vous remarqué les Débats répétant l'article du Constitutionnel sur les bruits de Henri V ? Beuve du concert à ce sujet entre toutes les nuances monarchiques. Si Montalivet avait raison, si Cavaignac, au dernier moment, se retirait de la scène plutôt que de s'allier avec la République rouge, cela simplifierait beaucoup les choses. L’apostrophe de M. Ledru Rollin à l’ancienne gauche est parfaitement vraie et méritée. Et bien modérée, comme vous dîtes. Mais comment Thiers et Barrot ont-ils couché la tête sous le coup ? La défense était difficile. Pourtant il y a toujours une défense. Gens de bien peu de tête, et de courage, et de puissance quand l’épreuve est un peu forte, si la fusion avait lieu, il y aurait beaucoup à les ménager car ils pourraient faire beaucoup de mal. Mais ils seraient bien humiliés en restant dangereux. Que de partis et de personnes de qui je ne dirai jamais le quart de ce que je pense ! Ce qu’on apprend le plus en avançant dans la vie, c’est à se taire. Et rien n'isole plus que le silence. C'est ce qui rend l’intimité où l’on ne se tait sur rien, si précieuse et si douce, à samedi.
Une heure
Merci de vos détails. Très bons. Ce n'est pas seulement la meilleure solution, c’est la seule bonne, car c’est la seule qui remette les choses dans l’ordre, dans l’ordre vrai. Tout ce qu’il faut, c’est qu’elle soit possible. Et quand on la croira possible, elle le sera. Je n'ai rien d'ailleurs. Je voudrais bien qu’il dit samedi le temps d’aujourd'hui ; que le jour fût beau de toutes façons ! Adieu. Adieu. Adieu. Je ne sais plus vous dire que cela Adieu. G.
Richmond, Mardi 29 août 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
C'est charmant de penser que je ne vous écrirai plus que demain encore à Lowestoft, car n’est-ce pas que jeudi j’adresserai ma lettre à Brompton ? Le bruit s’est répandu hier à Londres que Louis Blanc et Caussidière y étaient arrivé. C’est très probable puisqu’on les a laissé s'évader. Quelle signe de faiblesse ! En général le dénouement de cette grosse affaire me parait pitoyable. J’ai eu quelques développements. de plus du dire de Montalivet. Cavaignac lui a dit qu’il était absolument décidé à main tenir la paix. Il lui a dit aussi. Je ne serai jamais un Monck, & je ne jeux pas le paraître. Montalivet tient qui à attendre. Très honnête homme, plein de bon sens. Que son bon sens lui montre qu'il faut une monarchie, mais que les habitudes, sa mine & ses amis le tiennent enchaîné à la République. Les membres de l'opposition sont très unis entre eux, mais ils cachent leur intimité. Je veux parler de Berryer, Thiers. Molé en est. Berryer est tout-à-fait le leader. Il a causé avec Monta livet. Excellent langage. Dans le faubourg St Antoine on dit : Ils nous ont trompé avec leur république, depuis que les riches ont disparu, nous en sommes plus pauvres. Cela ne peut pas aller. Il nous faut un Roi. Cavaignac est un brave, car il nous a bien battus. Pourquoi Cavaignac ne se ferait-il pas roi ? Montalivet trouve la fusion des deux branches très avancée à peu près complète parmi les partisans. Avec de la prudence il croit que cela doit aboutir. Il est pour le plus légitime. On me prie de tenir ceci très secret. Celui qui me le demande est pour aussi. Après tout, c’est raisonnable.
J’ai eu hier à dîner deux russes diplomates. Il est très vrai que Palmerston cherche à renoncer avec l'Espagne, mais il est très vrai aussi que, selon ces messieurs, et ils peuvent le savoir, jamais les chances de Montémolin n’ont été si bonnes. Je vous dis tous les commérages. 1 heure. On m’apporte votre lettre courte, mais c'est égal. J’abandonne toute prétention à présent que je me sens si proche du bon moment. J'ai une lettre de Barante. Elle ne mérite pas de vous être enroyée. Evidemment il vit dans la lune. Lumière douce, aimable, rien de plus. Il ne sait pas du tout ce que se passe. Le prince Albert a acheté le cottage qui appartenait à Sir B. Gordon, frère de Lord Aberdeen. C'est là qu'il va avec la Reine. Il est bien sûr qu’ils y verront votre ami. Adieu. Adieu. Le temps se relève enfin. Adieu.
Lowestoft, Mardi 29 août 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
Il se peut que le résultat pratique de la séance de l'Assemblée soit bon. Mais l'effet est pitoyable. Mon impression est que de la part de tout le monde, c’est une comédie, et que gouvernement, commission, opposition, insurrection, modérés, rouges, tous se sont entendus ou mutuellement tolérés, pour se tirer tous ensemble d'embarras. Voici les trois faits qui me frappent. L’intervention soudaine et évidemment concertée du Gouvernement pour couper court au débat politique, en y substituant une poursuite judiciaire. Le silence absolu de la commission, et de tout le parti modéré dans le débat politique. La poursuite judiciaire elle-même réduite à rien par le vote qui met Caussidière hors de cause pour le 23 Juin. Personne n’a voulu d’un vrai combat. Les modérés ménagent Cavaignac. Cavaignac ménage les Républicains. Les Républicains se ménagent eux-mêmes. Ce n’est pas grand. Il n’y a que deux grandes choses en politique, le bon gouvernement ou la passion forte. Ni l'une, ni l’autre n'est là.
Le voyage de Montalivet me frappe beaucoup. Il est évidemment venu pour dire à Claremont ce que vous me dites des progrès de la fusion. Je suis curieux de ma première conversation avec le Roi. Si le mal dure et s’aggrave, si les légitimistes ne se perdent pas par une explosion prématurée, cette solution qui n'a d’autre défaut que d'être chimérique, pourrait bien devenir la suite possible et arriver un jour naturellement, comme une chance unique et nécessaire. Je ne me lasse pas d’y penser. Votre bulletin est très intéressant, et je vais l'envoyer à Lord Aberdeen. J’ai eu des ses nouvelles hier au soir. Infiniment amical. Pas un mot de sa lettre dans le Times.
Assez préoccupé des couches de Madame la duchesse de Montpensier et du débat qu'elles ramèneront à la prochaine session du Parlement. Je reviens à Paris. Je parie que Louis Blanc et Caussidière ne seront pas arrêtés et qu’il y aura, à la promulgation de la Constitution, une amnistie où ils seront compris, comme moi. Le débat, sur la constitution commence après-demain. C'est l'affaire de quelques semaines. On m'écrit de Paris que l’ordonnance de non lieu pour notre procès est rédigée et remise au gouvernement qui la garde. J’ai toujours cru et je crois de plus en plus à la conclusion par l’amnistie générale.
Les bravades Italiennes recommencent. Ils n'en seront pas plus braves si on en revient à la guerre. Mais ce sont des embarras de plus pour la médiation. J'admets les hypothèses les plus favorables, l’ordre rétabli en France, en Italie, en Allemagne, la banqueroute (je veux dire the failure) de toutes les révolutions ; il n'en restera, pas moins de tout ceci, un grand mouvement en Europe, et de grandes difficultés, de plus pour les gouvernements.
Que de choses à nous dire en attendant ! Et après ! J’aime mieux aller dîner avec vous samedi. Nous aurons plus de temps. J’arriverai à 2 heures si les heures du chemin de fer ne sont pas changées. Cela vous convient-il ? Il y a un temps d’arrêt et une attitude générale d’hésitation en Allemagne. Je rabâche. Les hommes sont toujours assez fous pour commencer toutes les folies. Plus assez pour les pousser jusqu'au bout. Je n’en entrevois pas mieux la solution de la question allemande. On n'ira pas où l’on dit. On ne reviendra pas où l'on était. Cet avenir-là est plus obscur que menaçant. Adieu. Adieu.
Demain je dirai après-demain pour partir. Après-demain je dirai après demain pour tout de bon. Adieu. Adieu. G.
Lowestoft, Lundi 28 août 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
Une heure
Mes journaux mont manqué, Hier. Je n'en ai point aujourd'hui. Cela tombe mal. Je suis pressé de savoir ce qui s’est passé Vendredi et Samedi à Paris. Le Times de samedi ne me dit à peu près rien.
Je suis bien aise que les Princes aient fait bien parler d’eux à l'occasion de cette horrible aventure de l'Ocean monarch. Ils ne manqueront jamais à ces occasions-là. Ils ont du courage et de l’humanité. Evidemment la République veut avoir une Affaire avec les Légitimistes. Elle les poursuit et les provoque. Ce serait à eux une bêtise et une duperie impardonnables de s’y laisser prendre. Il faut qu’ils aient leur part dans les souffrances, et les griefs des toute la France, mais point de souffrances à eux particulières, sous leur propre nom. Ce qui les distingue les perd. L'abbé Genoude leur a déjà fait bien du mal. Je ne lis plus sa Gazette de France. Peut-être vaut-il mieux pour le parti qu’elle soit supprimée ?
Je vois que la Reine va en Ecosse, à Aberdeen. Je ne suppose pas qu'elle aille à Haddo. Ce serait plus hardi, envers ses ministres actuels, qu’elle ne se le permet d’ordinaire. Je n’ai pas de lettre de Lord Aberdeen depuis la publication de sa lettre. Il me doit une réponse. Il ne se pressera pas. Je ne suis pas fâché que vous lui ayez dit quelques mots de vérité. Que d'avantages il aurait sur Lord Palmerston s’il le prenait avec lui de plus haut et plus agressivement. Je n’ai pas la plus petite nouvelle. Et plus j'approche de la conversation, moins je me contente de la correspondance. Ce qui fait que je ne vous dirai rien aujourd'hui. Je pars Vendredi à 9 heures et demie Je dois être à Londres vers 5 heures, et à Brompton entre 6 et 7. Adieu. Adieu.
J’espère que je ne vous trouverai pas souffrante. Adieu. G.
Richmond, Lundi 28 août 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
Voici quelques nouvelles sans compter l’arrestation de Louis Blanc & Caussidière que vous apprennent les journaux. Montalivet a passé à Londres quelques jours, il repart ce soir. Le travail monarchiste est plus grand et plus avancé qu'on ne croit. L’union des partisans des deux branches se produit partout. Le parti est bien prié de marcher en semble. Berryer mène tout cela. Son langage excellent. Il a vu Montalivet. Sur la question de fortune, c'est Berryer qui s'opposera de toutes ses forces à la spoliation. Molé est là aussi, Thiers aussi, enfin tout ce qui n’est pas républicain. [Berryer s’oppose à toute démonstration prématurée. Elle allait éclater dans le midi, il l’a empêchée.] Montalivet a causé avec Cavaignac. Très républicain mais il croit de lui, que s’il était acculé à la nécessité de choisir entre la monarchie & la république rouge, il n’irait pas à celle-ci, il se retirerait de la scène. Montalivet ne pense pas qu'il y ait si prochainement une lutte dans la rue. Mais Il est persuadé qu'il faut encore quelques batailles avant d'arriver à la monarchie. Tout ceci m’a été dit par mon voisin de Petersham, qui a vu Montalivet hier matin.
J’ai rencontré hier M. de. Beaumont à Holland house. Je l’ai trouvé causant très intimement avec Dumon, et je les ai laissé comme cela aussi. On me dit que la reconnaissance a été une explosion de joie de la part de Beaumont. Celui-ci ravi de la séance de l'Assemblée et de son résultat. Cela va donner de la force au gouvernement. Il a parlé de Thiers, de son langage, qui est ceci : je ne suis plus un homme politique, je ne me mêle pas de cela. J’ai fait Cavaignac Colonel, je n’irai pas me faire son ministre. Je ne pense être que président de la république & probablement je ne le serai pas. Beaumont ajoute, certainement pas, car Thiers est l'homme le plus impopulaire de Paris . Beaumont blâme Molé de se faire porter à l’Assemblée. Il n'y jouera aucun rôle. C’est manquer à sa dignité. Il devait rester tout-à-fait à l’écart. J’ai vu Lord John hier matin. Il part jeudi prochain pour l’Irlande. De là il ira rejoindre la Reine en Ecosse. Elle s’y rendra le 6 après avoir prorogé le 5 le parlement en personne. C'est pour la première fois qu’un premier ministre manque à cette cérémonie. Il m’a fait lire la lettre qui accrédite M. d'Andréau ici comme ministre du Vicaire. Long, un peu diffus, ce que j’y ai relevé de plus remarquable est le respect aux traités. Du reste les attributions que vous connaissez du Vicaire. Diplomatie, commandement de toutes les armées, & & &. Le tout cependant qualifié de gouvernement provisoire. Lord John a rencontré M. d’Andréau. Samedi soir chez Lord Palmerston Il ne s’est pas soucié de faire sa connaissance. Normanby parle aussi du travail légitimiste sans y attribuer autant d'importance que nous. La France est pressée de la médiation italienne car elle craint des interpellations à l’Assemblée. De son côté l'Autriche n’a pas encore répondu à la proposition de la France & de l'Angleterre envoyée de Paris, le 9 août ! Les diplomates ici sont très convaincus que Palmerston travaille à faire donner Milan au Piémont & que la France le veut aussi. Tout le monde trouve le retour de l’Empereur à Vienne très intempestif. Il fallait y rentrer avec Radski à la tête de 30 m. Voilà tout mon bulletin de hier. Comme je le trouve un peu intéressant. Je n’ai pas des yeux pour recommencer, je vous prierai de l'envoyer tel quel à Lord Aberdeen. Mettez ceci simplement dans une enveloppe à son adresse.
Haddo House Aberdeen. N. B.
J’ajoute que les nouvelles de Naples sont bonnes. Personne n’y veut plus de la Constitution. Le Roi veut cependant maintenir ce qu'il a octroyé et promis, mais si la montagne demandait davantage, il retirerait tout. En Sicile la réaction est très prononcée partout, moins Palerme et là seulement les grands Seigneurs encore récalcitrants. Ludolf a fait beaucoup d’efforts pour tirer de Lord Palmerston ce qu’il fait là de sa flotte, & s’il compte s'opposer ou non à l’expédition napolitaine. Palmerston a constamment éludé, & dit qu'il n’avait aucune réponse à donner sur ce point. Disraeli fera après demain une revue générale de la session pour attaquer le ministère. Lord John reste pour y répondre. Il part le lendemain. Deux heures. Voici votre lettre pleine d’excellents raisonnements. Je reçois aussi les journaux et je vois que l'Assemblée n'a pas voulu poursuivre les deux membres accusés sur les événements de Juin. Quelle poltronnerie ! Pas évidemment Cavaignac allait jusque-là. Que pensez vous donc de ce dénouement ? Je trouve que c’est lâche. Le jury est capable de les absoudre. Je viens de lire le passage du discours de Ledru-Rollin qui s'adresse à Thiers, Odillon Barrot, & & C'est très bien, et cela pouvait une même être encore plus fort. Envoyez, je vous prie mes deux premières feuilles à Lord Aberdeen. Je trouve parfait ce que vous avez envoyé à d’Haussonville. Je le garde soigneusement.
Quel plaisir de penser à Samedi. Dites-moi à quelle heure vous viendrez. Sera-ce le matin ? Pour dîner ? Je veux savoir d'avance pour me réjouir d’avance Adieu. Adieu. J’ai écrit au duc de Noailles pour lui dire que vous seriez de retour le 1 ou le 2. Morney va aujourd’hui en Ecosse pour chasser. Flahaut reste à Londres. La femme part pour l'Ecosse aussi. J'essayerai d’apprendre quelque chose her [?]. Adieu. Adieu.
Richmond, Samedi 26 août 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je vous renvoie Broglie et Mme Lenormand. J’en ai régalé Montebello hier soir qui m’a aidé aussi à lire la première lettre. A great treat. Il a bien de l’esprit Broglie, surtout l’esprit réfléchi. Si vous connaissiez Montebello davantage, vous auriez bien bonne opinion de son esprit et de son caractère. Ils m’apparaissent tous les jours sous un aspect plus avantageux. Et très honnête homme. Très dégagé de prévention. Voici un mot de Sabine, amusant. Bonne fille tout-à-fait. Comme je suis curieuse de la discussion à Paris hier !
Midi. Eh bien. Voilà la poste & pas de lettres de vous ! jamais je n’ai été séparée de vous sans qu'il m'arrive un de ces malheurs-là. Et moi je crois tout de suite le pire. Je m’inquiète, je m’agite. Je suis dans un état de folie. Vous partiez avant-hier pour Yarmouth. Vous est-il arrivé un accident en Route ? Mon dieu, je reviens à mes pressentiments de cette vilaine absence, de ce voyage qui au fond n'aboutissait à rien, qui a déjà commencé par un accident et demain dimanche pas de lettre du tout. Comment est-ce que j’atteindrai le lundi ? Vous êtes bien coupable, si vous êtes coupable de ce retard. Vous êtes dans tous les cas coupable de m’avoir quittée. Je ne vous dirai rien, plus rien aujourd’hui. Je suis si triste ! Si triste. Adieu.
2 heures
Ah, je respire ! Voilà votre lettre mislaid at the post office. Savez-vous ce que j’allais faire ? J’allais vous envoyer tout de suite un homme exprès à Lowestoft pour me rapporter de vous un certificat de vie de bonne santé. Je sentais que je ne pourrais pas attendre Lundi. Enfin, enfin, je tiens cette lettre. J’ai écrit à Lord Aberdeen un petit mot sur la publication de sa lettre. Regrettant qu'il fut vanté à vos dépends. Je crois que je ne l'aime plus du tout. Les journaux d’hier de Paris ne m’apprennent rien du tout. Le Constitutionnel est très bien fait. Vous le lirez je crois. Adieu. Adieu. Je vous ai retrouvé. Je suis si contente ! Adieu.
Le National hier contenait un long article qui établissait qu’en matière d’élections, l'influence morale du gouvernement est non seulement permise, mais nécessaire. C’est charmant. Je viens de lire une lettre d’une dame anglaise à Paris, à Miss Gibbons. They say Cavaignac has made many blunders and is too weak to remain. And what every one seems to think certain, is, that Henry V is coming to Paris, and in a fortnight his fate will he decided. he is a weak foolish man and will not be able to govern the French & & & je trouve tout cela singulier.
Je viens de relire votre lettre. Je vous admire pour votre journée de Yarmouth plus que pour tout ce que vous avez pu faire de grand dans votre vie. Grand dîner deux heures trois-quarts d’église, le matin. Une heure trois quarts le soir. Evêque, sermons. Comme j’aurais vite fait un esclandre au bout de 10 minutes. Vous êtes un homme étonnant. Je me prosterne. Adieu. Adieu. Merci de ce que je respire ; demain pas de lettres, mais je sais pourquoi. A lundi donc et pour vous & pour moi. Adieu.
Lowestoft, Samedi 26 août 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
4 heures
Je suis de l'avis de Montebello. Je crois que le gouvernement Cavaignac choisira pour le rouge s'il est absolument forcé de choisir. Et le jour viendra où il y sera forcé. Mais de part et d’autre on s'efforcera de reculer ce jour. Personne n'a assez d'envie de gagner la bataille pour l’engager volontairement. Je ne m'accoutume pas à la pusillanimité des honnêtes gens. Ce n’est pas faute d'expérience. Certainement je n'ai pas cru aux révolutions de Pétersbourg. Et je crois que si l'Empereur aime mieux la république que la Monarchie constitutionnelle, c’est qu’il la croit moins contagieuse. Il penserait autrement s’il était le voisin des Etats-Unis. Et s’il avait raison dans la préférence que vous dites, et que vous êtes tentée de partager Cavaignac et Marrast auraient raison. Car renoncez à Louis XIV. On refait encore bien moins Louis XIV que Napoléon. Si nous n'avions d'autre alternative que Louis XIV ou la confusion permanente, je me ferais moine. Il me faut de l'avenir, dans ce monde et dans l'autre.
Dimanche 27
8 heures
J’ai eu hier au soir quelques mots de Paris qui me prouvent qu’on y est de nouveau et sérieusement inquiet. Inquiet d’une nouvelle bataille dans les rues. La république rouge ne veut pas accepter sans mot dire la politique qui accepte la déroute Italienne, ni l'ordre du jour motivé, quel qu’il soit, qui terminera le débat de l’enquête. Elle veut protester et sa protestation, c'est l’insurrection. Cavaignac la battra, nul doute et la victoire l'affermira pour aujourd’hui, mais l’usera pour demain. Le voilà engagé dans le défilé où la Monarchie de Juillet a péri, entre deux feux et deux feux bien plus étendus, bien plus ardents qu’ils n'étaient contre elle. Et il n’a pas comme elle, de qui se défendre longtemps. La Monarchie de Juillet s’est défendu avec deux armes ; par la prospérité du pays, par l'opinion, généralement accréditée, qu’elle était réellement la fin des révolutions. La république n’a ni l’une ni l'autre. Je persiste dans mon avis. Ce sera plus long que ne croient les badauds et moins long que les gens d’esprit, comme vous et moi, ne sont quelques fois tentés de craindre. Je vous envoie les impressions qui m’arrivent de Paris et mes raisonnements sur les impressions en attendant samedi.
Tempête hier, mauvais temps aujourd’hui. Je vais faire ma toilette pour aller au sermon. Je suis correct ici. Je vais au sermon tous les dimanches. Une heure Je suis désolé que vous ayez eu deux mauvaises heures. Ce n'est pas ma faute. Il est impossible d'être, en fait d’exactitude, plus minutieusement soigneux que je ne suis. Comment ne le serais-je pas ? J'ai tant besoin de votre exactitude à vous ? Elle est parfaite aussi. Je trouve que nous ne nous remercions pas assez de nos vertus mutuelles. Nous souffririons tant de nos défauts ! Enfin samedi prochain, nous n'aurons, ni à nous remercier, ni à nous plaindre.
C'est le lundi qui est mon blank day à moi. On distribue ici les lettres le dimanche. La lettre de Sabine est drôle et aimable. Je commence à être assez frappé de ces rumeurs sur Henri V. Non pas que je croie à aucun résultat prochain. Si l'explosion est prochaine. Henri V y périra, comme Louis Bonaparte a péri. Le produire aujourd’hui, c’est le détruire. Mais si on continue à parler de lui sans le lancer dans l’arène, s’il apparait de plus en plus, mais dans le lointain, il prendra du corps et grandira. Et la fusion, aujourd’hui chimérique pourrait bien devenir possible. Elle sera possible le jour où tout ce qu’il y a de monarchique en France verra là, la seule chance de salut. Ce jour-là, tout le monde se réunira pour imposer la fusion à qui de droit et de bonne ou de mauvaise humeur, on l'acceptera sans grande résistance. On y verra aussi son salut.
Avez-vous écrit dernièrement au voyageur pour la fusion ? Je pense très bien de Montebello et je suis bien aise que vous en pensiez très bien, le connaissant comme vous le connaissez à présent. Faites-lui je vous prie, mes amitiés savez-vous pourquoi Morny est revenu à Londres ? Savez-vous aussi, ou pourriez-vous savoir, si Lord Palmerston connait un M. Rothery, dont vous m’avez peut-être entendu parler, et avec qui M. Dumon est très lié ? C’est un proctor que le foreign office a quelques fois employé, du temps de Lord Aberdeen. Il vient de m’écrire qu’il partait subitement pour Madrid, m’offrant de se charger de mes commissions pour Paris. Il me dit : you will doubtless be surprised et my suddon determination to start for so turbulous a country as Spain, et ne me dit pas du tout pourquoi. Je serais curieux de savoir si c’est Lord Palmerston qui l'envoie. Il fait faire assez souvent sa diplomatie incorrecte par des voyageurs, et celui-ci est intelligent. Vous avez vu que M. d’Haussonville m’avait demandé un programme de ce qu’il devait dire, voulant écrire sur notre politique extérieure. Voici ce que je lui ai répondu. Gardez-moi cette copie que j'ai gardée pour moi. Je crois qu'il est maintenant possible et utile de dire en France ces choses-là. Ne faites usage de ceci que pour vous, à cause de M. d’Haussonville. Adieu. Adieu.
Je suis bien aise que vous n’ayez pas eu besoin de m'envoyer votre homme pour savoir si j'étais vivant. Mais s’il était venu, je l’aurais embrassé. Adieu. G.
Lowestoft, Vendredi 25 août 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
Dans huit jours, je serai en route pour Brompton. Gardez vos doigts. Je serais bien fâché de ne pas les retrouver. Voici ma journée d’hier à Yarmouth. En arrivant deux heures trois quarts à l'Eglise, service, et sermon du matin. Puis deux heures dans le hall de l’hôtel de ville ; luncheon toasts et speeches terminés par un toast pour moi et un speech de moi. Grandissime succès. Mérité. J'ai dit pourquoi j'étais venu à Yarmouth ayant refusé d'aller ailleurs. Pour finir une heure trois quarts à l’Eglise, service et sermon du soir.Très beau sermon de l’évêque d'Oxford. Lord Aberdeen a raison de l'appeler un grand prédicateur. Je suis revenu à Lowestoft par un orage effroyable, pluie, éclairs, tonnerre grêle. Je me porte très bien ce matin. Il fait très beau.
Je tiens qu’Aberdeen a choisi son moment pour la publication de sa lettre dans la Revue rétrospective et dans le Times, et j’en souris, mais je ne lui en veux pas. Je suis fort accoutumé, à ce que les hommes, même les meilleurs, même mes meilleurs amis s’inquiètent peu de me découvrir pour se couvrir et soient plus prudents pour leur compte que braves pour le mien. Dans cette occasion-ci d'ailleurs, je vous le répète cela m'importe peu, car cela ne me nuit point en France et guères ici. Le bien que l’article du Times, fait à Lord Aberdeen me convient plus que ne me contrarie mon petit déplaisir en le lisant.
Hier en lisant les Débats, je valais mieux que vous. J’ai pris plaisir aux explications du gouvernement Cavaignac sur l'Italie. Ma première impression est de me réjouir quand je rencontre un peu de bon goût et de dignité & dans le gouvernement de mon pays. Soyez tranquille ; il n’y en a pas assez pour les faire vivre. Je ne connais pas le Général Le Flô. Je ne me rappelais pas même son nom. Voici le secret des dispositions de l'Europe envers la République, chez vous comme ici. On ne se soucie pas qu’elle ait un accès de folie guerrière dût-elle en mourir. Ce serait un grand tracas, et quelque danger. On ne craint pas son influence en Europe tant qu’elle ne sera folle que chez elle. Elle penche assez dans ce sens, et on l’amadoue pour l'y maintenir. Cela lui donnera peut-être quelques jours de plus, et dans ces jours, quelques bons moments. Pas davantage je crois. Je crois que si Lord Palmerston pouvait être sûr que la République en vivant, restera ce qu'elle est, cela lui conviendrait assez. Il ne craindrait plus la rivalité de la France. Heureusement il ne dépend pas de lui d’arranger ainsi les choses. Je vous ai envoyé tout ce que j'ai de Paris.
Nous allons causer indéfiniment, n'est-ce pas ? J’ai découvert que je pouvais aller à Richmond plus vite, par Putney. L'omnibus de Londres à Putney passe devant ma porte, et à Putney je prendrai le chemin de fer. Je gagnerai certainement trois-quarts d'heure sur la route. Adieu. Adieu.
Je voudrais croire au mieux d'Aggy. Je suis aussi enclin à l'inquiétude dans la vie privée qu'à l’espérance dans la vie publique. J'ai devancé vos prescriptions quant aux promenades même sur la côte. On m’avait proposé une partie sur un beau life-boat qu'on lance aujourd’hui. J’ai refusé. Adieu. Adieu.
De demain en huit. G.
Richmond, Vendredi 25 août 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
Dix heures
Nous rabâchons toujours Montebello et moi de 9 à 10 le soir. Il est plein de sens. Il ne croit pas à la République, mais la conduite de Cavaignac lui parait très bonne. Seulement il l’attend au moment où il faudra choisir entre le parti modéré qui est nécessairement monarchique, et la république rouge. C'est à ce moment là qu'il voit la fin de régime actuel, dans quelque camps que Cavaignac se jette, et il le croit plus disposé au rouge qu'au blanc. Comme cet homme pourrait jouer un grand & noble rôle s'il n’était pas un enragé républicain ! Je commence à croire tout à fait aux tendresses de l’Empereur pour lui. Je vous ai toujours dit que l’Empereur avait le plus profond mépris pour les monarchies constitutionnelles ces deux mots lui semblent pire. Une franche république lui parait tout à fait logique. Il n’a pas tort. L'Angleterre seule est capable de supporter le disparate. Et encore, c’est bien une république ceci, république aristocratique. Car vous conviendrez que le Roi n'y compte que comme décoration. Retournez à Louis 14, ou bien résignez-vous à la perpétuelle confusion.
Les Holland vont partir, pour, ils ne savent où, le fidged anglais. Elle en pleure. Lui s'ennuie. L’arrangement de Holland house l’a occupé, passionné ; c’est fini, il est déjà blasé de la jouissance, car ce n’est par la question d’argent qui les chasse. Je les regretterai c'est une ressource. Je voudrais bien n’avoir plus à spéculer sur les ressources en Angleterre. Le Times de ce matin est encore très curieux de toutes les façons. J'espère que vous ne croyez pas un mot de la révolution à Pétersbourg ?
2 heures.
Voici votre lettre si courte & vous la promettiez longue. Pour quoi ne pas écrire par provision, vous avez du loisir ? Merci des incluses. Il me faudra du temps et des intervalles pour les lire (attendu mes yeux) je ne vous les renverrai donc que demain. Je suis très curieuse de Paris, aujourd'hui. Les modérés diraient que c’est palpitant. Adieu. Adieu, nous aurons encore un très mauvais jour le Dimanche, et les bons faute de mieux au nombre de 7 et puis et puis. Adieu. Adieu.
Mots-clés : Monarchie, Politique (France), Régime politique, République, Réseau social et politique, Salon
Lowestoft, Jeudi 24 août 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je voulais vous écrire longuement ce matin. Au lieu de cela, je vais à Yarmouth, assister à la consécration d'une Eglise, belle, dit-on, et aux sermons de deux Evêques, l'Evêque de Norwich et l’évêque d'Oxford. Je n'ai pu ni dû me refuser à cette invitation. On y tenait beaucoup, et un meeting dans une église me convient. C’est le seul retour que je puisse donner pour tout ce qu’on me témoigne. Je pars à 9 heures et je reviendrai dîner. Il fait bien beau. Voici une longue lettre du Duc de Broglie, pas très fraîche, mais intéressante. Vous aurez de la peine à le lire. Renvoyez-la moi, je vous prie. J’y joins une lettre de Mad. Lenormand, pleine de mes affaires privées, mais vous y trouverez sur M. de Montalembert, un petit fait qui vous plaira. Renvoyez-la moi aussi.
Grâces à Dieu, bientôt nous ne nous enverrons plus rien. Nous nous dirons tout. Je n’ai pas besoin de vous dire que je ne laisserai faire à Paris, auprès de la République aucune démarche quelconque pour mes intérêts d'argent. Adieu. Adieu. Je vais faire ma toilette. Je voudrais bien que la poste arrivât avant mon départ. Je ne l’espère guères. Adieu. G.
Je partirai le 1 et je vous verrai le 2. C’est déplorable de perdre tant de jours d'une vie si courte. Adieu. Adieu. J'espère que vous êtes mieux puisque vous ne me dites pas le contraire. Adieu. G.
Richmond, Jeudi 24 août 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je n’ai pas vu une âme hier, Je ne vous conseille donc pas de lire ma lettre si tant est que je parvienne à vous en faire une. J’ai quelque regret à dire que je trouve les explications du gouvernement Cavaignac sur l’Italie bonnes & dans de bons termes. Où prend-il tout cela ? Je lui trouve de la tenue, de la présence d’esprit, & même de l'esprit. J'en suis fâchée, mais il me parait qu’il se consolide comme votre pays est drôle ! Sous votre régime, si on avait abandonné l’Italie. Si on avait suspendu les journaux ! Ah mon Dieu, c'est vous qu’on aurait suspendu, et peut-être pendu.
Deux heures.
Voici votre lettre. Elle est très bien et je l'enverrai, malgré le pluriel. L'Angleterre ne mérite pas les mêmes éloges que nous. Car certainement elle ne peut pas faire la guerre. Je suis très fâchée de cette publication de la lettre de Lord Aberdeen. Voyez comme le Thiers le loue à vos dépens. Je voudrais bien voir les indiscrétions continuer, et trouver ses autres lettres publiées. Je suis un peu furieuse. Qui est le général Le Flô qu'on dit qui est envoyé à Pétersbourg ? Ne savez-vous quelque chose ? c'est fort adroit d'envoyer un militaire, un africain, peut-être une connaissance du Grand Duc Constantin. Mais enfin voilà donc la reconnaissance promise, puisque on y envoie quelqu’un ? Tout cela me dérange. A tout prendre les journaux d’hier et d’aujourd’hui me mettent de mauvaise humeur. La Duchesse de Montebello est partie pour l’Irlande. Je garde le mari, the better half. Adieu. Adieu. Ce sera un jour charmant que celui où je ne vous écrirai plus. C'est bien Samedi prochain que je vous verrai à Richmond. Adieu. Adieu.
Ne vous avisez pas de faire des courses en bateau même tout près du rivage. Adieu. Aujourd’hui 24 juste 6 mois depuis la chute de la Monarchie, & un jeudi aussi.
Richmond, Mercredi 23 août 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
J’ai été hier prendre mon luncheon chez Lady Palmerston. Rien de nouveau. Toujours bienveillance pour l’Autriche. Désir d’aboutir, assez d'espérance, (j'espionne les bases) on jette des mots en l'air, et l’idée la mieux accueillie est la mienne : doubler la Toscane par la Lombardie. En grande moquerie de l’Allemagne. En éloges de Beaumont que de son côté est très courtisan pour Palmerston surtout. J’ai rencontré [?] en sortant on me l’a présenté. Je lui ai dit deux mots, il a beaucoup vanté l’accord du Prince & du peuple à Cologne & partout. Il parlait de son roi qu'il a accompagné là. Les Standrish ont dîné chez moi hier. Elle est un peu parente de Madame Beaumont. Elle avait appris que G. de Beaumont s’était beaucoup félicité d'avoir fait ma connaissance.
2 heures
Bonne lettre et bonne nouvelle. Le 1er au lieu du 2. Vingt-quatre heures dégagées. C'est donc Samedi que je vous verrai quel plaisir ! Je suis bien aise de voir que vous attendez du décisif ressortant des pièces. Elles sont terribles. Un grand pays gouverné pendant 5 mois par un set of scoundrels quelle honte ! Et depuis un mois, je ne sais si c’est beaucoup mieux. Je trouve que Cavaignac est un peu compromis. Constantin est appelé à Pétersbourg. Il y est allé avec sa femme pour revenir bientôt à Berlin. Il me dit que Brunner est parti de Berlin l'oreille bien basse. L’affaire danoise s’arrange, Francfort n’est plus si arrogant avec Berlin. Les journaux français ne sont pas là encore. La tempête ces deux jours a été terrible, il y a retard. Il me semble bien difficile qu'il n'y ait pas un éclat à Paris. Adieu. Adieu. J’ai le cœur plus réjoui depuis que les jours sont réduits à mes dix doigts tous les jours j’en couperai un. Adieu. Adieu. Aggy va mieux quel miracle. Adieu. Voici un petit fragment de Marion. Drôle.
Paris, ce 23 août 1848, Amélie Lenormant à François Guizot
Lowestoft, Mercredi 23 août 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
J’aurai bien des choses à vous dire demain. Adieu. G. Lowestoft 23 août 1846
Lowestoft, Mardi 22 août 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
10 heures
Mon instinct me répète que la publication de ce Rapport de la Commission d'enquête ouvrira le tombeau de la République. Je dis la publication bien plus que le débat, dont je n’attends pas grand chose. La République n'en mourra peut-être pas beaucoup plutôt, mais, la voyant, telle qu'elle est, on la tiendra pour morte par impossibilité de vivre. Et elle mourra infailliblement de cette conviction générale. Les commencements de scènes, de démentis d’assertions aggravantes que je vois dans le Times d’hier confirment mon instinct. Je suis frappé aussi qu’on ait renoncé dans l'Assemblée à porter, comme on l’avait annoncé, M. de Lamartine à la Présidence, en envoyant M. Marrant au Ministère de l'Intérieur. En présence du rapport, on a senti que cette apothéose du Père de la République était impossible. J’attends impatiemment mes journaux français. Je serais étonné si cette semaine ne nous ferait pas faire un pas. Vous avez surement lu le spectateur de Londres de Samedi. Evidemment l’Autriche sortira de la Lombardie, et n'en sortira pas pour Charles-Albert. L’événement me donne plus complètement raison, dans la question Italienne que je ne l’avais espéré. J’ai soutenu que les peuples d'Italie, ne devaient faire que des réformes légales, de concert avec leurs gouvernements, que ni les gouvernements ni les peuples ne devaient songer à des remaniements de territoire ; que le Pape ne devait pas se brouiller avec l’Autriche ; que toute tentative, en dehors de ces limites, échouerait. C'est dommage que ce soit souvent un grand obstacle d'avoir eu raison.
Les nouvelles d’Espagne me plaisent. Les Carlistes de plus en plus nuls, et mon ministre des finances. C'est l'union rétablie dans les Moderados et leur concours assuré à Narvaez. Il n’est pas plus question à Madrid de Bulwer et de la rupture des Rapports avec l'Angleterre, que s'il n’y avait point d'Angleterre. Nous verrons comment lord Palmerston emploiera de ce côté ses vacances.
Une heure
Très intéressante lettre. Vous ne savez pas combien j’aime votre langage si naturel, si bref, si topique. Je m'inquiète peu de votre inquiétude sur ma lettre du 16. Je veux bien que vous me montriez, mais il me convient que vous me montriez tel que je suis, pensant librement et parlant comme je pense. Sans compter que, pour plaire beaucoup, il est bon de ne pas plaire toujours, et surtout de ne jamais chercher à plaire. II y a deux choses indispensables pour être pris au sérieux par les Rois, en leur agréant, beaucoup de respect et à peu près autant d'indépendance. Je vous écrirai demain ce que vous désirez. Demain seulement parce qu'il faut que, cette fois aussi, vous envoyez la lettre même. Elle vous arrivera jeudi matin. Je vous renverrai aussi demain la lettre de Paris. Je veux la relire, et je suis écrasé ce matin de correspondance. Plus une visite aux écoles de Lowestoft qu’on me fait faire à 2 heures.
Je crains beaucoup toute démonstration légitimiste. Non seulement elle échouerait ; mais elle gâterait l'avenir en compromettant, contre toute combinaison en ce sens, beaucoup de modérés. Le nom est peut-être dans ceci, ce qu’il y a de plus embarrassant. Il ne faut pas le prononcer. Que la réserve du langage soit en accord avec l'immobilité de l’attitude. N'oubliez jamais que les péchés originels du parti légitimiste sont d'être présomptueux et frivole, gouverné par les femmes et les jeunes gens. L'émigration. Voici les nouvelles que je reçois ce matin: « J'ai vu les Montesquiou qui reviennent d'Allemagne. Ce qu’ils disent est, à tout prendre, satisfaisant quant à la santé et au bonheur domestique. La résidence est très convenable et confortable, au milieu d’une jolie ville. Mais point de jardin. Seulement une terrasse au haut de la maison, où l'on prend le thé dans les belles soirées. Les environs et les promenades charmants. Beaucoup d'affection et de respect témoigné par tout le monde. Une existence paisible retirée et raisonnable. Mais les regrets de France bien vifs. Ils déjeunent à 11 heures, dinent à 4, le thé à 8, la conversation jusqu'à 10 : " Parlons de la France. " Elle se promène beaucoup et écrit beaucoup. Elle a reçu dernièrement beaucoup de visiteurs. La Maréchale de Lobau y est à présent, et les enfants de M. Reynier. Correspondance quotidienne avec Bruxelles." Ce ne sont que des détails sentimentaux. Vous voyez par votre lettre de Paris, que Pierre d’Aremberg se vantait, et qu'on est bien loin d'avoir pris là l'initiative. Je suis bien aise que vous ayez rencontré M. de Beaumont. Sa conversation avec vous est ce que j'aurais attendu. Et votre jugement de lui excellent. Je n'irai point au-devant de lui ; mais s'il vient au devant de moi, j'accepterai sa main. Il est du nombre des hommes envers qui je deviens chaque jour, au dedans plus sévère, au dehors plus tolérant. [...]
Richmond, Mardi 22 août 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
Onze heures
Le temps est si mauvais que je veux, en fait de promenade, aller chercher des nouvelles en ville. J’y fermerai ma lettre. J’ai rencontré hier soir chez une dame du voisinage ici M. Koller le chargé d’affaires d’Autriche. (Vous savez que Dutrichstein est parti.) Il attend. M. d’Andriani délégué de Francfort. Ce devait être Lichnowsky, c’est changé. Ce d’Andriani a passé par Bruxelles où il avait une mission pour Léopold. L'Autriche conservera en tout cas un ambassadeur ici et aux autres cours. La réception de l’Empereur à Vienne a été admirable, touchante. Les victoires de Radski n’y ont pas été célébrées avec la même unanimité. La révolution craint qu’il ne vienne faire la police de Vienne. Rien sur la médiation, naturelle ment Koller n'en parle pas. Il me parait être un homme d’esprit. Beaumont a fait visite à Brünow sans le trouver, il a remis sa carte. Brünow lui a rendu visite de la même façon. Beaumont n’a pas fait visite à Koller. Koller parle bien mal de Palmerston surtout sur les affaires de Sicile. Il n’y a cependant rien de clair là encore.
Quant à la protestation du Gouvernement Sarde contre l’armistice, c’est du Humberg des grands airs, qui n’empêchent pas les conditions de l’armistice d’être observées. En général on parle assez mal de Charles-Albert. Trahison. Le National a inséré une longue lettre de la Princesse Belgiojoso expliquant que Milan a été trahie, abandonnée. Quelle est votre opinion des pièces sur l’enquête ? Cela me parait compromettre beaucoup ou un peu tout le monde. Quel gâchis ! Je vous dis adieu ici, pour le cas où je n'aie rien à ajouter en ville. Adieu. Adieu.
Mots-clés : Diplomatie, Politique (Autriche), Réseau social et politique, Révolution
Lowestoft, Lundi 21 août 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
Midi
Mauvais jour. Pas de lettre et une violente tempête. Vous n'aurez que du petit papier. J’ai passé ma matinée à lire une immense discussion de la Chambre des communes sur Vancouver Island. Un vraiment très beau discours de M. Gladston. Peu agréable pour Lord Grey. Il est en bien grand déclin. Vous ne regarderez jamais à Vancouver Island. Il y aura pourtant là un jour un grand Empire... Anglais ou Americain. C'est là la question This is a great subject, dit M. Gladstone the small begining of a great subject. As Wordsworth our greatest modern pact said : " The boy is father to the man." Le discours est tout-à-fait beau, et a eu un grand succès. Ch. Buller a défendu lord Grey, spirituellement et sensément mais petitement. Je n'ai rien de mieux à vous dire. Si vous étiez là, nous parlerions de tout. Qu’y avait-il donc de si charmant dans ma lettre du 16 ? Je ne me rappelle que quelques phrases sur l'Impératrice qui en effet pourront lui plaire. Les siennes m’avaient beaucoup plu.
Voilà donc l'Empereur rentré à Vienne. Comme les choses qui se ressemblent le plus se ressemblent peu ! Tout le monde a dit que c’était une seconde édition de la fuite de Varennes. Mais ici le retour est une fête. L’Autriche est encore bien monarchique, son histoire est la seule belle de ce moment. L'archiduc Jean à Francfort et Radetzky à Milan. M. de Metternich doit être bien content que cela soit fait, et un peu triste de ne l'avoir pas fait. Pas plus de nouvelles, ce matin de Paris que de Londres. Je ne suppose pas que le débat sur l’enquête ait pu commencer aujourd’hui. On attendra la fin de la distribution des Papiers. Les journaux anglais traitent le Général Cavaignac aussi bien que les journaux français Lord Palmerston. De part et d'autre, on s'amadoue. On a raison. Adieu. La tempête ne se calme pas. Adieu. Adieu. G.
Lowestoft, Dimanche 20 août 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
Une heure
Je quitterai Lowestoft le vendredi 1 ou le samedi 2 septembre. Je n’ai pas voulu vous le dire avant d'en être sûr. J’arriverai à Brompton vers 7 heures du soir. Si vous étiez à Londres, je vous verrai le soir même. Mais à Richmond, je ne puis vous voir que le lendemain. Ainsi à Samedi 2 ou Dimanche 3. D’aujourd’hui en quinze, au plus tard. Oui, c’est bien long. Je regrette bien que votre fils soit parti. J’avais un peu espéré qu’il trainerait jusqu’à mon retour, ou bien près. Quel plaisir de vous retrouver !
Je ne crois pas à Pierre d’Aremberg, même doublé de Lady Palmerston. Si une telle issue est jamais possible, ce ne peut-être qu’après un bien plus long et bien plus mauvais chemin. Mettez les uns au bout des autres, tous les partis, qui sont contre, et mesurez ce qu’il faut pour qu’il s'en détache successivement de quoi grossir assez le parti pour. Je ne suis pas aussi éloigné d'admettre ce qu’on vous a dit de la Duchesse d'Orléans, et je me l'applique un peu. Rappelez-vous ce que je vous ai dit de ce qui lui a été répondu et conseillé de Claremont. - Ne pas décourager ; n'admettre, ni ne repousser. Il se peut qu’elle ait écrit dans ce sens. Vous voyez déjà paraître ces vanités de parti qui ont déjà fait et qui feront encore tant de mal à ces combinaisons- là. Pierre d’Aremberg veut que la Duchesse d'Orléans ait pris l'initiative. Le Roi m’a dit qu'elle avait reçu des ouvertures. C'est aussi ce que m’avait à peu près dit le duc de Noailles. Je n'ose vraiment pas apprécier, ce qu’il faudrait de temps et de malheur pour forcer les vanités et les impertinences mutuelles des deux partis à se subordonner à leur bon sens. Ils se seraient sauvés vingt fois, l’un et l'autre depuis 60 ans. S'ils avaient su le faire. Mais ils ont toujours mieux aimé être battus chacun à son tour que puissants ensemble. Je serai bien heureux et bien étonné si jamais ils se guérissent de cette sottise. Nous n'avons ni vous ni moi jamais vu un tournoi, et ces grands coups de lances émoussées qui faisaient la gloire des chevaliers et le plaisir des Dames. Les tournois de paroles ont remplacé les tournois de lances. Mais plus vif, plus brillant. Lord Palmerston est plus réfléchi, plus calculé. Je ne sais si les spectateurs se sont bien amusés ; mais à coup sûr les acteurs ne se sont pas fait grand mal. Et n'admirez-vous pas la badauderie du Journal des Débats qui n’a pas assez de termes pour louer Lord Palmerston ? Ce n’est pas tout-à-fait de la badauderie. Le Journal des Débats, et avec grande raison ne veut pas de la guerre et il sait très bon gré à Lord Palmerston de la main courtoise qu'il tend à la République pour l'aider à sortir du défilé où ses vanteries l'avaient engagée.
M. Reeve m'écrit : " Je suis allé à Hertford House, voir M. de Beaumont. Son langage est identique avec la politique qu’on a pratiquée avec succès pendant bien des années dans le même hôtel. En fait, ils ne trouvent rien de mieux à faire que ce que vous avez fait ; alliance anglaise, entente cordiale, politique modeste, tout y est, moins peut-être la bonne foi. Ils se soucient fort peu de l'Italie, mais uniquement des engagements d’honneur que la France a pris dans cette affaire et ils acceptent d'avance toute espèce de transaction."
L’Autriche peut ne consulter que sa propre sagesse et réduire la transaction au strict nécessaire. Pourvu qu'il y ait un air de transaction, on en passera par ce qu’elle voudra. Ce que vous a dit Lady Palmerston de M. de Beaumont est très vrai. Point du grand monde, ni grand esprit. Gentilhomme honnête et littéraire. Pas assez d’esprit pour avoir du bon sens d'avance. Assez de droiture pour en retrouver au dernier moment. De ceux qui ouvrent la porte aux coquins et aux fous, et qui essayent de les contenir quand ils les ont fait entrer. Il n’aura ni à Londres, ni à Paris point d'influence réelle ; il ne fera et n'empêchera rien ; mais c’est un nom décent sur ce qu’on fera. Voilà les pièces communiquées. Il faudra bien donner la fin après le commencement. Je penche toujours à croire à un débat avorté, à un vote insignifiant. A moins que la passion insolente de MM. Ledru Rollin. Louis Blanc et Caussidière ne force le parti modéré à enfoncer l'épée jusqu'à la garde. Ce ne sera pas Odilon Barrot qui le fera. Je doute que Thiers s'en mêle. Si le débat n’avorte pas, il en sortira, un gros événement.
J'ai bien de la peine à avoir un avis décidé sur la rue St Florentin. Cela me plairait que vous le gardassiez. J’aime les bonnes apparences. J'y crois même un peu. Mais vous m'avez dit que vous étiez ruinée, que vous dépassiez votre revenu. Ce sera une grosse charge. Rothschild abusera de votre envie. Et qui sait pour quel temps ? S'il ne vous demandait pas de faire un bail, s’il vous laissait l’appartement de six en six mois, ce serait plus praticable. Adieu. Adieu. En tout cas, j'aime que nous débattions cette question. Adieu. Je suis charmé que nous ayons un jour fixe.
Richmond, Dimanche 20 août 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je crois vraiment que j'ai fait une bêtise en envoyant à l’Impératrice votre lettre du 16. Ce que vous dites d’elle est charmant, mais vous mettez les révolutionnaires et les autocrates sur un même plan, vous parlez de timidité, d’excuses. Comment n’ai je pas été frappée de la pensée que cela ne devait pas être envoyé ! Tout cela m’est revenu depuis la lettre partie. Si l’Empereur est tout-à-fait heureux d’esprits, il trouvera que vous avez raison. Mais comme avant tout il a beaucoup d'orgueil et il est possible que cela ne fasse pas fortune du tout. Il faut songer à réparer & voici ce que je vous propose. Ecrivez très naturellement dans une lettre, où vous me parleriez de l’attitude des grands cabinets, deux mots sur le nôtre. Dites ce qui est vrai, que quand on est si grand on a quelque mérite à être si sage, si modéré. Enfin vous savez bien ce que vous pourriez dire qui serait dans la vérité & qui ferait plaisir. Je vous prie faites cela tout de suite afin que je l'aie ici au plus tard lundi, car j'ai ce soir là une occasion.
J'ai été hier soir chez Lord John, j’y ai trouvé M. de Beaumont. Lord Palmerston, qui était là aussi me l’a présenté. Je l’ai trouvé comme on me l’avait dit. Sa conversation m’a paru un peu lourde. Il dit les choses longuement. Il ne me fait pas l’effet d’un homme de beaucoup d'esprit, il est un peu naïf. Je lui ai fait un accueil poli. Sans empressement. Lui avait l’air charmé de causer. Le dialogue a duré plus d’une demi-heure. Moi en interrogations. Difficultés immenses. L'édifice fragile. Cavaignac très républicain. " Lamoricière républicain comme moi. " ! - Je vais donc supposer, Monsieur que vous ne l’êtes pas beaucoup ? Il a éludé en disant qu’avant tout & pour le moment il fallait soutenir sincèrement ce qui donnait de l’ordre.
Eloge encore de Lamoricière. Si on s’avise de bouger, il mitraillera tout, on veut en finir avec les tapages de la rue. Il croit beaucoup à cela tout de suite. Très pacifique, charmé des dispositions qu'il rencontre ici, fâché qu’on ait si brusquement renvoyé Tallenay. Il s'en est expliqué avec Cavaignac qui lui a dit qu'on ferait des contes absurdes sur une rencontre avec vous. D’abord qu'elle n’était pas vraie, & puis le fût-elle, Tallenay n’aurait fait que son devoir en vous montrant des égards. Lui Beaumont si le hasard le met sur votre chemin, ira non seulement à vous, mais vous vous tendrez la main si vous voulez la prendre, quoiqu’il ait été toujours votre adversaire politique. Tallenay aura Francfort. Je lui ai demandé des nouvelles [?]. Je l’ai vu à l'Assemblée. Voilà tout ce qu’il m'en a dit, & puis, que Thiers était particulièrement décidé, exécré, par les factions et les partis que certainement on en voulait à sa vie. Que celle de Cavaignac était sans cesse menacée. Il est retourné au passé pour déplorer, pleurer, l’aveuglement respectif, dit-il, eux, avoir ignoré qu'ils faisaient les affaires de la république, vous que le mal avait de si profondes racines. Je crois vous avoir dit tout Beaumont au total il n’a pas l'air d'un mauvais homme, au contraire. Et on aurait pu moins bien choisir.
Il y avait là Minto, que, je n'avais jamais vu. Bien pressé de causer avec moi de me raconter l’Italie comment il n’avait cessé d'y prêcher le bon accord des peuples avec les Princes disant beaucoup de mal du roi de Naples, un menteur. Je n’ai pas trouvé la mine des trois ministres très radieuse. La session ira jusqu'à la première dizaine de septembre. Montebello a eu hier une lettre de Paris de vendredi, dans laquelle on lui dit que le télégraphe venait d'annoncer une insurrection à Nîmes & à Montpellier aux cris de Henry V. Ce serait trop tôt.
C’est ennuyeux de penser que tout ce que je vous écris là ne peut partir que demain soir.
Lundi 21, midi
Bulwer et G. Greville sont venus me voir hier matin. Le premier ne m'a rien dit de bien nouveau il n’a vu littéralement personne à Paris que Normanby un moment, qui lui a dit beaucoup de mal de Lamartine maintenant après lui en avoir dit le plus grand bien au mois de Mai. Rien sur Paris. Seulement une observation : c'est que le peuple est poli, respectueux, dans les rien pour tout ce qui est au-dessus de lui, & que le bourgeois s'empresse de donner les titres ne parlant aux personnes qui en ont. Ainsi on n’avait jamais appelé Guiche autrement que Monsieur. Maintenant Monsieur le duc. Les classes se dessinent & y ont goût. Serait-il possible que le goût de l’égalité passât en France ? Cela me paraitrait la plus grande des révolutions. On parle beaucoup d’intrigues légitimistes. On craint qu’ils n’agissent trop tôt. Bulwer d'assez mauvaise humeur. Il voudrait Rome. Je lui ai ri au nez [?] mais enfin il me semble évident que si on ne lui donne pas quelque chose et du bon, il fera du mischief contre ceux qui lui refusent. Greville pas grand chose, d’ailleurs nous n'étions pas seuls. Il y avait Montebello qui est charmant mais qui ne remarque pas qu'on causerait plus à son aise sans lui. Comme le tact est une chose rare ! J'ai été à Holland house. Toute sortie de monde. Syracuse, Petrullo. Les Flahaut. Les Jersey. Dumon. Aubland. Beaucoup d’autres. On ne parle que d’Italie. De la médiation. Quel bon article dans la spectateur de Londres de Samedi ! Syracuse prétend que l’expédition est partie de Naples. Reste à voir si les Anglais se seront opposés au débarquement en Sicile. On dit que oui indubitablement Flahaut croit à propos de la médiation que Palmerston n’aura pas songé à prévoir le cas où l’Autriche se refuse rait à ce qu'on va lui demander. D’abord personne ne sait ce qu’on va lui demander. Et puis com ment s'engager sans être d’accord France & Angleterre sur ce qu'on fera au cas de refus ? Cela me paraitrait par trop étourdi. Tout le monde attend un événement à Paris, personne ne croit à du trop gros dans la rue, mais l'Assemblée qu'est-ce qui s’y passera ?
Morny est revenu, il ne dit rien que ce que dit tout le monde. L’Empereur a été reçu avec le plus vif enthousiasme à Vienne. Je répète 40 fois 50 fois par jour, pourquoi n’êtes-vous pas là pour causer de tout. Il y a tant et tant ! On parle de Beaumont. On trouve qu'il manque de mesure, & qu’il est de mauvais goût de montrer du dédain pour la République. Du reste ses manières ne déplaisent pas. Il a fort l’envie d'être poli.
2 heures. Merci de la bonne nouvelle. Le 2 ou 3 Septembre ! Comme je vais attendre cela, & compter les jours, les heures ! Voici une lettre intéressante renvoyez-la moi, je vous prie. Car je n’ai fait que la parcourir. Brignoles proteste officiellement contre l’armistice. Qu’est-ce que cela veut dire ? Le temps va de mal en pire. Aujourd’hui effroyable tempête & des torrents de plus. Hier un froid de Sibérie. Quel climat ! Adieu. Adieu. Je ne sais si je vous ai tout dit. Probablement non. Car il y a trop. Mais pour finir merci, merci de votre retour, n’allez pas changer ! Adieu, adieu.
Alverbank Gosport, the 19th August 1848, John Croker à François Guizot
Richmond, Samedi 19 août 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
1 heure
Hélas, voilà mon fils parti ! J’en ai le cœur bien gros. Il l’a vu, et je crois qu'il en est touché. Il va à Bade, de là à Castelamane, & il veut revenir à Brighton à la fin de Novembre. Je n'ose y compter. Le temps est affeux. Tempête et pluie. Comme c’est triste quand on est triste et seule ! Pierre d’Aremberg m’est resté sur les bras hier pendant cinq heures, c’était long. Ce qu'il m’a dit de plus intéressant est la ferme croyance de son parti que dans trois mois Henri V sera en France, Roi. Nul doute dans son esprit et il est entré dans des détails qui m'ont assez frappée. Ce qui a donné de la valeur à ses propos, c'est que une heure après, j’ai vu Lady Palmerston à Kew, qui me dit avec étonnement qu'ils venaient de recevoir de Paris la confirmation de ce que leur disaient depuis quelques temps les lettres particulières que le parti légitimiste avait gagné énormément de terrain, et qu’il était presque hors de doute que le duc de Bordeaux serait roi, & sous peu. Après l’étonnement venait le plaisir. Evidemment le premier intérêt là est que la France redevienne une Monarchie. Enfin je vous redis Lady Palmerston, me donnant cela comme une nouvelle officielle du moins venant de source officielle. Son mari n’a pas paru du tout au dîner donné à G. de Beaumont. Il était retenu à la Chambre. Beaumont a été fort causant, cherchant à faire deviner qu’il n’était pas républicain du tout, et disant très haut qu'on l’était très peu en France. ça et là, quelques propos très monarchistes. On ne lui a pas trouvé la tournure d'un homme du grand monde. Mais convenable, l’air honnête. Tournure de littérateur. Il a bien mal parlé de Lamartine, Ledru Rollin & & D’Aremberg affirme positivement que la Duchesse d’Orléans a pris l’initiative à Frohedorff et qu’elle a écrit une lettre de sympathie, se référant à ce qu’elle avait toujours éprouvé pour eux, & demandant que dans une infortune commune ou confondue les douleurs, & les espérances, & la conduite. Il affirme.
Lady Palmerston très autrichienne disant que l’affaire est entre les mains de l’Autriche, qu'ils sont les maîtres. Espérant qu’ils se sépareront du milanais mais ne se reconnaissant aucun droit pour ce disposer contre le gré de l’Autriche. Impatiente de recevoir les réponses de Vienne. Inquiète de Naples. Mauvaise affaire pour Gouvernement anglais. Le Danemark, espoir, mais aucune certitude de l’arrangement. Toujours occupée du manifeste [?] qu'on trouve plus bête à [?] qu'on y pense. Voilà je crois tout. Je reçois ce matin une lettre de Lord Aberdeen pleure de chagrin de ce que vous ne venez plus. & puis beaucoup d’humeur des articles dans le Globe où Palmerston lui reproche son intimité avec vous. Comme je n’ai pas ce journal je n’ai pas lu.
J'oubliais que G. de Beaumont annonce une nouvelle bataille le dans les rues de Paris comme certaine. J'oublie aussi qu’il tient beaucoup au petit de avant son nom. Le prince Lichnovsky, (celui de Mad. de Talleyrand) est arrivé à Londres, on y arrive comme pendant à Lord Cowley à Francfort. Nothing more to tell you, excepté, que je trouve le temps bien long, bien triste, et qu’il me semble que vous devriez songer à me marquer le jour de votre retour. Depuis le 31 juillet déjà. C’est bien long ! Adieu. Adieu.
Richmond, Vendredi 18 août 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
Midi
Votre lettre d'avant-hier 16 m’a paru si charmante que je l'ai envoyée à l’Impératrice par courrier aujourd’hui. J'ai là Disraeli & Palmerston. De l’esprit tous les deux. Mais certainement le premier n’a pas voulu attaquer à fond. C’est bien ce que fait ressortir Le Morning Chronicle aujourd’hui. Voici le National d’hier. Bien vif contre la publication des pièces. Montebello a l'Assemblée nationale et me la prête. D'excellents articles. Voici votre lettre d'hier. Vous êtes plus heureux à Lowestoft que nous ici. Il pleut tous les jours & il fait froid. Lord Heatford est revenu de Paris. Kisseleff lui a dit avoir vu une lettre de Cavaignac à un membre du corps diplomatique signée ainsi " Votre affectionné Cavaignac"
Il me déplait beaucoup votre Cromwell. J'ai peur que ce que vous dites ne soit vrai, & qu’il ne se fortifie et ne dure. Cependant l'assemblée est toujours là. Elle serait bien bête de lui laisser les moyens de la chasser elle- même. Je n’ai vu hier personne, je ne sais pas un mot de nouvelles. J’attends Pierre d’Arembeg ce matin, mais après tout il n’aura pas grand chose à me dire. Savez- vous que l'envie me vient de garder mon appartement à Paris, s’il m’est encore temps. Qu’en pensez-vous ? J'aurais tant de peine à avoir autre chose que cela. Et si je vis com ment ne pas croire que j’y pourrai retourner ? Mais quand ? Les journaux français ne sont pas venus encore. Je suis bien curieuse de savoir si les peines seront communiquées. Adieu. Adieu. Adieu.
Mots-clés : Circulation épistolaire, Diplomatie, Histoire (Angleterre), Politique (France), Presse, Procès
Lowestoft, Jeudi 17 août 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
Midi
Je trouve absurde, quand vous vous plaignez d’un temps atroce de ne pouvoir vous envoyer, un peu du beau soleil et de l'air doux que j'ai depuis trois jours. Pourquoi ai-je quelque chose que je ne puis pas vous donner ? N’ayez pas peur de la marée. Je suis plus leste qu’elle et sans grand mérite car au fond, elle est plus vieille que moi. Voici la bonne raison. La pente de la côte est si douce que la mer avance très lentement et qu’on a toujours le temps de s'en aller.
Je n'ai point de journaux français ce matin, à cause de l'Assomption. J’irai dans la matinée lire le Times, au reading room. On trouve dans une petite ville anglaise tout ce qu’il y a dans les grandes. Mais les bains de mer sont ici bien moins civilisés, commodes, et agréables qu’à Trouville. ce qui est charmant ici, c’est le vicarage. J’ai trouvé là un M. Cunningham, qui est venu me chercher au chemin de fer, beau clergyman de 60 ans et homme d’esprit qui a épousé une femme d’esprit, sœur de Mad. Fry. Une très jolie maison, une bonne bibliothèque, et tous les soins imaginables. Il a introduced Guillaume parmi de jeunes garçons qui jouent au cricket. J’ai été hier les voir jouer, et les enfants voulaient absolument avec une courtoisie à la fois très empressée et très shy, me faire aussi jouer au cricket. Mais je vous ai promis de ne rien faire de nouveau et le cricket serait très nouveau pour moi. Décidément, je suis très populaire en Angleterre, partout. Si je l’étais seulement la moitié autant en France on n’y serait pas aussi embarrassé qu'on l’est.
Vos détails sur Kisséleff sont curieux. On a eu raison de le laisser. Rappelez-vous que je vous ai toujours dit qu'il ne restait pas sans ordres, et qu’il resterait. Que le nom de Mad. Danicau ne vous inquiète pas. Il n’y a rien d'où puisse venir le moindre désagrément réel. Dumon m'écrit qu'il lui est revenu que ceux de nos collègues qui sont à Bruxelles voulaient à toute force, rentrer à Paris. C’est insensé, et je ne puis croire à cette folie. Je sais cependant qu'elle a passé un moment par la tête d’Hébert. Dumon m’engage à leur écrire pour les en détourner. Je vais le faire. C’est un grand ennui sans doute que ce procès qui ne finit pas. Mais l’embarras est plus grand pour nos ennemis que l’ennui pour nous. Et toute démarche de notre part leur donnerait un coup de fouet qui pourrait bien les tirer d'embarras à nos dépens. Nous devons attendre et leur laisser tout à décider et à faire. Adieu. Adieu.
Comme c’est long. Adieu. G.
Lowestoft, Jeudi 17 août 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
10 heures
Le temps est superbe. Je viens de me promener au bord de la mer. Mais vous manquez au soleil et à la mer bien plus que la mer et le soleil ne me manqueraient si vous étiez là. D’Hausonville m’écrit très triste quoique point découragé : " A l'heure qu’il est, me dit-il, le pouvoir nouveau est, vis-à-vis de la portion saine de l'Assemblée nationale à peu près dans les mêmes dispositions que l’ancienne commission exécutive. Autant que M. de Lamartine, M. Cavaignac redoute l’ancienne gauche, et comme lui il est prêt à s'allier avec les Montagnards, pour ne pas tomber dans les mains de ce qu'il appelle les Royalistes. Ce dictateur improvisé paie de mine plus que de toute autre chose, et a plus le goût que l’aptitude du pouvoir. Vienne une crise financière trop probable ou la guerre moins impossible depuis les revers des Italiens, et la république rouge n’aura pas perdu toutes ses chances. " Il veut écrire sur la politique étrangère passée. Il me dit que c’est à son excitation que son beau frère a écrit dans la revue des Deux Mondes, sur la diplomatie du gouvernement provisoire, l’article dont vous m’avez parlé. " Les documents diplomatiques insérés, dans la Revue rétrospective me serviront dit-il de point de départ pour venger, pièces en mains, cette diplomatie du gouvernement de Juillet, si étrangement défigurée. Je voudrais finir par indiquer quelle doit être dans cette crise terrible, l’attitude de ceux qui ont pensé ce que nous avons pensé, et fait ce que nous avons fait, si vous croyez utile de m'esquisser ce plan, je recevrai vos conseils avec reconnaissance et j’en ferai profiter notre pauvre parti resté, sans chef et sans boussole dans ce temps, si gros et si obscur." Ceci m'explique un peu Barante.
Évidemment l’envie de rentrer en scène vient à mes amis. J'ai aussi des nouvelles de Duchâtel, d’Écosse où il se promène charmé du pays. Je vous supprime l’Écosse. Voici ce qu’il me dit de la France : " Il me semble que, dans le peu qu’elle fait de bon, la République copie platement et gauchement la politique des premières années de la révolution de 1830." Quel spectacle donne la France.
On m’écrit de chez moi que les élections municipales ont été excellentes. Les résultats sont beaucoup meilleurs que de notre temps. Le député actuel de mon arrondissement, qui faisait toujours partie du conseil municipal n'a pas pu être élu cette fois.
Une heure
Votre lettre est venue au moment où j’allais déjeuner. J'espère que celle de demain me dira que votre frisson n’a pas continué. La phrase du National ne me paraît indiquer rien de particulier pour moi. Il insiste seulement sur le danger pour la République d’un débat qui mettra en scène le dernier ministre de la Monarchie qui n’a fait, après tout, que combattre ces mêmes auteurs de la révolution qu'on demande aujourd’hui à la république de condamner. Je comprends que ce débat, leur pèse. S'il y a un peu d’énergie dans le parti modéré, il faudra bien que le National et ses amis le subissent. Mais je doute de l’énergie. Tout le mal vient en France de la pusillanimité des honnêtes gens. S'ils osaient, deux jours seulement, parler et agir comme ils pensent, ils se délivreraient du cauchemar qui les oppresse. Mais ce cauchemar les paralyse, comme dans les mauvais rêves.
La lettre de Hügel est bien sombre, et je crois bien vraie. Je vous la rapporterai avec celle de Bulwer à moins que vous ne le vouliez plutôt. Je vois que Koenigsberg le parti unitaire a pris le dessus. Parti incapable de réussir, mais très capable d'empêcher que la réaction ne réussisse. La folie ne peut rien pour elle-même ; mais elle peut beaucoup contre le bon sens. Pour longtemps du moins. Que dites-vous du Général Cavaignac parcourant les Palais de Paris le Luxembourg, l’Élysée & pour voir comment on en peut faire des casernes et des postes militaires. On voulait nous prendre pour les forts détachés, dont le canon n'atteint pas Paris. Aujourd’hui, on met les forts détachés dans les rues. Ce qui me frappe, c’est que Cavaignac et les siens ont l’air de régler cela comme un régime permanent. C'est de l'avenir qu’ils s’occupent. Ils sont convaincus que, si on ôte au malade sa camisole de force, il jettera son médecin par la fenêtre. Et le gouvernement ne consiste plus pour eux qu’à prendre des mesures pour n'être pas jetés par la fenêtre. Adieu.
J’attendrai la lettre de demain un peu plus impatiemment. Je travaille. Que de choses je voudrais faire ! Adieu. Adieu. G.
J’avais donc bien raison hier de croire que la chance du Roi de Naples en Sicile pourrait bien valoir mieux que celle du Duc de Gènes.
Mots-clés : Circulation épistolaire, Diplomatie, Elections (France), Eloignement, Manque, Politique, Politique (Autriche), Politique (France), Politique (Italie), Politique (Normandie), Politique (Œuvre), Presse, Réception (Guizot), Relation François-Dorothée, République, Révolution, Travail intellectuel
Richmond, Jeudi 17 août 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
Une charmante lettre. Celle d'hier si charmante et élevée que je veux l'envoyer demain à l’Impératrice, telle quelle, par courrier. C'est le jeune Stakelberg qui est à Paris, & voici l’histoire. Il a été l’automne dernier à Alger. Il a fait un rapport qui a fort intéressé chez nous à la suite de cela on l’a nommé agent militaire à Paris, avant la révolution, ainsi auprès de vous. Quinze jours après, arrive la République, il n’a pas été révoqué, & réside maintenant à Paris dans cette capacité. Voici maintenant l’histoire de Kisseleff. Il a reçu l’ordre formel de quitter lui et toute l’ambassade. Il ne devait plus rester à Paris que Speis le consul général & Tolstoy qu’on attachait pour la forme au Consulat. Cet ordre de départ était signé par l’Empereur lui même il portait la date du 10 Mars. A l’époque où il parvient à Kisseleff, les révolutions de Vienne & de Berlin avaient eu lieu, & changeaient visiblement notre situation, puisqu'au lieu de nous tenir serrés avec nos alliés Autriche & Prusse comme nous le voulions & le désirions, nous restions absolument seuls. Kisseleff a représenté que, selon lui, cela modifiait tellement notre situation, qu'il regardait comme un devoir d’attendre, d’autant plus qu’entre les préparatifs de départ, les soucis à donner aux Russes, le bon effet que pourrait avoir encore sa première pour empêcher une trop vive explosion pour la Pologne. Il devait s’écouler peut- être 18 ou 20 jours. Que de nouveaux ordres pourraient lui arriver en conséquences de ces observations et qu’il attendrait jusqu'à une certaine date. Coup pour coup, il reçoit approbations de sa conduite & l’ordre de rester comme par le passé, mais en se dépouillant de son titre. Tout ceci m’a été conté hier par Tolstoy c’est fort bien expliqué et nous avons eu raison, & Kisseleff avait eu du courage. Tolstoy dit comme tout le monde qu'on veut la monarchie qu’on déteste la république. Mais voici la drôlerie, il y a une république et pas de républicains et on veut une monarchie seulement il manque un roi. Où le prendre ? Personne ne le dit.
Combien de choses nous aurions à nous dire ! J'ai un chagrin aujourd’hui. La Revue rétrospective nomme l’affaire de Mad. Danicau Philidor. Le nom y est. Evidemment on tient davantage car voici un renvoi.
Cette note si elle est étrangère à l’affaire, Petit ne l’est pas comme on le verra par son post-scriptum au trafic de places, et prouve que sous ce rapport il y avait résistance de la part de M. Lacave Laplagne à laisser faire de M. Guizot.
Adieu. Adieu.
Le temps ne s’arrange pas. Il est atroce, on a bien de la peine à ne pas être malade. Quand vous vous promenez prenez garde à la marée, ne vous laissez pas surprendre pas elle. J'ai peur de tout quand vous n'êtes pas sous mes yeux. Hier Lord Palmerston a donné à dîner à M. Beaumont. Les convives les Granville, les Shelburn, les Holland, les Janlyce, Henry Granville very well, mais dans tout cela le maitre de la maison aura manqué car à la longueur de la séance hier il est impossible qu'il ait dîné. Je n’ai pas lu encore la discussion. On la dit très curieuse. Je ne sais pas d’une manière positive si Naples a fait faire une déclaration. Mais ce que je sais pour sûr c’est qu’on a conseillé au roi de tenter l’expédition pour mettre la flotte Anglaise au défi de s'y opposer. A propos de Kisseleff, j'oubliais de vous dire que Normanby l'a mis en contact avec Cavaignac, & qu'il va quelques fois chez lui. Toujours très bien reçu ; mais privatly.
Richmond, Mercredi 16 août 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
Voici votre lettre d'hier. Bonne. J’ai un autre plaisir encore aujourd’hui, c’est que mon fils qui devait parler ce matin reste jusqu’à Samedi. Ces trois jours de plus me font tant de joie. Je ne suis pas gâtée et mon cœur est reconnaissant de tout. Montebello est allé hier à Claremont. [?] venait d'arriver.
Mauvaises nouvelles de Paris. On va porter de suite devant l'Assemblée la question de la fortune du Roi. Père et enfants tout sera décidé selon le bon plaisir de Cavaignac qui est fort hostile. Il y aura des pensions rien de plus. Voyons l’enquête. Voyons la Constitution. Tout cela va venir coup sur coup. Mais l’enquête surtout comment cela ira-t-il ? Il est évident que cela contrarie bien le National. A propos voici l’article dont je vous parlais hier. Voici aussi la lettre de Hugel. Je suis étonnée qu'on sache si peu ce qui s’est passé diplomatiquement en Italie depuis la prise de Milan. Il y a des gens que commencent à douter de l'armistice. Cependant c'était bien le gouvernement français qui envoyait ici cette nouvelle par télégraphe Savez-vous que le Prince Petrullo est venu ici député par le parti réactionnaire en Sicile, expliquer à Lord Palmerston que les Siciliens ne veulent pas de séparation avec Naples. Palmerston a écouté. Petrullo est appuyé de beaucoup de grands noms en Sicile. Je n’ai pas vu encore Pierre d'Aremberg. Je sais qu'on l'a bien reçu à Claremont mais qu’il n'a rien dit qui ressemble au duc de Noailles.
J'ai été assez souffrante hier. Prise d’un frisson désagréable. Question d’estomac. Le temps est trop abominable. Un brouillard épais permanent depuis 3 jours ! Adieu. Adieu. Mon fils a dîné avant-hier avec Syracuse Petrullo & Calonna. Syracuse ultra conservateur. Adieu encore.
La Chapelle Saint-Eloi, ce 16 août 1848, Amélie Lenormant à François Guizot
Lowestoft, Mardi 15 août 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
Une heure
Longue lettre. Par conséquent bonne. Bonne pour elle-même, et comme symptôme. Vous n'écrivez pas longuement quand vous êtes souffrante. Soyez tranquille ; le mauvais temps, s’il s’établissait ne prolongerait pas mon séjour ici. Plutôt le contraire. Une vraie tempête cette nuit. Un bâtiment s’est perdu sur la côte. On a sauvé l'équipage. Le soleil se lève et le vent tombe ce matin. L’air de la mer me réussit. J’ai un appétit rare pour moi. A chaque instant, ceci me rappelle Trouville, l’été dernier. C’était bien joli. J'ai bien eu envie de vous garder un peu rancune de votre mauvaise humeur en arrivant au Val Richer. Mais je n'en ai rien fait. Quand retrouverai-je Trouville au lieu de Lowestoft ?
Si votre Empereur est en si bonne disposition pour la République et la reconnaît, rien ne vous empêchera de la reconnaître aussi quand elle aura renoncé à me faire un procès. Quel dommage d'avoir la langue liée ! Jamais il n’y a eu un meilleur moment pour parler au nom de la bonne politique. La mauvaise tourne si piteusement. Je commence à ne plus comprendre pourquoi ni comment on donnerait la Lombardie à Charles-Albert. Après ce qui s’est passé à Milan, ce ne serait pas même un mariage de raison. Le divorce viendrait bientôt. Deux Toscanes, comme dit le Roi, ou la Toscane doublée, comme vous dites aujourd’hui. Quoiqu'on fasse, il y aura au bout de tout ceci, un mort, l’unité italienne et un bien malade, le Roi Charles-Albert. Et un autre qui aura bien de la peine à ressusciter quoique vainqueur, l’Autriche. Pour que l’ordre se rétablisse réellement en Italie, il faut qu’il se rétablisse en France, en Allemagne, partout. A chaque nouvelle crise la question devient de plus en plus générale et unique, et toute l’Europe solidaire. Je suis de votre avis sur l’unité allemande. C’est la plus chimérique, et la plus folle de toutes. Elle ne s’établira pas. Mais la fermentation allemande durera longtemps, plus longtemps que les autres. (On veut faire à Francfort une nation et on ne veut détrôner pas un de tant de souverains.) On prétend à l'unité, et on ne veut sacrifier aucune indépendance. Il y a dans ce double dessein une inépuisable anarchie. Mais l’Allemagne ne se lassera pas tout de suite de cette anarchie. Elle y est moins pesante. et moins ruineuse qu'ailleurs précisément à cause de tous ces petits états qui après tout, au milieu de ce chaos, se gouvernent à peu près comme auparavant.
Je lirai ce soir le Prince de Linange. Je suis un peu curieux de ce qu'en dira le spectateur de Londres. Il a d’illustres souscripteurs qu’il voudra peut-être ménager. Ce dont je suis bien plus curieux, c’est de la bataille dans l’Assemblée nationale à propos du rapport de la Commission d’enquête. Si ce débat a lieu, et je ne comprends guère aujourd’hui comment il n'aurait pas lieu, ce sera à coup sûr un événement, le début d’une situation nouvelle. A moins que la mollesse des hommes n’annule les résultats naturels de la situation. Nous voyons cela, souvent.
J’aime mieux que vous restiez à Richmond. Et je crois qu’à l’épreuve vous l’aimerez mieux aussi. Vous vous feriez difficilement à Tunbridge des commencements d'habitudes. Je ne comprends pas ce que Barante peut écrire, ni qu’il écrive. Je n’ai pas de ses nouvelles depuis longtemps. A la vérité je lui dois une réponse. Je doute qu’il écrive rien qui fasse beaucoup d'effet. Son esprit ne va guère à l'état actuel des esprits. Je vais demander ce qu’a écrit Albert de Broglie sur la diplomatie de la République. Adieu. Adieu.
Je vais me promener au bord de la mer. Seul. J’ai toujours aimé la promenade solitaire, faute de mieux. Je n’ai rien de France. Adieu. Adieu. G. J’oubliais de vous dire que je trouve très bonne la dépêche de M. de Nesselrode sur les Affaires de Valachie. Conduite et langage.
Richmond, [Mardi 15] août 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
Longue lettre de Constantin. Francfort défère à la Prusse, l’arrangement avec le Danemark mais il le fait avec des restrictions et des détails qui rendent l’œuvre difficile. Le Roi et l’archiduc se rencontrent aujourd’hui à Cologne. Le Roi étant chez lui cèdera le pas à l’archiduc. On ne se promet à Berlin rien de bon de l’entrevue. Le Comte Ernest Stakelberg que vous avez souvent vu chez moi est à Paris & a été chez Cavaignac. Très bien accueillie par lui. Qu’est-ce que cela veut dire je n'en sais rien. Mais évidemment nous nous rapprochons. Il est clair que si la France pense comme nous et l'Angleterre : sur le Danemark nous devons être être bien avec elle pour agir moralement avec elle. Que veut dire le paragraphe dans le National ou il est question du dernier ministre de la monarchie. Comment seriez-vous dans l’enquête ? Cette enquête va être une bien grosse affaire. Le parti de la rue de Poitiers semble bien déterminée à tout savoir. La Montagne se joint à ce parti là, car Louis Blanc & Caussidière aiment mieux avoir des camarades que rester seuls. Deux heures. Votre lettre d’hier m’arrive à l'instant ; Pas de réponse car elle ne me fournit rien. Votre rhume passe, j'en suis bien aise. N’allez pas imaginer de vous baigner dans la mer ; à nos âges cela est mauvais. Je vous prie ne faites rien de nouveau. Le Tolstoy de Paris est arrivé à Londres & me l’annonce. Je le verrai ici. Il sera assez mieux à entendre. Adieu. Adieu.
Voilà que le National m’est enlevé. Je découperai demain l’article dont je vous parle. Adieu. J’ai aussi une longue lettre de Hugel de Houzard vous l’aurez demain, je l'ai à peine lue. Adieu. Adieu.
Richmond, Lundi 14 août 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
Midi
J’ai vu hier Lord Palmerston à Holland House. Il ne savait pas si l’armistice était ou non une conséquence de la médiation commune. Les courriers n’étant partis de Paris que Mardi dernier. Il me parait que ce n’est pas eux qui ont pu décider. On bavardait beaucoup là hier. La Lombardie à la Toscane. Voilà l’idée générale, dans tout cela voyons le dernier mot de l'Autriche. L’article du Moniteur est fort important. Évidemment chez vous on veut la paix, et on compte encore sur notre bon vouloir pour la république. L'Allemagne fait le plus gros, des embarras. Kielmannsegge me disait encore hier que les têtes y sont tout-à-fait renversées. Vous voyez que la France aussi se mêle d’arranger l'affaire des Duchés. L’entente entre Paris et Londres embrasse sans doute toutes les questions en litige. Le Manifeste du Prince de Linange serait bien plus critiqué s’il ne serait pas du frère de la Reine. Mais avec cela même, on en parle avec grande désapprobation. Je n’ai rien lu de plus fou & de plus bête. On dit que Strockmer la croit, c’est impossible. Il a plus d'esprit que cela.
Voilà de la pluie à verse. Quel climat, quelle tristesse. Comment iront les bains de mer avec cette pluie ? Et puis vous viendrez me dire qu'on n’a pas pu prendre les bains, qu'il faut donc prolonger. Je n’accepterai pas cela. Voilà votre lettre. Seul plaisir, seule ressource. Mais quand viendra le temps où nous ne songerons plus aux ressources ?
J'ai rencontré hier Dumon aussi à Holland house. Il songe beaucoup à s’établir à Brighton le mois prochain pour la mauvaise saison. Aggy va un peu mieux. Elle m’a écrit elle même. Je ne donne pas encore de rendez-vous à Pierre d’Aremberg car je n'ai rien décidé sur Tunbridge. J'attends toujours pour un appartement. Adieu, adieu. Comme c’est long.
Voici mes réponses de Tunbridge Wells. Pas d'appartement du tout. Tout est pris. Je reste donc ici. Cela va faire plaisir à Montebello, il est bien accoutumé à mon bavardage.
Lowestoft, Lundi 14 août 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
Midi
Un blank day est encore plus mauvais en réalité qu’en perspective. C’est du reste mon impression sur toutes choses. J’ai toujours trouvé le bien et le mal plus grands dans la réalité que dans l’attente. Comme je trouve les vérités de la vie bien supérieures aux inventions des romans. Pour me consoler, il pleut, et je n’ai pas plus de journaux de Paris que de lettres de vous. Je pense à vous et je lis. Je remplirai ainsi ma journée. Demain vaudra mieux.
Je ne connais personne ici, sauf la famille du Chief justice baron Alderson et un M. Manners Sulton, fils de Lord Canterbury. Mais tout le monde me reçoit avec une grande bienveillance. Le peuple en Angleterre sait mon nom. Et il sait aussi que je suis ami de l'Angleterre. Partout, il me traite en amis. Je jouis de cette impression. Ne trouvez-vous pas que le Général Cavaignac en répétant sans cesse à l’Assemblée nationale qu'elle est seule souveraine, et qu’il n’est que son humble agent, lui met bien continuellement le marché à la main ? Il le peut, mais il me semble qu’il en abuse. Je crois beaucoup au pouvoir d'un caractère droit et digne. Pourtant il y a une certaine mesure d’esprit dont cela, ne dispense pas. Vous revient-il quelque chose d’une intrigue Girardin, Lamartine et Marrast que dénonce mon journal l'Assemblée nationale? Certainement les deux premiers sont des hommes qui n’ont pas renoncé à s’approprier la République. Ils n'y réussiront pas, mais ils la manieront et remanieront assez pour ajouter leur propre discrédit au sien.
J’attends impatiemment des nouvelles d'Italie. Et en attendant, je n’ai rien de plus à vous dire. Si vous étiez là, je ne tarirais pas. Adieu. Adieu. Mon éternuement s’en va un peu. Adieu. G.
Richmond, Dimanche 13 août 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
J'écris quoique ma lettre ne parte que demain. J’ai vu lord John hier. Ses nouvelles étaient, que le Roi de Sardaigne allait abdiquer : c'était le bruit de Turin le 7. Il a couru de vrais dangers à Milan. On voulait le brûler vif ou le massacrer. C’est par miracle & par ruse qu'il a échappé. On a tiré plusieurs fois sur le duc de Gènes. Lord John me semble plutôt applaudir à Radetsky que regretter ses succès. Il convient que la médiation est venue tard, puisque les Autrichiens sont rentrés chez eux il a l’air de trouver qui cela finit cette partie de l’affaire. L’archiduc Jean et Wessemberg ont dit que l’Autriche s'en tenait à ses premières offres l’Adige. Mais cela le disait avant les véritables succès. Il est douteux que cela lui suffise maintenant ; de plus Radetzky pourrait bien faire comme le général Wrangel, l’indépendant. John s’inquiète de ce que les Autrichiens sont entrés dans le Bolonais, cela, dit-il, peut compliquer de nouveau l’affaire. Quant au Piémont il se croit sur qu'ils n’y entreront pas. Le duc de Gènes n’a encore ni refusé ni accepté la Sicile. Gustave de Beaumont sera reçu par la reine Mardi à Londres. Il est Ministre. Normanby aura des lettres d’ambassadeurs spécial. Beaumont plait assez à lord John. Bunden revient ici. [?] s’en alla comme il était venu, ministre de Prusse. Le Manifeste du Prince de Linange est incroyable. Lord John n’en revient pas. Non plus que de l'incroyable confusion où se trouve toute cette Allemagne. Je ne suis pas de votre avis, je crois moi que l’Allemagne croule aussi, je veux dire l'unité. Vous voyez que personne n'en veut. C'est une fantasmagorie. Ici on y est plus opposé qu'à quoi que ce soit. Vous trouverez le Prince de Linange dans le Times d’hier. Saint-Aulaire m'écrit que Barante va publier un écrit qu'il a fait sur les circonstances actuelles. Je suis étonnée. Broglie est retenu dans son château par un gros accès de goutte. Albert a publié dans la Revue des deux mondes un article sur la diplomatie de la république. L'élection de Molé à Bordeaux est certaine. Voilà Saint Aulaire.
Lowestoft, Dimanche 13 août 1848, François Guizot à Dorothée de Lieven
Une heure
Certainement, je suis triste. Je vous ai dit mille fois que, sans vous, j'étais seul. Et la solitude, c’est la tristesse. Je la supporte mais je n’en sors pas. Les Anglais n’y sont pour rien. Dans la belle Italie, je ne serais pas autrement. Peut-être l'Italie me dispenserait-elle d’un rhume de cerveau qui me prend, me quitte et me reprend sans cesse depuis quatre jours. Je me suis déjà interrompu deux fois en vous écrivant pour éternuer trente fois. J’espère que la mer, m'en guérira. La mer n’est pas humide. Décidément, en ceci, je ne suis pas comme vous. J’aime la mer devant moi. Elle ne m’attriste pas. Elle est très belle ici. Et cette petite ville est propre, comme un gentleman. Mes enfants commencent à se baigner demain. Aurez-vous quelqu’un à Tunbridge Wells ? Je ne vous veux pas la solitude, par dessus la tristesse. Il me semble qu’à Richmond lord John, Montebello et quelques visites de Londres ou à Londres sont des ressources que vous n'aurez pas ailleurs. Il est vrai que j’entends dire à tout le monde que Tunbridge est charmant. C’est quelque chose qu’un nouveau lieu charmant, pour quelques jours.
Il me revient de Paris qu'on n’y croit pas plus que vous au succès de la médiation. Ce n'est pas mon instinct. Si la situation actuelle pouvait se prolonger sans solution, je croirais volontiers que la médiation échouera. Elle vient, comme vous dîtes, plus qu'après dîner. Mais je ne me figure pas que l’Autriche se rétablisse purement et simplement en Lombardie et Charles Albert à Turin. Les Italiens conspireront, se soulèveront, la République sera proclamé quelque part. La République française sera forcée d’intervenir. C’est là surtout ce qu’on veut éviter par la médiation. Il faut donc que la médiation aboutisse à quelque chose, que la question paraisse résolue. Elle ne le sera pas. Mais à Paris et à Londres on a besoin de pouvoir dire qu'elle l’est. Pour sortir du mauvais pas où l'on s'est engagé. Tout cela tournera contre la République de Paris mais plus tard. On m'écrit que ces jours derniers le général Bedeau, dans des accès de délire criait sans cesse. "Je n’avais pas d’ordres! Je n'avais pas d’ordres." Vous vous rappelez que c’est lui qui devait protéger et qui n’a pas protégé la Chambre le 22 février.
Je suis bien aise que Pierre d'Aremberg soit allé à Claremont. Tout le travail en ce sens ne peut avoir que de vous effets soit qu'il réussisse ou ne réussisse pas. Quand on était à Paris, en avait assez d'humeur contre Pierre d’Aremberg qu'on ne voyait pas. Je suppose qu'on aura été bien aise de le voir à Claremont. A Claremont on est d’avis que la meilleure solution de la question Italienne, c'est de maintenir l’unité du royaume Lombardo-Vénitien en lui donnant pour roi indépendant un archiduc de Toscane. Idée simple et qui vient à tout le monde. Je la crois peu pratique. Un petit souverain de plus en Italie, et un petit souverain hors d’état de s'affranchir des Autrichiens, et de se défendre des Italiens. Ce serait un entracte, et non un dénouement. Je doute que personne veuille se contenter d’un entracte. Adieu. Adieu.
C’est bien vrai, les blank days sont détestables. Demain sera le mien. Votre lettre de Vendredi m'est arrivée hier, à 10 heures et demie du soir. Je venais de me coucher. Je m'endormais. On a eu l’esprit de me réveiller. Je me suis rendormi mieux. Je viens de recevoir celle d’hier samedi. Adieu. Adieu. Adieu. G.
Mots-clés : Conditions matérielles de la correspondance, Diplomatie (France-Angleterre), Discours du for intérieur, Eloignement, Politique (Autriche), Politique (Internationale), Relation François-Dorothée, République, Réseau social et politique, Révolution, Santé (François), Tristesse, VIe quotidienne (Dorothée)
Richmond, Samedi 12 août 1848, Dorothée de Lieven à François Guizot
2 heures
Votre lettre est très curieuse. Toutes vos observations justes et tristes. Je vous trouve triste en général depuis votre départ. L’air anglais est lourd, les Anglais sont lourds aussi et quand on reste quelque temps sans autre frottement, on finit un peu par la mélancolie. Je sais cela parfaitement par mon expérience. Quelle grande affaire que Milan. Quel dénouement pour Charles Albert. Quelle juste punition ! Je ne conçois plus ce que peut devenir la médiation, certaine ment les Autrichiens n’entreront pas en Piémont. Chacun étant chez soi, qui s'agit-il de concilier ? C’est certainement plus moutarde que quoi que ce soit qu’on ait jamais vu. Que votre lettre anonyme est drôle ! Elle ira à Peterhoff. A propos j’ai encore des nouvelles d'Hélène. Tous les fléaux accablent la Russie. Le choléra dans toutes les provinces. La disette, les sauterelles par dessus le marché. L’Empereur fort triste. Pierre d’Aremberg est à Londres, il est venu me voir hier, j’étais sortie, il m'a laissé un mot que je copie. " Le bilieux Cavaignac est un homme qui voudrait et qui croit à la possibilité d'une république raisonnable. Ce sont de semblables croyances dont le temps fait justice. Encore un peu de temps et la république aura tout ce qu’elle voudrait même de l’influence politique sur l’Angleterre, mais ce qui lui manquera ce sera l’argent et les républicains. J’ai visité l’Allemagne et j’ai quitté Paris avant hier. Je suis fâchée de ne pas pouvoir vous faire le récit de ma visite hier à Claremont. " Comment trouvez-vous Pierre d’Aremberg à Claremont ? Il est clair que le travail du Duc de Noailles est devenu comme à beaucoup de monde.
Je pense à aller à Tumbridge Wells, je n'en suis pas tout-à-fait sûre encore, mais j’y ai écrit pour un logement. Mon fils part mardi. Mauvais jour demain, je n’aurai point de lettres. Ce sera votre tour lundi, c'est bien ennuyeux car blank days. Il n'en faudrait pas entre nous ce qu'il ne faudrait pas surtout c’est l'absence, la séparation. Very unwholesome for both. Adieu. Adieu.