Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Au château de Broglie, Jeudi 20 oct. 1853

Je viens d’en lire bien long, la lettre de M. Xavier Raymond, et le manifeste de Raschid Pacha. C'est bien du bruit. Jamais les hommes ne font plus de bruit que lorsqu’ils n'ont pas envie de faire autre chose. Quand on regarde au fond et de ce manifeste et de toutes les pièces de cette affaire depuis l'origine, on trouve le bruit bien ridicule, car au fond, il n’y a rien. Vous demandez qu’on vous redonne ce que vous avez. On refuse de vous le redonner, mais on reconnaît que vous l'avez. Voilà pourquoi on vous déclare la guerre. Vous dites que vous ne l'acceptez pas, et vous avez raison, et je crois qu’on ne vous la fera pas. Pourtant, il y a là un grand secret un secret de Dieu. A-t-il décidé que le moment de la mort de la Turquie est venue, et par conséquent le moment du remaniement, c'est-à-dire du bouleversement territorial de l'Europe au sujet de l'héritage ? C'est possible ; et moins je vois de motifs assignables, de motifs humains à la guerre, plus j'ai peur quelquefois, qu’il n’y ait là une volonté divine, et que ce ne soit bien lui même qui pousse à la guerre, les hommes qui n'en veulent pas. Nous verrons bien.
En attendant, je cause ici, de cela et de tout. J’irai après demain passer 24 heures au Val Richer pour dire adieu à ma fille Pauline qui en par lundi pour le midi. Je reviendrai, après son départ, passer encore ici la semaine prochaine, et je retournerai au Val Richer, le samedi 29 pour le quitter définitivement le 15 ou 16 Novembre. C'est bien des courses, et mon Cromwell, qui touche à sa fin, en est un peu dérangé. Je serais fâché quand j'aurai fini ; c'était une société dans ma solitude, et un but dans mon oisiveté. Il faudra que je m'en fasse un autre.

9 heures
On m’apporte votre lettre, et le duc de Broglie m'en envoie une du Prince de Joinville qui est en effet très inquiet pour la Reine sa mère. La pleurésie allait mieux ; mais le matin même, une inflammation d’entrailles venait de se déclarer et paraissait grave. On attendait le Duc de Nemours qui venait de Vienne avec sa soeur la Princesse Clémentine. Le duc d'Aumale est en Savoie. Ils ont évité de se trouver tous réunis à Genève, de peur de quelque ennui politique. Je crains beaucoup pour la Reine ; elle est prête, fatiguée ; elle a 71 ans. Il y a de bon médecin à Genève. Ecrivez-moi demain à Broglie. Je n'en partirai samedi qu'après déjeuner. Mais dimanche, je vous prie de m'écrire au Val Richer. J'y passerai toute la journée de lundi. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
250 Du Val Richer, mardi 20 août 1839 6 heures et demie.

Quand nous sommes ensemble je veux bien vous parler de vous-même, vous reprocher vos défauts, vous quereller. De loin, non. tout est si sec de loin, si absolu ! Il ne faut se dire de loin que de bonnes et douces paroles. Il n'y a pas moyen de donner aux autres leur vrai sens et qui sait à quel moment elles arrivent ? Toutes les fois que je me suis laissé aller à vous gronder de loin, j’y ai eu regret. Quand vous voudrez que je vous gâte, allez vous en. Je ne serai tranquille à présent que lorsque je vous saurai quelqu'un pour vous ramener. J’aimerais mieux Mlle Henriette que tout autre. Quel âge a-t-elle ? Est-elle d’une bonne santé ? Je demande tout cela pour chercher à me persuader qu'elle ira vous rejoindre.
Je suis quant à l'Orient, dans une disposition désagréable. Je suis convaincu que si la question ne s’arrange pas, c’est-à-dire ne s’ajourne pas, c'est bêtise, inaction, défaut de savoir dire et faire. Mettez quatre hommes d’esprit en Europe, à Pétersbourg, à Vienne, à Paris et à Londres, avec celui qui est à Alexandrie Faites que ces quatre hommes d’esprit voient l'affaire comme elle est réellement et se voient eux-mêmes comme ils sont réellement, il est impossible qu’ils ne prennent pas le parti, gardant chacun sa position, réservant chacun son avenir, d'agir au fond de concert. Nous avons tous un intérêt dominant, le même, et auquel longtemps encore tous les autres doivent être subordonnés. Vous Europe orientale, qui n’avez point fait de révolutions votre intérêt dominant est qu'elles ne commencent pas. Nous, Europe occidentale, qui en avons fait notre intérêt dominant est qu'elle ne recommencent pas. Nous avons tous à nous reposer, et à nous affermir, vous dans votre ancienne situation, nous dans notre nouvelle. Et territorialement, le fait est le même.
Vous avez gagné en 1815 ; nous ne demandons rien. Nous avons accepté et maintenu en 1830, à la sueur de notre front le statu quo que vous aviez acheté, contre nous en 1815, de tant de votre sang. Le moment est-il venu de le remettre en question ? Et si l'affaire d'Orient ne s’ajourne pas, il sera remis en question, et bien autre chose avec. De quoi s’agit-il au fait ? D'imposer à la Porte l’indépendance réelle du Pacha, au Pacha la paix stable avec la Porte et d'attendre. Si on se met d'accord sur ce but, on y arrivera infailliblement à quelles conditions ? Qui en aura l'honneur? Qui restera à Constantinople avec le plus d'influence ? Qui en aura à Alexandrie ? Questions secondaires, très secondaires, quelque grandes qu'elles soient.
Il faut avoir une idée simple et la placer bien haut au dessus de toutes les autres. On ne se dirige que vers un fanal très élevé et on ne marche réellement que quand on se dirige, vers un but. La révolution française à eu une idée simple ; elle a voulu se faire. La Ste alliance a eu une idée simple ; elle n’a pas voulu de révolution. L’une et l'autre a réussi : réussi quinze ans, vingt ans, comme on réussit en ce monde ; réussi pour son compte et dans ses limites, le seul succès qu’on puisse sensément prétendre. La folie de la révolution française était de vouloir se faire partout. La folie de la Ste Alliance était de vouloir empêcher la révolution française de s'accomplir. L’une et l’autre a échoué dans sa folie et réussi dans sa propre et vraie cause. La leçon est claire car elle est complète, aujourd'hui encore, pour je ne sais combien de temps, l’idée simple de l’Europe doit être la paix. Et si la paix est troublée à cause de l'Orient, ce ne sera pas à causé de l'Orient, mais à cause de la bêtise de l’occident et de l'orient chrétien. Il y a une chose dont je ne me corrigerai jamais, c’est de croire que, quand on a raison on peut réussir.
Mon honnête Washington, qui avait plus d’esprit que bien des coquins, ne se faisait aucune illusion sur les sottises de ses concitoyens ; mais je trouve à chaque pas dans ses lettres cette phrase. I cannot but hope and believe that the good sense of the people will ultimately get the better of their prejudices. Aux mots the people j'ajoute les mots and the governments, et je dis comme Washington. Je me donne pourtant deux sottises à surmonter au lieu d’une.

9 h. 1/2
J’attends chaque matin votre lettre avec bien plus que de l’impatience. Quand n'en attendrai-je plus ? Quand serons-nous réunis ? Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
260 Du Val-Richer, Samedi 31 août 1839 6 heures

Mes nouveaux hôtes me sont arrivés hier. Je les quitterai Lundi matin pour aller dîner à Evreux. De là, je puis faire, dans la journée de mardi ce que vous préférerez, aller vous retrouver à Paris au à Rouen. Mais il faudrait que vous fussiez mardi à Rouen. Voyez ce qui vous convient décidément et dites-le moi en réponse à cette lettre. Je prendrai la vôtre Lundi matin en passant à Lisieux. Si vous préférez Rouen, dites-moi où vous descendrez, car nous pourrions passer plus d’une heure à nous chercher dans cette grande et obscure ville. Il y a sur le port un grand hôtel, fort accrédité qui s’appelle je crois hôtel de France ou de l’Europe. Vous pourriez y descendre. Nous irions de là à Dieppe. Si vous restez à Paris, je serai à La Terrasse mardi dans la journée. Je ne sais pas bien à quelle heure. Il fait très beau depuis deux jours. Paris ou Rouen, je prie pour le soleil. Vous en avez besoin et j'y prends plaisir.
J’entends bien que vous ne voudrez pas la paix à tout prix. Mais il faudrait que vous voulussiez la guerre à tout prix pour qu'elle arrivât. Vous en êtes loin. Je persiste donc, grâce à Dieu. Pourtant Dieu en sait plus que nous et s’il lui plaisait de brouiller, les choses à un certain point, toute notre bonne volonté ne les débrouillerait pas. Ce n'est ni la prévoyance, ni le désir des hommes qui réglera cet avenir-là. C’est le sort commun de l'avenir. On peut y être prêt, et c'est le comble de la sagesse humaine. On ne le fait guère.

9 h. 1/2
Vous voyez que je suis à votre disposition pour Rouen ou pour Paris. Tout à fait à votre disposition. Décidez comme vous préféreriez. Il m’est tout aussi aisé tout aussi agréable d’aller mardi d’Evreux à Rouen que d’Evreux à Paris. Pensez de plus que je n'arriverai à Paris que mardi dans la journée et qu’il m'est impossible de n’y pas rester 48 heures. Enfin, as you please. Pour moi, Rouen et Dieppe me plaisent. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
259 Du Val-Richer, vendredi 29 août 1839, 7 heures

Raisonnablement, j’aime mieux que vous restiez à Paris. Cela est plus commode. Je regretterai pourtant la solitude de Dieppe. Il n'y a pas moyen d'accorder tous ses désirs. Mon projet est d’aller dîner lundi à Evreux avec le Duc de Broglie. J'en repartirai dans la nuit et je serai à Paris mardi matin. J'espère que cela ne contrariera pas vos arrangements. Nous chercherons ensemble une maison. Génie m'en indique trois qu’il a visitées. Deux ne me paraissent rien valoir. L’une rue de Grenelle très près de Mad. de Talleyrand en face du passage Ste Marie, dans une maison de Mad. de La Rochejacquelein au rez-de-chaussée avec un jardin, 6000 fr. La vieille Duchesse de La Force demeure au premier. L'autre, rue de Varennes, près de la rue du Bac. C’est un hôtel [?], beaucoup trop loin. 11 000 francs. La troisième me semble meilleure, rue St Dominique entre la rue Belle-Chasse et l’hôtel du Consul d'Etat, presque en face des Brignole. Elle appartient au comte de Schulenbourg. 10 000 francs. Une belle cour des communs assez bien disposée. Un rez-de-chaussée seulement. Deux salons une salle à manger, une salle de billard, quatre chambres à coucher, des dépendances suffisantes. Un petit jardin de forme irrégulière et pas gracieuse resseré entre le Jardin du Conseit d'Etat et celui de Pozzo. Voici l'objection. C’est au Nord. Mais vous devriez le voir.
Le Pacha a bien raison de refuser. Vous voyez que déjà on n'avoue pas la proposition. Si j'étais de ses amis, je lui conseillerais ce qu’il a imaginé lui-même maintenir et attendre. L’Angleterre a une bien petite politique.

9 h. 1/2 Je vais décidément dîner à Evreux lundi. Si vous deviez être mardi à Rouen, ou à Dieppe, j’irais d’Evreux vous chercher là. Mais si vous êtes encore à Paris mardi j’y serai, moi, dans la journée de mardi et là nous verrons. Cela me paraît l’arrangement le moins compliqué. En tout cas je recevrai encore votre réponse à ceci, et même à ce que je vous écrivais demain car je ne passerai Lundi matin, à Lisieux qu’après l’arrivée de la poste. Adieu. Adieu. Il y a mille à parier contre un, contre la guerre.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
258 Jeudi 29 août 7 heures, du Val Richer,

J'ai ri en lisant votre lettre. Est-ce que nous aurions moins d’esprit que nous ne croyons ? Vous défendez presque les gasconnades d’une politique. Est- ce que j'aurais défendu celles de l'autre ? Vous voyez bien que tout le monde veut la paix et veut avoir l'air d'être tout prêt à la guerre. Ce n’est pas là une de ces choses dont Pascal dit : " Erreur au delà des Pyrénées, vérité en deçà. " C’est vérité partout. Il n’y a que les journalistes et les badauds qui en jugent autrement.
Quand le monde sera-t-il assez sensé pour réduire un peu dans la politique, la part de la comédie ? Vous verrez que si vous tenez bon et nous aussi, on trouvera pour la conférence un moyen terme entre Vienne et Constantinople, et nous ne tiendrons bon, ni vous non plus, que dans cette confiance là. Je ne crois pas que ce soit l'Angleterre qui nous ait fait parler par note de le mer de Marmara. Nous l'avons fait pour pouvoir le dire. Nous causerons de tout cela à Dieppe. Baudrand n'est point malade. L’Angleterre n'envoie personne à Constantinople pour complimenter le Sultan. Voilà pourquoi Baudrand n’y va pas. Il me semble qu’on a tort, vous envoyez. L’Angleterre n'envoie pas. J’enverrais ! Que fait l’Autriche ? Voici ce qu’on m'écrit de Syra, après trois mois de séjour dans l'Asie mineure et à Constantinople, au milieu des scènes mêmes. " Je suis loin de croire que l'Empire Ottoman ne soit plus qu’un cadavre. Il est bien mal, mais il lui faut si peu de chose pour vivre ! C’est un peuple qui s'accommode du mal comme du bien parce qu'il n’en perçoit pas nettement la différence. Ce qui m’a le plus frappé, c'est l’insouciance, l’apathie. Point d'industrie, ni commerce, ni culture, ni quoi que ce soit qui annonce la vie. La dépopulation est effrayante, Dans certains districts, où l'on comptait, il y a quinze ans 300 000 âmes, on n'en compte plus que 13 000.

9 h. 1/2
Je reçois une lettre du Duc de Broglie, qui est à Evreux, présidant son Conseil général, et qui me demande d’aller l’y voir. J’irai dimanche ou lundi, et je serai le lendemain à Paris. C’est le plus court moyen de vous voir. Là nous causerons de vos projets ultérieurs. Ainsi, lundi ou Mardi. Ce sera charmant. Ce qui l’est déjà, c’est que vous ne soyez pas si faible. Reposez-vous en effet quelques jours, plusieurs jours. Vous en avez grand besoin.
Génie m’écrit aujourd’hui même, et me parle de plusieurs appartements d’hôtel de la rue Lascazes est loué à Mad. de Lorges. Dans les propositions, il y en a une qui ne me paraît pas sans mérite. Je vous en parlerai demain, en attendant mieux. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
257 Mardi soir 27 août Du Val-Richer. 1839-10 heures

Je rentre dans mon Cabinet. Si j’étais à Paris, je serais chez vous. Vous m'avez gâté la solitude. Moi qui me passe si bien de tant de choses et de gens, je ne sais pas me passer de vous. J'ai bien raison. Je compte toujours que M. Devaines et son fils arriveront après demain. Nous réglerons alors notre moment. Rouen me convient à merveille. Mais vous serez là bien en l’air, dans une auberge, sans établissement. Je ne sais qui vous trouveriez à Dieppe. La saison n'est pas bonne pour les bains de mer. J'en ai tout près d’ici à Trouville, d'où l’on s'en va à cause du froid. Je ne veux pas que vous risquiez rien, rien du tout, entendez bien ceci. J’attends aussi des nouvelles du Duc de Broglie qui est à Evreux, à son Conseil Général. Il viendra me voir, et j'irai le voir en passant. Evreux est sur ma route. Il n’a vu personne du tout en passant à Paris. Les Ministres en ont été un peu étonnés.
Génie, je ne sais pourquoi ne m’a pas encore répondu sur le petit hôtel de la rue Lascazes. Il est peut-être loué (l'hôtel) Sinon voulez-vous que je fasse dire à Génie d’aller vous voir, et de vous le décrire. Mais vous aimerez mieux y aller vous- même. A quelle heure vous promenez- vous ? Je ne saurais vous dire avec quel triste dépit je pense que j’ai passé un mois à Paris sans vous, et que vous allez y passer tant de temps sans moi. Zéa y est encore. Faites-lui dire de venir vous voir. Mais pouvez-vous crier assez fort ? La dernière fois que je l'ai vu il était plus sourd que jamais et il ne voulait pas laisser dire un mot à son frère Colombe qu’il m’avait amené.

Mercredi matin, 6 heures
Dormez-vous ? Que je serais heureux si j'y pouvais voir ! La romance a beau traîner dans les rues ; elle est charmante. C’est une chose charmante de veiller auprès d’une personne, de la personne chérie. Pourvu qu’elle ne soit par malade. Quel supplice ! Je doute qu'on ait bien emmanché l'affaire d'Orient en demandent tout-à-coup, et pour le début, ou Pacha de rendre la folle. C'est une satisfaction d’amour-propre qu'on se donne, mais qui aggrave la difficulté au lieu de la résoudre. Le Pacha rendra la flotte quand on se sera arrangé avec lui ; mais céder ainsi d'avance, sur une première sommation, c’est beaucoup. Pourquoi placer la grosse question sur une si petite circonstance, et avant de l’avoir déballé, et sans donner du temps au Pacha ? Je suis obligé de penser ce que je pense en effet sans le dire. L’esprit manque. Encore une fois, que de choses j'ai à vous dire ! J’y touche ; je vous les dirai bientôt ; mais que le doux moment est loin quand on en approche ?

9 h. 1/2
Certainement, j'irai à Rouen et de là à Dieppe ; mais j'ai besoin que vous me donniez au moins un jour de plus et que vous ne partiez pour Rouen que lundi. Il me faut cette latitude pour mes hôtes. Dites- moi tout de suite quel jour vous serez à Rouen. Vous ne me dites rien de la maladie du Prince de Metternich. J'en conclus qu’elle n'est pas aussi grave qu'on me l'a dit. Politique à part, je le désire. Je ne vous veux pas une impression triste de plus, et celle là serait fort naturelle. Adieu. Adieu. Vous dites qu'il ne vous fatigue pas encore. Ce n'est pas assez. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
256 Du Val-Richer Lundi soir 26 août 1839 9 heures

Voyons un peu nos affaires. Je ne saurais fixer aujourd’hui le jour où je pourrai aller vous voir. J'attends après-demain M. Devaines, son fils et une autre personne. Il faut que je les aie vus pour régler ma marche. Quel ennui que tous ces arrangements quand je n'ai d'autre envie que d'être près de vous, de vos voir, de vous entendre, de vous parler, de vous retrouver vous, changée ou non, et mon bonheur qui ne peut changer. Mais répétez-moi en attendant que le Dr Chemside ne vous trouve pas aussi changée que vous l’imaginez. Si vous allez, ou si vous pouvez aller à Dieppe, il est probable que je l'aimerai mieux que Paris. Sauf vous, je n'irais pas à Paris en ce moment. Il n’y a rien à faire, et on dira que j’y viens faire quelque chose. Mon absence, ma parfaite tranquillité sont d’un bon effet; je le sais, les gens d'esprit me le disent. Cela ne signifie rien si je ne puis vous voir qu'à Paris, et au fait cela ne signifie pas grand chose ; peu importe quelques lignes de journaux et quelques conversations de badauds. Mais toutes choses égales d'ailleurs, je crois que je préférerai Dieppe, ne fût-ce que pour ce que vous m'en dites. Dieppe ou Boulogne, cela se ressemble, n’est-ce pas ? D'ici là reposez-vous bien. Il faut être bien reposée.
Vous trouvez l'Orient en voie de pacification. Nous sommes tous d'accord, d'accord du moins de nous mettre d'accord et d’en traiter ensemble. Nous avons failli faire tout le contraire. Nous avons dit que si vous alliez à Constantinople, nous irions dans la mer de Marmara ; et que de façon ou d'autre, nous serions tous où vous seriez. Vous avez pensé que puisqu’il fallait se résigner à être tous ensemble mieux valait l'être sans embarras qu'avec embarras. Nous sommes contents. Les difficultés commencent mais nous croyons les périls passés.
J’attends des nouvelles de mon pauvre ami Baudraud. Il est malade et ne pourra probablement pas aller à Constantinople. Nous nous sommes beaucoup écrit. Mais que de choses nous aurons à nous dire !

Mardi matin 7 heures
Le plaisir de vous sentir plus près de moi ne s’use pas. Qu’on devient modeste dans ses prétentions ! J’ai appris hier que je n'aurais pas ici, dans le mois de septembre, deux personnes qui auraient pu y venir. M. & Mad. de Rémusat. Ils étaient dans leur terre, près de Toulouse, quand ils ont appris que leur fils aîné, qui a tout juste l’âge d’Henriette, était malade, très malade dans son Collège, d’une fluxion de poitrine mêlée d’accès de fièvre typhoïde. Ils sont accourus à Paris la mort dans l'âme. Ils ont trouvé leur fils hors de danger et à présent il va très bien. Quand je les ai sus à Paris, je les ai engagés à venir passer quelques jours ici avec l'enfant rétabli qui aurait sans doute besoin de la campagne. Ils font mieux que cela ; ils l’emmènent en Languedoc, où ils retournent jusqu'à la session. M. de Rémusat veut se trouver à Toulouse au passage de M. le Duc d'Orléans.
Il y a vraiment quelque tentative d'accommodement en Espagne. La situation de D. Carlos devient toujours plus mauvaise. Celle de la reine Christine pas meilleure. Marote a été assez féroce pour avoir le droit d'être un peu complaisant. Les oscaltados qui reviennent en majorité dans les Cortes témoignent quelque envie d’essayer de la faiblesse après la folie. L’Angleterre s’ennuie d’entretenir, un désordre d’où elle n’a pas même pu tiré un traité de commerce. On essaiera peut-être là aussi d’une conférence.

9 heures
Au nom de Dieu, que vos nerfs se reposent ! Je ne puis vous dire le chagrin qu'ils me font. Que sert de vous le dire ? C'est ma prétention de n'avoir plus besoin de vous dire combien je vous aime. Ai-je tort ? Plaisir oui, grand plaisir. Besoin non, plus du tout. Rouen vaudra certainement mieux que Dieppe. C'est plus près. Mais vous ne pouvez pas prendre de bains de mer à Rouen. J’apprends à l’instant même que M. de Metternich est fort malade, dangereusement me dit-on, vous le savez sans doute. Cela n'aiderait pas aux affaires d'Orient. Adieu Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
253 253. Du Val-Richer. Vendredi 20 août 1839, 7 heures

On dirait depuis hier que je vais être pris d’un rhumatisme à l’épaule gauche. J’y ai une douleur assez vive, et j’ai quelque peine à élever le bras. J’ai déjà ressenti quelque atteinte de cette douleur-là. Il faut se frictionner, se couvrir l’épaule de laine et attendre.
J’ai eu hier des nouvelles de St Pétersbourg. Voici en quels termes. " Ma besogne d’observation et de discernement est devenue plus curieuse depuis la crise d'Orient. Je ne lui vois aucune autre solution que de faire de l’Empire ottoman un théâtre pour le commerce européen un territoire administré tant bien que mal vous le patronage commun. Quant à l'existence politique, il n’y faut plus penser. Je n’ai pas eu un moment d’inquiétude sur le maintien de la paix. Il eût fallu, pour la mettre en péril, que Constantinople fût menacé comme en 1833. Le pays où je suis est vivement blessé dans son amour propre ; ses intérêts réels, ses projets positifs ne sont pas en péril. " C’est du 10 août.
J’ai parlé à ma mère de ce que vous désirez. Elle cherchera. Elle n'a personne sous la main Elle m'a demandé si vous étiez facile a vivre. J’ai répondu oui, très facile pour qui lui plaira ; sinon, impossible. Mad. de Telleyrand écrit qu'elle s'ennuie à Baden, que tout le monde s'y ennuie, et que plus il y vient de monde, plus il y vient d’ennui. J’ai peur que Mad. de Talleyrand ne soit destinée à s'ennuyer beaucoup dans l'avenir. Elle le supportera plus fortement que vous. Elle se fera de petites affaires et de petits passe-temps qui ne sont pas à votre usage. Mais le mal sera là.

9 heures
Je suis charmé de vous écrire à Paris, en attendant que je vous y voie, nous arrangerons le moment de ma course Ne me laissez pas sans nouvelle pendant tout votre voyage. Un mot, si deux vous fatiguent. Vous savez qu’il y en a un qui est toujours excellent. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
252. Du Val-Richer. Jeudi 22 août 1839 7 heures

Madame de Boigne est venue passer hier la matinée au Val-Richer. Elle va pour trois semaines chez Madame de Chastenay, près de Caen. Mad. de Chastenay m’a écrit avant-hier pour m’engager à y aller passer quelques jours avec elle. Mais je reste chez moi. Je suis las de courses et de conversations qui ne me plaisent pas beaucoup. Je n’aime ni le mouvement, ni le monde pour lui-même. Ce sont des cadres où je veux choisir et placer moi-même les figures. D'ailleurs, j’attends quelques personnes chez moi. Imaginez que Madame de Boigne est venue à pied de la grande route ici, une demi-lieue. Elle a peur des mauvais chemins en voiture, et mon chemin neuf ne sera ouvert que le 1er octobre. Elle était rendue en arrivant, sa voiture suivait fort tranquillement. Il n’y a pas l'ombre de danger dans cette traverse, quoique fort mauvaise. On va presque à travers champs. Je l’ai ramenée à la grande route, en causant. Elle ne sait rien & croit comme moi, qu’il n’y aura rien d'ici à la session.
Le Maréchal est fort content de l’Europe, le Roi est fort content du Maréchal. Desages est content aussi. Tout le monde dit que ça n’ira pas, & ça va, et ça ira jusqu'à ce qu’il faille sérieusement deux choses qui n’y sont pas de l'action et de la parole. Il n’y a plus personne à Paris Les derniers sont partis pour les Conseils-généraux.
Le Chancelier reste à soigner Mad. Pasquier qui s'est cassé l’os du fémur, et n'en guérira pas. Elle a 80 ans. Au fait, c’est de cela que Mad.de Boigne, est le plus occupée.
Quand je vous ai dit que nous n'interviendrions pas entre Musulmans, je voulais dire que nous ne ferions jamais la guerre pour les prétentions de l’un, contre celles de l'autre. Nous interviendrons pour la paix et par les négociations, tant qu’on voudra, seuls s’il le faut et bien mieux encore tout le monde, ensemble. Le Sultan et le Pacha pourraient bien rester comme la Reine Christine et Don Carlos face à face, toujours en guerre et sans rien finir. L'Orient serait mis à la fois en question et en suspens comme l'Occident. Voilà le Général Baudrand qui va féliciter Abdul-Medgid. J’en suis bien aise, pour nos affaires et pour lui. Il ne donnera là, et ici à son retour, que de bons conseils. Il allait partir pour l'Afrique avec M. le duc d'Orléans, et y faire Dieu sait quoi. Métier très fatigant pour un homme qui n’est plus jeune et qui vient d'être malade. Il se reposera à Constantinople. La Porte remettant ses affaires avec Méhémet entre les mains des cinq Puissances, c’est la conférence moins la réunion à Vienne, que nous sommes tous habiles à déguiser nos faiblesses ! Pourquoi ne pas dire tout simplement et tout haut que pas plus les uns que les autres, on ne veut se faire la guerre ? Je crois qu’on a raison, et il y aurait de la grandeur à agir ouvertement et tous ensemble en ce sens en disant pourquoi. Mais on veut garder encore quelques airs d’ambitieux, de guerrier ; on veut faire semblant de s'effrayer les uns, les autres sans se battre et on aime mieux s'abaisser en jouant une pauvre comédie que grande en disant vrai. On sera bien confus et embarrassé le jour où le bon Dieu viendra et lèvera lui-même la toile en appelant chaque acteur à jouer enfin son rôle, et à faire marcher le drame.

9 heures
Je vais causer avec ma mère de ce que vous cherchez. Je compte plus sur Melle Chabaud que sur toute autre pour le trouver. Elle a de l’esprit et connait souvent de ces personnes-là. Adieu. Adieu. Je trouve votre 246 un peu moins mal. adieu. Je vous en voudrai toujours de changer. Mais Adieu quand même. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
249 Du Val Richer, Dimanche soir 18 août 1837 9 heures

Nos promenades ne se ressemblent pas. Vous avez été voir un vieux château que nous habiterions fort convenablement. Moi, j’ai mené mes hôtes ce matin à travers des chemins, où j’ai beaucoup pensé à vous pour me féliciter de ce que vous n’y étiez pas. Il a plu hier, avant-hier. On travaille à réparer ces chemins. On y a entassé des pierres. La pluie a plongé les pierres dans la boue. Ce n’était pas praticable. C’est dommage. Le pays est charmant. Rien de grand pourtant, ni de la main de Dieu, ni de celle des hommes. Les châteaux y sont aussi petits que les coteaux. Je me suis félicité de ce que vous n’y étiez pas, et j’ai eu tort. Pour vous faire traverser les mauvais endroits, j'aurais été obligé de vous porter souvent, toujours. Cela aurait bien valu le manteau de Raleigh.
Notre Cabinet me paraît fort inquiet de vous. Vous vous êtes tout-à-coup mis en mouvement. Vous avez parlé de guerre. Est-ce sérieux ? Irez-vous réellement à Constantinople pour y soutenir Khosrer-Pacha contre Méhémet Ali qui n'en veut pas du tout au Sultan, et ne fait pas un pas vers Constantinople ? Vous chargerez-vous ainsi de faire durer tous les grands vizirs, et de ramener à la subordination tous les Pachas qui auront envie de se rendre indépendants ? Vous avez très bien fait de faire le traité d'Unkiar-Skélessy, si tout cela y est, et si tout le monde trouve tout simple que tout cela y soit.

Lundi matin, 6 h. 1/2
Il me parait impossible que le Dr Gurckardt (n'est ce pas son nom ? ) ne vous trouve pas un jeune médecin bon pour vous accompagner, assez bon pour que vous acceptiez sa société pendant quatre jours. Je regrette de ne pouvoir vous envoyer le mien, qui a de l’esprit, un caractère doux et une figure agréable. M. Molé me l’a emmené à Plombières.
On me dit qu'à Plombières, il ( M. Molé) parle beaucoup d'adopter une politique téméraire, & que cela convient peu à St Cloud. M. Molé ne sait arriver, comme se maintenir, qu'en flattant ; et comme le maître qu’il faut flatter pour arriver n’est pas toujours le même qu’on flatte ensuite pour se maintenir cette contradiction peut lui devenir très embarrassante. Il a pu se maintenir en flattant le Roi, au nom de la politique de résistance ; mais il n’arrivera jamais que comme il est arrivé le 15 avril, en flattant la gauche, et au nom d'une politique de concession. Si nous sommes emportés dans ce sens là, il sera dépassé ; si nous marchons dans l’autre sens, il ne suivra même pas. Il était sorti du Cabinet avec Casimir Périer et moi le 3 nov. 1830. Quant vint le moment de la grande résistance, au 13 mars, il disparut.

9 heures
Que ne suis-je Melle Henriette ! Je ne ferais pas quinze jours pour aller à Baden. Et je vous soignerais si bien ! Je vous ramènerais si doucement à Paris ! Vous ne rencontreriez pas un caillou une ornière sur la route. Mais les désirs sont vains. Je méprise les désirs, je méprise les paroles. Dearest, les vôtres me vont au cœur ce matin. Elles y vont toujours. Mais ce matin, elles sont si profondes, si tristes ! Je sais un gré infini à Madame de la Redorte de ses soins pour vous. Je serai très aimable pour elle l’hiver prochain. Je serai très aimable l’hiver prochain. Adieu. Adieu. Si je pouvais mettre dans cet Adieu tout ce qu’il y a en moi ! Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
266 Du Val-Richer, Samedi soir 14 sept. 1839
9 heures

Vous avez bien raison ; un bon confident général épargnerait à tout le monde bien des sottises. Que de fois je l’ai pensé sur l’heure même au milieu des affaires ! Que de fois j'ai désiré que quelqu'un fût là, qui vit les choses comme elles étaient, la vérité, et l'allât redire, à ceux qui auraient été charmés de l'apprendre et ne savaient pas la deviner ! Mais il faudrait que le confident eût bien de l’esprit et bien de l’honneur. Ce serait un rôle charmant, autant qu'utile, et qui vous croit à merveille. Que signifie notre mission en Perse ? Allons-nous là pour nous interposer entre St Pétersbourg et Londres ? Je le croirais au choix de M. de Sercey. Je ne sais qui nous allons envoyer aux Etats-Unis à la place de Pontois. Comment M. de Metternich se fait-il accompagner au Johannisberg par M. de Hügel ? Personne ne me paraît moins propre à égayer un malade. Puisque M. de Jennison s'en va décidément. Sachez-moi, je vous prie, si c'est M. de Lücksbourg qui le remplace. Il m’a paru homme d'esprit. Mais bien des gens paraissent gens d'esprit à la première conversation. Je dis de l’esprit comme Solon de la destinée des hommes. " Il n'en faut jamais juger avant la mort. "

Dimanche 7 heures
Quel temps noir et froid. De tous mes souvenirs d’enfance le plus vif est celui du soleil du midi. Je le cherche toujours au delà de ces brouillards. Un ciel sans soleil, c’est un corps sans âme. Vous m’avez bien manqué hier. J’écrivais, sur Washington une page qui m’a amené à un rapprochement entre lui et Cromwell. Le rapprochement est très piquant ; mais je ne suis pas sûr qu’il vienne à propos. Je ne suis pas très sujet au doute ; que la chose soit petite ou grande, je me décide en général, moi même et promptement. Mais quand il m’arrive d’hésiter, mon embarras est extrême, car je suis horriblement difficile, en fait de conseils. Je crois aux vôtres. Vous avez le jugement très sûr et le goût très exigeant. Et cela d’instinct sans longue méditation. Vous me direz votre avis sur la convenance de mon rapprochement.
J’espérais Lady Granville un peu plutôt, tout vient toujours trop tard. Je regrette qu'elle n'ait pas réussi dans sa négociation. En avez-vous quelque autre en vue ? Vraiment il vous faut quelqu'un. Voulez-vous que je fasse chercher ? J’y serai très difficile, aussi difficile que vous. Puis vous verrez. Votre isolement, dans votre home, pour les soin matériel de la vie, m'est insupportable.

9 heures
Je suis désolé, désolé de toute façon. Mais je ne dirai rien aujourd'hui, je ne pourrais pas. Je vous renverrai demain la lettre du Prince Mestchersky. Je veux la relire. Au nom de Dieu ne soyez pas malade. Soyez injuste tant que vous voudrez, mais non pas malade. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
248 Du Val-Richer Samedi soir 17 août 1839 8 heures

Je ne sais pourquoi elle est venue deux heures plus tard, cette lettre où vous êtes si souffrante. Elle avait été oubliée au bureau de la poste, au moment du départ du facteur. J’aime pourtant mieux qu’elle soit venue. Que je serai heureux cet hiver, quand vous serez bien tranquillement rétablie à Paris, quand nous n'aurons plus à 120 lieues l’un de l'autre, ces odieuses angoisses ! Votre médecin ne me paraît pas un homme d’esprit. S’il craint de vous voir voyager seule comment ne vous procure-t-il pas un jeune médecin pour vous accompagner. Il y en a surement, en Allemagne comme en France, qui n’ont pas grande pratique et ne demanderaient pas mieux que de venir passer quinze jours à Paris. Ce n’est pas un grand agrément pour vous, j'en conviens ; mais c’est une sûreté et pour votre retour vous ne pouvez guère prétendre à plus. Parlez-lui en ; il me paraît impossible qu’il ne vous trouve pas quelqu'un.

Dimanche matin 7 heures
Les nouvelles d'Alexandrie ne signifient rien. Tout est en suspens à Constantinople. Nous nous disputons tous le Divan, en attendant l'Empire. Le Pacha tiendra bon. Il le peut. Il a l’excellente attitude d’un homme qui n’est point dans l’embarras et qui y met tous les autres. Il lui faut l'hérédité chez lui et la sécurité par conséquent la prépondérance à Constantinople. Nous l’appuierons, dans la première prétention par conséquent, s’il tient bon dans la seconde. C’est à lui à unir les questions. Nous ne le contraindrons pas à les séparer. Cependant on voudrait bien j’en suis sûr le trouver plus complaisant, content à meilleur marché. On a grande hâte d'en finir là aussi. Point d'affaires, c’est la grande maxime du gouvernement. Je ne crois pas que le Cabinet si petit, si faible qu’il est, y consente. Il a fait ces jours derniers, à ce propos-là, un essai de la peur que causait la seule perspective d’une crise ministérielle. Il en usera et je le lui conseille. Voilà l'immense différence de la situation, M. Molé avait assez d’esprit, de bonne apparence et de crédit pour couvrir et faire passer la politique plate. Ceux-ci ne le peuvent pas, quand même ils le voudraient. Et par là, j’ai de l'action sur eux et sur l’avenir.
M. Duchâtel se conduit très bien et pour les choses, à mon égard, dans la mesure du moins de mon exigence qui n’est pas grande. Est-il vrai que votre Impératrice soit fort malade ? On me dit de Paris que les lettres de Pétersbourg le mandent. On dit aussi que Fagel retourne à Amsterdam, & que M. Van Zuylens le remplace. Je regrette Fagel, quoiqu’il ne dise plus grand chose, sa figure me plait : bonne et loyale comme sa personne. Le Journal des Débats vient de faire un grand pas en remettant sur le tapis la question de la Chambre des Pairs. Je l'en approuve. Il faut trouver un moyen de faire vivre cette Chambre. J’ai toujours regardé l'hérédité de la Pairie comme la porte capitale de 1830. Je ne sais si on y reviendra. Le courant démocratique ne porte pas là. Pourtant ce pays-ci est très intelligent, et capable de résolution soudaine, s'il comprend un jour que l’hérédité de la Pairie modifiée je ne sais comment, lui donnerait une seconde chambre plus indépendante, plus capable, qui jouerait mieux son rôle dans la machine constitutionnelle, il pourra fort bien s'en accommoder tout-à- coup. Il faudrait lier cette question à celle de la réforme électorale et n'élargir une chambre qu'à condition de ressusciter l'autre. C’est une idée qui me vient à l’instant même, et dont il y a quelque chose à tirer.

9 h. 1/2
Mes nouvelles d'Orient sont à la guerre, à la Porte se jetant dans vos bras, préférant le Protectorat russe au protectorat égyptien. Grand trouble des trois cours. Grand conflit des malveillances et des bienveillances pour le Pacha. Je ne sais ce qui sortira de là. Ne suis-je pas bien affirmatif dans ma page 2 ? C'est moi défaut. Je ne m'en corrigerai jamais. Je fais si peu de cas des gens qui n'affirment jamais Adieu Adieu.
242 vaut un peu mieux que 241.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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247 Du Val Richer Vendredi 16 août 1839 9 heures

Tenez pour certain que nous nous ne pensons pas à autre chose, qu’à maintenir le statu quo en Orient. Nous ne demanderions pas mieux que de le maintenir tout entier : nous serions volontiers, là, aussi stationnaires que M. de Metternich. Mais quand nous voyons tomber quelque part de l’édifice, et quelqu'un sur place qui essaye d’en faire une nouvelle maison, nous l'approuvons, et tâchons de l’aider, ne pouvant mieux faire. C’est ce qui nous est arrivé en Grèce, en Egypte ; ce qui nous arriverait partout où viendrait un autre Méhémet Ali. Sans compter que ce pays-ci a le goût du mouvement de la nouveauté des parvenus gens d’esprit que partout où il les rencontre, il prend feu pour eux, et que son Gouvernement est bien obligé de faire un peu comme lui. Ce que nous ne voulons pas, c’est que Constantinople se démembre au profit de Pétersbourg ou de Vienne. Et notre principale raison de ne pas le vouloir, c’est que le jour où cela arriverait, il faudrait que quelque chose aussi, vers le Rhin ou les Alpes se démembrât à notre profit. Nous pressentons que nous sérions forcés de vouloir ceci, qu'on nous casserait aux oreilles qu’il faut le vouloir, et nous n'avons nulle envie d'être mis au défi de courir cette grande aventure ou de passer pour des poltrons si nous ne la courons pas. Nous sommes pacifiques, très pacifiques, et nous ne voulons pas être poltrons.
Je dis nous, le pays. Voilà toute notre politique sur l'Orient. Et pour soutenir cette politique là, on pourrait nous faire faire beaucoup de choses. Nous regarderions comme un acte de prudence des combats sur mer, au loin, pour éviter une guerre continentale et à nos portes. Nous souhaitons, le statu quo en Orient parce qu'il nous convient en Occident. Le démembrement de l'Empire turc, c'est pour nous le remaniement de l’Europe. Le remaniement de l’Europe personne ne sait ce que c’est. Et nous sommes un pays prudent, très prudent, quoiqu'il ne soit pas impossible de nous rendre fous encore une fois, nous le sentons, et n'en voulons pas d'occasion. En tout ceci l'Angleterre pense comme nous et nous nous entendons très bien. Mais elle a une autre pensée qui n’est qu'à elle, et qui nous gêne dans notre concert. Elle ne veut. pas qu’il se forme dans la Méditerranée aucune Puissance nouvelle ; ayant des chances de force maritime et d'importance commerciale Elle ne le veut pas, et pour la Méditerranée elle-même, et pour l'Inde. De là son inimitié contre la Grèce et contre l’Egypte ; inimitié qu'elle voudrait nous faire partager, ce dont nous ne voulons pas n'ayant point d'Inde à garder, et ne craignant rien pour notre commerce dans la Méditerranée. L'Angleterre voudrait s’enchaîner, et nous enchaîner avec elle au statu quo entier, absolu, de l'Empire Ottoman. Nous ne voulons pas. parce que nous ne le croyons pas possible, parce que nous n'y avons pas un intérêt aussi grand, aussi vital que l’Angleterre ; parce que l'entreprise si nous nous en chargions ensemble pèserait bientôt sur nos épaules plus que sur les siennes et nous compromettrait, bien davantage en Europe. Voilà par où nous nous tenons et par où nous ne nous tenons pas l'Angleterre et nous. En ce moment l'Angleterre nous cède ; elle renonce à poursuivre son mauvais vouloir contre l’Egypte. Elle y renoncerait, je crois très complètement, si elle était bien convaincue que de notre côté nous tiendrons bon avec elle pour protéger contre vous soit le vieux tronc, soit les membres détachés et rajeunis de l'empire Ottoman. Elle doute ; elle nous observe. Il dépend de nous de la rassurer tout-à-fait, et en la rassurant de lui faire adopter à peu près toute notre politique.
Vous savez l’Autriche. Jamais je crois, nous n'avons été si bien avec elle. Elle est bien timide ; elle est si peu libre de ses mouvements que la perspective de la moindre collision, même dans l'Orient et pour l'Orient seul, l’épouvante presque autant que celle du remaniement de l’Europe. Cela se ressemble en effet un peu pour elle car elle tient à l'Orient et à l’Occident ; ses racines s'étendent des sources du Pô, bouches du Danube, et l’ébranlement va vite de l’une à l'autre extrémité. Cependant je crois que si elle y était forcée, si les habilités dilatoires perdaient toute leur vertu, elle agirait avec nous, et qu'elle l’a à peu près dit. Si c’est vous-même qui pacifiez l'Orient, qui présidez à la transaction entre Constantinople et Alexandrie, qui donnez un trône au Pacha pour ne pas cesser de protéger vous-même le Sultan sur le sien, il n’y a rien à dire. Vous aurez bien fait, et nous n'en serons pas très fâchés. Vous aurez gardé votre influence ; nous aurons obtenu notre résultat.
N'est-il pas très possible que tout finisse ainsi du moins en ce moment, et que sous les mensonges des journaux, sous les fanfaronnades des Gouvernements, au fond nous agissions tous à peu près dans le même sens, n'ayant pas plus d'envie les uns que les autres de rengager les grands combats ? Je suis bien tenté de le croire. Samedi 9 heures Pas de lettre ce matin. Cela me déplaît toujours beaucoup et m'inquiète un peu. Adieu. Adieu à demain. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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246 Du Val-Richer Vendredi 16 août 1839 8 h. 3/4

Je n’ai que le temps de vous dire adieu. J’ai eu du monde hier le matin une grande promenade le soir la migraine. Je viens de me lever très tard, et il faut que j'écrive à M. Duchâtel pour une affaire. Car j'ai les affaires d’une foule de gens à défaut des miennes. C’est un grand ennui.
Je reviens aux paroles d'Alexandre qui donnent pour moi, aux nouvelles d'Orient, un double, triple intérêt. Décidément, je ne crois à aucune complication grave. Si c’est nous qui servons de médiateurs entre le Pacha et la Porte nous les accommoderons sans guerre ; et si c’est vous, si nos ambassadeurs sont des dupes, vous accommoderez aussi. Cela prouve même que vous voulez accommoder. Question et combat d'influences ; rien de plus jusqu'ici.
Que feriez-vous, s’il y avait autre chose ? Où iriez-vous ? Iriez-vous quelque part ? Seriez-vous malade ? L'Angleterre ne vous vaudrait pas mieux que la France. Est-ce que Zéa ne vous est pas arrivé ? Ses pronostics étaient justes. La dissolution, qu’il redoutait tant, amène des cortes exaltées qui ne feront rien, mais qui empêcheront qu'on ne fasse s’il y a quelque chose à faire pour qui que ce soit. Du reste, ils peuvent faire en Espagne ce qui leur plaira. Nous nous en mêlerons moins que jamais. L'Orient a tué l’intervention.

9 h. 1/2
Voilà votre N°240. Je voudrais bien que vous eussiez Melle Henriette, dont je ne connais guère pourtant que sa réputation qui est bonne. Je vous dirai demain, avec détail ce que je pense de notre situation à tous en Orient. Adieu. Adieu. Je vais écrire pour l’hôtel Crillon. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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242 Du Val-Richer, lundi 12 août 1839 6 heures

On a été peu étonné de votre refus des conférences de Vienne. On s’y attendait malgré le Gascon du Danube et ses espérances. Il en résulte ceci que trois, au lieu de quatre agissent de concert, et se le promettent ; l’une, timidement, mais pourtant positivement et de très bon cœur au fond ; l'autre, avec un peu d'humeur contre l’égyptien, mais la témoignant sans la prendre pour règle de sa conduite. Elle voulait reprendre de force la flotte turque, prendre même la flotte égyptienne. Elle y a renoncé. Nous ne sacrifierons pas l’Egypte. Nous suivrons la politique que j'ai indiquée. Nous maintiendrons de l'Empire Ottoman tout ce qui ne tombera pas de soi-même. Et quand ce qui tombera paraîtra en mesure de se reconstituer sous quelque forme nouvelle et indépendante, nous le favoriserons. Nous ne nous chargerons pas de tout régler en Orient ; mais nous n’y serons absents nulle part. Nous n’interviendrons pas entre Musulmans; mais nous n'approuverons pas que d'autres interviennent pour achever là ce qui peut vivre encore, ou étouffer ce qui commence à vivre. C'est là le principe, l’idéal, comme on dit en Allemagne. Je crois que la politique pratique y sera assez conforme.
Thiers est encore à Paris tenant sur l'Orient un langage pacifique ; plus aigre que jamais contre MM. Passy et Dufaure qui le lui rendent bien. Je ne sais ce qui s’est passé récemment entre eux ; mais pendant quelque temps Thiers avait paru ménager Dufaure. Aujourd'hui il le traite fort mal, & chez lui devant tout le monde, le met au dessous de M. Martin du Nord Rien de nouveau du reste. Vous conviendrez qu'il y aurait du guignon si je me brouillais, avec le Duc de Broglie à propos de Mad. de Staël. Grace à la liberté de la presse il n’y a point de mensonge, si sot qu'il ne se trouve quelqu'un pour le dire. En attendant que nous soyons brouillés, j’ai eu hier des nouvelles du Duc de Broglie. Il va venir en Normandie pour le Conseil-général, et compte toujours passer l’automne, en Italie, avec sa fille et son fils, jusqu'à la session.
Dès que vous le pourrez, envoyez-moi la note des effets que vous voulez faire entrer en France et l’indication du bureau de douanes c’est-à-dire de la ville par où ils doivent entrer. Je l’enverrai au Directeur général des douanes en le priant de donner des ordres à ce bureau pour en autoriser l'entrée. Je crois que cela se pourra pour toutes choses puisque toutes sont des meubles anciens, et uniquement destinés à votre usage. Ne vous en embarrassez pas et laissez moi faire. Il faut seulement que je puisse désigner la nature des effets, et le point d'arrivée. Faites-vous adresser de Pétersbourg un état bien complet des caisses, de leurs numéros et de ce que chacune contient.
Je reviens aux dents des enfants français, c’est-à-dire des miens. Je ne réponds que de ceux-là. Si vous y aviez été vous auriez été content de leur petit courage, malgré le mouvement nerveux de Pauline. L'affaire a duré trois minutes, tragédie sans pathétique et sans longueur. Mais je tenais à y être moi-même. En tout, je tiens à témoigner, beaucoup de tendresse à mes enfants, et à ce qu’ils y comptent. La tendresse manque à ce lien-là, en Angleterre, et à presque toutes les relations de famille. C’est un grand mal. Toute la vie s'en ressent. Je vous disais l'autre jour qu'en fait d’éducation morale ou physique l’atmosphère, le régime et beaucoup de liberté, étaient tout à mon avis. J’ajoute beaucoup d'affection.

9 heures
Quand je suis triste pour vous, où par vous, je vous le dis. N'y voyez jamais que ce que je vous ai dit. Je veux savoir le mot qui vous a blessée. Quel qu’il soit j’ai eu tort de le dire & vous avez eu tort de vous en blesser. Je vous aime bien tendrement, et c'est mon plaisir de vous soutenir. Adieu. Adieu. J’ai beaucoup de choses à vous dire Demain.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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238 Du Val Richer, Mercredi soir 7 août 1839 9 heures

Nous ne nous entendons pas sur la lettre du Consul général de Russie. Relisez la bien. Je viens de la relire. Je n’y vois pour vous aucune augmentation réelle, et permanente de fortune. Mais seulement le droit de recevoir de préférence à vos fils, l'administration des biens du feu Prince de Lieven en Angleterre, puisqu'il est mort sans testament. Ce qui veut dire que vous seule, par vous-même ou par votre fondé de pouvoir vous pourrez recevoir le capital de 40256 L. St., et qu’il restera entre vos mains jusqu'à ce que la propriété définitive, en soit partagée conformément aux lois Russes qui régleront la succession du Prince de Lieven, mais nullement que cette propriété vous soit acquise à vous. La capital se partagera, qu’il soit en vos mains ou en d'autres, et s’il est entre vos mains vous aurez à en rendre compte au moment du partage. Je vois, dans cette loi Anglaise, une marque de déférence et une sûreté données à la veuve, rien de plus. Il y a peut-être là de ma part quelque grosse ignorance quelque bévue étrange. Je ne demande pas mieux que de me tromper. Mais je ne découvre pas par où. D'autant que le sens qui m’apparaît dans la lettre du consul est d'accord avec les principes généraux du droit qui veulent que les formes de procéder en matière de succession, comme l'envoi en possession, la régie provisoire en soient réglées par la loi du pays où les biens sont situés et le fond même de la succession, c-à-d le partage des biens et l’attribution définitive de la propriété, par la loi du pays auquel les intéressés appartiennent. Nous avons là vous au moi, quelque chose à éclaircir. Je vous ai dit ce matin l'embryon de nouvelle qui m’arrivait. Je ne vous ai mandé et ne vous mande jamais rien que de source. Mais l’eau est trouble quelques fois même à la source.
Le travail qui se fait sur plusieurs points en occident comme en orient, au profit de l’Egyptien, est empreint dans les nouvelles que je vous avais transmises. Vous voyez que Bulwer aussi croit au succès. Thiers ne passe que peu de jours à Paris et s'en va à Lille pour deux ou trois mois. Il se montre assez dégagé de la politique et sérieusement occupé de son livre, ses ressentiments contre MM. Passy et Dufaure paraissent presque aussi vifs qu’à leur origine. Il est embarrassé et ennuyé de la réforme électorale sans oser se prononcer contre. Il ne croit pas à un changement de Cabinet avant la session. Sa politique pour l'orient est très belliqueuse, et il répète à tout venant que le Cabinet ne peut absolument rien faire dans cette question. Je suis curieux de savoir si les trois conseils d’hier lui donneront un démenti.

Jeudi 9 heures
C'est rue Lascazes et non rue Belle-Chasse qu’est situé le petit hôtel dont je vous ai parlé. Je vais écrire qu’on le visite avec soin. J’ai peine à croire qu’il soit neuf, puisque M. de Crussot l’habitait naguère. Cependant c'est possible et vous aurez grand tort d'entrer dans des plâtres neufs. Il est vrai qu’il n’y a rue St Florentin qu’un bien petit salon. Felix et Mad. de Nesselrode à la fois, c’est beaucoup Fétix s'ennuie peut-être aussi, non pas de vous, mais de Baden, de ce qui n’est pas Paris. Il a l’air d’un garçon, très Parisien. J’en suis fâché. Vous y étiez accoutumée Pas de nouvelles ce matin. Adieu Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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237 Du Val-Richer. Mercredi 7 août 1839 6 heures

Je ne sais comment s’est passée ma journée d’hier. Je ne vous ai rien dit. Je me lève de bonne heure pour combler cette lacune. J'en reviens toujours à Titus et Bérénice. Il faut que ce soit bien beau pour qu’on y retrouve sans cesse son propre cœur. Les belles choses écrites s'usent-elles rapidement pour vous, comme les choses de la vie courante ! Prenez-vous plaisir à relire ce que vous avez admiré ? Pour moi, je suis fidèle et inépuisable dans l'admiration. J'y rentre avec délices, et je découvre toujours de nouvelles beautés, des perspectives inconnues. Je relis à l'infini. Le nouveau ne manque jamais dans l'infini. Voilà une phrase bien allemande. Elle est pourtant vraie. Et mon pourtant est bien insolent, n’est-ce pas, bien français ?
Vous a-t-on jamais dit le mot de l'Empereur Napoléon à M. de Caulaincourt qui lui parlait des désastres de la retraite de Russie. " On a fort exagéré les pertes, lui dit l'Empereur ; voyons donc, que je me rappelle. Cinquante mille, cent mille, deux cent mille... Oh mais il y avait là bien des Allemands. "
Dieu me pardonne d'envoyer une pareille anecdote au delà du Rhin ! J’ai tort. Je dois beaucoup à l'Allemagne. D'abord, je lui dois vous, qui n'en êtes guère, d’esprit du moins. Je lui dois une partie du mien. De 20 à 25 ans j'ai beaucoup étudié la littérature allemande et beaucoup appris de cette étude ; appris non seulement, matériellement mais moralement. Il m'est venu de là beaucoup d’idées, des jours nouveaux sur toutes choses, une certaine façon de les considérer qu’on ne trouve point ailleurs, notamment en France. Au fait, c’est une sottise de laisser pénétrer dans son jugement sur un grand peuple le moindre sentiment de dédain, je dirai plus d'orgueil national. Ils ont tous, par cela seul qu’ils ont beaucoup fait et joué un grand rôle en ce monde, de quoi mériter l’attention l'estime, le respect des plus grands esprits. Et il y a toujours dans un tel dédain, infiniment plus d'ignorance & d'irréflexion que de supériorité.
Convenez que Méhémet est un homme supérieur. Je suis charmé de ses notes à nos consuls de la forme comme du fond. Il y a beaucoup de grandeur et de mesure. Belle alliance. Nous verrons comment il dénouera sa situation à Constantinople. Il a bien commencé. Il tient la flotte et parle tout haut à son parti dans tout l'Empire turc. Je me rappelle qu’en 1833 il nous revenait fort d'Orient qu’il avait un grand parti à Constantinople, et que, s’il voulait il y exciterait une sédition très dangereuse pour Mahmoud. Il ne voulut pas. Ménagera-t-il autant Khosrer Pacha ? Avez-vous lu dans le journal des Débats la relation du couronnement du Sultan ? C'est assez intéressant. Elle est d’un M. Herbat, un jeune homme que j’avais près de mois au Ministère de l’Instruction publique et qui m’était si attaché que sous le 14 avril, M. Molé enjoignit à M. de Salvandy de le destituer. Il est parti pour l'Orient avec M. Jaubert à qui je l’ai recommandé. Et pendant qu’il voyait passer Abdul. Medgid dans les rues de Constantinople je lui ai fait rendre à Paris la place qu'on lui avait ôtée. Il la trouvera à son retour. Ce sera quelque jour mon Génie second, ou mon second Génie, comme vous voudrez.

9 heures et demie
Je ne sais pas quelles nouvelles on a d'Orient : mais on en a ! Je ne sais pas, ce que les Ministres ont demandé au Roi ; mais ils lui ont demandé quelque chose que le Roi a refusé Trois consuls ont été tenus dans la journée d’hier. Les ministres ont offert leur démission. Alors le Roi a consenti. Il n’a probablement été demandé et consenti, rien de bien grave. Mais enfin je vous donne ce que je sais. Adieu Adieu. L'heure me presse. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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235 (hier devait être 234) Du Val Richer, Lundi 5 août  1839 9 heures

Je n’ai trouvé hier en arrivant que votre 228. Vous voulez que je vous pardonne votre abattement. Je vous pardonne tout. Mais que sert le pardon ? Pas plus que ne ferait le reproche. Vous me donnez un sentiment auquel je suis peu accoutumé, celui de l’impossibilité, sentiment très pénible à placer à côté de beaucoup d'affection. Je ne sais pas si je l’accepterai jamais. Mais nous sommes trop loin pour que je vous dise tout ce que je voudrais ce que je devrais peut être vous dire. Je compatis peu, je l'avoue à votre ennui d’un notaire, deux témoins pour un nouveau plein pouvoir qui finira tout promptement. Finir promptement, c'est votre salut, c'est votre repos ! Je ne l'espérais pas. Et quand mon attente est trompée en bien, je suis un peu content et un peu reconnaissant envers la providence. Une faveur si rare? Jamais peut-être je n'ai plus désiré vous voir et causer avec vous qu'aujourd'hui. Je ne sais si tout ce que je vous dirais vous paraîtrait doux ; mais je suis sûr que ce serait sain pour vous. Car encore une fois, je vous aime trop pour accepter, l'impossibilité.
Parlons d’autre chose. Est-il vrai, comme on me l'écrit, qu'il est question d’un voyage de l'Empereur à Odessa avec le grand duc et M. de Nesselrode ? Personne ne peut prévoir aujourd'hui ce qui arrivera de ce côté. Un enfant Roi, une vieille Sultane-mère, deux jeunes négresses-maitresses, un vieux vizir haineux, un vieux Pacha vainqueur, toutes les habiletés de l’Europe diplomatique ne gouverneront pas cela. Nous sommes au hasard. La discorde est grande dans la gauche. Les projets de réforme électorale déplaisent à la plupart de ceux qui les acceptent, & ne sont pas acceptés de ceux à qui ils voudraient plaire. Ce sera, pour la prochaine session, un grand et bon champ de bataille. Je voudrais que ces deux questions, la réforme électorale et l'Orient restassent un peu longtemps sur le tapis. Nous avons besoin, pour nous former, de questions graves, pressantes, mais suspendues sur nos têtes, qui menacent de devenir, et ne deviennent pas tout à coup de grands événements. J’aurai probablement cette satisfaction.
Ma mère est mieux, et mes filles très bien. C’est demain, 6 août, le jour de naissance d'Henriette. Il y a dix ans. J’étais bien heureux !

9 heures
Voilà le n° 229. Je répondrai demain avec détail sur votre affaire du capital anglais. Je veux revoir le texte des lois. Mais en principe, il ne nous importe pas qu’on soit ou non étranger. Les biens de toute espèce, meubles ou immeubles qui se trouvent sur notre territoire sont régis par nos lois quelle que soit la nationalité du possesseur. Il me manque en effet beaucoup. Vous avez pleine satisfaction. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
265 Du Val Richer, Vendredi soir 13 Sept 1839 9 heures

Vous avez bien tort de ne pas savoir dicter. C’est une habitude qu’il faudrait toujours prendre quand on est jeune. Vous pourriez sans fatigue employer une ou deux heures le soir à recueillir vos souvenirs, ce qui vous a occupée ou amusée dans votre vie. Vous vous en amuseriez encore. Je me promets bien de le faire un jour pour mon compte. A défaut de dictée ne vous conviendrait-il pas qu'une personne un peu intelligente, une femme, une jeune fille vint vous lire le soir quand vous êtes seule et que vos yeux sont fatigués ? Je vous trouverais cela, soit par moi-même d’ici, soit par Génie. Votre solitude me pèse inexprimablement. Chagrin même à part, je suis choqué comme d’une absurdité, que vous soyez seule quand il y a dans le monde, et pas au bout du monde, quelqu'un qui se plaît tant à être avec vous.

Samedi matin 6 h et demie
Je me suis couché hier de très bonne heure. La vie que je mène ici est parfaitement calme et très occupée. Je donne à mes enfants presque tout le temps que je ne passe pas dans mon Cabinet dès que je suis seul, je lis ou j'écris. Rarement il fait assez beau pour que je reprenne mes grandes promenades solitaires. Quand le soir arrive, je suis comme mon fermier qui a labouré tout le jour ; j’ai envie de dormir.
Je vois, dans mes nouvelles de l'Intérieur que la conférence sur les affaires d'Orient pourrait se tenir à Constantinople, que la Porte le demande. Je croyais cette idée tout-à-fait abandonnée. Elle avait été d'abord suggérée par vous. En entendez-vous parler de nouveau ? Que dit-on de la déconfiture de D. Carlos? S'achemine-t-on à petit bruit vers la reconnaissance de la Reine Isabelle ? Certainement, il y a là un dernier coup à donner, pas bien fort, et sans guerre aucune, qui terminerait l'affaire d’Espagne comme on a terminé celle de Belgique, et ferait rentrer toute la Péninsule dans l'ordre européen. Mais vous verrez qu'on laissera encore traîner. Les événements n’arrivent plus aujourd'hui qu’à condition d’arriver tout seuls. Les hommes ont abdiqué. Il n'y a plus que Dieu qui gouverne.
Aimez-vous la lecture des voyages ? Vous avez là, je crois, les lettres de Jacquemont sur l’Inde. Mais ce que vous n’avez certainement pas lu, c'est le Journal même de son voyage, qui se publie par livraisons, avec de grandes images et dans un très beau caractère, Ouvrage très spirituel, et plein d’intérêt. Voulez-vous le lire quoiqu'il ne soit pas fini ? On peut très bien faire, cela pour un voyage qui n’a ni commencement ni fin, et où chaque jour se suffit à soi-même. Si vous en avez envie, dites à Génie de le faire prendre chez moi dans ma chambre à coucher, parmi les livraisons non reliées. Les cahiers détachés ne sont pas bien commodes à manier ; mais du moins la lecture ne vous fatiguera pas les yeux. Je voudrais chaque matin, vous envoyer d’ici de quoi remplir votre journée.

9 heures
La lettre de votre frère est très bien. C'est le moins possible. Mais la brièveté douce et froide convient en pareille occasion. Faites la partir tout de suite et dormez. En vérité, je m'indigne de penser qu’il dépend de telles sottises de vous ôter le sommeil. Je suis charmé que M. Jennison, soit plus traitable. Adieu. Adieu. Il n'y a de bon adieu que ceux qui ne finissent pas. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
273 Du Val-Richer, Dimanche 22 Sept 1839 7 heures

Je viens à vous en me levant. Quand j'ai du monde, je ne dispose pas de ma soirée. Elle n'est pas amusante, savez-vous à quelle condition on supporte le commun des hommes ? à condition d'avoir quelque chose à en faire. Quand on les emploie, quand on va a un but à la bonne heure ; le but anime la route, l'utilité enfante l’intérêt. Mais le vulgaire pour rien, pour s’en amuser, et pour l'amuser ! C’est bien lourd.
J’ai là sous les yeux quelque chose de bien lourd aussi ; un jeune ménage, marié depuis deux mois, une jeune femme de 19 ans, ni laide, ni jolie, ni spirituelle, ni bête, ni glacée, ni animée, parfaitement insignifiante, ordinaire, une jeune femme, rien de moins, rien de plus. Comment se marie-t-on à cela ? Le vulgaire en passant dans un salon, c’est beaucoup ; mais le vulgaire dans l’intimité, pour toujours ! Je n'ai jamais compris qu’on s'y résignât. J’aurais été à ce compte, un bien mauvais mari.
Le Roi des Pays-Bas sera-t-il un bon mari pour Melle d’Outremont ? Il me semble qu’il était, pour la première, assez dur et peu fidèle. celle-ci aura, je pense, les infidélités de moins à subir. Je crois, comme vous, que dans la disposition de tout le monde, peu ou beaucoup de vaisseaux aux Dardanelles, c'est fort la même chose. Pourquoi ne se le dit-on pas, comme nous le disons ? Mais il faut être prêt les uns contre les autres, même quand on marche ensemble. Que sait-on ? Le hasard !
Voici ce que m'écrit hier un ministre. " Le Rois, m’a parlé hier de vous, fortement avec un vif désir de votre appui, et un sentiment très profond de tout ce que vous êtes. Pour moi, mon cher ami, qui n’ai qu'une petite responsabilité & un médiocre souci de moi-même, l’honneur sauf, je n’en attends pas moins la session avec une grave anxiété. L'affaire d’Espagne est un accident heureux et un mérite. Mais la Turquie nous reste avec tous ses hasards ; et il me semble cependant qu'avec cette intention de paix qui est générale et que doit partager un souverain prudent et conséquent, tout absolu qu’il est, une ambassade habile et active serait d’un poids immense, et pourrait prévenir ce qui deviendra peut-être inévitable, sans que personne le veuille, mais parce que personne ne saurait le détourner à temps. Je suis un faible politique, mais je n'ai pas une autre pensée que celle-là dans le temps actuel. "
Vous voyez qu’on a toujours bien envie, de m'avoir et de m'éloigner. On ne fera ni l’un ni l’autre. Lisez, dans le dernier cahier de la Revue des deux mondes (15 septembre) un long article sur le Duc de Wellington, à l'occasion de ses dépêches. Il vous intéressera. C’est un assez curieux spectacle que ce vent d’impartialité qui souffle sur nous et nous fait rendre justice contre le sentiment populaire si cela s'accorde jamais avec un fort esprit national, ce sera très beau.
C’est Pascal, je crois, qui dit : " je n'estime point un homme qui possède une vertu, s’il ne possède en même temps et au même degré, la vertu contraire. " Il a raison. Mais c’est bien de l’exigence. A la vérité on n'obtient rien de bon des hommes qu'à force d’exigence.

9 heures et demie
C’est bien vrai que vos soirées et les miennes, vous chez Armin, moi avec mon jeune ménage, c’est absurde ! Et nous serions si bien ! Il n’y a point de nouvelles. Je vous dis tout ce qu’on m’écrit. On est fort occupé des émeutes du Mans de la réforme du Conseil d'Etat & Tout cela ne vous fait rien. Vous avez raison de bien finir l’affaire de l'entresol. Il n'y a point de sûreté avec ce monde là. Adieu. Adieu. Le plus long adieu possible. Il n'y a de long que ce qui est éternel. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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230 Du Val-Richer, Mardi 30 Juillet 1839 2 heures

Je rentre d’une longue promenade avec mes enfants. J'ai découvert, à quelques minutes de la maison, un terrain presque inculte que je ne me connaissais pas dans une position charmante, à droite la vue de la maison dont on n'est séparé que par un ravin où coule une petite source, à gauche, une percée sur une vallée large et riante, en face et derrière de grandes bois en amphithéâtre. Je planterai là un petit bois. L’idée de cette plantation et votre idée me sont venues en même temps absolument en même temps ; je ne saurais dire qu’elle a été le première. Tout ce qui me plaît me fait penser à vous. Rien ne me plaît vraiment qu'avec vous.
Je voudrais que votre frère eût raison pour votre fortune. Je connais cette façon de se débarrasser de toute inquiétude sur le compte des gens en exagérant leurs avantages. Certainement on dit hableur. Quand vous aurez reçu de nouveaux détails sur vos arrangements, sur le partage des meubles sur l'époque où vous toucherez les capitaux, mettez-moi au courant. Je suis beaucoup plus tranquille que je ne l'étais. Je ne le suis pas encore assez pour mon plaisir.
Mes dernières nouvelles d'Orient restent un peu en suspens. Ce qu'on m’avait mandé me paraît plutôt commencé qu'accompli. Si Méhémet trouve moyen de donner satisfaction à l'Angleterre pour l'isthme de Suez, ses affaires seront bonnes. Mais il faut qu’il fasse cela. Je n’ai rien reçu le matin.

9 heures
Vous voulez revoir ce que vous avez aimé. Vous voulez y croire. Vous y croyez bien plus que vous ne pensez. Vous y croyez naturellement, spontanément, par instinct, c’est-à-dire par l'élan primitif et libre de votre âme. Vous croyez à bien plus qu'à la réunion dans l'avenir. Vous vous croyez en rapport avec eux encore à présent, toujours d’un monde à l'autre. Pourquoi les appelez-vous les priez-vous ? Pourquoi levez-vous les yeux, joignez-vous les mains vers eux. Feriez-vous tout cela, la moindre de ces choses-là si réellement, au fond de votre âme, vous les croyiez sourds, insensibles, tout-à-fait étrangers à vous, morts vraiment morts ? Nous portons en nous une foi obscure, mais invincible à une relation inconnue, mais réelle, avec les êtres chéris qui nous ont quittés. Ils ont des droits sur nous, nous avons des devoirs envers eux. En nous acquittant de ces devoirs, nous croyons satisfaire à quelqu'un. Si nous y manquions nous croirions avoir manqué à quelqu'un. A cette croyance se joint même le sentiment que les morts ne pouvant réclamer, ni se faire rendre eux-mêmes, ce qui leur est dû la dette n'en est pour nous que plus sacrée. Qu’est-ce à dire ? Les morts jouissent-ils ou souffrent-ils donc de ce que leur accordent ou leur refusent les vivants ? Je ne puis pas vous répondre. Je ne dois pas toutes de vous répondre. Comment l'être qui n’est plus de ce monde peut-il être encore affecté de ce qui s’y passe ? Quelle société peut l’unir encore à ceux qui y sont restés ? L'homme ne le conçoit pas, et dès qu’il le cherche, il s'égare. Cependant il y croit, et ne peut pas plus échapper à l’instinct de sa nature que dépasser les limites assignées à sa science. Et remarquez que cet instinct n'a point de prétentions scientifiques ; il se suffit à lui-même. Au moment où l'homme, obéissant à cette voix intérieure, s’acquitte envers les morts de quelque devoir pieux, aucune curiosité, aucun doute ne le préoccupe ; il n’a nul besoin de savoir quel est leur mode d'existence ou quel mode de communication est possible entre eux et lui. Il agit en vertu d’une foi irréfléchie dont il se contente, certain, sans s’inquiéter de la route ni du moyen, que son action a un objet, que ses sentiments iront à leur but. C’est seulement lorsque d’acteur l'homme devient spectateur, lors qu’il interroge sa nature au lieu de la suivre et s'examine au lieu de se croire c’est alors que s'élèvent en lui les doutes de l’esprit, les besoins de la science, et qu’il entreprend, pour devenir savant, de franchir des limites au delà desquelles ses croyances instinctives ne le portaient point. Regardez dans l'âme de cette femme, de cette fille qui vont auprès d’un tombeau, offrir à un mari, à un père, tant de marques de tendresse et de respect. Croient-elles savoir, sur son état depuis la mort, sur sa relation avec elles, ce que cherchent les philosophes ? Pas du tout. Les problèmes qu'agitent les philosophes n'existent pas pour elles ; si elles les voyaient, elles seraient, comme les philosophes, tourmentés du besoin et de l’impossibilité de les résoudre. Essayez de soulever ces problèmes dans leur pensée : demandez-leur comment elles se figurent que le parfum de ces fleurs qu'elles cultivent la fraîcheur de cet ombrage qu'elles entretiennent, vont charmer l'être à qui s'adressent leurs soins. Vous les verrez saisies de trouble ; vous n'en recevrez que des réponses timides, contradictoires. Peut-être même leurs paroles démentiront- elles leurs actes ; peut-être s'accuseront-elles de faiblesse et d’erreur avant votre intervention, elles ne croyaient pas en savoir davantage ; elles ignoraient ce qu'elles. ignorent ; mais elles ne le cherchaient point. Elles adhéraient fortement à une foi simple, naturelle ; et jouissaient de ses espérances, et agissaient selon ses inspirations, sans rien demander de plus. C'est le caractère de cette foi qu'elle n’a point de réponse aux doutes, point de solution des problèmes qu’élève la curiosité de l’esprit. Elle n’est point curieuse elle-même ; elle existe ; elle affirme les faits qu'elle entrevoit. Ne lui demandez pas de les démontrer, de les expliquer. Elle est invincible et sans aucune prétention. Ecoutez-la ; elle vous consolera ; ne l’interrogez pas, car elle ne se chargera point de vous instruire, sublime et modeste à la fois, elle révèle l'avenir et ne tente pas de le dévoiler.

Mercredi 10 h.
Ne manquez pas de me répondre sur le petit hôtel de la rue Belle-Chasse, qu’occupait M. de Crussot. Beaucoup de vos convenances m'y paraissent réunies. J’aimerais bien mieux l'entresol de la rue St Florentin. Mais je crains qu'on n'en veuille 12 mille francs. Adieu. Adieu. Pendant une semaine, vous n'aurez eu de lettre que tous les deux jours. Mais nous voilà, au même pas. Encore adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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295 Du Val-Richer, mardi 22 octobre 1839
7 heures

Pauline va bien. Je sors de sa chambre. Elle a parfaitement dormi. C’est un enfant prodigieusement nerveux, un petit instrument toujours tendu et qui retentit toujours. L’immobilité et le sommeil sont pour elle de vrais remèdes. Je ne sors jamais sans un serrement de cœur de la Chambre de mes filles. Il n'y a point de sécurité où il n'y a pas une mère. La mienne est excellente pour mes enfants, et de la tendresse la plus dévouée. Mais elle a 75 ans.
Votre appartement doit être en effet très bruyant. Mais vous devez pouvoir vous en défendre à force de sourdines. A côté du bruit, il y a de l’espace pour que le bruit s'y répande et s'y perde. Vous jouirez beaucoup du printemps. La verdure, le soleil et les oiseaux reviendront pour vous aux Tuileries plutôt que pour personne.
A propos de retour, les Granville sont-ils revenus ?
Il faut à présent que quelque incident survienne qui fasse faire à la question d'Orient un nouveau pas. Nous sommes tous en Occident arrivés au point où nous resterons sur cette affaire. Je ne vois pas d’où viendraient la concession et le mouvement. Le statu quo indéfini ne se peut pourtant pas. Je compte sur Méhémet. Avez-vous remarqué, dans le Constitutionnel l'humeur de Thiers sur les faveurs de Madrid pour le Maréchal, la toison la grandesse &.. ? Il va, en fait, de jalousie, sur les brisées de M. Molé. On dit que le Maréchal grogne un peu des 30 000 fr que lui coûte le brevet de la Toison. Voici ce qu’on me dit : " Thiers est ici ricanant. beaucoup, mais sans tapage. Ses amis sont très sombres. Ils sont chargés de faire quelques avances aux centres. Mais le mot d’ordre varie tous les jours. Il n’y a qu’un sentiment qui ne change pas, c’est la fureur contre Dufaure et Passy. " M. Passy a gagné quelque chose auprès du Roi. Le Roi le trouve plus intelligent que les autres sur les Affaires étrangères, et aussi plus large, un peu plus aristocratique en fait de Gouvernement. Il a consenti en effet à demander une dotation pour M. le duc de Nemours. Le Roi traitera toujours bien MM. Passy et Dufaure. Il leur sait un gré infini de ce que Thiers ne leur pardonne pas ! M. Dufaure s'affectionne beaucoup au Ministère.

10 heures
Vous m’arrivez à travers un brouillard effroyable. Vous avez le pouvoir de dissiper tous ceux du dedans. Mais ceux du dehors vous résistent. Je suis charmé que Lady Granville, soit de retour. Je reviendrai aussi. Et plus vous me presserez, plus je serai charmé de revenir. La coquetterie est indestructible. N'est-ce pas ? Adieu. Adieu. Ne vous tracassez pas. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 23 Oct 1852

Je fais comme vous le désirez : je ne vous parle pas de votre santé. Mais je compte que d'autres mon parleront. J’ai le malheur, un vrai malheur, de ne pas avoir pleine confiance dans vos impressions ; mais je ne puis rester dans mon incertitude. Dieu veuille que cette fois encore, vos impressions vous trompent et que j'aie raison d'en douter !
Maintenant que l'Empire est fait ; il semble qu’on n'aie plus à parler de rien. J'entends faire beaucoup de raisonnement sur la seule question qui reste, sur le chiffre des suffrages. Je ne me donne pas la peine d’y penser. Je suis convaincu que le chiffre sera fort.
Pas plus que vous, je ne puis croire à Napoléon 3. La faute est si claire et le moyen de l'éviter si simple ! C’est très bien fait de vouloir être roi légitime ; mais il ne faut pas s'y prendre trop tôt, pas plus que trop tard.
Protecteur des lieux saints serait une autre faute un peu ridicule. Si on avait réussi dans la négociation de Constantinople, si on était rentré en possession de la prépondérance sur les Lieux Saints, à la bonne heure ; mais après avoir à peu près échoué, la vanterie serait trop forte. Et qu’en dirait-on chez vous ? Il y a là une question d’amour propre religieux sur laquelle vous vous êtes toujours montrés, très susceptibles.

Onze heures
Votre lettre me plaît. Elle est plus animée. Je voudrais savoir tout ce qui vous abat ou vous relève, suivre toutes vos impressions. J'y réussis bien mal de loin. Adieu. Adieu. Ce que vous me dites d’Aggy me fait plaisir. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Mercredi 20 oct. 1852

Nous ne faisons aucune attention aux affaires d'Orient. Il n’y a plus d'Orient. Les gouvernements de France et d’Angleterre sont trop occupés chez eux et d’eux-mêmes pour regarder au loin. Pendant ce temps, je vois que les révolutions ministérielles se succèdent à Constantinople ; voilà Ali Pacha renversé, le successeur, mais encore l’ami de Reschid Pacha. Je suis sûr que ce sont vos affaires qui se font et que vous faites là. Il n’y a rien à dire. Vous avez raison de profiter des fautes de l'Occident.
Voici une faute qui vous touche peu, et qui m’a choqué. Comment a-t-on, samedi dernier, fait sortir et amené en masse sur le passage du Président, les collèges, et les écoles primaires, des enfants ? Ceci est pire que le suffrage universel. On se plaignait jadis que les étudiants de droit et de médecine, les jeunes gens de 20 ans fussent mis en scène une politique, et on y met aujourd’hui des marmots. Ce n'est ni sensé, ni honnête.
Je ne comprends pas ce que fait Lord Malmesbury pour être mal avec l'Autriche. Je ne leur vois point de sujet de querelle ; à moins que la mauvaise humeur des voyageurs Anglais en Italie, à propos de leurs passeports, ne devienne une question de gouvernement. Ce serait bien absurde. Peut-être aussi le Piémont. qui donne sans doute de l'humeur à l’Autriche. Du reste, les puissances du continent auraient grand tort de se mettre mal avec l'Angleterre ; si jamais l’incendie révolutionnaire se rallumait ce qui n’est pas du tout impossible, c'est encore là qu'elles trouveraient, pour résister, le point d’appui le plus fixe et le plus fort.
Vous avez bien raison de trouver bon que Paris perde l'habitude de faire et de défaire les gouvernements. En soi, l'acte de puissance que font depuis quelque temps les populations des campagnes est excellent ; elles sont hors d'état de gouverner ; mais il ne faut pas qu’on puisse gouverner ou détruire les gouvernements sans elles et contre elles, et la leçon donnée en ceci aux prétentions et aux traditions de Paris est très salutaire.

Onze heures
Je n’ai pas de lettre. Adieu donc. Il fait bien beau temps. J’espère que vous avez le même soleil à Paris et que vous en profitez pour prendre l’air. Adieu, Adieu.
J'ouvre mes journaux. Vous avez perdu votre pari avec M. Molé. Nous aurons l'Empire en Novembre.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Le 31 Août 1852

Ma maison est fort tranquille aujourd’hui. J’y suis seul avec mes filles et mes petites filles. Tous les hommes sont partis pour la chasse qui s'ouvre ce matin. Pauline n’est pas du tout malade, elle a eu quelques soins à prendre pour se remettre de ses couches et un commencement de mal de gorge qui l’a fait rester, 24 heures dans son lit, mais ce n'était rien et elle va bien, comme une personne délicate.
Il y a longtemps que Génie ne m’a écrit. Dans ce que dit le Moniteur sur Constantinople, il n’est pas du tout question des Lieux Saints. Je suppose que cette affaire-là, en est resté où elle était, et qu’on parle des petites affaires arrangées pour éviter de parler de la grosse qui ne l'est pas.
10 heures et demie.
Il ne fait pas chaud du tout ici. Je voudrais bien vous envoyer un peu de ma fraîcheur et de ma verdure normande. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 30 Août 1852

J’ai dîné hier à Lisieux avec l'Évêque, son clergé et les gros bonnets de la ville. Le clergé toujours bienveillant, pour le président. Les laïques sans enthousiasme pour l'Empire et craignant qu’il n’amène la guerre. Tout le monde sensé dans un horizon bas et court. La conversation ne s’arrêtant pas sur la politique et cherchant, d’un sentiment général à se porter ailleurs ; tantôt sur les questions économiques, tantôt sur les questions religieuses. C’est un assez amusant spectacle que de voir ces bourgeois au fond très peu dévots quoique respectueux essayer de prendre intérêt à la querelle des auteurs chrétiens et des auteurs païens, aux citations des pères de l'Eglise, et à la tenue des synodes des prêtres du diocèse.
Avez-vous lu un article du Globe sur les affaires d'Orient, France and Turkey, bien fait et curieux ? Il me paraît que le renvoi de Rachid Pacha, s'il est sérieux ne tournera qu’à votre profit. Plus on ira, plus on sentira la faute d'avoir relevé solennellement cette question des Lieux Saints. La politique de la France en Turquie depuis vingt ans est un tissu d'inconséquences et d'étourderies.
J’étais moi-même dans cette mauvaise voie, en 1840, jusqu'à mon ambassade en Angleterre. J’ai essayé d'en sortir de 1840 à 1848 en me tenant tranquille en Orient, et en n'y traitant aucune question que de concert soit avec la Porte elle-même, soit avec toutes les grandes puissances Chrétiennes quand il fallait agir contre la Porte, c’est-à dire sur la Porte, malgré elle. Il n’y a pas autre chose à faire, tant qu’on ne sera pas décidé à fondre, avec du canon, la cloche. de ce pauvre Empire. On s'en apercevra. pour la seconde fois, lorsqu’on se sera mis, pour la seconde fois, dans quelque mauvais pas, comme il nous est arrivé en 1840 à propos de Mehemet Ali.
Le Moniteur, est un peu embarrassé à parler convenablement du déplacement du monument élevé au Duc d'Enghien dans la chappelle de Vincennes. C’est une pauvre raison à donner de ce déplacement que la nécessité de faire plaisir aux artistes " en rétablissant la symétrie des belles lignes architecturales du temple bâti par St. Louis. " Une phrase sur " le respect qu’on doit à la cendre des morts " n’est pas une compensation suffisante. Il ne fallait pas toucher du tout à la cendre de ce mort-là. Elle brûle encore et brûlera toujours quiconque y touchera.
Pourquoi M. de Persigny est-il à Londres ? Est-ce, comme, on l’a dit, pour le traité de commerce qu’on a tout récemment démenti ? J’ai peine à le croire. Il y a là des intérêts puissants, et auxquels il est aussi imprudent de toucher qu'au monument du Duc d'Enghien

11 heures
Voilà le facteur et le général Trézel qui m’arrivent à la fois. Je n'ai que le temps de vous dire Adieu, et adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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313 Du Val Richer Vendredi soir 8 Nov. 1839
9 heures

Je suis très contrariée. Je ne puis partir que le 13 au soir. Il me faut toute la voiture, et on ne peut me la donner toute entière que le 13. Le 12 elle est prise en partie. Je ne vous verrai que le jeudi soir 14 au lieu du Mercredi. J’étais si content d'avoir gagné un jour. Soyez bien contrariée aussi. C’est la moitié de mon chagrin et toute ma consolation.
Il faut que Génie vous soigne extrêmement car il s’excuse de vous négliger. Il m’écrit. " Depuis huit jours, je néglige un peu Madame le Princesse de Lieven. C'est que nous avons repris nos travaux à la cour. Je suis de Chambre trois jours de la semaine et obligé de travailler chez moi les autres jours, Seriez-vous assez bon pour expliquer cela à Madame de Lieven, afin qu'elle ne croie pas qu'il y a de ma faute ? Convenez que c’est une bonne et consciencieuse créature.
Je n’ai point et n'ai jamais eu d'inquiétude vraie sur nos rapports avec vous pour l'Orient. Encore une fois, nous sommes tous pacifiques. Et Pahlen reviendra le 10 décembre. Vous voyez bien que nous sommes au mieux. Vous me donnez le bulletin de toute la famille, Impériale, grands et petits, et je m’y intéresse. N’entendez-vous rien dire d'Afrique ? Au bout de toutes ces courses du Duc d'Orléans, de toutes ces enthousiasmes arabes, j'attends toujours des coups de fusil. Je n'en ai nulle envie. J’ai envie que ce jeune homme se conduise bien et réussisse. Parle-t-on, dans votre monde du voyage du Duc de Bordeaux en Italie ? Je vous fais des questions comme si je n'étais pas sur le point d’aller chercher les réponses. Que ce jour de plus me contrarie ?

Samedi 9 heures et demie
Je me lève. Je voudrais avoir quelque belle histoire à vous conter et à me conter pour charmer votre contrariété et la mienne. Je n’en ai point. J'ai pourtant reçu hier une lettre de Montevideo, (république nouvelle et chancelante, comme tant d'autres, entre le Brésil et Buenos Aires) d’un homme qui m’avait demandé un service, il y a quatre ans. Je le lui ai rendu il y a près de trois ans. Il l’a appris il y a plus d’un an, et il m'écrit avec passion pour m’en remercier mettant à ma disposition tout ce qu’il peut dans l’Amérique du sud, où il peut quelque chose. Je n'en ai que faire. Il ne peut m'envoyer le jour qu’on m'a pris.
Mes filles m'ont fait de la musique hier au soir leur musique. Pauline a beaucoup plus de dispositions qu’Henriette. Henriette a des doigts excellents, mais une intelligence plus active que ses nerfs ne sont susceptibles. Les impressions qu’elle reçoit ne lui suffisent pas ; il faut que son esprit agisse. Pauline est tout nerfs et impressions. Elle se fondrait à entendre de la musique comme la cire se fond au feu & la neige au soleil. L’une est aisément distraite l'autre aisément absorbée. L’une résonne, l'autre raisonne. Au fond, pour tout ce qui est vertu, caractère, jugement, elles sont parfaitement élevées. Il y manque deux choses l’une, que je suppléerai. L'autre je ne sais pas. Avec leur mère, rien n’eût manqué.

10 heures
Ne soyez pas souffrante, je vous en conjure. Je crains mille fois plus votre mauvaise santé que tout le reste. Je soignerai votre tristesse. Je soignerai votre ennui. Je ne puis rien pour votre santé, et de tous les sentiments, le plus amer est celui de l’impuissance dans l'affection. Adieu. Adieu. A jeudi seulement. Voilà un ennui. Ecrivez-moi jusqu'à mardi inclusivement. Je recevrai votre lettre mercredi avant de partir. Je vous écrirai encore Mercredi matin. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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309 Du Val-Richer, Mardi 5 Novembre 1839
7 heures et demie

Il y avait avant-hier du cream cheese à déjeuner, et il y a ce matin sur ma vallée un brouillard, tout-à-fait pareil. On dit que la Normandie ressemble beaucoup à l'Angleterre. Elles se tenaient évidemment avant le déluge, et il y a entre elles, depuis le déluge, des rapports continuels. Si jamais vous avez mangé à Londres de belles poires et de belles pommes elles venaient peut-être du Val-Richer. Les fermiers Normands les expédient par milliers, et il part toutes les semaines, du port de Honfleur vingt mille œufs pour l'Angleterre. J’entends shabby comme vous, et c’est parce que je l’entends que je m'en défends. Je ne vous vole jamais rien, car je vous donne tout ce dont je dispose. Voilà nos questions de Dictionnaire vidées.
Plus j’y pense, plus je me persuade que Benkhausen n’a pas d’inconvénient. Tout sera fini plus vite. Je n’espère toujours rien quant au mobilier de Courlande. Mais au moins la suppression ne passera pas inaperçue. Je suppose que vous avez envoyé à Cumming copie des questions que vous airez adressées à votre fière.
Que voulait faire. M. de Metternich de la mission de M. de Brünnow ? Terminer l'affaire d'Orient sans s'en mêler, ou nous brouiller avec l’Angleterre sans y paraître ? L’un et l'autre a échoué. Je vois, par ce qu’on m'écrit, qu'on a peu d'inquiétude, et qu’on laissera traîner dans l’idée que le temps est au profit du Pacha, qui possède. On a bien fait de renvoyer M. de Labrador, s'il s’agitait encore pour D. Carlos. Nous ne devons aux partisans de D. Carlos que la stricte légalité et à D. Carlos lui-même qu'une politique raisonnable dans sa froideur. L’Europe a envoyé un aigle qui s’appelait Napoléon et qui la troublait, mourir à Ste Hélène. Nous ferons vivre quelques mois à Bourges D. Carlos qui nous tracasse. Il y a eu tout juste proposition.
J’ai aussi mes tribulations d’intérieur. Mon concierge d'ici est malade. Je craignais hier une fluxion de poitrine. On me dit qu'il est mieux ce matin. C’est un factotum très intelligent et qui met sa fierté à être à mon service, ce qui fait que je lui passe des défauts.

10 heures
Je craignais ce qui est arrivé. La poste n’étant venue chez moi que très tard, m'en est répartie que très tard, et n'aura pas été à Lisieux à temps. Vous aurez eu deux lettres ce matin. Mauvaise compensation. Tout cela cessera dans huit jours. Les tristes chances de la vie seront les mêmes ; mais nous serons ensemble. J'espère que vous me direz bientôt que vous avez des nouvelles d'Alexandre Adieu. Adieu. J’aime mieux le Duc que Benkhausen Dix mille francs, c’est beaucoup pour une commission. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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299 Du Val Richer Samedi 26 oct. 1839 7 heures et demie

Je répète ce que nous avons dit souvent ; quand on approche du terme la route devient assommante ; quand on est près de se revoir on ne prend plus de plaisir à s’écrire. Il ne s’est rien passé depuis que nous nous sommes quittés. J’ai des milliers de choses à vous dire, et l’insuffisance des lettres me choque plus que jamais. Il fait très beau et très froid ce matin. J’ai été me promener hier sur ma nouvelle route par laquelle je m'en irai, et qui va être achevée enfin. Tout le monde dit qu’elle a été faite avec une rapidité inouïe. Il est vrai qu'on l’a commencée, l’année dernière. Pour moi, il me semble qu’on y travaille depuis un temps infini, et qu’elle s’est fait attendre outre mesure. C’est qu’on m'en a et que j'en ai beaucoup parlé. La parole allonge et use extrêmement les choses. C’est ce qui fait que, de nos jours, tant des gens sont blasés en un clin d’œil, ou même d'avance. On parle trop. Au fait, ma route sera fort jolie.
Je suis charmé que Lord Brougham ne soit pas mort. Je lui ai enfin répondu il y a huit jours. Lady Clauricard me revient beaucoup. Est-ce depuis le mariage du marquis de Dauro, ou auparavant ? Vous avez peut-être vu dans les journaux l'histoire de cette comédie de Mad. de Girardin, qui a été reçue à l'unanimité par les comédiens dont l’autorité hésite à permettre la représentation, et qui excite beaucoup de curiosité me dit-on. C’est une vengeance de femme. Elle s’appelle l’Ecole des Journalistes. C'est l'histoire du Mariage de Thiers et de toute sa vie politique et privée. M. Duchâtel paraît décidé à ne pas permettre et il a raison. Mais ces Girardins ont bec et ongles. Ils feront du bruit.
L'ouverture de la session pour le 16 ou le 20 décembre. On voudrait bien avoir quelque chose de plus à dire sur l'Orient. On espère un peu que d'orient même, il viendra quelque chose qui fera faire un pas. Au fond, je ne suis pas convaincu que le Roi soit pressé. Il aime assez à avoir sur les bras, un embarras dont il n’a pas peur.

9 heures et demie
Je suis bien aise que vous ayez 24 mille francs de plus. Mais j'ai peur d’une femme de chambre qui ne l'a jamais été. Comment ferez -vous cette éducation là ? Par un drôle de hasard, trois ou quatre de mes amis m’écrivent aujourd’hui même qu'ils ont vu Thiers, et leurs dires s'accordent parfaitement avec votre conversation. Je vous en parlerai demain. D'après ce qu’on me mande, l'Orient est tout à fait immobile, et on ne compte plus sûr quelque chose de nouveau avant la session. Adieu.
Si vous étiez ici, vous ne resteriez pas dans votre chambre. Il fait vraiment aujourd’hui un temps admirable pour se promener. Il y a des gens qui aiment passionnément les beaux jours d’automne, parce que ce sont les derniers. J'aime mieux les beaux jours du printemps, parce que ce sont les premiers. J’aime l'avenir, ce que j’aime encore mieux, c'est ce qui est éternel. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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293 Du Val-Richer, dimanche 20 oct. 1839
7 heures et demie

Il n’y a rien à dire sur tous ces arrangements puisque votre frère avait plein pouvoir pour transiger. Mais il a poussé l'esprit de transaction aussi loin qu’il se pouvait à vos dépends. Je suis surtout choqué que la rente de vos fils ne commence qu’en 1840, et qu'ainsi on vous enlève votre part dans la première année du revenu de la succession. On peut disputer sur les sommes. M. de Pahlen peut s'être trompé quand il a évalué une année de revenu de la terre de Courlande, à 60 milles francs au lieu de 36. On peut faire je ne sais quels calculs sur le revenu de l'arende. Mais sur ceci il n'y a point d’incertitude possible. Vos fils jouiront du revenu de la succession pendant l’année 1839 et vous, vous n'en aurez rien. Paul sait mieux les affaires que M. de Benkendorf, et s’en soucie davantage. Pourtant, je crois qu’il faut tout adopter et tenir tout pour terminé. Légalement, cela est puisque vous avez donné des pleins pouvoirs et en fait, vous ne gagneriez rien à contester. Vous ne me dîtes pas comment a été réglé le partage des meubles et si on a fini par faire ce que vous désiriez pour la vaisselle.
Médem est allé communiquer au Maréchal une dépêche de M. de Brünnow, sur le peu de succès de sa mission à Londres. Le Maréchal a répondu qu’il ne voyait pas pourquoi on lui communiquait cette pièce puisque les propositions de M. de Brünnow n’avaient pas été adressées à la France. Cela me paraît une manière de rentrer en relations sur le fond même de l'affaire et pour des propositions nouvelles. Je retire ma modeste rétractation. On ne vous a pas tout dit. Il y avait des nouvelles de Vienne non pas définitives, non pas complètes mais favorables à nos propositions.
La Maladie de Méhémet n’a rien de grave. Les affaires de la Reine d’Espagne vont bien. Le Roi de Hollande va la reconnaître. C'est le seul prince d’Europe qui ne tâtonne pas. Il tient cela de ses ancêtres les princes, à la fois les plus réservés et les plus résolus de l’histoire moderne. On va faire quelques Pairs.

10 heures
Le mobilier de Courlande n'a pas été oublié puisque Paul d’après votre lettre d’hier, en a fait insérer l'abandon complet dans l’arrangement, bétail, magasins, tout. Puisqu'il y a si exactement pensé, il se refusera à tout retour. Quand vous aurez fait l’épreuve certaine de votre revenu, s’il ne vous suffit pas, faites-vous dix ou douze mille rentes de plus avec vos diamants. A moins que vous n’aimiez mieux en vendre quelques uns, à mesure que vous en aurez besoin pour combler chaque année votre petit déficit. Vous êtes bien informée sur le courrier de Médem, et sur l'état actuel des relations des Cours. Soignez Palmerston. C’est votre point d'appui. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
277 Du Val-Richer, jeudi 26 sept 1839 9 heures

Je me lève. J’ai eu hier un redoublement de mal de gorge et de toux. Je suis resté tard dans mon lit en moiteur. Je me sens mieux ; mais j'en ai encore pour quelques jours. Il faut bien avoir sa part de mal, en tout genre. Je mange peu, je bois chaud, j'évite l'humidité et je pense à vous.
Vous devez avoir l’entresol au 15 oct. ne le payez à partir de cette époque là que si on vous le remet effectivement. Votre damas rouge trouvera-t-il sa place ? Vous ne devez, pour vos arrangements avoir besoin que du tapissier. Je suppose qu’il n’y a rien à faire du tout dans l’appartement.
On dit que Mlle Rachel a tout-à-fait enlevé le Duc de Noailles, à Mad. de Talleyrand. Voilà Mlle Rachel malade. Il reviendra peut-être.
Mes nouvelles d'Orient sont plus à la paix que jamais. Elles n’ont jamais été ailleurs. Nous cherchons ce que Méhémet Ali peut rendre à la Porte en gardant, héréditairement l’Egypte et la Syrie. Nous voulons qu’il rende quelque chose. Nous trouverons quoi. Nous sommes plus contents de l’Autriche. Que de va et vient inutiles ! Mais il faut bien que les hommes s'amusent, même les Rois.
Champlâtreux vous aura plu. C’est un beau lieu, grand, simple et tranquille. J’y suis allé dîner, il y a quelques onze ou douze ans, avec M. de Talleyrand. C’était trop pauvrement meublé. Mais M. Molé l’a fait arranger, je crois, pour la visite du Roi. Le tableau du Conseil y est-il installé ? Il est bien mauvais.

10 heures
Je ne vous en dis pas davantage aujourd’hui. Le courrier m’apporte trois ou quatre lettres auxquelles il faut que je réponde sur le champ. Adieu, Adieu. Génie m'écrit une longue lettre. Je suis fort au courant de votre bail. De loin. Mad. de Talleyrand, qui lui fait concurrence à cet égard, me dit-il, lui parait un très habile, clerc de notaire. Adieu Paul a bien fait. C'est inconcevable. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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289 Du Val Richer, Mardi soir 15 0ct 1839 9 heures

Prenez-vous quelque intérêt à la querelle du Roi de Prusse avec ses sujets catholiques. Je soupçonne l’archevêque de Posen de s'être enfui pour être repris, et pour attiser un peu le feu que le Gouvernement Prussien essayait de calmer. Rome est encore avec les états protestants comme les Princes légitimes avec les sujets rebelles. Ils se croient tout permis et ne se tiennent jamais pour obligés à rien. Et cette perfidie arrogante les perd plus que toute autre cause. On finit par se persuader qu’il n'y a pour en finir avec eux, d'autre moyen que la force et l'extermination. Je ne sais ce que vous aura dit Lord Granville ; mais malgré son aigreur, le Morming Chronicle a bien envie qu’on ne se sépare pas de nous. Je parie toujours que l'affaire s'arrangera du consentement de tout le monde. On veut bien se bouder, se taquiner ; mais personne ne veut se brouiller avec personne.
Dit-on les nouvelles propositions de l'Angleterre comme on me les a dites, la moitié de la Syrie au Pacha, sauf St Jean d’Acre et en cas de besoin, toutes les flottes ensemble à Constantinople ?
Quand vous aurez le Lord Chatam, dites-moi ce que vous pensez de ce caractère-là. J’aime bien mieux votre impression que le livre, que je lirai pourtant à mon retour.
Il me vient des nouvelles de Thiers, toujours plus aigre contre MM. Passy et Dulaure, et de plus en plus embarrassé de la Réforme électorale. Si les affaires d'Orient s’arrangent, il sera en effet fort embarrassé, car il n’y aura point de champ de bataille au dehors ; il faudra en chercher un au dedans, et il n’aime pas, ceux-là.
Du reste plus militaire que jamais ; la tête lui tourne des guerres impériales ; il ne parle que de l’armée de la triste condition de l’armée du peu qu’on fait pour elle qui est pourtant le seul appui du pouvoir. A Lille, il assiste à toutes les revues, et passe sa vie avec les officiers de la garnison. Sa femme est de nouveau fort malade.

Mercredi, 8 heures
Quand vous verrez Tscham soyez assez bonne pour lui demander si M. Eynard et M. Naville de Châteauvieux sont à Genève en ce moment. Il doit le savoir. Hier, je n’ai pas mis le nez hors de la maison. Il a pli tout le jour. Ce matin il fait le plus beau soleil du monde. Beau sans chaleur, ce qui n’est jamais qu'une demi-beauté. La lumière ne suffit. pas ; il faut le feu. Il me semble que ma toux s’en va tout à fait. Mais je sens bien que l’humidité me la rendrait. Il me déplaît que vous vous soyez établie sans moi rue St Florentin. J’aurais voulu assister au début, et le partager. Vous trouvez-vous bien ? Je regarde avec plaisir ce soleil qui brille sur vous. De qui vous vient le maître d’hôtel que vous avez pris ?

9 heures et demie
J'ai besoin de relire la note de Bruxner pour la bien comprendre et vous l'expliquer. Ce n’est pas trop de notre esprit à tous deux. A demain les affaires. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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288 Du Val Richer, Lundi 14 oct 1839 8 heures et demie

Voici une lettre pour M. Gréterin, directeur des douanes. Je la laisse ouverte pour que Génie la lise et sache bien ce que je demande. Priez-le de la porter de ma part à M. Gréterin après l'avoir cachetée, et de demander la réponse. Je crois qu’il faut une décision du Ministre des finances. Mais M. Gréterin la lui demandera. Je ne veux pas qu'on vous brise le vase en vermeil, et encore moins le buste, en marbre. Est-ce que vous ne pouvez-pas garder Pippin jusqu'à ce que vous ayez trouvé un maître d'hôtel qui vous convienne ? Je sais bien que vous en aurez encore plus de peine à lui faire dire une seconde fois qu’il faut qu'il s'en aille. Cependant j'aimerais mieux cet ennui-là que celui de prendre à la hâte le premier venu. Vous avez quelques fois des hésitations, et quelquefois des précipitations singulières. Entendez-vous dire qu’il y ait quelque chose de sérieux, dans la maladie de Méhémet dont parlent les journaux ? Ce serait encore un dénoue. ment inattendu. Je le regretterais. Le monde n'a pas de gens d’esprit à perdre.

Mardi, 7 heures et demie
Dites moi pourquoi je viens de passer une nuit très agitée, de revoir en rêve toute ma vie, ce qu'elle a eu de plus doux et de plus cruel, vingt cinq ans en quelques heures ! La même Puissance dispose donc de nous, sans nous, la nuit comme le jour, et des chimères comme des réalités. Elle devrait bien laisser la nuit au repos. Je suis brisé ce matin. Quelque confiance qu’on ait dans sa propre vie, si on avait dit au général Sébastiani que son maître d’hôtel, que je connais bien et qui le servait depuis très longtemps serait frappé d’apoplexie avant lui dans Hertford-House, on l'aurait, je crois, bien étonné. Je vous voudrais un maître d’hôtel comme celui-là de fort bonne mine, quoique trop petit, très entendu et très attaché.

Est-il vrai que l'Empereur (il ne me plaît pas de dire votre Empereur) entreprend de miner en Pologne la religion catholique, qu’il a déjà enlevé la moitié des Eglises polonaises au culte catholique pour les donner au culte grec &&. La liberté religieuse était la seule en Russie. C’était même un singulier spectacle que de voir deux états nouveaux, aux deux extrémités du monde, le plus despotique et le plus républicain que le monde ait encore vus, la Russie et les Etats-Unis commencent l'un et l'autre leur carrière, par cette tolérance, qu'au bout de six mille ans le monde civilisé a commencé à peine à entrevoir.

9 h. 1/2
J’aime bien le N°285. Il me rend compte des moindres détails de votre vie, personnes et choses. à cette condition seulement, la séparation est supportable ce qu’elle n'est jamais. Je suis charmé que vous ayez un maître d’hôtel. Mais il faut que le hasard couvre le mal de a précipitation. Cela arrive. Adieu.,Adieu. Non pas mille fois, mais mille vies. G.
J'adresse ma lettre rue Florentin, vous m'auriez averti si quelque chose était changé dans vos projets.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
283 Du Val-Richer, mardi soir 1 octobre 1839 8 heures

Mon médecin me trouve bien. Il a examiné avec grand soin l'état de ma poitrine. Il n’y a rien. C’est un rhume, qui tient bien à une mauvaise disposition des bronches. (c'est le mot savant ) et qu’il faut soigner, mais qui n’a rien du tout de grave. Il pense comme vous, que l’humidité ne me vaut rien et que je ferai bien de ne pas rester ici trop tard. Ma maison n'a pas l'ombre d'humidité ; mais l'atmosphère en a beaucoup, rien n’est plus sûr. Il va passer ici deux jours et me regardera bien. Je me sens beaucoup mieux. J’ai peu toussé aujourd'hui. L’appétit, qui m’avait quitté, me revient.
Pourquoi ne voulez-vous pas que je pense à votre intérêt ? Est ce que ce n’est pas le mien ? Je ne puis m’y donner tout entier à mon regret infini ; mais tout ce que j’y puis donner, j'en jouis autant que vous. D'ailleurs, je ne veux pas arriver enrhumé à la session. Je vais m’arranger en conséquence. Je ne puis vous en dire davantage aujourd'hui. Je tiens trop à la vérité avec vous à la vérité précise. Mais vous pouvez vous fier à moi.
Il y a des gens d’esprit qui ont pensé au troisième parti dont je vous parlais. Ils disent que la coalition de l'Empereur et de Lord Palmerston est très facile à condition que Méhémet ne se défendra pas, car s'il se défend, et fait marcher son fils sur Constantinople jamais Lord Palmerston ne fera trouver bon à l'Angleterre que les Russes soient appelés pour l'arrêter. Du reste le peuple de Paris même celui qui pense à quelque chose, pense bien peu, me dit-on, à l'Orient et au cabinet.
La grande préoccupation, c’est la perspective d’un mauvais hiver, la cherté, la disette, la Banque de Londres chancelante. On dit que la saison vous a maltraités aussi, et que la Russie méridionale est menacée d’une grande disette.
Charlotte me revient à l'esprit. Voulez-vous que je fasse chercher une femme de chambre de Suisse ? Mad. Delessert en a toujours sous la main. Je suis entouré d’un monde très protestant, très pieux, et qui, sous ce rapport là, ne vous donnerait rien que de bon. Ce bon Génie est fort troublé de me craindre malade. Il m'écrit que si je le suis, il viendra s'établir au Val-Richer. Mon médecin lui a écrit ce matin même pour le rassurer.

Mercredi, 9 heures
J’ai très bien dormi. Le sentiment de chaleur et de fatigue que j’avais dans la gorge et la poitrine disparaît dans trois ou quatre jours, il ne restera rien du mal que la nécessité de prévenir ce qui pourrait en amener le retour. Savez-vous si Mad. de Boigne est de retour à Paris, et sinon où elle est ?

9 h. 1/2
Je n’ai pas la moindre rancune de votre oubli de Lord Chatam. J'en avais une vieille à cause de la vôtre pour mon oubli de Berryer. Je me la suis passée dans cette occasion-ci. Et elle est passée. Mon troisième parti vous voyez n’était par aussi terne que celui que vous avez imaginé. Du reste vos présomptions sont justes ; on a beaucoup d'humeur et on espère que les collègues de Lord Palmerston ne seront pas tous de son avis. Adieu. Adieu. Oui au revoir.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
282 Du Val Richer, Lundi soir 30 sept. 1839 8 heures et demie

Il n’est bruit que de la nouvelle coalition, votre Empereur, Palmerston et les radicaux. Aurait-elle la majorité à Londres ? On en doute fort. Palmerston trouvant bon que vous entriez, vous dans le Bosphore et l'Asie mineure, tandis qu'il ira lui sans nous à Alexandrie, cela sera-t-il bien reçu du Parlement ? On croit que cela ne s’y présentera pas. Même avec le correctif d'un corps d’armée Autrichien pour faire le siège de St Jean d’Acre, où il n’ira pas. Tout cela a un peu l’air des mille et une nuits. Il n’y a guère, dans chaque affaire, qu’une ou deux grandes politiques. Quand on n'en veut pas, on tombe dans les politiques petites et arbitraires. De celles-là, il y en a mille.
En attendant, vous parait-il vrai, comme on me le dit, que le Cabinet anglais est plus sérieusement menacé que jamais ? On l'a dit si souvent que cela finira pas arriver sans que je le croie. Voilà Zéa décidément rentré en scène. Si les Cortes dont dissoutes comme tout l’annonce, un parti bien voisin de lui dominera dans les nouvelles. J’en suis bien aise, même politique à part. Je lui souhaite du contentement. Je ne sais pourquoi le bruit se répand dans notre Province que Don Carlos doit y venir habiter et qu’on y cherche un château pour lui. Ce qu’il y a de sûr c’est qu’on a fait visiter deux grands châteaux à peu près abandonnés, et très convenables pour un Prince abandonné.
N’allez pas vous ruiner en curiosités. Quand vous aurez vos affaires signées, vous ferez tout ce qui vous plaira. Je n’ai de ma vie été si méfiant.

Mardi, 8 heures 1/2
Avez-vous décidément adopté la bibliothèque de l'entresol pour votre chambre à coucher ? Je suis bien impatient de vous voir là. Où seront nos habitudes? Vous trouverez votre maison peuplée. Jaubert est arrivé ; fort peu préoccupé de la politique de l'Orient, à ce qu'on me dit ; il n'y a pas moyen d’en rien tirer à ce sujet. Ce n'est pas du tout un esprit de politique étrangère. Il a rapporté de Constantinople une grande préoccupation des conspirations de l’extrême gauche. Elles continuent de plus en plus basses, comme on dit les eaux sont basses. Singulière société qui ne veut ni du haut, ni du bas, ni du soleil, ni de la boue ! Comment viendra-t-elle à bout de s'organiser et de suffire à ses affaires ? Je ne pense pas à autre chose, en fait de choses, depuis deux mois que je vis en Amérique.

9 heures et demie
J’attends mon médecin aujourd'hui. Je voudrais bien qu’il fût de votre avis qu’il en fût positivement. Quoique ce qu’on appelle la raison me dise que j’ai tort de désirer cela. Je suis désolé du mariage de votre femme de chambre. Mad. de Mentzingen ne pourrait-elle vous envoyer sa pareille ? Vous avez confiance aux allemandes. Il vous faut une femme de chambre qui vous convienne beaucoup, et vous plaise un peu. La petite lectrice que Génie vous a donnée vous convient-elle, dans son état, et vous en servez-vous ? Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
281 Du Val Richer. Lundi 30 sept. 1839 9 heures

Je me sens beaucoup mieux ce matin. C’est une singulière chose que la rapidité avec laquelle ce mal de gorge m’envahit s’établit, semble près de devenir une maladie et s'en va. Je suis persuadé qu’en y prenant un peu garde, dans trois ou quatre jours, il n’en sera plus question. Mais c’est bien décidément mon mal.
Je sais peut-être moins de détails que vous sur l'Orient. Quand les affaires ne vont pas à leur satisfaction, ils m'en instruisent plus laconiquement surtout quand l’événement confirme mes avis. J’ai reçu cependant ces jours-ci deux lettres qui sont d'accord avec ce que vous me dites. Mais vous aussi vous êtes trop loin. Deux heures de conversation toutes les semaines nous seraient bien nécessaires. A vous dire vrai, je ne me préoccupe pas beaucoup de cette affaire là quant à présent. Deux choses seules m'importent ; la paix pour le moment, le fond de la question pour l'avenir ; la paix ne sera pas troublée, ni la question au fond résolue. Je tiens l’un et l’autre pour certain. Il ne sortira de tout ceci qu’un ajournement pacifique. Que l’ajournement soit plus ou moins digne, plus ou moins habile, qu’il en résulte plus ou moins de gloire pour les manipulateurs, il m'importe assez peu. Je ne m'étonne pas que Mad. de Castellane vous choque. Elle n'a point de mesure dans la flatterie. Là est la limite de son esprit et le côté subalterne de sa nature. Du reste, rien n'est plus rare aujourd'hui parmi nous que le tact des limites. En toutes choses, nous sommes toujours en deçà ou au delà. C’est le défaut des sociétés renouvelées par les révolutions ; il reste longtemps dans leurs mœurs quelque chose d’informe et de gros, je ne veux pas dire grossier. Il n'y a de fini et d'achevé que ce qui a duré ; ou ce que Dieu lui-même a pris la peine de faire parfait. Mais il ne prend jamais cette peine là pour les peuples.
Voilà votre N°277 et en même temps des détails sur l’orient qui m’arrivent très circonstanciés trop pour la distance où nous sommes.
Vous menez bien votre barque. Vous travaillez à vendre le plus cher possible l'abandon, c’est-à-dire le non renouvellement du traite d'Unkiar-Skelessy. Vous avez tout un plan, dans lequel tout le monde, a son poste assigné contre Méhémet Je ne crois pas à l’exécution. C’est trop artistement arrangé. Je ne suis point invité à Fontainebleau. Je ne sais pas si je le serai. Je suis bien loin. On le sait officiellement. Pour peu qu’on trouve d'embarras à m'inviter moi, et non pas, tel autre, on a prétexte pour s’en dispenser. Adieu. Adieu. Moi aussi, j’attends l'hiver. Je vous en réponds. A propos, je ne sais de quoi, je ferai comme vous avez fait quand j’ai oublié votre commission auprès de Berryer. J’attendrai que je voie Bulwer pour lui demander moi-même des renseignements sur Lord Chatam.
Adieu, quand-même. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
280 Du Val Richer, samedi 28 sept 1839 5 heures

Je ne veux pas faire comme ces deux derniers jours, ne vous écrire que le matin quand je ne le puis plus. Je m'ennuie d'être si peu avec vous. Votre conversation me serait si agréable ! Je suis fatigué, mal à l'aise. Il faut que je me mette à la diète, car quand j’ai mangé, j’ai toujours plus de toux et d'oppression.
Pour une fois, Démion a raison. Quand on entre le 15, on paye à partir du 1er. Ayez en effet le moins d'affaires que vous pourrez. Vous n’y êtes. pas propre. J'attends toujours avec impatience que tout soit revenu de Pétersbourg, vraiment fini, signé. J’ai de tout votre monde, une défiance sans mesure. Les meilleurs sont si indifférents et si légers. C’est sitôt fait d'oublier. Ne trouvez-vous pas qu’il y a dans tous nos journaux un concert de modération pour l'Espagne. Ils semblent tous tremblants que les Cortes ne fassent quelque sottise. La Reine d’Espagne est bien puissante, en ce moment. Quelles vicissitudes !
Bolingbroke, qui venait de chasser du conseil de la Reine son rival le comte d'Oxford et d'être chassé lui même par les Whigs ses ennemis, écrivait à Swift : " Oxford a été renvoyé mardi ; la Reine est morte Dimanche. Quel monde est celui-ci, et comme la fortune se moque de nous ! " On l’oublie toujours.

8 heures
Je voudrais en avoir fini de la journée de demain. Quand je suis en bonne disposition, je m’arrange avec l'ennui ; je m’y prête et cela va. Mais il faut avoir sa voix, ses jambes ; il faut parler et marcher tant qu'on veut.
Est-ce sincèrement ou par diplomatie que Lady Cooper trouve toujours que tout va bien ? Il faut une foi aussi robuste que la vôtre de la mienne dans la bonne constitution de l'Angleterre pour n'être pas inquiet de ce mouvement continue et accéléré sur la pente radicale. Au fond, je ne le suis pas. Je crois toujours qu’on se ravisera & se ralliera à temps. Ce sera un bien grand honneur pour les gouvernements libres, car l’épreuve est forte. Si elle finit bien, il n’y aura pas eu dans le monde, depuis qu’il y a un monde, une plus belle histoire que celle de l’Angleterre depuis cinquante ans. Mais il ne suffit pas qu'elle se tire de là sans révolution. Il faut qu’elle garde un grand gouvernement. C'est là le point le plus difficile du problème.

Dimanche, 9 heures
Je me lève ayant très bien dormi, selon ma coutume, mais toussant toujours et avec de l'oppression. Je vais voir mon médecin qui me dira que c’est un rhume, qu’il faut me tenir chaudement et attendre. Et j'attendrai. Voilà le 276.
Il y a un mois que j’ai écrit à M. Duchâtel d’y bien regarder, que nous finirions par nous trouver seule, et vous avec tous les autres notamment avec l'Angleterre. Encore une des moqueries de la fortune.
Moi aussi, je voudrais bien causer avec vous. Il y aurait bien un troisième parti à prendre. Mais on ne le prendra pas. Vous avez agi habilement. Vous vous êtes faits les plus fermes champions de l’intégrité de l'Empire Ottoman, non plus à vous seuls, mais en commun avec tous ceux qui la voudraient comme vous. N'allant pas à Constantinople, personne n’ira, et vous restez toujours avec le droit d’y aller quand la Porte vous le demandera ! Cette affaire-ci se règle en dehors de vos habitudes. Vous avez plié devant la nécessité, mais sans changer de position. Vous pouvez vous redresser quand le jour viendra.
Adieu. Adieu. J’attends vingt personnes, et j'ai ma toilette à faire. Adieu G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
278 Du Val-Richer, Vendredi 27 sept 1839 8 h 3/4

Je vous écris de mon lit. Non que je sois plus souffrant ; mais hier je me suis trouvé bien d'y être resté quelques heures, et on a voulu que j'en fisse autant aujourd'hui. Je tousse moins et je n’ai presque plus d'oppression. Quand je suis fatigué, mal à l’aise, enfoncé dans mon fauteuil, que vous me seriez douce ! Que votre voix me rafraîchirait la poitrine. Pourtant j’aimerais encore mieux être auprès de vous quand c’est vous qui souffrez.
Génie me mande qu’il vous trouve mieux que les premiers jours où il vous a vue. Il dit que Mad. de Talleyrand vous instruit fort bien sur l'imposition personnelle et mobilière, et qu’il vous a envoyé M. de Valcour dont vous êtes contente. Servez-vous de lui pour que votre tapissier ne vous vole pas trop. Je vous garantis deux choses sur mon monde, leur honnêteté et leur dévouement. J’ai la passion des honnêtes gens et de l'affection, dans tous les états et pour tous les emplois.
Je ne vous parle pas de la pauvre dépêche de Sébastiani. Vous la savez. Le Roi me fait demander où je désire qu’il m'envoie un service de porcelaine qu’il me destine, à Paris ou à la campagne. Je réponds à la campagne. C'est le premier présent que je lui aie vu faire excepté le tableau de Champlâtreux. N'en parlez pas jusqu'à ce qu’il soit arrivé.
Soupçonnez-vous quelque chose du motif de l'Empereur, en rayant votre fils ? Ce ne peut-être à cause de vous. Il l’avait si bien reçu d'abord ! Et puis Paul n’est pas vous aujourd'hui. Il faut qu’il y ait quelque chose de personnel à Paul, quelque propos.
Nous offrons, pour Méhémet, la restitution immédiate du district d'Adana à la Porte et celle de Candie après la mort de Méhémet. Mais nous tenons à la Syrie, et Méhénet me paraît y tenir encore mieux que nous. Il a raison. C’est toujours lui qui a droit de paix et de guerre sur l’Europe.
Vous vous êtes trompé sur le n° de votre lettre de Mercredi. C’est 272 et non 273. Je vais me lever.

10 h. Vos renseignements sur notre pacification d'Orient ne sont pas tout-à-fait d'accord avec les miens. Vous pourriez bien avoir raison. On est sur cette pente là. Rien n'empêche adieu. J’ai le soleil aussi ce matin. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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233. Du Val Richer Vendredi soir 2 Août 1839

Ni moi non plus je n’ai rien à vous dire. Je suis de mauvaise humeur. Je mène demain mes filles à Caen. Il faut que je parte de bonne heure avant l’arrivée de la poste. Je n’ai pas eu de lettre aujourd'hui ; je n'en aurai pas demain, et après-demain à 2 heures seulement à mon retour ici. Je vous répète que je suis de mauvaise humeur si vous ne m’avez pas écrit, pourquoi me disiez- vous la veille que vous ne m'imiteriez pas ? Et si vous m’avez écrit, pourquoi ce matin n’ai-je pas eu votre lettre ?
Voici mes nouvelles de ce matin. La flotte Turque est arrivée le 14 et s'est mise absolument à la disposition de Méhémet. L'amiral Stopford ne l’a pas plus arrêtée que n'avait fait l'amiral Lalande. Ainsi, on ne peut nous imputer un prétendu concert, Méhémet a déclaré qu’il ne rendrait la flotte que lorsque Khosrer Pacha ne serait plus à la tête des affaires et qu'on lui aurait accordé l’hérédité des pays qu'il gouverne. Mais en même temps l’armée égyptienne a reçu ordre de se retirer derrière, l’Euphrate. Ceci est la grande nouvelle, car ceci prouve que l'affaire se dénouera par la Diplomatie, Méhémet ne voulant donner prétexte à personne pour la dénouer autrement. C'est ce qu’on m’écrit avec une vive satisfaction. Vous le savez peut-être déjà.
Avec cette dépêche d'Alexandrie, ce que le courrier m’a apporté ce matin de plus piquant, c’est un petit livre intitulé : L'Almanach des Chasseurs, pour l’année de chasse 1839-1840 et qui débute ainsi : " Les profanes comptent quatre saisons dans l'année ; les chasseurs n'en comptent que deux : 1° Celle où l'on chasse. 2° Celle où l'on ne chasse pas. " Puis viennent toutes sortes de préceptes et de conseils, comme celui-ci : Tuez les geais, les pies, les buses, les oiseaux sont remplis de ruses. "
Rien de tout cela n’est à mon usage, car je ne chasse pas. Vous voyez bien que la poste aurait beaucoup mieux fait de m'apporter votre lettre. Adieu jusqu'à demain matin. Plût à Dieu !

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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229 Du Val-Richer, Lundi 29 Juillet 1839 - 3 heures

Je rattraperai aisément la mesure, car l’air me plaît. Je voulais ménager votre force et vos yeux. Donnez m'en tout ce que vous voudrez. J’ai de quoi vous rendre. C'est, je crois le défenseur de l’archevêque Land qui a dit le premier qu'avec cent lapins blancs ou ne fait pas un cheval blanc. Avec cent lettres de Baden et du Val-Richer, on ne fait pas une conversation de la Terrasse. Mais j’aime mieux cent lettres que cinquante. Pourtant je ne redeviendrai quotidien qu’à partir de Jeudi 1er août.
Je mène demain mes deux filles à Caen, chez leur dentiste de province. Il faut leur ôter deux dents de lait que Brewster a voulu ajourner quand elles ont quitté Paris. Il y a un bon dentiste à Caen. J'en reviendrai après demain soir. Cette course me dérange ; mais je suis mère.
J’attends avec grande curiosité la confirmation des nouvelles d'Orient. On dit que le capitan Pacha est un homme à vous, qui avait beaucoup contribué au traité d'Unkiar-Skelessi et vous fut, aussitôt après, envoyé comme Ambassadeur. Les habiles soutiennent que tout cela n’est pas clair. Pour moi, je me suis décidément retranché les prophéties. Je veux voir.
Avez-vous entendu dire que le comte de Pahlen remplacerait Pozzo à Londres ? J’en serais fâché et pour vous et pour nous. A moins qu'on ne nous redonnât Pozzo mourant. Mais cela ne se peut guère. Votre pauvre ami de Hanovre commence à prendre peur. Il s’est chargé de plus qu’il ne peut porter. Ç'a toujours été un grand métier que celui de despote. De nos jours, il y faut Napoléon. Encore s’y est-il cassé le nez. Est-ce qu’il ne vous vient plus de lettres de là ? Du reste, il me semble qu’il vous parle toujours plus des Affaires d’autrui que des siennes. Il me semble que j'ai vu autrefois. M. de Malzahn à Paris, en 1820 et 1821. N’a-t-il pas été Ministre de Prusse à Munich, ou à Stuttgart ? Je le confonds peut-être avec un M. de Maltzen qui était aussi dans la diplomatie Prussienne ; homme d’esprit, un peu solennel.
L'humeur de la Chambre des Pairs porte ses petits fruits. On aurait voulu qu’elle fit sur le champ un second procès, pour en finir de ces gens du 12 mai, comme on en finit. Il n'y a pas du moyen. Les Pairs n’ont pas voulu en entendre parler. Leur commission d’instruction va en mettre en liberté tant qu’elle pourra, et ceux qui resteront attendront en prison que la Chambre ait un peu repris cœur aux procès. C'est encore un excellent instrument de gouvernement qu’on a bien vite usé. Les fêtes ont été on ne peut plus paisibles. Fort tièdes. Les hommes ne se réjouissent pas par commémoration. Il n'y a de solennité durable, en l’honneur d’un grand événement, que celles qui portent un caractère religieux. On ne puise un peu de durée que dans l'éternité. Notre temps a étrangement perdu l’intelligence de la durée et de ses conditions. Jamais les hommes n’ont vécu concentrés à ce point dans le présent. Petite vie, et qui fait toutes choses, à sa mesure. Et pourtant, il y a dans les idées, dans les sentiments, dans les institutions de notre temps, le germe de grandes choses très grandes. Mais pour que les grandes, choses viennent, il faut extirper les petites. On ne peut pas avoir de taillis sous les hautes futaies. Et de notre temps, les petites choses sont innombrables, petits intérêts, petits conforts, petits désirs, petit plaisirs. Il y a des facilités infinies pour dépenser sa vie et son âme en monnaie. C'est mon désespoir de voir de quoi on se contente aujourd'hui. Parmi vos raisons de me plaire, celle-ci m’a beaucoup touché, vous avez l’esprit et le cœur superbe. Cela coûte cher ; mais n’y ayez pas regret. Cela vaut encore davantage, n’est-ce pas ? Adieu pour aujourd’hui. Je vous dirai encore adieu demain avant de partir. J’oubliais de vous dire que Madane d'Haussonville est fort heureusement accouchée d’une fille. C'est ce qu'elle désirait. J’en suis charmé pour son père. Sa première couche avait été fort pénible et le tourmentait.

Mardi 9 heures 1/2
Bonjour et adieu. C'est la même chose, toujours la même et et toujours charmante. Je vous écrirai demain. Je ne vais à Caen que samedi. Encore adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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13 Val Richer, Jeudi 9 juin 1853

C'est curieux à quel point le pays qui m'entoure est peu préoccupé de l'affaire d'Orient. On ne joue pas d’ici à la Bourse. Tout le monde est convaincu que l'affaire s’arrangera sans guerre, et toutes les incertitudes et oscillations qu'elle pourra subir d’ici là ne font absolument rien à personne. Je ne dérange personne dans cette impression, car c'est la mienne.
Mon Galignani me dit que Lord Westmoreland, Lord Howden, M Crampton et Bulwer vont quitter leurs postes. C’est la nouvelle d’il y a six semaines. A-t-elle aujourd’hui quelque réalité ?
Je comprends qu’on veuille vous retenir à Paris. Les fidèles n'aiment pas que leur confesseur s'éloigne. Il n’y a rien de si difficile à trouver qu’un confesseur. Si chacun vous disait réellement ce qu’il a dans l'âme vous seriez en effet un confesseur, bien plutôt qu’un confident, car l’embarras où l'on est aujourd’hui est bien la faute des acteurs, il n’y avait, dans les choses mêmes, absolument rien qui les y poussât.
Je vois que les trois irlandais ont repris leur démission. J'en suis bien aise pour Lord Aberdeen à qui cela épargnera des embarras. Sa lettre n’est pas très agréable pour lord John. Voilà une petite affaire qui, en fait de brouillerie, a été aussi loin qu’il se pouvait sans devenir une rupture décisive. Il en sera de même de la grande. La querelle suisse et autrichienne se raccommode aussi. Nouvelle preuve.
J’ai reçu des lettres de Suisse bien lamentables. Non seulement le canton de Fribourg mais aussi celui de Duchâtel est dans un état d'oppression pour les honnêtes gens, à faire pitié. Et là, les honnêtes gens sont, la majorité. On aspire au Roi de Prusse, plus qu’on n'espère.

Midi.
Moi aussi, je suis triste de votre départ. C'est de la distance de plus. Mais je ne viens pas à bout de m'inquiéter de la guerre, soit qu’elle commence ou non. Adieu, adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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384. Londres, dimanche 31 mai 1840
Une heure et demie

Le voilà ce prétendu 388 qui est le 387. Où est-il allé ? Qui l’a arrêté en route? Je n’en sais rien. Je n’y comprends rien. Enfin le voilà, avec le vrai 388. J’ai passé une très mauvaise journée. J’avais l’imagination très noire. J’ai promèné mon mal partout, chez Lady Kinnout à Holland-House, chez Lady Jersey. Vous m’avez suivie partout, malade, mourante, je ne sais quoi. En rentrant, j’ai monté l’escalier quatre à quatre ; j’ai regardé sur ma table, s’il n’y avait pas une lettre quelque oubli de la poste, quelque voyageur. En ne voyant, rien, j’ai eu un mécompte comme si j’avais attendu quelque chose. Par moments, des moments bien courts, je m’en voulais de tant d’anxiète que les spectateurs, s’il y en avait eu, auraient à coup sûr, appelée tant de faiblesse. Ah, que les spectateurs sont sots ! Pour comprendre le chagrin, il faut sentir l’affection ; et l’affection, le chagrin, tout cela est personnel ; on ne le sent que pour soi-même. On passerait pour fou si on laissait entrevoir la millième partie de ces suppositions, de ces émotions innombrables, ingouvernables, qui obsèdent le cœur.
Il y avait dans la lettre du gros Monsieur, 386 une phrase dont je ne pouvais me délivrer : " Je me sens si malade ? " Je lisais cela partout, dans les yeux de mes voisins, dans les journaux du soir. Je n’y veux plus penser. Non, je ne veux pas vous faire courir la poste comme un courrier, ni vous forcer à traverser un jour de gros temps. Mais voulez-vous bien sérieusement que je ne sois pas trop impatient pour le 15 ? Voyons dites ; voulez-vous ? Convenez que j’ai un bon caractère. Rappelez- vous vos colères, vos reproches quand j’ai tardé d’un jour, quand je n’ai pas été parfaitement sûr. J’ai bien envie, pour me venger, de vous conter toutes les coquetteries que m’a faites hier Lady Kinnoul. Je voudrais bien savoir de quel droit lady Kinnoul me fait des coquetteries. Mais droit ou non, elles étaient bien coquettes.
Lord & lady Hatherton, lord et lady Manvers, lord et lady Cadogan, lord et lady Poltiemore, lord Liverpool, M. Leshington. Voilà le dîner. Personne, le soir à Holland house, Si ce n’est au bout de la bibliothèque, lady Essex, l’actrice Miss Stephens, assise au piano et chantant très agréablement pour Lord Holland et M. Allen. 3 heures J’ai été interrompu par la visite de Chekib. Effendi. Celui-là est intelligent. Il est pressant. aussi. Il a raison. Son Empire s’en va. Et si on fait naître là une guerre, quelle qu’elle soit il s’en ira encore plus vite. L’immobilité de l’Orient, l’accord général de l’Occident, à ces deux conditions la Porte peut encore durer. Si l’une ou l’autre manqur, si nous nous divisons ici et si on se bat en Asie, c’est le commencement du grand inconnu. Je dis cela beaucoup, et tout le monde est de mon avis, presque tout le monde. Mais les avis sont peu de chose ; c’est la volonté qui fait.
Ce cabinet-ci est dans une situation bien critique pour élever dans ses chambres et dans le monde, une si grande question. Et je doute que sa situation critique soit de celles dont en sort en élevant une grande question. Je ne crois pas qu’il y ait à s’abstenir définitivement, beaucoup de jugement, ni de prévoyance. Et j’attendrais sans beaucoup de crainte la démonstration des évènements. Votre conversation avecT hiers est charmante. Je suis quelque fois tené de croire qu’il est embarrassé et se déchargerait volontiers de son embarras, pour un temps, sur les épaules d’autrui. Nous verrons jusqu’à quel point la fécondité de l’esprit, la dextérité de la conduite et le talent de la parole suffisent au gouvernemen t! En attendant, il est absurde de se plaindre qu’il ne s’occupe pas des petites affaires. Je suis sûr qu’il s’en occupe plus qu’on n’a le droit de l’exiger dans sa situation. C’est précisément une de ses qualités de pouvoir penser à la fois à beaucoup de choses, grandes et petites, et porter rapidement de l’une sur l’autre son activité et son savoir faire.

Lundi 1 juin
Je trouve en m’éveillant le Roi de Prusse mort de plus grands que lui sont morts. Je le regrette. C’est toujours beaucoup qu’un Roi honnête et sensé. Je me suis intéressé à lui dans ses temps de malheur. La façon dont ils étaient traités lui, sa femme, son pays, m’indignait. Je n‘ai pas à me reprocher d’avoir pris plaisir à à Mexico et à Calcutta comme dans un écho. La place manquera à l’ambition et à la puissance des hommes. Priez Dieu qu’ils ne deviennent pas fous.

2 heures
Je reviens d’un meeting on the slave trade, où le Prince Albert a fait son début in the chair. et je trouve le 389, votre départ pour le 13. Vous ne m’avez jamais donné de si principale nouvelle. J’ai quelques doutes sur un congé à demander à Thiers pour Génie. Sans cela, rien de plus simple que de le faire venir ici pour huit jours en vous accompagnant. Il faut que j’y pense, et que je lui en écrive à lui-même. Cela se pourra peut-être sans inconvénient. Je serais charmé de vous donner ce gardien là. Mais je ne veux pas que Thiers suppose je ne sais quoi. C’est bien intime de faire ainsi passer mon intérêt avant votre agrément. Mais je suis sûr que vous le trouvez bon. Le meeting était très nombreux et intéresant. Le Prince a été fort bien reçu. O’Connell et Sir Robert Peel également bien reçus, également applaudis. Public très impartial, et prenant. plaisir à se séparer de la politique. Grand applaudissement aussi à mon nom et à ma l’arrogance brutale et déréglée que j’ai vu régner. Elle était pleine de grandeur ; mais la grandeur à son tour était pleine de grossiéreté et de folie.
Le rappel de Ste Hélène, c’est juste. Les Invalides c’est juste, St Denis aussi serait juste, quoique moins convenable. L’apothéose serait une impièté. Et aussi une demence. La Prusse elle-même m’intéresse. Il y a en Europe trois pays que j’aime après le mien : l’Angleterre, la Hollande et la Prusse. Je suis très protestant par là. C’est la Réforme qui a fait ces trois pays, qui a fait leur caractère, et en bonne partie leur grandeur. Et l’Europe leur doit une bonne partie de la sienne, sans compter l’avenir. Il n’y en a plus pour la Hollande. Les petits pays sont morts. Deux choses aujourd’hui sont trop grandes pour eux, les idées et les évènements. Ni l’esprit, ni l’activité des hommes ne peut plus se contenir dans un étroit espace sur notre terre, le plus grand espace sera bientôt si étroit ! De Londres à New York, douze jours ; bientôt six jours ; on construit en ce moment à Bristol une machine qui double la force de la vapeur. On se promènera autour du monde. Les paroles dites à Paris retentiront. personne, mentionnés assez éloquemment par le sir Lushington. Mais puisque, vous ne devez ignorer aucune de mes vanités, voici mon plaisir de ce matin. Je suis arrivé un peu tard à Exeter hall. Le Prince était déjà in the chair. On se pressait pour entrer. Sur l’escalier, à la porte de la salle dans la salle, la foule était immense. En abordant la foule, j’ai dit the french ambassador, pour m’aider à avancer. Le premier venu à qui je l’avais dit, a dit à ses voisins. Mr Guizot. Tout le monde, a répété mon nom, personne ma qualité, et tout le monde m’a fait place. Un fils de M. Wilberforce, archidiacre dans l’ile de Wight, a parlé supérieurement avec beaucoup d’éloquence, naturelle et spirituelle. Sir Robert Peel a bien parlé, éternellement bien. Je vous dis que vous ne connaissiez pas M. de Brünnow. Savez-vous comment il était vendredi dernier, à une heure du matin, dans le vestibule de Buckingham Palace, sortant du concert de la Reine et attendant sa voiture au milieu de la très bonne compagnie qui attendait comme lui ? Une sale casquette de voyage sur la tête pour ne pas s’enrhumer. Je suis un peu choqué que vous m’ayez dit que je lui plairais. Du reste, je crois que vous avez eu raison. Il parle très bien de moi Il me semble que l’approche de notre rencontre me rend bien bavard. Vous ne vous plaindrez pas que cette lettre soit courte. J’en ai bien plus long à vous dire. Adieu. Adieu. Quand vous serez ici, il me semble impossible que nous n’arrangions pas tout vous, moi, Londres, et la campagne. Il y a deux choses avec lesquelles on peut tout. La seconde, c’est de l’esprit. Devinez la première. Adieu. Ma mère vous priera peut-être de m’apporter le portrait d’Henriette, dans une boite. J’espère qu’il ne vous embarrassera pas trop. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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440. Londres, jeudi 15 octobre 1840
8 heures

Le travail commence pour m’engager à retarder mon départ. Flahaut s’est mis à l’œuvre hier en dînant chez moi. Et aussi ce jeune Lavalette que Thiers vient de me renvoyer. Les arguments et les caresses abondent. Je réponds simplement que j’ai demandé mon congé, que le jour de mon départ de Londres et celui de mon arrivée à Paris ne sont pas fixés. Mais que je serai certainement à Paris, du 28 octobre au 2 novembre. On n’insiste pas. On recommence. Je répète Je ferai ce que je dis. J’ai écrit à Génie de dire, de ma part à M. de Broglie, que j’étais décidé, que je voulais pouvoir être à Paris, le 28 octobre si cela me paraissait nécessaire ; que je ne m’attendais à aucune difficulté à cet égard mais que, si on pensait à m’en faire, je priais qu’on me les épargnât, car j’avais un un parti pris et je serais certainement à Paris du 28 octobre au 2 novembre. Je suis persuadé que malgré la bonne envie, on ne fera aucune difficulté. Mes amis se sont souvent trompés, je devrais dire que j’ai souvent trompé mes amis à mon égard. J’ai avec eux du laisser aller trop de laisser-aller je n’aime pas les refus, les contradictions, les petites querelles. J’aime la facilité, la complaisance. J’aime à faire plaisir à mes amis. Trop j’en conviens ; ou plutôt je crains trop de les contrarier. Le moment arrivé pourtant où j’ai mon parti pris, je refuse, je refuse péremptoirement. Ils ne s’y attendent pas. Ils s’étonnent un peu de rencontrer la limite de ma facilité. C’est ma faute. Il faut être quelquefois contrariant et raide sans nécessité, pour pouvoir l’être sans exciter de surprise, ni tromper l’attente au moment de la nécessite. Les nouvelles d’Orient sont bien insignifiantes. On commence à craindre ici ce que je vous disais, la longueur du temps, l’hiver, la fièvre. C’est du humbog de dire que la Syrie est soumise. Jamais Gascon n’a dit mieux. Et si elle ne l’est pas dans le cours de ce mois, elle ne le sera pas d’ici au printemps prochain. Et d’ici là, on ne pourra, on ne fera à peu près rien pour la soumettre. La légèreté humaine, la présomption humaine l’imprévoyance humaine, l’insuffisance de l’esprit humain. Je deviendrai un vrai prédicateur. Les sermons ont raison. Lady Holland a été malade, vraiment malade l’autre jour ; une quasi cholérine. Elle s’est trouvée mal ; il a fallu quitter la table, passer la soirée dans sa chambre. Elle était hier au soir fatiguée et changée.
Lord Melbourne et lord Lansdowne. Celui-ci était venu me voir le matin. Très sensé et très impuissant. C’est un exemple frappant de ce que peut et ne peut pas donner une grande situation aristocratique. Il est très instruit, très éclairé, très considéré très riche, très bien établi dans le public et dans le gouvernement. Il n’est rien. M. de Flahaut part samedi. On dit que décidément Emilie épousera lord Ephinstone qui reviendra de l’Inde l’été prochain. On dit que lord Ossulston l’épouserait s’il voulait. On dit qu’il épouserait lady Fanny Cowper, s’il voulait. On dit beaucoup de choses de Lord Ossulston. Lady Tankerville a perdu chez Hammersley l’argent qu’elle destinait à son voyage, en France. Elle n’ira pas. Lady Palmerston a perdu 1200 louis. Lady Fanny 400. Je vous dis ce qu’on me dit. On vous l’a peut-être déjà dit. Je vous l’ai peut-être déjà dit moi-même. Nos bavardages ne porteront guère sur cela. Ils porteront surtout.

3 heures
Je viens de faire le grand tour de Hyde Park seul. Décidément j’aime mieux être seul. Décidément aussi, c’est une supériorité que j’ai sur vous. Je n’ai pas besoin des indifférents. Vous pouvez me la pardonner. Vous n’en souffrez pas. J’ai quatre chanteurs anglais qui viennent souvent, pendant ou après, le dîner, chanter dans ma cour des paroles anglaises sur de l’excellente musique allemande. Trois hommes et une femme, Ils sont venus hier. J’ai soulevé ma fenêtre. Je les ai écoutés une grande demi-heure : c’était triste, c’était gai, c’était grave, c’était tendre. J’ai passé par toutes ces impressions et toutes me portaient à vous. Elles m’y portaient doucement, légèrement, comme on doit être porté sur un nuage. Je ne voyais rien ; je ne pensais à rien ; je flottais dans l’air, bercé de sons charmants qui me parlaient de vous. C’était délicieux, mais si court, comme les beaux rêves. Même au soin des plus beaux, on sent qu’on rêve, on n’a pas de confiance. C’est là que le bonheur est vraiment une ombre. La réalité, la présence, le bonheur éveillé, celui-la seul remplit l’âme et y laisse une trace éternelle. Je suis très contrarié que mardi, à une heure, vous n’eussiez pas encore ma lettre de Dimanche. Je comptais qu’elle vous arriverait de bonne heure. On vous l’aura remise dans la journée ! Ce n’est que la moitié du plaisir que je voulais vous donner et le mien me manque.
Mon jeudi est médiocre. Il y a au moins trois ou quatre choses, que je vous ai demandées depuis huit jour, et auxquelles vous n’avez pas répondu. Rien de grave ; mais enfin des questions sans réponse. On met ma voiture de voyage en ordre. Je recherche les jours de départ des bateaux de Londres au Havre, de Southampton au Havre de Brighton à Dieppe. Adieu. Adieu. Un adieu d’espérance. Ce n’est pas encore le meilleur.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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437. Londres, lundi 12 octobre 1840
2 heures

Vous ne serez pas contente de ma lettre d’aujourd’hui. J’ai bien peur qu’elle ne soit courte, et vide aussi. J’ai travaillé toute la matinée. Je viens de chez lord Melbourne. J’irai tout à l’heure chez lord Palmerston. Bien des choses et bien des gens se remuent. Nous verrons le résultat. Je suis las d’attendre et de prédire. D’attendre surtout, car pour prédire, je n’en ai pas abusé. Je parie encore pour beaucoup de longueurs. Comme toujours, on est plein ici de présomption et d’illusion Parce qu’on a bombardé Beyrouth et débarqué 6000 Turcs, on se croit maître de la Syrie. Des renseignements, qui méritent au moins autant de confiance que ceux dont on se prévaut, me donnent lieu de croire qu’eût-on fait partout, sur le littorab, ce qu’on a fait à Beyrouth, on ne serait pas si avancé, tant s’en faut. Ibrahim et Soliman-Pacha se promettent de tenir très ferme dans l’intérieur, et de faire durer la guerre. Napier lui-même dans ses rapports officiels donnés à Ibrahim 120 000 hommes.
En vérité jamais plus de passions, n’ont été excitées, et de hasards courus pour un si mince motif. Hier soir à Holland house. Nous sommes de mieux en mieux. Lady Holland et moi. Il y a quelque temps, elle m’a demandé, la gravure de mon portrait. Je la lui ai envoyée hier. Elle a été charmée. J’ai envie qu’on me mette dans l’escalier au dessus de vous. J’y dîne aujourd’hui. Ils ne retournent pas à Brighton. Il y a conseil de Cabinet Jeudi.
J’ai fait connaissance hier avec lord Ebrington, qui a l’air d’un bien bon et honnête homme. Il arrive d’Irlande et me paraît fort peu préoccupé du bruit pour le repeal. Il y a bien du bruit partout. J’ai de très bonnes nouvelles du Val-Richer. Mes enfants, deux surtout ont été assez longtemps languissants, après la jaunisse. Ils sont très bien à présent. J’espère toujours aller les prendre et les ramener avec moi à Paris. J’aime bien 448.
J’aime bien vos inquiétudes, vos ombrages, vos susceptibilités. Je m’explique bien des choses, quelques unes tristes, toutes bien petites. C’est dommage. Mad. 62 avait plus de grandeur que 20. Il a le cœur élevé rien de grand. Quant à 1, il s’ignore beaucoup lui-même comme il ignore les autres. Je répète à son sujet, ce que je disais l’autre jour, à propos de 99, mais dans un bien moindre degré. Que Dieu me garde quelque chose de complet et d’immuable ! Je supporterai sans la moindre humeur les imperfections et ces vicissitudes, des relations humaines. C’est bien solennel ce langage là ; pas plus solennel que les sentiments qui me fait parler. J’ai vu que votre belle sœur avait fait route de Pétersbourg au Havre avec Mauguin. Il lui aura dit d’étranges choses. Il a assez d’esprit pour faire croire à ceux qui n’en ont pas, qu’il en a beaucoup. J’ai été dérangé deux fois en vous écrivant. Il faut que je sorte. Adieu Votre adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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431. Londres, Mardi 6 octobre 1840
sept heures et demie

Moi aussi je suis très agité. Tout absolument, tout est engagé, pour moi dans cette question. Mes plus chers intérêts personnels. Les plus grands intérêts politiques de mon pays, et de moi dans mon pays. Et tout cela se décide sans moi, loin de moi, en Syrie par le canon de Napier, à Paris par les conseils d’un Cabinet qui n’est pas le mien.
Ma raison persiste dans sa confiance. Je ne crois pas à la guerre. Mais mon âme est pleine de trouble. Je n’ai jamais été si agité. On se promet ici un succès prompt. On se promet que ce qui s’est passé à Beyrouth se passera, non à Alexandrie, on ne le tentera pas là, mais sur toute la côte de Syrie, à Sidon, à Tripoli, à St Jean d’Acre. On se promet. que, cela fait, le Pacha cédera et qu’on s’arrangera. On est bien léger bien présomptueux bien aveugle. Mais tout le monde l’est. On agit au hasard. On parle au hasard. Vraiment les affaires des hommes sont étrangement faites. S’ils étaient capables de le voir, ils ne le souffriraient certainement pas. Quand on n’est pas content de la politique on fait de la morale.
Hier soir à Holland house. J’étais mécontent, de mauvaise humeur. Je l’ai montré. Ce pauvre lord Holland était troublé, interdit. Il n’est pas fait pour être affligé, seulement contrarié. Il voudrait tout le monde toujours doux, aimable, content. Lady Holland a l’âme plus forte. Elle était extrêmement blessée d’un article de l’Examiner, qui a mis Holland house, en scène. Elle connait l’auteur. Elle l’a bien traité. Je lui conseille, à l’auteur, de ne pas se trouver sur son chemin. Je suis fort en scène aussi dans cet article, très convenablement pour moi, Français. Je gouverne d’un côté les vieux Whigs par Holland house de l’autre les radicaux. J’agite l’intérieur du cabinet. Du reste, l’article n’est pas si mauvais qu’il en veut avoir l’air. Au fond, il conseille une transaction.
Lord et lady Shelburne, Charles Greville, Sir Hussey Vivian, un ou deux inconnus. Lady Clanricard n’est pas à Londres. Lady Shelburne attendait avec quelque impatience que je me fisse présenter à elle. Elle a dit à lady Holland : " J’ai vu bien souvent M. Guizot à Paris, mais je n’étais rien alors. Il ne me connait pas. "
Je me suis fait présenter à présent qu’elle est quelque chose. Lord Shelburne aurait mieux fait d’insister pour Emilie. Elle était là, à côté. Décidément, dit lady Holland, ils partent après-demain pour Brighton. Leurs logements y sont arrêtés. Pour huit jours. Huit jours d’air nouveau et d’eau de Marienbad.

2 heures
Ne me grondez pas, je vous en prie, ne me grondez pas de ma réserve. Elle me déplaît bien autant qu’à vous. Mais soyez sûre que j’ai raison. Dans une situation très difficile, très délicate, il ne faut pas mettre contre soi, ne fût-elle que d’un sur mille, la chance d’une lettre perdue, d’une lettre ouverte, d’un mot échappé. Vous entrevoyez, mais vous ne savez pas à quelles difficultés, à quelles personnes je suis peut-être sur le point d’avoir affaire. Je n’en frémis pas. Je mentirais si je disais que j’en frémis. Mais si cela arrive, ce sera bien grave. Il ne faudra pas faire une faute et on en ferai; pas perdre une force, et on en perdra. Vous en savez sans doute, à l’heure qu’il est bien plus que moi. Mais l’article du Constitutionnel de dimanche me paraît bien clair. C’est la guerre ou la retraite.
J’attends demain. Demain m’apportera certainement quelque chose. Je viens de me promener. Toujours Regent’s Park. Je ne m’en lasse pas. Personne du tout. Un air doux et calme. La nature parfaitement étrangère selon son usage aux agitations des hommes. J’étais plus occupé qu’agité en marchant sans bruit dans ces allées tranquilles. La paix ou la guerre quelle question toujours ! Quelle question aujourd’hui ! Que de questions, et lesquelles, dans celle-là ! J’ai un avis. Je n’ai que cela. Est-ce assez ? Je veux voir Lucia de Lammermoor avec vous. Je ne crois pas que le mois d’octobre se passe sans que nous nous voyions. Adieu. Adieu en attendant.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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401. Trouville, Lundi 10 août 1840
une heure

Je ne devrais plus vous écrire. Cette lettre-ci sera à Londres, Vendredi. Vous n’y serez pas. Et quand vous y serez, j’y serai. N’importe. Je vous écris. Je viens de recevoir votre lettre 409. J’ai oublié de numéroter les miennes. Il me semble que ceci doit être 405. Il y a trois jours, je ne me résignais pas aux lettres. Aujourd’hui une lettre vient de me charmer. Il fait très chaud, très beau. J’irai tout à l’heure promener ma mère et mes enfants, dans la forêt de Touques ; ma mère en calèche, mes enfants, sur des ânes. Ils sont bien heureux. Je les ai menés à la mer ce matin ; ils se sont baignés devant moi. Mad. de Meulan vient d’arriver. Elle retournera au Val-Richer demain. Ma mère et mes enfants samedi 15.
J’ai déjà parlé à Eu de mon congé en octobre. J’y compte. Toujours subordonné à l’état de cette malheureuse question d’Orient. Mais ou je me trompe fort ou elle sera immobile à cette époque. Le blocus durera sans aboutir. C’est, je vous jure un curieux spectacle que la complète opposition des conjectures sur le Pacha, les uns si sûrs qu’il cédera, les autres qu’il ne cédera pas. Très sincèrement sûrs. Il y a de quoi prendre en grande pitié les convictions diplomatiques. L’erreur sur l’insurrection de Syrie a été grossière ; elle n’a pas été un moment sérieuse, et Lord Alvanley est un badaud. Lord Francis Egerton a donné aux insurgés trois canons rouillés, et 800 fusils hors de service ; par ardeur chrétienne et pour affranchir les frontières de la Terre Sainte. Il n’y a eu personne pour se servir de ses fusils. Méhémet en profiterait s’ils étaient bons à quelque chose. Les Carlistes aussi ont eu la main dans l’insurrection ; par Catholicisme et par Carlisme. Tout cela a abouti à élever un nuage de poussière que Lord Palmerston a pris, pour un orage. De son erreur je conclus qu’il se trompe probablement sur Alexandrie comme sur Beyrout. M. Thiers est infiniment plus sceptique, plus modeste. Pourtant il ne doute pas de la résistance obstinée du Pacha.
Conseillez à Lady Clauricarde de retirer sa joie sur Louis Bonaparte. Elle a des joies un peu légères. Voilà les obsèques de Napoléon accomplies, tranquillement accomplies. Le Roi, ses ministres, le public, tout le monde est charmé. Le Bonapartiosme est tombé plus bas que l’insurrection de Syrie, le pauvre Louis Bonaparte ne voulait pas se coucher dans le château de Boulogne parce qu’il n’avait pas son valet de chambre pour le déshabiller. Et jeudi dernier, quand on l’a retiré de l’eau et conduit en prison, comme il ne voulait pas poser sur la pierre froide ses pieds nus (il venait d’ôter ses bas) un des gardes nationaux qui venaient de lui tirer des coups de fusil, l’a pris dans ses bras, et l’a porté sur son lit.
Vous avez bien fait de m’envoyer la lettre du duc de Poix. Il n’y a en effet rien à faire à présent. On a fait quelque objection à son fils, très haut. Cette nouvelle vilenie de Pétersbourg (pardonnez-le moi) m’a indigné comme si elle m’avait surpris. Je croyois que nous avions atteint le terme. Vous n’avez sans doute plus rien entendu dire de la prochaine arrivée. Vous m’en parleriez. Mais j’oublie que vous m’avez écrit vendredi, vingt, heures après m’avoir vu. Les heures sont bien longues.
Adieu. Ceci est pourtant ma dernière lettre. Mais non pas mon dernier adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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399. Eu, samedi 8 août 1840

Je suis arrivé hier au soir. Il est impossible d’être mieux reçu. Mais l’incident de Louis Bonaparte va déranger peut-être tous mes arrangements. Il se peut que le Roi, parte ce soir pour aller passer 36 heures à Paris, et tenir un Conseil qui convoquera la cour des Pairs, et règlera toutes les suites de cette ridicule affaire. On peut bien enterrer solennellement Napoléon. Le Bonapartisme est bien mort. Quel bizarre spectacle ! Louis-Napoléon se jetant à la nage pour regagner un misérable canot, au milieu des coups de fusil de la garde nationale de Boulogne, pendant que le fils du Roi et deux frégates françaises voguent à travers l’Océan, pour aller chercher ce qui reste de Napolèon ! Qu’il y a de comédie dans la tragédie du monde ? Si le Roi part ce soir pour Paris, je pars moi-même pour Trouville. J’y passe Lundi avec mes enfants, et je reviens ici, mardi soir pour y passer le Mercedi et me remettre le jeudi en route, pour Londres où j’arriverai toujours vendredi.
J’emploie tout ce que j’ai d’esprit pour que rien ne dérange ce dernier terme qui est mon point fixe. C’est bien bon et bien doux d’avoir un point fixe dans la vie, un point où l’on revient toujours, et où l’on ramène tout. Il y a des biens (j’ai tort de dire des) qu’on n’achète jamais trop cher. Je vis tout le jour, je pourrais dire la nuit avec M. Thiers. Nos appartements se tiennent ; nos chambres à coucher se touchent. Il a ouvert ma porte ce matin à 6 heures à moitié habillé, pour me trouver encore dans mon lit et presque endormi. Nous nous sommes promenés ensemble de 7 heures à 9. Puis, dans le cabinet du Roi, à déjeuner, sur la terrasse après-déjeuner, toujours ensemble jusqu’à midi et demi, heure où je vous écris. L’estafette part à une heure. Je les trouve tous très animés et très calmes, en grande confiance, sur l’avenir, convaincus qu’on s’est fort trompé dans ce qu’on a fait et qu’on le verra bientôt. Le Pacha ne cédera point, et ne fera point de folie. La coërcition maritime ne signifiera rien. La coërcition par terre, ne s’entreprendra pas. Le Roi et son Cabinet, sont très unis. On n’exagère rien dans ce qu’on dit de l’animation du pays. Adieu. J’ai tout juste le temps, de vous dire adieu, ce qui est bien court, trop court, infiniment trop court.
Je m’aperçois que j’ai oublié de vous dire que le Roi reviendrait de Paris à Eu mardi avec M. Thiers. C’est ce qui me fera répasser par Eu. Adieu. Depuis avant-hier je n'ai rien vu, rien entendu de vous. Encore Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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392. Londres, Mercredi 10 juin 1840
9 heures

Ceci doit être ma dernière lettre. Savez vous mon sentiment ? c’est que je ne vous ai rien dit depuis le 25 Février. Je ne vous ai pas plus parlé que je ne vous ai vue. J’ai sur le cœur tout ce que j’ai pensé et senti pendant ce temps là. Quel débordement, comme vous dites ? Le beau temps dure, et par trop étouffant. J’ai été me promener hier au soir dans Regent’s Park jusqu’à 9 heures et demie. L’air était doux, frais, le ciel pur, les eaux pures aussi. Je vous attendais là. Je crois que je suis sorti le dernier. Il me paraît qu’on se bat toujeurs autour du corps de M. de Rumigny. Je suis essez curieux de l’issue. Le Roi en voudra beaucoup à Thiers.
Avez-vous vu Zéa ? Je serais curieux aussi de savoir ce qu’il pense des affaires du moment dans son pays. Il me paraît que les modérés sont dans une grande colère et méfiance, du voyage de la Reine. Ils croyent qu’elle veut les livrer aux exaltés. Je ne comprends pas On dit que Rumigny ne sera pas le seul. Dalmatie et Latour Maubourg sont ménacés. Il faut payer ses dettes. Ste Aulaire et Barrante n’ont rien à craindre. M. de Metternich, et l’Empereur Nicolas, les défendent. Du reste si la diplomatie est traitée comme l’administration, il y aura plus de bruit que d’effet. Que de préfets remués pour en changer un seul ! Je n’aime pas le humbug, même quand il sert à empêcher le mal. Mais il faut bien s’y résigner.

Une heure
Je ne vous dirai pas encore de gros mots. Je ferai plus. Je mettrai votre conscience à l’aise. Je viens de recevoir une invitation de la Reine pour Windsor, dîner le 17, passer la journée du 18, déjeuner le 19. Il n’y a pas moyen de n’y pas aller. Si vous arrivez ici le 15, nous aurons à nous la journée du 16 mais si vous n’arrivez que le 16 au soir ou le 17 matin, nous aurons à peine, le temps de nous entrevoir avant mon départ pour Windsor. Ne vous pressez donc pas de manière à vous troubler ou vous fatiguer. C’est une ennuyeuse parole que je vous dis là. Je suis très pressé. chaque jour plus pressé. Mais puisque ma course de Windsor coïncide avec votre tracas de ménage, faites ce qui vous convient. Je vous donne, pour arriver à Londres latitude jusqu’au 19. Si vous arrivez le 15 ou le 16, je serai parfaitement heureux. En tout cas, je vous écrirai encore à moins que votre lettre de demain ne me dise le contraire. Je vois que l’affaire des ambassadeurs tournera comme celle des prefets. Lord Palmerston ne revient qu’aujourd’hui de Broadlands. Il doit y avoir un conseil de Cabinet ce matin, probablement sur les affaires de l’Orient. Si on voulait m’admettre dans ce conseil, je crois en vérité que je serais tranquille. Cette parole est bien arrogante ; mais j’ai vu tant d’affaires mal conduites uniquement parce qu’on ne savait pas, parce qu’on n’avait pas pensé. Ici surtout on ne pense pas à assez de choses! Et chacun pense à son affaire, et ne sait rien de celles des autres. Evidemment si, dès le premier jour, toutes les faces de cette question d’Orient avaient été présentées à Lord Polmerston, lui-même ne se serait pas engagé comme il l’a fait. Cela perce à chaque instant dans sa conversation.

3 heures et demie
Je viens de faire quelques visites Je ne voulais voir que lady William Russell. Je ne l’ai pas trouvée. Elle m’inspire une estime mêlée de quelque curiosité. On dit que son mari, après avoir débuté par la Juive, fait à présent des sottises avec tout le monde. Est-ce qu’il en est en Angleterre des hommes comme des femmes ? J’entends dire qu’ici c’est à 40 ans quand leurs enfants sont élevés, que les femmes s’émancipent. Et on me cite des exemples. Nous avons ici de très mauvaises nouvelles du Rois de Prusse. Je suppose que vous les avez aussi. Adieu. J’ai été dérangé deux ou trois fois depuis que je suis rentré. Je dine chez Sir Robert Inglis. J’irai de là chez lord Grey. Lady Grey m’a écrit hier pour m’y engager. Je suis très bien avec eux. Adieu Adieu

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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391. Londres, mardi 9 juin 1840
2 heures

A mon tour, j’ai une lettre bien courte ce matin. Mais je ne m’en plains pas. Je ne me plaindrai de rien cette semaine, ni la semaine prochaine, à moins que je ne me plaigne de vous ce qui ne sera pas. Je voudrais bien vous trouver quelqu’un pour vous accompagner. Pour calmer votre imagination sur du danger, il n’y en a point ; et la fatigue, un compagnon ne vous l’épargnerait pas. J’espère qu’elle ne sera pas grande. Le temps est beau. Quel dommage que je ne puisse pas aller vous prendre à Boulogne ? Ce serait si facile, si ce n’était pas impossible ? J’ai peine à voir d’où viennent vos pronostics de guerre. Je ne m’attends pas à ce qu’on fasse grand chose ici sur l’Orient. Et quand même on ferait quelque chose, je ne crois pas que la guerre en sortît. Je vous attends pour causer de cela, comme de tout. Quand nous pourrons causer que nous mépriserons ce qui s’écrit. Pendant qu’on hésite en Occident, Méhêmet Ali s’affermit et s’anime en Orient. Il agit partout où il y a des Musulmans ; il les rallie, il les échauffe. Il gagne chaque jour plus de crédit à Constantinople. Si on le pousse à bout nous aurons quelque étrange spectacle. C’est là du moins ce que promettent les apparences. Mais j’ai appris à me méfier des apparences et des promesses. Que la part de la charlatanerie est immense en ce monde ! Il y en a moins ici qu’ailleurs, et pourtant le humbug est grand ici !
Le Prince Esterhazy n’arrive pas. On dit qu’il ne se soucie pas de venir tant que l’affaire d’Orient durera. Et M. de Metternich non plus n’est pas pressé qu’il vienne. Il trouve que Neumann convient mieux à l’insignifiance, et à la tergiversation. Je n’ai point de nouvelles. On est encore aujourd’hui en vacances. Lord Palmerston ne revient que demain de Broadlands.
Le bruit court de nouveau que lady Palmerston est grosse ; bruit très général. On en parlait hier chez les Berry comme d’une chose que tout le monde savait. Il y avait hier chez les Berry, cette grande Miss Trotter qui a failli épouser M. de la Rochéfoucauld et qui ne l’a pas épousé parce qu’il n’a pas voulu lui permettre une femme de chambre protestante. Vrai type anglais grande, blonde, riche, belle avec de grands et gros traits, teint éclatant et sans finesse ; avide d’esprit, prompte à l’enthousiasme ; quelque chose de très sincère, et de très factice, l’air noble sans rien de distingué. En revenant de chez les Berry, j’ai passé un quart d’heure chez lady Jersey qui avait un petit rout. J’y ai vu vingt Miss Troller.
Dites-moi donc ce qui en est de Stafford house, et si on le met réellement à votre disposition. Je le voudrais bien pour que vous n’eussiez, point d’embarras. J’aime bien vos idées d’arrangement. Out pour tout le monde à des heures déterminées. Ne trouvez vous pas que, dans la jeunesse on aime l’imprévu et, quand on n’est plus jeune, le réglé ? Il y aura bien aussi de l’imprévu, et qui sera charmant. Mais le réglé fera le fond. de la vie. Je reçois ce matin une invitation du marquis de Hertford pour dîner à sa villa de Regent’s Park, qui paraît très jolie. Connaissez-vous beaucoup le marquis de Hertford ? Vous devriez dîner là. Adieu.
Je vous quitte pour écrire des dépêches. J’envoie un courrier ce soir. Il me semble que cette manie de voyage de la Reine d’Espagne fait assez de bruit. Le mouvement des journaux est vif pour envoyer M. de la Redorte à Madrid ! Ils montent à l’assaut. On me dit qu’il est bien trist’ le pauvre M. de la Redorte. Il ne se trouve pas tout le crèdit qu’il se croyait. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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381. Londres, Jeudi 28 Mai 1840
3 heures

Je ne comprends pas pourquoi vous avez de l’orage et un ciel triste. Il fait beau ici depuis plusieurs jours, beau et calme. Aujourd’hui, il fait même chaud. Vous vous porteriez bien par ce temps là. Nous chercherons de l’air pour vous. Cela ne me paraît pas impossible à arranger. Nous trouverons bien quelque chose d’agréable à Norwood. Putney & Vous avez besoin de rouler en voiture ouverte. Vous viendrez à Londres, le matin voir qui vous voudrez, dîner où vous voudrez. Et moi j’en serai quitte pour fatiguer une paire de chevaux de plus pendant que vous serez là. Sachez bien que de mémoire d’anglais, me dit-on, on n’a vu à Londres un aussi beau printemps. Et au fait, je trouve l’air moins lourd qu’on ne me l’avait annoncé. Avez-vous un peu d’appétit ? Quand on a la bile en mouvement, je crois qu’il faut bien peu manger. Si je vous mettais à mon régime, je vous dirais, de la diéte et du sommeil. Ce sont mes seuls remèdes. J’ai vu hier on me promenant, deux ou trois jolies maisons à louer, garnies, à l’extrémité de Regent’s Park du côté de Primerose. Je vous assure que là l’air est agréable. Et vraiment la portion fermée de Regent’s park, le jardin, est charmante. Depuis que Lord Duncannon m’a donné, des clefs, j’y vais quelques fois, m’asseoir seul. C’est bien frais bien tenu, assez grand pour y marcher, pas d’isolement et pas beaucoup de monde. Il me semble que vous seriez bien près de là. Savez-vous décidément dans quel hôtel vous descendrez ?
Le duc de Cambridge, qui ne pouvait venir dîner chez moi le samedi 13, m’a offert le Vendredi, 12 ou le lundi 15. J’ai pris le 12. Je garderai le 15 bien libre. Je viens de déjeuner chez M. Milnes, conservateur modéré de la Chambre des Communes avec quelques radicaux modèrés Charles Buller & et Sir Stratfort. Canning. Conversation assez animée et variée. Il y avait là un homme d’esprit un Rev. M. Thirlwall le premier scholar, dit-on, de l’Angleterre. et prédicateur très éloquent. On voudrait le faire evêque. Mais, lord Melbourne s’y oppose, ne le trouvant pas assez orthodoxe.
Je me suis laissé imposer hier par lord Burghersh une seconde séance de l’ancient concert. C’était la dernière et cela lui faisait tant de plaisir! Au fait, j’aimais autant finir ma soirée là qu’ailleurs. La musique était bonne, très bonne même une ou deux fois. J’ai causé avec lady Burghersh. J’ai trouvé son esprit dont vous m’avez parlé. Bien artiste, fin et sensé. Quand je dis sensé, je ne sais pas, mais clairvoyant.
J’ai arrangé mon petit dîner pour mes Françaises. Elles partent le 3 Juin et je les ai le 2 avec lord Elliot, lord Leveson, lord et lady Lovelace et Sir Robert Cherter que j’ai mis là parce qu’il faut qu’une fois je le mette quelque part. Les invitations me pleuvent. Voilà lord Haddington, le duc de Bucclaugh, le duc d’Argyll. Il faudra rendre tout cela. Il me faudra plus de grands dîners que je ne comptais. Vous me règlerez Point de nouvelles. Chekib. Effendi vient d’arriver.
L’affaire d’Orient remuera de nouveau probablement sans avancer. Entre nous, je crois pouvoir dire que tout le monde ici, corps diplomatique ou Anglais, Whigs ou Torys, est de mon avis dans cette question, comme on est de l’avis d’un autre. On trouve que j’ai raison. On serait bien aise que quelque circonstance rendit ma raison nécessaire. Mais il faut lutter, refuser, dire non. C’est bien difficile. Aussi je ne réponds de rien. Je ne me décourage pas non plus. J’établis chaque jour, un peu plus fortement et dans quelques esprits de plus, que j’ai raison. Je pense des hommes dans les affaires comme des enfants dans l’éducation, il faut faire leur atmosphère et les laisser respirer. Adieu. J’attends la lettre de demain avec une double, une triple impatience. Mais je vous veux point agitée, point abattue. Les vrais adieux veulent la santé. Adieu. Adieu.
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