Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Mercredi le 16 août

Voici votre lettre d'hier. Bonne. J’ai un autre plaisir encore aujourd’hui, c’est que mon fils qui devait parler ce matin reste jusqu’à Samedi. Ces trois jours de plus me font tant de joie. Je ne suis pas gâtée et mon cœur est reconnaissant de tout. Montebello est allé hier à Claremont. [?] venait d'arriver.
Mauvaises nouvelles de Paris. On va porter de suite devant l'Assemblée la question de la fortune du Roi. Père et enfants tout sera décidé selon le bon plaisir de Cavaignac qui est fort hostile. Il y aura des pensions rien de plus. Voyons l’enquête. Voyons la Constitution. Tout cela va venir coup sur coup. Mais l’enquête surtout comment cela ira-t-il ? Il est évident que cela contrarie bien le National. A propos voici l’article dont je vous parlais hier. Voici aussi la lettre de Hugel. Je suis étonnée qu'on sache si peu ce qui s’est passé diplomatiquement en Italie depuis la prise de Milan. Il y a des gens que commencent à douter de l'armistice. Cependant c'était bien le gouvernement français qui envoyait ici cette nouvelle par télégraphe Savez-vous que le Prince Petrullo est venu ici député par le parti réactionnaire en Sicile, expliquer à Lord Palmerston que les Siciliens ne veulent pas de séparation avec Naples. Palmerston a écouté. Petrullo est appuyé de beaucoup de grands noms en Sicile. Je n’ai pas vu encore Pierre d'Aremberg. Je sais qu'on l'a bien reçu à Claremont mais qu’il n'a rien dit qui ressemble au duc de Noailles.
J'ai été assez souffrante hier. Prise d’un frisson désagréable. Question d’estomac. Le temps est trop abominable. Un brouillard épais permanent depuis 3 jours ! Adieu. Adieu. Mon fils a dîné avant-hier avec Syracuse Petrullo & Calonna. Syracuse ultra conservateur. Adieu encore.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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97. Ems le 12 Juillet 1854

Des lettres de Londres. On n'y veut pas entendre parler de nos réponses. L’Autriche ne peut pas les accepter, à plus forte raison ni l'Angleterre ni la France. On croit toujours que Sevastopol. peut-être pris du côté de terre. Grande désapprobation de la guerre de pirate qu’on nous fait dans le golfe de [Bothein] même Napier en est disgusted mais il n'ose pas le témoigner aux officiers. Le public en est enchanté. Brûlez, saccagez. Constantin me mande notre grande victoire en Asie. J'aurais préféré en Europe.
Les flottes se sont retirées. Il n’y a plus une voile devant Cronstadt. Le Maréchal Paskévitch est rétabli et reste à Yassy. Constantin me quitte qu’après la fête de l’Impératrice qui est demain.
Voilà toutes mes nouvelles Greville ajoute : " à moins de catastrophe à Pétersbourg jamais la paix ne se fera. " L’Empereur se porte bien. Ne trouvez-vous pas qu'on pouvait négocier sur nos réponses.
Montebello s’annonce à Schlangenbad. Je n’y crois pas. Je ne crois à rien d’agréable. jusqu'à nouvel avis adressez toujours à Ems. Adieu. Adieu.
Je suis jaune comme une orange. Le temps est affreux pas une belle journée. Le Connery de Vienne est un cousin de celui de Paris.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Lundi 14 août.
Midi

J’ai vu hier Lord Palmerston à Holland House. Il ne savait pas si l’armistice était ou non une conséquence de la médiation commune. Les courriers n’étant partis de Paris que Mardi dernier. Il me parait que ce n’est pas eux qui ont pu décider. On bavardait beaucoup là hier. La Lombardie à la Toscane. Voilà l’idée générale, dans tout cela voyons le dernier mot de l'Autriche. L’article du Moniteur est fort important. Évidemment chez vous on veut la paix, et on compte encore sur notre bon vouloir pour la république. L'Allemagne fait le plus gros, des embarras. Kielmannsegge me disait encore hier que les têtes y sont tout-à-fait renversées. Vous voyez que la France aussi se mêle d’arranger l'affaire des Duchés. L’entente entre Paris et Londres embrasse sans doute toutes les questions en litige. Le Manifeste du Prince de Linange serait bien plus critiqué s’il ne serait pas du frère de la Reine. Mais avec cela même, on en parle avec grande désapprobation. Je n’ai rien lu de plus fou & de plus bête. On dit que Strockmer la croit, c’est impossible. Il a plus d'esprit que cela.
Voilà de la pluie à verse. Quel climat, quelle tristesse. Comment iront les bains de mer avec cette pluie ? Et puis vous viendrez me dire qu'on n’a pas pu prendre les bains, qu'il faut donc prolonger. Je n’accepterai pas cela. Voilà votre lettre. Seul plaisir, seule ressource. Mais quand viendra le temps où nous ne songerons plus aux ressources ?
J'ai rencontré hier Dumon aussi à Holland house. Il songe beaucoup à s’établir à Brighton le mois prochain pour la mauvaise saison. Aggy va un peu mieux. Elle m’a écrit elle même. Je ne donne pas encore de rendez-vous à Pierre d’Aremberg car je n'ai rien décidé sur Tunbridge. J'attends toujours pour un appartement. Adieu, adieu. Comme c’est long.
Voici mes réponses de Tunbridge Wells. Pas d'appartement du tout. Tout est pris. Je reste donc ici. Cela va faire plaisir à Montebello, il est bien accoutumé à mon bavardage. 

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Samedi le 12 août 1848
2 heures

Votre lettre est très curieuse. Toutes vos observations justes et tristes. Je vous trouve triste en général depuis votre départ. L’air anglais est lourd, les Anglais sont lourds aussi et quand on reste quelque temps sans autre frottement, on finit un peu par la mélancolie. Je sais cela parfaitement par mon expérience. Quelle grande affaire que Milan. Quel dénouement pour Charles Albert. Quelle juste punition ! Je ne conçois plus ce que peut devenir la médiation, certaine ment les Autrichiens n’entreront pas en Piémont. Chacun étant chez soi, qui s'agit-il de concilier ? C’est certainement plus moutarde que quoi que ce soit qu’on ait jamais vu. Que votre lettre anonyme est drôle ! Elle ira à Peterhoff. A propos j’ai encore des nouvelles d'Hélène. Tous les fléaux accablent la Russie. Le choléra dans toutes les provinces. La disette, les sauterelles par dessus le marché. L’Empereur fort triste. Pierre d’Aremberg est à Londres, il est venu me voir hier, j’étais sortie, il m'a laissé un mot que je copie. " Le bilieux Cavaignac est un homme qui voudrait et qui croit à la possibilité d'une république raisonnable. Ce sont de semblables croyances dont le temps fait justice. Encore un peu de temps et la république aura tout ce qu’elle voudrait même de l’influence politique sur l’Angleterre, mais ce qui lui manquera ce sera l’argent et les républicains. J’ai visité l’Allemagne et j’ai quitté Paris avant hier. Je suis fâchée de ne pas pouvoir vous faire le récit de ma visite hier à Claremont. " Comment trouvez-vous Pierre d’Aremberg à Claremont ? Il est clair que le travail du Duc de Noailles est devenu comme à beaucoup de monde.
Je pense à aller à Tumbridge Wells, je n'en suis pas tout-à-fait sûre encore, mais j’y ai écrit pour un logement. Mon fils part mardi. Mauvais jour demain, je n’aurai point de lettres. Ce sera votre tour lundi, c'est bien ennuyeux car blank days. Il n'en faudrait pas entre nous ce qu'il ne faudrait pas surtout c’est l'absence, la séparation. Very unwholesome for both. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond 8 août 1848, Mardi
Midi

Mon fils a longtemps causé hier avec Tallenay. Celui-ci lui a dit qu’il n'y avait un jusqu’ici que de la conversation avec Palmerston. Le désir de s’entendre, le désir comme d’éviter la guerre, & d’offrir la médiation commune que cependant les prétentions de l’Autriche étaient telles qu'il était fort douteux qu'on puisse les présenter, & que lui Tallenay ne croyait pas du tout à la réussite ni de l’entente ni de la médiation. Et il y croyait moins encore depuis l’article du National que je vous ai envoyé hier, & qu’il regarde comme officiel. Tallenay ayant appris que Marast devait le remplacer a fait comprendre à Paris qu'il ne le souffrirait pas. Que s'étant chargé de les représenter dans un moment où ils n’avaient rien d’honorable & de convenable à envoyer, ni il était en droit d’attendre des égards. Qu'il concevait que lorsque les relations seront établies régulièrement on tient à avoir ici une bonne politique considérable. Mais que c’était lui qui devait rester jusqu'à ce moment, c.a.d. lui faire reconnaître la république. Il a ajouté que d’après ses lettres de Paris, on se conformerait à cela. Montebello a vu des lettres de Paris. Flocon a dit que dans 6 mois personne ne voudrait plus de la République. Cause perdue. Vous voyez comme l’Assemblée nationale s'échauffe. Le rapport sur l’enquête a fait un grand effet. Beaucoup de lettres menaçantes anonymes. Enfin cela va devenir gros. La déclaration de Palmerston hier au Parlement est quelque chose. Cela prouve le travail commencé. Mais il me parait impossible qu’après de si éclatants succès l’Autriche se contente de ce qu’elle demandait lorsqu'elle était en mauvaise situation d’un autre côté comment la France pourrait-elle faire moins qu'assurer la Lombardie à l'union italienne. Ici l’opinion sera un peu combattu. Mais en toute justice peut-on imposer à l’Autriche des sacrifices quand c’est elle qui a été attaquée, chassée, & que c’est elle qui triomphe ! Quel dédale. Et puis Francfort ! Et puis Berlin. ¨Pas d’hommage le 6. Ainsi un commencement de résistance à la volonté de Francfort. Que de choses à nous dire, que de raisonnements à perte de vues ! Comme vous êtes loin ! J’attends votre lettre ; je n'ai rien à vous dire de nouveau que ce qui précède. Ma santé est comme vous l'avez laissée. Je crois que mon fils part demain. Adieu. Adieu. Voici le National. Curieuse.

3 heures. Voici votre lettre. Vous me paraissez être in a perplexing state cela m'inquiète aussi. Vous serez probablement très mal à Cromer sans aucune ressource. Pourquoi ne pas revenir ? La mer du nord est la moins bonne pour les bains de mer. S'il les faut absolument allez donc les chercher sur la côte méridionale. St Leonard, Hastings, Weymouth, si vous ne voulez pas de Brighton. Encore plus chaud. Mieux civilisés. Enfin je ne trouve pas qu’il y ait beaucoup de good sens dans tous vos projets. Pardonnez-moi de croire que si je m’en mêlais cela serait mieux. La presse a reparu hier, je l’ai reçu, pas lu encore. Les Débats se moquent très joliment d’un nouveau journal de l’Etat qu’on veut mettre au monde.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond le 1er août 1848 Mardi
2 heures

Quelle triste nuit, quel triste réveil, quel triste jour ! Et cela sera comme cela tant que vous le voudrez. Vous savez cela. Voyons quand vous m’accorderez ma délivrance. Mon fils a renoncé à Paris. J’ai pensé que cela m’avançait et qu’il resterait ici plus longtemps pas du tout, il part à la fin de cette semaine pour Bade, où il veut chasser pendant deux mois. Le temps est affreux aujourd'hui de bourrasques, de l'orage, le ciel noir comme mon humeur. Je ne vois rien de nouveau dans les journaux. La révolte Irlandaise finit ridiculement. C'est un pays bien heureux que l'Angleterre ! Je voudrais avoir autre chose à vous envoyer aujourd’hui que ma tristesse. J’aurai peut-être mieux demain mais soyez sûr que la tristesse y sera toujours. Adieu. Je connais un peu le Norfolk pays de navets, il n'y a que cela en fait de pittoresque. J'écris la ville de province comme vous me l'avez indiqué mais je crois moi que c'est Wymondham.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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20 St Germain Dimanche le 2 août 1846

Voilà donc votre grand jour d’élection. Comment cela ira- t-il ? Hier des bruits sinistres étaient fort répandus à Paris. Le Roi blessé au bras, le roi tué comme cela revenait de tous les côtés j’ai eu quelques heures de grande inquiétude. Thom est venu la dissiper. Il avait été aux enquêtes. Tout cela était menti. Dieu merci. Rien de nouveau pas Thorn. Personne ne voit Armin. Il vit tout-à-fait renfermé sans contact avec aucun de ses collègues. Assez mal vu d'eux tous, parce qu’il ne leur a jamais encore fait visite. Il se pose en ambassadeur, & les autres n’acceptent pas cela. Thorn inquiet de sa monarchie disant sur cela des choses fort sensées. Les longs règnes des rois ou de Ministres ne valent rien, parce qu’on veut continuer comme on a commencé et cela n’a plus le sens commun lorsque les autres avancent. Savez-vous que c’est vrai, & que tout ce qui a duré longtemps a pauvrement fini ?
Voici votre lettre, charmante et moi aussi je t'aime, je t’aime. C’est si charmant de nous aimer, mais il faut être ensemble. Et voici encore bien des jours à venir qu'il me faut passer seule. Au moins pas d’accident, pas de rhumes, rien je vous en prie qui puisse m'en inquiéter. Je vous dis une bêtise, car je m’inquiète tout de même cette nuit de l'orage. Aujourd’hui bonne pluie bien nécessaire, j’étouffais. Adieu. Adieu cher bien aimé. Vous voyez que l’exemple gagne. Je m’émancipe Voici Brougham. J’aime ces ferveurs. Mon fils Alexandre me mande de Kramsach qu’ils y ont eu un tremblement de terre. Paul est retourné à Londres. Adieu. Adieu. Demain j'irai à Paris chercher des nouvelles sur les élections, je commence à m’animer. Adieu dearest. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
273 (par erreur cela devrait être 272) Paris Mercredi 25 Septembre 1839
10 heures.

M. Démion est venu hier me porter son bail avec M. Jennisson. Je l’ai gardé pour le faire lire à M. Génie qui m’a fait quelques observations. Demain, je signerai.
J’ai dîné hier chez Pozzo avec un peu de diplomatie et le Duc de Noailles. Le matin j’avais vu chez moi Armin, Brignoles, Lord de Manley, arrivé hier de Londres. Il est whig, frère de Lord Duncannon qui est dans le Cabinet. Il parle mal de la Reine, avec un peu de pitié du ministère. La Reine épousera le Coburg, c'est ce qu’on croit beaucoup en Angleterre. Je ne crois pas que j'aie un mot de nouvelles à vous dire. A propos, la lettre de ma sœur. Vous avez plus compris que moi, et dans ce que vous avez souligné, je devine sur la première page par rapport à l’argenterie, et sur la seconde, vous pouvez écrire au banquier. Voilà tout ce que je sais de plus que vous. Et vous savez au total beaucoup plus que moi.
On m’a raconté hier l'histoire de Paul venue par un voyageur russe de ses amis qui arrive de Pétersbourg. Elle est très grave et très extraordinaire. Il se trouvait sur une liste de promotions présentées par Nesselrode à l’Empereur. Nesselrode avait dit à Paul que cela se ferait que c’était juste, et qu’il lui en répondait. L’Empereur accepte tout, & raye de sa main impériale. Le nom de mon fils. Une heure après il donne sa démission de tout, diplomatie, chargé de cour. (Il était chambellan de l’Empereur.) Il a eu mille fois raison et je suis furieuse. Voilà donc comment l’Empereur se conduit envers la mère et envers le fils de l'homme qu'il appelait " son ami ".
1 heure Adieu. Je vais donc à Champlâtreux, je serai de retour ce soir à 10 heures. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
268 Paris Samedi le 21 septembre 1839,

Je sors tous les soirs malgré la pluie que voulez-vous que je devienne ? Je tue le temps faute de pouvoir l’employer. La femme la plus sotte ne mène une existence plus bête que la mienne. Les journées deviennent bien courtes. La causerie serait si bonne, si douce quand le jour disparaît. Et vous êtes au Val-Richer et moi seule, seule, seule ici. J'ai vu Armin hier au soir chez lui. C'est un ami de désespoir qui m’a pris. Je l’ai trouvé seul bien établi et bien étonné de ma visite. L'étonnement l’a rendu bavard.
L’affaire d’Orient n’offre plus de danger. L'Angleterre s’entend avec nous. Il n’y a que la France qui soit en bravades, sans doute pour les députés. Aussi n’y fait-on pas grande attention voilà à ce qu'il me semble la situation du moment.
M. de Jennisson ne se presse pas de me faire place. Il a cependant remis son bail à Démion. Moi je suis pressée de sortir d'ici d’autant plus qu'on m'en chasse. Il y a des gens qui me disent qu'il faut me hâter. de signer et de conclure avec M. Démion sans cela, s'il trouve 60 francs au dessus de 12 mille je perds l’appartement. Je vais faire cela aujourd’hui.
Je n’ai rien de mon fils, rien de mon frère. Soyez sûr qu'on ne prendra. pas la peine de m'informer de mes affaires. Génie dit que le Val-Richer est bien humide ; cela va mal à votre rhume. Et comment rester tard dans l’année dans un lieu humide ? Songez à cela, si non pour vous, pour vos enfants, votre mère. Adieu. Adieu, continuez-vous à recevoir des lettres de M. Duchâtel ? Vous ne me dites pas une pauvre nouvelle. Il me semble que vous vivez à Kostromé. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Bruxelles jeudi 4 juillet 7 h. du matin

Je vais partir, bien fatiguée. Je vous ai dit n’est-ce pas que mon fils Alexandre me mène à Ems, il n’y restera avec moi que deux jours. J’ai pris un Médecin allemand Kolb que vous connaissez. Aujourd’hui la princesse Chreptovitz chemine avec moi jusqu’à Cologne. Hier j’ai vu le roi pendant une heure bonne conversation, intéressante, plus que jamais plein de sens, de bonne vue, de jugements excellents sur toutes choses quelques notions de plus sur l'Angleterre. Ainsi Lord Palmerston disant au Ministre du Brésil qu’il lui était bien égal que le Brésil fut république ou Monarchie. La reine des Belges assez bonne mine.
J'ai beaucoup causé avec M. van Pradt, beaucoup d’esprit. Et avec lui la causerie a été à fond sur tout ce qui vous préoccupe en France. J’ai raconté et insisté, sur la minorité de bons conseils là où ils sont si peu écoutés. Il est entré dans tout ce que je lui ai dit avec réserve et intelligence. Neumann m’avait beaucoup dit que je pouvais en sûreté causer avec lui, et que ce serait utile. J’ai vu les Metternich un moment. Enfin ma journée a été pleine. Ma nuit meilleure que l’autre, & je pars en meilleur état que je n'étais arrivée. Voilà mon histoire jusqu’aujourd’hui. What next ? Adieu. Adieu. Adieu

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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3. Boulogne, 9 h du matin.
Lundi 3 juillet

La marée n’arrive pas, je suis toute impatiente de placer la mer entre la France et moi. J’espère retrouver un peu de calme en Angleterre. J’en ai grand besoin. Il me semble que j’ai la fièvre. Ah monsieur, que je voudrais vous parler, vous écouter, vous mettriez mon esprit en ordre. Que d’idées s’y pressent. Tant de douleurs, tant de joie, tant d’incertitudes sur mon avenir. C’est un chaos ; mon cœur n’y suffit pas. Il est si plein, si plein. J’attends le Capitaine, dans 10 minutes je m’embarque. Je resterai sur le pont. Je regarderai, cette France tant que mes yeux pourront regarder.

Londres mardi 10 h. du matin, J’ai fait un passage superbe, deux heures et demie. J’ai pris quelque chose a Douvres, et puis je suis venu sans m’arrêter à Stafford house. J’ y étais à onze heures hier soir. Il y avait un grand dîner tous mes english friends de la couleur Whig. Lord Grey à la tête. Ils s’étaient lasser de m’attendre ; en sorte que je n’ai plus trouvé que la famille de la Duchesse, M. Ellice, mon fils. Il ne m’attendait plus. Il allait partir. Je l’ai rencontré sur ce magnifique palier avec cette belle Duchesse et un groupe de douze personnes. Tout cela m’a accablé. J’ai embrassé le Duc, croyant embrasser mon fils. Mes jambes ne me soutenaient pas. La fatigue, les battements de mon cœur en entrant à Londres, tout ce qui le remplit mon cœur ! tout cela m’avait étourdie. On m’a fait causer, on m’a même fait rire, on m’a servi à souper à minuit, on m’a mené dans mon appartement, mon fils est resté jusqu’à une heure. Il a bien de l’esprit, et il m’aime, c’est du bonheur pour moi de me retrouver avec lui.
Je me suis couchée sans pouvoir m’endormir. J’ai entendu l’horloge de St James sonner toutes les demi heures. Mon âme était si agitée ! Je viens de me lever, & je viens à vous Monsieur. Je vous ai fait un récit bien sec de ma journée d’hier. Je n’ose pas me livrer à la douceur de vous décrire mes sensations. Cela m’entraîne, cela m’égare je ne saurais où m’arrêter ; je dirais trop peu, je dirais trop. Avant de m’embarquer hier. Je me suis jetée à genoux. J’ai invoqué Dieu. Je lui ai si souvent demandé de me laisser mourir. Hier je l’ai prié de me laisser vivre ; de me conserver ce cœur que j’ai trouvé. Il y avait du trouble et cependant tant de passion dans ma prière, et de tristesse & de douceur.
Le temps a été magnifique ; la mer calme. Je vous ai dit que pour éviter le mal de mer il faut regarder la ligne de l’horizon. Je l’ai regardé tout le temps. Mon horizon c’était la France. Cette ligne blanche que mon œil apercevait encore presque au moment d’entrer dans le port de Douvres. Et puis quand on m’a dit que nous arrivions, je me suis retournée de l’autre côté et mes yeux se sont remplis de larmes. Cette île où j’ai été si longtemps heureuse d’un bonheur si pur, si doux, si calme. Je la revoyais donc toute pleine de tant de souvenirs, & rien J’ai regardé rien pour mon cœur ! tout avec calme, je crois. Quelques habitants du lieu attendant sur le bord m’ont reconnue. J’ai été accablée de soins, de prévenance, pas un embarras. Je leur ai si longtemps appartenu que toutes les difficultés s’aplanissaient devant mon nom. Il y avait du cœur dans cet accueil ; dans les auberges sur la route on m’apportait des fruits, des fleurs. Il n’y manquait que les couplets mais John Bell n’en fait pas ! J’entendais répéter mon nom ; moi même il me semblait que j’ y avais été la veille. Rien ne m’étonnait. Je rêvais, je regardais tranquillement en beaux paysages. Deux ou trois fois seulement à la vue de ces ravissants cottages, bien ornés, entourés de beaux ombrages, tapissés de fleurs, avec les beaux enfants jouant sur le gazon, j’ai senti comment on peut être heureux. Et les plus profonds soupirs sont sortis de mon triste cœur. En approchant de Londres la nuit était venue. Je la voulais. En plein jour je n’aurai pas supporté cette vue. Londres éclairée ne me rappelait rien qui peut faire faiblir mon cœur. Je n’ai donc pas pleuré mais j’étais en rêve, vous savez Monsieur tous mes rêves. Vous me l’avez dit & je vous crois. Vous me devinez, vous savez, vous comprenez tout ce que je pense. Continuez Monsieur à penser tout ce que je pense !
Quelle lettre Monsieur, c’est moi, toujours moi dont je vous parle. Je vais vous ennuyer. D’après le peu qu’on m’a dit hier au soir le règne des Whigs est parfaitement assuré. Ils disent éternel. Je saurai beaucoup aujourd’hui ce qui fait que vous saurez beaucoup demain. Dans ce moment je n’en puis plus; je suis accablée de fatigue. Adieu Monsieur. Adieu, ne m’oubliez pas.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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105 Paris Samedi le 28 juillet 1838

Je vous remercie de votre bonne lettre nous n’avons plus en tête vous et moi que le 31. Il est si près et ce sera si joli qu’il me semble qu’il ne viendra jamais. N’y aura-t-il pas une émeute demain ? Ne serai je pas tuée ? Voilà qui est possible. Mon fils Alexandre n’a pas renoncé à ces projets de mariage. Il attendra 6 mois comme je lui ai dit de le faire, et puis je crains qu’il n’attendra plus. J’ai parlé de la religion des enfants comme une condition de rigueur, c.a.d. les fils luthériens, et je crois que cela fera la grande difficulté. Sa lettre est une bonne lettre et me touche. M. Ellice et le petit Howard sont venus un voir à Longchamp hier matin. J’ai ramené Ellice qui était venu à pied.
Le soir j’ai fait visite à Madame j ai trouvé M. de la Rovère de Steakelberg un très drôle homme. Quelle idée d’aller épouser Melle de Steakelberg. Ellice m’a lue des lettres de Londres selon lesquelles vraiment le parti libéral (Whigs libéraux) veut absolument une modification dans le ministère. Le Cabinet est fort divisé. Minto et Melbourne, à la Chambre haute, Horwich & John Russell à la Chambre basse se donnent des démentis en pleine séance. Cela a une étrange mine, et ne peut pas durer ainsi. Votre gouvernement ne veut mettre la main à la question Belge que pour la résoudre. Ainsi plus de protocole qui ne soit le dernier. Nous verrons.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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104. Paris le 26 juillet 1838

Les bons jours approchent, et puis les mauvais viendront tout aussi vite. Je voudrais ne penser qu’aux premiers, mais la peine se présente à mon esprit plus aisément encore que le joie. Cette disposition n’était pas dans ma nature. Elle n’y est venue que depuis que j’ai tant aimé. Je vous ai dit comme j’ai tremblé cent fois au milieu de mon bonheur. plus mes enfant m'étaient chers & plus je frémissais de tout, de tout. Vous n’étiez pas comme cela. Vous ne l’êtes pas encore. Savez vous pourquoi ? C’est que vous êtes français. Le plus grave, le plus sérieux, peut-être le plus passionné des Français. Mais encore une fois, français. Je ne dis pas cela en blâme. Je le dis en envie. Et puis, non ; je ne vous envie rien, je vous aime trop pour vous rien envier. Oui, je vous aime, de toute mon âme, de tout mon cœur, de tout mon esprit. Je trouve que j’ai si raison de vous aimer, que je fais une si bonne action que je deviens meilleure auprès de vous tous les jours. Mais défendez-moi d’être si triste, si triste. Comment se fait-il que pour moi le temps ajoute à la douleur ? On m’avait tant dit qu’il la calme. Vous le voyez. Je vais de vous à ces horribles souvenirs, et puis je vous cherche, je vous retrouve, j’ai besoin de vous, de votre impensable patience, de votre affection.

Longchamp 4 h.
Je vous demande pardon de la pauvre petite lettre que la poste vous portera demain matin. Le prince Kotchoubey entrait tandis que je vous écrivais, et l’heure de la remettre est venue pendant sa visite ! C’est un fils de ce lui que vous avez connu. Il a un peu d’esprit et la disposition à la fronde comme tous les jeunes gens en Russie. Il vient dans ce moment de Londres, & voit Paris pour la première fois. Il trouve la France & Paris abominables, c’est fort naturel quand on vient de ce merveilleux pays. Mais il s’amusera ici et dans huit jours il aura changé d’opinion. Il fait bien tranquille ici, peut-être trop tranquille pour moi, cela ne me vaut rien du tout. Quand nous y serons ensemble ce sera charmant, car je vous y mènerai n’est-ce pas ?
Vendredi 10 heures.
On m’a fait veiller hier jusqu’à minuit. J’en ai mieux dormi. Je vais remettre ceci à M. Génie. L’occasion est bien bonne et cependant je ne sais pas écrire tout ce que je dis si aisément vous verrez Mardi comme je reprends vite et avec joie mes habitudes, que je suis impatiente de mardi ! Je ne vous ai pas logé encore dans mon salon. Je ne sais quel est le fauteuil, le canapé sur lesquels vous vous plairez. Tout cela me préoccupe, tout cela m’amuse même et puis le jardin. Ces belles fleurs nous les regarderons ensemble. Enfin j’ai mille petits plaisirs en perspective, il me semble que je me suis levée plus gaie aujourd’hui. J’ai vu beaucoup de monde hier au soir mais presque rien que des hommes, toute la diplomatie et Berryer et le petit Dino, Médem et Nicolas Pahlen restant toujours les derniers et me font veiller. Lady Clauricarde m’a écrit enfin, mais pour m’annoncer qu’elle est nommée Ambassadrice à Pétersbourg. Elle dit qu’elle en est fâchée, je n’en crois pas un mot. Elle est enchantée. Elle me demande des conseils. Je l’engagerai à venir les chercher ici. Ellice est furieux de la nomination. Il ne les aime pas. Le Duc de Noaille m’écrit ce matin. Il est toujours à Dieppe. Fabricius qui était hier ici est-en grande colère contre M. Molé d’un certain discours à la chambre des pairs dans lequel M. Molé dit à propos de la Belgique qu’il a fait ses preuves l’année 30. Il ne veut plus remettre les pieds chez lui. De son côté M. Molé m’a parlé mal de Fabricius qu’il appelle un mauvais homme. Son Duc, le Duc de Nassau a été assez mal traité à Londres. On n’y a pas fait la moindre attention. En vérité les promenades & les speech au Maréchal & du maréchal Soult sont parfaitement ridicules. Il est bien temps que cela finisse. Il quitte Londres le 29.
Vos glorieuses commencent. On a fait beaucoup de dépenses en bois et en couleurs mais pas beaucoup de dépenses d’esprit dans la décoration. Imaginez que tout le long des Champs-Élysées il y a 27, 28, 29 juillet sur des poteaux comme j’ai marqué là et entre ces quatre poteaux un plus grand portant le nom d’un département. Ainsi les chiffres répétés 86 fois. C’est exact comme je vous dis là. Ce qui me divertit & me plait, c’est que j’ai juste devant mon appartement - Calvados. Est-ce de la malice de M. le décorateur ?
Adieu. Adieu. Je vous aime, je vous aime. Je vous attends. Je vous le dirai autrement. quand vous serez là, devant moi, près de moi. Quel plaisir. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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72. Vendredi le 27 octobre 1837.
9 heures

Quel plaisir de voir finir ce mois, cette semaine ! Vous ne viendrez donc mardi que pour le dîner, mais au moins soyez chez moi à 8 ¼. Car j’ai beau me retourner je ne vois aucun moyen d’éviter ce jour là de recevoir mon monde accoutumé. Je comptais sur l’opéra, mais ce n’est pas le jour et mon ambassadeur ni celui de la petite Princesse dans la semaine qui vient. Mes promenades quand j’en ferai, car me voilà prisonnière, mes promenades seront de 2 à 4. Vos visites seront donc depuis 4 heures. Enfin nous réglerons tout cela ; mais je suis impatiente en pensant que nous commencerons si pauvrement Mardi.
Je suis toujours fort souffrante. Comme toute la matinée, & combien le soir aussi. M. de Pahlen deux fois le jour, Lady Granville & la petite Princesse deux fois aussi. Le Duc de Palmella fort longtemps hier de 4 à 6. Il n’aura plus cette heure-là. Savez-vous que je ne puis pas même occuper ma chaise à ma table ronde Je suis très affaiblie, je ne l’ai jamais été autant. Mais c’est très naturel, je ne vous ai pas assez dit ce qu’a été pour moi le séjour de mon fils. Mon sang en mouvement, en irritation. Il faut me soigner beaucoup et puis je n’ai pas d’air, & je ne vis que par l’air. Je vois qu’il vous en coûte de quitter la campagne. Je le conçois. Que de froideur, ma vie, j’ai envié la vie des Bohémiens. De la liberté, de l’air, de l’indépendance un abri, le plus petit possible, mais de la place pour deux. Je vous conte là des choses que vous n’avez jamais vues peut-être. Il ne m’est pas arrivé de rencontrer des Bohémiens en France. Y en a-t-il ? En Angleterre ils sont très nombreux.
Ah ! qu’on me connait peu quand on parle de moi comme d’une femme politique. Vous me connaissez. Je le crois, vous savez ce qu’il me faut une seule chose et je l’ai. Il est vrai que c’est immense car tout disparait à côté de cela.
Midi
Vous m’annoncez pour ce matin une lettre de M. de Grouchy. Je l’attends, je la désire avec ardeur. Je la crains. Elle me fera peut-être du mal. Vous savez ce que sont pour moi vos paroles. Non vous ne les avez pas, je crois que vous le saurez jamais. Ah ! Quelle puissance que vos paroles !
Je vous annonce un changement dans mon ménage. Woodhouse a fait un riche héritage en Angleterre, il m’a quittée. J’en ai pleuré, presque. C’est un Anglais encore qui le remplace. J’aime les domestiques anglais pour deux raisons : la première parce qu’ils se lavent les mains trois par jour ; la seconde, parce qu’ils ne parlent jamais. J’ai beau attendre et souhaiter, pas de Génie aujourd’hui ! Adieu, comme de coutume, mais si la lettre était venu, l’adieu s’en serait ressenti. Il eût mieux valu encore. Cependant celui ci est bon.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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70. 9 heures Mercredi 25 octobre

J’ai passé une journée assez calme hier, mais vers le soir je me suis sentie fort indisposée, & aujourd’hui Je le suis beaucoup. Je resterai couchée comme je l’étais après le Jardin des plantes. Ah, si vous étiez ici ! Quelles bonnes & longues causeries. Vous me feriez quelques lectures. Je suis bien avide de vos Hindous. Non, je crois qu’ils me feraient du mal dans ce moment-ci mais je veux cependant faire leur connaissance.
Voici votre lettre. Quel plaisir de penser que vous emballez, ne trouvez-vous pas difficile de vous figurer, que depuis le 31 nous n’aurons plus de jours à compter, que tous les jours seront les mêmes, toujours beaux, toujours charmants. est-il bien vrai que nous saurons heureux à ce point ? Je tremble en pensant qu’il y a encore 6 jours. Il peut arriver tant de choses ! Et aujourd’hui que je suis malade ; il me semble aussi que je puis mourir. Non, je ne mourrai pas, je vous reverrai, n’est-ce pas ?
Mon journal a langui, vous ne savez plus comment je passe mes journées. Il faut que j’y revienne. Hier le bois de Boulogne deux heures avec Emilie, et puis une longue séance avec lady Granville, à laquelle j’ai rendu compte de tout ce qui s’est passé avec mon fils. Elle a tremblé d’abord, et puis nous avons fini par rire. Et je crois que je vous ferai rire aussi. & je crois que je vous ferai rire aussi. Dîner seule avec Marie. Le soir Pozzo mon Ambassadeur, son grand frère, les Schoonburg, les Stockelberg, lord Granville, M. Sneyd, M. Thorn (aujourd’hui chargé d’affaire d’Autriche) M. de amoureux de la petite princesse.
à onze heures je me suis couchée. La nuit a été mauvaise. L’agitation du séjour de mon fils subsiste, c’est à elle que je dois sans doute mon indisposition d’aujourd’hui. Il faudra bien du repos. Et comme avec du repos on ne se donne ni appétit, ni sommeil, il n’y a pas de quoi reprendre ; impossible d’engraisser. Je vois bien qu’il faut attendre ce que fera un bonheur réglé, bien établi, sans nuage. Car le vent du Nord, ni celui du midi ; ne pouvant plus troubler ma vie. C’est vous qui en êtes chargé J’aurai dans dix jours des réponses de mon mari. Il part pour l’Italie et dans 6 semaines des réponses de Moscou. C’est vous qui lirez tout cela le premier, et vous me direz ce que vous aurez lu. Je ne vous ai rien expliqué de la mission de mon fils parce que c’est trop long. Je ne vous ai mandé que l’essentiel l’ordre de me ramener à Genève. Vous serez étonné du reste, mais je n’ai ni le temps de l’écrire ni vous de le lire Pahlen redouble pour moi les Granville aussi.
J’écris longuement à mon fils aîné, je lui fais le récit détaillé de tout. & j’y ajoute toutes les peines. Il faut qu’il soit instruit de tout. Mon mari semble le désirer, ce qui me prouve qu’il songe à pousser les choses plus loin. Je suis en vérité fort fatiguée de tout cela, et bientôt, j’en serai très ennuyée. à vous je conterai encore cette bizarre histoire car je vous réponds qu’elle est bizarre, & puis je n’en parlerai plus jusqu’au jour du dénoue ment.
Hier en voiture il m’a pris un de ces moments auxquels je ne sais pas donner de nom. Que je ne peux pas, que je ne veux pas expliquer. De ces moments où je rêve tout ce qui ne peut jamais être, où je m’enivre de nos rêves. Où ma vue & ma raison s’égarent. Que faisiez vous dans ce moment. Ah venez trouver ces moments auprès de moi ! Est-ce que je vous ai trop dit ? Qu’est-ce que je vous ai dit ? Ce moment est revenu. Mais je vous ai dit que je suis souffrante sans doute du délire. Adieu. Adieu. ah le 31 ! Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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68. Lundi 23 octobre. 9 heures.

Je viens de lire le 64, décidément la folie me touche plus que la raison. Ah si j’avais encore un M. Grouchy à mes ordres aujourd’hui, comme ma petite lettre d’aujourd’hui effacerait ma petite lettre d’hier ! Tout ce que je disais ! J me méprise pour vous avoir dit si peu, si peu. Vous ne savez pas tout ce que je sens ? Vous le saurez, vous le verrez ? Il me semble que je ne vous l’ai jamais dit, que je ne vous l’ai jamais montré.
Il faut cependant que je conserve ma tête encore aujourd’hui. j’ai tant à écrire, à faire. Mon fils part à huit heure ce soir. Quelle excellente & noble créature. Comme il songe à toute, à tout ce qui peut être dans mon intérêt, comme il est heureux de penser que pour la première fois de sa vie il peut servir sa mère !
Je vous ai dit que Médem est parfait pour moi. Il se met dans des colères, et des attitudes de menace qui sont très bouffons. Mais enfin il compte chez nous & pour beaucoup, beaucoup plus que son chef, que Pozzo ou tout autre. Le fait que je lai choisi depuis deux ans pour mon confident & conseiller intime sur place, dans la meilleure position possible. jusqu’ici c’était resté un secret pour tous. Aujourd’hui il le divulguer & moi aussi. Bon Dieu que de commérages on avait fait de ceci. Que de choses j’aurai à vous conter !
Je respirerai demain, je vous écrirai, mais je ne puis pas tout dire, le 31 je vous conterai tout. Non je ne vous conterai rien ; il me semble que ce jour là que bien des jours après, nous ne saurons parler que d’une seule chose ; & en parlerons nous. Ah quelle joie ! Comment demain en huit ? Lundi prochain je ne vous écris plus ? Je ne vous parle pas de ma santé Je n’ai pas le temps de songer à elle. Je me promène tous les jours cependant, tous les jours avec mon fils. Je n’ai vu que lui depuis jeudi, ma porte est fermée le matin. Elle ne s’est ouverte qu’une fois pour Thiers. Le soir j’écoute à peine ce qu’on me dit. Demain je me retrouverai.
Adieu, adieu comme dans la petite lettre, comme dans toutes les lettres, comme toujours, comme toute ma vie. Adieu !

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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67. Dimanche le 22 octobre midi.

J’ai reçu votre lettre ce matin, je ne suis pas fâchée d’avoir une pièce aussi officielle ; elle pourrait être bonne à produire un jour, mais reprenons nos habitudes. Il n’y a plus le moindre danger de l’arrivée de M. de Lieven. Mon fils part demain pour le retrouver à Lausanne, delà ils se mettent immédiatement en route pour l’Italie. Ecrivez-moi par la poste comme vous avez toujours fait, il me faut cela. & puis une fois encore par une bonne occasion plus intimement. Et puis nous arrivons au 31, au 31 ! Concevez- vous tout ce que j’éprouve en traçant le chiffre ! Savez-vous que mon affaire avec mon mari est un tel dédale que nous ne nous y retrouvons plus du tout mon fils et moi, & qu’après avoir tout lu, tout examiné de part et d’autre, nous en sommes venus à la conclusion, qu’il est possible, qu’il ait inventé tout ce qu’il prête à l’Empereur ! Alors la confusion est à son comble, car mes lettres sont parties, mes confidences sont faites, & mon mari va l’apprendre. C’est vraiment trop long à vous dire.
Pahlen et moi nous avons regardé cette affaire de tous les côtés hier au soir. On peut lui intimer de me regarder comme rebelle, on peut m’ôter le portrait. Qu’est-ce que cela me fait ? Exactement rien du tout. & on ne peut pas faire plus. et faire cela cependant est hors de toute vraisemblance car tout despote qu’il est, il faut baser cela sur quelque chose. Être à Paris n’est pas suffisant & je demande une enquête. Il faut bien me l’accorder. En vérité, c’est trop bouffon & après avoir un peu gémi, je finis toujours par rire, mais je crois mon mari fou, ni plus, ni moins, & son fils le peine un peu.
Et savez vous que mon frère l’est complètement. Il vient d’embrasser la religion grecque. Allons me voilà dans une belle famille si j’y étais restée ! Mon fils part demain, j’en suis presque impatiente. Nos entretiens perpétuels sur un même sujet si désagréable me font du mal, & puis je ne dors pas la nuit, je ne vous fais plus mon journal. Depuis 9 h. jusqu’à 6 heures, il ne me quitte pas. Le bois de Boulogne nous le faisons ensemble. à 6 1/2 nous dînons encore ensemble jusqu’au moment où j’ouvre ma poste. Après demain j’écrirai avec plus de liberté d’esprit, & du temps.
J’écris des volumes à mon mari, il y a tant à expliquer ; car c’est un enfant. Je serai impatiente que vous m’annonciez la réception de ma lettre pas M. Grouchy. L’aimerez- vous un peu ? Je ne sais plus ce qu’elle contient. Je voudrais m’en rappeler, savoir s’il n’y a pas trop, s’il n’ a pas trop peu. Je flotte entre ces deux craintes. Et au bout de tout cela je suis mécontente. que ce que dans le trouble d’esprit où je vis Je vous aurai dit des bêtises, pas du tout ce que je voulais vous dire, mais je n’ai pas été maîtresse de choisir mon moment. Cela vaudra mieux que toutes les lettres. J’ai eu une excellente lettre de Valençay. Je vous en parlerai. On me dit de vous rappeler Rochecotte en nov : & moi, je vous prie de l’oublier.
Adieu. Adieu, toujours toute notre vie adieu. N’est-ce pas toute notre vit. M. Grouchy doit porter ce soir.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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66. Samedi 21 octobre midi

Dès que mon fils sera parti. Je vous rendrai un compte détaillé de tout ce qui me regarde, jusque là imaginez vous que depuis 9 h jusqu’à 6, il est là, sans cesse. Que nous avons un travail immense à faire ensemble, que j’ai la tête rompue, renversée, que je n’en puis plus & que si mon cœur est toujours, sans cesse à votre service, mon temps ne l’est pas du tout que je ne sais où trouver deux minutes. Il part après demain. Pauvre jeune homme placé entre son père & sa mère dans des circonstances aussi pénibles.
Je n’ai aucun espoir de ramener mon mari, il a perdu la tête. Il faut que je ramène l’Empereur & vous concevez la difficulté si j’échoue, il y aura un éclat terrible, mais rien ne m’ébranlera. Vous savez où je trouve ma force. J’ai vu M. Génie deux fois ce matin. Il m’a porté votre petit billet & demain il viendra prendre un mot de ma part pour vous l’envoyer par M. Grouchy. Vous voulez un mot, vous l’aurez, je le veux aussi, je veux vous donner de la joie. Je sais ce qu’est elle est immense pour moi.
Thiers a passé deux heures chez moi hier. Il est entré boudant, son humeur s’est éclaircie, et il est sorti enchanté. C’est vous qui faisiez sa mauvaise humeur. Il est ministériel ; si les ministres le soutiennent aux élections. Mais au fond de part ni d’autre cela ne me parait encore bien solidement établi. Il est drôle, il est bavard mais comme j’ai été frappée du peu de facilité & d’élégance avec laquelle il s’exprime ! Comme je suis gâtée il est parti ce matin pour Lille il sera ici la première semaine de Nov. Lui et Berryer se trouveront en présence à Aix & à Marseille on les oppose l’un à l’autre dans les deux villes.
Voyez avec quelle hâte je vous écris, voilà une correction plus ridicule encore que celle de l’autre jour.) Ma santé se ressent de toutes les émotions et les tracasseries qu’on me donne, je ne dors pas. Ah quand me laissera-t-on tranquille. Adieu. Adieu. Vos lettres me soutiennent. Je les aime plus que jamais & plus que jamais adieu. Dans mon n°64, j’étais moins agitée à 9h. qu’à 1 h. parce que j’avis prié mon fils de ne me dire que le matin les choses qui pouvaient m’irriter le plus. Voici les paroles de l’Empereur : " Mon honneur et ma dignité sont blessés par votre femme, elle seule a osé jamais mon autorité. Faites vous obéir par elle, si vous n’y réussissez pas, c’est moi qui la réduirez en poussière." Il nous reste à voir comment ?

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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65. Vendredi 20 octobre. 9 heures.

Vous m’aurez pardonné mon billet d’hier vous me pardonnerez encore aujourd’hui les petites propositions de cette lettre. Mon fils ne passe ici que deux jours. Nous ne nous quittons pas de toute la matinée, & je suis si étourdie de tout ce qu’il me dit, de tout ce que j’ai à lui dire, qu’il ne me reste vraiment pas de force pour vous écrire. Les menaces de très haut sont très fortes, mais vous savez que cela n’y fera rien. Le vrai chagrin que j’ai est que mon mari ne veut rien croire, & que l’attentat du médecin a été mis en pièce par lui avant de le lire. Alexandre partira convaincu de l’impossibilité pour moi de bouger. Mon médecin lui à a déjà parlé. Mais sa conviction aura beau être intime, il ne pense pas que mon mari la partage avant que l’Empereur ne le lui commande. Mon mari me mande que depuis qu’il m’a fait connaître ces résolutions Il a la conscience tranquille ! Le rôle de l’Empereur va commencer nous verrons comment il pourra le soutenir. On commence autour de moi à se mettre en train de me soutenir, & cela sans aucun effort de ma part. Pozzo même s’en mêle très spontanément, et de sa part j’en suis vraiment touchée car je ne m’y attendais pas. Vous voyez partout ce que je vous dis, que je vis ces jours-ci dans un cercle d’agitations extrêmes.
Ne croyez pas cependant que ma véritable vie y perds rien au contraire, je me replie sur mon cœur, & plus que jamais je le trouve rempli d’amour & de force. Pour que je puisse écrire par M. de Grouchy il faudrait que je remisse de la main à la main ma lettre à M. Génie. Je n’ai pas un moment à moi. Mon fils est là, toujours là. Dites-vous tout ce que je ne vous dis pas. Tout, bien vif, bien intime, je ne désavouerai rien. J’ajouterai peut-être.
A propos j’ai vu ce M. Grouchy, il est assez lié avec ce fils qui est auprès de moi dans ce moment. Hier Berryer est venu le soir un peu maigri de sa maladie. Thiers a passé deux fois sans me trouver, il reviendra aujourd’hui. M. Molé lui a fait une longue visite avant-hier. Il a dîné ce même jour chez M. de Montalivet hier il a été à Trianon. Je sais qu’il va en Angleterre. On me dit aussi qu’il est venu demander aux ministres s’ils voulaient qu’il fût ministériel ? dans ce cas il demande qu’on favorise les élections de ses amis, & que lui même on le laisse être élu dans cinq ou 6 endroits. Voilà les rapportages, mais qui viennent de lieu sûr. J’ai plus écrit que je ne pensais, & même sur plus de sujets qu’il ne me parais sait possible. Que j’aime l’amour hindou ! C’est comme cela que je l’entends aujourd’hui que de choses que je n’ai apprises que depuis trois mois ! Je veux dire quatre mois. Je ne pense qu’au 31, la nuit, le jour. J’étais si bien avant hier. Depuis l’arrivée de mon fils, le sommeil & les forces m’ont de nouveau abandonnée. Adieu. Adieu plus longuement, plus tendrement adieu que jamais.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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64. Jeudi 9 heures

à onze heures hier au soir, on m’annonce le Prince de Lieven. Je pousse un cri d’effroi, & puis j’articule bien bas une invocation. " Mon bien aimé protège-moi. " Il m’a protégé. C’était mon fils que mon mari m’envoyer pour me conduire auprès de lui à Lausanne. 1 heure Je suis si souffrante, si tremblante qu’il m’est impossible de continuer cette lettre. Pardonnez moi. Adieu. Adieu. adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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34. Paris jeudi 31 août 1837 3 heures

Quelle horreur je vous ai dit en terminant ma lettre. Il y a le choléra à Paris & je vous conjure d’y venir ! Ah Monsieur j’ai peur pour moi, & je n’ai pas peur pour vous. Qu’allez-vous penser de moi ? Et cependant, cependant, je recommence. Venez, nous veillerons l’un sur l’autre. 6 heures j’ai essayé de me promener au bois de Boulogne. Il fait froid, il fait sale. Je ne suis pas en train. Ce choléra me reste sur l’esprit. Donnez-moi donc du courage, je n’y penserai plus lorsque vous serez là. Maintenant j’en suis toute préoccupée. Je suis trop seule, je le suis même tout à fait, & je ne veux faire des avances à personne afin de garder ma liberté, mes bonnes heures de la matinée, que nous savons employer si bien. Ah que j’y pense, & quel frissons plaisir cela me donne ! Monsieur est-ce bien vrai que je vous verrai dimanche ? Vous me l’avez bien promis.
Je viens de recevoir une lettre de M. de Lieven une de celles qui me manquaient. Il me parle beaucoup du prince Metternich chez lequel il a passé une journée en grande causerie d’affaire. 9 heures. Je n’ai rien pris à dîner, je me suis sentie mal, j’ai fait venir mon médecin. Il m’a bien interrogée et puis il m’a assuré que j’avais un vilain accès de nerfs, & voilà tout. Ainsi vraiment de la poltronnerie, pas autre chose ; Monsieur voilà qui est bien misérable, & je vous conseille de me mépriser un peu j’avais besoin de vous dire cela encore ce soir mais je ne vous dirai pas autre chose car j’ai mal aux yeux. Je ne sais pas écrire à la bougie. Bonsoir, bonne nuit, je vous dis tout cela sur notre canapé vert. Dimanche je n’y serai pas seule. Ah quelle ravissante pensée !

Vendredi 1er Septembre 9 1/2 Je savais bien qu’il vous fallait un writing desk, & ce malheureux writing desk n’arrive pas. Pardonnez-moi. Monsieur ; c’est bien français de voyage sans son portefeuille, moi, je ne conçois pas cela ; il ne faut plus que cela vous arrive. Il me semble que je suis de mauvaise humeur ! C’est vrai je le sens un peu. J’ai eu une mauvaise nuit, à 7 heures je me suis rendormie. Je n’ai sonné ma femme qu’après 8 1/2 et en regardant à ma montre je me suis dit. J’aurai une bonne lettre dans mon lit, & j’y resterai encore un peu avec elle. La lettre est venue. Mes yeux, mon cœur dévoraient déjà cette enveloppe. Concevez-vous que la vue de ce papier rose m’ait refroidie un peu. Et puis quelques mots seulement !
Voilà ce que c’est de se réjouir, de croire. Il ne faut jamais croire. Je ne veux plus croire qu’à côté de moi sur mon canapé vert. Là point de mécompte n’est-ce pas ? Je reviens à la lettre ; après un petit instant de surprise j’ai couru à la fin, as in duty bond et j’ai fait tout ce qui me commandait ce duty. Mais franchement je ne l’ai pas fait comme de coutume. Vous voyez que je pousse la franchise jusqu’à l’impolitesse.
J’ai lu ensuite. J’ai joui de votre plaisir de celui de vos enfants, j’ai vu tout cela bien vivement devant mes yeux. Oui Monsieur j’ai joui, et un instant après j’ai senti mon cœur se gonfler, & mes yeux ne voyaient plus clair. Je n’ai plus de ces joies, et vous que de joies qui ne vous viennent pas de moi, tandis que moi, je n’en ai plus que de vous, oui de vous seul. Conservez-moi ce bien que j’ai trouvé. Monsieur conservez le moi tel, toujours tel que je l’ai connu pendant ces huit jours. Le jour où je le trouverais autre, je demanderais. à Dieu qu’il fût le dernier de ma vie.
J’ai reçu hier soir, M. Aston, M. de Hegel, sir Robert Adair le duc de Richelieu le duc d’Orléans ne va pas en Afrique, c’est le duc de Nemours. Vous allez donc à Compiègne, vous êtes obligé de venir à Paris. Ai-je douté que vous y vinssiez sans cela. Je n’en sais rien. Je ne sais rien bien clairement aujourd’hui. Monsieur venez, venez. Voici ma dernière lettre. Il pleut à verse, des torrents l’air e est tout obscurci. Midi. Mon médecin sort de chez moi, il ne me trouve pas bien. Venez donc Monsieur et je serai bien. Je ne vous dirai donc plus rien demain je parlerai au canapé vert, au coussin brodé. Et après demain, après demain ! Adieu, adieu !

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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3. Londres le 5 juillet 1837,

Je commence à trouver qu’une lettre eut pu m’arriver déjà. Je vous la demande Monsieur. Je ne sais pas si depuis vendredi vous avez pensé à moi.
Ma journée a passé hier comme un instant, je vois bien que c’est le matin, qu’il faut que je vous écrive, car dès 1 heure je suis envahie, & minuit arrive sans que j’aie eu un instant de solitude. Vous allez être ennuyé des détails, mais vous me les avez demandés. Lord Grey deux grandes heures ! Le prince Esterhazy, Pozzo, Dedel (ministre de Hollande) Lady Flarrowby, Lady Carlisle, la duchesse comtesse de Sutherland, M. Granville jusqu’à 6 heures. Je montai alors en calèche avec la duchesse de Sutherland. Nous voulions faire le tour de Hyde park, mais nous n’avions pas fait deux cents pas que je me trouvais mal. Elle me ramena.
La vue de Londres est terrible pour moi. Je puis bien y être, mais non y regarder. Mon fils vient à 6 1/2. Je ne peux le voir à mon aise que pendant ma toilette à huit h. 1/2 on dîne : c’est détestable. Nous fûmes seuls, il n’y eut que lord Harrowby, & lord Grey & lord Morpeth, grand radical, excellent homme. Mes amis Torys ignorent encore mon arrivée. J’en suis bien aise. Je me sens si fatiguée que je n’ai plus de quoi leur montrer de la joie de les revoir. Cela viendra aujourd’hui & demain.
Au milieu de tout cela avez-vous pensé à Paris madame ? Oui monsieur, j’y ai pensé, toujours pensé.
Le contraste est grand mais je vous ai dit qu’il fait sur moi l’effet des ressemblances. Ah à propos, en montant dans l’appartement où se tient la duchesse le matin, le premier objet qui frappe ma vue est la gravure de M. Guizot ! Jugez ma surprise. Je me suis arrêtée. J’ai fixé mes yeux sur vos yeux.
Je vis ici dans une atmosphère très ministérielle ce qui fait que je ne m’avise pas d’avoir une opinion quelconque sur ce qui ce passe il est dans la nature des Whigs d’être très confiant. La Reine leur montre toutes les faveurs. Il est donc naturel qu’ils soient en pleine espérance, mais j’attends d’autres notions. Lord Grey se donne un grand mouvement pour faire entrer lord Durham dans le cabinet. Lui même lord Grey est aigre, mécontent, frondeur, & furieux d’être vieux. Je n’ai jamais rencontré personne qui convienne de ce chagrin plus naïvement que lui. C’est un vrai désespoir.
La voilà cette lettre. Quel plaisir qu’une première lettre, comme je lis vite, & puis comme je lis lentement, & puis plus lentement encore. Monsieur, que je vous remercie ! Il y a de hautes et nobles pensées dans les vers que me transcrivez, mais il y a une strophe un mot que j’aime plus que tout le reste. Nous avons découvert bien des ressemblances entre nous Monsieur. Mais il y a des impressions qui sont toutes différentes. Ainsi la poésie vous calme & vous élève. Moi elle m’élève bien ; mais si haut si haut que cela ressemble bien plus à du délire qu’à autre chose. Je la fuis donc la poésie. Je saurais lire sans danger il y a peu de temps encore. Aujourd’hui je la crains parce que je me crains. Monsieur je me connais bien, je voudrais bien vous expliquer ce que je suis, mais vous êtes si pénétrant, je n’en prendrai pas la peine. Cependant un homme sait-il bien comprendre le cœur d’une femme ? Je vous ai dit que j’en doutais quand il s’agissait de mes peines, qui doute bien plus pour le sentiment du bonheur. Il me semble que mon âme ne peut jamais suffire ni à la joie, ni à la douleur, que je vais mourir ou de l’un ou de l’autre par l’impuissance de les exprimer. Aujourd’hui j’étouffe ! Mais Monsieur de quoi vais-je vous parler ? Il y a presque du remord dans ce que je vous dis. Ici où une seule pensée devait m’absorber, je ne la retrouve plus distincte. Il y a un voile entre moi et mes malheurs. Toutes les circonstances passées sont devant mes yeux. Je me retrace tout, toute l’horreur de ces affreux moments. Et bien, Monsieur, aucune des sensations que ces souvenirs faisaient naître en moi il y a encore un mois, aucune ne m’atteint dans ce moment. Je ne pleure pas. Je ne me comprends pas. Il y a quelque chose qui m’arrête, qui me protège contre moi-même. Vous l’avez espéré pour moi, vous me l’avez prédit. Monsieur, quel bien vous m’avez fait ! Je vous en remercie à genoux.

Jeudi 6 juillet
Je renonce à vous raconter ma journée d’hier. Ma porte à été ouverte et mon salon n’a pas désempli depuis 1 heures jusqu’à 7. J’ai vu tout le monde Whigs, Tories, radicaux. Je sais les aimer tous. J’ai le cœur terriblement vaste. Vous allez me mépriser. Mais non Monsieur il ne faut pas faire cela. L’amitié me touche toujours de quelque part qu’elle ne vienne. J’aime tant être aimée ! Ces Anglais sont si sincères si simples dans l’expression de leur amitié. J’ai vu quelques yeux humides.
Oh pour le coup je ne résiste pas à cela. Mais j’étouffais matériellement, moralement, j’en recevais quelques uns dans le jardin, pour reprendre des forces. Enfin cela a fait un véritable levé. Je n’ai eu de tête à tête qu’avec lord Aberdeen, lord John Russell, lord Grey & lady Jersey. Tout le reste était cohue. Un immense dîner diplomatique. On m’avait donné la France pour voisin de droite. Cela m’a fait plaisir. Mais il est bien solennel M. Sebastiani & tout arrive bien lentement.
J’aime ce qui va vite. Si l’on tarde un peu à me répondre, je ne sais plus ce que j’ai demandé et cela m’est arrivé hier deux fois avec votre ambassadeur. Je trouve la diplomatie un peu en décadence. De mon temps, elle était un peu plus fashionable.
Jugez Monsieur qu’on me trouve bonne mine. Je ne comprends pas cela. J’ai été interrompue par une visite de deux heures de Lord Durham. Il a bien de l’esprit et il le sait. Il saisit et embrasse tout très vite. Il a le droit d’aspirer à beaucoup & à très haut. J’ignore si le droit se convertira en fait !
La Reine est tout à fait entre les mains de Lord Melbourne qui me parait user de sa position avec tact & intelligence. Il est plein de respect & de paternité pour elle. Elle a l’esprit ouvert, curieux, elle veut tout faire. Il n’y aura point d’intermédiaire entre elle et ses ministres. Elle travaille avec chacun d’eux. Elle s’informe, elle écoute, elle se fatigue à cela. On dit qu’elle en est maigrie ; sa santé est mauvaise. Elle ira fermer le parlement en personne. Elle fera à cheval la revue de l’armée, elle porte la plaque & le cordon de la jarretière. Elle veut faire tout, et tout de suite. On la contemple avec étonnement et respect. C’est un curieux spectacle à 18 ans !

Vendredi 7
J’eus hier matin encore une longue visite de Sir R. Peel, du duc de Wellington, lord Mulgrave, lord Grey, Pozzo. Je vous cite les têtes à têtes. Je ne veux pas vous ennuyer du reste. Peel est venu sur béquilles. Il a été en danger de perdre une jambe, & ceci était sa première sortie. Le duc est vieilli. Lord Grey est fort, bien avec l’un et l’autre. Il m’a dérangé hier. J’eusse aimé sa visite dans un autre moment. Il me semble qu’il se prépare ici bien de l’embarras. C’est lord Durham qui le créerait, mais je vous expliquerai tout cela une autre fois. Pour le moment lord Melbourne est tout puissant. Je fus dîner hier tête à tête avec lady Jersey. Il faisait encore jour lorsque je me rendis chez elle. J’ai fondu en larmes dans la voiture, mon pauvre cœur se brisait pendant un moment il n’y avait place que pour mes malheurs. Le bavardage de Lady Jersey m’a distrait, je la quittai de bonne heure pour aller voir lady Cowper qui revenait de la campagne, où elle était allé enterrer son mari. Elle se jeta dans mes bras en sanglotant. Il ne me faut pas de pareilles scènes. Aussi ne puis-je pas y tenir plus d’un quart d’heure. Je rentrai à 10 h. pour m’enfermer chez moi. Je me couchai. Mon fils vint me trouver encore, je n’avais pas pu le voir de tout le jour. Nous causâmes beaucoup ensemble de mon plus prochain avenir. Il se complique singulièrement.
J’ai reçu hier une lettre de mon mari qui me fait croire qu’au lieu de Kazan, c’est à Carlsbad qu’il va se rendre seul, pour sa santé ! Il cherchera surement à me donner un rendez-vous. Et ce que je désirais le plus vivement il y a quelques temps je le redoute aujourd’hui comme si cela devait finir ma vie. Monsieur, je me suis créé la plus grande félicité ou le plus grand malheur de mon existence. Je l’ai senti en me livrant au seul sentiment qui peut désormais la remplir. Dieu l’a mis dans mon cœur. Pourrait-il si tôt me livrer au désespoir ? C’était mon paradis à moi, je ne pouvais en avoir d’autre sur la terre. Que j’en ai joui ! Monsieur ma pauvre tête s’en va quand je pense à cet avenir qui peut être si beau ou si horrible. Puis-je vouloir du bonheur à tout prix ? C’est à vous que j’adresse cette question.
Dans ce moment on me remet une lettre & une carte de visite, laissés ici hier au soir par un voyageur. Je n’y étais pas lorsqu’il a passé. Il a promis de revenir ce matin, la matinée me paraîtra longue, éternelle jusqu’à ce que je le voie ! Quelle bonne, quelle douce surprise. Y aura-t-il beaucoup de voyageurs ? Comme je vais regarder celui ci avec tendresse.
Pendant que je vous écrivais ou m’a annoncé cette femme dont je vous ai parlé. Celle qui a vu naître & mourir les enfants, & que je n’avais plus revue depuis le lit de mort de mon Arthur ! Ah Monsieur quelle horrible souvenir ! Il dort en paix cet ange & moi je suis encore sur la terre pour pleurer. Je l’ai vue cette femme Nous avons confondu nos larmes. Le petit chien n’y était pas, il viendra un autre jour, il me fera pleurer aussi. Je n’ai pas tenu au delà de dix minutes. Je reviens à vous, dites-moi quelque douce parole Monsieur, consolez mon pauvre cœur. Adieu, quelle longue lettre !

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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451. Paris, mardi 13 octobre 1840
9 heures

J’ai à peine dormi trois heures cette nuit, je ne sais pas pourquoi, si ce n’est que je n’ai pas été au bois de Boulogne hier. Ma belle sœur m’a retenue chez moi et puis des visites à faire. J’ai vu le soir les Appony et les Granville, chez eux respectivement lord Granville avait vu M. Thiers le matin, il avait de ses nouvelles après votre entretien avec lord Palmerston samedi, mais il lui a dit que vous ne lui mandez rien d’ici pourtant ; de sorte que Granville n’osait rien. Les fonds ont monté beaucoup hier, il faut que ce soit sur des nouvelles. de Londres, mais la diplomatie les ignore tout-à-fait. Le roi a reçu Brignoles dimanche au soir et lui a fait subir le même accueil qu’à Fleishmann c’est-à-dire des tirades violentes contre le traité, violentes de paroles et violentent de gestes de façon à épouvanter l’Italien comme l’avait été l’Allemand.
J’ai vu Brignoles hier qui n’en revenait pas. Le roi lui avait semblé très belliqueux, très irrité, très inquiet et il relevait de son discours que c’était une guerre agressive qu’il se voyait à la veille. d’entreprendre. Montrond est venu chez moi le matin, un peu le contraire, ton à la paix, disant que le roi la croyait sûre. Qu’il était très contente de Thiers. Thiers est très peu accessible depuis une huitaine de jours toujours à Auteuil, il cherche à s’effacer pour le moment.
Mes ambassadeurs n’y ont pas été et par conséquent ils l’ont point vu depuis plus de huit jours. Montrond me disait : " Voilà M. Guizot collé à Londres et collé à Thiers n’est-ce pas ? Je n’ai pas répondu à n’est-ce pas, je ne réponds jamais que de moi-même.

1 heure.
Le journal des Débats est très inquiétant ce matin, et le National très épouvantable. Tout le monde dit : s’il y a guerre, il y a par dessus le marché trouble à l’intérieur. S’il n’y a pas guerre, il y a surement trouble à l’intérieur. Quand ce serait vrai, il vaut mieux le mal simple par le mal double. Mais est-il possible qu’on soit condamné à voir cela ? Je suis mal disposée ce matin, j’ai peur, c’est sans doute parce que Mardi je n’ai rien pour me soutenir. J’attends demain avec grande impatience une grande curiosité. Mon fils est parti pour Londres, ce matin, je ne lui ai pas nommé son frère.
Adieu. Adieu que verrons-nous arriver dans le monde ? Je vois bien noir. On laisse trop aller le mal, pourra-t-on le maîtriser ?
Adieu, toujours le même adieu, à travers la guerre les émeutes. Ah mon Dieu ! Marion est animée, elle est venu me voir ce matin, bien gentille et bonne comme de coutume. Mon fils la trouve charmante mais voilà tout. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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171. Paris lundi 22 octobre 1838

J’ai fait hier ma dernière grande promenade au bois de Boulogne avec mon fils. Il me quitte aujourd’hui. Il n’est pas homme d'esprit, mais il est si doux, si bon, si affectueux pour moi et il a tant de bon sens que c’est vraiment une bien douce société pour moi. Il retourne à Naples. Il me promet de revenir me trouver l’été prochain, que sera l’été prochain pour moi ?
J'ai eu beaucoup de monde hier au soir ; je n'avais de fixe que les Holland & Berryer, c’était une affaire commune ; les autres entrent quand ils voient les lampes. On s’est écouté vers les onze heures, & alors a commencé la véritable causerie avec Granville du plus. Il me parait que Berryer et Lord Holland ont été réciproquement frappés l’un de l’autre. Berryer compte sur une session importante ; dont vous & M. Odillon Barrot serez les principales figures. Il trouve Thiers fort effacé dans la chambre, et votre parti fort grandi par la presse. Il est impatient de vous revoir. En attendant il fait à ce qu’il dit le paysan.
Les Holland partent samedi, ils ne peuvent pas vous attendre. Cette affaire du Canada va amener des délibérations du Conseil, & peut être, une convocation du parlement. Cependant, ils ont confiance dans le général Colburne qui garde son commandement, & qu’on dit un homme de guerre & un homme de tête, supérieur. Lady Burgharsh est venue aussi hier au soir. Elle est bien changée. La pauvre femme a perdu il y a deux ans un enfant, une fille de 16 ans, charmante. Mon ambassadeur parle à tout le monde de ses embarras de maison. C'est un peu ennuyeux & on commence à en rire, mais lui en maigrit. Les Appony passeront le 8 Novembre dans leur maison, ils sont enchantés. La Duchesse de Talleyand a donné hier à dîner à M. Molé & Mme de Castellane. Si elle ne les nourrit pas mieux que moi ils seront un peu étonnés. Adieu.
Le temps est ravissant. Je vais m’établir aux Tuileries. Si vous y veniez avec moi, quelle jolie causerie nous aurions dans ce bon air qui est si gai aujourd’hui. Moi, je ne le suis pas. Adieu, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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447. Paris, vendredi 9 octobre 1840

J’ai vu hier matin mon ambassadeur. Le soir les Granville, où j’ai trouvé Mad. de Flahaut. J’avais fait ma promenade d’habitude dans feu le bois de Boulogne; mon dîner seule, car mon fils dînait dehors.
Je trouve qu’on est généralement rassurer par la convocation des Chambres. C’est quelques semaines de répit. Peut-être pour arriver à pire ! Mais il y a aussi la chance du contraire. Ne faudra-t-il pas la tribune nglaise comme contrepoids ? M. de Broglie est fort consulté et fort occupé. Il s’occcupe toujours avec prédilection d’un ministère qui est son ouvrage, et trouve que la candidature de M. Odilon Barrot pour la présidence est un dévoir de la part du ministère. On dit cependant que M. de Broglie est très inquiet, inquiet de tout, du dehors, du dedans. Il a raison de l’être car tout ceci est bien sérieux. les propos dans le public deviennent atroces. On retourne aux temps où ce n’est pas de l’eau qui coulait sur cette belle place. Vraiment, ma peur vient de bien des côtés maintenant. Je n’ai reçu votre lettre hier qu’à 6 heures.
11. J’ai depuis quelques jours une lecture qui m’amuse beaucoup, c’est mes lettres à mon mari depuis le jour de mon arrivée à Paris. La nouveauté des impressions le jugement quelques fois. correct, d’autre fois un peu léger sur les personnes. Le crescendo, quelques fois le décrescendo de mon goût pour elles, tout cela me divertit à relire. J’essaie de ranger mes papiers, je crois que je n’y réussirai jamais.

Midi
Voici votre lettre qui me plait bien, je suis fâchée de ce mauvais jour qui m’empêche de vous le dire comme je le voudrais. M. de Pahlen a eu un courrier au bout de quatre mois, mais un courrier qui traite de généralités à ce qu’il dit. Il est toujours excellent, sensé, mais bien inquiet. Il pense qu’on va commencer à l’être aussi. Adieu, car je ne vois rien à vous dire ! Comment êtes vous content, ou mécontent de Flahaut ? Adieu très intimement.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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446. Paris, Jeudi le 8 octobre 1840
9 heures

J’ai vu hier Montrond, mon ambassadeur, et le reste de la diplomatie le soir chez Appony. La journée toute guerrière, Appony avait été frappé cependant de trouver Thiers la veille plus découragé que vaillant ; l’esprit très préoccupé. Un homme fatigué, abattu. Vraiment on ne sait pas comment tout ceci peut tourner. Le parti de la paix se renforce cependant, mais le parti contraire est bien bruyant, bien pressé. Le roi est toujours très vif avec Appony, infiniment plus doux avec mon ambassadeur.
Il a fait l’éloge de M. Titoff qui s’est refusé à prendre part à Constantinople, à la dépossession du Pacha. J’ai reçu le petit ami dans la journée. Je suis très frappée de voir que dans le récit de ses longs entretiens avec 1, il soit si peu ou point du tout question du chêne.
Décidément S. n’est pas un ami sincère. Il y a quelque ancienne rancune qui perce. Dites au frênes de ne pas s’y fier tout-à-fait.
Les ambassadeurs sont fort disposés à désirer la convocation des chambres, moi aussi. On dirait cependant que hier rien n’était décidé. J’ai eu hier une lettre de M. de Capellan dans laquelle Il me rend compte des événements de La Haye, et où il me dit qu’il part demain pour Londres pour annoncer à la reine l’avènement de son nouveau roi. Je suis désolées que nous perdions Fagel, son successeur Zeeylen est un désagréable homme. Dites toujours je vous prie mes tendresses à Dedel que j’aime beaucoup, est-il confirmé à Londres ? Pourquoi n’est-ce pas lui qu’on nomme à Paris ?
L’arrivée de ma belle-sœur m’ennuie beaucoup. Sa fille me plait davantage tous les jours. Mais elle a peu d’esprit et elle n’a que deux préoccupation sa toilette, et son mari. Et comme cela, dans cet ordre-là.

11 heures
Je suis enchantée voilà la convocation, et plus prochaine que je ne croyais. Moins de trois semaines. Dites- moi bien, répétez-moi bien que vous viendrez. Ah quel beau jour ! Vous ne sauriez imaginer comme mon cœur est joyeux. Si fait vous le savez, et vous répondez à ce transport. Mon fils va lundi à Londres pour revenir la veille de l’ouverture des chambres. Je ne lui ai pas nommé son frère. On a parlé à Baden de M. de Brünnow et moi ; les Russes en ont parlé, car la petit Hesselrode venu de Londres savait tout. Il n’y a eu qu’une opinion, on l’a blâmée de la vilenie, et encore un peu plus de la bêtise. Cependant, cependant, vous voyez qu’on ne me répond pas. Que c’est bête encore !
Vous ne voyez donc pas du tout M. de Brünnow ? Voici ce que je réponds à lady Palmerston. " Il est assez naturel que M. Guizot aime à parler de préférence avec les gens qui sont de son avis ; mais je le crois assez bien orienté en Angleterre pour savoir qu’il n’y a pas d’autre bénéfice pour lui à cela que le plaisir de la conversation. Il sait fort bien que les gens qui parlent la plus ne sont pas ceux qui mènent."

2 heures
Le petit avec ami me quitte ; nous bavardons, nous bavardons ! Voilà donc que M. Barrot sera porté à la présidence. Vous ne jugerez pas possible sans doute de rester neutre ! Je vous fais la question. J’ai donné au petit les noms français Voilà du monde il n’y a pas moyen de continuer. Je n’ai pas eu de lettres encore aujourd’hui. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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445. Paris, Mercredi 7 octobre 1840,
10 heures

J’ai trouvé les Granville fort inquiets hier. Cela me parait un mauvais signe. J’ai fait une très longue promenade au bois de Boulogne, une visite en Autriche, et en rentrant chez moi j’y trouve mon fils Alexandre. Il avait lu les journaux de Paris, à Bruxelles. Ils lui ont paru si menaçants qu’au lieu d’aller à Londres il a tourné de ce côté-ci pour voir ce qui se passait. Il restera ici huit jours et puis il va à Londres pour revenir ensuite. J’ai dîné avec lui et comme mon ambassadeur allait à St Cloud et que je n’attends ce soir de visite que la sienne j’ai été passer ma soirée chez Lady Granville.
Je l’ai trouvée seule avec lord et lady Seaford, mariés depuis 6 jours à Londres. Un vieil amour, entre de veilles gens, réchauffé par un mariage fort raisonnable mais pas intéressant lord Seaford était l’une des amies de M. Canning. Il les choisissait tous un peu bêtes. On disait que le conseil hier à St Cloud devait être très important. La bourse s’est encore agitée énormément et les fonds ont éprouvés une hausse de 4 %. On annonçait pour ce matin une espèce de protestation dans le ministère au sujet de la déchéance du pacha.
Appony a couru hier soir à St Cloud pour dire au roi qu’il savait de source certaine sans être encore directe, qui sa cour blâmait hautement la Porte (et infiniment plus haut encore son internonce pour la part ostensible qu’il y a prise) au sujet de cet acte de déchéance. On espère que ce blâme arrêtera votre cour ! Mais tout arrive si tard. En vérité, je crains beaucoup plus que je n’espère, quoique mon refrain, comme celui de tout le monde, soit toujours. " Mais ce serait fou. "

1 heure
Je n’ai vu encore que le petit ami. Son intelligence et la mienne vous sont bien dévoués. J’allais dire son cœur &. Mais là je ne veux pas de cocarde. Et bien nous trouvons, je trouve surtout et mon Dieu je ne sais que dire, on peut si peu dire par lettre. j’espère que si les chambres sont convoquées, vous vous arrangiez de façon à aller avant passer quelques jours dans votre famille, faites y venir le petit ami, ce sera bien utile. Au fond votre situation est bonne. Vous êtes en dehors de toute intrigue. Vous remplissez avec dévouement, fermeté, habileté vos devoirs là où vous êtes, le jour ou il faudra en rendre compte vous saurez le faire à votre plus grande gloire. Jusque là vous êtes tranquille. Si vous écrivez au frêne recommandez lui bien de ne pas dire un mot, pas écrire une ligne qui l’engage à quoi que ce soit Sa couleur on la connait ; il ne peut pas en avoir, on ne doit pas, on ne peut pas lui en prêter un autre. Je reçois votre lettre dans cet instant, que je voudrais être occupée de vous, pour vous.

2 heures
J’ai été interrompue par tant de monde que je n’ai plus qu’un instant. La crise est plus fort que jamais dans ce moment un conseil chez le Roi, très important. On décide la convocation et la protestation. On dit presque l’existence ministérielle. Montrond sort d’ici. Il croit que la chambre sera convoquée pour le 7. Le maréchal Gérard va faire paraître un ordre du jour défendant toute manifestation publique d’origine politique de la garde nationale. Granville a une audience du Roi ce matin. Je suis très très pressée. Vous aurez des lettres aujourd’hui.
Adieu. Adieu mille fois eh tendrement adieu. Quel moment ! Adieu le roi très pacifique.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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444. Paris, Mardi 6 octobre 1840
9 heures

Les trois 4 font une drôle de mine et ne font pas honneur à notre intelligence, pour des gens qui ont pas mal de goût à se trouver ensemble. C’est bien bête. J’ai vu hier matin chez moi à la fois l’Autriche, la Prusse, l’Angleterre. Une petite conférence en ressemblant pas du tout à celle de Londres quant aux opinions et aux vœux. Il parait que l’insurrection se ranime en Syrie. Il paraît aussi que les Anglais allaient à St Jean d’Acre. Voilà qui fera une bien autre émotion encore qui Beyrouth !
On dit donc qu’on travaille ici à une sorte de protestation dans laquelle on établirait le casus belli. Mais tout cela n’est-il pas un peu tard ? On est très révolté ici de voir que l’internonce a assisté à la dépossession du Pacha à Constantinople.
Quant à nous je n’ai rien vu de plus modeste, même de plus effacé. C’est très drôle. Tous les acteurs en scène, le premier amoureux seul, dans les coulisses. Je ne crois pas qu’il perd rien à attendre. Mais la comédie est complète. Le soir je voulais aller chez Lady Granville lorsque est venu encore M. Molé et puis mon ambassadeur et Bulwer. Nous sommes restés à quatre jasant toujours de la même chose, et riant même un peu. C’est toujours encore dans ma chambre à coucher que je reste ; et ma porte fermée à tout ce qui ne m’amuse pas tout-à-fait. M. Molé et très curieux de tout, mais au fond il me parait être au courant de tout.
Il disait et Bulwer disait aussi que M. Barrot entrerait au ministère, si les affaires tournent à la guerre. Mad. de Boigne est toujours à Chatenay. M. Molé me l’a répété. Il ne l’a point vu du tout. Molé repart aujourd’hui ou demain pour la campagne. Personne ne parle du procès de Louis Bonaparte. Jamais il n’y eut quelque chose de plus plat. Le petit Bulwer est d’une activité extraordinaire et une relation avec toute sorte de monde, très lié avec Barrot. Il faut que je vous dise que 10 jours après mon arrivée ici j’ai écrit à Paul une lettre assez indifférente lui parlant de ma santé, un peu des nouvelles du jour, rien du tout. J’ai fait cela pour renouer la correspondance sur le même pied qu’a été notre rencontre. Il ne m’a pas répondu. C’est bien fort je ne crois pas que j’aie à me repentir de cette avancée, c’était un procédé naturel mais son silence me semble prouver qu’il ne veut avec moi que les relations de plus strict décorum rien que ce qu’il faut pour pouvoir décemment habiter la même ville que sa mère. Qu’en pensez-vous ? Est-ce comme cela ? Il écrit à Pogenpohl qu’il viendra passer l’hiver ici, cela ne me promet pas le moindre. agrément. Je le recevrai un peu plus froidement qu’à Londres. Son frère est auprès de lui dans ce moment, je l’attends sous peu de jours. 1 heure. Le petit ami est venu me voir, il est presque convenu que ce sera quotidien. Nous devrions beaucoup sur un même sujet une seule personne. Quelle situation difficile et grave, en tout, en tout.
Le chêne n’écrit-il pas trop à 21 ? Il faut qu’il sache bien que ce 21 est plus l’ami des autres que le sien, et qu’au besoin il livrerait telle phrase imprudente on intime de ses lettres. On parle de la présidence de M. Barrot, s’il n’entre pas dans le ministère. Que pensez-vous de cela ? Dans mon opinion qui sera celle de tout le monde, au premier instant les personnalités doivent s’effacer devant une grande circonstance. En y pensant davantage je ne sais que dire. Je suis très perplexe ; et c’est cela qui me fait dire, que tout, tout sera difficile. Cependant les événements viendront au secours des embarras peut-être. Je finis par crainte d’interruptions.
Adieu. Adieu mille fois adieu, que je voudrais vous parler. Ah mon Dieu que je le voudrais ! Ce ne serait ni de l’Orient, ni de la Chambre, ni du ministère. Adieu, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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413. Rochester 7 h 1/2 Dimanche
6 septembre 1840

J’arrive à l’instant. On me donne un quart d’heure pour envoyer ma lettre à la poste. Je suis fatiguée, je fais bien de rester ici ; je n’aurais pas de force pour davantage. Mon fils est resté et m’a mis en voiture. Nous avons été sans gêne, facilement parlant de tout. Il viendra à Paris dans deux mois, plutôt peut- être. Je ne l’ai pas pressé. J’ai fait seulement la question. enfin cela s’est fort bien passe, et cela me soulage. J ai été convenablement sans trop ni trop peu. Que vous dire de moi, de moi sous un autre rapport que celui de mère. Vous le savez, je n’ai rien à vous apprendre. Je suis encore étourdie. C’est trop récent, je ne comprends pas encore notre séparation, à mesure que je la comprendrai Je serai plus triste, et je le suis tant !

Je vais manger du pudding et puis me coucher, et prier, et rêver ; prier, rêver, toujours une même chose.
Adieu. Adieu. mille fois adieu.
Vous avez eu mon billet par Guillet ? Adieu encore, toujours. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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410. Stafford house samedi 8 août 1840
8 heure du matin

Je ne puis pas dormir, je me lève et j’ai été au jardin. Il y a un brouillard épais et froid un temps anglais bien triste, triste comme moi. J’ai vu hier lord Harry Vane longtemps. Homme sensé voyant les choses comme elles sont sans passion. Il regrette la querelle de personnes et trouve que les journaux français ont été maladroits sur ce rapport. Le discours de lord Palmerston avant-hier a eu du succès à la chambre du commerce. On l’a trouvé clair et satisfaisant. Lady Clauricarde prétend que M. de. Brünnow n’en est pas content quant à la partie qui nous regarde. J’ai vu Munchhausen, des bêtises. Lady Palmerston, très sereine, très contente. Les Russes ne disant et ne sachant rien. J’ai dîné trois avec lord & lady Clauricarde. Le soir la promenade en calèche avec elle, et je me suis couchée à 10 1/2. J’ai pu dormir. J’ai oublié hier, la duchesse de Bedford (régnante) et lady William Russell. La première était évidemment venue pour me sonder et apprendre si je connaissais la Reine des Belges. Ils arrivent ce matin, Il y a une soirée pour eux lundi, et mercredi la cour s’établit à Windsor. Lady William Russell dit qu’on est de bien mauvaise humeur à Holland house. Depuis que je sais Louis Bonaparte arrêté je suis plus tranquille.
Personne ici ne croit à votre retour. Moi je ne crois à rien dans le monde qu’à une seule chose.
Midi. Je me sens bien nervous aujourd’hui, plus que de coutume. Le brouillard est dissipé la chaleur est venue, elle ne me réchauffe pas.

1 heure
Je viens de recevoir votre petit mot de Calais. Je serais bien curieuse, bien anxieuse de celui que vous m’écrirez d’Eu. J’ai eu une longue visite de Benckhausen. Mes fils sont en règle. C’est la loi. Je suis charmée, Benckhausen affirme qu’à la cité personne ne croit à la guerre et qu’on pense que le Général français a fait toutes ces démonstrations pour pouvoir en jouir plus dignement. S’il en était autrement nous avons 28 vaisseaux de ligne à Cronstadt qui peuvent être ici dans 8 jours, et 14 à Sébastopol qui peuvent aller rejoindre la flotte anglaise dans le Levant, voilà les dires de la cité, et on est parfaitement tranquille. Je voudrais être calme et me bien porter, mais cela ne va pas M. de Bourqueney n’est pas venu me voir, je le regrette. Je suis assez seule et cela ne me vaut rien. Adieu. Adieu. J’ai une horreur d’écriture. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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409. Stafford house, Vendredi 7 août 1840,
midi
Je choisis tout juste cette heure-ci pour vous écrire, aujourd’hui d’ailleurs je n’aurais pas pu le faire plus tôt. J’ai passé une mauvaise nuit, je ne me suis endormi vraiment que vers huit heures ce matin, ainsi je me lève. J’ai trouvé votre petit billet hier en rentrant. Je suis fort aise que vous ayez même M. Herbet. Ces nouvelles de Boulogne me troublent, je n’avais pas besoin de cela de plus. Hier j’ai fait une tournée en calèche seule avant le dîner. A 8 1/2, j’ai été prendre lady Clauricarde je l’ai menée au clair de lune (un tout autre clair de lune) dans les environs de Londres. Je suis descendue un moment chez Lady Willoughby qui était venue le matin me prier de passer chez elle. J’y ai trouvé de l’élégance, et Neumann et Gersdorff, rien de plus important que cela. Neumann tenait sur M. Thiers de fort mauvais propos. J’ai eu toujours l’habitude de regarder un peu les ministres comme les rois et je trouve assez mauvais qu’on parle avec inconvenance des uns comme des autres. Mais je n’ai pas à faire l’éducation de Neumann et de personne. Je ne suis resté là qu’un quart d’heure. J’étais dans mon lit avant onze heures. Lady Clauricarde était comme ce matin très montée, enchantée de l’affaire de Boulogne ! Je lui ai observé qu’elle était trop officielle pour pouvoir montrer sa joie. Voici qui donne démenti à ce que je viens de dire mais nous étions tête-à-tête au clair de lune. Et on est toujours franche en face du ciel. Le ciel, je l’ai bien regardé hier, bien invoqué toutes les puissances de ce Ciel !
J’ai reçu plusieurs lettres ce matin, d’abord une du duc de Poix que je vous envoie. Une de la petite Princesse au moment de quitter le Havre pour retourner en Allemagne. une de mon banquier de Pétersbourg m’envoyant un compte de pensions, de dettes, & & pour lesquelles je suis taxée au quart, tandis que mes droits de succession l’ont été à la 7ème partie : si c’est la loi je n’ai rien à dire, mais je m’informerai ; si c’est contre la loi, je ne vois pas pourquoi je dois subir cette disposition arbitraire de mon fils aîné. L’affaire de la vaisselle n’est pas terminée et ne le sera que dans 6 mois. Je fais venir Benckausen pour lui parler.
Vous êtes en France. Qu’aurez-vous trouvé là ? Les récits du matin dans les journaux ne sont pas assez clairs. Je ne vois pas assez que cette sotte affaire soit terminée. Où est Louis Bonaparte ? Serait-il possible que lord Palmerston lui eût fait visite ces jours-ci comme le disaient les journaux ? Si vous prenez ce fou, j’espère bien que vous saurez mieux faire que la première fois. N’avez-vous donc pas de conseil de guerre pour un cas pareil ? Et justice immédiate. Cela va bien ajouter encore au clabaudage entre les deux pays ! Je dînerai aujourd’hui chez Lady Clauricarde. Adieu. Adieu, mille fois. J’attendrai vos lettres avec une extrême impatience. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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397. Paris, dimanche le 7 juin 1840

Mon fils vient de me quitter. Il revient à Paris au commencement de Septembre pour y passer alors deux ou trois mois. Il est mieux mais sourd et paralysé du bras gauche.
Je n’ai rien à vous dire d’hier les ambassadeurs et le Duc de Noailles hier au soir ne m’ont pas beaucoup avancée. Thiers d’où on venait est en bonne humeur, et mon monde. le regarde comme établi pour longtemps. Il me semble. qu’Appony commence à en prendre son parti. Moi je trouve que tout prend une mine guerrière, ces messieurs le contentent ; mais infin il faut bien qu’on décide quelque chose à Londres, et quelque chose sera tout. Quoi ? C’est de vous qu’on l’attend.
Je vous remercie de quelques bonnes paroles dans votre lettre ce matin. Les bonnes paroles, c’est comme une caresse à un enfant. Je suis un vrai baby ; si facile à la peine, si facile à la joie. Encore facile à la joie ! Je retombe dans les recherches et les embarras pour trouver quelqu’un qui m’accompagne. Quelle bêtise d’être si poltronne, je le suis devenue. Car jadis je traversais toute l’Europe seule sans un moment de crainte. de Londres à Pétersbourg par terre. Et aujourd’hui Boulogne me parait un tour de force et d’extrême danger.
Adieu. Adieu. Je ne sais pas une nouvelle. On parle même de la sante du Roi de Prusse. Armin croit qu’il s’en tirera. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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390. Paris, dimanche le 31 mai 1840

J’ai reçu 381 hier à 10 heures du soir, et 382 ce matin à 8 1½. Le premier en présence de M. Molé, le second dans mon lit. J’étais impatiente de ce second. C’était une réponse au gros Monsieur. Il y a eu un peu de désapointement. Et j’ai eu un peu de dépit et de regret de quelques unes de mes paroles qui évidemment se sont perdues dans les brouillards de l’Angleterre. Je vous dis ceci en passant, par la simple raison que je dis tout. Vous jugez la semaine dernière autrement que moi et que beau coup de monde. Mais vous pourriez avoir raison. Votre avis sur ce qui s’est passé est conforme à l’opinion de la plupart de un habitué et d’un autre gros Monsieur qu’ils vont voir quelques fois. La suite décidera.
La nouvelle s’est répandue hier que le Roi de Prusse était mort. Le télégraphes de Strasbourg l’a mandé sur un avis de votre ministre à Francfort. Cela me parait un peu sujt à caution, mais en tout cas cet événement ne peut pas tarder à arrivé. C’est une grosse affaire. Il ne résultera que Paris et Pétersbourg seront plus près l’un de l’autre. Deux pièces de porcelaine où on a enlevé le coton.
Vous allez donc voir Epson ! Quand j’étais jeune. J’y ai été une fois, une seule fois mon mari n’a pas voulu y aller, c’est la dernière élégance. Vous y trouverez touta la plus brillante jeunesse de l’Angleterre. C’est un beau coup d’oeil, mais j’en suis revenu plus fatiguée qu’enchantée. Même jeune, le bruit seulement, le bruit ne me plaisait pas. Ensuite, j’ai subi tous les ans les courses d’Ascot à côté de George IV et je puis dire que c’est les moments les plus ennuyeux de ma vie. Il faut êtres fou de chevaux, ou bien oisif pour y aller ; mais je le répète c’est curieux pour une fois, et pour voir tout ce qu’il y a de fous et d’oisif dans le monde ! Vous serez frappé des équipages et des femmes. Je suis charmée que vous voyez Eaton ; je ne l’ai pas vu moi, mais cela a un côté sérieux et important, un peu grotesque aussi.
M. Molé affirme contrairement à mon opinion, que les funérailles de Napoléon ne puissent être faites avec sécurité que par un autre que Thiers. Il est très noir sur tout ce sujet. Son opinion est nécessairement exagérée, cependant aujourd’hui je vous assure que tout le monde est d’accord pour trouver toute l’affaire bien étourdie. Moi, je ne la trouve pas étourdie !! mon fils est vraiment bien. Après Baden, il reviendra à Paris, et compte rester deux ou trois mois auprès de moi. Le nom de son frère n’a pas été prononcé entre nous. Adieu. Je ne trouve pas qu’il y ait une seconde erreur dans nos N°. Je vous ai écrit Mardi 386 selon son tour. J’ai vu hier Montrond fort tranquille aussi, et content : " Tout cela ne sera rien. Il n’y a plus de Bonapartistes en France. " Le Roi a dit aux ambassadeurs : " tout ceci ne me regarde en rien, je ne m en mêle pas."

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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388. Paris, vendredi le 29 mai 1840

Vous êtes jaloux de mon escamotage d’un n° ! Je rétablis ; voici deux 388 pour componser le 381. Je vous prie de ne pas me traiter en abrégé, quoique notre rencontre soit prochaine. Jusqu’au dernier jour j’aimerai les longues lettres et toutes les nouvelles. Il me semble que je n’y faiblis pas de mon côté. Je n’ai rien à vous conter d’hier. J’ai passé beaucoup de temps en plein air, je n’ai vu du monde que le soir. Les Ambassadeurs, la Prusse, le Duc de Noailles. le Duc de Noailles est fort révolté de ce qui s’est passe à la Chambre des députés. Révolté pour Napoléon, honteux pour le pays. Cela, et tout ce qui peut s’en suivre encore. Ces querelles sur le lieu de la sépulture. Cette manière de marchander les frais, les désordes qui peuvent survenir à l’occasion de la Cérémonie, tout cela est à ses yeux des insultes à un grand honme. Il ne méritait pas cela. Il méritait bien tant d’honneur, mais il ne méritait pas autant d’indignité. Il ne fallait pas remuer sa cendre. Il y avait bien plus de grandeur à rester à Ste Hélène. Cette souscription ouverte va être un grand scandale. Scandale si elle réussit. Honte complète si elle avorte. Tout cela est pitoyable. J’ai entendu quelques plaintes hier sur ce que M. Thiers n’a pas le temps de s’occuper d’affaires. Mais il faut que j’ajoute que les affaires qu’on me citait à l’appui des plaintes étaint tout ce qu’il y a de plus infimes. Au fond Thiers ne peut pas s’occuper de détails, c’est trop exiger. Je m’étonne qu’il ne succombe pas sous les affaires en gros. J’attends mon fils aujourd’hui. J’en suis bien impatiente. Ne soyez pas trop impatient pour le 15. Ne me forcez pas à traverser un jour de gros temps. Ne me faites pas courir la poste comme un courier. Je partirai le 13 si mon fils n’y fait pas obstacle. C’est ma volonté et surtout mon désir. Mais je ne puis pas être absolument sûre. Ne vous lassez pas d’écrire. Je vous en prie. Je n’ai pas vu Lord Granville depuis trois jours, je n’ai donc pas pu lui faire votre message encore, mais je ne l’oublierai pas. Adieu. Adieu, mille fois, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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367. Paris, le 8 mai 1840,
à Midi

Je suis dans les plus grandes angoisses. M. de Brünnow m’écrit un mot pour me dire que mon fils a eu un grand accident qu’il est hors de danger. qu’on m’écrira encore pour me donner des détails de sa convalescence. Mais je ne crois à rien qui me rassure. Je ne pense qu’au grand accident. Vous m’avez écrit, d’autres m’écriront j’espère. Je demande à Dieu s’il veut m’accabler encore ? Je me jette à genoux, je pleure. J’attends ; je veux partir ; je ne sais que faire. Vous m’aurez écrit, vous m’écrivez vous me direz tout. 1 heure. Votre lettre n’arrive pas. Pourquoi ?Je ne puis vous parler que de mon fils. Le seul qui me reste ? Prenez je vous en conjure le informations les plus minutieuses. vous me direz tout.

1 heure.
Votre lettre n’arrive pas. Pourquoi ?Je ne puis vous parler que de mon fils. Le seul qui me reste ? Prenez je vous en conjure les informations les plus minutieuses. M. Beakenson 9 Argyll Street. M. Gale 2 Berkeley Square. Ashburnham-house enfin. Sachez bien la vérité. Dites la moi. Si la convalescence n’est pas rapide, immédiate, je pars ; mais pour cela il faut que je connaisse au juste l’état où il se trouve. s’il se remettait rapidement je sais qu’il préfèrerait venir passer quelques semaines auprès de moi à Paris. Enfin vous me direz le vrai. Les autres me diraient peut être ce qui leur convient.
Voici votre lettre, Dieu merci elle me rassure un peu. Mais je ne reprends rien de ce que je viens de vous dire. Sachez tout le détail que je vous demande. Je vous en supplie. Ce qui vaudrait mieux encore c’est le chirurgien Brodie qui le soigne je crois. Je veux savoir exactement quand il sera en état de se remettre en mouvement. Si c’est long ; je vais de suite à Londres. Votre lettre me remet un peu les nerfs. Il me semble que je ne respirais pas depuis la lettre de Brünnow. Je crois ce que vous me dites, et je suis plus tranquille. Demain vous m’en parlerez encore et tous les jours n’est-ce pas ?
Ce pauvre lord William Russell ! Je l’ai beaucoup conu. Lady Granville dit qu’il n’y a aucune nécessité d’accepter le dîner de Sir G. Philips. C’est de petites gens, sans importance et rien que de l’ennui, vous en avez assez. J’ai été faire visite hier à Mad. de Boigne, j’y ai vu M. Molé. Mais on est bien boutoné dans le salon de Mad. de Boigne. Cependant, on chuchote. Beaucoup de gens croient à la dissolution et tous trouvent la situation critique et grave.
Adieu Monsieur, Je vous conjure de me dire sur mon fils tout ce que vous apprendrez. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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362. Paris, lundi 4 mai 1840

Je vous envoie copie exacte d’une lettre de Lady Palmerston reçue hier. Je ne lui répondrai que vendredi. Assuré ment vous jugerez cette lettre comme je la juge. Lady Palmerston n’est pas assez fine ! Je ne me dérangerai. pas pour les sots, cela serait trop bête, et je prends acte de ce qu’elle serait très fâchée d’un retard. Mais voyez un peu toutes ces petites gens qui travaillent d’avance, et tout cela sans doute avec des protestations d’amitié et d’intéret pour moi. que j’aurais de choses éloquentes à vous dire sur tout ceci ; et des choses un peu orgueuilleuses. Il vaut bien la peine d’avoir de l’esprit si c’est pour se géner pour les sots. On marche dessus, on ne s’écarte pas pour eux. Tout ce que cela fera de plus, c’est de me faire rire, car leur inquiétude préparatoire est déjà fort drôle. Le reste de la lettre est pour me prier de mettre Thiers en garde contre Ellice ; dont elle me dit beaucoup de mal. En vérité tout cela sont de mauvais tripotages. Ellice est un très bon homme, quand nous en parlons Thiers et moi, c’est pour en dire tous les deux beaucoup de bien. Je garderai mon opinion de lui. C’est lui qui vous porte le présent n° et son annexe. Il sera à Londres, mercredi soir.
Tout le monde diplomatique même Granville a remarqué la hauteur et la froideur avec les quelles le Roi a traité Thiers à la cour le 1er de mai. Décidément le Château trâme contre lui, et ne prend pas la peine de cacher sa haine. Ellice pourra vous conter beaucoup de choses car il a vu Thiers tous les jours et Thiers lui dit tout. Sa situation me parait un vrai tour de force, combien cela pourra-t-il durer ainsi ?
Adieu. Je vous quitte pour vous reprendre sur une autre feuille. Adieu. Adieu.
Midi.
Voici que je reçois une lettre de mon fils Alexandre du 2 de Londres. "J’ai dîné chez Brünnow. Il était très curieux de savoir si votre projet de venir ici était sérieux. Il a fait une mine bien longue en recevant de moi. l’assurance que vous arriviez à Londres au commencement de juin. Il en avait déjà entretenu mon frère et lui en avait signalé tous les inconvénients. Il me parait très préoccupé." Eh bien que dites-vous de tout cela ? moi, voici ce que je dis je vais à Londres.
1 1/2
Génie sort de chez moi. Il m’a tout lu. J’approuve parfaitement. Il faut une énorme raison. Vous avez raison en tout. Je vous remercie beaucoup, beaucoup. Adieu. Adieu. J’ai souligné dans la copie les deux textes à traiter dans ma réponse.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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121. Paris, vendredi 31 août 1838

En effet il ne m’est point venu de lettre ce matin. Cela me parait singulier et cela me parait triste. La journée sera lorsque. Au lieu d'une lettre de vous j'ai lu votre discours à la société des antiquaires. C’est beau et les dernières sentences. sont admirables. Vous produisez toujours de grands effets. Et j'aime les beaux finales (dit-on beaux ou belles ?) dans les morceaux d'éloquence comme en musique.
Je vais mal, toujours mal. Hier au soir il a fallu me faire frotter pendant plus d’une heure dans mon lit et me couvrir de trois grands châles avant de pouvoir me réchauffer. J’étais comme une glace. Je ne mange rien. Je ne sais ce que j'ai. Le médecin dit que c’est le temps. Je suis beaucoup maigrie. Tout mon monde ordinaire est venu hier au soir. Mon fils me dit que Naples vous envoie enfin un ambassadeur. Le vieux comte Ludolf père de Mad. de Stakelberg, il y a 25 ans qu'ils sont à Londres. Le mari et la femme sont des ennuyeux que j’ai toujours bien mal traités. Ah que j’étais difficile à Londres ! La cour part demain. Le Roi a eu la bonté de faire donner des ordres à Versailles pour moi. Je crois que j’y irai cette semaine avec mon fils ; mais rien que pour une matinée. No ever whatever. and no letters. Adieu. Je pense beaucoup à vous beaucoup. Adieu.
Si la Suisse refuse votre demande. L'Autriche rappellera son ministre.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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85/ Paris, dimanche 8 juillet 1838

Que je vous remercie de me raconter si bien mon caractère. Vous avez mille fois raison dans ce que vous me dites de moi, dans l’explication de mon humeur, surtout dans ce que vous me dites de ce sentiment profond de ma douleur. Voilà ma passion, intime, immense ma douleur. Dieu m’a retiré ce que j’aimais tant, parce que je l’aimais trop. Que serai- je devenue en avançant dans la vie ? Je frémissais d’avance en songeant à l’avenir de mes enfants. Quel pays, quel maître, quel dieu hélas ! Tout cela me donnait des angoisses inexprimables pour eux, pour eux, pas pour moi. Ils n’étaient déjà plus faits pour cette horrible patrie. Ils en ont trouvé une. Ah monsieur et je n’y suis pas avec eux ! Dites-moi que j’y serai, bien sûr. Je vous ai dit que le dimanche je suis toujours plus triste qu’à l’ordinaire. Votre lettre y a ajouté aujourd’hui, mais je vous en remercie, je vous en remercie beaucoup, bien tendrement.
J’ai passé une matinée hier à Longchamp. Il me semble que je puis me dispenser de vous le dire, je n’y manque jamais. Mon temps passe doucement gaiement avec Lady Granville. J’ai même ri & beaucoup. Le soir nous nous sommes retrouvés chez Mad Appony. Il y avait beaucoup de monde. J’en suis partie lorsque la musique commençait c’était un petit prodige de 9 ans qui allait jouer. Je ne peux pas supporter les prodiges, & il n’y a que mon enfant à moi que j’aimerais écouter. Le Kielmansegge y est venu. Je me suis fait conter tout le Hanovre. Il en vient. Il adore son roi qu’il trouve le Roi le plus gai, le plus franc le plus courageux & la plus bon enfant du monde. Il ne pense pas qu’il rencontre d’embarras sérieux dans son chemin. On l’aime dans les masses, et il est parfaitement sans souci. La reine fort vieillie, toute occupée d’Étiquette et de magnificence. La cour la plus somptueuse, & le revenu de l’état passant dans des habits brodés. Voilà à peu près ce qu’il m’a dit. Il a une grande vénération pour moi, par tout ce qu’il a vu que ces royautés me portent de tendresse. Outre lui j’ai causé avec M. d’Arnim. Il n’y avait que cela pour moi.
Le matin j’avais eu de longues visites de la petite princesse. Mad. Appony & la Duchesse de Montmorency. Quelle ménagère que cette grande dame française. Elle ne m’a vraiment parlé que pounds and shillings, et je sais au bout des doigts tout ce qu’elle est obligé de nourrir, éclairer et chauffer dans sa maison. Elle m’ a assurée qu’elle avait une fortune très modique. Cela m’est bien égal.
La petite Pozzo a fait une fausse couche de 6 mois. C’est hier que cet accident lui est arrivé. Jugez comme le vieux Pozzo va être désolé.
On disait hier que la Duchesse d’Orléans s’était blessée dans la chambre. Je ne sais si c’est grave.
Je recevrai ce soir ; s il y a qui recevoir. Le salon de Mad. Appony ne me guide pas, il y avait trois dames anglaises divorcées, quatre dames françaises qui auraient dû l’être si les maris français ressemblaient aux Anglais. 14 petites filles, et des hommes beaucoup mais sur lesquels je ne connaissais que trois diplomates. Je me suis retrouvée dans mon lit à 10 1/2. Je n’ai pas de bonne raison pour y entrer, car le sommeil n’y entre pas avec moi. Adieu, adieu, je voudrais bien causer avec vous mais de près.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
266 Paris jeudi le 19 septembre 1839

Non, je n'ai rien de mon frère, et je n’aurai probablement rien de longtemps, car il est parti pour son château avec une troupe d’élégantes dames de la cour. Il y passera trois semaines si'ce n’est plus, et je le connais assez pour savoir que là il ne me donnera pas cinq minutes de souvenir. C’est par Appony que je connais ses mouvements. En attendant il pourra bien se faire que mes file arrivent et que ce ne soit que par Alexandre que j’apprenne l’arrangement de mes affaires. C’est de drôles de manières et deux singulières familles ! Dans la mienne j’ai perdu ce qu'il y avait de mieux ce qui eût été bien rare partout, mon pauvre frère Constantin. Dans la famille Lieven. Mes deux anges.
Je vois les Appony assez souvent et Bulwer presque tous les jours. Mais je serais embarrassée de vous nommer autre chose. Midi. Génie est venu me voir il a eu la bonté de chercher et de trouver une jeune fille de famille bourgeoise, honnête qui viendrait me faire lecture pendant une ou deux heures de la soirée. Dites-moi ce qu'il faut que je donne ? Il parait qu'on aimerait un arrange ment par mois. Ce qui est sûr c’est que je ne m’en servirais pas plus de 10 fois peut-être par mois. Pensez-vous que 60 francs soient assez. Ou faut-il davantage ? Quand je ne suis pas malade je vais faire visite le soir aux Brignoles, Appony, Pozzo. Répondez-moi sur l'article des arrangements. Trouvez-vous le grand cordon de la légion d’honneur bien placé ? Moi cela m’a étonnée, et je me défie un peu de l'à propos des choses qui m'étonnent. C'est de la présomption peut-être. Je vous envoie une pauvre lettre. Je n’ai point de nouvelles à vous dire. Je trouve que les journaux ne sont pas tranquillisants sur les affaires de l’Orient.
Adieu. Adieu. Ne soyez pas enrhumé.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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213 Baden Jeudi 11 juillet 1839 à 9 heures

J’ai passé une bien mauvaise nuit ce qui m’affaiblit encore. Je reprends tout à fait ma nouvelle sur le mariage Darmstadt. Il se fera. Le grand duc est décidément épris. Il reviendra à Darmstatd peut être même avant la fin de l’année. Mon fils aîné sera nommé conseiller d’état, quand on est cela chez nous on ira à tout. Je suis charmée ; cela le figera dans la carrière. Il parait qu’il a du succès à Pétersbourg, & que l’Empereur et tout le reste veulent conserver un Lieven pour de hauts emplois. S'il le veut il ira loin et je crois qu'il voudra.

5 heures
Je me sens bien malade, j’ai de la peine à vous écrire, et puis je m'en vais vous en causer de la peine, vraiment je ne sais que dirait le médecin me prie de quitter Bade au moins pour quelques jours. Je n'y puis pas m’y décider parce que dans cet état de souffrance il est absurde de m’en aller courir seule, toute seule ! Je ne sais où. Ah c'est d’être seule qui est affreux ! Jamais je ne l’ai autant senti qu’à présent. Pardonnez-moi mes lettres, vous voyez que je n’ai pas ma tête à moi. Et si je ne vous écris pas. Vous me croirez morte. Je vous écris donc & je vous dis tout. Je ne mange plus depuis huit jours mes forces diminuent beaucoup. Je dors encore mal, mais je dois. Mon pouls est bien faible, ma mine affreuse, ma maigreur plus grande qu’a Paris ; vous savez tout. Mais vous ne saurez pas me dire ce que je dois faire. Retourner à Paris serait absurde, enfin tout est absurde. Adieu. Adieu. Je n'ai que vos lettres pour me soutenir.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
264. Paris Mardi le 17 Septembre 1839, 9 heures

Je me sens un peu mieux aujourd’hui ce qui fait que j’ai le courage de vous écrire. Hier encore a été une bien mauvaise journée. Mes crampes ont recommencé, mes nerfs ont été dans un état affreux. J’ai passé la journée seule. Si je n’avais pas eu quelque heures de sommeil vous n'auriez pas de lettres ; car décidément je ne risquerai plus de vous écrire lorsque mon cœur ressemble à mes nerfs. Vous avez raison dans tout ce que vous me dites ce matin et mon Dieu, mais ce n’est pas la raison qui est mon culte ; je n’aime pas par raison. Il n’y a rien de raisonnable à aimer. Et vous avez mille fois raison de ne pas aimer à ma façon. C'est une mauvaise façon. On m'a mis ce matin dans un bain d’Eau de Cologne. Je laisse faire sans avoir confiance en rien. Cela ne durera pas longtemps. Je ne m'occupe plus de chercher quelqu'un, je ne m'occupe plus de rien de ce qui me regarde. Je vous ai dit souvent que je craignais de la folie, je la crains plus que jamais parce que je la vois venir.
J'ai une mauvaise affaire sur les bras. Malgré les promesses que j'ai faites à Bulwer de la part de madame Appony il a rencontré sa belle-sœur chez elle hier au soir. Il me le mande dans un billet ce matin, et veut pour conseil. Il regarde ceci comme une insulte personnelle. Il a raison et cependant ce n’est sans doute qu'une bêtise de Madame Appony. Mon conseil sera qu’il n’y retourne pas. Moi, j’ai droit d'être blessée aussi car la promesse m’a été donnée à moi.

1 heures
J'ai eu la visite de Génie. C'est un bon petit homme ; ce qui me prouve ma décadence et ma misère est le plaisir que me fait la visite d'un bon petit homme ! Après lui est venu Bulwer ; j’étais encore dans mon bonnet de nuit. Il n’avait pas fermé l'œil depuis hier, il voulait écrire à Lord Palmerston demander son rappel de Paris à cause de l'insulte des Appony, enfin il était dans un état violent. Au milieu de cela je reçois la réponse de Madame Appony à une petit billet d’interrogation un peu vif que je lui avais écrit, et j’éclate de rire. La belle sœur n’y avait pas été. Bulwer a eu une vision ... Il n'en revient pas. Il soutient qu'il la vue. Je l’ai assuré qu’il se trouvait obligé de croire qu’elle n'y était pas, car mensonge ou non, il est bien certain maintenant qu’elle ne s’y retrouvera plus.
Le billet de Madame Appony est long, plus de tendresses pour Bulwer, d’indignation de ce que nous soyons cru capable de manquer à ses promesses. Enfin c’est fort drôle, et c’est fini. Hier Bulwer causait avec Appony lorsqu'il a eu sa vision. Il a laissé court et est sorti brusquement de la maison.
A propos de maison, Démion est revenu. Je prends l’entresol à 12 mille francs. On dresse un inventaire des meubles. Je prendrai ce qui me conviendra.
Rothschild m’a mandé qu'il avait abdiqué ses droits entre les mains de Démion, il n'y peut donc rien. Et bien, j’ai cet entresol ! Cela ne me fait aucun plaisir, rien ne me fait plaisir. J’ai écrit hier à Benkhausen pour demander les lettres of admisnistration d’après ce que me dit mon frère lui ne le ferait pas. Si j’attends l'arrivée de Paul ce sera encore une complication une fois les lettres obtenues, l'affaire est plus courte & plus nette. Je crois que je m’épargne du temps et des embarras, & que je suis en règle. Le pensez-vous aussi ? Pourquoi attendre. Je chargerai Rothschild de lever le capital et de remettre leurs parts à mes fils voilà qui est simple.
L’affaire de Don Carlos est regardée ici comme un grand triomphe. En effet, c'est une bonne affaire. Si on est sage à Madrid cela peut devenir excellent. Palmerston, & Bulwer ont écrit à M. Lotherne pour qu'il presse le gouvernement de ratifier la convention de Maroto. Mais vu dit qu'il y a de mauvaises têtes dans les Cortes. Adieu, je suis mieux ce matin. Je ne sais comment je serai plus tard. Ne vous fâchez jamais avec moi avec toute votre raison, & laissez- moi vous aimer avec toute ma folie. Adieu

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
261 Paris samedi 11 heures le 14 Septembre 1839

Savez-vous que je suis bien malade. Je n’ai pas cessé d’avoir plus ou moins des crampes au cœur depuis le jour, le soir où vous m'avez annoncé que vous deviez me quitter ! Hier cela a augmenté beaucoup. Je suis restée couchée toute la soirée, toute seule dans mon triste salon avec des douleurs atroces, elles ont beaucoup augmenté, vers la nuit. La nuit même je l’ai passée, tout à fait sans sommeil. Ce n’est que vers 7 heures ce matin que je me suis endormie d’un mauvais sommeil. Je viens de me lever bien faible, mes jambes ont de la peine à me porter. Le médecin ne sait trop ce que c’est ; il m’a donné des calmants qui ne m'ont pas calmée. Il va revenir. Génie est venu, j’étais dans mon lit je n’ai pas pu le voir. Je ne pourrai sans doute voir personne. Ah mon Dieu et rester seule, toute seule. Vous ne savez pas ce que c’est. Ah que vous m'avez quittée mal à propos. Je ne puis m'occuper de rien Votre lettre sera ma seule société pour toute la journée. Cette nuit je croyais que je ne me relèverai plus, je me sentais si mal, si mal ! Et puis je me disais que si même je vous demandais de revenir encore une fois, la dernière fois, vous ne reviendriez pas. Songez bien que je ne vous le demanderai plus. Si vous apprenez que je suis mal, vous ferez comme vous voudrez Je ne demanderai rien, les refus me font trop souffrir. J’avais demandé un jour, un seul jour de plus, & vous le savez bien vous me l'avez refusé. Et cependant vous avez bien vu ensuite que ce jour de plus m'eut été si utile ! Enfin, pardonnez-moi tout ce que j’ai dit, ou tout ce que je dis, je suis très souffrante. Ah je suis très triste.
J’ai vu Médem hier matin, il trouve que tout est fort précaire et malgré cela il ne craint pas la guerre. Personne n’est d’accord, chacun tire de son côté. C'est une sotte situation, Madame de Talleyrand me mande qu'on parle fort de maux de tête étranges qu’aurait l’Empereur. Mais on a souvent dit cela. Le vrai est qu’il y a de l’étrangeté dans son organisation, mais pas assez. M. de Brünnow est envoyé à Londres prendre l’intérim de Pozzo. C'est un homme de mérite, d’esprit, & qui déplaira parfaitement aux Anglais. On ne songe pas assez au personnel, à la tournure, à l'éducation d’un homme quand on le nomme à un emploi diplomatique. Et c’est beaucoup. Je n’ai pas entendu parler de Démion. Je ne sais plus un mot de mes affaires de maison. Je ne m'en inquiéterai plus je crois. Il me semble qu’une nuit passée comme la dernière, simplifierait tout Adieu. Adieu.
Midi 1/2. Le médecin n’est pas revenu encore, & les crampes recommencent adieu. Renvoyez-moi l'incluse. Elle est du Prince Merchersky. Pauvre homme comme on l'a grossièrement traité. Il n'y a pas de date à cette lettre mais je la crois des 30 ou 31 août. Vous voyez Paul !

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
247 Baden lundi le 19 août 1839

Tout ce que vous me dites sur Thiers c'est admirable de vérité. Quant à son ouvrage, il me parait que le révolutionnaire y perce partout. En dépit du soin qu'il prend de paraître impartial. Je n’ai lu encore que les 5 premiers volumes. Je me suis levée bien malade et bien faible. Toutes les personnes qui me voient sont d’accord avec mon médecin pour me renvoyer. Je pars donc certainement cette semaine ; je vous dirai demain le jour. Votre réponse à ceci ne me trouverait plus à Baden. Ecrivez-moi à Paris, hôtel de la Terrasse. Je ne sais encore qui m’accompagnera, mais je ne puis pas partir seule cela est évident. Mademoiselle Henriette refuse ; elle prétexte son indépendance, elle a raison, et moi j’ai tort d’avoir du malheur à tout ce que j’entreprends.

6 heures. Zéa n’a pas paru à Baden. Il est perdu. Je viens de recevoir une lettre de mon fils Alexandre. Il ne sait pas quand il pourra se tirer de Russie, il me dit en termes fort doux qu’ils attendent mes directions à mon frère pour pouvoir conclure. Une lettre du Roi de Hanovre insignifiante. Une autre de Bulwer spirituelle. Il va rester ministre à Paris, les Granville partent demain pour l'Angleterre. Une autre encore de Mad. Appony, ressemblant à Madame Appony ! La vôtre enfin c'est à dire d’abord. et j’ai raison des deux manières, car je commence par elle et puis je finis par elle. Demain je vous dirai le jour de mon départ. Adieu. Adieu. tendrement adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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239 Baden Dimanche le 11 août 1839 9 heures

Je me sens aujourd’hui plus faible que de coutume. Mes nerfs sont dans un état pitoyable. J'ai bien besoin de vous pour me remettre, j’ai besoin de votre affection, de vos soins, de vos conseils, il me faut un appui. Je vous assure que je ne me conçois pas livrée encore pour bien des mois à mes seules ressources, c'est à dire à mes bien tristes pensées. Vous ne savez pas comme elles sont tristes ! Comme elles le deviennent tous les jours davantage. Les journaux confirment ce que vous me dites des nouveaux embarras ministériels. Mais je ne crois à rien. Ils iront comme ils ont été. Les Flahaut sont menacés de perdre leur seconde fille, elle crache le sang. C’est pour elle qu’ils viennent aux Eaux en Allemagne et qu’ils iront ensuite passer l'hiver en Italie.

1 heure. J’ai été à l’église. Toujours un superbe sermon. Le texte était votre lettre. Nous reverrons ceux que nous avons aimés, mais j'aime encore mieux votre lettre que ce superbe sermon. Vous avez raison. Je viens de recevoir une seconde lettre de Benkhausen qui explique tout, comme vous le dites.
J’ai l’administration et non la possession du Capital. J’écris de suite à mon frère, pour tout remettre à sa place. J'ai du regret d'avoir mal compris, pour dire la vérité c’est Mad. de Talleyrand et Bacourt qui me l’ont fait comprendre comme cela ; car vous savez bien que moi, je ne m'y entends pas. Mais il faut absolument que ce soit moi qui lève l’argent. Les droits en Angleterre emporteront 1000 £ ce qui réduit le Capital à 44800 £. Pouvez-vous me dire si dans le plein pouvoir que j’ai donné à Paris à mon frère, il est suffisamment autorisé à faire pour moi cette opération ? Je vous envoie copie de la lettre que je lui écris. Savez-vous bien que je me sens toute soulagée par cette lettre de Benkhausen ? C’est si vrai qu’étant fort malade ce matin me voilà mieux. Je suis débarrassée de ces richesses imaginaires qui m'étaient on ne peut plus désagréables.
Je viens de lire des rapports de Vienne. Vos Ambassadeurs, le vôtre, celui d'Angleterre et l’internonce sont de parfaites dupes. Le divan est entre les mains de M. de Bouteneff et c’est par lui que le divan négocie avec Méhémet Ali. Je vous dis ce qui dit la diplomatie à Vienne. Metternich est fort inquiet de ce que nous ne parlons pas. Ne vous ai-je pas toujours dit que c’était notre affaire et que nous n’entrerions pas en causerie sur cela. Adieu. Adieu mille fois, adieu. Je reçois dans ce moment une lettre de mon fils Alexandre du 31 juillet dans laquelle il me dit qu’on venait de recevoir les nouvelles de la défection du Capitan Pacha, & de la défaite de l'armée Turque, que comme cela amènera des complications graves que peuvent influer sur mes projets pour cet hiver, il se hâte de m’en donner avis !

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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234 Baden le 6 août 1839

Hier en causant avec Mad. de Talleyand il m’est tout à coup venu à l’idée que si mon frère terminait l’arrangement avec mes fils sans consulter la loi anglaise. Je pourrais me trouver privée des bénéfices de cette loi. On m’a demandé en toute hâte les derniers pleins pouvoirs, je lui ai envoyé en toute hâte aussi sans avoir fait cette réflexion, au contraire, en pensant même qu'il valait mieux que ce ne fût pas par moi qu’on apprit cette disposition de la loi anglaise. L’Esprit m’est venu un peu tard, mais enfin il est venu. J’ai fait venir Bacourt et avec son secours j’ai écrit la lettre dont copie ci jointe que j'ai expédié sur le champ à mon frère. Voilà ce qui m'a pris mon temps, et mes forces. à 4 h. l'idée m’est venue, & à 6 heures ma lettre était à la poste. Voyons dites-moi maintenant ce qui va en suivre ? Si ma lettre arrive après le conclusion de l'acte, est-il possible de faire valoir une droite à la loi anglaise sans une contestation des plus pénibles avec mes fils ! Vous savez que mon frère a plein pouvoir de tout régler, il aura réglé 4ème part du Capital anglais comme des autres. Une fois signé par lui comment revenir sur cet acte ? Le peut-on ? Et Paul n’a-t-il pas le doit de dire : " ce qui est fait et fait, vous deviez y regarder plus tôt. " Moi, je crois et je suis sûre qu'il connaissait la loi anglaise, et je ne puis pas m’empêcher d' en expliquer par ce fait maintenant sa persistance à vouloir mes pleins pouvoirs. Que pensez-vous de tout cela ? Ma lettre à mon frère est-elle bien ? Dites-moi votre idée sur les conséquences dans le cas de la signature de l’acte avant que mon frère ne reçoive ma lettre d’hier. Il faut convenir que j’ai été bien simple ! J’ai un peu envie de vous demander aussi pourquoi vous ne m'avez pas dit de prendre des informations à Londres. Enfin il n’y a plus rien à faire Mais cela me tracasse, et vous savez comme cela me fait du mal d'être tracassée. Est-il possible que des chiffres m'occupent tellement ! Savez-vous que j’en ai quelque honte. Je vous remercie de votre lettre hier, je voudrais en être digne c.a.d. ; avoir la force d’y répondre. Mais vous voyez que je n’ai pas de forces. Il y a de la force dans mon cœur , il y a là dedans tout ce que vous pouvez aimer à y voir soyez en bien sûr, bien sûr. Mais venez voir à quel point je suis accablée, lasse ! Encore une mauvaise nuit, vraiment cela va bien mal. Toutes mes peines de printemps, toutes ces tracasseries, tout cela se dessine fortement sur mes traits, j'ai l'air bien faible, bien faible, & je le suis.

5 heures l’Empereur a écrit au grand duc de Darmstadt, et lui annoncer que son fils va venir passer l'hiver à Darmstadt. Le mariage est parfaitement décidé. Il ne peut pas être question que la Belgique entre dans l’association des douanes d’Allemagne. Il s’agit d’un traité de commerce avec la Belgique, mais il n'y a que les puissances allemandes que puissent être des Zolleverein. Adieu. Adieu.
Je suis impatiente de votre réponse à ce que je vous écris aujourd'hui. C'est une grande question que ceci, et mon idée est que je ne m’en tirerais pas sans procès, si je voulais maintenir mes droits après l’acte signé. Mais quelles seront nos relations avec mes fils qui qu’auraient dépouillé à bon escient ! Adieu, Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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231. Baden Samedi le 3 août 1839

Il me semble que vos nouvelles d’Orient ne se confirment pas. Je voudrais bien savoir le vrai de l’affaire du Capitaine Pacha. Dites-moi ce que vous saurez, mais il faut que cela vienne de source. Nous avons envoyé un complémentaire au nouveau Sultan, un comte Rzvonsky, que je connais beaucoup. Je le faisais venir le soir chez moi quand j'habitais Czarkoislo il me divertissait en débitant bien des mensonges, des contes de revenants surtout. Il pourra rapporter bien des contes sur l'Orient. Ibrahim poursuit ses triomphes. Des lettres de Constantinople du 20 annoncent sa marche sur Koniah, que va faire le divan ? à qui demandera-t-il secours ? Voici que la confusion commence. un courrier arrivé à Darmstadt porte le consentement de l’Empereur au mariage. On y enverra une ambassade pour la demande formelle. On continue en Allemagne à exprimer le plus grand étonnement de ce choix.
La princesse Meschersky va rester à Bade, j'en suis bien aise ; c’est une ressource lorsqu'il n’y a pas mieux.

5 heures.
Quelle lettre que ce N°230 et combien de fois je vais la relire ! Que je vous en remercie ! Je viens de recevoir une lettre de Bulner de Paris, il me dit que Khosrew Pacha le présent grand vizir est le seul homme habile et ferme en Turquie, qu’il est fort dévoué à la famille du Sultan mais qu'il pourrait bien la vendre aussi si on le payait cher. Méhémet Ali demande le renvoi du grand Vizir et l'hérédité de son gouvernement en Syrie, Egypte et ce troisième nom indéchiffrable. Bulwer croit à la nomination de l'Égyptien. Il connait bien tout cela il y a été longtemps. Le Sultan actuel is devoted to the ladies, a black dwarf and 2 monkeys. The Dwarf being the prime favorite.
Bulwer a écrit à Paul mais il n'a pas eu de réponse, et craint qu’il n’en aura pas. Vous dirai-je ce que je pense ? Si notre consul à Londres a raison, Paul en reviendra, et ce n’est que pour cela que j’aurai quelque plaisir a est accroissement inattendu de fortune. Au reste je n'y compte pas du tout et je fais tous mes calculs sur les lois russes. Il faut que je voie moi-même l'hôtel de la rue Bellechasse. Si je ne me trompe il est rebâti à neuf on n’y a pas habité encore, il y aurait du danger peut-être, je serai à Paris au commencement de septembre au plus tard et je choisirai. J’ai écrit pour l'appartement de Jennison. Je n’ai pas de réponse Adieu. Adieu, bien tendrement.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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228 Baden 11 heures. Mardi 30 juillet 1839

Imaginez que c'est devant un notaire et deux témoins que je vous écris, et que c’est le seul moment que je trouve pour le faire.

9 heures.
Voyez, je n’en puis plus de fatigue. Pour un pauvre papier de 20 lignes, j’ai été tracassé tout hier et aujourd’hui. On me demande de nouveaux plein pouvoirs pour terminer. Mon frère m'écrit sur cela très simplement et très bien. Matonchewitz pas bien du tout. Il est comme disent les Anglais, lit by Paul. Celui qui parle à toujours l’avantage sur celui qui écrit. Cela m’a tracassée, et vous savez que je n’ai pas besoin de cela de plus. Mon fils Alexandre, une lettre insignifiante comme les autres. Mon frère me mande que mes fils sont pressés de finir et de reprendre leur service. j'imagine donc qu’aussi tôt l’arrivée de mon plein pouvoir tout sera arrangé. Je le saurai dans quatre semaines.
En attendant ma santé ne va pas mieux et ma correspondance avec vous bien mal. Il y a dans tout moi un découragement, une langueur que je ne puis pas vous décrire. Baden a été pour moi très mauvais et j’y reste je ne sais pourquoi ou plutôt je le sais, c’est que je ne sais où aller pour être mieux. Tout est mal pour moi. Il y a de ma faute sans doute et je me prends en grande aversion. Votre lettre hier m'a fait plaisir. Je n'ai rien à vous dire qui puisse vous intéresser. Vous voyez comme j’ai l’esprit occupé de désagréables affaires, c’est si aride, si vous étiez là pour m'aider ; me ranimer ah mon Dieu que je serais une autre personne. Adieu. Adieu et pardonnez-moi. Je suis si fatiguée, si abîmée. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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226 Baden le 27 juillet 1839 9 heures

Je vous écris après une laide et triste promenade car il pleut ; et avant mon bain qui ne sera pas agréable non plus. Le médecin veut que je poursuive. J'obéirai encore jusqu'à ce que cela me rende malade. J’ai écrit à M. Démion et je viens d'écrire à M. de Pogenpohl au sujet de l’appartement qu'occupe le capitaine Jennisson. C'est sans contredit ce qui me conviendrait le mieux. Mais il faut savoir d’abord, s'il part ; et puis si ce n’est pas trop cher. Je ne veux pas donner au delà de 10 mille francs. Mes causeries politiques ont cessé depuis le départ de M. de Malzahn mais les journaux allemands me tiennent assez au courant de ce qui se passe, et le ministre de ce pays-ci M. de Blittersdorff vient me montrer les rapports qu'on lui fait de Vienne. Il a à Vienne un agent fort intelligent que je connais depuis bien longtemps le général Fittenborn partisan dans notre armée l’année 12 et les suivantes.
Le 10 on se flattait à Constantinople que l’armée Turque pourrait s'y rallier et empêcher les progrès d'Ibrahim. Mais on y savait la trahison patente du Capitan Pacha qui avait rallié la flotte égyptienne à Rhodes. Voilà le fait grave 5 heures. Il a plu toute la matinée et depuis mon bain j'ai eu une succession de visites.
Voici votre lettre. Vous me paraissez croire qu'Ibrahim, et le Capitan Pacha vont remuer le monde, c’est possible Mais je crois que la diplomatie fera les derniers efforts pour empêcher cela. Votre cabinet est bien faible pour une semblable crise. Ou pour agir s'il faut agir ! Nous saurons bientôt ce que va devenir l’Empire ottoman. Adieu. Adieu, vos lettres courtes ou longues me font toujours un grand plaisir, mon seul plaisir. Il y a quinze jours que je n’ai rien reçu de mon fils Alexandre. Je l’avais prié de me dire comment se porte Paul rien que cela, est-ce peut être là ce qui l’empêche de me répondre ? Adieu. Adieu mille fois.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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223 Baden le 22 Juillet lundi

Ah quel ennui que des lettres d’affaires surtout quand on les comprend aussi mal que moi. Je suis sûre que vous m'auriez bien mieux enseigné ce que j'avais à dire et à décider. Mais vous êtes trop loin, c’est trop volumineux et je n'ai eu la force ni les yeux pour des copies. Ces deux jours d'écriture m'ont abîmé la vue. Les orages se succèdent ici. Nous ne connaissons que cela. Personne n’arrive, et quelques personnes partent ainsi je vais perdre M. de Malzahen. Il est obligé par les ordres de Werther de retourner à Vienne pour prendre part à des conférences sur l'Orient qui n’auront pas lieu à ce que je crois à moins que ce ne soit strictement pour régler les affaires entre le Sultan et le Pacha, et le tout sans bruit, sans éclat.

Mardi 8 heures
Voici deux grands jours passés sans lettre. Cela m’attriste. J’espère qu'aujourd'hui j’en aurai M. Hummann est venu hier encore il quitte Baden demain. Je lui ai trouvé hier moins d’esprit. Il me faut beaucoup pour se soutenir auprès de moi. J'aime la société des gens qui me font faire de nouvelles découvertes mais je suis bientôt ennuyée quand toute la dépense s’est fait le premier jour. Et deux représentations de la même pièce c’est trop. Voilà ce qui fait que je suis si peu accusable, et que Baden m’est odieux. Je n’aime que la Terrasse à midi et demi ! c’est toujours nouveau, toujours charmant.

5 heures
J'ai eu une lettre de Mad. de Flahaut de Londres dans laquelle elle me mande que la Duchesse de Kent menace de quitter l'Angleterre. le Duc de Willegton s’emploie pour l’en empêcher, mais on doute qu'il réussisse. Je suppose que Conroy attend ici le dénouement. Mad. de Flahaut me dit aussi que Lady Cowper allait épouser Lord Palmerston. J’attends qu’elle me le dise elle-même.
Voici votre 222. Je ne sais si je vous ai dit en détail mes affaires, dans ce que j’ai écrit hier à mon frère j’ai accepté le projet de rente payée par mes fils sans hypothèques ; 21 000 francs. J'ai demandé qu'on m'envoie le tableau des capitaux et de l’époque où j’aurai à les toucher... De même où et par quelle main je toucherai le revenu des arendes, l’une pour 20 ans des 6000 fr ; l’autre pour 2 de 10 000. J’ai prié qu'on procède de suite au partage du mobilier. J'ai fait observer que la loi m'adjuge une part égale à celle de mes fils dans le mobilier en Courlande enfin je n’ai rien négligé en fait d’interrogations ou d’instructions, mais tout cela va tomber au milieu des fêtes, des départs, des manœuvres. Ce sera miracle si on y pense.
Je viens de voir deux diplomates le comte Buol qui est venu ici de Stuttgart pour passer quelque jours avec moi. Et M. Desbrown ministre d'Angleterre à La Haye. Il vient de Londres, il est plus Tory que Whig. Il croit que Peel va arriver ici. L'autre Buol a beaucoup d’Esprit, et d’indépendance dans l’esprit. Il me plaît beaucoup. Le Prince Emile de Hesse est arrivé ce matin, je ne l’ai pas vu encore. Je suis plus souffrante aujourd'hui que je ne l'avais été ces derniers jours. Le médecin me trouve le pouls bien nerveux. Je n’ai pas de raison à donner pour cela. Adieu. Adieu. Je suis impatiente de votre prochaine lettre, et ce sera toujours ainsi. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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220 Baden jeudi le 18 juillet 1839, 2 heures

La poste de lundi de Paris n’est arrivé que tout à l'heure. C'est un accident arrivé à la voiture qui a causé ce retard. J'en ai été très alarmé. Mais voici votre lettre et je suis contente. Savez-vous que vos lettres sont bien prudentes. Vous me laissez beaucoup à deviner, et je ne connais au fond vos opinions sur rien. Ainsi pour parler du plus frais, trouvez-vous bon ou mauvais la commutation de la peine de Barbès ? Comment se porte le ministère ? Ces messieurs font-ils bon ménage ? Cela tiendra-t-il jusq'à la session ? Moi j’entends dire beaucoup que la gauche l'emporte, & que Thiers a des chances.
J'ai donné toute ma journée hier et ma matinée aujourd'hui à Lady Carlisle. C'est une bonne personne, un peu ennuyeuse. Elle vient de repartir. Sir John Couroy est arrivé à Bade. J’ai envie de le voir et de le faire parler, ce qui me réussit assez quand je veux. Voici ce que me dit mon frère : " Paul connait bien les lois. Il ne l’est occupé que de cela depuis son arrivée ici ; et parait très observateur des lois ! " " Voici la calcul de ce que la loi vous assigne. Cela a été discuté avec une précision scrupuleuse ! " Après avoir commenté les articles, mon frère trouvant que je suis riche, & que mes fils sont plus que riches, il poursuit : " Il serait inconvenant dans cette position de solliciter une pension du gouvernement. " Et me cite une grande dame dans ma situation qui l'a fait il y a quelques années et ajoute. " Cela a beaucoup déplu et elle a obtenu 10 000 rouble. Cette somme ne vous rendrait pas plus riche. " La question de déplaire ne me touche pas beaucoup, mais en effet je pense que je ne dirai plus un mot de cela, parce que cela m'ennuie. Ce n’est pas à moi à dire. Ces gens-là devraient faire ce qui est convenable sans que j’en parle. Il y a une chose que je regrette, c’est le plaisir de mettre dans l'embarras ou dans le tort. Voilà du mauvais cœur au fond la question n’est pas de savoir si j'ai besoin de cette pension ou non. Elle devait être donnée sans plus. Après cela savez-vous qu'il y a du plaisir à ne devoir rien à personne. J’aime mieux avoir à me venger d'une injustice. Il me semble que je vous parle un peu trop longuement de moi ; mais pour être franche j’ajouterai encore que j'ai hésité et que j'avais commencé une lettre à Orloff excessivement logique & bonne ; je l’ai laissée là. Mon frère fait des calculs très légers dans ce qu’il m'écrit et comme Pahlen part et que c'est mon frère qui va faire le reste, cela m’inquiète un peu. Ainsi il me parle de 400 mille francs da capital pour moi. Cela n'est pas possible. Ensuite il regarde comme éternels des revenus qui finissent dans 2 ans. Je serai obligée de relever tout cela, & de demander des explications, et puis on veut que je donne 355 paysans pour une rente de 9000 francs. Ils valent le double. Ensuite rien que la parole de mes fils comme garantie que la pension me serait payée. Ceci ne regarde que 21 000 fr par an, mais encore faudrait-il vérité. Enfin je prierai mon fière d’y faire attention et le style de sa lettre me prouve que cette observation ne l'étonnera pas. Mes fils auront à ce qu’ils me parait chacun 100 000 francs de rente. J'en suis bien aise. Ils n’ont pas besoin de moi, et de personne. Et cependant, s'ils avaient eu besoin de moi, j'aurais pu conserver des illusions ! Ah, tout est fini de ce côté !
Adieu, vous qui n'êtes pas une illusion, vous qui êtes ma seule vérité. Vérité que je chéris, que je désirais toute ma vie. Ecrivez-moi tous les jours. Vous allez être bien heureux au Val-Richer.
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