Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Collection : 1849 ( 19 Juillet - 14 novembre ) : François de retour en France, analyste ou acteur politique ? (La correspondance croisée entre François Guizot et Dorothée de Lieven : 1836-1856)

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond dimanche le 23 sept. 1849

Voici le résumé du langage tenu à Berlin par M. de Persigny et évidement celui qu'il est chargé de tenir partout. La monarchie est la seule forme de gouvernement qui convienne à la France. Il y a maintenant deux partis, républicain & monarchique. Le premier se compose des plus mauvais éléments de la société. Il est en minorité. L’autre est puissant et considérable, grande majorité. Ce parti : 3 sections. Légitimistes, Orléanistes & Napoléoniens Les légitimistes comptent un grand parti religieux qui est plus catholique que Henri quinquiste, et la portion rurale de la France, [?] dans la noblesse est plus napoléonienne que Bourbonne. grand abime sépare la branche ainée, de la nation. C'est la révolution de 89 et la restauration par les baïonnettes étrangères. La branche cadette compte très peu d'adhérents. On déteste Louis Philippe, il n’avait de force que dans la bourgeoisie & celle-ci a passé en grande partie dans le camp napoléonien grande magie dans ce nom, et le prince peut à l'ombre de ce nom faire plus que tout autre pour la restauration de lord & d'un bon gouvernement. Sa bonne conduite lui a déjà rallié la majorité de la nation. Si Henry V venait à manquer, les légitimistes se rallieraient certainement autour du Prince plutôt que du comte de Paris. L'armée lui est entièrement dévouée. La noblesse sait très bien qu’il n'y a que lui qui puisse rétablir l'hérédité de la pairie , en même temps que les classes inférieures ont confiance en lui pour conserver une forme libérale de gouvernement. Ce qui a rendu le grand Napoléon impopulaire c’était la conscription. M. de Persigny [?] expose the parallel between the Ceasar & the Napoléon. Louis Napoléon would receive his uncle line as Julien. Ceasar was ultimatly replaned by Augustus. Copié textuellement. Deux fois déjà le Prince pouvait être proclamé Empereur, il a trouvé qu’il ne perdait rien à attendre. L’état actuel ne peut cependant pas durer. Un appel au peuple. établissait l’Empire, cela se serait fait maintenant, sans la circulaire de M. Dufaure ! Il a tout gâté. M. de Persigny a vu le roi & le Ministre des Affaires étrangères. L’un et l’autre se sont bornés à faire l’éloge de la bonne conduite du Prince. La conduite de la Prusse vis-à-vis de la France se règlera sur celle des autres puissances. Le but de M. de Persigny était de s’assurer de la reconnaissance de l’Empire. Je vous ai redit bien exactement ce qui vient de source. Le roi de Hollande reprend son naturel, il est violent, absurde, une espèce d'enragé. Cela pourra finir mal. L’Empereur Nicolas ne veut pas entendre parler de rivalité entre ses généraux & les Autrichiens. Nous avons à nous plaindre, et quand on se plaint, l’Empereur fait taire. Le Maréchal lui a écrit, pas de réponse, & lorsque le Maréchal a voulu lui en parler à son arrivée à Varsovie, l’Empereur lui a fermé la bouche. C'est de la bien bonne conduite. L'Empereur d’Autriche a envoyé à Petersbourg l’archiduc Léopold son cousin, pour remercier solennelle ment de l’assistance. On ne dira pas ceci à Vienne. Ils sont là pro fondement humiliés de notre secours. Que c'est petit !
J'ai eu hier pendant deux heures M. Kondratsky secrétaire d’ambassade ici, arrivé en courrier de la veille. Ses récits sont très curieux sur l'empereur, sur l’excès de la joie, et puis l’excès de la douleur. Douleur énorme, qui inquiète. Le voyage l’aura réuni, mais je suis impatiente des premières lettres de Pétersbourg.

Lundi le 24 sept. Hier dimanche, petite pluie fine tout le jour j'ai été déjeuner chez La duchesse de Glocester, et puis rendre enfin visite à Mad. Van de Meyer. J’y trouve une petite personne bien tournée, comme dans les boutiques élégantes de Paris, visage tartare, large & rond, très Russe, jolie. On me l’a présentée, c'était Mad Drouyn de Lhuys. Son mari est à la chasse en province. Elle dit qu’on dit autour d’elle qu’il y aura du bruit à Paris. Vous ai-je dit que Mad. Lamoricière est retournée à Paris. Son mari est allé à Pétersbourg. Les voyageurs de Varsovie disent que sa tournure n’est pas grand chose. Un peu français à cheval, et pas distingué à pied. Mais on est content de lui chez nous. Kisselef sera nommé ministre très prochainement. Hier John Russell. Il y a toujours quelque petit cous pi quant et utile dans le dialogue. Hier, réflexions sur la facilité dans le travail. Très bon quand On a connu [?]Lord John l’esprit simple et droit ; dangereux quand on a trop de goût a faire des affaires. Lord Palmerston a beaucoup de facilité. Incontestablement c'est fâcheux entre un ministre qui ferait trop peu, & un qui ferait trop, le premier is the safest. - I think you are right. It reminds me of Lord Grey who always said. Let a thing alone ; in dropping it, it minds sooner by itself.- - Trés vrai, en travaillant toute chose on ne fait quelque chose, et quelques fois une très mauvaise affaire. Voilà notre train de conversation. avez-vous lu la lettre de l’Empereur au comte Nesselrode ? Et le passage où il parle du conquérant ambitieux d'il y a 36 ans ? Cela ne promet pas beaucoup de faveur pour la [?] Je vous ai dit je crois que l’Empereur a donné à la fois son portrait à Nesselrode & Orloff. Faveur très rare et l’altesse à (Sernicheff, très rare aussi. Avec lui en voilà 6 dans l'Empire. Que de choses diverses je vous écris, & que de choses encore j'aurais à vous dire. Lord Normanby a déjeuné l'autre jour avec le président qui lui a raconté M. de Falloux. Il con naissait la lettre mais on a commis la faute de ne point le prévenir de sa publication. On est curieux de voir comment se prononcera la majorité de l’Assemblée sur l’affaire de Rome. Si elle reste unie pour soutenir le gouvernement. It is all safe, & je puis retourner à Paris, si elle se fractionne, il y aura du bruit et il vaudra mieux attendre qu’il soit passé. Je vous envoie une toute fraîche lettre de Lord Melbourne, si sensible (anglais) que je crois vraiment qu'elle vous frappera vous et le duc de Broglie. Lisez-la avec attention. Moi elle me paraît concluante. Lisez bien.

Midi. La poste de France n'arrivera que plus tard pas de lettres. Adieu. Adieu. Adieu

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie, Dimanche 23 sept. 1849 8 heures

Je vois que M. de Falloux va mieux. Mais on doute que d’ici à longtemps, il puisse reprendre les affaires. Si on le remplace, il aura probablement M. Beugnot, pour successeur. Ancien pair. mêmes opinions que M. de Montalembert. Ami des légitimistes sans l'être lui-même catholique, point fanatique. Honnête homme et homme d’esprit, mais au fond du cœur, sans conviction et sans passion. Il a choisi plutôt qu'embrassé ses opinions. Il pourrait boucher le trou de M. de Falloux, sans autre altération dans le Cabinet. On ne croit toujours pas, parmi les connaisseurs à un grand renouvellement. Si M. de Falloux se retire, on fera un effort pour que la modification aille jusqu'à deux ou trois ministres, M. Benoît au lieu de M. Passy, M. Piscatory au lieu de M. de Tracy. Piscatory me paraît de plus en plus pressé. Il n’est pas venu ici évidemment pour ne pas quitter le terrain. Dufaure est décidé à avoir toujours au moins un, jamais plus de deux légitimistes dans le Cabinet. Il se conduit avec assez de suite et de savoir faire. Je reçois des nouvelles de Duchâtel, de La Grange. Pas plus de politique que cette phrase-ci : Il y a bien peu de chose à dire sur les affaires de notre triste pays. Je vois dans tout ce qui m’entoure les sentiments très bons, mais comme partout, peu ou point de portée dans les esprits, et peu d’énergie dans les volontés. On ne sait plus ni comprendre, ni vouloir. " Il reviendra à Paris au commencement de décembre. L’Autriche sera médiateur entre la France et le Pape et dominera à Rome comme Turin. J’assiste ici tout le jour au chagrin du Duc de Broglie surtout d'abaissement. Je puis être aussi modeste que cela me convient. Il est plus noir que jamais aussi désespérant de l'avenir que désespéré du présent. Je ne partage pas cette impression. A tout prendre depuis que je suis en France, je crois un peu plus au salut, sans y voir plus clair. Votre visite à Claremont y aura fait plaisir. J'en ai eu des nouvelles hier par l'ancien précepteur du petit Duc Philippe de Wurtemberg qui vient d'y passer un mois. Il m’a dit que madame la Duchesse d'Orléans avait quitté à grand regret et en pleurant beaucoup. La lettre de Lord John à M. Hume sur Malte est décisive. Il ne peut plus reculer. Lord Minto y a certainement été pour beaucoup. Il n’y a rien de tel que les gens médiocres pour influer. Personne ne s'en méfie.
Je vois dans les Débats un grand article de M. Cuvillier Fleury sur la révolution de Février et sur le Roi. Je le lirai. Lisez-le aussi, je vous prie, si vous avez des yeux, où une lectrice. Je serais bien aise d’en savoir votre impression. C’est certainement un langage à peu près convenu. Adieu, Adieu. Le beau temps est tout à fait revenu ici. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Samedi le 22 Septembre 1849

Je suis restée 3/4 d'heures à Claremont la reine en merveilleuse santé. Le roi très bien, mais à mon avis très changé d'humeur. Je ne l'avais pas vu depuis plus d’un an. Je l’ai trouvé triste, résigné peut-être. Pensant mal de la France, & de la situation de tous les autres états. Il a repris l'examen des fautes, tout le monde en a convenu, (pas lui je suppose.) Le seul homme bien renseigné à Paris était Delassort, mais on ne l'écoutait pas. Duchatel est paresseux et léger. Il ne vous a pas [ ?] pendant toute ma visite pas une seule fois, ni la reine non plus. Il a dit ; il n’y a pas d’homme en France. Voilà Le duc de Broglie et Molé, ils sont de l’assemblée, et bien que font-ils ? Et puisqu'ils ne font rien, pourquoi ont ils été se mettre dans cette mauvaise compagnie. Pas la moindre allusion aux légitimistes. J'avoue que je n’ai pas pensé à eux sans cela j'aurais pu amener là dessus la conversation. Je me reproche cet oubli. Mais voici ce que Lord John m’a dit hier soir : " Savez-vous que le roi a fait prescrire à tous ses adhérents de soutenir les légitimistes. " Je ne sais pas autre chose. Le roi m’a dit, et bien l'Empereur fait donc au Président les notifications d'usage, il lui a écrit. Oui, sire comme au Président des Etats-Unis. A moi, il ne m'a jamais fait l'honneur de m'écrire. Je n’ai pas répondre. Evidemment la blessure est profonde. Il y a eu une petite discussion sur la résidence d’hiver. La reine se prononce vivement contre l'Angleterre. Le roi très décidé à y rester. Je vous ai dit je crois qu’ici cela ennuie, la cour. J’ai lu à Lord John le petit passage où vous me parlez du duc de Broglie, de son bon souvenir du secours qu'il a trouvé quelques fois en John. Cela lui a fait un très visible plaisir. Vous Vous rappelez que ce secours, était un recours contre Lord Palmerston. Il a ri et assenti. Nous avons reparlé de Malte, du gouverneur qu’il protège beaucoup. Je lui ai dit : " Mais on dit que Lord Palmerston le blâme beaucoup et voudrait qu’on le destituât. Qu’est-ce que cela fait ? Lord Grey & moi, nous l’approuvons cela suffit. Il m’a dit plus au long ce qu’on m’avait écrit à propos de Thiers. à l’époque où Morny me dirait qu’il entrerait c’était vrai. " Il avait fait savoir au président qu'il accepterait l’intérieur même avec un président du Conseil. Tout à coup, il a changé, et il a dit. Je veux qu’on puisse inscrire sur ma tombe. Thiers n’a jamais servi la république. Est-ce que la chance d'une Monarchie n'importe quelle, lui parait plus prochaine ?

1 heure Merci de votre bonne lettre. Certainement nous faisons notre possible pour suppléer à la parole qui serait si douce, si abondante que faire ! Beauvale est bien content de mes conversations avec Lord John. Il croit que personne ne lui dit ce que je lui dis, & que cela fait du bien. Il ajoute que si Palmerston savait mes jaseries quotidiennes cela l’inquiéterait fort. Il est toujours chez Beauvale. Entre celui-ci et moi correspondance de tous les jours. Style très abrégé Adieu. Adieu. Adieu. Le gouvernement français va diminuer l’arrière de 60 000 hommes.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie. Vendredi 21 sept 1849 5 heures

Je vois ici bien du monde. Presque autant qu’au Val Richer. En gens du pays du moins. Tous les conservateurs des environs, anciens ou nouveaux viennent me voir. Je suis frappé de ce qu’il y a en même temps, de résolution et de timidité dans leur langage. Ils sont très réactionnaires ; ils demandent de l'ordre du pouvoir, tant qu’on voudra tant qu'on pourra leur en donner mais sous le régime actuel avec les noms actuels. Ils n'abordent pas l'idée, d'un changement au fond. La république peut devenir conservatrice, despotique, aristocratique même ; ou lui en saura gré. Mais la République, je ne vois presque personne qui pense, qui veuille dire du moins qu’il pense à autre chose. Les plus hardis disent que la République pourrait bien n'être qu'une expérience, et une expérience qui ne réussira pas. Mais ils admettent tous l'expérience, et ne la regardent que comme déjà faite. Ils attendent et blâmeraient ceux qui ne voudraient pas attendre. Pour trouver des gens qui maudissent tout haut la République, qui n’en attendent rien et qui demandent pourquoi on attend ; il faut descendre beaucoup plus bas que les gens qui viennent me voir. Il faut aller parmi le peuple chez les paysans. La point de gêne, point de retenue. Et très généralement. L'Empire serait très bien reçu. Le comte de Paris serait très bien reçu. Henri V, c’est plus douteux. La Monarchie est populaire, la légitimité non. Mais pas plus pour le comte de Paris ou pour l'Empereur que pour Henri V, aucun de ceux qui maudissent la République ne remuerait le doigt. Les paysans qui demandent pourquoi on attend attendant aussi tranquillement que les bourgeois. A dire vrai depuis que les rouges ont été bien battus et qu’on croit qu'ils le seraient encore, s'ils remuaient, l’ordre règne partout, l'administration marche, les affaires se font, les intérêts privés s'arrangent, à peu près comme en temps ordinaire. Il est facile ici de renverser les gouvernement très difficile de bouleverser la société ; elle reprend très vite, son aplomb. A très courte échéance, il est vrai ; personne ne fait ni projets, ni longues affaires ; personne ne bâtit une grande maison ; personne ne prête son argent pour plus de deux ans jusqu'aux approches de la prochaine élection du Président et de l'Assemblée. Combien de temps un grand pays peut-il se passer absolument d’avenir ? Pas toujours j’en suis sûr. Mais ce pays-ci assez longtemps, j'en ai peur. S'il est grand, les hommes qui l'habitent sont si petits qu’ils ont bien moins besoin d'avenir. Ce qui est petit se résigne bien plus aisément à être court. Il est vrai qu'on en devient plus Petit, et qu’on souffre de ce rapetissement forcé de toutes les Affaires, de toutes les transactions, de toutes les entreprises, de toutes les existences. Je crois même que cette souffrance ira croissant, et finira par devenir insupportable Mais, pour le moment elle est encore assez limité ; et on la supporte assez bien. Singulier état ! Très triste à voir, mais très nouveau et très curieux à observer. Jamais certainement pays si malade au fond n'a eu si peu l’air, d'être malade, pour quelqu'un qui me ferait que le voir en passant. M de Falloux, dit très malade. Sa mort serait presque un évènement. Les légitimistes comptent sur lui, non seulement pour l'avenir, Mais pour prendre une part chaque jour un peu plu grosse en attendant. Il n'ont personne pour le remplacer.

Samedi 22- sept heures
Pouvez-vous me dire que les portraits de Mad. de Caraman sont d’une ressemblance frappante, et que vous ne voulez pas poser parce que cela vous ennuie trop ? Vous ne savez pas quel plaisir me ferait un portrait de vous vraiment ressemblant, ou bien vous n’avez pas le courage de vous donner cet ennui pour me donner ce plaisir. Si j'étais là, je vous gronderais beaucoup. De loin, il faut être court. Depuis que vous n’avez plus d’yeux, je ne sais plus que m'affliger de votre ennui. Je ne peux plus vous dire : lisez, écrivez. Vous devriez trouver une lectrice qui pût vous lire du français. Cela doit se trouver, même à Richmond. Elle vous lirait une heure ou deux dans la journée, la Revue des deux mondes, Mad. de Krudener. Quoiqu'on ne publie plus grand chose de bon à Paris, il y aurait cependant de quoi vous désennuyer un peu. Vous n'aurez plus besoin de cela à Paris. Il y aura assez de conversation pour remplir votre temps. Barante, Ste Aulaire, Duchâtel y passeront l’hiver. Tout ce qui me revient me persuade de plus en plus qu’il n’y aura point de gros événement ; rien dans les rues. Il n’y aurait que la dislocation de la majorité dans l’Assemblée qui pût amener quelque chose de gros. Mais elle me paraît bien décidée à ne pas le disloquer. Il y a, dans la masse honnête des légitimistes, beaucoup d'humeur contre leurs journaux qui les poussent, et les compromettent.

9 heures
Merci de votre longue lettre, et de cette de Lord Beauvale. Très intéressantes. Je n'ai que le temps de vous dire adieu. J'ai là des épreuves de mon livre qu’il faut que je corrige et que je renvoie sur le champ à Paris. Je n'ai rien de là ce matin. Adieu, adieu, adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond jeudi le 20 septembre 1849

On mande de Paris à Lord Palmerston qu'en effet Thiers dit qu'il était sur le point d’accepter le Ministère mais la publication de la lettre à Ney lui a servi de prétexte pour reculer. Il donnera son appui à Louis Napoléon où à tout autre qui lui offre l'espoir de pouvoir dire jusqu'à son dernier jour qu’il n’a jamais servi une république. On va proposer de doubler le salaire du président. Si les légitimistes ne votent pas, on sera battu. Je vous redis ce qu'on sait ou ce que l’on croit le savoir ici. Je vous ai dit que Palmerston croit tout. à fait à l'Empire.

Vendredi 21 sept. J’ai vu hier matin van de Weyer, & Nicolay le soir. Le premier fort spirituel et charmé de l’article du Times avant hier qui donne sur les doigts à Lord. Palmerston à propos de la grande [?] de l’Empereur Nicolas. Du reste peu orienté, puisqu'il n’y a pas un ministre et pas une âme à Londres faisant un grand éloge du président, et pas indisposé pour l’Empire. Nicolay racontant un courrier de Varsovie arrivé hier matin, mais rien de plus que ce que je vous ai dit sur les derniers moments du grand duc. Le désespoir de l'Empereur. Nous faisons rentrer jusqu'au dernier soldat. L’Empereur d'Autriche voulait venir à Varsovie, la catastrophe du grand duc Michel l’a empêché. Peut être n'a-t- on pas été fâché à Vienne de l'empêchement et nous cela nous était fort égal. Le ton à Varsovie est de traiter tout cela dédaigneuse ment. Nous sommes venus nous avons montré notre force, & bonjour. Je médite ce matin une course à Claremont, le temps est fort laid, mais il faut avoir fait cela. C'est bien ennuyeux. Rabâchage pour rabâchage, celui du Roi est cependant plus gai et surtout moins long que celui de Metternich. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie jeudi 20 Sept 1849 Sept heures

J’ai tout le jour sous les yeux une preuve frappante qu’il n’y a aujourd’hui pour la France, dans la pensée de tout le monde, point de politique extérieure. Personne n'en parle. Personne ne songe à en rien demander ni à en rien dire. Il vient ici assez de visites ; on ne parle que des affaires publiques ; point des Affaires étrangères ; un mot, en passant, sur Rome, qui tombe aussitôt et qui est dit plutôt pour parler du Président. qu'on est curieux de bien connaître, que de Rome dont on ne se soucie pas. La France n’est préoccupée que d'elle-même. Le Duc de Broglie me dit qu’il répète sans cesse aux Ministres : " La paix à tout prix, et point d'affaires ; la République ne peut pas avoir une autre politique. " Il a raison, et le public, est de son avis. Les journaux seuls sont en dehors de cette disposition du public, et raisonnent à perte de vue sur l'Europe. Et leurs lecteurs se plaisent assez à cela. Mais comment on se plaît à un moment de badauderie et d'oisiveté. Personne ne prend les journaux au sérieux. Ce qui n'empêche pas qu'à la longue ils n'agissent. Un jour viendra où le pays sortira de cette insouciance forcée sur sa politique et sa position au dehors, et s’en vengera sur le gouvernement qui lui en fait une nécessité. Etrange chaos que l'état des esprits et ce qu'ils ont à la fois d'activité et d’apathie de passion et d’indifférence de bon sens et d’inintelligence. Plus j'y regarde, plus je me persuade que c’est bien un état de transition, non une chute définitive. C'est ma seule consolation, et je crois que c’est la vérité.
Transition à quoi. Je n’en sais pas plus que je n’en savais quand nous avions le bonheur de causer ensemble de tout cela. Pourtant je suis plutôt confirmé qu’ébranlé dans l’idée à laquelle j'aboutissais en définitive quand nous voulions absolument voir à ceci une issue.

Onze heures
Je vous reviens après être allé entendre une homélie de l'évêque d'Evreux dans l’Eglise de Broglie. Hélas oui, il y a deux grands mois que nous nous sommes quittés ! Je n'essaie pas de vous dire combien vous me manquez. Vous me manquez non seulement pour les choses que je ne dis qu'à vous et que je n’entends que de vous, là où le vide est complet quand vous n’y êtes pas. Vous me manquez même dans les moments où il n’y a pas de vide, ou ce que j’entends et dis me plait et m'intéresse. Je suis toujours sur le point de me retourner pour voir si vous êtes là et pour vous mettre de part dans tout. Que de choses je ne dis pas que je vous dirais, et que de choses je vous dirais que je ne vous ai jamais dîtes ! Et la vie s’écoule dans cette impatience d’une affection qui ne donne et ne reçoit pas, tout ce qu'elle pourrait recevoir et donner dans le sentiment d’un grand bonheur possible et manqué.
Paris sera tranquille. Et si les rouges essayaient de le troubler la tranquillité serait pleinement rétablie en quelques heures comme au 13 Juin. La force et la volonté de faire cela y sont également. Certainement le choléra diminue. Pourtant il y en a encore, et presque toujours grave. Ne vous ai-je pas déjà dit hier qu'à cause du Choléra, on retardait de quinze jours la rentrée des écoliers aux collèges ?
La lettre de Marion est charmante et très originale, si cette aimable fille était heureuse, elle aurait tout le bon sens hors duquel elle se jette quelquefois pour répandre et animer son âme. Elle a naturellement beaucoup de bon sens. Mais il faut aux femmes même aux plus distinguées, du bonheur personnel, et de cœur, pour être dans cet équilibre intérieur qui met en état de voir les choses du dehors comme elles sont réellement, parce qu'on n'a rien à leur demander. Je parlais un jour à la Duchesse de Broglie d’une jeune femme de sa connaissance, et de la mienne qui avant son mariage avait un amour propre assez agité et exigeant, et qui depuis son mariage, était devenue parfaitement calme et modeste : " Je le crois bien, me dit-elle, elle a ce qui apaise et satisfait le plus grand amour propre possible d’une femme : elle est aimée et heureuse. " J'ai bien souvent reconnu la vérité de cela. J’ai peur que notre bonne Marion reste toujours républicaine, tantôt pour Cavaignac, tantôt pour Manin, faute d'avoir son roi à elle, un mari qu'elle adore, et qui l'adore. Adieu. Adieu.
Je ne vois rien dans mes journaux de ce matin. Je pars toujours le 28 pour retourner au Val Richer le Duc de Broglie, le 29 pour Paris. Il veut être au premier jour de l’assemblée aussi à la réunion du Conseil d'Etat qui aura probablement, lieu la veille. Adieu, Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond le 19 septembre 1849

Ah si j’avais des yeux ou si j’avais Marion. Il n’y a pas moyen. Je vous envoie la lettre de Beauvale, elle vous donnera une idée plus exacte que ce je vous ai dit ce matin de l’affaire de Malte. Quant à la lettre de Berlin, elle traite longuement la question allemande. On cherche à s’entendre avec l'Autriche. Il est probable qu'il y aura deux Allemagnes nord & midi. J'en ai causé ce matin avec Metternich. Il dit que ce serait la guerre. entre elles. & que le feu au centre de l’Europe c’est le feu partout. Selon lui Il n’y a de possible & de sensé que 1815. Il ne sort pas de là. M. de Persigny a fait bien des efforts à Berlin pour faire comprendre la nécessité de donner de la force au Président démontrant qu’il n’y avait possible que Louis B. en France. Il faut donc le soutenir. Le correspondant de Berlin ajoute : la question de dynastie en France embrouillera tout l’avenir de l'Europe. Moi, je ne vois pas cela. C'est une question de ménage. jeudi le 20 septembre. Longue conversation hier avec lord John. Certainement il soutiendra le gouverneur de Malte, & approuve complétement son refus de recevoir les réfugiés, Nous allons voir qui l’emportera de lui ou de Palmerston sur ce point. Le gouverneur [?] est en Angleterre dans ce moment un protégé de lord Minto. Quant au Cap, quoique les habitants ne veulent pas recevoir les Convites, le gouvernement cédera, et fera revenir ceux qui sont déjà partis. Longue discussion commençant par un : " Quel beau rôle vous avez fait à mon empereur ! Vous pouviez le partager avec lui, vous n'aviez qu’à rester tranquille, & & &. Vous voyez tout ce que j’ai dit à la suite. J’ai été très belle vous auriez eu plaisir à m’entendre. Les busy body poussant les révolutions, & puis abandonnant. S’aliénant les gouvernement et les peuples. battus partout. Nous tranquilles d’abord, et puis le reste, finissant par dire. Il y a plus d’honneur aujourd’hui à être Russe qu’Anglais. " Il a voulu expliquer les motifs les nécessités d’intervention partout. Les répliques n'ont pas été difficiles. De tout cela il résulte qu’il est bien bon enfant, qu’on peut tout lui dire, mais je doute qu'il entend souvent tant de vérités. C’est très sain pour un Ministre et puis réflexions générales. Par quoi finira tout ceci. Le bouleversement est si profond qu’il ne peut rien ressortir de raisonnable, de tempéré. Ce sera l'un on l’autre extrême partout. absolutisme, ou démocratie. tous avons trouvé cela spontané ment & simultanément et nous nous sommes quittés sur cette belle perspective. Vous comprenez que j'aime mieux la première & lui aussi. En parlant des nouvelles inventions, il dit : là où il n'y a qu’une chambre, il n'y a plu de gouvernement, il ne vaut pas la peine d'en avoir. Adieu.
Il fait froid, cela ne me plait pas. Je reçois dans ce moment une lettre de Bro[ ?]. Palmerston y est. " Il a grande. envie de l'empire. Il y croit, il déteste les 2 branches de Bourbon, et ne croit pas du tout que l’état actuel puisse durer. Christine & Narvaez cherchent à faire abdiquer la Reine en faveur de sa sœur, et profitant pour cela de l'absence d'un représentant d'Angleterre ! " Est-ce que cela ne voudrait pas dire que Palmerston a envie d’en envoyer. un ? Voilà tout & je finis. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond le 19 septembre 1849

Journée froide hier, & pas de visites. Je n’ai vu que les Metternich & Mad. de Caraman. Je ne devrais pas dire qu’elle m’ennuie par ce qu’enfin elle vient rompre ma solitude et qu’elle le fait avec ma nièce de dévouement et de plaisir. Mais à vrai dire si je n’étais pas rude ce ne serait guère endurable. Si peu naturelle, & si peu de fond ! Mais elle chante ; un peu faux c’est vrai mais très bien. Son talent pour le dessin est merveilleux & ses ressemblances frappantes. Seulement je n’ai Aucune patience, et je ne veux pas poser. Ah l'ennui mon ennemi !
Lord Aberdeen m'écrit souvent Il me dit : "The letter of the President, was an act of great imprudence, and a a piece of insolence offered to the whole word. His own ministere has also good cause to be offended." Quant aux conseils donnés au Pape dans cette même lettre il les trouve de nature à être parfaitement acceptés ; et dit d'eux comme Lord John qu’ils sont élastiques. Le Times de ce matin a un article admirable sur la conduite de la Russie, comparée à celle de l'Angleterre.

1 heures. Votre lettre, et Constantin, & Beauvale. Constantin décrit le désespoir de l'Empereur, énorme, déchirant. Il a dit à Constantin. "Allez chez mes sœurs, & ma fille. Dites leur mon malheur, je ne puis pas écrire." Constantin m'écrit de Weymar, et va de là à Stuftgard, & La Haye. Beauvale curieux. On a donné une constitution à Malte. Le conseil législatif composé de Jésuites intolérant. Refusant refuge même aux malades & blessés. Palmerston choqué, furieux. John Russell & Lord Grey soutenant le gouvernement que Palmerston veut faire chasser. Que va-t-il se passer Beauvale conclut. Garderons-nous Grey ou les colonies les deux ne peuvent pas exister. Le Cap & le Canada en pleine insurrection. Il me semble que je vous ai parlé hier de Malte. Vous aurez vu que John Russel approuve la conduite du gouverneur. Adieu. Adieu. Je n’ai pas lu mes lettres encore. Une longue de Berlin adressée à Beauvale & qu’il m’envoie. S'il y a quelque chose, je vous le manderai. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie, Mardi 18 Sept.1849 6 heures

Lisez dans la Revue des deux Mondes, du 15 sept un article de M. de Sainte Beuve (que vous trouviez si laid et avec raison) sur Madame de Krudener, et sur une Vie de Madame de Krudener que vient de publier, M. Charles Eynard. Cela vous amusera. Je suppose que la Vie même est amusante, et je vais me la faire prêter. En 1805, quand je suis arrivé à Paris Valérie me charmait. On me dit que j’avais tort, c'est possible ; mais je conserve de Valérie, un souvenir agréable que les révélations de M. Eynard et les demi-moqueries, de M. de Ste Beuve, ne détruiront pas.
Je viens de faire une grande promenade dans la forêt de Broglie, moitié en voiture avec la princesse de Broglie et mes filles, moitié à pied avec le duc et son fils, sur un bon gazon et sous de beaux hêtres. Nous avons beaucoup plus pensé à l'art qu'à la nature, et à un art très difficile, celui de changer les constitutions, sans y toucher, et de défaire légalement la légalité. Le Duc de Broglie m’a exposé, pour cela. Un plan très ingénieux et, au fond, très praticable quoi qu'un peu subtil. Il y a des moments où les hommes veulent absolument qu'on leur donne, pour faire ce qu'ils ont besoin et envie de faire, des raisons autres que le franc bon sens. Il ne faut pas leur refuser le plaisir. Voici le problème. On veut refaire une légalité autre que celle qui existe, sans sortir de celle qui existe. S’il vous vient de votre côté, à l’esprit, quelque bon expédient, envoyez-le moi, je vous prie.

Mercredi 19-10 heures
Décidément le Mercredi est le jour où je vous aime le mieux. Vous avez bien fait de me dire ce que Lord John vous avait dit du duc de Broglie. Cela lui a fait plaisir. Une ou deux fois, dans sa dernière ambassade Lord John a été sa ressource contre Lord Palmerston, et une ressource efficace. Two letters at once. C’est dommage qu’elle ne le soit pas plus souvent. Je suis convaincu que vous avez raison : vous vous amusez mutuellement sans vous changer. Je vois que le Globe dément formellement la révocation du Gouverneur de Malte Est-ce aussi là un effet de Lord John ?
La question allemande est maintenant la seule à laquelle je pense sérieusement. Il y a vraiment là quelque chose à faire quelque chose de nouveau et d’inévitable. Il vaut la peine de tâcher de comprendre et de se faire un avis, Pensez-y aussi je vous prie, et mandez-moi ce que vous apprendrez ou penserez. Je suis bien aise de ce que Collaredo vous a dit de Radowitz. Je suis enclin à attendre de lui une bonne conduite, et à lui souhaiter du succès. Il m’a paru n'être ni un esprit fou, ni un esprit éteint. Il n’y a plus guères que de ces deux sortes là. La maladie de M. de Falloux retardera ou rendra insignifiants les premiers détails de l'Assemblée. J’ai cru d'abord qu’il lui convenait d'être malade ; mais il l'est bien réellement. Un visiteur arrivé hier soir ici dit que les derniers orages ont fait du bien au choléra, c’est-à-dire contre le choléra à Paris. Les cas diminuent et s'atténuent. Cependant on retarde de huit jours la rentrée eu classe des Collèges pour ne pas faire revenir sitôt les écoliers, Guillaume restera huit jours de plus au Val Richer. Que fait M. Guéneau de Mussy ? Reste-t-il encore un peu à Londres ?
Adieu, adieu. Je travaille avec un assez vif intérêt. Cela me plaît de concentrer, en un petit espace tout ce qu’une grande révolution peut jeter de lumière sur les autres. Je persiste à croire que s’il faisait très clair, il y aurait moins d'aveugles. Adieu, adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Mardi le 18 septembre 1849

Deux mois, deux grands mois depuis votre départ ! Comme notre courte vie est massacrée. Je comprends que vos hôtes aiment votre visite, mais je suis sure que vous aussi vous aimez avoir à qui parler, avec qui raisonner un peu. Moi je n’ai eu personne. Lord John tout seul, mais il n’y a pas assez de liberté d’esprit. J’avale à tout instant ce que j’allais dire. Cependant sa conversation m’amuse. Nous devisons Hier j’ai passé la soirée, chez eux. Tous seuls à nous trois. Cherchant à comprendre comment peut se débrouiller ce chaos partout, surtout en France, aboutissant un peu à dire, c’est John qui dit que les Français sont particulière ment faite pour un bon despotisme militaire. Je suis d’accord de cela malgré que cela ne vous plaise guère. Je crois vous avoir dit, il y a une dizaine de jours que Lord Palmerston voulait qu'on destituât le gouvernement de Malte pour avoir refusé l'hospitalité aux réfugiés italiens. Lord John ne veut pas, et cela ne sera pas. Il approuve la conduite du gouvernement. Il est très curieux de ce que va faire le gouvernement turc à l'égard de Kossuth & & &. L’Autriche les réclame et nous réclamons les Polonais. Je suis étonnée de n’avoir rien de Constantin depuis la mort du grand duc. Des nouvelles privées parlent du chagrin violent de l’Empereur. Il prend les joies comme les peines avec une fougue, effrayante. Mon fils est venu me voir hier. Le temps tourne au froid, et je commence à craindre que Richmond ne le soit trop pour moi bientôt. Je ne suis cependant pas pressée de Paris. Le choléra, & les menaces de Changarnier. Morny revient ici dans huit jours. Lord Melbourne m'écrit souvent mais il demande, car il ne sait rien. Il me dit sur Lord John " Quel cocher pour l’attelage qu’il devrait conduire, et dont il est mené." Je suis un peu colère contre Melbourne pour une question de 3 £ il laisse aller cette belle maison qu’avait M. Fould. Les Delmas viennent de la prendre. Lord John approuve fort le vote de la Chambre à Turin qui condamne l’arrestation de Garibaldi.
Je vous envoie une lettre de Marion. Je lui avais fait tenir celle où vous me parliez d'elle. (c’était trop long à copier.) Voyez la drôle de fille. Voici votre lettre. Je suis bien aise du peu de valeur que vous attachez à au dire de de Lord Normanby. Mais regardez y toujours et au choléra. Adieu. Adieu mille fois.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie, lundi 17 Sept. 1849 6 heures

Les premières questions qui occuperont l'Assemblée à son retour seront affaire de Rome et la loi sur l'instruction publique. Les deux questions de M. de Falloux qui est malade. Et aussi les deux questions plus propres à diviser la majorité. Le duc de Broglie persiste cependant à croire qu'après, bien des oscillations, elle ne se divisera pas. Le danger est trop grand et trop près. Le procès de Versailles, et l’agitation qu’il ne peut manquer de produire maintiendront l’union. Je vous répète que je ne vois et n’entends aucune inquiétude, même dans le cas où les rouges tenteraient quelque chose. On en serait plutôt content que fâché. M. de Falloux a failli avoir une fièvre typhoïde. Les nouvelles d’hier sont qu’il va mieux. Le projet de loi sur la déportation est examiné, en ce moment au Conseil d’Etat et sera présenté à l'Assemblée dés quelle sera revenue. On se flatte qu’il sera efficace et très intimidant pour les coquins. On se demande s’il ne sera pas nécessaire de finir par avoir un lieu de déportation européenne, à l’usage de tous les états, où l'on transporterait les réfugiés que tous les Etats, même la Suisse reçoivent et chassent successivement. Mardi 10 heures La majorité est évidemment décidée à ne pas se diviser. Les journaux même qui poussaient à une attaque vive contre M. Dufaure y renoncent aujourd’hui, et recommandent l’union et la patience. Je ne crois pas à une vraie crise ministérielle. Je ne crois pas, davantage à une vraie bataille dans les rues. On est très prévenu et très attentif. Le Général Changarnier prépare de nouvelles surprises de rapidité et d’ubiquité, dans les mouvements de les troupes. Les Rouges absents, MM. Ledru Rollin, Felix Pyat et consorts ont complètement renoncé à toute idée de comparaître en personne. Leur absence abrégera, beaucoup le procès, qui durera cependant, un mois, à ce qu’on présume.
Voilà le grand Duc Michel mort. A part le chagrin, c’est toujours une grande perte, pour un Roi, que celle d’un ami vrai et dévoué. Est-ce un chagrin pour la grande Duchesse Hélène ? Elle est, elle, une des personnes que j'ai encore quelque envie de connaitre. Il n’y en a guère. Il n’est pas probable que je la voie jamais. Je n’ai rien à vous dire. Demain me plaira bien. Je vais être en sainte compagnie. L’évêque d’Evreux vient passer ici trois jours. Autrefois curé de St Roch, et confesseurs de la Reine. Il lui est resté très attaché. Homme d’assez d’esprit et d’un zèle qui harasse tout son monde, prêtres et fidèles. Cela ne vous fait rien. Adieu, Adieu. Les nouvelles du choléra de Paris sont les mêmes. Adieu, dearest. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie. Lundi 17 sept 1849 8 heures
Vous êtes devenue d’une grande intimité avec Lord John. Vous le voyez tous les jours. C’est très bien fait malgré son attachement à Kossuth. Lady John mérite que vous causiez avec elle. Elle a assez d’esprit pour se plaire avec ceux qui en ont plus qu'elle. Et son mari is very uxorious. Je me figure que si j’avais été là Madame de Metternich n'aurait pas. retenu cette expression de sa colère contre Lord Palmerston qu’elle vous a soustraite. Vous voyez ce que j'en pense. Je regrette que son mari devienne si ennuyeux. Les décadences me déplaisent toujours. Soyez tranquille ; je ne redeviendrai pas doctrinaire. Fatuité à part, je ne voudrais pas redevenir rien de ce que j’ai été. Je crois que ce serait déchoir. Redevenir jeune en restant ce que je suis à la bonne heure. Et si je ne me trompe, vous en diriez autant. J’ai écrit hier une longue lettre à Lord Aberdeen. Et aussi à Claremont.
M. Dufaure fait en ce moment une chose qui fera plaisir au Roi. Il a demandé au duc de Broglie de présider une commission chargée d'examiner et de trier tous les papiers enlevés aux Tuileries après Février et déposés aux archives générales. " Il est temps, dit-il de trier ces papiers, et de rendre à la famille royale, ce qui lui appartient. Le Duc de Broglie a accepté, comme de raison. Les journaux légitimistes qui m’arrivent ce matin me frappent assez. Ils détournent leur parti de l'attaque contre le Cabinet au retour de l'Assemblée. C'est M. de Falloux qui fait cela. Il n’espère pas refaire à son gré le Cabinet nouveau, et il aime mieux maintenir celui-ci, où il est plus gros qu’il ne serait avec Molé et Thiers. En tout les légitimistes travaillent plus encore que tout autre parti, à ajourner les grosses questions. Il ne se sentent pas en état de profiter des solutions. Ils veulent pénétrer plus avant dans le pouvoir sous le manteau de la République. Sans compter qu'ils sont comme des affamés qui depuis longtemps n'approchaient pas de la table, et qui ne veulent pas risquer la part qu’ils sont en train de reprendre du gâteau. J'ai lieu de croire qu'il y a eu entre les deux branches de la famille royale quelques paroles même quelque démarche réelle de réconciliation, pour arriver du moins aux apparences de la réconciliation. Les légitimistes se vantent de quelque chose parti de Claremont. Pouvez- vous sonder un peu ce qui en est ? Par la Duchesse de Glocester, ou la Duchesse de Cambridge, ou les aboutissants légitimistes ?
Est-il vrai que vous laissez en Hongrie 40 ou 50 000 hommes ? Je ne puis pas mettre la moindre importance à Céphalonie. J’en suis fâché pour ces pauvres grecs, qui certainement seront rudement punis. Les Anglais sont d'admirables égaux et de terribles maîtres. Avez-vous remarqué deux grands articles des Débats, l’un sur l’Autriche l’autre sur la Prusse ? Je serais assez curieux de savoir ce qu'en pense M. de Metternich s'il pouvait ne pas vous le dire si longuement.
Adieu, Adieu. Je ne sais rien de précis. Mais je suis sûr que le Cabinet est plus content de ses nouvelles de Rome. Adieu. Je ramasse toutes les petites choses que j'ai à vous dire ; mais je ne vous dis pas les grandes, c’est-à-dire la grande. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond dimanche 16 septembre 1849

J'ai oublié de vous dire que Lord John parle beaucoup & fort mal de Radoviz. Il parait que c'est l'homme puissant au jourd’hui. Collaredo qui était chez moi hier le défend en disant qu'il fait son devoir de prussien, et qu’à ce point de vue sa conduite est habile et fera aboutir. Personne ne se fait une idée exacte de ce qui ressortira de ce travail en Allemagne, mais évidemment on s’arrange. Les deux grandes puissances s'entendront et la Prusse aura la part d’influence prépondérante qui lui revient. Je crois à deux portions nord & midi unies pas un lien fédéral. Le grand duc Michel était à l’agonie il y a huit jours. Le comte Nesselrode me l'écrit. Son désespoir pour sa femme, & le désespoir de l'Empereur pour son frère sont extrêmes. Cela jette un voile bien lugubre sur ce que devrait être les jours de Varsovie. L'Empereur ne quitte pas le lit de son frère.
Lundi 17. Sept Le journal m'annonce la mort du grand duc je suis sûre que sa femme a trouvé le moyen de se conduire très sottement à cette occasion. C'est une femme de beaucoup d’esprit avec pas l'ombre de tact et une absence de cœur complète. Lord John est malade, mais je le vois. Hier il me faisait l’éloge de Lord Aberdeen. Beaucoup pour moi. Développant tout son mérite politique, grandes vues. Vues générales. Homme plein de sens, de tenue & & & Vous entendez cela. Il approuvait seulement, dit-il, une bévue, le mariage espagnol. Comment bévue ? Mais s’il était resté le mariage ne se faisait pas. Et alors, les preuves. Il a tout écouté sans contester. ces conversations m’amusent & je crois lui aussi. Mais je pense que nous ne faisons pas grande impression l'un sur l’autre. La vieille princesse [Crasalcoviz] est partie ce matin, elle passe une semaine à Londres et puis Paris. Je regrette de voir disparaître une pièce d'une si petite réunion. A propos hier Lord John me faisait un grand éloge du Duc de Broglie, décidemment il l’aime, outre qu'il le respecte.
1 heure. Voici vos deux lettres de Broglie. Merci merci, & adieu bien vite, car lady Allice est là qui me prend mon temps ; elle part for good. Adieu. adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie. Dimanche 16 sept 1849 8 heures

J’ai un soleil superbe, un beau gazon, une belle vallée, et une belle forêt devant mes yeux. Je voudrais vous envoyer cela. C'est moins bien tenu que Richmnond. La Tamise n’y est pas et la main de l'homme y a moins fait. Mais la nature est aussi riante, et plus grande. Personne que nous ici, et un ancien député conservateur, M. Galos, beau-frère de Piscatory, galant homme, réactionnaire ardent, que ma conversation relève un peu de l'abattement où le jette celle du Duc de Broglie. Je crois que Piscatory viendra la semaine prochaine. Ils ont cru un moment qu'ils convoqueraient l’assemblée. Mais il n’en sera rien. Le Cabinet fait de son mieux pour ne pas se disloquer et le public l’y aide. Le plus probable paraît toujours une modification partielle ; MM. Benoît. Piscatory et Daru entrant aux finances à la Marine et aux travaux publics à la place de MM. Passy, Tracy et Lacrosse. Ne prenez pas cela pour ma propre opinion. Je n'en sais rien. C'est ce qu’on me dit.

Voilà votre lettre. Je ne vois et n’entends rien, absolument rien, qui confirme ce que Lord Normanby attribue au Gal Changarnier, sur une nouvelle bataille dans les rues. Tout le monde dit toujours que tout est possible. Mais personne ne croit à cela. C'est le procès des Ledru Rollin, Felix Pyat &&, annoncé à Versailles pour le 10 octobre, qui fait dire ou supposer ce que mande Lord Normanby. Et en effet, il se pourrait bien que les rouges, à cette occasion, fissent un peu de train. Mais les forces sont énormes à Versailles comme à Paris, et je ne puis découvrir aucune inquiétude, tant soit peu sérieuse de ce côté. Sachez bien que la position de Lord Normanby est plus ridicule qu’elle nait jamais été. Sauf ce qu’il dit de la part de l’Angleterre, personne ne le prend une minute au sérieux lui-même, ni ce qu’il dit ; ni ce qu’on lui dit. Le Marquis Italien est son nom populaire. Et les Italiens n’ont pas grandi depuis dix-huit mois. Ni les marquis. Les intrigues intérieures, du Cabinet à propos de l'affaire de Rome, les lettres, réponses, répliques, contre lettres de tout le monde, et la santé de M. de Falloux, voilà les seules choses qui préoccupent le public qui s’occupe d'autre chose que de ses affaires privées. Le Duc de Broglie persiste à croire que de tout cela, il ne sortira pas même une vraie crise ministérielle. Et je vois qu’il n’est pas seul de son avis car je lis dans une lettre d’un correspondant assez spirituel au journal Belge l’Emancipation : " La question romaine est déjà bien loin. Ce n'est plus de la guerre que l’on s'effraye ; c’est d’une crise à l’intérieur. Allons, vite, qu’on s'embrasse ; voilà ce que c’est que de trop parler. On a failli se brouiller pour avoir dit que l'on était d'accord. Dans les temps où nous vivons, il est bien permis de s'injurier de se diffamer de se calomnier, de se renier, de se trahir. Mais ce n’est pas une raison pour se brouiller. Au contraire." Du reste, je regarderai avec soin du côté où l'on vous montre un point noir.
Adieu. Adieu. Demain est encore un bon jour. Mais après-demain mardi, rien. Adieu. Adieu G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond samedi le 15 septembre

Lord John est fort préoccupé de Paris et de Rome. Nous discutons longuement. Il désapprouve beaucoup la lettre du Président, et comprend tous les embarras auxquels cela entraine au dehors comme au dedans. Toute cette affaire atteste bien de l’inexpérience & de la légèreté de la part de tout le monde. Nous avons passé à la Hongrie. Lady John fait les vœux les plus ardents pour les Hongrois Kossuth & & Encore ? Oui encore. C’est vraiment trop bête. J’ai vu Metternich, il ne fait plus autre chose que rabâcher. Impossible de redire parce que ses paroles sont absolument vides ; il envoie un courrier à Vienne aujourd'hui avec un long mémoire sur les affaires. Je pense que Schwarzenberg en dira ce que je vous dis. J'évite Metternich à présent, parce que l'ennuie est sans compensation aucune. J'aime bien mieux sa femme. Elle était chez moi hier matin pâle de colère, et la bouche pleine d’invention contre Lord Palmerston. J'ai bien ri, surtout lorsque elle s'arrête tout court devant une expression sans doute trop énergique. Je lui demande quoi donc ? - " Non, je ne puis pas dire cela, c’est trop polisson." Lady Holland était chez moi. Elle ne me dit rien, absolument rien de nouveau sur Paris, elle a l’air malheureux & triste. Elle dit qu'elle n’a vu personne que Jérôme Bonaparte. Il est en meilleur termes avec son neveu. Les Holland retournent à Paris. Lord John attend les prochaines nouvelles de Céphalonie sans inquiétude. Il dit que le mal est provenu de ce qu'après le premier mouvement insurrectionnel en mai dernier le gouverneur général, Lord Seaton qui est un Tory a proclamé une amnistie entière, ce qui est une bêtise, que le gouvernement de Céphalonie. M. Ward, un Whig, ne sera pas si bête, il fera pendre et ce sera fini. C’est impayables ! Les Palmerston sont en Hertfordshire chez Cowper. Il me semble que le corps diplomatique est parfaitement délaissé à Londres. Voici votre lettre avec extrait de Piscatory. C’est un esprit [?] & qui est resté doctrinaire. Je vous en prie ne le redevenez pas. Adieu. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond vendredi le 14 septembre 1849

J'ai vu hier lord John. Mauvaise nouvelle de Paris, Le général Changarnier a dit à lord Normanby qu'on se battrait encore vers la fin d’octobre. Que faire que devenir ? Molé est un critique de la lettre du Président. Il approuve le fond, mais pour tout le reste il dit que c'est le bon moyen de ne pas arriver à son but, et que l’affaire est complètement manquée par la France. Certitude que Molé prendra les affaires ; lui, Thiers, Falloux. Falloux l'homme important de France, car il dispose de toute la portion religieuse du pays. Conviction intime qu’on passera à l’Empire. J'ai eu à dîner chez moi Hier lady Allice, Mad. de Caraman, Lord Somerton & [?] Byug. Le soir comme de coutume chez Delmas de la musique. Cet aveugle m'a remis entrain. C’est son seul plaisir, et à force de jouer, je reprends ma mémoire et mes doigts. Le temps est devenu froid, je m’y résignerai avec plaisir si cela nous débarrasserait du choléra. Lady Holland est décidément arrivée, mais on dit que le mari n'a jamais été malade. Elle ne m’a pas donné signe de vie encore.

1 heure. Quelle intéressante lettre que la vôtre du 11 & 12. Paris se complique, & certainement il y aura des bourrasques, peut être des orages. Cela m'importe peu tant qu’il n’y a pas d'orage dans la rue. Je ne connais pas de bon contré parapluie contre cela Vous me paraissez si bien au courant que vous saurez me dire quelque chose ainsi sur les projets des rouges. Adieu. Adieu Les yeux vont mieux, comme vous voyez, mais il faut que je les ménage beaucoup. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie, Vendredi 14 Sept 1849 4 heures

Nous revenons d’une longue promenade, tous ensemble sauf Melle Chabaud qui ne peut marcher ni vite, ni longtemps. Nous causons beaucoup. Je crois que ma visite leur est très agréable. C’est du mouvement porté chez les gens qui l’aiment et qui ne savent pas s’en donner. Nous connaissons, vous et moi, ce genre de succès.

Samedi 15, 7 heures
J’ai été interrompu hier par des visites qui m'ont retenu jusqu'à l’heure du dîner. Je m’aperçois ce matin que c’est samedi et que j'ai mis hier ma lettre à la poste comme si vous pouviez l'avoir demain. Peu importe du reste. Le Duc de Broglie ne désespère pas au fond, autant qu’il le dit et qu’il le croit. Une idée le préoccupe constamment, et c’est une idée d'avenir. Comment faudrait-il reconstituer le Gouvernement si on avait à le reconstituer, mettant de côté la question du nom propre de ce gouvernement. Faire un bon lit, n'importe qui doive y coucher. Son avis est qu'on obtiendra beaucoup plus avant qu’on ne ferait après, en fait de garanties d’ordre, et de pouvoir. Parce que tant qu’il ne sera pas question de nom propre, tout le parti conservateur sera uni. Parce que, sous le manteau de la République on ira plus loin que sous aucun autre en fait de conservation. Parce qu'il faut que le gouvernement qui devra durer, trouve, quand il viendra, ses affaires essentielles toutes faites, faites par la France elle-même, sous sa responsabilité nationale, et ne soit pas obligé de les faire lui-même, et de répondre de la solution des questions. Le Duc de Broglie cherche donc la solution de toutes les questions constitutionnelles, la meilleure solution possible. Il ne croit pas qu'on révise la Constitution bientôt, ni par des coups d'Etat ; mais il ne croit pas non plus qu’on s’expose à une nouvelle épreuve de la constitution actuelle à la réélection d’une assemblée et d'un président par le suffrage universel, tel qu’il est établi aujourd’hui. Aux approches de cette épreuve-là, on prendra son parti de sauter le fossé plutôt que d’y tomber. 10 heures Je ne m'étonne pas que la malle ne soit pas arrivée en Angleterre. Nous avons vécu quatre jours au milieu des orages. Cela se calme.
Si les Holland sont en Angleterre, pourriez vous éclairer ceci ? Le Duc de Broglie était très lié avec eux et allait sans cesse à Holland House pendant son dernier séjour à Londres. Dés qu’il les a sus à Paris, il est allé les chercher et ne les a pas trouvés. Ils ont mis simplement une carte chez lui et il n’en a plus entendu parler du tout. Il ne comprend pas. Ils ne vivent, dit-il, que sur la frontière la plus rapprochée des rouges, et avec Jérôme Bonaparte. Il suppose que la froideur vient de là. La rigueur envers Gilberti est en effet un peu drôle. Pendant qu’Albert de Broglie, était encore à Rome, Gilberti y est venu. Le Pape l’a reçu, complimenté, embrassé, comblé. Et son livre avait paru. Les gouvernements oublient trop qu'aujourd’hui on n'oublie rien sur leur compte du moins. Ils sont condamnés à plus de prévoyance, et de conséquence que n’en comporte peut-être la faiblesse humaine.
A cela près du contraste trop choquant, je trouve fort simple que le Pape mette à l’Index, les livres, qu’il trouve mauvais et dangereux. C’est de sa part une simple déclaration de son jugement qui ne coûte pas un cheveu aux auteurs, et un avertisse ment à la conscience des Catholiques qu'il a charge de diriger. Quand on interdit au Pape l'index, et qu'on lui commande un gouvernement libéral, on lui interdit tout simplement d'être le Pape. Adieu. Adieu. Je suis préoccupé du Choléra de Londres. Celui de Paris est stationnaire. Adieu. G. Je n’ai pas su lire le nom de Lord .... avec qui vous avez dîné chez Lady Alice. Je trouve pourtant votre écriture meilleure que vos yeux ne se comportent.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie. Vendredi 14 sept 1849 sept heures

Vos yeux me désolent, pour vous et pour moi. J’ai lu votre lettre hier, en arrivant ici, avec regret pour ce qui n’y est pas, avec remords pour ce qui y est. Vous vous fatiguerez et vous me direz si peu ! Ne pourriez-vous pas, si cela se prolongeait, vous faire prêter Marion pour huit jours, quinze jours ? Un service positif à demander pour une raison claire et pour un temps déterminé cela se peut. Je cherche, je voudrais tant imaginer quelque chose qui vous soulagent, el qui m'assurât de nos lettres. Quel malheur d'être loin !
Je ne suis pas rentré ici sans émotion. J’y étais venu, pour la dernière fois, en septembre 1838, au moment de la mort de la Duchesse de Broglie, il y a onze ans. Je l'ai vue morte sur son lit, le 27 ou le 26 septembre, je crois. Le lieu est toujours beau. La jeune femme qui l'habite aujourd’hui est jolie et gracieuse, et semble prendre, à ce qui se passe et se dit autour d'elle un intérêt intelligent. Mais la différence est grande. Est-ce qu’il y a vraiment du déclin dans les personnes comme dans les choses, ou seulement du déplacement ? On mène ici une vie à peu près semblable à celle du Val-Richer, déjeuner à midi dîner à 7 heures On se couche à onze. C’est un peu plus tard que mon habitude. Je remonterai chez moi à 10 heures, si plus tard me dérange. Je ne veux par interrompre, mon travail pendant quinze jours. J’ai un bon appartement avec une vue charmante. Il fait presque froid. J’ai un bon feu. Je viens de me lever. Je prendrai du thé dans ma chambre avec du beurre à 9 heures et demie ; votre déjeuner. Je ne descendrai qu’à midi. On est fort libre tout le jour. On fait une promenade, ensemble s’il fait beau.
Voilà votre lettre d'avant-hier. Quel bonheur. Je n'espérais pas la poste sitôt. Elle arrive à 7 heures et demie, et repart à 2 heures Et une longue lettre que je lis presque sans remords puisque vos yeux vont un peu mieux. Je m'inquiète pourtant, vous n'auriez pas du m'en écrire si long. Je tiens plus à vos yeux qu'à la politique de Lord John, et de Lord Ponsonby. Merci mille fois. Lord Ponsonby est curieux. Comorn se rendra comme, le reste. Ce ne sont plus que des malheurs particuliers de l'héroïsme perdu. C’est grand dommage ! Il y a des pays où l'on emploierait si utilement ce qui n’est bon à voir là. Le Duc de Broglie est convaincu que l'affaire de Rome tombera à plat comme toutes les autres. Personne ne sortira du Ministère. Personne, en y restant, ne poussera rien un peu loin. Les légitimistes veulent que M. de Falloux reste ministre et leur fasse faire une part un peu plus grosse dans le pouvoir. Les conservateurs ne pensent qu'à rester tranquilles, pourquoi ils laisseront tout le monde, tranquille, président et ministres. S’il faut rester à Rome avec ou sans le Pape, on y restera. S’il faut s’en aller de Rome, et que d'autres y viennent, ou s'en ira et on les laissera venir. Je me méfie d’une despondency, si absolue. Je suis certes bien loin aujourd’hui d'espérer beaucoup de mon pays. Mais je le connais. Il a des retours subits qui mettent fin brusquement à ses plus profondes léthargies. Je me suis trompé pour m'être fié à sa sagesse. Ceux qui se fient à son abattement se trompent de même. Il me paraît pourtant probable que Dufaure résistera aux attaques dirigées contre lui, et que le Cabinet ne sera que partiellement modifié. Personne, je vous le répète, ne croit ce que croit Morny. Cependant ce qui est le probable, n'est pas tout le possible.
Plusieurs de mes journaux me manquent ce matin. Adieu, adieu. J’espère que votre lettre, qui me fait tant de plaisir, n'aura pas fait de mal à vos yeux. Adieu, adieu dearest. G. Je suis bien fâché que Lord Beauvale ne revienne pas de Richmond.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond jeudi 13 septembre 1849

Jai vu hier lord John ; il me paraît parfaitement convaincu que vous allez à l’Empire. " Très préoccupée de Rome. Je lui ai lu votre lettre à ce sujet, il est fort approbatif, cependant j’ai cru voir qu’il ne regarde pas comme impossible de faire vivre la papauté avec un Parlement. Ce parlement ne s’occuperait pas des finances par exemple. Lord Minto était présent. Il a retrouvé dans votre lettre tout ce que Rossi lui avait montré, dans ce temps de votre correspondance. Très peu d'espoir du côté du Pape. Excellent homme, sans esprit. Enorme indignation de [?] de publier certain livre de Gioberti. Gioberti reçu par le pape avec tant de bonté, il y a un an encore. Enfin on voit un parti pris de réaction violente et cela amène à toute extrémité. Les français ne peuvent pas. reculer. Enorme embarras. Normanby a été à Champlatreux il y a rencontré Odilon Barrot. Le général français va nommer une commission de gouvernement à Rome, pour s'opposer aux cardinaux. Voilà tout John Russell hier.
J'oublie évidemment de l’inquiétude de cette réunion des mauvais esprits de tous les coins de l'Europe à Londres. Liaison intime et patente entre eux & les Chartistes. Travail pour révolutionner partout. Céphalonie n'inquiète pas beaucoup. Je voudrais que les anglais passassent par l'épreuve d’une insurrection. Comme ils y iraient rondement ! J’ai dîné hier chez lady Allice avec lord Somerton. Aujourd’hui l'on dîne chez moi. J’ai vu Mad. de Metternich. Son mari ne dit aucune opinion il est perplexe. Il ne croit pas que le pape cède. Evidemment Vienne a les Russes en horreur. On ne nous pardonne pas notre secours. Avez-vous remarqué la sécheresse de nos pièces officielles ? Exécution très froide de l’Autriche, ou pas d'exécution du tout. Je n’ai plus vu les Collaredo depuis quinze jours. Auparavant ils venaient au moins une fois la semaine, Metternich ne sait où aller, je crois que ce sera Bruxelles. 1 heure. Ni lettre, ni journaux ce matin. La malle n’est pas arrivée, peut être gros temps sur mer. Je ferme donc sans avoir eu mon plaisir. On me dit que lady Holland est partie en toute hâte de Paris pour venir trouver son mari malade du choléra à Holland house. Je saurai dans la journée si c’est vrai. Adieu. Adieu.
Le temps est à la pluie, beaucoup de vent, cela ne va pas à mes yeux. Adieu. On me dit que le duc de Bedford est devenu très protectionniste. Lord Palmerston avait auprès de Kossuth un commissaire appelle Wight. Je demanderai à John Russell s'il savait cela.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Mercredi 12 sept. 1849

Les yeux vont un peu mieux. Mais j’écrirai peu. Voici ce que mande Lord Ponsonby : " nobody here cares one reach what all the goodies in England ta hef say as advice to be listen to, but great disgust is created by it, and entre nous. [?] there may be source danger of desagreable results." Ceci est tout frais. Lord John a épluché devant moi la lettre du Président à M. Ney. Il voulait trouver les quatre conditions exigées, très élastiques et peu compromettantes. Cela me semble difficile. Au reste il critique la lettre beaucoup dans la forme, dans le fond & ne comprend pas comment on se tirera de toute cette affaire. Je n’ai pas vu M. de Metternich, je ne sors pas. Morny m’avait dit sur la composition de l’Assemblée à peu près ceci. De 150 à 170 rouges. 150 légitimistes, 50 légitimistes exagérés, une quarantaine de flottant & ce bagage passant aisément aux rouges. Les vrais conservateurs en minorité. Grande majorité s'il s'agit d’ordre. Fractionnant immédiat s'il s’agit de forme de gouvernement ou de tout ce qui y mène. Impossibilité de rien entreprendre par le moyen de l’Assemblée actuelle. Morny reviendra dans huit jours, je chercherai à mieux fixer les chiffres.
Aberdeen a eu de longues conversation avec Lord John à Balmoral. Il me dit. (J'abrège) "We talked freely of every thing. Without naming his colleague we certainly talked of various matters in astrain to which he would not have [?] at the same time I think Lord John is radically disposed, but corrects his radicalism by his policy and prudence. his colleague is not naturally dispond to radicalism but being without political principles freely of every thing. Without naming his colleague we certainly talked of various matters in astrain to which he would not have [?] at the same time I think Lord John is radically disposed, but corrects his radicalism by his policy and prudence. his colleague is not naturally dispond to radicalism but being without political principles principles yields at once to the passion or interest of the moment. The proportion as the world is rettering to his senres, his failures become more manifest." Voilà beaucoup pour mes yeux. Je finis Quel dommage que je ne puisse pas tout conter. P. E. la dépêche de Lord. Palmerston à John. Mais c'est si long. Voici : Rough Sketch " il y a le probable & le possible (comme cela ressemble à Metternich). Probable vous battrez les Hongrois. Possible vous serez battus par eux. Alors quoi ? Ne risquez ni le probable ni le possible. Arrangez vous tout de suite. Donnez indépendance && " Adieu. Adieu, si vous me donnez des yeux, je vous amuserais davantage. Adieu Adieu.
J’ajoute encore. [?] ne veut pas se rendre. Les autres l’attaqueront avec toutes leurs forces. La Prusse n’est pas assez forte pour faire sa volonté en Allemagne. L'Autriche qui ne veut pas de ce que veut la Prusse n'opposera que son vote et son inertie. Mais si la Prusse employait la force alors Autriche, Russie & &France tout serait là pour s'opposer. Voilà ce que mande Lord Ponsonby.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 12 Sept. 1849 3 heures

Je pars demain à onze heures pour Broglie, après l’arrivée de la poste qui ne m’apportera rien de vous. Je vous ai dit de m'écrire là hier. J’aurais pu retarder d'un cour. Je compte bien trouver votre lettre-là, en arrivant à quatre heures.
Voici de longs extraits d’une lettre de Piscatory qui m’arrive ce matin. Je vous l’enverrais si vous aviez des yeux pour lire cette infernale écriture. " On vient de me demander, et je viens de refuser d’aller à Berlin. Je ne suis pas de ceux qui couvrent avec de la dignité et de la fidélité, la nonchalance et la crainte de la responsabilité. Mais ce qu’il y a à faire à Berlin, quoique considérable, ne me plait pas, et ne me semble pas avoir une chance suffisante de succès. Aux yeux du public, Berlin est un poste, non pas une affaire actuelle et déterminée. Le choix et l'acceptation ne s'appliqueraient pas. Cependant je passerai par là dessus, si je croyais que le Roi de Prusse et les sujets, jacobins et caporaux, pussent être détournés de la voie dans laquelle ils sont engagés et où Palmerston les entraine. Mais je crois qu’on aura beau faire les derniers efforts pour les retirer ; en échouera. Alors la mission se borne à une observation plus ou moins intelligente. On a mieux à observer à Paris qu'à Berlin. Pour vous prouver que ce n’est pas la peur qui m'arrête, je vous avouerai que si on m'offrait Rome, j'aurais bien de la peine à m'empêcher de courir cette très chanceuse. aventure. " Viennent des détails sur la lettre du Président. Moins précis que ceux que je vous ai donnés : " Barrot explique la lettre en disant que c’est l’épanchement d’un jeune Prince qui cause avec un serviteur fidèle. Qu’il vienne dire cela à la tribune, et les plus modérés des républicains jetteront de beaux cris ... En lisant dans le Moniteur le démenti donné par Falloux à la note communiquée à la Patrie, j'ai cru le Cabinet détraqué ; mais on me dit ce soir que Falloux reste. Je ne sais si on viendra à bout d’apaiser tout cela ; mais certainement, quand l'Assemblée reviendra, l'affaire reprendra sa valeur pour désunir le majorité. Evidemment Dufaure l'emporte ; la lettre est à son profit et sur les consuls généraux il a eu influence. " Raisonnements pour établir que cela est inévitable, et qu’il faut lisser, M. Dufaure tranquille. " Nous devons, travailler à remonter le courant en nageant à côté du bateau, et non pas en ramant dans le bateau. Et d'abord est-il bien sûr que nous soyons décidés à ramer ? Thiers y répugne beaucoup. M. Molé n'a qu’une envie de femme grosse, ou plutôt il a appétit parce qu’il prévoit le moment où il n'aura plus de dents pour manger. " Les gros bonnets ainsi écartés, vient une question. " Peut-être est-il vrai que nous devrions avoir notre part dans le Cabinet. Je ne crois pas que cela fût difficile. Mais si les gens de mon opinion et de ma mesure y entrent un jour, je leur prédis que ce sera en victimes dévouées. " Je vous fais grâce des gémissements de la victime. Elle finit par me demander mon avis sur son sacrifice. Il doute que sa qualité de membre de la commission permanente, lui permette de venir me voir à Broglie. Je compatis fort aux embarras de l’Autriche point aux vôtres avec elle. Persistez dans votre très bonne conduite ; allez-vous en et tenez-vous tranquilles. Vous y grandirez encore, et l'Autriche délivrée de votre poids, pourra respirer et se relever. Il me semble que M. de Metternich doit regretter de ne plus gouverner son pays dans ce moment. C’est un grand moment. Sans doute il est fort dur d'avoir été sauvé ; mais c’est beaucoup d'être sauvé. Et d'ailleurs l’Autriche s'est si bien sauvée elle-même en Italie qu’elle peut le consoler de n'avoir pu en faire autant partout.
Pourquoi cherchez-vous une maison pour Lord Beauvale? Est-ce qu'il va revenir à Richmond ? J'apprends ce matin la mort d’un bon homme, l’évêque de Norwich. Rien étourdi et bruyant pour un évêque. Mais très honnête et très bon. Ami intime de mes amis les Boileau, qui en sont désolés. Je suis bien aise que Madame de Caraman vous soit bonne à quelque chose.

Jeudi onze heures
Adieu, adieu. Je pars. Je vais chercher votre lettre. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond mardi 11 7bre

Je suis bien malheureuse des yeux inflammés. Je vous écris les yeux fermés. Je ne vous dirai que deux mots. Quelle misère. Et tant à dire ! Ah si vous étiez ici. J’ai vu lord John hier résigné mais pas content. Aberdeen a eu avec lui de longues conversations. Il me l'écrit & John me le dit. D'abord sur les questions générales. Nicolay est venu dîner avec moi hier. Scharzenberg n’a pas encore répondu à la dépêche de Palmerston. Cette dépêche était d'une longueur assommante. Une de ses plus pauvres productions. Fould est parti ce matin for good. Beauvale ne vient plus. C’est rompu. Le grand duc Michel allait un peu mieux. Mais on ne le sauvera pas. J’ai vu hier aussi mon fils, à Londres 450 morts du Choléra dans un jour. Comme je suis triste de mes yeux. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, mardi 11 sept 1849

4 heures

Voici l’histoire de la lettre du Président sur Rome. Il l’a écrite lui seul. Puis il l’a montrée d'abord à M. de Tocqueville, qui s’est un peu effarouché, et a fait des objections. Le Président a réfuté les objections et soutenu sa lettre ajoutant d'ailleurs, qu’elle était partie. La conversation a continué entre eux et Tocqueville entrainé, moitié par les raisonnements, très obstinés (du président) moitié par l'autorité du fait accompli, a fini par se rendre et par approuver la lettre se réduisant à demander qu’elle fût montrée au Conseil. Le président y a consenti ; le conseil a été convoqué et la lettre montrée. Tous les ministres présents, sans exception ; nommément M. de Falloux. Tous, ou presque tous, ont répété les objections de M. de Tocqueville. Tous sont revenus au même point, à l’approbation de la lettre partie. Le Président a bien constaté cette approbation. Puis, trois jours après, il a dit que sa lettre n'était point partie avant la délibération du Consul mais seulement le lendemain. Ils se sont regardés, et n’ont rien dit. Vous savez tout ce qui a suivi la publication de la lettre. On dit qu'elle a été écrite par l'inspiration de Dufaure. C'est vraisemblable, et tout le monde le croit. Le parti légitimiste a fait dire au Président, par un intermédiaire fort accrédité auprès de lui, qu'ils étaient bien fâchés mois qu'il leur serait impossible de voter pour lui, sur cette question, dans l'assemblée, qu’ils ne pourraient se dispenser de voter avec le petit parti catholique (30 ou 40 membres) qu’il s’était aliéné par sa lettre. Que la majorité courait donc grand risque d'être disloquée. Le général Changarnier blâme ouvertement la lettre et paraît, en tout, moins intime avec le Président. Les conséquences de ceci à l’intérieur, peuvent donc être grosses. Quant aux conséquences à l'extérieure, il faut attendre ce que diront le Pape et l’Autriche. Je doute qu'ils fassent comme les ministres du Président et qu'ils avalent la lettre parce qu'elle est écrite et publiée. Le rédacteur du journal légitimiste de Caen vient de m’arriver en hâte pour me dire que la réconciliation des deux familles était faite, que M. le Duc d’Escars le lui écrivait positivement, et que son journal l’annoncerait demain. Ils sont évidemment en grand travail pour faire faire, et surtout pour faire croire. On dit que M. de Montalivet, agit fort dans ce sens. Vous en revient-il quelque chose ?
Autre bruit de Dieppe. Thiers a fait une longue promenade en mer, dans un bon canot, avec trois hommes sûrs. Il a rencontré au large M. le Prince de Joinville, et ils ont passé deux heures ensemble. L’attaque contre Dufaure, pour sa répugnance à écarter les fonctionnaires rouges au quasi-rouges, sera très vive. Chacun a des faits choquants à citer. La coïncidence de deux attaques vives sur la politique du dedans, et celle du dehors, fera plus que doubler l'effet. Le cabinet peut sortir de la mort, et le Président blessé. Je ne rencontre personne qui croie au dire de Morny sur Thiers et Molé prenant le pouvoir. Le choléra devient plus rare à Paris. Toujours grave quand il vient, mais plus rare. On dirait aujourd’hui qu’Odilon Barrot, en était atteint. Ce qui est sûr, c’est qu’il a été assez souffrant pour demander instamment qu’on le laissât. tranquille pendant huit jours, sans lui parler de rien, dans sa maison de campagne de Bougival. Il y était en effet quand la publication de la lettre du Président est venue l’en tirer. M. de Villèle est fort malade, dans sa terre près de Toulouse. Plus malade encore d'esprit que de corps. La tête très affaiblie, presque en enfance. Il n'a que 75 ans. M. Ravez sera remplacé à l'Assemblée par son fils. Il me semble que j'ai vidé mon sac. J’ai eu du monde toute la matinée de Paris, Trouville et Caen.
Lady Anna Maria Domkin est partie ce matin. Encore un orage tout à l'heure. Mercredi 12, huit heures Toujours la pluie, et assez froid. J’ai eu hier un assez bon échantillon de la disposition des fonctionnaires qui servent ce gouvernement-ci. Le Préfet du département est venu me voir. Il n’était pas encore venu, moitié par lâcheté, moitié à cause de la session du Conseil général. C’est un homme sensé, intelligent, honnête tout cela dans la région moyenne, et préfet sous la monarchie. Il a l’esprit très libre, et la langue assez libre sur toutes choses, y compris toutes les personnes. Il m’a raconté le séjour du Président au Havre où il était la session de son Conseil Général, les circulaires des Ministres, les discours en promenade de M. Léon Faucher, en spectateur qui ne prend pas grand intérêt au spectacle et n'admire pas beaucoup les acteurs. Les hommes de ce temps-ci ont l'art d'avoir de l’impartialité sans indépendance et de la liberté d’esprit sans dignité. Au fait, ce n’est rien de plus que la nature humaine, déshabillée et courbée par des coups de vent trop forts pour elle.

Onze heures
Ménagez vos yeux. C'est beau à moi de vous dire cela en présence d'une lettre un peu courte. N'importe ; ménagez vos yeux, et adieu sans fin. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 11 sept. 1849

Nous ne sortons pas ici des orages. Mais soyez tranquille ; je ne me laisserai plus mouiller. Je n’avais vraiment pas eu grand tort d’oublier mon parapluie ; il faisait très beau depuis plusieurs jours, et pas la moindre apparence d’un changement de temps. Je ne me croyais plus à Londres. Je vais à Broglie après-demain 10. Je serai de retour au Val Richer le 22. J’ai promis de passer là quinze jours. Je ne veux pas me déplacer, ce qui est toujours un peu cher, même pour aller si près pour trois jours seulement. J'y vais avec mes enfants. Melle Chabaud qui est ici, est également invitée. Si vous venez à Paris à la fin de septembre, j'irai vous y voir dans les premiers jours d'Octobre, après mon retour au Val-Richer. Vous voir, quel bonheur ! Mais ne vous voir que pour vous quitter si tôt! Je devrais être fait aux sentiments combattus. Ma vie en a été et en est pleine. Je ne m’y accoutume pas du tout. Je suis vieux ; mais je jouirais encore, si vivement du bonheur complet et simple !
Duchâtel a quitté Paris, assez ennuyé et toujours perplexe. Il voudrait bien n'avoir ni doutes d’esprit, ni embarras de décision, voir toujours clair et être toujours sûr du succès. La prétention du Sybaritisme dans la vie commune est déjà beaucoup ; mais dans la vie publique, c’est trop. Du reste, je sais qu’il se promet beaucoup d’agréments de votre salon à Paris cet hiver " un salon neutre, dit-il, où nous verrons tout le monde et où nous pourrons dire notre avis à et sur tout le monde, sans nous gêner. " Les légitimistes se disent, et ont été, je crois vraiment très fâchés, que Madame la Duchesse d'Orléans et M. le Duc de Bordeaux, aient passé si près l’un de l'autre pour rien : " Mais c’est donc un parti pris, disent ils, de ne pas se rencontrer. Si nous l'avions su M. le comte de Chambord aurait attendu. C'est sûr." M. Véron parle bien de M. le comte de Chambord : " Intelligent et sympathique" ce sont les expressions.
Onze heures Voilà, mon triste courrier du Mardi. Il ne m’apporte rien de Paris. Mais j’aurai des visites ce matin. Adieu. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Lundi le 10 septembre 1849

Imaginez que je n’ai pas trouvé une seule minute hier pour vous écrire. Il faut commencer par dire que mes yeux me tracassent depuis quelques jours, j’ai écrit une longue lettre à l’Impératrice. J'avais une longue imagination et avec un agent, pour une maison pour Beauvale, un déjeuner chez la duchesse de Glocester. En rentrant de là, Morny & Harry Vane ; un bout de promenade, & le dîner, & la lampe, alors tout est fini comme occupation. Ces deux Messieurs sont partis ce matin. Morny reviendra d'Ecosse dans dix jours. Il me paraissait inquiet de l’opinion qui se produirait à propos de la lettre du Prince à M. Ney. Elle est certainement inconstitutionnelle, & très impérative. Si elle atteint son but il aura en raison. Les embarras de l’Autriche vont être bien grands. Quoiqu'on dise de la bonne intelligence entre les Empereurs, & leurs cabinets respectifs, cette affaire de Hongrie laissera un long ressentiment. Nous sommes vraiment trop puissants et l'effet moral de notre conduite dans les provinces autrichiennes tourne bien en défaveur de gouvernement. Ce n’est pas notre faute. Nous retirons notre dernier soldat ; Nous sommes irréprochables, c’est sans doute notre tort. L’Allemagne s’arrangera Je crois. Mais l’intérieur de l'Empire autrichien c'est une autre affaire. Lord John Russell est revenu. Je ne l’ai pas vu encore. Lord Beauvale me parait en train de se brouiller avec sa sœur, elle est partie. Le mari & le frère sont à Londres.
Savez-vous que Madame de Caraman est pour moi une vraie ressource. Elle a plus de fond qu’il n’y parait. La vieille princesse part un peu piquée. Elle croit que je ne lui trouve pas assez d'esprit. J'attends demain ici Lady Allice au Star. Elle n’a plus sa maison. Voici votre lettre, très intéressante. Une longue lettre d'Aberdeen Il avait passé trois jours chez la Reine. La reine ravie de nos soins les meilleurs sentiments longue conversation avec John Russell, dont il est assez content. J'y reviendrai, pour aujourd'hui je ne puis plus continuer. Mes pauvres yeux ! Adieu Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche, 9 sept 1489 4 heures

Les visites s'en vont et je viens à vous. J’avais là tout à l'heure, mon ancien préfet, M. Bocher, aujourd’hui membre de l'Assemblée , beau frère de Gabriel Delessert. Il a été bien étonné quand je lui ai dit qu'on me disait que Thiers allait entrer avec Molé. Cela lui parait un grand et invraisemblable abaissement. Il est, lui, à ce qu’il m’a paru, plutôt pour le maintien du Cabinet actuel, un peu modifié. Gabriel Delessert vient d'arriver à Trouville avec sa femme malade, sa belle-mère malade. Il a eu son fils trés malade en Italie. Plus triste et découragé que jamais. La lettre du président sur le Pape ne réussit pas du tout. Ceux à qui elle plaît et ceux à qui elle déplait la trouvent également inconséquente, et le disent en souriant. Le Cabinet vient de l’épouser avec amour. L’article du Moniteur du soir est de M. Dufaure. Les journaux de la réaction un peu vive, dévots ou non dévots l’attaquent vigoureusement. L’Univers avec colère. L'Assemblée nationale. dit : " Nous ne voyons pas pourquoi demain le Conseil d'Etat ne réhabiliterait pas M. de Lesseps. C'est sa potitique qu’on adopte ; c'est sa diplomatie qu’on veut faire triompher aujourd’hui à Rome. " Cela deviendra une grosse affaire, très grosse dans l’Assemblée et en Europe.
Il est vrai que le Code Napoléon et le gouvernement libéral sont bien enfantins. C'est là mon impression de tous les moments ; ce sont des enfants, sans prévoyance et sans consistance. Si M. de Falloux n’est pas un enfant, il sera embarrassé. Comment n’a-t-il pas su ? Et, s'il a su, comment n'a-t-il pas empêché ? On ne peut agir sensément et efficacement à Rome qu'en agissant de concert avec l'Autriche. L’Autriche peut être raisonnable. Je me suis conduit d'après cette idée là. Et je suppose qu’elle est encore juste aujourd’hui. Regardez un peu attentivement, je vous prie, à tout ce qui va se développer dans cette affaire. Elle mérite votre curiosité. Je ne vous cite de la lettre de Montebello que cette phrase-ci : " J’ai lu dans quelques journaux que j’avais été au devant du Président jusqu'à Château Thierry. Je vous prie de croire qu’il n'en est rien, et que je n’ai pas commis cet excès de zèle. J’ai été, avec la plupart de mes collègues, le recevoir à Epernay où nous étions convoqués. "

Lundi 10. six heures Je plains l'Empereur. Perdre un ami est toujours affreux. Bien plus pour un Roi. Même pour un Roi égoïste. L’égoïsme ne sauve pas des tristesses de l'isolement. Vous m'avez toujours dit que l'Empereur était capable d'affection. Sauf son chagrin, il doit être content. Il a très bien réussi dans une très bonne politique. Il a fait preuve de sagesse dans la force et de force dans la sagesse. C'est le problème que Dieu donne à résoudre à tous les grands souverains et que bien peu résolvent. J'espère pour lui et pour l'Europe, qu’il persistera dans la même conduite et toujours avec le même succès. Je suis bien préoccupé de la réorganisation de l’Autriche ; aussi nécessaire à l’Europe qu'à elle-même. Belle occasion pour ce jeune Empereur d'être un grand homme. Le mot de votre Empereur à Lamoricière est excellent. Et Lamoricière n'aura pas compris que l'Empereur le louait trop. Ce qui fait qu'il n’aura point été embarrassé de l'éloge.

Onze heures
Les Adieu du lundi ne me consolent point du mardi je n'ai rien de Paris. Adieu adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, 8 Sept 1849 4 heures

La conversation de Morny est curieuse. Mais un seul fait est important : Molé et Thiers entrant au pouvoir. Pour le pays et pour moi-même, par les raisons patriotiques et par les raisons égoïstes, je le désire. Je suis sûr qu’ils feront beaucoup mieux qu’on ne fait et je doute qu’ils y grandissent beaucoup. M. d'Haussonville, qui vient de me quitter parce qu’il est obligé d'être demain matin, à Paris, croit le fait possible. Pourtant il en doute encore. La lettre du Président à Edgar Ney peut devenir un événement. Elle en est déjà un, car elle ne deviendra un dans toutes les hypothèses. Si le Pape cède, le Gouvernement français prend la responsabilité du gouvernement de Rome et doit rester là, longtemps du moins pour le soutenir, si le Pape ne cède pas, les Français finiront par quitter Rome, et les Autrichiens ou les Napolitains par les y remplacer. Grosse complication. La République française est condamnée à soulever des fardeaux qu’elle ne peut pas porter. Je penche à croire qu’au premier moment le Pape cèdera. Que dit le Prince de Metternich de ceci. J’en suis plus curieux que de sa feuille volante. sa petite lettre est spirituelle, et il a raison au fond. Si l’union devait rester dans les limbes là, elle ne serait que ridicule. Je serais bien trompé, si elle n’en sortait pas et ne devenait pas plus précise. Je reçois ce matin même des nouvelles de Piscatory ? " Rien ne se passe ici. Le Président a été vivement reçu dans son dernier voyage. Je ne crois pas cependant qu’il pense, ni qu’on pense pour lui à autre chose que ce qui est. Le pays refait un peu ses affaires; le pays de promène et chasse. Il ne faut pas qu’on le trouble dans cette illusion, et les Conseils généraux eussent été très mal venus à parler révision de la Constitution. Ils parlent impôts. C'est à peu près aussi grave, et peut-être plus dangereux. L[?] fait tout ce qu’il peut dans le Midi de la question des boissons. Il en peut sortir des orages. Vous allez à Broglie. Dites-moi quand. Je voudrais pouvoir m'échapper pour vous y joindre. J’ai beaucoup à vous dire, et bien plus encore à entendre. Il serait même possible que j'eusse un sérieux conseil à vous demander. " Les derniers mots sentent bien le cabinet. Je suis assez porté à croire que Morny a raison sur toutes les personnes. Je ne sais rien de Claremont. Je ne crois pas à l'Italie. Le Roi tiendra toujours à l'Angleterre. Rome n’est pas possible. On serait bien embarrassant à Naples. Il serait plaisant que Palerme fût le lieu de repos. La maison offerte ( je dis trop, n’est-ce pas ?) à l'Impératrice. La joie de la Reine d'Angleterre me plait. J’ai objection pourtant à ce ravisse ment du sans-gêne de la vie privée. C’est aujourd’hui la manie des Rois. Preuve qu’ils ne prennent pas leur métier assez au sérieux, ou qu’ils le trouvent trop lourd. à propos une hut, s'écrit une hutte.

Dimanche 9 - 7 heures
Quand vous reverrez Morny, si mes questions vous arrivent à temps faites-vous dire par lui je vous prie, 1° la statistique de l’Assemblée combien pour chaque parti à son avis ; 2° Quelle est, dans l’intérieur du parti légitimistes la force relative des [ ?] Berryer en tête et des pointus, MM. Nettement et du Fougerais en tête. Je suis curieux de contrôler, par Morny les renseignements qu'on me donne. J’irai à Broglie jeudi prochain 12. Ecrivez moi donc là, après-demain mardi, en réponse à cette lettre ci. Vos lettres m’arriveront le surlendemain comme ici. Au château de Broglie, par Broglie. Eure. Je serai de retour ici au plus tard, le 28 septembre. Adieu, adieu, en attendant la poste. Onze heures Merci de votre longue et intéressante lettre mais ménagez vos yeux. J'en reçois une de Montebello qui est à la campagne. Il vous a déjà dit; je suppose, ce qu’il me dit. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond samedi le 8 septembre 1849

Je vous que vous allez faire un assez long séjour chez le duc de Broglie. Y serez-vous seul, ou avec vos enfants ? Avez-vous chez vous Melle Chabaud ? J’ai vu hier chez moi Van de Weyer, Morny, & Lord Harry Vane qui passe quelques jours, à Richmond. C’est devenu un lien élégant. Lord & Lady Ashley sont ainsi au Star & Garter elle est très bien, le mari encore bien triste. Harry Vane revient d'une tournée en Allemagne, pays ruiné, démoralisé. Plus de voyageurs. Rien que des soldats là où en voyait jadis que les jolies femmes. Grande confusion d’idées, & de vœux. On ne sait ce qui va arriver. Morny se prolonge ici pour des affaires d’argent. J’en profite car il m’amuse. J’ai vu hier les Metternich. Je crois qu'il se décide pour Bruxelles. M. Fould part avec toute sa famille pour Paris. Morny le trouve bien Orléaniste. Morny dit qu'il n'y en a plus en France. Voici votre lettre, Madame Austin me parait avoir grand goût aux royautés. Voilà pourquoi elle trouve à Mme la duchesse d’Orléans, l'esprit si juste. C’est juste ce que je croyais qui lui manquait.
Vos affaires à Rome deviennent sérieuses. Mais au fait vous ne pouvez pas dument assister à là réaction. Les Cardinaux n'ont pas le sens commun. C'est la duchesse d’Orléans qui a tort dans sa querelle avec la duchesse de Cambridge. Elle a fait comme elle devait la première visite aux deux reines, & à la duchesse de Kent & Glocester. Pas de visite à la D. de Cambridge pourquoi ? Celle-ci parce que sa fille est marié en Mekenbourg. Mais ce devait être une raison de plus de venir. Adieu. Adieu. aujourd’hui. Je n'ai rien à vous mandez du tout. Et demain est Dimanche ; ce sera pire encore. Nous avons toujours notre ressource. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Vendredi 7 sept 1849

J’ai déjeuné hier avec dix huit personnes, quelques une venues de Rouen, de Trouville et de Paris. J’ai été frappé de l’uniformité de leur langage. Elles disent que, dans les villes, dans la bourgeoisie, Henri V et le comte de Paris ensemble gagnent beaucoup de terrain ; dans les campagnes, l’Empereur. Les paysans ne veulent de la légitimité, ni de la République. Je parie toujours, d’ici à assez longtemps, pour le statu quo, ou à peu près. Mais le sentiment de l’instabilité domine évidemment toujours dans les esprits. Il renait pourtant une peu de prospérité. Rouen, Le Havre, Lyon, sont contents. Quand l’Assemblée se réunira, le cabinet pourra se targuer de la tranquillité publique pendant l’entracte, du silence des Conseils généraux et de la renaissance des Affaires. C’est assez, ce me semble, pour ralentir l’attaque. Il y avait là hier, deux membres de l’Assemblée qui disaient tout haut : " Si nos gros bonnets veulent prendre le pouvoir, nous renverserons le cabinet sur le champ ; sinon, ce n’est pas la peine. " Il ne me revient sur les dispositions de Molé et de Thiers, que ce que je vous ai déjà dit. On évalue, dans l’Assemblée, les rouges à 200 ; le tiers-parti, amis de Dufaure à 150 ; décidés, légitimistes ou Orléanistes à 400. Je n’ai rien de plus dans mon sac pour l’intérieur. Au dehors, je sais que Georgey est déjà gracié. J’en suis charmé. J’ai peu de confiance dans la magnanimité par habilité. Au reste, les affaires de l’Autriche en Italie, bien que plus simples et plus finies en apparence que les affaires en Hongrie, me semblent, au fond, plus mauvaises et moins finissables. Je comprends une vraie pacification entre l’Autriche et la Hongrie ; il y a là des bases d’arrangement, une semi-indépendance, une constitution ancienne et reconnue, et qui peut être rajeunie. Entre l’Autriche et la Haute Italie, il n’y a que de la force ; point de passé autre que la conquête ; point de droits naturellement acceptés. La force est probablement très suffisante pour rester. Mais rester, ce n’est pas pousser des racines ; et il faut des racines, surtout de notre temps où les orages sont toujours à prévoir. Il y assez de mauvaise humeur en effet dans le billet de lord John. Je crois, comme vous, qu’on ne s’épargnera pas pour vous brouiller, et qu’on n’y réussira pas. Ce serait trop bête. Pour vous, vous avez beau jeu à être patient. Et pour l’Autriche, elle ne peut se rétablir que par la patience. Je ne la connais pas assez bien pour savoir. Quelles sont les ressources de régénération intérieure. Je suis porté à croire qu’elle en a, qu’elle se relèvera. Mais il faut qu’elle se relève. Sans quoi, ce sera lord John qui aura raison, et vous serez vis à vis de l’Autriche, comme vis-à-vis de la Turquie et de la Perse, des protecteurs-héritiers. Le monde sera curieux à voir dans un siècle ou deux. Il aura résolu bien des problèmes.
Je rentre dans le Val Richer. J’y attends demain D’Haussonville. J’y ai aujourd’hui Lady Anna Maria Domkin qui me raconte des commérages de Richmond, Madame de Caraman cherchant un mari anglais et disant aux personnes qui lui demandent pourquoi elle n’en prend pas un : « Ma vie est voué aux arts. » Elle (Lady Anna-Maria) s’étonne que vous vous plaisiez à Richmond, entre Lady Alice Peel, Madame de Metternich et les Berry. J’ai défendu vos sociétés et dit du bien de Lady John. Votre lettre à lord John est très bien tournée. Vous avez le don de la malice dans la franchise.

Samedi 8 Sept heures
Je relis votre lettre. Je voudrais précisément vous demander des nouvelles de Marion. Faites-lui, je vous prie, toutes mes tendresses, mes anciennes et constantes tendresses. Je ne puis souffrir ces longs silences, ne point parler et ne rien entendre des personnes qu’on aime, comme si l’amitié n’était plus ou si la mort était déjà là. Interrompez cela pour moi, de temps en temps, avec Marion. C’est vraiment bien triste que ses parents ne veuillent plus de Paris. Est-ce qu’elle ne pourrait pas, elle, y venir passer six semaines ou deux mois avec vous, quand vous y serez, pour sa santé ? Comment va Aggy ? Je suis sûr que vous ne faites pas attention au concile provincial qui va se tenir à Paris. Vous avez tort. C’est un événement. Soyez sûr que les questions religieuses reprendront en France une grande place, ne fût-ce que parce qu’on n’en a pas parlé depuis longtemps. Les libertés politiques pourront souffrir de tout ceci ; les libertés religieuses, non. Celles-là seront nouvelles, et sacrées. Et elles fourniront, autant que les autres, de quoi parler et se quereller.
Avez-vous remarqué ces dernières paroles de Manin quittant Venise : « Quoiqu’il arrive, dites : cet homme s’est trompé ; mais ne dites jamais cet homme nous a trompés. Je n’ai jamais trompé personne ; je n’ai jamais donné des illusions que je n’avais point ; je n’ai jamais dit que j’espérais lorsque je n’espérais pas. » C’est bien beau. Je m’intéresse à cet homme-là.
Onze heures
Votre lettre arrive, plein d’intérêt. Si ce que vous dit Marny est vrai, le changement de cabinet sera un événement. Adieu, adieu. Adieu, G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond le 6 septembre 1849

Pourquoi n'avez-vous pas votre parapluie quand vous sortez pour une grande promenade ? C’est ridicule, et cela me fâche. Hier, jour d'orage, quoique toujours une température bien douce. Je fais toujours au moins trois promenades par jour. Toujours le parc, pas de choléra parmi les vaches et les daims. Je n'ai vu que mon fils hier matin, il n’avait rien de nouveau si non que le duc de Bordeau & la duchesse d'Orléans se sont manquées d'une heure à Cologne. Lord Harry Vane en vient & lui a couté cela. Voici ma correspondance. Il est de mode de dire que l'Autriche est désormais notre vassale. On ne réussira pas à nous brouiller. Je suis étonnée de n’avoir rien de Varsovie. Le grand duc au moins n’est pas mort, car voilà sa femme et sa fille qui sont allées le rejoindre. Bulwer m'écrit de Brighton. C'est là qu’il va rester jusqu'à son départ pour les Etats-Unis en octobre. Sa femme en adoration devant lui à ce que m'écrit Marion. Cette pauvre Marion, aucun espoir de Paris ! Voilà votre lettre. Une page sur l’Allemagne très curieuse, frappante & vraie. Metternich n’est pas accouché de sa feuille volante, elle s’est envolée. Je ne crois pas que vous y perdiez grand chose. Il me semble qu’il n'y a rien de nouveau dans le monde. Les journaux très vides ce matin, et ma lettre aussi. Je n'ai que la ressource d'une quantité d’adieux. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond le 6 septembre jeudi 1849
5 heures

Deux longues lettres de Constantin par Nicolay arrivé de Varsovie cette nuit. Le grand Duc Michel sans ressource. Paralysé du côté droit, la parole embarrassée. L’Empereur au désespoir, ne le quittant pas d’un instant. On était au 7eme jour. Sa femme était attendue à tout instant, on craignait qu’elle ne vint trop tard. On juge Lamoricière comme vous le jugez mais on est très content de son langage. Grande distance dans la manière de le traiter lui et ses collègues de Prusse & d'Autriche. Ceux-ci dans l’intimité, lui non, mais beaucoup de politesse. Au Te deum pour nos victoires l’Empereur s’est approché de lui & lui a dit. " général j’espère que c'est la fin de la lutte, de la même bataille commencée dans les rues de Paris et dont les premiers lauriers vous reviennent et à vos amis." Les Polonais sont furieux de voir des uniformes français dans le cortège de l’Empereur, ils montrent un grand éloignement pour Lamoricière et évitent de faire sa connaissance. Nous rendons tout aux Autrichiens jusqu'au dernier canon, nous ne nous réservons d’autres trophées que les étendards & drapeaux pris à l'en nemi par nos troupes. Cent drapeaux ont été entre autres envoyés à Moscou. c’est au général russe Grabbe que [ ?] va se rendre. Peterwardeim seul est réservé aux Autrichiens. Beaucoup de froid entre [ ?] et Haynau. On nous a ordonné de vaincre les Hongrois mais nous ne les haïssons pas. Haynau est haineux, & féroce, et ne voit dans ceux que se sont soumis à nous que des victimes qui échappent à la vengeance. (Cela me prouve que nous protégeons.) Grand embarras pour le gouvernement autrichien. La haine qu’il rencontre en Hongrie est extrême. Vous avez là à peu près tout. L'empereur très soucieux à propos de l’Allemagne.

Vendredi le 7 Septembre.
Nicolay est venu hier compléter les informations de Varsovie. Beaucoup de détails très curieux. Certainement la position de l’Autriche est critique. Les Hongrois nous adorent & la détestent, à nous tout le monde veut se rendre. Exemple : à Arad le Corps de Schlik 16 / m hommes se présente & somme la garnison de se rendre. Refus absolu. Jamais à un autrichien. Un escadron russe, un seul, se présente à la porte de la forteresse, On l’ouvre de nuit & on se rend à nom, à discrétion. Tout cela est bien humiliant & pénible à supporter aussi on nous déteste à Vienne mais les Empereurs vont à merveille ensemble. Ils se tutoient en s'écrivant, mon Empereur n'attend cela que la mort ou la guérison de son frère pour retourner à Pétersbourg. Il en est pressé, il est ennuyé de toute cette affaire, quoiqu’il en soit bien glorieux. Son chagrin est excessif. Il ne quitte pas Michel. Nous retirons toutes nos troupes de la Hongrie. Georgey est toujours à notre quartier général et très bien traité. On dit un homme très distingué de toutes façons. La tournure du général Lamoricière parait bien convenue, son entourage aussi. On le traite très poliment. Il y a de la bienveillance pour la France, avec un peu d’indifférence. " Qu’est-ce que cela nous fait ! " On vous sait gré d’avoir chassé nos mauvais sujets. Branicz, Goldwin & & Mad. Kalergi en est, vous l’avez prie poliment de s'en aller. Nicolay l'a vu à Berlin. Kossuth, Dembinsky, Massaro sont chez les Turcs. On est curieux de voir ce qu'ils vont en faire. On s’attend à les voir protégés par Stratford Canning.
Les journaux anglais disent que Lord Aberdeen est chez la reine. La dépêche de Palmerston est arrivée à Schvarsenky trois jours avant la soumission de Gorgey, cela a beaucoup fait rire. Je crois que je vous ai fait là tous mes commérages. Je demeure ici dans la partie haute de la maison, le coin, ce qui me donne même la vue de la Terrasse outre la belle vue de la rivière. Un bon appartement avec balcon, et tout-à-fait séparée du bruit. M. Fould me disait hier que selon ses nouvelles Thiers ne voulait à aucun prix être Ministre, c’est tout le contraire de ce qu'affirme Morny. Adieu, mes yeux me font un peu mal & j'écris trop. Votre lettre m’arrive. L'orage vous à donc cependant donné du rhume. Encore une fois où était le parapluie ? Adieu. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Jeudi le 6 septembre 1849

Morny est venu hier. Je l'ai fait dîner avec moi et causer beaucoup. Grande affection pour le président, et l'opinion de lui qu'en a tout le monde, sans exagération. Le président ne veut rien hâter. Cela viendra de soi-même. Un changement dans le ministère est inévitable dés le retour de l’Assemblée. Molé & Thiers sont prêts et désirent le pouvoir. Barrot resterait garde des sceaux, Molé aff. étr., Thiers finances ou intérieur. Benoist, je ne me rappelle plus qui encore. Le président aime beaucoup Molé. Celui-ci & du courage beaucoup plus que Thiers, et au fond c’est le président qui n'était pas pressé de prendre celui-ci comme ministre. Grand discours éloge de Falloux, tout-à-fait premier personnage dans l’Intérieur & la confiance de tous. Montalembert aussi. Les légitimistes imbéciles et rendant tout difficile. Berger n’est pas de ce nombre. Broglie très compté & respecté mais pas très pratique. Piscatory faible. On avait tant dit de lui qu’il était cassant, qu'il s'est mis à joué le modéré, il fait cela gauchement avec exagération et on en rit. On rit surtout de la Redorte. L’un et l'autre ayant frisé le ministère se considèrent toujours comme candidats. Excellentes relations avec Kisselef. Grand éloge de celui-ci. Normanby une vacature qui ne quitte pas le président. Tout aussi ridicule que jamais Morny a essayé une explication de la conduite envers vous. Vous avez été mal informé. C'est par égard & amitié pour vous qu’il craignait que vous ne fussiez élu. Et certainement plus le temps coule & plus on voit que vous êtes le premier homme de votre pays. Is not the word this war the meaning.
Les Orléans parfaitement oubliés. Paris tranquille & charmant. Il va en Ecosse & retourne pour la rentrée de l'Assemblée. Je le verrai encore. J'ai eu une longue lettre de d’Impératrice, excellente, de [?], elle a voulu aller à Fall voir le tombeau de mon frère. Elle en revenait encore. Grande joie de nos victoires et elle me dit : " Palmerston va être bien affligé pour ses chers Hongrois, lui qui formait des vœux sincères pour nos défaites. " Cette lettre a été bien ouverte. J'espère que c’est en Angleterre. J'ai déjeuné hier chez la duchesse de Glocester. On serait charmé dans la famille royale que Claremont décampât et allât en Italie. On est fatigué de leur présence. La reine est de cet avis aussi. Cette reine vient de passer deux jours dans une petite chaumière isolée dans les Moors. Personne que son mari, une femme de chambre, un valet de pied & un marmiton & deux [ ?]. Le valet de pieds habillant le prince, les [?], & ramant le couple royal sur le lac. Une hutte composée de deux chambres pour le ménage un autre pour les domestiques pas d'habitation à 40 miles à la ronde. Elle écrit dans des extases de joie. C’est charmant d’être jeune. Voici mon petit billet de Metternich. Assez spirituel. Pas de grande feuille. Vous ne l'aurez jamais. Votre lettre m’arrive. Quelle idée que l’Empereur ait donné son portrait et celui de l’Impératrice à Lamoricière. C’est un conte. Mais Morny me dit qu'on le traite très bien. Adieu. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, mercredi 5 sept. 1849 3 heures

Certainement, l'Empereur ne peut pas laisser fusiller Georgey. C'est pour lui une question d’honneur, et pour l'Empereur d’Autriche une question de prudence. Si on ne gagne rien à faire comme Georgey, tout le monde fera comme Bem. D'ailleurs, il y a toujours eu faveur pour les militaires qui se sont battus longtemps, et qui ont battu souvent, avant de se rendre. On a peut-être raison de faire juger Georgey ; mais condamné ou non, il faut que le jeune Empereur le prenne et se l’attache. Je parle dans l’idée que Georgey est bien réellement ce qu’il paraît être, et qu’il a bien fait lui-même ce qui s’est fait sous son nom.
Madame la Duchesse d'Orléans et Monsieur le comte de Chambord passeront bien près, l’un de l'autre. Je ne crois pas du tout qu’ils se voient. Mais l’occasion serait bonne et pourrait être mise sur le compte du hasard. Mad. Austin m'écrit : " I spent an hour tête à tête with the Duchers ef Orleans, and found her admirable, at all points, even beyond my expectation. I think I never came near a more perfectly balanced mind, one in which every sentiment had so exactly its just measure. Our people are firmly persuaded thatt her son will neign ; why they can hardly tell ; but so it is. " Je serais assez curieux de savoir pourquoi la bouderie avec la Duchesse de Cambridge, et par qui les marques de mauvais vouloir ont commencé.
Il y a eu conflit à Paris, entre les deux nuances du parti légitimiste. Réunion, solennelle et nombreuse. Les modérés ont lavé la tête aux emportés. On a lu des lettres des Provinces, qui se plaignaient amèrement de l’amertume étalée contre la monarchie de 1830, disant que cela aliénait partout les conservateurs, et qu’on n'entendait pas se laisser gouverner par de telles folies. Les emportés de sont défendus, même assez vivement mais sortis de là, ils ont mis de l’eau dans leur vin, et il y a évidemment une oscillation dans le sens de la modération et de la fusion. Tout cela pour passetemps d'oisifs. Il n'y a de sérieux que le travail lent qui se fait dans tous les esprits, et qui est bien loin du but vers lequel il marche.

Jeudi 6
7 heures Je vous ai quittée hier pour recevoir une visite puis deux autres de Lisieux et des environs. Je suis un peu frappé de l'effet que produit la bonne réception du président à Epernay. L'Empire était hier à l'ordre du jour, dans toutes les conversations. Mettez cela d'accord avec le silence presque absolu des conseils généraux qui ne demandent ni l'Empire, ni seulement la révision de la Constitution, et qui se contentant de discuter leurs affaires locales comme si la France était depuis cent ans en République et bien tranquille en république. Il ne faut jamais se fier aux mouvements superficiels et soudains de ce pays-ci ; ils ne prouvent rien. Il ne faut-pas se fier davantage à ses plus sérieuses et plus calmes démonstrations ; elles ne garantissent rien. Tout est ici également vain, ce qui dure comme ce qui passe et il n’y a pas plus de racines au fond qu'à la surface. Et pourtant quand on vit au milieu de ce pays-ci, quand on y regarde attentivement, il est impossible de croire à sa décadence, de ne pas croire à son avenir. On voit clairement que la prospérité, le bien être, l'activité, la confiance, l'ordre, le bon sens, l'honnêteté tout cela ne demande qu'à venir à s’établer à se développer. Mais il ne suffit pas de demander en ce monde ; il faut vouloir. On ne sait pas vouloir ici ; les honnêtes gens et les gens d’ordre moins que d'autres. Ils cherchent, ils hésitent, ils doutent, ils tâtonnent, ils changent. Et puis ils s'étonnent que tout soit bouleversé autour d’eux ils s’étonnent que leur société ne soit pas forte et stable quand ils sont eux-mêmes, si mobiles et chancelants ! Je suis toujours sur le point de dire à tous les gens là, en causant avec eux : " Mais, malheureux, c’est votre faute ! " Beaucoup en conviendraient, mais du bout des lèvres sans cette conviction forte qui détermine la longue. prévoyance, et le travail soutenu. Un tempérament excellent, un mal très grave, un remède certain, et un malade qui ne sait pas, ou n’ose pas, ou ne veut pas l'avaler ; voilà où nous en sommes. Connaissez-vous rien de plus désespérant ? Pourtant, je me désespère pas Onze heures La poste n’arrive pas, et je suis obligé de partir pour aller déjeuner à Lisieux. Je rencontrerai le facteur en route, et je prendrai votre lettre. Mais il faut que je ferme celle-ci. Adieu. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond mardi le 4 septembre 1849

Lord Beauvale est venu de Londres hier pour me voir. C’est dans sa calèche que s’est passé la visite. 1h 1/2 au milieu de la rue au grand divertissement de toutes les commères de Richmond, la Duchesse de Glocester en tête. Il m’a fort diverti ne me racontant la mauvaise humeur du f.o. bien grognon, bien aigre, & certainement broyant du noir encore, partout. Entre autre espérant que les révolutionnaires traqués & chassés de tous les pays iront en Grèce, & que là ils renverseront le roi Othon. Ce propos est littéralement vrai. Très mécontent du gouvernement de Malte qui a imaginé de refuser de recevoir les Marsini & &. Ce gouverneur arrive ici et sera sans doute destitué. Il est de mode de dire que l'Autriche n’est plus qu’une province Russe. On cherche à aigrir, à blesser. Votre diplomatie parle bien plus convenablement.
J'ai eu un mot de John Russell hier, aussi de la mauvaise humeur, je copierai cela pour demain, avec ma lettre qui a donné lieu à cette réponse. Mon fils m'écrit de Naples que le Pape y était attendu pour le 1er septembre. Il tiendra ensuite un consistoire à Benavente, et puis il ira passer l'hiver à Loretto. La question politique bien incertaine bien vague. Ma soirée s’est passée à faire de la musique. Mad de Caraman chante. Cela m'amuse assez. Bulwer est de retour, je ne l’ai pas vu encore.
1 heure
Comment n'avez- vous pas eu ma lettre de vendredi ! Elle a bien été remise de bonne heure. Que faire ! Le grand duc Michel a encore une fille à marier. La grande duchesse Catherine charmante, il va la marier. Je crois à un Mecklembourg. Elle ne vous épouserait pas. Vous trouverez peut-être quelque petite allemande, mais surement pas avant de vous être fait empereur. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Mardi 4 sept. 1849 6 heures

J’ai fait comme je vous ai dit. J’ai travaillé et je me suis promené. Mon travail m'intéresse. C’est dommage que la vie soit si courte. Le vase est trop petit pour ce que j’y voudrais mettre.
Il paraît que le Président a été extrêmement bien reçu en Champagne, mieux que partout ailleurs. Montebello nous dira si les journaux disent vrai. Je les trouve bien vides. Ils ne savent que mettre à la place des scandales de l'assemblée. Les légitimistes, ce me semble. baissent un peu de ton. Ils se résignent d’assez mauvaise grâce à répéter le mot de M. le comte de Chambord sur M. le comte de Paris. Voilà vraiment un grand effort de raison. Cela coupe un peu l'herbe sous le pied au comte de Montemolin. Collaredo m’avait étonné. Il a bien fait de s'en excuser. J’ai des lettres de Genève. On y est inquiet des menées des réfugiés. On craint qu'elles ne forcent les Puissances à une intervention. Vous verrez que la République française ira mettre à la raison, celle de Berne comme celle de Rome et qu’elle remettra le Sonderbund sur pied.

Mercredi, 5 huit heures
Je me suis levé de bonne heure, malgré un accès, ou plutôt à cause d’un accès d’éternuement qui m'a empêché de me rendormir. Cette disposition a pourtant plutôt diminué qu’augmenté depuis quelque temps. J’attends la poste avec mon impatience du mercredi. J’irai chez le Duc de Broglie, pour dix ou douze jours, vers le milieu de la semaine prochaine. Vous m'adresserez alors vos lettres : chez M. de Broglie, à Broglie. Eure. Je vous dirai le jour précis. Vous avez surement remarqué, le petit article du Globe en réponse au Times à propos de la réponse du Prince de Schwartzemberg à Lord Ponsonby. C'est à mon avis, la meilleure preuve que la réponse a vraiment été faite. Il y a, dans l'article, une violence d'humeur contre Schwartzemberg et un dessein de le blesser qui ne peuvent venir que de Lord Palmerston et qui ne se rencontreraient pas, même dans Lord Palmerston. Si Schwartzemberg ne les y avait pas soulevés. Je regrette de voir que le grand Duc Michel est encore bien malade. Je n’ai rien fait dire au Journal des Débats sur l’attitude à prendre envers le Cabinet. C’est de lui-même qu’il prend celle que vous aurez vue dans son article d’hier. Il a raison. Ce n’est pas la peine de faire un grand effort pour amener les hommes qu'on amènerait à la place de ceux-là, et pour ce que feraient, aujourd’hui les hommes même qu'on amènerait. Il est peut-être bon que M. Dufaure soit vivement attaqué et même renversé. Il ne faut pas que ce soit par les mains de mes amis. Ils ont encore bien des choses à tirer de lui, et autre chose à faire après lui.

Onze heures
Voilà votre lettre. J'en aime tout, et surtout la fin. Votre disposition est toujours de venir à Paris à la fin du mois, malgré le choléra. La peur me prend quelquefois à la gorge, pour vous. Et dans d’autres moments, la conscience. Je me fais un devoir de vous tout dire. Mais j'aime mille fois mieux que vous veniez. Et certainement M. Gueneau de Mussy est une excellente occasion. Adieu, adieu. Je suis bien content d'avoir atteint le mercredi. J’ai six bons jours devant moi. Adieu G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Lundi 3 septembre 1849
Sept heures.

On dit que Titus disait, quand il n'avait pas fait au moins un heureux, « J'ai perdu ma journée. » Moi, je crois qu'il disait cela quand il n'avait pas vu Bérénice. Quand votre lettre me manque, ma journée est perdue. J'ai beau faire ; je ne parviens pas à la remplir. J'ai beaucoup travaillé hier ; j'ai lu ; j'ai écrit de mon histoire ; j'ai écrit des lettres. Ma journée est restée vide. Peut-être votre lettre, que j'aurais dû avoir hier, contenait la feuille volante de Metternich, et les curieux auront eu envie de la lire. Je saurai cela ce matin. Ils auraient dû être un peu plus prompts à la lire que lui à l'écrire.
Je pense beaucoup à l'Allemagne, et soit que je veuille arranger l'avenir, ou seulement le prévoir, je ne me satisfais pas. Il y a là des éléments inconciliables entre eux et indestructibles les uns pour les autres, à moins d'un bouleversement général. Des petits États évidemment incapables, soit de contenter, soit de contenir leurs peuples, un grand État qui voudrait dompter les révolutionnaires chez lui, en restant populaire parmi les révolutionnaires du dehors, dont il a besoin pour absorber les petits États, et au moment même où il envoie des troupes pour empêcher ces révolutionnaires là de triompher chez eux. Des peuples qui, petits ou grands, révolutionnaires ou non, veulent jouir de la vie politique dont ils ont commencé à goûter, et se croient humiliés s'ils ne font pas, ou n'entendent pas autant de bruit qu'on en entend et qu'on en fait à Paris et à Londres. Des gouvernements qui ont encore toutes les habitudes du pouvoir absolu, et qui, en quelques mois, ont touché, et vont encore, aux dernières limites du radicalisme, car ils ont accepté le suffrage universel, ou à peu près. Ce sont là des confusions, des ambitions, des contradictions, des nécessités et des impossibilités dont je ne me tire pas. Certainement on ne sortira pas comme on est ; mais je ne crois pas qu'on redevienne purement et simplement comme on était, et je ne vois pas ce qu'on pourra être, ni même ce qu'on voudra essayer d'être.
Attendons. J'attends l'Allemagne et votre lettre. Si j'avais la lettre, je crois que j'arrangerais mieux l'Allemagne.
Onze heures
Voilà mes deux lettres. Et moi bien content. Vous recevrez aujourd'hui celle où je vous parle du choléra. C'est ma préoccupation habituelle pour vous à Paris. On me parle aujourd'hui de nouveaux cas. Je crois décidément qu'il faut attendre un peu.
Je ne comprends rien à ce que vous dit Montebello. Je n'ai pas reçu un mot, un seul mot de lui depuis que je suis ici. Je m'en suis étonné, et je crois vous l'avoir dit. Je vais lui écrire ce matin même.
Adieu, adieu, my dearest. Soignez-vous bien. L'orage ne m'a fait aucun mal. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond, dimanche 2 septembre 1849


Voilà les susceptibilités impériales apostoliques qui s'éveillent. C'est non seulement la phrase malheureuse de Paskévitz, « La Hongrie est aux pieds de Votre Majesté » mais de plus un dîner donné par le général Rüdiger à Görgey et les autres officiers supérieurs de l'armée hongroise. Ils étaient souriants à table, hongrois & russes, lorsqu'arrive un officier d'ordonnance de Haynau porteur d'une dépêche pour Rüdiger. Celui-ci l'invite à s'asseoir, il refuse en apercevant les uniformes hongrois. Rüdiger réplique que là où dîne un général russe, un lieutenant autrichien peut bien dîner. Le lieutenant persiste à ne pas s'asseoir auprès des rebelles, et sort.

Cela fait beaucoup de bruit à Vienne. On dit que Rüdiger a été réprimandé pour avoir été trop courtois. Görgey et tout son monde a été remis aux autorités autrichiennes. Ils sont tous enfermés dans des forteresses & seront jugés. Moi je d[?] Gorgey un peu. Après tout, c'est un vaillant homme, et je ne crois pas que l'Empereur puisse le laisser sacrifier. Beauvale me mande que L'Empereur prêche la clémence, qu'il est sur ce point en correspondance directe avec le jeune Empereur, & qu'il conseille de retirer la constitution de Stadion. Il y a bien à faire encore là !

Comme les radicaux vont faire mousser les petites rixes d'amour propre ! Palmerston sera charmé. Je sais cependant qu'avant-hier, à dîner chez Beauvale il était d'une humeur de dogue. Je ne sais pourquoi.

J'ai vu hier Metternich, il travaille encore à vous répondre. Ah, qu'il m'a ennuyée hier ! Et après bien de ravaudage, il me dit : « Il y a longtemps que je vis, et bien, je me souviens de chaque mot que j'ai dit, ou que j'ai écrit, depuis que je parle & que j'écris. » Ah bon Dieu !

Lundi le 3 septembre.

Voilà votre pauvre hôtesse morte. Cela vous aura fait de la peine. Elle était bien ridicule, mais c'est égal. Je n'ai vu hier que M. de Berg à Londres. (1er secrétaire de notre mission) Il est parfaitement bête. Je n'ai rien pu tirer de lui, sinon qu'il se croit un grand homme parce que son frère est aide de camp de l'Empereur. Je le connais, celui-là a de l'esprit.

J'ai vu la duchesse de Gloucester et toutes mes voisines chez moi le matin. Le soir chez Delmas. C'est de l'exercice de musique. Ce pauvre aveugle n'a peu ce plaisir, & je lui fais de grands plaisirs. Je crois la nouvelle de la mort du G.D Michel fausse.

1.heure. Voici votre lettre. Longue, intéressante. Mauvaise sur le choléra de Paris. Mais il est bien plus fort à Londres. M. de Mussy que j'ai vu hier va à Paris à la fin de ce mois. Ce serait bien là ce qui me conviendrait. Nous verrons.

Montebello est tout aussi vif que Dalmatie sur la nécessité d'une modification. Son Ministère, il l'est extrêmement aussi pour une autre forme de gouvernement, & se promet de faire du tapage en octobre. Nous verrons.

Mad. de Nesselrode avait deux ou 3 ans de moins que moi.

Adieu, adieu, la porte me presse. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 2 sept 1849
8 heures

J'ai encore appris hier deux morts de ma connaissance, par le choléra, à Paris. Deux personnes que vous ne connaissez pas du tout, mais de la classe riche. On dit en même temps que cela n'est pas grave et s'en va déjà. Un fort bon médecin, dont le nom, je crois, ne vous est pas inconnu, M. Rayer, est positivement de cet avis. Je le vois pour Mlle Chabaud, dont il a épousé la cousine. Je vous enverrai tous les renseignements qui m'arriveront à ce sujet. La recrudescence a été plus forte en ville que dans les hôpitaux. Ici, dans le pays environnant, il n'y en a aucune trace.
J'ai été surpris hier, à la promenade, par un violent orage que rien du tout n'avait annoncé. Il faisait très beau depuis deux jours. Je suis arrivé chez moi trempé, malgré les soins de Guillaume qui avait couru me chercher un parapluie dans une ferme. J'ai changé de tout, sous le feu d'un bon fagot ; j'ai bien dîné, très bien dormi, et je ne m'en ressens pas le moins du monde. Le soleil brille ce matin.

Palmerston ruiné m'étonne. Je lui croyais une conduite plus prévoyante et plus réglée. Quoiqu'il reçoive du monde, je ne lui vois pas un établissement ruineux. J'ai entendu dire, il est vrai, que les terres d'Irlande ne lui rapportent plus rien depuis longtemps, car il en employait tout le revenu en secours et en améliorations pour la population.
Je reviens sur une chose que m'a dite Dalmatie, et que je crois vraie. Indépendamment de la question ministérielle, il y aura, au retour de l'Assemblée et pendant sa session d'hiver, deux grosses questions, les deux seules, les finances et les lois sur l'enseignement. En matière de finances, la nécessité de remettre les impôts au niveau des dépenses est l'idée dominante dans le parti modéré ; idée très sensée et très honnête, mais de très difficile et très douloureuse exécution, car le suffrage universel ne permet rien en fait d'impôts, sinon de les réduire. Il y aura là un grand combat entre l'intérêt public et les intérêts privés, entre la nécessité et la timidité devant les électeurs. Les lois sur l'enseignement seront la pierre d'achoppement entre les deux fractions du parti modéré. Les légitimistes et les catholiques veulent avoir plus que le gros du parti modéré ne veut leur donner. La brouillerie qui a recommencé entre Thiers et Montalembert s'aggravera. Ce dont là les deux sources d'où il peut, dans l'intérieur de l'assemblée, découler des événements graves.
Onze heures
Pas de lettre. C'est bien ennuyeux. Heureusement demain n'est pas mardi. Mais c'est bien ennuyeux.Adieu. Adieu quand même. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond, samedi 1er septembre 1849

Un nouveau mois qui commence, nous sera-t-il bon ?

J'ai fait mon luncheon hier chez la duchesse de Gloucester. Je n'en ai pas rapporté des lumières. J'ai dîné chez les Delmas, avec la Colonie. Vieille princesse, & précieuse marquise.

J'ai vu avant-hier Lady John et son frère. Pour la première fois j'ai assez causé avec lui, ou plutôt je l'ai écouté. Il a l'air d'un honnête homme, mais sans esprit, il m'a dit des bêtises sur tout ce qu'il faut faire de libéral. Il n'attache de valeur aux victoires que s'il en ressort partout des constitutions. Au bout de tout cela il perçait cependant de grandes inquiétudes pour l'Angleterre elle-même. Je trouve que ce sentiment gagne.

Le Juius a une tirade aujourd'hui à propos de l'interférence de F.O. dans les affaires de la Hongrie. Cela commence à être su et cru. Assurément cette maladresse couronne toutes les autres.

Le bruit se répand que le G.D. Michel se meurt d'apoplexie. Je le regretterais comme un excellent homme, et qui m'a toujours montré de l'amitié. Cela fera une vraie peine à l'Empereur.

Voici votre lettre, & voici une longue lettre de Montebello, curieuse, animée, voulant absolument qu'on ait du courage dans la timidité même, L. N. promettant qu'on aura cela en se retrouvant à l'assemblée en octobre. Il dit à Lafui [?] dans sa lettre : « Je suis décidé à ne jamais en vouloir à M. Guizot, sans cela je lui en voudrais un peu d'avoir laissé trois & une lettres sans réponse. » Il ne vient par ici, il pense toujours à une course au Val Richer, malgré vos rigueurs.

Adieu, adieu. Et vite puisque l'heure est la bonne heure.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 30 août 1849
Cinq heures

Dalmatie est ici. Toujours très fidèle, Pensant et parlant comme les autres. Plus prononcé seulement qu'aucun autre. Très décidé contre Dufaure et affirmant qu’il sera si vivement attaqué au retour de l'Assemblée, qu’il ne pourra pas tenir. On ne lui pardonne pas de laisser partout en place les hommes qui laissent pénétrer partout le Socialisme. On voudrait remettre Léon Faucher à l'Intérieur. Dalmatie ne croit ni à Molé, ni à Thiers, mais à des nouveaux venus de seconde et troisième ligne. Il dit que Molé est bien vieilli, et ne supporterait pas le poids du pouvoir. Que Thiers est bien hésitant et en a bien peur. Il a lui-même une énorme peur de ce qu’il a vu dans le midi, et des progrès du socialisme dans les populations inférieures. Il dit que dans le département de l'Hérault où il a été élu et qu’il a parcouru, on ne fait pas dans une maison aisée, un dîner de quelque apparat sans que la multitude ne se rassemble autour comme pour en avoir sa part. Il est prêt à tout accepter et à tout faire contre ce danger. Au fond, penchant fort vers les légitimistes, et le disant. En attendant, tout au Président. Son père, le Maréchal extrêmement vieilli. Moralement encore plus que physiquement. Il est à St Amand et n'en sortira plus. Il ne se promène plus, que quelquefois en voiture. Il ne joue plus au whist le soir. Il ne parle presque plus, et reste souvent trois ou quatre heures dans son fauteuil sans ouvrir la bouche. La Maréchale, qui n'a qu’un an de moins que son mari, est très saine et très vivante, d’esprit comme de corps. Souvenirs de Berlin. Au moment même où il venait d'apprendre le renvoi du Cabinet, le 23 février, Dalmatie fit dire la nouvelle à M. de Meyendorff qui la mande sur le champ par le télégraphe à Pétersbourg on y ajoutant : " Nous apprendrons probablement demain l'abdication du Roi, et la Régence. " La Duchesse de Talleyrand toujours inconsolable de la mort du Prince Lichnowski. Extrêmement vieillie. Il avait pour elle l’attrait d’une dernière affection & d’une grande espérance politique. Elle le croyait destiné à jouer un rôle important à Berlin, et se promettait de l’y aider. Elle a toujours. Un grand état à Sagan, dans une grande solitude. Fort populaire d'ailleurs aux environs. Au milieu des troubles de la Sibérie, la population a fait, en sa faveur toutes sortes de démonstrations. Elle a fondé là toutes sortes d'établissements publics. Elle a des capitaux dans toutes les entreprises, manufactures & Dalmatie s’est évidemment séparé d’elle dans les meilleurs termes. Elle lui écrit souvent.

Vendredi 31 août 3 heures.
La poste m'a apporté un chagrin. Cette pauvre Mad. de Mirbel vient de mourir à Paris, du choléra. Elle a été atteinte dans la journée de dimanche ; elle est morte dans la nuit de mardi à mercredi. Excellente personne, très capable d’amitié, de dévouement, et de courage et qui me l’a bien prouvé. Elle devait venir ici au mois d'Octobre, et s’en fesait une fête. Je la regrette par amitié, par reconnaissance. Je la regrette pour elle-même. Elle aimait la vie et en jouissait avec vivacité. J’ai reçu d'elle il y a cinq ou six jours une de ces longues lettres que vous savez, pleine encore de son intimité avec les Bonaparte. Elle en attendait un nouveau, Antoine, frère de Pierre, qui venait passer quelques semaines à Paris, et qui devait loger chez elle. Le Président venait de lui accorder la grâce d’un pauvre homme auquel elle s’intéressait. Pierre lui demandait souvent de mes nouvelles. Elle avait reçu, la veille, la visite de Lucien Murat. Elle me racontait tout cela avec ce mélange de bonté et de vanité qui ne la quittait pas. Pauvre femme ! Butenval me dit : " Elle a senti la mort et l’a acceptée avec sérénité. "
Vous voyez qu’il y a de nouveau du choléra à Paris. Il n'y a pas moyen de le méconnaitre. Deux personnes de ma connaissance en quatre jours Mad. de Mirbel et M. Victor Grandin membre de l'Assemblée, chez Mad. Lutteroth, place Vendôme une mère et son enfant sont morts en quelques heures. Combien durera cette recrudescence ? En tout cas ne venez pas la chercher sitôt. Vous êtes acclimatée à Richmond. Il y a eu là, au fait bien peu de cas. Pour mon plaisir, mon plaisir d’esprit et d’attente. je vous aime bien mieux à Paris. J’irais vous y voir dès que vous y seriez. Mais je n'y resterais pas à présent. Par toutes sortes de raisons, politiques et domestiques, il faut que je reste tard au Val Richer. Attendez en Angleterre que nous voyons tout-à-fait clair dans le choléra de France. Quand M. Guéneau de Mussy compte-t-il décidément revenir, ne pourrait-il pas vous attendre un peu ? Ce choléra me préoccupe. Cette mort de Mad. de Mirbel me frappe. Je veux pour vous autant de soins et aussi peu de risques que possible. Nous allons voir dans trois ou quatre semaines. Mad. de Nesselrode était-elle âgée ?

Cinq heures et demie
Dalmatie est parti, et je reviens de me promener. J’aime mieux la promenade dans le jardin de la Duchesse de Bucclengh Si vous ne lisez pas le factum de M. Metternich, vous me l’enverrez. Ce qu’il pense vaut toujours la peine qu'on aille le chercher, quelques fouilles qu’il y ait à faire. Je m'attends à quelques amendements à sa complète approbation de mon avis. Il commence toujours par penser comme les gens à qui il veut plaire. Puis, il revient à sa propre pensée dont l'erreur n'a jamais approché. Du reste, je ne demande pas mieux que d'être sûr qu'il pense comme moi. Je me surprends quelquefois à ne pas croire que mon avis n'ait pas toujours la même importance, et à désirer qu'on l'adopte comme s’il devait régler les évènements. Je suis charmé que Constantin soit général. Faites-lui en mon compliment, je vous prie, point par pur compliment. Tout ce qui lui arrivera d'heureux me plaira toujours. Il est bon, brave et droit. Je lui souhaite autant de bonheur qu’il en mérite. Je pense bien que vous ne sortirez pas de Hongrie avant que Comorn et tout le reste soient soumis. Vous vous conduisez trop bien pour qu'on vous fasse de petites chicanes.

Samedi 1er sept. 1849 Onze heures
Voilà votre lettre. Vous avez bien raison ; nous devrions toujours être ensemble le 30 août. Je me reproche l'avoir laissé passer avant-hier cette chère date sans vous en parler. Je vois que vous avez, sur le choléra la même impression que moi, si j'étais [Il n’y a pas le dernier folio de la lettre.] Marion et le [?] qui m’arrivent. Quel plaisir !

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 30 août 1849 sept heures

Collaredo a bien fait de s'excuser de la soirée de Lady Palmerston parce qu’il dinait chez vous. Bonne réponse au billet de Lady Palmerston à Koller pour le Mercredi. Je persiste dans mon dire ; tout cela n’est pour Lord Palmerston qu’une affaire de situation et de tactique, pour son pays et pour lui-même. Il veut pour l’Angleterre, la popularité auprès des radicaux Européens, et pour lui-même la popularité auprès des radicaux anglais. Cela obtenu il n’est pas aussi fâché qu’il en a l’air des victoires anti radicales. Encore une fois ce serait trop bête. Autre motif. Il ne veut point d'influence prépondérante, point de grandeur croissante sur le continent. Les radicaux sont bons à empêcher cela. Du trouble, de la faiblesse de l’anarchie à Paris et à Vienne, et à Rome, et à Naples, cela est bon. C’est dommage qu’il n’y en ait pas un peu à St Pétersbourg. On appelle cela de la politique. On n'a pas tout à fait tort. Il en faut bien un peu de celle-là L’erreur, c’est de lui faire une part beaucoup trop grande dans des temps qui en appellent une autre. Le Machiavélisme est une routine des esprits de second ordre. Ceux du premier ne la dédaignent pas, mais la mettent à sa place et savent en sortir.
Que dites-vous du discours de Radowitz à Bertin et de l'effet qu’il a produit, même sur les radicaux ? Je voudrais le lire dans un journal allemand. Je n'ai vu que l'extrait donné dans Galignani. La Prusse marchera toujours à son but. Il y a là vraiment une passion nationale qui se servira de tout pour se satisfaire du Roi, des démagogues, des émeutes, de l’armée, et que tout le monde dans le pays servira, chacun à sa façon et à son tour, parce que tout le monde, la partage. Nation d’ambitieux, qui veut être l'Allemagne. Il faut que l’Europe trouve moyen de résoudre cette question-là, car elle ne la supprimera pas. Lord Beauvale avait raison de croire à une dépêche de Lord Palmerston in extremis de la Hongrie, et je vois que le Prince de Schwartzemberg a bien répondu. Je sais qu'au Journal des Débats d'avoir répété ce petit article de la Gazette d’Augsbourg. Que faites-vous de Lady Alice Peel ? J'espère qu'elle n’est plus souffrante. Demandez-lui, je vous prie de ne pas m'oublier. J’y ai quelque droit, car je pense souvent à elle. Non seulement à cause de vous mais à cause d'elle-même. Il y a de l’inconnu en elle, quelque chose qui aurait pu se développer beaucoup. Et puis elle change d’amis moins souvent que de cuisiniers. Que devient votre portrait par Mad. de Caraman ? Les petites questions après les grandes. Adieu, adieu jusqu'à la poste.

10 heures 3/4
J'attends encore. Voilà mon ami Mon brouillé avec Narvaez et Narvaez malade. J’en suis bien fâché. Je voudrais que l’Espagne restât longtemps comme elle est. Voilà votre lettre. Fort exactement depuis quatre jours. Continuez, je vous prie, de les donner à une heure. Adieu, adieu. Je n’ai rien de Paris que les journaux. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Mercredi 29 août 1849
8 heures et demie

Je me lève tard. Je suis rentré tard hier. 37 personnes à dîner. On s'est mis à table à 6 heures et demie. Sorti de table à 8 et demie. En voiture à 9 heures un quart. 6 lieues à faire. Par le plus beau temps, et la plus belle lune du monde. J’étais un peu fatigué de m'être tenu trois heures sur mes jambes à me promener dans un assez joli parc montant et descendant, sur le flanc d’un côté. J’ai très bien dormi. Je ne pouvais refuser cette invitation-là. C'est le manufacturier le plus considérable de Lisieux, et qui m'a été le plus hautement fidèle. Je refuse toutes les invitations ordinaires. Il y avait là deux membres de l'Assemblée législative ; modérés parmi les modérés, mais à peu près convaincus que le Cabinet Dufaure ne tiendra pas quand l’Assemblée reviendra. Passy, Lacrosse et Tracy à peu près certainement. Dufaure et Tocqueville probablement. Pour mon compte, je n'y crois pas, et je les en ai plutôt détournés ; du moins pour Dufaure et Tocqueville. Si l’Assemblée avait de quoi les remplacer par un cabinet décidé, et capable qui eût vraiment envie de gouverner, et qui pût, en tenant toujours la majorité unie, la conduire fermement à son but, à la bonne heure. Mais cela n'est pas ; Molé et Thiers, les seuls plus capables veulent et ne veulent pas du pouvoir. Et s'ils le prenaient très probablement la majorité se diviserait au lieu d'avancer. Je suis pour qu’on redoute, et améliore par degrés le Cabinet actuel, sans toucher aux grosses pièces.
La fin de l'affaire de Hongrie tue la politique extérieure. On n'y pense plus. Rome seule embarrasse encore. On voudrait bien en sortir vite, et on n’ose pas trop si on n’y fait pas prévaloir, un peu de politique libérale. On finira par oser et par s’en aller quand même si le Pape ou son monde continue à résister. Le gouvernement actuel n’est pas, en état de pratiquer à Rome le bonne politique. Il ne la sait pas, et s’il la savait, il n’oserait pas l'avouer. Et pour la pratiquer avec succès, la première condition c’est de l'avouer très haut, et d’en faire une politique de l’Europe envers Rome ; politique adaptée, conseillée, soutenue et payée à Rome par les Puissances catholiques. Un Budget du Pape, comme chef de l'Eglise catholique, réglé et alimente de concert par les Puissances catholiques est le seul moyen d'assurer le succès de cette politique. Il faut que le Pape puisse vivre comme chef de l’église catholique, et en soutenir le grand état-major dont il est entouré sans être obligé de pressurer, par tous les abus imaginables, le petit pays dont il est le souverain temporel. Les Papes d’autrefois vivaient avec les revenus très gros qu’ils tiraient par toutes sortes de voies, les unes reconnues, les autres contestées, des états catholiques. Aujourd’hui, ils ne retirent plus rien, ou presque plus rien, du dehors ; et on veut qu’ils restent vraiment Papes, qu'ils gardent, et qu’ils soutiennent tous ces cardinaux, tout ce clergé, tout ce peuple d'ecclésiastiques qui est le cortège et l’armée de la Papauté ; et il faut que les petits états Romains suffisent à tout cela. C'est impossible. Cette fourmilière de prêtres ne peut pas vivre aux dépens de ce coin de terre sans un irrémédiable déluge d'abus. Que la Papauté soit épousée et soutenue par toute le catholicité ; et le Pape pourra laisser la population des états Romains faire elle-même ses affaires locales les discuter et les régler dans les communes dans les Provinces, sans que la souveraineté temporelle et spirituelle du Pape lui-même soit entamée, tant qu’on n’entrera pas ouvertement, et en disant pourquoi, dans cette voie, on s'embourbera de plus en plus dans les embarras et les complications dont on ne sait comment sortir.

Onze heures
J’ai été interrompu par la visite d’un ancien député conservateur, M. Leprevost. On m’arrive quelques fois à 9 heures du matin, quand on a couché la veille à Lisieux. Vous voyez que Rome est une de mes questions favorites. Je croyais avoir trouvé et commencé là quelque chose qui pouvait réussir, et qui valait la peine qu’on le fit réussir. Votre lettre de Dimanche et lundi arrive, et j’ai ma toilette à faire. Adieu. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 27 août 1849
3 heures

Je vois que le succès de l'Empereur préoccupe beaucoup les Anglais. Reeve m'écrit : " Aujourd’hui que les guerres de Hongrie, de Bade et de Rome sont finies, et que les armées dominent partout on se demande quel sera le rôle de la politique conquérante. Il me revient des bruits de rapports plus intimes, entre la Russie, l’Autriche et le président de la République représenté par le général Lamoricière ; rapports destinés soit à étouffer les foyers révolutionnaires en Suisse et en Allemagne soit à un certain remaniement des territoires menaçant pour les petits états qui sont peu capables de se défendre et de maintenir l’ordre chez eux. D'après ces bruits, il s’agirait même de mesures prononcées contre la Suisse qui présente en effet de grands dangers. Quoiqu’il en soit, cette politique toute Russe, laisserait tout-à-fait de côté l’Angleterre. Que faut-il penser de tout cela ? Il est certain que nous n'avons rien fait pour nous attirer la confiance de l’Europe ; et personnellement il n'est pas impossible que les yeux de Louis Napoléon se tournent du côté de St Pétersbourg. Mais le sol de l’Europe est peu affermi pour tenter de pareilles expériences."
Vous voyez qu’ils prennent bien vite l'alarme. Les hommes sont toujours, beaucoup plus prompts qu’il ne faut à l'espérance et à la crainte. Que d'agitations perdues? Ici, dans le gros du public on n'a pas l’esprit si éveillé. Les idées sont plus courtes, et les sentiments plus vagues. On n’était pas sans quelque intérêt de routine pour les Hongrois. Cependant votre succès ne déplait pas ; c’est un gage d’ordre et de paix. Cependant on n’est pas sans quelque inquiétude de votre puissance. Aurez-vous envie de vous mêler d'autres affaires ? On espère que non ; mais on n’est pas sûr ; si votre armée rentre tranquillement, en Pologne, vous serez presque populaires, comme puissants et comme modérés. Le mouvement de reprise des Affaires commerciales continue. Rouen, Le Havre, Lisieux, Elbeuf, Lyon sont assez contents. Paris souffre toujours, et les villes de province n’en sont pas fâchés. Il y a vraiment un sentiment de rancune profonde contre Paris. Mais de rancune plutôt que d'émancipation. Il me parait impossible que ce soit par bêtise que Lord & Lady Palmerston prennent si publiquement le deuil de la Hongrie. Il y a là un parti pris, un parti politique. Ils croient qu’il leur vaut mieux d'être populaires parmi les vaincus qu'agréables aux vainqueurs. Et puis la routine, les engagements, les relations personnelles. En tout cas, je conviens que fermer sa porte ce jour-là, c’est bien fort.

Mardi 20 août. 9 heures
Pour la première fois, je me souviens aujourd’hui que je n'aurai rien et j'attends la poste avec indifférence. Je vais dîner chez un de mes amis à six lieues d’ici. Il y aura beaucoup de monde ; un seul homme notable de la société de Lisieux est exclu, le gendre de M. Duvergier de Hauranne M. Target. Il s'est mal conduit envers moi, et j'ai déclaré en arrivant, que je ne le verrais pas. Il me fallait un bouc émissaire, un seul, pour les lâchetés et les trahisons. J’ai pris celui-là à l'approbation générale du pays. Je suis le plus amnistiant des hommes ; si peu d’entre eux peuvent me blesser ! Mais il y a un sentiment public de justice et de convenance auquel il faut donner une certaine mesure de satisfaction.

Onze heures
Adieu. Adieu. Je n'ai que cela à vous dire, et j’aimerais mieux vous le dire de près. Adieu. G. J’ai mes deux lettres aujourd’hui. Certainement je ferai comme vous ; j'irai les demander et me plaindre si cette irrégularité se renouvelle. Vous avez raison sur Milner. C’est un bon homme et intelligent. Cela m'amuse toujours de voir comme nous nous rencontrons, toujours dans le même avis. Je vous disais cela de Milnes, il y a quelques jours. Adieu, adieu, dearest. Je suis charmé de mes deux lettres. Il pleut. Je ne me promènerai pas autant qu’hier. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Dimanche 26 Août 1849.
Val Richer 7 heures et demie

Je n'ai point été nommé au Conseil Général. C'est le voisin que je vous ai indiqué. Malgré ce que j'ai dit on m’a encore donné 300 voix. Ma commune et deux communes voisines n’ont pas voulu aller voter du tout, plutôt que de ne pas voter pour moi. Bien des poltrons ont encore peur de moi. Bien des esprits faibles sont encore incertains. Dans les premiers temps de la révolution, les Républicains de toute nuance, et plus récemment mes anciens adversaires politiques, ont ardemment travaillé contre moi, dans tout le pays. Journaux, petits pamphlets caricatures, lettres particulières, mensonges spécieux ou effrontés, odieux ou stupides, tout a été mis en œuvre et non sans quelque succès dans quelques parties de cette masse qui n’a point d’yeux pour voir, ni de temps pour regarder. Il reste, et il restera longtemps encore des traces de ce travail. Mais évidemment le vent souffle aujourd’hui de mon côté. Le courage revient à mes amis. La faveur des indifférents me revient. On fait de tout côté, honte à ceux qui ont menti ou qui ont cru aux mensonges. Ma présence et mon immobilité plaisent. Je n'ai qu'à continuer, et je continuerai certainement. Je suis sur le flot qui monte. S’il monte assez haut pour me relever, à la bonne heure. Je ne suis point pressé et je ne me contenterai pas à bon marché.
Ce qui me contentera parfaitement dans trois heures, j’espère, c’est votre lettre vos deux lettres. Comment se fait-il que ces irrégularités aient attendu jusqu'à présent pour se produire et qu’elles se renouvèlent à si peu de jours de distance ? Si on lit nos lettres, et si ceux qui les lisent ont un peu d’esprit, ils doivent voir bien clairement deux choses, que nous ne nous gênons pas, et que nous n’avons rien à cacher. Ce n’est vraiment pas la peine de nous causer le très vif déplaisir d’un retard.
J’ai reçu hier un mot de Dalmatie qui m’a annoncé sa visite pour cette semaine. On me dit que M. de Corcelle est très malade, et qu’il pourrait bien mourir à Castellamare. Ce serait une perte pour le Pape dont il a épousé avec passion la cause. On me dit aussi qu’il y aura, un peu plutôt ou un peu plus tard nouvelle explosion en Piémont, au moment où le Roi sera obligé de dissoudre la Chambre actuelle. La Suisse redevient le foyer du volcan, et c’est sur le Piémont que la flamme se dirige. Suisse et Piémont seront envahis s’ils éclatent, et la République Française fera comme les autres, on laissera faire les autres. Si les gouvernements sensés, sont assez sensés, leur chance est bonne. Les fous sont faibles et bêtes. Je crains que la brouillerie qui a éclaté entre Narvaez et Mon ne se raccommode pas cette fois. Ce serait bien dommage. Adieu jusqu'à la poste. Adieu, adieu. Je vais faire ma toilette.

Onze heures
Voilà seulement la lettre de jeudi 23. Je devrais avoir aussi celle d'avant-hier vendredi. Est-ce que les lettres mettraient désormais trois jours à m’arriver ? Je ne puis pas le croire. Il faut qu’il y ait quelque méprise, quelque retard dans l’ajustement de Richmond à Londres, et de Londres à Paris. Vous y prenez surement grand soin, dearest. Pourtant, j'ai bien envie que nous retrouvions notre exactitude accoutumée. Jusqu'ici cela marchait si bien ! Adieu, adieu. Nous verrons si j'aurai deux lettres demain, ou seulement celle de Vendredi. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond vendredi soir 24 août 7 heures

J’ai été à la poste moi-même et j'ai eu l'air si misérable qu'il m’a semblé que les gens là ne pouvaient pas se dispenser de me fabriquer une lettre du Val Richer. J'ai eu raison, j’ai eu ma lettre. Pourquoi pas plutôt c’est ce que je ne conçois pas. Mais la voilà et me voilà contente. Mais quelle drôle de chose que dans cette lettre vous vous plaignez du même accident pas de lettre de moi ! Faites comme moi, allez mendier, et on vous donnera bien longue visite de Milnes, impayable, amusant, enragé hongrois. Proclamant à son de trompe l'humiliation de l'Autriche, le triomphe de la Russie, des barbares, disant mille absurdités. Au bout de tout cela, il me plait assez, bon enfant écoutant tout sans se fâcher, & je lui en ai dit dans ma couleur sans en gêner le moins du monde. Il a souvent des lettres de M. de Tocqueville. Les dernières étaient pleines de soucis. A propos des affaires de Rome. Il est resté chez moi deux heures ; je m'imagine que je l’ai diverti à mon tour Je l’ai mené chez Lady John Russell. Nous avons rencontré chemin faisant Madame de Metternich, elle a traité Milnes très mal, moi pas très bien, vu que j'étais une mauvaise compagnie.

Samedi 25 août
Lady Palmerston écrit à son frère des lettres fort aigres. Elle s'amuse de se laisser mener par moi comme un petit garçon, de n'être plus un Anglais, d’être devenu Russe. Enfin elle est bien contrariée de l'affaire de la Hongrie. Plus j'y pense moi, plus j'en suis contente. L'effet est immense. Je remarque que les rapports autrichiens éludent, quand il s'agit de dire à qui Georgy et son armée se sont rendus. C’est petit il faut dire la vérité. Il est bien naturel que les Hongrois préfèrent se rendre aux Russes. Les Russes rendent ensuite à l’Empereur d’Autriche, il fera comme il voudra. Nous ne lui passerons rien. Milnes veut qu’on ne condamne personne. Je lui demande pourquoi O'Brien avait dû être pendu. Il répond que quand les insurrections sont sur une grande échelle comme en Hongrie, ce n’est pas comme en Irlande. c-à-d. Que parce que le mouvement d'O'Brien na pas fait tuer des milliers d’hommes, il faut le pendre et attendre que Kossuth en a sacrifié 100 mille peut- être et ruiné son pays. Il faut [...]

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond vendredi 24 août 1849

Une longue lettre de Constantin du 20 de Berlin. Intéressante racontant Varsovie au moment où les bonnes nouvelles y sont arrivées. D’abord, rapport de Leeds, destruction & dispersion, du corps de Bem le 10. Une heure après courrier de Paskevitch annonçant la soumission de Georgy et la fin de la lutte L'Empereur était dans son cabinet avec quelques intimes il s’est jeté à genoux remerciant Dieu de sis faveurs. Et puis il envoie son fils aîné à l’Empereur d’Autriche pour le féliciter de la soumission de la Hongrie ne voulant confier cette mission délicate qu'à ce jeune prince qui certainement la remplira avec toute convenance ! Un autre Russe aurait laissé percer de la hauteur. Et puis courrier à Pétersbourg, à Moscou, annonçant la fin de la guerre. Constantin à Berlin mission de Convenance. Très bien reçu par le roi, grand dîner à la cour. Le roi portant au bruit des fanfares la santé des braves soldats russes leur souhaitant victoire toujours. Constantin ajoute mais modestement que le roi a porté sa santé à lui aussi. Il repartait le 22 pour Varsovie. Il restera auprès de l'Empereur jusqu’au départ de celui ci pour Pétersbourg. Dans 4 semaines toutes nos troupes seront sorties de Hongrie. J’espère que tout cela a bonne mine ! Les Hongrois se sont souciés absolument uniquement à mon Empereur. La nouvelle de ces grands événements est arrivée à Vienne le 18 anniversaire de la naissance du jeune Empereur et au moment du Te Deum à St Etienne pour cette solennité. Cela a fait une sensation immense. On y a vu un heureux augure pour son règne. Lui-même était allé à Ishel passer 8 jours auprès de sa mère. C'est là que mon grand duc sera allé le chercher. Van de Weyer est venu me voir hier. Tout-à-fait convaincu de l’Empire, ou du moins persuadé que le Président en est convaincu en grande gloire de son propre roi. Lady Palmerston a annoncé il y a quinze jours que tant qu’elle restera à Londres, elle recevra le corps diplomatique tous les Mercredi avant hier jour de l’arrivée de la grande nouvelle elle écrit à Koller pour le prier de prévenir l’ambassade d'Autriche que ce jour-là elle ne peut pas recevoir concevez-vous quelque chose de plus bête. Melbourne enrage Lord Westmorland est arrivé hier. Je le verrai. Ils viennent demain pour quelques jours au Star & Garter.

1 heure.
Pas de lettre ! Voici la première fois que cela m’arrive. J’en suis pétrifiée. Qu’est-ce que cela veut dire ? Je vous en prie, donnez-moi ma lettre aujourd'hui car je ne pourrai pas achever ma journée, si je ne l’ai pas reçue. Je ne puis rien vous dire de plus, car je ne pense qu’à votre lettre. Adieu. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Vendredi 24 août - 10 heures

Voilà donc les affaires de Hongrie terminées. J'en suis fort aise. Terminer pour la part Russe, non pour la part Autrichienne qui commence, et qui sera la plus difficile. L'affaire finit très bien pour l'Empereur. C'est lui qui a vaincu. C’est à lui que l’insurrection se soumet. Après avoir usé de sa force contre l’insurrection, usera-t-il de son influence pour la transaction, pour qu’elle soit sensée, et équitable, seule façon qu’elle soit durable ? Je ne sais pas du tout ce que la transaction doit être ; je ne connais pas assez bien les faits. Mais je suis sûr qu’il en faut une. Si la transaction était, comme la victoire, l'œuvre de l'Empereur, si la Hongrie lui devait l’une comme l’Autriche lui doit l'autre, ce serait grand et utile très impérial et très Russe. Cette fin du drame mérite qu'on reste assis pour y regarder. La satisfaction anglaise de n'être pour rien dans l'affaire de Rome ni dans l'affaire de Hongrie est un peu risible. L’inaction est quelquefois la bonne et la seule bonne politique. Mais quand d'autres ont fait là où soi-même on n'a rien fait, on peut être content, mais c’est un contentement dont en ferait. mieux de ne pas parler car il y a toujours, au fond, un peu de dépit que les paroles découvrent. En tout, il me semble qu'avec tout le monde, vous comprise, Lord & Lady Palmerston se remuent et parlent beaucoup. Cela n'est pas très digne, et cela n'indique pas des gens très satisfaits, ni très assurés dans leur situation.

3 heures et demie
Encore du monde. M. Janvier m’arrive pour 24 heures. Amusant ; rien de plus. Confirmant tout ce que nous pensons. Pas d'Empire. On n'en veut plus parce que cela aurait un air définitif sans l'être. On aime mieux le provisoire avoué. Peu m'importe que M. de Metternich voie dans ma lettre sur Rome qu'il s'est trompé une fois. Je ne serai même pas fâché qu’il voie que je le pense. Si c’est là la raison qui vous empêche de lui montrer ma lettre je suis d’avis que vous la lui montriez. Je serai charmé que Madame de Caraman fasse votre portrait, à condition qu’il sera pour moi. Elle y réussira peut-être mieux que Madame D. [?]. Essayez, je vous prie. Décidément il paraît que les voyages ne réussissent pas au président. Ses amis lui conseillent de n'en plus faire. Une bonne réception, dans une ville ne compense pas une mauvaise réception dans une autre. Il ne lui vaut rien qu'on le voie ainsi maltraité alternativement. Et quoi qu’il ne fasse pas de fautes, il ne fait pas non plus de conquêtes.

Samedi 25 onze heures
Pas de lettre ce matin. Evidemment on les trouve très intéressantes quelque part. Je ne suppose pas au rebond d'autre cause. C'est bien ennuyeux. Ma journée est gâtée quand ma lettre me manque. Adieu. Adieu. Adieu. Vous êtes bien heureuse. Vous n’avez pas encore eu cet ennui. Adieu, dearest. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond jeudi 23 août 1849

Quelle grande nouvelle ! Et comme je suis contente & fière. Convenez que nous avons bon air. Tout Richmond était en l'air hier, et radieux. La duchesse de Cambridge est accourue chez moi des plus joyeuses. Lady John Russell l’était fort peu. Elle a même très sincèrement avoué son regret. Et puis elle m’a dit " au moins nous ne nous sommes pas mêlés de ceci. " C’est tout juste pourquoi cela si bien été, et fini si vite. Elle n’a pas répliqué, je ne finirais pas si je vous disais tout ce que je vois au bout de cela. Et pour comment je suis persuadée que cela fait plaisir à l’Elysée, et aux bien pensants dans votre gouvernement. Vous verrez les fonds se relever partout. Ce qui remet sur jambes, un grand gouvernement donne de bonnes jambes à tous les autres. Dans tous les coins de l’Europe on se ressentira des coups que nous avons porter à la révolution. Melbourne est fou de joie. Quel dommage que les Palmerston ne soient pas ici, qui John soit en Ecosse !
Ma journée s’est dépensée hier comme toutes les autres en promenades visites, reçues, rendues, & jaserie, mais quelle charmante jaserie. Le cœur si content, c’est-à- dire, l’esprit content, car pour le cœur, il faut autre chose. Voici votre lettre. Ma question sur la sécurité à Paris ne porte que sur la rue. Peu m’importe le reste. Vous dites que la rue sera tranquille cela me suffit. J'aurais mieux aimé Boileau aîné que cadet. Quelle idée de se promener en Amérique ? Adieu. Adieu. Adieu. Oui il y a bien longtemps que nous nous disons adieu de si loin. Quand, quand, viendra le bonjour. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Mercredi 22 août 1849
3 heures

Si j’avais eu une lettre ce matin, je ne vous écrirais pas à cette heure-ci. Mais je ne puis pas tenir loin de vous. Il faut que je me rapproche de vous, n'importe comment. Je n’ai rien du tout à vous dire. Je ne comprends pas pourquoi, je n'ai pas de lettre, si elle a été mise trop tard à la poste, lavez bien la tête à Jean, je vous prie. Si c’est la faute de l’affranchissement, n'affranchissez plus du tout. Si vous étiez réellement malade, vous m'auriez fait écrire par quelqu'un. Je compte sur la bonne Princesse Crazalcovitch. Qu'il y a loin encore d’ici à demain ! Je viens de lire les journaux. Je n’y trouve rien à commenter. Il se fait, si je ne me trompe, un travail de décomposition, assez important dans le parti légitimiste. Le corps du parti se révolte contre la guerre, et se plaint de n'avoir pas de tête. Si la République dure quelque temps, ce travail portera ses fruits quelque soit le prétendant appelé à en profiter. Car je ne regarde point comme impossible que le parti légitimiste se décompose un jour, au profit de la branche cadette, comme le parti des Stuart s'est décomposé en Angleterre contre Jacques 2 donnant à la révolution de 1688 la plupart des Torys et ne laissant aux Stuart que les Jacobites. Mais ce jour ne viendra en France que s’il est encore bien loin car le parti légitimiste est encore bien loin de comprendre et la situation du pays et sa propre situation. Il lui faut, il faut à tout le monde en France de bien autres leçons. Cela fait trembler à dire. Quelles leçons nous ont manqué ? Je me dégoûte un peu d'ailleurs de chercher, dans les destinées de l'Angleterre, le secret de celles de la France. Peut-être n’est-il point du tout là. J'essaie de vous parler d’autre chose. Je ne réussis pas à penser à autre chose. Je vais me promener.

Onze heures
Voilà le Duc de Broglie et son fils. Et ce qui vaut mille fois mieux, vos deux lettres. Merci mille fois. Je chercherai d’où vient la faute du retard. Je ne veux aujourd’hui que la joie de l’arrivée. Mais je n'ai point de temps pour écrire. Adieu. Adieu, dearest. Mille fois. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Mercredi 22 août 1849

J’ai livré à lord Melbourne. Votre lettre sur le Pape. Il en raffole. Elle est admirable. (Il me l'a rendue cependant, mais lue tout à loisir.) C’est dommage que Metternich a tort une fois. dans cette lettre car du reste elle lui ferait un grand plaisir. Nous n’avons rien de nouveau par ici. Mais évidemment la guerre de Hongrie touche à sa fin. Dans huit jours j'espère apprendre le dénouement. Ce sera une grande affaire de terminée après cela cependant viendront pour le gouvernement autrichien les plus grosses difficultés. Vous savez qu'il a demandé à la Bavière 20 m. d'hommes pour venir garnisonner Vienne. Quelle situation pour ce grand empire ! Lord Palmerston est toujours et restera toujours bien hostile à l’Autriche. Il l'est un peu à nous maintenant. Ah comme Melbourne le déteste !
J'ai fait mon luncheon hier chez la duchesse de Glocester. Rien, qu'une excellente femme, et qui aurait bien envie que je passasse l’automne à Brighton avec elle. Mon fils est venu me voir hier. Il a pauvre mine, il est sans cesse malade à Londres et il est trop paresseux pour quitter sa vie de club. Brünnow est à Brighton, il n’y a vraiment personne à Londres. Lord Ponsonby écrit de Vienne à Lord Melbourne une excellente lettre. Toujours occupé à empêcher les personnalités entre Lord Palmerston & le Prince Schwarzemberg. Quand aux affaires de Hongrie, il n’a plus l'ombre du doute. Nous écrasons l’insurrection. L'Empereur sera bien content.

2 heures
Voici votre lettre. Curieux portrait de Lamoricière. Ce doit être vrai. Duchâtel vous mande exactement ce qu’il m’a mandé à moi. Il est clair que la durer de ceci n’est pas possible. Mais d’où partira l’explosion ? Que je voudrais qu'elle se fit vite ! Je n’ai plus aucun goût aux événements ; Je voudrais trouver les choses faites. Adieu. Adieu, vous voyez que je suis stérile aujourd’hui. Adieu.
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