Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Collection : 1853 (4 mars - 31 décembre) : La Russie face à l'Europe (1850-1857 : Une nouvelle posture publique établie, académies et salons)

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Vendredi 30 sept. 1853

Au point où en sont venues les choses, il n’y a plus de marge, ni de choix pour la conduite, à tenir ; il faut faire aujourd’hui ce qu’on eût dû faire au moment où l’on a rédigé à Vienne la note de transaction, insister péremptoirement auprès du sultan pour qu’il accepte de la main de Puissances amies, ce que votre Empereur a eu le bon esprit d'accepter, sans débat, de la main de Puissances méfiantes et jalouses. Et quels dangers réels la retraite, ainsi imposée au sultan l’expose- t-elle chez lui, et que peut-on faire pour la couvrir ? Je ne connais pas assez l'état des faits à Constantinople, ni le détail des négo ciations à Vienne pour avoir, à cet égard, des idées précises et pratiques. On a fait entrer des vaisseaux dans les Dardanelles ; on est donc en mesure de protéger le sultan contre le parti de la guerre, et de lui assurer la liberté de faire ce qu’on lui demande. On voudrait, ce me semble, rédiger à Vienne, au nom des trois puissances, une nouvelle note explicative de la première, et qui en donnant au sultan, sur ses objections, une certaine satis faction, elle ou apparente, lui permit de signer. sans embarras. Je comprends la possibilité d’une telle note, quoique je sois hors d'état s'en indiquer les normes ; mais elle n’est possible qu’en s'en entendant avec votre Empereur et en s’assurant qu’elle ne dérangera rien à son acceptation. Il ne faudrait pas que le commentaire lui fit repousser le texte qu’il a consenti. Comme je suppose toujours que votre Empereur veut la paix et ne joue pas un double jeu, je ne vois pas pourquoi il ferait objection à une telle note convenable ment rédigée, et qui sauverait un peu l’honneur du Sultan obligé de signer la première après l'avoir repoussée. C’est une affaire de procédés et de langage. Si on veut s'entraider et si on sait s'exprimer, on doit en venir à bout. Seulement, il faut que cette nouvelle note soit faite en commun par les trois puissances qui ont rédigé et proposé la première, son efficacité à Constantinople dépend du concert à Vienne. Encore ici, l’entente avec votre Empereur est nécessaire ; s'il travaille à détruire l'action commune et à séparer immédiatement l’Autriche de la France et de l'Angleterre, il rendra la note explicative impossible, et tous les embarras de la situation renaîtront d’autant plus que la note explicative me paraît aussi nécessaire à Londres qu'à Constantinople, et qu’il y a des ménagements à avoir pour la passion Anglaise aussi bien que pour la barbarie Turque.
Loin des incidents de Constantinople et des conversations de Vienne et d'Olmütz, tout ceci. n'est probablement que du bavardage. Je vous le donne comme il me vient à l’esprit. M. Monod voyage depuis plusieurs semaines, en Allemagne ; il était, depuis huit jours à Berlin. Voilà pourquoi je n'ai pas de réponse. Il sera dimanche à Paris.

Onze heures
Ne connaissant pas votre seconde dépêche explicative, je ne puis en tenir compte, ni savoir quelle part lui faire. Je suis de l’avis de Fould. Cela s’arrangera. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Vendredi 23 sept 1853

Votre note a deux mérites pour l'Europe, elle est très pacifique ; pour la Russie, elle prend la bonne position ; vous acceptez tout ce que l'Europe a demandé, et vous lui laissez l’embarras de le faire accepter à Constantinople. Vous prenez la peine de lui indiquer comment elle doit s’y prendre pour le faire accepter ; elle n'a qu'à déclarer franchement et énergiquement à la Porte & & Vous dites d'avance que vous évacuerez les Principautés dès que la note de Vienne sera acceptée à Constantinople et l’ambassadeur Turc arrive à Pétersbourg. Il n’y a rien à vous dire, vous profitez de vos avantages, en rassurant pleinement l’Europe sur vos desseins. Si l'Europe ne sait pas maintenir la paix, ce sera sa faute et non pas la vôtre. Elle la maintiendra. Elle obligera la Porte à accepter la note. Je ne sais pas par quelles lenteurs et qu’elles oscillations, il faudra passer pour en arriver là ; mais on y arrivera. Le résultat contraire serait trop ridicule et trop périlleux. En attendant le discours de Lord John ne me plaît pas du tout ; il admet beaucoup trop la chance de la guerre. Si c'est de la part de cette fraction du Cabinet une disposition à céder à l'opinion belliqueuse anglaise, c’est grave ; si ce n'est que ménagement pour cette opinion, avec l’intention au fond, de lui résister, je crois les ménagements plus dangereux qu'utile. Le cabinet anglais me paraît avoir deux peurs ; pour de la guerre, et peur d’un débat, en faveur de la paix dans le Parlement. Il voudrait la paix, sans débat. C’est une utopie. Il faut toujours se battre quelque part, et il vaut mieux se battre au dedans pour faire triompher la bonne politique qu'en dehors en l'abandonnant.
Je vois que votre grande Duchesse Marie, quitte l’Angleterre, malgré le goût qu’elle y a pris. Elle a raison de la quitter ; mais son goût me donne bonne opinion d'elle. Je dis de l’Angleterre ce qu’on a dit des ouvrages des grands maîtres.
C'est avoir profité que de savoir s'y plaire. Je suis de votre avis sur les paroles de l'Empereur au camp de Satory ; elles sont bonnes et bien dîtes à la fois militaires et pacifiques, agréables pour le dedans et pour le dehors ; et d’une flatterie noble, de celle qui relève ceux à qui elle s'adresse au lieu de les corrompre.
Avez-vous vu le maréchal Narvaez ? Ce sont ses amis qui rentrent au pouvoir à Madrid. Ils ne se suffiront pas longtemps à eux seuls. Ils auront besoin de lui. Dit-on que la Reine Christine retourne en Espagne ? Je suis en train de questions. Barante est-il à Paris ? Sa fille devait accoucher dans le cours de ce mois. S'il y est, vous seriez bien bonne de me dire son adresse. J’ai à lui répondre et je ne sais où le prendre. Il doit venir me voir au commencement d'Octobre. J’ai reçu hier une lettre de Piscatory qui veut aussi venir vers cette époque. Mes enfants remplissent presque ma maison, et j’ai besoin d’espacer mes hôtes pour ne pas les faire coucher à la belle étoile.
Adieu, Adieu. Le beau temps continue. J'en jouis autant au bois de Boulogne qu’au Val Richer. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Vendredi 14 oct. 1853

Il fait un temps magnifique depuis quatre jours. J’ai envie que cela dure une quinzaine. Je pars lundi pour aller passer dix ou douze jours à Broglie. Je me promènerais beaucoup là. Ici, mon jardin et mon Cabinet me suffisent et se passent plus aisément de beau temps. Écrivez-moi lundi à Broglie (Eure). J’y aurai votre lettre mardi matin. Barante m’a quitté hier. Douce et agréable société. Il sera à Paris lundi et veut être rentré dans ses montagnes, le 29 octobre pour y rester jusqu'à la fin de Mars. Il est occupé de son histoire du Directoire qui éclaira celle de la Convention. Ce sera certainement ce qu’il y aura de plus vrai, faits et appréciations, sur la grande révolution Française. Vous ne lisez pas le siècle, ni moi non plus ; il m'en est tombé l'autre jour un numéro sous la main, le 57e fragment, je crois d’une histoire de de M. de Lamartine.
L'Assemblée constituante, qu’il publie là, en articles, pour gagner de l'argent. A peu près aussi révolutionnaire que son histoire de la Restauration est légitimiste, et beaucoup moins de talent. Personne, ce me semble, n'y fait attention. C’est-à-dire dans notre monde à nous ; mais le monde du Siècle est nombreux, et tenez pour certains que les préjugés, et les manies révolutionnaires vont s'enracinant là, bien loin de s'éteindre.
Les Débats m'ont manqué hier. Ce que je tiens pour évident et pour très rassurant, c’est que si la guerre commence elle se passera entre vous et les Turcs et qu’on ne s’en mêlerait que si vous portiez la main sur Constantinople, ce que vous ne ferez pas, je pense. C'est un accident que cette guerre un malentendu, une bêtise, passez-moi le mot, de tout le monde. On ne souffrira pas qu’elle devienne une folie. Ce n’est pas du tout pour vous rassurer, et pour me rassurer moi-même, que je dis cela ; je le pense bien réellement.

Onze heures
Vous auriez tort d'aller à Bruges. Vous n'êtes pas assez forte pour faire de belles équipées. Adieu, adieu. Ce que dit Balabine est bien drôle.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Quatre lignes seulement j’ai plusieurs choses à finir d’ici à demain et rien à vous dire. Je doute que vous m'envoyez aujourd’hui la solution de Pétersbourg ; cela traînera encore. Je ne puis croire à la complète folie des Turcs ; à moins que vous ne la vouliez vous- mêmes. L’article du Times, que m'ont donné les Débats d’hier est plein de doute et d’inquiétude. A dimanche, les commentaires.

Onze heures
Vous aurez raison d'accepter. Cela ne vaut vraiment pas tant de bruit. Adieu. Adieu, à Dimanche.

Val Richer, Vendredi 9 Sept 1853

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 28 Mai 1853
8 heures

Je ne vous ai pas écrit hier en arrivant. J'étais en retard et mon facteur, en avance. Le temps m'a manqué. Je suis arrivé fatigué. Je le suis depuis quelque temps. J’ai besoin du bon air et du profond repos que je trouve ici. Le silence et la solitude ; rien à entendre et personne à attendre, pas plus de dérangement que d'affaire. Quand on devient vieux, il faut ou de grands intérêts ou un grand calme ; le mouvement de Paris dans l'oisiveté est une fatigue sans excitation. Je ne regrette absolument que vous. Il est vrai que ce qui est beaucoup.
Que du moins notre séparation profite à votre santé comme à la mienne. Vous ne serez pas aussi seule à Ems que moi au Val Richer et vous ne le supporteriez pas. J’espère pourtant que vous vous reposerez, et que vous reviendrez mieux portante que l’an dernier.
Prés, bois, champs, feuille, fleurs, tout est resplendissant de fraîcheur, et de jeunesse. Le soleil brille surtout cela. Quelques ondées de pluie coupent de temps en temps les rayons du soleil. C'est charmant à voir. Outre le plaisir du moment dans ce spectacle, j’aime à penser qu’il se renouvelle et se renouvellera chaque année depuis et pendant je ne sais combien de siècles, apportant à je ne sais combien de millions du créatures le même plaisir.
J’attends les nouvelles de Constantinople, avec curiosité, mais sans vraie inquiétude. Plus j’y pense, plus je me persuade que rien de grave n’en peut sortir, même quand vous vous brouilleriez tout-à-fait avec la Turquie, même quand vous lui feriez un peu de guerre. Il n’y a de grave aujourd’hui que ce qui engage la question révolutionnaire et tout l’Europe. On n'en viendra pas là.
Je suis frappé de la tranquillité de la bourse de Londres à côté de la vivacité des journaux anglais. Adieu. J’attendrai le facteur pour fermer ma lettre. Adieu, Adieu.

Onze heures
Je crois encore moins à la chute de Lord Aberdeen qu'à la guerre. Les Anglais ont encore plus de bon sens pour la dedans que pour le dehors. Je ne m’agite pas de tous ces bruits ; je n’aime pas, ensuite, à m'être agité pour rien. Merci de vous trouver triste et misérable. sans moi. Adieu, adieu.
Il ne fallait rien moins à Lord Cowley qu’une grosse fusion. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, samedi 17 sept. 1853

Je trouve les lettres bien fades après nos longues conversations. Savez-vous que nous avons passé six ou sept heures ensemble chaque jour ? Qu'est-ce qu’une petite feuille de papier, et une demi-heure de monologue après cela ?
Je n'ai comme de raison, rien de nouveau à vous dire. De près on peut redire sans cesse ; de loin, c’est ennuyeux. Je me suis ennuyé en route ; j’ai peu dormi. La nuit était claire et douce, une lune magnifique. Vous souvenez- vous de la jolie cavatine mira la vaga luna ? Qui donc chantait cela ? Mario au Grisi ? Personne ne chante plus.
J’ai trouvé ici la population très émue de la cherté du pain et des perspectives de renchérissement. A part le désordre matériel, ce sera une source de grand désordre moral, une recrudescence des plus mauvaises passions démagogiques. Le bruit se répand, et on le répand, que ce sont les propriétaires, les riches, les légitimistes qui causent le renchérissement, en gardant leur blé pour le rendre plus cher encore plus tard. Si c’est là une manoeuvre pour repousser l’idée que c’est la faute du gouvernement si le blé est cher, elle est aussi bête que coupable ; le peuple en voudra aux riches et au gouvernement tout ensemble. Dupin a fait à son comice agricole, un bien mauvais discours, s’il a envie de rentrer à la cour de cassation, qu'avait-il besoin de flatter les plus bas préjugés populaires, en même temps que le pouvoir ? Ce n’est pas la populace qui nomme les procureurs généraux. Je méprise, mais je comprends, les platitudes utiles. A quoi bon les inutiles. Du reste, ce luxe de bassesse des espèces est un petit plaisir que Dieu donne aux honnêtes gens ; il veut qu’on puisse se moquer de ceux qu'on méprise. Je vous quitte pour faire ma toilette. Votre lettre m’apportera peut-être quelque nouvelle. Petite nouvelle probablement ; nous n'en aurons de grandes que quand le refus de votre Empereur et les résolutions des cours d'Occident seront arrivées à Constantinople.

Onze heures
Je n'aurai de vos nouvelles que demain les journaux ne me disent rien de tout. Adieu et Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 8 octobre 1853

Je renonce plus que jamais à prévoir ; on ne prévoit pas les emportements de Barbares ignorants, ni les faiblesses d'Etats puissants, ni les étourderies de Ministres hommes de sens et d’esprit. Je ne sais si je radote dans mon coin ; mais, à mon avis, il n’y a pas, à cette crise si grave, un seul motif sérieux et elle aurait pu très aisément être évitée au premier moment et termine dix fois depuis qu’elle a commencé. C’est ce qui fait que je ne crois pas encore aux conséquences extrêmes. Que la guerre soit absolument faisable dans cette saison, c’est possible ; mais elle est à coup sûr, plus difficile. Vous n'attaquerez pas les Turcs. Pour vous attaquer, il faut qu’ils passent le Danube, très mauvaise chance pour eux. On restera probablement l’arme au bras ; et si on ne se bat pas tout de suite, passera-t-on l’hiver sans rien faire pour se battre au Printemps ? C'est le comble de l’invraisemblance. Je retombe toujours dans ma raison. Pourtant je suis inquiet. Je crois que je ne le serais pas du tout, si je ne l'étais pas pour vous. Mais vous êtes dans la question. Je persiste à croire qu’il s'est passé à Olmütz quelque chose que nous ne savons pas et qui laisse une poste entrouverte pour la paix.
Parlons d'autre chose. Avez-vous lu la vie du Marquis de Bouillé par son petit-fils René de Bouillé ? Cela vous intéresserait. Vous passeriez la partie militaire. M. de Brouillé a été l’un des rares hommes de sens et du caractère du parti émigré dans notre grande révolution, et il a été, en rapport avec tous les hommes considérables de son temps.

Onze heures
Bonne lettre dans notre péril. J’ai toujours confiance à la dernière extrémité. S'il y a quelque nouvelle chance de négociation, Aberdeen ne se retirera pas. Très probable ment d'ailleurs, il ne se retirerait pas seul, et vous savez qu’un cabinet nécessaire à l'intérieur, ne se dissout pas pour des raisons de politique extérieure. J’ai trouvé, pour la Princesse Koutschoubey, non pas tout ce qu’elle cherche, mais quelque chose qui, je crois, peut lui suffire quant à présent et vaut peut-être mieux pour commencer. Je le lui écrirai demain à elle-même, puisque vous le désirez. Je n'ai pas le temps ce matin. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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8 Je reçois, les N°7 et 8 à la fois et n'ai que le temps de vous écrire deux lignes. J’ai attendu le facteur.
Vous verrez que j’ai eu bien raison de ne pas croire à la guerre à la vraie guerre européenne. Le reste ne signifie rien. Je ne puis attacher aucune imposture aux prétendus dissentiments intérieurs du Cabinet anglais. Ils resteront tous. La mauvais temps et l’intérêt des affaires, deux bonnes raisons pour retarder votre départ. Adieu, Adieu.
G. Val Richer

4 Juin 1853

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 28 sept 1853

Je ne suis revenu hier qu'après une heure. Dix sept lieues et vingt sept heures pour aller dîner, c’est beaucoup. Il faut pour cela, aimer beaucoup ses amis et avoir bien envie de leur faire plaisir. Aussi fais-je.
Si l’entrée des flottes ne met pas le Sultan et Reschid Pacha en volonté et en état de signer la note de Vienne et d'en finir de cette pitoyable situation, c’est évidemment qu’il n’y a plus aucun gouvernement à Constantinople et que le moment de la chute de l'Empire Ottoman est arrivé. C'est possible. Ce n'est pas un bon moment pour une si grosse affaire. L’Europe est divisée, et mal disposée. Les questions, et les dispositions révolutionnaires sont au fond, et au-dessus de toutes les autres. Elles décideront des alliances et des conduites. C'est le chaos dans les ténèbres. Attendons l’entrée des flottes mettra peut-être fin, pour quelque temps, à la crise. C’est toujours mon pressentiment.
L’Angleterre me paraît entrer sans motif sérieux, dans une de ces ébullitions populaires qui lui ont quelquefois fait faire de grosses fautes, mais dont pourtant, elle est presque toujours sensément sortie. Et sortira-t-elle cette fois, ou y succombera-t-elle ? Cela dépend de ses chefs. Il y a, j'en suis convaincu, dans le pays, des points d’appuis assez forts pour résister aux meetings et faire prévaloir la bonne politique. Le bon jugement, et le bon vouloir ne manquent pas à lord Aberdeen. Aura-t-il assez d'énergie ? Je le désire vivement pour lui, pour son pays et pour l'Europe.

Onze heures
Voilà une longue lettre et intéressante, quoique toute cette agitation soit vraiment assez ridicule pour une question qu’il serait si aisé de finir. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 12 oct. 1853

J’ai Barante ici depuis avant hier ; il ne m’a rien appris, mais nous causons beaucoup. Il est aimable, bon, et de mon avis presque sur toutes choses. Il ne croit pas plus que moi, et que M. de Meyendorff qu’on se batte sérieusement, ni que la France et l'Angleterre s'en mêlent réellement. L’attitude et l’unanimité du cabinet anglais disent aussi cela. Piscatory m'écrit que nous ne tenons pas assez de compte des Barbares, des Turcs eux-mêmes, et que leur ignorance et leurs passions déjoueront, toute la modération Européenne. Je ne le crois pas pourtant ce qui se passe depuis un mois lui donne quelque apparence de raison. Voyez-vous les Holland ? Barante dit qu’ils sont très animés, et que, ces jours derniers. Thiers, chez eux, était fort à la guerre. Il a eu là, à ce sujet, une dispute très vive avec Cousin, grand partisan de la paix. " Voilà comme vous êtes toujours, vous voulez recommencer 1840 & & " Cousin développe très bien un bon thème.
Avez-vous lu la lettre de Montalembert à Dupin qui lui avait envoyé son discours au comice agricole de Corbigny ? C'est vieux, mais c’est vif et bien tourné.
La correspondance d’Havas ferait mieux de ne pas trahir si clairement, dans son petit bulletin politique, son désir de la chute de Lord Aberdeen. J'y trouve aujourd’hui cette phrase : " Au jour où le gouvernement anglais se déciderait à entrer en lutte avec la Russie, il est possible que les précédents de l'illustre diplomate deviennent gênants et qu’il soit utile de remettre la conduite de la guerre en des mains plus vigoureuses et moins engagées ; mais tant qu’il reste quelque espoir de conserver la paix, tant qu’il y a des négociations à suivre, des concessions à solliciter, l'influence pacifique du nom de Lord Aberdeen est bonne, ce nom semble à conserver ? C’est une maladresse d'être à la fois timide et malveillant. On me dit que Naples est assez agité surtout la Sicile ; les correspondances de Malte recommencent. Le Roi de Naples est convaincu que, si la guerre éclatait, la Sicile serait la vraie indemnité anglaise. Les perspectives de cet avenir là commencent à agiter beaucoup aussi Rome et Turin.
Vous devriez lire les nouvelles lettres de la Palatine, Madame mère du Régent. M. de Sainte Beuve en donne dans le Moniteur, un extrait piquant. Je ne connais pas un exemple pareil de grossièreté unique dans le langage ; mais le fond est sensé, spirituel et honnête. Cela vous amuserait. Je ne connais pas du reste encore les nouvelles Lettres. Je n'en parle que d'après le Moniteur.
Onze heures
Adieu, adieu. Je n'ai rien de plus à vous dire. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 20 sept 1853
4 heures

Merci de la lettre que j’ai reçue ce matin, et que je n'attendais pas. Je suis bien aise que la dépêche adressée à M. de Meyendorff vous ait satisfaite ; c’est un bon effet qui viendra à propos ; tout le monde a envie d'être satisfait. Je vois du reste que la première motion de votre refus commence à passer. Les joueurs sont prompts à la crainte et à l'espérance.
Vous avez bien raison de vous promener trois heures ; le temps est magnifique ; j’ai marché hier deux heures de suite dans les bois. J'avais travaillé sans me lever une fois de mon fauteuil, depuis cinq heures et demie du matin jusqu'à onze heures. Vous aurez besoin de me répéter plus d’une fois la terre de M. Drouyn de Lhuys pour que j'y croie.
Si vous preniez aux détails et aux intrigues politiques du passé un peu de l’intérêt que vous prenez à celles du présent, je vous engagerais à lire, dans la Revue des deux mondes, le Ministère de Lord Bolingbroke sous la Reine Anne, par M. de Rémusat ; ce sont les premières campagnes, du régime parlementaire en Angleterre. Moi, cela m'amuse. Pour vous ; ce serait trop long et trop ancien. Barante m'écrit : " Ce pauvre, M. de Rémusat, la mort du gouvernement parlementaire lui fait tant de chagrin que, pour se consoler, il le dissèque. "
J’ai une corvée lundi prochain ; il faut que j'aille dîner chez M. Hébert, à six lieues d’ici. Il vient me voir régulièrement tous les ans. Je lui ai promis d’aller une fois chez lui. Il me demande de lui tenir ma parole. Je ferai cela lundi. L’ancien précepteur de mon fils vient de m’arriver avec sa femme pour passer ici quatre ou cinq jours. Dites-moi, si vous avez dit à la Princesse Koutschoubey ce que je vous ai dit pour les commencements de son fils. Je parlerais de lui à mon professeur. qui est un homme sensé et très au courant des bons maîtres.

Mercredi 21
En vous parlant d’une mission trop secrète, je vous ai nommé je crois la Revue des deux mondes ; il me revient à l’esprit que je me suis trompé, et que c’est dans la Revue contemporaine (numéro du 15 sept) que se trouve cette petit histoire assez amusante.
Lisez, si vous ne l’avez déjà lu, dans les Débats d’hier, l'article sur les dépenses qu'impose déjà à la ville de Paris le prix actuel du pain ; vous verrez à qu’elle somme énorme cela s'éleverait si on continuait sur ce pied.
Adieu, adieu. Je vais lire l'analyse que donnent les Débats de votre nouvelle prière. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 4 octobre 1853

J’attends impatiemment mon facteur pour savoir ce qu’il y a de vrai dans la nouvelle que m’a donnée hier, en gros caractères, l'Assemblée nationale ; la conférence reprise, la solution prochaine, plus prochaine qu’on ne peut croire &&. Quoique je ne parvienne pas à m'inquiéter sérieusement, je serai bien aise d'être complètement rassuré. Je suppose que M. Mallac aura eu cette nouvelle de bonne source ; il ne l'aurait pas donnée avec tant d’apparat s'il n’avait ou quelque droit de la tenir pour certaine.
Si c’est là le résultat de la réunion d'Olmütz, il fera grand honneur à votre Empereur.
Je ne puis croire à vos alarmes sur Lord Aberdeen. Il lui en coûterait de faire la guerre pour de bonnes raisons ; il ne la fera pas pour de mauvaises, ou plutôt pour point de raisons du tout. Je sais ce que c’est que l’entrainement des folles impressions populaires et qu’elle est la difficulté d’y résister, et je n’ai pas une confiance illimitée dans la force de résistance de notre ami ; mais vraiment plus j’y pense, plus il m'est impossible, de me persuader que le bon sens Anglais succombe à une si misérable épreuve.

Onze heures
Vous ne confirmez pas les bonnes nouvelles de l'Assemblée nationale. Pourtant il me semble que le souffle qui vient d'Olmütz est pacifique si on veut la paix là, elle se fera. Il est impossible que la maladresse aille jusqu'à faire faire à tous les puissants de l'Europe le contraire de ce qu’ils désirent. J'essaierai ce que vous me demandez pour Aberdeen. Je dis j'essayerai parce que je ne suis pas sûr de me satisfaire moi-même. Je sais ce que c’est que de parler de ce qu’on ne sait pas à fond ; on dit cent sottises, et je n'en veux pas dire. Mais dans ce que je sais, je suis si convaincu que je ne demande pas mieux que de le dire, et de dire pourquoi. Adieu, adieu. Vous avez bien fait de causer à cœur ouvert avec Marion. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer 26 sept. 1853

Je coucherai chez M. Hébert et n'en reviendrai demain probablement qu'après l’heure de la poste. Deux lignes aujourd’hui pour que vous n'attendiez pas une lettre qui n’arriverait pas. Mais je n’ai rien à vous dire. Je vois que la Bourse de Paris est bien inquiète. Si Lord Stratford joue en effet un double jeu, c’est assez pour entretenir les Turcs dans de fausses espérances, et alors tout est possible. Mon instinct est pourtant toujours qu’on s’arrangera. Vous ne lisez pas le Siècle. Il est ravi de l'espérance de voir recommencer la grande lutte révolutionnaire. Et cette fois la France et l'Angleterre du même bord. on y joindra les Etats-Unis qui ne demandent pas mieux que de se mêler des affaires de l’Europe pour que l’Europe ne se mêle pas de celles de l’amérique ; et on verra au Printemps prochain ! Avec la façon dont le Roi de Naples, le Pape et l’Autriche gouvernent l'Italie, il ne sera pas difficile d’y mettre le feu. Et tout cela pourquoi ?

Onze heures
Le sultan sera protégé en même temps que les nationaux et il signera. L'affaire sera finie jusqu'à ce qu’elle recommence. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, lundi 19 Sept 1853

Vous avez très bien pris votre position, en vous tenant en dehors des discussions avec la Porte, et on en renvoyant à la conférence de Vienne tout l'embarras. C'est la seule marche correcte et, c’est en même temps la plus pacifique. Quand on aura décidé la Porte à accepter ce que vous avez déjà accepté, on viendra vous le dire, et tout sera fini. On l’y décidera, je n'en doute pas, n'importe par quels moyens. On aurait dû commencer par là. La situation est fausse pour tout le monde ; tantôt on prend, tantôt on ne prend pas l'Empire Ottoman au sérieux, on le traite tour à tour comme un grand état et comme un cadavre. De là, les fautes. On oublie à chaque instant l'attitude qu’on avait et le langage qu’on tenait l’instant d'auparavant. On ne sait pas être aussi inconséquent et contradictoire qu’il le faudrait. Je m'amuserai à voir comment on s'y prendra pour se donner à soi-même. Tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre, tant de démentis. J’ai beau faire ; je ne peux m'attendre à rien de plus grave dans cette question.
Votre Empereur devrait bien interdire au prince Gortschakoff les proclamations. Si Omer Pacha en faisait de son côté, la guerre serait difficile à éviter.
Je vois que Lord Palmerston a quitté Londres. D'autres aussi sans doute. On sera convenu de l'action commune. Je suis fort aise que Molé ait de l’espoir pour ses yeux ; s'il y a un commencement de mieux, c’est la preuve qu’il n’y a point de paralysie, du nerf optique. Si vous le revoyez, soyez assez bonne pour lui dire que je regrette aussi beaucoup de ne l’avoir pas vu avant mon départ. Je n’ai trouvé jeudi dernier à l’Académie que Vitet et Cousin avec qui causer, Ste Aulaire n’y était pas, ni aucun autre de mes amis. La Reine Christine abuse de la platitude. C'est un mal très commun, et qu’on pourrait s’épargner sans le moindre inconvénient. Elle aura eu de l'humeur de n'être pas reçue à Claremont. Le Duc de Montpensier s'en ressentira peut être. A la vérité, quand on a de l’esprit et de la bassesse, on n'a guère d'humeur. Adieu.
Je n'ai plus à vous parler que du beau temps. Vous en jouissez au bois de Boulogne. Mes bois sont plus jolis, mais vous n'y êtes pas. Adieu.
Mes amitiés à Marion. G. Lisez dans le dernier numéro de la Revue des deux Mondes, une bouffonnerie intitulée : la mission trop secrète. Trop longue, mais drôle.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, lundi 10 octobre 1853

Je n’ai encore sur le meeting ou la Taverne de Londres que l'énoncé des propositions qui ont de lui être soumises et qu’il aura sans doute adoptées. C'est bien mauvais. Absolument la politique du siècle en France et du Daily news en Angleterre ; la politique des révolutionnaires badauds et décla mateurs, en attendant celle des révolutionnaires hardis et acteurs. C'est la même situation que chez nous en 1840, seulement l'autocrate russe a remplacé le perfide Albion. Je ne puis croire que tout cela soit réellement populaire et fort en Angleterre. Mais tel est l'état des esprits en Europe que pour résister, même à une popularité uniquement superficielle et apparente, il faut beaucoup de fermeté d’esprit, et de courage, et aussi de talent pour arracher le masque et faire voir le dessous au public. Y en aurait-il assez dans le cabinet anglais ? Gladstone a le talent ; Aberdeen a le bon sens ; Palmerston a le courage. Cette trinité se fera-t-elle Une. Je suis un peu inquiet et encore plus curieux. En tout cas, nous avons du temps devant nous. Il ne faudrait plus croire à rien si, à la fin d'Octobre, les Turcs passaient le Danube et vous attaquaient dans les principautés de manière à vous obliger de le passer à votre tour et de pousser jusqu'à Constantinople. Le Times indique que même si cette guerre là éclatait l’Angleterre et la France ne se presseraient pas d’y entrer.
Le public de province commence à s'alarmer. Il est très préoccupé de la disette. On croit généralement la récolte plus mauvaise qu’en 1846. Il nous manquera près du quart de la nourriture de l'armée. Il faudra au moins 400 millions pour combler ce déficit. D'après les dernières nouvelles du Havre, il y avait déjà, dans les ports des Etats-Unis, 500 navires, en chargement de farine et de grain pour la France. Cela rendra la guerre bien difficile. On ne la fera pas sans faire un gros emprunt, et on empruntera très chèrement au moment, où les capitaux s'emploient à avoir du pain. Embarras énorme, probablement débâcle affreuse à la Bourse. Cela vaudrait bien la liberté de la presse. L'Empereur a raison de vouloir la paix. S’il la veut bien, il l'aura. L'Angle terre ne fera pas la guerre sans le concours de la France. Si l'Empereur ne maintient pas la paix, c’est qu’il ne s'en soucie pas beaucoup.

Onze heures
Je suis fâché que la guerre soit déclarée si elle l'est, et bien aise que le cabinet anglais reste entier. Pourvu que la guerre ne devienne pas générale, et que l’Angleterre et la France gardent le caractère de médiateurs, l'affaire s’arrangera tôt ou tard, et en attendant vous êtes en dehors de la question. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 6 octobre 1853

J’y ai pensé et je crois que je n'écrirai pas. C’est toujours quelque chose de délicat que de donner des conseils surtout quand on ne vous les demande pas. Au moins faut-il bien savoir ce qu’on dit, et dire tout ce qu’on pense. Ces deux conditions me manqueraient. Ce qui se passe depuis vos dernières notes, ce que vous que dîtes de Lord Lansdowne, d'abord doux, puis irrité après avoir causé avec Lord Cowley, les quasi-velléités de guerre d'Aberdeen lui-même, tout cela me fait supposer qu’il y a des choses que je ne sais pas. Et quant aux choses générales, si le disais tout ce que je pense de la situation, j'en dirais trop ; si je ne disais pas tout, je dirais trop peu, et ce n’est pas la peine. J'attendrai, toujours décidé à n'être pas inquiet. Il faudra que je voie la guerre pour y croire.
Je trouve la Patrie, bien embrouillée dans sa réponse à l'Assemblée nationale. Je ne sais à qu’elle source, l'Assemblée avait puisé ses nouvelles ; mais la patrie à l’air de ne les démentir qu’à vous, et avec plus d'humeur que d'autorité.
Avez-vous remarqué la décision du petit conventicule italien qui s’est tenu à Londres autour de Mazzini et où sa politique violente n’a eu que trois voix ?
Marion serait bien aimable de me rendre un petit service. Les Durazzo, si je ne me trompe, sont à Paris. Je trouve, dans l’histoire du Piémont au 17e siècle, un nom que je ne suis pas sûr de savoir correctement ; c'est un marquis de Pianessa qui a joué un rôle dans les affaires des Vaudois et de Cromwell, à cette époque. Lui et sa femme étaient des gens considérables à la Cour de Turin. Quel est vraiment leur nom ? Est-ce Pianessa ou Pianezza ? Les Durazzo savent certainement cela. Marion aurait elle la bonté de le leur demander pour moi ? Je l'en remercie. d'avance.
Puisqu’il ne sait que de Noël, je serai à Paris bien avant le départ de Marion, et nous en causerons. Je ferai de mon mieux pour abréger l’absence.

Onze heures
C'est bien grave, et bien insensé. Il sera dit que les gouvernements n’ont pas plus de bon sens que les peuples. Voici ce que m'écrit M. Monod. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 16 oct. 1853

Je vous envoie la lettre que je viens de recevoir de M. Monod. Vous la trouverez détaillée sensée et très consciencieuse. Vous me direz ce que je dois répondre.
Savez-vous si la Princesse Koutschoubey a reçu ma lettre. Je l’ai adressée à l'hôtel Bristol.
Gladstone a supérieurement parlé à Manchester. Il me paraît que le mouvement belliqueux n’a pas grand retentissement en Angleterre. Je serais charmé que la mauvaise politique fût, là, percée à jour et repoussée, et la bonne comprise et soutenue par le bon sens public. Ce serait un grand triomphe. dans une grande épreuve. Si cela est vous aurez, entre vous Russes et Turcs, bien de la peine à vous battre, et si vous vous battez, on ne se battra pas pour vous et on trouvera quelque moyens d'empêcher que vous ne vous battiez longtemps. A travers toutes nos oscillations et vos agitations, cela me paraît le résultat le plus probable. Si ce n'était vous, je crois que je n'y penserais plus guère.. Je suis à la veille d’un assez grand dérangement, pour l'hiver prochain, dans mon intérieur. Ma fille Pauline, sans être malade, est toujours fatiguée et faible. Elle n’a pas repris ses forces depuis sa dernière couche. Son médecin, qui est venu ici, lui conseille positive ment d'aller passer l'hiver dans le midi, à Hières, ou à Nice. Son mari en est d’avis, et moi aussi. On prévient beaucoup de malheur en prenant tout de suite ces précautions- là. Elle partira donc bientôt, et mon ménage de l'hiver se réduira à Guillaume et moi, avec ma fille Henriette à côté. C’est une contrariété ; mais quand on a ressenti les grandes joies et les grandes peines de la vie, les contrariétés sont peu de chose. Je n'ai pas de vraie inquiétude sur ma fille mais je crois tout-à-fait bon pour elle. qu'elle aille passer l'hiver sous un ciel doux et dans un complet repos. Je remercie Marion de m'avoir tiré d’embarras sur Pianezza.

Onze heures
Voilà votre lettre qui ne m’apprend rien, comme je m’y attendais. Vous m'écriviez le 24 septembre : " Hélène est bien touchée de vous voir vous occuper d'elle. Elle prendra à genoux le précepteur que vous lui recommanderiez. Je vous prie donc d'essayer de trouver et de lui adresser directement votre trouvaille. " Je ne sais pas une autre manière d'adresser directement que d’écrire.
Je crois que là le Duc de Nemours a dû voir, M. le comte de Chambord. Mais je n'en sais rien de positif. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 2 octobre 1853

J’aime bien le discours de Gladstone à Inverness. Voilà, comment il faut parler de la politique de la paix. Ceux qui ne la recommandent qu'au nom du repos et des intérêts matériels ne savent pas qu’ils sont les mobiles les plus puissants sur l'esprit des peuples. Et puis, je trouve le ton de Gladstone décidé et ferme. Palmerston aussi a bien parlé. Si l'Angleterre persiste dans cette voie, je persisterai aussi dans ma confiance. J’ai lu dans l’Assemblée nationale d’hier. Le texte original de vos deux notes. La première est en effet très bonne au fond et dans la forme, pacifique avec la dignité tranquille d’un grand gouvernement. Mais je suis tout à fait de l’avis de ceux qui désapprouvent la seconde. Je n'entre pas dans la débat des phrases et des mots. A quoi bon le débat même, y eussiez-vous cent fois raison ? La première nole établissait très bien votre position générale, et en haut ; pourquoi descendre à des questions très particulières, et très petites dans leur aspect, quel que soit le lien qui les rattache à la grande ? Pourquoi vous faire avocats et théologiens, et fournir aussi aux cabinets et aux journaux l'occasion de se faire avocats et théologiens à leur tour ? Ils abusent de l'occasion, et par là, ils entretiennent la prévention populaire qui vous soupçonne de vouloir tout autre chose que ce que vous dites. Et c’est cette prévention qui embarrasse et affaiblit les gouvernements amis de la paix. Votre situation et votre politique envers la Turquie sont si complexes que vous ne pouvez entrer dans les détails sans prêter le flanc par quelque côté ; vous voulez aujourd’hui la paix, le statu quo, et en même temps vous saisissez, vous ne pouvez pas ne pas saisir, quand ils se présentent, les moyens de faire des pas vers un avenir qui n’est, ni le statu quo, ni la paix. Vous êtes donc incessamment exposés à ce que vos intentions présentes et vos vues d'avenir se mêlent et se donnent des démentis mutuels et dans cette confusion, le public, qui n’y regarde. pas de près, confond à son tour toutes choses, et prête à vos démarches, à vos paroles d'aujourd’hui un sens qu'elles n’ont pas aujourd’hui, mais qu’on y peut mettre quand on se transporte dans l'avenir. C’est là l'écueil dont vous avez à vous garder, et votre note explicative nous y pousse au lieu de vous en éloigner. Je ne connais pas de plus grand danger, dans les grandes affaires, que la fantaisie de prouver en détail qu’on a et qu’on a toujours eu raison.
J’ai des nouvelles de Claremont. La Reine est en effet revenue malade de la mer ; mais elle repart, et elle est, je crois, déjà repartie par Douvres et Ostende pour aller par terre s'embarquer à Gênes d’où la traversée, en Espagne est beaucoup plus courte et par une mer plus douce.
J’espère que l’indisposition de Marion n'est rien. Avez-vous eu, avec elle, votre conversation et va-t-elle passer quelques jours en Angleterre ?

Onze heures
Certainement, si la guerre éclate, tout le monde sera fou et aura été bien maladroit. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 25 sept 1853

Si l'Angleterre abandonne la bonne politique, si Aberdeen tombe, si la question passe dans les mains, on Occident des Journalistes, et en Orient des vieux Barbares, il faudra bien que je perde ma confiance dans la paix. La guerre, et la guerre générale, et la guerre révolutionnaire, pour un pareil motif, et avec de telles dispositions de tous les grands gouvernements, ce sera le fait le plus fou, le spectacle le plus ridicule, et le plus gros danger qui se soient vus depuis longtemps dans le monde. C'est encore ma raison pour n'y pas croire. Mais j’ai appris que tout est possible.
Si on veut la paix à Paris, je ne comprends pas qu’on parle mal de Lord Aberdeen, et qu’on désire sa chute. C’est une puérilité de dire qu’il n’est pas l’ami de l'Empereur Napoléon ; Aberdeen est l’ami de tout gouvernement régulier et qui soutient, comme lui et de concert avec lui, la politique de l’ordre Européen. Si j'étais l'Empereur, j’aimerais mieux le concours sans amour de Lord Aberdeen que l’intimité aventureuse de Lord Palmerston et les compliments maladroits de Lord Malmesbury. Si, au fond du cœur, on désire la grande guerre à Paris et si on s'en promet de bonne chances, je n'ai rien à dire, sinon qu’on le trompe, le tempérament de l'Europe n’est pas à la guerre ; ni peuples, ni rois ; il peut y avoir des fantaisies momentanées, de faux désirs de guerre ; les passions guerrières n’y sont pas, et tous les grands intérêts sont pacifiques. Les pouvoirs et les hommes quels qu’ils soient, qui commenceront la guerre sans une nécessité absolue, évidente, seront bientôt omis, maudits et immensément compromis. Il n’y a rien dont il faille plus se méfier aujourd’hui que de ces courants superficiels et passagers auxquels se livre quelquefois l'opinion publique dans le sens de la guerre ; il y avait, en France, un courant de ce genre en 1840, à propos de Méhémet Ali ; si le Roi Louis- Philippe s’y était laissé aller, l'Europe aurait été, sans dessus dessous en 1840, au lieu de ne l'être qu'en 1848. C'est un courant semblable qui paraît en ce moment en Angleterre courant sans profondeur comme sans cause ; si l'Angleterre s’y abandonne et si la France s’y fie pour courir les grandes aventures, elles s'en trouveront mal l’une et l'autre, et toute l’Europe s'en trouvera mal avec elles. Les tendresses de Lord Palmerston et de Lord Malmesbury seront alors une pauvre consolation.
J’ai parlé à mon professeur d’un gouverneur pour la Princesse Koutchoubey et un maître élémentaire en attendant le Gouverneur. Il n’a sous la main, ni l’un ni l’autre ; mais il m’a promis de chercher dès qu’il sera de retour à Paris. Il croit le second plus aisé à trouver que le premier.
J’ai redemandé une réponse à M. Monod. Je m'étonne de ne l'avoir pas reçue. Adieu. Plus de beau temps. Ma course de demain chez M. Hébert sera peu agréable par cette pluie. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Vendredi 11 Nov. 1853

Les feuilles d'havas me donnent une dépêche télégraphique de Vienne, du 8, qui dit que les Russes ont attaqué les Turcs et que ceux-ci ont conservé leur position. Je suis décidé à ne rien croire que les nouvelles officielles, et celles-ci pas toujours.
Je vois que Lord Palmerston a eu une brillante réunion à Broadlands, presque tous les diplomates. Je suis assez curieux de savoir quelle sera la fin de cette carrière.
Le discours au Roi Léopold à l'ouverture de ses Chambres fait un grand contraste avec cette agitation et cette confusion de toute l’Europe. Je voudrais qu’il réussit aussi bien dans les conseils à Londres que dans son gouvernement à Bruxelles. Mais ce ne sont pas les bons conseils qui manquent à Londres. Vous voyez que je n'ai absolument rien à vous dire. Je vous écrirai pourtant encore dimanche et mardi. Jeudi, nous causerons.

Midi.
Triste lettre et triste début d’hier. Je ne vois guères maintenant d’autre chance de salut que celle sur laquelle vous comptez, la bêtise générale. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, samedi 5 nov. 1853

Il semble que nous devons apprendre bientôt que vous avez battu les Turcs. Si vous suivez mon plan de campagne, votre victoire amènera promptement la paix. Vous y aurez honneur et profit. Les journaux ont tous l’air de savoir vos dernières nouvelles et de croire plus que jamais à la paix. J’attends avec quelque impatience ce qui nous viendra de Valachie. On me dit que le motif du rappel de M. Delacour, c’est qu’il a été trop souvent de l’avis de M. de Bruck, trop favorable à la politique autrichienne.
Depuis que ce pauvre Valdegamas est mort, vous ne pensez certainement plus jamais aux affaires d’Espagne. J’ai quelque curiosité de savoir s’il est vrai que le nouveau ministre américain à Madrid, M. Soulé, qui a été si doux dans son discours à la reine, ait pourtant demandé à acheter Cuba, et ce que pense de cette demande le Maréchal Narvaez. Le voilà rentré à Madrid nous entendrons bientôt parler de lui. Est-il venu vous voir avant son départ ?
On dit que la Reine Christine a été très surprise que la Reine Marie Amélie n'ait pas voulu la recevoir, et qu’elle n’a pas pu comprendre pourquoi. Il y a un certain degré d’égoïsme qui en effet ne peut pas comprendre qu’on ne l'accepte pas toujours tel qu’il est et qu’on lui demande jamais autre chose que ce qui lui convient.
J’ai des nouvelles de la Reine Marie- Amélie ; elle avait passé, les Alpes et assez bien supporté ce voyage. Elle doit être arrivée à Gênes. Si elle ne retombe. pas malade, sa passion d’aller à Séville lui fera braver trois jours de mer. C’est une indisposition du comte de Paris qui a empêché Madame la Duchesse d'Orléans de se rendre à Genève, auprès de la Reine.

Onze heures
Votre lettre ne vaut pas la dernière. Il n’y a plus qu'à attendre les événements. Les hommes ont bien mal jouer leur rôle. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 9 Nov. 1853

Je viens de parcourir, cet immense acte d'accusation contre le complot, de l'opéra comique. Ce sont les mêmes idées, les mêmes desseins, les mêmes paroles que de mon temps. Les noms propres ne signifient plus rien, ni pour le gouvernement, ni pour les conspirateurs. C'est une perversité et une démence permanente, abstraite, qui passe de génération en génération, sans qu’il vaille, la peine de savoir qu’ils en sont les instruments momentanés ; ils ne se distinguent pas les uns des autres, et ils s'attaquent indifféremment à Charles et à Louis-Philippe, à Napoléon III, à Frédéric Guillaume à Ferdinand. Le premier qui trainera réellement ce démon rendra un immense service à l'humanité.
Les journaux ne m’apprennent absolument rien. Sans doute on ne s’est pas encore battu. On ne cache pas longtemps une bataille. Je suis décidé à croire que vous rejetterez les Turcs dans le Danube, et que l'affaire finira par là. J’ai bien des choses à vous dire, mais nous sommes trop près de nous revoir. Nous causerons la semaine prochaine. Je pars décidément. Mercredi soir 16.
J’ai des nouvelles de Broglie, de Piscatory et de Barante qui m’en disent encore moins que les journaux. Barante est frappé de l'apathie universelle, sauf une seule espèce d'homme, la démagogie révolutionnaire : " C'est la seule opinion qui conserve quelque vivacité. De jour en jour, elle manifeste plus de démence et de rage. Elle espère et menace. Les chefs qu’on a ménagés, les envolés des sociétés secrètes qu’on a rappelés du bannissement sont les plus animés. Leur action sur les classes marchandes et sur les gens de la campagne est tout-à-fait nulle ; mais la cherté du pain et surtout du vin, leur donne assez de prise sur les ouvriers de nos villes. " Piscatory ne pense qu’à l'hiver prochain et à la disette.

Onze heures
Adieu, Adieu, à nos prochaines conversations.
Orosmane dit à Zaïre : Mais la mollesse est douce et sa suite est cruelle ; je mets la faiblesse à la place de la mollesse et un politique à la place d'Oromance ; si on n’avait pas été, en commençant, faible avec Lord Stratford, faible avec les Turcs & &, on ne serait pas si embarrassé.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Deux lignes, par pur scrupule d’exactitude. Quand j’aurais quelque chose à vous dire, je n'aurai nul plaisir à vous le dire, à la veille de vous voir. Nous aurons beaucoup à nous dire. Des anecdotes, des commentaires et des conjectures, la conversation des oisifs. Il pense beaucoup à ce qui se passe et à vous. Adieu. Je fais mes paquets et mes comptes. J'ai renvoyé mon jardinier. Cela me donne cent petites affaires. Adieu. Faites-moi, savoir Jeudi matin, vous voulez que j'aille vous voir. G.

Val Richer. Mardi 15 Nov. 1853 Voilà votre dernière lettre. A jeudi. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 1er Nov. 1853

Tout est possible ; ma confiance n’est pas grande ; je reconnais avec vous que la raison est en déroute. Pourtant je ne crois pas à la guerre, à la vraie guerre. Je ne trouve pas que de la part de l'Angleterre du moins, rien en ait l’air. Vous oubliez un peu le prix qu’on met à vous inquiéter, pour que vos inquiétudes aillent à Pétersbourg et pèsent sur les impressions, et par là, sur les résolutions de votre Empereur. Je ne voudrais nuire en rien à cette petite manoeuvre, car moi aussi j’ai grande envie que votre Empereur se prête à ce qu’on lui demande. Il le peut sans perdre autre chose que le puéril plaisir de la taquinerie ou de la bravade ; la facilité qu’il montrera aujourd’hui ne changera rien à l'avenir de la Turquie ni aux destinés de la Russie. La question du fond est depuis longtemps décidée, et n'attend que son jour. Et comme votre Empereur n'est pas pressé, il peut attendre aussi, et en attendant maintenir la paix de l'Europe dans laquelle des questions bien plus grandes que la Turquie sont engagées. Si, pour le porter à cela vos inquiétudes sont bonnes à quelque chose, gardez-les. Mais quand je vous en vois réellement tourmentée, je laisse là ma diplomatie, et je les combats comme si elles ne servaient à rien.
Si j’en crois le Moniteur, vous n'êtes pas oisifs en Chine, et vous voir préparez à profiter là de la chute des Tartares. Encore un point sur lequel vous vous trouverez en présence des Anglais et des Américains. Dans un siècle d’ici, il ne restera plus sur ce globe un pays dont la race Européenne ne soit maîtresse. C'est juste.
J’ai bien fait de n'avoir pas à vous écrire hier ; vous m'auriez trouvé une bien mauvaise écriture ; j’avais les épaules tout-à-fait prises de rhumatismes. Les frictions ont fait leur effet. J’ai très bien dormi cette nuit, et je suis dégagé.
Avez-vous lu les Mémoires du comte Mollien et les extraits du Moniteur ne vous en donnent-ils pas quelque envie ? Vous passeriez les dissertations de finances ; il y aurait encore, dans les conversations avec l'Empereur, et les embarras intérieurs de son gouvernement, de quoi vous intéresser. Si vous vouliez les volumes, il sont dans ma bibliothèque à Paris ; mon fils, qui y retourne samedi, vous les ferait remettre.

Onze heures
Le facteur m’arrive au milieu de la toilette. Je suis bien aise que les diplomates ne fassent des notes, et très fâché que vous passiez des nuits blanches. Vraiment, si la guerre devait sortir de tout ceci il y a longtemps qu'elle aurait commencé, tant on a mal conduit les affaires de la paix. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Lundi 24 octobre 1853

Quand Xérès fit dire à Léonidas " rends-moi tes armes " c’est, je pense, qu’il était un peu embarrassé de passer les Thermopyles ; et Léonidas fit acte de bon sens comme d’héroïsme en lui répondant " Viens les prendre."Il me paraît qu’Omer Pacha, est dans le même embarras que Paris, et qu’il somme le Prince Gortschakoff de passer le Danube et de venir l'attaquer, le menaçant de le passer lui-même et d'aller l’attaquer, en cas de refus. Je ne sais si c’est sérieusement qu’on écrit cela de Bucarest ; il n’y a pas eu beaucoup de situations plus ridicules que celle de ces deux armées qui vont passer l'hiver à se montrer le poing d’un bord du Danube à l'autre. Entendez-vous parler de l’Asie et la guerre peut-elle vraiment commencer là, à défaut de l'Europe ?
Je n'ai pas eu hier de nouvelles de la Reine Marie Amélie. Quand même elle continuerait d'aller mieux, elle serait hors d'état de faire son voyage d’Espagne. Les Princes ont écrit à leur frère Montpensier de venir sur le champ à Genève. On préparait, à Lisbonne, une très belle et très affectueuse réception pour la Reine. La Reine de Portugal mettait du prix à la traiter avec éclat. Le Duc de Nemours est accouru en hâte, laissant sa femme à Vienne où il retournera probablement. Je dis comme vous, je n'ai rien à dire. Je vous quitte pour aller profiter, dans mon jardin d’un temps admirable. Nous avons eu hier le plus beau jour de l’année, chaud et clair. comme dans un bel été. Aujourd’hui sera aussi beau.
Un journal dit que sir Edmund Lyons reprend du service comme marin, et va rejoindre comme contre amiral, la flotte de l’amiral Dundas. Lord Palmerston ne peut pas renvoyer en Orient un agent plus dévoué, plus remuant, plus impérieux, et plus anti-russe.

Midi
Je ne m'étonne pas de toutes ces mollesses. Il n’y a vraiment pas un motif sérieux de guerre, à moins qu’on ne s'échauffe par taquinerie, et ce n'est pas la peine. Adieu. Adieu. Ma fille vous remercie de vos bons souhaits. Elle part ce soir, en assez bonne disposition. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 7 Nov. 1853

Voici des nouvelles d’Angleterre. On vous les a peut-être données aussi. En tout cas, je vous les donne. Palmerston ne croit pas à l’arrangement de l'affaire Turque. Il dit qu’on ne se découragera pas, qu’on négociera jusqu'à la dernière extrémité ; mais les choses, selon lui, sont si mal emmanchées et votre Empereur a de telles répugnances (qu’est-ce que cela veut dire ?) qu’on n’arrivera probablement pas à la conclusion qu’on demande. Il se prépare pour cette chance ; il trouve sa position bonne ; il a toujours été fidèle à sa politique de liberté Européenne et d'émancipation des peuples ; le cabinet de Paris ne peut douter de sa loyauté. Bref, il est content, et il attend. J’espère qu’il se trompe. S'il ne se trompe pas, vous aurez la France et l'Angleterre unies pour la guerre libérale, au lieu de les avoir une comme de mon temps, pour la paix constitutionnelle. J’ai beau y penser ; je n'y crois pas. Pouvez-vous vérifier si ce qu’on me dit de Palmerston est vrai ?
En tout cas, les coups de canon qui le tirent en ce moment en Valachie amèneront, ou la paix prompte, ou une guerre de trente ans. On m'écrit que le marquis de Viluma quitte Paris pour aller être président du Sénat à Madrid. Si Narvaez ne devient pas bientôt président du Conseil il reviendra comme ambassadeur à Paris. La nomination du frère de M. de Viluma, du général Pezuela comme gouverneur de Cuba n'indique pas que l’Espagne soit près de s'entendre, à ce sujet, avec les Etats-Unis. C'est un militaire espagnol, très brave, très fier et très vif.
Encore une lettre d’Angleterre, de mon ami Hallam. En voici deux phrases, très sensés : - The worst that could now happen would be a decisive advantage in the fields obtained by the Turks. - There is an apparent spirit in this country very much opposed to the temporizing policy of our friend Lord Aberdeen ; but I do not believe, it lies deep, through the press is almost universally in that tone. A good deal of this swing to the refugee and revolutionary party throughout Europe, and I am most anxious for a pacific settlement, in order to defeat their objects.

Midi
Je ne suis plus curieux que des nouvelles de la bataille. Si vous ne passez pas le Danube, je suis tranquille. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer 3 Novembre 1853

Je suis décidé à croire que votre Empereur ne veut pas la guerre, et par conséquent à croire qu’il saisira la première occasion de sortir d’un mauvais pas qui mène à la guerre à la guerre révolutionnaire générale, au chaos Européen.
Si malgré cette perspective, vous aviez votre parti pris de pousser la botte à fond et de jeter bas l'Empire Ottoman pour mettre la main sur les gros morceaux, je comprendrais l'obstination et je n'aurais rien à dire, sinon que le moment est mal choisi pour un si grand coup. Mais je suis convaincu que vous ne voulez pas porter ce coup et alors je ne comprendrais pas que vous ne missiez pas fin, le plutôt possible, à la situation actuelle. Vous n’avez qu'à y perdre. Vous y avez déjà pas mal perdu ; vous y avez perdu votre grand caractère de pacificateur général, de conservateur suprême de l'ordre Européen ; vous avez reveillé les méfiances des autres puissances ; vous vous êtes séparés de l'Angleterre ; vous l’avez unie à la France ; vous avez placé votre plus sûr allié, l'Autriche, dans la situation la plus périlleuse. Vous avez fait autre chose encore ; vous avez fourni à la Turquie une nouvelle occasion de s'établir dans le droit public Européen.
Taxez moi de rancune si vous voulez ; mais ce fût là, en 1840, votre faute capitale, pour isoler, pour affaiblir le gouvernement du Roi Louis Philippe, vous avez alors mis de côté votre politique traditionnelle qui était de traiter les affaires de Turquie pour votre propre compte, à vous seuls sans concert avec personne, vous avez vous-mêmes porté ces affaires à Londres par le traité du 15 Juillet 1840 vous en avez fait de vos propres mains, l'affaire commune de l’Europe. Vous avez été obligés l’année suivante, de faire encore un pas dans cette voie, et la convention des détroits du 13 Juillet 1841, et, de votre aveu, confirmée, pour la Turquie, l’intervention et le concert de l'Europe. Ce n’est pas là, je pense, ce qui vous convient toujours et au fond, et vous deviez être pressés de rentrer avec la Turquie dans vos habitudes de tête à tête. L'affaire des Lieux Saints vous en fournissait, il y a quelques mois une bonne occasion ; après y avoir essuyé, par surprise, à ce qu’il paraît un petit échec, vous y aviez repris vos avantages ; vous l'aviez réglée comme il vous convenait, sans vous brouiller avec la France, et de façon à être fort approuver de l'Angleterre. Pourquoi n'en êtes vous pas restés là ? Tout ce que vous avez fait depuis vous a mal réussi, vous avez eu l’air de vouloir plus que vous ne disiez ; vous n'avez pas fait ce que vous vouliez ; vous vous êtes bientôt trouvés engagés plus avant que vous ne vouliez ; vous avez rallié l'Europe contre vous et jeté la Turquie dans les bras de l’Europe. Pourquoi ? Encore un coup, je ne le comprends pas. Je ne le comprendrais que si je vous croyais décidés à jouer, en ce moment, la grande et dernière partie de cette question, et à mettre, à tout risque, la main sur Constantinople. Et comme je ne crois pas cela, je persiste à penser qu’une seule chose vous importe ; c’est de mettre fin promptement à une situation qui a le triple effet de vous isoler en Europe, d’unir l'Europe contre vous et de placer de plus en plus la Turquie sous la sauvegarde du concert Européen. Vous pouvez sortir de ce mauvais pas, sinon sans quelque déplaisir momentané, du moins sans aucun inconvénient sérieux pour votre politique nationale, et son avenir ; la géographie et le cours naturel des choses vous donnent, dans la question Turque, des forces et des avantages que rien ne peut vous enlever. Pourquoi susciter contre soi un orage quand il suffit de laisser couler l'eau ? Adieu.
J'en dirais bien plus si nous causions. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 3 Nov. 1853

Les Turcs ont donc passé le Danube, et vous n’y avez pas fait obstacle, probablement dans l’intention de les battre et de les rejeter ensuite au delà du fleuve, en leur disant : " Repassez si vous voulez. " Je me figure qu’il y a là, pour vous toute une politique, et une bonne politique ; si vous restez fermement dans les principautés, en en chassant toujours les Turcs, mais sans en sortir jamais vous-mêmes, vous ferez un grand pas dans votre destinée, en forçant l’Europe de reconnaître que vous ne voulez point aujourd’hui renverser l'Empire Ottoman ; vous remporterez des victoires en vous épargnant les plus grandes difficultés de la guerre, et vous resterez de plus en plus en mesure de négocier, une bonne paix. Je fais profession de ne rien entendre du tout à la guerre comme guerre ; mais la guerre comme moyen de la politique, je la comprends, et dans cette occasion-ci, je ne serais pas embarrassé pour m'en bien servir.

Onze heures et demie
Vos nouvelles valent mieux que mes plans de politique. Comme vous dites, il faut encore tout que ce soit fini ; mais quand ce sera fini, je ne serai guère plus sûr de la paix que je ne l’ai toujours été. Adieu, adieu. On sonne le déjeuner, et ma toilette n’est pas encore achevée. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 30 oct. 1853

Voilà donc des coups de canon. Je ne connais pas assez les localités pour savoir ce qu’ils valent comme opération militaire ; il paraît que vous avez pris l’initiative. Je serais étonné si vous ne laissiez pas aux Turcs l’embarras de passer le Danube, et de venir vous attaquer dans les Principautés. Militairement cela semble sensé, et politiquement, c’est beaucoup mieux pour vous. Les Turcs ne peuvent soutenir longtemps la guerre offensive. L’article du Moniteur est calmant et pacifique. Mais je ne m'explique pas la nomination du général Baraguey d’Hilliers, sinon par l'Empire des services personnels, abstraction faite de toute politique. Du reste la Bourse et Galignani disent que le Moniteur n’a pas fait sur tout le monde la même impression que sur vous et moi.
Je suis frappé de la froideur et de l’ennui des journaux Anglais sur cette affaire. C'est ce qui arrive des questions factices. Quand le bavardage a jeté son feu, et qu’il faut en venir à l'action sérieuse, il n’y a plus rien, et en voudrait bien n’y plus penser.
J’ai quelque peine à écrire ce matin. Je suis pris, dans l’épaule, d’une douleur rhumatismale assez vive quand je fais un mouvement. Je connais cela. J'en ai été atteint un jour où j’avais à parler à la Chambre des Paires, et j’ai parlé quand même, l’épaule et le cou de travers. Je n'ai plus besoin de si maltraiter mon mal. Cela passera avec quelques frictions et deux ou trois jours.

Onze heures
Voilà une lettre qui me déplait beaucoup. Mais vos impressions sont bien en contradiction avec cette suspension momentanée des hostilités dont les journaux m’apportent le bruit. Je ne crois pas à l'attaque dans la mer Noire. Que tout cela est fou et triste ! Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 13 Nov. 1853

Je crois que nous ne comprendrons guère mieux la guerre que la négociation. Je ne parviens pas à démêler qui, des Russes ou des Turcs est resté vainqueur à Oltenita. Vienne dit les Turcs, Berlin dit les Russes. Je crois que ce sont les Turcs. C’est dommage que le Prince Gortschakoff, qui est venu, dit-on, complimenter ses troupes sur leur bravoure, n'en eût pas placé là un assez grand nombre pour que la bravoure fût sûre du succès.
Je suis obstinément pour la paix, comme Lord Aberdeen, et je persiste à croire que c’est à la paix qu’il faut travailler, et qu’on doit réussir à la rétablir. Mais si nous devons être jetés dans la guerre, et dans la grande guerre, je suis pour que les Turcs soient chassés d’Europe. Au moins faut-il que nous avons ce profit en perspective au bout de ce chaos.
Duchâtel m’écrit dans un grand accès d'indignation contre la façon dont " cette misérable affaire a été conduite ; il n’y a pas deux jugements à rendre." Il est du reste plus préoccupé du dedans que du dehors : " L’hiver, dit-il, sera difficile à passer ; il n’arrive que peu de grains étrangers ; le commerce prétend manquer de la sécurité nécessaire. Les denrées autres que le blé, ont manqué comme le blé et même quelques unes dans une plus forte proportion. Le vin est arrivé à un prix que l'ouvrier ne peut pas payer. Il y a un sujet grave d’inquiétude. Les dispositions du peuple, même dans nos campagnes ordinairement si tranquilles, prennent un caractère menaçant ; le socialisme chemine sous terre sans qu’on s'en aperçoive. Il ne suffit pas, pour le détruire, de la comprimer d’une main en l'encourageant de l'autre ; la force est nécessaire contre les idées mauvaises, mais à elle seule, elle est insuffisante ; il y faut le concours énergique des idées vraies, fortement soutenues. "
Il a raison. Il ne reviendra à Paris qu'à la fin de l’année.
Je ne trouve rien à redire à votre manifeste. Il ne dit que l'indispensable, y compris, la phrase sur la foi orthodoxe. Les catholiques ardents ne peuvent pas vous pardonner ce mot orthodoxe. C'est pour cette raison qu’ils aiment mieux les Turcs qui n’ont pas la prétention de l'orthodoxie. Il me semble que la circulaire de M. de Nesselrode en dit plus que le manifeste, et qu’elle laisse entrevoir la chance d’une guerre offensive de votre part, bien au delà du Danube. En général, les commentaires par circulaires ne vous ont pas réussi.

Onze heures
Je reçois à la fois plusieurs lettres. La situation me paraît grossir et gronder. Que c’est absurde ! Mais ce n'en est que plus grave. Adieu, adieu.
Voici la dernière lettre à laquelle vous répondrez. Je vous écrirai encore deux mots mardi. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Vendredi 27 mai 1853

On croit savoir ici qu'il y a dissidence dans le Cabinet Anglais et l’on est dans la plus grande espérance que l’affaire turque sera cause de la chute de Lord Aberdeen et de l’élévation de Palmerston. à la direction suprême du cabinet ce qui amènerait sur le champ l’alliance avec la France.
On dit aussi que tous les spectateurs ici, (& qui ne l’est pas ?) sont enragés, & veulent à tout prix que l’affaire s’arrange.
Je ne sais pas d’autre nouvelle aujourd’hui que ce que vous voyez dans le Moniteur et qui laisse quelqu'espoir.
Quel ennui d’avoir à vous écrire, comme j’en suis triste et misérable. J'ai vu beaucoup de monde intéressant hier, mais Je ne sais vraiment rien de plus que ce je vous ai dit là. Je crois que je verrai Cowley aujourd’hui. Hier il était malade, la tête enflée et emmailloté. Adieu. Adieu. Merci de [?] & encore adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Jean me trouve me levant et à ma toilette. Je l’interromps pour vous dire que je continue à aller mieux. Je recommence à manger du blanc de poulet. Je dors très bien. J’ai autre chose à vous dire, car je pense beaucoup, mais, il me faut du repos et pas de presse. Je vous écrirai dans la journée.
J'attendrai la table. Elle viendra plus sûrement que la paix. Impatientez vous contre les rois et laissez-là les ébénistes.
Je vous renvoie la lettre d'Ellice qui est curieuse plus que rassurante. Je suis pourtant bien aise qu’il persiste à avoir le même pressentiment que moi, quoique je fasse plus de cas de ses nouvelles que de ses pressentiments.
Adieu, Adieu. G.
Samedi 31 déc. 1853

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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A mon grand regret je ne puis aller vous voir aujourd’hui qu'après 4 heures et demie. J’ai reçu hier une convocation du Consistoire Protestant pour ce matin, 1 heure. Je ne puis m'en dispenser.
C’est pour vous un triste jour. L’âge apaise la violence dans la douleur, et laisse la douleur au fond de l'âme. Nous avons été bien frappés l’un et l'autre. Pour moi, en regardant mon fils qui vient d'avoir vingt ans, je me surprends à le confondre avec celui que j'ai perdu, il y a seize ans et qui en avait alors vingt et un ; et j'éprouve un saisissement douloureux. en me rappelant que ce n’est pas lui, et que le fils que j'ai ne me rend pas celui que j'ai perdu. A mesure qu’on avance dans la vie, il se fait dans l’âme un bizarre mélange des sentiments et des souvenirs les plus contraires ; les joies et les tristesses passées se mêlent et se confondent. On a peine à s'y reconnaître. Que rien ne vous ramène habituellement que les souvenirs doux ! Je voudrais vous voir toujours le repos du cœur, à défaut de la joie. Adieu, Adieu.
G.
4 mars 1853

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Dimanche le 29 mai

Le Moniteur vous annonce le départ du Prince Menchikoff. Il a longtemps attendu quatre délais successifs. C’est fini. [Kisseleff] croit aux coups de canons immédiats.
En dépit des réflexions du Moniteur, il n'y a que cela de convenable après le fracas, les lenteurs et tout ce que nous avons vu depuis trois mois. Je ne crois pas que l'Angleterre nous fasse la guerre, & la France ne fera rien & ne peut rien faire seule. L’Alarme est grande ici. Voici la lettre d’Ellice d'hier vous y verrez que le ton de Brunnow est devenu un peu arrogant.
Enfin toute cette affaire est une affaire, et les conséquences peuvent être grandes. Ce qui m'effraie c’est la colère où va entrer mon Emp. Si on s'avisait de dire qu'il a manqué à sa parole. Il n'y a pas manqué. Nous n’avons élevé aucune prétention nouvelle. Nous demandons la consécration du rien, & nous les demandons sous une forme plus obligatoire que les firmans, parce que nous avons fait l’expérience de peu de valeur des firmans, témoin Lavalette.
Que de choses curieuses j'aurais déjà eu à vous dire depuis 2 jours ! Je n’ai pas vu Fould. Flahaut est toujours très bien. Noailles a la tête perdue. Que sera ce quand le canon aura tiré ? J'ai eu hier des données détestables sur le professeur Allemand que je voulais prendre. Il faut que j’y renonce et je n’ai personne, et cela à la dernière heure ! Vous me voyez m’agitant ? Comment n'ai-je encore rien eu de vous depuis votre départ. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris dimanche le 23 octobre 1853

J’ai des nouvelles de [Greville] enfin rien de remarquable. On travaille à une nouvelle note, et on attendait avec curiosité ce qu’aura dit l’[Empereur] de la déclaration de guerre des Turcs. (cela n’est pas inquiétant !) Les meeting en Angleterre sont a complete failure. Pas un homme considérable n’a voulu y prendre part.
La neutralité de l’Autriche et de la Prusse est due à la fermeté de M. de Manteuffel. Voilà toute la lettre, accompagnée d’assez de dégoût de toute cette affaire. Le Cabinet devait se réunir la semaine prochaine. On me mande de Berlin que nous resterons sur la défense tout l'hiver, et que nous accueillerons toute proposition venant de Constantinople ayant pour but de finir à l'amiable. Cela n’est pas fier! Quelle sotte affaire !
Je vous ferai réponse après demain sur M. Monod. Je ne sais point de nouvelle de Compiègne. Marie [Meiringen] y est. On passera quelques jours de la semaine à St Cloud, et puis Fontainebleau. Les Hatzfeld sont revenus contents & pas bavards. Hübner est toujours aigre. Dumon est réparti. Viel Castel aussi de sorte que je suis assez abandonnée. Adieu. Adieu.
Offrez je vous prie mille voeux de ma part à votre fille. J’espère que ce voyage réussira. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Château de Broglie, Vendredi 28 oct. 1853

Le service des postes est si mal arrangé ici qu’on n’y a que le Moniteur de l'avant-veille. Je n'ai donc pas là ce matin l'article dont vous me parlez. Vous savez que je fais peu de cas des oscillations de cette question. Pourtant je ne puis méconnaitre que la nomination du général Baraguey d’Hilliers a un air belliqueux. On l'envoie là, pour lui faire gagner son bâton de maréchal. Il est plus propre à se battre qu'à négocier. Mais je ne comprends pas comment, il se battrait là. Enfin nous verrons. La décision viendra de Londres, et je persiste à croire que Londres veut la paix. Je doute, comme vous, que le Parlement se réunisse effectivement à la fin de Novembre.
On a ce matin des nouvelles de la Reine Marie-Amélie du 26. Elle est en pleine convalescence, plus de fièvre, et voulant poursuivre son voyage à Séville où tout le clergé fait des neuvaines et des prières publiques pour qu’elle guérisse et qu’elle arrive. Elle partira peut-être de Genève demain samedi pour passer les montagnes par ce reste de beaux jours. Une frégate à vapeur l’attend à Villefranche. La traversée est de trois jours. C'est beaucoup pour elle. Le Duc de Nemours retourne à Vienne où il a laissé sa femme et ses enfants.
Je viens de trouver l'article du Moniteur d’hier dans le petit journal du Département de l'Eure. J'en ai la même impression que vous. C'est convenable, et au fond pacifique. D'après les détails topographiques, que donne le journal des Débats, il ne paraît pas que le passage du Danube, soit en ce moment très difficile puisque les eaux sont très basses Je retourne demain au Val Richer. Ecrivez-moi là, maintenant jusqu'à ce que vous ne m'écriviez plus.
J’ai bien envie de vous trouver un peu bonne mine. Nous avons eu ici hier, et avant hier, dans la soirée, un violent orage, mais très beau temps tout le jour. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Au château de Broglie, Samedi 22 oct. 1853

Voici la réponse de M. Monod. On fera maintenant ce qu'on préférera. Dites le moi seulement dès que vous le saurez pour que j'en informe, M. Monod.
Je reçois à l’instant des nouvelles de la Reine du 19 à 10 heures du matin, un peu meilleures. On me dit que les mauvais symptômes ont cessé et qu'on est rassuré. J’ai pour que ce ne soit là que les oscillations d’une maladie bien grave. Elle avait été mieux le lundi 17 ; elle est retombée le mardi 18 ; un des poumons s’engorgeait ; il paraît qu’elle était mieux le Mercredi 19. On a fait venir de Paris, une soeur de la Charité qu'elle aime particulièrement.
C'est dommage que G. ne vous écrive plus. Je lui croyais l’âme trop exercée aux pertes ou aux gains de Newmarket pour que ses correspondances en fussent dérangées. Si l'Europe ressemble à la France, M. de Persigny aura raison.
Avez-vous lu l’article des Débats d’hier sur la race Slave, et le théâtre en Russie, et savez-vous qui est M. Pierre Douhaina l’article m’a intéressé, quoique bien long. Les Russes et les Turcs vont remplir les journaux. Je trouve le dernier langage du Times très sensé. On fera évidemment partout tout ce qu’on pourra pour rétablir la paix, et probablement on y réussira. Mais, on a en même temps partout le sentiment qu’il y a beaucoup d'inconnu, dans cette situation, et on se prépare à n'être pas surpris, ni pris au dépourvu par l'inconnu.
Voilà, toutes mes nouvelles. Je pars dans deux heures pour aller passer deux jours au Val Richer. J’ai eu ici un temps affreux. Il fait un peu moins laid aujourd’hui. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Au château de Broglie, Mercredi 26 oct. 1853

Certainement si la Grèce prenait parti contre les Turcs et soulevait partout les Grecs, la complication serait grosse et l’Europe Chrétienne bien embarrassée. Mais cela n’arrivera que si vous le voulez, et vous ne le voudrez pas. Il y avait un homme qui est mort, et qui s’il vivait n'y manquerait pas ; c'était Colettis. Il aurait cru trahir, la Grèce et les Grecs s’il avait laissé échapper une telle chance que l'Europe le voulût ou non. Mais ces hommes-là sont rares, et je ne pense qu’il y ait en Grèce un autre Colettis.
Le Duc de Broglie reçoit à l’instant une lettre du Dr Chomel qui est arrivé de Genève le 22. Il avait quitté la Reine le 24, la laissant mieux, mais pas encore tout-à-fait en convalescence. Encore de la fièvre. Il craint l’âge, la saison, la fatigue. Cependant il est plutôt rassurant qu'inquiétant.
On a eu grand tort à Londres de n'être pas parfaitement poli envers votre grande Duchesse. D’autant plus poli qu’on semblait plus près de se battre. La guerre n’est pas une brouillerie entre les personnes. Je trouve misérables ces impolitesses préméditées, par raison d'Etat. Il n’y a à cela ni dignité, ni habilité. C’est une humeur subalterne ou une maladroite, imprévoyance. Reine d’Angleterre, j’aurais rendu extérieurement à votre grande Duchesse tout ce qui lui appartient, sans me préoccuper de la paix ou de la guerre. Empereur des Français j'aurais invité Kisseleff et Hübner à Compiègne comme les autres, sauf à ne pas leur dire là un mot de politique. C’eût été de meilleur goût dans le présent, et de meilleure politique pour l'avenir.
Je suis revenu hier ici, par un temps magnifique qui dure. Il y a chasse aujourd’hui dans la forêt. On court un chevreuil. Mon fils, est parti ce matin avec Albert et Paul de Broglie. Il y aura certainement moins de confusion qu'à Compiègne, et j’espère pas d'accident. J'écrirai à M. Monod pour qu’il n’attende rien. Je crois qu’on a raison. Ce serait bien solitaire. Ecrivez-moi encore et demain Jeudi, je vous prie. Je n'en partirai que samedi matin de bonne heure. Le Duc de Broglie partira aussi samedi pour Paris où Mad. de Staël arrive. Il va conduire son fils Paul à l'Ecole polytechnique où ce jeune homme entre brillamment. Il est spirituel, original, sauvage, et doué, à ce qu’il paraît de dispositions rares pour les Mathématiques.
Adieu, adieu. Où donc est allé Dumon ? Je ne pense pas qu’il doive être absent longtemps. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Au château de Broglie, mardi 18 Oct. 1853

Je m'assois pour vous écrire et on m’apporte votre lettre d’hier. Celle de M. de Meyendorff est très rassurante. Il faut être deux pour faire la guerre. Le seul embarras, c’est qu’il y a trop de gens pour faire la paix. Ils ont bien de la peine à s'entendre. Ils en viendront à bout pourtant. Mais évidemment vous occuperez les principautés tout l'hiver.
Il n’y a personne ici que les maîtres de la maison. Barante, et Mad. Anisson sont partis avant hier. C’est bien un des lieux les plus tranquilles qu’on puisse imaginer. Beau et froid. On n’y sait point de nouvelles, quoiqu'on les aime. On se promène et on cause beaucoup. Bonne conversation, très sensée. Je trouve la princesse de Broglie changée, maigre et pâle. Ma fille croit qu’elle est grosse. Elle a déjà quatre fils.
J'écrirai demain à M. Monod ; mais sa lettre me fait, comme à vous l'impression qu’il n’a, quant à présent, point de pensionnaires, et je suis tout-à-fait de votre avis, il faut des camarades. M. Meyer, dont il parle est un excellent homme, pasteur luthérien, collègue de M. Morny. Je sais qu’il a en effet plusieurs fils jeunes peut-être à défaut de M. Monod cela conviendrait-il ?
Il est très bon que le Roi Léopold aille en Angleterre. La Reine Marie Amélie s’est arrêtée à Genève assez malade d’un rhume violent. En arrivant, elle avait fait dire à Mad. de Staël, qui est à Coppet de venir la voir, et quand Mad. de Staël est venue, elle n’a pas pu la recevoir. Elle restera à Genève jusqu'à ce que son rhume soit tout-à-fait passé. On n’avait cependant point d'inquiétude sur son compte.
Je suis bien aise que vous ayez retrouvé Dumon, et que du monde vous arrive. Je crois que vous en aurez beaucoup cet hiver. On sera agité sans vrai malheur, ni même vraie inquiétude. On court alors, on voyage.
Je trouve excessif que Kisseleff et Hübner ne soient pas invités à Compiègne. Il n’y a pas de raison pour cela. C'est trop d'empressement à couper l'Europe en deux, sans compter qu’on ne la coupe pas réellement en deux. Tant qu'Aberdeen sera au pouvoir, il ménagera l’Autriche, et la Prusse fera toujours plus que vous ménager. Adieu.
J’irai samedi prochain 22 au Val Richer dire adieu à ma fille Pauline qui part le lundi 24 pour Hières, je reviendrai ici Mardi 25 pour toute la semaine prochaine. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Au château de Broglie, Jeudi 20 oct. 1853

Je viens d’en lire bien long, la lettre de M. Xavier Raymond, et le manifeste de Raschid Pacha. C'est bien du bruit. Jamais les hommes ne font plus de bruit que lorsqu’ils n'ont pas envie de faire autre chose. Quand on regarde au fond et de ce manifeste et de toutes les pièces de cette affaire depuis l'origine, on trouve le bruit bien ridicule, car au fond, il n’y a rien. Vous demandez qu’on vous redonne ce que vous avez. On refuse de vous le redonner, mais on reconnaît que vous l'avez. Voilà pourquoi on vous déclare la guerre. Vous dites que vous ne l'acceptez pas, et vous avez raison, et je crois qu’on ne vous la fera pas. Pourtant, il y a là un grand secret un secret de Dieu. A-t-il décidé que le moment de la mort de la Turquie est venue, et par conséquent le moment du remaniement, c'est-à-dire du bouleversement territorial de l'Europe au sujet de l'héritage ? C'est possible ; et moins je vois de motifs assignables, de motifs humains à la guerre, plus j'ai peur quelquefois, qu’il n’y ait là une volonté divine, et que ce ne soit bien lui même qui pousse à la guerre, les hommes qui n'en veulent pas. Nous verrons bien.
En attendant, je cause ici, de cela et de tout. J’irai après demain passer 24 heures au Val Richer pour dire adieu à ma fille Pauline qui en par lundi pour le midi. Je reviendrai, après son départ, passer encore ici la semaine prochaine, et je retournerai au Val Richer, le samedi 29 pour le quitter définitivement le 15 ou 16 Novembre. C'est bien des courses, et mon Cromwell, qui touche à sa fin, en est un peu dérangé. Je serais fâché quand j'aurai fini ; c'était une société dans ma solitude, et un but dans mon oisiveté. Il faudra que je m'en fasse un autre.

9 heures
On m’apporte votre lettre, et le duc de Broglie m'en envoie une du Prince de Joinville qui est en effet très inquiet pour la Reine sa mère. La pleurésie allait mieux ; mais le matin même, une inflammation d’entrailles venait de se déclarer et paraissait grave. On attendait le Duc de Nemours qui venait de Vienne avec sa soeur la Princesse Clémentine. Le duc d'Aumale est en Savoie. Ils ont évité de se trouver tous réunis à Genève, de peur de quelque ennui politique. Je crains beaucoup pour la Reine ; elle est prête, fatiguée ; elle a 71 ans. Il y a de bon médecin à Genève. Ecrivez-moi demain à Broglie. Je n'en partirai samedi qu'après déjeuner. Mais dimanche, je vous prie de m'écrire au Val Richer. J'y passerai toute la journée de lundi. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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89 Paris le 14 Novembre 1853

Certainement tout et au plus noir, & vous ne tenez pas vos promesses. La guerre. générale est inévitable. L’article du Moniteur a paru à tout le monde très provoquant. Il donne un démenti à l’Empe reur Nicolas et l’on s’attend généralement à ce que cela empêche [Kisseleff] d’aller à Fontainebleau. Je ne suis pas de cet avis du tout. Il faut qu'il aille. Il ne doit pas commencer la guerre.
On reste sans nouvelles. Je n'ai pas besoin de vous dire dans quelle agitation je vis. Je vous attends avec impatience, mais vous aurez de la peine à me remettre en équilibre. On est très à la paix à Londres à ce qu’on dit, mais qu’est-ce que cela signifie ?
L'Angleterre a épousé la France et fera sa volonté. Celle-ci a pris un élan belliqueux. Elle eût préférée peut-être la paix, mais la guerre aussi lui convient. Nous avons très bien fait vos affaires, celles de votre Empereur.
Adieu. Adieu, ma dernière lettre donc, à moins d'un gros événement.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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88. Paris samedi le 12 Novembre 1853

Notre manifeste déplait ici. La critique du Moniteur est cependant assez mesurée, et entre nous il dit vrai sur l’af faire. Cette pièce est adressée au peuple russe plutôt qu'à l'Europe. Sans avoir trop menti nous prenons l'Empire pour de bons amis. Je suis curieuse de voir ce qu'on en dira en Angleterre. Je suis bien aise qu'on fasse mention des révolutionnaires.
Hier on débitait ici des nouvelles très favorables à nos armes. Je ne sais ce qu'il y a de vrai ou de faux. Constantin m'écrit sans cesse de patienter. Nous voulons que les Turcs s’avancent en nombre suffisant pour les écraser en masse. C’est fort bien, mais faut-il pour cela se laisser battre en détail ? Hier on parlait beaucoup fusion ; la visite des princes d’Orléans avait eu lieu ou allait avoir lieu à Frohsdorf. Fould même m’en a parlé comme d’un “on dit”. C’est une petite diversion à l’Orient.
Les Anglais à Paris traitent notre manifeste de bare faced lie, et disent qu'il aura pour conséquence la chute de Lord Aberdeen.
On parle de Victoire remportée sur les Turcs, je ne croire que quand je serai mieux renseigné. Adieu. Adieu. 1 heure.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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87 Paris jeudi le 10 Novembre 1853

Les nouvelles hier étaient très mauvaises dans un engagement entre 12,000 turcs & 9000 russes ceux-ci auraient. par être battus. Le combat fini aurait duré toute la journée du 5. On a épuisé la poudre des deux côtés, on a été réduit à se battre à l’arme blanche et c'est là où le nombre l’a emporté. C’est aux aff. étrangères qu'on donnait ces détails et avec beaucoup de tristesse parce que cela ne laissait plus d'espoir pour les négociations. Le combat a eu lieu près de Silistrie. Je vois que le Moniteur n’en parle pas ce matin. Il faut attendre. Je me trompais le Moniteur en parle. J’ai encore une lettre de Meyendorff, sans grande importance. Il compte sur la neige & le manque d’argent. Les gens venus d’Afrique & d'Asie n'endureront pas la première & tout le monde criera contre l'autre. Dans 2 mois révolte au camps turc. Moi je ne compte plus sur rien que sur la bêtise des gouvernements, right and left. C’est la plus triste & la plus sotte affaire ! Dans ce moment arrive le Manifeste russe du 21 octobre 2 novembre par lequel nous acceptons la guerre, & recourons à la forme des armes " pour obtenir réparation des offenses par lesquelles la Turquie a répondu à nos demandes modérées, & à notre sollicitude légitime pour la défense de la foie orthodoxe en Orient. "
Je copie des journaux étrangers, je suppose le manifeste vrai. C’est bien engagé. On me dit que le langage à St Cloud est devenu très belliqueux. Les journaux le sont. Voilà un triste hiver qui commence. Le froid est venu aussi. Adieu. Adieu.
J’ai vu hier soir Noailles & Berryer. Oiseaux de passage Dumon est fixe, & je le vois tous les jours.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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86 Paris Mardi le 8 Novembre 1853

Reeve est arrivé à Londres. Très sensé et ayant très bien vu toutes choses. Les Turcs se croyant sûrs qu'on les secourra énergiquement à la dernière heure, ne veulent plus entendre parler d'accommodement et croit que qu'au bout Radcliffe n’est plus écouté. Il n’a pas pu venir avec de la cour. Il se brouillera d'emblée avec Baraguey d'Hilliers. Mon correspondant de Londres a beaucoup de soupçons & on ne comprend rien à la mission de votre nouvel ambassadeur, et au cortège menaçant qui l’accompagne. On ne devine pas l'Empereur, le vôtre. On se tient sur ses gardes tout en vivant bien avec lui.
Voici votre lettre. Je crois à tout ce qu'on vous dit sur Lord Palmerston. Pacha est prié pour le 22. Je ne sais pas ce que veulent dire les répugnances de mon Empereur. Il est très pacifique mais il ne cédera rien sur le fond de ses prétentions. J’ai passé hier ma soirée en tête à tête avec Fould. Je n’avais absolument personne. Il a l’air fart tranquile, tout ce monde, le maître inclus, est content de sa situation et n’espère qu’à la faire durer.
Il n’y a pas de nouvelle du théâtre de la guerre. Si elle traîne comme les négociations il y a de quoi s’endormir. Hübner va à Fontainebleau le 14, jusqu'au 18. Kisseleff le 18 jusqu'au 22. [?] Pacha est prié pour le 22. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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85. Paris dimanche le 6 Novembre 1853

Je n'ai rien à vous raconter de nouveau. On parle d'une bataille gagnée ou perdue par nous. Si le gouvernement sait quelque chose, il le tient bien caché.
Meyendorff me mande que Lord Radcliffe est débordé. Aujourd’hui qu'il est sincère dans ses efforts pour le paix, il est impuissant. Nous ne passerons le Danube en aucune cas, sauf si vous envoyez des troupes. Alors nous soulèverions les populations grecques partout. Villeme est venu me faire une longue visite. Il me plaît beaucoup, malheureusement il part, il est nommée Président de Sénat. Il me fait un éloge très grand de la cour de Séville, vraie cour, brillante, digne, comme on n'en a jamais eu en Espagne. Énormes contraintes avec celle de Madrid. Grande popularité pour l'infante et son mari. La Reine n’est pas jalouse mais elle est en respect devant sa soeur quand elles sont ensemble ; la Reine Christine retourne à Madrid sous peu de jours. Narvaez doit y être, Villeneuve pense qu’il reprendra le gouvernement de l’état, pourvu qu’il n'aspire pas à celui du palais. Cela, la reine n'en veut pas. Grand dépouillement à cette cour de Madrid, moralement et matériellement.
Kisseleff & Hübner sont pris à Fontainebleau. Tous les diplomates qui n'ont pas été à Compiègne le sont également. La cour y va le 12. Il me semble que je n’ai plus rien à vous dire sa good bye & Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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84 Paris le 4 Novembre 1853

Vous voyez que voilà la guerre. C’est fini des notes dont je vous parlais, on va changer autre chose. N’est-ce pas ridicule toute la conduite de cette affaire ? L’action d'Omer Pacha est réputée très téméraire qui sait. On a tant dit. Il ne peut pas passer. Le voilà passé. Il occupe une portion de la Valachie où nous ne sommes pas entrés. Mauvais pays, malsain mais il peut se renforcer & avancer, & nous battre peut-être. Cela serait une bien mauvaise chance, il n’y aurait plus de terme. J'ai été avant hier à St Cloud faire visite à la [Grande Duchesse] Stéphanie qui m’en avait prié. Je l’ai trouvé changée. Une heure de conversation. Elle est très sensée, & bonne personne. En énorme terreur de la guerre. Toute charmée de l’Impératrice.
Mad. Kalerdgi, part vous Pétersbourg, je la regrette pour mon salon, quand salon, il y aura, car je suis encore à un pauvre régime. Les Mahon sont ici pour quelques jours. La cour va à Fontainebleau le 12. Kisseleff & Hübner y seront priés. Quel beau temps encore ! Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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83 Paris le 1er novembre 1853

Les nouvelles sont meilleures. [Greville] m'écrit de Londres qu'on venait d'y recevoir une très bonne communication de Nesselrode à Bual, très pacifique & facilitant. En même temps Radcliffe s'agite et de très bonne foi pour arriver à une bonne conclusion. Il venait d’accoucher d'une nouvelle note acceptable. Sur cela doit être arrivé un autre projet de Londres fort semblable à celui du Radcliffe, et on ne doute presque pas à Londres d’un bon résultat. C'est à la demande de Radcliffe que le sursis a été ordonné. Cependant qui sait ce qui se sera passé sur le Danube ? Je ne suis pas tranquille encore, mais beaucoup moins inquiète. Baraguey d'Hilliers n'était pas encore parti hier. Il amène beaucoup d’officiers. Ce serait de la comédie si les affaires sont aussi avancées qu'on le dit. Je ne doute pas que Léopold n'ait beaucoup travaillé à Londres, et là est le point essentiel puisqu'ici on ne fait qu'obéir. Je vois assez les Cowley. Les autres n’aiment pas à venir le soir, ils craignent les questionneurs, je les vois le matin. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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82. Paris le 31 octobre 1853

J'espère que votre rhumatisme sera passé quand vous recevrez ceci. Cowley que j’ai vu hier on dit qu’on a élaboré une nouvelle note à Constantinople et que c’est en conséquence de cela que les ambas sadeurs ont obtenu un sursis aux hostilités. Ce n'est donc que demain qu'on commence si l’aventure devant [?] n’est pas regardée comme la guerre. Ce n’est pas nous qui avons tiré les premiers. Nous avions le droit de naviguer sur ce point, il est au-dessous de l'embouchure du Pruth. Il me paraît que les flottes ne feront rien à moins que nous ne franchissions le Danube. Si nous le passons ce sera cas de guerre pour l'Angleterre et pour Cowley est la France, convaincu que jamais nous ne sortirons des principautés. Baraguey d’Hilliers part ce matin avec un personnel considérable. On s'agite beaucoup ici, mais on fait un peu comme vous on ne croit pas encore à la guerre. Quand je pense que depuis 6 mois, chaque pas fait pour la détourner y a mené tout droit je ne puis pas concevoir qu'on se livre à l'espérance du contraire.
En attendant je ne dors pas. Sur huit nuits blanches j'en ai une passable. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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81. Paris Samedi le 29 octobre 1853

Lord Cowley est venu causer longtemps avec moi. Il me reste de cette conversation l'impression positive que les Anglais nous attaqueront sur la mer noire. Il ne me l’a pas dit, mais c’était trop devinable, et au besoin j'en ai eu la confirmation par Morny, qui a l'air de le craindre aussi. La nomination de Baraguey d'Hilliers a un air très belliqueux aussi, et a fait cet effet généralement. Hier on a parlé de 20 m. hommes qui allaient être embarqués. Je ne sais pas ceci de source Vous voyez que je suis peut être à la veille de quitter Paris. Kisseleff y est tout préparé. Vos pressentiments sont en défaut. C’est la déroute de la raison. J'ai beaucoup écrit hier car j'avais beaucoup à dire. J’ai vu Fould aussi, tous les revenants de Compiègne se sont empressés de venir me voir.
Je passe de mauvaises nuits mon avenir n'est pas drôle. On me dit que Drouyn de Lhuys a ignoré la nomination de Baraguey d'Hilliers. Les courtisans même disent de lui que c’est un querelleur, un brise raison. Voilà le bon côté, il tuera peut-être Radcliffe. On dit que ce sont des réminiscences de l’Empire qui ont dicté le choix, Sébastiani défendant Constantinople. J’aurais beaucoup à vous dire, mais c’est difficile à écrire. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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80. Paris le 27 octobre 1853

Rien, sinon le Moniteur. Il me paraît convenable, propre à fixer & calmer l’opinion. C'est là ce que j’en pense après l’avoir parcouru. Je ne saurai que plus tard ce qu’en pensent les autres.
Je ne trouve pas l'air gai à [Kisseleff]. Je ne l’ai pas vu hier. Hübner est chez moi sans cesse, plutôt rassuré. Dumon est revenu. Le duc de Noailles reviendra sous peu de jours. Il n'y a vraiment rien de nouveau. Et nous resterons comme cela pendant quelques jours encore, jusqu'aux coups de canon qu’on tirera sûrement quelque part.
En Angleterre on veut la paix, cela ne dit pas tous les anglais venant de là. Leurs journaux ont bien ce ton aussi. Ellice le gros écrit que le Parlement se réunira. Certainement à la fin de 9bre j’en doute encore, et j’espère que non.
Le temps est superbe. C’est trop beau pour quelle dure longtemps. Adieu. Adieu. Baraguey d'Hilliers va remplacer de Lacour dont on est mécontent.
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