Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


Votre recherche dans le corpus : 337 résultats dans 3827 notices du site.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
23005_00221.jpg
381 Paris le 22 mai 1840,
Vendredi 10 heures

J’ai vu longtemps Lord Granville hier ; il est toujours couché. Nous avons un peu causé de tout. Le détail de l’entretien de Thiers avec Appony est assez piquant. Thiers a beaucoup parlé de la politique isolée que pourrait embrasser la France, et à la question d’Appony ce qu’elle ferait dans cette situation là ? Thiers l’a regardé avec étonnement et lui a dit : " Vous êtes trop curieux à propos d’Ancône, Thiers, lui a riposté par Cracovie. Enfin d’un bout à l’autre il y a eu de l’aigreur entremêlée d’un peu de flatterie. Granville est le plus pénétré du monde que la France ne fléchira jamais sur la question d’Egypte. Mais il m’a cité des paroles de l’Empereur dites à Lord Clauricarde selon les quelles l’Empereur croirait quevous êtes disposé à céder un peu. Ce serait venu à Pétersbourg par des correspondances de Londres. Cela m’etonne.
L’activité de Thiers est prodigieuse, son habileté aussi. Il gouverne la Chambre, les comissions. Il se mêle de tout, il répond de tout. Il est d’une audace et d’une satisfaction inouïes. Eh bien, à la bonne heure. Connaissez vous le " à la bonne heure " de M. de Talleyrand ?
J’ai été passer une demi-heure au déjeuner de la comtesse Appony. Ah mon Dieu, quelle foule, quelle horreur ! Un froid de loup dans le jardin, une chaleur à périr dans la maison. Dieu sait quelles gens ! Des gens décidés à faire là leur dîner. Nous avons regardé cela le duc de Noailles et moi, en nous demandant ce que nous étions venus faire là. Je m’en suis tirée avant 6 heures/ J’ai fait mon solitary meal et passé un solitary evening. Je pense que tout le monde sera resté là. Je me suis couchée ennuyée, mais plus triste.
Le gros Monsieur ma’ annoncé hier matin qu’il partait la semaine prochaine pour Londres, n’avez-vous pas quelque autre gros ou maigre monsieur qui aimerait à y être mené dans la première quinzaine de juin ?

1 heure
Je ne me suis rappelé le vendredi que lorsque j’avais écrit jusqu’ici. Je viens de vous écrire ma lettre officielle, parceque je ne veux pas que vous restiez un jour sans lettre. J’aime bien votre 374 vous prêchez sur le même texte que moi. " Pleine franchise entre nous ", et au fond c’est toujours parce que vous y manquez un peu de votre côté qu’arrivent les nuages. En y pensant un peu vous verez que les péchés viennent de vous. Point de réticence, pas la plus petite. Après le plaisir de n’avoir rien à reprocher, il n’y a pas de plaisir plus grand que le droit de gronder. C’’est si intime ! Est-ce que je dis une bétise ? Il me semble que nous voilà bien remis sur nos jambes. Pour moi au moins je me sens si leste, si confiante, si heureuse. Vous devez être comme moi, car dans ce qui nous regarde nous devons ressentir de même.
J’ai écrit ce matin à Ellice à M. de Barante ; vous allez-voir bientôt lady Clauricarde. Ah cela, je vous en félicite ; c’est tout-à-fait la prima dona en fait d’esprit. Elle en a beaucoup. Vous ai-je dit combien je trouvais votre définition de lady Jersey excellente ? Vos portraits sont toujours admirables. Je vous avais dit cela en mille mots. Vous le dites en deux " l’insignifiance la plsu envahissante."

Samedi le 23, 9 heures
Assez pauvre journée hier. D’abord toujours très froid et puis pas d’événements, pas de nouvelle. Montrond est venu le matin. il venait de chez le Roi ; il y retournait un langage nuageux, toujours drôle. Je crois qu’il vient chez moi parce qu’il me fait rire, cela lui plait, cela le flatte. Il est très frondeur sur le chapitre de St Hélène, il trouve cela absurde. Et puis il y voit mille inconvénients avant même d’abordar les dangers. Entre autres, ces quatre mois d’intimité entre le Prince de Joinville et messieurs les Bonapartistes, Bertrand & &, l’occasion de bien des propos provoquants peut- être. Au fait l’idée d’envoyer le fils du Roi est étrange. Il est cousin germain du duc d’Enghien !

Midi. Je vous remerce beaucoup du 375. Il me donne quelques lumières c’est-à-dire que je vois qu’en Orient on ne fait rien. C’est une étrange obstination de laisser sans solution, ce qui peut embarrasser le monde ! J’ai dîné seule. Le soir mon ambassadeur, Brignoles, le duc de Noailles, Carreira, d’autres insignifiants. M. de Pahlen. parle très bien sur l’affaire d’Orient vous en seriez content, mais il n’est pas poli pour l’Angleterre. Tout cela vous montre qu’il sert son maître sans l’approuver tout-à-fait Je vous enverrai les biographies que vous me demandez. Adieu. Adieu, je me réjouis de vous dire adieu par le gros Monsieur. A propos, il m’est venu une drôle d’idée ; c’est qu’en pensée vous me dites adieu au bout de la dépêche que vous envoyez par télégraphe pour que cela m’arrive vite. Vous voyez que je radotte. Adieu.

Vous vous trompez, vous ne dînez pas avec Lady Palmerston lundi. Les femmes n’en sont pas, à moins qu’on n’ait changé cela.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
23005_00231.jpg
376. Londres, Vendredi 22 mai 1840
Une heure

Voilà une bonne lettre. J’aime votre bonheur autant que le mien. Je ne peux pas dire plus. Quel ennui de parler à Londres et d’être quatre jours avant de savoir que vous m’avez entendu à Paris ! Vous voyez bien qu’il faut être juste et se comprendre sans avoir besoin de se parler. C’est vraiment odieux et ridicule de se donner à soi-même des chagrins, qui sont parfaitement absurdes, et qu’on découvrira absurdes en quatre jours. Mais il y a des chagrins qui aboutissent à des joies ravissantes. Je n’ose pas le dire ; je ne devrais pas le dire. En ce moment à aucun prix, le N° 379 ne me paraît trop payé.
Non, je n’ai point été consulté sur Ste Hélène. On m’a demandé, prié, conjuré de réussir dans une négociation dont on avait fait la première ouverture, à Lord Granville. On me l’a demandé, le 2 mai. On m’a parlé de "grande reconnaissance personnelle". On a fini en me disant : " Réussissez, et nous vous en laisserons tout l’honneur." J’ai réussi le 9 mai. Je l’ai annoncé le 10. On m’a répondu : " Je vous remercie mille fois : nous vous reportons la part qui vous est due. " Le Ministre de l’intérieur m'a écrit : " Votre affaire, des restes de Napoléon a fait un effet immense." J’ai souri de tant de reconnaissance ici, de tant de silence là. Et depuis je figure bien me tenir parfaitement tranquille. Je remets ici la phrase que je viens de rayer. C’est ici qu’elle doit être.
Savez-vous ce que j’ai fait hier soir? J’ai joué au whist, au coin de mon feu avec mon monde ; et je me suis couché à 10 heures et demie. J’étais excédé des routs. des bals, des Communes. J’avais besoin de silence et de sommeil. Je joue certainement au whist, aussi bien que vous. J’étais allé le matin, passer une heure à la Chambre des Lords où l’archevèque de Dublin devait faire une motion qu’il n’a pas faite. J’ai entendu Lord Lyndhurst à propos d’une pétition. Je trouve qu’il parle très bien, très bien avec une grâce forte et tranquille qui ne va pas à l’ensemble de sa vie. Mais il est bien changé. Il est devenu vieux depuis que je suis ici.

3 heures
J’ai été interrompu par le chargé d’affaires de Naples G. Capece Galeota dei Duchi di Regina, bien noir, bien crépu, pas si long que son nom, mais assez intelligent et sensé? beaucoup plus que le Prince de Castelcicala qui fait ici une figure bien ridicule et bien vulgaire. Il veut être venu pour quelque chose ; il a essayé de parler d’affaires à Lord Palmerston qui l’a renvoyé à Paris, et à Naples. Il a imaginé, de se lier avec les Torys, les plus violents Torys, et de leur parler de ce que Lord Palmerston ne voulait pas écouter. Il promène de côté et d’autre sa tête trépanée. Tout le monde prend pour de beaux coups de sabre les cicatrices de ce trépan qu’il a subi à Naples pour une chute de cheval. Il a porté sa carte à tout le corps diplomatique, moi compris, et ne s’est fait du reste présenter à personne, moi compris. En sorte que presque personne ne lui parle. Le Roi de Naples ferait bien de rappeler ce gros Pulcinella, au crane fendu, et de ne faire parler de ses affaires que par ceux qui peuvent les faire.
Je viens de recevoir un billet de Mad. de Chastenay qui est arrivée hier avec Mad. de St Priest ; elles viennent passer quinze jours à Londres, et un mois en Angleterre. Je vais tâcher de les amuser un peu. Dites-moi ce qu’il faut faire. Elles auront peut-être envie d’être présentées à la Reine, au drawing room. Est-ce Lady Palmerston ou la comtesse de Björstyerna, la doyenne du Corps diplomatique qui se charge de cela ? C’est pour lundi. Vous n’avez pas, le temps de me répondre. J’irai le demander à Lady Palmerston. Il faut aussi que je leur donne un petit dîner, pas trop ennuyeux ; quelques hommes, Lord Elliot, Lord Mahon, lord Leveson. Dites-moi quelques noms. Pas de femmes, n’est-ce pas ? Mon Dieu, que vous êtes loin ! Alava, Bülow, M. et Mad. Dedel ?
Ma galerie de portraits va être complète. Mad. Delessert vient de faire celui de Guillaume, et va faire celui d’Henriette. Je les aurai tous les deux dans quelques jours. Guillaume avec sa toque. On dit que le portrait est charmant. Je pense que je vais engager Mad. de Chastenay et Mad. de St Priest à venir dîner demain samedi avec tous mes Whigs. C’est, pour elles, une très bonne entrée dans le monde et qui préparera le reste. Adieu.
J’espère que vous me direz que vous vous portez bien. Voilà une espérance bien pleine de fatuité, n’est-ce pas ? Mais vous me la permettez ; vous voulez que je l’aie. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
23005_00236.jpg
377. Londres, Samedi 25 mai 1840
Une heure

Vous avez raison. Nous avons tous deux raison et tous deux tort. Je ne dis pas cela par façon de juste-milieu et pour en finir, mais sérieusement et bien convaincu. Notre vrai tort à tous deux, c’est de ne pas avoir assez foi l’un dans l’autre. "La foi, dit (je crois) St Paul, c’est la ferme, espérance des choses qu’on désire, et la certitude, des choses qu’on ne voit point." Ayons la foi ; nous nous la devons ; et quand elle nous manque, à part le chagrin, c’est une faiblesse ou une petitesse d’esprit dont nous devrions être honteux. N’est-ce pas ? J’ai passé hier à 5 heures, à la porte d’Alexandre. Il était à la promenade, de mieux en mieux m’a-t-on dit. On m’a parlé de mardi 26 pour son départ. Rassurez-moi contre ces retards. Je vous accorde jolie et alerte pour Engénie ; intelligente, j’ai peine à le croire. Enfin, elle vous plaisait. Je la regrette. Est-ce que vous n’amènerez pas même Bernard ?
J’ai été hier soir passer une demi-heure au bal chez Lady Elizabeth Fielding. J’admire ce qu’on entasse de monde, et du meilleur monde, dans des maisons qui sont de vraies boxes. Lady Lansdowne était enfoncée dans un coin d’où elle ne pouvait sortir. Lady Palmerston entrée au même moment que moi, n’avait pas encore réussi à s’asseoir quand je suis parti. Et elle venait là pour trois ou quatre heures, à cause de Fanny. Au moins il faudrait des chaises pour les mères. Faut-il accepter une invitation à dîner qu’on me remet à l’instant, chez Lady Kerrison ? J’en ai beaucoup refusé pour cette fin de mois de Mai. Je n’ai plus d’ici au bord de au 31 que trois dîners, deux chez Lady Palmerston, un chez Lady Kimoul. Et deux déjeuners d’hommes des lettres. On vient me voir d’Oxford et de Cambridge, en attendant que j’y aille.
Voici ce qu’on écrit des Etats-Unis sur mon Washington : « C’est un évènement ici que l’arrivée de l’ouvrage de M. Guizot, et l’agitation qu’il produit. La traduction anglaise n’est pas encore publiée et répandue. En attendant, on s’en fait traduire et on en colporte des morceaux de ville en ville. C’est un mouvement d’esprit tout-à-fait inaccoutumé, et qui étonne les gens éclairés parce qu’il s’étend aux masses. ses jugements sur notre gouvernement et nos partis frappent extrêmement. On y trouve bien des révélations et de bonnes leçons pour l’avenir. J’ai bien le droit, n’est-ce pas de vous dire mes plaisirs d’amour propre, comme toutes choses ? Mad. de Chastenay et Mad. de St. Priest n’iront pas lundi au Drawing room. Elles n’ont pas de queue. 3 heures et demie J’ai été me promener une heure à Regent’s Park, au bord de l’eau. J’avais besoin de respirer. Le temps est lourd; quand les nuages du ciel s’ajoutent aux brouillards de la ville, on étouffe. Vous vous promeniez probablement au Bois de Boulogne. N’est-ce pas ridicule cette double solitude ?
J’ai cru jusqu’ici que les conservateurs ne se souciaient pas, au fond, de renverser le cabinet, les gens d’esprit du moins. Je commence à en douter. Voici ce que m’a dit hier l’un d’entr’eux. « Nous dissoudrions. La dissolution nous donnerait trente voix de majorité. Le problème du moment, c’est d’obtenir de la Chambre des Lords les réformes nécessaires en Irlande et ailleurs. C’est la Chambre des Lords qui paralyse tout le Gouvernement. Peel seul peut manage la Chambre des Lords et lui faire faire des pas en avant ... "Peel is not a great man but he will do what great men could not do." Je pense toujours que le Cabinet l’emportera. Mais l’attaque est sérieuse et continuera, ce n’est plus un tournois ; c’est une bataille.

4 heures et demi
M. de Bacourt m’a interrompu. Arrivé ce matin. Nous avons beaucoup causé. Nous causerons beaucoup. Il a de l’esprit. Il passera ici huit jours. Il ne m’apprend rien mais il me développe et me prouve ce que je sais. Il y a bien de l’humeur dans le monde. Moi, je n’ai point d’humeur. J’ai le cœur content depuis hier. Il me semble que je ne vous l’ai pas assez dit. Je vous dis bien peu. Quand je commence à dire, je me sens tout d’un coup emporter à de telles paroles ! Dites-vous les ces paroles qui errent sur mes lèvres. Adieu Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
23005_00240.jpg
383. Paris, dimanche 24 mai 1840

Les angoisses de la semaine passée ont fait explosion, j’ai été très malade cette nuit. J’ai fait venir Chermside. Je suis très faible, il me dit que ce ne sera rien, je l’espère. J’ai le corps malade, mais le cœur bien portant, c’est l’essentiel. Je viens de recevoir votre lettre. En lisant vos perplexités pour vos dames de Paris je m’impatientais, je voulais vous dire de commencer par les inviter pour Samedi ; vous adoptez mon idée à la fin de votre lettre c’est bien. Je crois qu’après ce grand dîner, si vous les invitez une fois, avec Mesdames Dédel et Björstjerna, quelques diplomates, le petit Leveson, Charles Fox, lord Elliot, que sais-je ? quelques autres Anglais, ce sera suffisant. Il n’y a pas de présentation à un birth day! Je doute donc qu’elles aillent à la cour demain, mais lady Palmerston vous dira tout cela. Chez vous hier elles auront rencontré suffisamment de dames pour être lancées à quelques raouts si elles en avaient envie. Voilà il me semble leur Londres expédié. Vous avez eu du plaisir à retrouver du parlage français.
Il ne me parait pas que le vote pour lord Stanley fasse grand événement à Londres. Vous ne m’en parlez plus. Le rapport du Maréchal Clausel hier, mène tout droit selon moi à la restauration de l’effigie de Napoléon sur la légion d’honneur. Et cela je le trouverais très conséquent. Vraiment Henri IV au milieu des drapeaux tricolores, c’est trop ridicule.
Je n’ai vu hier personne d’important que M. Molé pendant une heure de tête-à-tête chez moi. Il trouve que Thiers a été très abondant, très. habile, qu’il soutient merveilleusement toutes les discussions, qu’il a été très conservateur sur la question de la réforme, aussi beaucoup des soldats de M. Molé sont- ils allés dans le salon de M. Thiers. Il affirme cependant qu’il faudra bien qu’il fasse avant le mois de février ou la dissolution ou un esprit de réforme ; ou quelque chose pour les incompatibilités enfin un peu la volonté de la gauche. Il dit que le Roi ne peut pas songer à le renverser s’il n’a pas un ministère tout prêt, que se ministère cependant pourrait se trouver. Le Maréchal, vous Affaires Etrangères, Passy, Dufaure Duchâtel & & que pour lui même il ne se prêterait pas à remplacer Thiers, si Thiers ne tombe pas par le fait de la chambre. Enfin, il dit, et reprend et retourne tout cela vingt fois, et conclut cependant par le permanence de Thiers jusqu’à la session prochaine. Je trouve en lui peu d’aigreur, et peu d’espérance.
J’ai vu Granville, après cela nous avons parlé de Molé ; Ah, il ne l’aime pas ; et d’après quelques scènes qu’il m’a contées il a raison comme anglais de ne pas l’aimer. Mes vertiges me reviennent, j’ai peine à continuer. Il faut que je vous laisse. Adieu, Adieu. Je n’ai de force aujourd’hui que pour adieu.

Vous pourriez donner un petit dîner à Lady Jersey et Lady Tankerville où vous inviteriez vos dames, il me semble que ce serait faisable, et cela plairait également à lady Jersey et à vos dames.
Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
23005_00245.jpg
378. Londres, Dimanche 24 mai 1840

Je crois qu’on s’est amusé hier chez moi, et qu’on a trouvé le dîner bon. Mais Lady Holland a eu un moment affreux. Elle avait dîné la veille à 5 heures, pour aller au spectacte. Pas déjeuné le matin. Elle mourait de faim. Lord Palmerston nous a fait attendre jusqu’à 8 heures un quart. Lady Holland a commencé, par l’humeur. Puis le désespoir. Enfin, l’inanition. au moment de passer dans la salle à manger elle a appété Lord Duncannon et s’est recommandée à lui, car elle n’était pas sûre de pouvoir aller jusque là sans se trouver mal. Le dîner a dissipé, l’inanition. Mais je ne suis pas sûr qu’un peu de rancune ne lui ait pas survécu de ce que j’avais attendu Lord et Lady Palmerston. Pour le 13 juin mon dîner Tory. Voici ma liste. Le duc et la duchesse de Cambridge, le Prince George, la Princesse Angusta, Une dame un aide de camp, le duc de Wellington, lord et lady Aylesbury, lord et lady Jersey, lady Sarah Villiers, lord et lady Stuart de Rothsay, lord Abordeen, lord Hertford, lord Howe, lord Stanley, Sir Robert et lady Peel, lord Lyndhurst,lord Ellenborough.
Connaissez-vous Sir Edward Disbrowe, le ministre d’Angleterre à La Haye ? Il a de l’esprit et des manières agréables. Il vit dans une grande intimité avec M. de Boislecomte qui me l’a fort recommandé. Si les deux pays avaient partout, des agents pareils, il pourrait y avoir entre eux des affaires, jamais d’embarras.
Savez-vous que je commence à compter les jours ? C’est charmant et très impatientant. Vous n’êtes pas seule à prendre de grandes résolutions depuis la mort de ce pauvre lord William. Lady Fanny Cowper ne couche plus qu’avec un grand poignard. Elle l’a essayé l’autre jour contre son oreiller et elle a trouvé qu’il coupait très bien. Lord Leveson n’est qu’arrivé qu’après lord Palmerston. Pour lui, je ne l’avais pas attendu. Nous étions à table depuis un quart d’heure. Je cherche s’il y a encore quelque évènement que je ne vous aie pas dit. A propos de lord Leveson, tirez-moi, je vous prie, de peine avec Lord Granville. Je viens de retrouver perdu dans un tas de papiers un petit billet qu’il m’a écrit il y a déjà bien longtemps pour me recommander un M. Rey ingénieur français venu à Londres. J’ai vu ce M. Rey et je l’ai bien reçu. Mais je ne me rappelle pas si j’ai répondu à Lord Granville et son billet enfui et retrouvé, m’en fait douter. Sachez-moi cela, je vous prie, et si je n’ai pas répondu, excusez-moi par la vérité, en attendant, que je mexcuse moi-même.

4 heures
Je comprends que vous ayez oublié le vendredi. Mais je ne comprends pas pourquoi le n° que je reçois aujourd’hui s’appelle 383. Celui d’hier était 380. J’en place bien entre ces deux-là, un qui viendra demain et qui sera 381. Mais je ne puis trouver le 382. Je viens de faire quelques visites, le Maréchal Saldanha, lord Combermere &. Il y en a beaucoup ici, mais on va vite. Quand vous serez arrivée comment réglerons-nous nos heures ? Pensez-y d’abord parce qu’il faut le régler, ensuite parce qu’il est agréable d’y penser. Vous savez ma maxime que le temps ne manque jamais là où est le désir. Le temps ne me manquera donc pas ; mais je veux du fixe, sans renoncer au variable. En voiture, un quart d’heure pour aller à Stafford-House ; à pied, par les rues une demi-heure, par les pars, trois quarts d’heure. Vous ne m’avez pas dit, si la Duchesse de Sutherland vous avait répondu. Point de nouvelles, ou bien petites. La querelle avec le Portugal s’arrangera ; le maréchal Saldanha a tous les pouvoirs nécessaires. Le Roi de Naples est parti pour la Sicile fort irrité contre ceux de ses conseillers qui l’ont embarqué dans cette mauvaise affaire, entr’autre contre le prince de Satriano. On les a payées et il aura, lui, à payer. Là est la plaie. On croit ici comme vous, le Roi de Prusse fort malade. Nous en sommes fâchés, sincèrement fâchés, quoique sans rien craindre du successeur. Que je vous dise un bon procédé de M. de Brünnow. C’est demain le jour de naissance de la Reine. Jusqu’ici, d’après la tradition on n’illuminait pas à l’Ambassade. Un scrupule m’a pris. Je n’ai pas voulu prendre des airs d’empressement exclusif en illuminant tout seul, ni courir le risque de ne pas illuminer si d’autres, si un autre quelconque, illuminaient. J’ai tout simplement fait demander à Ashburnham-House ce qu’on faisait. On m’a fait dire qu’on n’illuminait pas. Trois heures après, M. de Brünnow m’a envoyé un valet de chambre pour me dire qu’il illuminait. J’illumine donc, et je le remercierai de ne m’avoir pas laissé dans l’erreur. J’ai un peu ri de la fluctuation. M. de Poix avait grande raison de compter que votre intervention serait heureure. Mais pour être heureuse, il faut qu’une intervention intervienne. Si l’affaire est faite avant que l’intervention ait paru, ce n’est pas la faute de l’intervention mais de ceux qui l’ont réclamé trop tard. Il y a trois mois que je suis ici, et cinq mois que cette place d’attaché- payé à Londres est en perspective.

Lundi 25, 8 heures
Un très petit dîner chez lord Palmerston, lord et lady Holland, lord et lady Normansby, lord John Russell, lord Leveson et moi. Décidément, on veut me mettre là dans l’intimité. Lady Holland se charge de mon éducation. Il m’est arrivé hier de citer un proverbe Anglais : Hell’s way is paved with good intentions. Elle m’a demandé bien bas bien pardon de son impertinence et m’a averti que jamais ici on ne prononçait le mot de Hell, à moins qu’on ne citât des vers de Milton. La haute poésie est la seule excusée. L’autre jour, elle m’avait repris parce que je disais always pour still. Je l’ai beaucoup remerciée. Je vois que l’inanition n’a pas laissé de rancune. A onze heures chez lady Jersey. Lord Stuart, lord Heytesbury, Sir Robert Wilson, et une femme d’esprit, point tulipe dont j’ai oublié de demander le nom quand elle est partie. Lord Heytesbury me convient : bonne conversation, pleine, sensée, tranquille, un peu triste. Il dit. "J’ai fini." Et on voit que ceux qui n’ont pas fini lui inspirent un peu d’envie sans malveillance. La beauté de mon surtout fait du bruit. Il en était question hier au soir chez Lady Jersey. 4 heures Je reviens du Drawing-room. Immense. La Reine en aura, certainement jusqu’à 7 heures. J’espère qu’on la décidera à s’asseoir. C’est fort cohue, tant on est pressé pour arriver, pressé quand on y est, et pressé en sortant. Le palais est beaucoup trop petit. Pas de place pour les queues ; pas de place pour le spectateurs. Il y a une infinie quantité de beaute perdue, choses et personnes. Adieu. Votre fils part demain. Il ira lentement de Calais à Paris. Je suis bien heureux de le voir partir. Adieu. Adieu. Par le Télégraphe.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
23005_00251.jpg
384. Paris, lundi le 25 mai 1840

J’ai passé toute la journée hier, malade et couchée. Je crains qu’aujourd’hui ne vaille pas mieux. J’ai les nerfs et la bile en mouvements. Mes jambes ne me portent pas. Tout cela ensemble me fait pleurer quoique j’aie le coeur heureux. Oui heureux, vos lettres me soutiennent, me donnent de la joie, que deviendrais- je sans elle, sans vous. Je n’ai que vous. Mais vous c’est tout, tout, c’est si beau, et si doux. Oui, je veux avoir une foi immense, je veux remercier Dieu tous les jours de ce qu’il m’a donné, ne m’abondonnez jamais.
Je n’ai vu hier qu’Appony le prince Paul, et Pogenpohl. J’ai employé celui-ci dans les derniers temps à mettre en ordre mes papiers ; il a beaucoup d’intelligence pour cela. C’est Matonchewitz qui lui donne le plus de travail, pas de dates c’est horrible. Alors, il faut lui rappeler l’histoire, et c’est laborieux. Je l’emploie aussi à mes affaires, il faut de nouveau pleins pouvoirs, des tracasseries de détail. Cela ne finira jamais. Je ne vous en ai pas parlé, c’est trop ennuyeux.
Appony me portait la relation de la noce. L’Impératrice a habillé ma nièce. L’Empereur l’a conduite à l’autel. Toute la famille impériale était à la chapelle. De là, dans les appartements de l’Impératrice, les accolades et les santés. Et puis l’Empereur les a menés à l’église Catholique. Il les a ensuite reçus dans l’autichabre de leur appartement ment, avec toutes les, j’allais dire boufforneries des usages russes. L’Empereur avait mis ce jour là l’uniforme autrichien et l’ordre d’Autriche, enfin il n’aurait pu mieux faire pour un archiduc. Il a fait cadeau ma nièce d’une superbe parure en diamants. Les voilà comblés, et j’espère heureux.
Politiquement Appony avait peu à me dire. Il se loue beaucoup des manières polies de Thiers. Le prince Paul n’avait point de nouvelles. Il me dit seulement qu’il s’agit de quelqu’affaire semblable à celle de Fabricius qu’il croit qui se rattache aux prisonniers de Bourges, car prisoniers est le mot aujourd’hui. Thiers les a nommés comme cela en causant avec le prince. Je n’en ai plus entendu parler de longtemps. Mais je vois Brignoles d’assez mauvaise humeur en général. Mad. de Castellane est très malade, M. Molé en est même inquiet.
Mon fils sera ici jeudi j’espère. Il ne fera pas de retard pour moi, je compte toujours partir Samedi le 13. Le cœur me bat quand j’y pense. Ah qu’il me bat souvent. Je trouve le ciel gris. J’ai dans l’âme du bonheur et de l’angoisse. Ma santé est si misérable ! Il me semble quelque fois que je vais finir. J’ai tort de vous dire cela, mais vous traitez cela de bétises. Si je restais calme, tranquille, heureuse, pendant quelques jours, cela me ferait du bien. Mais je n’ai jamais ce calme. Quinze jours ne s’écoulent jamais sans une secousse. Et chaque secousse me trouve plus faible. Ah, il n’y a que vous pour me soutenir ! Votre puissante voix, votre regard, quand retrouverai-je cela ?
J’aime les Américains. Je vous remercie de ce que vous me redites. Le Roi de Hanôvre me mande vos succès à Londres, Il me dit que c’est un suffrage général. Vous ne savez pas comme cela me donne de l’orgueil ! Je crois que vous pouvez accepter Lady Kerrison, c’est la mère de Lady Mahon, du moins je le crois, demandez. Elle est soeur d’Ellice. Je me suis levée très tard, ayant très mal dormi. Il est midi, je n’ai pas encore songé à ma toilette.
Adieu. Adieu. Quel plaisir quand nous ne l’écrirons plus. Adieu.
L’auteur des biographies est un nommé Loménie, très jeune et qui ne connait l’original d’aucun des portraits qu’il trace. Adieu, adieu.

Auteur : Sparks, Jared (1789-1866)
MF-G-L#055_00669.jpg
Through the hands of mr. Jackson, I have lately received your edition of the "Vie, correspondance, et écrits de Washington" . [...] The character of Washington is drawn with striking force, and accuracy, and the political conditrions of the United States during his public life is well conceived and skilfully portrayed.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
23005_00261.jpg
385. Paris Mardi le 26 mas 1840
10 heures

Je trouve bien mal arrangé que le mardi revienne toutes les semaines. Je m’éveille ce jour-là bien tristement. J’ai vu chez moi hier matin les Appony, le prince Paul encore, mon ambassadeur et M. de Pogenpohl. J’avais dû commencer par mon médecin. Il m’a trouvée very much below. parr, excessivement faible avec le pouls très élevé 90. Il m’a ordonné de passer ma journée en voiture ouverte ce que je n’ai manqué de faire même le soir et par une pluie battante. En revenant du bois de Boulogne, à 10 heures j’ai frappé à la porte de Mad. de Castellane ; j’y ai trouvé le chancelier, Mad. de Boigne, mon Ambassadeur, M. Molé, quelques autres. Point de causerie le matin j’avais peu recueilli aussi.
La médiation de Naples. ira bien difficilement. On ne regarde pas comme impossible que le sultan et le Pacha s’arrangent entre eux. Ce dernier devient bien puissant dans le divan et dans les provinces Turques. Un accommodement serait tout à son avantage et nous y verrions la ruine prochaine de l’empire Ottoman. Vous soutenez l’acheminement à ce résultat. Au fait puisque l’Europe ne parvient pas à arranger ces Messieurs il faut bien qu’ils finissent par s’arranger eux-même any how. J’ai eu une lettre de mon frère ce matin, qui me croit déjà à Londres. Il allait partir pour Varsovie avec l’Empereur, de là ils retournent à Pétersbourg.

Midi. Mes vertiges reprennent, et alors je vois à peine ce que j’écris. Le temps est à l’orage, le ciel bien triste s’il est comme cela ici, j’imagine ce qu’il doit être à Londres. Au fond l’air de Londres ils abominable ; ce n’est pas de l’air, et je suis sûre que vous vous sentez suffoqué, quelquefois. C’est la campagne en Angleterre qui est ravissante. C’est là où je voudrais être avec vous.
J’ai eu une longue lettre de la duchesse de Sutherland pleine de larmes et d’amitié. Elle attend encore Lord Burlington à Stafford house, je n’y peux pas être. J’irai à l’auberge. Cela ira pour quinze jours, mais au vrai je ne pourrai pas soutenir Londres plus longtemps. Il me faudra absolument de l’air. Je ne me fais une idée claire de la combinaison de l’air et de vous, mais il faudra cependant trouver moyen. Je vous écris demain par le gros Monsieur. Adieu, à demain, Adieu toujours.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
23005_00257.jpg
379. Londres, mardi 26 mai 1840
9 heures

Vous aviez raison. Lady Palmerston ne dînait pas hier avec nous. Elle me l’avait dit Dimanche. Grand dîner ennuyeux, pas énormement long. J’ai porté la santé de la Reine. Pourquoi Lord Palmerston n’a-t-il pas fait comme j’ai fait chez moi le 1er mai, où j’ai répondu à la santé du Roi, par celle de la Reine et de tous les souverains de l’Europe ! Est-ce l’usage Anglais? Le nôtre est plus poli. De chez Lord Palmerston chez Lord Lansdowne. Rout immense. Le Drawing room du matin transporté à Berkeley-square. Du temps et des embarras sans fin pour arriver. J’ai eu du bonheur pour sortir. Ma voiture était tout près. J’étais chez moi à minuit et demi. Lady Lansdowne me convient. J’ai beaucoup causé avec elle samedi, chez moi. Elle a l’esprit droit et le cœur haut et vraiment du cœur. Elle aspire ardemment à Bowood. La plupart des Anglais et Anglaises me paraissent avoir peu de goût pour cette vie de bals et de routs, qu’il mènent avec fureur.
Je lis à l’instant même dans le Morning Chronicle : " The duke and dutchess of Sutherland leave Stafford House shortly for Trentham, whence they purpose going to Dunrobin Castle, Sutherland shire." Est-ce vra i? Qu’en savez vous ? Et dans ce cas, quel hôtel choisissez-vous ? Nous approchons beaucoup. Donnez moi de charmants détails. Vous aurez votre fils à la fin de la semaine. Vous pourrez tout règler alors.
Je vais déjeuner ce matin à Kensington, chez M. Senior avec lord Lansdowne, l’archevêque de Dublin, M. et Mad. Grote que décidément on veut prendre. Je dîne chez moi avec Bacourt, Dedel, Sir Edouard Disbroule et Frédérie Byng. Voilà tout le menu de ma vie.
Parlons d’autre chose : Thiers a raison de riposter à Ancone par Cracovie. La réponse est sans réplique, sans propagande, sans guerre, sans évènement, il nous serait facile de susciter aux Puissances, moins amies que d’autres, bien des embarras, des ennuis, d’élever ou d’entretenir en Europe, à leur sujet, ce bourdonnement de plaintes, de griefs, de réclamations, de prétentions, qui est fort incommode pour des gouvernements peu exercés au bruit. Nous ne le faisons pas ; mon avis est qu’il ne faut pas le faire ; mais il faut, dans l’occasion, nous prévaloir de ce que nous ne le faisons pas, et indiquer que nous voyons très bien toutes ces petites plaies auxquelles nous ne voulons pas toucher.
Je vous répète ce que je crois vous avoir déjà dit. Le Cabinet ne prend pas son échec au sérieux ; ni lui, ni personne. C’est à dire qu’ils restent très décidément et que personne n’en est surpris et ne s’attendait au contraire. Mais les Torys prétendent sérieusement au pouvoir et renouvellerons souvent l’assaut. Les Whigs s’attendaient à perdre les élections de Ludlow et de Cambridge, Pourtant ils en sont tristes. Et ils craignent un peu de perdre aussi celle de Cockermouth où M. Horsman pourrait bien n’être pas réélu. Ceci serait pire. Je ne crois à rien d’imminent ; mais je crois à une situation aggravée.

4 heures
Pour Dieu, ne soyez pas malade. Je suis, en ce qui vous touche votre santé, dans une disposition intolérable et toujours près de devenir douloureuse. Je ne me fie pas à vos impressions ; je vous crois portée à l’exagération mais si je me trompais ! Ne soyez pas malade, je vous en conjure. Mes Françaises sont contentes de moi. Je leur donnerais probablement encore un petit dîné comme vous dîtes. Pas de lady Jersey ; elle est pour mon grand dîner Tory du 10 juin et c’est assez. Mesdames de Chastenay et de St Priest partent de demain en huit pour leur tournée, in the country, et puis pour Paris. Mad de St. Priest, fait bâtir une maison sur le terrain de l’hôtel d’havré. Elle veut retourner à ses ouvriers. Adieu. Corrigez le numero de vos lettres Vous êtes d’1 en avant. Adieu. Adieu. Je vais à mes dépêches. Adieu. J’ai besoin de finir par adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
23005_00265.jpg
380. Londres, Mercredi 27 Mai 1840
9 heures

Je commence à sentir cette impatience, ce mépris des lettres qui s’éveillent quand on approche du terme. Plus je vous dirais, moins je vous écris. Il fait un temps admirable ce matin; le soleil brille, l’air du printemps souffle. Je voudrais me promener avec vous. On n’écrit pas la promenade. Nous avons dîné hier agréablement. La conversation, vous aurait plu. Vous y êtes venue. M. de Bacourt a raconté une course en calêche que vous aviez faite, vous, la duchesse de Dino Lady Clauricard, lui, Dedel, lord John Russell, je ne sais qui encore ; un orage, une pluie énorme. Les trois dames dans le fond de la calèche, lord John en travers, sous le tablier, sur vos pieds, et aussi trempé en arrivant à Richmond que s’il eût été sur le siège. Cela me plaisait d’entendre parler de vous. Pourtant tout ne me plaisait pas. J’ai gardé et je garderai jusqu’au bout les susceptibilités et les exigences du premier printemps. J’en souris moi-même. Et ce que je dis là est presque un mensonge, car je n’en souris pas vraiment, franchement. Ce qui est vrai, ce qui est franc, ce qui s’éveille, en moi naturellement et tout-à-coup, sans réflexion, ni volonté ce sont les impressions de la jeunesse. Elles ne me gouvernent plus, mais il faut que je les gouverne, car elles sont encore là. La vie est infiniment trop courte. Notre âme a à peine le temps de se montrer. Les choses lui échappent bien avant le goût et la force d’en jouir. Il faut que vos vers de l’autre jour aient raison.
Tout commence en ce monde et tout s’achève ailleurs.

Une heure
Je vous promets du calme ici. J’espère que vous arrangerez votre vie de manière à éviter la fatigue matérielle. Vous ne pouvez pas vous coucher tard. J’en ai repris l’habitude avec une singulière facilité. Non, certainement, je ne traite pas de bétises vos impressions sur votre santé. Je crois, je suis sûr qu’elles sont souvent très exagérées. Vous avez bien plus de vie, bien plus de force que vous ne croyez dans vos mauvais moments. Mais vos mauvais momens m’occupent beaucoup, me tourmentent. Ils seront rares ici. J’y compte. Ainsi, le 13 ; c’est bien convenu. Et vous serez ici le 15. Mais il faudra que vous partiez le 13 de bonne heure. Arriverez-vous à Boulogne, de manière à passer le dimanche 14 ? Ou bien ne passerez-vous que le lundi 15 ? Répondez moi sur tout cela. Je prétends que je suis plus exact que vous en fait de réponses. Ma mère et mes enfants partent pour la campagne, le 4 juin.
Notre affaire de médiation marche. Jai obtenu hier de Lord Palmerston la restitution des bâtiments napolitains détinus encore à Malle. Le Roi de Naples de son côté concède l’abolition du monopole et le principe de l’indemnité. Il ne reste plus que des détails d’exécution sur lesquels on s’entendra. Je suis fort occupé ce matin d’une affaire qui vous touche fort peu, le chemin de fer de Paris à Rouen. On ira alors de Londres à Paris, par Southampton en 20 ou 22 heures. Je serais bien aise que cela se fit sous mon règne. C’est en train. Et les Anglais en sont fort en train. Ils y mettent 20 millions. Croyez-vous comme on me l’écrit, que la session française finira du 20 au 25 juin ? Qu’en dit-on, autour de vous ? Il est vrai que Thiers déploye beaucoup d’activité et de dextérité. Il est fort content, me fait tous les compliments et toutes les tendresses du monde, me promet qu’il n’y aura point de dissolution, qu’il ne s’y laissera point pousser et finit par me dire : " J’espère que notre nouveau 11 octobre, à cheval sur la Manche réussira aussi bien que le premier. " Lord Brougham est arrivé avant-hier. Vous ne l’avez donc pas vu à son passage à Paris, ou bien il n’y a pas passé. Je ne l’ai pas encore vu. Lady Jersey, ma dit qu’il était horriblement triste. Pauvre homme ! Il ne trouvera pas dans le mouvement qu’il se donne de remède à son mal. Il faut que le remède s’adresse là où est le mal au cœur même. Le mouvement extérieur distrait tant qu’il dure, mais ne guérit point. Voilà la grossesse de la Reine déclarée. C’est une grande question de savoir si on proposera dans cette session, le bill de régence. Le Cabinet, voudrait bien y échapper et il l’espère. Si le bill était proposé, la session finirait je ne sais quand. Adieu. J’étais bien tenté de croire que, d’ici au 15 juin, tout me serait insipide. Je me trompais. Le 385 (384) venu ce matin, m’a été au cœur. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
23005_00269.jpg
386. Paris le 27 mai 1840

Voici une lettre presque aussi sûre que la parole et malgré cela je n’ose pas me livrer. Il me serait si doux de le faire cependant ! Mon bien aimé, J’ai si besoin de te redire et d’entendre des paroles d’amour. Cela est écrit, je ne veux pas l’effacer. Mais je veux me contenir et raconter.
J’ai été hier à la Chambre - curieux et pitoyable spectacle. M. de Lamartine a fait un beau discours voilà tout ce qu’il y a eu de beau. Thiers n’a pris la parole que pour dire qu’il épousait le projet de la commission, et la commission et Thiers ont été battus, ou leur a rogué un million. Votre président de la chambre s’est conduit comme un enfant, un enfant sot et fâché. La chambre a fait un tapage épouvantable ; comme des écoliers. C’était vraiment misérable. On n’est pas Bonapartiste, et hier on n’était pas Thieriste. On dit qu’il est resté accablé de cette triste séance, et qu’à sa soirée il était d’une humeur très hargneuse. Il accusais beaucoup M. Sauzet. je crois en effet que la première confusion était dû au Président. Mais pourquoi Thiers n’a-t-il pas parlé ? Cela me reste incompréhensible. La foule était grande dans la Chambre, dans les tribunes comme aux fonds secrets. Sébastiani est sorti sans voter, il m’a dit : "pauvre séance."
Le soir les ambassadeurs sont venus chez moi, beaucoup d’autres personnes tout cela assez amusé. Je crois que le Roi a pu l’être aussi. Il me semble que le grand effet théâtral commence bêtement. Au fond c’est honteux. Tout le monde trouve Thiers bien changé, vieilli, harassé. La faction Boigne dit qu’il donne des signes de folie. Je n’ai cependant entendu cela que là. On dit aussi qu’au Conseil le Roi ne parle plus. Il laisse faire. Au reste son langage sur Thiers avec les ambassadeurs n’a plus rien d’inconvenant. Ils sont assez contents de lui. Il est poli. On va faire les grands changements dans les préfectures quelques révocations, et beaucoup de mutations. Je crois savoir cela de bonne source.
Le roi de Prusse est très mal. Il n’en reviendra pas. Bresson mandait hier de fort mauvaises nouvelles, ce sera un gros événement. Le Roi de Prusse futur a beaucoup d’esprit, mais pas de tête. Il y a quelques années il détestait ceci encore plus que ne le déteste l’Empereur Nicolas, et il le disait beaucoup plus haut que lui. Il peut s’être amendé. En tout cas, on n’aura pas pour lui le respect qu’on a pour son père. Les libéraux espéreront tout de lui beaucoup. Les ultras aussi. Cela a l’air de non sens, et c’est comme cela cependant. Je m’imagine que mon Empereur va courir à Berlin pour voir encore. son beau père. Ce pauvre mourant sera très incommodé de cette visite.
J’ai été hier voir votre mère, elle est parfaitement bien, les enfants aussi, ils étaient au jardin, je suis allée les y trouver. Votre mère veut se mêler de moi, elle veut que je prenne de la camomille. ne crois et n’écoute aucun médecin. Je me sens si malade. Je vois, qu’au fond, je n’ai politiquement rien de bien intime à vous dire. C’est vous qui pourriez m’apprendre bien des choses, si vous aviez un gros Monsieur. Vos opinions sur l’Angleterre et les Anglais, je les devine. Mais sur ce qui se passe ici ; sur la politique européenne vous savez beaucoup, vous savez tout ce que j’ignore ! Je suis curieuse un peu de tout.
Quelques fois je m’imagine qu’un changement ici peut être très prochain, et alors je me dis qu’il pourrait bien arriver tout juste pour mon voyage d’Angleterre, c’est-à-dire aussi gauchement que possible. L’effet de la séance d’hier peut être quelque chose. Le pays sera un peu étonné, et les partisans de la dissolution en feront un argument assez puissant Qu’en pensez-vous ? Eh mon Dieu, je voudrais vous faire cette question sur toute chose ! Vous verrez que l’affaire de Ste Hélène sera une bien grosse. affaire. Elle a tant de faces vraiment c’est de la déraison ou de la trahison de l’avoir commencée. Et le Roi qui se vante d’en être l’inventeur !
Je vous écris tous les jours, et je m’étonne de ne pas vous écrire aujourd’hui un volume. Je suis honteuse de profiter si peu de cette bonne occasion. Je voulais remplir ma lettre d’Adieux sous toutes les formes. Imaginez-vous cela, prenez tout cela comme dans nos meilleurs temps. Dans les temps qui reviendront n’est-ce pas ?
Il me semble toujours que je commencerai pas arrivé auprès de Londres, quand ce ne serait que pour choisir de là l’Auberge où je veux aller à Londres. Mais je n’ai rien arrêté encore. Je crois que Brünnow en désespoir de cause aura écrit en cour pour empêcher ma venue. Ce sera peine perdue, on n’osera pas en dire un mot, et si on le disait je partirai seulement un peu plutôt. Non, je partirai comme j’ai dit. Je ne me fâcherai, ni ne me dérangerai pour personne Il n’y a plus que vous qui ait le droit de me fâcher ou de me déranger, n’est-ce pas ?
Adieu. Adieu, cher bien aimé. Que de choses à nous dire ! Que de doux et longs regards. Ah si nous en étions là ! Avertissez- moi bien au moins des chances politiques possibles. Un chassé croisé serait trop bête. Adieu. Adieu. Adieu, toujours toute ma vie, mon bien aimé.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
23005_00279.jpg
381. Londres, Jeudi 28 Mai 1840
3 heures

Je ne comprends pas pourquoi vous avez de l’orage et un ciel triste. Il fait beau ici depuis plusieurs jours, beau et calme. Aujourd’hui, il fait même chaud. Vous vous porteriez bien par ce temps là. Nous chercherons de l’air pour vous. Cela ne me paraît pas impossible à arranger. Nous trouverons bien quelque chose d’agréable à Norwood. Putney & Vous avez besoin de rouler en voiture ouverte. Vous viendrez à Londres, le matin voir qui vous voudrez, dîner où vous voudrez. Et moi j’en serai quitte pour fatiguer une paire de chevaux de plus pendant que vous serez là. Sachez bien que de mémoire d’anglais, me dit-on, on n’a vu à Londres un aussi beau printemps. Et au fait, je trouve l’air moins lourd qu’on ne me l’avait annoncé. Avez-vous un peu d’appétit ? Quand on a la bile en mouvement, je crois qu’il faut bien peu manger. Si je vous mettais à mon régime, je vous dirais, de la diéte et du sommeil. Ce sont mes seuls remèdes. J’ai vu hier on me promenant, deux ou trois jolies maisons à louer, garnies, à l’extrémité de Regent’s Park du côté de Primerose. Je vous assure que là l’air est agréable. Et vraiment la portion fermée de Regent’s park, le jardin, est charmante. Depuis que Lord Duncannon m’a donné, des clefs, j’y vais quelques fois, m’asseoir seul. C’est bien frais bien tenu, assez grand pour y marcher, pas d’isolement et pas beaucoup de monde. Il me semble que vous seriez bien près de là. Savez-vous décidément dans quel hôtel vous descendrez ?
Le duc de Cambridge, qui ne pouvait venir dîner chez moi le samedi 13, m’a offert le Vendredi, 12 ou le lundi 15. J’ai pris le 12. Je garderai le 15 bien libre. Je viens de déjeuner chez M. Milnes, conservateur modéré de la Chambre des Communes avec quelques radicaux modèrés Charles Buller & et Sir Stratfort. Canning. Conversation assez animée et variée. Il y avait là un homme d’esprit un Rev. M. Thirlwall le premier scholar, dit-on, de l’Angleterre. et prédicateur très éloquent. On voudrait le faire evêque. Mais, lord Melbourne s’y oppose, ne le trouvant pas assez orthodoxe.
Je me suis laissé imposer hier par lord Burghersh une seconde séance de l’ancient concert. C’était la dernière et cela lui faisait tant de plaisir! Au fait, j’aimais autant finir ma soirée là qu’ailleurs. La musique était bonne, très bonne même une ou deux fois. J’ai causé avec lady Burghersh. J’ai trouvé son esprit dont vous m’avez parlé. Bien artiste, fin et sensé. Quand je dis sensé, je ne sais pas, mais clairvoyant.
J’ai arrangé mon petit dîner pour mes Françaises. Elles partent le 3 Juin et je les ai le 2 avec lord Elliot, lord Leveson, lord et lady Lovelace et Sir Robert Cherter que j’ai mis là parce qu’il faut qu’une fois je le mette quelque part. Les invitations me pleuvent. Voilà lord Haddington, le duc de Bucclaugh, le duc d’Argyll. Il faudra rendre tout cela. Il me faudra plus de grands dîners que je ne comptais. Vous me règlerez Point de nouvelles. Chekib. Effendi vient d’arriver.
L’affaire d’Orient remuera de nouveau probablement sans avancer. Entre nous, je crois pouvoir dire que tout le monde ici, corps diplomatique ou Anglais, Whigs ou Torys, est de mon avis dans cette question, comme on est de l’avis d’un autre. On trouve que j’ai raison. On serait bien aise que quelque circonstance rendit ma raison nécessaire. Mais il faut lutter, refuser, dire non. C’est bien difficile. Aussi je ne réponds de rien. Je ne me décourage pas non plus. J’établis chaque jour, un peu plus fortement et dans quelques esprits de plus, que j’ai raison. Je pense des hommes dans les affaires comme des enfants dans l’éducation, il faut faire leur atmosphère et les laisser respirer. Adieu. J’attends la lettre de demain avec une double, une triple impatience. Mais je vous veux point agitée, point abattue. Les vrais adieux veulent la santé. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
23005_00283.jpg
387. Paris, Jeudi le 28 mai 1840

En effet, j’ai sauté par dessus le 381 car je ne le retrouve pas dans mes tablettes. Ecoutez ; hier j’ai rencontré Thiers à dîner chez mon ambassadeur en entrant dans le Salon il me dit : " Je viens de recevoir mes dépêches télégraphiques de Londres ". A ce mot télégraphe ma figure s’illumina, elle disait : " Je suis bien contente." J’aime mon invention, elle est bien innocente.
Thiers a été mon voisin à table. Il est fort content des nouvelles de Londres. Il se loue beaucoup de vous, il dit qu’à vous deux vous faites des merveilles. Il ajoute :
" J’arrange les affaires de façon qu’il n’y a que M. Guizot qui puisse être mon successeur.
- Ou plutôt vous les arranger de façon à les garder toujours pour vous ?
- Oh Je vous en réponds ; mais tenez, je suis jeune, je sais bien qu’une fois je les garderai toujours, je ne sais si cette fois là est à présent ; c’est possible, cela n’est pas sûr ; nous verrons, mais si M. Guizot s’ennuyait à Londres, je l’arrangerais ici.
- Il me semble que M. Guizot s’amuse fort bien à Londres et qu’il aimera à y rester.
- Oui , mais allez-y car sans cela bientôt, il vous fera des infidélités ! " Voilà vous.
Après cela il m’a parlé du vote d’avant-hier. Il me dit : " j’ai fait une faute, je devais parler. J’ai eu grand tort de ne pas le faire. Je n’avais pas idée que le Chambre. voterait comme elle a fait. J’étais ennuyé de parler, et puis j’aurais dit des paroles peut être trop excitantes. Enfin, j’ai mal décidé et une fois le vote, je me suis mis dans un grande colère. J’ai dit des choses très dures au président. Je lui ai dit : " Monsieur, vous ne connaissez pas votre devoir, vous ne savez pas présider, ce que vous venez de faire est absurde, je répète absurde. " Je lui ai dit tout cela là à sa chaise. J’ai dit des paroles dures, à Dupin, j’en ai dit au secrétaire de la justice, à tout le monde. J’étais en grande colère." Il a causé de tout, et m’a beaucoup divertie. Il dit des choses très piquantes. A propos de la responsabilité ministérielle, il dit : " C’est l’hypocrisie du despotisme." Au fait hier il était en train ; il n’a fait que causer avec moi. Nous avions commencé par Sauzet, nous avons fini à César. Il dispute tout au duc de Wellington, et plus que jamais il glorifie Napoléon. C’était hier un dîner de 30 personnes. Mad. de Boigne a essayé des agaceries à M. Thiers, à Mad. Thiers. Rien n’a réussi. Ils viennent de louer à Auteuil cette grande maison qu’avaient les Appony. Au sortir du dîner, j’ai été en calèche me rafraîchir au bois de Boulogne. Cela m’a fait dormir.
Je vous préviens que hier je n’ai eu votre lettre que vers cinq heures. Le joli garçon sort de chez lui avant l’heure de la poste. Il y rentre quand il peut, et moi je suis longtemps à attendre. Voici midi. Je n’ai rien encore. J’aime beaucoup Simon, et je regretterai beaucoup le gros Monsieur.
Je suis un peu mieux depuis hier. Ce matin mon fils m’écrit du 26 qu’il partait ce jour là et qu’il serait ici le 29 ou le 30. Brünnow l’a chargé de m’assurer de sa joie de me revoir, et qu’il se mettrait entièrement à mon service. Cela ne ressemble pas au premier message. Je vous remercie tendrement de tous vos enquiries au N°2 Berkley square. Je suis bien heureuse que vous n’ayez plus à y envoyer.
J’ai envie de vous redire les petits mots entrecoupés entre Thiers et moi. " Vous êtes très fine, pas plus que moi, mais je crois presque autant."
(moi) " Vous avez beaucoup d’esprit mais je pense quelques fois que vous en avez trop.
- Cela voudrait dire, pas assez ? non mais vous abusez."  (Thiers) " Il n’y a de véritable ami qu’une femme. Dans les amitiés d’hommes il y a toujours un peu de jalousie."
" J’ai peu à faire avec les étrangers nous n’avons rien à nous dire ! Je suis poli, je pense qu’ils n’ont pas à se plaindre mais voilà tout. "

1 heure
Je viens de recevoir votre lettre des mains du joli garçon. Hier ce n’était par lui, c’était je ne sais qui, car on avait laissé la lettre ici et je l’avais trouvé à mon retour de ma promenade. Tout cela n’est pas en règle, et je m’en vais aller aux enquêtes par Génie. Lord Palmerston n’a pas bu la santé des souverains parce que vous n’avez pas fait à votre dîner du 1er mai ce que je vous avais dit. Je vous avez dit de répondre à la santé du roi par la santé de la Reine. Vous avez voulu faire mieux, vous avez ajouté les souverains. Cela n’est pas correct Granville l’autre jour a répondu à la santé de la reine, par la santé du roi. Barante à Pétersbourg répond par la sante de l’Empereur. Partout cela se fait comme cela, et la raison en est claire. Lord Palmerston c-est-à-dire l’Angleterre porte la santé du roi. Le représentant du roi répond par la santé de la Reine d’Angleterre, les autres souverains n’ont rien à faire la dedans. En revanche vous à la fête de la reine vous portez sa santé non parce que vous êtes la France mais parce que vous êtes doyen du corps diplomatique, c’est donc l’Europe qui parle, et alors il répond à l’Europe en portant en masse la santé des Souverains. Il ne l’a pas fait, il a voulu se venger de votre petit mistake. Voyez- vous, une autre fois lisez mes lettres et croyez. Je vous ai répété la Reine, la Reine. Je vous l’ai dit deux fois, vous deviez bien penser que j’aurais ajouté les autres s’il pouvait s’agir d’eux ; et j’ai été fâchée quand vous m’avez mandé les santés supplémentaires. Rappelez- vous de tout ceci l’année prochaine. Si. J’ai bien envie que vous n’ayez pas à vous en rappeler.
Dès que mon fils sera arrivé, je fixerai l’époque de mon départ pensez de votre côté que je ne puis pas résider longtemps à Londres. Qu’on y étouffe, qu’on y mène une vie abominable, que ce qu’il y aurait de bien, ce serait une quinzaine de jours là, et puis les campagnes. Mais pour cela il faut l’époque où l’on y va. Or cela dépend pour vous et pour les autres du parlement. Ces deuils anglais me déroutent un peu, et pour Londres et pour les châteaux. Chatsworth eût été charmant je devais y passer tout le mois d’août, vous deviez y venir. Il n’y a plus de Chatsworth. Il n’y a plus de Treutham. Je ne sais trois ce qu’il y aura en commun. Middleton chez les Jersey. Broadlands chez les Palmerston. Je cherche, je ne vois pas trop. Bowood est pour vous seul, je ne suis pal assez liée avec eux. Howick, est je le crains trop loin pour vous ; et puis vous ne faites guères connaissance avec Grey. Les Londonbery vous ne es voyez pas du tout. Il faut abandonner au hasard à nous arranger peut-être. J’aimerais bien quelque chose près de Londres. Mais il n’y a plus personne de ma connaissance intime près de Londres. Hatfield, Woburn, Stoke, Pamzhänger, tout cela est mort. Allons à Tumbridge voilà qui est charmant. Je dirais Richmond ! Mais il n’y a plus de Richmond possible pour moi ! Mad. de Boigne va s’établir à Chatenay aujourd’hui, Votre dîner Tory est très bien.
Adieu. Adieu. Le temps est redevenu charmant. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
23005_00298.jpg
388. Paris, vendredi le 29 mai 1840

Vous êtes jaloux de mon escamotage d’un n° ! Je rétablis ; voici deux 388 pour componser le 381. Je vous prie de ne pas me traiter en abrégé, quoique notre rencontre soit prochaine. Jusqu’au dernier jour j’aimerai les longues lettres et toutes les nouvelles. Il me semble que je n’y faiblis pas de mon côté. Je n’ai rien à vous conter d’hier. J’ai passé beaucoup de temps en plein air, je n’ai vu du monde que le soir. Les Ambassadeurs, la Prusse, le Duc de Noailles. le Duc de Noailles est fort révolté de ce qui s’est passe à la Chambre des députés. Révolté pour Napoléon, honteux pour le pays. Cela, et tout ce qui peut s’en suivre encore. Ces querelles sur le lieu de la sépulture. Cette manière de marchander les frais, les désordes qui peuvent survenir à l’occasion de la Cérémonie, tout cela est à ses yeux des insultes à un grand honme. Il ne méritait pas cela. Il méritait bien tant d’honneur, mais il ne méritait pas autant d’indignité. Il ne fallait pas remuer sa cendre. Il y avait bien plus de grandeur à rester à Ste Hélène. Cette souscription ouverte va être un grand scandale. Scandale si elle réussit. Honte complète si elle avorte. Tout cela est pitoyable. J’ai entendu quelques plaintes hier sur ce que M. Thiers n’a pas le temps de s’occuper d’affaires. Mais il faut que j’ajoute que les affaires qu’on me citait à l’appui des plaintes étaint tout ce qu’il y a de plus infimes. Au fond Thiers ne peut pas s’occuper de détails, c’est trop exiger. Je m’étonne qu’il ne succombe pas sous les affaires en gros. J’attends mon fils aujourd’hui. J’en suis bien impatiente. Ne soyez pas trop impatient pour le 15. Ne me forcez pas à traverser un jour de gros temps. Ne me faites pas courir la poste comme un courier. Je partirai le 13 si mon fils n’y fait pas obstacle. C’est ma volonté et surtout mon désir. Mais je ne puis pas être absolument sûre. Ne vous lassez pas d’écrire. Je vous en prie. Je n’ai pas vu Lord Granville depuis trois jours, je n’ai donc pas pu lui faire votre message encore, mais je ne l’oublierai pas. Adieu. Adieu, mille fois, adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
23005_00294.jpg
382. Londres, Vendredi 29 mai 1840
Midi

Voilà un peu d’eau froide sur la mousse Bonapartiste et un petit dédommagement au réjet de la dotation Nemours. La chambre a montré plus d’intelligence et de fermeté que je n’en attendais. La forme est mesquine, mais le fond est bon. Gardez mon avis pour vous, je vous prie, puisque je ne suis pas obligé d’en avoir un. Vous me direz votre impression de la séance car j’espère que vous aurez été assez bien pour y aller.
Je n’ai jamais été si préoccupé du temps, de l’air, du soleil, du brouillard. Je vois tout cela sur votre tête. Et je vois tout ce qui se passe en vous sous toutes ces influences. Le beau temps persevère. Je fais beaucoup de courses la semaine prochaine. Ellice me mène Mercredi à Epsom ; je dînerai tout près, chez M. Motteux. Je reviendrai tard. Jeudi, je vais à Eton. C’est une grande solennité du Collège. On désire beaucoup que j’y sois. Tout cela ne me plaît pas beaucoup ; mais je me prête assez facilement à ce qui ne me plaît pas beaucoup, surtout quand je n’ai rien qui me plaise beaucoup. L’indifférence me rend très complaisant. Je ne le serai pas tant quand vous serez ici. Je deviendrai avare de mes chevaux. Et de mon temps.
J’attends mon gros Monsieur. Je sais qu’il vient d’arriver, et qu’il va venir chez moi. Je sais aussi qu’il vous a laissée mieux et meilleur visage que trois jours avant son départ. Il m’a apporté un très joli petit portrait de Guillaume par Mad. Delessert ; rien, une ébauche à moitié ébauchée, mais parfaitement ressemblant, et gracieux. Ressemblant au modèle et au peintre. C’est ce qui arrive souvent. On met du sien partout. Qu’est-ce qu’un comte Woronzoff qui vient d’arriver et que M. de Brünnow m’a présenté ? Il m’a parlé du comte Michel, comme de son frère ou de son cousin ; je n’ai pas bien entendu. Il y avait hier soir un concert chez la duchesse d’Argyll, un bal chez la duchesse de Montrose. Je n’y ai pas été. Je me retire de la frivolité, comme vous dites. Je ne veux pas qu’on dise que je ne m’en retire qu’à cause de vous. Je vais ce soir au concert de la Cour après le dîner de Lord Haddington.

4 heures
Mon bonheur s’est fait attendre longtemps. Enfin il est venu. Il ne faut pas beaucoup de lettres pour faire beaucoup de bonheur. Vous avez déjà mon impression sur la séance où vous étiez. De loin, j’ai été frappé surtout du fond. Vous de près, surtout de la forme. C’est dans l’ordre. Je persiste dans mon impression. C’est un acte de bon sens et de fermeté contre le brouhaha populaire. Je ne crois à aucun évènement prochain où je puisse être intéressé. Vous savez sur quel terrain je me suis placé, et vous m’y approuvez. La proposition Rémilly pourrait seule murir rapidement la situation. On m’écrit de tous côtés qu’elle sera rapportée peut-être, ce qui ne signifie rien, mais point discutée ce qui serait grave, decisif peut-être. En tout cas, j’y regarde beaucoup ; et si j’y voyais quelque chose, je vous le dirais sur le champ. Certainement, un chassé croisé serait déplorable, ridiculement déplorable. J’ai tant attendu qu’il faut que je finisse. Dans trois semaines, nous ne finirons jamais n’est-ce pas ? Je suis assez d’avis que vous arriviez d’abord près de Londres. Adieu, Adieu. En attendant. Cette fois, l’erreur était double. Pour 386, vous avez mis 287. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
23005_00306.jpg
389. Paris, Samedi 30 mai 1840

Mon fils est arrivé hier, pâle, faible, mais bien portant. Sourd d’une oreille complètement. Le bras gauche en écharpe. Il reste ici une quinzaine de jours, et c’est toujours le 13 que je compte partir. Voilà ma principale nouvelle pour aujourd’hui.
Le duc de Noailles est rencore revenu me voir hier au soir. L’affaire de la souscription préoccupe et échauffe toutes les têtes. C’est une grosse aventure. Comment sera le dénouement ? Que vous denvz ête étonné de ce qui se passe ! On dit que le Roi est très content. Je voudrais bien savoir de quoi ? Génie est venu me voir ce matin, nous avons parlé de mon voyage, d’un compagnon de voyage. Il voudrait que vous lui demandiez de l’être, et dans ce cas que vous obtinssiez pour lui un congès par Thiers. Est-ce possible ? Je n’ose pas vous dire que je le désire beaucoup, parce que alors vous seriez capable de le faire, même, en y voyant quelques petits inconvénients ; et je ne veux jamais que le moindre embarras de cette espèce vous vienne de moi. Je vais me mettre en train de me reposer avant mon départ. Je ne veux plus recevoir le soir. J’aime mieux une promenade avant de me mettre au lit et vraiment les Ambassadeurs ne m’amusent pas assez. Hier j’avais outre eux le Maréchal Paulini, gouverveur de Gènes, une vieille connaissance intime de 30 ans en arrière, plein d’esprit et d’animation italienne. Il a été 25 ans au service de Russie. Il me dit que moi à l’âge 18 aus je lui ai rendu une fois un emminent service auprès de mon mari. Voilà de vieux souvenirs !
M. de Brünnow m’a fait faire les message les plus plats et les plus insolents à la fois. C’est vraiment un sot. Cela ne vaut pas la peine de vous être redit. Les grands inconvénients qu’il avait d’abord vu à mon arrivée en Angleterre étaient ; l’embarras où il allait ce trouver vis-avis de la cour en me recevant bien, et l’embarras vis-à-vis de l’Angleterre en me recevant mal ! Mais vraiment je n’ai pas besoin qu’il me reçoive du tout, qu’ai-je besoin de M. de Brünnow ? Il est pour moi parfaitement imperceptible. Il l’a éte jusqu’ici, et plus que jamais cette espèce le demeure à mes yeux ; car je n’ai plus besoin de personne. Vraiment il y a de quoi rire de toutes les bétises qu’il a dites à ce pauvre Alexandre. Il me fait recommander d’être bien pour lui dans mon intérêt. L’Angleterre aura les yeux sur nous deux pour examiner chaque geste, chaque parole ! Non, c’est trop bête. Ce qui ne le sera pas c’est nos causeries à nous. Imaginez tout ce que nous aurons à nous dire ! Adieu. God bless you. Votre lettre ne m’est point parvenue encore. Il est 1 heure. C’est bien long! Adieu, Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
23005_00302.jpg
383. Londres, Samedi 30 Mai 1840
une heure

Pas de lettre ce matin. Pourquoi ? Je ne comprends pas. Celle d’hier a beau être bonne. Elle ne me suffit pas pour deux jours. D’ailleurs, pourquoi celle d’aujourd’hui manque-t-elle ? Avez-vous été plus souffrante ? Votre santé me préoccupe infiniment plus que je ne vous le dis. Elle n’est pas bonne, et elle n’est pas bien gouvernée. Lord Harrowby me disait pourtant hier, chez Lord Haddington où nous avons dîné ensemble, qu’il ne vous avait pas trouvée changée du tout. Et il y avait longtemps qu’il ne vous avait vue. J’ai pris, un plaisir infini, à ces paroles. Mais je soupconne qu’il se doutait de mon plaisir, et parlait un peu pour me plaire. Il est très aimable. Le soir concert chez la Reine. J’y aurais pris plaisir si vous aviez été là. Nous aurions animé l’un pour l’autre cette musique, belle mais froide. Tout était froid, chanteurs et spectateurs. Pas de vrai goût pour la musique ; pas d’intelligence dans le choix des morceaux. Ils se sont fait chanter là de grandes scènes dramatiques, qui ont besoin du théâtre, du mouvement de la scène, du concours passionné du public. C’était très froid, un plaisir de convention. La Reine y prenait un intérêt plus vif que la plupart de ses hôtes. Le Prince Albert dormait. Elle le regardait dormir moitié en souriant, moitié avec impatience. Elle le poussait du coude. Il se réveillait, et à peine réveillé, il applaudissait de la tête. au morceau du moment. Puis il se rendormait en applaudissant. Et la Reine recommençait. Nous sommes sortis à une heure et demie.
Je ne sais pourquoi je vous raconte cela car je ne m’y intéresse pas. Je ne m’intéresse à rien aujourd’hui. Il me faut une lettre ! Et demain elle n’arrivera que tard ; et ce sera une lettre officielle. Tout cela est très mal arrangé. lord Grey m’a invité à dîner pour le 10 Juin, à mon vrai regret, j’avais un engagement, qui m’avait déjà fait refuser deux autres invitations. Il a fallu refuser la sienne. Je lui ai écrit un billet bien aimable qui à très bien réussi. Il m’a répondu avec une vraie satisfaction. J’irai le voir ce matin, et causer avec lui. Puis un de ces soirs, chez lady Grey qui ne sort presque jamais. Lord Durham est vraiment mal, et va partir pour Carlsbad.

2 heures et demie
J’ai été interrompu par Dedel. Nous sommes toujours tendrement ensemble. Il me convient fort. Tout le monde croit que le Roi de Prusse va mourir. M. de Bülow, qui avait été si longtemps mal avec le Prince royal, est aujourd’hui très bien ; à ce point qu’on ne serait pas étonné que le Prince devenu Roi il fût appelé à Berlin. Je vous quitte pour des visites. Lord Grey monte à cheval entre 3 et 4 heures Je vous dirai adieu en rentrant, un adieu triste mais non pas moins tendre.

4 heures et demie
Je rentre triste, comme j’étais sorti. Je suis resté assez longtemps chez lord Grey qui me plaît. Lady Grey est venue, et m’a touché par sa sollicitude pour son mari. Elle l’a grondé devant moi de ce qu’il n’allait plus à la Chambre, ne parlait plus, ne se souciait plus de rien. Elle m’a demandé de venir souvent le voir, les voir, de l’aider, elle, à combattre, à changer la disposition de Lord Grey, avec abandon, simplicité, presque avec confiance, comme si elle me connaissait depuis longtemps. Je suis entré dans ses désirs ; j’ai flatté son malade. Je suis un très habile flatteur, car je ne mens jamais, mais je choisis les choses, et les paroles avec une sympathie intelligente et bienveillante. J’irai les voir en effet. J’ai assez de goût pour les âmes nobles et faibles. Leur noblesse me plaît, et il me semble que je suis bon à leur faiblesse. Je cause presque comme si j’avais le coeur content. C’est encore parce que vous étiez là. Lord Grey m’a très bien parlé de vous. Très bien veut dire très à mon goût. Adieu. Pourquoi n’ai- je pas de lettre? Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
23005_00319.jpg
384. Londres, dimanche 31 mai 1840
Une heure et demie

Le voilà ce prétendu 388 qui est le 387. Où est-il allé ? Qui l’a arrêté en route? Je n’en sais rien. Je n’y comprends rien. Enfin le voilà, avec le vrai 388. J’ai passé une très mauvaise journée. J’avais l’imagination très noire. J’ai promèné mon mal partout, chez Lady Kinnout à Holland-House, chez Lady Jersey. Vous m’avez suivie partout, malade, mourante, je ne sais quoi. En rentrant, j’ai monté l’escalier quatre à quatre ; j’ai regardé sur ma table, s’il n’y avait pas une lettre quelque oubli de la poste, quelque voyageur. En ne voyant, rien, j’ai eu un mécompte comme si j’avais attendu quelque chose. Par moments, des moments bien courts, je m’en voulais de tant d’anxiète que les spectateurs, s’il y en avait eu, auraient à coup sûr, appelée tant de faiblesse. Ah, que les spectateurs sont sots ! Pour comprendre le chagrin, il faut sentir l’affection ; et l’affection, le chagrin, tout cela est personnel ; on ne le sent que pour soi-même. On passerait pour fou si on laissait entrevoir la millième partie de ces suppositions, de ces émotions innombrables, ingouvernables, qui obsèdent le cœur.
Il y avait dans la lettre du gros Monsieur, 386 une phrase dont je ne pouvais me délivrer : " Je me sens si malade ? " Je lisais cela partout, dans les yeux de mes voisins, dans les journaux du soir. Je n’y veux plus penser. Non, je ne veux pas vous faire courir la poste comme un courrier, ni vous forcer à traverser un jour de gros temps. Mais voulez-vous bien sérieusement que je ne sois pas trop impatient pour le 15 ? Voyons dites ; voulez-vous ? Convenez que j’ai un bon caractère. Rappelez- vous vos colères, vos reproches quand j’ai tardé d’un jour, quand je n’ai pas été parfaitement sûr. J’ai bien envie, pour me venger, de vous conter toutes les coquetteries que m’a faites hier Lady Kinnoul. Je voudrais bien savoir de quel droit lady Kinnoul me fait des coquetteries. Mais droit ou non, elles étaient bien coquettes.
Lord & lady Hatherton, lord et lady Manvers, lord et lady Cadogan, lord et lady Poltiemore, lord Liverpool, M. Leshington. Voilà le dîner. Personne, le soir à Holland house, Si ce n’est au bout de la bibliothèque, lady Essex, l’actrice Miss Stephens, assise au piano et chantant très agréablement pour Lord Holland et M. Allen. 3 heures J’ai été interrompu par la visite de Chekib. Effendi. Celui-là est intelligent. Il est pressant. aussi. Il a raison. Son Empire s’en va. Et si on fait naître là une guerre, quelle qu’elle soit il s’en ira encore plus vite. L’immobilité de l’Orient, l’accord général de l’Occident, à ces deux conditions la Porte peut encore durer. Si l’une ou l’autre manqur, si nous nous divisons ici et si on se bat en Asie, c’est le commencement du grand inconnu. Je dis cela beaucoup, et tout le monde est de mon avis, presque tout le monde. Mais les avis sont peu de chose ; c’est la volonté qui fait.
Ce cabinet-ci est dans une situation bien critique pour élever dans ses chambres et dans le monde, une si grande question. Et je doute que sa situation critique soit de celles dont en sort en élevant une grande question. Je ne crois pas qu’il y ait à s’abstenir définitivement, beaucoup de jugement, ni de prévoyance. Et j’attendrais sans beaucoup de crainte la démonstration des évènements. Votre conversation avecT hiers est charmante. Je suis quelque fois tené de croire qu’il est embarrassé et se déchargerait volontiers de son embarras, pour un temps, sur les épaules d’autrui. Nous verrons jusqu’à quel point la fécondité de l’esprit, la dextérité de la conduite et le talent de la parole suffisent au gouvernemen t! En attendant, il est absurde de se plaindre qu’il ne s’occupe pas des petites affaires. Je suis sûr qu’il s’en occupe plus qu’on n’a le droit de l’exiger dans sa situation. C’est précisément une de ses qualités de pouvoir penser à la fois à beaucoup de choses, grandes et petites, et porter rapidement de l’une sur l’autre son activité et son savoir faire.

Lundi 1 juin
Je trouve en m’éveillant le Roi de Prusse mort de plus grands que lui sont morts. Je le regrette. C’est toujours beaucoup qu’un Roi honnête et sensé. Je me suis intéressé à lui dans ses temps de malheur. La façon dont ils étaient traités lui, sa femme, son pays, m’indignait. Je n‘ai pas à me reprocher d’avoir pris plaisir à à Mexico et à Calcutta comme dans un écho. La place manquera à l’ambition et à la puissance des hommes. Priez Dieu qu’ils ne deviennent pas fous.

2 heures
Je reviens d’un meeting on the slave trade, où le Prince Albert a fait son début in the chair. et je trouve le 389, votre départ pour le 13. Vous ne m’avez jamais donné de si principale nouvelle. J’ai quelques doutes sur un congé à demander à Thiers pour Génie. Sans cela, rien de plus simple que de le faire venir ici pour huit jours en vous accompagnant. Il faut que j’y pense, et que je lui en écrive à lui-même. Cela se pourra peut-être sans inconvénient. Je serais charmé de vous donner ce gardien là. Mais je ne veux pas que Thiers suppose je ne sais quoi. C’est bien intime de faire ainsi passer mon intérêt avant votre agrément. Mais je suis sûr que vous le trouvez bon. Le meeting était très nombreux et intéresant. Le Prince a été fort bien reçu. O’Connell et Sir Robert Peel également bien reçus, également applaudis. Public très impartial, et prenant. plaisir à se séparer de la politique. Grand applaudissement aussi à mon nom et à ma l’arrogance brutale et déréglée que j’ai vu régner. Elle était pleine de grandeur ; mais la grandeur à son tour était pleine de grossiéreté et de folie.
Le rappel de Ste Hélène, c’est juste. Les Invalides c’est juste, St Denis aussi serait juste, quoique moins convenable. L’apothéose serait une impièté. Et aussi une demence. La Prusse elle-même m’intéresse. Il y a en Europe trois pays que j’aime après le mien : l’Angleterre, la Hollande et la Prusse. Je suis très protestant par là. C’est la Réforme qui a fait ces trois pays, qui a fait leur caractère, et en bonne partie leur grandeur. Et l’Europe leur doit une bonne partie de la sienne, sans compter l’avenir. Il n’y en a plus pour la Hollande. Les petits pays sont morts. Deux choses aujourd’hui sont trop grandes pour eux, les idées et les évènements. Ni l’esprit, ni l’activité des hommes ne peut plus se contenir dans un étroit espace sur notre terre, le plus grand espace sera bientôt si étroit ! De Londres à New York, douze jours ; bientôt six jours ; on construit en ce moment à Bristol une machine qui double la force de la vapeur. On se promènera autour du monde. Les paroles dites à Paris retentiront. personne, mentionnés assez éloquemment par le sir Lushington. Mais puisque, vous ne devez ignorer aucune de mes vanités, voici mon plaisir de ce matin. Je suis arrivé un peu tard à Exeter hall. Le Prince était déjà in the chair. On se pressait pour entrer. Sur l’escalier, à la porte de la salle dans la salle, la foule était immense. En abordant la foule, j’ai dit the french ambassador, pour m’aider à avancer. Le premier venu à qui je l’avais dit, a dit à ses voisins. Mr Guizot. Tout le monde, a répété mon nom, personne ma qualité, et tout le monde m’a fait place. Un fils de M. Wilberforce, archidiacre dans l’ile de Wight, a parlé supérieurement avec beaucoup d’éloquence, naturelle et spirituelle. Sir Robert Peel a bien parlé, éternellement bien. Je vous dis que vous ne connaissiez pas M. de Brünnow. Savez-vous comment il était vendredi dernier, à une heure du matin, dans le vestibule de Buckingham Palace, sortant du concert de la Reine et attendant sa voiture au milieu de la très bonne compagnie qui attendait comme lui ? Une sale casquette de voyage sur la tête pour ne pas s’enrhumer. Je suis un peu choqué que vous m’ayez dit que je lui plairais. Du reste, je crois que vous avez eu raison. Il parle très bien de moi Il me semble que l’approche de notre rencontre me rend bien bavard. Vous ne vous plaindrez pas que cette lettre soit courte. J’en ai bien plus long à vous dire. Adieu. Adieu. Quand vous serez ici, il me semble impossible que nous n’arrangions pas tout vous, moi, Londres, et la campagne. Il y a deux choses avec lesquelles on peut tout. La seconde, c’est de l’esprit. Devinez la première. Adieu. Ma mère vous priera peut-être de m’apporter le portrait d’Henriette, dans une boite. J’espère qu’il ne vous embarrassera pas trop. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
23005_00311.jpg
390. Paris, dimanche le 31 mai 1840

J’ai reçu 381 hier à 10 heures du soir, et 382 ce matin à 8 1½. Le premier en présence de M. Molé, le second dans mon lit. J’étais impatiente de ce second. C’était une réponse au gros Monsieur. Il y a eu un peu de désapointement. Et j’ai eu un peu de dépit et de regret de quelques unes de mes paroles qui évidemment se sont perdues dans les brouillards de l’Angleterre. Je vous dis ceci en passant, par la simple raison que je dis tout. Vous jugez la semaine dernière autrement que moi et que beau coup de monde. Mais vous pourriez avoir raison. Votre avis sur ce qui s’est passé est conforme à l’opinion de la plupart de un habitué et d’un autre gros Monsieur qu’ils vont voir quelques fois. La suite décidera.
La nouvelle s’est répandue hier que le Roi de Prusse était mort. Le télégraphes de Strasbourg l’a mandé sur un avis de votre ministre à Francfort. Cela me parait un peu sujt à caution, mais en tout cas cet événement ne peut pas tarder à arrivé. C’est une grosse affaire. Il ne résultera que Paris et Pétersbourg seront plus près l’un de l’autre. Deux pièces de porcelaine où on a enlevé le coton.
Vous allez donc voir Epson ! Quand j’étais jeune. J’y ai été une fois, une seule fois mon mari n’a pas voulu y aller, c’est la dernière élégance. Vous y trouverez touta la plus brillante jeunesse de l’Angleterre. C’est un beau coup d’oeil, mais j’en suis revenu plus fatiguée qu’enchantée. Même jeune, le bruit seulement, le bruit ne me plaisait pas. Ensuite, j’ai subi tous les ans les courses d’Ascot à côté de George IV et je puis dire que c’est les moments les plus ennuyeux de ma vie. Il faut êtres fou de chevaux, ou bien oisif pour y aller ; mais je le répète c’est curieux pour une fois, et pour voir tout ce qu’il y a de fous et d’oisif dans le monde ! Vous serez frappé des équipages et des femmes. Je suis charmée que vous voyez Eaton ; je ne l’ai pas vu moi, mais cela a un côté sérieux et important, un peu grotesque aussi.
M. Molé affirme contrairement à mon opinion, que les funérailles de Napoléon ne puissent être faites avec sécurité que par un autre que Thiers. Il est très noir sur tout ce sujet. Son opinion est nécessairement exagérée, cependant aujourd’hui je vous assure que tout le monde est d’accord pour trouver toute l’affaire bien étourdie. Moi, je ne la trouve pas étourdie !! mon fils est vraiment bien. Après Baden, il reviendra à Paris, et compte rester deux ou trois mois auprès de moi. Le nom de son frère n’a pas été prononcé entre nous. Adieu. Je ne trouve pas qu’il y ait une seconde erreur dans nos N°. Je vous ai écrit Mardi 386 selon son tour. J’ai vu hier Montrond fort tranquille aussi, et content : " Tout cela ne sera rien. Il n’y a plus de Bonapartistes en France. " Le Roi a dit aux ambassadeurs : " tout ceci ne me regarde en rien, je ne m en mêle pas."

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
23005_00316.jpg
391. Paris lundi le 1er juin 1840

Voici notre mois, qui redeviendra. nôtre. J’ai vu Granville hier. Vous ne lui avez pas écrit sur M. Rey. Mais il ne s’y attendait nullement il n’y avait pas lieu à une réponse et il sait l’essentiel c’est que vous avez fait bon accueil à son recom mandé. J’ai oublié de vous dire que souvent M. Molé me demande vos opinions sur ce qui se passe ici, les mesures qu’on prend ou qu’on projette. Je réponds invariablement que je n’en sais rien du tout. J’ai été hier au soir chez Mad. de Brignoles. On parle beaucoup du Roi de Prusse. La nouvelle n’était pas confirmée, mais elle est imminente le matin j’ai vu chez moi les Appony et Paulini, qui est très divertissant vrai italien.

1 heure. Je n’ai pas encore votre lettre. J’en ai écrite une longue à mon frère ce matin. Je ne sais où il sera maintenant On ne voudra pas à Berlin que l’Emperatrice y vienne. Elle sera bien accablée de la mort de son père. Qu’en dit Bulow ? Voilà donc la souscription nationale par terre. Quelle inconséquence que toute la marche de cette affaire ! Je crois savoir de bonne source que la session sera terminée avant la fin du mois, qu’on se hâte d’arriver au budget pour noyer ou ajourner toute autre question, Rémilly du nombre. Il fait bien chaud, j’ai mille petites affaires désagréables, et Vous savez que je ne vaux rien pour les petites tracasseries. Elles me font presque l’effet d’un malheur.
Adieu. vous une très pauvre lettre. Mais votre journée mercredi sera bien remplie, et puis vraiment je n’ai rien absolument rien à vous mander. Je trouve qu’Appony a l’air défait et triste, mais il ne dit pas de quoi. On dit que le Roi est de très belle humeur.
Adieu. Adieu. Le comte Woronzoff qui est à Londres, est un grand Seigneur chez nous. Un bon enfant. il était à notre ambassade à Londres et y est resté pendant nos deux premières années. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
23005_00332.jpg
392. Paris, Mardi le 2 de juin 1840

Je suis bien fâchée et même bien inquiète que ma lettre de jeudi ne vous soit pas parvenu samedi. Elle renfermait le récit de mon. dîner chez M. de Pahlen. Elle avait de l’intérêt et je serais tenter de croire que c’est pour cela que vous ne l’aurez pas reçue lorsque vous m’écriviez. Malheureusement aujourd’hui, je ne puis pas être rassurée sur ce point puisque c’est mon mauvais jour. J’ai les nerfs bien mal arrangés. Je suis bien triste sur mon compte. Je ne vois pas comment je pourrai me remettre. Tous les jours je deviens plus poorly. Tout m’agite, tout m’agace. Je suis dans une dipoution bien malheureuse pour moi-même et qui doit me faire hair de tous ceux qui m’approchent. Et peut-être de ceux qui ne m’approchent pas. Ma pauvre tête me semble. bien malade Je ne passe que deux jours sereins. La moindre chose la fait partir. Et alors son vagabondage est extraordinaire.
Lord Harroby ment, vous me trouvez bien changée. Votre ambassade ne m’a pas porté bonheur. Ne serez-vous pas triste de me revoir comme cela ? Ne ferai-je pas une pauvre et ridicule mine à Londres dans cette déplorable disposition à la melancolie. Croyez- vous que vous la dissipiez ? Quelques fois je crois oui bien sincèrement d’autres fois j’ai peur, peur de moi. 2 heures J’ai dîné hier chez les Appony avec mon fils. Ensuite j’ai été marché au bois de Boulogne jusqu’à 10 heures. Et de là chez Mad. de Castellanée où j’avais donné rendez-vous a M. de. Pahlen. il y avait un M. Sue, auteur de romans. Mad. de Castellane ne s’est occupé que du romancier, laissant tout-à-fait du côté l’Ambassadeur, ce que celui-ci m’a fait observer 3 fois en allemand et 3 fois en Russe ! M. Molé causait assez. La lettre de M. Odillon, Barrot occupe. Évidemment Barrot gouverne, mais ici cela a été for the hest.
Qu’entendez-vous dire de Bresson ? Restera-t-il sous le nouveau règne ?
Toujours adieu. Adieu, Adieu. Malgré la mauvaise tête le cœur reste ce que vous connaissez. Adieu. Je m’en vais prendre congès de votre mère.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
23005_00327.jpg
385. Londres, Mardi 2 Juin 1840
2 heures

On ne dira jamais assez de mal de l’absence. On s’écrit tous les jours. On se dit tout ce qui s’écrit. Tout cela n’est rien ; un grain de sable jeté dans l’océan qui nous sépare. Vendredi dernier, j’attendais mon gros Monsieur avec une impatience inexprimable. Il arrive. J’attends trois ou quatre heures ce qu’il m’apporte. Il me l’apporte. J’ouvre, bien seul, dans ma chambre. Les premières lignes me ravissent ; ces lignes où sont ces paroles qui dissiperaient tous les brouillards de la Néva comme de la Tamise. Je poursuis. La Chambre, le Rois de Prusse, Thiers, Lamartine, Sébastiani. Qu’est-ce que cela me fait ? Je saute par dessus cela. Je cours à la fin. Encore quelques lignes, quelques paroles charmantes. Il y manquait quelque chose, quelque chose de bien petit mais qui surpasse tout. Pourtant. la fin était charmante ; la fin et le commencement. Je voulais d’avantage ; j’attendais davantage. J’avais tort ; je comprends parfaitement que vous n’ayez pas tout dit. Mais que m’importe ce que je comprends à côté de ce que je désire ? Je vous réponds, au moment même. Je ne vous dis pas ce qui m’a manqué ; non, j’aurais cru être injuste; je ne vous reprochais rien. Mais je ne vous dis pas non plus ce qui m’a charmé. Je vous réponds avec mon impression, pas triste, mais pas transporté ; pas mécontent mais pas satisfait. Ma reponse vous arrive. Vous aussi, vous trouvez qu’il vous manque quelque chose. Et vous avez raison, encore plus raison que moi ; car moi, j’avais trouvé quelque chose de charmant. Vous vous plaignez de ce qui manque ; je vous remercie de votre plainte ; elle m’enchante. Mais du regret de vos paroles, de celles qui m’ont charmé ! Non, non, je ne vous le permets pas ; si j’ai eu tort, vous n’avez pas le droit de vous plaindre de mon tort. Vous plaindrez vous que je ne sois jamais satisfait, qu’il me faille toujours plus, toujours tout ? Moi, je me plains d’une chose, c’est que vous n’ayez pas deviné tout ce que je vous dis là. Mais je ne me plains pas bien fort, car vous êtes charmante ; je vous aime et vous allez venir. savez, vous ce que cela prouve ? C’est qu’à cent lieues l’un de l’autre, l’océan entre nous rien ne nous échappe, rien n’est inaperçu ; nous voyons tout ce qu’il y a ; tout ce qu’il n’y a pas, comme si nous nous voyions, si nous nous parlions. On s’aime beaucoup quand on en est là; et quand on s’aime beaucoup, on a tort d’être séparés.
C’est bien pour le 13. A présent le départ est sûr. Un beau temps et pas beaucoup de fatigue le premier jour pour que l’arrivée le soit aussi. Hier, le temps était admirable. Ce matin un orage. Je viens de faire quelques visites par la pluie. Le soleil revient. J’en suis bien aise pour demain, pour le peuple qui va à Epsom. C’est Ellice qui m’y fait aller. Je n’y pensais pas. Je ne suis pas fâché de voir cela une fois. Nous dinons dans une petite maison de M. Metteux, près d’Epsom. M. Motteux n’y est pas et lord spencer y vient. Il a désiré dîner là avec moi. Nous dînerons à nous trois Lord Spencer, Ellice et moi, plus un quatrième curieux que je ne connais pas et dont j’ai oublié, le nom.
Lady Normanby a donné hier à la Reine, un concert de famille. En fait d’artistes Rubini et Lablache seuls. En fait d’amateurs, lady Barrington, lady Williamson et lady Hardwicke. C’était beaucoup mieux que mon attente. Lady Williamson a une belle voix infatigable et Lady Hardwicke une voix très expressive. Pas beaucoup de monde, très choisi. La Reine ne s’en est allée qu’après la dernière note, à une heure et demie. Je viens de chez le duc de Cambridge. Mon dîner Tory est dérangé et rarrangé. Le vendredi, 12 juin, il y a un grand débat à la Chambre des lords sur les corporations municipales d’Irlande. Le duc de Wellington, lord Lyndhurst, lord Aberdeen, lord Ellenborough & & ne pourraient probablement pas venir dîner. Il a fallu trouver un nouveau jour. Presque tous étaient pris. La Duchesse de Cambridge y a mis beaucoup de bonne grâce. Enfin c’est pour le vendredi 26 juin. Je vais désinviter et rinviter tout le monde. Vous serez à Londres ce jour-là ? Serez vous chez moi à dîner ? Ce que vous voudrez comme de raison. Je le voudrais bien et il me semble que ce serait fort naturel. Ce sont tous vos amis.
La mort du Roi de Prusse est en suspens. M. de Bülow n’a rien reçu. Je ne crois pas que Paris et Pétersbourg en soient beaucoup plus près. D’ailleurs il n’y a plus de pièces de porcelaine ; tout est balles de coton. Lisez; je vous en prie attentivement le petit débat d’hier soir aux Communes sur les affaires d’orient et dites-moi si Lord Palmerston vous fait l’effet d’un peu d’embarras et d’un léger mouvement de retraite. Il y a au moins le désir et le dessein de rester très bien avec la France quand même on s’en séparerait en Orient. La question va traverser dans quelques jours une petite bouffée de flamme. Mon instinct est que la souscription Bonapartiste échouera. C’était bien la peine de faire tant de bruit. L’affaire avait grand air en passant le détroit. Soyez sure qu’il y a les deux choses, l’étourderie et la prémédi tation. Je suis de votre avis sur les funérailles. Adieu. Mille adieux en retour du pauvre petit adieu qui est tout seul dans la dernière page du 390, ce qui prouve que vous aviez encore en finissant quelque regret des douces paroles que j’ai trouvées si charmantes et si courtes. Plus de regret et beaucoup plus d’adieux. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
23005_00342.jpg
394. Paris Mercredi 3 de juin 1840
4h 1/2

Que votre parole est puissante ! Et quand je pense qu’outre cette parole puissante, Il y aura bientôt cette voix, ce regard, qui agissent sur moi si fortement, je me sens bien petite de me laisser aller jamais à des moments de tristesse, de doute, où vous me voyez si souvent. Je rentre et l’on me remet votre 384. Il y a vos inquiétudes. Ah ne les regrettez pas, ne regrettez pas de me les avoir exprimées. Elles m’ont fait tant de plaisir. Je me sens le cœur plus large, plus libre. Le retard de ma lettre vous avait donnée du chagrin, presque l’angoisse. Je suis si contente ! Voyez cet atroce égoïsme. Haïssez-moi bien, car je jouis vivement de vos peines quand c’est à moi qu’elles s’adressent. Nous nous sommes souvent dit que nous ne savions pas rendre tout ce qu’il y a dans notre âme. Jamais je n’ai tant senti l’insuffisance de mes paroles. Mais vous verrez quand vous m’entendrez ! De près, il me semble que je serai bien éloquente Jeudi le 4 de juin.
Voici le 385, et des volumes que j’aurais à répondre, que de choses à vous dire, bien tendres, des reproches, de la reconnaissance. Vous deviez me dire un mot sur le gros Monsieur tout de suite. vous me les dites à présent. Mon cœur allait au devant des paroles de 385. si je les avais trouvées plutôt vous m’auriez épargné quelques jours de peine. Vous avez raison. Il y a bien de la susceptibilité dans l’absence. On remarque tout, cela veut bien dire que nous nous aimons, mais pour cela même il faut que nous nous épargnions mutuellement tous les petites images, car il n’y a rien de petit quand on ne peut que se dire adieu tout de suite après. N’est-ce pas ? Ne faites rien pour Génie si vous y voyiez le moindre inconvénient. Gardez-moi une place à dîner le 26. Cela vous plait, et à moi aussi.
Mes matinées sont très coupées par mon fils et mille bêtises. J’ai à peine le temps d’écrire trois lignes de suite. J’ai dîné hier chez Rothschild à Boulogne. Nous avons beaucoup causé Thiers et moi. Il m’a dit beaucoup de choses qui méritent que je m’en souvienne. Il est très sage, très contenu. La guerre à la toute dernière extrémité, il la reculera plus que ne la reculerait tout autre ! Mais si un jour elle éclate s’il la faut absolument oh alors, par tous les moyens et ravoir ce que la nature indique. Il y a deux forts arguments. L’un pour l’autre contre la guerre. Contre, parce que personne ne la veut. Pour, parce qu’il y a 25 ans qu’on ne l’a faite. Sur l’Orient, sait-on bien, sait-on assez en Europe, que la France sur ce point est in-fle-xible ? Prononçant comme cela et répétant. En Angleterre, il n’y a que Lord Palmerston qui soit de l’avis contraire à tout le monde. La session finit, dans 10 jours tout sera terminé. Odillon Barrot s’est conduit parfaitement. Sa lettre est excellente. On s’est tiré habilement du mauvais pas de la souscription. Les funérailles, qui sait ! Il est vrai que l’épreuve sera forte, car l’émotion sera dans tous les cœurs. Le million de Joseph ? Il na pas voulu me répondre du tout sur cela, il m’a dit simplement : " C’est un vieux fou. C’était une veille créance." Cela confirme sans expliquer ce qu’il veut faire. Je suppose que cela l’embarrasse.
La Prusse. La mort du Roi c’est là révolution. Je suis parfaitement de son avis et vous verrez. Au bout d’une bien longue conversation il me dit que si je ne vais pas en Angleterre, il me jure qu’il viendra deux fois par semaine causer avec moi.
There is a bribe ! I go to England.
Je vois que l’affaire Rémilly est noyée par conséquent rien de grave ou d’immédiat. Il me semble que les rapports de Thiers avec le roi doivent être meilleurs, presque vous. Cela perce dans le paroles respectives. Il me semble que je vous ai tout rapporté. Ah encore, tous les deux lui et moi nous sommes pour une République aristocratique, franchement de tout notre cœur. Je vous assure que nous avons fort bien parlé sur cela, et je crois que vous aurez fait le troisième. Nous nous sommes bien promis de nous garder le secret. Ainsi gardez-le.
Je fais mes préparatifs, et j’ai mille embarras petits et grands, parce que vous savez que je n’ai personne pour me les épargner. Simon m’a dit ce matin qu’il a vu partir toute votre famille en très bonne santé. Il se plaint que la poste lui apporte maintenant les lettres plus tard que de coutume. Je vous en préviens, moi je me plains bien plus que lui. Je suis charmée de ce que vous me dites sur meeting du Slave trade. Vous faites bien de me dire toutes les petites vanités. Cela cela devient bien grand pour moi. de tous côtés j’entends parler de vous, parfaitement J’irez voir. Adieu Adieu, et jamais assez.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
23005_00336.jpg
386. Londres, Mercredi 3 juin 1840
8 heures

Je vais partir. Mes chevaux me menent à Sulton où je trouverai ceux d’Ellice. Que de choses on fait pour ne pas dire non ! Quand je serai là, le spectacle m’amusera peut-être une demi-heure ; mais il y aura bien plus de temps d’ennui, et la course me dérange. Et surtout, je n’aurai votre lettre que ce soir. Herbet me la gardera. Je n’ai pas voulu désobliger Ellice qui me soigne et me sert parfaitement. Je suis bien aise aussi de connaître un peu lord Spencer. Je ris de l’exactitude avec laquelle je vous rends compte de mes raisons pour aller à Epsom. C’est que j’ai cru entrevoir ce matin, dans le 390, une légère nuance de surprise. Encore frivole? Je ris aussi de cela. Savez-vous. ce que j’ai au lieu de frivolité ? Un peu de laisser-aller. Comme je le disais il y a une minute, il m’en coûte de ne pas faire ce qu’on me demande, de dire non. Je l’ai pourtant dit bien souvent, et bien définitivement. Et je suis fort capable de le dire. Mais il faut que j’y pense, et que je m’y arrête. Mon instinct est la complaisance. Je n’en passe pas moins pour très raide. Personne n’a autant qu’on le croit, les défauts qu’on lui croit ; et nous avons tous un peu ceux qu’on ne nous croit pas. Adieu. Je ne puis penser sans une vive contrariété à cette lettre qui va m’attendre. Ce n’est pas leur coutume. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
23005_00338.jpg
393. Paris le 3 de juin 1840

Le pauvre mardi s’est passé pauvrement, si j’en excepte une visite d’adieux à votre mère. Elle et vos enfant un traitent, avec une bonté familière qui me plait infiniment, tout le monde a bonne mine et tout le monde a l’air gai de s’en aller à la campagne. Je serai chargée je crois de vous porter le portrait de Henriette.
J’ai vu un moment les Granville. J’ai vu et essuyé un gros orage ; J’ai diné seule avec mon file et le soir j’ai vu assez de monde. Mes habitués. Point de nouvelles, si ce n’est que Médem a eu de plus le poste de Darmstadt, ce qui lui fait de la distraction et de l’argent de plus. Il est fort content. le Duc de Noailles dit qu’on va s’ennuyer, il n’y a plus ni affaire, ni scandale. Les ambassades attendent le mort du Roi de Prusse. La duchesse de Mouchey est accouchée d’un garçon mort. C’est un grand désespoir. Je vais dîner à Boulogne aujourd’hui chez Rothschild, demain chez Brignoles, après demain chez les Granville. Vous avez là mes disssipations. J’attends votre lettre qui me dira j’espère que mon 388 ne s’est pas égaré. Je suis aujourd’hui un peu mieux qu’hier, mais pas assez bien pour aller à Epson. Qui était de votre partie, et à dîner chez Motteux ? Où allez-vous pour le ..... ? Irez-vous à Salhill, avec qui ? Je fais une quantité de questions, toutes petites, et peut-être toutes grandes. Je suis bien loin de vous, je suis bien triste d’être si loin. Serai-je bien heueuse quand je serai près ? Lord Grey m’écrit pour me presser d’arriver ; il part avant la fin du mois. Leveson mande à son père que vous êtes établi parfaitement bien. 1 heure. Pas de lettre encore. Cela est devenu bien singulier depuis le départ du gros Monsieur. 2 1/2 il faut fermer ceci. Fermer sans avoir à répondre. Je ne sais plus de vos nouvelles depuis samedi. Le cinquième jour ! Que c’est long. Adieu, Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
23005_00349.jpg
387. Londres, Jeudi 4 juin 1840
9 heures

Hier soir en rentrant, à onze heures, le 391 tout pauvre qu’il est, a fait mon plaisir et mon repos. J’étais fatigué et pas mal ennuyé. Roder deux heures en calèche, au mileu de cent cinquante mille personnes, avec M. et Mad. Edward Ellice et ses sœurs, c’est long. Ellice et lord Spencer étaient à cheval. Certainement, Epsom ne me reverra pas. Une seule chose m’a frappé les voitures et les chevaux innombrables. La Reine a été très bien reçue. On dit que depuis le Prince Régent, aucun souverain n’était venu, à Epsom. Nous avons dîné comme je vous l’ai dit : rien que Lord spencer et Lord Duncannon. Je me figure que Cincinnatus, était un fermier d’air un peu plus héroique que lord Spencer, qui du reste m’a plu et m’a parlé politique, au grand étonnement d’Ellice. Il (lord Spencer) en a une telle aversion qu’il la fuit même dans la conversation de peur qu’on ne le prenne au mot. Aujourd’hui Eton. Et puis je ne vais plus nulle part que là où vous voudrez. Au fait je suis trop complaisant. Je pourrais montrer pourtant depuis que je suis ici une belle somme de refus.
Mon instinct sur la souscription ne m’a pas trompé. Thiers et la gauche ont fait faire là, à Napoléon mort, une pitoyable campagne. On me donne des détails assez curieux. La guerre civile dans la gauche était ardente. Partout chez les ministres, dans les couloirs, les deux factions, Bonapartistes et Anti-bonapartistes, étaient constamment aux prises. Thiers a redouté une division éclatante. Dès lors plus de parti, plus de majorité. Il a passé une nuit sans dormir. Il a fait venir Barrot. Ils ont fait venir les journalistes et ils ont tous mis leurs déroutes, ensemble pour couvrir un peu leur retraite. Tout n’est pas gloire en ce monde.
Vous avez toute raison dans votre réserve, avec M. Molé. Vous savez parfaitement quelle position je veux avoir à présent. soit en général, soit envers lui. Vous avez vu dans quels termes je l’ai prise. Je m’en rapporte aveuglément à vous sur ce que vous direz ou ne direz pas. Je sais depuis longtemps qu’avec les gens vraiment d’esprit, et qui vous aiment, il n’y a qu’une chose à faire, les mettre dans le vrai et les laisser faire. Je ne sais pourquoi je parle ici au pluriel ; le singulier me plaît davantage.

10 h et demie
Certainement je vous guérirai d’âme, j’en suis sûr ; de corps, un peu, je l’espère. Mais seulement tant que nous serons ensemble. Je n’ai pas besoin que vous me disiez quand vous êtes si poorly. Votre écriture, me le dit. Adieu Adieu. Il faut que je fasse ma toilette et que je parte. Demain, plus de course. Je vais attendre. Que la première moitié de notre mois passe vite, et la seconde jamais. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
23005_00361.jpg
396. Paris, Samedi le 6 juin 1840

J’avais bien raison de détester vos courses. Je n’ai eu que de pauvres petites lettres. Je suis charmée que vous ayez trouvé peu de plaisir à Epsom, aussi charmée que vous l’ayez été sans doute lorsque je vous ai donné l’assurance que je n’irais jamais voir Melle Dejazet. C’est Ellice aussi qui voulait m’y entraîner, lui Lady Granville, la loge était prise, tout leur petit plan fait pour m’enlever par surprise, mais moi, je sais dire non tout de suite. Enfin Epsom c’est fini je n’y veux plus penser.
Je veux penser au mois de juin. Je pense à tous les détails. Décidément vous aurez vos heures où je serai out pour tous les autres. Nous déciderons cela tout de suite, et nos heures seront réglées selon vos convenances. Mais que Londres va me paraître étouffé, étouffant. Certainement, je ne tiendrai pas longtemps à Londres même quand j’y pense bien, assurément, si ce n’était vous je ne ferais pas ce voyage. J’y vois un peu plus de tracas que de plaisir.
J’ai dîné hier chez les Granville Ils étaient seuls. Le soir, j’ai vu chez moi M. Molé, les ambassadeurs, Armin,& & Les nouvelles de Berlin, sont meilleures vous le savez sans doute/ Ainsi mon programme est faux. M. Molé me dit que la gauche est furieuse contre Barrot. 40 des siens le quittent. Il n’apporte dans le camp ministériel tout au plus que 20 adhérents. Il faudra que Thiers le poste à la présidence et les Conservateurs joints aux extrémités le refuseront. Il nie qu’il puisse y avoir de meilleures relations entre Thiers et Le Roi. On me dit qu’il n’est pas vrai que M. de la Redorte aille à Madrid ; cela s’était établi dans le monde. Je ne sais ce qu’on pense ici du discours de Lord Palmerston. Mais la croyance générale est qu’on est assez près de la guerre. M. Molé a été frappé des paroles dites par Thiers à la chambre des Pairs sur la question de la banque. Il a fait entrevoir la guerre comme probable.
Je suis fatiguée, mais je ne suis pas si malade que je l’étais après que vous m’aviez annoncé Epsom. Adieu. Je ne songe plus qu’à Londres, j’écarte les idées de tracas, je m’attends au bonheur. Oui, un grand bonheur. Ah, que de causeries charmantes, quel débordement, Adieu. Adieu, mille fois.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
23005_00356.jpg
388. Londres, Vendredi 5 juin 1840
9 heures

Eton est moins bruyant, et plus intéressant qu’Epsom. Avant-hier quatre chevaux m’ouvraient à grand peine un chemin à travers cent cinquante mille oisifs et fous, comme vous dîtes. Hier, je parcourais seul avec le principal, le Pr Hawtrey, les salles d’étude, les refectoires, la bibliothèque où s’élévent les six-cents membres du Parlement, géneraux, amiraux évêques futurs de l’Angleterre. Tout cela a bon et grand air, un air de force, de règle et de liberté. Debout, au milieu de la cour, la statue de Henri, 6, ce roi imbécile à peine Roi, et qui n’en préside pas moins depuis quatre siècles dans la maison qu’il a fondée à l’éducation de son pays. Autour les plus beaux champ et dans ces champs les plus beaux arbres qu’on puisse voir. En face, Windsor, le chateau Royal resté château fort et qui perpétue au soin de la pacifique civilisation moderne, l’image de la vieille royauté. La Tamise, rien que la Tamise entre Windsor et Eton, entre les Rois et les enfants. Et la Tamise couverte de jolis bateaux long et légers remplis de jeunes et beaux garçons, en vestes rayées bleu et blanc,, avec de petits chapeaux de matelots ramant à tour de bras pour gagner le prix de la course. Les deux rives couvertes de spectateurs à pied, à cheval, en voiture, assistant avec un intérêt qui quoique silencieux à la rivalité des bateaux. Et au milieu de ce mouvement, de cette foule, trois beaux cygnes étonnés effrayés, se réfugiant dans les grandes herbes du rivage pour échapper aux usurpateurs de leur empire. C’était un charmant spectacle, qui a fini par un immense dîner d’enfants. Sous une tente bien blanche, entourée, comme jadis les dîners royaux de la foule des spectateurs. Mon seul reproche est l’excès du vin de Champagne qui a fini par jeter ces enfants, dans une gaité plus bruyante qu’il ne leur est naturel. Je suis revenu comme j’étais allé par le Great. Western Railway qui nous a menés, moi, ma voiture et mes chevaux de Londres à Eton en moins de trois quarts d’heure. Grand dîner, de toutes les Puissances de la maison et de beaucoup de visiteurs de Londres.

Une heure
Nos chagrins sont alternatifs. Je suis désolé que vous n’eussiez pas reçu ma lettre à 2 heures et demie. Je l’avais pourtant adressée par la voie que je crois la plus prompte, en l’absence du gros Monsieur. Vous l’aurez eue dans la journée. C’est un immense ennui que les inexactitudes. Il y en a un plus grand, ce sont les doutes " Je suis bien triste d’être si loin. Serai-je bien heureuse quand je serai près ? " Oui à moins que vous ne vouliez pas. Il n’y a pas quinze jours, vous m’avez promis beaucoup de foi. Et vous ne savez pas si vous serez heureuse quand vous serez près ! Et vous me faites une quantité de petites questions, " peut-être toutes grandes " ! Voici ma réponse. Je n’irai à Salt hill avec personne, car je n’irai pas à Salt hill ; car je ne sais pas ce que c’est que Salt hill ; car je n’ai pas pu lire votre mot précédent. " Où allez-vous pour le.....? Vous voyez que je ne suis pas encore si enfoncé que vous le croyez dans ce qui est loin de vous et sans vous.

3 heures et demie
Je rentre et mes yeux tombent sur ce que je vous écrivais tout à l’heure. Je corrige une phrase : " serai-je bien heureuse de près ? " Oui, quand même vous ne sauriez pas. Voilà ma vraie idée et ma confiance. J’ai été interrompu par M. de Pallen et lord Clarendon. Puis, je suis sorti pour aller voir un moment lady Palmerston. Je l’ai trouvée près de monter en voiture pour Broadlands où elle va jusqu’à mardi. Lord Palmerston y va aussi. Mais il reviendra demain pour dîner chez la Reine où je dine aussi. Le rail-way de Southampton, les mêne à Broadlands en trois heures. Vous savez probablement que lord Beauvale a été fort, fort malade, d’une goutte remontée qui a failli l’étouffer. Il ne pouvait plus avaler et à peine respirer. Les nouvelles de ce matin sont meilleures. Voilà la Commission Rémilly qui a rejeté toutes les incompatibilités nouvelles, et qui fera un rapport insignifiant, lequel ne sera point discuté. C’est la session close sans bruit, autant qu’on peut prévoir. J’en suis bien aise. Que de choses, j’ai à vous dire ? J’en oublierai beaucoup. C’est mon dépit continuel. Mille idées me viennent dans l’esprit, mille paroles sur les lèvres qui voudraient aller à vous, qui vous plairaient, je croiset qui s’évanouissent perdus et tristes. Vous voyez bien qu’il faut que vous arriviez. Adieu. J’ai encore deux ou trois lettres à écrire. Adieu, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
23005_00352.jpg
395. Paris, vendredi 5 juin 1840

Vous avez vu juste en trouvant un peu d’étonnement dans ma lettre. Epsom. J’ai essayé de le laisser percer le moins possible. Je n’étais même pas tout-à-fait d’accord avec moi- même. Frivole oui ; c’est bien frivole, c’est même tout ce qu’il y a de plus frivole en Angleterre, et comme tel cela m’a serré le cœur. Cependant je me suis dit pour un étranger c’est un curieux spectacle. Il a peut être raison. Et avec ce sentiment contraire, j’ai raconté à Lord Granville que vous alliez à Epsom. Il a éctaté de rire ; cela m’a blessé beaucoup. M. Guizot à Epsom ! Et de rire encore. J’ai pris votre défense, j’ai dit ce que je viens de dire plus haut. tout cela ne m’a pas laissé le coeur à l’aise sur Epsom. Voilà exactement la vérité, et vous m’aurez vu un peu malade dans mes lettres les jours suivants. Je vous expliquerai à Londres comme il me semble quo vous pourriez combattre ce que vous appellez votre " laisser aller ". Vous devinez peut-être !
J’ai dîné hier chez M. de Brignole, grand dîner, tout blanc, où il y avait Berryer aussi, tout ronge. Vous ne sauriez croire comme il avait l’air d’un ivrogne. Je n’ai pas causé avec lui, mais le duc de Noailles me dit qu’il est découragé, même mécontent. Il croit que ceci durera. Le soir j’ai vu mon ambassadeur et quelques personnes encore. Le Duc de Noailles part pour Maintenon On part beaucoup. Mon fils part bientôt. Et moi comme, je vous l’ai dit. On attend toujours la mort du Roi de Prusse. J’ai décidé qu’il devait être mort le 31 mai, le siècle revolu ; que l’Impératrice serait arrivé trop tard pour voir. son père, de même qu’elle était arrivée top tard pour voir encore sa mère ; que dans tous les cas L’Empereur sera là, aux funérailles le dernier de la famille. Voilà mon programme. On dit que M. Bresson est assez mal avec M. de Rochow qui va devenir le personnage influent pour le nouveau Roi. Quant au Prince Wittgeinstein, il m’a toujours dit qu’à la mort du Roi il se retirerait pour toujours !
Adieu, Monsieur, J’attendrai vos lettres comme de coutume jusqu’au jour où je vous prierai de ne plus m’écrire. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
23005_00365.jpg
389. Londres, Samedi 6 juin 1840
Une heure

Moi aussi, j’ai le cœur plus libre. On vient de me remettre le 394. Savez-vous qui en a profité ? Toute mon ambassade qui passé une demi-heure avec moi après déjeuner. Je cause avec eux. J’étais tout à l’heure très animé, fécond, inventif, éloquent. Eux ils étaient visiblement charmés de moi. Ils ne savaient pas pourquoi. Soyez très éloquente aussi avec moi, quand vous serez ici. J’aime passionnément l’éloquence. Vous partez dans huit jours, samedi prochain. Que la semaine sera longue ! Je donnerais bien des choses pour qu’il fit aussi beau qu’au jourd’hui. Pas le moindre vent ; un soleil admirable. Vous viendriez agréablement et vous viendriez vite. J’ai passé hier ma journée chez moi, sauf ma visite à lady Palmerston. Le soir aussi Je me suis couché de bonne heure. Il faut que mon tempérament soit aussi complaisant pour moi que mon caractère l’est pour les autres. ai grand besoin de sommeil. Je n’en ai pas toujours autant que je voudrais. Pourtant cela s’arrange. Quand je peux avoir une longue nuit je la prends, et elle me vaut pour une semaine. Je suis bien aise qu’on écrive d’ici que mon établissement est bon. Je vous attends avec impatience pour les petites choses après les grandes. Je suis sûr, parfaitement sûr que tout n’est pouve pas bien, qu’il y a des manques, que je me trompe quelquefois. Personne ne me reproche rien. Depuis que je suis ici, ni sur ma conduite, ni sur ma maison, je n’ai pas entendu une critique. C’est impossible. C’est absurde. Venez, venez. Apportez-moi de la vérité avec du bonheur.

Voici jusqu’à présent mes dîners du mois. Je ne vous dis pas ceux que j’ai refusés aujourd’hui la Reine. Le 6, les Berry, à Richmond. Le 10, Sir Robert Inglis. Le 14, lady Williams, à Putney-heath. Le 14, lady Lovelace. Le 20, Sir John Hobhouse. Le 22. Rothschild à Gunnersbury. Le 24, lord Abinger. Le 27, lord Monteagle. Il me semble qu’il n’y a rien là que de convenable. A propos de convenable, Mad. Maberly ma envoyé son roman, Emily. Il faut bien que j’écrive un billet poli, n’est-ce pas ? Je n’ai pas lu le roman. On dit qu’il est parfaitement innocent et parfaitement ennuieux. Vous avez cent fois raison, et je suis de votre avis depuis longtemps. Il y a longtemps que je pense et dis que le sénat Romain et le parlement d’ Angleterre sont les deux plus grands gouvernement que le monde ait connus. J’appelle grands gouvernemens ceux qui font de grandes choses par de grands hommes. J’ai peine à croire que la mort du Roi de Prusse soit la révolution. D’après tout ce qui me revient, le successeur sera bien timide. Il a l’esprit plus actif que la volonté. Beaucoup de pojets et de paroles de grandes ardeurs de pensée et de conversation, puis les goûts d’une vie régulière et molle ; voilà notre temps surtout dans le haut de la société. Les gouvernemens sont aujourd’hui des cadres où les Rois viennent se placer et s’emprisonner successivement, comme des images. On a pris avant-hier mes chevaux; on les a mis chacun dans une boite ; sur cette boite on a jeté un filet. La machine a grondé ; le train est parti, et mes chevaux sont arrivés à Eton, sans avoir bougé, malgré qu’ils en eussent. Ce sera le sort de bien des Rois, et de bien des ministres. Voici quatre jours d’immobilité pour les affaires. On va à la campagne. On croit en général que la session finira de bonne heure. Je le voudrais pour nos campagnes.

3 heures
J’ai été interrompu par Lord Brougham changé, triste, fatigue, abattu, dégoûté. Fatigué matériellement ; il a imaginé de venir de Cannes à Calais dans ce que nous appelons, une voiture, un carosse de louage toujours avec les deux mêmes chevaux. Vingt-six jours pour traverser la France. Il a fait la route à pied. Je l’ai revu avec plaisir. J’aime sa conversation c’est-à-dire son monologue. Il est ici un homme très important sans influence, et très considérable sans considération. C’est curieux. Adieu. Je pense au 26 avec un plaisir infini. A ma gauche, n’est-ce pas ? Il me semble que c’est de droit. Il n’y a de femmes outre la duchesse de Cambridge, que lady Aylesbury, lady Jersey, lady Etizabeth Stuart et lady Peel. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
23005_00372.jpg
390. Londres, Dimanche 7 juins 1840
3 heures

Je vous écris avec une pensée charmante, dans le cœur. Plus que trois fois. demain, mardi et mercredi. Car sans doute vous partirez samedi matin. Vous me direz. Ma course à Epsom ne m’a pas paru si drôle qu’à lord Granville. J’ai peu ri. Ce qui me fait sourire, c’est l’importance qu’on attache quelquefois, dans le monde, à certaines choses, et tout ce qu’on y voit. J’ai été à Epsom. Epsoms est frivole. Tous les gens frivoles y vont. Donc, je deviens frivole, donc, je ferai ce que font, les gens frivoles. Donc, donc, .... Il y a bien du factice et bien de la servilité en cela d’agir plus simplement et plus librement. On me dit qu’Epsom est un spectacle curieux. Ellice me propose d’aller dîner à la campagne, tout près, avec sa famille et lord Spencer, et d’aller de là, voir ce spectacle. Je vais dîner avec Ellice et lord Spencer. Je vais avec eux me promener à Epsom. Je trouve que c’est long, et je reviens me coucher à onze heures. Si le monde voit dans ma promenade quelque chose de plus, et s’en promet, sur moi quelque empire de plus, le monde se trompe et le verra bien. Epsom m’a laissé comme il m’a pris, sans embarras d’y aller et sans envie d’y retourner.
Je vous en prie ; ne soyez pas un peu malade, dans vos lettres ni ailleurs, pour ces misères. Ayez foi. Vraiment ceci ne vaut pas la peine de douter. Et dites moi toujours tout à chaque occasion, petite ou grande, je vous en aime davantage. Même quand ce que vous me dîtes, me fait sourire.
J’ai beaucoup causé hier avec la Reine, à dîner surtout, causé de je ne sais quoi mais assez agréablement. Soyez sure qu’elle a de l’esprit, et pas mal de sérieux et de fermeté dans son jeune esprit. Elle est bien jeune. Elle rit toujours. Et on voit qu’elle a envie de rire encore plus qu’elle ne rit. Peu de monde, lord Melbourne et lord Palmerston, le Maréchal Saldanha, le comte de Hartig, M. et Mad. Van de Weyer qui sont revenus de Bruxelles, la maison. J’avais à ma droite lady Mary Howard, fille du comte de Surrey, enfoncée dans sa shyness et ses beaux cheveux blonds. Après le dîner, quelques uns ont joué au Whist, d’autres aux échecs. Nous nous sommes assis, autour d’une table. Conversation froide et languissante. La Reine va à Windsor, dans deux ou trois jours, je crois. La Duchesse de Sutherland est partie ; mais Charles Greville m’a dit qu’elle vous donnait Stafford-House, et que vous seriez là, en son absence. Cela me paraît très bien. Vous ne le saviez donc pas encore. Vous me l’auriez dit.

6 heures
Je viens de faire le tour complet de Regent’s park. J’ai marché une heure et demie, seul, lentement, pensant à vous. Quand vous serez ici, je ne ferai plus guère ces grandes promenades solitaires. Je vous donnerai mon loisir. Le beau temps dure. Je le regarde. Je lui demande, s’il durera dans huit jours. Alava a été assez malade. Il est bien bon enfant et pas mal au courant ; mais personne ne compte avec lui. Est-il vrai que M. Van de Weyer est un peu remuant et commère ? Que de choses j’ai encore à vous demander, quoique je commence à être établi ! N’est-ce pas, vous aurez la bonté avant de partir, de faire demander à Génie s’il n’a rien à m’envoyer. Décidément, il y aurait, à ce qu’il vint dans ce moment, assez d’inconvénients.

Lundi une heure
Je suis charmé que nous ne veniez à Londres qu’à cause de moi, et je veux que vous y trouviez infiniment plus de plaisir que de tracas. Je n’aime pas du tout le tracas. J’ose dire qu’il n’y a personne à la nature de qui il soit plus antipathique qu’à la mienne. Mais quand au bout du tracas, il y a un plaisir, un vrai plaisir, le tracas disparaît, je l’oublie absolument, je le traverse indifféremment. C’est si beau d’être heureux ! Si charmant ! Peu importe le prix du bonheur. Vous n’êtes pas si bien douce que moi. Vous avez le bonheur, très vif, mais la contrariété très-vive aussi, et au moment ou vous payez le bonheur, vous pensez à ce qu’il coûte. Moi, je ne pense jamais qu’à ce qu’il vaut. On m’a apporté hier le petit portrait d’Henriette, très ressemblant et très joli. Je viens de recevoir des nouvelles de leur arrivée à Lisieux. Les voilà établis à la campagne. J’espère qu’ils y seront bien. Vers le 15 suillet. ils iront aux bains de mer, à Trouville sur cette côté où je me suis promené en m’efforçant de traverser des yeux l’Océan pour alles vous chercher en Angleterre où vous étiez alors. C’est moi qui suis en Angleterre, et c’est vous qui venez m’y chercher. Mais pas des yeux seulement.
Adieu. Cet adieu est très à sa place.
Je ne crois pas à la guerre. Vous savez qu’en général je n’y crois pas. Mais pas en particulier non plus. Thiers s’amuse à en parler. cela lui plaît ; et cela lui sert aussi. Un peu de fièvre dans le présent, en perspective d’un peu de bruit dans l’avenir ; sa position s’arrange de cela. Il le croit du moins. Je ne connais personne ici qui accepte la pensée de la guerre. On est déjà assez préoccupé de celle de Chine qui sera probablement plus sérieuse qu’on n’a prévu. Je n’ai pas grande estime pour le nombre ; pourtant c’est quelque chose et en Chine ce quelque chose est immense. Adieu décidément. Plus que deux lettres. Adieu. Adieu. En attendant.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
23005_00369.jpg
397. Paris, dimanche le 7 juin 1840

Mon fils vient de me quitter. Il revient à Paris au commencement de Septembre pour y passer alors deux ou trois mois. Il est mieux mais sourd et paralysé du bras gauche.
Je n’ai rien à vous dire d’hier les ambassadeurs et le Duc de Noailles hier au soir ne m’ont pas beaucoup avancée. Thiers d’où on venait est en bonne humeur, et mon monde. le regarde comme établi pour longtemps. Il me semble. qu’Appony commence à en prendre son parti. Moi je trouve que tout prend une mine guerrière, ces messieurs le contentent ; mais infin il faut bien qu’on décide quelque chose à Londres, et quelque chose sera tout. Quoi ? C’est de vous qu’on l’attend.
Je vous remercie de quelques bonnes paroles dans votre lettre ce matin. Les bonnes paroles, c’est comme une caresse à un enfant. Je suis un vrai baby ; si facile à la peine, si facile à la joie. Encore facile à la joie ! Je retombe dans les recherches et les embarras pour trouver quelqu’un qui m’accompagne. Quelle bêtise d’être si poltronne, je le suis devenue. Car jadis je traversais toute l’Europe seule sans un moment de crainte. de Londres à Pétersbourg par terre. Et aujourd’hui Boulogne me parait un tour de force et d’extrême danger.
Adieu. Adieu. Je ne sais pas une nouvelle. On parle même de la sante du Roi de Prusse. Armin croit qu’il s’en tirera. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
23005_00377.jpg
398. Paris, lundi le 8 juin 1840 9 heures

J’ai reçu une bonne lettre ce matin, nous nous renvoyons notre plaisir. C’est une charmante marchandise. Il fait beau, j’ai le cœur léger. J’ai fait beaucoup de bois de Boulogne hier, j’ai dîné seule. Seule ! Cela m’a paru de nouveau bien triste !
Le soir j’ai été un moment voir Lady Granville, et puis Mad. de Castellane. M. Molé, M. Salvaudy voilà ce que j’y ai trouvé. Dans la commission de la chambre des Pairs, M. Molé a été tout-à-fait contre les Invalides, il voulait absolument St. Denis. Il me l’a répété lui-même. Je m’étais laissé dire auparavant que le Roi a été très piqué de cela, et qu’il la regardé comme personnel. Tout le monde s’accorde à regarder la session comme fini. M. de la Redorte sera nommé ambassadeur à Bruxelles. On fait de cela une ambassade de famille. aves Mad. Lehon ambassadrice. Cela vient je crois de ce que le Roi n’a pas voulu qu’on touchât aux autres, et que Thiers avait promis à la Redorte. Rien pour M. de Flahaut ! Ils arrivent dans le courant du mois.
Mad. de Talleyrand écrit de Berlin qu’elle est comblée. Toute la famille royale est pleine de politesse pour elle. On fait là comme si le Roi n’était pas malade, il le veut ainsi, les dîners et les réceptions vont donc comme de coutume. Elle parait charmée de mon grand Duc. A moi, elle n’a pas écrit encore. C’est de Mad. de Castellane que je sais tout ceci.
2 heures je suis sortie ; j’ai vu des gens d’affaires, j’ai fait beaucoup de petites affaires, tout cela chez moi au reste, mais on me mange mon temps, mandez-moi encore des nouvelles. J’ai le temps de les recevoir. Je reste fixé à samedi mais j’ai un tracas intérieur qui pourrait cependant me faire remettre mon départ de 2 jours. Imaginez : changer femme de chambre, me livrer à une inconnue, faire sa connaissance.en route, c’est bien désagréable. Je crois que j’en ai le courage, mais je ne suis pas sûre. Tout ceci vous venge bien des querelles que je vous ai faites jadis, aussi ne manquez-vous jamais de me le rappeler. Mais ne me dites pas encore de gros mots, car Samedi est toujours dans ma tête. Ce qu’il y a dans mon cœur je n’ai pas besoin de vous le dire ! Comme le cœur galope quand on approche du moment ! Adieu. Adieu. Les diplomates ici affirment qu’on ne fait et ne fera rien sur l’Orient. J’ai reçu une lettre charmante de Matonchewitz vous l’aurez, car vous les aimez. God bless you. Adieu, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
23005_00385.jpg
399. Paris, mardi le 9 juin 1840

Décidément,je ne pourrai pas partir samedi, ce ne sera que mardi le 16. Je vous jure que c’est indispensable que je remette à ce jour-là. Les raisons sont longues et trop multiples pour vous les dire mais elles sont bonnes. Je vous supplie de ne pas vous fâcher, n’est -ce pas vous ne vous fâcherez pas et j’aurai des lettres jusqu’à lundi inclusivement.
J’ai dîné hier chez Granville ; personne, et rien que Pahlen après le dîner, et pas de nouvelles. Si fait, et probablement ce que vous savez, que M. de la Redorte va à Madrid, et que l’ambassade est pour M. de Rumigny. Cet arrangement a coûté à Thiers beaucoup d’efforts auprès du Roi. Mais enfin cela s’est fait selon la volonté du ministre; Il est très vraisemblable que M. Barrot entre dans le cabinet sous très peu de temps. Il veut l’intérieur, il est clair que les doctrinaires sortiront dans ce cas. Tout ceci est exactement ce que m’a dit Lord Granville, et je crois qu’il ne dit pas les choses légèrement. Et bien, si cela arrive, qu’arrivera-t-il à Londres ? That is the question !
J’ai été au bois de Boulogne après dix heures du soir, et comme j’avais, peur j’ai pris Fullarton, qui était ravi de la lune, et de l’invention d’une promenade à cette heure-là.
Midi. Un peu de promenade et ma toilette, maintenant les great and little bores d’un départ ; vous ne sauriez croire comme je suis helpless ! Pogenpohl m’aide beaucoup, et puis un homme que m’a donné Génie. Je cherche toujours un compagnon de voyage. Je suis sur la trace. Il faut que je réussisse. Je ne me vanterai que quand il sera vraiment pris. Je vais et viens, je vais à mes paquets, je reviens à vous.
Je suis curieuse de vous revoir. Ne trouvez-vous pas l’expression ridicule ? Mais c’est cela, il me parait que je trouverai du nouveau ; et si même ce nouveau était mieux, voyons.... Si je vous trouvais 25 ans au lien de 50 ! Et bien cela me déplairait beaucoup. Je veux retrouvez ce que j’ai perdu le 25 février, le retrouver tel qu’il était ce jour-là. Je l’aimais tant comme cela !
Adieu. Je vous en dirai encore quelques uns, et puis nous n’aurons plus à les dire. C’est charmant, adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
23005_00381.jpg
391. Londres, mardi 9 juin 1840
2 heures

A mon tour, j’ai une lettre bien courte ce matin. Mais je ne m’en plains pas. Je ne me plaindrai de rien cette semaine, ni la semaine prochaine, à moins que je ne me plaigne de vous ce qui ne sera pas. Je voudrais bien vous trouver quelqu’un pour vous accompagner. Pour calmer votre imagination sur du danger, il n’y en a point ; et la fatigue, un compagnon ne vous l’épargnerait pas. J’espère qu’elle ne sera pas grande. Le temps est beau. Quel dommage que je ne puisse pas aller vous prendre à Boulogne ? Ce serait si facile, si ce n’était pas impossible ? J’ai peine à voir d’où viennent vos pronostics de guerre. Je ne m’attends pas à ce qu’on fasse grand chose ici sur l’Orient. Et quand même on ferait quelque chose, je ne crois pas que la guerre en sortît. Je vous attends pour causer de cela, comme de tout. Quand nous pourrons causer que nous mépriserons ce qui s’écrit. Pendant qu’on hésite en Occident, Méhêmet Ali s’affermit et s’anime en Orient. Il agit partout où il y a des Musulmans ; il les rallie, il les échauffe. Il gagne chaque jour plus de crédit à Constantinople. Si on le pousse à bout nous aurons quelque étrange spectacle. C’est là du moins ce que promettent les apparences. Mais j’ai appris à me méfier des apparences et des promesses. Que la part de la charlatanerie est immense en ce monde ! Il y en a moins ici qu’ailleurs, et pourtant le humbug est grand ici !
Le Prince Esterhazy n’arrive pas. On dit qu’il ne se soucie pas de venir tant que l’affaire d’Orient durera. Et M. de Metternich non plus n’est pas pressé qu’il vienne. Il trouve que Neumann convient mieux à l’insignifiance, et à la tergiversation. Je n’ai point de nouvelles. On est encore aujourd’hui en vacances. Lord Palmerston ne revient que demain de Broadlands.
Le bruit court de nouveau que lady Palmerston est grosse ; bruit très général. On en parlait hier chez les Berry comme d’une chose que tout le monde savait. Il y avait hier chez les Berry, cette grande Miss Trotter qui a failli épouser M. de la Rochéfoucauld et qui ne l’a pas épousé parce qu’il n’a pas voulu lui permettre une femme de chambre protestante. Vrai type anglais grande, blonde, riche, belle avec de grands et gros traits, teint éclatant et sans finesse ; avide d’esprit, prompte à l’enthousiasme ; quelque chose de très sincère, et de très factice, l’air noble sans rien de distingué. En revenant de chez les Berry, j’ai passé un quart d’heure chez lady Jersey qui avait un petit rout. J’y ai vu vingt Miss Troller.
Dites-moi donc ce qui en est de Stafford house, et si on le met réellement à votre disposition. Je le voudrais bien pour que vous n’eussiez, point d’embarras. J’aime bien vos idées d’arrangement. Out pour tout le monde à des heures déterminées. Ne trouvez vous pas que, dans la jeunesse on aime l’imprévu et, quand on n’est plus jeune, le réglé ? Il y aura bien aussi de l’imprévu, et qui sera charmant. Mais le réglé fera le fond. de la vie. Je reçois ce matin une invitation du marquis de Hertford pour dîner à sa villa de Regent’s Park, qui paraît très jolie. Connaissez-vous beaucoup le marquis de Hertford ? Vous devriez dîner là. Adieu.
Je vous quitte pour écrire des dépêches. J’envoie un courrier ce soir. Il me semble que cette manie de voyage de la Reine d’Espagne fait assez de bruit. Le mouvement des journaux est vif pour envoyer M. de la Redorte à Madrid ! Ils montent à l’assaut. On me dit qu’il est bien trist’ le pauvre M. de la Redorte. Il ne se trouve pas tout le crèdit qu’il se croyait. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
23005_00393.jpg
400. Paris Mercredi 10 juin 1840

Voici vraiment, un gros chiffre, et qui ne prouve pas que nous soyons des gens d’esprit. Trois ans font environ 1100 jours. Plus du tiers de ce temps nous l’avons passé séparés !
J’ai vu hier soir beaucoup de monde ; les ambassadeurs, M. Molé, M. de Poix, M. de Noailles et les diplomates d’été comme il les appelle, c’est-à-dire les petites puissances. M. Molé seul d’abord car il vient de bonne heure. Il n’a pas vu le Roi depuis 6 semaines ; il ne voit pas pourquoi il y irait. Il blâme fort la conduite du Roi, il la trouve très malhabile. Il se préoccupe de l’entrée de Barrot dans le ministère il croit qu’on le nomme à la justice. M. Vivien au commerce, et M. Gouin dehors. Si l’entrée de Barrot faisait sortir les doctrinaires, ah, cela serait un gros événement. Alors le ministère ne peut pas tenir, les conservateurs se retrouvent compactes, forts. Cela lui plait beaucoup. Le maréchal Valée aura pour successeur au commandement de l’armée, le général Bugeaud. Dufaure serait nommé gouverneur civil de l’Algérie. Voilà le dire de M. Molé.
Les ambassadeurs étaient occupés de Berlin. Le Roi était à l’agonie. Ils commencent à trouver que ce sera une immense perte. Les derniers 6 mois de l’année 40 peuvent développer beaucoup de mauvais germes. Il y a longtemps qu’on se sent menacé de tous côtés, ne croyez vous pas que le moment est prochain où l’orage doit éclaté ? On dit que Don Carlos est dans la misère. Les légitimistes se cotisent pour le faire vivre.

2 heures
Votre n°390 me laisse un grand remord de ne pas partir Samedi. J’ai tort de dire remord, c’est regret qu’il faut dire, parce qu’il n’y a pas de ma faute à ce retard. Ma seule faute c’est d’avoir du malheur dans les petites choses comme dans les grandes. Je n’en connais qu’une grande qui ne soit pas entachée de cela. Elle couvre tout.
Vous m’apprenez que les Sutherland me donnent Stafford house, et vous concevez que ce n’est pas comme cela que je dois l’apprendre. Assurément ce serait un grand tracas et un bien mauvais gîte d’épargné. Mais encore une fois, ils ne me l’ont pas dit. J’écrirai à Benckhausen. La veille de mon départ pour qu’il me trouve un appartement convenable. dans l’une des auberges de Londres. Je ne partirai pas sans avoir vu Génie. Je serai à Londres jeudi le 18 au soir ou vendredi dans la journée. Cela dépendra du passage. Je vous écrirai de Douvres si je m’y arrête ; si non, comme je devancerai la poste, vous saurez mon arrivée quand je serai arrivée.
N’ayez pas peur que je perde une minute jusqu’à mon départ vous aurez tous les jours une lettre, et une de la route, pour que vous me sachiez vraiment en route. Adieu. Adieu. Je ne pense qu’au bonheur qui m’attend. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
23005_00389.jpg
392. Londres, Mercredi 10 juin 1840
9 heures

Ceci doit être ma dernière lettre. Savez vous mon sentiment ? c’est que je ne vous ai rien dit depuis le 25 Février. Je ne vous ai pas plus parlé que je ne vous ai vue. J’ai sur le cœur tout ce que j’ai pensé et senti pendant ce temps là. Quel débordement, comme vous dites ? Le beau temps dure, et par trop étouffant. J’ai été me promener hier au soir dans Regent’s Park jusqu’à 9 heures et demie. L’air était doux, frais, le ciel pur, les eaux pures aussi. Je vous attendais là. Je crois que je suis sorti le dernier. Il me paraît qu’on se bat toujeurs autour du corps de M. de Rumigny. Je suis essez curieux de l’issue. Le Roi en voudra beaucoup à Thiers.
Avez-vous vu Zéa ? Je serais curieux aussi de savoir ce qu’il pense des affaires du moment dans son pays. Il me paraît que les modérés sont dans une grande colère et méfiance, du voyage de la Reine. Ils croyent qu’elle veut les livrer aux exaltés. Je ne comprends pas On dit que Rumigny ne sera pas le seul. Dalmatie et Latour Maubourg sont ménacés. Il faut payer ses dettes. Ste Aulaire et Barrante n’ont rien à craindre. M. de Metternich, et l’Empereur Nicolas, les défendent. Du reste si la diplomatie est traitée comme l’administration, il y aura plus de bruit que d’effet. Que de préfets remués pour en changer un seul ! Je n’aime pas le humbug, même quand il sert à empêcher le mal. Mais il faut bien s’y résigner.

Une heure
Je ne vous dirai pas encore de gros mots. Je ferai plus. Je mettrai votre conscience à l’aise. Je viens de recevoir une invitation de la Reine pour Windsor, dîner le 17, passer la journée du 18, déjeuner le 19. Il n’y a pas moyen de n’y pas aller. Si vous arrivez ici le 15, nous aurons à nous la journée du 16 mais si vous n’arrivez que le 16 au soir ou le 17 matin, nous aurons à peine, le temps de nous entrevoir avant mon départ pour Windsor. Ne vous pressez donc pas de manière à vous troubler ou vous fatiguer. C’est une ennuyeuse parole que je vous dis là. Je suis très pressé. chaque jour plus pressé. Mais puisque ma course de Windsor coïncide avec votre tracas de ménage, faites ce qui vous convient. Je vous donne, pour arriver à Londres latitude jusqu’au 19. Si vous arrivez le 15 ou le 16, je serai parfaitement heureux. En tout cas, je vous écrirai encore à moins que votre lettre de demain ne me dise le contraire. Je vois que l’affaire des ambassadeurs tournera comme celle des prefets. Lord Palmerston ne revient qu’aujourd’hui de Broadlands. Il doit y avoir un conseil de Cabinet ce matin, probablement sur les affaires de l’Orient. Si on voulait m’admettre dans ce conseil, je crois en vérité que je serais tranquille. Cette parole est bien arrogante ; mais j’ai vu tant d’affaires mal conduites uniquement parce qu’on ne savait pas, parce qu’on n’avait pas pensé. Ici surtout on ne pense pas à assez de choses! Et chacun pense à son affaire, et ne sait rien de celles des autres. Evidemment si, dès le premier jour, toutes les faces de cette question d’Orient avaient été présentées à Lord Polmerston, lui-même ne se serait pas engagé comme il l’a fait. Cela perce à chaque instant dans sa conversation.

3 heures et demie
Je viens de faire quelques visites Je ne voulais voir que lady William Russell. Je ne l’ai pas trouvée. Elle m’inspire une estime mêlée de quelque curiosité. On dit que son mari, après avoir débuté par la Juive, fait à présent des sottises avec tout le monde. Est-ce qu’il en est en Angleterre des hommes comme des femmes ? J’entends dire qu’ici c’est à 40 ans quand leurs enfants sont élevés, que les femmes s’émancipent. Et on me cite des exemples. Nous avons ici de très mauvaises nouvelles du Rois de Prusse. Je suppose que vous les avez aussi. Adieu. J’ai été dérangé deux ou trois fois depuis que je suis rentré. Je dine chez Sir Robert Inglis. J’irai de là chez lord Grey. Lady Grey m’a écrit hier pour m’y engager. Je suis très bien avec eux. Adieu Adieu

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
23005_00398.jpg
393. Londres, 11 juin 1840
9 heures

On a beau être jeune, et femme, et Reine sans révolution, et avec une aristocratie ; on n’est pas à l’abri de la monomanie de l’assassinat. Elle a passé la Manche. J’ai appris cela hier au soir en dinant chez le Sir Robert Inglis. Plus tard, chez lord Grey, quelques détails douteux. Tout le monde disait que ce boy était fou. Il ne l’est point. Les journaux vous diront tout ce qu’on sait. Peu de chose encore. On parle de sociétés secrètes, de passions anarchiques. J’y crois toujours. Le mal vient de là, soit que des conspirateurs se réunnissent, soit qu’un cerveau faible s’échauffe. Et ce mal est grand ici dans les régions basses plus grand qu’ailleurs. Mais les moyens de résistance sont très supérieurs. La Reine a montré vraiment un sangfroid, très ferme et très simple. Son mouvement de se faire conduire tout de suite chez sa mère a touché. L’émotion me paraît vive et sincère dans les classes moyennes. Le High life, hier au soir était froid et lèger, comme partout. On faisait de la musique chez Lord Gey. J’écoutais comme les autres. Et en écoutant, je pensais à ces quelques têtes couronnées, partout le point de mire de ces milliers de prolétaires indignés de n’être pas riches et heureux et à ces passions frénétiques qui fermentent à côté de ces plaisirs frivoles. y aura-t-il dans le monde, assez de sagesse et de courage pour dompter le fléau ? Je le crois. Et le spectacle de cette société-ci me rassure encore plus qu’il ne m’inquiète. Le bien y surpasse le mal, quoique le mal soit grand. Si japprends quelque chore dans la matinée je vous le dirai.

2 heures
Rien de nouveau. On interroge cet homme ; on cherche. Les principaux membres du corps diplo. matique sont venus chez moi. Nous avons cherché, une manière de témoigner à la Reine notre vif sentinent sur ce qui vient d’arriver. De concert avec Bülow, Hummelauer, Pallen, etc J’ai écrit à Lord Palmerston, le billet ci-joint. Il s’en est montré fort touché. Je dois le voir à 4 heures, quand il en aura parlé à ses collègues. N’en parlez pas, car il serait possible qu’il n’y ait point d’audience, point d’expression publique et collective. D’après ce qu’on m’a dit et si je me rappelle bien ce que vous m’avez dit. ceci serait un peu une innovation. Elle est naturelle, vu l’incident, et ces messieurs la désirent tous. Nous avons des usages, nous autres Français, en pareille matière. Je les emporterai peut-être à Londres.
Je m’attendais au retard de ce matin. Je vous ai dit hier pourquoi j’y consentais sans me trop facher. Je n’en dis pas davantage. Je ne veux pas vous donner plus de liberté que je n’en veux prendre pour moi-même en pareil cas. Je me réserve de me fâcher une autre fois, s’il y a lieu et il vous est maintenant interdit de vous fâcher jamais, car il n’y aura jamais lieu. Mais votre curiosité, que je ne comprend pas, sera fort décue, car vous ne trouverez rien de nouveau. De l’inconnu peut-être. que vous prendrez pour du nouveau. Je rabats quelque chose de mon opinion sur votre sagacité. Vous me connaissez bien peu Est-ce que je suis si obscur ?Je vous réponds que tout ce qui y était le 25 février y est encore, y sera toujours. Et rien qui ne soit avec ce qui était le 25 février dans la plus intime harmonie. Mon Dieu, que j’ai de choses à vous dire, et à vous apprendre ? Je ne crois pas du tout à Barrot dans le Cabinet. Et soyez sûre que j’ai raison. Mais si cela était, je n’ai pas la moindre incertitude. Vous avez trouvé cette hypothèse prévue dans ce que vous a montré Génie. Adieu. Vous aurez des lettres jusqu’à lundi inclusivement Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
23005_00403.jpg
401. Paris jeudi le 11 juin 1840
9 heures

Simon est charmant, il vient toujours de bonne heure. C’est un si doux réveil ! La mort du Roi de Prusse fait beaucoup de sensation. Lady Granville a été hier soir à Neuilly, elle dit qu’on est accablé. On dit : " C’était le seul souverain benveillant pour nous. " Et cela est vrai, j’ai éte chez elle en revenant de Boulogne où j’ai fait ma visite de députion. Il y avait tout le dîner de l’autre jour moins Thiers. (Rothschild est furieux contre Thiers pour cette affaire des juifs de Damas.) Les ambassadeurs en masse. A propos M. Molé et moi nous les trouvons bien bêtes tous. Vous verrez que le nouveau règne en Prusse sera en effet bien du nouveau et cela seul est un mal, car tout était bien sous me vieux roi. Pauvre esprit mais droit et juste. Celui-ci beaucoup d’esprit, l’esprit charmant, mais sans règle.
Je suis sûre que les Berry ont envie de vous faire épouser Miss Trotter, mais cela ne m’enquiète pas du tout. J’irai regarder ce qui m’inquiète, ou plutôt je n’y penserai pas du tout, n’est-ce pas ? Comment faire pour arriver sans partir ? J’ai horreur d’un départ, et quand cela est accompagné de mille tracas et désagréments qui sont pour moi seule je suis sûre, il y a de quoi se fâcher beaucoup contre... Voyons ? Contre celui-qui me fait partir, croyez-vous ? La Stafford house me fâche. Il est très vrai qu’ils ont écrit il y a trois semaines à Lady Granville qu’aussi tôt partis ils mettaient Stafford house à Westhill, leur villa à ma disposition. Mais il fallait me le dire à moi, ce qu’ils n’ont pas fait, et ce qui fait que cela ne veut rien dire du tout. En attendant on me dit que je suis très mal campée, il y a beaucoup d’étrangers arrivés ou arrivant cela me sera odieux. Et à Londres je trouverai cela très inconvenant pour moi.
Voilà pourquoi la fin du season m’eut bien mieux convenu à la veille des campagnes. Il me semble que je suis un peu cross, c’est vrai mais c’est par moment ; le fond est de la joie bien grande, bien intime, bien profonde ; de la joie comme la vôtre tout au moins. Le temps est charmant, j’espère qu’il se soutiendra. On continue à parler beaucoup des mutations prochaines dans la diplomatie. Bresson, Pontois, Latour Maubourg, Rumigny tout cela doit faire la seconde edition des préfets. Adieu. Adieu. Il y en aura encore quatre de Paris? Adieu.
Lady Palmerston m’annonce qu’Esterhazy arrive incessamment à Londres, et lors Beauvale. aussi et qu’on va faire les affaires à Londres. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
23005_00402.jpg
à Lord Palmerston [Copie]
Mon cher Vicomte,
Plusieurs membres du Corps diplomatique, entr’autres M. le Baron de Bulow, M. de Hummelaner, et M. le Comte de Pollon qui sont chez moi, et le Général Alava qui vient de m’en écrire, me témoignent un vif désir qu’il y ait pour eux quelque manière d’exprimer à la Reine l’intérêt profond que leur a inspiré le triste événement d’hier, et la part qu’ils prennent à la joie de son peuple. Je viens vous demander ce que nous pouvons faire, et par exemple s’il vous paraîtrait convenable de prendre les ordres de S. M. et de solliciter pour le corps diplomatique, une audience où il pût lui offrir, ainsi qu’à S.A.R. le Prince Albert, l’expression de ses sentiments. Veuillez, mon cher Vicomte, me répondre à ce sujet, car nous serons en attendant votre réponse, dans une immobilité qui nous déplaît.
Vous savez si je suis tout à vous. .

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
23005_00412.jpg
402. Paris, vendredi le 12 juin 1840

J’ai un grand plaisir. Enfin quelque chose me réussit. Je serai accompagnée, par M.Heneage l’un des secrétaires de l’ambassade d’Angleterre, et je dormirai tranquille. Lady Granville m’a arrangé cela. Il n’est pas ici, mais il arrive demain de Fontainebleau. La question du logement ne sera pas aussi favorable. Vraiment je serai parfaitement mal. J’ai bien plaint souvent les pauvre voyageurs que je visitais à Londres. Mais que faire ! Il faut tacher d’arranger en campagne au plutôt ; pour cela faites finir le parlement.
J’ai vu hier au soir Berryer il y avait bien deux mois qu’il n’était venu. Il a causé avec esprit mais son humeur est grogneuse. Il avait espère quelque éclat, ceci prend une mine trop solide, qui le deroute. Il me dit : " Thiers pouvait le taire plus fort, il a préféré faire la chambre plus faible. Il doute de l’entrée de Barrot dans le Cabinet ; et il ne compte plus du tout sur la dissolution. La gauche est divisée. Et les conservateurs ne sont pas gouvernés. Voilà à peu près l’essence de ce qu’il m’a dit. Montrond est venu hier soir aussi. Ils ont causé. Mon ambassadeur, les Durazzo d’autres.
J’avais chaud. J’aurais préféré le bois de Boulogne d’où je n’étais revenue qu’à 9 heures. Il y faisait charmant. Je jouis de cet air bien pur ; d’un air qu’on n’a jamais en Angleterre. Je reviens un moment à Berryer. Il est frappé du despotisme complet de Thiers et m’a cité à ce sujet des traits assez curieux. Jaubert est un des plus soumis
A propos mon ambassadeur est maintenant en bonne connaissance avec tous les Ministres. Cela est venu à la suite d’un commérage de ma part. Vous savez mon estime pour les commérages. Adieu Monsieur, je n’aurai plus de réponse à cette lettre Adieu.
2 heures
Je réponds encore à votre lettre. Je suis charmée de Windsor. Votre dîner des 15 chez Lady Lovelace en est dérangé, cela ne me déplait pas trop, elle a un trop joli nom. Je vous dis de loin des bétises. Je suis sûre de n’en point dire de près. Mon départ reste fixé au 16 à moins que Heneage ne me prie de le retarder. Ce ne serait que d’un jour il me ferait arriver le 19. Comme vous le dites. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
23005_00407.jpg
394. Londres, Vendredi 12 juin 1840
8 heures et demie

J’ai été hier soir à Holland. house. Ils n’y étaient pas. Le conseil du matin et l’attentat les avaient fait venir en ville. J’avais deux emplois de ma soirée Lady Tankerville qui se plaint toujours qu’elle ne me voit pas assez et un bal chez Lady Glengall. Je suis rentré chez moi ; je me suis mis dans mon lit et j’ai lu pendant deux heures une vie de Hampden, grand Anglais, et homme bien hereux car il a eu le bonheur de mourir au moment où allaient commencer pour lui les espérances déçues, les doutes de conduite et la responsabilité. Je me plaît beaucoup dans la vieille Angleterre. J’aime ce qui en reste, et grace à Dieu, il en reste beaucoup. Par mes idées, et le tour de mon esprit, je suis du temps moderne ; par mon caractère et mes goûts, je suis des anciens temps.
J’assiste déjà aux embarras de la transition de règne, en Prusse. On a eu à célébrer à Berlin, le 100e anniversaise de l’Académie royale. Il fallait parler de Frédérie II, du Roi mourant et plaire au Roi qui s’approche. On a chargé M. de Humbolt de cet embarras. Il s’en est tiré, en homme d’esprit, et m’a envoyé son petit discours, car les hommes d’esprit pensent toujours un peu les uns aux autres.
A propos des hommes d’esprit, vous ai-je jamais dit comment m’avait abordé à St Cloud, en se fairant présenter à moi. Reschid. Pacha, qui essaye aujourd’hui de faire de la Turquie quelque chose qui ne soit pas turc? « Moi ausi, dans mon pays, je passe pour un homme d’esprit.» Il vient, dit-on, d’en donner une preuve en se débarrassant de son rival Khosrer-Pacha qu’il a fait remplacer par Ahmed Féthi Pacha, homme insignifiant, sa créature, et ancien ambassadeur à Paris. On dit que cela vous déplaira.
Je rentre à Berlin. Il me paraît que Humboldt, Bülow et toute cette couleur là sont au mieux avec le Prince Royal. Bresson aussi est bien avec lui depuis quelque tour. Bresson est prévoyant et habile. Il n’y a pas de doute sur la retraite de Wittgenstein. On le pressera de rester, sachant qu’il ne restera pas.

2 heures
Je vous ai quittée pour trouver dans le Times, la mort du Rois de Prusse et je n’ai pu vous revenir jusqu’à présent. Lord Palmerston n’a pas pu me rejoindre hier au Foreign office. Il a été retenu à l’home office par le Conseil privé qui interrogeait les témoins sur l’attentat. Il m’a remis à aujourd’hui, et j’attends un mot de lui pour l’aller chercher. Les deux Chambres présentent leur adresse ce matin. Je suppose que la Reine recevra le corps diplomatique demain si le Cabinet trouve bon qu’elle le reçoive. Elle l’a reçu, et ses félicitations en corps, lors de son mariage. Ils sont tous fort contens de la demarche faite, qui acquitte pleinement les convenances. Je les et tous vus ce matin. Dedel est mon meilleur conseiller. Quoique rien n’ait encore transpiré on croit en général que l’assassin est chartiste. Plusieurs propos, recueillis, maintenant indiquent dans ce parti-là, un projet pareil. Ce jeune homme s’exerçait depuis trois semaines à tirer au pistolet.
Le Cabinet a eu encore hier soir un échec aux Communes, toujours sur la même question. Il y a, si je ne me trompe, dans la Chambre un parti pris, pris à une bien petite majorité, mais pris, de mettre en Irlande un temps d’arrêt à l’influence d’Oconnell. Sur les 105 membres Irlandais, il est déjà, dit-on, maître de plus de 60. Avec le systême étectoral actuel, il deviendrait bientôt maître des 40 autres. Et alors on verrait tout autre chose que l’Angleterre obligée de bien gouverner l’Irlande ; on verrait l’Irlande gouverner l’Angleterre. Voilà le gros fait qui frappe, ce me semble, les esprits et décide bien des modérés même.
Vous avez raison d’avoir beaucoup de regret et un peu de remords Windsor est venu bien à propos pour vous. Voici une vérité. Vous êtes si sensible aux petites contrariètés qu’elles peuvent balancer, pour quelque temps, les plus grandes affections. La petite vie, en vous, fait tort à la grande. Cela vient de deux causes. Vous avez été longtemps l’enfant gâté du sort faisant toujours ce qui vous plaisait. Vos déplaisirs sont démesurés, et démesurement puissants sur vous. De plus, il n’y pas en vous une force proportionnée à l’élévation, et à la vivacité de votre âme, vous êtes comme des beaux peupliers, si hauts et si minces, que le moindre vent balance, et fait plier. Vous pliez trop et trop sous les petits fardeaux, comme sous les grands. Je le trouve souvent. Je m’en impatiente quelquefois. Et puis je finis toujours pas me dire que vous connaissant comme je vous connais et vous aimant comme je vous aime, c’est à moi de vous aider à porter tous les fardeaux, petits ou grands. Puisque j’ai plus de force que vous et plus d’indifférence aux choses vraiment indifférentes, il faut bien que vous en profitiez.
Adieu. Je vous écrirai encore demain et je vous verrai vendredi, d’aujourd’hui en huit. Je ne comprends pas que vous n’ayez rien reçu des Sutherland. Charles Gréville ma dit ce que je vous ai mandé, comme une chose arrêtée, convenue. Mais il faut qu’ils vous l’écrivent eux-mênes. Adieu. Adieu.
Je corrige une phrase à ma lettre. Ce que j’avais mis ne rendait pas ma pensée. On dit qu’on a trouvé dans les poches de cet Edward Oxford, un papier qui ferait allusion à quelque relation avec Hanovre. Cela n’est pas croyable.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
23005_00419.jpg
395. Londres, Samedi 13 juin 1840

Voici la dernière. Dans sept jours, nous serons ensemble et vous n’aurez plus de tracas. Il est vrai que vous n’y êtes pas propre du tout. Vous ne me dîtes pas si vous avez décidément pris votre compagnon de voyage. C’est un personnage bien mystérieux. Dois-je être inquiet aussi ? Je fais réparation à votre sagacité. Vous avez deviné juste sur Miss Troller ; si juste que l’insinuation m’a été faite, sur la place même. Je voudrais bien savoir ce qui vous inquiète. Vous me le direz, n’est-ce pas, si vous ne l’avez pas oublié, cinq minutes après m’avoir vu.
Je rabâche. Je ne comprends pas les Sutherland. Mais je trouve aussi que puisqu’ils l’ont écrit à Lady Granville, vous auriez pu, et vous pourriez peut-être encore sans atteinte à votre dignité, prier Lady Granville de leur demander, de votre part, si en effet, ils peuvent vous recevoir dans Stafford-House, en leur absence. Savez-vous qui manque dans les relations de cette sociélé-ci, dans les plus amicales ? La simplicité, la facilité, la rondeur. Tous les mouvements sont lents et raides. Les meilleures gens, les meilleurs amis ne savent pas se donner l’agrément de leur bonté et de leur amitié.
Je n’ai pas envie de vous donner des nouvelles. Il n’y en a pas, et je n’en ai pas envie. Je vous en donnerai quand vous serez ici. On ne parle que de l’attentat. Pour dire vrai, d’Oxford plus que de l’attentat. La badanderie est aristocratique aussi bien que démocratique. On est curieux des moindres détails sur ce malheureux. Est-il beau ? A-t-il de l’esprit ? De quelle couleur sont ses yeux ? C’est précisément là ce que veulent ces imaginations perverties, un théatre, un public, grandir et paraître au soleil, eux petits et obscurs. Il faudrait avoir assez de sens et de gravité pour ne pas leur donner ce qu’ils cherchent. Les personnes qui suivent l’affaire disent qu’il n’y a que deux choses sûres, c’est qu’il n’est pas fou, et qu’il n’est pas seul.
On me dit ici, sur le nouveau Roi de Prusse, exactement ce que vous m’avez écrit. Tout le monde, se promet beaucoup de lui ultras et libéraux. Tout le monde, sera déçu. ce qui me paraît clair, c’est qu’il est faiseur et n’aura pas la politique négative, et expectante de son père. Il faut que jeunesse se passe, celle des rois comme toute autre. Adieu. Adieu encore une fois. Je n’ai rien à vous dire. Je dirais trop ou trop peu. Adieu. Enfin.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
23005_00416.jpg
403 Paris, samedi le 13 juin 1840

Les Granville sont très bouleversés du coups de pistolet. Moi, je crains qu’on ne prononce en Angleterre le nom du roi de Hanovre. Quand il arrive une atrocité on pense à lui tout de suite. Je n’ai jamais vu d’homme soupçonné de tant de mal. Espagne occupe aussi ici. On ne comprend pas le voyage de la reine. Granville a l’air de croire à un mariage Cobourg. Le prince est parti d’ici il y a trois semaines sans qu’on sache pour où. M. Molé croit savoir que la Reine veut sortir du royaume et que cela est concerté avec l’Angleterre. Moi je ne sais rien.
Zéa est venue deux fois sans me trouver. Si j’ai le temps je la ferai encore venir avant mon départ.
Thiers a été chez Armin. Il lui a dit que Bresson quitterait Berlin sans lui dire qui serait le successeur mais on pense que ce sera M. Pontois et qu’ils changent de poste. Le duc d’Orléans est allé chez Armin aussi, très sévèrement affligé de la mort du roi. J’ai vu Armin. Il a l’air de craindre pour son compte. Le duc de Nemours est allé chez Granville hier au sujet du coup de pistolet. Granville a pris cela pour une visite de parenté Cobourg, et non de politesse française. Voilà le châpitre fashionable moves. Je n’ai rien fait hier que visites et préparatifs.
M. de Broglie va faire un voyage avec son fils, et puis ils passeront quelques mois en Suisse, il ne retournera à Paris que pour la session prochaine. C’est de Grainville que je tiens cela. Demain revue de la garde nationale. Il me semble que nous aurons beaucoup de choses à nous dire. Quel plaisir ! Votre lettre ce matin m’a donné deux plaisirs. Je ne puis vous les dire qu’à Londres. Mais soyez sûr que je suis heureuse, heureuse, et joyeuse. Je vous écrirai encore deux fois. J’ai vu Génie hier, je le recevrai Lundi. Adieu, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
23005_00422.jpg
404. Paris, dimanche le 18 juin 1840
9 heures

J’écris de bonne heure et j’enverrai ma lettre de bonne heure à la poste ! Car voici une grande revue et tout Paris sur pied, car on attend l’Empereur Nicolas ! Imaginez que les Parisiens le croient. J’ai vu hier Montrond, Molé les Appony et Granville le soir. On parle beaucoup de l’Angleterre. Montrond et Molé enchantés que ce soient des sociétés secrètes. Ce sera d’un bon effet ici. Molé dit c’est notre belle révolution qui porte ses fruits. " Je suppose que vous ne prendriez pas la chose ainsi. En attendant c’est vraiment un spectacle fort alarmant.
J’ai vu mon compagnon de voyage; je l’ai bien examiné. Il est tout juste de taille à ne pas encombrer ma voiture. Il a l’air doux et tranquille, et gai, et il est comblé d’être mené aussi commodément.
J’ai eu une longue lettre de William Russell avec des détails intéressants. Nous sommes détestés à Berlin, on a tout fait pour empêcher l’empereur d’arriver. Le Roi de Hanôvre venait aussi. Ces deux ensemble paraissent de mauvais conseiller pour un nouveau roi. On ne sait comment il marchera, on ne connait pas ses idées politiques. On dit maintenant ici que la Redorte pourrait aller à Berlin, ce qui est sûr c’est que sa nomination n’est pas encore au Moniteur.
Je suis bien fatiguée d’hier. Des paquets, des arrangements, des visites, et au matin on va m’envahir pour voir de chez moi la revue. Mon ambassadeur est bien grognon de mon départ. Mad. de Flahaut m’écrit pour s’annoncer pour le 25. Elle a toujours quelque petite tirade contre les doctrinaires. Adieu. Adieu. Encore demain Adieu, et puis, quel plaisir !
On fait à M. de Lamericière des réceptions superbes au château. Molé critique cela et critique tout. Il est de l’opposition la plus violente.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
23005_00426.jpg
405. Paris le 15 juin 1840
midi

J’ai reçu la dernière lettre qui doit me trouver à Paris, maintenant je viens vous en demander une à Boulogne. Ecrivez-moi en recevant ceci, je pourrai avoir votre lettre jeudi à Boulogne. Je passerai vendredi, et selon l’heure de mon arrivée à Douvres j’irai coucher à Londres ou je m’arrêterai à Rochester. Vous saurez cela. J’ai dîné hier chez les Appony, le soir chez Brignoles où j’ai dit adieu à tout le monde sauf deux ou trois qui veulent encore venir. On dit que la session finit cette semaine. La revue s’est très bien passée sauf quelques cris de réforme. L’affaire de Londres occupe beaucoup mais je n’ai pas le temps de vous parler de ces choses-là. Je pense à mon voyage, à ce que je vais trouver, je serai bien contente vendredi ! Si le temps est à l’orage j’ai peur de passer, car je suis faible et je n’échappe jamais au mal de mer. Regardez les nuages. Pensez à moi à Windsor. Il n’y a pas un coin de ce château et de ce parc où je ne me sois arrêté. Si vous avez l’appartement où il y a un salon en haute-lisse faisant face au long walk, c’est le mien. le canapé vert à la gauche de la cheminée dans le salon de la reine est celui où j’ai passé tant de soirées à côté de George IV et de Guillaume IV. Que Windsor va vous plaire ! Mais je ne vous envie pas Ascot, cela me faisait mourir d’ennui.
Adieu. Adieu. Je fais comme si j’étais déjà en Angleterre. J’y suis beaucoup, beaucoup, toujours. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
23005_00429.jpg
396 Londres, Mardi 16 juin 1840
3 heures

Vous êtes partie ce matin. Vous marchez en ce moment vers moi. Vous arriverez à Douvres peu après cette lettre. C’est ridicule d’y envoyer un morceau de papier au lieu d’y aller moi-même. Je désire bien vivement que vous arriviez à Londres vendredi, pas tard. Voici pourquoi. Je suis obligé d’aller samedi, par le railroad, déjeuner à Southampton, à un grand banquet donné pour célébrer le chemin de fer de Paris à Rouen. Dire à quel point ceci me déplait c’est impossible. J’avais tant pensé à ce samedi ! Mais il n’y a pas eu moyen de s’y refuser. J’ai négocié ce chemin de fer. Je l’ai fait réussir. C’est la jonction de Londres et de Paris. Le Duc de Sussex y va. Lord Palmerston y va. On tient essentiellement à m’avoir. Je reviendrai le jour même dîner à Londres, chez Sir John Hobhouse et je trouverai bien un moment pour vous voir, entre mon retour et le dîner, ou après le dîner. Mais samedi n’en sera par moins un pauvre jour. Qu’au moins je vous voie bien le vendredi. Je reviendrai de Windsor après le déjeuner. Et puis Dimanche commencera une serie de jours...
Je ne veux pas les qualifier. N’arrivez par trop fatiguée. Le temps est beau. J’épie le soleil. J’épie le vent. Je les interroge. Jusqu’ici, je suis content. Où arrivez-vous ? Vous devriez bien me le dire demain. Car enfin, vous le savez. Vous m’écrirez de Boulogne ou de Douvres.
Adieu. Je ne peux pas, je ne veux pas vous parler d’autre chose, Adieu J’adresse ceci au Ship Inn. Il me semble que vous ne pouvez manquer de l’y recevoir.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
23005_00432.jpg
397. Londres, Mercredi 17 juin 1840

Je vous ai écrit hier à Douvres au Ship Inn, pour vous dire mon déplaisir de samedi. Je présume d’après le 405 qui m’arrive à l’instant que vous ne partez de Paris qu’aujourd’hui mercredi, car vous ne mettrez pas plus de deux jours pour aller à Boulogne. Vous trouverez donc à Douvres que je suis obligé d’aller samedi déjeuner à Southampton, par le rail-road, pour célébrer la conclusion du rail-road de Paris à Rouen ; affaire que j’ai traitée et qui m’a mis très bien ici avec ce monde là. Ils font un grand banque t; le Duc de Sussex, Lord Palmerston & y vont. Je ne pouvais refuser. C’est l’union de Londres et de Paris. Je reviendrai de Southampton entre 6 et 7 heures. J’irai dîner chez le Sir John Hobhouse. Je compte bien trouver un moment pour vous voir, soit entre mon retour, et le dîner, soit après le dîner. Mais le samedi, ainsi employé n’en est pas, moins un immense ennui. Si donc vous arrivez à Londres le Vendredi, je vous verrai en arrivant de Windsor, et tout le soir. Si vous n’arrivez que le Samedi, je ne vous verrai que tard ce jour là et bien peu. Faites pour le mieux, sans vous harasser de fatigue.
En tout cas, faites-moi dire tout de suite à Hertford House que vous êtes arrivée et où vous êtes. Car je n’en sais rien. Je regarde sans cesse au temps. Il y a eu du vent cette nuit ; il est tombé ce matin. Le saleil est beau.
Adieu. Adieu. Moi aussi, je serai bien content. J’ai souri en lisant: " Que Windsor va vous plaire ! " Croyez-vous que la Reine Victoria sera aussi bonne pour moi que l’était pour vous George IV ? Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
23005_00434.jpg
406. Boulogne le 18 juin 1840, jeudi 5 heures

Je viens d’arriver. Le vent est si fort qui s’il continue à souffler demain avec cette violence. Je n’aurai pas le courage de passer. Cette lettre passerait donc au lieu de moi. Je veux que vous me sachiez partie et près d’arriver, et heureuse de me sentir si près ! Je suis fatiguée, mon dernier jour à Paris a été abominable. Prise par tout le monde, et par mille choses.
Thiers est venu et a causé beaucoup. Rien de nouveau, Je vous conterai. On entre, et on me remet dans ce moment votre lettre de hier. Je vois que Samedi sera mauvais et comme je ne pourrais dans aucun cas arriver à Londres demain il faudra bien attendre dimanche. Le bateau ne part demain qu’à midi, je ne serai à Douvres qu’à 5 heures. J’irai donc coucher en route. Voilà bien du retard.
Dès mon arrivée à Londres j’enverrai chez vous. Je vous verrai peut-être entre le rail road et le dîner voilà tout ce que je puis esperer. Je suis très faliguée mon petit compagnon de voyage est très utile, lui et mon courrier m’enlève tout souci mais ils n’empêchent pas que je trouve l’hôtel Talleyrand plus commode que la voiture et les auberges.

Vendredi 7 heures du matin.
Je n’ai pas décidé encore si je pars ou si j’attends demain. Le vent souffle, on dit le duc de Wellington (paquebot) mauvais. Tout cela avec votre promenade à Southampton fait que je ne vais pas risquer. Je verrai. Je ne suis pas décidée, encore. J’ai dormi presque sans réveil, ce qui est rare. En m’éveillant j’ai pensé avec joie que j’étais bien près. Adieu, adieu. Adieu.
Formats de sortie

atom, dcmes-xml, json, omeka-xml, rss2