Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 30 septembre 1851 Mardi

J’ai vu peu de monde hier, mais j’ai su par Marion quelques rapportages. Mad d'Asur lui a fait visite le matin. Et elle a remonté Thiers à dîner chez lady Sandwich. Assise entre lui & M. Royer à table. Il a parlé de Changarnier de ce qu’il eut été s'il avait su se conduire, précisé ment dans les mêmes termes que vous m'en avez parlé le matin & que Marion avait lus. Il n'épargnait rien à la ressemblance. Il n’est pas sûr que le prince de Joinville passe. Le pays est encore fort attaché au nom du Président. Quant à Changarnier c'est risible, le pays ne le connaît pas du tout, il aura pour lui les Légitimistes, & encore.. Beaucoup d’incertitude sur la proposition Creton. Thiers avait dit le matin à Mercier ( qui est venu chez moi le soir) Si Henry V était possible se serait ce qu'il y aurait de mieux peut-être. Mais c’est archi impossible. Le pays, le repousse absolument. Il est impossible. Il nous faut la Monarchie, il ne nous reste donc que la branche cadette, et bien pour faire arriver la Monarchie il faut que le Prince de Joinville soit à la tête du [gouvernement] du pays. Il ne serait pas longtemps président. Tout autre ferait durer la République. Le pays s’y accoutumerait, je ne veux pas de cela. Voilà mes motifs et pourquoi le Prince de Joinville a raison de se laisser faire.
Dumon hier soir était fort noir. On parle de message pour le 4 nov. invitant l'Assemblée à voter la révision à la simple majorité. C’est M. Fould qui avait dit cela à je ne sais qui que Dumon ne m’a pas nommée, le même anonyme ayant rencontré hier aussi M. Granier de Cassagnac celui-ci aurait ajouté et si l’Assemblée recule devant cette illégalité, on casse l'Assemblée. Mais l’armée que dira-t-elle, que fera-t-elle ? Voilà à quoi personne ne répond. On devient très triste très inquiet. Fould a dit que tout s’en allait dégringolant, crédit, ouvrage. & & De raisonnements en raisonnements, on en vient à dire qu’il n'y a que la guerre qui puisse tirer de là. On a tant jasé & si tard que j'en ai très mal dormi cette nuit. Je me lève et il est midi déjà. Bastide & Cavaignac se donnent tous deux pour Joinvillistes.
J'ai fait hier la plus mélancolique des promenades. J’ai été voir Neuilly. Ah quel aspect horrible ! Adieu. Adieu

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 29 Sept. 1851

La réponse du gouvernement Napolitain à Gladstone a un grand mérite ; c'est d'être envers lui non seulement polie et mesurée, mais juste et vraie. Elle le voit tel qu'il est réellement. Cela importait beaucoup pour l'effet en Angleterre, où Gladstone est honoré avant la réponse napolitaine, la présomption dans les esprits en Angleterre, était certainement pour lui ; après la réponse, elle sera probablement contre lui ; il est clair que le gouvernement napolitain le juge lui-même, avec beaucoup plus de sang froid et d’équité qu’il n’a jugé le gouvernement napolitain.
La Préface est donc bonne. L'ouvrage est trop long, trop chargé de phrases, de développements moraux ou presque oratoires ; j’y voudrais plus de faits, des faits plus serrés et plus précis. Il y en a quelques uns qui sont positifs et concluants, comme le nombre des prisonniers politiques, le nombre des accusés dans le dernier grand procès, la suppression des cachots souterrains & & & Je regrette qu’il n’y en ait pas davantage. Il fallait prendre simplement, textuellement, toutes les assertions de Gladstone, et mettre en regard la dénégation, ou la rectification et même quelquefois, s'il y avait eu lieu, l'admission de la réalité de tel ou tel abus, comme il y en a dans les gouvernements les plus doux et les plus attentifs. C’était, je crois, le plus sûr moyen de faire effet. Du reste, je n'ai encore lu que la première partie de la réponse, dans les Dodah, et à tout prendre, elle est bonne.
Le discours aussi de Palmerston est bon ; bon pour lui et habile, comme vous dites ; très mauvais pour le continent. C'est plus que de la malice simple, c’est de la malice perfide. Il tourne à la gloire de l'Angleterre les troubles du continent, passe ; mais il fait servir le bon état de l'Angleterre à fomenter les troubles du Continent, car il à l’air d'attribuer ces troubles à l'absence des libertés politiques, c’est-à-dire à l’entêtement ou aux fautes des gouvernements, et pas du tout aux jolies ou aux crimes des révolutions. C’est précisément ce qu’il y a de plus propre à encourager les révolutionnaires et à affaiblir les gouvernements. Je doute que Palmerston lui-même se rende bien compte du mauvais effet de ses paroles et les dise avec toute la mauvaise intention qu'elles semblent contenir ; mais des mauvais instincts lui suffisent et il répand son venin, sans dessein arrêté et réfléchi d'empoisonner.
Montebello a très bien fait de dire à Léon Faucher ce qu’il lui a dit sur le mot d’ordre que le gouvernement devait donner dans les élections, et il faut faire arriver cette idée de tous côtés. Non seulement elle est très bonne pour le succès électoral ; mais elle efface les anciennes classifications, les anciennes dénominations des partis, et en introduit de nouvelles qui laisseront aux hommes sensés beaucoup plus de liberté et les aideront à chasser de l'esprit des masses les anciennes préventions.

11 heures
Vous avez raison sur Gladstone. C'est bien dommage que des gens d’esprit et d’honnêtes gens soient ainsi des sots. Adieu, adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Lundi le 29 septembre 1851

J’ai vu toute l’Europe hier soir mais pas de France du tout. Pas un échantillon. Les Normanby sont revenus engraissés, joufflus & de très belle humeur. Il dit que dans tout le midi on ne connaît que le Président. Il a beaucoup vu là M. Royer, qui s’est dit parfaitement autorisé à tenir le langage de sa lettre. Normanby lui a montré le premier la fameuse lettre de Thiers, il en été abasourdi. [Noailles] n'a pas vu Thiers. Byng dit que Thiers se croit menacé d’être mis à Vincennes. Aujourd’hui le Président vient en ville pour un conseil de ministres. Il fait cela une fois la semaine, une autre fois c’est les Ministres qui vont à St Cloud. Il voit Normanby aujourd’hui.
La Princesse Menschikoff qui voit Thiers, beaucoup, me dit qu’il était, il y a quatre jours encore très inquiet d'un coup d’État. Personne n'y croit aujourd’hui. Je n'ai rien absolument à vous dire. Je suis bien aise que votre fille aille à Rome. C'est une idée heureuse. Elle y aura l’esprit bien agréablement occupé & quant à l'air, il n y a rien de mieux. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 28 Sept. 1851

Je ne puis croire que l'Impératrice ne veuille pas ou ne puisse pas faire avoir un passeport à votre fils. Ce serait un argument trop fort en faveur du régime constitutionnel avec tous ses ennuis et ses dangers. Sans vanité, votre correspondance vaut bien un passeport, et je ne pense pas que le pouvoir absolu, pour se maintenir, ait besoin de pousser jusque là l’ingratitude. Encore passe l’ingratitude pour les services rendus ; mais l’ingratitude pour des plaisirs si souvent donnés ! Je ne pardonnerais pas celle-là.
Marion a raison de dire la vérité à Changarnier. Elle peut tout dire, et je suis sûr qu’elle dit très bien tout. Qu'elle lui demande donc un jour dans quelle position il serait aujourd’hui, s’il était resté tranquille et sans impatience, dans son poste de Général en Chef de l’armée de Paris, se tenant en dehors de toutes les querelles parlementaires, et uniquement attentif à être toujours le représentant et le défenseur de l’ordre, soit à l'Elysée, soit à l'Assemblée. Il serait. aujourd’hui, entre Louis Napoléon et le Prince de Joinville le candidat naturel et obligé du parti de l’ordre à la présidence, la seule et assurée ressource de la majorité et du public dans leur perplexité. Pour moi je ne me console pas qu'il ne se soit pas ménagé cette chance simple infaillible, et je n'espère pas qu'en glanant de tous côtes des débris de partis, il s'en refasse une qui en approche, de bien loin. Personne n'est plus noir que moi, dans ce moment-ci.
La déclaration du Général Magnan au Président ne m'étonne pas. La peur gagnera tout le monde. Mais le lendemain du jour où tout le monde a eu peur ne vaut pas mieux que la veille, et nous ne serons pas tirés d'embarras parce que le président y sera tombé.
La Duchesse de Marmier n'a pas le moindre crédit à Claremont, et ses paroles ne signifient absolument rien. Mais elle remplacera là Mad. Mollien qui en dit quelques fois de bonnes. Pas beaucoup plus efficaces, il est vrai. Cependant, je persiste à croire que les bonnes paroles valent mieux que les mauvaises. Je regrette donc Mad. Mollien à Claremont.
Ma fille est assez bien. Elle a un peu dormi. Il iront son mari et elle, passer l'hiver à Rome. La santé de son mari a besoin du midi, et les raisons qui venaient de l'enfant ne subsistant plus. Rome vaut mieux qu' Hyères. Ils partiront vers le milieu d'octobre.

10 heures et demie
Henriette vous remercie de vos paroles qui lui ont été au cœur. Et moi aussi. Elle supportera comme il faut les épreuves et j'espère que Dieu lui enverra encore des joies. Adieu, Adieu. Je reçois ce matin beaucoup de lettres et on m'attend pour la prière. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris dimanche 28 septembre 1851

J'ai vu Granville, plus questionneur que discoureur. Montebello qui avait reçu de M. Moulien une mauvaise lettre, mauvaise sur la fusion. Le Prince Paul très sourd, très malade, très anti Joinville. L'unanimité sur ce point est remarquable. Si on savait cela à Claremont il est impossible que cela ne fasse pas d’effet. J’ai vu les Delessert aussi. Madame, très vive dans le même sens. Tout le monde en critique sévère de Thiers. Pas de nouvelle de la journée. On est tranquille et on le restera probablement pendant le mois d’octobre.
Montebello part après demain pour Brest où il établit son fils dans la marine. De là il ira probablement rejoindre sa femme à Tours. On s'y transporte. Beauséjour n'a pas réussi. Je n’ai pas vu Dumon depuis jeudi. Il part le 10 octobre pour sa province. Adieu. Adieu.
Voici la lettre de Gladstone. Je l'ai relue. C'est un sot.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 27 Sept 1851

Le pasteur de Caen est arrivé hier soir. J'accompagnerai l'enfant ce matin au cimetière du village, à une demi-lieue d’ici. La mère est bien, quoique elle ait beaucoup de peine à dormir Le temps est beau aujourd’hui. Hier, il pleuvait et grêlait à torrents.
Bien certainement, l’une des plus grandes difficultés du Gouvernement dans ce pays-ci et l'une des plus abondantes sources de nos maux, c'est l’horreur qu’ont les hommes considérables pour se dire mutuellement la vérité. Le courage de nous déplaire, les uns aux autres nous manque tout-à-fait. Que de fausses espérances et de fausses démarches on supprimerait si on supprimait la moitié seulement des réticences et des silences ! Presque tous nos embarras avec Changarnier, et une bonne partie de ses embarras à lui viennent de là. On ne les fera pas disparaître, en se traitant de grand capitaine et grand orateur. Je suppose qu’entre les légitimistes et dans le comité des douze, on n’est pas plus courageux que dans votre salon et que les embarras, les chimères et les hésitations continueront dans cet interview-là comme par le passé et comme ailleurs.
Faites-moi la grâce de demander à M. de Hatzfeldt s’il sait quel est l’auteur d’une brochure intitulée. France et Europe ; six lettres tirées du portefeuille d’un homme politique, imprimée à Berlin en 1849, et qui m’est venue de là. Brochure très monarchique et très Prussienne, assez spirituelle quoique très confuse. Quatre des lettres sont adressées à moi, à M. Thiers, à M. de Nesselrode et au Ministère Manteuffel ; elles finissent par demander un congrés de souverains.

10 heures
Je n'ai que le temps de vous dire adieu. On se réunit dans mon Cabinet pour la prière commune. Adieu. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris samedi le 27 septembre 1851

Dites je vous en prie à votre fille ma vive & sincère sympathie, pour sa douleur. Un semblable malheur m’a frappé à son âge. Quand je me reporte à cette époque de ma vie je ne puis m'empêcher d'un grand remord de n'en avoir pas éprouvé un assez long chagrin. Que de fois depuis j’ai demandé à Dieu une fille, j’ai pleuré cette fille. Pauvre enfant, heureux enfant sans doute. Henriette a plus que je n’avais alors ces sentiments religieux qui font supporter avec douceur les volontés de Dieu, les peines qu'il vous envoie. Elle a plus que moi aussi la réflexion. Marion me prie de vous dire et à votre fille sa plus tendre sympathie. Elle est vraiment touchée de votre affliction.
J’ai vu hier apparaître Bulwer vraiment comme un ghost. Quelle mine ! Il passera sans doute l'hiver à Paris. Les Ministres lui ont fait mille éloges flatteurs, mais Palmerston a été froid. Il demande un autre poste. On ne le lui promet pas. Il ne veut pas retourner en Amérique, & comme je doute qu'on s'emploie en Europe, je suppose qu’il demandera sa pension de retraite. Pacha est venu aussi, on débarquait. Il est nouveau à Pétersbourg & va s’y rendre. Il a voulu tout de suite démentir le bruit qui avait couru qu’il était chargé de négocier un mariage pour le Président, il dit qu'il n'y a pas un mot de vrai. Il parle tristement de son pays. Les septembristes vont tout à l’heure être les maîtres. L'armée est complètement indisciplinée, perdue.
Fould est venu le soir, il y avait du monde nous n’avons pas pu causer. Son dire général est toujours une grande confiance dans le succès & assez de mépris pour tout autre concurrent. Montebello est revenu de Chalons disant que dans la Marne le mouvement napoléonien est irrésistible, unanime. Grande défaveur pour Joinville. Il a causé très longuement avec Léon Faucher, sur les élections d’abord, il lui a dit que le mot d’ordre du [gouvernement] devrait être de voter pour les 446 qui ont formé la majorité pour la révision, & ne pas s’inquiéter de tel ou tel parti. Ceci serait le mot de ralliement. Léon Faucher a gouté cela. On a parlé ensuite de la prorogation. & Léon Faucher a dit que le Président ne l’accepterait certainement pas des mains de l’Assemblée seule, qu’il lui fallait le suffrage du pays. Je trouve qu'il a raison.
Palmerston a fait un bon discours, et habile ; avec de la malice pour n’en pas perdre l'habitude. Comment trouvez-vous la réponse du [gouvernement] napolitain à Gladstone ? Je n’ai pas lu encore. Adieu. Adieu.

Auteurs : Noailles, Paul de (1802-1885)

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 26 septembre 1851

Je suis bien triste de votre lettre. Votre pauvre fille me fait une grande peine. On m’a dit hier de deux très bonnes sources 1° que le général Magnan a déclaré au Président qu'il ne devait pas compter sur lui pour un coup d'État. 2° que le Président a fait passer de l’argent en Angleterre. Les propos hier soir n'étaient pas bons.
La duchesse de Marnier part après demain pour son service à Claremont, toute radieuse des excellentes nouvelles de sa province, le Doubs, je crois, pour la candidature Joinville. On cite des lettres de M. de Montalembert dans le même sens, (du fait, pas de la joie.) Thiers a dit hier matin à la Princesse Menchikoff chez qui il va tous les jours. “ Le comte de Chambord est impossible, jamais la France ne l’acceptera. La tentation Joinville n’est pas sûre, mais il faut la tenter, elle a beaucoup de chances, c'est la seule façon de retrouver la monarchie. Mais je conviens que si elle échoue le Prince est perdu & la Monarchie aussi. "
Dumon est revenu charmé de sa journée à Champlatreux. Hatzfeld trouve assez naturel que le Prince de Joinville laisse l'espoir qu'il prêtera serment à la République puisque c'est la seule façon de gagner les votes de la montagne dans la [proposition] Creton. Cette affaire-là se présente tous les jours comme plus graves. On croit beaucoup qu’elle passera dans le public. Le sobriquet de sourd donne de l’intérêt, un petit nom tendre. Je vous répète le bavardage. Et si on bavarde à présent qu’est-ce que ce sera dans quarante jours ?
Changarnier a dit à Marion que dans 15 jours il saurait quelles sont ses propres chances. A propos elle a eu avec lui les scènes les plus drôles. Elle s’est [montrée] soucieuse de ce que vous me dites. Mon pauvre fils attend encore. Il venait d'envoyer ma lettre à Orloff. Les apparences étaient mauvaises au dire du [gouverneur] de la Province le Prince Souvoroff. Vitet est venu me voir hier matin. Spirituel & très perplexe, qui ne l’est pas ? Adieu. Adieu.
Brougham a dîné hier chez Thiers avec Changarnier. Très Présidentielle, mais elle lui a promis de devenir très Changarnier, si lorsqu'il sera président, elle le voit accablé d’injustices & de calomnies, elle sera alors son Don Quichotte enragé. Ceci a fait prendre feu au général et pendant une heure il a harangué avec passion et éloquence. Elle vous amuserait bien, si elle vous racontait cela. Elle est fort drôle. Mad. Rothschild est venue me voir hier pour me la ramener fort engraissée & fort gaie. Gladstone est un fou. Je vous renverrai sa lettre & j’aurais [...]

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 25 septembre Jeudi 1851

J’ai vu hier matin Richard, Metternich et Brougham. Celui-ci me racontait. les fureurs du duc de [Wellington]. A propos de [Lady G. Faxe]. Il a déclaré que si quelqu’un s’avisait de lui parler de cette affaire. Il lui passerait son épée par le corps. Brougham s’est bien gardé de lui en parler. Richard m’a raconté les triomphes de son père partout. Il en est bien touché.
Le soir Changarnier & Berryer. Longtemps seuls à nous trois. Cela n'était pas commode du tout. Aucune sincérité. Grand orateur, grand capitaine, on s’envoyait cela à la figure, et des mots couverts. J’ai été plus franche et deux fois j’ai montré mes préférences pour le Président. Le duc de Berryer était qu'il fallait à la fois écarter les deux concurrents princiers, cela plaisait parfaitement. Changarnier, cela m’a paru à moi ou une bassesse ou une sottise. Ces deux messieurs ne se sont pas dit un mot à part. Berryer est parti le premier. Changarnier avait quitté Ferrières pour un rendez-vous à Paris avec le duc de Lévis. C'est pour cela aussi que Berryer était venu en ville.
J'ai une lettre de Molé aujourd’hui, sur le ton que vous connaissez. " Si le Président entendait ses véritables intérêts." & vous devinez le reste. Molé ne reviendra que pour le 1er novembre. Octobre va être encore bien vide à Paris. (Je crois que c’est le contraire qu'il fallait dire. C'est égal.) Le temps est redevenu bien beau. Je fais deux heures de promenade. Marion revient aujourd’hui. Changarnier est très frappé d’elle. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 25 Sept. 1851
4 heures

Ma petite fille est morte ce matin, deux heures après que je vous avais écrit. Sans souffrance ; elle s'est éteinte, plutôt par impossibilité de vivre que par maladie, à force de soins, on lui a donné quelques mois de vie ; mais les soins n'ont pas pu davantage. Sa mère est résignée, par soumission à Dieu et par courage naturel, mais très triste ; elle soignait son enfant avec une vigilance passionnée. Je ne crois pas que cela change rien à leur projet de passer l’hiver dans le midi. C’est surtout son mari qui en a besoin.
J’ai eu ce matin vos deux lettres. Certainement tout cela est de la pitoyable conduite. Les légitimistes n'avaient pas et n'ont pas autre chose à faire que de soutenir le président tant qu'ils ne peuvent pas avoir la Monarchie par la fusion, et non seulement de le faire, mais de dire tout haut pourquoi ils le font. Mais ils veulent suivre leurs fantaisies comme s'ils étaient assez forts pour les faire réussir. Tous les partis en France sont à la fois impuissants et intraitables. C’est un spectacle ridicule. Quelque grosse sottise passera à travers tout cela, et elle aura son temps même son temps de triomphe comme toutes les sottises. Puis elle tombera, en ayant aggravé le mal général.
Je suis très triste et très décidé à ne mettre la main dans aucune sottise. Je suis tombé. Si je ne puis pas me relever à ma satisfaction, je resterai à la place où je suis tombé.
Vous ne lisez pas le Messager. Celui qui m'est arrivé ce matin contient un grand article évidemment inspiré par Thiers sur les conférences de Champlâtreux. J'en suis toujours. L'article a l’air fait pour la présidence de Changarnier. Au fond, il laisse le choix entre le Prince de Joinville et Changarnier. Et ce choix restera ouvert jusqu'au dernier moment. Changarnier a son parti pris de n'en prendre aucun et d'être, soit en premier, soit en second, le restaurateur de n'importe laquelle des deux monarchies.
Le propos de M. Carlier, sur de nouvelles élections m'étonne. Ils ont, ce me semble plus à redouter la proposition Créton, et le vote des lois pénales contre la réélection que des élections nouvelles. Mais ils savent sans doute mieux que moi où ils en sont.

Vendredi 26 7 heures
Je me lève. La plus petite et la plus obscure mort est solennelle. Tant que cette pauvre enfant est là, toute la maison lui appartient, et n'est que son tombeau. J’ai écrit à Caen pour faire venir le Pasteur Prostestant qui réside là. Nous n'en avons pas de plus rapproché. Il arrivera ce soir ou demain matin. L’enterrement se fera demain. C’est un grand isolement, et quelques fois un grand embarras, que de n'être pas de la religion générale du pays qu'on habite. Je n’ai nul embarras ; tout mon village, y compris le Curé, est très bienveillant pour moi et se prête avec coeur à tout. Mais l'isolement subsiste toujours.

Onze heures
Votre lettre est intéressante. Et le trio a dû l'être. Vous avez bien raison de dire tout haut votre sentiment. Adieu. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 25 sept. 1851

Ma petite fille est bien malade. J’ai cru hier qu’elle ne passerait pas la journée, et je la trouve plus mal ce matin qu'hier. Elle a passé une mauvaise nuit. Je m'étonne toujours de ce qu’il y a de force dans la créature la plus faible. Pauvre petite enfant ! Entrevoir à peine le jour de la vie ! Dieu sait ce qu’elle y trouverait, si elle y restait. Sa mère a beaucoup de piété et de courage.
Voici la lettre de Gladstone. Ne la laissez pas circuler, je vous prie et veuillez me la renvoyer de manière à ce que je l'aie lundi ou mardi. C’est d’un très bon et honnête homme et d’un esprit très peu politique, gouverné par ses impressions, sans penser aux conséquences de ses actions. Evidemment la lettre de Fortunato a redoublé sa colère et déterminé sa publication, sans plus attendre. Par fidélité à mon optimisme, je penche à croire qu’il sortira de cet incident deux leçons pas tout à fait inutiles : l'une, pour les hommes comme Gladstone et le public lui-même qui ne croiront plus si aisément ce qu'on leur dira ; l'autre, pour le gouvernement Napolitain qui regardera, un peu plus attentive ment à ses prisons et à ses procès.
Vous ne lisez ni la Presse, ni la Gazette de France, ni l’Univers. Ce dernier, M. Veuillot, fait depuis quelques jours aux deux autres, à M. Emile de Girardin et à M. Lourdoueix personnellement, une guerre excellente ; guerre de moraliste-confesseur plus que de journaliste ; et juge leur conduite et leurs idées avec une justice impartiale et rieuse, et une compassion sévère et moqueuse qui ne se rencontrent guère dans ce monde-là. Ce temps-ci pourrait bien devenir un temps de vraie justice envers les personnes et s'il se prolongeait un peu, bien peu de coquins et de fous en sortiraient sans avoir été réduits à leur juste valeur. Quand ils n'ont pas devant eux un gouvernement assez gros pour qu'ils concentrent tous leur feu sur lui, ils tirent les uns sur les autres et ils se mettent en pièces. C’est notre seul profit.
Voilà l'affaire de Cuba bien finie. Le Général La Concha s’est fait honneur. Il y a un grand fonds d’énergie et de dévouement dans cette race Espagnole, S'il lui arrivait un jour d'être bien gouvernée, elle ferait encore de bien grandes choses. Il est vrai que les bons gouvernements selon nos idées actuelles, sont des gouvernements pondérés, et réguliers, qui ne vont pas au caractère espagnol.

10 heures
Le médecin vient d'arriver. L'enfant est très mal. Il ne passera probablement pas la journée. Adieu, Adieu. Je retourne auprès de la mère. Merci de vos soins pour l'adresse de Montalembert. Si vous ne la trouvez pas, j'enverrai à l’un de ses amis. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 24 septembre 1851

Hier matin F. Byng. le duc de Noailles. G. Delessert, celui-ci bien triste, bien affecté. Très contre Joinville. Byng ditto. Du reste sur les affaires anglaises un peu de l’avis de la personne à qui il parle. Le duc de Noailles de fort mauvaise humeur, cela est plus saillant que la tristesse. Il venait causer avec le duc de Lévis qui part aujourd’hui pour Frohsdorf comme Molé, Noailles est pour le coup d’Etat. C’est superbe et facile à l’entendre parler. Seulement... Il faut que le Président le fasse seul, personne n’en veut partager la responsabilité. C’est commode. Il ne faut pas dire après cela que c'est le Président qui manque de courage. Les Légitimistes voteront tous contre la [proposition] Créton, mais après si elle est rejetée il leur sera difficile de ne pas voter les lois pénales, ils les voteront donc sous condition expresse qu’elles s'appliquent à Joinville. Le duc Rollin, tous les candidats inconstitutionnels. Voilà donc tout le monde écarté. Alors quoi ? Changarnier. Et Changarnier pour qui est-il ? Tout cela est de la pitoyable conduite. Dumon me disait hier soir que Paul de Ségur arrive de Claremont. La Candidature semble décidée. Le duc d’Aumale est de cet avis. Il est allé à Eisenach. M. A. Bertin finira par appuyer Joinville quoique ce ne soit pas tout-à-fait son goût.
Je regrette que vous ayez quitté Broglie. Il me semble que vous y étiez utile. Mes yeux ne vont pas bien. Voilà mon souci actuel. Marion ne revient que demain. Adieu. Adieu.

Dumon est allé passer la journée à Champlatreux. Montebello revient de Chalons demain. J’ai rencontré hier le Président très triste. Il suivait tout pensif le chemin de St Cloud. Il ne manquait rien. Le cheval se conformait à sa triste pensée. Je trouve comme vous l’article sur la vicomtesse trop, & même beaucoup trop. Vitet ne vient jamais. Je lui fais cependant parvenir des agaceries. À propos, j’ai parlé moi-même au concierge de Montalembert. On ne sait pas son adresse. Pas un de ses gens n'est à Paris. Où demander. Je demanderai cependant encore.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 24 Sept 1851

J’ai trouvé, en y rentrant, ma maison assez triste. Ma petite fille est de nouveau très souffrante des entrailles et mon gendre souffre toujours d’une névralgie faciale obstinée. J’espère qu'un climat chaud et sec fera du bien à ces deux santés. Les médecins disent qu'ils en sont convaincus.
Je viens de parcourir ceux de mes journaux qu’on ne reçoit pas à Broglie, entr'autres le Pays. Certainement M. de Lamartine travaille à être le Ministre du Président forcé de se rapprocher du parti républicain. Sa réprimande à M. de la Guéronnière, n’est qu'un jeu convenu et il n'est pas, au fond hostile à la réélection du Président. M. de Lamartine aurait peut-être, dans cette visée, quelques chances de succès, si les partis monarchiques s'obstinent à défendre absolument, et sans admettre aucune transaction, la loi du 31 Mai. Mais cela n’est pas, et d'après mes conversations de Broglie, on est bien près de s’entendre pour modifier cette loi de manière à contenter les légitimistes sans contenter la Montagne. C'est là le problème si la modification proposée est vivement combattue à gauche et acceptée à droite, elle sera bonne, et facilitera beaucoup les élections prochaines. Il me paraît que c’est M. Léon Faucher, qui est encore l'opposant à cette modification. On se promet qu'il se rendra.
Je reviens sur M. de Chasseloup. Broglie croit que, politiquement, c’est lui qui a le plus d'intelligence, parmi les ministres actuels, et qui donne les meilleurs conseils. J’attends la poste sans impatience ; elle ne m’apportera rien de vous ce matin ; votre lettre aura été à Broglie. Je n’ai pas été à temps de vous avertir que je revenais ici sur le champ.

11 heures
La poste m’apporte une longue lettre de Gladstone que je vous enverrai. Je l'ai à peine parcourue. D’une grande candeur et modeste, mais ne changeant rien à ce que je pense du fond. Il met avec soin Lord Aberdeen, en dehors de sa publication.
Je trouve dans le Messager de l'Assemblée, un article qui n’est pas sans importance, pour la fusion et contre la candidature de Louis Napoléon, par conséquent pour la candidature de Changarnier. S’il s’était conduit depuis 18 mois avec habileté et mesure, cela serait sérieux. L'entrevue du Roi de Naples et de l'Empereur d’Autriche serait bonne. Croit-on qu'elle ait lieu ? Adieu, adieu.
J’aimerai mieux la poste de demain que celle d'aujourd'hui ; elle m’apportera vos deux lettres à la fois. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie, Mardi 23 Sept 1851

Je retourne aujourd’hui au Val Richer. Ma fille Henriette n'a pu venir hier ; sa petite fille est de nouveau assez souffrante pour qu’elle n'ait pas voulu la quitter et son mari assez souffrant pour aimer mieux rester chez lui. Ils partiront pour Hières dans les premiers jours d'octobre. Je veux passer avec eux les derniers de septembre.
Je regrette de ne pas achever ici cette semaine ; la conversation y est bonne, et la mienne y est, je crois, utile. Le Duc de Broglie en toujours très sombre, toute solution un peu bonne lui paraît impossible. Personne n’est plus décidé pour le statu quo, sans rien espérer du temps.
Précisément hier il me parlait de Chasseloup comme vous m'en parlez. Il dit que dans son département, il fait très bien les affaires, et que son jugement et son conseil politique sont vraiment très intelligents et sensés. Je ne m'en étonne pas ; je le connaissais peu comme étant de l'opposition ; mais je l’avais entrevu spirituel.
Vous tirez en effet le meilleur parti possible du désert. Comme vous ne me dites guères plus rien des nerfs, et du sommeil, je suppose que cela va mieux. Ne m'en parlez pas. Je suis impatient de savoir Marion de retour. Je voudrais que vous causassiez un peu sérieusement avec M. Vitet. Il est peu empressé, et peu abondant à moins d'être bien à l'aise ; mais vous lui trouveriez beaucoup et du très bon esprit et du très agréable ; fin et naturel.
Je ne m'étonne pas du silence de Lord Brougham avec Lord Aberdeen. Les Anglais sont, les uns envers les autres, ou très brutaux ou très timides ; poussant à l'excès les ménagements jusqu'au jour où ils se donnent des coups de poing.

10 heures
Il n’y a absolument rien dans les journaux. Il me semble que les sévérités du jury pour l'Événement et la Presse font beaucoup d'effet. Adieu. Adieu. Comme je pars tout de suite après le déjeuner, je vais causer un peu avec Broglie. L'article des Débats sur la vicomtesse de Noailles est un peu trop. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 23 septembre 1851 Mardi

Personne ne sait me donner des nouvelles de M. de Montalembert. En sortant tantôt je passerai moi-même à sa porte pour m'en enquérir. Je ne pourrai vous mandez que demain si j’ai fait quelque découverte. M. Carlier a dit hier matin à un diplomate. " Nous allons bien mal. Si nous avions de nouvelles élections nous serions perdus. " Textuel. l’inquiétude commence à devenir générale. Qu’est-ce que ce sera vers Novembre ?
Jai vu hier soir [Glucesberg] entre autre. Son père est convalescent ils ne sont plus inquiets. On me dit que Thiers est engraissé et de très bonne, humeur. Boutonné quant à la candidature Joinville. Pas d’opinion. Il a passé chez moi hier, sans en trouver. M. Pougoulat /je crois que je dis bien / votera pour la rentrée. des Princes. On dit qu’une grande partie des Légitimistes fera comme lui. Le sort de cette cette proposition est fort douteux et le temps qui coule est à l’avantage de Joinville. Peut-on courir ce risque-là ? Mais les grands hommes se proclament / il n'y a que le petit homme qui soit ici, & il ne perd pas son temps. Dumon était noir hier. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie. Lundi 22 sept 1851

L’air de Morny est d'accord avec ce que m'écrit hier Mallac qui avait vu assez de monde et du monde Présidentiel. Vous savez que je n’ai jamais cru au coup d'Etat. Mallac me dit que ceux qui l’annonçaient pour le mois de septembre en parlent à présent pour la mi-octobre. Je persiste. C'est M. Fould qui dit vrai ; et des trois Puissances qui peuvent être appelées comme il vous l'a dit, à trancher le noeud Gordien quand on aura de nouveau débattu la révision, ce sera le pays qui en restera chargé. Des trois, c'est encore le pays qui est le plus Alexandre, quoiqu'il ne le soit guère. Je vous assure que lorsqu'on vit au milieu du pays même, on ne comprend ni comment il serait de nouveau fortement troublé, ni comment il échangerait le provisoire actuel contre un définitif quelconque. Le statu quo est partout, l'air en est plein ; on ne voit, on n'entend, on ne respire que cela ; le statu quo de l’ordre matériel et du gâchis politique. Il faudra qu’on se remue beaucoup à Paris pour surmonter cette immobilité générale.
Voici deux récits de Claremont, assez différents ; je vous les donne comme ils me viennent. " La colère est grande contre vous, à cause des articles du Times, dont on vous accuse. Néanmoins, je ne vois pas qu’on prenne un parti décisif ; on est aussi indécis dans la voie du mal que dans celle du bien on recule quand il s’agit de faire une démarche décisive. Je suis convaincu que l’attitude que vous avez prise si elle a excité de grandes colères, a eu du moins l'avantage de jeter du trouble dans les esprits et dans les consciences. "
"Je sais par un ecclésiastique Français (on me le nomme) que vous aurez vu peut-être à la chapelle de King-Street, que malgré le bruit fait par les journaux de votre conversation du 27, et, malgré les commentaires dont on l'a envenimé, le langage des différents membres de la famille royale n’a pas cessé d'être parfaitement convenable à votre égard, et qu'on vous regarde toujours comme le principal appui du principe monarchique en France. "
Je soupçonne que le bon ecclésiastique peut bien avoir été chargé de me faire arriver quelques bonnes paroles. Ne se brouiller avec personne, maxime royale. Du reste, c'est là, de l'histoire ancienne.
Voilà Kossuth et ses amis partis pour l'Amérique. J’en suis bien aise pour l’Autriche comme pour eux. Ils avaient, si je ne me trompe plus de moyens de nuire en prison à [Kut ?] que libres à Washington ; 2000 lieues de mer sont un puissant réfrigérant. Je suis curieux de tout ce qui se passe en Autriche. C'est le seul pays du continent qui me paraisse vraiment en train de guérison. J'ai grande envie de voir si ce sera en effet une guérison, et par quels remèdes.
Je vois que Kisseleff vient de perdre un frère. Je ne sais pas quelle est la mesure de son chagrin. En tout cas, soyez, je vous prie, assez bonne pour lui faire mon compliment de condoléance. Autre bonté que je vous redemande ; c’est de demander à Montebello ou à Vitet, quand vous les verrez, s’ils peuvent me donner l’adresse actuelle de Montalembert. Voici la lettre d’Ellice. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Mallac, Eloi (1809-1876)

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris lundi le 22 septembre 1851

J’ai vu assez de monde hier soir, considering le désert. Les deux ministres, mes voisins & le corps diplomatique, & Lord Brougham qui avait déjeuné le matin à Walmart avec le duc de Wellington. Fould est toujours in good spirits. Chasseloup très sensé spirituel. Je n’avais jamais causé avec lui. J’ai trouvé sa manière bonne & le fond très raisonné & bien jugé du nouveau, il n'y en a point. Le Prince de Joinville écrit à beaucoup de marins, & certainement cette correspondance prouve la résolution d'accepter. Fould avait voulu faire un peu clandestinement le voyage ds cristal palace, je crois qu'il y renonce. Les Mouvements de bourse demandent à être surveillés.
Il regrette que vous reveniez si tard. Il est fâché que Molé ne soit pas ici. C'est vrai à la veille d'un si grand événement en revenir que le jour de la bataille, c’est peu prévoyant. Fagel avait vu le Président le matin. Il lui avait paru triste et lui a parlé sur ce ton. Montebello est allé à Châlons pour les commis agricoles. Il ne revient que jeudi. Brougham est en blâme d’Aberdeen comme nous. Mais il n’a pas fait comme nous, il n’a pas osé le lui dire. Ils se sont écrit sans toucher le sujet. Le prince Metternich est reçu triomphalement sur toute sa route dans le midi de l’Allemagne. Bade, Wurtemberg, la plus mauvaise partie. Il arrive aujourd'hui à Vienne. Je ne vois plus Hatzfeld que le matin, il est trop malade pour sortir le soir. Mécontent, triste & un peu noir. Très sensé. Marion ne me reviendra que jeudi. Adieu. Adieu. Comme vous dites-vrai sur Thiers & Ellice !

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 21 septembre 1851

J'ai vu hier Morny longtemps. Il venait une querelle, vous quereller de ce qu'on lui a redit qu’il ne voulait plus d’Assemblée. Ce n’est ni à vous, ni à moi qu'il l'a dit. Moi je l'ai deviné à son sourire, on n’est pas bien coupable de dire que Morny rit. Tout ce que cela me prouve c’est qu'il ne pense pas tout-à-fait ce qu’il pensait il y a trois semaines. Certainement il est plutôt sombre que gai. Il ne m’a rien dit que je puisse relever mais mon impression générale est du découragement. Il doit être raccommodé avec le Constitutionnel car il admire fort ses articles politiques. Il ne voit aucun moyen de compter sur le courage de l'Assemblée en supposant même qu'on se rapproche des hommes importants, ce à quoi on ne me paraît pas trop songer. J'ai manqué hier soir M. Fould.
Le samedi je suis en vacances. J’ai été le passer chez la jeune comtesse avec Ribeaupierre & Kisseleff. Aujourd’hui le temps est atroce. Montebello vient tous les jours. Sa femme l’inquiète mais c’est toujours la même chose. Je ne vois rien à ajouter à ma lettre. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie Dimanche 21 Sept 1851

Duchâtel m'écrit : " J'ai déjà causé, avec assez de monde et dans la Charente inférieure et dans la Gironde. Dans le premier de ces départements, on est Bona partiste, dans le second, j'ai trouvé plus de fusionnistes que je ne croyais. Mais dans tous les deux, la candidature Joinville peut produire plus d’ébranlement que je n’avais pensé. Nous ne pouvons, il est vrai, apprécier que les sentiments de la bourgeoisie qui seule parle politique ; mais dans une portion considérable de la bourgeoisie, la première impression est favorable à la candidature du Prince. La réflexion amène une réaction et en montre les inconvénients ; jusque là, l'expédient paraît commode et acceptable. Ce qui est certain c’est que la candidature du Président ne pourrait pas résister à des lois pénales rendues par l'assemblée ; il n’y a pas sur ce point, deux avis ; le dévouement ne va pas jusqu'à vouloir se compromettre avec la police correctionnelle. "
" On m’a beaucoup parlé et ici, et en Saintonge, de candidature pour les prochaines élections. J'ai ajourné toute réponse définitive ; le parti à prendre dépendra des circonstances. Il se formera dans la Gironde un comité fusionniste qui servira de négociateur autre les conservateurs et les légitimistes. Chacun veut réussir et chacun sent que le succès dépend de l’union. Ce sera ici le levier des élections. La position électorale de M. Molé est très compromise dans la Gironde, pour ne pas dire perdue. Cela ne tient pas à la politique, mais au peu de soin qu'on lui reproche d'avoir pris de ses commettants. Les gens de ce pays sont pleins d'amour propre ; ils ont adopté M. Molé sous la Constituante ; ils auraient voulu au moins une visite en retour. " C'est là tout.
La lettre d’Ellice m’a attristé et point surpris. Si l'Angleterre reste entre les mains de ses amis, ils la placeront décidément sur la pente qui mène où nous sommes. Un ancien radical, qui ne l’est plus du tout, Mrs. Austin me disait il y a trois semaines, à Weybridge : " S'il nous arrive une Chambre des Communes radicale, elle bouleversera de grand sang froid, mais de fond en comble, la société anglaise. " Et Lord John, si on le laisse faire, amènera une Chambre des communes radicale. Qui empêchera Lord John ? Je ne vois pas. Si je n’avais pas confiance dans le vieux bon sens, la vieille discipline et la vieille vertu de toute l'Angleterre, je serais très inquiet. Je le suis, malgré, ma confiance.
Quant à nos affaires à nous, Ellice répète Thiers, purement et simplement. Il est plus Thiers qu’Anglais, et il abandonne le Président. Thiers est un révolutionnaire encore en verve qui amuse un révolutionnaire blasé. Au fond de ces deux esprits-là, il y a toujours une grande aversion de toutes les supériorités et de tous les freins. Dès qu’il s’agit de rétablir vraiment l’ordre, ils rentrent dans le camp de la révolution et ils fomentent toutes les passions révolutionnaires, à tout risque. Leur situation est mauvaise car ils ne peuvent pas, quand ils ont fait une révolution rester longtemps les maîtres du gouvernement qu'elle a fait ; et ils sont obligés de recommencer. Mais notre situation à nous n'en est pas meilleure.
Je ne suis pas en disposition gaie. Je ne crains pourtant pas de grands bruits pour cet hiver. Je vous renverrai demain la lettre d'Ellice. Je suis bien aise que Marion vous revienne. Adieu. Adieu. G.

Auteurs : Mallac, Eloi (1809-1876)

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris samedi le 20 7bre 1851

Longue visite de Hatzfeld le matin. Très souffrant & très chagrin de l'être. Très sensé à discuter les chances. Il ne croit pas si facile d’écarter les lois pénales, si la [proposition] Creton est rejetée, les légitimistes tranquilles de ce côté, se retourneront de l’autre pour empêcher la réélection. Croyez-vous cela. On parle beau coup de discussions dans le camp légitimiste. Je ne sais rien, je n’ai pas revu le duc de Noailles.
La [duchesse] de Montebello va mieux. Le soir assez de monde et beaucoup de conversa tion sur l'unique sujet. Le nonce est inquiet en pensant que l’armée à Rome peut se trouver Dieu sait en quelles mains dans quelques mois. Je vous envoie Ellice sans presque l’avoir lu moi-même, mais cela me parait curieux, pour l'Angleterre. Renvoyez-moi cette lettre elle appartient à Marion qui ne l’a pas lue. Je ne lui en ai envoyé que la première partie à Ferrières. Elle y reste jusqu’à lundi. Il fait très froid ici. Adieu. Adieu.
J’ai dormi mais je suis mécontente. Ce sera un mauvais hiver. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie, Samedi 20 Sept 1851

Votre conversation est très intéressante, et, à tout prendre bonne. Il faut, en effet, épuiser jusqu'au bout les moyens d’entente et d'action commune avant d'en chercher d’autres. Pour que l'irrégularité soit admise, il faudra qu'elle soit comprise, et pour qu’elle soit comprise, il faudra qu’elle soit indispensable. Si la proposition Créton est rejetée, tout ce qui est bon sera possible.
Si toute la France était comme la Normandie, le bon résultat des élections ne serait pas douteux. La difficulté des légitimistes est réelle, même ici, car on ne les aime pas du tout ; mais on a du bon sens, et on leur fera leur part. Il y a cependant, dans ce département ci (l’Eure) un embarras. Salvandy et Hébert ; ils ont tous les deux, le dernier surtout, des amis chauds et assez nombreux qui voudraient les porter. Mais il faudrait écarter deux des députés actuels qui sont tous bons et ont tous voté la révision. Et si on laissait faire un trou, il y pourrait passer plus qu’on ne voudrait.
Le Duc de Broglie est donc pour le statu quo, local et général ; et d’après ce que je vois, c'est là, je crois ce qui prévaudra.
Je vois, par l'Indépendance Belge, que j'ai été il y a trois jours, à Champlâtreux, où Berryer est venu aussi. J'admire le soin avec lequel on me met tous les jours à toute sauce. Cela m'amuse à regarder du nid parfaitement tranquille où je vis. Vous avez sûrement entendu citer deux vers célèbres de Lucrèce qui disent : " Il est doux, quand la mer est grosse et que les vents soulèvent les flots, de contempler du rivage les rudes agitations d’autrui. " Ce sont les rudes agitations de mon propre nom que je contemple du rivage. Je le leur livre tant qu'ils voudront.
Il me paraît que les conseils d'arrondissement dans leur seconde session, se prononcent à peu près tous en faveur de la révision. Il sera bien difficile qu’un mouvement si général demeure sans résultat.
Soyez assez bonne pour dire au duc de Montebello combien je suis occupé de lui et de ses inquiétudes. J'espère qu’à mesure qu’elle s'éloignera du moment de ses couches, sa femme se remettra tout-à-fait.
La petite Princesse de Broglie est ici bien fatiguée de sa grossesse et un peu préoccupée de son extrême fatigue. Adieu, Adieu.
Je renvoie aujourd’hui mon ménage cadet au Val-Richer. L'aînée viendra me rejoindre ici après-demain et nous retournerons ensemble vendredi prochain, pour n'en plus bouger jusqu'à Paris. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris vendredi le 19 septembre 1851

J'ai vu hier M. Fould très longtemps. On ne songe pas à un coup d'État. Il serait sans aucune cause ni prétexte à présent. L'Assemblée se réunira. La [proposition] Creton sera rejetée. La loi pénale pour vote inconstitutionnel sera rejetée. La révision aura au moins la même majorité. Mais alors, le prétexte est trouvé. Devant tant de manifes tations du voeu public entravé par la minorité révolutionnaire, il faut faire. Qui fera ? C’est incertain. L’irrégularité sera commise de l’une ces trois manières : de concert avec l'Assemblée, sans l’Assemblée, ou par le pays. Pourquoi les légitimistes sont-ils si mal pour le Président ? Pourquoi un dédain dans leurs journaux ? Il est sensible aux bons comme aux mauvais procédés. Si on s'approche on sera accueillis. Très disposé à bien recevoir M. Molé moi, mais il faut que quelqu’un commence. (deux fois dans la conversation & sans aucune provocation de ma part) Le Président ne songe pas à se marier. Il n’a point, il n’aura point de dynastie. Il ne se fera pas empereur et l’avenir de la France y songe-t-il ? Henry V hériterait de lui. A part cela, la conversation a été bonne et sensée. Il est parfaitement sûr de son affaire. Le Président n’a qu’à attendre. On lui sait gré de sa patience. Joinville n’a pas de chances et en eut-il tant mieux car c’est cela qui rallie les hommes sensés au président. J’ai parlé de l’Assemblée prochaine, il n’a pas pris cela beaucoup au sérieux on ne peut pas recommencer ce mode de suffrages. C'est une loterie. On peut avoir une chambre rouge tout comme une bonne chambre. Le vote par arrondissement. Il faut revenir à cela. J’en conclus que le coup d’état qui doit se faire embrasserait cette question aussi. Je crois vous avoir répété l’essentiel.
Certainement toute la manière de Fould indiquerait de la tranquillité & de la confiance. Il regrette qu’il n’y ait pas de rencontres. Si on se parlait cela pourrait aller mieux. J'ai manqué hier le duc de Noailles. Je le regrette. Je suis inquiète de Montebello. Il n’est pas venu me voir, & je vois qu'il n'a pas été à la commission. Le voici qui m’a interrompue. Sa femme avait été mal. Elle va mieux j’ai dormi. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie. Vendredi 19 Sept. 1851

J'ai vos lettres ici trois heures plutôt qu’au Val Richer, presque en me levant. C'est très agréable. Vous n'aurez rien à faire, car il n'y aura pas de coup d'Etat. C'est l’impression qu'il est impossible de ne pas avoir en province. Le pays n'est pas du tout agité et assez peu effrayé ; il se croit sûr de se tirer d'affaire c’est-à-dire de battre les rouges et de maintenir l'ordre par les voies régulières. Et comme, il ne demande pas davantage, il ne comprendra pas qu'on fasse un coup d'Etat inutile pour avoir cela, et bon uniquement pour avoir autre chose, dont on ne se soucie pas du tout. Est-ce là du bon sens ou une folle imprévoyance ? Nous verrons. En attendant soyez sûre que hors de Paris, personne ne pense à un coup d'état, et que, s’il arrive ce sera un coup de tonnerre que personne ne comprendra et dont tout le monde aura peur.
Mauvais moment pour se marier. Il faut que le président attende Juin 1852, comme mes marchands de Lisieux pour faire leurs grandes commandes de toile et vous pour changer vos tapis. Selon moi, même après 1852, le Président aurait tort de se marier ; il en sera plus embarrassé qu'affermi. Garçon, tous les avenirs lui sont possibles ; marié, il n'en a plus qu’un ; il faut qu’il fonde une dynastie. Et bien des choses qu'on lui passe encore pas tout à fait, garçon, on ne les lui passera plus du tout, marié.
Je trouve comme vous, l'article de l'Assemblée nationale excellent, et très à propos. Tous les jours, j'ai plus de peine à me persuader que cette candidature aille jusqu'au bout. Une seule cause peut la maintenir ; les inventeurs y sont à présent fort compromis ; la retraite leur est difficile ; et le Prince dont iIs font leur instrument n’est guère en état de résister aux inventeurs, et de leur dire décidément un jour non.
J'ai des nouvelles indirectes, mais sûres de Claremont. On n'y est pas, ou du moins on n’y veut pas paraître d'aussi mauvaise humeur contre moi que le dit l’Indépendance belge. On parle très convenablement, même à des gens qui me sont tout-à-fait étrangers.
Avez-vous quelques notions un peu précises sur la teneur de la pièce adressée par la France et l'Angleterre aux Etats Unis à propos de Cuba ? Il se pourrait bien qu’elle fût à Washington, plus nuisible qu'utile. Cette démocratie est plus susceptible que les plus grands despotes, et beaucoup plus inconsidérée. Adieu.

Je me suis promené hier à propos. Tous les jours, j'ai plus de deux heures en calèche dans la forêt entendant de loin la chasse, et en attendant le résultat. Les chasseurs sont rentrés à 4 heures. Le temps est encore assez beau, quoique penchant vers le ciel d’automne.
En revenant de la forêt, j'ai passé une heure dans le Cabinet du Duc de Broglie qui n’était pas venu avec nous, étant très enrhumée. Bonne conversation. Il est très sensé, très décidé dans la bonne voie du moment et n'excluant point les bonnes voies d'avenir mais toujours très frappé de la profonde antipathie du pays pour les légitimistes : " La Reine Victoria est très populaire, très aimée, très honorée, très puissante. Croyez-vous qu’elle pût régner huit jours en Angleterre si elle était catholique ? " Voilà sa question. J'ai des réponses, mais des réponses à longue échéance. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie, Jeudi 18 Sept. 1851

Voilà vos deux lettres. Celle d’hier me convient, puisque vous avez dormi. Ne vous couchez-vous pas trop régulièrement à une heure trop constamment la même ? Peut-être feriez-vous bien de ne vous coucher que lorsque vous avez envie de dormir, tôt ou tard selon que l’envie de dormir vous vient. L’irrégularité est difficile à pratiquer systématiquement. Pourtant vous êtes bien maîtresse de votre temps et de vous-même. Le pire, c'est d'être dans son lit sans envie de dormir ; elle ne vient pas là ; il faut l’y porter.
J'espère que votre lettre à l'Impératrice fera l'affaire de votre fils Alexandre. Mais je persiste ; un état de choses où il faut faire mouvoir tant de ressorts et avec tant d’incertitude, pour avoir un passeport n'est pas de mon goût. J'aime mieux plus d’orages, et être libre d’aller et venir comme il me plaît, quelque temps qu’il fasse. Autre dissidence entre nous. Quand j'étais jeune, je faisais comme vous faites ; je méprisais beaucoup, et j'exprimais très haut mes mépris. Aujourd’hui non seulement je méprise moins haut, mais je suis moins prompt et moins dur dans mes mépris. Si je m'y laissais aller, ils iraient trop loin.
Je serais étonné si le Prince de Metternich était de votre avis sur l'article des Débats malgré le fracas assez ridicule qu’on y a fait de ses courriers et de son regain de crédit. Montebello aura parfaitement raison d'aller à Claremont avant le 4 novembre, et d’y dire ce qu’il y veut dire. Il a l’esprit aussi droit et aussi courageux que le cœur. On paye cela assez cher ; mais en définitive, cela vaut plus que cela ne coûte.
Je trouve qu'on meurt bien vite dans ce moment-ci. Un de mes amis du Calvados, membre éclairé et influent du conseil général vient de mourir subitement d’un anévrisme. Le Duc de Noailles fait vraiment une perte. Est-il capable de beaucoup d'affection et de chagrin ? Je lui écrirai un mot de condoléance.
La vie se passe ici fort tranquillement, et on me sait évidemment beaucoup de gré du mouvement que j'y apporte. Ils sont à merveille entre eux mais peu animés et peu expansifs. Le château a été plein hier de visiteurs. Aujourd’hui grande chasse dans la forêt pour les jeunes gens. Ils sont montés à cheval sous mes fenêtres à six heures et demie, pour aller courir un chevreuil.
La jeune Princesse de Broglie est très fatiguée de sa grossesse, maigrie et abattue. Désirant bien vivement une fille. Elle a trois petits garçons qu'elle élève bien. Aussi bonne de caractère que d’air. M. et Mme d’Haussonville viendront ici au mois d'octobre.
Le Duc de Broglie est comme vous sinon en principe, du moins en résultat. Vous êtes très président ; il est, lui, très résigné au Président, ne voyant ni mieux, ni aussi bien, ni autre chose. Tout le reste est intrigue et aventure. En attendant un grand événement, s’il est jamais possible, il ne faut avoir que des événements naturels et tranquilles. Je ne suis pas pressé que Lopez soit tué.
Autant vaudrait qu'on fût assez, et assez longtemps inquiet de cette affaire de Cuba pour qu'on en parlât un peu sérieusement et de concert, aux Etats-Unis. Adieu, Adieu. Dormez donc.... Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 18 septembre 1851

J'ai bien certainement adressé ma lettre Mardi comme vous me l’indiquez & comme je fais pour celle-ci. Mes lettres sont toujours mises dans la boîte à 2 1/2. Il n’y a pas de ma faute si vous ne les recevez pas. Voici une nouvelle de Lisbonne de la meilleure source quelqu'un du Palais. [?] est arrivé là chargé de négocier un mariage pour le Président avec la fille de Don Pedro. Vous savez que je vous ai toujours dit que c’était tout trouvé si le Prince Louis se mariait. Mais dans ce moment il n’a à offrir qu’un avenir très menacé. Le gouverne ment français avait donné à Païva une frégate à vapeur pour le mener a Lisbonne. J’ai vu hier soir Dumon Viel Castel & Ribeaupierre arrivés tout frais de Pétersbourg aimable homme.
Quel excellent article hier dans l'Assemblée nationale. Bien rigoureux, bien net. Le pauvre Montebello est inquiet de se femme. Ils sont à Beauséjour. La fièvre a repris de plus fort Voici Saint-Aulaire qui sort de chez moi. Il a vu du monde bien renseigné ce matin. On croit à un coup d'Etat immédiat, tout au moins se croit-on sûr qu’il arrivera avant la réunion de l’Assemblée. Ah mon dieu & moi que faire ? Adieu. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 17 septembre 1851

J’ai dormi cette nuit. Si je n’avais pas dormi je n’aurais plus été en état de vous écrire. Hier Rothschild, Kisseleff, Hubner, Mercier. Thiers a dit à celui-ci que le Président resterait probablement. Rothschild est bien orléaniste & il veut à tout prix sortir de la République. Il ne se dit rien de nouveau. J’ai rencontré hier le Président. Je l'ai salué avec empressement et respect. Il a bien répondu : “ Moi, je suis très pour le président.” Baroche a dit hier à Antonini que Sartiges lui mande que Lopez a été tué dans un combat et que cette nouvelle est un grand débarras pour le [gouvernement] américain. Quand on a appris en Angleterre que la France voulait soutenir Cuba, le langage, a changé & on marche comme la France. Je vous dis ce que me dit Antonini, c’est mon rapporteur. Montebello, ira je crois certainement à Claremont avant le 4 nov. Il veut aller dire que si on persiste, il votera contre la proposition Creton. Adieu. Adieu.
J'écris enfin à l’Impératrice au sujet de mon fils. Je perds patience et je [?] à elle. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie, Mercredi 17 Sept. 1851

Point de lettre de vous ce matin. Je suis pourtant bien sûr de vous avoir donné exactement cette adresse-ci en vous demandant de m'y écrire à partir d’hier mardi 16. Les déplacements entraînent toujours les ennuis. Il faut attendre à demain. Cela ne me plaît pas du tout.
Je trouve ici un accueil très affectueux, presque plus empressé que de coutume et une disposition bonne, quoiqu'un peu perplexe. Non pas perplexe quant au jugement et au langage ; la désapprobation de la candidature Joinville est ouverte et complète ; mais il y a tristesse d'être obligé de choisir et d’agir effectivement selon son jugement. Il ne croit pas à l'adoption de la proposition Créton. Sur les 300 membres de la réunion des Pyramides, l’Elysée en fera, dit-il, voter contre au moins 200. Non qu’ils soient vraiment Elyséens mais pour soutenir ce qui est et éviter les crises avec ces 200, les légitimistes et la portion de la Montagne qui n’entrera jamais, sur ceci, dans les menées de Thiers, le rejet de la proposition lui paraît plus que probable. Il ne sait rien de Claremont.
Auprès de lui, les auteurs de la candidature Joinville la présentent comme un moyen d'attendre la majorité du comte de Paris. Le Prince de Joinville prêterait effectivement serment et serait président pendant quatre ans. Broglie traite cela de pure chimère ; mais c'est là ce qu’on fait valoir quand on lui en parle.
Pas un mot encore sur les Correspondances du Times. Si le mot ne vient pas de lui même j'irai le chercher. Je ne veux pas des humeurs sous-entendues. Je vois par l’Indépendance Belge que je viens de lire, qu'on continue à exploiter ce thème. Vous savez que cela ne m'a jamais beaucoup touché ; cela me touche moins que jamais depuis le petit article des Débats. Désaveu suffisant, et assez méprisant.
Grande désapprobation ici de Gladstone. Grande crainte de la nouvelle réforme électorale que prépare Lord John. A tout prendre cependant, pas autant de découragement sur toutes choses qu’il en avait il y a quelques mois.
Moi qui désirais surtout aujourd’hui des nouvelles, de votre estomac, je n'en ai d'aucune sorte. C’est très contrariant. Adieu Adieu.
Salvandy m'écrit : " Le Duc de Montpensier m’a écrit il y a quelques jours, son frère étant auprès de lui, quand rien ne le provoquait et il me parle du sentiment avec lequel il m’a suivi, dans toutes mes courses, dans des termes qui doivent vouloir dire, si le Français est du Français, que les deux frères et au moins un sont de notre avis. " Le Français n’est plus du Français. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 16 septembre 1851 Mardi

Depuis minuit je n'ai pas dormi. Voilà une belle nuit ! Je suis accablée. Comment pouvez-vous penser que Metternich soit aise de l’article du [Journal] des Débats. Si quelque chose pouvait l’empêcher d’aller à Vienne ce serait cet article. C'est un bien mauvais service qu’on lui a rendu là. Il l’aura lu en route. C'est avant hier qu'il a dû quitter le Johannisberg.
Le duc de Noailles est venu hier chez moi tout éploré. Il se rendait à Mouchy de Maintenon où la nouvelle de la mort de la Vicomtesse est venue le trouver hier matin. Elle était morte subitement dans la nuit. C'est encore une perte. pour le parti, & un peu pour le monde. Montebello avait eu le matin par un voyageur des nouvelles curieuses de Claremont. Le prince de Joinville disant que si des troubles survenaient en France il répondait au Constitutionnel en allant en Bretagne planter son drapeau c.a. d. celui de Henry V. La Bretagne étant la province la plus légitimiste de France. Il dit encore qu'on se moque de lui ou qu'on l’offense quand on suppose qu'il puisse jamais accepter d'être président. Ceci vient d’excellente source. On se le redit avec précaution. Le Times effraie tout le monde. Qu’est-ce que c'est que vos Princes ? Je les tiens en grand mépris.
Je n’ai rien à vous dire. La journée s'est passée hier très bien. On avait cru à quelque chose. Le président a été très bien reçu partout. Adieu. Adieu. Voilà encore de l’Indépendance

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Lundi 15 sept 1851

Vous n'aurez aujourd’hui qu’une bien courte lettre. Je dîne à Lisieux. J’ai beaucoup de petites affaires à régler dans la matinée, partant demain pour Broglie. De plus, des épreuves à corriger et à renvoyer. Et pas grand chose à vous dire.
Je ne suis pas surpris du désespoir du duc de Noailles. Je l’y vois marcher depuis longtemps. Tout ceci est trop difficile et trop long. Il a raison dans ce qu’il dit qu'on ne fera rien que lorsqu'on aura vraiment peur, peur partout. La proposition Creton peut en effet amener cette peur-là. Si les meneurs en font tout ce qu’ils s’en promettent, elle nous lancera dans une nouvelle carrière d'événements et de révolutions. Nous recommencerons au lieu de finir. Aussi j’ai peur de cette affaire-là.
Vous ne lisez pas le journal le Pays. La République modérée est exactement dans la même situation, vis-à-vis du président, que les légitimistes. Elle se prépare à aller à lui pour échapper au Prince de Joinville. M. de Lamartine emploie tout ce qu’il a d’esprit à se préparer et à protester que non. Il cherche, à travers ce gâchis, une chance personnelle à poursuivre. Il ne la trouve pas ; la peur de l'Orléanisme le prend. Il revient autour du Président puis il recommence. Voilà la République ; Lamartine, Changarnier, qui sais-je ? Tous rêvent pour eux-mêmes le pouvoir souverain. Une alternative continuelle de rêve et d'impuissance.
L'article du Journal des Débats d'avant hier fera plaisir au Prince de Metternich. J’oublie ceci depuis quatre jours. Pouvez-vous me savoir l'adresse actuelle de M. de Montalembert ? J'ai besoin de lui écrire, et je ne sais où. M. de Mérode n’est probablement pas à Paris ; mais j’espère que Montebello pourra vous dire cette adresse.

11 heures
Puisque vous allez à Champlâtreux, vous y aurez vérifié ce qu’on m’écrit ce matin : " que M. Molé est fort inquiet de sa santé et qu’il a raison de l'être car M. Cloquet s'en inquiète aussi. " Adieu, Adieu. A demain une lettre moins courte. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris lundi le 15 septembre 1851

J'ai mené hier Kisseleff à [?] nous y avons passé deux heures. Je suis revenue dîner chez moi. J’ai trouvé très occupé de ce qui doit, ou de ce qui devrait se passer. S'il voyait le président voici le conseil qu'il lui donnerait. Une présence de cette multitude de partis incohérents voulant les uns une chose, les autres une autre, devant l'impossibilité de parvenir à s’entendre, lui le représentant de 6 millions se croit le devoir et le droit d’aviser & de sauver le pays et il le proclame.
La Constitution est suspendue, la France en état de siège. Il appelle à lui un ou deux représentants de chacun des partis honnêtes du pays. Et dans ce conseil intime on délibère et décide d'une autre forme de gouvernement et puis on l'impose au pays. Tout ceci demande des mesures vives. Ainsi, l’arrestation de tous les meneurs incommodes, [?] Cavaignac & Changarnier. Si le Président ne fait rien du tout, ou s'il fait tièdement, il est perdu et la France avec lui. Il ne faut pas risquer la proposition Creton. Voilà en gros & brutalement l’opinion de [?], je vous prie de ne point me compromettre ni lui. J'ai vu assez de monde hier soir mais je ne sais rien. On s’étonne bien de l’article sur l’Autriche & le Prince Metternich dans Le Journal des Débats. [?] au corsaire ou au charivari de parler de [?] qui arrivent solennellement, mais M. Bertin a vécu dans le monde.
Il n'y a pas un mot de vrai dans tout ce qui est relatif à Metternich, il va à Vienne parce que depuis longtemps il aurait pu le faire, mais il n'a pas été invité. Je suis bien contente de ce que dit le Times sur Gladstone. Morny a vu Mallak mais cela a été sans importance. Après mes insomnies, vient mon estomac. Un grand dérangement. Je n’ai pas de Médecin. Oliffe arrive enfin demain. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 14 sept. 1851

Ce que vous me dîtes du petit orage contre les Lettres du Times ne me surprend pas du tout. On veut le but ; mais on ne veut ni prendre la peine, ni courir le risque des moyens. Et dès qu’on découvre dans les moyens quelque imperfection un côté faible, on s'y rue et on s'enfuit par là, pour échapper à toute responsabilité. Les hommes ne sont ni plus conséquents, ni plus braves que cela ; je le sais depuis longtemps. Avant d'aller à Claremont, j'ai dit tout haut à bien des gens ce que j’y voulais dire. Quand je me suis trouvé dans le salon de la Reine, j'ai dit en grande partie, tout haut ce que j’avais dit que j’y dirais. Après en être sorti, j'ai redit tout haut, à bien des gens, ce que j'y avais dit. Quoi d'étonnant que tout cela se retrouve dans les lettres du correspondant du Times ? Je ne réponds pas des erreurs des confusions et des inconvenances qui s’y trouvent mêlées, et je ne regrette pas la publicité que reçoit ainsi ce qu’il y a de vrai, car je l'ai voulue. Pour mon propre honneur et pour le succès de la bonne cause qui a besoin qu'on fasse échouer la mauvaise. Voilà mon langage. Je n'en sortirai pas.
Je m'étonne aussi que le Duc de Noailles ne soit pas venu vous voir. On a raison de faire venir M. de Falloux. Soit dans l’intérieur du parti, soit dans ses relations extérieures, on ne peut pas se passer de lui. C’est bien dommage qu’il soit d’une si mauvaise santé.
Autre étonnement, c’est le gouvernement anglais donnant raison aux Américains à propos de Cuba. Valdegamas en est-il bien sûr ? La lettre d'Isturitz au Times m’a tout l’air au contraire d'être concertée avec Lord Palmerston. Si Valdegamas a raison, c’est certainement une grande hypocrisie et une grande platitude de Palmerston envers les Américains. Il ne veut pas contrarier là, le sentiment populaire et il n'agira en faveur de l’Espagne, que sous main. Les Etats-Unis sont une bien grande Puissance
Il faut que la garçonnade soit bien inhérente aux Français, car tous les partis en France, grands ou petits ont leur Gascon, qui même est quelquefois leur héros. M. de La Rochejaquelein est certainement le premier de tous. On me dit ici que sa réélection comme député, dans son département du Morbihan, n'est pas du tout certaine. Je serais bien surpris si, pour être président, il avait dans toute la France, 50,000 voix. Je ne sais rien d'une entrevue de Morny avec Mallac. Je n’y crois pas.

11 heures
Je suis charmé que vous ayez un peu mieux dormi. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris dimanche le 14 septembre 1851

J’ai vu hier Montebello. Kisselef ; le soir Dumon, Viel Castel, Antonini & Hubner. Celui-ci revenait de Champlatreux où je vais faire visite ce matin. Le Times est toujours un sujet de causerie. On ne me dit pas sur cela tout ce qu’on pense mais au fond on regrette qu'il y ait prétexte à vous attribuer les matériaux de ces articles. & tout ce ce que j’accorde c’est que vous avez peut être trop dit à des bavards. Je crois que la rancune sera longue à Claremont. Andral dit que le duc Decazes est perdu. Saint-Aulaire m’a dit l’autre jour tout le contraire.
Marion me manque et me manquera toute la semaine. Votre fille va être à Hyéres dans une grande solitude, mais le climat. est dit-on charmant. Pas de nouvelle du passeport cela m'inquiète tous les jours davantage. Adieu, vous voyez qu’aujourd’hui je suis maigre.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 13 septembre 1851

Le duc de Noailles est venu hier matin. Il ressemble parfaitement au duc de Broglie. “c'en est fait de la France. Nous périssons, seulement j’aime mieux périr avec le Président qu’avec le prince de Join ville " Voilà toute sa politique. On fait venir M. de Falloux. C'est l'homme utile & convenable si l’on peut faire quelque chose. Mais rien ne pourra être fait que lorsqu'on aura vraiment peur. Peur à l’Elysée, puis dans le camps légitimiste. Ce moment sera la proposition Creton. Si elle passe, ou alors les légitimistes se déclarent. Berryer passe à l’Elysée & dira pourquoi. Mais il faut que l’Elysée prenne en retour des engagements. Si la proposition est rejetée ou écartée, on restera comme on est. Des bruits de coup d’état ont circulé dans la journée. Cela vient de quelques déplacements de régiments. Mad. Royer qui est venue voir Marion était toute pleine de cela.
Le soir Dumon, Kisseleff, Antonini, Mercier. Rien de neuf. Marion me quitte aujourd’hui pour huit jours. D'abord chez les Royer & puis à Ferrières. J'ai un peu dormi cette nuit, mais cela ne va pas encore. Adieu. Adieu. C’est drôle, Barante.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Samedi 13 sept 1851

Je désire que le Président soit dans la disposition dans laquelle Hübner croit l'avoir vu. C'est, je pense, la meilleure, pour lui comme pour nous. Malgré l'éloquence de Barante, la candidature du Prince de Joinville ne me semble pas en progrès ; elle ne supporte pas d’être longtemps sur la scène. Je persiste à ne pas comprendre pourquoi on l’y a mise sitôt. Le calcul est bien faux ou l’étourderie bien grande. La colère de ses partisans est la meilleure preuve que j’ai frappé juste et à propos.
Merci des articles de l'Indépendance belge. Tout cela, c’est toujours du Thiers. Il a à lui le [Rogier], aussi bien que le [Rogier] et presque toutes ces correspondances, sont faites sous ses yeux et par son souffle. Le leading article, je crois, aussi bien que les correspondances. C'est de la politique du Rogier de Bruxelles, ministérielle plutôt que royale. Le Roi Léopold n'est jamais, si agressif, même quand au fond, il est décidé. Et je doute qu’il soit décidé. Nous verrons. Tout cela fait une grosse affaire. J’y ai pris la seule attitude qui me convienne. Advienne que pourra. Il y a un avantage à devenir vieux ; on tient plus à avoir raison et moins à réussir quoiqu'on aie moins de temps, pour attendre le succès.
Malgre les menaces de Changarnier, je ne crois guère à des luttes violentes au mois de mai. Si le vent souffle dans les voiles du président, les résistances annoncées seront balayées, avant de commencer, si le vent ne souffle pas, il y aura embarras pour tout le monde, mais non pas lutte déclarée. Voilà mes pronostics. Nous avons le temps d'y regarder et d'y penser.
Profitez-vous de cet admirable temps pour vous promener, et comment vous en trouvez-vous ? Le soleil ne nous quitte pas depuis huit jours, et la verdure est encore très fraîche. Mais l’air aussi est frais presque déjà froid. Je crois que ma fille aînée, son mari et son enfant iront passer l'hiver dans le midi probablement à Hyères. Leur médecin, le leur recommande fort, pour la santé, et de la petite fille qui est toujours délicate, et du père qui souffre d’une névralgie dans la tête, pour laquelle on dit que la chaleur est nécessaire. Mon autre ménage se porte à merveille.
C'est en effet une perte que la Duchesse de Maillé. Elle était très fusionniste avec le cœur franc, le verbe haut et une bonne maison, ou beaucoup de gens avaient coutume d'aller. Quand je verrai Mad. de Boigne, je lui dirai que sa belle soeur Mad d'Osmond devrait prendre la place de Mad de Maillé. Elle a toutes les conditions extérieures qui conviennent pour cela. Je ne sais si personnellement, elle y est très propre. J'en doute, quoiqu’elle ait de l’esprit. Si je ne me trompe, elle est fusionniste aussi.

11 heures
Votre mosaïque est très utile. C’est un miroir. Il faut savoir tout ce qui se dit même quand on n'en doit pas tenir compte. Mais écrivez-moi donc que vos nuits sont meilleures. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris vendredi le 12 septembre 1851

Saint-Aulaire est venu hier & Vitet & Montebello, voilà pour la matinée. Le soir je n’ai vu qu’Antonini tout seul. J’expédie d'abord celui-ci. Valdegamas avait dîné chez lui se louant extrêmement du gouvernement français qui met la flotte des Antilles aux ordres des gouverneurs de Cuba. Tandis que le gouvernement Anglais donne raison aux américains. Morny aurait eu une entrevue avec Mallat. Est-ce vrai ?
Ce que je sais c’est que Morny est à la chasse. Vitet était bien sombre. Si on ne convient de rien avant l'Assemblée, la gauche proposera les loix pénales contre les votes illégaux & il sera bien difficile de s'opposer. Changarnier pousser à ce vote tant qu’il peut. Comment entre l'Elysée & les légitimistes n’'y a t il pas quelque rapprochement ? Si cela était, tout pourrait aller. Je suis étonnée que le duc de Noailles ne soit pas venu me voir hier. Il passait la matinée en ville. J'ai oublié de vous dire qu'on a envoyé chercher Falloux. C'est Berryer qui me l’a dit. Montebello serait bien d'avis qu'on s’arrangeât avec le président. Saint-Aulaire croit savoir que le duc de Broglie est en grave blâme des lettres dans le Times. C'est un peu l’opinion de tout le monde. Barante dit que son département est très Joinvilliste.
Vous avez là tous les commérages que je sais. Marion a dîné hier chez Salomon Rothschild en famille avec Changarnier. Mad. (James] seule manquait elle est à [Ferrières]. Changarnier folâtre et disant à Marion qu’elle avait eu tort de nous quitter avant hier. Il n'a de secret pour personne. Sa politique est la plus nette dégagée de tout image. Il est monarchien, & veut un Roi. Il n’a pas dit lequel. Le ton de la maison était hostile à l’Elysée. La Rochejaquelein disait hier à Montebello que sa candidature, qu'il avait traité lui-même de plaisanterie devenait très sérieuse, & qu'il avait déjà au-delà de 600 m. voix ! Le duc de Lévis parle très mal de tout projet de rapprochement avec l’Elysée. Marion a vu hier matin M. Royer, très animé et se moquant beaucoup de Changarnier.
Mes nuits continuent à être mauvaises. Je n'ai pas à me plaindre d’autre chose. C'est bien assez. Le Prince Metternich trouve comme moi la lettre d'Aberdeen pitoyable. Marion est convaincu que Gladstone et peut-être même notre ami n'ont pas été fâché de se réhabiliter auprès des libéraux et de reprendre un peu de la popularité que leur avait fait perdre leur vote sur le bill Catholique. Elle pourrait bien avoir raison. Ma lettre est une vraie mosaïque on m’interrompt. Joaillier & tapissier. Je suis embarquée pour ma chambre à coucher. Il faut aller. Mais j’arrête pour les autres. On m’interrompt. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Vendredi 12 sept 1851

J'ai reçu hier une singulière lettre de Barante, un long plaidoyer en faveur de la candidature du Prince de Joinville. Le plaidoyer lui est, je le parie, venu de Claremont, par la voie des d’Houdetot. C'est une tentative indirecte pour me détourner de mon opposition. J’ai reconnu les raisonnements et presque les paroles de la conversation de Jarnac. On est de mon avis sur la fusion, seul dénouement qui n'aurait point le caractère révolutionnaire On me promet que de tous les présidents possibles, le Prince de Joinville sera le plus disposé et le plus propre à accomplir cette œuvre-là. On me fait observer qu'il ne peut s’y engager expressément, car il diminuerait beaucoup les chances de son élection, et peut-être même celles de la réussite du projet définitif. On espère que sa candidature n'appartiendra pas seulement " à ce funeste tiers-parti qui recommencerait, pour la servir, alliance des banquets. "
On se demande, et on me demande pourquoi les légitimistes, ne se joindraient pas à ce mouvement, dont ils feraient leur profit qui serait aussi le nôtre ; alors la fusion porterait de bons fruits et beaucoup de gens qui n’en sont pas viendraient s’y ranger. " En même temps qu'il me transmet ces arguments, Barante ne se soucie pas que je le prenne tout à fait pour une dupe, car il ajoute : " Ce ne sont point là mes espérances ; mais si j'en avais, elles s’attacheraient à cette branche de salut. "
Je me rappelle en ce moment que les Anisson aussi étaient à Claremont il y a quinze jours. La commission est probablement venue à Barante par cette voie-là. Je lui répondrai sérieusement et innocemment en lui expliquant bien pourquoi je suis convaincu que M. le Prince de Joinville, voulût-il la fusion, ne serait pas en état, s’il devenait président, de résister à Mad. la Duchesse d'Orléans, à Thiers et au courant révolutionnaire qui n’en voudraient pas.
Mes arguments ne réussiront pas mieux par la voie détournée qu’ils n'ont réussi par la voie directe, et que ceux qu'on m'envoie ainsi de nouveau ne réussissent auprès de moi. Mais on verra encore que je suis bien décidé, et que si on persiste, il faut se contenter d'être le candidat de ce funeste, Tiers-Parti recommençant l'alliance des Banquets.
Butenval a fait sa diplomatie avec vous. Adoucir l’Autriche quant au Piémont et l'inquiéter sur une explosion probable du reste de l'Italie. Petite manière d'avoir l'air de protéger un peu les pauvres libéraux Italiens. Je déplore la situation de la France en Italie. Elle n’y sert ni la cause de l'ordre européen, ni celle de sa propre influence. Elle pouvait tirer grand parti de l'expédition de Rome pour l'un et l’autre dessein. Elle ne fait que dépenser là son argent, pour une vaine apparence de pouvoir. C'est une politique aussi puérile que celle de Palmerston est perverse.

10 heures
Votre lettre est très intéressante et vous avez l’air moins fatiguée. Je vous vois quand je vous lis. Si la correspondance du Times, empêche Thiers d'aller à Londres, c’est un second service qu’elle rend.
Je suis trop loin pour prendre exactement la mesure de votre envie de renouveler vos meubles. Car votre envie est la seule bonne raison de ce renouvellement. Je ne crois point à un bouleversement, ni avant 52 ni au printemps de 52. Le péril à mon avis n’est pas grand, et si votre plaisir à avoir un meuble neuf doit être très vif, ayez un meuble neuf. Plaisir à part comme on ne peut pas dire qu’il n’y ait point de mauvaise chance du tout, et comme votre mobilier est encore fort convenable, il est plus sage d'attendre. Conclusion : si c'était moi j'attendrais. Pour vous, je ne puis pas décider ne sachant pas au juste quel plaisir vous aurez à regarder un meuble neuf ; et quel déplaisir à voir encore le vieux. Adieu, Adieu.
Mon adresse à Broglie sera : chez le Duc de Broglie à Broglie. Eure. Adressez-moi là votre lettre de Mardi 16, je ne partirai d’ici mardi qu'à midi. La poste de Lundi, me sera arrivée. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 11 septembre 1851 Jeudi

Je réponds à vos questions. Pas un de mes diplomates n'a encore vu Thiers, Marion seule l’a vu. Elle l'a trouvé engraissé de très bonne humeur. Ses femmes disent qu’elles veulent aller en Écosse. Lui a dit à Marion, qu’il ne s’en souciait pas, & il a joute, je ne veux pas que le Times raconte mes conversations. La vraisemblance est qu'il n’ira pas. Quant à Berryer je l’ai vu hier soir. Il arrivait de la campagne pour avoir aujourd’hui à midi une réunion avec ses ami Noailles & &. Après quoi il s’en retourne de suite à la campagne. Il doute de son voyage à Frohsdorf. Je crois qu’il ne le fera pas.
J'avais hier soir tous mes diplomates & Vieil Castel. Hubner avait eu la veille une audience d'une heure & demie chez le Président. Il en est sorti charmé. Il l’a trouvé plein de sens, & de convenance & d'esprit. Son impression est qu'il est en pleine confiance et sans aucun projet de coup d’état. Il a parlé de Joinville et ne croit pas à ses chances. Il faut l’une ou l’autre condition être légitime ou souverainement populaire. (C'est une autre expression dont il s’est servi, mais à peu près cela) il n’a pour lui ni l’un ni l’autre. Je retourne à Changarnier. Il s’est moqué selon sa coutume à peu près de tout le monde seulement en parlant de Molé il a dit, il ne faut pas que j'ai [?] car dans ce moment il est bien pour moi. Vous ai-je dit que je lui ai raconté la duchesse d'Orléans, se moquant des dîners fusionnistes, & disant Changarnier m’appartient ? Cela l’a piqué un peu et il m'a assez longuement raconté, qu’il ne devait rien aux Orléans.
Hatzfeld le matin. Il est malade et ne sort pas le soir. Il trouve insensé que je veuille me renouveler. Il croit à un hiver très agité mais tranquille dans la rue. Mais vers le premier de Mai si rien n’est décidé, il enverra sa femme en Angleterre, & il me conseille d’y aller alors. Croyez-vous cela vrai ? Voici mon affaire je crois. J’ai envie d’être propre, il n’y a pas assez de péril pour me refuser ce plaisir. Si je n’en avais pas envie, j’ai les meilleures raisons pour ajourner après la crise. Voyons décidez.
Vous aurez soin de me dire comment on adresse des lettres à Broglie. La Duchesse de Maillé est morte hier matin. On dit que c'est une perte. Elle était un centre, et une personne très utile. Montebello va s’établir demain avec sa femme à Beauséjour. Je suis très contente de votre lettre à Gladstone. Soyez tranquille, je n'en abuserai pas. Vous avez encore. été bien modéré. L’article dans l’Indépendance contre vous a fait de l’effet, ce n’est pas dans la correspondance de Paris mais le Leading article. Cela a l'air de venir de la cour. Je vous l’envoie pour le cas où vous ne l’ayez pas. et voici qui je découpe aussi une lettre de Paris sur ce même sujet qui est bien faite / & que je lis à l’instant. Adieu. Adieu

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 11 Sept 1851

J'ai passé hier ma matinée à Lisieux. 26 visites ! à la vérité, je n'en ai trouvé que six. Dans les villes de province comme à Paris la société est dispersée et court les champs. Ce n'est pas la peine de vous redire mes observations sur l'état des esprits. Je n’ai rien entendu de nouveau. J'arrive toujours à la même conclusion ; s'il ne survient point d'événement qui dérange la pente des choses, on élira une assemblée plus présidentielle que celle-ci, et puis on réélira le Président, dans la confiance que l'Assemblée couvrira l’inconstitutionnalité de sa ratification. Toutes les autres combinaisons, toutes les autres. prétentions sont en dehors du sentiment national. Il est vrai que, dans mon pauvre pays le sentiment national est bien souvent bafoué et foulé aux pieds. Il se venge ; mais cela ne le sauve pas.
Je travaille beaucoup. J'écris ma politique personnelle ; ce que j’ai cherché pour mon pays ; fragment de Mémoires personnels. Je veux avoir cela tout prêt, pour le publier au moment qui me conviendra. C’est un grand amusement et ce peut être un grand intérêt pour moi. Je crois que cela vous intéressera aussi. On peut très bien trouver la garantie qu’on cherche pour Changarnier. Je suis moins sûr, qu'elle lui convienne quand on l’aura trouvée.
Si Thiers va à Londres, c'est pour faire cesser les hésitations qui existent encore là, qui ont même augmenté, je crois, dans ces derniers temps, et qui empêchent toute conduite positive et publique. Or il n’y a que les conduites positives et publiques qui réussissent. Thiers ira quand le Duc d’Aumale y sera arrivé, pour être de la délibération de famille. Je ne crois pas qu'on lui résiste. Il fera adopter le plan de campagne qu’il proposera. Quel sera ce plan. C'est ce qu’il faudra savoir le plus tôt possible. Il y en avait eu un premier qui a été fort dérangé. Nous verrons ce qui adviendra du second.
Est-ce que personne à votre connaissance, ne parle d'aller aussi voir Madame la Duchesse d'Orléans à Eisenach ? Je n’entends plus parler du tout de Piscatory. Il ne m’a pas écrit depuis que je suis ici. J'en saurai peut-être quelque chose à Broglie. En tout cas je romprais moi-même le silence. Je ne veux, ni me brouiller avec un ami, ni me laisser boucher une fenêtre sur le camp ennemi. Avez-vous quelque certitude qu’il est en correspondance avec la Duchesse de Talleyrand ? Cela vaut la peine de le savoir sûrement. Je m'étonnerais que de la part de Palmerston, cette correspondance eût recommencé sans quelque intention. Il a à la fois beaucoup de premier mouvement et beaucoup de calcul. Et il peut avoir envie de s’entrouvrir, en tous sens des portes.

11 heures
Merci de votre longue lettre. Je vous remercierai bien plus encore quand vous me direz que vous vous sentez mieux. Voilà des visiteurs de Trouville qui viennent me demander à déjeuner. Hippolyte de La Rochefoucauld et cinq ou six Mallet, Labouchère & Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val RIcher Mercredi 10 Sept. 1851

Voici ma lettre à Gladstone. Si vous la montrez à quelqu'un, n'en laissez, je vous prie, prendre copie à personne. Je ne voudrais pas qu’en tout ou en partie elle vint à circuler. Ce serait un mauvais procédé envers un ami. Quant à Aberdeen, je lui envoie copie de ma lettre en même temps que l'original que je le prie de faire parvenir à M. Gladstone dont je ne sais pas l'adresse, et j’ajoute pour lui : " Je regrette vivement que M. Gladstone ait publié ces lettres et qu'elles vous soient adressées. Je regrette encore plus, s'il est possible qu’il n’ait pas eu la patience d'attendre la réponse du Prince de Schwartzemberg. Et pour tout vous dire, je regrette surtout que, lorsque vous avez vu qu’il ne voulait plus attendre vous n'ayiez pas cru pouvoir lui retirer l’autorisation d'associer votre nom à sa publication. Vous aviez pris, en écrivant au Prince de Schwartzemberg, le seul moyen efficace de faire porter remède, à ce qu’il peut y avoir de vrai dans les assertions de M. Gladstone. C'est grand dommage qu’il ait détruit lui-même, par sa précipitation, l'efficacité de ce moyen. Le bruit qu’il a fait ne le remplacera pas.” Je lui parle ensuite un peu de nos propres affaires. La nouvelle Lettre du Correspondant du Times insérée dans le Constitutionnel est curieuse. Il y a, ce me semble, moins d’erreurs que dans la première. C'est peut-être parce qu'elle parle de faits qui ne me sont pas personnels, et que j’ai seulement entendu conter. Les Régentistes de l'ordre sont furieux. Evidemment cela leur fait beaucoup de mal. N'avez-vous rien entendu dire de Thiers depuis qu’il est à Paris? Savez-vous si Berryer est effectivement parti pour Frohsdorff ? Je suis bien questionneur. La Gazette de France est contre Berryer, dans une vraie rage. Elle dit qu'il est allé chercher un blanc-seing pour le Triumvirat Guizot, Berryer et Falloux. Elle le compare à Cinna :
Et tu ferais pitié, même à ceux qu’elle irrite,
Si je t'abandonne à ton peu de mérite.

Ce qu’il y a de déplorable c’est que ces violences des Légitimistes pointus font tout, même aux Légitimistes modérés qui en sont l'objet. On prend toujours les pointus pour les vrais interprètes du parti. Je suis de plus en plus frappé de la méfiance et de l’antipathie du pays pour les Légitimistes. Ils ont absolument besoin d’une longue bonne conduite pour reprendre position, et nous avons nous-mêmes de grands soins à prendre pour les aider à revenir sur l'eau au lieu de nous noyer avec eux, ce qui arriverait infailliblement. Si nous nous laissions prendre par eux à bras le corps, et confondre avec eux comme quelques uns le voudraient.

Onze heures
Votre nervosité prolongée me déplait. Vous devriez voir [Chomel]. Je ne crois pas qu’il y ait rien de bien actif à vous faire ; mais peut- être un certain régime, bien suivi, vous calmerait sans vous affaiblir. Adieu, Adieu.
Je reçois un mot du Duc de Broglie. J’irai mardi prochain 16, pour dix ou douze jours. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 10 Septembre 1851

Hier M. de Buttenval, arrivé de Turin. Il est bien noir sur l’Italie. Pas le Piémont là cela va assez bien, & l'on se rapproche un peu de l’Autriche. Mais à Milan, à Florence à Rome, c’est aussi mal que possible. La compression autrichienne arrivée à sa dernière limite dans les deux premières villes. Une explosion, probable. Il ne sait rien sur Naples.
J’ai eu un long tête-à-tête hier soir avec le Général Changarnier. Il a beaucoup parlé et bredouillé, car vous savez que je ne saisis pas tout ce qu'il dit. Il s’est plaint des défiances, des maladresses, du manque d'ensemble dans le parti conservateur. On ne devait pas voter la révision, les départements n'ont été que les échos de la majorité. Elle est donc puissante. Elle pourrait donc faire mieux & autrement qu’elle ne fait. Sur la candidature Joinville il pense comme moi à peu près ; seulement il ne lui préfère pas comme moi le président. Il ne veut ni de l’un ni de l’autre. Et si c’était le Président nous aurions la guerre tout de suite. Il la ferait pour se soutenir. Cela faisait réponse l’indépendance est fort injurieuse pour vous au sujet des lettres sur Claremont.
Je vous écris vite et mal. J'ai les nerfs mal arrangés. Toujours de mauvaises nuits, toujours de l'agitation. Oliffe est revenu hier. Il me trouve changé et mon pouls aussi. Il dit que cela se remettre, mais je ne suis pas entrain de me remettre. J’avais fixé d’aller à Champlatreux aujourd’hui, j'y renonce C'est de la fatigue Adieu. Adieu. Adieu
On a fait hier l’opération à Decazes. Il ne va pas mal aujourd’hui !

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 9 Sept.1851

Je ne crois pas aux élections si prochaines qu'on vous l'a dit. Elles ne se feront certainement pas avant le mois de Janvier, car la seconde discussion sur la révision ne sera finie qu’en décembre ; et quand Janvier sera venu, on trouvera que le cœur de l’hiver ne convient pas pour faire voyager les électeurs. On attendra probablement jusqu'au mars sans inconvénient, ce me semble, tout ce qui importe, c’est que les deux élections ne soient pas simultanées, et que celle de l’assemblée précède l'autre.
J’ai eu hier la visite d’un des hommes les plus influents et les mieux informés de ce pays-ci. Il trouve que le progrès des idées et des sentiments sains est réel dans les masses, et que pour ces départements du moins il y a plus à espérer qu'à s'inquiéter de l'avenir. Il ajoute que pas un de ceux qui ont voté contre la révision ne sera réélu. Certainement la candidature du Prince de Joinville, qui n’avait pas fait grande fortune dans ce pays-ci, y est, quant à présent, en grand déclin.
Le Roi de Naples a raison de ne pas laisser tomber dans l'eau l’attaque brutale de Lord Palmerston, son annonce d'une réfutation officielle des Lettres de Gladstone n'est pas mal tournée, quoique trop longue et trop [ennuiellée] envers Palmerston lui-même. Trois résultats sortiront de cette affaire ; le Roi de Naples après s'être défendu, prendra quelques mesures, plus ou moins publiques et plus ou moins efficaces, pour que ses prisons et ses procès n'excitent plus de telles clameurs. Palmerston se sera mis de plus en plus dans les bonnes grâces des libéraux Italiens ; et Gladstone, en atteignant un peu son but philanthropique, aura fait grand tort à sa réputation de conduite et de bon sens. C'est l'honnête homme qui paiera les frais du service qu’il aura rendu. Par sa faute j'en conviens. J'ai commencé hier à lui écrire, et à Aberdeen aussi.
Je m'étonne que vous n'ayez pas revu Morny. On le dit bien préoccupé de ses propres affaires. Voilà le mouvement des Conseils Généraux complètement terminé. Il a dépassé l’attente des amis les plus sanguins de la révision. J’avais parié pour 70 consuls qui la voteraient ; il y en a 80.. Cela me touche surtout comme preuve de l'accord qui s'est maintenu entre les deux camps conservateurs. Je ne me préoccupe sérieusement que de cela. C'est cela qui fera le reste, puisque les Princes ne veulent pas le faire eux-mêmes.

10 heures
Adieu, Adieu. Vous ne me donnez rien à ajouter et je n'ai rien d'ailleurs. Je n'ai pas encore là mes journaux. J’ai plusieurs lettres à fermer. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 9 Septembre 1851 Mardi

Thiers est revenu en très belle humeur, il dit que le pays est bien plus démocratique qu’il ne l’avait cru, mais qu'il s'accommoderait très bien de la forme monarchique recouvrant le socialisme. Il va à Londres. Voilà ce qui m’a été dit hier de source à ce qu’il me paraît. Changarnier est bien animé. Plein de professions de dévouement à la bonne cause. Il met toute la gloire à la servir, mais il ne peut pas affecter cela sans compromettre son élection à la présidence sur laquelle il compte, à quoi il travaille, & qui servira au moins à diviser les voix. On veut lui imposer un certain engagement, obtenir quelque garantie, il est prêt à la donner, il faut inventer, chercher. L'Elysée semble disposé à se rapprocher de Molé, on dit même de Changarnier ; je vous redis ce qu'on me dit et tout cela est encore à l’état de symptômes. Je n’ai pas vu Changarnier. J’ai vu hier Mad. Decazes. Elle est convaincu que Joinville sera élu. Elle dit : " Pourquoi pas ? Ceci vaut mieux que 1830. On ne chasse personne. " On fait aujourd’hui l'opération de la peine au Duc Decazes. Il en a fort peur. Lord Granville est ici. Il est venu me voir hier. Spirituel & doux, & ne m’apprenant rien de nouveau.
Je ne me sens toujours pas bien. Pas de sommeil et très nervous. Adieu. Adieu. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 8 septembre Lundi

Votre lettre sur Aberdeen est excellente. Vous me direz ce que vous lui aurez dit. La mienne est partie, de la tristesse de la part [?] qu'il a à une mauvaise action. Votre observation sur le langage de Changarnier à la Commission me parait bien juste aussi, & neuve. Je ne l’ai entendu faire à personne. Je saurai des nouvelles de lui aujourd’hui.
Hier soir j’ai vu la diplomatie y compris le nonce et mon nouveau favori le Prince San Giacomo. Vraiment charmant. Rien de nouveau du tout. Paris est désert & ignorant. Le Président s’est établi à St Cloud pour la chasse. Constantin me mande qu'on est ravi des ordonnances autrichiennes. L’entrevue entre Le Roi de Prusse & l’empereur d'Autriche à [?] a réussi à merveille. J'écris aujourd’hui à l'Impératrice par une bonne occasion. Adieu ma lettre est pauvre. Je crois que je vaudrai mieux demain. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 8 Sept. 1851

Quand je me décide à poursuivre un but ou à faire une démarche, je prends en même temps mon parti des inconvénients du but, ou de la démarche ; il n’y a point d’action qui n'ait son péril et point de succès qui ne se paye.
Je ne veux pas de la candidature du Prince de Joinville ; je la trouve peu honorable et fatale. J'ai voulu qu'on sût mon avis à Claremont, et qu’on sût ailleurs que j’avais dit mon avis à Claremont. D'abord pour mon propre honneur, et pour la liberté de ma conduite, mais aussi pour influer, s'il est possible sur l'événement même et pour écarter ou faire échouer d'avance cette candidature. J’ai donc parlé tout haut à Claremont et partout.
La lettre du Times est pleine de méprises, d'omissions de confusions et d'incon venances ; mais le fond est vrai, et l'effet de la publicité de cette vérité est bon. Je ne m'en plains donc pas. Quand j’ai fait ce que j’ai fait, je savais bien que si je ne le faisais pas, d'autres ne le feraient pas. Je suis de ceux qui attaquent le mal et non pas de ceux qui se contentent de le critiquer. Soyez tranquille ; je ne serai pas brouillé avec Claremont pour cela. On y a certainement beaucoup d'humeur contre moi ; mais on ne se brouille pas parce qu'on a de l'humeur. Tous les Princes sont prudents. Et puis il y en a là qui m’approuvent, quoique je les embarrasse.
L'article du Constitutionnel sur les Débats est bien inopportun. Quand on veut réussir, il faut savoir se taire et être modeste dans le succès ; mais peu importe le succès aux journalistes. Ils sacrifient tout au plaisir de la vanterie et de la taquinerie. Énorme difficulté dans les affaires.
Mad la Duchesse d'Orléans a quitté Claremont avant que M. le Duc d’Aumale y fût arrivé. La délibération de famille ne sera donc pas complète ; il y manquera une grosse pièce. On ne donne pas ses pouvoirs indéfiniment en pareil cas. Je trouve ce voyage de Mad. la Duchesse d'Orléans assez singulier dans ce moment. Du reste ils peuvent rester encore indécis et silencieux. Elle sera sûrement de retour à Claremont au mois de Novembre. Je suis curieux de savoir si Thiers restera à Paris. Son journal l'Ordre devient bien violent contre les légitimistes et les fusionnistes.

10 heures
Je n'ai que le temps de fermer ma lettre. Je viens d'en écrire une très longue à Croker qui en avait besoin pour le L. R. Merci des détails que vous me donnez. Je suis bien aise que Changarnier aille à Champlâtreux avec Montebello. Adieu, adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Dimanche le 7 Septembre 1851

Plus j’y pense, plus je suis contente de ce que vous avez fait à Claremont. Comme cela a éclairé la situation ! & puisque vos princes sont de si pauvres gens, tant mieux que cela soit proclamé. Quelle mauvaise race et comme la bonne aura toujours raison de se défier d'eux.
Carlier a dit hier à [Kisseleff] qu'on a saisi surtout des papiers importants. L’affaire n’ira pas devant le jury. Elle sera jugée plus sommairement. La grande chose à présent c’est les élections. On les veut très prochaines. A la question si cela serait encore cette année, il y a eu doute à cause de mouvement de [communes] du nouvel an, mais certainement cela sera au mois de janvier. J’ai vu hier Hatzfeld, Dumon & Kisseleff. J’avais fermé ma porte aux autres. J’étais trop fatiguée. Hatzfeld est d’opinion que les arrestations sont un prélude. Le public ne s’est pas ému le moins du monde. On peut aller de l’avant & de degrés en degrés faire un coup d'Etat qui n’a pas l’inconvénient d’un coup de tonnerre. Je crois qu’on serait fâché à l’Elysée de voir la candidature Joinville tout à fait morte, car elle sert à effrayer les légitimistes et à les rapprocher de l'Elysée. Quant à nous autres nous sommes très décidément pour le Président. Il n'y a pas mieux, il n’y a pas si bien, il n'y a même personne.
Je n'ai plus entendu parler de Morny. La Redorte est parti depuis plusieurs jours. Je n'ai pas encore fait savoir à Changarnier mon retour. Je le ferai demain. Je vous ai dit qu'il va aujourd’hui à Champlatreux avec Montebello. Molé m'écrit pour me presser beaucoup d'aller le voir. J’irai dans la semaine mais pour quelques heures seulement. Comme vous dites bien sur Lamartine ! J'ai un peu dormi cette nuit, pas beaucoup. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 7 sept. 1851

Aberdeen et Gladstone ont fait chacun une faute peu anglaise. Evidemment Gladstone devait attendre pour publier, la réponse du Prince de Schwartzemberg puisqu'il l’avait provoquée ; et quand Aberdeen a vu que Gladstone voulait publier sans attendre, il devait lui refuser absolument l’usage de son nom. Gladstone a eu, pour lui-même, une impatience d'enfant, et Aberdeen a eu pour Gladstone une faiblesse d’amant. C’est très fâcheux, car évidemment aussi, si Gladstone avait attendu quelques jours de plus, la lettre de Schwartzemberg lui aurait donné, un commencement de satisfaction ; il n'aurait pas publié ses lettres ; Schwartzemberg aurait fait à Naples quelque démarche et obtenu quelques adoucissements. Il y aurait eu un peu de bien et point de bruit ; il y a beaucoup de bruit et point de bien. Je leur dirai quelque chose de cela à tous les deux. J’ai là deux excellents amis dont l’un n'a pas un jugement bien sûr, ni l’autre un caractère bien fort. Du reste la lettre d'Aberdeen m’a fait plaisir en ce sens qu'elle m'a prouvé qu’il avait sérieusement agi pour empêcher la publication, et que le Prince de Schwartzenberg l'avait sérieusement écouté. C'est bien dommage que la chose ait mal tourné ; Aberdeen y perdra de son crédit à Vienne et Schwarzenberg de sa bonne disposition.
Vous avez certainement répondu à Beauvale que le récit du Times était vrai. Il y a bien des méprises et des omissions ; mais peu importe l'effet est produit. Et à en juger par l'effet produit à Paris et sur les journaux, je ne serais pas étonné qu'à Claremont, il y eût aussi quelque effet par réaction, et que nous vissions faire là un mouvement de retraite analogue à celui des Débats. Celui-ci est excellent ; je connais les personnes ; elles hésiteront et tarderont beaucoup à se rengager si même elles se rengagent, ce dont je doute. Je craignais qu’il n’y ait là plus de parti pris d'Orléaniste, et plus de pique de journaliste. Pourvu que le Constitutionnel et autres ne les taquinent pas trop sur leur retraite. Beauvale est plus puritain que je ne croyais. C'eût été, de la part du Roi Louis Philippe, une vertue sublime de ne pas se tenir en mesure de profiter des fautes prévoyables de la branche aînée, et d'en accepter au contraire la solidarité, ainsi que celle de ses destinées. Car il n’y avait pas de milieu pour lui ; il fallait ou se distinguer nettement afin de pouvoir rester en France après les ordonnances de Juillet, ou se confondre absolument avec Charles X et émigrer de nouveau avec lui. L’alternative était dure ; et des Anglais qui trouvent très bon que Guillaume 3 se soit tenu si à part du Roi Jacques son beau-père et ait fini par le chasser lui-même n'ont pas le droit d'être si exigeants envers le roi Louis-Philippe. Ceci soit dit sans rien retrancher de ce que je pense et viens de dire à Claremont sur la conduite actuelle.
Je remercie Marion, après vous des deux copies. J'ai aussi de loin mes petits profits dans son séjour auprès de vous. Le langage de Changarnier à la Commission de permanence sur les réfugiés de Londres et le gouvernement anglais m'a frappé. Ce n'était pas à lui à mettre des bâtons, dans ces roues là, que les bâtons soient légitimes au non. [...]
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