Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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220 Baden jeudi le 18 juillet 1839, 2 heures

La poste de lundi de Paris n’est arrivé que tout à l'heure. C'est un accident arrivé à la voiture qui a causé ce retard. J'en ai été très alarmé. Mais voici votre lettre et je suis contente. Savez-vous que vos lettres sont bien prudentes. Vous me laissez beaucoup à deviner, et je ne connais au fond vos opinions sur rien. Ainsi pour parler du plus frais, trouvez-vous bon ou mauvais la commutation de la peine de Barbès ? Comment se porte le ministère ? Ces messieurs font-ils bon ménage ? Cela tiendra-t-il jusq'à la session ? Moi j’entends dire beaucoup que la gauche l'emporte, & que Thiers a des chances.
J'ai donné toute ma journée hier et ma matinée aujourd'hui à Lady Carlisle. C'est une bonne personne, un peu ennuyeuse. Elle vient de repartir. Sir John Couroy est arrivé à Bade. J’ai envie de le voir et de le faire parler, ce qui me réussit assez quand je veux. Voici ce que me dit mon frère : " Paul connait bien les lois. Il ne l’est occupé que de cela depuis son arrivée ici ; et parait très observateur des lois ! " " Voici la calcul de ce que la loi vous assigne. Cela a été discuté avec une précision scrupuleuse ! " Après avoir commenté les articles, mon frère trouvant que je suis riche, & que mes fils sont plus que riches, il poursuit : " Il serait inconvenant dans cette position de solliciter une pension du gouvernement. " Et me cite une grande dame dans ma situation qui l'a fait il y a quelques années et ajoute. " Cela a beaucoup déplu et elle a obtenu 10 000 rouble. Cette somme ne vous rendrait pas plus riche. " La question de déplaire ne me touche pas beaucoup, mais en effet je pense que je ne dirai plus un mot de cela, parce que cela m'ennuie. Ce n’est pas à moi à dire. Ces gens-là devraient faire ce qui est convenable sans que j’en parle. Il y a une chose que je regrette, c’est le plaisir de mettre dans l'embarras ou dans le tort. Voilà du mauvais cœur au fond la question n’est pas de savoir si j'ai besoin de cette pension ou non. Elle devait être donnée sans plus. Après cela savez-vous qu'il y a du plaisir à ne devoir rien à personne. J’aime mieux avoir à me venger d'une injustice. Il me semble que je vous parle un peu trop longuement de moi ; mais pour être franche j’ajouterai encore que j'ai hésité et que j'avais commencé une lettre à Orloff excessivement logique & bonne ; je l’ai laissée là. Mon frère fait des calculs très légers dans ce qu’il m'écrit et comme Pahlen part et que c'est mon frère qui va faire le reste, cela m’inquiète un peu. Ainsi il me parle de 400 mille francs da capital pour moi. Cela n'est pas possible. Ensuite il regarde comme éternels des revenus qui finissent dans 2 ans. Je serai obligée de relever tout cela, & de demander des explications, et puis on veut que je donne 355 paysans pour une rente de 9000 francs. Ils valent le double. Ensuite rien que la parole de mes fils comme garantie que la pension me serait payée. Ceci ne regarde que 21 000 fr par an, mais encore faudrait-il vérité. Enfin je prierai mon fière d’y faire attention et le style de sa lettre me prouve que cette observation ne l'étonnera pas. Mes fils auront à ce qu’ils me parait chacun 100 000 francs de rente. J'en suis bien aise. Ils n’ont pas besoin de moi, et de personne. Et cependant, s'ils avaient eu besoin de moi, j'aurais pu conserver des illusions ! Ah, tout est fini de ce côté !
Adieu, vous qui n'êtes pas une illusion, vous qui êtes ma seule vérité. Vérité que je chéris, que je désirais toute ma vie. Ecrivez-moi tous les jours. Vous allez être bien heureux au Val-Richer.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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221. Paris, mercredi soir 9 heures-19 Juillet 1839

Vous ne savez certainement pas qu'elle est la famille, la plus populaire de Paris, une famille que tout le peuple de Paris aime et admire. une famille de singes au Jardin du Roi ; vraie famille, père, mère, petits. L'autre jour, un passant leur a jeté un gâteau. Le père a voulu le prendre ; mais le grillage était trop serré ; sa patte n'a pu y passer. Il est allé chercher un de ses petits et l'a amené sur le lieu. Le petit a passé sa patte et pris le gâteau. Mais il l’a mangé. Le père a battu le petit, très battu. Le petit est allé rejoindre sa mère qui l’a consolé, caressé, amadoué, baigné dans leur petit bassin. Puis tout à coup elle a accouru vers le père, s'est ruée sur lui et l'abattu à son tour sans qu’il essayât de se défendre ; au grand applaudissement des spectateurs. Voilà l'histoire dont on vient d'amuser mon dîner. Vous voyez que je vous dis tout.
Je viens de voir, mon pauvre ami Baudrand encore repris d’un accès de rhumatisme goutteux. Il est dans son lit, très souffrant et tout aussi patient quoique fort impatienté. Dès qu’il en pourra sortir, on l'envoie aux eaux de Néris. Tout le monde va aux eaux. M. Molé est parti ce matin. Vous ai-je dit qu'il m'emmène mon petit médecin, celui que j'aime et qui vient voir mes enfants tous les deux jours ? Ce bon jeune homme, qui m'est très attaché, ne savait pas s’il pouvait décemment accepter cette mission. Il était tout près de s'y refuser. Je lui ai vivement recommandé la santé de M. Molé. Il ne peut pas lui souffrir la plus légère indisposition. M. de Montalivet va aussi à Plombières, pour la santé de sa femme qui est fort malade. M. Cousin aussi. Plombières aura son Cabinet.

Jeudi 9 heures
Je relis votre n° 216. Je ne veux de vos pauvres lettres tous les jours qu’autant que cela ne vous coûte pas, & ne vous fatigue pas. Ne faisons rien avec effort. Ainsi vous ne m'écrirez plus que tous les deux jours. J'en ferai autant. Et quand j'aurai quelque vraie nouvelle à vous dire ou quelque envie particulière de vous écrire, je ne me l’interdirais pas. Tous les deux jours, sera l'habitude. Et il y aura des œuvres de surérogation. J’ai mal dormi. Un gros orage est dans l’air. J'aimerais mieux qu’il tombât avant mon départ que pendant la route. L’atmosphère est aussi agitée que la politique est plate.

Midi
Pas de lettre de vous. Cela m'ennuie. D'autant que celle qui viendra demain ne me rejoindra qu'après demain au Val-Richer. J'en ai une de Madame de Talleyrand. Je n'admets pas la compensation. Pourtant elle me tranquillise sur le fond de votre santé de l'avis de votre médecin. Ce n’est pas tout pour moi, bien s'en faut ; je ne me contente pas de ce qui ne vous fait pas encore mourir, comme vous dîtes ; mais c’est le sine qua non. Malheureusement, pour le reste, je ne puis rien de loin.
Le Sultan est mort le 27 juin et non pas le 30. On a caché sa mort pendant trois jours. Nous croyons de plus en plus sinon à un Congrès ou à une conférence du moins à un concert Européen, dont Vienne serait le centre. Vous vous montrez moins éloignés de vous y prêter. On avait eu quelque envie d'avoir pour les fêtes de Juillet une grande revue de la garde nationale. On y renonce. Le goût de l’amnistie est moins répandu qu’en 1837. En 1836, on a supprimé, la revue de peur des assassins. Aujourd’hui autre cause même effet. Cela se dit en latin : similia e contrario. Mais ce n’est pas du latin diplomatique.
Pozzo est venu me voir hier. Je n’y étais pas. Je le regrette. Je ne sais comment je le retrouverai à mon retour. S'il ne met pas son estomac à un régime plus sévère, sa tête ne résistera pas. Savez-vous que l'Angleterre avait demandé l’occupation de Bassora par un corps de troupes anglaises, comme garantie de sa sûreté dans l’Inde ? La proposition a été écartée à Constantinople. Adieu.
Dans quelques heures, je serai sur la grande route, mais vers l'ouest et non vers l'est. Vous auriez beaucoup de choses à me dire que vous ne me dîtes pas. Et moi aussi. Adieu. Adieu G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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222 Du Val Richer, Samedi 20 Juillet 1839 9 heures

Je sors de mon lit. Je suis arrivé hier avec une grosse migraine. J’ai dormi stupidement et la migraine a disparu. Il fait très beau. Mes enfants sont ravis de me revoir. Mais je n’ai point de joies complètes sans vous, pas plus qu'avec vous. Voilà vos numéros 217 et 218. Je ne sais pourquoi je n’ai pas eu le premier avant-hier à Paris ! J’ai été deux jours sans lettres et point par votre faute. Outre le chagrin, il y a pour moi beaucoup d'étonnement quand un jour s’écoule sans que vous y ayez pris votre place. Je suis lente de dire comme Titus. Certainement, il n’aimait pas autant Bérénice. Ne soyez donc pas si près de la foudre. Je n'aime pas les dangers passés. Ils menacent.
Je suis charmé que vos arrangements de fortune soient conclus. J’attends le détail avec impatience ; mais je suis tranquille, puisque votre situation reste la même. J'en étais très, très préoccupé. Je ne me fie à personne chez vous et pour vous. Rien ne peut plus m'étonner de là, si ce n'est le bien. Que cette conclusion donne au moins à vos nerfs un peu de repos. Vous pourrez à présent régler d’une façon définitive le matériel de votre vie. Est-ce bien conclu ? Y a-t-il quelque chose de réglé pour le partage des meubles, tant ceux de Pétersbourg que le capital de Londres ? Tout sera-t-il bientôt effectivement exécuté ? Je vous demande là ce que vous me direz probablement demain. A demain aussi plusieurs petites choses que j’ai à vous dire. Le facteur me presse pour repartir.
Adieu. Adieu. Vous aurez été deux jours aussi sans lettres et celle-ci n'est rien. Continuez d’être mieux. Je vous le demande. Je vous en conjure et je vous l'ordonne. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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226 Du Val-Richer, Mardi 23 Juillet 1839 5 heures

Je viens d'avoir une minute très désagréable. Henriette s'est pincé le doigt dans une porte. Elle criait : " ouvrez-moi, ouvrez-moi !"" J’ai trouvé bien long le temps d’un saut jusqu'à la porte. Ce n’est rien. Elle en sera quitte pour une compresse d’extrait de Saturne pendant quelques heures ce que Madame de Talleyrand vous a fait mettre pour pareil accident. Je lui sais très bon gré de son courage (à Henriette) ; elle n’a pas pleuré du tout.

8 heures
J’ai été interrompu par un homme qui venait de Paris me demander quelques mots de recommandation pour M. Duchâtel. Je les lui ai données. Il a dîné. Il vient de repartir. Il aura fait 90 lieues pour une lettre qui, je crois, ne lui servira pas à grand chose. Je ne m'étonne pas que la conversation de M. Humann vous plaise. Il a assez d’esprit, et ce qu’il en a est bon et net, comme vous dites. Caractère peu élevé d'ailleurs, quoique grave et dont l’honnêteté naturelle a été singulièrement altérée par l’habitude, et le goût de gagner de l’argent. Vrai allemand, susceptible sans être fier ; sentimental et personnel et fort relâché dans la pratique quoique sans corruption. Je suis bien aise que vous l’ayez à Baden ; il vous distraira quelques fois.
La destruction de l'armée Turque préoccupe beaucoup le Cabinet. Non qu’il craigne les folies du vainqueur, tout indique qu'Ibrahim selon les ordres de Méhémet, se conduira, très sagement et attendra. Mais c’est un coup bien rude pour Constantinople ; et si comme on me le mande le Capitan Pacha fait défection avec sa flotte et passe à Méhémet, que deviendra, le jeune Sultan au milieu de ce tremblement de terre ? Les personnes pourraient bien, malgré leur retenue, être encore une fois lancées malgré elles dans de grandes choses. S'il est possible qu’il y ait de grandes choses pour ceux qui n'en veulent pas. Moi aussi je suis très préoccupé de ceci.Toucherions-nous déjà au moment où l’Europe sera remise en question ? Je ne crois pas. Je ne le souhaite pas. Je ne veux, à aucun prix, d'une nouvelle grande lutte révolutionnaire. Je crois que le bonheur de l’Europe des deux Europes, et ce qui me touche bien plus, son honneur, son état moral en seraient profondément altérés, et pour longtemps. Mais s'il se pouvait que les questions fussent grandes, et point révolutionnaires, et que devenues inévitables, elles contraignissent la politique à grandir aussi, ce serait bien heureux, et j'en serais bien heureux. Nous verrons.

Mercredi 24 9 h 1/2
Je n’ai pas de lettres. Cette fois, j’en suis fâché mais non pas inquiet. J’ai peut-être tort. Nous vivons dans les ténèbres. Adieu. Adieu. Vous ne m’avez pas dit à quelle époque l’arrangement de vos affaires serait définitivement conclu et signé. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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227 Du Val-Richer, Mercredi 24 Juillet 1839, 5 heures

Je viens d’écrire à Madame de Talleyrand. Je trouve ridicule d’écrire à Baden et que ce ne soit pas à vous. Vous m'aviez promis un petit dessin de votre maison, de ce qui l'environne, de la vue. Est-ce qu’il n'y a pas à Baden un dessinateur ? J’aime les lieux honorés par les pas, éclairés par les yeux... Je ne continue pas avec La Fontaine. La suite ne vous va pas du tout. Mais ceci est vrai, et tendrement dit.
La session finit mal pour le Cabinet. L'affaire de Barbés lui a porté un rude coup, un coup analogue à celui que reçut le Cabinet du 22 février de la suppression de la revue de la garde nationale en juillet 1836. Presque personne ne croit qu'ils puissent gouverner jusqu'à la session prochaine. Moi, je suis convaincu que, sauf de grands incidents, ils iront jusques là, et qu'alors, le remplacement sera très difficile. Je persiste à croire qu'une seule combinaison est efficace. Je ne ferai jamais rien qui la rende impossible, mais j'attendrai qu'elle vienne me chercher. Elle rôde beaucoup autour de moi depuis six semaines, même ici. Je suis sûr que les ministres se regardent eux-mêmes comme très atteints. Deux seulement ont un peu gagné, M. Villemain comme orateur, M. Dufaure comme homme d’affaires et debater. Il me semble que je vous ai déjà dit tout cela. Mais vous vous plaignez que je ne vous parle pas du Cabinet. Savez-vous pourquoi on dit autour de vous que la gauche est en progrès ? Parce qu'on en a peur. Il y a longtemps que les peurs de l’Europe nous font ce mal là Je dis de votre Europe. La gauche lui semble irrésistible et elle se hâte toujours de prédire son triomphe. Ce n'est pas la gauche qui gagne du terrain, c’est la faiblesse universelle. La gauche s'affaiblit et se décolore comme le reste. Pas plus de gouvernement que d'opposition ; pas plus d’opposition que de gouvernement; voilà notre mal. S’il durait une nouvelle gauche apparaîtrait bientôt sur les ruines de l'ancienne, une vraie gauche révolutionnaire. Peut-être faut-il cela pour qu’un gouvernement reparaisse aussi. J’espère que non.

Jeudi 10 heures
Imaginez que tout à l'heure, quand le facteur m'a remis son paquet, j’y ai tout de suite cherché votre lettre. Point de lettre. Il y en avait dix au douze que j'ai jetées là avec une immense humeur. Puis j’ai cherché encore. Votre lettre s’était glissée dans un journal. Quand vous avez mal à la tête, essayez-vous d'aller vous asseoir en plein air, dans quelque coin bien tranquille, et de rester là immobile, les yeux fermés, loin de toute lumière et de tout bruit, & y dormir même ? Ce complet repos, dans un bain d’air a toujours été pour moi le seul remède aux maux de tête, dans un temps où j'en avais beaucoup.
Comment me demandez-vous pourquoi je n’ai pas été à Neuilly ? Vous n'avez donc pas vu dans les journaux, même officiels, que j’y ai été le samedi soir 20. Il est vrai que j'étais ici le vendredi matin 19. Apparemment quelqu'un y été pour moi. J’y serais allé sans l'affaire de Barbés. Je ne voulais pas m'en expliquer, et on m'en aurait certainement parlé. J'ai dit à deux personnes que je n'irais pas, et pourquoi. Elles l’ont sans doute redit et on m'a supplié. Savez-vous ce que fait le rédacteur du nouveau journal qu’on vous attribue, le Capitole ? Il fait auprès de la grille du bois de Vincennes, des discours en l’honneur d’Armand Carrel dont la statue a été inaugurée là hier matin. Il y est enseveli. Il y avait assez de monde, quoique fort paisible. Plusieurs discours ont été prononcés. On n’a remarqué que ceux de M. Arago et de M. Charles Durand, ce rédacteur.

Vendredi, 8 heures
Vous me dites que le chaud vous empêche de sortir. Nous avons froid, depuis mon retour ici. Je n’ai jamais vu si peu d’été. Il y a un grand et bel appartement à louer rue de Lille au coin de la rue de Bourgogne. La position est bonne ; mais pas de jardin. Et puis, cela ne me paraît pas gai. Plus, un joli petit hôtel nue Lascazes entre la rue Belle-Chasse et la place Belle-Chasse. Le Duc de Crussel l’occupait naguère. Un rez-de chaussée et deux étages, et un petit jardin, 5 à 6000 francs. Ceci serait mieux, quoiqu'un peu plus loin. Pour vous, la maison est gaie, la vue gaie, et vous seriez seule chez vous. Pour moi, c’est près de la Chambre. Voulez-vous que je le fasse visiter avec soin et que je vous en envoie la description détaillée ? C'est presque en face les derrières du jardin de l’hôtel Danson, où est M. de Stackelberg. Adieu. Quand nous occuperons-nous ensemble de l’arrangement de votre maison ? Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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229 Du Val-Richer, Lundi 29 Juillet 1839 - 3 heures

Je rattraperai aisément la mesure, car l’air me plaît. Je voulais ménager votre force et vos yeux. Donnez m'en tout ce que vous voudrez. J’ai de quoi vous rendre. C'est, je crois le défenseur de l’archevêque Land qui a dit le premier qu'avec cent lapins blancs ou ne fait pas un cheval blanc. Avec cent lettres de Baden et du Val-Richer, on ne fait pas une conversation de la Terrasse. Mais j’aime mieux cent lettres que cinquante. Pourtant je ne redeviendrai quotidien qu’à partir de Jeudi 1er août.
Je mène demain mes deux filles à Caen, chez leur dentiste de province. Il faut leur ôter deux dents de lait que Brewster a voulu ajourner quand elles ont quitté Paris. Il y a un bon dentiste à Caen. J'en reviendrai après demain soir. Cette course me dérange ; mais je suis mère.
J’attends avec grande curiosité la confirmation des nouvelles d'Orient. On dit que le capitan Pacha est un homme à vous, qui avait beaucoup contribué au traité d'Unkiar-Skelessi et vous fut, aussitôt après, envoyé comme Ambassadeur. Les habiles soutiennent que tout cela n’est pas clair. Pour moi, je me suis décidément retranché les prophéties. Je veux voir.
Avez-vous entendu dire que le comte de Pahlen remplacerait Pozzo à Londres ? J’en serais fâché et pour vous et pour nous. A moins qu'on ne nous redonnât Pozzo mourant. Mais cela ne se peut guère. Votre pauvre ami de Hanovre commence à prendre peur. Il s’est chargé de plus qu’il ne peut porter. Ç'a toujours été un grand métier que celui de despote. De nos jours, il y faut Napoléon. Encore s’y est-il cassé le nez. Est-ce qu’il ne vous vient plus de lettres de là ? Du reste, il me semble qu’il vous parle toujours plus des Affaires d’autrui que des siennes. Il me semble que j'ai vu autrefois. M. de Malzahn à Paris, en 1820 et 1821. N’a-t-il pas été Ministre de Prusse à Munich, ou à Stuttgart ? Je le confonds peut-être avec un M. de Maltzen qui était aussi dans la diplomatie Prussienne ; homme d’esprit, un peu solennel.
L'humeur de la Chambre des Pairs porte ses petits fruits. On aurait voulu qu’elle fit sur le champ un second procès, pour en finir de ces gens du 12 mai, comme on en finit. Il n'y a pas du moyen. Les Pairs n’ont pas voulu en entendre parler. Leur commission d’instruction va en mettre en liberté tant qu’elle pourra, et ceux qui resteront attendront en prison que la Chambre ait un peu repris cœur aux procès. C'est encore un excellent instrument de gouvernement qu’on a bien vite usé. Les fêtes ont été on ne peut plus paisibles. Fort tièdes. Les hommes ne se réjouissent pas par commémoration. Il n'y a de solennité durable, en l’honneur d’un grand événement, que celles qui portent un caractère religieux. On ne puise un peu de durée que dans l'éternité. Notre temps a étrangement perdu l’intelligence de la durée et de ses conditions. Jamais les hommes n’ont vécu concentrés à ce point dans le présent. Petite vie, et qui fait toutes choses, à sa mesure. Et pourtant, il y a dans les idées, dans les sentiments, dans les institutions de notre temps, le germe de grandes choses très grandes. Mais pour que les grandes, choses viennent, il faut extirper les petites. On ne peut pas avoir de taillis sous les hautes futaies. Et de notre temps, les petites choses sont innombrables, petits intérêts, petits conforts, petits désirs, petit plaisirs. Il y a des facilités infinies pour dépenser sa vie et son âme en monnaie. C'est mon désespoir de voir de quoi on se contente aujourd'hui. Parmi vos raisons de me plaire, celle-ci m’a beaucoup touché, vous avez l’esprit et le cœur superbe. Cela coûte cher ; mais n’y ayez pas regret. Cela vaut encore davantage, n’est-ce pas ? Adieu pour aujourd’hui. Je vous dirai encore adieu demain avant de partir. J’oubliais de vous dire que Madane d'Haussonville est fort heureusement accouchée d’une fille. C'est ce qu'elle désirait. J’en suis charmé pour son père. Sa première couche avait été fort pénible et le tourmentait.

Mardi 9 heures 1/2
Bonjour et adieu. C'est la même chose, toujours la même et et toujours charmante. Je vous écrirai demain. Je ne vais à Caen que samedi. Encore adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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227 Baden le 24 juillet 1839 dimanche 8 heures

Lorsque nous sommes ensemble, je m'entretiens avec vous de toute chose, je vous dis tout. Par lettres c'est bien difficile. Tous les sujets me paraissent trop minces. Ma vie est bien monotone, les personnes avec lesquelles je vis sont bien insignifiantes ; que voulez-vous que je vous dise ? Je pense bien plus au moment où je ne serai plus à Bade qu'à celui où je m’y trouve. Savez-vous bien que nous avons encore à passer quatre mois sans nous voir ! Vous m'avez dit que vous en reviendriez que pour le mois de décembre à Paris ! Que c'est long ! Songez-vous bien à cela ?

2 heures
J’ai été à l’église comme je ne manque jamais de le faire le dimanche. Nous avons eu un superbe sermon, trop beau, car j'en suis revenue en larmes. Je viens de recevoir une lettre de F. Pahlen de Courlande. Ce n’est que là qu'il a reçu la lettre dans laquelle je lui mandais que mes fils en retenait ma pension. Il me dit qu’il est très fâché de l’avoir ignoré pendant qu'il se trouvait encore à Pétersbourg et qu'il ne doute pas que mon frère y aura une ordre. Mais mon frère n'a jamais répondu à ce que je lui en avais dit vous voyez comme tout se fait légèrement ! Pourvu que cela finisse une bonne fois. Nesselrode écrit à sa femme que mon frère lui a assuré que j’aurais 90 mille francs de rente. Ce drôle de frère Il tranche dans le grand. J’accepte volontiers ses 90 milles francs. Mais je serai curieuse de voir comment il s’y prendra pour me les faire toucher.

5 heures
Vous avez fait ce que je craignais. Je n’ai point de lettres aujourd’hui. Vous voyez bien que si je vous imitais vous n'en auriez pas non plus de moi. Mais je ne vous écris que pour vous dire que vous avez tort et que je ne vous imiterai pas. En attendant voilà un triste dimanche et une forte migraine par dessus cela. Ah que tout m’attriste et m'ennuie ! Je voudrais bien être à l’hiver. Adieu. Je n’ai vraiment pas un mot à vous dire, j’ai eu une lettre du Roi de Hanovre très insignifiante. Ses affaires vont mal à ce qu'on me dit, mais lui ne me le dit pas. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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232 Du Val Richer, Jeudi 1 Août 1839, 9 h du soir

Vous avez tort de ne pas me dire tout, absolument tout, de loin comme de près, de loin encore plus que de près. Quand je suis près quand je vous vois deux fois par jour, j'ai bien moins besoin que vous me disiez. Je devine, je sais d'avance. Et puis je vous vois ce qui vaut bien des paroles même des vôtres. Essayez de m'en dire autant qu’il en faudra pour me faire oublier un moment que je ne vous vois pas. C'est pourtant là ce que nous nous devrions l'un à l'autre quand nous sommes séparés. Entendez bien qu’il n’y a rien d'insignifiant, ni chose, ni personne, quand elle vous touche. Et puis, ce qui m'importe encore plus que le dehors de votre vue, c'est le dedans. J'aime bien à savoir les incidents de votre journée, encore plus ceux de votre âme. Dites-moi toute votre âme, ce qui l’occupe, ce qui la traverse bon ou mauvais, triste ou gai. J’ai bien envie d’être parfaitement exigeant, et de vous dire que tout ce que vous ne me dites pas, vous me le cachez, car j’ai droit de le savoir. Vous m’avez dit souvent ( quelquefois trop au commencement de notre relation, car cela m'étonnait un peu ) que vous étiez si transparente ! Soyez le de loin comme de près, et toujours, et jusqu'au fond. L’amour, c’est la transparence. L’intimité, c’est la transparence. Et la transparence, c’est que tout paraisse, que tout aille s’offrir de soi-même à des yeux charmés de tout voir. C'est ici, bien plus encore que dans tout ce qui se passe autour de vous, qu’il n’y a rien d’insignifiant pour moi. Savez-vous ce qui vous arrive ? Quand vous êtes fatiguée, ennuyée vous supposez que je le suis aussi. Vous n’avez plus confiance ni en vous, ni en moi, et vous vous laissez retomber même en m'écrivant, dans votre solitude, je veux dire dans votre isolement. Souvenez-vous que la première parole qui nous a vraiment unis a été celle-ci. Vous ne serez plus seule. Qu’elle reste entre nous, éternellement, parfaitement vraie. Ne soyez jamais seule. Je n'admets qu’une raison pour que vos lettres ne m'apportent pas, comme un miroir, toute votre vie, et toute votre âme ; c’est la fatigue physique de tout écrire.

Vendredi 9 heures
Je vois dans quelques journaux que la Belgique demande à entrer dans l’association des douanes allemandes. Je voudrais bien savoir ce qu’il y a de vrai. Je sais bien ce que la Belgique dit et fait dire sur la rive gauche du Rhin, mais je suis curieux de la rive droite. Pouvez-vous en causer avec M. de Blittersdorff, ou quelque autre bien instruit ?
La gauche a nommé un comité chargé de rédiger un projet de réforme électorale d'après les bases que je vous ai dites. Ce sont MM. Barrot, Carnot, Chambolle, Corcelles, Gauthier de Rumilly, de Golbery, Isambert, Larabit, de Sade et de Tocqueville. Il n'y a là de républicain que M. Carnot. Mais il l’est hautement, décidément et a été nommé comme tel par le 6e arrondissement de Paris. C’est à lui que les autres feront des concessions. Jamais assez pour qu'il soit content du projet, mais assez pour qu'il ne le désavoue pas. C’est l’hostilité de M. Garnier Pagès d'avoir mis M. Carnot, dans ce Comité. Il y aura ainsi beaucoup plus d’influence que s’il y était entré lui-même, ce que probablement il n'aurait pas pu.
Je ne suis pas content de la santé de ma mère depuis deux au trois jours. Elle a la tête fort lourde et un petit retour de vertiges. Je crains que le temps orageux et constamment mauvais ne lui fasse mal. Voilà un beau soleil depuis avant-hier. Je mène demain mes filles à Caen. J'en reviendrai après demain. Je m’arrangerai pour que notre quotidienneté n’en soit pas dérangée.
Vous me dîtes que bientôt vous n'aurez même plus Marie. Est-ce qu’elle se marie ? Ou bien avez-vous un parti pris de vous en séparer ? Si vous le faites cherchez quelqu'un pour la remplacer, parmi vos parent on ailleurs. Je sais combien ce choix est difficile et peut devenir ennuyeux. Pourtant il vous faut quelqu'un. Vous ne pouvez rester matériellement seule. Au moins vous faudrait-il une femme de chambre renforcée, de bonnes manières, capable de vous lire. Mais si vous rencontrez quelqu'un ou s’il vous vient quelque idée, ne vous décidez pas tout de suite, et sur votre première impulsion. Cela n’est jamais facile à défaire.

9 h. 1/2
Pourquoi n'ai-je pas de lettre ce matin ? Ceci me déplaît. Vous devez m'avoir écrit. Votre lettre d’hier me le promet. Adieu. Un triste adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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233. Du Val Richer Vendredi soir 2 Août 1839

Ni moi non plus je n’ai rien à vous dire. Je suis de mauvaise humeur. Je mène demain mes filles à Caen. Il faut que je parte de bonne heure avant l’arrivée de la poste. Je n’ai pas eu de lettre aujourd'hui ; je n'en aurai pas demain, et après-demain à 2 heures seulement à mon retour ici. Je vous répète que je suis de mauvaise humeur si vous ne m’avez pas écrit, pourquoi me disiez- vous la veille que vous ne m'imiteriez pas ? Et si vous m’avez écrit, pourquoi ce matin n’ai-je pas eu votre lettre ?
Voici mes nouvelles de ce matin. La flotte Turque est arrivée le 14 et s'est mise absolument à la disposition de Méhémet. L'amiral Stopford ne l’a pas plus arrêtée que n'avait fait l'amiral Lalande. Ainsi, on ne peut nous imputer un prétendu concert, Méhémet a déclaré qu’il ne rendrait la flotte que lorsque Khosrer Pacha ne serait plus à la tête des affaires et qu'on lui aurait accordé l’hérédité des pays qu'il gouverne. Mais en même temps l’armée égyptienne a reçu ordre de se retirer derrière, l’Euphrate. Ceci est la grande nouvelle, car ceci prouve que l'affaire se dénouera par la Diplomatie, Méhémet ne voulant donner prétexte à personne pour la dénouer autrement. C'est ce qu’on m’écrit avec une vive satisfaction. Vous le savez peut-être déjà.
Avec cette dépêche d'Alexandrie, ce que le courrier m’a apporté ce matin de plus piquant, c’est un petit livre intitulé : L'Almanach des Chasseurs, pour l’année de chasse 1839-1840 et qui débute ainsi : " Les profanes comptent quatre saisons dans l'année ; les chasseurs n'en comptent que deux : 1° Celle où l'on chasse. 2° Celle où l'on ne chasse pas. " Puis viennent toutes sortes de préceptes et de conseils, comme celui-ci : Tuez les geais, les pies, les buses, les oiseaux sont remplis de ruses. "
Rien de tout cela n’est à mon usage, car je ne chasse pas. Vous voyez bien que la poste aurait beaucoup mieux fait de m'apporter votre lettre. Adieu jusqu'à demain matin. Plût à Dieu !

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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236 Du Val-Richer, Lundi soir 5 Août 1839 9 heures

J’ai vérifié nos lois. Sans aucun doute, pour tout ce qui est affaire de procédure, comme dans le cas dont il s’agit, nos lois s'appliquent indifféremment aux étrangers et aux nationaux ; et une Russe ne serait pas envoyée en possession d’un héritage situé en France autrement, ni à d'autres conditions, ni avec d'autres formes qu’un Français. Je suis tout-à-fait porté à croire qu’il en est de même en Angleterre et que votre Conseil général a raison. Mais si je comprends bien ce qu’il vous écrit, la préférence que la loi anglaise donne à la veuve pour l'administration provisoire de la succession, n’est que facultative, c’est-à-dire que cette préférence, n’est accordée à la veuve que si elle la réclame formellement, & que dans le cas contraire les enfants sont investis de cette administration provisoire. Voyez bien, avant d'agir, s’il vous convient de donner à vos enfants cette marque de défiance, et de vous faire confier l'administration de ce capital de 40256 liv. st. sans vous en être entendue avec eux. La défiance est bien justifiée. Cependant ce serait un acte grave, et qui élèverait à coup sûr entre Paul et vous, une nouvelle barrière. J'ai peine à croire qu’il soit indispensable pour la sûreté du quart qui vous revient.

Mardi 7 heures
Je n’ai point de nouvelles. La session finit officiellement après-demain. Le Duc et la Duchesse d'Orléans partent pour Bordeaux. Le Roi reste à St. Cloud jusqu’au retour de sa belle-fille. Ils iront alors passer quelques jours au château d’Eu. Puis au commencement d'octobre, quand M. le Duc d'Orléans sera revenu d'Afrique à Fontainebleau. Voilà les projets de cour. Les Ministres n'en font point. Ils attendent l'Orient et la Chambre. Si j'étais à Paris, je saurais bien Vienne par le gendre de M. de St Aulaire M. de Langsdorff qui vient d’arriver en courrier. C'et un jeune homme d'assez d’esprit.

9 h. 1/2
Nous voilà enfin au même pas. Votre 230 m’arrive. Vous aviez des visites à mener en calèche et moi j'en ai trois à recevoir dans mon jardin. Ce sont des voisins qui viennent me demander. à déjeuner. On se lève de bonne heure en Normandie. A Baden aussi ce me semble. Mais à Paris comme à Baden, vous vous levez de bonne heure. Je serai fâché que vous soyez toujours maigre ; mais j’en prendrai mon parti. Mais plus faible, non ; je ne le prendrai pas. Adieu. Adieu. J’ajoute ce que vous voudrez à mille et une. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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235 (hier devait être 234) Du Val Richer, Lundi 5 août  1839 9 heures

Je n’ai trouvé hier en arrivant que votre 228. Vous voulez que je vous pardonne votre abattement. Je vous pardonne tout. Mais que sert le pardon ? Pas plus que ne ferait le reproche. Vous me donnez un sentiment auquel je suis peu accoutumé, celui de l’impossibilité, sentiment très pénible à placer à côté de beaucoup d'affection. Je ne sais pas si je l’accepterai jamais. Mais nous sommes trop loin pour que je vous dise tout ce que je voudrais ce que je devrais peut être vous dire. Je compatis peu, je l'avoue à votre ennui d’un notaire, deux témoins pour un nouveau plein pouvoir qui finira tout promptement. Finir promptement, c'est votre salut, c'est votre repos ! Je ne l'espérais pas. Et quand mon attente est trompée en bien, je suis un peu content et un peu reconnaissant envers la providence. Une faveur si rare? Jamais peut-être je n'ai plus désiré vous voir et causer avec vous qu'aujourd'hui. Je ne sais si tout ce que je vous dirais vous paraîtrait doux ; mais je suis sûr que ce serait sain pour vous. Car encore une fois, je vous aime trop pour accepter, l'impossibilité.
Parlons d’autre chose. Est-il vrai, comme on me l'écrit, qu'il est question d’un voyage de l'Empereur à Odessa avec le grand duc et M. de Nesselrode ? Personne ne peut prévoir aujourd'hui ce qui arrivera de ce côté. Un enfant Roi, une vieille Sultane-mère, deux jeunes négresses-maitresses, un vieux vizir haineux, un vieux Pacha vainqueur, toutes les habiletés de l’Europe diplomatique ne gouverneront pas cela. Nous sommes au hasard. La discorde est grande dans la gauche. Les projets de réforme électorale déplaisent à la plupart de ceux qui les acceptent, & ne sont pas acceptés de ceux à qui ils voudraient plaire. Ce sera, pour la prochaine session, un grand et bon champ de bataille. Je voudrais que ces deux questions, la réforme électorale et l'Orient restassent un peu longtemps sur le tapis. Nous avons besoin, pour nous former, de questions graves, pressantes, mais suspendues sur nos têtes, qui menacent de devenir, et ne deviennent pas tout à coup de grands événements. J’aurai probablement cette satisfaction.
Ma mère est mieux, et mes filles très bien. C’est demain, 6 août, le jour de naissance d'Henriette. Il y a dix ans. J’étais bien heureux !

9 heures
Voilà le n° 229. Je répondrai demain avec détail sur votre affaire du capital anglais. Je veux revoir le texte des lois. Mais en principe, il ne nous importe pas qu’on soit ou non étranger. Les biens de toute espèce, meubles ou immeubles qui se trouvent sur notre territoire sont régis par nos lois quelle que soit la nationalité du possesseur. Il me manque en effet beaucoup. Vous avez pleine satisfaction. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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244 Bade Vendredi le 16 août 1839,

Je serai bien heureuse le jour où je ne vous écrirai plus, car je serai avec vous, où je serai morte. Jusque là j’aurai toujours à répéter le même refrain. Je me sens mal et très mal. Je veux partir, je cherche avec qui, je ne trouve pas, et cela me donne une agitation abominable. 5 heures Votre lettre est le seul bon moment de la journée. Quelle bonne invention que l’écriture et les postes. Je n’ai rien à vous dire, et j’ai des vertiges si forts que je ne vois pas bien ce que j'écris pardonnez-moi, ou plaignez-moi. Adieu, voyez quelle lettre, adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
248 Du Val-Richer Samedi soir 17 août 1839 8 heures

Je ne sais pourquoi elle est venue deux heures plus tard, cette lettre où vous êtes si souffrante. Elle avait été oubliée au bureau de la poste, au moment du départ du facteur. J’aime pourtant mieux qu’elle soit venue. Que je serai heureux cet hiver, quand vous serez bien tranquillement rétablie à Paris, quand nous n'aurons plus à 120 lieues l’un de l'autre, ces odieuses angoisses ! Votre médecin ne me paraît pas un homme d’esprit. S’il craint de vous voir voyager seule comment ne vous procure-t-il pas un jeune médecin pour vous accompagner. Il y en a surement, en Allemagne comme en France, qui n’ont pas grande pratique et ne demanderaient pas mieux que de venir passer quinze jours à Paris. Ce n’est pas un grand agrément pour vous, j'en conviens ; mais c’est une sûreté et pour votre retour vous ne pouvez guère prétendre à plus. Parlez-lui en ; il me paraît impossible qu’il ne vous trouve pas quelqu'un.

Dimanche matin 7 heures
Les nouvelles d'Alexandrie ne signifient rien. Tout est en suspens à Constantinople. Nous nous disputons tous le Divan, en attendant l'Empire. Le Pacha tiendra bon. Il le peut. Il a l’excellente attitude d’un homme qui n’est point dans l’embarras et qui y met tous les autres. Il lui faut l'hérédité chez lui et la sécurité par conséquent la prépondérance à Constantinople. Nous l’appuierons, dans la première prétention par conséquent, s’il tient bon dans la seconde. C’est à lui à unir les questions. Nous ne le contraindrons pas à les séparer. Cependant on voudrait bien j’en suis sûr le trouver plus complaisant, content à meilleur marché. On a grande hâte d'en finir là aussi. Point d'affaires, c’est la grande maxime du gouvernement. Je ne crois pas que le Cabinet si petit, si faible qu’il est, y consente. Il a fait ces jours derniers, à ce propos-là, un essai de la peur que causait la seule perspective d’une crise ministérielle. Il en usera et je le lui conseille. Voilà l'immense différence de la situation, M. Molé avait assez d’esprit, de bonne apparence et de crédit pour couvrir et faire passer la politique plate. Ceux-ci ne le peuvent pas, quand même ils le voudraient. Et par là, j’ai de l'action sur eux et sur l’avenir.
M. Duchâtel se conduit très bien et pour les choses, à mon égard, dans la mesure du moins de mon exigence qui n’est pas grande. Est-il vrai que votre Impératrice soit fort malade ? On me dit de Paris que les lettres de Pétersbourg le mandent. On dit aussi que Fagel retourne à Amsterdam, & que M. Van Zuylens le remplace. Je regrette Fagel, quoiqu’il ne dise plus grand chose, sa figure me plait : bonne et loyale comme sa personne. Le Journal des Débats vient de faire un grand pas en remettant sur le tapis la question de la Chambre des Pairs. Je l'en approuve. Il faut trouver un moyen de faire vivre cette Chambre. J’ai toujours regardé l'hérédité de la Pairie comme la porte capitale de 1830. Je ne sais si on y reviendra. Le courant démocratique ne porte pas là. Pourtant ce pays-ci est très intelligent, et capable de résolution soudaine, s'il comprend un jour que l’hérédité de la Pairie modifiée je ne sais comment, lui donnerait une seconde chambre plus indépendante, plus capable, qui jouerait mieux son rôle dans la machine constitutionnelle, il pourra fort bien s'en accommoder tout-à- coup. Il faudrait lier cette question à celle de la réforme électorale et n'élargir une chambre qu'à condition de ressusciter l'autre. C’est une idée qui me vient à l’instant même, et dont il y a quelque chose à tirer.

9 h. 1/2
Mes nouvelles d'Orient sont à la guerre, à la Porte se jetant dans vos bras, préférant le Protectorat russe au protectorat égyptien. Grand trouble des trois cours. Grand conflit des malveillances et des bienveillances pour le Pacha. Je ne sais ce qui sortira de là. Ne suis-je pas bien affirmatif dans ma page 2 ? C'est moi défaut. Je ne m'en corrigerai jamais. Je fais si peu de cas des gens qui n'affirment jamais Adieu Adieu.
242 vaut un peu mieux que 241.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
247 Baden lundi le 19 août 1839

Tout ce que vous me dites sur Thiers c'est admirable de vérité. Quant à son ouvrage, il me parait que le révolutionnaire y perce partout. En dépit du soin qu'il prend de paraître impartial. Je n’ai lu encore que les 5 premiers volumes. Je me suis levée bien malade et bien faible. Toutes les personnes qui me voient sont d’accord avec mon médecin pour me renvoyer. Je pars donc certainement cette semaine ; je vous dirai demain le jour. Votre réponse à ceci ne me trouverait plus à Baden. Ecrivez-moi à Paris, hôtel de la Terrasse. Je ne sais encore qui m’accompagnera, mais je ne puis pas partir seule cela est évident. Mademoiselle Henriette refuse ; elle prétexte son indépendance, elle a raison, et moi j’ai tort d’avoir du malheur à tout ce que j’entreprends.

6 heures. Zéa n’a pas paru à Baden. Il est perdu. Je viens de recevoir une lettre de mon fils Alexandre. Il ne sait pas quand il pourra se tirer de Russie, il me dit en termes fort doux qu’ils attendent mes directions à mon frère pour pouvoir conclure. Une lettre du Roi de Hanovre insignifiante. Une autre de Bulwer spirituelle. Il va rester ministre à Paris, les Granville partent demain pour l'Angleterre. Une autre encore de Mad. Appony, ressemblant à Madame Appony ! La vôtre enfin c'est à dire d’abord. et j’ai raison des deux manières, car je commence par elle et puis je finis par elle. Demain je vous dirai le jour de mon départ. Adieu. Adieu. tendrement adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
250 Du Val Richer, mardi 20 août 1839 6 heures et demie.

Quand nous sommes ensemble je veux bien vous parler de vous-même, vous reprocher vos défauts, vous quereller. De loin, non. tout est si sec de loin, si absolu ! Il ne faut se dire de loin que de bonnes et douces paroles. Il n'y a pas moyen de donner aux autres leur vrai sens et qui sait à quel moment elles arrivent ? Toutes les fois que je me suis laissé aller à vous gronder de loin, j’y ai eu regret. Quand vous voudrez que je vous gâte, allez vous en. Je ne serai tranquille à présent que lorsque je vous saurai quelqu'un pour vous ramener. J’aimerais mieux Mlle Henriette que tout autre. Quel âge a-t-elle ? Est-elle d’une bonne santé ? Je demande tout cela pour chercher à me persuader qu'elle ira vous rejoindre.
Je suis quant à l'Orient, dans une disposition désagréable. Je suis convaincu que si la question ne s’arrange pas, c’est-à-dire ne s’ajourne pas, c'est bêtise, inaction, défaut de savoir dire et faire. Mettez quatre hommes d’esprit en Europe, à Pétersbourg, à Vienne, à Paris et à Londres, avec celui qui est à Alexandrie Faites que ces quatre hommes d’esprit voient l'affaire comme elle est réellement et se voient eux-mêmes comme ils sont réellement, il est impossible qu’ils ne prennent pas le parti, gardant chacun sa position, réservant chacun son avenir, d'agir au fond de concert. Nous avons tous un intérêt dominant, le même, et auquel longtemps encore tous les autres doivent être subordonnés. Vous Europe orientale, qui n’avez point fait de révolutions votre intérêt dominant est qu'elles ne commencent pas. Nous, Europe occidentale, qui en avons fait notre intérêt dominant est qu'elle ne recommencent pas. Nous avons tous à nous reposer, et à nous affermir, vous dans votre ancienne situation, nous dans notre nouvelle. Et territorialement, le fait est le même.
Vous avez gagné en 1815 ; nous ne demandons rien. Nous avons accepté et maintenu en 1830, à la sueur de notre front le statu quo que vous aviez acheté, contre nous en 1815, de tant de votre sang. Le moment est-il venu de le remettre en question ? Et si l'affaire d'Orient ne s’ajourne pas, il sera remis en question, et bien autre chose avec. De quoi s’agit-il au fait ? D'imposer à la Porte l’indépendance réelle du Pacha, au Pacha la paix stable avec la Porte et d'attendre. Si on se met d'accord sur ce but, on y arrivera infailliblement à quelles conditions ? Qui en aura l'honneur? Qui restera à Constantinople avec le plus d'influence ? Qui en aura à Alexandrie ? Questions secondaires, très secondaires, quelque grandes qu'elles soient.
Il faut avoir une idée simple et la placer bien haut au dessus de toutes les autres. On ne se dirige que vers un fanal très élevé et on ne marche réellement que quand on se dirige, vers un but. La révolution française à eu une idée simple ; elle a voulu se faire. La Ste alliance a eu une idée simple ; elle n’a pas voulu de révolution. L’une et l'autre a réussi : réussi quinze ans, vingt ans, comme on réussit en ce monde ; réussi pour son compte et dans ses limites, le seul succès qu’on puisse sensément prétendre. La folie de la révolution française était de vouloir se faire partout. La folie de la Ste Alliance était de vouloir empêcher la révolution française de s'accomplir. L’une et l’autre a échoué dans sa folie et réussi dans sa propre et vraie cause. La leçon est claire car elle est complète, aujourd'hui encore, pour je ne sais combien de temps, l’idée simple de l’Europe doit être la paix. Et si la paix est troublée à cause de l'Orient, ce ne sera pas à causé de l'Orient, mais à cause de la bêtise de l’occident et de l'orient chrétien. Il y a une chose dont je ne me corrigerai jamais, c’est de croire que, quand on a raison on peut réussir.
Mon honnête Washington, qui avait plus d’esprit que bien des coquins, ne se faisait aucune illusion sur les sottises de ses concitoyens ; mais je trouve à chaque pas dans ses lettres cette phrase. I cannot but hope and believe that the good sense of the people will ultimately get the better of their prejudices. Aux mots the people j'ajoute les mots and the governments, et je dis comme Washington. Je me donne pourtant deux sottises à surmonter au lieu d’une.

9 h. 1/2
J’attends chaque matin votre lettre avec bien plus que de l’impatience. Quand n'en attendrai-je plus ? Quand serons-nous réunis ? Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
254. Du Val Richer, Dimanche 25 août 1839
9 heures 1/2

Je n'ai que cinq minutes. Je reçois à la fois ce matin 248 et 249 de Baden et de Saverne. Rien ne m’était venu hier. Je ne vous ai pas écrit ne sachant rien. Je ne puis dire que je suis moins, inquiet. Il me faut votre arrivée à Paris. Enfin vous y serez aujourd’hui. Adieu. Adieu. Demain, je vous écrirai à l'aise, si jamais on écrit à l'aise. Adieu, comme à la Terrasse. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
257 Paris Dimanche le 1er 7bre 1839

Je vous écris ce mot adressé à Lisieux comme vous me le de mandez pour vous dire que je vous attends à Paris, Mardi dans la journée. C’est bien. mais enfin je serai à la maison entre 4 et 5 heures pour vous attendre. Vous dînerez avec moi à 6 c'est mon heure. Je fais mieux de vous attendre à Paris puis que je ne veux rien terminer sans vous pour la maison et pour des affaires d’argent. Le médecin me chasse, jeudi. Je partirai nous partirons, ou Samedi au plus tard. Mais cela est encore subordonnée à bien des choses. Vous déciderez. J’ai tant à vous dire ; tant à vous demander. Mon frère a eu un accident grave. J’en suis inquiète. Rien de nouveau. Adieu. Adieu Adieu.
Mardi je serai bien contente ! Adieu. Ne pourriez-vous pas empêcher que vos journaux annoncent votre arrivée à Paris. Ce serait nulle fois mieux. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
266 Paris jeudi le 19 septembre 1839

Non, je n'ai rien de mon frère, et je n’aurai probablement rien de longtemps, car il est parti pour son château avec une troupe d’élégantes dames de la cour. Il y passera trois semaines si'ce n’est plus, et je le connais assez pour savoir que là il ne me donnera pas cinq minutes de souvenir. C’est par Appony que je connais ses mouvements. En attendant il pourra bien se faire que mes file arrivent et que ce ne soit que par Alexandre que j’apprenne l’arrangement de mes affaires. C’est de drôles de manières et deux singulières familles ! Dans la mienne j’ai perdu ce qu'il y avait de mieux ce qui eût été bien rare partout, mon pauvre frère Constantin. Dans la famille Lieven. Mes deux anges.
Je vois les Appony assez souvent et Bulwer presque tous les jours. Mais je serais embarrassée de vous nommer autre chose. Midi. Génie est venu me voir il a eu la bonté de chercher et de trouver une jeune fille de famille bourgeoise, honnête qui viendrait me faire lecture pendant une ou deux heures de la soirée. Dites-moi ce qu'il faut que je donne ? Il parait qu'on aimerait un arrange ment par mois. Ce qui est sûr c’est que je ne m’en servirais pas plus de 10 fois peut-être par mois. Pensez-vous que 60 francs soient assez. Ou faut-il davantage ? Quand je ne suis pas malade je vais faire visite le soir aux Brignoles, Appony, Pozzo. Répondez-moi sur l'article des arrangements. Trouvez-vous le grand cordon de la légion d’honneur bien placé ? Moi cela m’a étonnée, et je me défie un peu de l'à propos des choses qui m'étonnent. C'est de la présomption peut-être. Je vous envoie une pauvre lettre. Je n’ai point de nouvelles à vous dire. Je trouve que les journaux ne sont pas tranquillisants sur les affaires de l’Orient.
Adieu. Adieu. Ne soyez pas enrhumé.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
278 Du Val-Richer, Vendredi 27 sept 1839 8 h 3/4

Je vous écris de mon lit. Non que je sois plus souffrant ; mais hier je me suis trouvé bien d'y être resté quelques heures, et on a voulu que j'en fisse autant aujourd'hui. Je tousse moins et je n’ai presque plus d'oppression. Quand je suis fatigué, mal à l’aise, enfoncé dans mon fauteuil, que vous me seriez douce ! Que votre voix me rafraîchirait la poitrine. Pourtant j’aimerais encore mieux être auprès de vous quand c’est vous qui souffrez.
Génie me mande qu’il vous trouve mieux que les premiers jours où il vous a vue. Il dit que Mad. de Talleyrand vous instruit fort bien sur l'imposition personnelle et mobilière, et qu’il vous a envoyé M. de Valcour dont vous êtes contente. Servez-vous de lui pour que votre tapissier ne vous vole pas trop. Je vous garantis deux choses sur mon monde, leur honnêteté et leur dévouement. J’ai la passion des honnêtes gens et de l'affection, dans tous les états et pour tous les emplois.
Je ne vous parle pas de la pauvre dépêche de Sébastiani. Vous la savez. Le Roi me fait demander où je désire qu’il m'envoie un service de porcelaine qu’il me destine, à Paris ou à la campagne. Je réponds à la campagne. C'est le premier présent que je lui aie vu faire excepté le tableau de Champlâtreux. N'en parlez pas jusqu'à ce qu’il soit arrivé.
Soupçonnez-vous quelque chose du motif de l'Empereur, en rayant votre fils ? Ce ne peut-être à cause de vous. Il l’avait si bien reçu d'abord ! Et puis Paul n’est pas vous aujourd'hui. Il faut qu’il y ait quelque chose de personnel à Paul, quelque propos.
Nous offrons, pour Méhémet, la restitution immédiate du district d'Adana à la Porte et celle de Candie après la mort de Méhémet. Mais nous tenons à la Syrie, et Méhénet me paraît y tenir encore mieux que nous. Il a raison. C’est toujours lui qui a droit de paix et de guerre sur l’Europe.
Vous vous êtes trompé sur le n° de votre lettre de Mercredi. C’est 272 et non 273. Je vais me lever.

10 h. Vos renseignements sur notre pacification d'Orient ne sont pas tout-à-fait d'accord avec les miens. Vous pourriez bien avoir raison. On est sur cette pente là. Rien n'empêche adieu. J’ai le soleil aussi ce matin. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
277 Paris le 29 Septembre 1839 10 heures

Je vous préviens que je suis très inquiète de votre toux. Je vous préviens aussi que je suis un peu en prétention de voir que vous me remettez toujours au dernier moment, & lorsque vous ne pouvez pas m'écrire sans risquer de prendre froid. La journée est longue vous êtes levé pour quoi ne pas m'écrire alors !
Je n’ai rien à vous dire d’hier ; tous mes diplomates sont partis, je n’ai vu que Pozzo. Le matin j’ai été dans des boutiques de curiosité. Cela m’amuse. Le Duchesse de Talleyrand a été longtemps chez moi. Ce ne sont pas des nouvelles qu’elle m’apprend ; ce sont des leçons d’arrangement d’intérieur. J’y serai fort savante.
Je suis curieuse de ce que vous me répondrez à ma lettre d’hier. Ne consulte-t-on personne dans des cas pareils. Croyez-vous que vous serez prié à Fontainebleau ? Votre toux m'ennuie. L’automne m'ennuie, j’attends l’hiver comme les oiseaux attendent le printemps. Toujours attendre, ah que c’est long ! Adieu, adieu car je n'ai plus rien à vous dire.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
280 Du Val Richer, samedi 28 sept 1839 5 heures

Je ne veux pas faire comme ces deux derniers jours, ne vous écrire que le matin quand je ne le puis plus. Je m'ennuie d'être si peu avec vous. Votre conversation me serait si agréable ! Je suis fatigué, mal à l'aise. Il faut que je me mette à la diète, car quand j’ai mangé, j’ai toujours plus de toux et d'oppression.
Pour une fois, Démion a raison. Quand on entre le 15, on paye à partir du 1er. Ayez en effet le moins d'affaires que vous pourrez. Vous n’y êtes. pas propre. J'attends toujours avec impatience que tout soit revenu de Pétersbourg, vraiment fini, signé. J’ai de tout votre monde, une défiance sans mesure. Les meilleurs sont si indifférents et si légers. C’est sitôt fait d'oublier. Ne trouvez-vous pas qu’il y a dans tous nos journaux un concert de modération pour l'Espagne. Ils semblent tous tremblants que les Cortes ne fassent quelque sottise. La Reine d’Espagne est bien puissante, en ce moment. Quelles vicissitudes !
Bolingbroke, qui venait de chasser du conseil de la Reine son rival le comte d'Oxford et d'être chassé lui même par les Whigs ses ennemis, écrivait à Swift : " Oxford a été renvoyé mardi ; la Reine est morte Dimanche. Quel monde est celui-ci, et comme la fortune se moque de nous ! " On l’oublie toujours.

8 heures
Je voudrais en avoir fini de la journée de demain. Quand je suis en bonne disposition, je m’arrange avec l'ennui ; je m’y prête et cela va. Mais il faut avoir sa voix, ses jambes ; il faut parler et marcher tant qu'on veut.
Est-ce sincèrement ou par diplomatie que Lady Cooper trouve toujours que tout va bien ? Il faut une foi aussi robuste que la vôtre de la mienne dans la bonne constitution de l'Angleterre pour n'être pas inquiet de ce mouvement continue et accéléré sur la pente radicale. Au fond, je ne le suis pas. Je crois toujours qu’on se ravisera & se ralliera à temps. Ce sera un bien grand honneur pour les gouvernements libres, car l’épreuve est forte. Si elle finit bien, il n’y aura pas eu dans le monde, depuis qu’il y a un monde, une plus belle histoire que celle de l’Angleterre depuis cinquante ans. Mais il ne suffit pas qu'elle se tire de là sans révolution. Il faut qu’elle garde un grand gouvernement. C'est là le point le plus difficile du problème.

Dimanche, 9 heures
Je me lève ayant très bien dormi, selon ma coutume, mais toussant toujours et avec de l'oppression. Je vais voir mon médecin qui me dira que c’est un rhume, qu’il faut me tenir chaudement et attendre. Et j'attendrai. Voilà le 276.
Il y a un mois que j’ai écrit à M. Duchâtel d’y bien regarder, que nous finirions par nous trouver seule, et vous avec tous les autres notamment avec l'Angleterre. Encore une des moqueries de la fortune.
Moi aussi, je voudrais bien causer avec vous. Il y aurait bien un troisième parti à prendre. Mais on ne le prendra pas. Vous avez agi habilement. Vous vous êtes faits les plus fermes champions de l’intégrité de l'Empire Ottoman, non plus à vous seuls, mais en commun avec tous ceux qui la voudraient comme vous. N'allant pas à Constantinople, personne n’ira, et vous restez toujours avec le droit d’y aller quand la Porte vous le demandera ! Cette affaire-ci se règle en dehors de vos habitudes. Vous avez plié devant la nécessité, mais sans changer de position. Vous pouvez vous redresser quand le jour viendra.
Adieu. Adieu. J’attends vingt personnes, et j'ai ma toilette à faire. Adieu G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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284 Paris, dimanche le 18 octobre 1839

J'espérais bien un peu une lettre d'Evreux, mais je n'y comptais pas. Je vous remercie de m'avoir donné plaisir à mon réveil. J’ai à vous remercier aussi de ce que vous avez remis à Génie et qu'il m’a fait venir tard dans la journée d’hier. Je viens de ré ouvrir une réponse de Bruxner. En voici l’extrait.
D'après cela il me semble que mes questions sont trop péremptoires et qu'il vaut mieux attendre. Qu'en pensez-vous ? Mon frère aura donc reçu avant de conclure encore la lettre dans la quelle je m’oppose à ce qu’il convertisse en rente aucune somme qui pourrait me revenir. Il est difficile de croire qu’il n’aie pas fait comme je le demande.
Jennisson a baissé pavillon, et n’a ici que la honte d’avoir tenté de me duper. J'ai le mobilier que je voulais aux termes que j’avais dit maintenant il ne me manque que l’essentiel, la personne qui doit recevoir tout cela. Je cherche un maître d’hôtel introuvable. L'homme chez Pozzo voyant que je ne lui faisais plus rien dire a conclu avec lui un nouvel arrangement ; ainsi c’est fini et je ne sais où déterrer dans 24 heures ce qu'il me faut ou même à peu près.
Mad. Appony est venue chez moi hier, émue occupée, de toutes petites choses, tendre, inquiète. Mad. Durazzo est venu aussi remplie de l'awkwardnefs de la rencontre de Mesdames Molé & Castellane à Champlâtreux. J'ai fait visite à la Princesse Soltykoff qui vous trouve de bien beaux yeux. Le soir j’ai été chez Pozzo, il était seul, je me suis bien ennuyée.
J'ai oublié Bulwer dans le courant de la matinée. Il soutient que l'Angleterre est plus près de nous que de vous. Nous verrons cela après demain avec Granville. Pardonnez-moi, j’ai pris la feuille double.
A propos, procurez-moi la permission. d’entrée pour les effets que je viens d’indiquer ou bien dites moi ce qu'il faut que je fasse. Est-ce qu'on va me briser le vase en vermeil. Voici du soleil, j’irai voir plus tard la petite Princesse. Adieu. Adieu. J’ai mal dormi, et beaucoup pensé à vous Adieu.

Extrait 18/30 7bre 1839 Nous regrettons infiniment de ne pouvoir rien dire de positif encore relativement au partage de la succession. Tout ce que nous savons c’est qu’on s’en occupe & que Messieurs vos fils sont en conférences fréquentes avec le Comte Bulwer. Ce n’est que lorsque nous recevrons une copie authentique de l’acte de partage, incessamment attendu, que nous en pourrons indiquer à Votre Altesse l d'une manière précise toutes les stipulations. En attendant, toute somme qui rentre provenant de cette succession est versée dans notre caisse et aussitôt que tout ce qui est encore arrivé sera rentré et que nous serons autorisés à en faire la répartition sur les divers comptes, nous nous empresserons de suivre les dispositions que Votre Altesse a bien voulu nous tracer pour la part qui lui en reviendra. quant aux bien et revenus de Courlande nous n'en pouvons rien dire non plus, vu qu’ils ne passent pas par nos mains, et de tous les effets que nous avions en dépôt, il ne reste plus chez nous dans ce moment que les quatre caisses d’argenterie. d’après vos ordres nous expédierons par le bateau à vapeur le Tage Capitaine Pitron qui repart demain pour Le Havre quatre caisses contenant un vase en vermeil. un buste en marbre une pendule 2 vases vieux Sèvres à l'adresse de Messieurs Rotschild & frère. Il ne reste donc plus qu’à obtenir la permission nécessaire pour la vente à l’encan des autres objets de cette succession ce qui n’aura lieu que dans quelques semaines lorsque tout le monde sera rentré en ville afin que cela réussisse mieux. les Princes vos fils sont sur le « point de s'absenter momentanément d'ici, mais toujours dans l'espoir de terminer encore avent leur départ tout ce qui concerne la dite succession.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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287 Du Val Richer, Lundi 14 oct. 1839 8 heures

Je ne comprends pas que vous n'eussiez pas vu Génie samedi à une heure et demie. Il m'a quitté à 6 heures emportant une lettre pour vous. Il faut qu’il ait eu quelque affaire obligée. Il vous aura surement vue, dans la journée.
Je suis arrivé hier à 4 heures, point fatigué. Il fait beau, mais je tousse toujours un peu. Je trouve en arrivant quatre invitations à dîner. Je les refuse toutes en disant que mon médecin veut que je me repose pendant le reste de mon séjour à la campagne. Mes enfants sont à merveille. Ma mère pas trop. Rien de grave cependant.
Le procédé de M. Jennison est en effet choquant. Mais il n’y a que lui qui puisse en souffrir. Vous avez votre bail signé. S’il ne voulait vous rien vendre, vous auriez un peu plus d'affaires pour votre arrangement voilà tout. Mais il vous vendra ; ne lui achetez pas plus, et ne le payez pas plus cher que vous ne voulez. Le monde est juif. La dispersion de la race juive a infecté le monde

9 heures et demie
Sans nul doute, les questions à votre fière sont trop péremptoires et il vaut mieux attendre. Quoiqu'il n’y ait rien d’impossible, il me paraît impossible que vous ne receviez pas bientôt la copie textuelle de l’arrangement définitif. Nous verrons alors ce qui manquera. Je vous enverrai demain matin une lettre pour le directeur des Douanes. Vous prierez Génie de la lui porter et de suivre cette petite affaire. Il faut toujours un homme à la suite d’une affaire. Rien ne se fait tout seul. Adieu.
Je trouve ici une foule de petites affaires à régler, et de lettres insignifiantes auxquelles il faut pourtant répondre. Adieu Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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288 Du Val Richer, Lundi 14 oct 1839 8 heures et demie

Voici une lettre pour M. Gréterin, directeur des douanes. Je la laisse ouverte pour que Génie la lise et sache bien ce que je demande. Priez-le de la porter de ma part à M. Gréterin après l'avoir cachetée, et de demander la réponse. Je crois qu’il faut une décision du Ministre des finances. Mais M. Gréterin la lui demandera. Je ne veux pas qu'on vous brise le vase en vermeil, et encore moins le buste, en marbre. Est-ce que vous ne pouvez-pas garder Pippin jusqu'à ce que vous ayez trouvé un maître d'hôtel qui vous convienne ? Je sais bien que vous en aurez encore plus de peine à lui faire dire une seconde fois qu’il faut qu'il s'en aille. Cependant j'aimerais mieux cet ennui-là que celui de prendre à la hâte le premier venu. Vous avez quelques fois des hésitations, et quelquefois des précipitations singulières. Entendez-vous dire qu’il y ait quelque chose de sérieux, dans la maladie de Méhémet dont parlent les journaux ? Ce serait encore un dénoue. ment inattendu. Je le regretterais. Le monde n'a pas de gens d’esprit à perdre.

Mardi, 7 heures et demie
Dites moi pourquoi je viens de passer une nuit très agitée, de revoir en rêve toute ma vie, ce qu'elle a eu de plus doux et de plus cruel, vingt cinq ans en quelques heures ! La même Puissance dispose donc de nous, sans nous, la nuit comme le jour, et des chimères comme des réalités. Elle devrait bien laisser la nuit au repos. Je suis brisé ce matin. Quelque confiance qu’on ait dans sa propre vie, si on avait dit au général Sébastiani que son maître d’hôtel, que je connais bien et qui le servait depuis très longtemps serait frappé d’apoplexie avant lui dans Hertford-House, on l'aurait, je crois, bien étonné. Je vous voudrais un maître d’hôtel comme celui-là de fort bonne mine, quoique trop petit, très entendu et très attaché.

Est-il vrai que l'Empereur (il ne me plaît pas de dire votre Empereur) entreprend de miner en Pologne la religion catholique, qu’il a déjà enlevé la moitié des Eglises polonaises au culte catholique pour les donner au culte grec &&. La liberté religieuse était la seule en Russie. C’était même un singulier spectacle que de voir deux états nouveaux, aux deux extrémités du monde, le plus despotique et le plus républicain que le monde ait encore vus, la Russie et les Etats-Unis commencent l'un et l'autre leur carrière, par cette tolérance, qu'au bout de six mille ans le monde civilisé a commencé à peine à entrevoir.

9 h. 1/2
J’aime bien le N°285. Il me rend compte des moindres détails de votre vie, personnes et choses. à cette condition seulement, la séparation est supportable ce qu’elle n'est jamais. Je suis charmé que vous ayez un maître d’hôtel. Mais il faut que le hasard couvre le mal de a précipitation. Cela arrive. Adieu.,Adieu. Non pas mille fois, mais mille vies. G.
J'adresse ma lettre rue Florentin, vous m'auriez averti si quelque chose était changé dans vos projets.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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291 Du Val-Richer, Jeudi soir 17 oct 1839 9 heures

Je me suis promené hier longtemps. Le temps était admirable. Aujourd’hui la pluie a recommencé au moment où j'allais sortir. J’ai pourtant eu quatre visites de Lisieux J'admire les gens qui font cinq lieues par la pluie pour venir passer une demi heure avec moi. Il faut que je sois bien aimable. Je le suis pourtant fort peu cette année pour mes amis de Lisieux et des environs. C’est au mois d'Octobre qu’on me donne à dîner. J’ai déclaré que je n’en accepterais aucun, que j'étais encore enrhumé, que je ne voulais pas l'être pour la session, et que mon médecin m’avait interdit d’ici là toute course, tout dîner. Je suis à mon neuvième refus. On me les pardonnera. Je m'en porterai mieux, et je serai libre plutôt.
Je ferais volontiers cinq lieues pour aller dîner rue St. Florentin et je suis sûr que je ne m’en porterais pas plus mal. Du reste, pour la première fois depuis six semaines presque, j’ai eu aujourd’hui le sentiment de la pleine santé. Je n’ai pas toussé du tout, ni éprouvé la moindre peine à respirer.

Vendredi 7 heures

Comment s’est passé votre dîner Fleischmann ? A-t-il eu l’air aussi ahuri en vous le donnant qu'en vous y priant ? Est-ce que les Granville ne sont pas arrivés ? Vous ne m'en dîtes rien. L’impopularité de la Reine me paraît en progrès. On exploite bien longtemps contre elle cette pauvre Lady Flora Hastings. Il y a des fautes interminables.
Savez-vous si Lord Ponsonby reste décidément à Constantinople ? Il avait été question de le rappeler lorsque nous avons rappelé l’amiral Roussin. Mais on ne paraît pas disposé, pour le moment à faire comme nous. On n’ose pas non plus faire autrement. C’est de la bien petite politique.

4 heures
La poste ne m’arrive qu'à onze heures. Une roue de la voiture s'est brisée à Mantes. Je commençais à m'impatienter. Je vous aime beaucoup. Je vous le dirai à mon aise demain, en attendant mieux. Il faut aujourd’hui que je renvoie promptement le facteur ; sans quoi ma lettre vous manquerait demain. Adieu. Adieu. Je vous en prie, ayez de jolis tapis. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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304 Du Val-Richer, Jeudi 31 octobre 1839
8 heures et demie

Je voulais partir le 9. Ma mère me demande trois ou quatre jours pour des arrangements de ménage. Je partirai du 12 au 14. Je vous le dirai positivement un de ces jours. J’arriverai vers 6 heures et je vous verrai vers 8. Et pour longtemps. Quand il vous retrouve pour quelques jours, j'ai, dès le premier moment, le sentiment que je vais vous perdre. Le doux est au bord, l'amer au fond. Tout sera doux. Et puis je ne sais, mais j’ai peine à croire que l’été prochain se passe comme celui-ci. Si les situations sont les mêmes, et que je me sente à la gorge la même disposition, je pourrai bien aller prendre les eaux des Pyrénées. Elles ont parfaitement guéri, du même mal, M. de Broglie et M. Mauguin. Venez-y. C'est le plus charmant pays du monde ; et on m'assure qu’il y a deux ou trois établissements où l'on est bien. Le Duc de Noailles pourra vous le dire. Il y a passé l’été.
Les 300 lettres m'indignent comme vous. Que tout est incomplet dans la vie ! Et cet incomplet est si fragile. Rien ne sera incomplet dans quinze jours. Au moins, nous le croirons un peu, quelques fois.
Le Préfet en question méritait son sort. Mais j’en avais parlé, demandant un peu de temps pour y préparer ses amis, dont quelques uns me tiennent de fort près. Nous en étions restés là. J'apprends sa révocation par le Moniteur. Cela m'a mis dans une position désagréable, et j'ai voulu qu’on le sût. Je suis très facile avec mes amis Ministres, très facile et pour ce qui me regarde personnellement et pour les affaires. Je ne veux pourtant pas qu'on me croie trop facile et qu’on en abuse. Il faut qu’on y pense un peu. Je n'ai pas eu d’autre motif, et la chose en restera là. Vous savez bien que vous devez me tout dire. J’ai une confiance, entière en deux choses, vos premiers instincts et vos jugements définitifs. Ce qui vous vient soudainement à l’esprit, par pure impulsion de nature, et ce qui y reste quand vous y avez bien pensé, est toujours excellent. Entre deux, vous avez quelquefois des impressions excessives, des jugements pris d’un seul côté et que je dispute.

10 heures
Je suis bien aise que vous ayez encore des Affaires pour quelques jours. Je voudrais que vous en eussiez jusqu'à mon arrivée et que votre repos ne commençât qu'avec moi. Adieu. Jaubert vous plaira, à la condition que vous y mettez. Il a un mouvement inépuisable et il sera toujours très poli. Mais vous serez bientôt au bout de son esprit. Il en a beaucoup plus à la tribune qu'ailleurs. Adieu. Adieu. Le froid gagne.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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300 Paris mardi 29 octobre 1839

Voici vraiment 300 lettres que je vous ai écrites, cela ne nous fait pas honneur. C'est de mauvais arrangements pour des gens qui trouvent du plaisir à être ensemble il y a bien de la maladresse à avoir passé plus du temps de leur vie commune, séparés. Bulwer doit m’apporter ce matin une lettre, selon laquelle il prétend que Paul montre des dispositions à un racomodément. Je verrai. Je ne veux qu’un retour sincère, Je n’en accepterai plus d’autre. Il m’a trop offensé.
Appony est allé annoncer au roi le mariage de son fils, on dirait l’héritier d'un trone ! Ces bonnes gens font une quantité de petites démarches de petits arrangements surtout, qui sont assez drôles. Le fils se met un peu sous ma protection pour empêcher des lésineries, mais cela ne me regarde pas. Je préparerai mon cadeau. Voilà tout ce que j’ai à y faire.

Midi. Vingt marchands deux querelles où j’avais raison, un froid de loup, une quantité de petits embarras qui puissent toujours pas me donner des grands plaisirs pour me moment vous voyez bien qu'il s’agit de mes meubles, voilà l'emploi de cette première partie de la matinée. Mes lettres doivent bien vous ennuyer car je n’ai rien à vous dire du tout. J'ai eu une longue lettre d’Ellice, au fond rien de nouveau. Le ministère très faible tout juste comme il y a un an et les vraisemblances qu’il fera la même campagne. Point de gloire, mais les plans for ever.
A propos, j’ai ouï dire que vous avez une espèce de discussion presque de querelle avec M. Duchâtel pour un préfet je ne sais pas son nom, & on dit vraiment que vous avez tort, que votre préfet est un sot et que vous ne devriez pas vous faire une affaire pour un pareil personnage. Je trouve cela aussi, et je serais bien aise que vous fussiez de cet avis. Soyez sûr que lorsque je m’avise de vous dire de ces choses là c’est que je crois qu’il est bien de vous le dire. Adieu. Adieu, quand m'annoncerez-vous une date? Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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803 Du Val-Richer, mardi soir 29 oct. 1839

J’ai écrit ce matin quelques pages qui m'ont amusé. La famille de Mad. de Rumford m’a demandé de parler d’elle dans quelque Biographie. J’ai recueilli quelques souvenirs. Les souvenirs sont un grand amusement. Mad. de Rumford avait été très bonne pour moi, il y a trente ans, quand j'étais un petit jeune homme bien inconnu. Elle a fait les deux choses qui touchent le plus en pareil cas ; elle m'a témoigné en tête-à-tête beaucoup de bienveillance dans le monde, beaucoup de considération. Je le lui ai bien rendu. Quand elle a mis à me voir souvent chez elle, plus d'importance pour elle-même que pour moi, j’y suis allé très souvent, je l’ai beaucoup soignée, et j’ai contribué à l'agrément de son vieux salon comme elle avait contribué à l'agrément de ma jeunesse. Elle en a été touchée. Elle m'a dit deux ou trois fois, en me serrant la main, avec son ton bref et rude : " Vous êtes bien aimable. "
Il y a trente ans, 25 ans, 20 ans son salon valait beaucoup ; tous les étrangers de quelque distinction y venaient. C’était une arche de Noé de bonne compagnie. Salon très peu politique, mais d’une conversation très animée, très variée. J’ai vu là les dernières lueurs de la sociabilité élégante, spirituelle, facile du dernier siècle. Il s'en fallait bien qu’elle en fût un modèle elle-même ; elle était brutale, despotique ; mais elle avait de bonnes traditions et qui attiraient tous les bons débris.
Vous me montrerez votre petite Ellice. La pauvre enfant me parait en train de déchoir. Je lui saurai toujours gré de vous avoir un peur soutenue à Baden. Savez-vous que vous m’avez vraiment inquiété pendant ce temps-là, physiquement et moralement ? Pour une personne d’un esprit aussi ferme et aussi précis que le vôtre, vous avez quelquefois, sur vous-même, la parole singulièrement exagérée ; sans le moindre dessein d’exagérer, mais parce que votre imagination et vos nerfs s’ébranlent outre mesure. De là me vient à votre sujet, un déplaisir quelque fois très pénible ; je ne sais jamais bien ce qu’il faut croire de vos impressions sur votre propre compte ; je crains de me trop rassurer en me disant que vous vous inquiétez trop. Donnez-moi un moyen de savoir exactement ce qui est ; je ne puis supporter l'idée de me tromper dans ce qui m’intéresse si vivement. Quand nous sommes ensemble, je m'en tire ; je vois. Mais de loin le doute est intolérable.

9 heures et demie
Vous avez raison sur mon préfet, et je ne pouvais pourtant pas passer le fait complètement sous silence. Je vous dirai pourquoi. Mais la chose va finir et j’espère qu’il n’en restera qu'une bonne impression. Je vous enverrai bientôt une date. Je ne veux pas vous la dire avant d'en être sûr. Je conviens de notre maladresse. Trois cents lettres en moins de deux ans et demi, c’est horrible. Adieu. Adieu. Il faut que j'écrive quelques lignes à Génie à propos de ce Préfet. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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304 Paris le 2 novembre samedi 1839

J'ai eu un long tête-à-tête hier avec Médem. Il est d’avis que je donne connaissance à mes enfants par l’entremise de Bulwer et Cunning des questions que j’ai adressées à mon frère. Si mes fils sont en état de répondre, il n'y aurait plus de quoi attendre, et le question N°1. Serait tranchée par eux mal ou bien, car enfin, c'est à eux à en décider. Les retards ne les rendraient pas plus accommodants, parce qu'au fait ils ont maintenant le droit pour eux ; ce qu’ils feraient serait courtoisie. Il est clair que pour les trois autres points ils sont compétents pour les éclaircir.
Médem n’est pas sans quelque appréhension que la mauvaise humeur que vous nous montrer ici empêche Pahlen d’y revenir. L’Empereur sera ravi d'un prétexte de faire quelque chose de désagréable au Roi. Et il lui est désagréable de n’être pas environné d’Ambassadeur. Moi, je serais au désespoir. Il me manquera beaucoup et toujours. Médem est sans aucune instruction depuis quatre mois, cela gêne beaucoup sa position. Les Appony préparent un petit appartement, de petits cadeaux c’est le diminutif dans toute son exagération. Je dîne aujourd’hui chez les Granville avec de la diplomatie. Bulwer vient toujours tous les jours, quelques fois deux fois. Lord Brougham va arriver.
Adieu, à présent que le bon moment approche, mon mépris pour les lettres. augmente. Je crois que vous vous en apercevez à la façon dont sont faites les miennes. Le prince d’Arembourg a légué à M. de Bacourt toutes les lettres de Mirabeau, il me l'a dit lui même. Je pense que c'est à lui que vous devriez-vous adresser. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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306 Paris lundi le 4 novembre 1839

Point de lettres de vous, ce matin. Qu’est- ce que cela veut dire ? Vous savez que l'inquiétude est ma disposition naturelle. Je serai donc très inquiète jusqu'à demain matin. Vous vous portiez tous bien. Mais tout est si fragile dans ce monde ! Je suis inquiète d’un autre côté aussi. La mer du Nord a été affreuse depuis huit jours, & c’est juste le moment où mon fils s'y est trouvé. Je tremble. Dites-moi que vous vous portez bien et qu’Alexandre est arrivé à Londres.
J'écris aujourd’hui au duc de Sutherland. Bulwer écrit à Cunning l'affaire ira vite maintenant. Je me suis décidée pour le Duc, parce que M. Pogenpohl m'a démontré que dans les mains d'un banquier. mon plein pouvoir entraînerait encore des frais pour 10 milles francs. C'est donc pure avarice ; c’est peut être aussi. plus de sûreté. Midi. Il fait un superbe soleil mais que me fait le soleil ; je n’ai point de lettre. Je reçois de quatre à 6 jusqu'au temps où je recevrai de 9 à 11 heures. Je n’ai à vous citer personne parce que je n'ai rien appris de nouveau hier. Pourquoi suis-je si inquiète ! J'écris aujourd’hui à Alexandre et le cœur me bat. Adieu, il y a encore dix jours jusqu'au 14. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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307. Paris, mardi 5 Novembre 1839

Pas de lettres encore aujourd'hui ! Que faut-il que je pense et comment voulez-vous que je ne sois pas inquiète, très inquiète. Je voudrais m'imaginer que c’est la poste et ses négligences qui me vaut ce chagrin. Mais deux jours de suite c’est trop pour cette cause. Vous ne savez pas à quel point je m’inquiète.
M. Molé m’a fait une longue visite hier, il repart aujourd’hui pour quinze jours il va chez Madame de Castellane. Il allait hier soir aux Tuileries. Son dire est un peu méprisant pour le ministère, et sans spéculation pour l’avenir. Il voit des hommes, mais il les voit toujours isolés sans moyen aucune de faire un pluriel. Il ne comprend pas cependant que le ministère tel qu’il est puisse aller à la rencontre des hommes puissants siégeant sur leur banc. Il critique fort l’affaire de Don Carlos. Il ne fallait pas le retenir trois jours. Aujourd'hui et tous les jours il sera plus difficile de le relâcher. On vient de bannir de Bourges un ami de Don Carlos auquel on n’avait accordé que depuis huit jours la permission de résider auprès de lui.
J'ai mené hier au soir la Princesse Saltykoff chez Lady Granville. Il y avait fort peu de monde. Pahlen s'annonce pour le 10 décembre. Je persiste cependant à douter qu’il vienne. Personne n’a vu l’Empereur depuis Borodico. Il ne quitte pas sa femme. Elle allait mieux cependant. Le pauvre Bulwer a un gros chagrin. Lady Granville recevra sa belle-sœur, je n’y puis rien. Je trouve qu’elle a tort, mais elle ne m’a pas demandé mon opinion. Je calme Bulwer de mon mieux.

Midi. Dieu merci, voici deux lettres ! J’étais excessivement agitée, je ne savais à qui demander, où envoyer. J’ai parcouru avidement les journaux cherchant votre nom. Cela n’avait pas le sens commun mais le cœur n’a pas beaucoup d'esprit. Je vous remercie de n’avoir pas eu d'accident. c’est donc le 13 que je serai contente. Demain en huit. Quel plaisir ! J'ai fait comme vous me dites, j’ai écrit au Duc de Sutherland, Bulwer a écrit à Cunning pour une interrogation simple, et l’affaire va finir. Pas de nouvelle d’Alexandre Il faut bien que je m’inquiète encore de ce côté.
Adieu. Adieu. Le journal des Débats et le moniteur me paraissent assez piquants. Adieu mille fois. Dites à votre poste de ne plus me donner de frayeurs. M. Bresson est arrivé de Berlin hier. On a trouvé fort mauvais à Berlin que le roi de Hollande ait reconnu Isabelle et on le lui a dit.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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310 Du Val-Richer, Mercredi 6 nov. 1839
7 heures et demie

Depuis quelques jours, je vois avec bonheur croître le chiffre de notre correspondance. Il touche à son apogée. Il se reposera là bien longtemps.
Les journaux que j’ai repris attentivement hier, ne parlent d’aucun accident dans la mer du Nord. La traversée n'est pas longue. Je compte que vous me donnerez au premier jour des nouvelles d'Alexandre. Je ne veux vous retrouver ni triste, ni malade. Il y a pourtant des choses qui finissent. Je vous retrouverai avec vos affaires arrangées. Pas aussi bien que je voudrais, tant s’en faut, mais enfin arrangées. Vous souvenez-vous combien de fois vous m'avez dit qu'elles ne s’arrangeraient pas ? J’ai été aussi bien inquiet. Il arrive deux choses. Tout ne tourne pas aussi mal qu’on l'imaginait. On se résigne à une grande partie du mal. Il faut accepter ces termes-moyens de la vie. Le repos est à ce prix. Il n’y faut jamais réduire son âme. Ce serait là de la décadence. Il y a une vraie consolation à planer, au dedans, bien au dessus de ce qui se passe et de ce qu’on accepte au dehors.
Ma mère a encore été souffrante hier. Je crains l’hiver. Elle a heureusement une grande force intérieure. Je ne connais personne de plus inaccessible à l’abattement. Dans sa longue vie, je l'ai vue souvent au désespoir, pas un moment abattue. C’est un puissant moyen de résistance même à la maladie. Je crois au moins autant à l'influence du moral sur le physique que du physique sur le moral.

10 heures
Les premières lignes de votre lettre me désolaient. Je n'y comprenais rien. La distribution a donc tardé à Paris. Enfin bientôt, nous ne courrons plus ni l’un ni l’autre aucune chance d'inquiétude, c’est- à-dire de cette inquiétude là. Adieu. J’ai trois lettres d'affaires à écrire par le facteur qui attend ; des lettres de départ autour de moi. Oui à huit jours. Adieu. Adieu
Je persiste sur D. Carlos. La mise en liberté immédiate eût mieux valu en effet. Mais celle-là aussi n’était pas possible. La Chambre est convoquée, pour le 23 déc. Les Pairs sont nommés. M. Rossi en est. Mais vous savez tout cela. C'est ennuyeux de ne pas savoir et faire toutes choses ensemble. Nous y touchons.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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312 Du Val Richer, jeudi soir 7 Novembre 1839
9 heures

Je pense que depuis plusieurs jours, je ne vous écris que de courtes lettres. Cela me déplaît. Au moment où je vous écris, la perspective de Mercredi soir m’apparaît et je m'arrête. Ma lettre m’ennuie. Quand elle est partie, sa brièveté me choque ; tout ce que j’aurais pu vous dire me revient à l’esprit. C’est une conversation qui me manque. C’est presque vous qui me manquez. Presque quasi. Vous dites que le cœur n’a pas d’esprit. Ce n’est pas vrai. Je ne connais rien qui en ait autant. Rien qui en donne autant. Quel est l'amoureux qui n’a pas d'esprit. M. de Sainte-Beuve en a, sans être amoureux ; mais du plus alambiqué, quintessencié, un peloton embrouillé qui se dévide dans un labyrinthe.
Je vous vois d'ici immobile, grave étonnée, regardant les interlocuteurs, et vous en allant. Vous avez raison. C’est un défaut Français de s'adonner tout entier à une idée, une fantaisie, une conversation, une personne et de ne plus faire attention à rien ni à qui que ce soit. Défaut aggravé de notre temps par les habitudes de coterie. Les habitués d'une coterie sont peu polis. Ils se voient tous les jours, et ne se gênent plus entre eux. Delà à ne se gêner pour personne, il n’y a pas loin. Puis, il y a un argot dans une coterie, & ceux qui le parlent oublient que tout le monde, n’est pas initié. M. le Chancelier, en sa qualité d’ancien parlementaire, se croit obligé d’être pour les Jansénistes d’aimer les Jansénistes. Il ne les connait, ni ne les aime. Rien ne ressemble moins à un Janséniste que cet esprit tout d’expédients, de billets du matin, de visites du soir, avisé, expérimenté, glissant beaucoup et ne tombant jamais. Pascal l’aurait mis dans ses Provinciales. Mais n'importe. Ses pères étaient Jansénistes. Il n'en entendra pas parler avec indifférence. Il ne cessera pas d’en parler. M. de Ste Beuve n’a pas les mêmes raisons de passion. Il a les raisons contraires, ce qui vaut tout autant. Il est, lui, un converti à l'amour du Jansénisme, un ancien libertin et incrédule qui s’est épris d’un enthousiasme littéraire pour austérité et la dévotion. Il a le zèle du novice comme M. le Chancelier, celui de l’hérédité. Vous qui n’avez ni l’un ni l'autre, vous ne vous êtes pas trouvée de la coterie. Après avoir concédé, il faut résister. Il y a des impolitesses nationales. Chaque pays a les siennes. Quand nous serons ensemble, je vous dirai celles que je trouve aux Anglais. Pour le moment, je ne parle de M. de Ste Beuve qu'à vous. Je n'en veux pas parler légèrement. Il écrit à mon sujet une espèce de brochure qui doit paraître cet hiver dans la Revue des deux mondes. On m'a dit cela.

Vendredi 7 heures et demie
Je me lève par un singulier effet de lumière. Le ciel est rouge comme au plus chaud soleil couchant du midi. Il fait froid. Le temps ne me fait plus rien. Il n'y a point et il n’y aura point de querelle sérieuse entre le Roi et son Cabinet. Ils se céderont toujours assez l’un à l'autre pour que le dissentiment n'aille jamais au delà de l'humeur. Et comme ils n’ont pas la prétention d'être amoureux l'un de l'autre entre eux l'humeur ne fait rien.

10 heures
Je ne me résigne pas à ces affaires de Péterbourg, à ces entraves de Paul, à ce renouvellement perpétuel de procédés inouïs. Il m’est venu de là depuis six mois, plus de vraie colère intérieure que d'aucune autre source depuis bien des années. Adieu. Adieu. Les jours s’écoulent. Trop lentement, mais ils s’écoulent. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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313 Du Val Richer Vendredi soir 8 Nov. 1839
9 heures

Je suis très contrariée. Je ne puis partir que le 13 au soir. Il me faut toute la voiture, et on ne peut me la donner toute entière que le 13. Le 12 elle est prise en partie. Je ne vous verrai que le jeudi soir 14 au lieu du Mercredi. J’étais si content d'avoir gagné un jour. Soyez bien contrariée aussi. C’est la moitié de mon chagrin et toute ma consolation.
Il faut que Génie vous soigne extrêmement car il s’excuse de vous négliger. Il m’écrit. " Depuis huit jours, je néglige un peu Madame le Princesse de Lieven. C'est que nous avons repris nos travaux à la cour. Je suis de Chambre trois jours de la semaine et obligé de travailler chez moi les autres jours, Seriez-vous assez bon pour expliquer cela à Madame de Lieven, afin qu'elle ne croie pas qu'il y a de ma faute ? Convenez que c’est une bonne et consciencieuse créature.
Je n’ai point et n'ai jamais eu d'inquiétude vraie sur nos rapports avec vous pour l'Orient. Encore une fois, nous sommes tous pacifiques. Et Pahlen reviendra le 10 décembre. Vous voyez bien que nous sommes au mieux. Vous me donnez le bulletin de toute la famille, Impériale, grands et petits, et je m’y intéresse. N’entendez-vous rien dire d'Afrique ? Au bout de toutes ces courses du Duc d'Orléans, de toutes ces enthousiasmes arabes, j'attends toujours des coups de fusil. Je n'en ai nulle envie. J’ai envie que ce jeune homme se conduise bien et réussisse. Parle-t-on, dans votre monde du voyage du Duc de Bordeaux en Italie ? Je vous fais des questions comme si je n'étais pas sur le point d’aller chercher les réponses. Que ce jour de plus me contrarie ?

Samedi 9 heures et demie
Je me lève. Je voudrais avoir quelque belle histoire à vous conter et à me conter pour charmer votre contrariété et la mienne. Je n’en ai point. J'ai pourtant reçu hier une lettre de Montevideo, (république nouvelle et chancelante, comme tant d'autres, entre le Brésil et Buenos Aires) d’un homme qui m’avait demandé un service, il y a quatre ans. Je le lui ai rendu il y a près de trois ans. Il l’a appris il y a plus d’un an, et il m'écrit avec passion pour m’en remercier mettant à ma disposition tout ce qu’il peut dans l’Amérique du sud, où il peut quelque chose. Je n'en ai que faire. Il ne peut m'envoyer le jour qu’on m'a pris.
Mes filles m'ont fait de la musique hier au soir leur musique. Pauline a beaucoup plus de dispositions qu’Henriette. Henriette a des doigts excellents, mais une intelligence plus active que ses nerfs ne sont susceptibles. Les impressions qu’elle reçoit ne lui suffisent pas ; il faut que son esprit agisse. Pauline est tout nerfs et impressions. Elle se fondrait à entendre de la musique comme la cire se fond au feu & la neige au soleil. L’une est aisément distraite l'autre aisément absorbée. L’une résonne, l'autre raisonne. Au fond, pour tout ce qui est vertu, caractère, jugement, elles sont parfaitement élevées. Il y manque deux choses l’une, que je suppléerai. L'autre je ne sais pas. Avec leur mère, rien n’eût manqué.

10 heures
Ne soyez pas souffrante, je vous en conjure. Je crains mille fois plus votre mauvaise santé que tout le reste. Je soignerai votre tristesse. Je soignerai votre ennui. Je ne puis rien pour votre santé, et de tous les sentiments, le plus amer est celui de l’impuissance dans l'affection. Adieu. Adieu. A jeudi seulement. Voilà un ennui. Ecrivez-moi jusqu'à mardi inclusivement. Je recevrai votre lettre mercredi avant de partir. Je vous écrirai encore Mercredi matin. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Evreux samedi 12 août 1843, 6 heures

J'arrive. J’ai été très vite car je ne suis parti d’Auteuil qu'à 12 heures moins un quart. Vous aurez vu Génie qui vous aura dit ma visite. Rien de nouveau mais un assez vif désir de prendre les rênes de l’affaire, au nom de la légitimité qui abdiquera, et assez d'humeur contre l'Aquilo. Très bien du reste pour nous, et une nuance de raillerie sur les Anglais. Mes lettres à moi, venues par courrier français redisent exactement les mêmes choses. Flahault est un bon truchement. Voutchicth et Pit s'en vont, quand le sénat leur aura dit de s'en aller. Mais c’est une pure forme. J’aimerais bien mieux vous dire tout cela. Où êtes-vous ? Que faites-vous ? Je voudrais régler et remplir de loin vos journées. On ne peut rien de loin. J’ai tort. Je voudrais que vous vissiez tout ce qu’il y a en moi de loin comme de près, Vous ne diriez pas que ce n’est rien. Adieu Adieu.
On m’appelle pour dîner. Nous repartons demain à 9 heures. Il a fait bien beau malgré des nuées de poussière. J’ai trouvé ici, dans l’auberge. M. de Salvandy qui vient se faire élire membre, du Conseil général. Très amical. Il me cède son appartement, qui est le meilleur de la maison. Adieu. Adieu. J’espère que j'aurai demain, en arrivant au Val-Richer, quelques lignes de vous. Me trompé-je ? Adieu

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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2. Beauséjour Samedi 2 heures le 12 août 1843

Je reviens de ville, où je n’ai vu que Durroy & M. Galand, ce n'est donc pas des nouvelles que j’ai à vous conter mais je veux ajouter à ma lettre de ce matin que j’ai remise à Paris, parce que je crains qu’elle ne vous fâche. Je regrette votre départ, je trouve d’après tout ce que m’a dit Génie que cela n’est vraiment, pas raisonnable, que vous avez été faible, mais je ne vous reproche rien, et je veux avoir foi à votre promesse de 26 en dépit de ce qu'a dit votre mère. Répétez-moi le 26 dans chaque lettre. Vous tenez tant à avoir son respect pour votre parole, & vous me l'avez engagée. Et puis dites-moi, répétez-moi qu’il ne vous arrivera rien. Point d'accident, point de maladie. La semaine prochaine sera abominable et si longue, si longue ! Mais la suivante quel plaisir de me dire la commençant que je la finirai bien si bien auprès de toi dans mon petit salon. Que nous serons contents ! En attendant je me ferai tous les dragons du monde, et pour commencer il me semble que cette nuit, on viendra vous attaquer dans votre lit. Fermez-vous votre porte ? Comment ai-je pu oublier de vous demander cela ? Je relis, je trouve une familiarité extraordinaire sur cette page. C’est égal je n’effacerai pas. La P. Belontelly sort d'ici. Décidément elle croit que Mad. de Nesselrode va venir : si elle vient, je suis d’avis que vous ne soyez pas aussi poli que la dernière fois. Au fond Génie ne m'a dit sur la visite qui vous est venue ce matin que la circonstance qu'on n'appelle plus Bourges ni roi ni reine. Ce n'est pas grand choses. Le faisait-on avant ? Je ne me sens pas bien, je voudrais me distraire. J'ai froid aux jambes. Sur les nerfs. Ils iront mal jusqu'au 26. Voici une petite lettre d'Emilie reçue à l'instant. Je crois que c'est le prétexte pour vous écrire deux lettres. Mais la vraie raison est que je voudrais en écrire et en recevoir toutes les heures. Adieu une fois, mille fois. Le 26. Le 26 et avant s'il plait à Dieu de nous envoyer une révolution, et à Lopeze vous demander un ambassadeur. N'allez pas m'escamoter cela. Adieu. Je vous enverrai Emilie demain au fond je ne l'ai pas encore lue.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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3. Je mets 3 à cause de mes deux billets d’Evreux non numérotés.

Du Val Richer. Lundi 14 Août 1843, 6 heures du matin

Que je vous remercie ! Vous êtes charmante. Je comptais sur une lettre ; et encore vous ai-je fait une sotte question. J'en ai trouvé deux. Ne craignez jamais de me fâcher. Dites-moi toujours tout. Tout me plait venant de vous. Je ne me pique point de n'avoir jamais pour ceux que j’aime, pour ma mère surtout, quelque complaisance quelque faiblesse si vous voulez. Vous y êtes vous-même pour quelque chose. J’ai tort de vous dire cela ; je touche là une triste corde. Mais moi aussi, je vous dis tout. Le spectacle d’un fils que n’est pas pour sa mère ce qu’il doit être m'a tellement blessé que cela a tourné au profit de la mienne ; et je suis devenu, pour elle, plus soigneux, plus affectueux qu'auparavant. Il est vrai qu'elle et mes enfants avaient un très vif désir de ce voyage. Il m'a plu de leur donner ce plaisir. Je n'ai pas perdu ma bonne intention. Ils sont dans le ravissement.
Je mentirais, si je ne disais pas que je prends aussi quelque plaisir à la vue de mes bois, de mon jardin, de ma bibliothèque, de ma serre, de mes orangers. Le soleil brille ce matin ; ses rayons percent avec éclat une vapeur légère et fine qui flotte encore sur les bois et les près, les plus verts du monde. C’est charmant. Mille fois moins charmant qu’un moment près de vous, une parole, un regard de vous. Croyez-moi dearest, car je vous dis tout. Ne soyez pas jalouse de mon plaisir d’ici ; il ne le mérite pas. Mais pardonnez-moi de le sentir.
Puisque le mot de jalousie est venu là, sachez que vous êtes vous dans ma maison, pour ma mère surtout un objet d'immense jalousie. Si je n'étais pas venu ici elle aurait été parfaitement convaincue que vous seule en étiez la cause. Vous la comprendrez et vous ne lui en voudrez pas. Vous avez le cœur si juste ! Gardez-moi pourtant tout ce que vous m’avez montré le jour où vous m’avez dit qu'avec moi seul vous n'aviez ni justice, ni impartialité. Je déraisonne. Je vous demande les contraires. Oui, je vous les demande, bien sûr de vous en récompenser amplement. Je ne crains jamais d'être en reste avec vous.
Le 26. Politiquement soyez tranquille. Le jour où mon absence aura un inconvénient réel je partirai sur le champ. Je suis très attentif à cet égard. Je ne vous retire point la question d’un Ambassadeur à envoyer à Madrid. Si elle vient, elle me ramène le lendemain. Dans la nuuit de samedi à dimanche, à Evreux, à une heure du matin, le directeur de la poste m'a réveillé pour m’apporter une lettre du Ministre de l’Intérieur, disait-il. J’ai cru que j'étais rappelé à Paris. Ma première, bien première impression a été de plaisir, de plaisir pour Beauséjour. Il n’y avait point de lettre de Duchâtel. C’était tout bonnement des papiers que Génie m'envoyait et qui auraient fort bien pu attendre mon réveil. Il y avait pourtant une lettre du Roi. Bonne à voir, tant elle montre son sincère éloignement pour le mariage Espagnol, son vif désir de s’entendre avec l'Angleterre, et son humeur de ce brouillard si épais de préjugé, de méfiance et de crédulité qu'il ne peut parvenir à dissiper. Je vous quitte pour lui écrire. Je vous reviendrai quand la poste sera arrivée. Adieu. Adieu. Cent fois, adieu.

10 heures
Que j’aime le N °31 ! Si Oudinot a passé à Copenhague je ne comprends pas qu’il n'aille qu'à Ems ou à Vienne et s’il n’y a pas passé, je ne comprends pas où St. Priest a pris ce qu’il m'a dit. Oudinot n'aurait-il voulu aller à Pétersbourg qu'en cachette pour porter lui-même ses regrets à l'Empereur et revenir aussitôt. Ce serait bien galant. On écrit de Madrid qu'Aston fait ses préparatifs de départ. Vous me renverrez ce que je vous envoie. Adieu. Adieu. Il faut que j'écrive au Roi, à Désages et à Génie. Adieu. Au 26.
Ni brigands, ni accidents, ni maladies.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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4. Beauséjour lundi 11 heures
Le 14 août 1843
J’ai trouvé en ville hier votre petit mot d'Evreux. Cela m’a raffermi le coeur. J’ai été à l’église. J’ai prié avec ferveur. M. Cuvier nous a fait un bon sermon, simple, très bien.
En rentrant ici j’ai trouvé Bulwer qui m’attendait. Il part ce soir pour Dieppe d'où il veut revenir à la fin de la semaine pour se mettre à ma disposition. Je n’y crois pas du tout. Acton explique longuement qu'Espartero, avait eu raison dans son place de campagne, le bombardement de Séville était même très habile et très juste. Malheureusement Serano qui devait battre, a été battu. Petite différence qui a tout dérangé. Grande désunion parmi les chefs vainqueurs. Grande vraisemblance et même imminence de troubles à Madrid une réaction. Le parti français grossissant. Grande crainte que l'Espagne toute entière ne demande le duc d’Aumale. Voilà Acton, Bulwer a l’esprit préoccupé du duc d'Aumale aussi, et me demande beaucoup ce que j'en crois. Qu’est-ce que je puis croire ? Je ne crois rien, mais je m’amuse des inquiétudes anglaises, c’est ce que je lui ai dit. En ajoutant qu’ils étaient singulièrement crédules. Après, Bulwer j’ai vu Kisselef. Il n’a pas eu un mot par le dernier bateau, il ne savait donc rien et avait tout à apprendre. Grande éloge des discours du duc de Nemours vanté même par les légitimistes au Club.
A quatre heures je suis partie pour Versailles avec Pogenpohl. Jolie course, air excellent qui m’a donné des forces J'ai marché beaucoup sur la terrasse avent dîner, après dîner à huit heures je suis repartie, j’ai descendu à pied la montagne à St Cloud et j'étais rentrée à 9 1/2 et dans mon lit avant 10 heures. Voilà bien exactement hier. Aujourd’hui je vais en ville je passerai à la porte de Génie. Je dinerai chez les Cowley. Demain je compte m’établir à Versailles, mais je vais encore apprendre si la pieuse comtesse y vient décidément ; si elle ne venait pas j’irai à St Germain que je vois plus gai. Certainement je ne resterai pas ici j'y suis trop triste. Avant hier Appony, hier Bulwer ont fort exalté votre mérite. Grands, grands éloges. Voici du bien beau temps ; mais mon jardin me déplait. Je vous envoie la lettre d’Emilie. Il est clair qu’elle n’a pas grande envie de ce mariage. Je pense beaucoup à tout ce qui se prépare en Espagne, hors d’Espagne. Je crois beaucoup à une ligue européenne contre le mariage possible avec la branche d’Orléans. Je crois surtout que vous seriez mieux à Paris dans un moment pareil qu'au Val-Richer. Que de retard ; & que d'occasions où un jour de retard porte un dommage difficile à réparer. Je ne puis m’empêcher de répéter avec beaucoup d’autres que vous vous en allez tout juste au moment où vos embarras et votre action commencent, c’est singulier ! Je me sers du mot le plus poli. J’en ai de bien gros au bout des lèvres. Adieu. Adieu pourtant. Adieu. Le 26 et peut être avant. Pensez un peu si avant ne deviendrait pas nécessaire ? Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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4. Au Val Richer, Mardi 15 août 1843,
7 heures du matin

Quel ennui d’être loin ! J’aurais mille choses à vous dire, votre avis à prendre, car j'ai besoin de votre avis. Il n'y a pas moyen d’écrire tout cela. J’ai une première réponse de Londres, une première conversation de Chabot avec Aberdeen, des hésitations, des embarras, des pusillanimités, des susceptibilités, des prévoyances, des méfiances à l'infini, et à travers tout cela, un désir sincère de s’entendre avec nous, un fort instinct que cela se peut, qu’il n’y a que cela de sensé que c'est pour eux, le seul moyen de sortir d'une mauvaise situation. Et c'est de si loin que j’ai à traiter avec toutes ces impressions, toutes ces nuances de dispositions qui seraient déjà bien assez difficiles à manier de près !
L’estafette m'a réveillé à 2 heures et demie J’écris depuis ce temps-là au Roi, à Chabot, à Génie. Je viens de renvoyer l’estafette et je vous écris à vous, pour me rafraîchir. J'étais venu ici pour me promener, et ne rien faire. Ce n’est pas le tour que je prends. Je me suis beaucoup promené hier. J’ai arrosé mes fleurs. J'en ai beaucoup et de charmantes, des raretés. Vous les aimeriez. Ce matin, il y a un brouillard immense. Il enveloppe tout. Il fera très beau à
Midi. Vous n’avez nulle raison d'être inquiète ; mais vous avez grande raison de m’aimer plus que jamais et de me le dire. Mon plaisir à l’entendre mérite tout ce que vous voudrez. Je crois aussi que Salvandy acceptera Turin. Pourtant il n’y a jamais à compter sur les esprits mal faits, et mal faits surtout par la vanité. Ils déjouent toute prévoyance. Je vais faire ma toilette en attendant la poste. Puis j’essaierai de dormir un peu. Je m'étais couché hier avant 10 heures. Mais de 10 heures à 2 heures et demi, c’est trop peu de sommeil.
10 heures et demie. C’est charmant deux lettres. Oui, il y a, en ce moment, un inconvénient réel à être loin et très probablement je n'attendrai pas, le 26. N'en dites rien à personne. Je suis frappé d'Espartero faisant un manifeste donc n'abandonnant pas tout-à-fait la partie. On fera de lui, si on veut, un instrument d'intrigues en Espagne, et on le voudra, si nous ne nous accordons pas. Tout cela a besoin d'être conduit avec une grande précision et heure par heure. Je suis bien aise que vous ayez reçu une lettre de votre frère. Il paraît certain que l'Empereur ira à Berlin. On l’y attend. Bresson me mande que M. de Bülow est revenu en très bon état. Je vous quitte pour Génie à qui j’ai plusieurs choses à dire. Adieu. Adieu. Soyez charmante tous les jours, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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5. Beauséjour lundi 2 h 1/2
le 14 août 1843

J'ai trouvé en ville votre petit mot d'Evreux. Le timbre de l'enveloppe portait Lisieux. Vous êtes donc arrivé sans accident. Dieu merci ! J’ai eu ma petite entrevue en ville. Je suis bien contrariée de ce qu'il m’a dit. Vous le serez un peu. Peut-être trouverez-vous que votre présence ici eut mieux valu dans ce moment. Prenez garde, un faux pas peut mener loin. Je voudrais bien vous parler. Je vous disais ce matin quelque chose qui trouve assez son application. Ceci est un moment des plus importants pour vous et pour la question. Je n’aime pas votre absence. Ce n’est pas à moi du tout que je pense en vous disant cela. C’est vrai ce que je vous dis là. Voici une lettre de mon frère que vous me renverrez.
Adieu. Adieu. J’ai voulu encore ajouter ce petit mot. Les numéros sont utiles pour cela. Adieu, le 26, j'ai bien envie de ne plus y croire mais dans le bon sens. C'est-à-dire qu'il est indispensable que vous reveniez avant. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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7. Paris Mardi, 1 heure le 15 août 1843

Je trouve ici votre bonne lettre 3. et l’incluse, excellente. Si je l'avais reçue à Beauséjour il y a une heure. Je n’aurais peut-être pas résisté à la tentation de la montrer, tellement elle est bonne, et to the point. Mais c’est trop tard. Où rattraper man chevalier errant ?

A 3 heures Beauséjour, je l'ai reçu c'est-à-dire que je l'ai fait venir. La préface a été bonne et courte. " Je vous crois un gentleman, je vous crois de l’amitié pour moi, jamais vous ne direz. Voici une occasion unique de porter la conviction dans votre esprit, et de faire par là du bien dans un moment important. Je ne veux pas balancer. "
L’étonnement et le contentement étaient visibles. Je crois, je suis sûre que j'ai bien fait. Il y a des occasions où le noir sur blanc, fait une impression bien autre que la parole. C'était comme mon K. il y a quelques semaines. Je vous renvoie, ce sera remis dans les mains de Génie. Il ne se doute pas comme de raison. Je l’ai vu ce matin, nous sommes convenus qu’Etienne ira tous les matins à onze heures prendre ses ordres c. à. d. ma lettre et qu'il viendra me l’apporter et reprendre ma réponse, demain à Versailles, après demain à St Germain. Adieu. Adieu. Je vais partir. Dites moi que vous recevez exactement mes N° celui-ci surtout. Adieu. Que j'aime votre N°3 !

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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6 Du Val Richer Jeudi 17 août 1843
8 heures

Mon paquet retardé m’est arrivé hier soir, à 10 heures et demie. J'étais déjà couché. Par je ne sais qu’elle méprise du courrier, ce paquet était allé me chercher à Bayeux d'où on me l’a renvoyé. Je vais demander des explications et faire reprimander sévèrement le courrier. Mais j’ai le cœur content depuis que j’ai mes lettres, c’est-à-dire ma lettre. Il n’y avait rien de grave dans le paquet des dépêches, et le retard n’a point nui. Je n'en viens pas moins de régler notre départ pour lundi 21. Nous irons coucher, à Evreux ; et je serai à Auteuil mardi dans la matinée. Il serait possible que je fusse obligé de ne partir d’ici que mardi et de n’arriver à Auteuil que Mercredi. Mais j’espère lundi.
Vous ne croyez pas au 26. Vous aurez, nous aurons mieux. Je suis bien aise que Bulwer aille à Londres. Vous lui avez très bien parlé très véridiquement et très utilement. On fera une faute énorme si on fait du bruit contre le mariage Aumale. Au fond, si nous voulions ce mariage, si les raisons françaises et Espagnoles étaient en sa faveur, je n'aurais pas grand peur de ce bruit Européen. Je le crains parce qu'il est inutile et deviendrait fort dangereux s’il faisait de ceci, pour la France et pour l'Espagne, une question d’indépendance et de dignité nationale. Du reste, je ne sais pourquoi je vous répète là ce que vous avez dit à Bulwer. M. de Metternich, sous des apparences réservées et douces, me paraît bien préoccupé du comte d'Aquila, préoccupé surtout de la crainte que le Roi de Naples ne reconnaisse, avant l’Autriche, la Reine Isabelle, et ne s'échappe ainsi du bercail, comme fit, il y a quatre ans le Roi Guillaume. Il y aurait là, en Italie un acte et un germe d'indépendance qui lui déplairait fort. C’est évidemment une affaire qu’il faut conduire sans en parler beaucoup, et sans admettre une discussion préalable. En tout, je ne m’engagerai dans aucune discussion de noms propres. Je resterai établi dans mon principe, les descendants de Philippe V. C'est à l'Espagne à prononcer et à débattre les noms propres. Votre Empereur a déclaré aux Arméniens Schismatiques, dont le Patriarche est mort dermièrement qu’il ne consentirait à une élection nouvelle qu'autant que la nation entière reconnaitrait la suprématie spirituelle du Synode de Pétersbourg. La nation a refusé. L'Empereur a interdit toute élection et confisqué en attendant les biens du Patriarche, qui sont considérables, dit-on. Cela fait du bruit à Rome. Le Pape protégera les Schismatiques contre l'Empereur.
La lettre d'Emilie est bien triste. Et celle de Brougham bien vaniteuse.
10 heures
Voilà les numéros 7 et 8. Vous avez très bien fait. Je crois comme vous, à la vertu de la vue de ce qui a été écrit sans intention. Je ne réponds plus sur le 20. Il est devenu le 22. Je vous quitte. J’ai à écrire à Génie et à Désages. Je ne crois pas à Espartero sur un bateau à vapeur entre à Bayonne. Ce serait trop drôle. Adieu. Adieu. Je suis charmé que l’air de Versailles vous plaise. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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5. Au Val Richer, Mercredi 16 août 1843,
8 heures

J’ai encore été réveillé cette nuit par une estafette du château d’Eu. Le Roi me consultait sur la conversation qu’il doit avoir un de ces jours avec Salvandy à propos de l’Ambassade de Turin. Mortier voudrait bien aller à Turin et le Roi est bien disposé pour lui. Mais je suis sûr que Salvandy ne voudra à aucun prix de la Suisse, la plus petite des Ambassades, petite pour sa vanité ; petite pour sa bourse. C’est déjà beaucoup de lui faire accepter Turin. J’ai prié le Roi de ne parler que de Turin. Pour ceci, le Val Richer n'a causé aucun retard. L’estafette vient aussi vite d'Eu ici que d’Eu à Paris. Mais en tout, cela ne peut pas aller. La situation est trop grave, trop délicate, trop pressante pour admettre des retards au moins de 24 heures souvent de 48. Je Je m’arrange pour partir d’ici lundi ou mardi, le 21 ou le 22.
Mon Conseil général, les électeurs qui voulaient me donner un banquet en auront de l'humeur. J’en suis fâché, car ils sont très bien, et je tiens à ce qu’ils soient très bien pour moi. Mais il n'y a pas moyen. J'ai vu beaucoup de monde hier et je les ai préparés tous à ce désappointement. Dearest, de quel mot je me sers là! Admirez l'empire des situations. C’est au désappointement de mes électeurs que je pense quand je dois vous revoir cinq jours plutôt. Vous me le pardonnez n’est-ce pas ? Croyez-moi ; vous pouvez me tout pardonner, chaque nouvelle séparation, chaque jour de séparation me fait mieux sentir tout ce que vous êtes pour moi. Que de choses à nous dire ce jour charmant où nous nous reverrons et tous les charmants jours suivants Je vous crois parfaitement quand vous me dîtes que ce n’est pas à vous que vous pensez quand vous me parlez de la nécessité de mon retour. Vous ne m’avez pas envoyé la lettre d'Emilie. Je la plains de se marier sans goût. L’intimité de la vie quand celle du cœur n’y est pas me paraît odieuse à 55 ans comme à 20. Emilie s’y accoutumera comme presque tout le monde s’y accoutume. Mais il en résulte une certaine décadence intérieure qui me déplait infiniment. Il pleut ce matin. Je vais faire ma toilette. Je vous reviendrai dans une heure Adieu jusque là.
10 heures Voilà bien une autre raison de revenir plutôt. Mon courrier de Paris me manque ce matin, tout entier, journaux comme dépêches, et vous par dessus tout. Je n'y comprends rien. Mais quelle que soit la cause, l'effet me déplait horriblement. Quelque négligence, un quart d’heure de retard du commis expéditeur au Ministère. C'est odieux. Je vais me plaindre amèrement à Génie. Adieu. Adieu. Ma journée sera bien longue. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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11. St Germain, vendredi 3 heures.
Le 18 août 1843

J’ai répondu trop courtement tout à l'heure à votre lettre. J’étais pressée de renvoyer Etienne. Je suis très frappée de ce que vous me dites sur Metternich et Naples. Il faut lui enlever cette clientelle, ou plutôt ce client. Faire reconnaître par Naples. Je crois moi, en tout, que vous menerez bien cette affaire là. Elle est grande vous vous y ferez hommes. Mais il faut la surveiller et la suivre de très près.
Samedi Midi le 19 août. Je fus interrompue hier par l'arrivée des [Delosdeky], de Rodolple Appony. Ils sont restés jusque près de l'heure du dîner. Le mari va aujourd’hui à Dunckerque où il s'embarque, & la femme au Havre où elle reste. Elle a eu une lettre de mon frère par laquelle il est évident, qu'il voudrait que sa femme passât l'hiver à Paris pour se débarrasser d’elle, & il garderait Sophie. The better half, et nous aurons the worse. Nous avons eu à dîner le prince Kourakine et M. Balabine. Vous ne vous attendez pas que cela me fournisse quoi que ce soit à vous dire. Voici huit jours depuis votre départ. Et bien le temps a passé. il passe sur l'ennui comme sur la joie. Mais Dieu merci il n’y a plus que trois jour. Que vous aimeriez St Germain ! C’est charmant et un air si pur si bon. Une heure. Votre lettre m’arrive. Je suis enchantée que vous ayez renvoyé à Londres, avec le changement. Décidément c’est avec Londres qu'il faut s’arranger, et vous y parviendrez. Comment Espertaro serait vraiment en France ? C’est certainement original. Depuis votre lettre qui fixe Mardi pour votre retour je médite sur les moyens de m'échapper. Si je le puis convenablement vous savez bien que je le ferai, mais si cela devait offenser ou chagriner cette bonne jeune comtesse, je ne pourrais pas. Vous ne sauriez croire toutes les attentions qu’elle a pour moi. Adieu. Adieu. Il me semble donc que je ne vous lirerai plus que demain. Je mens, je vous écrirai, toujours puisque Genie saura bien où vous trouver. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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13. St Germain Lundi, midi
Le 21 août 1843

Nous avons fait une promenade charmante dans la forêt avant le dîner. C’est superbe, je ne conçois pas que tout le monde ne vienne pas habiter St Germain. Rien ne manque pour en faire la plus belle, la plus ravissante habitation d'été. Pauvre Beauséjour il est en grande décadence. Kisseleff et Pogenpohl sont venus dîner. Pas l’ombre de nouvelle seulement Kisseleff m'apprend que le Maréchal Sébastiani a passé son temps à Ems avec le général Oudinot. Voilà qui est catégorique, & St Priest est un écervelé. Vous ai-je dit que Madame de Castellane est à Paris depuis huit jours ? Elle y est venue le jour où vous êtes parti. Elle me l’a fait dire en me priant de passer chez elle. Je n'y ai pas été. Elle reste encore quinze jours je crois. Aujourd’hui elle dîne chez les Appony avec Molé je suppose. Albert Esterhazy devait arriver hier. Je quitterai St Germain après demain entre 10 & 11 heures.
Voici votre lettre, j’espère bien en avoir encore une demain. C’est vrai, point de nouvelles, rien. Cela m'est égal. Je n’y pense pas. C’est étonnant comme un changement de localité change la direction de mes idées. Je n’assiste plus au spectacle du monde. Je suis très absorbée par la belle vue, la nouveauté des objets qui ne me rappellent rien. La conversation de la jeune comtesse. L'incertitude d'un bon ou d'un mauvais dîner. La journée se passe de la façon du monde la plus tranquille et la plus bête ; et cela me plait puisque vous êtes au Val-Richer. Mercredi à midi cela ne me plairait plus.
J'ai attaqué le dernier paquet de plumes que vous m’avez donné. Elles sont détestables, et j’ai toute la peine du monde pour écrire ceci. Vous le voyez je crois. Je voudrais bien écrire quelques lettres d’ici mais cet obstacle m'arrête. Adieu, adieu. Je vous écrirai encore demain. Adieu dearest.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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9. Val Richer, Dimanche 20 août 1843
10 heures

Je serai bien court aujourd’hui. C’est un jour d'audience universelle. J’avais déjà trois visites ce matin, à 8 heures. On sait mon départ mardi. Tout le monde viendra. Et j’attends Salvandy dans la journée. Mes nouvelles d’Espagne sont bonnes. L’union des coalisés persiste et s'affermit au lieu de s’ébranler. Prim est chargé de pacifier Barcelone. Nous verrons bientôt une autre coalition, la Carlo-républicaine. Déjà on m'avertit que les Coalisés se remuent beaucoup. Coalition contre coalition. Olozaga viendra à Paris comme Ambassadeur vers la fin de septembre. On nous demandera d'en envoyer un à Madrid après le serment de la Reine aux Cortes. Jusqu'ici ce sont des affaires conduites sensément, sans presse et sans peur.
Espartero, en arrivant à Lisbonne a fait demander les honneurs de Régent. Le Ministre d’Espagne lui a fait dire qu’il avait reconnu, il y a deux jours, le gouvernement de Madrid, et le Cabinet Portugais qu’il allait le reconnaître. Espartero a déjà les illusions d'un émigré. Comme le monde va vite !
Ecrivez-moi encore demain. J’aurai votre lettre mardi matin, avant de partir. Le Roi de Prusse s’est personnellement. rejoui de la chute d’Espartero. Et Bülow aussi. Mais le travail anti-français est toujours bien actif en Allemagne. Il n’y aura pas de divorce légal entre le Prince et la Princesse Albert ; mais séparation de fait. Quand nous sommes ensemble à défaut de grandes nouvelles, il y a nous. Mais de loin, rien que des petites nouvelles, c’est pitoyable. Que Mercredi sera bon !
Piscatory fait très bien en Grèce. La conférence de Londres a adopté toutes ses vues. Adieu. Adieu. J’ai mon paquet à fermer et des gens qui attendent. Adieu, encore. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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3 Château d’Eu, Samedi 2 sept 1843
6 heures et demie du matin.

Il fait toujours très beau, et bon vent d'ouest. La Reine, la nôtre, avait grand peur que l'autre Reine n’arrivait cette nuit. Le danger est passé. Les Cowley sont arrivés hier à 3 heures. J'ai été les voir sur le champ en revenant du Tréport où j'étais allé avec Mackan m’assurer de tous les préparatifs. Ils ont l'air bien contents. Mais Lord Cowley, qui avait d'abord cru le contraire, dit que la Reine n’ira pas à Paris, qu'elle ne le peut pas cette fois. Nous verrons bientôt. Je crois quelle n'ira pas.
Chabot est arrivé aussi. Je lui ai fait mon admonition. Le tort était petit, à part ma facilité naturelle et ma bonté particulière pour lui. Il m’a écrit que le Roi le mandait à Eu le lendemain du jour où il l’a su ; et ce n'est pas sa faute si je le savais déjà depuis plusieurs jours, le Roi me l'ayant mandé tout de suite. Il est d'ailleurs fort agréable à entendre sur notre et ma bonne situation à Londres. Il y a évidemment un parti pris de s’entendre avec nous sur toutes choses et de reprendre en même temps le fond et les dehors de l’intimité.
Lord Aberdeen a assez mal reçu Neumann sur les propositions de M. de Metternich en faveur du fils de D. Carlos. Il les aimerait assez en principe, mais il ne croit pas au succès et ne veut pas s'en mêler du tout. Neumann à écrit qu’il n’y avait rien à faire du foreign office sur cette question là. M. de Metternich avait écrit partout, à Berlin entr'autres, qu’il était sûr de l'Angleterre et n'attendait plus que la France. La vanterie n’est pas un défaut des seuls Français. Le gouvernement représentatif en corrige beaucoup. Le ridicule ne peut pas s’y cacher.
Le corps diplomatique de Londres ne voulait pas croire au voyage. Là aussi on pariait, Brünnow comme Kisseleff. Lord Aberdeen y a été très favorable quoi qu’il souffre beaucoup en mer. Je crois toujours que l’espoir Cobourg y est pour quelque chose. Le Prince Albert et le Roi Léopold ont évidemment beaucoup contribué à la résolution. Votre recommandation est donc bien placée, mais point nécessaire ; soyez sûre.
L’appartement de la Reine est bien arrangé. Un bon salon avec un meuble de beau Beauvais, fond rose et des fleurs d'un travail admirable. Un bon Cabinet pour le Prince Albert en velours cramoisi. La Chambre à coucher, (j'oublie la couleur) grande et très pleine de meubles. Un lit immense. (jaune, je me souviens) en face de la cheminée. Au fond du lit un grand portrait de la grande mademoiselle à plus de 50 ans, grosse, forte, le nez en l’air, quoique long, l’air hautain et étourdi, bien comme elle était. Des portraits dans toutes pièces, et dans tous les coins de toutes les pièces. En face du lit de la Reine à droite de la cheminée, le père de l'Empereur Napoléon, Napoléon et M. de Lafayette. A gauche, trois Princes de la maison de Bourbon anciens, je ne sais plus lesquels. Après la Chambre de la Reine, son cabinet, pas grand, fort joli. Beaucoup de petits comforts inspectés par le Roi avec un soin incroyable. Il était bien en colère hier parce que les serrures n'avaient pas bonne mine. Elles auront bonne mine.
J'ai vu hier Madame la Duchesse d'Orléans. bien triste. Je la trouve un peu engraissée, mais fatiguée et le teint échauffé. Bon et beau naturel. Soyez en sûre Elle viendra un peu le soir, dans le salon de la Reine. Ce sera sa rentrée dans le monde. Le Comte de Paris est à merveille, gras, gai, l'œil ferme et tranquille. Le duc de Chartres bien grêle et bien vif. Je l'ai vu hier au Tréport. Le comte d’Eu sur les bras de sa nourrice, un superbe enfant.
Le camp de Plélan va très bien. Parmi les légitimistes bretons, l'ébranlement est général ; et la masse de la population accourt au camp avec avidité. Les curés très puissants là, se rallient tous. Le Duc leur convient. La Duchesse plait. Et les soldats aussi plaisent au peuple. La Bretagne n'avait rien vu de pareil depuis on ne sait combien d'années. Les comédiens de Vannes sont venus s'établir au camp. On s'amuse utilement. A propos de comédiens nous aurons ici lundi, l'Opéra comique et le vaudeville. Jean de Paris et les deux voleurs ? Qu’est-ce que les deux voleurs ? Arnal y est-il ? Il faut pourtant que j'écrive à d'autres. Nous serons probablement convoqués, tout à coup, après le déjeuner, pour nous rendre au Tréport. Dès que la flottille de la Reine sera en vue, trois coup de canon l’annonceront. Nous endosserons notre uniforme, nous monterons dans les calèches; et Dieu sait quand nous reviendrons; à quelle heure je veux dire. Les approches, la marée, le débarquement, les cérémonies, rien ne finit. Cette lettre-ci partira donc sans que j’y puisse rien ajouter, par le courrier de 2 heures. Mais je vous écrirai ce soir par l'estafette. Il n’y avait rien à faire du télégraphe. On n'aurait pu aller le rejoindre qu'à Boulogne 28 lieues d’ici. Mad. Angelet (vous savez qui c’est, elle a élevé la Princesse Clémentine) m'a fait les plus agréables rapports sur ce qu’on disait de moi, à Windsor, la Reine et tout le monde autour de la Reine. Je me suis trompé, c’est miss Lisdle et non pas miss Leeds ; une sœur de Lady Normanby. Adieu. Adieu. Je vous dirai encore adieu après le déjeuner, avant de monter en voiture.

9 heures. Voilà du canon. Le Roi me fait demander. Je pars. Adieu. Adieu. G.

Onze heures Je reviens. Ce n’était pas la Reine, mais un petit steamer anglais envoyé devant pour annoncer qu'elle arrivera vers 2 heures. The Ariet, Captain Smith. Il a quitté la Reine à Portsmouth. Elle a dû partir de Falmouth hier au soir à 6 heures, pour passer dans la nuit devant Cherbourg. Le Prince de Joinville, averti aussi, a dû quitter hier soir la rade de Cherbourg pour aller rencontrer la Reine en mer. Tout cela est arrangé, calculé avec une précision admirable. Nous venons de déjeuner et nous rentrons chez nous jusqu'à l'heure.
Que le n° 2 est amusant ! Je répète avec vous : " C’est trop bête. " Ne trouvez-vous pas que quand on n'a pas naturellement beaucoup d'esprit il ne sert à rien, dès que la passion arrive, d'être bien élevé et de bonne condition ; on tombe au plus bas, on devient grossier et subalterne, comme si on avait passé sa vie dans l’antichambre.
Vous avez mis Andral pour Arnal. J'en ai ri. Mon pauvre Andral a failli perdre tout à l'heure sa femme d’une fluxion de poitrine, la fille de M. Royer-Collard. Elle est un peu mieux. Je déjeunais à côté de Lady Cowley. J’ai fait avec elle ce que vous auriez fait avec son mari. Je lui ai soufflé l'humeur d’Appony. Je ne savais pas que Georgina eût le cœur si français. Au point, me disait sa mère, qu’elle trouve à tous les Anglais en France, l’air vulgaire. C’était à propos du Capitaine Smith ; et pour lui, il y a du vrai. Mais pas du tout en général. Adieu. Adieu. Je dis comme tout-à-l'heure. Il faut pourtant que j'écrive à d'autres. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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2. Au château d’Eu Vendredi 1 sept 1843
9 heures

Je me lève. J’ai très bien dormi. J'étais fatigué hier soir. Je dors dans ma voiture comme il y a vingt ans et ma voiture est beaucoup meilleure qu’il y a vingt ans. Mais j’ai vingt ans de plus. Je suis très reposé ce matin. La Reine ira-t-elle à Paris ? That is the question. Personne n’en sait rien. Sebastiani qui est arrivé hier de Londres dit oui. La Reine des Belges persiste à dire non. En tout cas, le Roi le lui proposera et insistera. C'est mon avis comme le sien. Nous en tremblons pourtant. Des cris de polissons, un coup de scélérat, Tout est possible en ce monde et de notre temps. Nous avons fini hier le Roi et moi, par nous troubler beaucoup l'un l'autre en en parlant. Cependant la conclusion est restée la même. Il faut proposer et insister convenablement si elle ne veut pas, c’est bien. Si elle veut, nous ferons comme si nous ne craignions rien, et tout ira bien. Si elle veut, le Roi lui offrira deux logements, St Cloud ou les Tuileries à son choix. Aux Tuileries l’appartement de la Duchesse de Nemours en y joignant celui de la Reine des Belges, qui touche. Ce sera bien. St Cloud serait mieux, plus beau, plus gai et plus sûr. Comme elle voudra. Je suis ravi qu’elle vienne. Je serai très heureux quand elle sera partie. Elle est très aimable, car elle veut l'être beaucoup. Elle a dit aux Princes que depuis longtemps, elle était décidé à mettre le pied sur un bâtiment Français avant tout autre et à entrer dans le palais du Roi avant tout autre.
Les récits de Sebastiani sur son gouvernement sont aussi bons que ceux de l’intérieur de la famille sur elle-même. Peel, Aberdeen et le Duc de Wellington excellents, parlant de l’épreuve qu’ils viennent de faire de nous et de notre politique en Espagne comme d’un fait décisif. Peel parlant de moi, en termes qui font dire à Sebastiani : " C’est un ami que vous avez là. " Et puis autre chose encore que je vous dirai, et qui ne vient pas de Peel. L'opposition est bien et veut être bien sur le voyage de la Reine. Palmerston dit qu'elle a raison. J'ai deux longues lettres de Chabot. Il a encore un peu tort, mais moins que je ne pensais. Ce n’est pas du tout lui qui a demandé à venir ici ; c'est le Roi qui de lui-même, ou plutôt sur la provocation du Prince de Joinville, l’y a engagé, et l'a fait en me le disant.
Je tiens ceci du Roi à qui j'ai dit que je gronderais un peu Chabot ; et la lettre qui m’est venue hier de Chabot est parfaitement d'accord. Je suis bien aise d'avoir dit ce que j'ai dit. Ceci bien entre nous. Je ne sais pourquoi je vous dis cela. Mais on parle souvent vous le savez ; sans raison aucune, pour se satisfaire soi-même. Autre question qui nous préoccupe fort. Le Roi, ira-t-il en mer au devant de la Reine, pas loin, mais enfin en mer, en rade du Tréport ? Il le veut, et il a raison. On s'y oppose beaucoup autour de lui ; on me demande de m'y opposer. La Reine des Belges m'en a conjuré hier. On a l’esprit frappé des accidents. L’entrée du Tréport est difficile ; il y a peu d'heures dans la journée, où elle soit possible. Le Roi pourrait se trouver retenu dehors avec la Reine Victoria. Ses deux souverains hors de chez eux, et ne pouvant rentrer chez eux, ni l’un chez l'autre. Il y aurait à rire. Pourtant je suis de l'avis du Roi. La prudence est bonne, et aussi la crainte de faire rire. Mais on ne ferait rien, si on ne savait pas courir la chance de faire rire et pleurer. Et puis vraiment, il n’y aura lieu ni à l’un, ni à l'autre. En soi, la chose me parait simple et convenable. Le Prince de Joinville a un autre petit ennui. Ses deux steamers, le Pluton, et l'Archimède, ne marchent pas aussi bien que le steamer de la Reine qui est un bâtiment fort léger sur lequel on a mis une énorme machine de la force de 450 chevaux. Il craint de ne pouvoir la suivre de Cherbourg au Tréport.
La Princesse de Joinville est bien gentille ; grave comme un bonnet de nuit, en l’absence de son mari, elle ne peut par s’y accoutumer. Elle a quatre heures de leçons par jour, histoire géographie, littérature, français, dessin etc. Je vous quitte pourtant. Il faut que je fasse ma toilette. Le Roi déjeune à 10 heures et demie. J'aurai votre lettre dans une heure. Je ne sais pourquoi Versailles me semble plus loin que Beauséjour
10 heures Oui, Versailles est plus loin que Beauséjour. Vraiment, si cela ne vous contrariait pas trop je vous aimerais mieux à Beauséjour et à Paris pendant ce voyage. Vos idées, vos avis me sont nécessaires, et nécessaires à mon monde de Paris. Par Génie, tout ce que vous penserez ira à qui il faudra. Et la promptitude est tout en ce moment. J’ai bien envie de vous séduire. Je vous écrirai plus souvent si vous êtes à Beauséjour. Mes lettres vous arriveront plus vite et auront un effet s’il y a un effet à avoir. C’est abominable ce que je dis là. Je vous écrirai aussi souvent quoiqu’il en soit, pour mon plaisir et pour le vôtre. Mais il est sûr que Beauséjour est plus utile. J’écrivais ce matin à Duchâtel pour le télégraphe.
Molé a de l’esprit. Je le savais. Mais l'humeur le lui ôte quelque fois. L’humeur de tous les autres m'amuse infiniment. L'enfantillage m'étonne toujours un peu. Pourquoi avoir de l'humeur quand on ne peut et ne veut rien faire ? Soyez tranquille ; je ne serai pas trop orgueilleux. Mais je vois bien tout ce que ceci vaut. Je sais bon gré au duc de Noailles. Je vais déjeuner. Merci de ce N°1, bon et long. La longueur est ici la mesure de la bonté. Adieu. Adieu. A tantôt. La poste ne part qu'à 2 heures

Midi et demie. Je viens d'avoir un rare honneur. J’entre dans la salle à manger. La Reine prend la Princesse de Joinville à sa droite, et me fait signe de me mettre à côté d’elle. Mad. du Roure à qui je donne le bras, et qui n’a pas vu le signe, me dit : " à côté de la Princesse Clémentine. Je n’en tiens compte et je me mets à côté de la Princesse de Joinville. " Mais non, non. " me dit mad. du Roure. - Mais si, dit avec un peu d'impatience la Princesse de Joinville, la Reine l'a dit. " Je m'assieds donc. Mad du Roure se penche vers moi et me dit : " C’est qu'en général on ne met personne à côté d'elle ; elle ignore tant toutes choses ! Et en effet, je ne l’ai jamais vue qu'entre deux Princes ou Princesses. On a fait une exception pour moi, la Reine l'a voulu et la Princesse en avait envie. J’ai causé. Parfaitement naïve, ignorante, vive, se tenant bien droite, le ton un peu brusque. Elle attendait que je lui parlasse et se tournait vers moi un peu impatientée quand j'étais quelque temps sans lui parler. A tout prendre j'en ai reçu une impression agréable. On a trop peur de ses ignorances. Pour le coup, ceci pour vous seule. Décidément la Reine des Belges insiste pour qu'on ne presse pas la Reine de venir à Paris. Elle en aurait envie, mais elle ne peut guères. Elle a promis de ne pas s'éloigner des côtes. On se croirait obligé de nommer une espèce de Conseil de Régence si elle s’enfonçait bien loin. L’insistance l'embarras serait. Elle craindrait que le refus ne fût une maussaderie. Voilà le dernier état de la question. Adieu. Adieu. Adieu. G.
Voici la lettre de Lady Palmerston. Evidemment gracieuse à dessein, quoique de loin. Cela est fort d'accord avec le dire de Sebastiani. Dites, je vous prie à Génie ce qui est de nature à lui être dit dans ce que je vous écris, pour que je ne sois pas obligé de l'écrire deux fois. J’ai et surtout j'aurai bien peu de temps.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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4. Versailles, Dimanche 9 heures 3 Septembre 1843

Le télégraphe annonce le passage devant Cherbourg hier à 6 h. du matin, elle sera donc arrivée hier à Eu. Et que vous ayez été en mer à sa rencontre ou non, Dieu merci le temps est et a été beau, je suis donc un peu tranquille et j’attends la nouvelle et vos nouvelles.
Hier Pogenpohl est arrivé, pendant que je dinais, je suis bien aise. Il dinera et promènera avec moi, that is a great help. A 8 heures Génie est venu. Nous nous sommes réciproquement communiqué au fond, c’étaient les même choses. Il ne voit pas pourquoi je me dérangerais. Si elle vient à Paris c’est autre chose, c'est-à-dire si on apprend qu’elle doit y venir. Vous voyez que tant qu’elle reste à Eu, je peux bien rester à Versailles, car ou on a rien à faire ou à décider à Paris, aucun conseil ou idée possible à donner parce qu'on n'en a pas besoin. J'ai bien envie qu’elle n’y vienne pas. Un accident, serait quelque chose d'épouvantable quand on s'engouffre dans cette idée cela fait maigrir sur place de terreur. La demeure aux Tuileries est mauvaise pour cela, car elle sort le matin de bonne heure à pied. Elle voudra sortir dans le jardin. La retenir prisonnière est si gauche. L'exposer est si terrible. Au fait l’Elysée Bourbon si elle veut Paris, c'est-ce qu’il y a de mieux. Mais j'aime mieux qu’elle ne veuille pas. Elle devrait traverser Paris incognito, voiture ordinaire, coucher à St Cloud. Voir Versailles and go home that would be the good thing. Vous allez me dire tout cela. Que vous devez être content ! Savez-vous que plus on y pense plus on trouve qu’il y a de quoi. C'est superbe et excellent. Pogenpohl me dit qu'à Paris l’effet est immense. Dans les rues partout, on ne parle que de cela. C'est une époque dans un règne. Quel joli petit paragraphe cela fera dans le discours d'ouverture des Chambres. Je voudrais bien être à Vienne, Berlin & Pétersbourg pour une demi-heure. Certainement, le soufflet est gros. Génie croit savoir qu’Armin en est le plus non pas dépité, mais chagriné par le mauvais air que cela donne à la maussaderie de son Roi il y a 1 an 1/2. Il dit savoir aussi que le langage d'Appony s'est amendé. Je verrai cela. Je suppose qu’ils viendront demain ne pouvant pas venir aujourd'hui.

Midi. Voici Génie qui me fait la gracieuseté de m’envoyer un homme exprès pour m’annoncer l'arrivée de la Reine, et m’envoyer en même temps votre lettre N° 3. Dieu merci, et merci que je suis contente, et que j'ai été bête hier avec mes terreurs. Mais vous ne vous serez par fâché. Vous ne vous fâchez pas contre moi vous savez d’où viennent mes bêtises.
Ce que vous me dites de Metternich à propos du mariage de Don Carlos m'amuse. C’est bien lui ! Qu'il va se trouver nigaud avec son idée correcte ! Mais savez-vous ce qui arrivera ? C’est qu’entre ceci dont l’Espagne ne voudra pas, Naples que l’Autriche empêchera. Les autres retrouvés par d’autres motifs, quand il ne se trouvera plus de Bourbons, que personne ne peut vouloir un de vos fils, et que vous ne pouvez pas permettre un Autrichien, on finira par trouver le Cobourg le plus inoffensif, en même temps que le lien entre l'Angleterre et la France. Prenez garde à la possibilité que l’affaire prenne cette marche-là. Arrangez-vous pour Naples avec Angleterre. C'est la bonne affaire. Pogenpohl qui a des correspondances beaucoup à Florence où il a longtemps résidé dit que le Lucques est un charmant garçon. Pourquoi pas Lucques si Naples n’allait pas ? Adieu. Adieu.
Je rabâche. Je suis in the highest spirits de savoir la Reine en France, à Eu. C'est une perfection. J'oublie de vous dire que j’ai bien dormi, que je suis mieux. à 7 1/2 j’étais sur la terrasse du palais, pas une âme que la sentinelle. Un air pur excellent. Adieu. Adieu. Que je suis impatiente de votre prochaine lettre. Adieu ever adieu. Remettez ceci à Lady Cowley.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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5 Versailles, Dimanche 3 septembre
3 heures

Je vous écris un mot encore parce que j’ai peur que ma lettre de ce matin ne vous arrive pas. Etienne n'étant pas venu comme de coutume à midi j’avais renoncé à le voir, et j’ai été mettre moi-même à la poste ma lettre adressée à Génie. Deux minutes après Etienne était là, Il n’y a plus moyen de retirer ma lettre, mais comme c’est dimanche Dieu sait si elle sera remise à Génie à temps pour partir par le courrier ordinaire et si vous ne recevez rien vous me croiriez morte. Je vis. Je me porte bien, & je suis dans le ravissement de l'arrivée de la Reine, voilà ce que je vous dis bien courtement encore après vous l’avoir dit plus longuement tantôt. Adieu. Adieu.
J’attends Fleichman. Je le ferai bien jaser sur ses collègues. Adieu. L’article des Débats ce matin, est excellent. Tous les articles dans les journaux ce matin sont autant de fêtes & de succès. Cela a bien bon air. Voici Barante qui m’écrit pour me dire qu’il ne croit pas à l'arrivée de la Reine.
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