Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


Votre recherche dans le corpus : 5377 résultats dans 5377 notices du site.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23014_00480.jpg
Falaise Dimanche 26 oct. 1851
8 heures

Un déjeuner à 9 heures et demie. Une grand messe à 11 heures. La Statue à midi et demie. Des cérémonies et des discours jusqu’au delà de 3 heures. La poste part à 2. Un dîner de 200 personnes à 5 heures. Un bal après. Voilà, ma journée.
J'ai tout juste le temps de faire ma toilette avant le déjeuner. Je repartirai demain à 6 heures du matin. Je n'étais jamais venu ici. Le lieu est très pittoresque. Il y a beaucoup de monde ; toute la Normandie. Adieu, Adieu.
J'espère trouver demain, en arrivant au Val-Richer, de bonnes nouvelles de Pétersbourg. Adieu.

Mots-clés :

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23014_00481.jpg
Falaise Dimanche 26 Oct. 1851
Onze heures du soir

Je rentre du bal. J’ai exécuté pleinement mon programme. Le succès du discours a été complet. Les amis le disent ; et les ennemis disent qu'ils ont raison. Mon toast (c'est-à-dire le toast qu'on m'a porté) au banquet a été très bruyant. Je crains la journée bonne, pour la bonne cause et pour moi. Adieu. Je vais me coucher. Je pars demain à 6 heures, pour aller trouver deux lettres de vous. Adieu. G.

Mots-clés :

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23014_00485.jpg
Val Richer Lundi 27 octobre 1851
4 heures

Je suis toujours bien aise de rentrer chez moi même quand il m'a réussi d'en sortir. Voilà trois jours que je vous écris bien sottement. J’ai fait hier à Falaise, tout le jour une vraie mission pour la fusion ; presque sans en parler, mais parfaitement compris de tout le monde ; conservateurs et légitimistes que j'ai laissés tout contents de moi, et d’eux-mêmes. L’un ne va guère sans d'autre. Avec du temps, beaucoup de temps, et en y prenant beaucoup de peine ; et avec l'aide de beaucoup de malheur et de beaucoup de peur, on pourra arriver à quelque chose. Les incidents dérangeront et précipiteront. Si tant est que les incidents dérangent le véritable cours de l'eau, le cours du fond. Nous vivons et nous nous remuons à la surface ; mais ce n'est pas à surface que se préparent et se décident les grands événements. Quels que soient les incidents, nous marchons à la monarchie par la fusion ou à la décadence par la République. Voilà les deux courants profonds qui sont, aux prises. Lequel des deux l'emportera ? Mon raisonnement est pour la crainte et mon instinct pour l'espérance.
Dans tout le monde que j'ai vu depuis les plus considérables jusqu'aux moindres, et soit bienveillants, soit malveillants, la situation du Président est mauvaise. On a porté sa santé au banquet, le maire de la ville, mon hôte. Un silence universel lui a répondu à la lettre. Le Préfet qui était là, s’en est tiré en homme d’esprit, et en répondant au toast qui lui était porté à lui-même ; il a parlé du Président, de l'appui qu’il avait donné au parti de l'ordre et qu'il avait trouvé dans le parti de l'ordre, en termes trés convenables qui ont été applaudis. Beaucoup de blâme, point de rancune, voilà la disposition. Jusqu'au dernier moment la transaction sera toujours possible et j'y crois toujours. Je n'ai jamais été plus applaudi. Les ennemis n’applaudissaient pas, mais ils approuvaient du geste les amis qui applaudissaient. Les Conservateurs, pris en masse, m'aiment vraiment ; et ceux-là même, qui n'ont nul goût pour la fusion me sont, au fond, gré de la vouloir et trouvant que j'ai raison.
J’attends toujours la lettre du duc de Noailles. Pour mon langage à quelques personnes, il m'importe un peu de savoir jusqu'à quel point M. de St Priest, M. Nettement et tout ce côté du parti, désavouent ou ne désavouent pas les bruits dont je vous ai parlé. Comme il n’y a plus aujourd'hui rien d'étrange ni de ridicule, il ne faut pas laisser passer. Sans y regarder ce qui paraît le plus étrange et le plus ridicule.
Je répète que je ne puis pas ne pas croire qu'on fera à Claremont ce qui convient. On aura bien pesé que M. le comte de Chambord n’en tire trop de parti et ne les mette dans un grand embarras. Mais je tiens pour impossible que cette peur arrête. Je crois que Montebello a bien fait de n'y pas aller. On ne fait pas ce qui déplaît sans déplaire ; surtout quand on veut le faire efficacement, et de manière à empêcher ce qui plairait.
Voici ce que j'ai écrit au sujet de cet incident du Times, au général Trézel, après lui avoir parlé de mes raisons contre la candidature du Prince ; je suis bien aise que vous le connaissiez textuellement. " Je suis absolument étranger, indirectement comme directement, à la correspondance du Times qui a raconté, bien ou mal, ma conversation avec M. le duc de Nemours. Je ne me permettrais jamais une telle inconvenance. Ce qui est vrai, c'est que, soit à Londres, soit à Paris, j'ai redit moi-même à plusieurs personnes le fond de cette conversation. A dessein, et par plusieurs motifs. D'abord, parce qu'opposé comme je le suis à la candidature de M. le Prince de Joinville, j'ai désiré que mon opinion fût connue, et qu’il fût connu aussi que je l'avais exprimée à la famille royale ; nous ne pouvons et ne devons agir librement qu'après avoir dit aux Princes ce que nous pensons et quand on sait que nous le leur avons dit. J'espérais de plus que la publicité de notre opinion rendrait peut-être un peu plus incertaine la publicité de cette candidature elle-même et comme je désire qu’elle ne le produise pas décidément je n'hésite point à faire ce qui peut y jeter quelque hésitation. Enfin, quoique je trouve que les Princes ont tout-à-fait raison de se tenir et de se montrer très unis, je ne regrette point qu’on sache, et je crois même qu’il est bon pour leur avenir qu’on sache qu’au fond ils ne sont pas tous du même avis, ni sur la même pente. Je trouve fort simple que parmi eux, quelques uns dressent leur tente au milieu de l'ancienne opposition au gouvernement du Roi leur père ; mais je ne pense pas que les chances de leur cause aient à souffrir si, parmi eux aussi, il y a encore les alliés fidèles de l'ancien parti conservateur, et si les conservateurs en sont convaincus. Voilà, mon cher général, pourquoi j’ai parlé assez ouvertement de la conversation que j’ai eu l'honneur d'avoir avec M. le Duc de Nemours. Je n’ai pas le droit de m'étonner qu’il en soit revenu quelque chose aux correspondants du Times, à Paris, et qu’ils l’aient racontée confusément et inexactement comme ils l'ont fait. Je le regrette puisqu’on l’a regretté à Claremont ; mais je ne puis pas ne pas penser que, pour la bonne politique de la bonne cause la candidature de M. le Prince de Joinville serait infiniment plus nuisible qu’il ne peut l'être qu'on entrevoie que M. le Duc de Nemours n'en est pas tout-à-fait d'avis."
Adieu jusqu'à demain.
J’ai trouvé vos deux lettres en arrivant ici Onze heures Le cabinet n’a rien d'effrayant, Tout ceci finira par une transaction. Mais j'attends Pétersbourg. Je ne peux croire ni au refus, ni au silence. Si cela arrive ! Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23014_00491.jpg
Val Richer. Mercredi 29 oct. 1851

Le Ministère n'est pas effrayant. Tous ceux que je connais sont, ou du moins ont toujours été des conservateurs très décidés. En particulier, les Ministres de l’intérieur et de la justice ; gens capables et honnêtes, et très compromis contre les rouges. Je ne me figure pas qu'avec ces hommes-là il puisse y avoir à craindre ni alliance avec la Montagne, ni coup d'Etat. Je persiste plus que jamais dans ma première conjecture. Rejet complet, par l'assemblée de l'abrogation de la loi du 31 mai, et acceptation par le Président, des modifications à cette même loi que l'Assemblée fera elle-même un peu plus tard, à l'occasion de la loi municipale. Les ministres, qui sortent rentreront alors, M. Fould, M. Rouher, M. Baroche, d'autres peut-être, M. Léon Faucher restera dehors. Ce sera la dupe de cette journée, avec M. De Lamartine et Emile de Girardin. Voilà mon programme.
Je ne connais pas du tout M. de Maupas le Préfet de Police, ni le Ministre de la guerre, le général St Arnauld. On parle mal du premier. Le maréchal Bugeaud regardait le second comme un militaire hardi et capable. S'ils ont comme on dit de l'esprit tous les deux, ils comprendront bien vite la situation et ils ne pousseront pas aux mesures extrêmes. Quand elles ne sont pas dans l’air, personne ne peut les y mettre. Dans le conflit, je parie toujours pour Morny.
Puisque Mad. de la Redorte et Mad. Roger, et les dames Russes sont venues chez vous en deuil et puisque vous les en avez louées, tout est correct. Qui avez-vous loué ? Des femmes, plusieurs femmes. Et avant le mot louées, je trouve dans votre phrase le mot les qui désigne ces femmes. Donc, quand vous avez écrit le mot louées, vous saviez que vous parliez de femmes, et de plusieurs femmes ; donc il fallait le féminin et le pluriel, c’est-à-dire louées et non pas loué. Est-ce clair ?
Ce que la Redorte vous a dit, quant à la situation respective du Président et de l'Assemblée devant le public est vrai de mon département comme du [sign]. Quoiqu’un peu moins absolument, parce qu'on ne change pas aussi vite d'impression et d'avis en Normandie qu’en Languedoc

Onze heures
Ces accès de faiblesse nerveuse me désolent. Que je voudrais une bonne lettre le Pétersbourg. Elle vous ferait plus de bien que toute autre chose. L'écriture de Marion sur l'adresse m’a troublé. J’ai été heureux de trouver la vôtre en dedan.s Adieu, adieu.
Je partirai d’ici le 11 nov. et je serai à Paris le 14 au matin. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23014_00497.jpg
Val Richer Jeudi 30 octobre 1851

Hier soir, vers onze heures, le Roi Louis Philippe, signait, il y a onze ans, le Cabinet du 29 octobre. Il a duré sept ans et quatre mois. Quand reverrons-nous quelque chose qui dure autant. J’ai bien l'orgueil du passé, mais il ne me console pas des tristesses du présent. Mon esprit, est partagé entre deux pressentiments, très divers ; celui de mon bon sens qui me fait croire au retour de la monarchie et d’un ordre à peu près semblable à l'ordre que nous avons vu ; celui d’un instinct obscur qui me fait entrevoir, dans ce qui se passe, le commencement d'un état social très nouveau, point glorieux, et pourtant grand et fort, point solide et pourtant toujours à peu près le même, point d'avenir, mais chaque jour se suffisant à lui-même assez du moins pour ne pas être le dernier jour, une décadence à la fois agitée et monotone et durant des siècles.
Je suis très préoccupé de ce qu'on fera de ce qu'on doit avoir déjà fait à Claremont. Et non pas sans inquiétude. Ce sera inconcevable et impardonnable. Mais je crains qu’ils ne craignent qu'on n’exploite ce qu’ils feront, pour les lier plus qu’ils ne veulent être liés. Ils trouveront peut-être quelque biais indirect et disgracieux pour s'acquitter strictement. La poste de ce matin m'en apprendra peut-être quelque chose.
Je trouve toujours qu'on ne sait pas tirer parti, contre Lord Palmerston de ses démarches et de ses paroles. Sa réponse à Fortunato est un acte d’insolence effrontée vraiment, sans exemple. Si, en Angleterre même, l'opposition faisait bien comprendre au peuple anglais ce qu'il y a de frivolement pervers et de dangereux, en définitive pour l'Angleterre elle-même, dans ce patronage affiché, indistinct, de tous les ennemis de tous les gouvernements du continent, je suis convaincu que le peuple Anglais comprendrait et finirait par le trouver mauvais. Mais l'opposition attaque en passant, tel ou tel acte de Palmerston et ne fait point de charge à fond contre l'ensemble et le caractère permanent de sa politique ; et le peuple anglais croit que Palmerston est une espèce de grand patriote anglais, uniquement préoccupé, comme Lord Chatham ou M. Pitt, de la grandeur de l'Angleterre et à qui l'on ne peut reprocher que ce qui se pardonne toujours, la passion de l’égoïsme national. C’est cet absurde mensonge qu’il faudrait mettre en lumière. Je souffre toutes les fois que j'en vais manquer l’occasion.
On m'a envoyé, hier le récit des derniers moments de la Dauphine. C'est beau, précisément parce que ce n'est pas orné du tout. Son testament est admirable de simplicité et de vérité, me disant, ni plus, ni moins que ce qu'elle pensait, et sentait réellement. Cette phrase-ci surtout me frappa : " à l'exemple de mes parents, je pardonne de toute mon âme, et sans exception, à tous ceux qui ont pu me nuire et m'offenser demandant sincèrement à Dieu d’étendre sur eux sa miséricorde aussi bien que sur moi-même, et le suppliant de m'accorder le pardon de mes fautes. "
Il y a de sa part, une charité et une humilité Chrétiennes vraiment sublimes à se confondre ainsi elle-même avec ses bourreaux, et à implorer en même temps, pour eux et pour elle, le pardon de Dieu.

Onze heures

Je ne suis plus préoccupé que de vous. Vous faites bien de rester dans votre lit ; mais il faut que votre lit vous repose. Enfin, j'y verrai moi-même dans quelques jours. Hélas, la présence n’est pas la puissance. Adieu, Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23014_00502.jpg
Val Richer Vendredi 31 Oct. 1851

Ce que vous me dites de Claremont me fait grand plaisir. Le Duc de Montmorency serait en effet très bien ; un pas de plus qu'il n'a été fait de l'autre côté à la mort du Roi, et en même temps grande convenance de la personne. Je ne doute pas qu'il n'accepte si le hint lui a vraiment été donné, comme l'indique le simple fait de s'être adressé à lui.
La conversation de Dupin est l'écho de ce que j'entends beaucoup dire. J'ai dîné hier à Lisieux, avec 30 personnes, fort mêlées, assez de Régentistes. Ceux-ci aussi tristes, plus tristes peut-être que les autres, également atteints d’un sentiment d'impuissance, mais ne renonçant à rien pour cela, et disant toujours que leurs adversaires devraient bien renoncer. Depuis bien longtemps le mot childish erre sans cesse sur mes lèvres ; je n'ai jamais eu plus de peine à m'empêcher de le prononcer, tout haut. On a tort de maltraiter indistinctement les nouveaux ministres. Indépendamment de M. Corbin et Giraud qui sont bons, il y a là un ministre de l’intérieur de qui l’un de mes amis, qui le connaît très bien m'écrit : " Thorigny est bien supérieur à Faucher sous tous les rapports, et il a toutes nos opinions. C'est le ministre que nous aurions choisi nous- mêmes pour diriger les prochaines élections. Pourquoi, comment est-il entré dans ce cabinet ? Tout le monde l'ignore ; il ne le sait peut-être pas bien lui-même."
C'est là évidemment un homme à ménager. Je me rappelle que comme magistrat, il s'est montré capable et résolu. J’ai été encore plus frappé que d'autres de l'attaque du Constitutionnel contre Persigny. Voici pourquoi. Morny a gagné pleinement son procès contre le Dr Véron. C'est à lui Morny, qu'appartient maintenant la direction politique du Constitutionnel. Il n’a pas voulu la prendre ostensiblement, ni la changer promptement ; il lui a convenu qu’elle restât encore dans les mêmes mains et les mêmes voies, mais il est en mesure de la modifier et de s’en servir comme il voudra. L’attaque à Persigny a donc assez d'importance. C’est un reflet de l’intérieur de l'Elysée. Si vous ne saviez pas déjà ceci, gardez-le pour vous, je vous prie.
Je suis charmé que le discours de Falaise ait votre approbation. Je ne trouve pas la statue extrêmement belle, ni si mal que vous me l’aviez dit. Il y a de la force et du mouvement. Mélodrame sans doute, point de noblesse, ni de mesure dans la force. Le public est content. Je prends votre silence sur la lettre projetée du Duc de [Noailles]. comme une réponse, et je règle un [?] d'après cela mon langage avec ou sur certaines personnes. M. de Mérode est-il de retour à Paris, et l’avez-vous vu ?

Onze heures
Voilà la triste lettre de Marion. Je l’en remercie pourtant de tout mon cœur. Je lui écrirai demain quoique j'espère bien revoir demain votre écriture. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23014_00506.jpg
Val Richer, samedi 1 Nov. 1849

Je ne sais pas vous écrire comme à l’ordinaire. La lettre de Marion me poursuit. J’ai besoin que celle de ce matin soit arrivée. J’espère qu’elle sera de vous ; quelques lignes du moins.
Je me rappelle très bien Versailles, vos inquiétudes, votre extrême abattement. C’est un souvenir qui m'attriste et me rassure à la fois. Chomel et Oliffe ensemble me rassureront aussi. Ils sont habiles et prudents, et l’un des deux est toujours là. Mais hélas ce qu’ils peuvent est si insuffisant !
Claremont me satisfait. Une lettre de la Reine et l'envoi du Duc de [Mérode] c’est très bien. Vous ne m’aviez rien dit de la lettre, c’est le Journal des Débats qui me l’a appris. C'est au comte de Chambord à faire fructifier cela, sans avoir l’air de l'exploiter. La mort de la Dauphine fait dans le commun public un grand effet, un effet utile. On est touché de cette vertue triste, simple et résignée. Les retours que cela fait faire sur le passé sont au profit de bons sentiments. Et en même temps au fond des coeurs, il y a une secrète satisfaction de ce que ce dernier témoin royal de ce hideux passé n'est plus là pour le rappeler sans cesse et en porter plainte. C’est un étrange personnage qu’une nation, encore bien plus mêlée de bons et de mauvais sentiments que les personnes individuelles, et acceptant avec entêtement une certaine part de responsabilité dans les événements, même de son histoire qu’elle déteste le plus et dont elle a le plus souffert. Mais c’est son histoire.
Voilà enfin, le mois de Novembre commencé. J’ai retenu la malle poste pour le 11. Tous vos habitués sont déjà rentrés, ce me semble. Je suis charmé que ce pauvre Montebello soit plus tranquille sur sa femme.
J’ai reçu une lettre de M. Moulin de retour à Paris qui n’est pas content de l'état de l'Auvergne. " J’ai laissé, me dit-il les départements du centre très divisés. Les idées de fusion y ont fait peu de progrès et cependant nulle part les légitimistes ne sont plus raisonnables et plus conciliants. Ce sont nos amis qui manquent de raison et de bienveillance. "

Onze heures
Voilà de meilleures nouvelles. Marion est charmante. C'est dommage qu’elle ne soit pas Empereur. Adieu, adieu.G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23014_00510.jpg
Val Richer 2 Novembre 1851

Je ne suis pas malade comme vous, mais j’ai eu hier et cette nuit une forte migraine ; ce qui fait que je me lève tard, et que vous n'aurez qu’une courte lettre.
J’ai beaucoup travaillé depuis quelque temps, et je veux travailler beaucoup cette dernière semaine. Je sais le peu de temps dont je dispose à Paris. Si ma réponse à M. de Montalembert n’est pas tout-à-fait finie quand je partirai, elle en sera bien près.
J’espère bien apprendre ce matin que le mieux s'est soutenu pour vous. Ce sera parfait si je l’apprends de vous-même. Vous aurez vu que j’avais fait grand attention à l'article du Constitutionnel sur M. de Persigny, et que j'en savais le sens. Si cela aboutissait à son renvoi, ce serait en effet très significatif, et une facilité pour reculer.
Je ne suis pas inquiet de la reculade, pourvu que le débats de l'Assemblée n'enveniment pas trop les plaies. Si elle le conduit aussi sensément que sa commission de permanence, si elle cherche le succès plutôt que le bruit, elle aura certainement le succés. L’ajournement de la proposition Créton et probablement aussi de la candidature de M. le Prince de Joinville me paraît être la résultat naturel et obligé de la situation actuelle. Il n'y a de majorité qu'à cette condition.
Le Duc de Montmorency est-il bien réellement parti ? J’ai des nouvelles de Duchâtel. Rien de nouveau. Mêmes observations, même impressions et mêmes conjectures que les miennes. Il ne reviendra qu'à la fin de novembre.

Onze heures
Je suis moins content aujourd’hui qu’hier. Je maudis Pétersbourg. Je sais avec qu’elle lenteur vous vous remettez de secousses pareilles. Adieu, adieu. Je ne vous ferais pas grand bien si j'étais là, mais je suis bien pressé d'y être. Adieu. Je remercie toujours Marion, vrai trèsor. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23014_00516.jpg
Val Richer, 3 Novembre 1851

Il a fait ici cette nuit une tempête effroyable ; je me suis réveillé dix fois, pensant à vous et espérant que ces coups de vent et les torrents de pluie n'étaient pas aussi au-dessus de vous. Ils auraient encore agité vos nerfs déjà si faibles. La tempête a cessé ce matin, et le soleil brille. Que je voudrais apprendre, ce matin que vous avez un peu dormi !
Ce n'est pas au moins le mouvement autour de vous qui vous manque. On vient beaucoup vous voir et vous dire ce qu’on sait, vous vivez des indiscrétions d’autrui qui se confient dans votre discrétion à vous.
Malgré l'ennui qu’ont eu mes amis du nom du Duc de Montmorency dans l’Assemblée nationale, je n’y ai nul regret. Ces choses- là n’ont leur valeur que quand elles sont publiques à cette condition seulement elles lient un peu. Et bien peu encore. Certainement ces courtoisies de famille ne sont rien tant que la question politique n'est pas résolue ; mais elles aplanissent les voies vers cette solution ; surtout elles rendent de plus en plus difficile tout autre chose que cette solution. Rien ne le prouve mieux que l'humeur des adversaires ; l'ordre n’a pu se résoudre à dire que la Reine avait écrit au comte de Chambord.
Je ne puis croire au calcul de Dupin pour l'abrogation de la loi du 31 mai. Je n'allais pas au-delà de 300 voix contre 400. Il connaît mieux que moi l’Assemblée. Je persiste à n'y pas croire. On a parfaitement raison de rejeter tout-à-fait, sans amendement ni transaction la proposition d’abrogation pourvu qu’on soit décidé à adopter ensuite la loi municipale dont le rapport a déjà été fait, et qui contient la transaction pratique dont le parti de l'ordre a besoin pour rester uni. Je vous quitte pour ma toilette.
Voici ma dernière semaine sans vous voir. Que ferais-je pour remercier Marion de ses bonnes lettres ? J'en ai reçu hier une très longue de Croker qui ne peut toujours pas se consoler qu’on n'ait pas renommé le général Cavaignac président, et laissé ainsi la République seule avec elle-même. C'est bien dommage que la Révolution française ne se soit pas laissée diriger par lui ; il savait bien mieux ses affaires qu'elle-même, et il lui aurait donné d'excellents conseils.
Sur l’Angleterre, il ne me dit que ceci : " Why is the Assemblée nationale so stupid as to attribute Palmerston policy to England in general, and above all to suppose that any man in England dreams of acquiring Sicily ? So far from desiring any such thing I will venture to say that not one man, Whig or Tory, would consent to accept it, even il offered I and you may be assured we [?] more likely to get rid of colonies that we have than to attempt to obtain a new one." Je crois qu’il dit vrai.

Onze heures
Voilà deux lignes qui me charment ; soit dit sais faire tort à la charmante Marion. Adieu, adieu, adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23014_00519.jpg
Val Richer, Mardi 4 nov. 1851

Je jouis encore de vos deux lignes d'hier. J’espère bien en avoir quelques unes aujourd’hui. Pourvu que votre soirée de Dimanche ne vous ait pas trop fatiguée. Entre le besoin de distraction et la crainte d’agitation, vous êtes très difficile à arranger. Pourtant, je penche, en général du côté de la distraction, l'ennui vous agite plus que la fatigue.
Je suis fort aise que Molé soit pressé de me voir ; mais la presse quant aux choses mêmes n’est pas si grande. Je ne crois pas tant à ma nécessité et à mon efficacité que quelques jours de plus ou de moins y fassent quelque chose. En fait d'envie de hâter mon départ, j'ai résisté à mieux que cela. Je serai à Paris dans huit jours, et bien à temps pour n’y rien faire. J’ai absolument besoin de cette semaine pour ma réponse à M. de Montalembert qui est en bon train.
J’ai bien envie que vous ayez pu voir Mérode avant mon arrivée, et lui dire ce que je vous ai dit du discours de son beau-frère ; discours dont on peut tirer un grand succès, et un grand effet, et qui, s'il restait tel qu’il est, serait probablement pour lui, l'occasion d’un grand échec, comme son rapport sur la loi du Dimanche.
Je suis désolé que le Duc de Montmorency ne soit pas parti. C'était très bien, comme vous l’avez senti au premier moment. Et s’il ne va pas, parce que Thiers ne l'aura pas voulu, ce sera déplorable. Déplorable comme fait, déplorable comme symptôme. Je fais ce que je puis pour me persuader qu’il y a moyen de nous tirer de nos vieilles ornières. Nous y retombons toujours. Etrange pays aussi obstiné que mobile !
Sait-on enfin positivement si c’est la Reine, ou le Duc de Nemours qui a écrit au comte de Chambord, et si réellement on a écrit ? Je ne veux pas croire qu’on se soit borné au service funèbre de Claremont et d’Eisenach.
J’ai vu hier les députés d’ici partant le soir pour l'Assemblée. Ils partent semés. Rejet de l'abrogation de la loi du 11 Mai ; ajournement de la proposition Créton ; et puis, adoption de la loi municipale et de modifications indirectes qu’elle introduit dans la loi du 11 mai. Parti pris de tout subordonner au maintien d’une majorité de 400 voix. Je m'étonne que M. Molé se laisse aller, ou paraisse se laisser aller à un sentiment trop rude envers le Président. Ce n’est pas dans ses allures. Je ne doute pas que le président ne cherche un accommodement, et ne finisse par accepter plus que l'Assemblée elle-même lui donnera, après avoir rejeté sa propositions d’abrogation. Je crois tous les jours moins au coup d'Etat. Pas plus par le général [Saint Arnaud] que par le général Magnan. Tout le monde est un peu fou ; mais les vrais fous sont très rares.

Onze heures
Tant mieux que votre soirée de Dimanche ne vous ait pas trop fatiguée. Je vois que vous avez encore assez de force pour animer la conversation. Adieu, adieu, et merci à Marion. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23014_00523.jpg
Val Richer. Mercredi 5 nov. 1849

Je trouve vraiment comique les prédictions et ces bravades contraires que s'adressent les amis du Président et ceux de l'Assemblée comme pour se faire peur mutuellement et d'avance, sans doute dans l’espoir d'avoir, au moment du combat, meilleur marché les uns des autres. C’est bien Gascon et bien puéril. Le chef d'œuvre du genre, c’est Thiers ayant peur d'être arrêté et le Président lui faisant dire de n'avoir pas peur et qu’il ne le fera pas arrêter. Ce sont là des façons du temps de la Fronde qui ne vont plus au nôtre, quelque irrégulier et inattendu qu’il soit tout cela ne supporte ni la presse, ni la tribune au milieu des formes publiques et graves de nos gouvernements et de nos révolutions, ces finesses deviennent des enfantillages ce qui était de la gaieté devient du ridicule ; les hommes se diminuent à jouir de vieux jours. Voilà les réflexions pédantes de ma solitude.
Je parie toujours pour mon même dénouement. Rejet de l'abrogation, patience du Président, modifications indirectes de la loi du 31 mai par l'Assemblée ; acceptation de ces modification par le Président ; rentrée de l’ancien ministère, sauf Léon Faucher. M. de Lamartine a fait bien d'avoir un rhumatisme aigu à Macon, cela le dispense de figurer, en personne dans cette journée des dupes.
Quand j’ai lu mes lettres de Paris et les journaux, je ne pense plus à tout cela, je suis tout entier dans mon discours d'Académie qui me plaît à faire. J’ai déjà une grande satisfaction. Je suis sûr que je serai court. Quelque réduction que M. de Montalembert, fasse subir au sien, il restera long et quelque curieux que soit le public de cette séance, il ne faut pas le mettre à l'épreuve de deux longs plaisirs.
Est-il vrai que Lord Palmerston ait adressé au Cabinet de Vienne quelque explication sur le séjour et le bruit de Kossuth en Angleterre ? Cela me paraît peu probable. Je trouve que le journal des Débats fait à Kossuth une guerre très spirituelle, et qui devrait être efficace si quelque chose était efficace contre les Charlatans et les badauds. On fait trop de bruit de la circulaire du ministre de la guerre. Que ses paroles aient été écrites à mauvaise intention, cela se peut mais on n'en est pas à faire du bruit pour les mauvaises intentions, et il y a là une question que les hommes d’ordre doivent laisser dormir sauf à se bien défendre si on abuse un jour contre eux du principe de l'obéissance militaire qui est tous les jours leur sauvegarde.

4 heures
Merci, merci. Le plaisir de voir votre écriture efface le chagrin de vos nouvelles de Claremont. Faiblesse déplorable et ridicule. Que deviendra tout cela ? La situation paraît bien tendue. Je persiste à ne pas croire aux grands coups. Adieu. G.
Et Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23014_00527.jpg
Val Richer, Jeudi 6 nov. 1851

Ne vous fatiguez pas à m'écrire ; mais sachez que la vue de votre écriture me charme tout le jour.
Les détails que vous me donnez sont tristes, mais ne m'étonnent pas. Il faudrait une force de sens et d’âme supérieure pour résister à la tentation dont on les assiège. On leur promet de leur rendre leur patrie et un trône et nous leur demandons de renoncer absolument à cette chance pour en courir une autre qu’ils regardent comme très douteuse presque comme impossible. Ce n’est pas sur eux que tombe mon blâme mais sur ceux qui les prennent pour instrument de la perpétuité d'un état de révolution qu’ils sont eux-mêmes incapables de gouverner, et qu’ils ne veulent pas laisser finir.
Je suis de l’avis du Duc de Noailles. Il a bien fait de laisser partir la lettre que le duc de Montmorency avait reçue. Votre paragraphe dans le portrait du comte de Chambord de M. de la Guéronnière m’a amusé, malgré la délayage et la lourdeur prétentieuse. Mallac m'écrit avec assez de trouble. Nous touchons, selon lui, à de gros événements peut-être à une crise définitive, le Président est résolu à tout risquer pour vaincre la résistance de l'Assemblée ; les Régentistes se donnent beaucoup de mouvement et sont plein d’espérance ; Changarnier pousse les Légitimistes à des mesures extrêmes, et pourrait bien n'être que l’instrument de Thiers & & Tout cela se peut ; mais je persiste à douter que tout cela aboutisse à une solution prochaine. La partie est plus compliquée, et plus grande que ne se le figurent les joueurs assis autour de la table. Personne n'est près de la gagner.
Je ne vous dis rien de Pétersbourg. Il n'en faut plus parler, et il y faut penser le moins possible. C'est bien difficile. Je le sais.
J’avais hier chez moi un des principaux et des plus intelligents manufacturiers de Lisieux. Il m’a dit que depuis trois ou quatre semaines, les affaires étaient aussi complètement suspendues qu'elles l’avaient été en 1848.

Onze heures et demie
Mon facteur arrive très tard. Je craignais qu’il n’y est quelque chose à Paris. Ce que vous me dites ne change rien à mon impression. Adieu, adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23014_00531.jpg
Val Richer, Vendredi 7 nov. 1851

Le message est profondément médiocre. Mais je ne crois pas du tout que ce soit un manque de dédain pour l'Assemblée. C’est tout bonnement de la médiocrité naturelle. Les articles du Dr Véron valaient mieux. Je ne trouve pas non plus que Berryer ait bien conduit sa première attaque. Il a été long, confus et hésitant. Mais si j'étais à Paris, je ne dirais pas cela. L’esprit de critique nous domine, et nous sacrifions tout au plaisir de tirer les uns sur les autres. Sur la physionomie de ce début, je crois moins que jamais à de grands coups, de l’une ou de l'autre part. On ne disserte pas si longuement et si froidement, au moment de telles révolutions. Elles sont précédées, ou par de grands signes de passion ou par de grands silences. La montagne épousant systématiquement le Président et sa mesure, cela est significatif et pourrait devenir important. Je doute que cela tienne. Le Président n'en fera pas assez pour eux et ils ne seront jamais pour lui ce qu’il veut, sa réélection. Chacun finira par rentrer dans son ornière.
J’ai mal dormi cette nuit, pas tout-à-fait par les mêmes raisons que vous. Je cherchais deux paragraphes de ma réponse à M. de Montalembert. Ils m'ont réveillé à 2 heures ; je les ai trouvés, je me suis levé, je les ai écrits, et je me suis recouché, pour mal dormir, mais pour dormir pourtant.
Le froid commence. Il gèle fort la nuit. Je vois fumer en ce moment le tuyau de ma serre. Il n’y a plus de fleurs que là. Il est bien temps d'aller retrouver ma petite maison chaude. Je ne vous écrirai plus que trois fois. Je voulais porter d’ici à Marion une belle rose en signe de ma reconnaissance. La gelée me les a flétries. Elle a bien raison d’ajouter à votre lettre des détails sur votre santé. C’est un arrangement excellent, et dont je la remercie encore.
J’ai fait ces jours-ci quelque chose d'extraordinaire dans mes moments de repos, et pour me délasser de mon travail. J’ai lu deux romans, David Copperfield de Dickens et Grantley Manor, de Lady Georgina Fullerton. Le premier est remarquablement spirituel, vrai varié et pathétique ; plein, seulement de trop d'observations et de moralités microscopiques. Le commun des hommes ne vaut pas qu'on en fasse de si minutieux portraits. Pour mon goût, j’aime bien mieux le roman de Lady Georgina, la société et la nature humaine élevée, élégante et un peu héroïque ; mais elle a l’esprit bien moins riche et bien moins vrai que Dickens. Qu'est-ce que cela vous fait à vous qui n’avez lu et ne lirez ni l'un, ni l’autre.

Onze heures et demie
Décidément mon facteur vient plus tard ; mais peu m'importe à présent. Adieu, Adieu. Je voudrais bien que vous ne violassiez pas trop les règles de Chomel. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23014_00535.jpg
Val Richer, Samedi 8 nov. 1851

Vous me permettez du bien petit papier, n'est-ce pas ? J'ai beaucoup à faire ces jours-ci. Je veux absolument avoir fini mon discours, et je l'aurai fini. Une visite de matinée à Lisieux, chez les gens qui m'ont donné à dîner. Une visite. dans mes champs, avec mon fermier et mon homme d'affaires, pour voir s’ils sont bien cultivés et en bon état. Riez si vous voulez, de ma science agricole ; elle me prend mon temps comme si elle était bien profonde.
Je lis tout ce que vous m'écrivez, vous et Marion, tout ce qui me vient d'ailleurs, tout ce que me disent mes dix ou douze journaux ; je ne vois pas de raison de changer mon impression et mon pronostic. Je crois la situation où je suis en ce moment très bonne pour juger sainement. Bien informé des faits et loin du bruit. J’y vais rentrer. Je tâcherai de ne pas m'en laisser étourdir au milieu du bruit, on oublie le plus grand des faits, l'état réel du pays lui-même, et on fait des sottises dont on est averti par des catastrophes.
Je sais bon gré à ce bon Alexandre de sa résignation. Je me préoccupe de la situation de votre fils Paul. Nous en causerons si vous voulez et si cette conversation ne vous agite pas trop.
A tout prendre, j’aime mieux que Lord John ne vienne pas à Paris. Dieu sait ce qu’il aurait dit ou conseillé au Président. Les Anglais n'entendent rien à nos affaires et pourtant leurs paroles ont toujours du poids. Vous êtes vous fait lire le discours de Louis Blanc à Londres dans l’une des fêtes de Kossuth ? C'est le vrai programme du parti au moins des émigrés du parti ; il feront ce qu’ils pourront en 1852 pour soulever une grande prise d’armes à moins que nous ne le fassions exprès de les faire réussir, ils échoueront ; mais ils ne pensent guère laisser passer cette époque sans protester contre les anciens échecs.

4 heures
Nous avons bien les mêmes instincts. J’ai été frappé et désolé des fautes qui commencent. Adieu, adieu. Je suis chaque jour plus pressé de vous retrouver. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23014_00538.jpg
Val Richer, Dimanche 9 nov. 1851

Je viens de finir mon discours, et je vais donner ces deux jours à mes visites et à mes affaires. Que j’ai envie de vous trouver mercredi moins fatiguée ! Mais si vous l'êtes encore beaucoup je vous soignerai enfin. Au moins vous ne vous ennuyez pas.
Singulier spectacle. Quiconque prend l’initiative du moindre mouvement inutile, quiconque dépasse la nécessité de l'épaisseur d’un cheveu est aussitôt condamné et délaissé par le pays. C’est de la politique thermométrique. Il faut avoir le coup d’oeil bien sûr et le pied bien ferme pour marcher droit dans une telle atmosphère. Certainement d’ici la nomination de Vitet et la proposition des questeurs me paraissent deux fautes graves et si j’avais été là, je les aurais déconseillées. Je verrai ce qu’on me dira pour les justifier. Je suis du reste, bien décidé à n'en croire moi-même plutôt que ce qu’on me dira. Ecouter tous les avis et agir toujours selon son propre avis, c’est la bonne règle quand on a du bon sens C'est facile quand on n'est que donneur d'avis, et point acteur. Je ne puis croire que la majorité se laisse mener longtemps par Thiers, et Changarnier ; elle reconnaîtra bientôt qu’ils la mènerait perdre. Les montagnards ont voté pour Vitet évidemment pour brouiller la majorité. Je ne crois pas du tout à M. de Hackereen.
Thiers a-t-il, ou n'a-t-il pas été au service de la Madeleine pour la Dauphine. Je puis encore vous faire une question. Mais mardi, Marion n'aura plus à vous remplacer. pour m'écrire.

4 heures
Je suis charmé que vous recommenciez à manger pourvu que vous digériez. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23014_00541.jpg
Val Richer, lundi 10 Nov. 1851

Voici la fin. Après demain à 1 heure, je vous verrai. Marion me dit que vous recommencez à manger, et Génie qu’il vous a trouvée en assez bon état. Tout cela est médiocre, mais enfin le mieux a commencé.
Je ne puis pas regretter, pour mon compte de n'avoir pas été plutôt à Paris. Ce qui s'y passe me paraît pitoyable et déplorable. Je ne comprends pas que ces gens d’esprit perdent volontairement les avantages de la situation que leur ont faite des sots ; et il faudrait qu’on m’apprît de bien importantes choses que j'ignore et que je n’entrevois pas du tout, pour m'ébranler dans ma conviction. Nous verrons.
Je suis très curieux d'entendre Molé et Vitet. J’ai vu hier, ici et à Lisieux, quelques honnêtes gens dont le langage révélait déjà l'effet de ce qui se passe. Ils s'en étonnent et recommencent à donner tort à l'Assemblée, sans redonner raison au président. Ils iront plus loin si on continue. Adieu. Adieu. Marion a été un suppléant charmant. Adieu. G.
Voilà vos quelques lignes qui me plaisent. Mais il ne faut pas veiller jusqu'à 11 heures. Merci de ce que vous avez dit à Mérode.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00141.jpg
39 Val Richer, 12 Juillet 1852

C'est curieux à quel point on peut vivre dans le passé. Je m'occupe des nouvelles d'aujourd’hui, je lis mes journaux par routine, par convenance ; au fond, ce n’est pas à cela que je pense spontanément et avec intérêt l’histoire de Cromwell, et ma propre histoire de 1830 à 1848 voilà ce qui m'interesse, ce qui remplit, et anime mon esprit. C'est dommage que vous n'ayiez pas la même disposition ; je serais bien plus intéressant pour vous. Mais vous m'aimez que le présent vous êtes la contemporaine par excellence.
Que va-t-il arriver en Angleterre ? Vous devriez bien me le dire, car cela, j'en suis curieux aussi, selon ma conjecture, rien de décisifs, quand ils n’ont point de grande entreprise sur les bras et point de grand homme à leur tête, ils savent vivre, modestement au jour le jour faisant petitement leurs petites affaires, et se contentant de ne point faire de grosses sottises. Si le Président a la même sagesse il durera tant qu’il voudra.
Je suis bien aise que les radicaux des corps francs laissent Thiers tranquille à Verrey. Quand les justices providentielles arrivent, mon premier mouvement est la satisfaction. Mais je pense très vite aux personnes à leurs souffrances, à leurs chagrins, et je n’ai plus du tout soif de justice. D'ailleurs, après ses amis ce qu’on aime le mieux ce sont ses ennemis. Je m'intéresse à Thiers. Je ne le voudrais pas puissant mais point malheureux. Je ne vois pas pourquoi on met M. Drouyn de Lhuys aux affaires étrangères à la place de M. Turgot ; il a un peu plus d'encolure diplomatique au fond. Il ne fera ni plus, ni mieux. Passe pour ôter M. Duruffé des travaux public ; on peut avoir là un homme capable ; il y sera utile sans y être embarrassant. Est-ce que M. Magne, qui y était du temps de M. Fould ne serait pas disposé à y revenir ? C'est un homme vraiment capable. Je ne sais pourquoi je vous parle de cela. J’ai vu hier quelqu'un qui venait de Dieppe. Il dit qu’il y a beaucoup de monde, et très bonne compagnie, et qu’on trouve très bien à s'y loger. Mais je ne me fie pas à ce rapport, c’est un homme du pays, moins difficile que vous en fait de logement. Il vous faut la plage, ou près de la plage et un bon appartement dans la meilleure auberge.
Je vous quitte pour attendre plus patiemment le facteur en faisant ma toilette. Malgré la chaleur j'irai faire aujourd'hui une visite à trois lieues, dans un assez joli château. J’ai là un voisin savant, antiquaire infatigable qui ne vit qu’avec Guillaume le conquérant et Bossuet.

11 heures
Je suis bien aise que votre temps soit si plein, et vous savez que je ne me fâche jamais. à demain la conversation sur mon peu de curiosité en ce moment. Si j’avais pu aller à Paris, j’y serais allé pour vous voir plus que pour vous entendre. Je vous écrirai donc demain à Dieppe. Adieu, adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00145.jpg
40. Dieppe Mardi 20 juillet 1852

Ce sera donc Vendredi j’espère. Mon plaisir sera grand. J'ai été bien souffrante hier, de je ne sais quoi. Il y a un bon médecin ici, M. Godel, je le conseille. Lord Cowley est revenu hier. M. de Thouvenel lui a dit que le Président irait à Bade. Que va faire la Princesse de Prusse qui y est ? Cela me divertit fort. Elle le déteste, elle est curieuse, elle est précieuse, je voudrais voir cela. Il se pourrait qu'elle s'absentât. Si c'est sous forme d'impolitesse cela déplairait fort au roi de Prusse.
Selon le journal des Débats, le voyage est splendide, j'en aurai sans doute un petit récit par Fould. Je ne sais pas l'ombre d'une nouvelle. Il me semble que Cowley trouve que sa reine est un peu trop intime avec Claremont. Au fond il y a là dedans une certaine inconvenance politique. Morny qui est revenu d'Angleterre a dit au duc de Mouchy qu'ici avait été très bien reçu par la société en Angleterre. Delessert y est allé hier, il reviendra dit-il la semaine prochaine. C'est une partie pour moi. J’avais pris le communiqué du Moniteur comme s’adressant à M. Kalerdgi. Lord Cowley m'apprend que c'est moi à propos d'un article du [Morning Chronicle]. Ce journal-là appartient à Aberdeen. Amis anglais, amis français. J’aime mieux des ennemis. J'en dirai mon sentiment à droite et à gauche. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00149.jpg
41 Val Richer, Jeudi 15 Juillet 1852

Je n'ai point eu de lettre de vous hier, et je ne vous ai pas écrit. Point par représailles, mais je n'avais vraiment rien à vous dire. J’espère que ce matin, je vous saurai arrivée à Dieppe. Pourvu que les lettres à Dieppe ne soient pas obligées de passer par Paris pour venir ici. J'en ai peur. Avez vous idée du temps que vous passerez là ? Je serais bien fâché si le monde finissait aujourd’hui, comme on dit que le dit M. Arage ; j’ai envie que nous nous revoyons encore dans celui-ci avant de nous rejoindre vous l'autre.
Vous me parlez beaucoup des tendresses de l'Impératrice, et c'est à merveille ; mais vous ne me dites rien des résultats. Est-ce qu'elle ne vous a rien promis pour les passeports de vos fils ? Elle n’a peut être pas osé. Pardonnez-moi ; j'oublie toujours le pouvoir absolu.
J’attends avec quelque curiosité le remplacement des ministres belges. Je me méfie beaucoup du bon sens et du savoir faire du parti catholique. Je lui connais quelques hommes très distingués ; mais ils sont eux-mêmes sous le jeu de prétentions ecclésiastiques impraticables. Le Roi Léopold est patient, et habile. Il trouvera des moyens termes, et il gagnera du temps. Quand donc ferez-vous tout-à-fait votre paix avec lui ?
Les journaux annoncent positivement et à jours fixe l’arrivée du comte de Chambord, à Wiesbaden. J’ai peine à y croire. En avez-vous entendu parler ? Parle-t-on aussi du voyage de Changarnier à Vienne.

11 heures
Pas de lettre. Dieppe passe sans doute par Paris. À demain donc. J’ai envie de vous savoir arrivée, sans trop de malaise par cette chaleur. Adieu. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00152.jpg
42 Val Richer 16 Juillet 1852

J’attendais votre lettre pour vous écrire, et mon facteur arrive horriblement tard. Un orage en route ; point ici. Vous n'aurez que trois lignes. Je vous répondrai à mon aise demain.
Je crois en effet que nous ne sommes pas loin, et j'en suis charmé. Charmé aussi que vous ayez une chambre à me donner. Je m’arrangerai pour en profiter. Votre méfiance m'amuse et me choque. Adieu. adieu.
J’espère bien qu'enfin vous aurez Aggy. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00153.jpg
43 Val Richer, Samedi 17 Juillet 1852

Dites-moi votre adresse Dieppe ; encore faut-il que je sache où aller vous chercher, quoique je sois sûr que je vous trouverais partout où vous seriez. Je compte aller vous voir la semaine prochaine. Je ne puis vous dire aujourd’hui précisément quel jour. J’irai par Trouville. Le Havre et Rouen.
J’ai envie qu’il fasse encore beau ce jour-là. Il pleut aujourd’hui à la grande satisfaction du tout le monde et même à la mienne pour la première fois hier, j’ai souffert du chaud. J’avais si mal dormi, dans la nuit que je me suis levé à 4 heures du matin. J’ai très bien dormi cette nuit.
Je passerai deux jours avec vous. J’attends la semaine suivante, M. Hallam, et Sir John Boileau. J’aurai du plaisir à les revoir. Ils me donneront les détails sur l’Angleterre. L'échec électoral qui Peelistes est frappant, si notre ami Aberdeen était à élire, il n'aurait peut-être pas été réélu.
Le succès du Cabinet en Irlande prouve à quel point les élections sont surtout protestantes. Cette chambre des communes sera partagée par moitié. Donc bien difficile à gouverner et bien mauvais instrument du gouvernement. mais je persiste à croire, pas de danger.
Le Président se trompe, s’il se méfie du Prince de Ligne. Le Prince de Ligne sera comme voudra son Roi. Et d'ailleurs si, aise d'être à Paris, lui et sa femme, qu’ils feront ce qu’il faudra pour y rester, et pour y être bien venus.
Vous avez toujours trouvé à Fould les mérites que vous lui trouvé aujourd’hui, et qu’il a en effet. Preuve de votre pénétration et de votre tact. Je désire qu’il reste en faveur ; il ne donnera que de bons conseils.
Mes journaux d'aujourd’hui me diront s'il va à Strasbourg. Si vous avez la Revue des deux mondes, (1er et 15 Juillet) lisez deux articles de M. de Rémusat sur Horace Walpole, et Angleterre du 18 siècle. Vous le trouverez bien parlementaire, mais spirituel, et intéressant.
Voilà donc Mad. Seebach établie à Paris Elle y sera une lionne de toilette l'hiver prochain. La Russie sera-t-elle aussi brillante que l'hiver dernier ?
On m’a raconté bien des choses de Mad. Kalergi. Il me paraît que le séjour de Mlle Rachel à Berlin a été très orageux. Vous voyez que je lis les nouvelles frivoles, faute d'autres.

11 heures Enfin vous avez Aggy. J’en suis bien content. Vous vous soignerez l’une l’autre. Adieu, Adieu. Je suis à ma toilette. Votre adresse. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00157.jpg
44 Val-Richer 18 Juillet 1852

La poste, même française, me traite toujours plus mal que vous. Vous avez mes lettres le lendemain ; je n'ai les vôtres que le sur lendemain. Je ne comprends pas pourquoi cette différence.
Je serais charmé que votre fils, Paul rentrât au service. C'est vraiment dommage qu’un homme d’autant d’esprit perde sa vie comme il le fait. Il le regretteront un jour. Pour mener cette vie oisive, et s'en contenter, il faut être jeune ; la jeunesse remplit tout. Mais quand on devient vieux, deux choses deviennent nécessaires, une famille et ses occupations.
Si Schlangenbad, contribue, comme je le présume, à rendre ces arrangements-là plus faciles ou plus agréables, ce sera une bonne et juste récompense de votre fatigue.
Je ne savais pas que M. Molé fût à Trouville. Je l’y verrai en y passant pour aller vous voir. Je ne puis fixer précisément mon jour qu'après demain à cause d’une lettre que j’attends. Mais ce sera probablement vendredi ou samedi.
Malgré l'ennui, vous avez raison de vous coucher de bonne heure. Mon expérience d’ici me le persuade tout-à- fait. Je suis toujours couché à 10 heures et presque toujours levé à 5. Ce régime me réussit très bien. C'est l’ordre naturel.
Je n’ai pas plus de nouvelles que vous. Les journaux, et j'en reçois sept ou huit, ne m’apportent rien. Montalembert, m'écrit de Vichy, où il s'ennuie fort, me dit-il. Il m'envoie ce qu’il a dit, l'avant veille de la clôture du corps législatif, sur les décrets du 22 Janvier, commençant par cette phrase : " Je désire faire une très courte observation et je vous promets d'avance de ne pas demander l'autorisation d'imprimer ce que je vais dire " et finissant par celles-ci : " Nous aurons sans aucun doute, un jour à discuter cette mesure ; les lois de finances nous y amèneront ; nous le ferons alors en toute liberté. D’ici là, il faut qu’on sache, que nous n'y sommes en rien associés, ni compromis. Quant à moi, je profite de cette première occasion pour élever dans le triple intérêt de la propriété cruellement ébranlée, de la justice méconnue et d’une auguste infortune, mes solennelles réserves contre une faute qui a été sans excuse, sans prétexte, sans provocation aucune, et que l’on s’attache chaque jour davantage à rendre irréparable."
Vous voyez que selon sa coutume, il n’a pas mâché les paroles. La Reine, et le duc de Nemours lui ont écrit pour le remercier. Adieu.
J’aimerai mieux la fin de cette semaine que le commencement. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00163.jpg
46 Val-Richer Mardi 20 Juillet 1852

J’ai eu hier trois lettres de Paris toutes également insignifiantes, quoique de gens bien informés. La chaleur, le voyage du président, et les chiens enragés, on ne s'occupe que de cela. Je ne vois pas que nulle part en Europe, on fasse rien de plus important, excepté en Angleterre. Croyez-vous que la question ministérielle se décide à la petite session qui va avoir lieu à la fin d'août, ou que ce soit une pure formalité, après laquelle tout débat sera remis au mois de Novembre ?
Quel est le journal Anglais auquel s'adresse le communiqué du Moniteur. Je ne lis ici que mon Galignani qui ne contenait absolument rien de semblable.
Le Roi Léopold tarde bien à revenir à Bruxelles. Il veut probablement laisser en paix ses ministres qui s'en vont dans l’embarras avant de s'y mettre lui-même. Je trouve qu’il serait bien bon d'accepter cet embarras. Ses ministres actuels ont encore la majorité Ils sont tenus de gouverner tant qu’ils ne l’ont pas perdue. C'est le jeu du Roi, je pense de les obliger à rester jusqu'à ce qu’ils la perdent en effet, et à convenir qu’ils ne se croient pas en état d'affronter les élections. Les Rois constitutionnels ont bien des ressources quand ils ont l’esprit et le courage d’un [?].

11 heures
Voilà mon facteur. Je n’irai vous voir que mardi prochain 27. Le Duc de Broglie m’écrit qu’il part le 29 pour la Suisse et il me demande, s’il peut venir que voir d’ici à lundi. Il ne peut me dire précisément quel jour ayant du monde, chez lui. Je tiens à le voir avant son départ. Je resterai donc chez moi jusqu'à lundi 26 inclusivement, et mardi, j'irai vous voir. Wasa est un beau nom même détrôné. Adieu. Adieu.
Je suis charmé, pour vous, que le temps soit rafraîchi. Pour moi, je regrette le soleil. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00170.jpg
48. Val-Richer, Jeudi 22 Juillet 1852

Ce retard, jusqu'à mardi me contrarie beaucoup. Je m'étais promis de vous voir demain. Je ne pouvais pas refuser cette semaine à Broglie qui part pour trois mois, la semaine prochaine. Et toutes choses sont ennuyeuses à arranger de loin. Enfin, à Mardi.
Je voudrais vous envoyer tous les jours quelque nouvelle un peu amusante. Il n’y a pas moyen. Pour surcroît de disette, mon Journal des Débats m’a manqué hier. Il n’en sait et n'en dit pas plus que les autres, mais je suis accoutumé à mettre un peu plus de valeur à ce qu’il dit. Puisque le Président va à Bade, et prolonge son séjour à à Strasbourg, je présume qu’il arrange son mariage à la bonne heure.
Je sais gré à votre Empereur de ne vouloir pas de cette Princesse pour son fils à cause de son voisin. Il n’est pas intraitable, et sait soigner ce qui lui convient, même quand l'origine lui en déplait. C'est le complément de sa visite au Roi Charles-Jean.

10 heures et demie
Voilà votre lettre d'avant hier mardi, car décidément vous ne m’avez pas écrit lundi. J'espère que votre souffrance est passée. J’ai entendu bien parler de M. Godet, à des connaisseurs.
Le temps qu’il fait doit vous convenir, chaud et point étouffant.
Je crois que vous êtes injuste envers lord Aberdeen. Il n’est pour rien dans le Morning Chronicle. Ce sont, il est vrai, des gens de ses amis, le Duc de Noailles, Lord Canning, M. Smythe qui ont acheté, ce journal est qui le fait faire. Mais lui n'en est point et ne s'en mêle point. Je ne lui connais en fait de journaux, de relations qu'avec le Times et il met trop d'importance à celle-là, pour en cultiver d'autres.
Si la Princesse de Prusse quitte Bade au moment même, ce sera en effet une assez grosse impolitesse. J’en doute. La curiosité l'emportera.
Je viens de jeter un coup d’oeil sur mes Débats, deux numéros à la fois. Ils annoncent la modification ministérielle, M. Magne est un très bon ministre des travaux publics. Mais je ne comprends pas pourquoi M. Turgot à la secrétairerie d'Etat à la place et M. Casabianca.
On m'écrit que le comte de Chambord vient d'adresser à ses amis une nouvelle note encore plus catégorique quant au serment. Il l'a fait à cause des élections prochaines des consuls généraux. Cela chagrinera bien des gens ; mais si j'en juge par ce qui m’entoure et ce qui me revient, la plupart, obéiront. Adieu, Adieu.
La cloche sonne, le déjeuner. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00172.jpg
49 Val-Richer Vendredi 23 Juillet 1852

M. de Persigny a de l’esprit et de la foi, ce qui est bien plus efficace que de l’esprit. Son discours aux articles a dû agir sur eux ; la foi est communicative. Mais les commentaires ne valent pas le texte, en voici un que je trouve dans les feuilles d'havas : " L’art a désormais de beaux horizons ; dans son libre développement, il côtoiera les merveilles de la civilisation moderne sans descendre des sommités où il plane, car le prodigieux avènement du Prince Louis Napoléon a ranimé cette fibre poétique qui sommeillait chez le peuple depuis l'Empire, et qui s'accommode, si bien des inspirations de l'art. Les artistes auront désormais un protecteur plus puissant que tous les rois de la terre le peuple lui-même ressaisissant, avec sa dignité ses allures chevaleresques et artistiques. " Nous n'avons plus maintenant qu'à attendre des Michel Ange et des Raphaël démocratiques.
Je viens de me lever. Le temps, est magnifique ; le soleil, qui se lève, en même temps que moi, chasse devant lui les vapeurs de ma vallée. Je suis vraiment bien fâché de ne pas aller vous voir aujourd’hui. J’aurais aimé à arriver à Dieppe, par ce beau temps. J'espère qu’il fera aussi beau mardi.
Si le Président revient aujourd’hui à Paris, il sera mieux traité du ciel qu’il ne l'a été à Strasbourg au moment du défilé villageois. Je prends toujours en compassion les fêtes populaires dérangées par la pluie.
Il me paraît que tous les Princes Allemands se sont conduits courtoisement dans cette occasion, Prusse, Wurtemberg, Bade, Hesse, et je ne sais combien d’autres. Je serai curieux de la relation que vous donnera Fould, car j'ai enfin trouvé son nom dans les Débats.
Que faites-vous du duc de Richelieu ? Je soupçonne qu’il est de ceux qu’on rencontre volontiers une demi heure une fois par semaine, mais dont la société quotidienne et prolongée n’a pas grand intérêt. Il ne me paraît pas qu’on s'amuse beaucoup à Trouville ; le chancelier a souffert de la chaleur. On attend beaucoup de monde, dans le mois d'Août.
Vous ne me dites rien d’Aggy. Comment se trouve-t-elle et comment vous en trouvez-vous ? Comme conversation elle ne vaut pas Marion. Je présume qu'Ellice ne lui écrit pas autant qu'à sa sœur. Savez- vous ce qu’il dit de leurs élections ?
11 heures
Pas de lettre et rien de plus à vous dire. Adieu donc. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00176.jpg
50. Val-Richer, samedi 24 Juillet 1852

C'est vrai, Mardi est bien loin ; mais il viendra dans trois jours, et quand nous aurons causé, vous serez convaincu comme moi que je ne pouvais faire autrement. Broglie n’est pas encore venu, je crois qu’il viendra ; mais ne vint-il pas, il fallait que je lui donnasse la semaine qu’il me demandait. Soyez sûre que vous serez de mon avis.
Je crois aussi que vous devez faire quelque chose sur ce sot communiqué du Moniteur. J’ai bien regretté et je regrette bien de n'être pas là, pour vous dire tout ce que je pense à ce sujet. Vous faites bien en tout cas de consulter Kisseleff. Peut-être serai-je à temps mardi.
Voilà des nouvelles qui m’arrivent de Londres, assez curieuses : « The government reckoned, on 307 which seemed tour un excessive estimate. They have got about 312 and may win two or three more. Such a party well disciplined may for a time be master of the house of common especially against a disjointed opposition without principles and without leaders. I think the main cause of Lord Derby's success has been the absence of my competitor or antagonist whom the country can tolerate and accept [?] Lord John Russell, leaned to the conservative side, he might have become such an Antagonist, and he has discovered this too late, for he is now in communication with lord Aberdeen. But by adopting the radicals, he destroyed his party and his position. The policy of the Whigs is now to avoid all hasty or premature attacks on Lord Derby, and to judge of the measures he is prepared to bring forward. But the position of the government is only the more critical, for at heads, a party prepared to demand more than it can execute... M. Lady Palmerston said to me last night triumphantly : " Observe, no one in the whole country dare, to call himself a follower of Lord John Russell ; even hastings Russell says he is a follower of sir R. Peel. " Vous connaissez mon correspondant. Adieu, Adieu.
Je voudrais bien que l’air de la mer vous fît un peu de bien. C'est vrai, je vous dois 5 fr.. Mais je ne veux pas recommencer. Je vous paierai mardi. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00178.jpg
51 Val-Richer Dim. 25 Juillet 1852

Je partirai d’ici, Mardi matin, et j’espère bien arriver à Trouville avant que la marée n'emmène les steamers qui vont au Havre. Pourtant je ne sais pas bien exactement les heures de marée, et si je manquais la première je pourrais bien manquer aussi l’un des deux convois de chemin de fer dont j’ai besoin du Havre à Rouen, et de Rouen à Dieppe. Ne vous étonnez donc pas si je ne vous arrivais que Mercredi matin, cela tiendrait uniquement à quelque défaut de coïncidence dans les convois. Je ne veux pas arriver à Dieppe quand vous serez couchée. J’aimerais mieux coucher à Rouen.
On m'écrit que les ministres de Paris, pendant le voyage du Président niaient absolument toute modification dans le Cabinet. Turgot, disait-on, ne voulait pas entendre parler du Ministère d'Etat. On dit aussi que lorsqu'ils ont reçu les dépêches qui mettaient en saillie les cris de Vive l'Empereur, ils ont hésité un moment à les publier. Est-ce décidément la Princesse Wasa ou une Princesse de Leuchtenberg qui est l'objet de la recherche ?
Vous aurez remarqué ce qu’on m'écrit de Londres sur le rapport de Lord John Russell avec Lord Aberdeen. Il serait plaisant que Lord Palmerston passât dans le camp conservateur et Lord Aberdeen dans le camp Whig. Nous n’y verrons pas clair avant le mois de Novembre.
10 heures et demie Je n’ai rien à ajouter. Adieu jusqu'à après-demain. G

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00184.jpg
52 (je crois) Val Richer, 2 août 1852

Je vous ai quitté avec au moins autant de regret que j’ai eu de plaisir à vous revoir. J’ai trouvé ces quatre jours très doux. Serait-ce toujours aussi doux si nous passions toute notre vie ensemble ? Je le crois, pourvu que nous prissions le parti de nous dire tout. La réticence ne nous va ni à l’un ni à l'autre. Et qui se dit tout ?
J’aurai demain seulement de vos nouvelles. Je ne puis comprendre pourquoi les lettres de Dieppe mettent deux jours à venir ici. J’ai fait votre commission à Lord Cowley sur le message que le duc de Mouchy vous a apporté. Il vous trouve pleinement satisfaite. Comme il n’avait pas encore ouvert son Moniteur, il ne savait pas encore la nomination de Fould. Il en a été fort aise. Certainement c’est une bonne chose. J’ai un peu ri du soin du Moniteur à bien dire que ce serait le dernier changement de Ministres, Crise ministérielle cela ressemble, trop à un régime parlementaire. Du reste il aura raison. Son oncle gardait ses ministres.
Vous avez satisfaction sur le prétendu traité du Morning Chronicle. Tous les journaux malveillants, ou bienveillants, le traitant de fable. L’Assemblée nationale dit : " Nous croyons que le traité du 20 Mai 1851 n'existe, pas par une raison qui en vaut bien une autre, c’est que les traités de 1815 existent." Je ne trouve du reste absolument rien dans mes journaux.
Quelles nouvelles me donnerez-vous de votre jambe ? Je suis convaincu que, si vous ne faites pas d'effort pour marcher trop tôt, ce ne sera pas long. C’est un grand déplaisir que de vous voir ou de vous savoir souffrante ; je ne veux pas sympathiser avec l'exagération de vos impressions, et j’ai l’air de ne pas me soucier de votre mal. Portez vous toujours bien, je vous en prie.
J’ai retrouvé ma maison en bon état. Je suis un peu fatigué. A Rouen, je ne me suis pas couché ; je n’ai fait que m'étendre sur un lit. Il fallait se relever à 2 heures et demie. Je suis encore très disponible ; mais je m'en ressens quelques jours.
J’ai vu Olliffe à Trouville. Je lui ai rendu compte de vous. Il ne m’a donné pour vous que les conseils que vous suivez. Il doit faire une course à Paris dans huit ou dix jours. J’aimerais mieux que ce fût dans quinze et je le lui ai dit. Il quittera Trouville à la fin du mois. M. Molé a été pris le lendemain de son arrivée, d’une névralgie d’entrailles, comme dit Olliffe, qui l’a assez inquiété. Il est reparti sur le champ.
Je n'ai vu personne d'ailleurs à Trouville. Je n'y ai passé que trois quart d'heure. Il y a un monde énorme, comme à Dieppe. Le temps est toujours magnifique. J’aurai mes Anglais Mercredi, ou Jeudi. Adieu. Adieu.
J’aimais mieux la semaine passée. Adieu. G.
P.S.: Mes vraies amitiés à Aggy. J’ai été charmé de la retrouver, et de la retrouver près de vous.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00186.jpg
53 Val-Richer, Mardi 3 Août 1852

Je ne trouve pas que le Constitutionnel soit aussi aimable pour M. Fould que je m’y attendais à travers les félicitations et les compliments, on sent percer un peu de froideur, et quelques réserves. Est-ce que Fould serait rentré dans les affaires sans concert avec Morny et contre son gré ?
Autre remarque. La rentrée de Fould coïncide avec l’épuration du Conseil d'Etat en raison des votes dans le procès des biens d'Orléans trois des Conseillers d'Etat qui ont voté contre les décrets du 22 Janvier sont, l'un révoqué, l'autre mis à la retraite, le troisième placé autrement, et plus mal. Cela cadre peu avec l'avènement au pouvoir d’un opposant aux décrets. Il est vrai que M. Persil ancien garde des sceaux du Roi Louis-Philippe, est nommé Conseiller d'Etat en remplacement de M. Cornudet, révoqué. Est-ce que cela serait donné aux Orléanistes, à titre de dédommagement ? M. Persil est un homme capable, qui aurait mieux fait de rentrer aux affaires un autre jour et par une autre porte, puisqu’il y voulait rentrer.
Le Moniteur s’est empressé de démentir indirectement le bruit répandu que l’entrée à l’Ecole normale avait été interdite aux élevés protestants, à cause de leur religion. Il a bien fait. La liberté des cultes est un des droits auxquels, ce pays-ci tient le plus et que l'Empereur Napoléon, a le plus soigneusement respecté. Il paraît bien que M. Fortoul ministre de l’instruction publique avait fait ou dit quelque chose dans le sens dont on parlait. Il se sera ravisé. C’est un homme d’esprit, un peu léger.
Donnez-vous bien du mal pour être un grand homme ; votre statue, en bronze sera vendue aux enchères, au bout de deux siècles, à la porte de votre propre pays, pour 7.270 francs pas un quart de la valeur du bronze. C'est ce qui vient d’arriver à ce pauvre Gustave Adolphe dans l'île d'Héligoland. La statue avait fait naufrage l’un dernier, en venant de Rome à Gothenburg, et la municipalité de Gothenburg, qui l’avait commandé n'a pas voulu la racheter des mains des pauvres marins d'Héligoland qui l’avaient repêchée. Il est vrai que Gustave Adolphe n'en reste pas moins Gustave Adolphe. Sa statue a pu se noyer, mais non pas son nom. Du sein de leur séjour inconnu, les grands hommes doivent à la fois jouir de la longue trace qu’ils ont laissé ici bas, et prendre en pitié les accidents d’ingratitude et d’oubli qui leur arrivent. Je me figure que l'impression causée par le spectacle de ce monde, quand on est est hors, et complètement détaché, doit être celle d’un dédain bienveillant, et doux.
Adieu, en attendant votre lettre. Je vous quitte pour faire ma toilette. Je voudrais bien apprendre qu'avant hier Dimanche, vous avez posé le pied par terre sans trop de douleur.
// si vous écrivez à M. Fould, ce qui me paraît probable, seriez-vous assez bonne pour lui dire que du fond de ma retraite, je suis charmé de le voir rentrer sur la scène ? Il s'y conduira certainement en homme d’esprit, et de sens et tout le monde aura à y gagner. //
11 heures
Merci de votre petite page. C'est bien long ce que dit Velpeau. Je regrette de n'avoir pas été là quand il est venu. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00190.jpg
54 Val-Richer, Mercredi 4 août 1852

Je suis très contrarié des quinze jours d'immobilité auxquels Velpeau vous condamne ; il a probablement raison. Mais c’est bien ennuyeux. J’aurais mieux fait de ne pas aller vous voir ; vous ne seriez pas montée dans ma chambre, et vous ne seriez pas tombée. C'est là tout ce que j'ai de mieux à vous dire.
L'insignifiance des journaux est complète. Ceux qui ne peuvent pas critiquer ne veulent pas louer. Pour surcroît le Journal des Débats, m'a manqué hier. Quand on supprime ainsi à l’esprit son aliment, on devrait supprimer aussi l'esprit lui-même. Cela se fera peu à peu.
J’ai eu hier une longue lettre de Barante qui prévoit ce résultat, car il me dit : " Lorsqu'on ne s’intéresse pas à soi-même on est indifférent à tout ; l’esprit s'éteint quand les sentiments sont glacés ! "
Il m’écrit du Mont Dore, où il est allé pour ne pas être repris l’hiver prochain de son extinction de voix.

Jeudi 5 Août
Je n’ai pas fait partir hier cette page qui n'en valait pas la peine. Vous ne m’avez pas écrit non plus. J’espère bien que ce n’est pas quelque mauvaise raison, accident ou autre. Je n'ai pas plus de nouvelles aujourd’hui qu’hier.
Mon fils, m'en apportera peut-être quelqu’une demain il est allé passer 48 heures à Paris pour un examen. Mes Anglais arrivent aussi demain.
Je vois que les élections des conseils généraux sont ce que j’attendais, ou immense majorité ministérielle c’est-à-dire présidentielle. Il me semble aussi que les pétitions impériales commencent à circuler. On m'écrit que les exilés espèrent quelque chose, du 15 Août. Ceux d’entre eux qui sont petits et modestes accepteraient volontiers l'Empire, s’il devait les faire rentrer. Que feraient les autres, Thiers, Rémusat, les généraux ? Il ne serait pas glorieux, pour eux de rentrer au milieu des Vive l'Empereur ! Ils rentreraient pourtant, s’il le leur permettait.
Avez-vous lu, dans le Galignani du 3 un article curieux du correspondant américain du Times sur Kossuth ? Il fera plaisir à Hübner.

11 heures
Voilà une lettre qui ne me plaît pas. Vous vous faites vous-même bien plus de mal que vous n'en avez. C'est singulier d'avoir l’esprit si juste, si ferme sur toutes choses, excepté sur soi-même. Je suis bien fâché de n'être plus là. Adieu, adieu. Merci de la lettre de Beauvale. Merci pour vous et pour Aggy. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00195.jpg
55 Val Richer, 6 Août 1852

Vous ne m’avez pas dit si Velpeau, en vous condamnant à quinze jours d'immobilité, vous avait prescrit quelque chose de particulier, ou s’il s'était simplement borné à approuver les prescriptions de M. Brantel.
Mon fils arrive ce matin, et m’apporte, non pas des nouvelles, mais quelques détails, sur les faits connus.
On trouve en général que M. Fould a payé un peu cher sa rentrée au pouvoir en contresignant, les décrets de révocation des Conseillers d'Etat renvoyés à cause des décrets d'Orléans. Le Président, dit-on, l’a formellement exigé et il exigera aussi de M. Magne, quelque acte d’adhésion analogue. Il veut que tous ceux qui le servent, adhérent. Morny se donne comme ayant beaucoup contribué à la rentrée de Fould, et on annonce que MM. de Persigny et de Maupas ne sont pas bien fermes sur leurs étriers. Je n'en crois rien, et je crois que Fould s’arrangera avec eux.
L'avènement de Drouyn de Lhuys trouble Brenier qui n’a jamais été bien avec lui, et qui ne se promet pas d'être mieux. Waleski aussi est trouble ; Drouyn de Lhuys parle légèrement de lui, et le Président. n’a pas été content de ses pronostics sur les élections Anglaises.
On croit que les difficultés pour le mariage du Président avec la Princesse Wasa ne sont pas toutes levés, et que le père et la mère, pour la première fois du même avis, s'accordent à s'y opposer. Ce sera le Cabinet de Vienne qui lèvera, s’il veut, les difficultés là. Voudra-t-il ? Je vous répète les commérages tels quels.
On dit que les révocations dans le Conseil d'Etat, ne sont pas finies, on en voulait faire plusieurs autres, pour la même cause. Il reste cinq conseillers d'Etat qui ont voté contre les décrets. C'est Fould qui a obtenu l'abandon, ou l’ajournement de la rigueur complète.
C'est bien dommage que la bonne occasion manque à Stockhausen. Faites moi la grâce, je vous prie, si vous lui écrivez de lui dire combien je regrette son départ ; il était très bien informé de très bonne conversation, et aussi agréable que sûr.
Comptez-vous toujours retourner à Paris le 14 ? Vos fenêtres seront bien recherchées pour les fêtes. Adieu. Adieu.
Je ne serai content que quand vous me direz : " Je marche. " G.
P.S. Je m'impatiente aussi que vous n'en finissez pas. Mais j’ai vu plusieurs fois de tels accidents, pas graves et supportables. Ecrivez-moi toujours que vous ayez quelque chose à me dire, ou non. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00198.jpg
56 Val Richer, Samedi 7 août 1852

Je vous trouve dans une disposition de grand abattement. Je voudrais bien que vous ne vous y laissassiez pas aller. Pardonnez-moi ce ridicule mot ; je n’ai pas le courage d’un de mes vieux amis de la vieille bonne compagnie du dernier siècle, M. Suard, secrétaire perpétuel de l'Académie Française, le Villemain d’alors ; il ne consentait jamais à dire passassiez, laissassiez, cassassier, et tous les ssassiez du monde ; il disait toujours, laissiez, passiez &&, et quand on remarquait que ce n'était pas correct, il se contentait de répondre : " Personne ne peut supposer que je ne le sache pas.
Je voudrais donc que vous ne vous laissiez pas aller à l'abattement ; vous n'êtes pas en état de supporter l'abattement dans l’ennui. J’aime mieux que l'ennui vous irrite ; vous ferez alors quelque chose pour vous en tirer. Je compte toujours que vous retournerez à Paris le 14 d'aujourd’hui, en huit, soit que vous marchiez ou non. J’espère que vous marcherez un peu.
Mes Anglais sont arrivés hier, par un assez beau temps. Ils étaient à peine, chez moi qu’un violent orage a éclaté, pluie, grêle, mes allées et mes fleurs ravagées ; vous ne connaissez pas les chagrins de propriétaire.
M. Hallam est intéressant, et inquiet. Le progrès des radicaux et la complaisance, sans limite assignable, de Lord John et de sir James Graham pour eux, l'inquiètent. Il ne sait rien de Lord Aberdeen, il ne le croit pas infecté de cette complaisance, il ne veut pas le croire. Quant à présent, Lord Derby tiendra ; il y a au moins 60 libéraux opposants, mais honnêtes, qui ne veulent pas l'attaquer ; ils le verront faire et si on l'attaque factieusement, ils le soutiendront. Lord John trop décrié pour redevenir, en ce moment chef de Cabinet, même si la place était vide.
La Reine s'adresserait à Lord Lansdowne qui malgré son âge et sa retraite ne pourrait pas refuser ; bien des gens serviraient sous lui qui ne voudraient pas servir sous Lord John. En ce cas Lord Palmerston deviendrait leader des communes comme chancelier de l'échiquier, et Lord John irait à la Chambre de Lords. Ce serait, pour lui, une grande défaite.
Hallam ne croit pas que les querelles religieuses deviennent the leading question ; il craint davantage une nouvelle motion de réforme parlementaire et le conflit de toutes sortes de propositions et de systèmes sur ce point.
Du reste immense prospérité, sécurité et confiance dans l'avenir, sans confiance dans personne. Autant, et (il l’espère) plus de progrès dans le good sense populaire que dans le radicalisme. On dit le petit Prince de Galles très intelligent et très bon.
Plus de 16 membres nouveaux dans la Chambre des Communes ; personne qui promette de devenir quelqu’un. Une très belle récolte et une admirable perspective de grouses pour le 12 Août.
Voilà les conversations d’hier soir. Ils m'ont fait coucher à près de onze heures. Adieu, en attendant, la poste. Je vais faire ma toilette.
Onze heures
Quatre pas c’est beau ! J'en suis bien content. J’espère tout-à-fait que vous marcherez bientôt et je compte qu'Aggy restera toujours. Adieu. Adieu.
Je n’ai pas deux minutes de plus. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00201.jpg
Val Richer, Dimanche 8 Août 1852

Je rentre dans nos habitudes ; je ne numérote plus. C’est un petit travail de chaque matin.
La translation à Brompton est un triste symptôme. On envoie là les [?] dont on n'espère plus grand chose, et qui ne sont pas assez forts ou assez riches pour être transportés à Pise où à Madère. On dit que l’air y est plus doux, et plus égal que dans Londres. Il y a un bal hôpital for consumption.
Pauvre Fanny ! Je suis toujours plus touché de la mort de ceux qui sont jeunes, et qui n’ont pas connu les douceurs de la vie.
Un de mes amis dont vous connaissez le nom, M. Moulin m'écrit : " Mon avis a toujours été et est qu’il ne faut pas abandonner les fonctions de représentation locale quand elles sont gratuites, électives et qu’on peut les conserver ou les obtenir sans trop d'effort."
J'aurais vivement mécontenté par la conduite contraire mon vieux canton de La Tour d'Auvergne que je retrouve fidèle à toutes mes fortunes aujourd’hui comme après 1848, et qui va probablement me réduire à la presque unanimité. J’ai compris d'abord les instructions de Venise comme moyen de modérer l'ardeur du parti légitimiste à se porter vers les fonctions publiques dont il a été si longtemps privé, mais je ne m'explique pas l’insistance avec laquelle, on vient de les reproduire à la veille des élections des conseils généraux. En Auvergne, elles n'ont reçu, elles ne reçoivent aucune exécution ; pas un légitimiste ne s’est retiré ; tous les légitimistes de nos conseils électifs vont y rentrer. Comme nous ne sommes pas un pays de grande propriété, le parti ne peut avoir influencé que par le patronage des intérêts locaux ; il perd toute autorité, toute importance s'il se retire sous sa tente, et sa retraite inspire plus de sarcasmes que de regrets.
Je suis bien aise que Cromwell vous amuse. Je vous en envoie sous bande un exemplaire. Cela a été inséré dans la Revue contemporaine, et ne se vend point séparément. On m'écrit que cela fait quelque bruit à Paris, et j'en juge par la fureur avec laquelle Emile Girardin l’attaque dans la Presse. Les amis du Président, ont tort de s'en fâcher. Cela n'a été écrit, ni pour lui, ni contre lui. J’ai pensé à son oncle en l'écrivant, à lui pas du tout. Il est vrai que l'allusion subsiste à la seconde génération, et que la conclusion est que Cromwell fit bien de ne pas se faire Roi. Si j'étais l’un des conseillers du Président, je lui conseillerais de faire comme Cromwell, qui mourut dans son lit, à Whitehall tranquille, et puissant. Mon conseil déplairait probablement, ce qui n'empêcherait pas qu’il ne fût bon.
Adieu. Je passe mon temps à me promener et à causer avec mes Anglais qui ont l’air de se plaire ici. Ils me quittent, le 15, et je pars le même jour pour aller près de Caen marier M. de Blagny. Je rentrerai chez moi le 13 pour n'en plus bouger. Adieu, adieu.
J’espère que la lettre de ce matin me dira que vous avez marché.

11 heures
Malgré votre lettre, j'adresse encore à Dieppe, Pour vous, je crois que vous serez mieux à Paris d’autant que les chaleurs de l'été me semblent passées. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00203.jpg
Val Richer. Lundi 9 Août 1852

La pluie n’est pas commode à la campagne quand on a des hôtes à amuser. Je crois pourtant qu’ils s'amusent. Nous avons toujours trouvé jusqu’ici deux heures dans la journée pour nous promener. Ils me quitteront demain soir et j'irai à Caen après-demain matin.
Leurs nouvelles de Londres sont insignifiantes. Sir John est un Whig bien déterminé. Il reconnaît les fautes de son parti, mais il n’en parle pas. Quand la conversation tombe sur Lord John ou sur Palmerston, il baisse les yeux et attend qu’on ait fini.
Le Duc de Bedford, n'a jamais donné et ne donnera jamais un sou à son frère John. Il a pris la passion de thésauriser en s'y livrant d’abord pour payer 700 000 liv. St. de dettes. Maintenant les dettes sont payées, et il a 200 000 Iiv. st. de revenu, mais il thésaurise toujours. Cela ne vous fait rien du tout ; mais je vous dis ce que j'entends, n'ayant rien à vous dire d'ailleurs.
Ou la réserve est bien grande à Paris, ou l’on y est bien résigné au statu quo. On n’entend plus parler ni d'Empire, ni de mariage. Il n’est question que du Conseil supérieur de l’instruction publique et de l’abstention des électeurs aux conseils généraux. Evidemment ceci a beaucoup fâché. On se trompe, si l’on croit que les préméditations, et les influences de parti ont décidé ce fait ; la paresse et l'indifférence y sont pour bien d'avantage. On a mis le pouvoir politique dans des classes qui n’y prennent intérêt que pour tout bouleverser ou pour se défendre d’une crise de bouleversement.
Je plains bien votre neveu Tolstoy. J'espère que ses inquiétudes passeront bientôt. Dîtes le lui, je vous prie, de ma part. C'est un excellent homme.

11 heures
Je vous aime mieux à Paris. Vous y serez plus commodément et mieux entourée. Je regrette qu'Olliffe n’y soit pas. J’espère qu’on vous renverra à Paris un exemplaire du Cromwell que je vous ai fait adresser hier à Dieppe. Cela ne se vend pas. Adieu, Adieu.
Je trouve, on ouvrant mon Journal, la rentrée, des principaux exilés, Fould a bien fait de donner cette compensation.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00207.jpg
Val Richer 10 Août 1852

C'est dommage que la note du Journal de Francfort sur le prétendu traité du Morning Chronicle, ne soit pas mieux rédigée, elle est pleine de bon sens. C'est de la politique à la fois vraie et prudente ; accord rare. Mais les Allemands ne savent jamais donner, même au bon sens, le mérite de la simplicité et de la clarté.
Je suppose que les exilés ne se le feront pas dire deux fois pour rentrer. Il me revient que Thiers s'ennuyait autant en Suisse qu’en Angleterre. Mes Anglais me disent qu'à Londres, son ennui avait fini par devenir un sujet de moquerie générale. Les Anglais seuls, à mon avis n'avaient pas le droit de s'en moquer eux qui s'ennuient tant, et chez eux plus qu'ailleurs.
C'est surtout pour Rémusat et Lasteyrie que ceci me fait plaisir ; ce sont d'honnêtes gens peu riches, que l’exil dérangeait beaucoup et qui le supportaient dignement.

11 heures
C'est dommage, en effet que vous quittiez Dieppe au moment où M. de Persigny y arrive. Les conversations auraient été intéressantes. D’autant qu’il est loin, ce me semble, de voir les choses comme elles sont. Le mal, s’il vient, viendra de là ; des désirs et des alarmes révolutionnaires. Ce sont les dragons qui amèneront la guerre.
Je suis bien aise que vous ayez fait venir Kolb pour vous ramener. Vous ne me donnez pas aujourd’hui des nouvelles de vos jambes. Je pars demain pour Caen à 7 heures du matin. Je ne vous écrirai pas demain, et probablement cette petite course troublera un peu notre correspondance. Je serai de retour ici, Vendredi. Je ne vois rien dans mes journaux et je n'ai point de lettre. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00211.jpg
Au château de Lion sur Mer Jeudi 12 Août 1852

Uniquement pour que vous ne soyez pas deux jours de suite sans lettre.
Je suis arrivé hier ici à 2 heures. Mariage civil à 4. Dîner de 30 personnes. Musique et Whist. Aujourd’hui, nous partons pour Caen à 10 heures ; mariage à l’Eglise. Retour ici. Dîner de 50 personnes. Bal. Je repartirai demain après déjeuner pour le Val Richer.
Vraie corvée de bon voisin et de protestant pour tout dédommagement la vue d’un joli château du 16e siècle de beaux arbres et de la mer. La mariée jolie bon air et froide. Le marié pas joli et froid. Toutes les convenances parfaites. Adieu.

Il pleut à torrents. Vous n'aurez pas eu ce temps là lundi pour votre retour à Paris. Vous y voilà rétablie. Dieu veuille que rétablie soit le vrai mot ? Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00216.jpg
Val Richer, samedi 14 Août 1852

Je suis très fâché de la mort de votre pauvre maître d'hôtel. Je ne sais pas ce qu’il valait au fond ; mais d'apparence, il vous convenait à merveille, et vous le remplacerez difficilement. Les petites difficultés de la vie ne vous valent rien.
Ce pauvre Tolstoy me touche infiniment. Il est dévoué à ses enfants comme un père et comme une bonne. De quoi donc ce petit garçon est-il si malade ? C'est le second, je pense. J’ai trouvé à l’aîné bien bonne mine quand je l’ai vu à Dieppe. Faites moi la grâce de ne pas laisser ignorer à votre neveu que je suis vraiment préoccupé de lui et de son chagrin. Il y a de mauvaises veines dans la vie, dans la vie domestique comme dans la vie politique ; mais elles s’épuisent.
Vous recommencez à marcher. J'espère que la mauvaise veine est finie. Dieu vous garde ! Avez-vous vu quelque médecin ou chirurgien depuis votre retour à Paris, car Olliffe n’y doit pas être ?
Je suis revenu ici hier à 6 heures avec les entrailles assez souffrantes. Malgré ma sobriété, les dérangements de vie et de régime se font toujours sentir. Je suis mieux ce matin. J’ai dormi longtemps.
Je trouve ici des lettres, mais point de nouvelles. La plus vraie nouvelle à mon avis, c'est le livre de Proudhon, et l'autorisation de paraître que le président lui a donnée, après avoir lu son livre, et la lettre. Je trouve cela grave, sans m'en étonner. Dans un régime de liberté de la presse, ce ne serait rien qu’un mauvais livre de plus par un homme d’esprit, mais aujourd’hui, c’est quelque chose. Peut-être n’est-ce pas vrai. Je le voudrais. Le Président aurait tort, s’il s’engageait dans cette voie-là. On ne peut pas faire à la fois sa cour au Clergé et à Proudhom.
Que signifie le voyage de la Reine d'Angleterre à Anvers ? Est-ce une simple fantaisie de promenade, ou une marque d'intimité protectrice ! On me dit qu’il y a un mouvement de l'Elysée vers Londres, et qu’on verra la preuve dans un traité de commerce qui fera des concessions à l'Angleterre pour l'importation des fers et des houilles. Si ce traité a lieu, il fera du bruit.
Le retard du voyage du Président dans le midi me fait croire au mariage. Je comprends les inquiétudes de M. de Persigny et je ne les crois pas fondées. Si le Président veut réellement se marier, il se mariera que cela plaise, ou non, ailleurs. On ne fera rien de grave pour l'empêcher.

Onze heures 1/4
Mon facteur arrive très tard ; mais en revanche, il m’apporte une lettre intéressante. Pauvre Tolstoy ! Adieu, adieu. A demain les affaires, c’est-à-dire la conversation, c’est à dire l'écriture qui ne vaut pas le quart de la conversation. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00218.jpg
Val Richer, Dimanche 15 Août 1852

Que d'éclat, de mouvement et de bruit vous aurez autour de vous aujourd’hui, autant que j'ai autour de moi de silence et de repos. Le contraste m'amuse à le figurer.
Ce que vous me dites de l'impression que vous a faite, la conversation de Fould me plaît. C’est toujours bon qu’un homme d’esprit juge sa situation grande, car c’est un gage qu’il s'y conduira grandement et sensément. Quand on a son amour propre satisfait et le sentiment d’une haute responsabilité, on est en voie de sagesse. M. Fould en aura besoin.
J’ai vu du monde dans la petite tournée que je viens de faire, des gens de parti et des gens tout-à-fait étrangers aux partis des beaux esprits et des esprits simples de gros bonnets de province et des paysans ; voici mes deux observations. Le gouvernement du Président a gagné comme avenir ; on le croit établi et on croit qu’il durera, on ne voit rien qui puisse le renverser et lui succéder. Il n’a pas gagné comme considération et renom de capacité ; il a en général pour serviteurs des hommes inférieurs et des brouillons légers ou peu estimés. Durer ne suffit pas ; il faut monter en durant.
Il y a de l’inquiétude, dans le pays pour les récoltes, et si le temps qu’il fait depuis quinze jours se prolonge encore autant l’inquiétude sera fondée. Les moissons se font mal ; la pluie perd les blés.
Avez-vous vu Morny depuis votre retour ? Est-il bien avec Fould ? Les feuilles d'Havas insistent beaucoup pour bien établir qu’il n’y aura plus de changement dans le Ministère, et je suis persuadé qu'elles ont raison. Mais si la santé de M. de Persigny devenait de plus en puis mauvaise, il faudrait bien y pourvoir. Je me figure qu’en pareil cas, M. Jayr serait l’un des hommes auxquels le Président songerait. Je ne sais pas du tout quelles sont en ce moment ses dispositions. Sa capacité est réelle.

11 heures
Puisque vous marchez mieux, vous marcherez bien. Mais ne hasardez rien. Ce que vous me dites de l'enfant de Tolstoy me fait grand plaisir. Il pleut ici à torrents. Que deviendrez vous ce soir à Paris, vous et tous vos lampions ? Adieu, adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00222.jpg
Val Richer. Lundi 16 Août 1852

Si vous avez eu hier soir le même temps que nous, les illuminations auront brillé librement et la fête aura été belle ; le ciel ici était sombre, mais sans pluie, et pas beaucoup de vent. Ce matin, à 5 heures et demie, un temps superbe, pas un nuage ; le brouillard est venu et couvre ma vallée.
L’Electeur de Hesse aurait tort de ne pas faire sa visite. Je comprends qu’on ne vienne pas, c'est une politique ; mais venir et ne pas donner signe de vie au chef du pays, c’est une impolitesse impertinente qui ne convient jamais à de grands seigneurs. Vous me direz ce qui sera arrivé, n'est-ce pas ? J'en suis curieux.
Les journaux de Bruxelles mettent quelque affectation à dire que la Reine Victoria est restée enfermée dans son appartement, à Lacken, depuis le matin jusqu'à 4 heures. Donc temps donné à la conversation avec le Roi Léopold et aux affaires. Je ne doute pas que le voyage, n'ait un but d’amitié et de protection affichée.
Dit-on quelque chose, du pamphlet de M. Victor Hugo ? A en juger par les extraits que je lis dans les journaux, c’est aussi fou et aussi ridicule que celui de Proudhon, avec la fureur contre le président de plus. Voilà deux socialistes qui le proclament, l’un le plus utile ami, l’autre le plus odieux ennemi de la révolution. L’un est proscrit, l'autre bien traité. C’est naturel.
M. Thiers, M. de Rémusat, et les autres sont-ils déjà revenus à Paris, ou bien annonce-t-on leur prochain retour ?
Lord Londonderry est assommant avec sa correspondance. Le Président doit en être bien ennuyé. Il ne peut pas relâcher Abdelkader ; l'Algérie serait bientôt sans dessus dessous, tout le monde le craindrait du moins. Je comprends que le Duc d’Aumale fût embarrassé de le voir retenu par le gouvernement de son père. Mais le Président n’a rien promis à Abdelkader. Pourquoi s’est-il laissé aller à promettre quelque chose à Lord Londonderry, ou à peu près. Il devrait le connaître.
Soyez assez bonne, je vous prie, pour parler un moment de moi à la Princesse Schönberg et lui exprimer tout mon regret de ne pas la voir. J’aurais été charmé de causer avec elle ; elle était, et je suis sûr qu’elle est toujours charmante. Quand on l'a été vraiment, on ne change pas. Adieu.
Vous ne me dites pas si vous avez trouvé un maître d'hôtel. Je ne sais pourquoi les embarras de ce genre, vous troublent tant ; vous vous en tirez toujours bien. Le fou en veut aux papiers et aux bijoux présidentiels. Le ministère de l’intérieur et l’Elysée, c’est trop. 10 heures Pas de lettre. Ou vous n'aurez pas eu le temps de m’écrire, ou votre lettre aura été mise trop tard à la poste qui est partie plutôt. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00226.jpg
Val Richer, Mardi 17 Août 1852

Le Duc Decazes est venu hier et repart aujourd’hui. Il est à Trouville, où la foule change sans diminuer. Il est assez curieux à entendre à cause de son intimité avec le Roi Jérôme qu’il vient de voir au Havre.
Le Roi Jérôme ne croit pas au mariage du Président ; non seulement il n’en veut pas, mais il n'y croit pas ; il soutient même que le Président, au fond, ne s'en soucie pas. Il affirme que son fils, Napoléon est très bien avec son cousin. Decazes dit qu’en effet ils s'étaient bien remis, mais que dans ces derniers temps, ils ont recommencé à être mal. Rien de nouveau d'ailleurs, les dissensions intérieures des chefs du sénat, le Roi Jérôme, le vice président, M. Mesnard, le grand référendaire d’Hautpoul &. Cela ne vous fait rien, ni à moi non plus, ni à personne.
J’ai vu une lettre de Mad. [Donne] écrite de Vevey peu de jours avant le rappel des exilés. Ils ne s’y attendaient pas du tout. //
Le retour de Fould aux affaires est un sujet très général de satisfaction. On n'en attend que du bien, et on en attend du bien. La destitution des trois conseillers avait beaucoup étonné. On s’imagine que le rappel des exilés ne sera pas la seule compensation.

10 heures et demie.
Je vous plains vraiment, et tout-à-fait. Ce sont de grands ennuis pour tout le monde, et vous êtes moins faite que personne pour ces ennuis-là. Je voudrais bien vous y aider un peu ; mais de loin, je ne puis rien. Je suis surtout préoccupé du maître d'hôtel. C'est votre grosse prière et la plus difficile à trouver. Auguste vous reviendra bientôt. J’espère que Jean fait de son mieux.
Pauvre Tolstoy ! Adieu, Adieu.
Je n'ai pas encore fait ma toilette. Decazes m’a retardé. Il vient de partir. Il est un grand exemple de ce que peut le courage contre un mal incurable. Il me paraît que la fête a été superbe, sauf les illuminations, dit-on. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00230.jpg
Val Richer, Mercredi 18 Août 1852

Je reconnais bien M. de Varenne dans l’idée de faire chanter un Te deum en l'honneur de Napoléon dans l'Eglise catholique publique de Berlin. Il manque tout à fait d’esprit et de tact. Berlin est probablement de toutes les capitales de l'Europe celle où un pareil service devait le moins réussir. Dans la Chapelle de la Légation et entre français à la bonne heure, si le Président avait de grandes affaires, il verrait combien de tels agents sont impraticables.
Je remarque, assez de conseils d’arrondissement qui poussent à l'Empire. Nous verrons ce que feront les conseils généraux. A peu près partout, ils sont tels que l'administration, les a voulus, et elle en aura ce qu’elle voudra. C'est commode, mais pas toujours utile.
Les informations de Lord Aberdeen s'accordent avec celles de mes visiteurs anglais. Pour le moment, je crois plutôt à la durée de Derby, plus ou moins modifié, qu'à l'avènement de Lansdowne. Celui-ci serait obligé de dissoudre presque aussitôt. C’est trop d’émotion et trop de dépense. Lord Cowley redoute-t-il toujours Lord Malmesbury ?

Onze heures
Vous avez donc encore Stockhausen ? Je le croyais parti. Aggy n'aura pas la même popularité mondaine que Marion, mais je suis bien aise qu'elle aille un peu dans le monde, et qu’on l'y traite bien. Cela convient à votre salon.
Ce dont je suis bien plus aise, c’est de vos nouvelles de votre fils Paul. Non seulement cela lui montre ce que vous êtes et ce que vous pouvez pour lui, mais j’espère que si on lui ouvre une belle porte, il rentrera avec plaisir dans sa carrière. Je ne puis souffrir de voir un homme distingué perdre sa vie comme un good for nothing. Adieu. Adieu.
Nous avons eu hier ici un immense orage. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00233.jpg
Val Richer, Jeudi 19 Août 1852

Olliffe m’a amené hier M. Rivaz ministre des Etats-Unis, et M. Sheridan, M. frère de Lady Dufferin. M. River est un Américain Européen, spirituel, poli, Whig, c’est-à-dire conservateur dans son pays. Il s'attend à être révoqué de son poste après l'élection du nouveau Président qui appartiendra très probablement au parti démocratique. Il est fort occupé de la querelle entre les Etats-Unis et l'Angleterre sur leurs pêcheries, mais convaincu qu’elle s’arrangera. Lord Malmesbury et M. Webster, ont chacun de son côté cherché là un peu de popularité ; mais le bon sens public les arrêtera, et les a déjà arrêtés.
De nouvelles instructions viennent de partir de Londres. On ne croit pas que l'envoi de M. Baring à Washington soit nécessaire. M. Sheridan a la belle figure de toute sa famille, et pas l’esprit de ses deux soeurs.
J’espère que votre coquetterie de prendre un parapluie, pour une canne ne durera pas longtemps ; un parapluie est plus lourd qu'une canne et vous fatigue probablement autant qu’il vous soutient.
Le Président fait les choses, magnifiquement. Son bal des halles retardé doit lui coûter cher. Je présume du reste que ce n’est pas sa liste civile qui paye cela. Le corps législatif ne regardera pas de si près au budget du ministre de l’Intérieur.
Avez-vous remarqué avec quelle largesse, les journalistes et les imprimeurs ont été traités, en fait de croix d’honneur et d’autres récompenses ? C’est très démocratique ; mais je ne l’en blâme pas. Il use de son droit à son profit.
M. Sheridan m’a dit que les espérances de Lord Derby portaient sur deux points, la brigade Irlandaise et l’adjonction au Cabinet de Gladstone, et de Sidney Herbert. Il parait qu'à l’ouverture du Parlement, l’une des premières mesures proposées aura pour but de se concilier les Irlandais. Des avances aux Free traders, et aux catholiques. Voilà le cabinet Tory. Il n’y a plus de partis.

11 heures
Je ne puis que répéter. Pauvre Tolstoy ! Dites-lui, je vous prie, que je suis profondément touché de son chagrin, et que je le suis tout entier.
Je suis fort aise que vous ayez enfin un maître d'hôtel s’il n’est pas très bon, vous le formerez ou vous en changerez. Je suis de votre avis sur le dire de Molé ! Pourquoi le Président n’est il pas allé au bal des dames de la halle ? Je ne sais s’il fallait donner ce bal-là, mais le donnant, il fallait y aller. On ne peut pas à la fois rechercher la popularité et avoir l’air de n'en pas faire cas. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00238.jpg
Val Richer, Samedi 21 Août 1852

On me dit que M. de Rémusat est retourné chez lui dans sa terre de Laffitte, près de Toulouse. Il n’a donc pas refusé de rentrer. Peut-être aura-t-il écrit une lettre pour constater qu’il n’avait pas demandé à rentrer. Il est fier, et taquin. Je n’ai du reste aucune nouvelle de lui, directe ni indirecte.
Si Mad. Kalerdgi veut venir à Paris, elle a tort de se mettre mal avec les autorités Française et Russe, de Paris ; à moins qu’elle ne soit sûre de réussir à les renverser. Il ne faut pas tenter ces choses-là, et ne pas réussir. Il me paraît que la part de la petite intrigue de société est assez grande dans votre monde diplomatique.
Je lis dans l’Assemblée nationale, un beau récit de la rentrée du jeune Empereur à Vienne. Y a-t-il quelque exagération ? Le succès du voyage en Hongrie et de la rentrée doit faire venir l’eau à la bouche au Président. Je doute que la session des conseils généraux rende tout ce que peut-être on en attend. Personne n'est disposé à prendre grand peine, ni la moindre initiative. On a envie de rester comme on est, rien de moins, rien de plus. L'absence, non seulement involontaire, mais volontaire, de toute prévoyance est le trait du moment.

11 heures
Je n'ai pas de lettre ce matin et rien de plus à vous dire. Adieu donc et continuez de marcher sans vous fatiguer. Il fait ici, un temps affreux. Le mois d'Août nous fait faire pénitence de nos plaisirs du mois de Juillet. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00241.jpg
Val Richer, dimanche 22 Août 1852

Ce mauvais temps continu me déplait ; il gâte les blés du mon fermier qui ne me paye pas et moi, il m'enrhume ; j’ai la gorge prise depuis quelques jours ; je tousse beaucoup le matin. Je vais faire venir quelques bouteilles d'Eaux bonnes. C'est mon remède habituel. Mais probablement les remèdes s’usent à mesure qu’on s’en sert, et surtout à mesure qu’on vieillit.
Que signifie la nouvelle chute de Reschid Pacha ? Je suis enclin à n’y voir qu’une comédie, car Ali-Pacha, qui le remplace a toujours été son homme, et tout-à fait dans la même politique Turcs et Français ne savent comment se tirer de cette question des lieux saints. Il ne fallait pas l'élever, et le jour où l’on voulait absolument l'élever, il fallait commencer par la traiter officieusement avec vous, à Pétersbourg, avec l'Empereur en personne qui, probablement, eût pu être amené à comprendre et que conseillait l’intérêt commun de la Chrétienté. Il est difficile à présent que la France accepte la dernière décision de la Porte, et je ne sais comment fera la Porte pour en prendre une autre.
Je trouve dans les feuilles d'havas un petit article qui indique que le Gouvernement est décidé à solliciter indirectement des conseils généraux, des votes en faveur de l'Empire. On s'y félicite beaucoup de la presque unanimité qui s'est manifestée à cet égard dans les conseils d'arrondissement, et on finit par dire : " Cela présage d’une manière certaine que les conseils généraux formuleront à leur tour cette même pensée plus explicitement et plus unanimement encore. "Les feuilles d'havas sont plutôt adressées, aux fonctionnaires qu'au public, et elles donnent des instructions plus que des nouvelles.
Je vois que Lord Cowley est allé à Londres. Est-ce pour les propres affaires ou pour celles du public. Ce retard prolongé de la réunion du Parlement n’a pas bon air. On concevait le retard des élections, pour les préparer ; mais à présent que les élections sont faites pourquoi en faire attendre le secret ?

Onze heures
Vous répondez à ma question sur Cowley. Quoique je le connaisse peu, je le regretterai s’il s'en va. C'est plus sérieux que Lord Malmesbury. Je viens de prendre un verre d’Eaux bonnes J'en avais apporté. Je vous quitte pour aller me promener un peu avant déjeuner. On dit qu’il le faut. Adieu. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00245.jpg
Val Richer. Lundi 23 Août 1852

Contre votre sentiment de faiblesse, je ne sais qu’un remède, l’attention de tous les moments à ne rien faire qui vous fatigue ; pas trop d'écritures, pas trop de conversations, pas de veille ; vous arrêter dés que la fatigue commence à se faire sentir. De la bonne nourriture, et du sommeil. Quand la faiblesse, n’est pas un simple accident, mais le résultat de la vie déjà longue et fatigante, c'est là, je crois, tout ce qu’on peut lui opposer.
Je n’ai encore pris des Eaux Bonnes qu’hier et aujourd’hui, et je crois qu'elles me réussiront. J’ai la gorge, moins embarrassée. Voilà notre bulletin médical. Comme remède, pour vous et pour moi, j'espérais hier le retour du beau temps. Le soleil s'était couché dans la pourpre, et la nuit était brillante d'étoiles. Il fait gris ce matin comme toujours depuis le 1er Août.
Certainement, c’est la mission et non pas la création, comme vous l’avez écrit, vous ou M. de Meyendorff, du président de rendre la France gouvernable. Son oncle avait déjà reçu cette mission là, et ne s’y était pas épargné. Il y avait fait quelque chose et laissé encore beaucoup à faire. J’espère que le Président y fera aussi quelque chose. Mais tenez pour certain qu’il y a, pour la France des conditions de gouvernement hors desquelles, elle n’est pas définitivement gouvernable. Et si l’on s'écarte trop de ces conditions, on ne fait que préparer une nouvelle réaction anti gouvernementale.
Plus je vais, plus je me persuade que le secret du gouvernement, est dans la mesure. Le Roi Louis Philippe appelait cela le juste milieu. Il l’a toujours cherché, pas toujours trouvé, et il n’a pas eu la force de s’y tenir contre tous ceux qui voulaient l'en faire sortir. Il lui manquait un point fixe pour base. Le point fixe et le juste milieu, c’est ce qui fait les gouvernements durables. Il y faut les deux, Louis Philippe roi légitime eût été parfait. Pour durer du moins.
Voilà Lady Douglas duchesse de Hamilton. En vivra-t-elle un peu plus habituellement en Angleterre ? Les [absentes] ne sont pas plus populaires, je crois, en Ecosse qu’en Irlande.
Thiers chez Mad. Sebach m'amuse. Qu'en fait-il, et qu'en fait-elle ? Et que fera Mad. Kalerdgi dans un château près de Francfort ? Est-ce que le comte Adam Potocki sortira de prison et viendra l’y trouver ? Je suis un peu curieux de savoir qui de la France ou de la Belgique, cèdera le plus dans la négociation du nouveau traité de commerce dont on s'occupe, et qu’on a, ce me semble, tant de peine à conclure. Les bonnes relations avec la Belgique, politiques, et commerciales, sont indispensables aux deux pays. Elles paraissent bien compromises. Si vous aviez encore Stockhausen, je vous prierais de le prier de ma part de chercher, pour moi, ce renseignement ; mais vous ne l’avez plus.
Avez-vous lu, dans l’Assemblée nationale, d’hier Dimanche, la lettre parisienne de M. Amédée Achard sur le bal de la halle ? C’est une bouffonnerie un peu longue, mais drôle.

11 heures
Merci de la lettre d’Ellice que je vais lire. Je vous la renverrai. Adieu, Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00249.jpg
Val Richer. Mardi 24 août 1852

Il vous est plus facile de me faire de loin, la question que vous me faites à propos de Cromwell, qu'à moi d'y répondre. J'y répondrai pourtant très ouvertement. Au fait, je dirais volontiers tout haut, et devant tout le monde ce que j'ai à vous répondre. Je n’ai pas la prétention d'être insensible, au plaisir d’un petit succès. Mais je sais me le refuser pour peu que j'en aie une bonne raison. Ce n’est pas pour me le donner que j’ai publié ce fragment. Quand j’ai de l'humeur, quand je suis impatient, quand j'écoute mes souvenir de parti, je désire que le président suive sa fantaisie et se fasse Empereur. Certainement il s'attirera par là des complications et des difficultés, et des nécessités qui feront faire un pas à la situation. Quand je suis, ce qui est mon ordinaire, de parfait sang froid et détaché de tout sentiment de parti je trouve que le président a et aura grandement raison de ne rien changer à sa situation. Il y est plus fort, pour sa mission d’ordre social, qu’il ne le serait dans aucune autre, et plus sûr, pour lui-même, non seulement du présent, mais de l'avenir de son pouvoir.
J’écris, depuis longtemps, l’histoire de Cromwell. Je suis arrivé au moment où il a eu à décider s'il se ferait Roi. Il ne s’est pas fait Roi. A mon avis, il a très bien fait. C'est à cela qu’il a dû de mourir tranquille dans son lit, à Whitehall, et en pleine possession du pouvoir suprême. J’ai trouvé qu’il y avait là un grand exemple et un bon conseil. Je n’ai pas besoin de vous dire que je n’y ai pas mis ou changé un mot par malice. Il est tel qu’il aurait été publié il y a dix ans. Je suis en dehors de toutes choses, mais non en dehors de toute communication avec mon pays. Il veut bien mettre toujours quelque prix à savoir ce que je pense, et j'en mets à le lui dire. C'est par là que ma vie est encore publique. Je n’y veux pas renoncer. Je ne pense pas qu’il me vienne de là aucun désagrément. J'en serais surpris, et j'en prendrais mon parti. Je suis sûr qu’il n'en viendra aucun à aucune autre personne. Vous êtes la seule dont les désagréments, en ce genre pussent me toucher. Je suis tranquille de votre côté.
J’avais prévu ce qui est arrivé à Berlin. C’est en effet bien maladroit. Le neveu fait très bien d'honorer la mémoire de son oncle ; mais le roi de Prusse ne peut pas oublier sa mère.
La lettre d’Ellice est intéressante. Au fond, ce nouveau pas démocratique qu’il prévoit et qu’il craint ne lui déplait pas. Il est de ceux qui se résignent volontiers à ce mal. Je persiste à penser que l'Angleterre vaut mieux que ceux-là, et que si elle succombe au mal, ce ne sera pas sa faute, mais celle des hommes qui lui auront manqué.

10 heures et demie
Merci de me dire toujours tout. Ce que vous ne savez probablement pas, c’est que Villemain a publié, il y a longtemps, une histoire de Cromwell, qui n’a pas réussi, et que toute même histoire qui réussit un peu lui est un grand crève-cœur. Adieu, adieu.
Ma toux est à peu près partie.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00253.jpg
Val Richer Mercredi 25 Août 1852

Le beau temps paraît décidé à revenir aujourd’hui. Vous en jouirez dans votre calèche. Moi, j'en jouis dans mon jardin. Je ne fais guère de longue promenade aux environs. J’aime mieux flâner en rêvant dans mes allées. Je rêve à mes travaux, au passé, à l'avenir. Je suis ici à la fois très entouré et très solitaire. Pour la vie extérieure et à la surface, rien ne me manque ; le fond est vide. C'est curieux combien la distance est grande dans l’âme entre la surface et le fond.
Mes enfants sont excellents et charmants pour moi. Quand je chercherais, je ne saurais vraiment qu’y ajouter ; mais ils ont leur propre vie, qui n’est pas la mienne. C’est tout simple. Je suis également frapper du sage arrangement des choses telles que Dieu les a réglées, et de leur imperfection.
M. Drouyn de Lhuys s'est donc arrangé avec la Belgique. Pour des affaires de cette sorte et de cette taille, il en sait plus que M. Turgot. Il vient de faire une bonne et juste nomination en envoyant à Londres, mon ami Herbet que vous connaissez, comme consul Général. J’ai vu avec plaisir que mon amitié ne lui faisait pas tort. Il m’est resté très attaché. Il servira très fidèlement et très capablement. Je regrette que ce mot-là ne soit pas français.
Ably, nous manque. Je trouve que les petits jeux et les bijoux qu’on gagne toujours sont des appâts un peu vulgaires. Je conviens qu’il en faut de ceux là, et quand ils réussissent, on a bien fait de les employer.
Avez-vous remarqué que M. de Radowitz vient d'être nommé inspecteur général de tous les établissements militaires de Prusse ? Est-ce un simple manque de faveur personnelle, ou bien y a-t-il là quelque politique ? Ceci me paraît peu probable.
La Suisse est vraiment une honte pour l'Europe. Je viens de lire, dans l'Assemblée nationale, une longue lettre sur l'état intérieur du canton de Neuchâtel qui fait vraiment dégoût et pitié. Les protocoles de Londres pour le maintien des droits du Roi de Prusse n’ont abouti qu'à un redoublement de tyrannie radicale. Les radicaux ont raison de se moquer des rois.

Onze heures
Demandez à votre médecin, Olliffe ou Chomel, si l’usage habituel de quelque boisson amère, comme la chicorée, ne serait pas bon pour votre estomac. Vous avez besoin de quelque tonique pas fort, mais constant. Avez-vous renoncé aux eaux de Bussang ? Prenez-vous un peu souvent de la gelée de viande ? Je voudrais bien vous trouver un peu de force.
Si la petite Princesse a moins d’esprit qu’il y a douze ans, ce n’est pas assez. Adieu. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00257.jpg
Val Richer, Jeudi 26 Août 1852

Je reviens à votre faiblesse. Essayez de rester dans votre lit plus tard, le matin. Quand on est très fatigué, rien ne repose comme le lit. Vous pouvez lire, écrire, déjeuner dans votre lit, si vous ne vous leviez qu'à onze heures ou midi, vous auriez un peu plus de forces pour le reste de la journée. Faites vous usage des pastilles de Vichy ? Elles aident beaucoup à la digestion.
J’ai lu les Regrets du Constitutionnel. Je ne chicane pas sur les détails. En gros, c’est vrai, spirituel, piquant et poli. De la bonne morale, et de la guerre bien faite. Morale et guerre bien vieilles. Cela est arrivé et cela a été dit depuis le commencement du monde. Mais ce qui est arrivé recommence et ce qui a été dit est bon à redire. Je n'objecte donc point.
Voici seulement ce que je voudrais ajouter. Comme il y a des gens qui sont mécontents dès qu’ils ne gouvernent plus, de même il y en a qui sont contents qui que ce soit qui gouverne, et de quelque façon qu’on gouverne. Les uns trouvent que rien ne va plus dès qu’ils ne sont plus là les autres que tout va bien tant que Dieu les laisse ici. On fait bien de se moquer du dépit des uns et d'exploiter la platitude des autres. Seulement il faut voir toutes choses et appeler chaque chose par son nom.
Il y a aussi des gens qui pensent que tous les gouvernements sont ou également bons, ou également mauvais, et qu’il n’y a jamais de raison pour en regretter, ou en désirer un plutôt qu’un autre. Je ne suis pas de cet avis. Je crois qu’il y a du choix en fait de gouvernements comme en fait d’appartements ou d'étoffes, et qu’il y a des pays mal gouvernés, comme il y a des hommes mal logés et mal élus. Vous savez que je ne suis ni de la secte des sceptiques, ni du tempérament des apathiques. De plus, je dirais volontiers de cette petite guerre ce que vous me disiez de Cromwell, à quoi bon ? What use ? Un simple particulier fait et dit ce qui lui plaît, un gouvernement ne doit faire et dire que ce qui le sert. Je ne vois pas en quoi cela sert le gouvernement de faire ainsi taquiner des hommes dont les uns se tiennent tranquilles et dont il exile les autres quand ils ne se tiennent pas tranquilles. Le gouvernement ne peut pas ne pas sentir que le concours actif et bienveillant des esprits et des classes élevées, lui manque, et il ne peut pas croire que ce manque soit, pour lui, un fait indifférent. A sa place, je penserais constamment à rallier ou à désarmer ces classes et ces esprits-là, et pour y réussir, même un peu, je serais constamment, avec elles, ou avec eux, tranquille, poli et inoffensif. Point d'avances et point de coups d’épingle. La dignité du pouvoir n'y perdrait rien, et sa relation avec ce monde-là y gagnerait quelque chose. Il n’y a point de dépit qui soit inabordable aux bons procédés des puissants. C’est une maladie qu’on ne guérit pas, mais qu’on peut faire rentrer. Elle est ridicule cela est sûr ; mais en l'attaquant, on l'envenime, et on lui donne des prétextes pour s'exhaler et se répandre. Il vaudrait mieux la traiter de telle sorte qu'elle fût embarrassée de se montrer et que tout le monde la trouvât en effet ridicule si elle se montrait. Je dis ceci dans la supposition que M. Sainte-Beuve parle comme le gouvernement le désire et pour lui plaire. Si ses regrets ne sont que la malice d’un homme d’esprit qui moralise pour son compte, je n'ai rien à dire ; il en est bien le maître, et il a raison de s'en donner le plaisir.

Onze heures
Votre lettre vient tard. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00261.jpg
Val Richer, Vendredi 27 Août 1852

Nous avons eu hier, un peu avant le dîner, un orage qui m’a mis je ne sais pourquoi, dans un grand malaise. J’ai à peine diné. Après dîner, j’ai eu un besoin absolu d’une demi heure de sommeil dans mon fauteuil. J’en suis sorti pour faire un robber de whist, et j’ai été me coucher à 9 heures. J’ai très bien dormi. Je n'ai plus aucun malaise. Je ne suis qu’un peu fatigué. Ce soir, il n'y paraîtra plus.
Je ne comprends pas les gens de Berne d'avoir de si mauvais procédés pour le Président. Il me paraît clair que tout en les menaçant, au fond, il les protège un peu, contre une invasion Européenne du moins, par crainte des embarras intérieurs où elle le mettrait, et aussi par souvenir de l'hospitalité qu’il a reçue en Suisse. Il est, ce me semble, toujours sensible à ce qui lui est, ou lui a été personnel. Les radicaux ont bien peu d’esprit.
Les apparences sont comme le dit M. Drouyn de Lhuys, que l'Empire est fait. Les conseils généraux, en termes plus ou moins positifs votent comme un seul homme. Je vous prie de croire que je n’ai pas cru un moment à l'efficacité d’un conseil historique et public. Mais j’ai été bien aise de donner historiquement le conseil pour dire publiquement mon avis. Quand l'Empire sera fait, je serai ce que je suis aujourd’hui, parfaitement tranquille et respectueux pour l’ordre établi.
Je ne m'étonne pas de l’enfantillage des Belges avec les vaisseaux et les ingénieurs Anglais. Quand nous sommes allés, en 1831 les sauver des Hollandais devant qui ils s'étaient enfuis comme des lièvres, ils ont eu la même humeur et fait à l’armée Française toutes les malices inimaginables. On veut être sauvé, et détester son sauveur. C'est naturel. Il est fort désagréable d'être démontré petit, et impuissant à se sauver soi-même. C'est d'ailleurs la manie du temps que personne ne veuille être petit. La prétention de l'égalité existe entre les états comme entre les individus. C'est la principale cause peut-être de cette passion de constitutions qui a saisi tous les peuples. Affaire d’orgueil encore plus que de besoin. Tout le monde a voulu avoir le même grand gouvernement représentatif que la France ou l'Angleterre, pour être grand aussi.
J’ai essayé un jour de faire comprendre à un général, homme d’esprit que ce gouvernement là n'allait pas du tout à Genève que c’était une machine à vapeur de la force de mille chevaux pour une barque de cent tonneaux. Je n’ai pas réussi. Qui veut être une barque de cent tonneaux ? La Fontaine avait vu cela avant moi. Tout petit Prince à des ambassadeurs. Tout marquis veut avoir des Pages. Les constitutions sont les pages de notre temps. Cela est drôle à dire dans ce moment-ci. Je persiste pourtant. Quand une sottise a fait trop de mal, la platitude vient et prend la place de la sottise ; mais on n’est pas, pour cela, guéri de la sottise.

11 heures
Ne dites donc pas de telles paroles. Votre faiblesse me désole ; mais ce n’est que de la faiblesse. Vous n'avez point de maladie, point de fièvre point d'organe attaqué. C’est une mauvaise veine que vous traverserez. Adieu, adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00264.jpg
Val Richer, Samedi 28 Août 1852

Votre découragement me chagrine au moins autant que votre faiblesse. Il est impossible que, n'ayant point de maladie, point de fièvre, vous ayez sujet d'être à le point abattu. Je sais que lorsqu’il vous a vue il y a quelque temps Chomel ne vous a trouvé d’autre mal qu’une de ces constitutions délicates et fatiguées qui exigent des soins continuels, mais avec lesquelles on vit très longtemps, comme deux secrétaires perpétuels de l’Académie, Fontenelle et Suard qui ont vécu l’un jusqu'à 99 ans, 9 mois, l'autre jusqu'à 84 ans, en ayant toujours eu mal à l'estomac depuis leur enfance.
Êtes-vous contente de Kolb ? Quand Olliffe retourne-t-il à Paris ?
Je vois, dans mon Galignani, que Lady Palmerston aussi a été malade, en Irlande. Mais elle est bien plus forte que vous. Elle doit avoir des crises vives et nom pas des langueurs. Antonini va-t-il partir en congé, comme le disent les journaux ? Le voyez-vous souvent et serait-ce une perte pour vous ? Autrefois vous l’aimiez assez comme porteur de nouvelles et il en savait. Mais il s’est fait grand tort un jour dans votre esprit, et bien justement. Puisque sa cour s'est si bien conduite, envers le président à l'occasion du 15 Août, il doit être en faveur à l'Elysée et assez au courant.
On parle de querelles dans l’intérieur du cabinet anglais, et de la retraite probable des protectionnistes intraitables comme M. Christopher. Est-ce vrai ? Il faut que les Protectionnistes se résignent ; la protection ne peut plus être le sine qua non de la politique conservatrice. Trois statues à Peel en trois ans. Londres, Leeds, et Montrose !
Je suis assez curieux de savoir si les nouveaux arrangements de Lavalette avec la Porte, annoncées par dépêche télégraphique seront aussi satisfaisants et efficaces que les premiers.

11 heures
J’aime mieux que vous soyez jaune. On sait que faire à cela. Mais faites, je vous en prie, ce que vous dit Chomel. Je ne crois point, hélas à l'infaillibilité, ni à la toute puissance des médecin, mais je crois encore, moins à la fantaisie des malades. Adieu, adieu. G.
Formats de sortie

atom, dcmes-xml, json, omeka-xml, rss2