Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, 3 Novembre 1851

Il a fait ici cette nuit une tempête effroyable ; je me suis réveillé dix fois, pensant à vous et espérant que ces coups de vent et les torrents de pluie n'étaient pas aussi au-dessus de vous. Ils auraient encore agité vos nerfs déjà si faibles. La tempête a cessé ce matin, et le soleil brille. Que je voudrais apprendre, ce matin que vous avez un peu dormi !
Ce n'est pas au moins le mouvement autour de vous qui vous manque. On vient beaucoup vous voir et vous dire ce qu’on sait, vous vivez des indiscrétions d’autrui qui se confient dans votre discrétion à vous.
Malgré l'ennui qu’ont eu mes amis du nom du Duc de Montmorency dans l’Assemblée nationale, je n’y ai nul regret. Ces choses- là n’ont leur valeur que quand elles sont publiques à cette condition seulement elles lient un peu. Et bien peu encore. Certainement ces courtoisies de famille ne sont rien tant que la question politique n'est pas résolue ; mais elles aplanissent les voies vers cette solution ; surtout elles rendent de plus en plus difficile tout autre chose que cette solution. Rien ne le prouve mieux que l'humeur des adversaires ; l'ordre n’a pu se résoudre à dire que la Reine avait écrit au comte de Chambord.
Je ne puis croire au calcul de Dupin pour l'abrogation de la loi du 31 mai. Je n'allais pas au-delà de 300 voix contre 400. Il connaît mieux que moi l’Assemblée. Je persiste à n'y pas croire. On a parfaitement raison de rejeter tout-à-fait, sans amendement ni transaction la proposition d’abrogation pourvu qu’on soit décidé à adopter ensuite la loi municipale dont le rapport a déjà été fait, et qui contient la transaction pratique dont le parti de l'ordre a besoin pour rester uni. Je vous quitte pour ma toilette.
Voici ma dernière semaine sans vous voir. Que ferais-je pour remercier Marion de ses bonnes lettres ? J'en ai reçu hier une très longue de Croker qui ne peut toujours pas se consoler qu’on n'ait pas renommé le général Cavaignac président, et laissé ainsi la République seule avec elle-même. C'est bien dommage que la Révolution française ne se soit pas laissée diriger par lui ; il savait bien mieux ses affaires qu'elle-même, et il lui aurait donné d'excellents conseils.
Sur l’Angleterre, il ne me dit que ceci : " Why is the Assemblée nationale so stupid as to attribute Palmerston policy to England in general, and above all to suppose that any man in England dreams of acquiring Sicily ? So far from desiring any such thing I will venture to say that not one man, Whig or Tory, would consent to accept it, even il offered I and you may be assured we [?] more likely to get rid of colonies that we have than to attempt to obtain a new one." Je crois qu’il dit vrai.

Onze heures
Voilà deux lignes qui me charment ; soit dit sais faire tort à la charmante Marion. Adieu, adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Vendredi 31 Oct. 1851

Ce que vous me dites de Claremont me fait grand plaisir. Le Duc de Montmorency serait en effet très bien ; un pas de plus qu'il n'a été fait de l'autre côté à la mort du Roi, et en même temps grande convenance de la personne. Je ne doute pas qu'il n'accepte si le hint lui a vraiment été donné, comme l'indique le simple fait de s'être adressé à lui.
La conversation de Dupin est l'écho de ce que j'entends beaucoup dire. J'ai dîné hier à Lisieux, avec 30 personnes, fort mêlées, assez de Régentistes. Ceux-ci aussi tristes, plus tristes peut-être que les autres, également atteints d’un sentiment d'impuissance, mais ne renonçant à rien pour cela, et disant toujours que leurs adversaires devraient bien renoncer. Depuis bien longtemps le mot childish erre sans cesse sur mes lèvres ; je n'ai jamais eu plus de peine à m'empêcher de le prononcer, tout haut. On a tort de maltraiter indistinctement les nouveaux ministres. Indépendamment de M. Corbin et Giraud qui sont bons, il y a là un ministre de l’intérieur de qui l’un de mes amis, qui le connaît très bien m'écrit : " Thorigny est bien supérieur à Faucher sous tous les rapports, et il a toutes nos opinions. C'est le ministre que nous aurions choisi nous- mêmes pour diriger les prochaines élections. Pourquoi, comment est-il entré dans ce cabinet ? Tout le monde l'ignore ; il ne le sait peut-être pas bien lui-même."
C'est là évidemment un homme à ménager. Je me rappelle que comme magistrat, il s'est montré capable et résolu. J’ai été encore plus frappé que d'autres de l'attaque du Constitutionnel contre Persigny. Voici pourquoi. Morny a gagné pleinement son procès contre le Dr Véron. C'est à lui Morny, qu'appartient maintenant la direction politique du Constitutionnel. Il n’a pas voulu la prendre ostensiblement, ni la changer promptement ; il lui a convenu qu’elle restât encore dans les mêmes mains et les mêmes voies, mais il est en mesure de la modifier et de s’en servir comme il voudra. L’attaque à Persigny a donc assez d'importance. C’est un reflet de l’intérieur de l'Elysée. Si vous ne saviez pas déjà ceci, gardez-le pour vous, je vous prie.
Je suis charmé que le discours de Falaise ait votre approbation. Je ne trouve pas la statue extrêmement belle, ni si mal que vous me l’aviez dit. Il y a de la force et du mouvement. Mélodrame sans doute, point de noblesse, ni de mesure dans la force. Le public est content. Je prends votre silence sur la lettre projetée du Duc de [Noailles]. comme une réponse, et je règle un [?] d'après cela mon langage avec ou sur certaines personnes. M. de Mérode est-il de retour à Paris, et l’avez-vous vu ?

Onze heures
Voilà la triste lettre de Marion. Je l’en remercie pourtant de tout mon cœur. Je lui écrirai demain quoique j'espère bien revoir demain votre écriture. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 29 octobre 1851
1 heure
Je suis encore dans mon lit, avec des étouffements. Vitet que j'ai vu hier soir m’a prié de vous dire qu'il a vu les lettres du duc de Nemours à M. Bauchez témoignant du vif chagrin de la reine & du sien à l'occasion de la mort de la Dauphine. Le Duc de [Nemours] était son filleul. On va célébrer une messe, et on écrit au duc de [Mont?] pour le prier de chercher un complimenteur convenable pour Frohsdorf. On espère that he will take the hint. Cela serait très bien.
Longue visite hier matin de M. Dupin. Blâmant beaucoup, espérant peu de l'Assemblée à cause de ses divisions. Des regrets, des hélas de ce que chacun s'occupe de son intérêt ou de son penchant personnel. Le mieux serait que le comte de Chambord abdique ! Il pense bien de Corbin & Giraud, il rit du reste surtout de Fortoul. Il n’ira pas à St Cloud, il s'est borné à s’inscrire à l'Elysée. Le soir Pasquier m’a dit qu’il croyait que Corbin refuse. Il n’est pas ici encore.
Je voudrais bien mes nouvelles. J'en suis bien loin aujourd’hui. Rien de Pétersbourg. Adieu. Adieu.
Je trouve votre discours à Falaise extrêmement bien. Avez-vous trouvé la statue extrêmement belle ?

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Vendredi 24 Oct. 1851

Je me lève tard. Je ne suis rentré chez moi qu'à minuit. On m'a fait causer et jouer au Whist toute la soirée. L'alarme est réelle, pas vive. Les affaires se sont ralenties sans s'arrêter tout-à-fait. On croit en général à une transaction entre l'Assemblée et le Président, sur la loi du 31 mai. Le président ayant pris le suffrage universel sans sa protection. On le blâme plus qu'on ne s'en inquiète. Très généralement on trouve sa manœuvre mauvaise ; le profit de popularité qu’il en pourra retirer ne vaudra pas le discrédit que cela lui attire. Il a fait la manoeuvre pour les paysans qui auraient été ses amis sans cela, et pour les rouges qui ne cesseront pas d’être ses ennemis. Voilà le raisonnement commun.
Ce que M. Odiot rapporte, dit-on, de Claremont ne m'étonne pas. Il est impossible que cet incident ne leur donne pas des espérances. On parlait beaucoup ici ces jours derniers d’un manifeste prochain du Prince de Joinville. C’était la nouvelle générale évidemment répandue par les partisans de sa candidature. Je n’y crois pas. A moins qu'on ne renouvelle la faute de faire feu trop tôt, ce qui se pourrait bien. S'il n'y avait point de transaction entre le Président et l'Assemblée. Si l’Assemblée rendait des lois pénales contre sa réélection, la candidature Joinville deviendrai plus sérieuse. Mad.Lenormant m'écrit : " Le Duc de Noailles est tout ranimé, tout confiant ; la crise lui paraît commencée et sous de bons auspices. " Est-ce vrai, et a-t-il raison ?
Voilà donc encore deux départements de plus en état de siège. C'est aujourd’hui l'état de la 9e partie du territoire français. En attendant.
Le journal de Thiers, l’Ordre, a passé au ton de la conciliation. Il fait, comme le Président, sa cour aux légitimistes. Je suppose qu'ils n'en sont pas dupes. Mon petit courrier jaune est à cet égard, très sensé et très clairvoyant. Je crois plus à ce que vous a dit Antonini qu'au ton de l'Ordre.
Je ne vous dis pas grand chose et je n’ai rien de plus à vous dire. Je vais faire ma toilette, en attendant la poste. Moi aussi, je me suis mis au régime, non pas d'un artichaut par jour, mais de l’eau de Vichy. J’ai ressentie quelque petite atteinte de mes douleurs de foie et de reins. Cela n’est pas revenu. L’eau de Vichy me réussit toujours. Jusqu'ici, car tout s'use, dans notre corps du moins. J'ai, quant à notre âme, le sentiment contraire.

11 heures
La mort de la Dauphine me touche. Je l'ai bien peu vue, mais j'ai passé ma vie à la respecter. Certainement, il faut une démonstration très publique de Claremont. Adieu. Adieu. G.

L’article des Débats sur le Prince de Joinville fait pressentir une retraite. Quant à présent du moins et comme manœuvre du moment.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 21 oct. 1851

Certainement si vous aviez dîné à côté du Président, vous en sauriez plus que Mad. Narischkin sur ce qu'il pense et prépare. Socrate n'était pas plus habile que vous à accoucher, comme il disait, les gens de ce qu'ils avaient dans l'âme. Voilà probablement la première fois que vous avez été comparée à Socrate.
Le Général Trézel m’avait écrit pour m'envoyer copie d'une lettre, sensée et honnête, qu’il avait adressée au duc de Nemours sur la Candidature du Prince de Joinville, et aussi, et peut-être surtout pour me parler de l'humeur qu’avaient donnée à Claremont les correspondances du Times, et pour me demander quel langage il devait tenir à ce sujet. Je viens de lui répondre une lettre que je crois très bonne, et sur la candidature, et sur le Times. Je regrette que vous ne la lisiez pas. J'espère qu’il aura l'esprit de la faire lire. Je suis de l'avis de Mad. de La Redorte. L’assemblée ne votera pas le rappel de la loi du 31 mai. Le Président n'aura, pour cela ni le gros des Conservateurs, ni le gros des légitimistes, ni la coterie Thiers. Il n’y a pas de quoi faire une majorité, en dehors de cela d’autant qu’il ne complaira pas assez à la Montagne, pour l'avoir toute entière. Il finira par reculer, et par accepter les modifications que voudra faire, à la loi du 31 mai, le parti de l’ordre, et dont la Montagne ne se contentera pas. Il dira à M. Véron: " Je n’ai pas pu obtenir davantage ; et il se croira un peu populaire pour avoir voulu davantage. Mauvaise manœuvre, soit qu’il aille jusqu'au bout, soit qu'il recule."
Palmerston aura son chemin de fer à travers l’Egypte. Je vois qu’il a donné à Abbas-Pacha le conseil de plier et de demander l’autorisation de la Porte. La Porte la donnera, et l'affaire sera faite. C'est une plus grosse affaire qu'on ne pense. L'Angleterre aura en Egypte une administration permanente, et une douzaine de petits forts sous le bois de stations. Je trouve vraisemblable et bonne l’explication que donne Aberdeen de son intervention dans l'affaire Gladstone. Il avait réellement pris le meilleur moyen d'étouffer le bruit. L'impatience de Gladstone l'a déjoué. J'envoie au duc de Broglie copie de ce passage de sa lettre. Aberdeen désire certainement que son explication soit connue.

Onze heures
Merci de votre longue et curieuse lettre. Mais c'est votre consultation qu’il me faut. Vous me la donnerez en détail n'est-ce pas ? Et si cela vous fatigue, Marion. Quel ennui d'être loin. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 20 Oct. 1851

Que signifie cette ridicule nouvelle du Constitutionnel que Lord [Palmerston] viendra à Falaise pour l’inauguration de la statue de Guillaume le conquérant ? Ce serait trop plaisant. Je donnerais bien 20 fr. pour qu’il vint en effet et pour qu’il parlât. Ce serait encore mieux que Lord John venant s'amuser à Paris.
La lettre d'Aberdeen me donne à croire que la Reine est peu favorable à la nouvelle réforme projetée. Quel dommage que le parti conservateur n'ait plus là ses anciens chefs ! Quelle belle occasion de prendre et d'exercer efficacement le pouvoir à l'approbation de la vraie majorité de l’Angleterre ! Certainement Aberdeen est très vexé de cette affaire Gladstone et il a raison. N'avez vous rien entendu dire de Gladstone à son passage à Paris ? Est-ce vraiment dans le midi de la France qu'il est allé passer l'hiver, comme le disent les journaux ?
Je ne comprends pas que Piscatory n'aille pas vous voir. Il ne m’a point récrit depuis une lettre dont je vous ai cité un fragment très amical. Il médite probablement quelque coup de tête en paroles dont il ne veut pas avoir à parler ni avant, ni après.
Vos détails sur l'attitude et la confiance du Président et de ses amis sont bien curieux. Je crois qu’il se trompe. Il y a beaucoup de vrai dans ce qu’il pense et beaucoup de possible dans ce qu’il espère de l'esprit de la population en général, des masses inconnues ; et si rien ne devait se passer, se dire et se faire dans l’Assemblée avant que le pays eût à se prononcer, le pays pourrait bien donner raison au Président. Mais des trois grands acteurs entre qui le drame se joue, le pays, le Président de l’Assemblée, le Président oublie que celui-ci viendra en scène et bientôt. Et quand il est en scène, tout change, ou bien ce qui ne change pas se tait et ne fait rien. L’oncle avait raison ; il faut bien vivre avec les Assemblées, ou vivre sans assemblée, ou avec des assemblées muettes et nulles. Le neveu entreprend de mal vivre avec des Assemblée qui parlent et décident. Et pourtant il aurait pu bien vivre avec elles. Je n'en finirais pas.
Changarnier a quelque raison d'espérer. Jamais sa chance, je ne dirai pas n'a ôté, mais n'a pu devenir aussi sérieuse que dans le moment. Si tant est qu’il puisse y avoir une chance pour qui n’est pas Prince. Quand pouvez-vous avoir la réponse à ?

Onze heures
Je suis bien aise que vous voyez Chomel. Pourvu que vous fassiez ce qu’il vous dira. Probablement rien de plus qu’un régime pour calmer vos nerfs et vous aider à dormir. Adieu, adieu. Je n'ai rien de nulle part. G. Voulez-vous que je vous renvoie la lettre d'Aberdeen ou que je vous la rapporte à mon retour ?

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 18 Oct. 1851

Le programme du Constitutionnel hier était précisément le puzzle que vous m’annonciez ; abolir la loi du 31 mai et rester archi-conservateur. Cela paraît et cela est parfaitement sot. Je parie que si le président va jusqu'au bout et trouve de nouveaux ministres, ce sera là ce qu'ils tenteront, et peut-être ce qu'ils feront. Ils seront dominés, subjugués par la nécessité de défendre l'ordre ; nécessité absolue quand on gouverne, et les petites jacqueries qui commencent, les y aideront ; et il faudra bien que le parti de l’ordre vote pour eux quand ils le défendront matériellement. Et il faudra bien que la Montagne vote l'abolition de la loi du 31 mai quand ils la proposeront. Ils seront tour à tour attaqués et soutenus des deux côtés. C’est un jeu honteux, ridicule, et qui perd au bout d’un mois, le gouvernement qui le joue ; mais en un mois le tour est fait, et quand le tour est fait, on rentre dans l'ornière de tous les gouvernements. Je crois vraiment que c'est là ce qu’on se propose comme on le dit et je ne suis pas sûr que ce fût tout à fait impossible sans les incidents qui viendront à la [traverse] surtout celui de la proposition Créton qui mettra le désordre dans ce désordre et jettera au milieu du jeu des cartes nouvelles dont la portée est incalculable.
Prévoie qui voudra ; j'y renonce, et je vais me mettre à faire mon discours sur M. de Montalembert. J’ai reçu hier une lettre de lui qui m'annonce le sien pour demain ou après-demain. Il n'en est pas content. Il me l'envoie tel quel me demandant de donner des coups de crayon partout où je trouverai quelque passage à modifier ou à retrancher.
" Je serai aussi docile que possible à cette censure si compétente et si amicale ! " Propos d'homme d’esprit qui a grande envie de réussir. Je suis sûr qu’il réussira. Son langage n’est pas d'une correction parfaite, ni d’un tour strictement acadé mique ; mais il a une élévation, un éclat, un jour de jeunesse à la fois noble et naïve qui surmonteront les petits défauts et plairont infiniment au public. Je serais bien étonné qu'il en fût autrement.
Voici un passage d’une autre lettre, d'un autre homme d'esprit, M. de Lavergne, qui vit dans un département du centre, la Creuse et qui observe bien " Le pays n'est ni bon, ni mauvais. Paysans et bourgeois se regardent sans amour ni haine. Les uns et les autres ne savant que faire et selon toute apparence beaucoup d'électeurs n'iront pas aux élections. Les paysans voteront encore pour Nadaud, par esprit de Corps, mais sans y attacher une pensée précise de bouleversement. Les bourgeois n'ont pas encore arrêté leurs choix. On m'a fait l’honneur de penser à moi ; mais j’ai refusé. Je n'ai jamais eu si peu d’attrait pour les affaires publiques et si peu de sympathie pour tous les partis. "
Cela ne présage pas grand chose de bon pour les élections prochaines. Ce pays-ci vaut mieux. Cependant les intrigues électorales commencent ; et si ce qu'on me dit est vrai, il y en a de bien étranger, on m'assure que M. de Saint-Priest a fait écrire ici, par M. Nette ment plusieurs lettres contre mon élection, et que le duc de Lévis et le Duc d’Escars ont parlé dans le même sens. Je ne le crois point, mais quand vous verrez le duc de Noailles, dites-lui, je vous prie que cela se dit et qu'on me le dit. Il est bon que ces messieurs le sachent.
Moi aussi, je voudrais bien être sûr que Constantin, a raison dans ses pronostics sur l'effet de notre lettre. Je penche à le croire. Le contraire serait monstrueux.

Onze heures
Adieu, Adieu. Je ne comprends pas Génie. Ou du moins la raison que je suppose n'est pas bonne. Je vais lui écrire. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 18 octobre 1851

J'ai vu hier soir M. Fould très gai, très décidé ; décidé pour son compte à voter contre l'abrogation de la loi du 31 mai. Très sûr de la résolution du Prince de demander cette abrogation. Presque sûr que l’Assemblée aura peur et fera la volonté du Président. Le Président a fait une faute, il peut en faire impunément beaucoup encore car il est très puissant. Le pays est à lui. Les salons, les classes élevées, tout est unanime à blâmer ce qui vient de se passer. Il n’y a personne qui ne soit de cet avis. Mais cela n'y fait rien. Le prince sait tout cela, & cela lui est égal. Voilà ce qui s’est dit devant une demi douzaine de personnes. Le Prince multiplie les dîners. Aujourd’hui Kisseleff. On joue le soir au Lansquenet. Quand il n'y a pas dîner, le prince va au spectacle. Il rit beaucoup aux variétés. Voilà !
Viel Castel s'en va pour huit jours à Broglie. Baroche est parti pour sa campagne. Tout le monde est en vacances. Hier le Président a donné audience au comte Louis Batthyany qui devait être pendu.
Voici la lettre de Lord Aberdeen. Je lui ai répondu hier. Il est évident que cette affaire Gladstone le vexe beaucoup.
Dans le gros public, je vous rapporte le dire de mon médecin, on est persuadé que l’Assemblée fera la volonté du Président. Elle aura peur des rouges & peur de la popularité du Président ; c’est exactement ce que dit Fould. Il n’avait aucune idée sur le nouveau ministère. Il doute que Billault accepte. On dit que Victor Lefranc a refusé. Piscatory est ici, je suis fâché qu’il ne vienne pas me voir. Changarnier parle beaucoup. Il est en grande espérance. Marion le voit tous les jours chez les Rothschild. Le Baron est couché depuis sa chute. chez moi. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Vendredi 17 Oct. 1851

En même temps que votre lettre j'en recevais une hier d'un ancien député, fort sensé et fort mon ami, que vous m’avez quelquefois entendu nommer, de M. Plichon : " L’attitude que prend le Président nous rejette dans des perplexités nouvelles. Je ne puis croire encore qu’il change sa politique ; mais la seule incertitude qu’il autorise, sur ses dispositions est déjà un préjudice grave pour lui, pour là chose publique, et qui pèsera lourdement sur son avenir et sur le nôtre. Le rappel de la loi du 31 mai nous rejetterait, dans le Nord en plein gâchis révolutionnaire et deviendrait, dans le parti de l’ordre, le signal d'un sauve qui peut général. Je ne sais comment nous ferions pour rallier les fuyards. Tout le monde a le sentiment que cette loi est l’unique fondement de la sécurité actuelle. Elle est notre seul boulevard ; et ce serait, pour les différentes nuances du parti de l'ordre dans l'Assemblée, le cas, ou jamais, de résister. Je ne puis croire que le Président passe ce Rubicon ; le sentiment de l'honnête homme du chef de l'Etat qui a la conscience de ses devoirs et de sa responsabilité, prévaudra sur l’instinct du vieux conspirateur; et il ne restait de tout ce bruit que l’ébranlement du peu de foi que gardait encore le pays et sa déconsidération inséparable d'une nouvelle tentative stérile. "
Voilà le sentiment d’un partisan déclaré de la prorogation des pouvoirs du président qui me dit encore quelques lignes plus bas : " Je n'ai pas besoin de vous dire combien j'ai déploré de voir le nom du Prince de Joinville jeté dans la fournaise, si impru demment pour lui, si malheureusement pour nous. "
J’ai retrouvé à peu près ce même sentiment dans les vingt-cinq personnes avec qui j’ai déjeuné hier, propriétaires, magistrats, manufacturiers, tous gros et influents bourgeois du pays. Ce que le Président perd dans cette classe, par sa tentative actuelle, est visible ; ce qu’il gagne, et ce qu’il ne perd pas, dans les couches inférieures et pressées de la société, il n'y a pas moyen de l'apprécier ; on n’y pénètre pas, et elles ne disent rien, ou ce qu'elles disent ne nous parvient pas. Mais là, quoi qu’il fasse, les socialistes sont plus puissants que lui.
Ma conclusion est donc de déplorer. Et je déplore d’autant plus que je persiste à croire qu’il y avait une bonne conduite à tenir, et qui pouvait être efficace. Ira-t-on jusqu'au bout de celle-ci ? Nous allons voir. Je voudrais bien vous voir débarrassée de votre bile. L’agitation qui vous entoure vous en distraira, mais ne la calmera pas. Les désordres des départements du Cher et de l'Allier sont graves, et symptomatiques.
J’ai vu hier des lettres et des voyageurs qui en arrivaient. C’était bien un mouvement de Jacquerie provoqué par l'arrestation de quelques meneurs socialistes, défendre ses Chefs et, à cette occasion, piller les ennemis. Voilà probablement deux départements de plus à mettre en état de siège. Cela est difficile à concilier avec une politique de Tiers Parti.

11 heures
Vous ne me donnez rien à ajouter. J'attends comme vous. Ma lettre vous a manqué hier par la faute de mon facteur qui, trempé de pluie n’a rien trouvé de mieux à faire que de se [?] et d’arriver trop tard à Lisieux. Adieu, adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 16 octobre 1851

M. Fould est venu avant le dîner. Très gai mais très décidé. Il doute que le Président trouve des Ministres, mais ceux-ci ne peuvent durer que jusqu’à la rentrée de l'Assemblée, car aucun d'eux ne signerait le projet de loi pour révoquer le 31 Mai. Ils voteront tous contre ce projet. La situation est très violente & le Président très content & très obstiné dans sa pensée. Il n’en reviendra pas. Si l’Assemblée se conduit bien, elle peut reprendre une grande autorité & popularité. Cela est très vrai, si elle est bien conduite. Mais où est le chef ?
Les nouvelles des départements sont mauvaises. Les paysans armés contre les châteaux. Quel moment pour un changement complet de Ministère & de politique. On persiste à dire cependant que ce Président veut rester fidèle à la politique conservatrice & qu’il en donnera des gages. Cela a l’air d’un puzzle !
[Helkerm] était chez moi hier soir. Il avait eu lundi un tête-à-tête de 2 heures avec le Président. Il prétend lui avoir dit toute la vérité & très fortement, & avoir complètement échoué. Le Président s’est plaint avec une grande amertume de Thiers & [?].
Il est 2 heures, je n’ai pas de lettres de vous. Qu’est-ce que cela veut dire ? Voilà Aberdeen que je vous enverrai demain. Constantin après avoir lu ma lettre à l’Empereur [?] mon procès gagné. Puisse-t-il avoir raison ! Cette affaire m'a bien détraquée. Je me sens vraiment malade. Oliffe me traite.
Je vois beaucoup de monde cela me fatigue, l’opinion est bien unanime que le Président a fait une grande faute. On dit qu’il restera à St Cloud. Il a là beaucoup de troupes. Adieu, j’ai donné mes lettres à votre fille, je l'ai manquée. Marion l’a vue & lui a trouvé bonne mine. Adieu.
Je viens de voir Vitet. La commission après avoir entendu les ministres a résolu de ne point convoquer encore l’Assemblée. Cette commission se réunira dimanche. Faucher avait dit qu’ils n'étaient en dissidence avec le Président que sur la loi du 31 Mai. Mais que cela ne lui avait pas permis de rester.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 13 Oct. 1851

La conversation de mon petit homme, vous aura intéressée. Le résultat de son voyage sera bon. Il importe beaucoup que le Journal des Débats se tienne en dehors de toute cette intrigue, et le langage du Duc de Broglie à cet égard a été aussi net ; aussi positif que le mien. L’ébranlement me paraît grand sur la loi du 31 mai. Si le Président se sépare dans cette question, du parti de l’ordre et fait un pacte quelconque avec la gauche, ou une portion quelconque de la gauche, il se tire d’un embarras du moment pour se perdre infailliblement un peu plus tard. Si au contraire il manoeuvre bien un peu en dehors du, et un peu de concert avec le parti de l'ordre, il peut amener, à la loi du 31 mai, certaines modifications qui mettront fin à cette question entre les honnêtes gens, et dont il aura, lui président, le profit comme l’honneur, en restant séparé de la Montagne, comme il l’est à présent ce qui est pour lui selon moi, la condition du Salut. Le Président a entre les mains, dans cette question de la loi du 31 mai, un moyen de négociation avec les diverses fractions du parti de l’ordre, qui peut l'aider beaucoup, s'il sait s'en servir à résoudre les autres questions embarrassantes et périlleuses pour lui. Créton, révision, élections & & &.
On me mandait la note de Palmerston à Francfort au moment où vous m'en parliez. Ce serait un acte inconcevable si ce n’était pas un système. Il est décidé à se porter partout, le patron des littéraux, sans s’inquiéter de savoir s’ils sont ou non des révolutionnaires chez lui, il ne craint pas la contagion ; et au dehors, le patronage lui sert. Je suis convaincu que c'est une détestable politique, pour l'Angleterre comme pour le continent ; mais c’est la politique bien arrêtée de Palmerston, non seulement il la pratique, mais il y croit. C'est son esprit qu’il faudrait changer. On y réussirait encore moins qu'à le renverser. Kossuth l’embarrassera. Mais il n'est pas embarrassé de recaler. Surtout quand il n’y a rien à faire, et qu’il ne s’agit que de modifier un peu le ton du Globe ou du Morning-Post.
Kossuth est un grand ignorant ou un grand sot. Il a gâté, pour plaire un moment aux Jacobins de France, toute sa position en Angleterre. J'attendrai avec impatience, le résultat. de votre lettre à l'Empereur. Votre fils Alexandre me préoccupe. Pauvre garçon, accoutumé à Naples, à Castellamare, à se promener dans toute l’Europe, pour s'amuser ou pour se guérir. Échanger cela contre Pétersbourg ou le Caucase.
J'ai reçu hier une lettre de Saint-Aignan qui me frappe assez par sa vivacité contre la candidature du Prince de Joinville. C’est fort simple de sa part car il est, lui, très fusionniste. Mais son langage m'indique qu’il y a là tout un coin de l'ancien orléanisme à qui cette candidature déplaît mortellement. 1 heures Ce n'est pas la brièveté de votre lettre, ni l'absence de nouvelles. qui me déplaît ; ce sont vos nerfs et votre insomnie. Guérissez de cela ; je me consolerai du reste. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 13 octobre 1851

Pas de lettre par la poste, ce qui me fait espérer Génie. Pas de nouvelles ce qui fait croire qu’on délibère. Molé m'écrit un mot pour me dire qu’il ne sait rien. Je suis aussi avancée que lui. La statue de Guillaume le conquérant est exposé aux Champs Elysées. Elle est affreuse. Sa vue ne pourra pas inspirer vos paroles.
J’ai vu beaucoup de monde hier mais rien que des étrangers. En français il n’y avait que Chalais. et d’Aremberg. Hubner est revenu très gai. Il a tout-à-fait de l'aplomb. Valdegamas me dit que Narvaez reste tout l'hiver ici. Voici Génie qui m’envoie la lettre d’Ellice que vous me renvoyez. Comme il n’est pas venu lui-même, je ne sais rien. Adieu.
J’ai vu Montebello un moment bien inquiet de sa femme & ne sachant pas un mot de rien.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Voici la lettre d’Ellice. Bavardage insignifiant sur nos affaires. Assez curieux sur les siennes Hum et Cobden sont maintenant les modérés. Génie vous donnera sur ce qui lui a été dit des détails assez intéressants et utiles. Son voyage sera d’un bon effet. Je voudrais bien être sûr que votre lettre ne sera pas plus vaine. Adieu, Adieu.

Je ne vous  écrirai pas par la poste de demain matin. Il est près de minuit. Vous aurez ceci Lundi matin. Adieu. Adieu. G.
Val Richer. Samedi Lundi 12 oct. 11 heures et demie

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 10 octobre 1851

Pardonnez-moi hier, je n’étais plus en état d'écrire une ligne. J’avais passé ma matinée en allées & venues, consultations & & pour l’affaire de mon fils. Constantin me conseille une lettre à l’Empereur. Je l'ai écrite de suite, je l'ai fait partir. Quel sera son sort ? Je vous envoie la copie. La croyez-vous bonne ? Hélas si elle ne l’est pas, il est trop tard. M. Fould est venu hier matin. Il est décidé pour le maintien de la loi du 31 mai. Il admettrait quelque modification, mais l'abrogation jamais. Un changement de Ministère est très possible. Odilon [Barrot] sera ministre peut être. Pourquoi M. de Falloux ne le serait-il pas ? Il l'a bien été. Les Légitimistes doivent comprendre que leur intérêt est de soutenir le président.
J’ai lu un passage de votre lettre où vous prêchez cela aussi. Cela lui a fait un grand plaisir. Le coup d’état, il n’y a pas de raison pour le faire. Et après tout on a aisément raison de l’Assemblée. Elle reviendra très divisée et très impuissante. La candidature Joinville ne fait aucun progrès. Partout c’est le président qu’on nomme. Grande résolution de faire de la force. On proposera [par exemple] la déportation pour les sociétés secrètes. Voilà à peu près tout ce qu’il m’a dit je vous envoie la lettre d’Ellice, vous me la rendrez par Génie. John Russell [...]

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 7 Oct. 1851

Voici une lettre de M. de Carné qui n'est pas sans intérêt. Je voudrais que vous la fissiez lire au Duc de Noaille, s'il vient un de ces jours à Paris. Il est bon que les légitimistes voient combien le danger est réel, et ce qu'en pense un homme d'esprit, autrefois, un des leurs est devenu l’un des miens. L'expédient qu’il indique de l'Assemblée remettant la question de la révision au vote populaire n’est peut-être pas sans valeur. Renvoyez-moi, je vous prie cette lettre. Il faut que je réponde.
Dimanche 26 octobre, on inaugure à Falaise la Statue équestre de Guillaume le Conquérant. J’ai reçu hier du maire et de la commission municipale, l’invitation d'assister à cette cérémonie où se rendront tous les bons normands. Et on me demande d'y dire quelques paroles en l'honneur de Guillaume et de notre vieille histoire. Je ne puis pas refuser et cela ne me déplait pas. J'irai donc.
Ce ne sera pas loin du moment, très doux, où nous nous retrouverons. Que de choses nous aurons à nous dire ! On se dit bien peu, même en s'écrivant tous les jours. Je voudrais seulement avoir achevé, ou à peu près, mon discours en réponse à M. de Montalembert. Je m’en occupe, quoiqu'il ne m'ait pas encore envoyé le sien. J’espère que je le recevrai le 15, ou le 16 de ce mois.
Vous m'avez appris qu’il y avait au Français, des Demoiselles de St. Cyr. Je ne lis pas les articles Spectacles. J’aimerais mieux que vous vous fussiez amusée. Mon amusement à moi, depuis deux jours, c'est les Mémoires d’Outre tombe. J’avois besoin de revoir les détails de la brouillerie de M. de Châteaubriand avec M. de Villèle. Lecture attachante, quand même. C'est l'explosion désespérée d'un égoïsme malade qui n'ayant pas trouvé en ce monde la satisfaction d’un orgueil et d’une vanité incommensurables, a voulu se donner au moins en mourant le plaisir de les étaler sans gêne, sans la forme du dédain et du dégoût. Cet homme-là a dû beaucoup souffrir, autant qu’on peut souffrir ailleurs que dans le cœur car il avait bien peu de cœur. Mais infiniment d’esprit, presque grand, et de talent, toujours grand et brillant, même dans son déclin ; d'éclatants rayons du soleil couchant, dans un ciel sombre et triste.
Savez-vous qu'Alexis de St. Priest est presque mourant à Mâcon ?

11 heures
Adieu, Adieu. Votre solitude me pèse autant qu'à vous ; mais je pense comme vous que l'apparence de l'agitation stérile ne vaudrait rien du tout pour moi. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Samedi 4 Oct. 1851

C'est moi qui me suis trompé en lisant. Au fond, c'est bien Times que vous aviez écrit ; mais cela ressemblait à Thiers ; et il y avait auparavant de au lieu de du. C'est ce qui m’a trompé.
Je crois assez à la phrase rectifiée selon le dire de Fould : " Si l’Assemblée veut décider la révision à la simple majorité des voix, je la soutiendrai. "
C'est irréprochable en effet et conforme à la faiblesse d’un temps où chacun veut surtout rejeter la responsabilité sur son voisin. S’il y a eu, si l’Assemblée ne fera pas plus que le président et on ira aux élections comme on est. Je vois dans mon journal jaune que Lamoricière va aller à Claremont. Ce serait curieux et bien caractéristique. J’y vois aussi qu'on s'attend, dans le débat de la proposition Creton, a un grand discours de Thiers sur potentiellement la candidature du Prince de Joinville. S’il la pose en effet ainsi, ce sera mardi, peut-être utile, peut-être nuisible au succès ; je ne sais pas apprécier d'avance cette impression. S'il ne la pose par ouvertement et s'il élude la question ce sera bien petit, et un symptôme de faiblesse qui affaiblira les chances. La situation est embarrassante. pour lui.
Je suis préoccupé de la nouvelle réforme électorale en Angleterre. Il me semble que les radicaux préparent, à l'appui, un mouvement populaire assez vif. On commence à attaquer la Chambre des Lords ; on parle de l'élire elle-même, par une élection à deux degrés. Je ne crains pas grand chose de ces attaques ; mais je crains beaucoup de la non-résistance. Je trouve que le parti conservateur s'abandonne bien lui-même. Je suis convaincu que ralliée et soutenue par ses Chefs, la nation Anglaise est du bon côté et s'y porterait énergiquement. Mais si, parmi ses chefs, les uns ne la soutiennent pas pendant que les autres la livrent, tout mal est possible.
On a raison de refuser a Kossuth la traversée de la France. Cela ne lui est bon à rien, à lui, et est mauvais pour nous. Je (vous demande pardon, je m'aperçois que j’ai écrit sur une des feuille coupé); je voudrais qu’on supprimât absolument envers ces hommes-là, les rigueurs inutiles et les complaisances molles ; elles nuisent presque également. Je croyais que Kossuth se rendait en Amérique. Je vois que c'est en Angleterre qu’il va s'établir. Le trio sera complet.
Quel scandale que cette forteresse inviolable où non seulement tous les grands Jacobins se retirent mais d'où ils bombardent leurs patries ! Dans les temps barbares, les Églises avaient le droit d'asile ; mais elles ne permettaient pas aux meurtriers qui s'y réfugieront de tuer encore de là les passants. Le droit d'asile emporte l'obligation de mettre celui qui en profite dans l'impuissance de nuire. Je ne sais pas bien ce que les Gouvernements du continent peuvent faire pour faire sentir à l'Angleterre, l’indignité de sa tolérance ; mais il faudra qu’ils finissent par faire quelque chose.

Onze heures
Quelle curieuse conversation ! ou monologue ! Mais que faire d’un orgueil si échauffé ? A demain les réflexions. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 2 octobre 1851

Je n’ai jamais voulu aller revoir Neuilly. J’y aurais éprouvé le plus désagréable des sentiments, celui de la colère impuissante. Je ne connais rien de plus hideux que cette fureur destructive de la canaille contre les demeures d’un pauvre roi qui n’avait jamais fait de mal à personne, et qui parmi ses défauts n’avait certainement pas celui d'être dur et hautain envers le petit peuple.
Vous ai-je jamais dit que, pendant que j'étais encore en Angleterre du printemps de 1849, si je ne me trompe des habitants de Neuilly avaient fait une souscription pour contribuer à la reconstruction du château, et que l’un d'entre eux me l'avait envoyée en me priant d’en parler au Roi ? Je lui en parlai, et il me répondait avec le sentiment le plus amer que je lui aie peut-être jamais vu : " Non, tant que je vivrai et que Neuilly sera à moi, il restera détruit. Je trouvai qu’il avait raison.
Thiers est ce qu’il était. Il veut que Henri V et la fusion soient impossibles. La difficulté est assez grande pour qu'un peu de bon vouloir en fasse une impossibilité. Mais il serait bien fâché qu'elle fût moins grande ; et si elle l’était moins en effet, il travaillerait à l’aggraver. Toutes les fois qu’il faudra se classer définitivement, Thiers rentrera dans le camp révolutionnaire. Il n'y a en pareille conversation, qu'une réponse à lui faire, c'est d'opposer impossibilité à impossibilité, impossibilité de durée à impossibilité d'arrivée, et de lui bien mettre sur les épaules la responsabilité de celle dont il se fera le champion. Il n'y a pas moyen de ramener Thiers ; mais on peut aisément le troubler. Il faut avoir son indécision à défaut de sa conversion.
J’ai enfin des nouvelles de Piscatory, à propos de la mort de ma petite-fille. Il me dit en finissant : " Encore un mois de repos avant la lutte où il m'est impossible d’être avec qui que ce soit ; et cependant je prendrai parti. Quoi que je fasse conservez-moi votre amitié ; la quantité de la mienne compense un peu la qualité." Je n’entrevois pas quelle est la monstruosité qu’il médite de faire, et qui peut compromettre mon amitié. Il sera tout bonnement Joinvilliste.
J’ai reçu hier une longue lettre de Dumon. Noire en effet, et très spirituelle. Je ne vous en redis rien. Il vous a sûrement dit tout cela. Que dit-on du résultat définitif des élections belges ? Si le ministère n'a gagné en effet qu'une voix dans le nouveau sénat cela me suffirait pas pour faire passer sa loi, et le ministre des finances, M. Frère, qui est le révolutionnaire par excellence, pourrait bien être forcé de se retirer. Ce ne serait pas mauvais, comme exemple.
Les quatre tableaux qui terminent le manifeste napolitain sont concluants et utiles. Vous intéressez-vous au télégraphe sous-marin ? Vous ne vous doutez pas à quel point le public provincial en est occupé ; il attendait la nouvelle du succès comme celle d’une victoire. L'imagination des hommes est tournée vers ces choses là.

11 heures
Merci de votre lettre de ce matin très bonne, et qui sera utile. Je vous en parlerai demain. Merci et adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Mercredi 1 Oct. 1851

Je reviens à ce qu'on vous à dit des alarmes de Thiers. Quoique je le sache très prompt et crédule en fait d'alarmes, il a trop d’esprit pour avoir toutes celles des badauds. Il faut que les coups d'Etat aient été et soient encore dans l’air de l'Elysée, plus que je ne l'ai cru. Je persiste cependant à n’y point croire. On en parle probablement beaucoup ; on les arrange, on les discute ; on ne les fera pas. Race de bavards pleins d'imagination, qui s'amusent de leurs plans et s'enivrent de leurs paroles, mais à qui les plans et les paroles suffisent.
Il m’est bien revenu quelque chose de cette fameuse lettre de Thiers dont vous me parlez, et que Normanby a montrée à Rogier. Mais je n'en sais rien que d'incomplet et de vague. C’était, je crois une désapprobation de la lettre de Rogier. Si vous pouvez me donner, à ce sujet quelques détails un peu précis, soyez assez bonne pour me les donner.
Je vois qu’on me fait aller tous les jours à Champlâtreux et assister à toutes les réunions possibles. L’Assemblée nationale a bien fait de rappeler que je suis ici fort tranquille. Je suis très décidé, et très hautement contre la proposition Créton ; mais il ne me convient pas de paraître toujours présent, et actif dans les réunions purement légitimistes, où on la repousse. C’est une malice de Thiers ou de ses gens à l'adresse de Claremont.
Je vous ai dit que Montalembert m'écrit qu’il n’est pas prêt pour son discours qu’il devait m’apporter ici à la fin de septembre. " Je suis bien confus d'avoir à vous avouer aujourd’hui que je n'ai pas encore terminé ce travail. Pour me justifier, je dois dire que j’ai été indisposé au commencement de la prorogation puis distrait et absorbé par une foule de devoirs et d'ennuis électoraux. Cela ne diminue pas le remords que j'éprouve de ne pas vous tenir parole. Je viens donc vous demander humblement quelques jours de délai. "
Je parie qu'il ne sera pas prêt avant la fin d'octobre. Assez grand ennui pour moi, car je ne puis pas faire mon discours sans avoir vu le sien et il me faut bien autant de semaines qu'il lui a fallu de mois, et un peu de loisir. Ce discours sera fort écouté. Il faut qu’il soit bon.
Montalembert ajoute : " J’ai pris la liberté de faire remettre chez vous tout ce que j'ai jamais dit ou écrit. Il y a beaucoup de générosité de ma part à vous faire cette communication aussi complète, car vous pourrez y trouver plus d'une attaque contre vous et contre le Gouvernement que vous dirigiez. Mais la révolution de Février, si elle m'a donné raison sur quelques points, vous a si bien vengé sur tant d'autres qu'il ne saurait rester de ressentiment dans votre cœur contre ceux d'entre vos anciens adversaires qui étaient au fond vos alliés naturels. "
Il a bien raison. Je n’ai pas le moindre ressentiment contre lui. Je suis assez frappé du Firman de la Porte. au Pacha d’Egypte contre le chemin de fer d'Alexandrie à Suez. Je croyais à Sir Stratford Canning plus de crédit à Constantinople. C'est un gros désagrément pour Lord Palmerston qui met à ce chemin beaucoup d'importance. Vous verrez qu’il finira par prendre le parti d'Abbas Pacha contre le Sultan, comme nous avons pris en 1840, le parti de Méhémet Ali. Êtes-vous pour quelque chose dans cette résistance si décidée de la Porte, ou n’est-elle due qu’au travail de Paris et de Vienne ?

Onze heures
Merci de votre lettre très intéressante. Et j'en remercie aussi un peu Marion, excellent reporter. Le mot, si je ne me trompe est plus poli que celui de rapporteur. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Lundi le 29 septembre 1851

J’ai vu toute l’Europe hier soir mais pas de France du tout. Pas un échantillon. Les Normanby sont revenus engraissés, joufflus & de très belle humeur. Il dit que dans tout le midi on ne connaît que le Président. Il a beaucoup vu là M. Royer, qui s’est dit parfaitement autorisé à tenir le langage de sa lettre. Normanby lui a montré le premier la fameuse lettre de Thiers, il en été abasourdi. [Noailles] n'a pas vu Thiers. Byng dit que Thiers se croit menacé d’être mis à Vincennes. Aujourd’hui le Président vient en ville pour un conseil de ministres. Il fait cela une fois la semaine, une autre fois c’est les Ministres qui vont à St Cloud. Il voit Normanby aujourd’hui.
La Princesse Menschikoff qui voit Thiers, beaucoup, me dit qu’il était, il y a quatre jours encore très inquiet d'un coup d’État. Personne n'y croit aujourd’hui. Je n'ai rien absolument à vous dire. Je suis bien aise que votre fille aille à Rome. C'est une idée heureuse. Elle y aura l’esprit bien agréablement occupé & quant à l'air, il n y a rien de mieux. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris dimanche 28 septembre 1851

J'ai vu Granville, plus questionneur que discoureur. Montebello qui avait reçu de M. Moulien une mauvaise lettre, mauvaise sur la fusion. Le Prince Paul très sourd, très malade, très anti Joinville. L'unanimité sur ce point est remarquable. Si on savait cela à Claremont il est impossible que cela ne fasse pas d’effet. J’ai vu les Delessert aussi. Madame, très vive dans le même sens. Tout le monde en critique sévère de Thiers. Pas de nouvelle de la journée. On est tranquille et on le restera probablement pendant le mois d’octobre.
Montebello part après demain pour Brest où il établit son fils dans la marine. De là il ira probablement rejoindre sa femme à Tours. On s'y transporte. Beauséjour n'a pas réussi. Je n’ai pas vu Dumon depuis jeudi. Il part le 10 octobre pour sa province. Adieu. Adieu.
Voici la lettre de Gladstone. Je l'ai relue. C'est un sot.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 25 septembre Jeudi 1851

J’ai vu hier matin Richard, Metternich et Brougham. Celui-ci me racontait. les fureurs du duc de [Wellington]. A propos de [Lady G. Faxe]. Il a déclaré que si quelqu’un s’avisait de lui parler de cette affaire. Il lui passerait son épée par le corps. Brougham s’est bien gardé de lui en parler. Richard m’a raconté les triomphes de son père partout. Il en est bien touché.
Le soir Changarnier & Berryer. Longtemps seuls à nous trois. Cela n'était pas commode du tout. Aucune sincérité. Grand orateur, grand capitaine, on s’envoyait cela à la figure, et des mots couverts. J’ai été plus franche et deux fois j’ai montré mes préférences pour le Président. Le duc de Berryer était qu'il fallait à la fois écarter les deux concurrents princiers, cela plaisait parfaitement. Changarnier, cela m’a paru à moi ou une bassesse ou une sottise. Ces deux messieurs ne se sont pas dit un mot à part. Berryer est parti le premier. Changarnier avait quitté Ferrières pour un rendez-vous à Paris avec le duc de Lévis. C'est pour cela aussi que Berryer était venu en ville.
J'ai une lettre de Molé aujourd’hui, sur le ton que vous connaissez. " Si le Président entendait ses véritables intérêts." & vous devinez le reste. Molé ne reviendra que pour le 1er novembre. Octobre va être encore bien vide à Paris. (Je crois que c’est le contraire qu'il fallait dire. C'est égal.) Le temps est redevenu bien beau. Je fais deux heures de promenade. Marion revient aujourd’hui. Changarnier est très frappé d’elle. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 25 Sept. 1851
4 heures

Ma petite fille est morte ce matin, deux heures après que je vous avais écrit. Sans souffrance ; elle s'est éteinte, plutôt par impossibilité de vivre que par maladie, à force de soins, on lui a donné quelques mois de vie ; mais les soins n'ont pas pu davantage. Sa mère est résignée, par soumission à Dieu et par courage naturel, mais très triste ; elle soignait son enfant avec une vigilance passionnée. Je ne crois pas que cela change rien à leur projet de passer l’hiver dans le midi. C’est surtout son mari qui en a besoin.
J’ai eu ce matin vos deux lettres. Certainement tout cela est de la pitoyable conduite. Les légitimistes n'avaient pas et n'ont pas autre chose à faire que de soutenir le président tant qu'ils ne peuvent pas avoir la Monarchie par la fusion, et non seulement de le faire, mais de dire tout haut pourquoi ils le font. Mais ils veulent suivre leurs fantaisies comme s'ils étaient assez forts pour les faire réussir. Tous les partis en France sont à la fois impuissants et intraitables. C’est un spectacle ridicule. Quelque grosse sottise passera à travers tout cela, et elle aura son temps même son temps de triomphe comme toutes les sottises. Puis elle tombera, en ayant aggravé le mal général.
Je suis très triste et très décidé à ne mettre la main dans aucune sottise. Je suis tombé. Si je ne puis pas me relever à ma satisfaction, je resterai à la place où je suis tombé.
Vous ne lisez pas le Messager. Celui qui m'est arrivé ce matin contient un grand article évidemment inspiré par Thiers sur les conférences de Champlâtreux. J'en suis toujours. L'article a l’air fait pour la présidence de Changarnier. Au fond, il laisse le choix entre le Prince de Joinville et Changarnier. Et ce choix restera ouvert jusqu'au dernier moment. Changarnier a son parti pris de n'en prendre aucun et d'être, soit en premier, soit en second, le restaurateur de n'importe laquelle des deux monarchies.
Le propos de M. Carlier, sur de nouvelles élections m'étonne. Ils ont, ce me semble plus à redouter la proposition Créton, et le vote des lois pénales contre la réélection que des élections nouvelles. Mais ils savent sans doute mieux que moi où ils en sont.

Vendredi 26 7 heures
Je me lève. La plus petite et la plus obscure mort est solennelle. Tant que cette pauvre enfant est là, toute la maison lui appartient, et n'est que son tombeau. J’ai écrit à Caen pour faire venir le Pasteur Prostestant qui réside là. Nous n'en avons pas de plus rapproché. Il arrivera ce soir ou demain matin. L’enterrement se fera demain. C’est un grand isolement, et quelques fois un grand embarras, que de n'être pas de la religion générale du pays qu'on habite. Je n’ai nul embarras ; tout mon village, y compris le Curé, est très bienveillant pour moi et se prête avec coeur à tout. Mais l'isolement subsiste toujours.

Onze heures
Votre lettre est intéressante. Et le trio a dû l'être. Vous avez bien raison de dire tout haut votre sentiment. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 25 sept. 1851

Ma petite fille est bien malade. J’ai cru hier qu’elle ne passerait pas la journée, et je la trouve plus mal ce matin qu'hier. Elle a passé une mauvaise nuit. Je m'étonne toujours de ce qu’il y a de force dans la créature la plus faible. Pauvre petite enfant ! Entrevoir à peine le jour de la vie ! Dieu sait ce qu’elle y trouverait, si elle y restait. Sa mère a beaucoup de piété et de courage.
Voici la lettre de Gladstone. Ne la laissez pas circuler, je vous prie et veuillez me la renvoyer de manière à ce que je l'aie lundi ou mardi. C’est d’un très bon et honnête homme et d’un esprit très peu politique, gouverné par ses impressions, sans penser aux conséquences de ses actions. Evidemment la lettre de Fortunato a redoublé sa colère et déterminé sa publication, sans plus attendre. Par fidélité à mon optimisme, je penche à croire qu’il sortira de cet incident deux leçons pas tout à fait inutiles : l'une, pour les hommes comme Gladstone et le public lui-même qui ne croiront plus si aisément ce qu'on leur dira ; l'autre, pour le gouvernement Napolitain qui regardera, un peu plus attentive ment à ses prisons et à ses procès.
Vous ne lisez ni la Presse, ni la Gazette de France, ni l’Univers. Ce dernier, M. Veuillot, fait depuis quelques jours aux deux autres, à M. Emile de Girardin et à M. Lourdoueix personnellement, une guerre excellente ; guerre de moraliste-confesseur plus que de journaliste ; et juge leur conduite et leurs idées avec une justice impartiale et rieuse, et une compassion sévère et moqueuse qui ne se rencontrent guère dans ce monde-là. Ce temps-ci pourrait bien devenir un temps de vraie justice envers les personnes et s'il se prolongeait un peu, bien peu de coquins et de fous en sortiraient sans avoir été réduits à leur juste valeur. Quand ils n'ont pas devant eux un gouvernement assez gros pour qu'ils concentrent tous leur feu sur lui, ils tirent les uns sur les autres et ils se mettent en pièces. C’est notre seul profit.
Voilà l'affaire de Cuba bien finie. Le Général La Concha s’est fait honneur. Il y a un grand fonds d’énergie et de dévouement dans cette race Espagnole, S'il lui arrivait un jour d'être bien gouvernée, elle ferait encore de bien grandes choses. Il est vrai que les bons gouvernements selon nos idées actuelles, sont des gouvernements pondérés, et réguliers, qui ne vont pas au caractère espagnol.

10 heures
Le médecin vient d'arriver. L'enfant est très mal. Il ne passera probablement pas la journée. Adieu, Adieu. Je retourne auprès de la mère. Merci de vos soins pour l'adresse de Montalembert. Si vous ne la trouvez pas, j'enverrai à l’un de ses amis. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 24 Sept 1851

J’ai trouvé, en y rentrant, ma maison assez triste. Ma petite fille est de nouveau très souffrante des entrailles et mon gendre souffre toujours d’une névralgie faciale obstinée. J’espère qu'un climat chaud et sec fera du bien à ces deux santés. Les médecins disent qu'ils en sont convaincus.
Je viens de parcourir ceux de mes journaux qu’on ne reçoit pas à Broglie, entr'autres le Pays. Certainement M. de Lamartine travaille à être le Ministre du Président forcé de se rapprocher du parti républicain. Sa réprimande à M. de la Guéronnière, n’est qu'un jeu convenu et il n'est pas, au fond hostile à la réélection du Président. M. de Lamartine aurait peut-être, dans cette visée, quelques chances de succès, si les partis monarchiques s'obstinent à défendre absolument, et sans admettre aucune transaction, la loi du 31 Mai. Mais cela n’est pas, et d'après mes conversations de Broglie, on est bien près de s’entendre pour modifier cette loi de manière à contenter les légitimistes sans contenter la Montagne. C'est là le problème si la modification proposée est vivement combattue à gauche et acceptée à droite, elle sera bonne, et facilitera beaucoup les élections prochaines. Il me paraît que c’est M. Léon Faucher, qui est encore l'opposant à cette modification. On se promet qu'il se rendra.
Je reviens sur M. de Chasseloup. Broglie croit que, politiquement, c’est lui qui a le plus d'intelligence, parmi les ministres actuels, et qui donne les meilleurs conseils. J’attends la poste sans impatience ; elle ne m’apportera rien de vous ce matin ; votre lettre aura été à Broglie. Je n’ai pas été à temps de vous avertir que je revenais ici sur le champ.

11 heures
La poste m’apporte une longue lettre de Gladstone que je vous enverrai. Je l'ai à peine parcourue. D’une grande candeur et modeste, mais ne changeant rien à ce que je pense du fond. Il met avec soin Lord Aberdeen, en dehors de sa publication.
Je trouve dans le Messager de l'Assemblée, un article qui n’est pas sans importance, pour la fusion et contre la candidature de Louis Napoléon, par conséquent pour la candidature de Changarnier. S’il s’était conduit depuis 18 mois avec habileté et mesure, cela serait sérieux. L'entrevue du Roi de Naples et de l'Empereur d’Autriche serait bonne. Croit-on qu'elle ait lieu ? Adieu, adieu.
J’aimerai mieux la poste de demain que celle d'aujourd'hui ; elle m’apportera vos deux lettres à la fois. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie. Lundi 22 sept 1851

L’air de Morny est d'accord avec ce que m'écrit hier Mallac qui avait vu assez de monde et du monde Présidentiel. Vous savez que je n’ai jamais cru au coup d'Etat. Mallac me dit que ceux qui l’annonçaient pour le mois de septembre en parlent à présent pour la mi-octobre. Je persiste. C'est M. Fould qui dit vrai ; et des trois Puissances qui peuvent être appelées comme il vous l'a dit, à trancher le noeud Gordien quand on aura de nouveau débattu la révision, ce sera le pays qui en restera chargé. Des trois, c'est encore le pays qui est le plus Alexandre, quoiqu'il ne le soit guère. Je vous assure que lorsqu'on vit au milieu du pays même, on ne comprend ni comment il serait de nouveau fortement troublé, ni comment il échangerait le provisoire actuel contre un définitif quelconque. Le statu quo est partout, l'air en est plein ; on ne voit, on n'entend, on ne respire que cela ; le statu quo de l’ordre matériel et du gâchis politique. Il faudra qu’on se remue beaucoup à Paris pour surmonter cette immobilité générale.
Voici deux récits de Claremont, assez différents ; je vous les donne comme ils me viennent. " La colère est grande contre vous, à cause des articles du Times, dont on vous accuse. Néanmoins, je ne vois pas qu’on prenne un parti décisif ; on est aussi indécis dans la voie du mal que dans celle du bien on recule quand il s’agit de faire une démarche décisive. Je suis convaincu que l’attitude que vous avez prise si elle a excité de grandes colères, a eu du moins l'avantage de jeter du trouble dans les esprits et dans les consciences. "
"Je sais par un ecclésiastique Français (on me le nomme) que vous aurez vu peut-être à la chapelle de King-Street, que malgré le bruit fait par les journaux de votre conversation du 27, et, malgré les commentaires dont on l'a envenimé, le langage des différents membres de la famille royale n’a pas cessé d'être parfaitement convenable à votre égard, et qu'on vous regarde toujours comme le principal appui du principe monarchique en France. "
Je soupçonne que le bon ecclésiastique peut bien avoir été chargé de me faire arriver quelques bonnes paroles. Ne se brouiller avec personne, maxime royale. Du reste, c'est là, de l'histoire ancienne.
Voilà Kossuth et ses amis partis pour l'Amérique. J’en suis bien aise pour l’Autriche comme pour eux. Ils avaient, si je ne me trompe plus de moyens de nuire en prison à [Kut ?] que libres à Washington ; 2000 lieues de mer sont un puissant réfrigérant. Je suis curieux de tout ce qui se passe en Autriche. C'est le seul pays du continent qui me paraisse vraiment en train de guérison. J'ai grande envie de voir si ce sera en effet une guérison, et par quels remèdes.
Je vois que Kisseleff vient de perdre un frère. Je ne sais pas quelle est la mesure de son chagrin. En tout cas, soyez, je vous prie, assez bonne pour lui faire mon compliment de condoléance. Autre bonté que je vous redemande ; c’est de demander à Montebello ou à Vitet, quand vous les verrez, s’ils peuvent me donner l’adresse actuelle de Montalembert. Voici la lettre d’Ellice. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie Dimanche 21 Sept 1851

Duchâtel m'écrit : " J'ai déjà causé, avec assez de monde et dans la Charente inférieure et dans la Gironde. Dans le premier de ces départements, on est Bona partiste, dans le second, j'ai trouvé plus de fusionnistes que je ne croyais. Mais dans tous les deux, la candidature Joinville peut produire plus d’ébranlement que je n’avais pensé. Nous ne pouvons, il est vrai, apprécier que les sentiments de la bourgeoisie qui seule parle politique ; mais dans une portion considérable de la bourgeoisie, la première impression est favorable à la candidature du Prince. La réflexion amène une réaction et en montre les inconvénients ; jusque là, l'expédient paraît commode et acceptable. Ce qui est certain c’est que la candidature du Président ne pourrait pas résister à des lois pénales rendues par l'assemblée ; il n’y a pas sur ce point, deux avis ; le dévouement ne va pas jusqu'à vouloir se compromettre avec la police correctionnelle. "
" On m’a beaucoup parlé et ici, et en Saintonge, de candidature pour les prochaines élections. J'ai ajourné toute réponse définitive ; le parti à prendre dépendra des circonstances. Il se formera dans la Gironde un comité fusionniste qui servira de négociateur autre les conservateurs et les légitimistes. Chacun veut réussir et chacun sent que le succès dépend de l’union. Ce sera ici le levier des élections. La position électorale de M. Molé est très compromise dans la Gironde, pour ne pas dire perdue. Cela ne tient pas à la politique, mais au peu de soin qu'on lui reproche d'avoir pris de ses commettants. Les gens de ce pays sont pleins d'amour propre ; ils ont adopté M. Molé sous la Constituante ; ils auraient voulu au moins une visite en retour. " C'est là tout.
La lettre d’Ellice m’a attristé et point surpris. Si l'Angleterre reste entre les mains de ses amis, ils la placeront décidément sur la pente qui mène où nous sommes. Un ancien radical, qui ne l’est plus du tout, M. Austin me disait il y a trois semaines, à Weybridge : " S'il nous arrive une Chambre des Communes radicale, elle bouleversera de grand sang froid, mais de fond en comble, la société anglaise. " Et Lord John, si on le laisse faire, amènera une Chambre des communes radicale. Qui empêchera Lord John ? Je ne vois pas. Si je n’avais pas confiance dans le vieux bon sens, la vieille discipline et la vieille vertu de toute l'Angleterre, je serais très inquiet. Je le suis, malgré, ma confiance.
Quant à nos affaires à nous, Ellice répète Thiers, purement et simplement. Il est plus Thiers qu’Anglais, et il abandonne le Président. Thiers est un révolutionnaire encore en verve qui amuse un révolutionnaire blasé. Au fond de ces deux esprits-là, il y a toujours une grande aversion de toutes les supériorités et de tous les freins. Dès qu’il s’agit de rétablir vraiment l’ordre, ils rentrent dans le camp de la révolution et ils fomentent toutes les passions révolutionnaires, à tout risque. Leur situation est mauvaise car ils ne peuvent pas, quand ils ont fait une révolution rester longtemps les maîtres du gouvernement qu'elle a fait ; et ils sont obligés de recommencer. Mais notre situation à nous n'en est pas meilleure.
Je ne suis pas en disposition gaie. Je ne crains pourtant pas de grands bruits pour cet hiver. Je vous renverrai demain la lettre d'Ellice. Je suis bien aise que Marion vous revienne. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris samedi le 20 7bre 1851

Longue visite de Hatzfeld le matin. Très souffrant & très chagrin de l'être. Très sensé à discuter les chances. Il ne croit pas si facile d’écarter les lois pénales, si la [proposition] Creton est rejetée, les légitimistes tranquilles de ce côté, se retourneront de l’autre pour empêcher la réélection. Croyez-vous cela. On parle beau coup de discussions dans le camp légitimiste. Je ne sais rien, je n’ai pas revu le duc de Noailles.
La [duchesse] de Montebello va mieux. Le soir assez de monde et beaucoup de conversa tion sur l'unique sujet. Le nonce est inquiet en pensant que l’armée à Rome peut se trouver Dieu sait en quelles mains dans quelques mois. Je vous envoie Ellice sans presque l’avoir lu moi-même, mais cela me parait curieux, pour l'Angleterre. Renvoyez-moi cette lettre elle appartient à Marion qui ne l’a pas lue. Je ne lui en ai envoyé que la première partie à Ferrières. Elle y reste jusqu’à lundi. Il fait très froid ici. Adieu. Adieu.
J’ai dormi mais je suis mécontente. Ce sera un mauvais hiver. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Lundi 15 sept 1851

Vous n'aurez aujourd’hui qu’une bien courte lettre. Je dîne à Lisieux. J’ai beaucoup de petites affaires à régler dans la matinée, partant demain pour Broglie. De plus, des épreuves à corriger et à renvoyer. Et pas grand chose à vous dire.
Je ne suis pas surpris du désespoir du duc de Noailles. Je l’y vois marcher depuis longtemps. Tout ceci est trop difficile et trop long. Il a raison dans ce qu’il dit qu'on ne fera rien que lorsqu'on aura vraiment peur, peur partout. La proposition Creton peut en effet amener cette peur-là. Si les meneurs en font tout ce qu’ils s’en promettent, elle nous lancera dans une nouvelle carrière d'événements et de révolutions. Nous recommencerons au lieu de finir. Aussi j’ai peur de cette affaire-là.
Vous ne lisez pas le journal le Pays. La République modérée est exactement dans la même situation, vis-à-vis du président, que les légitimistes. Elle se prépare à aller à lui pour échapper au Prince de Joinville. M. de Lamartine emploie tout ce qu’il a d’esprit à se préparer et à protester que non. Il cherche, à travers ce gâchis, une chance personnelle à poursuivre. Il ne la trouve pas ; la peur de l'Orléanisme le prend. Il revient autour du Président puis il recommence. Voilà la République ; Lamartine, Changarnier, qui sais-je ? Tous rêvent pour eux-mêmes le pouvoir souverain. Une alternative continuelle de rêve et d'impuissance.
L'article du Journal des Débats d'avant hier fera plaisir au Prince de Metternich. J’oublie ceci depuis quatre jours. Pouvez-vous me savoir l'adresse actuelle de M. de Montalembert ? J'ai besoin de lui écrire, et je ne sais où. M. de Mérode n’est probablement pas à Paris ; mais j’espère que Montebello pourra vous dire cette adresse.

11 heures
Puisque vous allez à Champlâtreux, vous y aurez vérifié ce qu’on m’écrit ce matin : " que M. Molé est fort inquiet de sa santé et qu’il a raison de l'être car M. Cloquet s'en inquiète aussi. " Adieu, Adieu. A demain une lettre moins courte. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Vendredi 12 sept 1851

J'ai reçu hier une singulière lettre de Barante, un long plaidoyer en faveur de la candidature du Prince de Joinville. Le plaidoyer lui est, je le parie, venu de Claremont, par la voie des d’Houdetot. C'est une tentative indirecte pour me détourner de mon opposition. J’ai reconnu les raisonnements et presque les paroles de la conversation de Jarnac. On est de mon avis sur la fusion, seul dénouement qui n'aurait point le caractère révolutionnaire On me promet que de tous les présidents possibles, le Prince de Joinville sera le plus disposé et le plus propre à accomplir cette œuvre-là. On me fait observer qu'il ne peut s’y engager expressément, car il diminuerait beaucoup les chances de son élection, et peut-être même celles de la réussite du projet définitif. On espère que sa candidature n'appartiendra pas seulement " à ce funeste tiers-parti qui recommencerait, pour la servir, alliance des banquets. "
On se demande, et on me demande pourquoi les légitimistes, ne se joindraient pas à ce mouvement, dont ils feraient leur profit qui serait aussi le nôtre ; alors la fusion porterait de bons fruits et beaucoup de gens qui n’en sont pas viendraient s’y ranger. " En même temps qu'il me transmet ces arguments, Barante ne se soucie pas que je le prenne tout à fait pour une dupe, car il ajoute : " Ce ne sont point là mes espérances ; mais si j'en avais, elles s’attacheraient à cette branche de salut. "
Je me rappelle en ce moment que les Anisson aussi étaient à Claremont il y a quinze jours. La commission est probablement venue à Barante par cette voie-là. Je lui répondrai sérieusement et innocemment en lui expliquant bien pourquoi je suis convaincu que M. le Prince de Joinville, voulût-il la fusion, ne serait pas en état, s’il devenait président, de résister à Mad. la Duchesse d'Orléans, à Thiers et au courant révolutionnaire qui n’en voudraient pas.
Mes arguments ne réussiront pas mieux par la voie détournée qu’ils n'ont réussi par la voie directe, et que ceux qu'on m'envoie ainsi de nouveau ne réussissent auprès de moi. Mais on verra encore que je suis bien décidé, et que si on persiste, il faut se contenter d'être le candidat de ce funeste, Tiers-Parti recommençant l'alliance des Banquets.
Butenval a fait sa diplomatie avec vous. Adoucir l’Autriche quant au Piémont et l'inquiéter sur une explosion probable du reste de l'Italie. Petite manière d'avoir l'air de protéger un peu les pauvres libéraux Italiens. Je déplore la situation de la France en Italie. Elle n’y sert ni la cause de l'ordre européen, ni celle de sa propre influence. Elle pouvait tirer grand parti de l'expédition de Rome pour l'un et l’autre dessein. Elle ne fait que dépenser là son argent, pour une vaine apparence de pouvoir. C'est une politique aussi puérile que celle de Palmerston est perverse.

10 heures
Votre lettre est très intéressante et vous avez l’air moins fatiguée. Je vous vois quand je vous lis. Si la correspondance du Times, empêche Thiers d'aller à Londres, c’est un second service qu’elle rend.
Je suis trop loin pour prendre exactement la mesure de votre envie de renouveler vos meubles. Car votre envie est la seule bonne raison de ce renouvellement. Je ne crois point à un bouleversement, ni avant 52 ni au printemps de 52. Le péril à mon avis n’est pas grand, et si votre plaisir à avoir un meuble neuf doit être très vif, ayez un meuble neuf. Plaisir à part comme on ne peut pas dire qu’il n’y ait point de mauvaise chance du tout, et comme votre mobilier est encore fort convenable, il est plus sage d'attendre. Conclusion : si c'était moi j'attendrais. Pour vous, je ne puis pas décider ne sachant pas au juste quel plaisir vous aurez à regarder un meuble neuf ; et quel déplaisir à voir encore le vieux. Adieu, Adieu.
Mon adresse à Broglie sera : chez le Duc de Broglie à Broglie. Eure. Adressez-moi là votre lettre de Mardi 16, je ne partirai d’ici mardi qu'à midi. La poste de Lundi, me sera arrivée. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val RIcher Mercredi 10 Sept. 1851

Voici ma lettre à Gladstone. Si vous la montrez à quelqu'un, n'en laissez, je vous prie, prendre copie à personne. Je ne voudrais pas qu’en tout ou en partie elle vint à circuler. Ce serait un mauvais procédé envers un ami. Quant à Aberdeen, je lui envoie copie de ma lettre en même temps que l'original que je le prie de faire parvenir à M. Gladstone dont je ne sais pas l'adresse, et j’ajoute pour lui : " Je regrette vivement que M. Gladstone ait publié ces lettres et qu'elles vous soient adressées. Je regrette encore plus, s'il est possible qu’il n’ait pas eu la patience d'attendre la réponse du Prince de Schwartzemberg. Et pour tout vous dire, je regrette surtout que, lorsque vous avez vu qu’il ne voulait plus attendre vous n'ayiez pas cru pouvoir lui retirer l’autorisation d'associer votre nom à sa publication. Vous aviez pris, en écrivant au Prince de Schwartzemberg, le seul moyen efficace de faire porter remède, à ce qu’il peut y avoir de vrai dans les assertions de M. Gladstone. C'est grand dommage qu’il ait détruit lui-même, par sa précipitation, l'efficacité de ce moyen. Le bruit qu’il a fait ne le remplacera pas.” Je lui parle ensuite un peu de nos propres affaires. La nouvelle Lettre du Correspondant du Times insérée dans le Constitutionnel est curieuse. Il y a, ce me semble, moins d’erreurs que dans la première. C'est peut-être parce qu'elle parle de faits qui ne me sont pas personnels, et que j’ai seulement entendu conter. Les Régentistes de l'ordre sont furieux. Evidemment cela leur fait beaucoup de mal. N'avez-vous rien entendu dire de Thiers depuis qu’il est à Paris? Savez-vous si Berryer est effectivement parti pour Frohsdorff ? Je suis bien questionneur. La Gazette de France est contre Berryer, dans une vraie rage. Elle dit qu'il est allé chercher un blanc-seing pour le Triumvirat Guizot, Berryer et Falloux. Elle le compare à Cinna :
Et tu ferais pitié, même à ceux qu’elle irrite,
Si je t'abandonne à ton peu de mérite.

Ce qu’il y a de déplorable c’est que ces violences des Légitimistes pointus font tout, même aux Légitimistes modérés qui en sont l'objet. On prend toujours les pointus pour les vrais interprètes du parti. Je suis de plus en plus frappé de la méfiance et de l’antipathie du pays pour les Légitimistes. Ils ont absolument besoin d’une longue bonne conduite pour reprendre position, et nous avons nous-mêmes de grands soins à prendre pour les aider à revenir sur l'eau au lieu de nous noyer avec eux, ce qui arriverait infailliblement. Si nous nous laissions prendre par eux à bras le corps, et confondre avec eux comme quelques uns le voudraient.

Onze heures
Votre nervosité prolongée me déplait. Vous devriez voir [Chomel]. Je ne crois pas qu’il y ait rien de bien actif à vous faire ; mais peut- être un certain régime, bien suivi, vous calmerait sans vous affaiblir. Adieu, Adieu.
Je reçois un mot du Duc de Broglie. J’irai mardi prochain 16, pour dix ou douze jours. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 8 septembre Lundi

Votre lettre sur Aberdeen est excellente. Vous me direz ce que vous lui aurez dit. La mienne est partie, de la tristesse de la part [?] qu'il a à une mauvaise action. Votre observation sur le langage de Changarnier à la Commission me parait bien juste aussi, & neuve. Je ne l’ai entendu faire à personne. Je saurai des nouvelles de lui aujourd’hui.
Hier soir j’ai vu la diplomatie y compris le nonce et mon nouveau favori le Prince San Giacomo. Vraiment charmant. Rien de nouveau du tout. Paris est désert & ignorant. Le Président s’est établi à St Cloud pour la chasse. Constantin me mande qu'on est ravi des ordonnances autrichiennes. L’entrevue entre Le Roi de Prusse & l’empereur d'Autriche à [?] a réussi à merveille. J'écris aujourd’hui à l'Impératrice par une bonne occasion. Adieu ma lettre est pauvre. Je crois que je vaudrai mieux demain. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Vendredi le 5 Septembre 1851

Voici Aberdeen. Vous me dites très vrai sur les Débats. Aujourd’hui ce journal est en retraite. Je vous enverrai copie de ce que me dit Beauvale sur Claremont. Le voici ; Marion est expéditive. Comme vous avez bien fait de parler à Claremont. Je suis charmée que les Débats aussi répètent la conversation. Les arrestations font assez d’effet. Il me semble avoir compris que la commission incitait le [gouvernement] à faire des démarches auprès du [gouvernement] anglais.
J’ai vu hier soir des Napolitains. Le [Prince] San Giacomo entre autres ami de mon fils Alexandre. Il arrive de Vienne. Schwarzenberg lui a dit : " Il nous restait une espérance. Un ministre conservateur en Angleterre. C’est fini, L. Aberdeen même fraie avec la Révolution. " Il est impossible de se conduire plus pitoyablement. que ne l'a fait notre ami. Dites-moi que vous lui avez écrit et dit des vérités, de mon côté ce n’est pas fini. Je lui en dirai de bonnes sur sa lettre. What en apology ! Je ne sais vraiment rien. J'ai vu hier Montebello, le soir des diplomates, ils ne savent pas grand chose. J'ai mal dormi, je ne retrouve pas mon équilibre. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 3 septembre 1851

J’ai vu hier encore La Redorte, convaincu qu’il n’y aura pas de coup d'État. Il cause souvent avec le Président. Il le trouve perplexe, incertain. Le langage officiel est la pleine confiance. Montebello s’est rencontré chez moi avec La Redorte, il a dit que la seule conduite, bonne efficace était de se rapprocher des hommes conservateurs de s’aboucher avec eux. De convenir de ses faits chacun de son côté. Des promesses de Gentleman. & le Président peut jouer un rôle bien utile, bien grand. La Redorte a assenti, mais il dit que cela ne se traite ni ne s’entame même par intermédiaire. Pour son compte, il s’est refusé à rien dire. Le soir j’ai vu tous les diplomates. Hatzfeld, Kisseleff, Antonini, Hubner, revenu de la veille. Berryer revenu hier matin & repartant aujourd’hui. Il avait passé deux jours chez le duc de Lévis. Il croit qu’il ira pour quelques jours à Frohsdorff bientôt peut-être, il veut voir le comte de Chambord avant la réunion de l’Assemblée.
Le journal des Débats de hier fait beaucoup de bruit. On le trouve habile mais enfin il est Joinvilliste et il admet qu'il pourrait même être Président. Ceci ne s’accorde guère avec ce que vous me dites ce matin. Montebello a causé longtemps hier avec Changarnier. Celui-ci persiste à vouloir être porté. Il croit à son temps et tout au moins à la division des forces entre le président et Joinville. & si lui Changarnier obtenait relativement assez de vous pour être dans les cinq, et bien l’Assemblée le nomme. Il se fait dans ce moment ardent fusionniste plus qu’il ne l'a jamais été !
Voilà ! Je crois que je vais mieux hier soir ne m’a pas trop fatiguée quoiqu'on m’ait retenu jusqu'à 10 1/2. J'ai une lettre de 8 pages de Lord Aberdeen, pleine de pauvres raisons, je vous l'enverrai ou la copie. Je l’ai donnée à Antonini. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Jeudi 21 août 1851

J’ai sur le cœur votre chagrin, je ne veux pas dire votre injustice de Vendredi dernier 15. Ne croyez donc jamais qu'aucune dissipation comme vous dîtes, ni aucune affaire puissent me détourner de penser à vous. Je ne serai content que lorsque je saurai que vous avez eu ma lettre. J'espère bien le savoir demain.

Duchâtel m'écrit qu’il part pour Londres, hier soir. J’irai probablement le retrouver chez Grillon, où il va se loger. Il me dit : " Paris est désert. Les renseignements de tous les points de l’horizon s'accordent à dire que la candidature du Prince de Joinville prend assez vivement. On assure que le président et ses ministres en sont inquiets. Il se pourrait que ce coup d'éperon déterminât le président à agir. Le mouvement que les Montagnards se donnent peut lui faire beau jeu. "
Je ne crois pas beaucoup aux inquiétudes du Président sur la candidature du Prince de Joinville, ni à ses velléités d’agir. A en juger par ce qui m'entoure et ce qui me revient le travail pour cette candidature est plus vif qu’efficace ; il créera une petite scission dans le grand parti conservateur ; pas grand chose de plus. Sur les côtes seulement, la faveur est réelle pour le prince de Joinville. Dans les terres, les campagnes restent pour Louis Napoléon. Si, l’intrigue pour créer, au Prince de Joinville, un parti dans la Montagne réussissait, c’est alors que commencerait le danger. Il ne paraît pas que jusqu'ici, l’intrigue réussisse. Les Montagnards hésitent toujours entre Ledru Rollin et Carnot.
Autre sorte de nouvelles que me donne Duchâtel. " Les Régentistes vont à Londres pour le 26. Rémusat est parti hier. A propos de Rémusat, saviez-vous qu’il vivait intimement avec une Mad. Fagnères l'ancienne maîtresse de Martin du Nord ? Je devais aller aujourd'hui à Champlâtreux. M. Molé me fait écrire qu'il est au lit avec la fièvre. " Vous avez tout ce que j'ai.
J’ai un mot du duc de Noailles, de Maintenon. Il regrette fort de ne m'avoir pas trouvé à Paris. Je lui ai écrit que j'y passerais le 24 ; mais il n’avait pas encore reçu ma lettre. Il attend impatiemment votre retour. Il y a, dans votre lettre du 13, une parole qui me plaît, parmi d'autres. Vous me dites que vous aurez fini dans dix jours, c’est-à-dire le 23 ou le 24. Vous partiriez donc le 25 ou le 26, et vous seriez à Paris le 28 ou le 29. Ce serait à merveille. Je me crois sûr que je partirai de Londres le 29 pour être à Paris le 30.
Je suis fâché que vous ne receviez pas la feuille jaune, le courrier de Paris. Vous y trouveriez sur les auteurs des Correspondances de l’Indépendance Belge et sur les dessous de cartes de ces correspondances, des détails qui vous amuseraient. La coterie Régentiste se donne beaucoup de mouvement de ce côté là. Je ne vois toujours pas clair sans Changarnier. Il a bien de l'humeur de la candidature du Prince de Joinville ; mais je le trouve bien timide à la témoigner.
11 heures
Enfin vous avez ma lettre. Je maudis comme vous les postes allemandes, quoique j'en aie moins souffert que vous. Ce ne sont pas elles qui reçoivent vos lettres. Ce mauvais effet d'Ems me contrarie beaucoup.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Schlangenbad le 19 août Mardi 1851

Merci de votre très intéressante lettre du 14. Vous me trouverez probablement à Paris à votre retour de Londres. Je crois que j'y serai le 30. Je vous adresserai ma prochaine lettre à Paris. Et puis je n’ai plus votre adresse où allez-vous à Londres ? J'espère que vous aurez songé à me le dire. De Paris adressez-moi une lettre à Bruxelles poste restante, de Londres la première aussi car je resterai certainement un jour à Bruxelles. Ensuite à Paris.
Le temps est bien rafraîchi. Et Schlangenbad alors est détestable. Enfin, c’est bientôt fini. Je partirai sans doute dimanche. Constantin sera ici après-demain.
Quelle joie dans tous les journaux radicaux de ces lettres de Gladstone. Vous devriez bien en faire honte à lord Aberdeen. Moi je lui ai parlé assez durement de cela, un petit mot plus doux de vous ferait bien de l’effet, et vraiment il mérite une leçon. Le Roi de Prusse a passé hier à Mayence le jour de la fête de l’empereur d’Autriche ou plutôt ses 21 ans. Samedi le roi reçoit l'hommage de ses nouveaux sujets de Hohenzollern. Grand speech historique à cette occasion. Adieu. Adieu. Que voulez- vous que je vous dise de ce lieu solitaire ? Pas une âme. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Schlangenbad le 14 août 1851 jeudi

Je viens d'écrire une lettre à L. Aberdeen qui ne lui plaira pas, car je lui dis de bonnes vérités sur sa faiblesse d'avoir permis à Gladstone de lui adresser ces détestables lettres. Vous voyez la joie de L. Palmerston. 8 heures. Voici un mot de vous de Paris, lundi, mais si petit, si court, trop court. J’espère que vous vous serez donné de meilleures proportions le lendemain. Je rentre d'une longue promenade avec la duchesse de Hamilton, personne très digne, très convenable, parlant le Français à merveille, et voilà tout. Les journaux m'apprennent que vous & la Marseillaise avez été très honorés à la distribution des prix. Quel singulier accouplement ! Je suis charmé des succès de Guillaume.

Vendredi 15. Je relis votre billet. Vous trouvez les choses en meillleur train que vous ne croyez. Je suis interrompue par l’arrivée de vos deux lettres perdues 31 & 2. Elles avaient été envoyées à une Princesse de Lieven. Ma nièce à Kreuznach. L'une, elle l’a ouverte. C'est bien égal, c’est une brave femme qui n'y aura pas compris un mot. Je suis ravie d’avoir retrouvé mon bien.
Je me repose ici de Francfort, les deux jours que j’y ai passés m'a vaient vraiment fatiguée, déjà l’idée que je ne m’appartenais pas, que je faisais un peu la volonté d'une autre. Cette idée me chiffonnait. Vous comprenez cela pour moi ? Adieu. Adieu.
Je crois que Constantin sera ici demain ou après- demain. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 14 août 1851

Je serai donc à Paris le 24, à Londres le 27 ; à Weybridge pour le service le 26, et probablement à Claremont le 27, pour la conversation. Si je resterai à Londres un ou deux jours, c’est ce que je ne sais pas. Je me refuse absolument aux invitations Lord Aberdeen, Sir John Boileau, Croker & & mais peut-être Croker et Sir John Boileau viendront à Londres pour me voir. En tout cas je compte partir de Londres le 29 ou le 30, et être par conséquent à Paris, le 30 ou le 31. Vous voyez que mes plans cadrent avec les vôtres. Je vous prie seulement d'être à Paris le 31 août ou le 1er septembre au plus tard, car j'aurai bien peu de jours à y rester et je n'en veux rien perdre. Je suis entré très activement, dans plusieurs travaux qui ont quelque importance que je veux avoir terminé avant de rentrer à Paris cet automne et qui me laissent peu de liberté.
Je n'ai trouvé les choses, ni si changées, ni si aggravées que vous l’avait écrit Duchâtel. L’intrigue Joinville avance peu, quoique fort active. Les pauvres étourderies du Prince lui-même tombent à terre presque aussitôt que commises. Sauf à recommencer. Les questions qui s’agitent et les événements qui se préparent sont trop gros pour que tout ce petit mouvement y fasse ou y change grand chose. Ce qu’on a gagné, par le progrès de l'union désireuse et réelle entre les deux partis conservateurs est à mon avis bien plus important que les incidents dont on se préoccupe ne sont fâcheux. Voilà la part de mon optimisme. Deux sortes de gens ont raison d'être tristes, des gens difficiles et les gens pressés ; rien de grandement bon ne se fera, ou du moins ne se fera bientôt. Nous avons encore je ne sais combien de sottises à traverser et de sots à user. Ce sera probablement contre ce qui existe aujourd’hui qu’ils s’useront. Quand la France, sera sortie de cet abominable bourbier on trouvera qu'après le malheur d’y être tombée, et tombée par sa faute elle y a eu du bonheur et qu’elle s'en est tiré à bon marché. La candidature Joinville, et la proposition Creton, voilà les embarras réels du moment. Le second fournira peut-être un moyen de sortir du premier.
J’ai été parfaitement content de Berryer. Il n’a qu’une idée fixe, l’élection de l'Assemblée future. C’est à ce but que tout doit être subordonné. Et heureusement, le gros du parti le comprend. Les dissidents même, très peu nombreux commencent à s'inquiéter de l'explosion de leur dissidence et à chercher quelque moyen de boucher le petit trou qu’ils ont fait. M. de Falloux, très sensé et très ferme, mais de nouveau souffrant, est parti pour aller rejoindre sa femme à Nice. Le Président a causé avec Kisseleff, le jour de sa fête à St Cloud, et lui a tenu un langage fort raisonnable. Décidé à se croiser les bras et à attendre que le pays agisse. Il y a toujours des impatients amateurs de Coup d'Etat. Il est peu probable, très peu, qu’ils prévalent quoiqu’on ne soit peut-être pas fâché que le public en ait toujours un peu peur. Cela le rend plus modeste, et plus, empressé à faire lui-même ce qui dispense des coups d'État. Le public s’inquiète d'une circonstance. Un commandement donné, à Paris, au général St Arnauld, le vainqueur de la Kabylie, le plus entreprenant et le plus dévoué des nouveaux généraux africains bien plus capable d’un coup que le Général Magnan de Paris à Londres.
Un de mes amis anglais whig sensé et fort au courant m’écrit : " Lord John has made a promise, a very rash one, it seems to me of a new reform-bill ; and whether, it succeeds or fails, it will not leave us where it founds. I breakfasted this morning with Lord Lansdowne, and tried to find out whether the government had any fixed plan. But I could learn nothing, and I suspect that they have not yet, even seriously considered what they mean to propose. My suspicion is that what they ultimately do propose will be too strong for the Tories and too weak for the radicals ; that they will be defeated by a Tory-radical opposition, and go out ; that a Tory government will come in and reign for 4 or 5 years, and that then the whigs will come back, with a larger or at least a more,(deux mots que je n’ai jamais pu lire).... bill. " Cela me paraît de l'English good sense. Adieu.
J'adresse toujours à Francfort Vous ne m'avez rien dit contre. Votre tête me déplait bien. J’ai peine à croire que vous ne sauviez pas votre fils Alexandre. Ce ne serait pas la peine de prendre tant de peine pour avoir si peu de crédit. Adieu, adieu G

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Paris. Lundi 11 aout 1851
3 heures

Je reviens du grand concours où j’ai été reçu, en entrant dans la salle, plus bruyamment encore que l’an dernier. Et quand mon fils a été nommé, son nom a amené deux fois une nouvelle explosion. Il faut se féliciter de la mobilité de mon pays ; elle le perd et le sauve tour à tour. Ce qui ne veut pas dire que je le croie sauvé parce qu’il recommence à m’applaudir.
J’ai eu du monde constamment, quoiqu’il n’y ait personne ici. Je vous ai déjà dit ce matin, je crois, que j’avais été content hier de la conversation du Duc de Broglie, très content, et pour le fond des choses, et pour sa propre disposition. Il regarde l’union comme très bien établie entre les deux corps d’armée conservateur et légitimiste, et il les croit décidés l’un et l'autre à faire ce qu’il faudra pour la maintenir. Il loue beaucoup Berryer, talent et conduite. Il s'attend, au mois de Novembre, à une majorité, encore insuffisante, pour la révision, mais plus forte. Les conseils généraux et les consuls d’arrondissement seront presque unanimes. Le pétitionnement recommence. On ne veut que des signatures nouvelles. Que résultera-t-il de tout cela au Printemps ? On n'en sait rien. On ne s'inquiète pas de le savoir. On ne s’inquiète que de l'élection de l'Assemblée, très probablement au mois de mars. On l'espère bonne, au moins aussi bonne que celle-ci, et plus décidée. Si on y réussit, on verra après. On aura fait ce qui fera ce qui sera possible.
Le Président se conduit tranquillement, sans autre dessein ni travail que sa réélection. C’est toujours le plus probable. Jusqu'ici le mouvement n’est pas vif pour le Prince de Joinville et lui ne dit ni oui, ni non. L’Elysée parait plutôt content qu'inquiet de cet incident.
Lord Aberdeen m'écrit qu’il part pour l’Ecosse où il me presse fort d'aller. Je n'irai point. Il me dit : " We expect a new reform bill at tre opening, of the next session of Parliament. If Lord Derby at that time should be prepared to abandon his present policy of protection and dear bread, he may very probably be able to oppose Parliamentany Reforme with success. But if not Lord John may carry universal suffrage, if he should think proper. Whatever exertion or sacrifice may be necessary to secure free trade will be cheerfully made."
Nous verrons si l’aristocratie anglaise aura son vieux bon sens. Je trouve que dans ces derniers temps, son bon sens et son énergie ont également faibli. Elle a été plus entêtée que hardie.

Mardi 12
M. Molé est venu hier pendant que je vous écrivais. Il arrivait du Marais. Je le reverrai aujourd’hui avant de partir. Nous aurons notre petite réunion pour les affaires de l'Assemblée nationale. Duchâtel est arrivé aussi hier soir. Kisseleff est venu me voir après Molé. Vous manquez beaucoup à ce monde. Kisseleff dit qu’il use ses redingotes n'ayant plus une occasion de mettre un habit. Molé part samedi pour Champlâtreux, jusqu'au mois de Novembre. Il se promet que vous irez l’y voir.
Changarnier est parti tout de suite pour la Bourgogne ; triste, et commençant à s'apercevoir qu’il n’a pas bien conduit sa barque. Pas la moindre nouvelle d'ailleurs.
Autre visite hier, qui m’a intéressé et plus. Le comte de Thomar que Païva m’a amené. Encore jeune, physionomie spirituelle ; mélange de gravité espagnole et de vivacité italienne. Bien méridional. La langage plus impartial et plus calme sur ses ennemis qu’il n’appartient aux méridionaux. Il est ici pour quelques semaines. Et en automne, il compte aller reprendre sa place dans la Chambre des Pairs de Lisbonne. Rien ne l'en empêche. Adieu.
Je repars ce soir à 6 heures emmenant tout ce que j’avais laissé ici des miens. Je voudrais bien que vous me dissiez ce matin que votre tête va mieux. Adieu, Adieu.
G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, samedi 9 août 1851

Montebello m'écrit d'Angoulême où il est allé conduire son fils aîné pour les examens de l’école de Marine. Le pauvre homme est encore sous le coup des inquiétudes qu’il a eues pour sa femme ; il m’en parle avec terreur. La maladie aigüe est guérie, mais il lui reste mal au foie et des crises presque intermittentes qui la font beaucoup souffrir, et qui dureront probablement jusqu'à ses couches prochaines. Montebello compte toujours aller à Claremont vers la fin de ce mois. Il a vu me dit-il à Angoulême le Général de La Rue, inspecteur général de la gendarmerie, homme d’esprit, que je connais beaucoup, et dont le jugement a de la valeur. Le général qui vient de parcourir beaucoup de départements en rapporte l'impression qu'il n’y a et qu’il n’y aura, pour la Présidence, que deux candidats sérieux Louis Napoléon et Ledru Rollin.
En attendant la candidature du Prince de Joinville éclate tout-à-fait. L’ordre est à lire désormais puisqu’il se déclare le moniteur des Régentistes. La conduite me paraît bien peu habile. Le Roi Louis-Philippe n’a jamais voulu se laisser conduire par Thiers. Sa famille, apprendra probablement, après sa mort, combien il avait raison. M. de Lasteyrie dit que M. le Prince de Joinville accepte la candidature, et il en promet, aux uns la fusion, aux autres le contraire. C’est un jeu qui ne comporte pas la durée, ni la publicité. En attendant l'élection, à la Présidence on sonde Paris pour une élection du Prince à l'Assemblée, en remplacement du général Magnan. Mais les coups de sonde ne réussissent pas. Manœuvre pitoyable. C’est bien assez d’une abdication. Est-ce qu’on fera passer tous les Princes par cette même porte ? MM. de Lasteyrie et de Rémusat sont furieux de n'avoir pas été portés par la majorité à la commission de permanence. Et très tristes d'avoir échoué par la minorité. Vous aurez vu, dans la Patrie, la réponse du Président au coup qu'on lui a porté à propos de ses projets d'emprunt à Londres. On avait fait grand bruit d'avance de ce coup-là. Il me paraît que même le bruit ne sera pas grand.
J'ai reçu une nouvelle lettre de mon ami Croker qui insiste encore pour que j'aille le voir à Alverbank quand j’irai à Londres. Il ajoute : " And now let me ask another favor of you. Some one has set about à story that George the IVth had endeavoured to sell the Royal Library (which was afterwards given to the British Museum) to the Emperor of Russia, and Madame de Lieven is quoted as the authority for this statement. I never before heard of any such idea, and I wish you would ask Madame de Lieven with my compliment and best regards, if she can tell me any grounds for such a rumour. I am curious to know how, il such a thing ever happened, it has escaped either my memory or my knowledge, for I had the honour of a good deal of George IV confidence on such matters, though he did not often follow my advice. » Pouvez-vous satisfaire la curiosité de Croker ?
J'ai aussi ma curiosité. Je voudrais savoir qui dit vrai, de l'Assemblée nationale, ou de Lord Palmerston, sur les notes ou lettres venues du nord aux cours de Naples, de Florence et de Rome. Le Journal est bien positif ; et le Ministre a bien l’air de mettre dans sa dénégation un subterfuge. Je suis charmé que vous ayez retrouvé Marion. Il est bien juste que le Prince de Metternich règne un peu au Johannisberg. Je ne sais si ses successeurs feront mieux que lui, mais il ne paraît pas qu’ils puissent faire autrement.
Si vous pouvez à Schlangenbad, à Ems ou à Francfort vous procurer le dernier numéro de la Revue des deux mondes (1er août), faites-vous lire l'article de M. Cousin sur Madame de Langueville. Il y a bien à dire ; mais c’est très agréable spirituel et curieux ; avec un ton tantôt de rigidité pieuse, tantôt de désinvolture aristocratique auquel la vérité manque également dans l’un et dans l'autre cas mais qui a de l’élévation et de la grâce. Cela vous intéressera et Marion aussi.

10 heures
Adieu. C’est tout ce qui me reste à vous dire, et ce qui me plaît mieux que tout ce que je vous ai dit. Adieu

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Schlangenbad Vendredi 8 août 1851

Ah la vilaine chose que l'absence & les postes allemandes. Rien, rien de vous hier. Je crois vraiment qu'on me vole vos lettres pour les garder et les publier un jour. Je fais du fracas à droite et à gauche. Enfin je vais demain moi-même à Francfort. Voyons comment cela me réussira. Tous les Metternich jeunes sont venus ici voir Marion. On ne parle que des inondations. Le Rhin a quadruplé. Le soir je m'en suis assurée, moi-même en conduisant Ellice jusqu’à Biberich où il a dû s'embarquer ce matin. A Bade il y a eu des dégâts effroyables. Le chemin de fer coupé. Les ponts emportés.
Duchâtel m'écrit de Paris. Il trouve tout bien gâté. Votre prince de Joinville a fait de la belle besogne et Changarnier aussi. Enfin si tout cela tourne au profit de la réélection du président je n’en serai pas fâchée. On serait bien avec une tête comme Joinville !!
La mienne me fait toujours mal, mais elle ne me fait pas faire de sottises encore. Adieu. Adieu. Constantin m'écrit qu'il a grand peur qu'on ne donne pas de passeport à mon pauvre Alexandre. Quelle tristesse cela va lui faire. Je suis bien troublée de cela. Je cherche le moyen de lui être utile. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Jeudi 7 août 1851

Duchâtel m'écrit : " Je trouve l'aspect des choses triste ; la situation de Changarnier à peu près détruite ; la fusion rendue presque ridicule par la correspondance du Prince de Joinville ; tout le monde en découragement ; le mouvement dans le sens du Président ; l'assemblée a été raisonnable pour la révision et le choix de la commission de permanence ; mais cette raison, si elle persiste, la conduira plus loin que jusqu'à présent ne le veulent les Légitimistes. Il est clair que la prolongation doit en sortir. "
Vous voyez ; c’est la même impression que j'ai d’ici ; sauf l'exubérance de l’esprit de critique, qui est le plaisir et la faiblesse de Duchâtel. Il ne résiste pas à se moquer de ce dont le monde se moque. Si l'idée de la fusion est juste, comme je le crois, il n’est pas au pouvoir du Prince de Joinville de la rendre ridicule par ses sottises. Elle en surmontera bien d’autres. Mais en attendant, et sur la situation en général, certainement Duchâtel dit vrai. J'y regarderai dimanche. Il voudrait aller chasser quelques grosses en [?] avant notre visite à Claremont le 26. Mais son fils, et la distribution des prix le retiendront trop tard à Paris. Je doute pourtant que nous partions ensemble. Il veut arriver à Londres 8 ou 10 jours avant le 26, pour les donner à l'exposition. Je n’en donnerai pas tant ; un ou deux jours de Londres me suffiront très bien, et je ne veux arriver en Angleterre que tout juste pour la visite qui m’y fait aller.
D'autres lettres de sources diverses, me transmettent la même impression que Duchâtel. Je vois seulement que, dans beaucoup de département on commence à se préoccuper sérieusement de l'élection de la future assemblée, et à se concerter entre conservateurs et légitimistes, pour qu’elle soit bonne. C’est aujourd’hui le but essentiel, et le seul possible, à attendre.
Un autre mouvement électoral m’arrive celui de l'Académie. Tous les concurrents m'écrivent, M. Liadières, M. Philarète Chasles, M. Poujoulat & Vous ne connaissez guères plus les noms que les personnes. Tous aussi légers les uns que les autres. Il n’y aurait que Berryer qui eût du poids et de l'éclat. Mais notre dernier choix a été M. de Montalembert ; l'Académie ne voudra pas faire coup sur coup deux choix politiques, l'un pris à Rome, l'autre à Frohsdorf. Je n’ai pas idée du résultat. Ce dont vous n'avez pas d’idée, c'est de mon état d'enchiffrenement et d'éternuement ce matin. Je vous écris à travers des torrents de larmes. Il fait pourtant bien beau et bien sec hors de mes yeux. Je suspends pour attendre un intervalle lucide.

10 heures
Merci de la lettre qui m’arrive. Je n'y comptais pas aujourd’hui. J’y vois un peu plus clair, mais guères. Je n'ai rien de Paris. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 3 août 1851

M. Molé m'écrit pour se chagriner de l'Assemblée nationale. Il n'est pas content de la rédaction, ni de la direction ; il trouve que les articles politiques sont souvent impolitiques. Il a raison. Il me demande quand je pourrai aller à une réunion du Comité. Je n'irais certainement pas à Paris pour cela. Pendant la dispersion de la saison, l'Assemblée nationale ira cahin caha, c'est inévitable. Mais je vais à Paris dimanche prochain 10, pour la distribution des prix au grand concours de l'Université. Je n’ai jamais manqué à mon fils ce jour-là. J’y passerai les 11 et 12. Je me mets à la disposition de Molé pour ces deux matinées. Nous ne ferons pas grand chose de plus que nous donner mutuellement le plaisir de la conversation. Duchâtel a dû arriver hier à Paris. Je règlerai notre course à Claremont pour la fin de ce mois. Je n’ai rien dérangé à notre correspondance. On me renverra mes lettres deux jours. Il n'y a pas moyen à cette distance et avec les Postes allemandes, de cadrer parfaitement juste. Mais ne manquez pas de me dire, dés que vous le saurez, quel jour précis vous serez de retour à Paris pour que je m’arrange en conséquence.
Le choléra l'emporte donc, dans Ellice, sur l'amour. A-t-il jamais été très amoureux ? Il me semble que, même jeune, le choléra devait toujours être le plus fort. Aurez-vous quelqu’un à Schlangenbad ? L’été dernier, vous aviez au moins la Princesse Grasalcovitch. Qu'a-t-elle fait cet été ? Est-elle aux Pyrénées avec Thiers ?
Les légitimistes à la fois intelligents, et un peu pointus sont bien préoccupés de celui-ci. L’un deux m'écrit : " Il se brasse, sous main, la plus splendide des mystifications. Figaro exerce, depuis longues années, une déplorable influence sur notre orateur, trop sensible aux douceurs d’une vie paresseuse. Et dont l’éloquence, toute grande qu'elle est, n'équivaut pas à l'astuce et à l’esprit de persistance de Figaro. Les événements vont se succéder rapidement. Une commission permanente formée à l'exclusion des Montagnards commencera à fournir aux Pyramidaux l'occasion de prendre le pas sur les Rivoliens, gens de nature inerte et molle, privés qu’ils seront de l'activité que leur donnerait un simple appoint de Montagnards, à la rentrée de l'Assemblée reprise de la proposition de retour des exilés ; application de la loi actuelle d'élection qui doit ajouter aux Pyramidaux le nombre de représentants qu'elle enlèvera certainement aux Rivoliens. Le surplus n'a nul besoin de développement. Tous les hommes du triomphe à Figaro. "
Vous retrouvez-là, ce singulier mélange de clairvoyance et d'aveuglement que donne le violent esprit de parti. Mon pointu croit trop à ce qu’il craint ; mais il y a des chances pour ce qu'il dit. Le jeu est bien compliqué.

10 heures
Vous serez bien seule en effet à Schlangenbad. Depuis que j’ai passé dix jours absolument seul, je ne crains pas la solitude pour moi, et je la crains encore plus pour vous. Adieu, Adieu Je n'ai rien de Paris. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 2 août 1851

Je jouis vraiment de votre délivrance. Je sais à quel point vous avez dû être agitée ; et votre agitation m'inquiète et me chagrine comme m'inquiéterait et me chagrinerait une maladie. J'en veux à Couth de vous avoir si étourdiment répondu.
Je crois que vous avez raison sur les fêtes de l’hôtel de ville. On ne pouvait guère ne pas rendre les politesses anglaises et on les rendra magnifiquement. Le Lord maire et les Aldermen viendront-ils en robes et en perruques ? Depuis que je suis ici, j'ai vu des industriels considérables et deux des commissaires Français à Londres. Il y a un peu d'humeur, parmi eux, de la décision qui a supprimé, les grandes médailles d’or qu’on devait donner, en petit nombre aux ouvrages d'élite. Les Français affirment que cette décision a été prise contre eux, par jalousie, et parce qu'en fait d'ouvrages d’élite et parfaits d'exécution ils auraient eu bien plus de grandes médailles que les Anglais cependant, à tout prendre, il restera plutôt de là, entre les deux pays, des impressions bienveillantes et de bonnes relations. Je ne sais si le gouvernement Anglais a fait de la bonne politique intérieure ; mais il a certainement fait de la bonne politique étrangère. On a vu sa puissance, et on lui sait gré de cette façon de la montrer.
Mad. de Ste Aulaire m'écrit que ses visiteurs du Dimanche (à Etiolles) sont très découragés et décourageants. Le Duc de Broglie, Viel Castel & Broglie, ne m’écrit guères ; il est vrai que je ne lui ai pas écrit du tout. Mais il a chargé ma fille de me dire qu’on ne faisait et qu’on ne préparait que des bêtises. L'impression générale est triste et morne, plus que sombre et agitée. Je ne vois pas dans le pays que j'habite, grande ardeur à recommencer, le pétitionnement pour la révision. Il est vrai que déjà ce département-ci a peu pétitionné.
Voilà un fauteuil vacant à l'Académie française. Je ne vois pas à qui nous le donnerons. Il sera très vivement et très petitement disputé. Je perds, dans M. Dupaty un ami très dévoué, très actif, et assez influent dans la sphère académique comme parfaitement étranger à l'arène politique. Galant homme d'ailleurs, d'un esprit aussi sensé dans la vie que léger dans la littérature, et d’un cœur très steady. On est très ému ..., à Alexandrie, du chemin de fer que le Pacha d’Egypte vient enfin de concéder aux Anglais. Je reçois de là une lettre, non signée mais dont je reconnais l'auteur, riche négociant Français établi depuis longtemps en Egypte. " C'est le 12 de ce mois que les signatures ont été échangées. C'est donc à partir de ce moment qu'Abba-Pacha est officiellement le gouverneur du pays pour le compte de l'Angleterre. Ainsi, à moins que l’Europe ne s'y oppose, MM les Anglais vont disposer librement de 90 mille hommes, de 80 à 100 millions, des mines de charbon nouvellement découvertes, des produits inépuisables de la vallée du Nil, de l’Abyssinie & Et cela entre Malte et Aden, au point le plus stratégique du Globe commercialement et militairement parlant ; au point par conséquent le plus favorable pour prélever une dîme sur tous les produits agricoles et industriels du globe & & Et il m'invoque comme si j’y pouvais quelque chose. C'est certainement un grand pas vers la possession du Nord-Est de l'Afrique et de la clef européenne de l'Orient.

Onze heures Vous voilà parfaitement calme. Cela me plaît beaucoup. Adieu, adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 29 Juillet 1851

Voici des détails précis, qui me viennent de bonne source, et qui confirment pleinement mes conjectures. " L’intrigue de la candidature Joinville fait des progrès, mais toujours par action souterraine. Elle se cache naturellement derrière la proposition Creton qui sera discutée à la rentrée et qui gagne des partisans. Je n'ai pas été peu surpris d'entendre dire par des légitimistes religieux et scrupuleux, tels que MM. de Melun - La loi de proscription est une inéquité que nous ne pouvons pas sanctionner plus longtemps ; nous voterons pour l'abrogation d'autre part des membres de la Réunion des Pyramides, anciens orléanistes, ou hommes nouveaux ralliés à l'Elysée, se préoccupent des difficultés qu'oppose la constitution à la prorogation des pouvoirs du Président, et ils en viennent à déclarer qu’il faut se pourvoir d’un en cas, et qu’il sera peut-être bon de voter la proposition Créton pour n’être pas pris au dépourvu de Candidats à la présidence légalement possibles. Tel est l'effet de la discussion de la révision."
" Hier Wolowski, beau frère de Léon Faucher, exprimait l'opinion que le président devait adhérer à la proposition Créton, prendre une sorte d’initiative dans le débat, et accepter la lutte contre le Prince de Joinville, que cette conduite serait aussi habile qu’honorable. "
" Vos amis observent ces symptômes avec une grande attention. Le vote de la proposition Créton devient à peu près inévitable ou du moins extrême ment probable, peut-être même sans le concours des chefs légitimistes, Berryer et Falloux. Nous en venons à penser qu'ils ne devront pas refuser ce concours, mais qu’ils devront le motiver à la tribune. Ce sera peut-être le seul moyen d'empêcher le Prince de Joinville de passer à l'état d’expédient révolutionnaire ou républicain. " Certainement, l'automne prochain, la situation sera très compliquée et très vive. La question qui, dans le début de la révision s’est déjà posée, entre la droite et la montagne, se dessinera encore plus nettement dans ce sens ; et la maison d'Orléans, ainsi que l'ancien parti conservateur auront à choisir dans cette alternative. Vous verrez des coupures, et des dislocations de partis étranges. En attendant le Cabinet, qui n’a pas été renversé, reste très ébranlé. On en est réduit, pour prévenir une crise ministérielle immédiate à écarter de l'ordre du jour tout débat politique. On s'est étonné que le Président n'ait pas cherché, en jouant à la crise pendant quelques jours, à exploiter l’incident de l’amendement Baze pour en rejeter l’odieux sur l'assemblée. Des intérêts de spéculation de Bourse, dans l’entourage de l'Elysée se sont opposés, dit-on, à cette conduite que la petite politique semblait conseiller.

10 heures
Rassurez-vous ; vous n'êtes pas en décadence pour avoir oublié où vous avez mis un papier. Cela arrive à de très jeunes mémoires, et la mémoire ne s’en va pas subitement comme vient la rougeole, ou l'apoplexie. Je suis persuadé d'ailleurs que le papier fût-il perdu, les livres de Couth répareront cette perte.
Vous verrez dans les Débats et l’Assemblée nationale de ce matin, une longue lettre de moi que vous n'avez pas lue d'avance. Voilà ce que c’est que d’être séparé. Mais je ne crois pas que, dans cette politique générale, vous trouviez rien à redire. Adieu, Adieu.
Vous vous servez de la duchesse d'Istrie comme d’un hameçon. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 28 Juillet 1851

Je trouve dans le nouveau cahier de l'Edinburgh Review un article sur des Tales and Traditions of hungary publiées à Londres par un conte Paelszky que vous vous rappelez ; et dans cet article je trouve cette histoire-ci.
Une invasion de Tartares, ravageait la Hongrie. Un grand seigneur hongrois vivait dans son riche château, avec sa femme jeune et belle. Il avait grand peur d'une visite des Tartares ; " when suddenly a Tartar on his steed galloped into the court. The hungarian bounced from his seat to meet his guest, and said. Tartaz, [thy] art my lord ; I'm shy servant ; all those seert in thine. Take what those fanciest. I do not oppose shy power ; command ; thy servant obeys - The Tartar impatiently sprang from his horse entered the house, and cast à careless glance on all the precious objects around. His eye was fascinated by the brilliant beauty of the Lady of the house who appeared lastfully attired to greet him there, no less graciously than her consort had in the court below. The Tartar seized her without a moment's hesitation, and, unheadful of her shrieks, swung himself upon he saddle and spurred away, carrying off his lovely boaty. All [?] but ein instant's work ; the nobleman was thunderstruck ; yet he recovered and hartened to the gate. He could hardly still distinguish the Tartar galloping in the distance aud bearing away the Lady fair. Her consort heaved a sigh, and exclaimed with deep commiseration. " Alas! Poor Tartar ! "
Drôle d’histoire dans un livre écrit par le comte Pulszky en l’honneur des Hongrois et contre les Tartares. Je lis beaucoup. Un peu moins à présent que je ne suis plus seul.
L’ordre, le seul journal Régentiste a très bien parlé du discours de Michel de Bourges, et y revient complaisamment. Preuve de plus que ce discours était concerté avec Thiers. Plus j'y regarde, plus je vois clairement le travail pour refaire un parti orléaniste dans la Montagne, et pousser par là, quand le moment viendra, la candidature du Prince de Joinville, si la proposition Creton vient à passer, cette candidature aura des chances. Les légitimistes n'auront, pour y échapper, d’autre ressource que de voter pour Louis Napoléon et le général Changarnier sera étouffé entre les deux. Voilà mes pronostics ; mais je sais ce que valent les pronostics, même les miens.
Vous dîtes que Lord Granville devient le rising man. C'est apparemment à cause de cela qu’il va être le conducteur, le Berger des industriels anglais au grand banquet que va donner, aux industriels du monde entier, le Berger de Paris. Cinq jours de fête, l'hôtel de ville, Versailles, St Cloud, le champ de mars. Cela ressemble furieusement aux trains de plaisir. On s'amuse en troupe. Singulier chemin pour monter et devenir premier ministre d’Angleterre ? J’aime mieux le discours de Lord Aberdeen contre le bill ecclésiastique. C’est un des meilleurs que j'aie lu de lui. Je me figure que cela le grandira plus que le banquet de M. Berger ne grandira lord Granville.

Onze heures
Personne ne pense plus qu’à s’en aller. Il y a pourtant bien de quoi penser à autre chose. La lettre du petit cousin est charmante et lui fait. honneur. Je vous la renverrai demain. Adieu Adieu. G. Voici un petit papier bien fin pour vous amuser un moment.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 27 Juillet 1851

Nous ne pouvons pas sortir des orages. J’ai eu beau temps tant que j’ai été seul. nous nous entendons très bien le soleil et moi. Je le trouve très bonne compagnie. Quand je me promène en pleine liberté, et sous des flots de lumière, j'oublie la solitude. Pas toute la solitude. Si je vais à Trouville, ce ne sera que pour me promener. Je n'y coucherai pas. Mais pour peu que j’y aille et que je passe quelques heures, j’irai chercher le Prince George, et je serai aimable pour lui, puisque vous le désirez. J’ai eu ces jours-ci une lettre du chancelier. Toujours aussi sensé et aussi jeune.
Il y a du monde à Trouville, mais peu de gens de connaissance. J’y ai deux nièces, l’une jolie, l'autre pas, l’une spirituelle, l’autre pas, les dons sont partagés. Elles vont venir passer ici deux ou trois jours.
Narvaez a très bien fait de rendre refus pour refus. Palmerston ne sait être ni gracieux ni fier. Un homme de mes amis, que j’avais fait entrer aux Affaires Etrangères, et qui en est sorti avec moi, M de Lavergne (son nom ne vous est pas inconnu) va passer quelque temps en Angleterre. C’est un grand agriculteur, très curieux de voir des agriculteurs anglais et écossais. Je le recommanderai à quelques personnes. Il est bon à connaître, si vous avez Ellice sous la main, faites-moi la grâce de lui dire que M. de Lavergne lui portera probablement une lettre de moi.
Quand Ellice, sera-t-il de retour en Ecosse ? Vous avez raison de regretter d’Haubersaert. Il n'y a pas un plus galant homme, ni plus sensé malgré son langage excessif. Il se plaît à choquer. Cela le fait détester de beaucoup de gens. Puisque vous parlez d'éclipse, il ne faut que de bien petits défauts pour éclipser de bien grandes qualités. N’ayez donc pas peur de l'éclipse. Le monde physique restera dans l’ordre jusqu'au jour où il finira ; et ce jour-là, ce n’est pas du monde physique qu’il conviendra d'avoir peur. Ceci soit dit sans vouloir vous faire peur de l'autre. Je trouve naturel que vous vous inquiétez de ce reçu de [Couth]. Vous le retrouverez. Vous êtes trop soigneuse pour l'avoir perdu. Vous l'aurez trop bien soigné. Vous avez moins de mémoire que d’ordre. Et puis, mention de vos actions et du reçu qu’il vous en avait donné, existe sûrement dans les livres de Couth. Il vous donnera un nouveau reçu si vous ne retrouvez pas le premier.
Voici mes seules nouvelles de Paris. " Il me semble que la démolition du Président suit son cours et qu’elle a fait de grands progrès depuis quelque temps. A Paris, l’opinion commence à se déclarer ouvertement contre lui. Ce dernier fantôme d'autorité s'en va, sans qu’il y ait rien, bien entendu, de prêt ni de possible à mettre à la place. Pour le moment tout le monde désarme ; la prochaine prorogation se fait déjà sentir. Mais tout le monde dit qu’au retour de l'assemblée, la guerre s’engagera très vivement. Nous aurons eu dans l’intervalle la campagne des Conseils Généraux où la lutte va recommencer sous une autre forme. "
Adieu, adieu. Je suis charmé que vous ayez eu un dîner bon et gai. Vous êtes sensible aux deux plaisirs. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 25 Juillet 1851

Une lettre de Constantin confirme la nouvelle d’hier sur le nouvel oukaze. Imaginez que c’est cette nièce rouge qui en est cause ! On a trouvé des correspondances entre elle & des professeurs de Dorpat. Je ne sais ce que va faire mon fils Paul, je crois qu'il faut qu'il aille en Russie. Comme il va être furieux.
Je vois que le vote de Lundi n’incommodera pas le ministère. J'en suis bien aise. C'est de la chicane. Comme cette assemblée se conduit sottement. Claremont me paraît plus sot encore. Ce qui m'en revient ici par Duchâtel me fait penser que le Président a là d’excellents auxiliaires. Duchatel & Marion partent demain. Ellice reste jusqu’à Lundi. Je ne sais rien encore sur les mouvements de ma grande duchesse. Je reste à mes premiers projets d’être à Schlangenbad le 2 août. Mais jusqu’à nouvel avis adressez toujours à Ems. C’est plus sûr.
La brochure de Gladstone est détestable. Il peut avoir de l’esprit ce n’est pas un homme politique, ni un futur ministre. Irait-il faire la guerre au roi de Naples, si demain il entrait aux affaires ? Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Vendredi 25 Juillet 1851

Une seule chose me paraît assez grave dans ce moment, c’est la prorogation de l'Assemblée. Je doute qu’elle vienne à bout de se donner les vacances qu’elle veut avoir autrement qu’en nommant et laissant une commission permanente. Et si cette commission ressemble à la dernière, qui peut prévoir ce qui arrivera ? Entre peu de gens qui n’ont rien à faire, on est bien plus tenté de se quereller ou de quereller autrui. Le Président, de son côté trouvera, je le crains, dans le général Magnan, un serviteur docile, et peut-être un tentateur. Il y a là des éléments de crise. L'assemblée, qui ne veut pas de crise, ferait mieux de s’arranger autrement. Je ne vois pas grande disposition à recommencer le pétitionnement pour la révision et je doute que les conseils généraux y soient bien vifs. Il y aura partout quelques personnes qui y prendront de la peine ; mais il n’est pas faute de tenir éveillé des gens fatigués qui ont envie de dormir.
Deux de mes journaux s'amusent à envoyer Thiers à Frohsdorf, en pendant de Berryer à Claremont. En attendant Thiers va aux Pyrénées.

10 heures
Merci de la lettre du duc de Noailles. Je suis fort aise qu’il soit content. Ce qui ne sert pas de grand chose aujourd’hui servira un jour. Si 1852 n’amène pas une crise, nous en aurons pour longtemps singulière nature que celle de ce pays-ci ! Avec son imprévoyance, et ses emportements il fait ses expériences plus lentement qu’aucun autre. On dirait qu’il veut aller jusqu’au bout de toutes choses.
Je vois que vous allez perdre vos Français Duchâtel, d’Haubersaert & & mais vous faites des recrues parmi les Allemands. Votre estomac me contrarie beaucoup. Est-ce que Kolb n'essaye pas quelques amers fortifiants ? Adieu.
Je n’ai vraiment rien à vous dire ce matin. Il ne m’arrive rien de Paris. Nous entrons dans une saison bien morte. Quand l'assemblée n’y sera plus du tout, de quoi parlerons-nous ? Je m'en consolerai si votre estomac va bien. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 23 Juillet 1851

J’ai été vraiment malade hier. J'ai laissé mon monde dans le salon & j’ai été me coucher ma nuit a été bonne & me revoilà sur jambes ce matin. Le temps est charmant. Les lettres de Paris disent que le rôle de Changarnier a révolté la chambre, se mettre avec Thiers & la Montagne contre ce qui est le voeu du pays & de la majorité ! Quelle conduite. Broglie en grande admiration du discours de Berryer et converti par son raisonnement. Les aînés valent mieux que les cadets. Vous dit-on cela aussi ?
Ellice va arriver. Marion part Samedi avec Duchatel. Les Metternich l'envoient chercher à Bingen. Ils l’attendent avec impatience. J'ai ici un neveu qui est bête et sa femme qu’on dit un peu jolie. Je verrai cela. demain. Je réponds au petit cousin. Je vous envoie la partie de sa lettre qui me plait tant. Je suis sure qu’elle vous plaira aussi. Vous me la renverrez. Adieu. Il fait très chaud aujourd’hui cela me convient. Adieu

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 22 Juillet 1851
Sept heures

J’ai lu attentivement tout ce débat. A tout prendre, il a été favorable à la révision et surtout à la Monarchie, succès bien éloigné et incertain ; succès pourtant, pour les hommes comme pour les idées. On m'écrit : " Le duc de Broglie est dans le ravissement du discours de Berryer. Il a dit à M. Molé : Puisqu’il en est ainsi, je n’ai plus d’objections contre la légitimité. Mais est-elle possible ? Dans tous les cas, Berryer, a levé mes scrupules. La liste des votants est curieuse à étudier ; les Montagnards, le Tiers-Parti, 21 pointus légitimistes, et 13 Régentistes, les deux derniers chiffres sont la mesure de l'influence de Thiers et de Changarnier. Aussi m'écrit-on : " Le Général Changarnier vient de faire une faute énorme. Sa passion contre le Président l’égare, et lui fera faire des énormités. J’ai bien peur qu’en 1852, il ne soit à ce point décrié que nous ne puissions en tirer aucun parti. " Voilà l’impression du lieu et du moment. On m'écrit encore : " La lettre du Prince de Joinville existe. Elle est moins mauvaise qu’on ne l'avait dit ; mais elle est mauvaise. Il y règne un ton d'ironie qui peut à bon droit, justifier les méchants propos de MM. Thiers et Duvergier. "
Notre pauvre ami Montebello a failli éprouver un grand malheur. La Duchesse a été très malade. Il y a trois jours, elle était en grand danger. On me l'a dit sauvée. C'était une inflammation d’entrailles qui, dans son état de grossesse avancée, pouvait devenir fatale. Montebello est rassuré. Il va écrire au Prince de Joinville. Je souhaite que sa lettre fasse quelque effet. Ou je me trompe fort, ou l’intrigue pour la candidature du Prince de Joinville à la présidence est ce qu’il y a de réel et d'actif au fond de tout ceci, dans le silence comme dans le travail de Thiers et de son monde.
Soyez tranquille, en tout cas ; vous pourrez aller chercher à Paris vos robes. Chercher, je veux dire retrouver. Je ne vois aucune chance de désordre matériel, si les apparences ne sont pas bien trompeuses, les rouges sont partout plutôt en déclin qu’en progrès, au moins pour le temps prochain. Soignez-vous bien à Ems, et rapportez un peu de force pour l'hiver. Le temps a l’air de vouloir devenir enfin un peu chaud. Je m'en réjouirai pour vous, pour moi, et pour les récoltes de Normandie.
Ma matinée d’hier a été pleine de visiteurs comme si mon gendre, en arrivant avait rouvert les portes de ma solitude, neuf personnes successivement de Caen, de Rouen et des environs. Tout le monde dit la même chose. Je ne sais ce qui sera au printemps prochain. Aujourd'hui, les élections seraient certainement assez présidentielles. Les Montagnards perdraient. Peut-être les légitimistes aussi. A cause de la politique et du langage des pointus ce qui rejaillit sur tous.
Vous seriez bien bonne de me faire, à Ems une commission, de me rapporter : 1° un petit caillou- Diamant du Rhin, monté en épingle ; 2° Deux garnitures de boutons pour gilets, en cailloux du Rhin. Quelque chose de semblable à ce que j'ai acheté là, l'an dernier. J'espère que cela vous donnera peu de peine en vous promenant. Onze heures Voilà votre lettre de jeudi. C'est bien loin en effet. Vous avez parfaitement raison de ne pas vouloir que Marion joue. Adieu, adieu. G
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