Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


Votre recherche dans le corpus : 209 résultats dans 3630 notices du site.
Collection : 1849 ( 19 Juillet - 14 novembre ) : François de retour en France, analyste ou acteur politique ? (La correspondance croisée entre François Guizot et Dorothée de Lieven : 1836-1856)

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
MF-G-L#012_00010.jpg

Val Richer, Lundi 3 septembre 1849
Sept heures.

On dit que Titus disait, quand il n'avait pas fait au moins un heureux, « J'ai perdu ma journée. » Moi, je crois qu'il disait cela quand il n'avait pas vu Bérénice. Quand votre lettre me manque, ma journée est perdue. J'ai beau faire ; je ne parviens pas à la remplir. J'ai beaucoup travaillé hier ; j'ai lu ; j'ai écrit de mon histoire ; j'ai écrit des lettres. Ma journée est restée vide. Peut-être votre lettre, que j'aurais dû avoir hier, contenait la feuille volante de Metternich, et les curieux auront eu envie de la lire. Je saurai cela ce matin. Ils auraient dû être un peu plus prompts à la lire que lui à l'écrire.
Je pense beaucoup à l'Allemagne, et soit que je veuille arranger l'avenir, ou seulement le prévoir, je ne me satisfais pas. Il y a là des éléments inconciliables entre eux et indestructibles les uns pour les autres, à moins d'un bouleversement général. Des petits États évidemment incapables, soit de contenter, soit de contenir leurs peuples, un grand État qui voudrait dompter les révolutionnaires chez lui, en restant populaire parmi les révolutionnaires du dehors, dont il a besoin pour absorber les petits États, et au moment même où il envoie des troupes pour empêcher ces révolutionnaires là de triompher chez eux. Des peuples qui, petits ou grands, révolutionnaires ou non, veulent jouir de la vie politique dont ils ont commencé à goûter, et se croient humiliés s'ils ne font pas, ou n'entendent pas autant de bruit qu'on en entend et qu'on en fait à Paris et à Londres. Des gouvernements qui ont encore toutes les habitudes du pouvoir absolu, et qui, en quelques mois, ont touché, et vont encore, aux dernières limites du radicalisme, car ils ont accepté le suffrage universel, ou à peu près. Ce sont là des confusions, des ambitions, des contradictions, des nécessités et des impossibilités dont je ne me tire pas. Certainement on ne sortira pas comme on est ; mais je ne crois pas qu'on redevienne purement et simplement comme on était, et je ne vois pas ce qu'on pourra être, ni même ce qu'on voudra essayer d'être.
Attendons. J'attends l'Allemagne et votre lettre. Si j'avais la lettre, je crois que j'arrangerais mieux l'Allemagne.
Onze heures
Voilà mes deux lettres. Et moi bien content. Vous recevrez aujourd'hui celle où je vous parle du choléra. C'est ma préoccupation habituelle pour vous à Paris. On me parle aujourd'hui de nouveaux cas. Je crois décidément qu'il faut attendre un peu.
Je ne comprends rien à ce que vous dit Montebello. Je n'ai pas reçu un mot, un seul mot de lui depuis que je suis ici. Je m'en suis étonné, et je crois vous l'avoir dit. Je vais lui écrire ce matin même.
Adieu, adieu, my dearest. Soignez-vous bien. L'orage ne m'a fait aucun mal. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
MF-G-L#012_00005.jpg

Val Richer, Dimanche 2 sept 1849
8 heures

J'ai encore appris hier deux morts de ma connaissance, par le choléra, à Paris. Deux personnes que vous ne connaissez pas du tout, mais de la classe riche. On dit en même temps que cela n'est pas grave et s'en va déjà. Un fort bon médecin, dont le nom, je crois, ne vous est pas inconnu, M. Rayer, est positivement de cet avis. Je le vois pour Mlle Chabaud, dont il a épousé la cousine. Je vous enverrai tous les renseignements qui m'arriveront à ce sujet. La recrudescence a été plus forte en ville que dans les hôpitaux. Ici, dans le pays environnant, il n'y en a aucune trace.
J'ai été surpris hier, à la promenade, par un violent orage que rien du tout n'avait annoncé. Il faisait très beau depuis deux jours. Je suis arrivé chez moi trempé, malgré les soins de Guillaume qui avait couru me chercher un parapluie dans une ferme. J'ai changé de tout, sous le feu d'un bon fagot ; j'ai bien dîné, très bien dormi, et je ne m'en ressens pas le moins du monde. Le soleil brille ce matin.

Palmerston ruiné m'étonne. Je lui croyais une conduite plus prévoyante et plus réglée. Quoiqu'il reçoive du monde, je ne lui vois pas un établissement ruineux. J'ai entendu dire, il est vrai, que les terres d'Irlande ne lui rapportent plus rien depuis longtemps, car il en employait tout le revenu en secours et en améliorations pour la population.
Je reviens sur une chose que m'a dite Dalmatie, et que je crois vraie. Indépendamment de la question ministérielle, il y aura, au retour de l'Assemblée et pendant sa session d'hiver, deux grosses questions, les deux seules, les finances et les lois sur l'enseignement. En matière de finances, la nécessité de remettre les impôts au niveau des dépenses est l'idée dominante dans le parti modéré ; idée très sensée et très honnête, mais de très difficile et très douloureuse exécution, car le suffrage universel ne permet rien en fait d'impôts, sinon de les réduire. Il y aura là un grand combat entre l'intérêt public et les intérêts privés, entre la nécessité et la timidité devant les électeurs. Les lois sur l'enseignement seront la pierre d'achoppement entre les deux fractions du parti modéré. Les légitimistes et les catholiques veulent avoir plus que le gros du parti modéré ne veut leur donner. La brouillerie qui a recommencé entre Thiers et Montalembert s'aggravera. Ce dont là les deux sources d'où il peut, dans l'intérieur de l'assemblée, découler des événements graves.
Onze heures
Pas de lettre. C'est bien ennuyeux. Heureusement demain n'est pas mardi. Mais c'est bien ennuyeux.Adieu. Adieu quand même. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L011_00428.jpg
Val Richer. Vendredi 27 Juillet 1849 6 heures

Ma journée d'hier a été une conversation continue. D’abord avec Salvandy, arrivé à 9 heures et demie, parti à une heure. Puis, avec Bertin et Génie, partis après dîner à 8 heures et demie. Presque toujours dans la maison, à cause de la pluie, vent, orage, grêle. Pourtant quelques intervalles lucides pour se promener en causant. Mon sol est promptement sec.
Salvandy très vieilli. Sa loupe presque doublée. Ses cheveux très longs, pour la couvrir, et très éclaircis, ce qui fait qu’ils la couvrent mal. Toujours en train, mais d’un entrain aussi un peu vieux. Il m'a dit qu’il réimprimait une ancienne brochure de lui, de 1831. Il fait de ses conversations comme de ses brochures. Il est à Paris depuis trois semaines, et y retourne aujourd’hui pour y rester jusqu'aux premiers jours d’août. Après quoi, il revient dans sa terre, à Graveron à 18 lieues de chez moi. Il viendra me voir souvent. A Paris il a vu et il voit tout le monde, excepté Thiers qui ne l'a pas cherché et qu’il n'a pas rencontré. Il raconte Molé, Berryer, Changarnier, le pauvre Bugeaud.
Molé plus animé, plus actif, écrivant plus de billets, faisant plus de visites donnant plus d’aparté que jamais. Président universel et perpétuel, de la réunion du Conseil d'état, de la société pour la propagande, anti-socialiste, de son bureau à l'Assemblée de je ne sais combien de commissions, de tout, excepté de la République. On a fait de lui une caricature très ressemblante, mais où on l'a vieilli de dix ans, avec cette devise : Espoir de notre jeune République.
Il était vendredi dernier à un dîner du Président, faisant les honneurs du salon à MM. S Marc Girardin, Véron, Jules Janin, Janvier & & C'est le dîner où Bertin a refusé d'aller. Le Président, en habit noir cravate blanche, bas de soie, tenue très correcte. M Molé en habit marron, cravate noire, et pantalon gris. Le plus heureux des hommes d’aujourd’hui fort sensé, fort écouté, fort compté, satisfait dans ses prétentions pour lui-même, espérant peu, se contentant de peu, et peu puissant pour le fond des choses. Laissant tomber l'idée de la fusion et s’attachant de plus en plus à la combinaison actuelle n'importe quelle forme nouvelle elle prenne tôt ou tard, car tout le monde croit à une forme nouvelle.
Les voyages du Président préoccupent beaucoup, en espérance ou en crainte. Il est très bien reçu. Il est très vrai qu'on lui crie : Vive l'Empereur et pas de bêtises ! M. Dufaure était un peu troublé à Amiens, et disait : "Je ne croyais pas ce pays-ci tant de goût pour l'autorité. " On se demande ce qui arrivera à Tours, à Angers, à Saumur, à Nantes, surtout à Strasbourg, où il ira ensuite, et qui paraît le principal foyer des espérances impériales. Je suis porté à croire qu’il n’arrivera rien. Tout le monde me paraît s'attendre à un changement et attendre que le voisin prenne l'initiative du mouvement. Point de désir vif, grande défiance du résultat, grande crainte de la responsabilité. Ni fois, ni ambition, ni amour, ni haine. On se trouve mal ; mais on pourrait être plus mal et il faudrait un effort pour être mieux. Et quel mieux ? Un mieux obscur, peut-être pas sûr, qui durerait combien ? Voilà le vrai état des esprits. Le Président ne pousse lui-même à rien. Ceux qui le connaissent le plus le croient ambitieux. Mais personne ne le connait. Il n’a un peu d'abandon. que pour faire sa confession de son passé. Le sang hollandais domine en lui. Il fera comme tout le monde ; il attendra. En attendant ses voyages et ses dîners le ruinent. Il ne peut pas aller. On va redemander de l'argent pour lui. Douze cent mille francs de plus. L'assemblée les donnera. Tristement, car l'état des finances est fort triste. M. Passy tarde à présenter son budget parce qu’il se sent forcé d'avouer, pour 1849, un déficit de 250 millions, & d’en prévoir un de 320 millions pour 1850. On espère ressaisir 90 à 100 millions de l'impôt sur les boissons. Mais comment faire un emprunt pour le reste ? Les habiles sont très perplexes.
La Hongrie n'est pas si populaire à Paris qu'à Londres. Toute l’Europe est impopulaire à Paris les révolutions et les gouvernements. On craint Kessuth et votre Empereur. On croit que c’est l’Autriche qui ne veut pas en finir avec le Piémont afin de tenir en occident une question ouverte qui puisse motiver l’intervention en Italie quand on en aura fini avec la Hongrie.
Il y a eu un temps, déjà ancien de 1789 à 1814, qui était le temps des confiances aveugles. C’est aujourd’hui le temps des méfiances aveugles, suite naturelle de tant de déceptions et de revers. Et la suite naturelle de la méfiance, c'est l'inertie. La France ne demande qu’à se tenir tranquille en Europe. Elle ne se mêlera des affaires de l'Europe qu'à la dernière extrémité, par force et toujours plutôt dans le bon sens, à travers toutes les indécisions et toutes les hypocrisies, comme à Rome. Le gouvernement de Juillet, qui n’a pas su se fonder lui-même, a fondé bien des choses, et on commence à s'en apercevoir. Sa politique extérieure surtout est un fait acquis que tout le monde veut maintenir. Et non seulement on la maintient, mais on en convient et bientôt en s'en vanterai. On m'assure, et je vois bien que comme Ministre des Affaires Etrangères, je suis déjà plus que réhabilité, même auprès des sots. Je vous quitte pour répondre autour Préfet du Havre qui m’a écrit la lettre la plus respectueuse et la plus heureuse que j'aie approuvé sa conduite. Il me dit : " En conformité du désir que vous en avez exprimé, j'ai l’honneur de vous apprendre que les individus qui avaient été arrêtés vendredi dernier ont déjà été relâchés à l'exception de deux que la justice revendique comme habitués de la police correctionnelle, et comme étant d'ailleurs coupables d'avoir joint à leurs cris stupides une tentative d’escroquerie chez un boucher de la rue de Paris. Votre approbation m’a été précieuse et m’a prouvé que j’avais eu raison de ne pas donner à cette ridicule gaminerie les proportions d’une émeute en l’honorant de la présence des baïonnettes citoyennes ou militaires. "

Je reçois beaucoup de lettres, des connus et des inconnus, des fidèles, et des revenants Bourqueney, de qui je n’avais pas entendu parler depuis le 21 février m’écrit avec une tendresse de Marivaux embarrassé : « Dites-vous bien, en recevant cette tardive expression de mon dévouement, que les cœurs les moins pleins ne sont pas ceux dont il n’était encore rien sorti. " Il a voulu dire : " que les cœurs dont il n'était encore rien sorti ne sont pas les moins pleins " Mettez cela à côté de ce billet que m’écrit Aberdeen : " It has been a great satisfaction to me, to see the universal respect and esteem with which you have been regarded in this country. At the same time, it has been to me a cause of sincere regret that I have been so little able to afford you any proofs of m’y cordial friendship during your stay among us. " Je ne le reverrais jamais, je l’aimerai toujours de tout mon cœur.
Merci de m'avoir envoyé le Morning Chronicle J’oublie mon sous Préfet du Havre. Je cause comme si j'étais dans mon fauteuil du Royal Hotel. Pauvre illusion ! Adieu. Adieu. Je vous redirai adieu après la poste. Que de choses j’aurais encore à vous dire.

Onze heures
Voilà votre lettre. Mais mon papier et mon temps sont pleins. Adieu, adieu. à demain. Que l’ancien demain était charmant. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L012_00324.jpg
Val Richer Vendredi 26 oct. 1849
7 heures

Tout est possible ; mais certainement le coup d'Etat, c’est-à-dire l'Empire, fait à la suite d’un mouvement vers la gauche, et de concert avec elle serait une des plus étranges et des plus sottes absurdités qui se pussent voir. L'Empereur serait à peine né qu’il verrait ce que c’est que d'avoir la gauche pour parrain. Il pourrait bien ne pas aller jusqu'à la naissance, et mourir dans l'accouchement. Je croirai cela quand je l'aurai vu. Il y a encore des choses, auxquelles je suis décidé à ne pas croire d'avance. Pour l'honneur de mon bon sens. Vous avez raison de ne pas en faire plus pour l’Angleterre que pour les autres. Pourquoi auriez-vous porté votre carte là et pas ailleurs. Les autres sont bien venus. Presque tous du moins. Vous ne connaissiez pas, ce me semble, d'Autriche. Hatzfeld m'étonne aussi. Sa femme est-elle à Paris ? Vous avez bien raison aussi de prendre garde aux Holland. Faites avec eux comme Cromwell, avec le Long Parlement ; s’en servir et s’en séparer. Il excellait à cela. Je vais chercher à arranger d'ici une manière que Piscatory aille chez vous. Il me semble que Montebello serait bon pour vous l’amener. Vous ne m’avez pas dit si vous aviez vu le Chancelier. Je sais qu'il est de retour à Paris. Et Madame de Boigne, y avez-vous été ? Comment avez-vous trouvé la vicomtesse de Noailles ? On est bien questionneur de loin. J’ai des nouvelles de Madrid. La principale bien triste. On dit que Narvaez est menacé, si ce n'est déjà atteint d’un cancer dans l'estomac. Ce serait grand dommage. Je vous ai dit, je crois, qu'il y avait, dans la lettre que j'ai reçue de lui dernièrement, un air de tristesse sur sa santé. On dit aussi que Thom va rentrer dans le Cabinet. Voilà Bulwer partant pour Washington. A-t-on jamais été plus battu et plus résigné, que Lord Palmerston dans cette affaire-là ?

Midi
La poste est très tardive aujourd’hui. Merci de la lettre de Beauvale que je n'ai pas encore vue. Je vois que Narvaez est rentré aussitôt que sorti. Adieu, adieu. Je ne me figure pas tout ce que nous nous dirons quand nous nous verrons. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L011_00593.jpg
Vendredi 24 août - 10 heures

Voilà donc les affaires de Hongrie terminées. J'en suis fort aise. Terminer pour la part Russe, non pour la part Autrichienne qui commence, et qui sera la plus difficile. L'affaire finit très bien pour l'Empereur. C'est lui qui a vaincu. C’est à lui que l’insurrection se soumet. Après avoir usé de sa force contre l’insurrection, usera-t-il de son influence pour la transaction, pour qu’elle soit sensée, et équitable, seule façon qu’elle soit durable ? Je ne sais pas du tout ce que la transaction doit être ; je ne connais pas assez bien les faits. Mais je suis sûr qu’il en faut une. Si la transaction était, comme la victoire, l'œuvre de l'Empereur, si la Hongrie lui devait l’une comme l’Autriche lui doit l'autre, ce serait grand et utile très impérial et très Russe. Cette fin du drame mérite qu'on reste assis pour y regarder. La satisfaction anglaise de n'être pour rien dans l'affaire de Rome ni dans l'affaire de Hongrie est un peu risible. L’inaction est quelquefois la bonne et la seule bonne politique. Mais quand d'autres ont fait là où soi-même on n'a rien fait, on peut être content, mais c’est un contentement dont en ferait. mieux de ne pas parler car il y a toujours, au fond, un peu de dépit que les paroles découvrent. En tout, il me semble qu'avec tout le monde, vous comprise, Lord & Lady Palmerston se remuent et parlent beaucoup. Cela n'est pas très digne, et cela n'indique pas des gens très satisfaits, ni très assurés dans leur situation.

3 heures et demie
Encore du monde. M. Janvier m’arrive pour 24 heures. Amusant ; rien de plus. Confirmant tout ce que nous pensons. Pas d'Empire. On n'en veut plus parce que cela aurait un air définitif sans l'être. On aime mieux le provisoire avoué. Peu m'importe que M. de Metternich voie dans ma lettre sur Rome qu'il s'est trompé une fois. Je ne serai même pas fâché qu’il voie que je le pense. Si c’est là la raison qui vous empêche de lui montrer ma lettre je suis d’avis que vous la lui montriez. Je serai charmé que Madame de Caraman fasse votre portrait, à condition qu’il sera pour moi. Elle y réussira peut-être mieux que Madame D. [?]. Essayez, je vous prie. Décidément il paraît que les voyages ne réussissent pas au président. Ses amis lui conseillent de n'en plus faire. Une bonne réception, dans une ville ne compense pas une mauvaise réception dans une autre. Il ne lui vaut rien qu'on le voie ainsi maltraité alternativement. Et quoi qu’il ne fasse pas de fautes, il ne fait pas non plus de conquêtes.

Samedi 25 onze heures
Pas de lettre ce matin. Evidemment on les trouve très intéressantes quelque part. Je ne suppose pas au rebond d'autre cause. C'est bien ennuyeux. Ma journée est gâtée quand ma lettre me manque. Adieu. Adieu. Adieu. Vous êtes bien heureuse. Vous n’avez pas encore eu cet ennui. Adieu, dearest. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L011_00379.jpg
Val Richer, Vendredi 20 Juillet 1849
2 heures

J'arrive. Point de lettre de Richmond. Ce n’est pas encore une inquiétude ; mais c’est un mécompte. Je suis sûr que le retard n’est pas de votre fait. Quelque curieux probablement. On me dit qu’il faut prendre garde au nouveau directeur de la poste de Lisieux. Je n'y prendrai point garde. On lira mes lettres si on veut. On y trouvera peut-être quelque amusement, peut-être même quelque profit. On n’y trouvera rien que je sois bien fâché qu’on ait lu. Si j’avais quelque chose à vous dire que je tinsse vraiment à cacher, je saurais bien vous le faire arriver autrement que par la poste. Faites comme moi. Ne nous gênons pas en nous écrivant. Nous n'avons aucune raison pour nous gêner, et nous avons assez d’esprit pour nous ingénier, si nous en avions besoin. Les gens d’esprit sont toujours infiniment plus francs et plus cachés que ne croient les sots.
J’ai passé ce matin du Havre à Honfleur, par une mer encore grosse. J’ai trouvé à Honfleur la calèche qui m’attendait, et je suis venu ici en quatre heures à travers la pluie sans cesse traversée par le soleil.
Ma maison et mon jardin sont en bon état, comme si j’en étais sorti hier. Des fleurs dans le salon, et dans la bibliothèque ; mes journaux sur mon bureau, les allées nettoyées les parquets frottés. Cela m’a plu et déplu. Tant de choses m'ont rempli l'âme depuis que je ne suis venu ici ; je ne puis me figurer qu’elles n'aient laissé ici aucune trace. Et puis cette tranquillité tout autour de moi, cette non interruption du passé et de ses habitudes, cela me plaît, et même me touche, car je le dois aux soins affectueux de deux ou trois personnes, amis ou serviteurs, qui ont pris plaisir à tout conserver ou remettre en ordre, et qui m’attendaient à la porte. J’ai rencontré beaucoup d'affection en ma vie ; je voudrais en être assez reconnaissant.
Je me suis vanté trop tôt hier en vous disant que je n’avais rencontré dans l’accueil du Havre rien d’agréable, ni de désagréable, de la déférence dans l’indifférence. Cela a un peu changé deux heures aprés. Cinquante ou soixante gamins se sont réunis sous les fenêtres de l’auberge où je dînais, et se sont mis à crier : « à bas Guizot ! » et à siffler. Cinquante à soixante curieux ou plutôt. curieuses se sont attroupés autour d’eux. Pas l’ombre de colère ni de menace ; une curiosité mécontente de ce que je ne paraissais pas entendre les cris, et une petite démonstration malveillante organisée par le journal rouge de la ville qui l’avait annoncée le matin en annonçant mon arrivée. J'ai dîné tranquillement au bruit de ce concert, et je suis descendu dans la rue pour monter dans la voiture qui devait me reconduire à l’auberge où je couchais. J’ai trouvé autour de la voiture une douzaine de gentlemen qui en écartant les gamins, l’un m’a dit d’un très bon air : " M. Guizot, nous serions désolés que vous prissiez ce tapage pour le sentiment de la population de notre ville ; ce sont des polissons ameutés par quelques coquins. Non seulement nous vous respectons tous ; mais nous sommes charmés de vous voir de retour et nous espérons bien vous revoir bientôt où vous devez être. " Et ses compagnons m’ont tous serré la main. Les gamins étaient là, et se taisaient. Je suis rentré chez moi, et une demi-heure après, j’y ai vu arriver ce Monsieur qui parlait bien avec cinq autres, qui venaient me renouveler leur excuses pour la rue et leurs déclarations pour eux-mêmes. L’un était le colonel de la garde nationale du Havre, l'autre le capitaine des sapeurs pompiers, deux commissaires de police de la ville et deux négociants. C'était une petite représentation de l'état du pays, les polissons aux prises avec les honnêtes gens, les vestes avec les habits. Et moi entr’eux. Cela n’avait pas la moindre gravité en soi, beaucoup comme symptôme. Rien n’est changé et je ne suis point oublié. Ce matin, sur le bateau du Havre à Honfleur, les gentlemen étaient en grande majorité et m'ont fait fête. On parlait du tapage d’hier soir. J’ai dit que j’avais trouvé au Havre des gamins et des amis. Quelqu’un m’a dit : " C'est comme partout, Monsieur ; mais soyez sûr que les amis dominaient. " A Honfleur, première ville du Calvados, plus de partage ; on est venu me voir dans le salon de l’auberge où je me suis arrêté un quart d’heure, et on a crié : " Vive Guizot ! " dans la rue quand je suis monté en voiture. Ce pays-ci est bien animé, et bien prompt à saisir les occasions de le montrer. Je n’en suis que plus décidé à rester bien tranquille chez moi. Il n’y a absolument rien de bon à faire, et ma position est bonne pour attendre.
J’ai eu au Havre d’autres visites encore Poggenpoll et Tolstoy. Poggenpol est la première personne qui soit entrée chez moi et avec un empressement, un air de plaisir à me revoir que je n'avais pas droit d'attendre. Tolstoy est venu le soir ; il était là pendant la visite des gentlemen amis. Il se trouve très bien à Ingouville, et compte y rester jusqu'à la fin de novembre. Très affectueux et vraiment très bon. Ses enfants sont à merveille. Je lui ai donné vos nouvelles de Pétersbourg et de Hongrie. A demain quelque chose de mes conversations avec les visiteurs de Paris.

Samedi 21, 9 heures
J’ai très bien dormi. J'en avais besoin. Mes bois et mes près sont vraiment bien jolis. Que n'êtes-vous là ? Je viens de relire encore votre lettre de mercredi, si tendre. Je compte bien en avoir une ce matin qui vaudra peut-être celle de Mercredi, mais pas mieux.
Je reviens aux visiteurs de Paris. Les deux principaux décidément très favorables au Président. On ne dit rien de l'avenir. Personne n'en peut rien prévoir, et n'y peut rien faire aujourd'hui. Pour le présent, et pour un présent indéfini, le président est à la fois unique et bon, seul possible pour l’ordre et vraiment dévoué à l’ordre. Point faiseur, point vain, silencieux, autant par bon sens que par peu d’invention et d'abondance d’esprit, entêté, fidèle, très courageux, ayant foi en sa cause et en son droit étranger en France, un vrai Prince Allemand. Partout les honnêtes gens se rallient à lui, et prennent confiance en lui. Mais ils n'en ont pas plus de confiance dans l'ensemble des choses et dans le régime actuel. Régime impossible et qui empêche qu'aucune prospérité, aucune sécurité, aucun crédit, aucun avenir ne recommence. Rien ne recommence en effet. En toutes choses chaque jour, on fait tout juste le nécessaire. Une société ne vit pas de cela. Il faut sortir de cet état. Quand ? Comment ? Le probable aux yeux de la raison, c'est qu’on ira comme on est jusqu'aux approches, des deux élections de l'Assemblée et du Président, et qu'alors on prendra son parti, un parti inconnu, plutôt que de subir une nouvelle épreuve du suffrage universel. Mais ce n'est pas là le probable en fait. Les choses vont plus vite dans le pays-ci. La souffrance, l’impatience et la défiance sont trop grandes. Il arrivera quelque incident qui déterminera quelque acte décisif. Peut-être une prolongation pour dix ans de la présidence, et une refonte de la constitution. Deux choses seulement peuvent être à peu près affirmées ; que la phase actuelle, la phase présidentielle n’est pas près de finir, et qu’elle ne restera pas comme elle est aujourd’hui. Ceci vous conviendra assez ; ce n'est pas bien loin de votre prévoyance, en voyant de loin.
L'impression générale de mes visiteurs surtout du Duc de Broglie toujours très sombre. Moins sombre pourtant au fond de son âme que dans ses paroles. Je reviendrai sur les détails, et sur les autres dires. J’ai trois ou quatre lettres d'affaires à écrire et le facteur qui va arriver ne m'attendra pas tout le jour, si je veux, comme jadis. Cependant il est convenu qu'il attendra une heure chez moi. Cela me suffit. Adieu. Adieu.
Je vous dirai encore un mot, quand j'aurai votre lettre.

Dix heures et demie Voilà votre lettre de jeudi bien bonne, bien douce. Mais, pour Dieu, ne soyez pas malade. C’est à quoi je pense sans cesse. A vous toujours, à vous souffrante, beaucoup trop souvent. Adieu. Adieu. A demain, hélas, seulement pour vous écrire. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L012_00278.jpg
Val Richer, Vendredi 19 oct. 1849
Sept heures

Vous avez toute raison ; arrangez votre vie ; faites y entrer comme il vous convient, les personnes qui sont à la fois indifférentes et importantes. Que chacun vienne et prenne place. Cela se fera plus aisément et plus surement moi n’y étant pas. Je viendrai quand ce sera fait et nous en jouirons ensemble. On ne sait pas combien on peut lever de difficultés et concilier d'avantages avec un peu d'esprit, et de bon sens, en se laissant mutuellement l’espace et le liberté nécessaires pour agir, et pour réussir. Chacun pour soi, et pour soi seul, c'est l’égoïsme, la solitude dans la glace ; chacun par soi-même et selon sa propre situation, c’est la dignité et le succès ce qui ne nuit en rien à l'affection. Je reviens à mon désir du moment. Je suis bien curieux de votre impression sur Paris et sur la situation actuelle. Si j'en crois ce qu’on m’écrit, il se prépare bien du nouveau quoique du nouveau très naturel. J’aime assez le nouveau ; mais le nouveau qui mène à l’inconnu, celui-là est sérieux. Vous ai-je dit, ou savez-vous que, lord Normanby est très assidu chez Madame Howard ; et que c’est surtout par elle qu’il agit sur le Président ? En Angleterre comme ailleurs et en haut comme en bas, il y a des gens pour tous les métiers. Je vois que Bulwer vient de faire nommer son neveu attaché à Washington. Il se dispose probablement à partir. Au fait, il n'y a pas grand mal, malgré votre intérêt pour lui, à ce que justice soit un peu faite de Bulwer. Un peu d'ennui est un châtiment convenable pour tant d’intrigue. Le mal, c’est que justice ne soit pas faite aussi du patron qui l'a jeté à l'eau. Viendra-t-elle un jour ? J'imaginais que, puisqu'elle vous invitait si tendrement à Brocket-hall, Lady Palmerston serait venue vous voir à Londres avant votre départ. Il paraît que la tendresse n'a pas été jusque là. Je compte bien apprendre tout-à-l'heure que vous avez passé. Vous m'aurez écrit quelques lignes de Boulogne. Il a fait si beau ! J’ai joui du soleil sur terre et sur mer.

Onze heures
Vous voilà en France. La mauvaise traversée me déplait beaucoup. Mais enfin c’est fait, et vous n’êtes pas malade, vous êtes arrivée hier à Paris. J’aurai demain de vos nouvelles de là. Adieu, adieu, adieu. Adieu. C'est de bien loin. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L011_00554.jpg
Val Richer Vendredi 17 Août 1849
Une heure

C’est certainement pas grave, et parce qu’il me connait, que Lord Nugent ne m'a pas accolé à Metternich, dans cette intrigue contre Lord Palmerston, " fostered by the criminals whe have been ejected from their own countries by revolutions. " Lord Nugent est un type de l’honnête et grossier badaud libéral. Je ne crois pas que ces meetings et ces discours troublent beaucoup Lord John. C’est une manière d’attirer ou de retenir dans le camp ministériel des radicaux toujours enclin à faire de l'opposition. Palmerston est un recruteur qui va dans des quartiers ou ses collègues ne vont point. Ces meetings ne peuvent déplaire qu'à ceux des Ministres qui ne veulent réellement pas de la politique de Palmerston et voudraient se défaire de sa personne. Mais Lord John n’est pas de ceux-là, moins unscrupulous que lord Palmerston, et plus retenu par la responsabilité de chef, mais, au fond, de son avis.
Je regrette de ne pouvoir vous envoyer le Mémoire publié par M. de Lesseps sur sa mission de Rome. C'est assez curieux quoique très médiocre, et concluant contre lui. Sa conduite a été simplement le reflet des faiblesses de ses chefs de Paris ; faiblesses qui l’ont fait croire au triomphe des rouges. Il est justement puni ; mais d'autres devraient l'être comme lui. Les Lenormant sont partis ce matin fort peu légitimistes, mais bien engagés, et assez influents dans le parti catholique. La brouillerie de Thiers et de Montalembert, leur plaît et ils pousseront à ce qu’elle soit prise au sérieux. Ils reprochaient fort, à Montalembert de se laisser prendre par Thiers.
On me dit aussi ce que vous écrit Lady Holland, que Molé est désolé de cet incident et dit qu’il ne sait plus d’où peut venir le salut. Toutes les dissentions dans le parti modéré tourneront au profit du président, et du Statu quo jusqu'à l'approche des nouvelles élections. Et si le Statu quo va jusque-là, les élections seront perdues, et Dieu sait quoi après. La réflexion me plonge toujours dans le noir ; il n’y a que l’instinct qui m’en défende. M. Fould a quelque esprit à force d’égoïsme, et point de jugement à force de pusillanimité. Il est bon à vous donner des nouvelles de Paris. Il les reçoit plutôt que personne. Pas bon à autre chose, et ne lui dîtes que ce que vous voulez qu'on redise. Vous avez raison de le trouver bien laid. Lui et Crémieux sont les plus bassement laids des juifs, par conséquent des hommes.

Samedi 7 heures
Je me lève. Le soleil est superbe. Si je n’aimais pas mieux vous écrire, j'irais me promener. Dites-moi pourquoi, ou pour qui Mad de Caraman reste à Richmond. Est-ce pour lord Lansdowne ? Tirez-vous d’elle dans le tête-à-tête un peu de conversation moins arrangée et moins complimenteuse ? Voici une lettre que je reçois d'une Ecossaise, Miss Stirling, excellente personne, que je connais depuis longtemps, très bonne musicienne, par exception ce qui fait qu’elle s’intéresse beaucoup à Chopin qui lui a donné des leçons. Chopin est réellement un habile artiste, parfaitement étranger à la politique et fort malade. Pouvez-vous quelque chose pour la charité qu’il demande ? Je ne répondrai que quand vous m'aurez répondu. Après le départ des Lenormant j’ai passé hier ma journée seul, sauf quatre visites pourtant. Mais enfin, je n’avais personne chez moi, j'ai dîné et je me suis promenée sans hôtes. Cela m'a plu. La liberté de la solitude me plaît. Il n’y a que l’intimité qui vaille mieux. Le procès de Madame Lenormant pour les lettres de Benj. Constant à Mad. Récamier va recommencer. Girardin et Madame Colet en appellent. Derrière les lettres de Benj. Constant à Mad. Récamier, il y a pour Girardin un autre intérêt. M. de Châteaubriand a écrit dans ses Mémoires d'Outretombe, un livre (le 10e) entièrement consacré à Mad. Récamier. Le manuscrit de ce livre daté et signé de la main de M. de Châteaubriand, a été donné par lui à Mad. Récamier pour qu’elle en fit ce qui lui plairait et il a mis en même temps dans son testament que toute autre copie de ce 10e livre n’avait aucune valeur, et ne pourrait être public. Mad. Lenormant à l’exemplaire donné par M. de Châteaubriand à Mad. Récamier et n'en veut, comme de raison, aucune publication. Girardin s'est procuré, par un secrétaire de M. de Châteaubriand des fragments, brouillon en copie de ce Livre. Il paye ce secrétaire pour qu'il étende les fragments avec ses souvenirs ou de toute autre manière, et il tient beaucoup à publier ce 10e livre, sans lequel les Mémoires d’outre tombe de son journal seraient incomplets. Le jugement qui vient d'être rendu sur les lettres de Benj. Constant à Mad. Récamier, lui rend cela impossible s'il subsiste. Voilà pourquoi il appelle Mad. Lenormant espère bien gagner son procès en cour d'appel. Elle est très mécontente de la façon dont Chaix d’Estange a planté pour elle. Par ménagement pour Girardin, Mad. Colet, M. Cousin le chansonnier Béranger &, il n’a pas fait usage de plusieurs moyens et pièces curieuses qu’elle lui avait remis. Mad. Colet est une drôle de personne. Naguères fort belle, grande forte une quasi Corinne provençale. Elle a été au mieux avec M. Cousin on prétend même qu’il y a entre eux deux petits cousins. Elle a donné un jour un soufflet à M. Alphonse Karr (l’auteur des Guêpes) parce qu'il avait dit quelque chose dans ses Guêpes sur M. Cousin et sur elle. Il n'y a pas plus à plaisanter avec elle qu'avec M. Pierre Bonaparte. Il y a dans le 10e livre de M. de Châteaubriand des lettres insérées de beaucoup de personnes à Mad. Récamier ; entr’autres quinze lettres de Mad. de Staël. Bien des gens désirent donc que ce livre ne soit pas publié. Adieu jusqu’à la poste. Adieu, Adieu.

Onze heures
Pour Dieu, ne continuez pas à être souffrante. Et dites-moi ce que vous aura dit M. de Mussy. Adieu. Adieu. Je vous parlerai demain de Rome. Adieu, dearest. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L012_00247.jpg
Val Richer, Vendredi 12 oct. 1849
huit heures

Ceci va donc vous chercher à Clarendon. Je suis allé vous y chercher il y a dix huit-mois, et neuf jours dans la voiture de Lady Allice ; deux heures après mon arrivée à Londres. Quel long espace dans notre courte vie ? Je comprends que Metternich et Wellington, ne se soient pas dit adieu sans émotion. Ils n’y sont pas fort sujets ni l’un ni l’autre, mais il n’y a point de cœur si froid qui résiste à toutes les scènes de la tragédie humaine. C’est sur eux-mêmes d'ailleurs qu’ils se sont attendris. C'est ce qui finit par arriver à ceux qui ne s'attendrissent sur personne. Il y a tant de quoi avoir pitié dans la vie ! On connait tôt ou tard ce sentiment, pour soi-même, si ce n’est pour les autres. Je suis charmé que vous soyez plus tranquille sur Constantinople. Il n’y a vraiment pas moyen de croire à cette guerre. C'est dommage que l'Empereur ait fait une telle boutade. A moins qu’il ne la retire en en tirant parti. Je suppose qu’il finira par là. Avez-vous lu la lettre de M. de Tocqueville à M. Rush à propos du Poussin de la République aux Etats-Unis ? Je l'aurais mieux aimée autre. Il y a un peu de petit épilogage pour couvrir un peu de faiblesse. Il y avait plus de dignité à convenir franchement et brièvement la grossière bêtise de l’agent qu’on venait de rappeler. Je regrette de voir un homme d’esprit et un galant homme engagé dans un mauvais service, et portant la peine. Boislecomte m’a écrit pour me demander à venir me voir. Il viendra passer ici lundi et mardi. Nous causerons. Il a précisément un esprit de conversation prompt et fécond ; des aperçus à l'infini, et en tous sens. Il ne sait pas toujours bien choisir, ni voir bien clair dans toutes les routes qu'il ouvre, son attitude est très bonne. Certainement après Février, mon régiment s’est fait et m'a fait honneur. Repassez les noms et les conduites. Broglie, père et fils, Flahaut, Dalmatie, Rossi, Bussierre, Bacourt. La Rochefoucauld Piscatory, Glücksbierg, Jarnac. Il n'y a que Rayneval qui ait faibli bien vite. J’espère que Marion viendra vous voir à Londres avant que vous n'en partiez. Est-ce qu’il n’y a vraiment pas moyen de les attirer à Paris ? Vous devriez mettre Bär Ellice dans ce complot. Mais vous ne l’avez pas sous la main. Adieu jusqu'à la poste. Je vais faire ma toilette. Adieu, adieu.

Onze heures
Vous partez donc mardi. Malgré toutes les incertitudes de l'avenir, j'en jouis et j'en jouirai comme si je comptais sur l'éternité. Adieu. Adieu. Voici le billet que je reçois de Guéterin. Il n'y a pas de mal que vous l’ayez. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L011_00507.jpg
Val Richer, Vendredi 10 août 1849
7 Heures

M. Guéneau de Mussy m'écrit: « Mad. la Princesse de Lieven avait surtout besoin d'être rassurée. J’espère y avoir réussi. Un malheureux cas de choléra avait jeté l'effroi dans Richmond, et le médecin de l'endroit n’avait rien trouvé de mieux à faire que de répandre l'alarme chez les habitants et leur dire de se sauver au plus vite. J’ai d’abord engagé la Princesse à n'en rien faire et à s'estimer très heureuse, par le fléau qui court d'habiter un endroit où il n’avait frappé qu’un individu. Elle s'est mise au Star and Garter où l’air est plus vif et lui convient mieux. Je lui ai conseillé de prendre plus d’exercice. Comme il arrive souvent aux personnes chez qui les affections morales et les occupations intellectuelles remplissent la vie, le système nerveux oublie, pour ainsi dire, les fonctions animales, ou s’en occupe avec négligence. Il faut le rappeler à ses devoirs en exerçant la machine. C’est ce que la Princesse m’a promis de faire. La reconnaissance que je garde de son accueil se porte, Monsieur vers une personne à laquelle je serais trop heureux de témoigner en toute occasion le dévouement entier qu’elle m’inspire. Votre lettre du 3 août, m'est arrivée trop tard pour que ma réponse pût partir hier. Je ne ferme la mienne que ce matin pour vous envoyer des nouvelles toutes fraîches de le Princesse que je quitte et que je laisse en très bonne santé. Vous pouvez compter que mes soins ne lui manqueront pas. "
Il me donne, sur Clarencourt, quelques détails qu’il vous a sans doute dits; et il ajoute : « La famille royale me congédie avec une facilité qui m’attriste et me satisfait plus encore. Elle me donne une dernière marque de confiance en me déclarant qu’elle ne prendra jamais que le successeur de mon choix. Je ne sais si je le trouverai. "

J'ai ri de l’histoire de Duchâtel et j'y crois. J’ai rencontré plusieurs fois chez lui cette Miss Mayo, avec sa tante Lady Gurwood ( Est-ce Lady ou Mistriss ?) veuve du colonel de ce nom qui a publié les dépêches du Duc de Wellington dont il avait été l’aide de camp. Toutes deux jolies, hardies, et vulgaires. A Londres et à Paris. cela peut aller ; la foule couvre tout. Mais il a tort s'il l’emmène à la campagne. Dans l’isolement et l’oisiveté de la campagne les voisins ne passent pas même ce que le ménage tolère.
Lord John n'y pense pas de vouloir que la République réduise son armée. Ce n'est pas contre les Russes qu'elle a besoin de 60 000 hommes à Paris. Les réductions qu’elle pourrait faire seraient financièrement peu importantes, et produiraient moralement un effet qui couterait bientôt beaucoup plus cher. La liberté et l'économie deux choses auxquelles, il faut renoncer aujourd’hui. Et quant à la stabilité, que Lord John se désabuse également ; et peut-être un peu vous aussi ; l'Empire ne la donnerait pas plus, peut-être moins que la République. Ce serait un mot et point un fait. Pas d'Empereur, et pas de dynastie. Avez-vous entendu parler des ouvertures de mariage qui ont été faites de divers côtés ? à Stuttgart, à Stockholm. Partout on a éludé. Son oncle gagnait des batailles, quand on avait éludé avec lui. Je doute qu’il en fasse autant. Et il me paraît avoir le bon sens de ne pas le tenter.

Onze heures
Voilà votre lettre. Montebello prend un long détour pour m’arriver. Adieu. Adieu. Je suis fâché pour ce pauvre Ragenpohl. Il m'écrit pas du tout l'air à la paralysie. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L011_00513.jpg
Val Richer Vendredi 10 août 1849
6 heures

J’ai oublié ce matin le vendredi et j’ai fait mettre ma lettre à la poste comme si vous deviez la recevoir Dimanche. Vous aurez deux volumes lundi au lieu d'un. Je reviens de la promenade avec mes hôtes, trois personnes que vous ne connaissez pas et René de Guitaut, le faire de Mad. Bresson. Joli et intelligent jeune homme, qui n’a rien fait pour être replacé, mais qui aurait assez envie de l'être. Il dit que M. Drouyn de Lhuys était très peu bienveillant pour lui, et pour tous mes protégés de prédilection : mais que M. de Tocqueville est beaucoup mieux, et le dit.
Il m'a amusé, et attristé, en me parlant de sa sœur. " Elle a beaucoup gagné, m'a-t-il dit, au moral et au physique, depuis la mort de son mari, Certainement, elle ne se remariera pas. Elle avait accepté le joug de Bresson, qui n’était pas commode. Elle l'aimait. Mais elle n’en acceptera aucun autre. Elle est forte et fière, et jouit beaucoup de son indépendance. " Evidemment le plaisir de la liberté, surpasse dans Mad. Bresson, le regret du bonheur. Bossuet dit quelque part : " Ainsi s’en vont les amitiés de la terre avec les années et les intérêts. " Je reconnais ces vérités communes générales. Je ne les et jamais acceptées, je ne les accepte point comme universelles. Je ne me fais point d'illusions sur le gros de la nature, et de la condition humaine ; mais je crois aux cœurs, comme aux esprits d'élite ; il y a de grandes affections comme de grandes idées, et tout ne se passe pas et ne passe pas pareillement dans toutes les âmes, si je n’avais pas cette confiance et cette expérience là je pourrais cacher, (il le faudrait bien), mon incurable tristesse et mépris de toute personne et de toute chose, mais je vivrais dans un complet isolement intérieur. De toutes les médiocrités, celle des affections est la seule que je ne puisse pas tolérer.
J’ai eu beaucoup de monde toute la matinée ; quatorze gros bonnets d’une petite ville des environs venus en masse, et de Caen le meneur des légitimistes les plus vifs, l’ami intime de Charles de Bourmont, homme d'assez d’esprit et qui a le verbe haut dans le pays. Je suis le même avec tous ; langage très ouvert conduite très réservée ; rien à cacher et rien à faire. L’idée de me nommer au Conseil général court toujours, bien accueillie par la masse de la population repoussée par les gros timides et les rivaux cachés. Anciens rivaux de Paris actifs partout et en toute occasion, quoique affectant une très bonne apparence. Evidemment, ils ne doutent plus que jamais de me revoir sur la scène et feront tout ce qu’ils pourront pour m'en fermer toutes les portes. Je ne me prête point à leurs manœuvres, ni ne m’en défends. Je laisse faire le public et le temps, si je dois revenir, c’est par ces deux forces là seules que je dois et que je puis revenir comme il me convient. Je ne crois pas au Conseil général.

Samedi 7 heures
Voilà M. de Guizard qui m’arrive, l’ami intime de M. de Rémusat. Je sais qu’il voit tous les jours Thiers et sa coterie. Il m'apprendra beaucoup de petites choses. Assez d’esprit et vrai gentleman.

Onze heures Moi aussi, je reçois chaque matin votre lettre avec un plaisir nouveau. Autre chose serait encore plus nouveau et encore mieux. Adieu, Adieu, adieu. Dearest, ever dearest. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L012_00420.jpg
Val Richer, 9 novembre 1849
7 heures

Je vous ai dit hier tout de suite que mes lettres m’engageaient plutôt à revenir bientôt. Je suis charmé que Sainte-Aulaire et le duc de Noailles soit de cet avis, vers la fin de la semaine prochaine, nous serons réunis. Je ne puis fixer encore un jour précis. Je vous répète ce que je vous ai déjà dit hier, pour le plaisir de me le redire à moi-même. Ceux qui m’écrivent croient à une halle dans la station actuelle. Et ils la désirent. Personne n’a envie de fondre la cloche. Le Président est évidemment le plus décidé. C’est sa force. Voici ce qu’on me dit de Thiers, de visu (vous savez ce latin là) : " Très inquiet et très perplexe. Il prétend que, si le Président. veut tenter un coup d’Etat, l’assemblée résistera, et aura l’armée pour la défendre. Cela paraît fort douteux. Et d'ailleurs que ferait l'assemblée de sa victoire ? Au fond M. Thiers commence à avoir le sentiment de son impuissance, et il en est très humilié. Pour l'avenir, il en est toujours au même point. Il ne se dissimule aucune des difficultés de la régence ; mais il ne veut que cela. Il paraît plus décidé que jamais contre la fusion, et ce qu’on appelle la conciliation des deux branches. " On tient le refus de Rayneval pour certain et on parle de Lagrené. Je suis bien aise que vous ayez fait connaissance avec le général Changarnier. Vos nouvelles d’Espagne me déplaisent bien. Elles sont de bonne source. Tout est possible là, et la mauvaise santé de Narvaez peut lui ôter de l’entrain. Je ne sais si je vous ai dit que j’ai été frappé du ton, non pas découragé mais un peu abattu de la lettre que j’ai reçue de lui il y a quelques semaines. Si la petite Reine prend le mors aux dents, Dieu sait où elle ira. Savez-vous ce que prouve (si le fait est vrai) le retour de la presse Anglaise à Lord Palmerston ? Qu'on le sait aux prises, et seul aux prises avec vous. Je vous ai envoyé un extrait d’une lettre remarquable de Londres, où l’on me disait que l’incident Turc avait montré combien peu de fond il fallait faire sur le concours de la république française. Le public anglais, et la presse anglaise. la grande, soutiendront toujours un ministre engagé ; et engagé seul, dans une telle lutte. Ils le soutiendront sans crainte, car évidemment la guerre n’est pas au bout de cette lutte-là. Mais c'est une question d'influence, de dignité. On ne livrera pas Palmerston sur une telle question. On l’appuiera. Et au fond d'ailleurs, dés que cela devient un peu sérieux, l’Angle terre est infiniment moins russe que la France. Je dis l'Angleterre, le public anglais. M. Jaubert est donc redevenu votre voisin. Faîtes lui, je vous en prie, mes amitiés quand vous le verrez. Il n'y a pas un homme plus sincère, plus honnête, ni plus courageux. Je le pensais quand nous étions brouillés comme quand nous étions amis. Et j'ai toujours trouvé absurde que nous fussions brouillés. Il y a quelques personnes avec qui je serai charmé de n'être plus officiellement. brouillé. Madame de la Redorte par exemple. Je prenais plaisir à causer avec elle pour la contredire. J’espère qu’à présent, nous serons souvent du même avis.

Onze heures et demie
Merci, merci, Tout ce que je reçois me confirme dans mes projets. Adieu, adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L012_00037.jpg
Val Richer Vendredi 7 sept 1849

J’ai déjeuné hier avec dix huit personnes, quelques une venues de Rouen, de Trouville et de Paris. J’ai été frappé de l’uniformité de leur langage. Elles disent que, dans les villes, dans la bourgeoisie, Henri V et le comte de Paris ensemble gagnent beaucoup de terrain ; dans les campagnes, l’Empereur. Les paysans ne veulent de la légitimité, ni de la République. Je parie toujours, d’ici à assez longtemps, pour le statu quo, ou à peu près. Mais le sentiment de l’instabilité domine évidemment toujours dans les esprits. Il renait pourtant une peu de prospérité. Rouen, Le Havre, Lyon, sont contents. Quand l’Assemblée se réunira, le cabinet pourra se targuer de la tranquillité publique pendant l’entracte, du silence des Conseils généraux et de la renaissance des Affaires. C’est assez, ce me semble, pour ralentir l’attaque. Il y avait là hier, deux membres de l’Assemblée qui disaient tout haut : " Si nos gros bonnets veulent prendre le pouvoir, nous renverserons le cabinet sur le champ ; sinon, ce n’est pas la peine. " Il ne me revient sur les dispositions de Molé et de Thiers, que ce que je vous ai déjà dit. On évalue, dans l’Assemblée, les rouges à 200 ; le tiers-parti, amis de Dufaure à 150 ; décidés, légitimistes ou Orléanistes à 400. Je n’ai rien de plus dans mon sac pour l’intérieur. Au dehors, je sais que Georgey est déjà gracié. J’en suis charmé. J’ai peu de confiance dans la magnanimité par habilité. Au reste, les affaires de l’Autriche en Italie, bien que plus simples et plus finies en apparence que les affaires en Hongrie, me semblent, au fond, plus mauvaises et moins finissables. Je comprends une vraie pacification entre l’Autriche et la Hongrie ; il y a là des bases d’arrangement, une semi-indépendance, une constitution ancienne et reconnue, et qui peut être rajeunie. Entre l’Autriche et la Haute Italie, il n’y a que de la force ; point de passé autre que la conquête ; point de droits naturellement acceptés. La force est probablement très suffisante pour rester. Mais rester, ce n’est pas pousser des racines ; et il faut des racines, surtout de notre temps où les orages sont toujours à prévoir. Il y assez de mauvaise humeur en effet dans le billet de lord John. Je crois, comme vous, qu’on ne s’épargnera pas pour vous brouiller, et qu’on n’y réussira pas. Ce serait trop bête. Pour vous, vous avez beau jeu à être patient. Et pour l’Autriche, elle ne peut se rétablir que par la patience. Je ne la connais pas assez bien pour savoir. Quelles sont les ressources de régénération intérieure. Je suis porté à croire qu’elle en a, qu’elle se relèvera. Mais il faut qu’elle se relève. Sans quoi, ce sera lord John qui aura raison, et vous serez vis à vis de l’Autriche, comme vis-à-vis de la Turquie et de la Perse, des protecteurs-héritiers. Le monde sera curieux à voir dans un siècle ou deux. Il aura résolu bien des problèmes.
Je rentre dans le Val Richer. J’y attends demain D’Haussonville. J’y ai aujourd’hui Lady Anna Maria Domkin qui me raconte des commérages de Richmond, Madame de Caraman cherchant un mari anglais et disant aux personnes qui lui demandent pourquoi elle n’en prend pas un : « Ma vie est voué aux arts. » Elle (Lady Anna-Maria) s’étonne que vous vous plaisiez à Richmond, entre Lady Alice Peel, Madame de Metternich et les Berry. J’ai défendu vos sociétés et dit du bien de Lady John. Votre lettre à lord John est très bien tournée. Vous avez le don de la malice dans la franchise.

Samedi 8 Sept heures
Je relis votre lettre. Je voudrais précisément vous demander des nouvelles de Marion. Faites-lui, je vous prie, toutes mes tendresses, mes anciennes et constantes tendresses. Je ne puis souffrir ces longs silences, ne point parler et ne rien entendre des personnes qu’on aime, comme si l’amitié n’était plus ou si la mort était déjà là. Interrompez cela pour moi, de temps en temps, avec Marion. C’est vraiment bien triste que ses parents ne veuillent plus de Paris. Est-ce qu’elle ne pourrait pas, elle, y venir passer six semaines ou deux mois avec vous, quand vous y serez, pour sa santé ? Comment va Aggy ? Je suis sûr que vous ne faites pas attention au concile provincial qui va se tenir à Paris. Vous avez tort. C’est un événement. Soyez sûr que les questions religieuses reprendront en France une grande place, ne fût-ce que parce qu’on n’en a pas parlé depuis longtemps. Les libertés politiques pourront souffrir de tout ceci ; les libertés religieuses, non. Celles-là seront nouvelles, et sacrées. Et elles fourniront, autant que les autres, de quoi parler et se quereller.
Avez-vous remarqué ces dernières paroles de Manin quittant Venise : « Quoiqu’il arrive, dites : cet homme s’est trompé ; mais ne dites jamais cet homme nous a trompés. Je n’ai jamais trompé personne ; je n’ai jamais donné des illusions que je n’avais point ; je n’ai jamais dit que j’espérais lorsque je n’espérais pas. » C’est bien beau. Je m’intéresse à cet homme-là.
Onze heures
Votre lettre arrive, plein d’intérêt. Si ce que vous dit Marny est vrai, le changement de cabinet sera un événement. Adieu, adieu. Adieu, G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L012_00210.jpg
Val Richer, 5 octobre 1849

Ce que vous me dites de la différence qui existe entre les demandes de l’Autriche et les vôtres me frappe, et me confirme dans ma première conjecture. Vous ne voulez pas, aujourd’hui, la ruine de l’Empire Ottoman ; mais vous voulez mettre une bonne occasion à profit pour faire un grand pas. Vous demandez péremptoirement l'extradition, au nom de la lutte contre les révolutions. Si la Turquie vous l'accorde c’est un grand coup sur les révolutionnaires ; si elle vous la refuse, c'est une grande raison, et très plausible, pour prendre vous-même vos suretés. Et vos suretés, c’est l’occupation forte et permanente des Provinces Danubiennes qui couvrent vos frontières, et sont contre vous, le foyer de révolution. Vous ne vous les approprierez pas encore tout de suite et d’un seul coup ; mais vous vous y fortifierez, vous vous y établirez ; vous les gouvernerez, provisoirement encore, mais vous-mêmes et en votre propre nom. La Turquie payera ainsi les frais du secours que vous avez donné à l’Autriche, et vous lui prendrez, en provinces les garanties qu'elle vous aura refusées en réfugiés. Et l’Europe ne vous fera pas la guerre pour cela, tandis que si vous attaquez la Porte pour Bem et Kossuth l’Europe la défendra peut-être, probablement même. Si vous attaquez la Porte pour Ben et Kossuth, l’Europe verra là la ruine de la Porte, et de votre part un parti pris de la détruire. Elle ne veut pas souffrir cela. L’Europe est accoutumée au contraire à vous voir avancer et grandir dans les provinces danubiennes. Et même résignée, au fond, à vous y voir établir en maîtres définitifs, car elle regarde cela comme inévitable. Le temps des longues prévoyances et des résolutions fortes prises, en vertu des longues prévoyances est passé pour l’Europe occidentale. La France ne pense plus à cette grande politique et l'Angleterre n'en veut plus. Vous pouvez faire tout ce qui exigerait. que la France et l’Angleterre, pour vous en empêcher adoptassent et pratiquassent de concert cette politique là. Mais il y a tel acte en soi bien moins grave que l'occupation définitive des Provinces Danubiennes qui peut soulever en France, en Angleterre dans toute l’Europe occidentale une de ces émotions publiques soudaines, puissantes qui jettent les gouvernements dans ces résolutions extrêmes auxquelles leurs propres calculs et desseins ne les conduiraient pas. Votre exigence de l'extradition, poussée jusqu'à la guerre, pourrait bien être un acte semblable et produire de tels effets. Si donc l'Empereur ne veut pas engager aujourd’hui, en Orient la question suprême, je ne puis croire qu’il ait fait sa demande avec l’intention de la soutenir à fond ; ce serait trop méconnaître l'état des esprits en Europe et trop risquer pour un petit motif. Je suis tenté de croire à une ambition et à une intention plus détournées. Voilà mon impression, et sur quel raisonnement elle se fonde. Et j'aboutis toujours à ma même conclusion ; la guerre ne se fera pas. Autre raison décisive. L'Empereur, qui en veut surtout aux révolutions, ne peut pas soulever une guerre dont le drapeau serait : « L’Angleterre et la France patronnent et couvrent les chefs de révolutions. » Mais ma raison n'est décisive que si bien certainement l'Empereur ne veut surtout aux révolutions, et ne songe pas à en profiter pour aller à Constantinople. Adieu en attendant votre lettre.

Onze heures et demie La voilà. Et probablement de bien vives agitations de votre part, et de bien longs raisonnements de la mienne pour un incident pas grand chose. C’est égal ; la seule chance valait bien la place que nous lui avons faite. Adieu, adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L011_00471.jpg
Val Richer, Vendredi 3 août 1849
8 heures

Ceci ne partira pas aujourd’hui. Je vous assure que votre Dimanche me déplaît autant que mon mardi. Je reviens sur le Duc de Broglie. Je crois que vous vous trompez. Il vous a tout simplement exprimé son sentiment général que Paris n'a plus de quoi attirer personne, et que pour y rester il faut y être obligé. Il pense bien peu aux personnes et aux questions personnelles, et ne fait guères de combinaisons et de calculs dont elles soient le premier objet. Cependant c’est possible. Vous avez toujours inspiré à mes amis, un peu de jalousie et un peu de crainte. Heureusement ce ne sont pas eux qui décident. J’ai été charmé quand vous avez repris votre appartement pour trois ans. J’aime les liens matériels même quand ils ne sont pas nécessaires. Il faut faire le contraire de ce que pense le duc de Broglie, c'est-à-dire être à Paris autant que vous ne serez pas forcée d’être ailleurs. Je suis bien aise du reste que le duc de Broglie vous ait pleinement rassurée sur ce qui me touche, Croyez bien et que j'y regarde avec soin, et que je vous dirai toujours la vérité. Je veux que vous vous fassiez une affaire de conscience de me tout dire sur vous, et je vous promets d'en faire autant, pour vous, sur moi. C’est le seul moyen d'avoir un peu de sécurité. Sécurité bien imparfaite et moyen quelques fois triste. Mais enfin, c’est le seul.
J’écris aujourd’hui à Guineau de Mussy pour lui demander une ordonnance dont Pauline a besoin contre des douleurs de névralgie dans la tête qu’il a déjà dissipées une fois, à Brompton. Je lui dis en outre : " Je sais que vous avez vu la Princesse de Lieven. J’en suis fort aise. Vous lui donnerez de bons conseils et du courage. Elle est charmée de vous et vous ne la verrez pas longtemps sans prendre intérêt à cette nature, grande et délicate qui a toutes les forces de l’esprit le plus élevé et toutes les agitations d’une femme isolée et souffrante. Je serai reconnaissant de tous les soins que vous prendrez d'elle. " Il m'est en effet très dévoué, et je veux qu’il vous soit dévoué aussi. Je crois au dévouement, et j'en fais grand cas. C'est le service, non seulement le plus doux, mais le plus sûr le seul qui résiste aux épreuves, et aille jusqu'au bout parce qu'il trouve en lui-même son mobile et sa satisfaction. C’est une des sottises de l’égoïsme de ne pas comprendre le dévouement ne sachant pas plus, l’inspirer que le ressentir. J’ai vu des égoïstes très habiles à tirer parti, pour eux-mêmes des personnes qui les entouraient, mais forces d’y prendre une peine extrême et continue, et ne pouvant jamais compter. Avec plus de cœur, ils auraient eu moins de fatigue et plus de sécurité. Il est vrai qu’il faut deux choses avec les personnes dévouées ; il faut leur donner de l'affection et leur passer des défauts. Par goût, j'aime mieux cela, et je crois qu’à tout prendre c’est un bon calcul ! Mais on ne fait pas cela par calcul. Chacun sait sa pente et le dévouement ne va qu'à ceux qui l’inspirent et le méritent réellement.
MM. de Lavergne et Mallac sont partis hier soir. Ils ne m'ont rien dit de plus que ce que je vous ai déjà mandé. J’attends MM. Dumon, Dalmatie, Vitet, Moulin, Coste, Lenormant & & Je me réserve le matin depuis m'en lever jusqu’au déjeuner et dans le cours de l'après-midi au moins trois heures, plus souvent quatre. Je donne à mes hôtes deux heures dans la matinée, et la soirée. D'ici à un mois, je compte bien avoir moins de visites. Elles me dérangeraient trop. On vient toujours beaucoup des environs. Et je répète ce que je vous ai déjà dit, plus d’une fois peut-être ; bonne population, trop petite, d’esprit et de cœur, pour ce qu’elle a à faire. j'espère qu’elle grandira. Mais je n'en suis point sûr.

5 heures
J’ai reçu une lettre de St Aulaire qui se désole de n'avoir pu venir à ma rencontre au Havre et qui va rejoindre sa femme en Bourgogne, chez Mad d'Esterne. Ils vont tous bien. " J'avais toujours rêvé, me dit-il d'achever ma vie dans le loisir : m’ha troppo ajutato San Antonio. Mais ce n’est pas le mouvement que je regrette. Je travaille à mettre de l'ordre dans mes papiers et mes souvenirs. Mais j'ai commencé par Rome en 1831. J’ai bien du chemin à faire pour arriver à Londres en 1842. Je voudrais que Dieu m’en donnât le temps, car vous m’avez fourni de beaux matériaux à mettre en œuvre pour cette époque. Personne ne lira ce que j'écris avant trente ans. C'est quand on ne se sent plus bon à rien qu’on se rejette ainsi dans l'avenir. J'espère bien que vous nous préparez des enseignements moins tardifs. Que j'aurais envie de causer avec vous mon cher ami ! Vous l'esprit le plus net que j’ai jamais connu débrouillez-vous ce chaos ? Ne comptez pas sur moi pour mettre une idée quelconque dans la conversation. Quelque fois je pense que les socialistes ont à moitié raison, et que la vieille société finit. J'espère seulement ne pas vivre assez pour jouir de celle qu’ils mettront à la place. " Je trouve tout le monde bien découragé. Et les gens d’esprit bien plus que les autres. Et les vieilles. gens d’esprit bien plus que les jeunes. Voici ce que m’écrit Béhier qui ne manque pas d’esprit ; de votre aveu malgré votre première impression : " Nous avons ici un vent singulier qui souffle. On répète partout que le 15 de ce mois Louis Napoléon doit être proclamé Empereur. Personne n’y croit, que Nos Républicains. Ils ont l’air d'en avoir une profonde inquiétude. Ceci n’est probablement pas sérieux. Mais il en résulte ce fait démontré que personne ne croit à la durée de ceci. On parle tout nettement tout bonnement, d’une substitution. Que Dieu la retarde ! Non pas que je me préoccupe des 60 Montagnards qui, pendant les vacances de l'Assemblée vont rester à Paris pour surveiller le pouvoir. Ces vieux roquets fangeux peuvent grogner ; ils ne font plus peur à grand monde : ils ont perdre leurs crocs, et ne sont bons qu'à faire des mannequins de parade. "
C'est là l’impression qui règne autour de moi, parmi les honnêtes gens de bon sens, qui ne cherchent et n'entendent malice à rien. Plus de peur et point d'espérance. Dégoût du présent ; point d’idée ni de désir d'avenir. Le Chancelier et Mad. de Boigne disent à Trouville qu’ils désirent bien que j’y vienne, qu’ils seront bien contents de me revoir & & Je ne leur donnerai pas lieu de croire que je crois ce qu’ils disent. Je n’irai de longtemps à Trouville. Ils ont été mal pour moi. Je suis bien aise qu’ils sachent que je le sais. Adieu. A demain. Je dis cela avec un serrement de cœur. Adieu.

Samedi. 4 août. 7 heures
Je vous dis bonjour en me levant. Je vais travailler. Il faut que j'aie fait deux choses d'ici à la fin de l'automne. Pour les grandes et pour les petites maisons. Le temps est superbe. Je vous aime mille fois mieux que le soleil. Adieu. Adieu. Je dors bien mais toujours en rêvant. Décidemment la révolution de Février m’a enlevé le calme de mes nuits, bien plus que celui de mes jours. Adieu encore. Jusqu'à la poste.

Onze heures Je ne crains pas que vous deveniez bête. Mais j’aimerais infiniment mieux que nous fissions à toute minute, échange de nos esprits. Adieu. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L012_00367.jpg
Val Richer. Vendredi 2 Novembre 1849
8 heures

Mon impatience de savoir est extrême. Ce Cabinet s’est-il fait de concert entre le président, et la majorité, ou est-ce qu'un coup de tête du président ? Sera-t-il soutenu ou désavoué par la majorité et ses chefs ? Mon bon sens me porte à croire à la première chance. Deux ou trois billets que j'ai reçus hier m'indiquent plutôt l'autre. Cela importe infiniment pour la suite. si la majorité est consentante, si ce sont là des doublures mises en avant- pour faire ce que ne veulent pas faire les premiers acteurs, il n’y a rien de grave à craindre prochainement, la situation actuelle avancera sans se bouleverser. Dans le cas contraire, le chaos peut être imminent. Mon instinct me dit bien que même dans le chaos, il est impossible que les honnêtes gens avertis, et armés, et postés comme ils le sont se laissent battre et chasser. Mais j’ai appris à me défier de mon instinct. Vous me préoccupez avant tout par-dessus tout. Le monde s’arrange comme il pourra, quand il pourra. Il a de la force pour supporter et du temps pour attendre. Mais vous ! Je ne crois pas au danger. Je ne crois pas que votre seconde impression vous trompe, et que vous ayez tort d'avoir moins peur depuis que vous êtes dans la mêlée. Mais qu'importe ce que je crois ou ne crois pas ? Et j’attends et je ne puis faire qu'attendre. Je compte que le courrier, m'apportera tout à l'heure, le sens et la direction de l'incident. Vous avez toute raison ; si le gouvernement a le sens commun, il rappellera d'Orient sa flotte. Toute prolongation de démonstration serait parfaitement déplacée et sotte. Et l'Angleterre devrait en faire sur le champ autant. On vous doit, non seulement le fond, mais toutes les apparences possibles d'égards et de bons procédés. Les questions qui peuvent subsister encore entre vous et la Porte, l'expulsion effective des réfugiés, le lieu de leur retraite, les provinces du Danube, tout cela se réglera, d’autant mieux que l'occident s'en mêlera moins et surtout aura moins l’air de s'en mêler. Je ne puis croire que Sir Stratford Canning s'oppose formellement à ce que la Porte envoie les réfugiés vers tel point plutôt que vers tel autre. Qu'ils aillent en Angleterre ou en Amérique, rien n’est plus indifférent. Une fois sortis de Turquie, ils finiront toujours par aller à peu près où ils voudront en occident. Je ne comprends par Normanby poussant à l'Empire à tort et à travers, sans s’inquiéter de savoir si la majorité en veut, ou n'en veut pas, et uniquement pour maintenir son influence sur le président. Cela me paraît de la part de l'Angleterre, un jeu bien sot et bien inutile. Le joue-t-elle réellement ? Mad. Austin a traduit jusqu'ici, et traduit encore. Elle aura traduit demain tout ce qui est prêt, et elle part Lundi pour aller passer quinze jours à Paris où elle a affaire et d’où elle retournera à Londres. J’aurais ri de votre remarque si je pouvais rire. Je vais faire ma toilette. Vous connaissez cette impossibilité de tenir en place, ce besoin d'aller et de venir ; et de faire quelque chose, quand on ne fait rien et qu’on attend.

Onze heures et demie
C’est évidemment du bien nouveau qui commence. Plus curieux d'abord que menaçant. Il faut attendre pour penser. Adieu, adieu, Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L012_00171.jpg
Val Richer, Samedi 29 Sept 1849 8 heures

Je suis rétabli chez moi. Avec plaisir, quoique les quinze jours que je viens de passer à Broglie aient été vrai ment agréables. Bonne et intime conversation. Je l’ai laissé un peu moins abattu que je ne l’avais trouvé. Non pas moins triste, car il y a, dans sa tristesse, une cause à laquelle personne ne peut rien. Sa situation personnelle lui déplait ; il se trouve en mauvaise compagnie ; pour lui même, il aimerait infiniment mieux n'avoir pas touché du bout du doigt à tout ceci. Non qu'il regrette d'avoir fait ce qu’il a fait ; il l’a fait par devoir, dans l’intérêt du pays, pour concourir à la résistance universelle et nécessaire des honnêtes gens contre les coquins, des hommes de sens contre les fous. Et vraiment, quand on voit de près ce qui arriverait dans ce pays-ci, si on laissait faire, on comprend que personne ne se soit cru permis d'en courir la chance, et de ne pas faire soi-même tout son possible pour empêcher. C’était une nécessité de défense personnelle et un devoir strict, urgent envers sa famille, ses amis, ses voisins, tout son pays. Mais la position qui en résulte n'en est pas moins pénible et lourde. Ce sont les conséquences d’une intervention forcé pour cause de sureté intérieure, mais qui coute cher et pèse beaucoup. Hier une heure avant de partir, j'ai encore causé de la tranquillité de Paris. Toujours la même conviction développée, en raisons convaincantes. Quoique finissant par la précaution que tout le monde prend toujours ici : " On ne peut répondre de rien. "
Albert est très bien très sensé, en train et courageux, sa femme très agréable, douce, intelligente, modeste, simplement élégante d’esprit et de cœur, prenant intérêt à la conversation souriant de plaisir parce qu'elle comprend et rougissant quand on la regarde au moment où elle comprend. Broglie et Albert partent demain pour Paris ; la petite Princesse mardi pour aller passer six semaines en Périgord, chez son père, où son mari ira la rejoindre. Ils seront tous réunis à Paris, dans la dernière quinzaine de Novembre. Albert se croit quelques chances d'être élu à l'assemblée par le département du Haut-Rhin, quand le procès de Versailles aura fait des vacances. S’il fait toutes celles auxquelles on croit, il y en aura trois dans ce département-là, et une trentaine en tout. Les réélections seront importantes. Elles révèleront, l'état actuel de ce monde, inconnu qu'on appelle le suffrage universel. On en est assez préoccupé d'avance.
Vous voilà au courant de Broglie comme si vous y aviez passé ces quinze jours. Fait important que j'oubliais. C’est bien certainement Thiers qui est le conseiller sérieux, et efficace de Louis Napoléon. Quand il y a quelque circonstance difficile, douteuse, c’est Thiers qu’il fait appeler. Il dine tête-à-tête. avec lui. Quelquefois Persigny en tiers. Puis on s’arrange pour faire donner par Molé le conseil auquel on s’est arrêté. Et pourvu que Molé ne s’en doute pas, il le donne. Et il ne demande pas mieux que de ne pas s'en douter.

Onze heures
Merci, merci de votre longue lettre. Soyez tranquille ; je n’ai pas le temps aujourd’hui de vous dire comment ; mais je vous promets que je ne me ferai pas des ennemis. Bien au contraire. Et nous passerons l’hiver ensemble à Paris, aussi doucement que le permettra l'état. général de l’atmosphère. Adieu. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L011_00436.jpg
Val Richer, Samedi 28 Juillet 1849 8 heures

D’une heure à cinq hier ma maison n'a pas désempli. Orléanistes, quelques légitimistes quelques quasi républicains honteux. Pour moi de la bienveillance, et de la curiosité. En soi, toujours les mêmes dispositions, les mêmes qualités et les mêmes défauts. Du bon sens, de l’honnêteté, même du courage ; tout cela trop petit et trop court. C'est la taille qui leur manque à tous. Ils ne sont pas au niveau de leurs affaires. Ils n'atteignent pas ou il faudrait atteindre pour faire quelque chose. Grandiront-ils assez et assez vite ? Mes arbres ont très bien poussé. Je ne suis pas aussi sûr des hommes que des arbres. Je suis content de la visite d’Armand Bertin. Le Journal restera dans une bonne ligne ; impartialement en dehors du présent, fidèle avec indépendance au passé. Et fidèle à moi avec amitié si j'étais à Paris pouvant causer deux ou trois fois par semaine, il ne s’y dirait pas un mot qui ne me convint. Spécialement sur les Affaires Etrangères. D’ici, il n’y a pas moyen d'y regarder de si près. Pourtant on marchera toujours du bon côté.

Des lettres de Barante, de Philippe de Ségur, de Glicksbierg. Barrante affectueux et triste, voyant toutes choses avec la sagacité un peu stérile d’un esprit juste et d’un cœur abattu. Un grand pays à moins qu’il ne soit réellement destiné à périr, n'est jamais si dépourvu de forces et de remèdes qu’il en a l’air. Il supporte et attend deux choses qui nous sont bien difficiles à nous passagers éphémères sur la scène, sans en avoir le projet formel, évidemment Barante finira par venir à Paris. " J’ai un bien vif regret, me dit-il, que mon lieu de retraite, soit si loin du vôtre. Sans cela, je serais allé tout de suite vous revoir. Si quelque circonstance de famille ou d'affaire m'appelle à Paris, je serai bientôt après au Val Richer On fait ce qu’on prévoit si clairement. Ségur très amical, croyant que ma maison à Paris n'est plus à ma disposition, et voulant. que, si j’y vais, j'aille occuper la sienne. Il n’y reviendra que tard, en hiver. Glücksbing est toujours à Madrid. Il m’écrit qu’il va publier quelque chose sur la réforme douanière et financière de l'Espagne, et finit par cette phrase : " M. Mon dit qu’il va vous écrire pour vous engager à venir passer quelques mois en Espagne. A part les bouffées de jalousie entre lui et le général Narvaez, dont il adviendra ce que Dieu voudra, tout marche admira blement ici. Les nouvelles d’Andalousie sont excellentes, et vous aurez remarqué l'accueil que le duc et la duchesse de Montpensier ont reçu à Gibraltar. "

En avez-vous vu quelque chose dans les journaux Anglais ? Si nous étions ensemble, je vous lirais les lettres, et elles vous amuseraient. Elles ne méritent pas d'être envoyées si loin. Je vous donne ce qu’il y a de mieux. Voulez-vous, je vous prie, faire mettre à la poste cette lettre pour Lord Aberdeen, en y ajoutant son adresse actuelle ? Je ne sais où le prendre. Onze heures Votre lettre m’arrive. Et Hébert en même temps. Pour la journée seulement. J’aime assez qu'on prenne cette habitude de venir me voir sans s’établir chez moi pour plusieurs jours. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L012_00331.jpg
Val Richer, samedi 27 octobre 1849
8 heures

Je comprends que Broglie et Thiers n'aient pas voulu voter. Par égard pour le Roi et sa famille dont ils savaient que le vœu était pour le rappel du bannissement. Mais ils devaient dire pourquoi ils ne votaient pas, et caractériser hautement leur situation, comme Berryer a caractérisé la sienne. Leur silence les met à la suite de Berryer, malgré leur abstention. Ils pouvaient faire, comme Berryer de la belle et bonne monarchie, produire dans les esprits une impression, en harmonie avec celle qu’il a produite, quoique distincte et donner en même temps à Claremont un avertissement utile... puisqu'il est nécessaire. Je suis, plus que personne, d'avis qu’on ne se divise pas. Et précisément pour ne pas se diviser, il ne fallait ni voter, ni s'abstenir en silence. C’était là, à mon avis, une de ces occasions, où quels que soient le péril et la difficulté, les Chefs de parti doivent se montrer et prendre leur place. J'ai reçu hier une lettre de Duchâtel. Désespéré, et désespérant. Il me dit: « Plus je regarde de près le malade, et plus son état me semble grave. Vous avez vu comment l'élection a été perdue à Bordeaux. On a commis à plaisir, toutes les fautes qui, sous la monarchie ont produit tant de malheurs. On s'est cru fort, et aussitôt on s'est divisé. Quand un candidat rouge est nommé, dans la Gironde cela indique quel fond on peut faire sur les Provinces. L’Etat actuel me semble bien dangereux. On a l'illusion d’un gouvernement tolérable. Cela suffit pour endormir les modérés, et provoquer les opposants, sans donner, au fond, aucune garantie d'avenir. L’esprit est partout, abaissé à un degré que je n'aurais pas pu me figurer. La prévoyance politique des hommes les plus éclairés ne va pas au delà des questions du personnel administratif. On veut avoir de bons sous Préfets et des percepteurs passables. Voilà l’horizon, le plus étendu qu'embrasse la pensée de tous les conservateurs de Province. En somme, on aura perdu au triomphe apparent des opinions modérés. Quand le gouvernement était plus franchement républicain, l'opinion était beaucoup meilleure. Les mauvais fonctionnaires ne faisaient pas grand mal et irritaient l'opinion qui arrivait au bon sens par l'opposition. Aujourd'hui les bons fonctionnaires ne font pas de bien, et l’esprit d'opposition gagne comme de notre temps, sans être efficacement combattu. La révolution me fait l'effet d’une fièvre qui a été coupée trop tôt, et mal ; elle devient presque incurable.» Je copie au lieu de vous envoyer la lettre. Vous ne pourriez pas lire. Il reviendra avec l'hiver. J’aurais trop à dire sur la lettre de Beauvale à propos de Manin. Ce n’est pas la peine. Et je ne sais pas assez bien les faits. Je vous la rendrai. Il a toujours bien de l’esprit. Si Narvaez est définitivement sorti le 23, comme vous dites, j'en suis bien fâché. Les noms mis en avant sont plutôt très monarchiques, mais sans force. Si la reine Christine est pour quelque chose là-dedans, elle a tort. J’attends bien impatiemment les nouvelles de Pétersbourg. Tout en pensant qu'elles ne seront pas définitives, et que l'affaire trainera. Si l'Empereur Nicolas était l'Empereur Napoléon, je craindrais tout. Tout serait déjà sans dessus dessous. J'espère qu'il n'en est rien. L’exemple, après tout, n'est pas bien tentant.

Onze heures Merci de votre lettre. La conversation de Mad. Démidoff est très curieuse. Adieu, adieu. Un bon dîner et un bon matelas, c'est bien mais ce n’est pas assez. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L012_00284.jpg
Val Richer, Samedi 20 octobre 1849
sept heures

Il y a un jour de moins entre vous et moi. J’aurai après-demain votre réponse à ceci. C’est charmant, en attendant mieux. Cela me plaît que vous soyez rentrée à Paris par un beau soleil. Dans l’arrangement de votre vie, indépendamment des anciennes connaissances qu’il faut reprendre, peut-être y en a-t-il aussi quelques nouvelles qu’il vous convient de faire, soit à cause de leur value personnelle, soit à cause de l’importance qu'elles ont prise dans ces derniers temps. Montalembert, Falloux (s’il vit), Bussierre, d’Haussonville, Piscatory. Je ne crois pas qu’il faille étendre votre cercle, et les étrangers en sont, et doivent en être, toujours le fond. Mais vous aurez des vides. Du reste, vous jugerez mieux de cela après- quelques jours de séjour que moi d’ici. J’avais pensé à M. de Tocqueville, s'il se recherchait comme de raison. Il est homme d’esprit, de bonne compagnie et sûr je crois. Mais il ne serait pas sans inconvénients. Je vous dis ce qui me passe par l’esprit.
Les inquiétudes de Brünnow me frappent un peu. Vous vous rassurerez à Paris. Evidemment, on n’y veut. pas, se mêler de l'affaire. Tous les Chefs de la majorité sont pour qu'on ne s'en mêle pas. L’assemblée est plus forte que le Président. A la vérité, il peut toujours faire un coup de tête, et au bout de son coup de tête peut venir un coup de canon de la flotte qui est partie. Pourtant je persiste à n'y pas croire. Je vois qu’on donne ordre à la flotte d'attendre à Naples. Il y aura encore des hauts et des bas ; les Turcs pourront se méprendre, l'Empereur pourra se fâcher. On finira par s’arranger. J'en reviens toujours à mon dire sur Lord Palmerston lui-même ; patron de tous les révolutionnaires, oui ; champion, non. On m’écrit : " Le Général Dumas et M. de Montalivet sont ici à quêter des voix pour obtenir le rappel de la loi de bannissement. Si ce rappel était prononcé, . nous verrions le Roi au château d'Eu de par la grâce de Louis Bonaparte, M. le Duc d’Aumale à Chantilly, et M. le Pince de Joinville aux ordres de Tracy." Je n’y veux pas croire, et je n'y crois pas. Mais c’est déplorable qu’on puisse le dire. Il n’y a évidemment pour cette proposition sur les bannis, que l’ajournement. Le rejet serait une indignité. L'adoption, le feu mis à la soute aux poudres. Je sais cette manière de voter et de motiver l’ajournement qui exciterait peut-être, au moment même un orage, mais qui ferait éviter le piège et faire un grand pas. Imaginez qu’on dit qu'il est question de Victor Hugo pour remplacer M. de Falloux. Mais on compte sur un discours qu’il doit prononcer, qu’il a peut-être prononcé hier à propos des Affaires Rome, pour rendre cela impossible. Comme de raison, nous avons beaucoup causé, Boislecomte et moi, de la Suisse et du Sonderbund. Il a bien à cœur de me persuader qu’il a dû se tromper sur la force du Sonderbund. Il est vrai que tout le monde s’y est trompé comme lui. Il m’a donné, sur M. de Radowitz, quelques renseignements assez intéressants, et qui me font penser que cet homme a de l’avenir. Il (Boislecomte) m’a parlé de M. de Krüdener comme d’un homme de beaucoup d’esprit, et d'encore plus de malice. Il assure que le peuple du Sonderbund était très bon et se serait très bien battu, que ce sont les chefs qui ont manqué. Bêtise et Mollesse. Maladies générales.

Onze heures
Je n'admets pas, à aucun prix et en aucun cas les derniers mots de votre lettre. Mais nous n'en viendrons pas là. Je crains bien des choses, mais pas tout. Adieu, adieu, adieu. Reposez-vous et soignez votre rhume. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L012_00251.jpg
Val Richer samedi 13 octobre 1849
8 heures

Vous arrivez aujourd'hui à Londres. Réglons notre avenir notre prochain avenir. Vous serez le 16 à Folkstone, le 17 à Boulogne, le 18 à Paris. Mad Austin m’arrive le 19 au Val Richer, pour traduire, mon ouvrage sous mes yeux. Il me faut 36 heures pour la mettre en train. Je ne puis partir que le dimanche 21 pour vous voir lundi 22. Je ne pourrai rester à Paris que deux jours. Il faudra que je revienne ici pour achever, mon travail et surveiller la traduction. Je comptais rester au Val Richer, jusqu'à la fin de Novembre, et quelques jours employés à une course à Paris me mettront en retard, par conséquent dans l'impossibilité d'y revenir plutôt. Si au contraire, je ne me détourne pas de mon travail, le 21 Octobre, je pourrai avancer mon retour définitif à Paris. J'y reviendrai alors décidément, le 15 ou le 16 novembre. Je prends le choix des deux jours à cause de l’incertitude des diligences où il me faut beaucoup de places. Il me semble que cela vaut mieux. Si vous étiez revenue à Paris vers le milieu de septembre, selon votre premier projet, il n’y avait pas à hésiter ; notre réunion définitive était trop loin ; j’allais vous voir sur le champ, ne fût-ce que pour deux jours. Vous ne revenez que le 18 octobre. Je puis, en ne m'interrompant pas dans mes affaires d’ici, travail et traduction, retourner définitivement à Paris, le 15 novembre. Ne vaut-il pas mieux faire cela que nous donner deux jours le 22 octobre pour retarder ensuite de quinze jours ou trois semaines notre réunion définitive ? Point de mauvais sentiment, point d'injuste méfiance, je vous en conjure. Le bonheur de vous retrouver de reprendre nos douces habitudes est ma première, ma constante pensée. Que vous y croyiez, ou que vous n'y croyiez pas absolument, que vous en jouissiez ou que vous n'en jouissiez pas parfaitement, il n’en sera pas moins vrai que vous êtes tout ce qui m'est le plus cher, et le plus nécessaire, qu'avec vous seule et auprès de vous seule je suis heureux. Je le sais, moi, je le sens ; et ni vos doutes, ni vos mauvais accès ne changeront rien ni à la réalité, ni à mon sentiment à moi. Laissez-les donc tout-à-fait, sans retour. Ayez confiance et jouissons ensemble de notre affection avec tout le bonheur que la confiance seule peut donner. Nous ne sommes que trop séparés ; trop de nécessités pèsent sur moi, et ne me laissent pas la pleine disposition de moi-même. N'y ajoutons rien dearest. Ne supposez pas que je renonce facilement à vous voir tout de suite après votre retour à Paris, que vous en êtes plus impatiente que moi. Je vous crie d’ici injustice ! Injustice ! Vous voyez ; je vais au devant des impressions qui, si j'étais près de vous me désoleraient et me charmeraient en même temps, car tout ce qui me montre votre affection me charme même votre injustice qui me désole. Mais point d'injustice ; pleine confiance. Cela est mille fois plus doux et il n’y a que cela qui ait raison. Je ne vous parle pas d’autre chose ce matin. Le beau temps est revenu, par un air presque froid. Je voudrais bien cela pour votre traversée. Et je vous voudrais bien Guéneau de Mussy. Je n’ai pas osé lui écrire pour le lui demander formellement. Il aurait été trop embarrassé à me le refuser, s'il ne l’avait pas pu. Mais je voudrais bien qu’il le pût.
Onze heures
Pas de lettre Pourquoi ? Je ne le saurai que demain. C'est bien déplaisant ; adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L011_00519.jpg
Val Richer, Samedi 11 août 1849
2 heures

M. Moulin qui ne peut pas venir me voir dans ce moment-ci et j’en suis bien aise, j'en ai trop, m’écrit hier : " Notre prorogation est encore plus opportune que nous ne pensions quand nous l’avons votée. Jamais la situation parlementaire n’a été plus tendue, et l’union du parti modéré plus menacée dans notre assemblée. Une petite église légitimiste composée de 15 ou 20 membres, s'est nettement séparée de M. Berryer. Le surplus du Camp est loin d'être parfaitement discipliné. Ce qui est plus grave c’est une sorte de scission qui a éclaté hier dans le soin de la Commission pour la loi d'assistance présidée par l’évêque de Langres entre M. Thiers, et M. de Montalembert. Il était question de nommer M. Thiers rapporteur. Les catholiques ont demandé que désormais tous les établissements religieux, toutes les congrégations puissent recevoir sans autorisation du gouvernement les libéralités qui leur seraient destinées. M. Thiers a combattu cette idée, et a déclaré qu’il n'acceptait pas la condition qu'on paraissait vouloir lui imposer. M de Montalembert s'est aigri, M. Berryer lui même a soutenu la thèse avec une vivacité contraire à l’attitude conciliante qu’il paraissait avoir adaptée depuis la révolution de Février. En fin de compte, M. Thiers n'a été nommé rapporteur qu'à la plus simple majorité, la moitié plus un. Si l'on n'est pas définitivement brouillé, en est fort refroidi. La constitution d’un Ministère Thiers est de plus en plus difficile pour ne pas dire impossible. Le règne de MM. Barrot et Dufaure n'est pas fini. Les lois fiscales, devenues nécessaires seront très mal accueillies, par nos départements et nous donneraient de tristes élections si le suffrage universel était encore consulté. Tout ordre financier me parait incompatible avec l’institution électorale de Février. "
M. de Guizard me confirme tout cela. Mauvaise situation de Thiers dans l’assemblée, à cause de ses qualités comme de ses défauts. Il est trop franc. Il ne cache aucun de ses dégouts. Il brusque à tout moment les bêtes et les rêveurs. Il n'est le chef du parti modéré que le jour où il a fait un grand discours, et deux jours après, hors de là, c'est Molé, aussi adroit, aussi persévérant aussi agréable courtisan des malotrus que des Rois. Ainsi, est-il heureux de sa situation. Pas grande envie qu’elle change. Pas très pressé que ceci finisse. Hardi dans son langage ; longtemps partisan déclaré des coups d'état conservateurs et impériaux. Beaucoup plus calme aujourd’hui. Décidé à attendre trois ans la réélection du Président, que le peuple réélira alors, en dépit de le constitution. Ceci est également l’avis, même confidentiel et intime, du Président lui-même. Il s'en est expliqué en ce sens dans un petit dîner à quatre, Molé, Thiers, le général Changarnier et lui. " Je désire que personne ne se mêle de mes affaires avec le peuple. Le peuple m'a bien traité. Il me traitera bien encore, si je l'ai bien servi." On doute qu'au fond du cœur, ce soit là son vrai mot. Il cherche évidemment les occasions qui peuvent presser la bonne volonté du peuple. A la vérité ces occasions ne répondent guères quand il les cherche ; et quand même elles répondraient, il hésiterait probablement beaucoup à en profiter. Un coup d'Etat, même pour l'Empire, c’est recommencer Strasbourg et Boulogne. Il est devenu trop sage. Le probabilité est de plus en plus contre les coups d'Etat. Il faudrait que la nécessité les commandât. Ce qui n’est pas probable non plus. Quant au changement de cabinet, le voilà ajourné de six semaines au moins. Thiers toujours décidé à s'efforcer sérieusement d’éviter d'entrer. Molé moins décidé. Moins dynastique, moins fidèle que Thiers. Rémusat, dans la même disposition, que Thiers à cet égard, quoique bien moins intime avec lui. Rémusat aussi noir sur l’avenir que le Duc de Broglie. Plein de regret, et on croit de repentir, quant au passé mais n'en laissant rien percer. M. de Tocqueville presque aussi vif et aussi franc que M. de Montalembert dans un mea culpa, mais me le faisant que pour l'opposition, en général, non pour lui-même, et dans les conversations, non à la tribune. Barrot à l’état de repentir mais toujours aigre contre ses amis eux adversaires, c'est-à-dire contre moi. C'est la compensation qu’il se donne. Du reste chef de parti toujours incapable. Il n’a pas su rallier dans le camp du gouvernement toute l'ancienne gauche qui ne demandait pas mieux. Le plus paresseux des hommes. Ses chefs en service ne peuvent lui arracher des signatures. Il passe son temps à se promener à l'exposition des produits de l'industrie ou des tableaux. Je vous redis tout ce qui me revient ; petit ou gros. Il n’y a pas moyen d'employer le mot grand.

Onze heures
J'ai ri de la boutade de Flahaut. La réponse du Roi est bonne. Je reçois une lettre de Barante qui me dit qu’il va vous écrire. Adieu, adieu dearest. Il faisait hier un temps admirable. Aujourd’hui il pleut. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L012_00427.jpg
Val Richer, samedi 10 nov. 1849
Onze heures

Je n'ai que le temps de vous écrire deux mots. J’ai été dérangé et occupé ce matin d’une manière inattendue. Mais je ne veux pas que l’heure de la poste passe demain sans vous rien, apporter. Tout ce qui m’arrive me confirme dans mon projet. Nous causerons la semaine prochaine. Il y a de quoi. Germain est un maître d’hôtel très entendu, exact soigneux. La mine, vous la connaissez ; très bonne. Le caractère tranquille et doux. Je l’ai trouvé sûr, Dévoué serait trop dire ; mais fidèle, et assez attaché. Il était cher plus cher qu’il n'aurait fallu, même dans une grande maison. Je crois qu'en y regardant avec soin, avec plus de soin que je n'en mettais, on l’aurait aisément contenu dans des limites convenables. Il sait se faire obéir des autres gens. Il a souffert depuis qu’il m’a quitté. Je ne doute pas qu’il ne fût très heureux d'être bien placé, et qu’il n'y fit de son mieux. Et son mieux serait bien. Voilà votre lettre. Je n'ai que le temps de fermer celle-ci. Adieu. adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L012_00044.jpg
Val Richer, 8 Sept 1849 4 heures

La conversation de Morny est curieuse. Mais un seul fait est important : Molé et Thiers entrant au pouvoir. Pour le pays et pour moi-même, par les raisons patriotiques et par les raisons égoïstes, je le désire. Je suis sûr qu’ils feront beaucoup mieux qu’on ne fait et je doute qu’ils y grandissent beaucoup. M. d'Haussonville, qui vient de me quitter parce qu’il est obligé d'être demain matin, à Paris, croit le fait possible. Pourtant il en doute encore. La lettre du Président à Edgar Ney peut devenir un événement. Elle en est déjà un, car elle ne deviendra un dans toutes les hypothèses. Si le Pape cède, le Gouvernement français prend la responsabilité du gouvernement de Rome et doit rester là, longtemps du moins pour le soutenir, si le Pape ne cède pas, les Français finiront par quitter Rome, et les Autrichiens ou les Napolitains par les y remplacer. Grosse complication. La République française est condamnée à soulever des fardeaux qu’elle ne peut pas porter. Je penche à croire qu’au premier moment le Pape cèdera. Que dit le Prince de Metternich de ceci. J’en suis plus curieux que de sa feuille volante. sa petite lettre est spirituelle, et il a raison au fond. Si l’union devait rester dans les limbes là, elle ne serait que ridicule. Je serais bien trompé, si elle n’en sortait pas et ne devenait pas plus précise. Je reçois ce matin même des nouvelles de Piscatory ? " Rien ne se passe ici. Le Président a été vivement reçu dans son dernier voyage. Je ne crois pas cependant qu’il pense, ni qu’on pense pour lui à autre chose que ce qui est. Le pays refait un peu ses affaires; le pays de promène et chasse. Il ne faut pas qu’on le trouble dans cette illusion, et les Conseils généraux eussent été très mal venus à parler révision de la Constitution. Ils parlent impôts. C'est à peu près aussi grave, et peut-être plus dangereux. L[?] fait tout ce qu’il peut dans le Midi de la question des boissons. Il en peut sortir des orages. Vous allez à Broglie. Dites-moi quand. Je voudrais pouvoir m'échapper pour vous y joindre. J’ai beaucoup à vous dire, et bien plus encore à entendre. Il serait même possible que j'eusse un sérieux conseil à vous demander. " Les derniers mots sentent bien le cabinet. Je suis assez porté à croire que Morny a raison sur toutes les personnes. Je ne sais rien de Claremont. Je ne crois pas à l'Italie. Le Roi tiendra toujours à l'Angleterre. Rome n’est pas possible. On serait bien embarrassant à Naples. Il serait plaisant que Palerme fût le lieu de repos. La maison offerte ( je dis trop, n’est-ce pas ?) à l'Impératrice. La joie de la Reine d'Angleterre me plait. J’ai objection pourtant à ce ravisse ment du sans-gêne de la vie privée. C’est aujourd’hui la manie des Rois. Preuve qu’ils ne prennent pas leur métier assez au sérieux, ou qu’ils le trouvent trop lourd. à propos une hut, s'écrit une hutte.

Dimanche 9 - 7 heures
Quand vous reverrez Morny, si mes questions vous arrivent à temps faites-vous dire par lui je vous prie, 1° la statistique de l’Assemblée combien pour chaque parti à son avis ; 2° Quelle est, dans l’intérieur du parti légitimistes la force relative des [ ?] Berryer en tête et des pointus, MM. Nettement et du Fougerais en tête. Je suis curieux de contrôler, par Morny les renseignements qu'on me donne. J’irai à Broglie jeudi prochain 12. Ecrivez moi donc là, après-demain mardi, en réponse à cette lettre ci. Vos lettres m’arriveront le surlendemain comme ici. Au château de Broglie, par Broglie. Eure. Je serai de retour ici au plus tard, le 28 septembre. Adieu, adieu, en attendant la poste. Onze heures Merci de votre longue et intéressante lettre mais ménagez vos yeux. J'en reçois une de Montebello qui est à la campagne. Il vous a déjà dit; je suppose, ce qu’il me dit. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L012_00216.jpg
Val Richer, Samedi 6 oct. 1849
Six heures

Je suis charmé que vous soyez un peu rassurée. La guerre pour un tel motif, m’a paru, dès le premier moment, quelque chose de si monstrueusement absurde que je ne suis pas venu à bout de la craindre. Je vois, d’après ce qui me revient. de Paris, que personne n'a été et n'est inquiet. Je n'en attendrai pas moins avec grande impatience le dénouement. Votre inquiétude m'a préoccupée presque comme si je l’avais partagée. Vous êtes-vous donné le plaisir de lire ce matin, dans les Débats d'hier, l'inquiétude de M. de Lamartine craignant d’être brouillé avec Louis Blanc? J’ai rarement vu une bassesse plus étourdie et plus ridicule. Qu’y a-t-il de nouveau dans vos yeux ? Est-ce Travers que vous êtes allée voir ? Verity est-il revenu à Paris ? Comment fait Lady Normanby depuis que son médecin de confiance, M. Raspail est en prison ? Je ne sais pourquoi je vous parle de Lady Normanby. Rien à coup sûr, ne m'est plus indifférent. Êtes-vous bien sûre que Lord John ne fût pas au conseil de mardi ? Les journaux disent qu’il y était. Par décence peut-être, car son absence, dans une telle question est vraiment singulière. Je trouve que l’Assemblée de Paris a bien pauvre mine, la mine de gens qui ne savent absolument que faire et qui s'ennuient d'eux-mêmes. Vous n’avez pas d’idée du profond, chagrin du Duc de Broglie de se trouver là, son déplaisir personnel est pour plus de moitié dans son découragement général. Et pourtant il dit, et tout le monde dit qu’'il y a 300 hommes fort sensés, fort bien élevés, fort honnêtes gens, de vrais gentlemen. Que de bien perdu en France, par le contact avec du mal qu’on ne sait pas secouer ? Je ramasse toutes mes miettes. Je n’ai rien à vous dire. Si nous étions ensemble, nous ne finirions pas.

Dimanche 7 oct. 10 heures
Guillaume est parti hier loin pour Paris. Il rentre demain au collège. Je suis sûr que je ne rentrerai pas dans Paris sans une émotion qui serait une profonde tristesse si vous n'y étiez pas, qui disparaîtra devant la joie de vous retrouver. Vous n'avez probablement pas lu l’exposé des motifs du Ministre des finances en présentant le projet de loi qui ordonne le paiement à Mad. la duchesse d'Orléans de ses 300 000 fr. de [ ?] pour 1850. C’est un chef d’œuvre de platitude. Un effort de chaque phrase de chaque mot pour réduire la question à une question de notaire à une nécessité de payer une dette criante qu’il n'y a pas moyen de renier. J’étais humilié en lisant, si c'est là ce qu’il faut dire pour faire voter la loi, honte à l'assemblée ! Si M. Passy a parlé ainsi pour se rassurer lui- même contre sa propre peur, honte à M. Passy ! Les journaux légitimistes que je vois sont embarrassés, et au fond, plutôt mal pour Mad. la Duchesse d'Orléans à propos de cette question Cela aussi est honteux. Ils croient toujours que c’est elle qui résiste le plus à la réconciliation des deux branches. J’ai ici M. Mallac qui est venu passer deux jours avec moi. Il ne m’a rien apporté ne venant pas de Paris, sauf quelques détails assez intéressants sur les derniers moments du Maréchal Bugeaud et assez amusants sur le séjour de Duchâtel à Paris. Il ne s’y est guères moins ennuyé qu’à Londres. Croker m’écrit dans un accès de bile noire qui se répand sur tout le monde, voici la France : « the whole nation, gentle and simple outraging heaven and earth with a je le jure which no man of your 12 millions of election meant to keep ; and now the country is so entangled in this web of falsehood and fraud that I at least, can see no way. I don't even say no honourable way-but no way at all out of it but by another revolution in which the whole people must kneel doin, say their confiteor et mea maxima culpa and confess themselves to have been de misérables pêcheurs et poltrons. Voici l'Angleterre. " you see the ordinary affairs of life go on tolerably under this feeble and impostor administration, which, leads me to doubt whether truth honour or strength are necessary ingredients et Constitutional governenent. " Il a de la verve dans sa bile. Midi Je ne comprends pas pas de lettres. Vous les aurez eues le lendemain. J’en suis désolé. Temps affreux. Adieu, adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L012_00374.jpg
Val Richer, Samedi 3 nov. 1849

Vous savez probablement ces détails-ci. Je vous les donne comme on me les mande, avant de publier ses résolutions Louis Bonaparte en avait fait part à Changarnier, et lui avait offert de lui lire son manifeste. Le général avait répondu qu'il se rendait à la Chambre, et qu’il en entendrait là, la lecture. La lecture faite, Changarnier sortit de la séance, avec Thiers sans laisser percer au dehors aucune marque d'approbation ou de désapprobation. Voici le langage de Thiers. « Il ne faut pas que la majorité pousse le président à un coup de tête ; il faut qu'elle accepte ce Cabinet pris dans son sein et composé d'hommes honorables et dévoués à l’ordre. N'oublions pas que nous sommes en présence de la République rouge et du socialisme, et que nous ne devons, sous aucun prétexte, leur fournir les moyens de triomphe. Ne faisons pas encore un 24 Février.» D'autres sont plus susceptibles, et disent que jamais assemblée n'a été plus indignement souffletée. Ils avouent néanmoins qu'elle ne peut guères se venger sans donner des armes à la Montagne et sans préparer son triomphe. Est-ce là ce qui vous revient ? Avez-vous entendu dire que sur le Boulevard, autour d’un café où se réunissent beaucoup d’officiers quelques uns, après avoir lu le manifeste, avaient crié : Vive Henri V et qu'ils avaient été sur le champ arrêtés ? Je ne fais pas de doute que la majorité ne doive accepter le cabinet pris dans son sein, et le contenir, et l’attirer à elle en le soutenant. Je crois même qu'elle pourrait tenir cette conduite avec beaucoup de dignité pour elle-même, et de profit pour son autorité sur le Pays et l'avenir. Mais je crains qu’on ne donne à une conduite qui pourrait prouver, et produire de la force, les apparences et par conséquent, les effets de la faiblesse. Je crains que mon pauvre pays ne soit défendu, contre les étourderies des enfants, que par les tâtonnements des vieillards. Gardez-moi le secret de ma crainte. Je pense à cela, et à vous. Je pense peut-être à des choses déjà surannées. Qui sait si le nouveau cabinet n’est pas mort ? Il n’avait pas encore été baptisé au Moniteur. Mes journaux me manqueront ce matin à cause de l'Assomption. Pas tous, j'espère. D'ailleurs j'aurai des lettres. C'est, je vous assure, une singulière impression que de vivre en même temps au milieu de tout cela, et au milieu du long Parlement, de Cromwell, de Richard Cromwell des Républicains, des Stuart & & & C'est une perpétuelle confusion de ressemblances et de différences, et de curiosités et de conjectures, qui tombent pêle-mêle sur la France et sur l’Angleterre, sur le passé et sur l'avenir. Je ne dirai pas cependant que je m’y perde. Mon impression est plutôt qu’il rejaillit bien de la lumière d'un pays et d’un temps sur l'autre. Mais soyez tranquille ; j'ai assez de bon sens pour ne pas me fier à mon impression et pour savoir que je n’y vois pas aussi clair que par moments, je le crois.

Midi
Merci, merci. Cela ne me paraît pas, à tout prendre, inquiétant pour le moment. Mes tendres amitiés à Ste. Aulaire quand vous le reverrez. Je crois plus que personne qu’il n’y a que les sots d'infaillibles, mais je suis très décidé à ne pas me laisser affubler du moindre tort prétendu pour épargner à d'autres la honte de leurs gros péchés. Adieu. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L012_00354.jpg
Val Richer, Mercredi 31 octobre 1849
8 heures

L'Empereur a eu raison de finir vite et avec le Turc seul. Mais je crois que Palmerston ne se console aisément d'être arrivé un peu tard. Vous connaissez sa fatuité ; il se dira : « mon oncle a suffi." Ceci ne changera point les situations à Constantinople ; votre influence à vous est là au fond, partout et de tous les jours ; celle de l'Angleterre n'est qu'à la surface et pour les grands jours ; on craint tous de vous; on espère quelque chose de l'Angleterre. La porte n'est pas égale. Non seulement les pas en avant, mais les pas de côté, mais même les pas en arrière tout en définitive, vous profite à vous tant votre position est forte et naturellement croissante. L'Empereur prouve un grand esprit en sentant cela, et en se montrant modéré et coulant quand il le faut. Il y risque fort peu, et probablement, un peu plus tard, il y gagnera au lieu d’y perdre. Mais ayez plus de confiance dans cette sagesse, et ne croyez pas si aisément à la guerre pour des boutades. Je suppose que Vienne restera quelque temps sans donner de successeur à Collaredo. Il faudra que Londres se contente de Keller. Vienne a raison. Montrer sa froideur sans se fâcher, c'est de bon goût d'abord, et aussi de bonne politique. L’Autriche n'en sera pas moins grande à Londres parce que son agent y sera petit. Mais le corps diplomatique de Londres descend bien. Méhémet Pacha et Drouyn de Lhuys en sont maintenant les plus gros personnages. Puisque M. Hübner est enfin venu vous voir, ce dont je suis bien aise, causez un peu à fond avec lui de la Hongrie. Ce pays- là est entré dans l’Europe. On regardera fort désormais à ses affaires. Est-ce sage la résolution qu'on vient de prendre à Vienne de maintenir, quant à la Hongrie, la Constitution centralisante de mars 1849, et de considérer son ancienne constitution comme abolie, au lieu de la modifier ? Je n’ai pas d'opinion; je ne sais pas assez bien les faits ; mais je suis curieux de m'en faire une. Puisque M. Hübner est un homme d’esprit il vous reviendra souvent. Je me promets de m'amuser de votre visite à Normanby. Que de choses à nous dire ! Précisément les choses amusantes. On ne rit pas de loin. Vous avez bien fait de faire cette visite. Au fond, c'était, je crois la règle. Et puis il n’y a que les petites gens qui comptent toujours par sols et deniers. Vous aurez ceux là bien plus empressés. L'accompagnement dans la rue est le commencement de l'attitude. Plus j’y pense, plus je crois que mon avis tel que je l'ai dit à M. Moulin est le bon. Il vous sera revenu par Petersham. Ne se prêter à aucune demi-mesure extralégale, et pousser à la formation du plus décidé, et du plus capable cabinet conservateur possible. Les répugnances de ceux qui ont sauté le fossé de la république sont ridicules ; c’est du calcul égoïste ou pusillanime, non de la fierté. Je suis en cela de l'avis du duc de Noailles. Le Gouvernement du tiers parti ne compromet et n'use pas les conservateurs, c’est vrai ; mais il ne leur profite pas ; aujourd’hui du moins il ne leur profite plus. Et bientôt, il les mettra tout-à-fait en danger, M. Dufaure couve maintenant M. Ledru Rollin. Etrange. situation ! Les conservateurs ont le pouvoir et ne le prennent pas. Cela a pu être sage d’abord ; mais ce qui est sage d’abord ne l'est pas toujours. J'en parle bien à mon aise moi qui suis en dehors. Mais pourquoi n’en parlerais-je pas à mon aise ? Onze heures Trouvez-vous étrange qu’en parlant à M. Moulin de mon plaisir à revenir à Paris, je n'aie parlé que de mon fils, et de mes livres ? Adieu, adieu, adieu.
Je ne vous gronde pas. Je ne me plains pas. Vos velléités d’injustice m'irritent et me plaisent. Quant à l’air gai, je vous ajourne à la rue St Florentin. Adieu Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L011_00616.jpg
Val Richer Mercredi 29 août 1849
8 heures et demie

Je me lève tard. Je suis rentré tard hier. 37 personnes à dîner. On s'est mis à table à 6 heures et demie. Sorti de table à 8 et demie. En voiture à 9 heures un quart. 6 lieues à faire. Par le plus beau temps, et la plus belle lune du monde. J’étais un peu fatigué de m'être tenu trois heures sur mes jambes à me promener dans un assez joli parc montant et descendant, sur le flanc d’un côté. J’ai très bien dormi. Je ne pouvais refuser cette invitation-là. C'est le manufacturier le plus considérable de Lisieux, et qui m'a été le plus hautement fidèle. Je refuse toutes les invitations ordinaires. Il y avait là deux membres de l'Assemblée législative ; modérés parmi les modérés, mais à peu près convaincus que le Cabinet Dufaure ne tiendra pas quand l’Assemblée reviendra. Passy, Lacrosse et Tracy à peu près certainement. Dufaure et Tocqueville probablement. Pour mon compte, je n'y crois pas, et je les en ai plutôt détournés ; du moins pour Dufaure et Tocqueville. Si l’Assemblée avait de quoi les remplacer par un cabinet décidé, et capable qui eût vraiment envie de gouverner, et qui pût, en tenant toujours la majorité unie, la conduire fermement à son but, à la bonne heure. Mais cela n'est pas ; Molé et Thiers, les seuls plus capables veulent et ne veulent pas du pouvoir. Et s'ils le prenaient très probablement la majorité se diviserait au lieu d'avancer. Je suis pour qu’on redoute, et améliore par degrés le Cabinet actuel, sans toucher aux grosses pièces.
La fin de l'affaire de Hongrie tue la politique extérieure. On n'y pense plus. Rome seule embarrasse encore. On voudrait bien en sortir vite, et on n’ose pas trop si on n’y fait pas prévaloir, un peu de politique libérale. On finira par oser et par s’en aller quand même si le Pape ou son monde continue à résister. Le gouvernement actuel n’est pas, en état de pratiquer à Rome le bonne politique. Il ne la sait pas, et s’il la savait, il n’oserait pas l'avouer. Et pour la pratiquer avec succès, la première condition c’est de l'avouer très haut, et d’en faire une politique de l’Europe envers Rome ; politique adaptée, conseillée, soutenue et payée à Rome par les Puissances catholiques. Un Budget du Pape, comme chef de l'Eglise catholique, réglé et alimente de concert par les Puissances catholiques est le seul moyen d'assurer le succès de cette politique. Il faut que le Pape puisse vivre comme chef de l’église catholique, et en soutenir le grand état-major dont il est entouré sans être obligé de pressurer, par tous les abus imaginables, le petit pays dont il est le souverain temporel. Les Papes d’autrefois vivaient avec les revenus très gros qu’ils tiraient par toutes sortes de voies, les unes reconnues, les autres contestées, des états catholiques. Aujourd’hui, ils ne retirent plus rien, ou presque plus rien, du dehors ; et on veut qu’ils restent vraiment Papes, qu'ils gardent, et qu’ils soutiennent tous ces cardinaux, tout ce clergé, tout ce peuple d'ecclésiastiques qui est le cortège et l’armée de la Papauté ; et il faut que les petits états Romains suffisent à tout cela. C'est impossible. Cette fourmilière de prêtres ne peut pas vivre aux dépens de ce coin de terre sans un irrémédiable déluge d'abus. Que la Papauté soit épousée et soutenue par toute le catholicité ; et le Pape pourra laisser la population des états Romains faire elle-même ses affaires locales les discuter et les régler dans les communes dans les Provinces, sans que la souveraineté temporelle et spirituelle du Pape lui-même soit entamée, tant qu’on n’entrera pas ouvertement, et en disant pourquoi, dans cette voie, on s'embourbera de plus en plus dans les embarras et les complications dont on ne sait comment sortir.

Onze heures
J’ai été interrompu par la visite d’un ancien député conservateur, M. Leprevost. On m’arrive quelques fois à 9 heures du matin, quand on a couché la veille à Lisieux. Vous voyez que Rome est une de mes questions favorites. Je croyais avoir trouvé et commencé là quelque chose qui pouvait réussir, et qui valait la peine qu’on le fit réussir. Votre lettre de Dimanche et lundi arrive, et j’ai ma toilette à faire. Adieu. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L011_00417.jpg
Val Richer, Mercredi 25 Juillet 1849
8 heures et demie du soir.

Nous venons de dîner. On fait de la musique dans le salon. Je remonte pour vous écrire. Bertin et Génie arrivent demain de très bonne heure et repartent le soir. Ils me prendront ma journée. C’est une affaire que cette visite de Bertin au Val Richer.
De sa personne, il est sauvage et se refuse aux avances. Il a refusé tout à l'heure d'aller à l’Elysée. A propos d'’Elysée, que dîtes-vous du discours du Président à Ham ? Montalembert n’est qu'un petit garçon en fait de mea culpa. Si cette mode prend. Dieu sait ce que nous entendrons. Mais je crois que le Président gardera la palme. J'ai enfin reçu mon Galignani et je viens de lire la séance des Communes. Je comprends les colères dont vous me parlez. Mais en vérité un parti conservateur, qui se laisse dire tout cela sans ouvrir la bouche, mérite bien qu’on le lui dise. Il était si aisé de concéder ce que la cause des Hongrois à de juste, et de frapper ensuite d’autant plus fort sur ce qu'elle a de révolutionnaire. L’esprit révolutionnaire est un poison qui infecte et déshonore, et perd de nos jours toutes les bonnes causes. Un rebelle (gardez m'en le secret) ; peut quelques fois avoir raison, un Jacobin jamais Tous les rebelles de notre temps deviennent en huit jours des Jacobins, s'ils ne l’étaient pas le premier jour.

Jeudi matin. 7 heures
Mad de Metternich et Madame de Flahaut m'amusent. Faites exprès pour se quereller. Mad de Mett serait battue. Il y a encore de la femme en elle et beaucoup d'enfant gâté. Ni de l'un ni de l'autre dans Mad. de Flah. Un vieux sergent de mauvais caractère, et toujours de mauvaise humeur. Je sais gré à Mad. Delmas de ses soins. Trouvez, je vous prie l'occasion de leur dire un mot de politesse de ma part. Malgré l'horreur de l'aveugle pour les constitutions.
Je ne me promène seul que dans mon jardin. Soyez tranquille ; je serai attentif. Je suis sûr, et tout me le prouve que la disposition générale du pays est bonne pour moi. Mais, dans la meilleure disposition générale, il y a toujours autant de coquins, et de fous qu’il en faut. Je suis décidé à me préserver pour vous et à me réserver pour je ne sais quoi. Mad. Lenormant m'écrit : " Au nom du ciel et au nom de la France, gardez votre situation hors de tout. Réservez-vous. Le duc de Noailles me charge expressément de vous le dire. " Et elle ajoute : " Je ne puis vous dire assez quel ami admirable, dévoué, courageux, s'est montré, pour la mémoire de ma pauvre tante et pour moi, cet excellent duc de Noailles dans la circonstance de mon triste procès. Il vient de nous quitter, et il était hier à Paris faisant son troisième voyage pour m'aider de ses conseils, de ses démarches et de son affection. Il a fait avec moi les visites aux magistrats. Il a voulu que se femme aussi témoignât dans l'affaire, et il y a une lettre d’elle dans le dossier de Chaix d'Estange. Dans ce temps de mollesse et d’indifférence de semblables témoignages de respects, de souvenir, et d’amitié sont bien rares. Il a bien envie de causer avec vous. Ce serait désirable et nécessaire. Comment cela se pourrait-il ? C’est ce que je ne sais guères, ni l’un ni l'autre de vous ne pouvant en ce moment aller l’un chez l'autre. »
Je suis bien décidé, quant à présent. à ne point sortir de chez moi. Onze heures Bertin est arrivé. Puis Salvandy. Voilà la poste. Je n’ai que le temps de fermer ma lettre. Mes hôtes repartent ce soir. Adieu. Adieu. Que j’aime votre lettre ! Bien moins que vous pourtant. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
MF-G-L#011_00414.jpg
Val Richer, Mercredi 25 juillet 1849
8 heures

C’est évidemment à cause du Dimanche que je n'ai pas eu de lettre hier. Dans mon impatience, j’avais mal fait mon calcul. La poste n'est pas partie de Londres dimanche.
La petite scène du Havre a bien tourné. De bons juges m’écrivent de Paris : " Tout compté et bien compté, ce n'est point à regretter. Puisqu'il n’y a rien eu de grave autant vaut au risque de quelques embarras et de quelques inquiétudes, que vos éternels adversaires vos ennemis naturels aient fait la faute de provoquer ce qui a houleusement échoué. Il ne faut pas regretter l'éclat qu’ils ont donné à votre rentrée. Votre retour en France est un fait considérable. Il est considérable pour vos amis comme pour vous-même, en raison de votre passé et probablement aussi en raison de vôtre avenir. On l’a compris on le comprend, et l'on n'a pas su dissimuler sa mauvaise humeur. Encore une fois, tant mieux. "
Je n'ai encore lu Aberdeen et Brougham que dans le Journal des Débats. Mais ce que j'ai admiré, c’est Lord Palmerston sur l’Autriche. Quel aplomb, pour parler poliment ! Il a raison, puisqu'on l’écoute sans lui répondre. Il y a des gens qui lorsqu'ils ont fait des sottises en disant leur mea culpa, comme M. de Montalembert. Lord Palmerston se glorifie, en s’indignant qu'on l'ait cru capable de ce qu’il a fait. Vous voyez bien que le Pape rentrera à ses propres conditions. Pas plus à Paris qu'à Vienne, on ne lui demandera de partager sa souveraineté. J'étais bien violemment attaqué il y a dix-huit mois pour avoir écrit à M. Rossi qu’il ne devait ni ne pouvait le faire. Que de peine se donnent, et que de mal se font les hommes avant de revenir à l'idée juste qui leur aurait tout épargné. Adam Smith dit quelque part : " Telle est l’insolence naturelle de l'homme qu'il ne consent à employer les bons moyens qu'après avoir épuisé les mauvais. "
Je reçois toujours beaucoup de visites. Evidemment ; mes amis n’ont pas peur. Comme je ne mettrai pas leur courage à l'épreuve, il aura le temps de s'affermir. J’attends demain Armand Bertin. vous ne me donnez pas assez de détails sur votre santé. Je les demande à moins que vous ne me disiez que, moins vous en parlez mieux vous vous portez. Votre superstition peut seule me faire accepter votre silence.
Le beau temps a disparu. La pluie revient dix fois par jour. Je me promène pourtant. Les bons intervalles ne manquent pas. Je me lève de bonne heure. J’écris ; ma toilette, la prière. Nous déjeunerons à 11 heures. Promenade. Je fais mes affaires de maison et de jardin. Je remonte dans mon cabinet à une heure. J'y reste, sauf les visites. Nous dînons à 7 heures. Je me couche à 10. Quand le flot des visites se sera ralenti, j'aurai assez de temps pour travailler. Je veux faire beaucoup de choses. Adieu jusqu'à la poste.
Je suis bien aise que votre fils soit revenu. N'allez pourtant pas souvent à Londres si le choléra y persiste. Je crois que vous pouvez affranchir vos lettres. Mes filles en reçoivent souvent de leurs amies Boileau qui arrivent très exactement. Je vous le dis sans scrupule, car je suis écrasé de ports de lettres. Si nous apercevons la moindre inexactitude, nous cesserons.

Onze heures
Deux lettres. Le dimanche et le lundi viennent ensemble le Mercredi. Vous avez raison. Deux lettres et une seule enveloppe. Et deux lettres longues, charmantes. Adieu. Adieu. La poste m’apporte je ne sais combien de petites affaires qu’il faut faire tout de suite. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L011_00582.jpg
Val Richer. Mercredi 22 août 1849
Sept heures

Je n’ai aucune nouvelle à vous envoyer. Vitet, de retour à Paris, m’écrit : " Paris est plus mort que jamais. Il n'y reste absolument personne. La politique est partie pour les Conseils généraux ; je ne crois pas qu’elle y fasse grand bruit. C’est un temps de sommeil. On essaiera quelques petites parodies d’Etats provinciaux ; mais ce seront des bluettes. Il n'y a pour le quart d'heure, de sérieux nulle part. " Il en sera ainsi jusqu'au retour de l’assemblée, c’est-à-dire jusqu'aux premiers jours d'octobre. Alors commencera une crise ministérielle. L’assemblée voudra faire, un ministère plus à son image. Elle y réussira probablement. Mais l'image sera pâle, et aura peur d'elle-même en se regardant. En sorte que l'opposition y gagnera plus que la réaction ; et on entrera, dans une série d’oscillations, et de combinaisons batardes où la République modérée et la Monarchie honteuse s’useront, l’une contre l'autre, sans que ni l’une ni l’autre fasse rien de sérieux. Mon instinct est de plus en plus qu’on se traînera, tout le monde jusqu’au bord du fossé. Sautera- t-on alors, ou tombera-t-on au fond ? Je ne sais vraiment pas. Je regrette que vous ne connaissiez pas M. Vitet. C’est un des esprits les plus justes, les plus fins, les plus agréables et aussi les plus fermés, que nous ayons aujourd'hui. Et tout-à-fait de bonne compagnie, malgré un peu trop d’insouciance et de laisser aller. Voici une nouvelle. J’ai fait vendre à Paris ma voiture, mon coupé bleu. On l’a revu dans les rues. Cela a fait un petit bruit.
Je trouve dans l'Opinion publique, journal légitimiste : " Ce matin à midi et demi, un élégant et massif coupé de ville, bleu de roi, cheminait à petits pas sur la chaussée du boulevard des Capucines. La curiosité nous ayant poussé vers cet équipage que nous avions cru reconnaître, nous nous sommes en effet assurés que c'était bien comme nous l'avions jugé à distance, la voiture de M. Guizot, son écusson y est intact, avec sa devise : Recta omnium brevissima, et le cordon rouge en sautoir autour de l’écu. Pourquoi cette voiture errait-elle autour de l’hôtel qu’elle a hanté si longtemps ? Nous ne savons." Si j’avais été à Paris, j'aurais fait dire dans quelque journal, le lendemain, que ma voiture roulait parce que je l’avais vendue. Vous avez bien raison, l'immobilité et le silence me servent parfaitement.

En fait de folie, je n'en connais point de supérieure à celle de la Chambre des représentants de Turin. Elle ne peut pas faire la guerre ; elle le dit elle-même, et elle ne veut pas faire la paix. Point de dévouement à la lutte et point de résignation à la défaite ; je ne me souviens pas que le monde ait jamais vu cela. Il est probable que la nécessité finira par triompher, même de la folie. Mais il y a là un symptôme bien inquiétant pour l’Autriche, l'impuissance ne guérira point l'Italie de la rage. Le monde est plein aujourd’hui de problèmes insolubles. Insolubles pour nous, qui sommes si impatients dans une vie si courte. Le bon Dieu en trouvera bien la solution.
Vous ne me manquez pas plus que je ne croyais, mais bien, bien autant. Je parle, j'écoute, je cause sans rien dire et sans rien entendre qui mérite que j'ouvre la bouche ou les oreilles. La surface de la vie assez pleine, le fond, tout-à-fait vide. Je suis entouré d'affection, de dévouement, de soins, de respect. Il me manque l’égalité et l’intimité. Et combien il manque encore à notre intimité même quand elle est là ! La vie reste toujours bien imparfaite, quoi qu’elle aie de quoi ne pas l’être. Je m’y soumets mais je ne m'en console pas.

Onze heures
Pas de lettre. Pourquoi ? Et je l’attends plus impatiemment le mercredi que tout autre jour. Il a fait beau. Ce n’est pas la mer. Je suis très contrarié. Je me sers d’un pauvre mot. Adieu. Adieu. Adieu. Ce sera bien long d’ici à demain. Adieu. Guizot.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L011_00588.jpg
Val Richer. Mercredi 22 août 1849
3 heures

Si j’avais eu une lettre ce matin, je ne vous écrirais pas à cette heure-ci. Mais je ne puis pas tenir loin de vous. Il faut que je me rapproche de vous, n'importe comment. Je n’ai rien du tout à vous dire. Je ne comprends pas pourquoi, je n'ai pas de lettre, si elle a été mise trop tard à la poste, lavez bien la tête à Jean, je vous prie. Si c’est la faute de l’affranchissement, n'affranchissez plus du tout. Si vous étiez réellement malade, vous m'auriez fait écrire par quelqu'un. Je compte sur la bonne Princesse Crazalcovitch. Qu'il y a loin encore d’ici à demain ! Je viens de lire les journaux. Je n’y trouve rien à commenter. Il se fait, si je ne me trompe, un travail de décomposition, assez important dans le parti légitimiste. Le corps du parti se révolte contre la guerre, et se plaint de n'avoir pas de tête. Si la République dure quelque temps, ce travail portera ses fruits quelque soit le prétendant appelé à en profiter. Car je ne regarde point comme impossible que le parti légitimiste se décompose un jour, au profit de la branche cadette, comme le parti des Stuart s'est décomposé en Angleterre contre Jacques 2 donnant à la révolution de 1688 la plupart des Torys et ne laissant aux Stuart que les Jacobites. Mais ce jour ne viendra en France que s’il est encore bien loin car le parti légitimiste est encore bien loin de comprendre et la situation du pays et sa propre situation. Il lui faut, il faut à tout le monde en France de bien autres leçons. Cela fait trembler à dire. Quelles leçons nous ont manqué ? Je me dégoûte un peu d'ailleurs de chercher, dans les destinées de l'Angleterre, le secret de celles de la France. Peut-être n’est-il point du tout là. J'essaie de vous parler d’autre chose. Je ne réussis pas à penser à autre chose. Je vais me promener.

Onze heures
Voilà le Duc de Broglie et son fils. Et ce qui vaut mille fois mieux, vos deux lettres. Merci mille fois. Je chercherai d’où vient la faute du retard. Je ne veux aujourd’hui que la joie de l’arrivée. Mais je n'ai point de temps pour écrire. Adieu. Adieu, dearest. Mille fois. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L012_00270.jpg
Val Richer, Mercredi 17 octobre 1849
9 heures

Je suppose que vous voguez déjà, vers la France. Le temps est superbe. Point de vent. Grand soleil. J’espère que vous l’avez comme moi. Vous trouverez une lettre en arrivant à Boulogne. Que je suis impatient de vous savoir débarquée, seulement après-demain. Je suis bien curieux de votre impression sur Paris. Tous les gens qui ont des impressions, un peu sérieuses et vraies me disent que c’est triste. Vous y arrivez dans un moment important. On dit le président de bien mauvaise humeur. Le rapport de Thiers l’a beaucoup blessé. Je ne trouve pas que le silence absolu sur sa lettre soit habile, dans aucune hypothèse. Cela, et la question des bannis, et son attitude dans l'affaire Turque, tout en ce moment le livre à M. Dufaure, et le fait pencher vers la gauche, vous en apprendrez à Paris bien plus que je ne puis vous en dire. On me dit que M. Dufaure a reçu ces jours-ci beaucoup de rapports d’agents intelligents, étrangers à son département, envoyés çà et là par le Ministre des finances pour des inspections financières mais qui ont bien observé, l'état des prêts, l’attitude des fonctionnaires, et ils disent tous au Ministre de l’intérieur que le socialisme est partout en progrès d'une multitude de fonctionnaires le servent, et qu’il y aurait le plus grand danger à tenter de nouvelles élections par le suffrage universel. M. Dufaure écoute, regarde à les pieds, et ne répond rien. Lord John a raison de regretter vos conversations. Elles lui étaient agréables, et certainement aussi un peu bonnes. Que de choses arrivent parce que ceux qui les font n’ont jamais entendu la bonne cloche ! Notre flotte est partie peur Smyrne. L’amiral Parseval, qui la commande, est un homme sensé tranquille et honnête. Il ne dépassera pas et n'échauffera pas des instructions. Herbet m'écrit de Madrid : « L’Espagne est complètement pacifiée. Il faut maintenant qu’elle soit administrée, et ce sera peut-être plus difficile. Il est bien à regretter que le Maréchal Narvaez, n'ait pas la santé qu’il lui faudrait pour accomplir cette grande œuvre. Il est le seul qui compte en Espagne. C’est un Cardinal de Richelieu en épaulettes. J’ai une longue lettre de Barante. Il travaille sérieusement, me dit-il, à une histoire de la Convention. Il espère qu’une affaire l’appellera à Paris vers la fin de Novembre, Sans quoi, il n’y viendrait que deux mois plus tard, par économie. Les Ste Aulaire sont à Etioles. Je m'obstine à vous donner des nouvelles de Paris. La première lettre qui me viendra de vous de là, me fera bien plaisir.
Onze heures et demie
Voilà votre lettre. Si vous avez à Folkstone le même temps que nous ici, vous passerez certainement aujourd’hui. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L011_00541.jpg
Val Richer, Mercredi 15 août 1849 6 heures Je vous envoie des nouvelles d'Irlande Croker y voyage en même temps que la Reine. Il m'écrit de Killarney : " We escaped from Dublin the day the Queen arrived. She vas received with some what less enthusiasm than O Connell used to be. Nothing in Ireland is real. Not the loyalty- not even the distress. We are here Amidst scenes of the most surprising beauty ; but the manners and condition of the people are deplorably savage. And I am more and more satisfied that the blood of the celts is prone to sloth and dirt. So far our harvest look well, a main consideration as to our internal tranquillity, and the potatoe crop is promising, a vital question in Ireland. Your revolution and our reform bill made the stability of government mainly dependant, on harvest. When people become, from any cause, even their own folly discontented with an administration, the agitators, have no other remedy than a change of the constitution. You are sufforing under it. We shall suffer, No country can be governed on these new principles. " Coker a beaucoup d’esprit et de bon sens. Il sait bien qu’elles sont les conditions éternelles de l’ordre dans la société. Il ne croit pas et ne se résigne pas assez aux changements de forme de de mesure de ces conditions quand la société elle-même change.
Tenir à ce qui doit durer en laissant tomber ce qui s'en va et en acceptant ce qui vient, c’est aujourd’hui plus que jamais, la grande difficulté, et le grand secret du gouvernement. C'est dommage que, sachant ce que je sais et pensant ce que je pense aujourd’hui, je ne sois pas jeune et inconnu.
Je vous fais lire mes lettres. Voici M. Cousin, arrivé hier : " Mon cher ami, j’arrive des eaux de Néris, et à peine rentré à la Sorbonne et dans mes tranquilles habitudes, je m'empresse de vous dire combien je suis charmé de votre retour. Puisse-t-il marquer une époque meilleure dans nos affaires ! Unissons-nous tous contre l’ennemi commun. Grace à Dieu, l'union entre nous est bien facile car elle n'a jamais été troublée que par des dissentiments aujourd’hui bien loin de nous. Dans nos démêlés politiques, nous sommes restés bons amis ; il nous est donc bien aisé de redevenir ce que nous n'avons jamais cesse d'être seulement le malheur commun accroîtra notre intimité, si vous le permettez. Quand vous viendrez à Paris, n'oubliez pas l’Hermite de la Sorbonne. En attendant que je vous serre la main, laissez-moi vous offrir cette 4e série de mes ouvrages qui parait en ce moment. "
C’est revenir de bonne grâce. Je ne sais si tout le monde en fera autant. Je ne crois pas. On m'assure que plusieurs en ont bien envie.
Encore une lettre. Piscatory m'écrit. " Je suis décidément une des oies du Capitole, et c’est aujourd’hui que je commence à garder le temple que personne, quoi qu'on en dise, n'a la pensée sérieuse de violer. Je ne crois pas à un changement de Cabinet dans l'absence de l'assemblée ; mais je crois qu’à son retour la majorité sera de mauvaise humeur, et qu’elle pourra bien chercher querelle à Dufaure sur la question, souvent reproduite à la réunion du quai d'Orsay, des fonctionnaires maintenus en dépit de toutes les remontrances. Je ne crois pas à l’efficacité d’un changement de Cabinet, à moins qu'il n’en résulte un ministre des finances capable et ce ministre là, je ne le devine pas. Benoist n’est rien, ou presque rien et Thiers est une grosse entreprise. Aujourd’hui, à titre de membres de la majorité nous défendons l’ordre avec désintéressement, avec abnégation, et sans être en quoi que ce soit responsables des actes du pouvoir. Le jour où Molé, Thiers, et autres seront ministres, les conditions et la composition de la majorité seront différentes. Vous avez lu ce qui s’est passé dans la Commission d'assistance. Tenez pour certain que c’est très sérieux. J’ai le droit de me vanter d'avoir fermé la plaie qu’on s'obstinait à ouvrir et à montrer ; mais la plaie n'en existe pas moins. Une partie des légitimistes et tous les catholiques sont fous. Thiers non plus n’est pas prudent, et je crains bien que dans la question de l’enseignement, nous ne lui voyions faire une nouvelle gambade. Quant au rapport dont il est chargé, s'il y met tout ce qu’il a dit, ce sera certainement très amusant, mais certes point fait pour calmer les esprits. Les caisses de retraite avec dépôt obligatoire, la colonisation, la direction des travaux réservés. (Vous ne comprendrez pas ceci, mais peu importe, je vous ennuierais si je vous expliquais Thiers et Piscatory sur toutes ces questions) tout cela, on a beau dire, est du socialisme. Si parce qu’il faut, à ce qu’on dit, faire quelque chose nous ferons des folies, nous sommes perdus. "
Les Copies valent mieux que les extraits, et n'ont pas besoin de commentaires.
M. Vitet est reparti. Les Lenormant me restent jusqu'à vendredi. J’ai eu hier aussi un ancien député conservateur, inconnu et sensé du même département que le duc de Noailles, et qui devait être nommé avec lui au mois de mai dernier s'ils avaient réussi. Les mêmes faits et les mêmes impressions viennent de toutes parts. Soyez tranquille ; je ne serai pas nommée au Conseil général. Adieu. Adieu. Adieu. Voilà votre lettre des 12 et 13. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L012_00446.jpg
Val Richer, Mercredi 14 Nov. 1849
8 heures

Deux lignes seulement. J’ai une multitude de petites affaires. Je ne me plains de rien. J’ai voulu mettre un ordre complet dans mes papiers. C'est fait. Restent maintenant tous les préparatifs de départ. Le temps est superbe. Je voudrais bien qu’en rentrant dans Paris, il fût aussi serein sur la terre que dans le ciel. Je ne l’espère pas. Il faudra que mon plaisir à vous retrouver couvre, pour moi, tout le reste. J’y compte. 11 heures et demie Voilà votre lettre, et je ferme la mienne. Ma maison est n°6 rue Ville l'Evêque. Adieu, adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L012_00066.jpg
Val Richer, Mercredi 12 Sept. 1849 3 heures

Je pars demain à onze heures pour Broglie, après l’arrivée de la poste qui ne m’apportera rien de vous. Je vous ai dit de m'écrire là hier. J’aurais pu retarder d'un cour. Je compte bien trouver votre lettre-là, en arrivant à quatre heures.
Voici de longs extraits d’une lettre de Piscatory qui m’arrive ce matin. Je vous l’enverrais si vous aviez des yeux pour lire cette infernale écriture. " On vient de me demander, et je viens de refuser d’aller à Berlin. Je ne suis pas de ceux qui couvrent avec de la dignité et de la fidélité, la nonchalance et la crainte de la responsabilité. Mais ce qu’il y a à faire à Berlin, quoique considérable, ne me plait pas, et ne me semble pas avoir une chance suffisante de succès. Aux yeux du public, Berlin est un poste, non pas une affaire actuelle et déterminée. Le choix et l'acceptation ne s'appliqueraient pas. Cependant je passerai par là dessus, si je croyais que le Roi de Prusse et les sujets, jacobins et caporaux, pussent être détournés de la voie dans laquelle ils sont engagés et où Palmerston les entraine. Mais je crois qu’on aura beau faire les derniers efforts pour les retirer ; en échouera. Alors la mission se borne à une observation plus ou moins intelligente. On a mieux à observer à Paris qu'à Berlin. Pour vous prouver que ce n’est pas la peur qui m'arrête, je vous avouerai que si on m'offrait Rome, j'aurais bien de la peine à m'empêcher de courir cette très chanceuse. aventure. " Viennent des détails sur la lettre du Président. Moins précis que ceux que je vous ai donnés : " Barrot explique la lettre en disant que c’est l’épanchement d’un jeune Prince qui cause avec un serviteur fidèle. Qu’il vienne dire cela à la tribune, et les plus modérés des républicains jetteront de beaux cris ... En lisant dans le Moniteur le démenti donné par Falloux à la note communiquée à la Patrie, j'ai cru le Cabinet détraqué ; mais on me dit ce soir que Falloux reste. Je ne sais si on viendra à bout d’apaiser tout cela ; mais certainement, quand l'Assemblée reviendra, l'affaire reprendra sa valeur pour désunir le majorité. Evidemment Dufaure l'emporte ; la lettre est à son profit et sur les consuls généraux il a eu influence. " Raisonnements pour établir que cela est inévitable, et qu’il faut lisser, M. Dufaure tranquille. " Nous devons, travailler à remonter le courant en nageant à côté du bateau, et non pas en ramant dans le bateau. Et d'abord est-il bien sûr que nous soyons décidés à ramer ? Thiers y répugne beaucoup. M. Molé n'a qu’une envie de femme grosse, ou plutôt il a appétit parce qu’il prévoit le moment où il n'aura plus de dents pour manger. " Les gros bonnets ainsi écartés, vient une question. " Peut-être est-il vrai que nous devrions avoir notre part dans le Cabinet. Je ne crois pas que cela fût difficile. Mais si les gens de mon opinion et de ma mesure y entrent un jour, je leur prédis que ce sera en victimes dévouées. " Je vous fais grâce des gémissements de la victime. Elle finit par me demander mon avis sur son sacrifice. Il doute que sa qualité de membre de la commission permanente, lui permette de venir me voir à Broglie. Je compatis fort aux embarras de l’Autriche point aux vôtres avec elle. Persistez dans votre très bonne conduite ; allez-vous en et tenez-vous tranquilles. Vous y grandirez encore, et l'Autriche délivrée de votre poids, pourra respirer et se relever. Il me semble que M. de Metternich doit regretter de ne plus gouverner son pays dans ce moment. C’est un grand moment. Sans doute il est fort dur d'avoir été sauvé ; mais c’est beaucoup d'être sauvé. Et d'ailleurs l’Autriche s'est si bien sauvée elle-même en Italie qu’elle peut le consoler de n'avoir pu en faire autant partout.
Pourquoi cherchez-vous une maison pour Lord Beauvale? Est-ce qu'il va revenir à Richmond ? J'apprends ce matin la mort d’un bon homme, l’évêque de Norwich. Rien étourdi et bruyant pour un évêque. Mais très honnête et très bon. Ami intime de mes amis les Boileau, qui en sont désolés. Je suis bien aise que Madame de Caraman vous soit bonne à quelque chose.

Jeudi onze heures
Adieu, adieu. Je pars. Je vais chercher votre lettre. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L011_00496.jpg
Val Richer, Mercredi 8 août 1849 6 heures

J’aime bien le Mercredi. J’espère que la poste arrivera de bonne heure je le lui ai bien recommandé hier. Je vais ce matin déjeuner et faire quelques visites à Lisieux. Il faut que je sois parti à onze heures. Le temps est toujours beau. Nous entrons dans un moment de stagnation. S'il ne survient aucun gros évènement, on ne sera occupé, d’ici au mois d'octobre, que des affaires locales. Pendant la réunion des Conseils généraux, il n’y a plus d'Europe, ni presque de France ; il n’y a que le département, l’arrondissement, les chemins vicinaux, les prisons, les hospices, &etc. Ni la capacité ni le dévouement ne manquent pour ces intérêts-là. Ce pays-ci irait bien si chacun se tenait dans sa sphère, et s'il y avait des hommes naturellement placés et préparés, pour la grande sphère. Dans son état actuel il ressemble à ce que serait le système du monde si toutes les planètes voulaient sortir de leur orbite, et devenir le soleil. Les Phaétons sont notre fléau. Pardonnez-moi mon érudition, astronomique et mythologique. Vous avez habituellement la prétention d'être ignorante. Mais j’ai toujours trouvé quand j’y ai regardé de près ; que vous ne l'étiez pas du tout.

J’ai eu hier la visite des deux anciens députés de l’arrondissement de Caen, Mon. de La Cour et Abel Vautier deux bons conservateurs, très braves gens et fidèles pour moi. Bons types de la bonne moyenne, en fait d’honnêteté et d’esprit. Ils ont toutes leurs anciennes idées, leurs anciens sentiments. Ils regrettent ardemment ce qui n’est plus ; ils ne croient pas à la durée de ce qui est. Et pourtant ils s’arrangent et se résignent comme si ce qui est devait durer toujours. On ne voit pas d'issue et on a grand peur des efforts qu’il faudrait faire et de ce qu’il en couterait pour en trouver une. Je ne les trouble point dans leur disposition. Je prends avec tout le monde, mon attitude de tranquillité parfaite.
Un autre de mes anciens amis dont le nom ne vous est pas inconnu, M. Plichon qui était venu m'attendre au Havre, m'écrit de Paris : « Votre retour a fait une sensation réelle dans le pays ; tout le monde, petits et grands, jeunes et vieux, gens de la veille, du jour et du lendemain, cherche à savoir ce que vous pensez et demande ce que vous ferez. Le sentiment public à votre endroit sera d’autant plus vif que votre attitude sera plus réservée. Moins on connaitra votre pensée sur les hommes et sur les choses plus on dérivera la connaitre ; plus vous vous tairez, plus on attachera de prix à vous entendre parler. Ce sentiment grandira dans le pays à mesure que la situation se développera et ce qui n’aura été d’abord que curiosité deviendra une aspiration réelle et profonde. »
Vous voyez qu’un bon bourgeois des environs de Lille peut être tout à fait de votre avis.

10 h. 3/4
Voilà votre longue lettre. Cela m'est bien dû le mardi. Il faut que je parte pour Lisieux. Je n'ai que le temps de vous dire adieu. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L012_00403.jpg
Val Richer, Mercredi 7 nov. 1849
7 heures

Vous êtes la plus excellente et fidèle glace (miroir est trop petit) qui se puisse voir. Vous me renvoyez toutes les hésitations, fluctuations alternatives du public qui vous entoure. Hier, l'Empire infaillible ; aujourd’hui, impossible. Les brusques revirements d'inquiétude et de confiance d’abattement et d’entrain, ces oublis frivoles et ces préventions entêtées, ce mouvement perpétuel qui avance si peu, ce je ne sais quoi d'immobile, je devrais dire d’incorrigible qui persiste sous ce besoin insatiable de changement et de nouveauté, tout cela, qui est la France, et surtout Paris dans la France, tout cela est dans vos lettres. Tantôt vous le peignez parce que vous l'avez observé ; tantôt vous le reproduisez sans vous en douter. Ce qui, pour vous, est spectacle devient à l’instant tableau dès que vous en parlez. Cela est rare et charmant. D’après ce que vous me dîtes et tout ce qu'on me dit, ma conjecture est qu’on va faire une halte dans la station où l'on s’est un peu brusquement transporté. Les plus étourdis ne sont pas bien hardis. Les plus fiers ne sont pas bien pressés d’avoir satisfaction. On se lance dans une fausse route. On s'en aperçoit. Ce n’est pas une raison pour rentrer dans la bonne. Mais on attend dans la mauvaise, sauf à recommencer. Quelque fois, il n’y a point de bonne route. Ce sont les pires temps. Je vous ai mandé ce qu'on me dit sur moi. Les plus craintifs me conseillent d’attendre jusqu'à ce que l'Empire soit proclamé, ou manqué, jusqu'après le 10 décembre, jour critique, dit-on. Les plus sensés me conseillent de ne point fixer de jour précis à mon retour et d'attendre au jour le jour, un bon moment. Je fais ceci. Je m’arrange pour pouvoir partir soudainement si cela me convient. Je ne dis pas, et je ne sais pas quand je partirai. Si on fait une halte-là, où l'on est aujourd'hui, je changerai très peu de chose à mon premier projet. Il m’est parfaitement indifférent, pour être à Paris, que ce soit M. Odilon, ou M. Ferdinand Barrot qui soit ministre. Je ne veux pas retourner étourdiment à Paris. Je ne veux pas tarder inutilement à y retourner. Ce qui est inutile en ce genre serait inconvenant pour moi. Je ne me fais pas la moindre illusion sur ce qui m'attend à Paris. L’ingratitude ne me touche point ; il n'y en aura jamais plus que je n'en attends. Les stupidités populaires, les perfidies infatigables, et infiniment détournées, des rivaux d’autant plus acharnés qu’il sont un peu honteux les froideurs embarrassées, des indifférents, les poltronneries, des amis, je compte sur tout cela. J'étais puissant avec grand combat. Je suis tombé avec grand bruit. Si j'étais mort, encore passe. Mais je reviens. La plupart s'étonnent quelques uns craignent que je ne sois pas mort. Ma présence est pour les uns un reproche, pour les autres, une inquiétude, pour d’autres simples spectateurs, quelque chose d'inconnu, et par conséquent d'incommode. Tout cela me fait une situation délicate, et qui aura des difficultés. Je ne puis pas la changer. Je ne veux pas l’éluder. S’il y a un bon avenir, je surmonterai ces difficultés. S'il n'y a pas un bon avenir, peu m'importe tout cela. Je ne me serais pas douté du souvenir de la Princesse Wittgenstein. Je le mérite un peu, car je l’ai toujours trouvée très belle, et d’une beauté qui ne ressemble à nulle autre. Je suis très touché d'obtenir ce que je mérite. Onze heures J'ai à peu près répondu d'avance à ce que vous me dites aujourd'hui. Je verrai sur place. Dieu veuille que ce soit bientôt. Plus j'y pense, moins je vois de raison à attendre indéfiniment. Adieu, adieu. Adieu. Il y en a de si bonnes pour ne pas attendre. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L012_00019.jpg
Val Richer, mercredi 5 sept. 1849 3 heures

Certainement, l'Empereur ne peut pas laisser fusiller Georgey. C'est pour lui une question d’honneur, et pour l'Empereur d’Autriche une question de prudence. Si on ne gagne rien à faire comme Georgey, tout le monde fera comme Bem. D'ailleurs, il y a toujours eu faveur pour les militaires qui se sont battus longtemps, et qui ont battu souvent, avant de se rendre. On a peut-être raison de faire juger Georgey ; mais condamné ou non, il faut que le jeune Empereur le prenne et se l’attache. Je parle dans l’idée que Georgey est bien réellement ce qu’il paraît être, et qu’il a bien fait lui-même ce qui s’est fait sous son nom.
Madame la Duchesse d'Orléans et Monsieur le comte de Chambord passeront bien près, l’un de l'autre. Je ne crois pas du tout qu’ils se voient. Mais l’occasion serait bonne et pourrait être mise sur le compte du hasard. Mad. Austin m'écrit : " I spent an hour tête à tête with the Duchers ef Orleans, and found her admirable, at all points, even beyond my expectation. I think I never came near a more perfectly balanced mind, one in which every sentiment had so exactly its just measure. Our people are firmly persuaded thatt her son will neign ; why they can hardly tell ; but so it is. " Je serais assez curieux de savoir pourquoi la bouderie avec la Duchesse de Cambridge, et par qui les marques de mauvais vouloir ont commencé.
Il y a eu conflit à Paris, entre les deux nuances du parti légitimiste. Réunion, solennelle et nombreuse. Les modérés ont lavé la tête aux emportés. On a lu des lettres des Provinces, qui se plaignaient amèrement de l’amertume étalée contre la monarchie de 1830, disant que cela aliénait partout les conservateurs, et qu’on n'entendait pas se laisser gouverner par de telles folies. Les emportés de sont défendus, même assez vivement mais sortis de là, ils ont mis de l’eau dans leur vin, et il y a évidemment une oscillation dans le sens de la modération et de la fusion. Tout cela pour passetemps d'oisifs. Il n'y a de sérieux que le travail lent qui se fait dans tous les esprits, et qui est bien loin du but vers lequel il marche.

Jeudi 6
7 heures Je vous ai quittée hier pour recevoir une visite puis deux autres de Lisieux et des environs. Je suis un peu frappé de l'effet que produit la bonne réception du président à Epernay. L'Empire était hier à l'ordre du jour, dans toutes les conversations. Mettez cela d'accord avec le silence presque absolu des conseils généraux qui ne demandent ni l'Empire, ni seulement la révision de la Constitution, et qui se contentant de discuter leurs affaires locales comme si la France était depuis cent ans en République et bien tranquille en république. Il ne faut jamais se fier aux mouvements superficiels et soudains de ce pays-ci ; ils ne prouvent rien. Il ne faut-pas se fier davantage à ses plus sérieuses et plus calmes démonstrations ; elles ne garantissent rien. Tout est ici également vain, ce qui dure comme ce qui passe et il n’y a pas plus de racines au fond qu'à la surface. Et pourtant quand on vit au milieu de ce pays-ci, quand on y regarde attentivement, il est impossible de croire à sa décadence, de ne pas croire à son avenir. On voit clairement que la prospérité, le bien être, l'activité, la confiance, l'ordre, le bon sens, l'honnêteté tout cela ne demande qu'à venir à s’établer à se développer. Mais il ne suffit pas de demander en ce monde ; il faut vouloir. On ne sait pas vouloir ici ; les honnêtes gens et les gens d’ordre moins que d'autres. Ils cherchent, ils hésitent, ils doutent, ils tâtonnent, ils changent. Et puis ils s'étonnent que tout soit bouleversé autour d’eux ils s’étonnent que leur société ne soit pas forte et stable quand ils sont eux-mêmes, si mobiles et chancelants ! Je suis toujours sur le point de dire à tous les gens là, en causant avec eux : " Mais, malheureux, c’est votre faute ! " Beaucoup en conviendraient, mais du bout des lèvres sans cette conviction forte qui détermine la longue. prévoyance, et le travail soutenu. Un tempérament excellent, un mal très grave, un remède certain, et un malade qui ne sait pas, ou n’ose pas, ou ne veut pas l'avaler ; voilà où nous en sommes. Connaissez-vous rien de plus désespérant ? Pourtant, je me désespère pas Onze heures La poste n’arrive pas, et je suis obligé de partir pour aller déjeuner à Lisieux. Je rencontrerai le facteur en route, et je prendrai votre lettre. Mais il faut que je ferme celle-ci. Adieu. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L012_00194.jpg
Val Richer, Mercredi 3 Oct. 1849 9 heures

Je comprends que l’Autriche et la Russie insistent pour se faire rendre les fugitifs hongrois et polonais. Je comprends que la Turquie, refuse de les rendre. Certainement aucun des grands gouvernements Européens ne les rendrait. Être la seule nation en Europe capable de cela, c’est beaucoup. Les Turcs ne sont plus assez barbares. Sont-ils assez faibles ? Si j’avais à parier, je parierais que les fugitifs s’évaderont et iront en Angleterre. Vous ne ferez pas la guerre à la Turquie pour les reprendre. La France et l’Angleterre ne vous feront pas la guerre, avec la Turquie pour l'aider à ne pas vous les rendre. Tout le monde sera dans une impasse dont tout le monde voudra sortir. Ils s’évaderont. On criera d’un côté, on se taira de l'autre. Et bientôt on n’en parlera plus. Resteront dans le monde Kossuth, Bem, et Mazzini, trois hommes qui se seront fait un nom dans les événements de 48 et 49. La seule chose qui en reste. En apparence du moins et pour quelque temps car si les évènements ont été impuissants et ridicules, leurs causes subsistent, toujours redoutables, à ces trois hommes correspondent trois questions dont deux, l’Italienne et la Polonaise sont insolubles mais très vivaces et dont la troisième la Hongroise ne peut être résolue que par un bon gouvernement Autrichien, ce qui n’est par sûr. Et le vent de folie révolutionnaire, et socialiste soufflant toujours sur ces trois places de l’Europe, il y a à parier que l’accès de fièvre chaude qu'elles viennent de lui donner n’est pas le dernier. Si vous lisiez les journaux légitimistes, vous verriez que le parti catholique lui-même, les politiques du moins, M. de Falloux en tête ne songent qu’à profiter du Motu proprio du Pape pour sortir de Rome sauf à négocier encore après pour obtenir de lui quelque chose de plus, un peu plus d’amnistie ou un peu plus de constitution. On n'insistera pas sur le dernier point. Qui gardera le Pape et Rome après cela ? Peu importe. On aimera mieux les Espagnols que les Autrichiens. On se résignerait aux Autrichiens. L’armée française aura rétabli le Pape dans Rome, et protégé la politique modéré. C’est assez pour s'en aller. Que la politique modérée, et le Pape deviennent ensuite ce qu’ils voudront. La République française ne songe qu'à se laver les mains des révolutions et des restaurations qu'elle a faites. Ni pour les unes, ni pour les autres, elle ne se charge du succès.
Je suis frappé de la rentrée en scène, à Paris de Proudhon et de Louis Blanc par leurs nouveaux journaux la Voix du Peuple et le Nouveau monde. Le parti modéré a beau vouloir dormir ; ces gens-là, ne le lui permettront pas. Ou des batailles au moins annuelles dans les rues, ou un gouvernement assez fortement constitué pour que ceux-là, même qui ont envie de la bataille la croient impossible ; il n’y a pas moyen d'échapper à cette alternative. Il faut que la société mette le socialisme sous ses pieds, ou qu’elle meure de sa main. Et pour mettre le socialisme sous ses pieds, il faut ou cent mille hommes et le général Changarnier en permanence dans Paris, ou un vrai gouvernement. Combien de temps maintiendra-t-on le premier moyen pour s’épargner la peine de prendre le second ? C’est la question.

Onze heures
Nous ne pouvons nous répondre que le lendemain. Je vois que vous craignez plus que moi que la rupture entre la Russie et la Porte ne devienne sérieuse. Si elle devenait sérieuse, vous auriez le dernier. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L012_00197.jpg
Val Richer, Mercredi 3 oct. 1849 Six heures

J’ai eu des visites toute la matinée, de Caen et des environs. Assez amusantes conversations. Des malades qui viennent consulter un médecin pour qui ils professent une grande confiance, et qui discutent toutes ses ordonnances et rejettent les remèdes qui ne leur plaisent pas. Un peu, comme vous. C'est dommage que Molière ne soit pas là. J'espère seulement qu’il se moquerait plus des malades que du médecin. Plus j’y pense, moins je crois que l'affaire de Constantinople puisse devenir sérieuse. On ne se fera pas la guerre, personne ne fera la guerre pour Bem et Kossuth. L'Empereur voudrait-il une occasion de quereller la Porte pour l’établir définitivement dans les Provinces du Danube ? La France et l'Angleterre consultées ne pouvaient répondre autrement qu'elles n'ont fait et la Porte, en les consultant, savait bien ce quelles répondraient. à Pétersbourg et à Vienne aussi, on devait savoir d'avance la demande d’avis et la réponse. C'est là ce qui me frappe. Je suis peu préoccupé de l'affaire en elle-même, mais assez de la façon dont on l’a engagée, comme si on avait envie quelle devint grosse. Je persiste à croire qu’elle ne le deviendra pas. Je craindrais bien plus ce que vous m'avez dit de la Grèce. Une révolution là, pourrait fort bien engager la question d'Orient. Vous conviendrait-il qu’elle s’engageât aujourd’hui quand vous seuls en Europe avez les mains libres et fortes ? L'occasion pourrait tenter un esprit super ficiel. Je crois qu’elle le tromperait en le tentant. Qu'avez-vous besoin de vous remuer ? Vous gagnez sans mettre en jeu. L'Empereur est dans une situation très rare pour un souverain absolu. La force morale est de son côté. Il grandit d’autant plus qu’il fait moins, ou ne fait que par une nécessité évidente. Tous les dangers que courent les autres états Européens, tournent, pour lui en crédit et grandeur. Pourquoi créerait-il lui- même à l’Europe un danger nouveau qui pourrait changer le courant de l'opinion Européenne ? Protéger la Turquie, la Grèce, l’Autriche, le Danemark, protéger tout le monde et n'inquiéter personne, c’est là son rôle aujourd’hui, si je ne me trompe, son rôle d’ambitieux. On n'aura jamais fait plus de chemin avec moins de mouvement. Je serais bien aise de voir la réponse de Schwartzemberg à Palmerston. Pur plaisir du curiosité vindicative. La réponse ne fera pas plus à Londres que la dépêche n’a fait à Vienne. Lord Palmerston est le plus incorrigible des esprits. Il ne comprend pas ce qu’il n’a pas pensé.

Jeudi, onze heures et demie
J'attends le facteur qui est en retard sans doute à cause du vent et de la pluie qui tombe par torrents. Nous avons un détestable temps depuis quatre jours. Je viens d’écrire au Roi pour son anniversaire ( 6 Octobre) Tristes retours aujourd'hui. Je suis sûr que me lettre lui fera un petit plaisir. Il entre dans sa 77e année. Voilà votre lettre qui me troublerait infini ment si je craignais, ce que vous craignez. Je ne le crains pas. Jusqu'ici. Je vous en reparlerai dans la journée. Je le crains si peu que je n’avais pas pensé à cette terrible chance. Adieu Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L011_00462.jpg
Val Richer, Mercredi 1er août 1849 6 heures

Je me lève d'impatience. J’attends la poste. Elle n’arrivera qu'à 10 heures et demie. Que m'apportera- t-elle ? J'ai reçu hier une lettre de Mad. Austin qui me dit que son mari, qui est à Brighton lui écrit que tout le monde s'y porte bien. Je désire beaucoup que vous ayez vu MM. Guéneau de Mussy. Mais que sert tout ce que je puis vous dire de loin ?
Avez-vous remarqué, dans le Times de samedi dernier 28, un excellent article sur l'état de la France que je retrouve dans le Galignani d'avant- hier 30 ? Vraiment excellent. Jamais la conduite de l’ancienne opposition dynastique, et de Thiers en particulier, n’a été mieux peinte et mieux appréciée. Beaucoup de gens en France voient et disent tout cela ; mais ils n'en font ni plus ni moins. Le bon sens porte ses fruits en Angleterre. Là où, il se rencontre en France, c'est une fleur sans fruits. Rien ne se ressemble moins chez les peuples du midi, que la conversation et la conduite ; ce qu’ils pensent et disent ne décide pas du tout de ce qu’ils font. Pleins d’intelligence et de jugement comme spectateurs, quand ils deviennent acteurs il n’y paraît plus. Bresson et Bulwer m’ont souvent dit cela, des Espagnols. Bien pis encore qu'ici, me disaient-ils. Nous n'avons plus le droit d’être sévères pour les Espagnols. Les Hongrois se défendent énergiquement. Je ne sais pas bien cette affaire-là. Je crains que le Cabinet de Vienne par routine ne se soit engagé dans des prétentions et des déclarations excessives non part contre le parti révolutionnaire de Hongrie, mais contre les anciens droits et l’esprit constitutionnel de la nation. On ne saurait séparer avec trop de soin ce qui est national de ce qui est révolutionnaire, ce qui a un fondement en droit et dans les mœurs du pays de ce qui n’est que rêverie et insolence de l’esprit d'anarchie. Le Prince de Schwartzemberg, est-il en état et en disposition de faire ce partage ? Je parle d'autre chose pour me distraire d’une seule chose. Je n'y réussis guères. Adieu. Adieu jusqu'à la poste.

10 heures trois quarts
M. de Lavergne et M. Mallac m’arrivent de Paris, et la poste n'est pas encore là. Parce que j’en suis plus pressé que jamais. Je n'ai pas encore causé du tout avec ces messieurs. Ils sont dans leurs chambres. Je ne pourrai causer avec personne que lorsque j'aurai ma lettre et pourvu qu’elle soit bonne. Voilà ma lettre. Excellente. J’ai le cœur à l'aise. J’étais sûr que M. Gueneau de Mussy vous plairait. Croyez-le et obéissez-lui autant que vous le pourrez faire pour un médecin. Il m’est très dévoué. Il vous soignera bien. Adieu. Adieu. Je vais rejoindre-mes hôtes. Adieu dearest. J’espère que le bien se soutiendra. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L011_00456.jpg
Val Richer, Mardi 31 Juillet 1849 7 heures

Qu'aurez-vous fait ? Où êtes- vous ? Comment êtes-vous ? Je ne puis pas penser à autre chose. J'espère que vous serez allée à Brighton. J'en ai eu hier des nouvelles. Sir John Boileau y est. Il parle du bon état de l’endroit, de la bonne disposition de ceux qui y sont, sans doute le choléra n’y est pas. Et la peur que vous avez du choléra m'inquiète autant que le choléra même. Quand je l’ai eu en 1832. Mes médecins, Andral et Lerminier, ont dit que, si j'en avais eu peur il aurait été bien plus grave. Je n'en avais point peur. Que je voudrais vous envoyer ma disposition ! Et aujourd’hui mardi, je n'aurai même pas de nouvelles de ces nouvelles déjà vieilles de 48 heures. J’espère que vous aurez vu M. Guéneau de Mussy. Il me paraît bon pour donner un bon conseil et de l’appui, aussi bien que des soins. Je serais étonné s’il ne s’était pas mis complètement à votre disposition. Demain, demain enfin, je saurai quelque chose. Quoi ?
Dearest, je veux parler d’autre chose. Voilà l'Assemblée prorogée. Avec une bien forte minorité contre la prorogation. Je doute que ce soit une bonne mesure. Dumon, qui va venir me voir, m'écrit : " Vous êtes arrivé au milieu d’une crise avortée. Le Président ne fera pas son 18 Brumaire dans une inauguration de chemin de fer et l’Assemblée n'a d’énergie que pour aller en vacances. Le parti modéré n'a ce me semble, que les inconvénients de sa victoire. A quoi lui serviront les lois qu’il fait si péniblement ! Est-ce le mode pénal qui nous manque ? Mais déjà les dissentiments percent, dans la majorité. Elle se divise comme si elle n’avait plus d'ennemis. Je crains bien que le parti légitimiste ne soit avant longtemps, un obstacle à la formation, si nécessaire du grand parti qui comprendrait les libéraux désabusés, les conservateurs courageux, et les légitimistes raisonnables. Il a bien bonne envie d'exploiter à son seul profit, cet accès de sincérité qui fait faire depuis huit jours tant de confessions publiques, et il semble disposé à marchander l'absolution à tout le monde, sans vouloir l'accepter de personne. Tout ce que je vois, tout ce que j’entends dire me donne une triste idée de la situation du pays. Avec l'économie sociale d’une nation civilisée nous avons l’état politique d’une nation à demi barbare. L'industrie et le crédit ne peuvent s’accommoder de l’instabilité du pouvoir ; la douceur de nos mœurs est incompatible avec sa faiblesse. Nous ne pouvons rester tels que nous sommes ; il faut remonter ou descendre encore. Notre faiblesse s'effraie de remonter ; notre sybaritisme s'effraie de descendre. Il faut bien pourtant ou travailler pour le mieux, ou se résigner au pis : tout avenir me semble possible excepté la durée du présent. Je ne crois pas que la prolongation (je ne dirai pas la durée) du présent soit si impossible. Le pays me paraît précisément avoir assez de bon sens et de courage pour ne pas tomber plus bas, pas assez pour remonter. On compte beaucoup, pour le contraindre à remonter sur l’absolue nécessité où il va être de retrouver un peu de prospérité et de crédit qui ne reviendront qu’avec un meilleur ordre politique. Je compte aussi, sur cette nécessité ; mais je ne la crois pas si urgente qu’on le dit. Nous oublions toujours le mot de Fénelon : " Dieu est patient parce qu'il est éternel. " Nous croyons que tout ira vite parce qu’il nous le faut, à nous qui ne sommes par éternels. Je suis tombé dans cette erreur-là, comme tout le monde. Je veille sans cesse pour m’en défendre. Je conviens qu’il est triste d'y réussir ; on y gagne de ne pas désespérer pour le genre humain ; mais on y perd d’espérer pour soi-même.
Dîtes-moi qu’il n’y a plus de choléra autour de vous et que vous n'en avez plus peur, je serai content, comme si j’espérais beaucoup, et pour demain.

Onze heures Je n'attendais rien de la poste et pourtant. il me semble que c’est un mécompte. Adieu, adieu, adieu, dearest. God bless and preserve you, for me ! Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L012_00349.jpg
Val Richer, Mardi 30 octobre 1849
7 Heures

Il fait très beau, mais presque froid. Je l’aimerais assez. Il faut choisir à présent entre la gelée et la pluie. Vous ne me dîtes rien de votre santé. Donc, je n‘ai rien à vous en demander. J'ai dit à M. Moulin, ce que je pense comme je le dirai quand je serai à Paris. J'ai acquis le droit de tout dire. Ce qui ne veut pas dire que j'en serai toujours. Mais je ne me laisserai gêner par personne. Le discours de Berryer, était beau et vraiment monarchique. Pas habile. Point d’idée nette de l’attitude qui convient au parti légitimiste, et des paroles qui vont au parti conservateur. Je m'étonne toujours que les partis n'aient pas instinctivement le sentiment de la conduite et du langage qui leur donneraient le succès. Le fait est qu’ils ne l’ont pas. C'est qu’ils aiment bien mieux ce qui leur plaît que ce qui les ferait. réussir. Ils parlent pour se satisfaire au moment, non pour atteindre leur but. Agir et parler pour ce qu'on veut, au fond, et non pas pour ce qui chatouille agréablement, à la peau, il n’y a que cela de sensé et de manly. Nous n'en sommes pas là. Merci de votre silence avec Mad. de Boigne. Je les connais bien l’un et l'autre. Je serai très poli ; mais il faut qu’ils me sachent un peu froid. Moi aussi, je suis curieux des détails de Pétersbourg. Mais j’ai mon parti pris si l'Empereur profite de sa boutade en y mettant fin, je le tiens pour un très habile homme. Il faut qu'elle ne soit ni prolongée, ni inutile. Il a raison de traiter magnifiquement, la venue et la fille de son frère. Vous rencontriez quelque fois jadis Mad. Roger, Savez-vous si elle est à Paris ? On me dit que son mari est devenu excellent conservateur passionné et courageux, intimement avec le Général Changarnier. Très Eisenach. Lui, Jules de Lasteyrie et Jules de Mornay, un petit comité de fidèles inébranlables. Je suppose que d’Haubersart n'est pas à Paris. Vous l'auriez certainement vu. Il me paraît qu’il n'y a pas encore beaucoup de monde à Paris, du monde français. Savez- vous quand le duc de Noailles quitte Maintenon ?

Midi
Voilà votre lettre qui me dit qu'il est à Paris. Je suis de son avis en ce point que si on reste dans l'ornière actuelle, on va droit à la rivière. Tout le monde. Adieu, adieu. Je ne comprends pas, le retard de ma lettre. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L011_00408.jpg
Val Richer. Mardi 24 Juillet 1849 8 heures

Je n'ai pas encore reçu le Galignani. Cela m'impatiente. Je voudrais voir ce qu'a dit Lord Aberdeen du Roi, et de moi. Il faudra me faire à la patience. La différence est grande entre habiter Paris ou Londres et ma maison au milieu des bois, à trois lieues même de Lisieux. Tout se fait attendre. Ce n’est pas la place des fantaisies pressées. Une seule chose du reste m'est nécessaire, la régularité des lettres, et j'espère qu’elle ne me manquera pas. L'inquiétude par dessus l’impatience serait insupportable. Le choléra à Brentford me préoccupe et j’éprouve ce qui me déplait le plus, un sentiment combattu. En même temps que je m'inquiète, je voudrais vous rassurer. Je cherche les raisons qui vous conviennent à vous, et je trouve surtout celles qui ne me conviennent point à moi. Après tout voici ce qui me rassure le plus. Ne vous en inquiétez pas. Il y a eu et il y a encore dans ce pays-ci quelques cas de choléra, épars et rares. Quand l'épidémie n’est pas plus intense, elle n'attaque presque jamais que ceux qui commettent vraiment des excès ou des imprudences. J'ai vu depuis trois jours trois médecins, un de Paris, et deux d'ici, qui me l'ont tous affirmé et prouvé par les exemples. Il en est très probablement de même en Angleterre, et à Richmond comme à Lisieux. Je vous répèterai sans cesse ; point d'imprudence et votre promesse.

Le discours de M. de Montalembert vous aura plu, beaucoup d'esprit, de l’esprit de bonne compagnie, et un cœur chaud et sincère. Jules Favre, un sophiste habile, qui excelle à dire des généralités à peu près vraies et à en faire des applications parfaitement fausses. C'est le grand art des révolutionnaires ; moralistes sur la scène coquins dans la coulisse et glissant très adroitement de l’une dans l'autre. Odilon Barrot a été bien ridicule avec ses prétentions, à la fois pompeuses et embarrassées, à la consistance et à la libéralité imperturbable. C’est toujours le même homme. Le repentir même ne le change pas.

Onze heures
Point de lettre. J’ai envie de dire comme vous ; c’est parce que j'ai parlé de la régularité de notre correspondance ! Toute vanterie porte malheur. J'espère que le dimanche est pour quelque chose dans ce retard. J'attendrai demain avec une double, triple impatience. Adieu. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L012_00302.jpg
Val Richer, Mardi 23 octobre 1849
7 heures

Madame Austin m'est arrivée hier. Voici ce que m’écrit Reave : « Je suis revenu à Londres au moment de la discussion turque. Au fond, de part et d’autre, je sens que nous avons pris cette affaire un peu trop vivement et Lord Palmerston en a profité pour jeter une pierre dans le jardin de ses adversaires. Mais il en résulte que l’Angleterre a montré que les endormeurs du Peace congress, ne l’avaient pas tout à fait assoupie, que l'Empereur de Russie s’attachera davantage à son état de repos armé ; et que l’on a acquis ici des notions plus justes sur la valeur vraie de la soi-disant alliance de la République française, qui consiste essentiellement à ne rien faire. A tout prendre, je ne regrette pas cette petite campagne, malgré le petit ridicule qui s’attache à tout excès de vigueur hors de propos. Du reste la mission arrogante du Prince Radziwill et l'exécution militaire de Louis Balthiany, sans la procédure judiciaire qui devait faire ressortir sa culpabilité sont, je crois, les deux fautes capitales des Empereurs alliés. On dit qu’il a été saisi une correspondance de Bathory, étant ministre avec le Roi Chartes Albert. Si cela est vrai, il aurait suffi de constater le fait devant la justice. du pays pour le conduire au supplice d’une manière légitime. »
Vous voyez qu’on sait à quoi s’en tenir à Londres sur le concours qu'on peut attendre de la République française, et qu’on ne croit pas à de bien grands coups après tant de bruit. Vous dites bien : le problème à résoudre pour l'Empereur c'est de concilier la grande attitude avec la raison. Il en viendra à bout, sa boutade n’a pas été heureuse ; elle a retourné contre lui l'Europe qui allait à lui, et elle ne lui vaudra pas en Turquie ce qu'elle lui a fait perdre en Angleterre et en France. Il n'en avait pas besoin pour faire, à l'occasion des affaires de Hongrie, un grand pas vers Constantinople. Le pas était fait ; et s'il tenait à le constater, il y avait dix manières d'atteindre ce but là, à meilleur marché. L'Empereur s’est laissé aller à une première idée, et à un premier accès de vainqueur. Il lui en coutera quelque chose de le reconnaitre et de rentrer dans une autre voie. Mais il le fera. Il a un sentiment trop juste de sa mission et de son intérêt de souverain, je veux dire de grand souverain, pour le lancer et pour lancer l'Europe dans le chaos de la guerre et de la révolution parce qu'on ne lui livrera pas Bem et Dembinski. Je suis très curieux, mais plus curieux qu'inquiet du résultat de la mission de Fuad. Effendi. Reeve me dit peu de chose de l'état des esprits en Angleterre sur nos affaires intérieures. Ceci seulement qui est sensé et qui me plaît assez. « Nos yeux se tournent de nouveau avec. sollicitude vert la France. Si M. Thiers se décide enfin à prendre un rôle plus actif, je ne vois devant lui qu’une des catastrophes qui lui sont familières. Il ne manquerait plus que cette direction suprême pour couronner les malheurs du pays. Je suis de plus en plus heureux que vous soyez complètement étranger à ce qui se passe dans cette assemblée. C'est là, je crois le sentiment de tous vos amis de ce côté de la manche, et de plusieurs de ceux qui m’écrivent de l’autre. Dans une position aussi radicalement fausse que celle de la République, il est impossible de faire autre chose du pouvoir qu’une déplorable fiction. " Je suis content de l’issue du débat sur Rome. Le défilé est passé. Le gouvernement, Président. et cabinet s’en tire sans y grandir, et la bonne cause est la seule qui ait été bien défendue. Ce sont là, pour le moment, les seuls résultats auxquels en toute occasion, il faille prétendre. Je doute que j’ai aussi pleinement satisfaction dans les deux questions encore sur le tapis, l'affaire turque et le rappel des deux branches bannies. On passera aussi ces deux défiles ; mais personne, je le crains ne dira ce qu’il y aurait à dire sur l’une et l'autre affaire, comme Montalembert, et même La Rozière, l'ont dit dans celle de Rome.
Onze heures et demie
Adieu, Adieu. Je n'ai que le temps de fermer ma lettre La vôtre est intéressante. J'en reçois une de Piscatory qui l’est aussi. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L011_00575.jpg
Val Richer, Mardi 21 Août 1849
Sept heures

Votre dernière lettre est datée du 18 Août, juste un mois après mon départ. C'est déjà bien long. Chaque jour plus long. Vous me dîtes : " Je veux de la sécurité à Paris. Qui me répond que j'en aurai ? " J'y regarde bien. J’ai toutes les raisons possibles d'y bien regarder, vous la première. Plus j’y regarde, plus je crois à la sécurité matérielle dans Paris. Et je ne vois personne qui n’y croie comme moi. Les coquins sont aussi abattus dans leur cœur que décriés dans le public. Non pas certes qu’ils renoncent. Mais dans l'état actuel, ils ne se croient aucune chance de succès. Ils attendront un autre état. Viendra- t-il un autre état ? Ceci, je le crois, et tout le monde, le croit. Il n’y a donc pas de sécurité politique. L'avenir amènera des évènements. Lesquels et quand ? Personne ne le sait. Tout ce qu'on peut dire, tout ce que disent tous les hommes sensés, c’est que dans trois ans, si d'ici là on ne fait rien, la réélection du Président et de l'assemblée fera une révolution, bonne ou mauvaise plus probablement mauvaise. Et probablement avant ce terme, aux approches de ce terme, pour éviter cette révolution inconnue, les pouvoirs aujourd’hui établis, et certainement, les plus forts, l'Assemblée, le Président, le Général Changarnier feront quelque chose. Personne ne sait quoi, ni quand. Tout le monde croit à quelque chose et croit que quelque chose sera nécessaire. Je reviens donc à mon point de départ. De la sécurité matérielle, oui. Pas de troubles dans la rue. De la sécurité politique, pas d’évènements graves. Personne ne peut vous promettre cela. La question se réduit donc à ceci : quel genre et quel degré de sécurité vous faut-il ?
M. de Metternich a raison ; l'exécution du prêtre à Bologne est stupide. C’est du bois sur un feu qui s'éteint. Les gouvernements vainqueurs ne savent pas le mal qu’ils se préparent quand ils redonnent un bon thème aux mauvaises passions vaincues. Ce que veulent surtout les révolutionnaires, c’est un fait, un acte, un nom-propre, de quoi parler. Ils excellent ensuite à commenter et à répandre.
Je ne comprends pas Brünnow à votre égard. Non seulement de la négligence, mais de la malveillance, c’est trop bête pour un homme même pour un subalterne d’esprit. Il faut que je ne sais quand, je ne sais comment, vous l’ayez blessé dans quelque secret repli de son cœur subalterne. Vous pouvez avoir le Génie de l'offense ; quelque fois le voulant bien, quelquefois sans le savoir. Peu importe du reste cette occasion-ci. M. de Brünnow n'apprendra rien à Lord Palmerston sur l’amitié que vous lui portez.
Je regrette bien Lord Beauvale pour vous. C'est évidemment la conversation qui vous plaît le plus. Pourquoi les Ellice ne veulent-ils plus venir à Paris ? Est-ce que le père et la mère ont peur ? Avez-vous des nouvelles de Bav. Ellice ? Est-il en Ecosse ? J’ai vu arriver hier un petit anglais, le second fils de Sir John Boileau. Il vient passer huit jours au Val Richer. L’aîné est aux Etats Unis. Milnes veut venir me voir ici. Bon homme et fidèle, malgré la promiscuité de son amitié.

Onze heures
J'ai beau faire ; j’attends la poste le mardi comme les autres jours. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L012_00266.jpg
Val Richer, mardi 16 octobre 1849
8 heures

Je ne pense pas que même en essuyant aucun retard, vous puissiez être demain soir à Paris. Vous ne partirez certainement pas de Boulogne aussitôt après votre arrivée. Vous y coucherez. Mais je ne veux pas courir la moindre chance qu'en arrivant à Paris vous n'y trouviez rien de moi. C'est bien assez de n’y pas être moi-même. Boislecomte est ici jusqu’à demain soir. Nous avons déjà beaucoup causé. Très noir, mais point démoralisé. Croyant à un avenir possible, mais lointain. Vous en saurez bientôt plus que je ne puis vous en dire. Il me paraît que pour le moment. Rome n’est plus rien. Constantinople pas grand chose ; c’est l'adoption, ou le rejet, ou l'ajournement de la proposition sur les rois bannis qui est la grosse affaire. La réunion du conseil d'Etat en a été bouleversée. Je doute que la majorité reste longtemps intacte et immobile. Il faudra qu'elle avance. Et si elle avance, elle se divise. Etrange pays, où tout le monde parle sans cesse de progrès, et où personne n'en fait aucun ! Cependant j’ai une lettre de Piscatory qui croit l'affaire de Constantinople grosse. Il en est très occupé, ou plutôt préoccupé. La majorité ne paraît avoir aucun goût à s'embarquer, dans la barque de Lord Palmerston. C'est le président qui porte tout son poids de ce côté. Adieu, adieu. Quand vous m'écrirez de Paris, vous m'enverrez les faits, je vous renverrai mes réflexions. En attendant que faits et réflexions nous soient communs. Adieu, adieu, adieu.
P.S. Voici, en résumé, les deux faits. qui me sont signalés comme nouveaux et importants. 1° La France est à la remorque et à la merci de l’Angleterre dans l'affaire de Constantinople. C'est le président qui l’y a mise. Son cabinet était divisé. Molé et Thiers lui conseillaient de n'en rien faire. 2°. La majorité s’est séparée, ou est près de se séparer du Président, sur Rome, sur Constantinople et sur le rappel des bannis. Pronostics d'immense confusion. Armand Bertin était attaché à l'Ambassade de M. de Châteaubriand. Un soir en rentrant M. de Châteaubriand lui dit : " Madame de Lieven me traite bien mal. Elle ne sait pas à qui elle a affaire ni quels sont mes moyens de me venger. Certainement je me vengerai ? " Votre article d’Outretombe a été écrit alors de verve de vengeance. Il y a ajoute depuis ce qui me regarde. Je vous dis ce qu’on vient de me dire. Je ne l’ai pas lu.
Onze heures
Merci de votre second mot de Londres. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L012_00441.jpg
Val Richer Mardi 10 Nov. 1849
8 heures

Je n'ai vraiment rien à vous dire. Il me semble que, pour toutes choses, j’aime mieux attendre. Ecrivez-moi encore un mot demain mercredi. Je le prendrai Jeudi en passant à Lisieux. Le décousu et les contradictions dont se plaint Kisseleff, ne m'étonnent pas. Je serais étonné qu’il en fût autrement. C'est le même mal pour l'extérieur et pour l’intérieur. On est et on sera tantôt Russe, tantôt anglais, comme tantôt coup d’Etat, tantôt constitution. Il n'y a, à parler sérieusement, point d’idée et point de volonté, Des velléités, tantôt lancés en avant, tantôt retirées à travers des tâtonnements continuels. Et on ne sort des tâtonnements que par des essais de coup de tête qui avortent. Avorteront-ils toujours ? Je ne sais. En tous cas, il n'y a pour les hommes sensés, qu’une conduite à tenir soutenir le pouvoir, quels que soient son nom et sa forme, tant qu’il voudra faire de l’ordre et du pouvoir. Toutes les susceptibilités, exigences, oppositions, dissidences, me paraissent aujourd'hui des puérilités. Je me crois sûr que la commission auprès de lord Lansdowne, sera faite, et bien faite. Est-ce que vous n’avez pas vu Salvandy ? Mad. Lenormant m’écrit qu’elle l’a rencontré chez Mad de Boignes, et qu’il s'est laissé croître une crinière qui lui donne l’air d’un bison. Il est toujours au courant et raconte tout. Je retrouverai à Paris tous les anciens ministres, à l’exception de Duchâtel qui ne reviendra qu’en Décembre. Je dois avoir conservé, ma bonne mine d’Angleterre, car je me porte bien J’ai eu pendant quelques jours des commencements désagréables de crampes d'estomac qui revenaient à la même heure. Cela est passé. Je vous quitte pour mettre des livres en ordre. Je laisserai ici ma maison bien rangée. J'aurai absolument besoin à Paris de me réserver les premières heures de la matinée. Je tiens à finir et à finir bientôt ce que j'ai commencé. Onze heures J’ai certainement un vif plaisir à faire mes arrangements. Malgré un beau soleil qui persiste. Adieu, adieu, adieu. G.
Formats de sortie

atom, dcmes-xml, json, omeka-xml, rss2