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Val-Richer, Mardi 15 juillet 1851, François Guizot à Dorothée de Lieven
A toutes les perfections que possède Auguste, je voudrais bien qu’il ajoutât celle de bon cuisinier. Je n’ose vous dire de faire comme moi, quand le mouvement de bile se prolonge ; une petite, très petite pilule de très peu d'opium. Il ne faut pas jouer avec l'opium ; n'en prenez jamais que sur l’ordre d’un bon médecin en qui vous ayez confiance. Mais pour moi, la diète et une ou deux pilules mettent fin sûrement à cet ennui
Vous avez toujours eu l’esprit que vous avez. Mais vous en faisiez un usage très exclusif, la vie du monde et votre diplomatie Russe. Hors de là, vous ne pensiez à rien. Depuis vous avez découvert de nouveaux mondes. Vous en découvrez encore ; témoin M. de Maistre. Vous êtes, en tout, très exclusive, ce qui est singulier, étant très impartiale. Et ce qui est encore plus singulier, c’est que vous êtes beaucoup plus impartiale pour les personnes que pour les choses. Vous rendez volontiers justice à toutes les personnes, n'importe lesquelles. Mais pour les choses vous dédaignez souverainement, ou vous ne voyez pas du tout celles qui ne rentrent pas dans vos habitudes et dans vos goûts de tous les jours.
J'ai reçu hier tous mes journaux, sauf les Débats qui, j'espère bien ne me manqueront pas aujourd’hui. Je n’y trouve rien d'important si ce n'est les trois élections qui viennent d'avoir lieu pour l'assemblée ; toutes trois Elyséennes, et deux en remplacement de deux rouges. C’est un symptôme remarquable. L’abstention systématique des légitimistes et des rouges est remarquable aussi. La loi du 31 mai en est bien atteinte. Dans une élection générale, l'abstention n'aurait certainement pas lieu ; mais de graves désordres la remplaceraient. Il faudrait un gouvernement bien fort pour faire pratiquer en paix un système électoral qui rencontre une si forte opposition. Un autre fait qui mérite d'être remarqué, c’est la guerre déclarée, dans le soin du parti légitimiste entre l'Union, et l'Opinion publique, le journal de Berryer, et celui de M. de St Priest. Le Duc de Lévis doit être désolé. Il employait tout ce qu’il a d'influence à prévenir l'explosion de la scission. La scission n’ira pas jusqu'à brouiller les individus ; mais elle troublera la marche du parti. Ni uni, ni divisé ; c'est le caractère du temps, et le symptôme d’une transformation.
10 heures
Sachez donc une fois pour toutes, je vous en prie, que toutes vos lettres sont intéressantes pour moi. Mon bulletin de l'Assemblée à la fin de la séance du 14, me dit. " M. de Falloux vient de parler avec un grand talent, beaucoup d'élévation et d'habilité. Il a franchement arboré le drapeau de la fusion. L'assemblée est restée froide. Nous ne sommes pas encore compris. M. de Falloux a répondu très heureusement au mot de M. Thiers : " la république est le gouvernement qui nous divise le moins. " - " C'est le gouvernement, a-t-il dit, qui nous tient divisés, puisqu'il, nous permet de rester divisés." - Le discours a été court sans être écouté. La force physique manquait. " Ceci vous arrive par un long détour. Je vous l'envoie pourtant. J'aurai un bulletin tous les jours ; les impressions intérieures de l'Assemblée. Adieu. Adieu. G.
Val-Richer, Mardi 14 octobre 1851, François Guizot à Dorothée de Lieven
Si j'en juge par ce qui m'a dit mon petit homme et par ce qui m’est encore revenu depuis, le trouble et le découragement sont grands parmi les plus intimes et les plus puissants Elyséens. Carlier et Morny mal ensemble, presque brouillés. Morny répétant : "Il n'y a rien à faire puisque personne ne veut nous aider." Il a paru dire qu’il fallait laisser le Cabinet tel qu’il est n'en pouvant former un qui sût ce qu’il y a à faire. Je soupçonne qu’il y a, dans tout cela, plus de jeu que de réalité et pas autant de peur qu’on en montre.
Cartier a, dit-on, grande envie d'être ministre de l’Intérieur, et ne menace de sa retraite sous le drapeau de la loi du 31 mai que parce qu'on ne se prête pas à son désir. Est-ce que M. Léon Faucher ne paiera pas seul les frais de tout ce bruit. Il doit venir à Falaise le 26, présider à la fête de Guillaume le conquérant, aura-t-il le temps ?
Ce que dit Constantin au sujet du passeport de votre fils me donne quelque espérance. Il a probablement quelque raison de parler ainsi. Dieu le veuille ! Faites-lui, je vous prie, mon compliment de condoléance sur la mort de son petit enfant. Quel mystère que l’apparition si fugitive de ces âmes, créées pour ne pas même s’éveiller à la vie ?
Alexis de Saint-Priest est certainement le premier de l'Académie Française qui soit mort à Moscou. Tel que je le connaissais, il a dû lui en coûter beaucoup de mourir. C’était un épicurien et un Voltairien très sensuel et très sceptique. Homme d'esprit d'ailleurs, observateur fin et très médiocre agent. Toujours des prétentions au-dessus de ce qu’il était et de ce qu’il pouvait être. Je ne sais comment nous le remplacerons à l'Académie. Il sera tout-à-l'heure aussi difficile de trouver un Académicien qu’un Président. On aurait bien étonné, M. de Saint-Priest si on lui avait dit qu’il mourrait avant le chancelier.
M. de Falloux sera un jour de l'Académie. Mais je ne crois pas que le moment soit encore venu. On donnerait en le présentant trop tôt de l'humeur à des gens qui doivent voter pour lui. Je suis charmé du succès qu'il a eu en passant à Lyon. Il a bien compris la disposition du moment. C'est avec cette douceur et cette abnégation actuelle qu’il faut parler pour faire faire à la fusion un pas de plus. Le pas sera réel, quoique peu apparent. Quand vous verrez le duc de Noailles reparlez-lui donc de Berryer pour l'Académie. Il faut que l’une des deux places vacantes soit pour lui.
11 heures
Je n'attendais point de nouvelles ce matin. C’est aujourd’hui que la situation fera un pas, si elle doit marcher, ce dont je doute encore. Adieu. Adieu. G.
Val-Richer, Mardi 13 novembre 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
8 heures
Je n'ai vraiment rien à vous dire. Il me semble que, pour toutes choses, j’aime mieux attendre. Ecrivez-moi encore un mot demain mercredi. Je le prendrai Jeudi en passant à Lisieux. Le décousu et les contradictions dont se plaint Kisseleff, ne m'étonnent pas. Je serais étonné qu’il en fût autrement. C'est le même mal pour l'extérieur et pour l’intérieur. On est et on sera tantôt Russe, tantôt anglais, comme tantôt coup d’Etat, tantôt constitution. Il n'y a, à parler sérieusement, point d’idée et point de volonté, Des velléités, tantôt lancés en avant, tantôt retirées à travers des tâtonnements continuels. Et on ne sort des tâtonnements que par des essais de coup de tête qui avortent. Avorteront-ils toujours ? Je ne sais. En tous cas, il n'y a pour les hommes sensés, qu’une conduite à tenir soutenir le pouvoir, quels que soient son nom et sa forme, tant qu’il voudra faire de l’ordre et du pouvoir. Toutes les susceptibilités, exigences, oppositions, dissidences, me paraissent aujourd'hui des puérilités. Je me crois sûr que la commission auprès de lord Lansdowne, sera faite, et bien faite. Est-ce que vous n’avez pas vu Salvandy ? Mad. Lenormant m’écrit qu’elle l’a rencontré chez Mad de Boignes, et qu’il s'est laissé croître une crinière qui lui donne l’air d’un bison. Il est toujours au courant et raconte tout. Je retrouverai à Paris tous les anciens ministres, à l’exception de Duchâtel qui ne reviendra qu’en Décembre. Je dois avoir conservé, ma bonne mine d’Angleterre, car je me porte bien J’ai eu pendant quelques jours des commencements désagréables de crampes d'estomac qui revenaient à la même heure. Cela est passé. Je vous quitte pour mettre des livres en ordre. Je laisserai ici ma maison bien rangée. J'aurai absolument besoin à Paris de me réserver les premières heures de la matinée. Je tiens à finir et à finir bientôt ce que j'ai commencé. Onze heures J’ai certainement un vif plaisir à faire mes arrangements. Malgré un beau soleil qui persiste. Adieu, adieu, adieu. G.
Val-Richer, Mardi 11 septembre 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
Nous ne sortons pas ici des orages. Mais soyez tranquille ; je ne me laisserai plus mouiller. Je n’avais vraiment pas eu grand tort d’oublier mon parapluie ; il faisait très beau depuis plusieurs jours, et pas la moindre apparence d’un changement de temps. Je ne me croyais plus à Londres. Je vais à Broglie après-demain 10. Je serai de retour au Val Richer le 22. J’ai promis de passer là quinze jours. Je ne veux pas me déplacer, ce qui est toujours un peu cher, même pour aller si près pour trois jours seulement. J'y vais avec mes enfants. Melle Chabaud qui est ici, est également invitée. Si vous venez à Paris à la fin de septembre, j'irai vous y voir dans les premiers jours d'Octobre, après mon retour au Val-Richer. Vous voir, quel bonheur ! Mais ne vous voir que pour vous quitter si tôt! Je devrais être fait aux sentiments combattus. Ma vie en a été et en est pleine. Je ne m’y accoutume pas du tout. Je suis vieux ; mais je jouirais encore, si vivement du bonheur complet et simple !
Duchâtel a quitté Paris, assez ennuyé et toujours perplexe. Il voudrait bien n'avoir ni doutes d’esprit, ni embarras de décision, voir toujours clair et être toujours sûr du succès. La prétention du Sybaritisme dans la vie commune est déjà beaucoup ; mais dans la vie publique, c’est trop. Du reste, je sais qu’il se promet beaucoup d’agréments de votre salon à Paris cet hiver " un salon neutre, dit-il, où nous verrons tout le monde et où nous pourrons dire notre avis à et sur tout le monde, sans nous gêner. " Les légitimistes se disent, et ont été, je crois vraiment très fâchés, que Madame la Duchesse d'Orléans et M. le Duc de Bordeaux, aient passé si près l’un de l'autre pour rien : " Mais c’est donc un parti pris, disent ils, de ne pas se rencontrer. Si nous l'avions su M. le comte de Chambord aurait attendu. C'est sûr." M. Véron parle bien de M. le comte de Chambord : " Intelligent et sympathique" ce sont les expressions.
Onze heures Voilà, mon triste courrier du Mardi. Il ne m’apporte rien de Paris. Mais j’aurai des visites ce matin. Adieu. Adieu. Adieu. G.
Val-Richer, Mardi 11 septembre 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
4 heures
Voici l’histoire de la lettre du Président sur Rome. Il l’a écrite lui seul. Puis il l’a montrée d'abord à M. de Tocqueville, qui s’est un peu effarouché, et a fait des objections. Le Président a réfuté les objections et soutenu sa lettre ajoutant d'ailleurs, qu’elle était partie. La conversation a continué entre eux et Tocqueville entrainé, moitié par les raisonnements, très obstinés (du président) moitié par l'autorité du fait accompli, a fini par se rendre et par approuver la lettre se réduisant à demander qu’elle fût montrée au Conseil. Le président y a consenti ; le conseil a été convoqué et la lettre montrée. Tous les ministres présents, sans exception ; nommément M. de Falloux. Tous, ou presque tous, ont répété les objections de M. de Tocqueville. Tous sont revenus au même point, à l’approbation de la lettre partie. Le Président a bien constaté cette approbation. Puis, trois jours après, il a dit que sa lettre n'était point partie avant la délibération du Consul mais seulement le lendemain. Ils se sont regardés, et n’ont rien dit. Vous savez tout ce qui a suivi la publication de la lettre. On dit qu'elle a été écrite par l'inspiration de Dufaure. C'est vraisemblable, et tout le monde le croit. Le parti légitimiste a fait dire au Président, par un intermédiaire fort accrédité auprès de lui, qu'ils étaient bien fâchés mois qu'il leur serait impossible de voter pour lui, sur cette question, dans l'assemblée, qu’ils ne pourraient se dispenser de voter avec le petit parti catholique (30 ou 40 membres) qu’il s’était aliéné par sa lettre. Que la majorité courait donc grand risque d'être disloquée. Le général Changarnier blâme ouvertement la lettre et paraît, en tout, moins intime avec le Président. Les conséquences de ceci à l’intérieur, peuvent donc être grosses. Quant aux conséquences à l'extérieure, il faut attendre ce que diront le Pape et l’Autriche. Je doute qu'ils fassent comme les ministres du Président et qu'ils avalent la lettre parce qu'elle est écrite et publiée. Le rédacteur du journal légitimiste de Caen vient de m’arriver en hâte pour me dire que la réconciliation des deux familles était faite, que M. le Duc d’Escars le lui écrivait positivement, et que son journal l’annoncerait demain. Ils sont évidemment en grand travail pour faire faire, et surtout pour faire croire. On dit que M. de Montalivet, agit fort dans ce sens. Vous en revient-il quelque chose ?
Autre bruit de Dieppe. Thiers a fait une longue promenade en mer, dans un bon canot, avec trois hommes sûrs. Il a rencontré au large M. le Prince de Joinville, et ils ont passé deux heures ensemble. L’attaque contre Dufaure, pour sa répugnance à écarter les fonctionnaires rouges au quasi-rouges, sera très vive. Chacun a des faits choquants à citer. La coïncidence de deux attaques vives sur la politique du dedans, et celle du dehors, fera plus que doubler l'effet. Le cabinet peut sortir de la mort, et le Président blessé. Je ne rencontre personne qui croie au dire de Morny sur Thiers et Molé prenant le pouvoir. Le choléra devient plus rare à Paris. Toujours grave quand il vient, mais plus rare. On dirait aujourd’hui qu’Odilon Barrot, en était atteint. Ce qui est sûr, c’est qu’il a été assez souffrant pour demander instamment qu’on le laissât. tranquille pendant huit jours, sans lui parler de rien, dans sa maison de campagne de Bougival. Il y était en effet quand la publication de la lettre du Président est venue l’en tirer. M. de Villèle est fort malade, dans sa terre près de Toulouse. Plus malade encore d'esprit que de corps. La tête très affaiblie, presque en enfance. Il n'a que 75 ans. M. Ravez sera remplacé à l'Assemblée par son fils. Il me semble que j'ai vidé mon sac. J’ai eu du monde toute la matinée de Paris, Trouville et Caen.
Lady Anna Maria Domkin est partie ce matin. Encore un orage tout à l'heure. Mercredi 12, huit heures Toujours la pluie, et assez froid. J’ai eu hier un assez bon échantillon de la disposition des fonctionnaires qui servent ce gouvernement-ci. Le Préfet du département est venu me voir. Il n’était pas encore venu, moitié par lâcheté, moitié à cause de la session du Conseil général. C’est un homme sensé, intelligent, honnête tout cela dans la région moyenne, et préfet sous la monarchie. Il a l’esprit très libre, et la langue assez libre sur toutes choses, y compris toutes les personnes. Il m’a raconté le séjour du Président au Havre où il était la session de son Conseil Général, les circulaires des Ministres, les discours en promenade de M. Léon Faucher, en spectateur qui ne prend pas grand intérêt au spectacle et n'admire pas beaucoup les acteurs. Les hommes de ce temps-ci ont l'art d'avoir de l’impartialité sans indépendance et de la liberté d’esprit sans dignité. Au fait, ce n’est rien de plus que la nature humaine, déshabillée et courbée par des coups de vent trop forts pour elle.
Onze heures
Ménagez vos yeux. C'est beau à moi de vous dire cela en présence d'une lettre un peu courte. N'importe ; ménagez vos yeux, et adieu sans fin. G.
Val-Richer, Mardi 11 juin 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
10 heures
Je fais dire à Lisieux qu'on me retienne la place de la Malle poste pour samedi soir. Je ne puis pas partir d’ici Vendredi ; j’attends quelqu'un ce jour là qui repartira samedi matin. Je serai à Paris Dimanche à 5 heures du matin. J’en partirai lundi soir pour l'Angleterre. Je tiens beaucoup à savoir quelque chose de ce qu'auront dit là les voyageurs qui doivent en revenir samedi, et de ce qu’on leur aura dit. Cela est important.
Outre mes amis, je désire voir, en passant à Paris, le duc de Noailles et Morny. Soyez assez bonne pour arranger cela. Je crois que le duc de Noailles est déjà à Maintenon. Mais Maintenon est bien près, et le chemin de fer bien prompt.
Quel plaisir de vous revoir, encore avant la grande séparation de l’été ! Que de choses à nous dire déjà ! Hélas beaucoup de celles que nous nous serions dites, si nous ne nous étions pas quittés, sont déjà perdues, et ne se retrouveront pas! Quel gaspillage que la vie ! Je regrette d’aller à St Léonard sitôt après le voyage qui précédera le mien. Cela a trop l’air d’un fait exprès et ôtera un peu de l’efficacité des paroles. Mais il n'y a pas moyen. Mes nouvelles de Londres sont aussi mauvaises que celles que vous me transmettez. Le Roi peut encore traîner, mais il peut manquer d’un moment à l'autre.
Je voudrais bien le rappel de Brünnow. Je crois tout-à-fait à ce que vous dit Ch. Greville. La froideur polie et prolongée des grandes puissances du continent est ce qu’il y a de plus efficace. Mais je doute. Palmerston se rendra. Je le crois. Pourtant je suis frappé de son long marchandage et de son effort pour gagner du temps. De là, surtout mon soupçon de ses intrigues à Athènes. Je persiste à penser que l'argent du président passa. Les légitimistes, qui ne veulent pas le consolider ne peuvent pas le faire ou le laisser tomber. Ils doivent redouter toute crise, de vue [?] d’Elysée. Pour eux, dans l'état actuel des choses, il faut que le Président reste précaire ; mais il faut qu’il dure. Et en définitive, la masse des conservateurs votera pour lui. Adieu.
Je me suis levé tard, et j'ai beaucoup à écrire ce matin. Je suis horriblement enrhumé du cerveau. J'éternue comme vous savez. Adieu, adieu. Je le dis plus gaiement que de coutume, comme si j’allais vraiment vous retrouver. Adieu. G.
Val-Richer, Mardi 10 septembre 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
Mon gendre n'est pas encore revenu de Cherbourg. On l'attend pour dîner. Le Président n’y a guères mieux réussi sur mer que sur terre. Les matelots ont trouvé qu’il ne se tenait pas sur le vaisseau à la place où il aurait dû se tenir, et qui est la place d’honneur. Il s’était mis ailleurs, pour se faire mieux voir. On a dit qu'il avait l’air d’un capitaine d'infanterie allemand qui n’avait pas droit à de l'avancement. Le spectacle marin a été magnifique. Grande politesse mutuelle entre les Français et les Anglais. Adieu, Adieu, Adieu.
J’aime mieux adieu de près que de loin. Adieu. G.
Val Richer, mardi 10 septembre 1850
Mots-clés : Diplomatie (France-Angleterre), Politique (France)
Val-Richer, Mardi 10 août 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
C'est dommage que la note du Journal de Francfort sur le prétendu traité du Morning Chronicle, ne soit pas mieux rédigée, elle est pleine de bon sens. C'est de la politique à la fois vraie et prudente ; accord rare. Mais les Allemands ne savent jamais donner, même au bon sens, le mérite de la simplicité et de la clarté.
Je suppose que les exilés ne se le feront pas dire deux fois pour rentrer. Il me revient que Thiers s'ennuyait autant en Suisse qu’en Angleterre. Mes Anglais me disent qu'à Londres, son ennui avait fini par devenir un sujet de moquerie générale. Les Anglais seuls, à mon avis n'avaient pas le droit de s'en moquer eux qui s'ennuient tant, et chez eux plus qu'ailleurs.
C'est surtout pour Rémusat et Lasteyrie que ceci me fait plaisir ; ce sont d'honnêtes gens peu riches, que l’exil dérangeait beaucoup et qui le supportaient dignement.
11 heures
C'est dommage, en effet que vous quittiez Dieppe au moment où M. de Persigny y arrive. Les conversations auraient été intéressantes. D’autant qu’il est loin, ce me semble, de voir les choses comme elles sont. Le mal, s’il vient, viendra de là ; des désirs et des alarmes révolutionnaires. Ce sont les dragons qui amèneront la guerre.
Je suis bien aise que vous ayez fait venir Kolb pour vous ramener. Vous ne me donnez pas aujourd’hui des nouvelles de vos jambes. Je pars demain pour Caen à 7 heures du matin. Je ne vous écrirai pas demain, et probablement cette petite course troublera un peu notre correspondance. Je serai de retour ici, Vendredi. Je ne vois rien dans mes journaux et je n'ai point de lettre. Adieu, Adieu. G.
Val-Richer, Mardi 9 septembre 1851, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je ne crois pas aux élections si prochaines qu'on vous l'a dit. Elles ne se feront certainement pas avant le mois de Janvier, car la seconde discussion sur la révision ne sera finie qu’en décembre ; et quand Janvier sera venu, on trouvera que le cœur de l’hiver ne convient pas pour faire voyager les électeurs. On attendra probablement jusqu'au mars sans inconvénient, ce me semble, tout ce qui importe, c’est que les deux élections ne soient pas simultanées, et que celle de l’assemblée précède l'autre.
J’ai eu hier la visite d’un des hommes les plus influents et les mieux informés de ce pays-ci. Il trouve que le progrès des idées et des sentiments sains est réel dans les masses, et que pour ces départements du moins il y a plus à espérer qu'à s'inquiéter de l'avenir. Il ajoute que pas un de ceux qui ont voté contre la révision ne sera réélu. Certainement la candidature du Prince de Joinville, qui n’avait pas fait grande fortune dans ce pays-ci, y est, quant à présent, en grand déclin.
Le Roi de Naples a raison de ne pas laisser tomber dans l'eau l’attaque brutale de Lord Palmerston, son annonce d'une réfutation officielle des Lettres de Gladstone n'est pas mal tournée, quoique trop longue et trop [ennuiellée] envers Palmerston lui-même. Trois résultats sortiront de cette affaire ; le Roi de Naples après s'être défendu, prendra quelques mesures, plus ou moins publiques et plus ou moins efficaces, pour que ses prisons et ses procès n'excitent plus de telles clameurs. Palmerston se sera mis de plus en plus dans les bonnes grâces des libéraux Italiens ; et Gladstone, en atteignant un peu son but philanthropique, aura fait grand tort à sa réputation de conduite et de bon sens. C'est l'honnête homme qui paiera les frais du service qu’il aura rendu. Par sa faute j'en conviens. J'ai commencé hier à lui écrire, et à Aberdeen aussi.
Je m'étonne que vous n'ayez pas revu Morny. On le dit bien préoccupé de ses propres affaires. Voilà le mouvement des Conseils Généraux complètement terminé. Il a dépassé l’attente des amis les plus sanguins de la révision. J’avais parié pour 70 consuls qui la voteraient ; il y en a 80.. Cela me touche surtout comme preuve de l'accord qui s'est maintenu entre les deux camps conservateurs. Je ne me préoccupe sérieusement que de cela. C'est cela qui fera le reste, puisque les Princes ne veulent pas le faire eux-mêmes.
10 heures
Adieu, Adieu. Vous ne me donnez rien à ajouter et je n'ai rien d'ailleurs. Je n'ai pas encore là mes journaux. J’ai plusieurs lettres à fermer. Adieu. G.
Val-RIcher, Mardi 9 octobre 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
6 heures du matin.
Votre perplexité me désole. Elle ne me gagne pas encore ; mais au fait elle est bien naturelle. Toutes les bonnes raisons sont contre la guerre. Je devrais savoir ce que valent les bonnes raisons. Je croyais impossible que la France fit, ou laissât faire une stupide folie comme la révolution de Février. L'Empereur aussi peut avoir sa folie. Et alors ! Ne vous y trompez pas ; ce que dit Morny et ce qu’il écrit au Président n’y fera rien. La France fera ce que fera l’Angleterre. Et la France poussera plutôt que de retenir. Et si cela arrivait, vous verriez Thiers et Molé, au moins le premier, entrer au pouvoir, et se mettre à la tête de cette grande affaire, espérant encore, par l'alliance intime de la France et de l'Angleterre ce que Napoléon espérait à lui tout seul, distraire et satisfaire l’esprit de révolution par la guerre, en le contenant. Chimère, mille fois chimère dans laquelle ils échoueraient bien plus vite et bien plus honteusement que n'a échoué Napoléon, mais chimère qui les tenterait (je les connais bien) et qui bouleverserait le monde. Car vous dîtes vrai; ce serait la guerre partout, et la révolution partout. Cela n’arrivera pas ; cela ne se peut pas. Il ne se peut pas que l'Empereur soit aussi fou et aussi aveugle que la garde nationale de Paris en Février. Personne ne peut prévoir, personne ne peut imaginer quels seraient, en définitive, les résultats d’un si épouvantable bouleversement, mais à coup sûr, ils ne seraient bons pour aucun des grands et réguliers gouvernements aujourd’hui debout. La fin du monde profiterait peut-être un jour à quelqu'un certainement pas à ceux qui y auraient mis le feu. Même conclusion de ma part et avec la même conviction. Mais je répète que votre perplexité me désole car enfin la chance existe, et quel serait notre sort, à nous deux, dans cette chance ! J'y pense sans relâche comme si j’y pouvais faire quelque chose. Cela ne sera pas.
Neuf heures
Je n’ai rien à espérer aujourd’hui. Je vous renvoie votre lettre allemande. Intéressante. C’est un homme d’esprit. Assez ressemblant à Klindworth. Je voudrais bien que l’Autriche et la Prusse parvinssent à s'entendre, pour quelque temps au moins, et à rétablir un peu d'ordre, en Allemagne. Si l'Empereur veut bien ou la guerre, il aura la guerre et pas Bem, et Bem bouleversera de nouveau l'Allemagne pour lui faire la guerre. Je ne fermerai ma lettre qu'après l’arrivée de la poste, pour voir si j’ai à vous dire quelque chose de Paris. Midi Le facteur arrive très tard. Je n’ai que le temps de fermer ma lettre. Adieu, Adieu, Adieu. G.
Val-RIcher, Mardi 9 octobre 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
Pas un mot des affaires de Constantinople ; ce qui me prouve qu’à tort ou à raison, on n'en est guère préoccupé. Mercredi 10, Huit heures Je me lève tard et je me suis couché hier de bonne heure. J'avais un peu mal à la gorge. Je vais mieux ce matin. J’espère que la pluie va cesser et le froid sec commencer. Je l’aime beaucoup mieux. Ma maison ferme mieux que je n'espérais. J’ai de bon bois et je ferai de grands feux, presqu'au moment où j'irai me chauffer dans ma petite maison rue Ville-l'Evêque et votre bonne chambre rue Florentin. Vous ne m’avez pas dit si vous aviez quelqu'un en vue pour vous accompagner. Quel plaisir (petit mot) si nous pouvions passer tranquillement notre hiver dans nos anciennes habitudes ! Je me charme moi-même à me les rappeler. Hélas connaissez-vous ces trois vers de Pétrarque : Ah ! Nostra vita, ch'e si bella in vista, Com' perde agevolmente, in un matino, Quel che'n molti anni a gran pena s'acquista ! « Ah, notre vue, qui est si belle en perspective, comme elle perd aisément, en une matinée ce qui s’acquiert à grand peine, ou beaucoup d’année ! " Je crois que je vous fais injure et que vous savez bien l'Italien. Onze heures Voilà votre lettre. Nous causerons demain. Je persiste toujours à n'avoir pas peur. Adieu Adieu, adieu. G.
Mots-clés : Circulation épistolaire, Guerre, Inquiétude, Politique, Politique (France), Politique (Internationale), Politique (Italie), Politique (Russie), Politique (Turquie), Politique (Vatican), Relation François-Dorothée, Réseau social et politique, Révolution, Vie domestique (François), Vie quotidienne (François)
Val-Richer, Mardi 9 juillet 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
Pas de lettre ce matin. C’est bien ennuyeux. J’espère pourtant que c’est mon dernier mécompte. Vous avez dû arriver à Ems vendredi soir. J’ai peur que la poste allemande ne soit pas si exacte que la nôtre.
Rien de nulle part, si ce n’est de Duchâtel qui me dit qu’il prend à Paris les eaux de Carlsbad et que dans huit ou dix jours, il accompagnera sa femme aux eaux d'Allemagne. Il ne dit pas lesquelles. Il admire le suffrage universel que tout le monde regardait comme un fait si fortement enraciné : " Voilà, dit-il, 150 000 électeurs retranchés à Paris, et âme qui vive ne s’en soucie. On est beaucoup plus occupé du voyage en ballon de M. Poitevin et de son cheval. " Il ne croit pas du tout que le Président fasse quelques coups pendant la prorogation. Les journaux sont aussi vides que les lettres et vous aurez une lettre aussi vide que tout cela. Je me suis levé avec mal à la tête. Je vais me promener pour le dissiper. Adieu. Adieu.
Pardon de cette lettre. Ce n’est pas une lettre, c’est un rien, un je ne sais quoi qui n'a de nom dans aucune langue. Adieu. G.
Val-Richer, Mardi 9 juillet 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
5 heures
Je partirai demain de bonne heure pour Trouville. Pas avant la poste pourtant ; je veux avoir ma lettre. Mais je n'aurai guère le temps d’écrire. J'écris donc aujourd'hui. Je me suis beaucoup promené ce matin. Mon mal de tête est à peu près dissipé. Mais je n’ai pas plus de nouvelles à vous mander.
Avez-vous remarqué la lettre de Vienne dans le Journal des Débats d’hier lundi ? Je ne veux pas croire que l' ouvrage d’un port à l'embouchure du Danube puisse être entre vous et l’Autriche, une affaire sérieuse. Voulez-vous réellement que l’Allemagne se réorganise et se raffermisse ? Ou ne seriez-vous pas fâchés que son état d’anarchie et d'impuissance se prolongent ? Ce serait de là bien petite politique. Les plus grands s’y laissent quelquefois aller.
M. de Meyendorff va-t-il, ou non à Vienne ? Je le voudrais partout, tout son esprit me paraît bon. L'affaire danoise n'existe-t-elle vraiment plus qu'entre le Danemark et les Duchés ? Si la Prusse en est réellement sortie, il est impossible qu’elle ne finisse pas bientôt. Vous voyez qu'aux nouvelles je substitue les questions. Vous reviendrez d'Ems bien forte sur les affaires allemandes. Vous avez beau être Allemande et Russe ; ce ne sont pas ces affaires là qui vous intéressent le plus. Quand la France ou l’Angleterre ne sont pas en scène vous êtes bien tentée de vous endormir, soyez tranquille ; la France et l'Angleterre ne sont pas près de vous laisser dormir. Dalmatie, St Aignan et Mornay, qui reviennent de St. Léonard ont trouvé la Duchesse d'Orléans moins crispée, et plus abordable.
Mercredi 10, 8 heures
Pas de lettre encore aujourd’hui. C’est trop fort. Je m'en prends à la police allemande, nassauvienne, prussienne, n'importe laquelle. Je ne veux pas croire à quelque accident. Mais je suis très impatient, pour ne pas dire mieux. Adieu, Adieu. Je reviendrai ici ce soir attendre la poste de demain.
Adieu, Adieu. G.
Val-Richer, Mardi 8 octobre 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
Mardi matin 8 Oct. 1850
Mots-clés : Relation François-Dorothée
Val-Richer, Mardi 7 octobre 1851, François Guizot à Dorothée de Lieven
Voici une lettre de M. de Carné qui n'est pas sans intérêt. Je voudrais que vous la fissiez lire au Duc de Noaille, s'il vient un de ces jours à Paris. Il est bon que les légitimistes voient combien le danger est réel, et ce qu'en pense un homme d'esprit, autrefois, un des leurs est devenu l’un des miens. L'expédient qu’il indique de l'Assemblée remettant la question de la révision au vote populaire n’est peut-être pas sans valeur. Renvoyez-moi, je vous prie cette lettre. Il faut que je réponde.
Dimanche 26 octobre, on inaugure à Falaise la Statue équestre de Guillaume le Conquérant. J’ai reçu hier du maire et de la commission municipale, l’invitation d'assister à cette cérémonie où se rendront tous les bons normands. Et on me demande d'y dire quelques paroles en l'honneur de Guillaume et de notre vieille histoire. Je ne puis pas refuser et cela ne me déplait pas. J'irai donc.
Ce ne sera pas loin du moment, très doux, où nous nous retrouverons. Que de choses nous aurons à nous dire ! On se dit bien peu, même en s'écrivant tous les jours. Je voudrais seulement avoir achevé, ou à peu près, mon discours en réponse à M. de Montalembert. Je m’en occupe, quoiqu'il ne m'ait pas encore envoyé le sien. J’espère que je le recevrai le 15, ou le 16 de ce mois.
Vous m'avez appris qu’il y avait au Français, des Demoiselles de St. Cyr. Je ne lis pas les articles Spectacles. J’aimerais mieux que vous vous fussiez amusée. Mon amusement à moi, depuis deux jours, c'est les Mémoires d’Outre tombe. J’avois besoin de revoir les détails de la brouillerie de M. de Châteaubriand avec M. de Villèle. Lecture attachante, quand même. C'est l'explosion désespérée d'un égoïsme malade qui n'ayant pas trouvé en ce monde la satisfaction d’un orgueil et d’une vanité incommensurables, a voulu se donner au moins en mourant le plaisir de les étaler sans gêne, sans la forme du dédain et du dégoût. Cet homme-là a dû beaucoup souffrir, autant qu’on peut souffrir ailleurs que dans le cœur car il avait bien peu de cœur. Mais infiniment d’esprit, presque grand, et de talent, toujours grand et brillant, même dans son déclin ; d'éclatants rayons du soleil couchant, dans un ciel sombre et triste.
Savez-vous qu'Alexis de St. Priest est presque mourant à Mâcon ?
11 heures
Adieu, Adieu. Votre solitude me pèse autant qu'à vous ; mais je pense comme vous que l'apparence de l'agitation stérile ne vaudrait rien du tout pour moi. Adieu. G.
Val-Richer, Mardi 6 novembre 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
8 heures
Je n'ai plus d’objection à l'Empire puisqu'il est en train de se faire. Il n'y a pour moi, qu’une question : mourrons-nous ou guérirons. nous ? Si nous devons mourir, peu m'importe le genre de mort, si nous devons guérir, je suis prêt à accepter tous les moyens de guérison. Le problème est bien indécis dans mon esprit ; le raisonnement me mène à la mort ; mon instinct est pour la guérison. Au fait, c’est une lâcheté de ma part de dire que je suis indécis ; je fais là comme tout le monde ; j'élude la responsabilité de mon avis. Je crois à la guérison. Mais j’ai peur qu'elle ne coûte bien cher. Je trouve que nous sommes encore bien peu préparés aux remèdes. Tout le monde a raison, puisque vous en êtes aussi. Je ne fixe point que ce serait assez. Et j’espère encore plus que vous n'en aurez pas besoin du tout. Je me fie un peu à ce qui me reste d’espérances, car le fond, sur lequel elles subsistent encore est bien noir. Il est impossible qu’on ne rappelle pas bientôt la flotte. Ce serait trop absurde mais on donnera l’air de la platitude à ce qui aurait pu être de la bonne politique. Le général d’Hautpoul est un homme sensé, intelligent et honnête. Ambitieux. Je ne sais s'il est de taille. Bon soldat. Bon administrateur militaire. Ferme avec les troupes. Le sera-t-il politiquement ? J'en doute un peu. Mais je trouve qu’en général on a tort de se montrer malveillant et dénigrant pour les nouveaux venus. On les blesse et on les affaiblit au détriment de la bonne politique. Il ne faut pas seulement dire qu’on attendra pour juger. Il faut attendre réellement et aider en attendant. Le Prince de la Moskowa serait déplorable aux affaires étrangères. Esprit sans suite, sans jugement, sans tact, sans prévoyance ne se doutant pas de la portée de ses actions et de ses paroles. Et cela avec un besoin de mouvement et une certaine faconde qui le jetteraient dans toutes sortes d'aventures. Je ne connais personne de plus propre, là, où amener la guerre. Non qu’il la voulût ; mais il serait chaque jour, à la veille de crier une de ces situations qui l'amènent. Ne vous étonnez pas, s’il arrive quelquefois que mes lettres soient en retard d'un jour. Par je ne sais quel arrangement que je ne comprends pas, la malle de Cherbourg à Paris passe à Lisieux, depuis deux jours, une heure plutôt qu’elle ne ferait. En sorte que le facteur qui emporte d’ici mes lettres pourra bien quelques fois n'être pas arrivé à Lisieux à temps pour le passage de la malle. C’est un ennui dont le directeur de la poste de Lisieux m'avertit en me disant qu’il fera de son mieux pour y porter remède. Adieu, adieu, adieu.
Onze heures
Voilà votre lettre. J'espère que celle-ci ne sera pas en retard. Adieu. Adieu. G.
Val-Richer, Mardi 5 août 1851, François Guizot à Dorothée de Lieven
Il me paraît que les fêtes de Paris se passent bien. Le discours de Lord Granville est très bon, le seul vraiment bon et qui ait un sens. Tous les autres sont un peu trop insignifiants. Cela m'amuse de voir les ouvriers républicains crier vive l'Angleterre, pendant que la République donne à dîner au Lord Maire. Le Roi ne faisait pas mieux pour la Reine Victoria, au château d’Eu, ni le peuple royaliste qui criait vive la Reine à son débarquement. Je ne savais pas à quel point j'avais raison. La République me l'apprend tous les jours. J'ai reçu avant-hier une invitation du Président de la République pour aller passer la journée ( de 3 à 7 heures) au Palais de St. Cloud, hier Lundi 4. Je suppose que c’est la fête qu’il donne lui à tous ces hôtes anglais. Comme je vais samedi soir à Paris pour deux jours, j'irai écrire mon nom à l'Elysée pour lui rendre sa politesse.
Autre visite qui m'amuse, c’est celle du Bey de Tunis à Vienne. Il va chercher là aujourd'hui contre la Porte soutenue par l'Angleterre la protection qu'en 1844, il venait chercher, et qu’il trouvait à Paris. Si on laisse Lord Palmerston s'établir à Tunis comme en Egypte, nous ne tarderons pas à avoir, pour l'Algérie, quelque gros embarras. Je doute que l’Autriche prenne efficacement le Bey de Tunis sous sa protection. Elle n'y a que bien peu d’intérêt et elle en a bien plus à être bien avec la Porte. Il y aurait, pour nous, si on savait s'y prendre quelque chose de bon à trier de cette situation, ce serait la reconnaissance, par la Porte de notre établissement en Algérie. Je ne doute pas que l’impertinence de Lord Palmerston au comte Buol ne soit préméditée. Il veut qu'on s'accoutume à le voir mettre sur le même rang les gouvernements et les insurrections, si cela convient à l'Angleterre. Pourquoi se le refuserait-il ? Les insurrections lui en savent gré et les gouvernements le lui passant. Vous savez que c’est dans la baie de Torquay qu'a débarqué Guillaume 3 arrivant en Angleterre. Je suppose que la baie est aussi bonne pour l'embarquement que pour le débarquement.
Le journal l'Ordre annonçait hier bien qu'avec un peu de réserve et d’embarras, la candidature de M. le Prince de Joinville. Pour le parti, cela me paraît une grosse faute ; si cette candidature est jetée dans le public et débattue longtemps d'avance, elle sera usée avant d’être sérieuse. Il me semble que la formation de la Commission permanente et la majorité qui l’a formée jettent un grand désarroi dans les coteries des impatients. Leurs journaux sont non seulement irrités, mais troublés.
10 heures
Je suis fâché qu'Ems ne vous réussisse pas aussi bien que l'an dernier. Le duc de Noailles aura vu qu’il avait tort de se plaindre. Je crois en effet que l’Elysée est content de la majorité ; mais je ne crois pas que la seconde discussion amène un résultat différent. Adieu et Adieu. G.
Val-Richer, Mardi 4 septembre 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
J’ai fait comme je vous ai dit. J’ai travaillé et je me suis promené. Mon travail m'intéresse. C’est dommage que la vie soit si courte. Le vase est trop petit pour ce que j’y voudrais mettre.
Il paraît que le Président a été extrêmement bien reçu en Champagne, mieux que partout ailleurs. Montebello nous dira si les journaux disent vrai. Je les trouve bien vides. Ils ne savent que mettre à la place des scandales de l'assemblée. Les légitimistes, ce me semble. baissent un peu de ton. Ils se résignent d’assez mauvaise grâce à répéter le mot de M. le comte de Chambord sur M. le comte de Paris. Voilà vraiment un grand effort de raison. Cela coupe un peu l'herbe sous le pied au comte de Montemolin. Collaredo m’avait étonné. Il a bien fait de s'en excuser. J’ai des lettres de Genève. On y est inquiet des menées des réfugiés. On craint qu'elles ne forcent les Puissances à une intervention. Vous verrez que la République française ira mettre à la raison, celle de Berne comme celle de Rome et qu’elle remettra le Sonderbund sur pied.
Mercredi, 5 huit heures
Je me suis levé de bonne heure, malgré un accès, ou plutôt à cause d’un accès d’éternuement qui m'a empêché de me rendormir. Cette disposition a pourtant plutôt diminué qu’augmenté depuis quelque temps. J’attends la poste avec mon impatience du mercredi. J’irai chez le Duc de Broglie, pour dix ou douze jours, vers le milieu de la semaine prochaine. Vous m'adresserez alors vos lettres : chez M. de Broglie, à Broglie. Eure. Je vous dirai le jour précis. Vous avez surement remarqué, le petit article du Globe en réponse au Times à propos de la réponse du Prince de Schwartzemberg à Lord Ponsonby. C'est à mon avis, la meilleure preuve que la réponse a vraiment été faite. Il y a, dans l'article, une violence d'humeur contre Schwartzemberg et un dessein de le blesser qui ne peuvent venir que de Lord Palmerston et qui ne se rencontreraient pas, même dans Lord Palmerston. Si Schwartzemberg ne les y avait pas soulevés. Je regrette de voir que le grand Duc Michel est encore bien malade. Je n’ai rien fait dire au Journal des Débats sur l’attitude à prendre envers le Cabinet. C’est de lui-même qu’il prend celle que vous aurez vue dans son article d’hier. Il a raison. Ce n’est pas la peine de faire un grand effort pour amener les hommes qu'on amènerait à la place de ceux-là, et pour ce que feraient, aujourd’hui les hommes même qu'on amènerait. Il est peut-être bon que M. Dufaure soit vivement attaqué et même renversé. Il ne faut pas que ce soit par les mains de mes amis. Ils ont encore bien des choses à tirer de lui, et autre chose à faire après lui.
Onze heures
Voilà votre lettre. J'en aime tout, et surtout la fin. Votre disposition est toujours de venir à Paris à la fin du mois, malgré le choléra. La peur me prend quelquefois à la gorge, pour vous. Et dans d’autres moments, la conscience. Je me fais un devoir de vous tout dire. Mais j'aime mille fois mieux que vous veniez. Et certainement M. Gueneau de Mussy est une excellente occasion. Adieu, adieu. Je suis bien content d'avoir atteint le mercredi. J’ai six bons jours devant moi. Adieu G.
Val-Richer, Mardi 4 novembre 1851, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je jouis encore de vos deux lignes d'hier. J’espère bien en avoir quelques unes aujourd’hui. Pourvu que votre soirée de Dimanche ne vous ait pas trop fatiguée. Entre le besoin de distraction et la crainte d’agitation, vous êtes très difficile à arranger. Pourtant, je penche, en général du côté de la distraction, l'ennui vous agite plus que la fatigue.
Je suis fort aise que Molé soit pressé de me voir ; mais la presse quant aux choses mêmes n’est pas si grande. Je ne crois pas tant à ma nécessité et à mon efficacité que quelques jours de plus ou de moins y fassent quelque chose. En fait d'envie de hâter mon départ, j'ai résisté à mieux que cela. Je serai à Paris dans huit jours, et bien à temps pour n’y rien faire. J’ai absolument besoin de cette semaine pour ma réponse à M. de Montalembert qui est en bon train.
J’ai bien envie que vous ayez pu voir Mérode avant mon arrivée, et lui dire ce que je vous ai dit du discours de son beau-frère ; discours dont on peut tirer un grand succès, et un grand effet, et qui, s'il restait tel qu’il est, serait probablement pour lui, l'occasion d’un grand échec, comme son rapport sur la loi du Dimanche.
Je suis désolé que le Duc de Montmorency ne soit pas parti. C'était très bien, comme vous l’avez senti au premier moment. Et s’il ne va pas, parce que Thiers ne l'aura pas voulu, ce sera déplorable. Déplorable comme fait, déplorable comme symptôme. Je fais ce que je puis pour me persuader qu’il y a moyen de nous tirer de nos vieilles ornières. Nous y retombons toujours. Etrange pays aussi obstiné que mobile !
Sait-on enfin positivement si c’est la Reine, ou le Duc de Nemours qui a écrit au comte de Chambord, et si réellement on a écrit ? Je ne veux pas croire qu’on se soit borné au service funèbre de Claremont et d’Eisenach.
J’ai vu hier les députés d’ici partant le soir pour l'Assemblée. Ils partent semés. Rejet de l'abrogation de la loi du 11 Mai ; ajournement de la proposition Créton ; et puis, adoption de la loi municipale et de modifications indirectes qu’elle introduit dans la loi du 11 mai. Parti pris de tout subordonner au maintien d’une majorité de 400 voix. Je m'étonne que M. Molé se laisse aller, ou paraisse se laisser aller à un sentiment trop rude envers le Président. Ce n’est pas dans ses allures. Je ne doute pas que le président ne cherche un accommodement, et ne finisse par accepter plus que l'Assemblée elle-même lui donnera, après avoir rejeté sa propositions d’abrogation. Je crois tous les jours moins au coup d'Etat. Pas plus par le général [Saint Arnaud] que par le général Magnan. Tout le monde est un peu fou ; mais les vrais fous sont très rares.
Onze heures
Tant mieux que votre soirée de Dimanche ne vous ait pas trop fatiguée. Je vois que vous avez encore assez de force pour animer la conversation. Adieu, adieu, et merci à Marion. G.
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Val-Richer, Mardi 4 juin 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
8 heures
Je ne cesse de penser à cette brouillerie. Je n’y crois pas. Il me semble impossible que le président. rompe ainsi avec la majorité au moment où il vient de s'unir, si intimement à elle par la loi électorale. La majorité laisserait-elle partir Changarnier, sans prendre fait et cause pour lui ? Je ne crois pas cela non plus. Mais tout est possible aujourd’hui ; le bon sens n’est plus une boussole. Plus j’y pense, plus cela me paraît grave si cela arrive. La majorité brouillée avec le Président et brouillée dans ses propres rangs ; l’armée aussi troublée et divisée ; les fonctionnaires, partout incertains et cherchant leur voie. C'est le chaos jeté dans le chaos, et des enfants jouant avec le chaos. Je n'y veux plus penser ; je n’y ai rien à faire et n’y puis rien prévoir. Etes-vous inquiète ? Voyez-vous des chances de désordre dans Paris ? J’espère que non.
Mes préoccupations sont peut-être fort ridicules et tout est arrangé pour quelques jours. Vous me direz cela dans une heure. Quel ennui d'attendre !
Avez-vous très chaud à Paris, et en souffrez-vous ? Ici le temps est admirable. Le souffle de l’été sur la fraîcheur du printemps.
Les nouvelles de St Léonard ne sont pas bonnes. Le mieux s'est arrêté. Des jaunes d'oeuf pour toute nourriture. Le Roi fait à peine quelques pas dans sa chambre, soutenu par deux hommes. M. de Mussy est très inquiet, sans croire pourtant à rien d’imminent. Je crains que mon voyage ne soit fort avancé. J'attends demain une lettre qui me fera peut-être écrire au duc de Broglie pour lui demander s'il est prêt.
10 heures
Votre lettre me rassure un peu. Je vois que c'est votre maniaque surtout qui croit le mal imminent. Tout le monde n’est pas aussi près d'une convulsion que lui, quoique personne n’en soit bien loin. J’espère que tout se calmera, ou s’ajournera. Je reçois à l’instant de divers côtés des nouvelles très diverses de St Léonard ; les unes inquiétantes, les autres rassurantes, du moins pour le moment. Faites-vous dire, je vous prie, exactement par Duchâtel ce que dit son frère Napoléon qui en arrive. On me presse de presser mon voyage. Je vais écrire au Duc de Broglie. Je ne voudrais pas avoir l’air trop empressé, et aller pour rien. Il ne faut pas non plus attendre trop tard. Personne n'a moins de goût que moi pour l'indécision. Il n’y a pas moyen d’y échapper toujours.
Que signifie cette joie de Berlin sur l'adhésion de l'Empereur à la politique germanique et à l'union restreinte de la Prusse? J’ai peine à croire qu'entre ces deux Princes, le Prince de Prusse soit le convertisseur et l'Empereur le converti. Adieu, Adieu. Dût-il m'en coûter quelques lignes, je suis bien aise que vous écriviez des volumes à Aberdeen. Il a besoin d'être informé et encouragé. Adieu. G.
Val-Richer, Mardi 2 septembre 1851, François Guizot à Dorothée de Lieven
J’arrive, après avoir moins bien dormi qu'à mon ordinaire ; mais je n’en suis pas si fatigué que vous. J’espère que votre nuit aura été bonne. 2 sept. ! Quelle date avec le meurtre de la Reine et de Madame Elisabeth, c’est le plus épouvantable crime de la Révolution ; crime savant, inventé et exécuté de sang froid. J’ai eu dans les mains l’état des salaires payés aux égorgeurs, tant par jour, et par égorgé. Et il y a eu des gens d’esprit assez sots pour croire que c'était là ce qui avait fait l'héroïsme et les victoires des armées françaises.
J’ai été content hier de ma conversation avec Bertin. Je crois qu’elle sera efficace. Sa disposition naturelle est bonne ; mais il est faible et perplexe, et il sera, il a déjà été très travaillé. J’espère qu’il se maintiendra dans une bonne ligne à propos de cette candidature. Il m'a assez parlé des Affaires d'Allemagne. Il a beaucoup entendu dire à Hombourg que la réaction était excessive et inintelligente, surtout en Prusse. Il parait que le Roi de Prusse est bien décrié.
J'ai vu aussi Salvandy que j'ai grondé de n'être pas venu à Londres. Plus on est décidé à déplaire, plus il faut être respectueux. Il arrivait d’Evreux, où il a trouvé le Duc de Broglie extrêmement vif contre la candidature du Prince de Joinville, et toute la politique dont elle est un fleuron.
Il y a eu à Evreux le 26 août un service pour le Roi. Quatre de ses ministres étaient dans la ville, Broglie, Salvandy, Dupont de l’Eure et Hippolyte Passy. Les deux premiers étaient au service, les deux autres se promenaient dans la rue, ce qui a choqué les passants. Les chefs légitimistes du pays. MM. de Vatimesnil et de Blosseville, étaient au service. Adieu. Adieu.
Je vais faire ma toilette et probablement dormir un peu avant le déjeuner. Je suis las. J'ai terriblement couru depuis dix jours. Adieu. G.
Val-Richer, Mardi 2 juillet 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je vous écris encore à Paris puisque vous le voulez ; mais vous serez partie quand ma lettre arrivera, puisque vous partez aujourd'hui. Je suppose que vous laissez en arrière un de vos gens qui vous l’apportera. Demain à Ems. Oui, c'est bien loin. Que cela serve au moins à votre santé.
Si les grandes puissances sur le continent et l'opposition en Angleterre gardent envers Lord Palmerston l'attitude qu'elles ont prise, son succès ne lui servira de rien. Il n’y aura même pas de mal à ce que cette situation se prolonge un peu. On verra le radicalisme de Palmerston se développer ; et on sera en état de l'arrêter si le danger devient trop grand. Mais je crains les faiblesses, les désunions, les distractions.
J’ai eu hier la visite du gendre de M. de Villèle, M. de Neuville qui a quitté pour quelques jours l'Assemblée. Il se fait un travail de décomposition dans le parti légitimiste ; les modérés et les emportés ont bien envie de ne plus rester ensemble. Les emportés prennent pour texte l'influence de Thiers sur Berryer, ce qui les remplit de méfiance. Rien ne fait faire aux partis plus de sottises que la méfiance. Ils sont connaisseurs qu'après la prorogation, dès le mois de novembre prochain, on leur proposera la prolongation des pouvoirs du Président. Je ne crois pas que Berryer et les modérés s'y prêtent. Mais les emportés craignent des désertions. L’esprit politique a bien de la peine à pénétrer dans ce monde-là. Je vais écrire à deux ou trois de mes amis pour leur recommander de m'écrire régulièrement et de me dire les nouvelles. Rien autant pour vous les envoyer que pour les avoir. Il y aura, je crois, peu de nouvelles. Nous entrons dans une période de stagnation. Vous arrêterez-vous à Bruxelles ? Je le voudrais. Adieu, adieu.
Le temps d’aujourd’hui convient pour votre voyage. Adieu. G.
Val-Richer, Mardi 1er octobre 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
8 heures
On me dit et ce sont des Belges qui le disent, que la mort de la Reine Louise. fera beaucoup de mal au Roi Léopold. Elle est pour beaucoup dans sa bonne position, et on lui en veut beaucoup de n’être pas bien pour elle. On va jusqu’à dire que cela pourrait devenir grave et amener des manifestations populaires qui pourraient amener des événements. Les mœurs du Roi font un grand contraste avec la piété de la Reine. Le peuple Belge y est très sensible, en affection et en colère. Il serait bizarre qu’un trône, qui a résisté à l'ébranlement de l’Europe, fût ébranlé pour des fredaines de 50 ou 60 ans. Quel est précisément l’âge du roi Léopold ?
Je viens de me lever. Je lisais dans mon lit. Toujours Peel and his times qui m’attache extrêmement. Attachement triste par ses retours ! Nous avons fait pendant 30 ans de la politique qui valait bien celle-là avec des débats qui valaient bien ceux-là. M. Royer Collard revenu à son amitié pour moi, me disait peu avant sa mort : “ Vous vous faites beaucoup d’honneur; vous êtes le premier de votre temps et entre les premiers de tous les temps. “ Gardez-moi le secret de mes secrets plaisirs d'orgueil. Est-ce que tout cela doit aboutir au régime d’aujourd’hui. Est-ce là la fin ? Je ne le crois pas, mais quelques fois, je le crains. Je ne pense pas que je devienne superstitieux ; mais en tout cas, il y a de quoi devenir modeste ; on fait bien peu, même quand on fait bien, et il ne faut pas un bien grand vent pour tout emporter.
Onze heures
Les mêmes nouvelles nous arrivent en même temps. Votre lettre me dit ce que je viens de vous dire sur la Belgique. C'est triste et grave. Je pense sans cesse à la pauvre Reine de Claremont. J'espère qu'elle aura la satisfaction de voir encore sa fille. Pourquoi attend-elle ? Est-il vrai que la République ait témoigné à Bruxelles des craintes sur l’arrivée de la famille royale à Ostende ?
La joie à cause de la circulaire Barthelemy me paraît bien puérile. J’en doute un peu. Non pas qu'on l'ait manifestée, mais qu’on la sente réellement. On aura cru que la fusion devenait impossible, au moins que tout le public en France le croirait et le dirait. On aura voulu être de l'avis actuel du public ; sauf à avoir plus tard un autre avis si les évènements en suggèrent un autre. Suivre le vent, tous les souffles du vent, c'est l'habileté des habiles qui n’ont pas la grande ambition ni la grande habileté !
Voilà un horrible accident dans ma famille. Cette jolie petite Mad. de Vaines vient d'être horriblement brûlée. Son mari me donne les mêmes détails qui sont dans les débats. On espère la sauver mais sans certitude. On est à peu près sûr que, si elle est sauvée, elle ne sera pas défigurée. Pauvre jeune femme qui s'amusait de si bon cœur ! On est arrêté tout à coup dans le plaisir, comme dans la bonne politique. Adieu, Adieu.
Je vais aujourd' hui dîner à Lisieux malgré la pluie. Demain j'aurai du monde et de la conversation. Vendredi, 4, j'aurai 63 ans. Samedi 5 M. Hébert vient me voir avant d'aller à Claremont. Mercredi, 9, je vais à Broglie. Voilà mes affaires d’ici à huit jours. Adieu. adieu. G.
Val-Richer, Mardi 1er novembre 1853, François Guizot à Dorothée de Lieven
Tout est possible ; ma confiance n’est pas grande ; je reconnais avec vous que la raison est en déroute. Pourtant je ne crois pas à la guerre, à la vraie guerre. Je ne trouve pas que de la part de l'Angleterre du moins, rien en ait l’air. Vous oubliez un peu le prix qu’on met à vous inquiéter, pour que vos inquiétudes aillent à Pétersbourg et pèsent sur les impressions, et par là, sur les résolutions de votre Empereur. Je ne voudrais nuire en rien à cette petite manoeuvre, car moi aussi j’ai grande envie que votre Empereur se prête à ce qu’on lui demande. Il le peut sans perdre autre chose que le puéril plaisir de la taquinerie ou de la bravade ; la facilité qu’il montrera aujourd’hui ne changera rien à l'avenir de la Turquie ni aux destinés de la Russie. La question du fond est depuis longtemps décidée, et n'attend que son jour. Et comme votre Empereur n'est pas pressé, il peut attendre aussi, et en attendant maintenir la paix de l'Europe dans laquelle des questions bien plus grandes que la Turquie sont engagées. Si, pour le porter à cela vos inquiétudes sont bonnes à quelque chose, gardez-les. Mais quand je vous en vois réellement tourmentée, je laisse là ma diplomatie, et je les combats comme si elles ne servaient à rien.
Si j’en crois le Moniteur, vous n'êtes pas oisifs en Chine, et vous voir préparez à profiter là de la chute des Tartares. Encore un point sur lequel vous vous trouverez en présence des Anglais et des Américains. Dans un siècle d’ici, il ne restera plus sur ce globe un pays dont la race Européenne ne soit maîtresse. C'est juste.
J’ai bien fait de n'avoir pas à vous écrire hier ; vous m'auriez trouvé une bien mauvaise écriture ; j’avais les épaules tout-à-fait prises de rhumatismes. Les frictions ont fait leur effet. J’ai très bien dormi cette nuit, et je suis dégagé.
Avez-vous lu les Mémoires du comte Mollien et les extraits du Moniteur ne vous en donnent-ils pas quelque envie ? Vous passeriez les dissertations de finances ; il y aurait encore, dans les conversations avec l'Empereur, et les embarras intérieurs de son gouvernement, de quoi vous intéresser. Si vous vouliez les volumes, il sont dans ma bibliothèque à Paris ; mon fils, qui y retourne samedi, vous les ferait remettre.
Onze heures
Le facteur m’arrive au milieu de la toilette. Je suis bien aise que les diplomates ne fassent des notes, et très fâché que vous passiez des nuits blanches. Vraiment, si la guerre devait sortir de tout ceci il y a longtemps qu'elle aurait commencé, tant on a mal conduit les affaires de la paix. Adieu, adieu. G.
Val-Richer, Lundi 30 septembre 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je reçois une assez curieuse lettre de Piscatory. Je vous l’enverrais si vous pouviez la lire. Il ne m’avait pas écrit depuis sa visite à Claremont. La Reine l’a frappé comme tous ceux qui la voient. “ J’ai eu joie à admirer, c'est un plaisir rare dans le temps où nous vivons. J'ai vu les Princes et Mad. la Duchesse d'Orléans. J’ai longtemps causé. Mais je ne crois pas que ce soit fort utile. Les idées de retour m'ont paru passer avant tout. Je le comprends; lorsqu'une telle destinée n'est pas prise par son grand côté, elle doit être intolérable. "
" Quoique aussi loin que moi, vous devez en savoir plus que moi sur ce qui se passe à Paris. Ce sont, ce me semble, de bien vaines agitations ; mais elles disposent bien ou mal les esprits pour le retour de l'assemblée. Voulez-vous me dire ce que vous en pensez ? Qu’est-ce que c’est que ce désordre dans le parti légitimiste ? Y a-t-il là une chance pour que les bons se séparent sérieusement des mauvais ? Cela me paraît fort douteux ; et à titre de simple spectateur, il me semble évident, mais pas mauvais, je l'avoue, que M. Barthelemy a fait une mauvaise campagne. Autour de moi, l'effet n'est bon ni dans l’un ni dans l'autre camp. Ne croyez pas cependant que je prétende voir clair dans ce que pensent mes voisins, petits et gros. Ce qui est incontestable, c’est que l'inquiétude, et le malaise sont généraux ; les uns en sont poussés, en avant ; les autres regardent avec regret la terre qu'ils ont perdue. Je ne crois pas que cela soit sérieux ; mais il est certain que le nom du Prince de Joinville se prononce très haut. Le Président ne gagne pas ; il n’y a que ceux qui ont sérieusement à perdre qui veuillent faire fie, qui dure dans ce semblant de repos. Ce n’est certes pas moi qui reprocherai à personne ses incertitudes ; j’en suis plein; et cela m'inquiéterait. Si je ne savais que quand le feu commence, je ne suis que trop disposé à prendre promptement mon parti. Mais hélas, que ferons-nous ? Pourquoi Dieu a-t-it voulu qu’on eût des enfants sur cette maudite terre ? Ce serait très curieux, et mes semblables m’ont assez désintéressé d'eux pour que je trouvasse tont cela fort amusant. Il n'y a pas moyen, on a des filles à marier du moins à faire vivre ; il ne s'agit donc pas de se passer ses fantaisies. Mais où est la raison ? Où est le bon chemin: où est le but ? Vous êtes bien habile ; et cependant vous ne me le direz pas. Dites-moi pourtant ce que vous pensez ? Quand je ne le sais pas, et plus encore quand je ne viens pas à bout de penser comme vous, je suis prêt à chanter comme les enfants qui sont seuls la nuit, et qui ont peur. "
Ne dites à personne, je vous prie, cette dernière phrase. Son amour propre pourrait être blessé s’il lui en revenait quelque chose et il ne faut pas troubler les bons sentiments en piquant l'amour propre. Mais vous voyez qu'il est incertain, inquiet, et point inabordable pour moi.
Je suis charmé que vous ayez pris le deuil et envoyé un consul général à Bruxelles, deux choses utiles pour l'avenir.
Charmé aussi de ce que Thiers a dit à Mercier sur le Général Changarnier. La double visite dont vous me parlez à Champlâtreux vaut la peine qu'on sache ce qu’ils y ont dit.
J’ai écrit à Villemain pour l'Académie. Je ferai ce qu’elle voudra. La raison veut que je reste ici jusqu'au mois de novembre. Pour mes affaires d'abord qui en ont besoin. Puis, parce que j’ai promis au Duc de Broglie d'aller passer une semaine chez lui, ce que je ferai mercredi 9 octobre. Visite utile. Un bon motif pour revenir plutôt serait charmant ; mais vraiment, il me faut un bon motif, autre que mon plaisir.
Dix heures
Ce qui me fait grand plaisir, c’est que vous soyez tranquille sur Constantin. Je vous ai dit que vous rêviez, et j'avais bien raison. Mais je n'aime pas les mauvais rêves pour vous. La Reine des Belges m'afflige profondément. Quelle prédestination aux épreuves ? La branche cadette ne le cède guère à la branche aînée, ni la Reine à la Dauphine. Adieu, adieu. G.
Val-Richer, Lundi 30 juillet 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
8 heures et demie
Je me lève tard. J’ai très bien dormi, quoique réveillé par le bruit de la pluie, point d’orage, mais des ondées fréquentes et violentes. Les agriculteurs ne s'en plaignent pas. Moi je trouve que cela me gâte mes allées et mes fleurs, sans compter mon goût pour le beau temps et le soleil. Les petits intérêts et les petits plaisirs de la vie ont cela de singulier qu'on les sent et qu’on sent en même temps leur petitesse. Je m'occupe et je jouis de ce qui se passe dans ma maison et dans mon jardin, mais sans la moindre illusion sur le peu que cela me fait. Toutes les petites pièces ont beau être remplies. Les grandes, ou la grande, n'en restent pas moins vides. C'est comme si on ne vivait qu'à la peau. Je bois des eaux de Vichy. Je me suis senti quelques velléités de calculs biliaires. Deux verres d’eau de Vichy par jour m’en débarrasseront. C'étaient des velléités lointaines et sourdes. Dans les trois ou quatre premiers jours de mon arrivée, j'ai eu aussi un peu d’émotion dans les entrailles, un certain sentiment d'une influence atmosphérique différente. J'ai été très attentif dans mon régime de nourriture. Il n'en est plus question du tout. Je me porte très bien.
Je suis jour par jour dans le Galignani, la marche du choléra à Londres et en Angleterre. On ne cite jusqu'ici, à peu près point de noms. Je vous demande positivement, instamment en grâce, pour peu que vous vous sentiez indisposée d'envoyer chercher M. Guéneau de Mussy (26 Maddox-Street. Regent street) Vous le croirez ou vous ne le croirez pas vous lui obéirez ou vous ne lui obéirez pas mais voyez-le et entendez le en même temps que vos médecins anglais. Je le crois un excellent médecin, et je suis sûr que l'homme ne vous dégoûtera pas du médecin.
Curieux spectacle que ce mouvement d'opinion en Angleterre, en faveur des Hongrois. Mouvement naturel, car les Anglais, sont toujours portés à prendre intérêt aux causes libérales. Et factice car ils ne savent pas du tout de quoi il s'agit en Hongrie ni si c’est vraiment une cause libérale ; ils sont remués aveuglément par quelques mots, et par quelques hommes qui n’en savent pas plus qu'eux, ou qui veulent tout autre chose qu'eux. Il y a bien des manières d'être un peuple d’enfant. Et tout cela est l'ouvrage de Lord Palmerston et de la Chambre des communes. Si la politique de Lord Palmerston était bonne ou si la vérité avait été dite dans la Chambre des Communes, la nation anglaise penserait et sentirait autrement. Quand l'Angleterre juge ou agit mal, ce sont toujours les chefs qui sont coupables car elle a assez de bon sens et d’honnêteté pour juger et agir bien si ses chefs lui montraient la voie. Mais elle n’en a pas assez pour trouver à elle seule la vraie voie, et pour y faire marcher ses chefs, surtout en matière d'affaires étrangères, qu’elle voit de si loin et dont au fond, elle se soucie si peu.
Onze heures
Quelle désolation! J'avais le présentiment que la lettre d’aujourd’hui me désolerait. Et je n'en aurais pas demain ! Mais je ne ne pardonne pas de penser à moi. C’est de vous qu’il s’agit, si vous pouviez être un peu moins troublée ! Si je pouvais vous envoyer, vous apporter un peu de calme et de courage ! Je suis disposé à approuver Brighton. Avez-vous quelque nouvelle de ce qui s’y passe en fait de choléra ? Si le mal se répand et augmente, quittez l’Angleterre. Il n’y en a presque plus en France. J’espère que vous aurez vu M. Guéneau de Mussy. Il va souvent à St. Léonard, mais il n’y habite point. Il est de bon conseil, et même de ressource au besoin. Que je voudrais être à après-demain. Adieu. Adieu. Dearest, si j'étais là, vous auriez moins peur. G.
Val-Richer, Lundi 29 septembre 1851, François Guizot à Dorothée de Lieven
La réponse du gouvernement Napolitain à Gladstone a un grand mérite ; c'est d'être envers lui non seulement polie et mesurée, mais juste et vraie. Elle le voit tel qu'il est réellement. Cela importait beaucoup pour l'effet en Angleterre, où Gladstone est honoré avant la réponse napolitaine, la présomption dans les esprits en Angleterre, était certainement pour lui ; après la réponse, elle sera probablement contre lui ; il est clair que le gouvernement napolitain le juge lui-même, avec beaucoup plus de sang froid et d’équité qu’il n’a jugé le gouvernement napolitain.
La Préface est donc bonne. L'ouvrage est trop long, trop chargé de phrases, de développements moraux ou presque oratoires ; j’y voudrais plus de faits, des faits plus serrés et plus précis. Il y en a quelques uns qui sont positifs et concluants, comme le nombre des prisonniers politiques, le nombre des accusés dans le dernier grand procès, la suppression des cachots souterrains & & & Je regrette qu’il n’y en ait pas davantage. Il fallait prendre simplement, textuellement, toutes les assertions de Gladstone, et mettre en regard la dénégation, ou la rectification et même quelquefois, s'il y avait eu lieu, l'admission de la réalité de tel ou tel abus, comme il y en a dans les gouvernements les plus doux et les plus attentifs. C’était, je crois, le plus sûr moyen de faire effet. Du reste, je n'ai encore lu que la première partie de la réponse, dans les Dodah, et à tout prendre, elle est bonne.
Le discours aussi de Palmerston est bon ; bon pour lui et habile, comme vous dites ; très mauvais pour le continent. C'est plus que de la malice simple, c’est de la malice perfide. Il tourne à la gloire de l'Angleterre les troubles du continent, passe ; mais il fait servir le bon état de l'Angleterre à fomenter les troubles du Continent, car il à l’air d'attribuer ces troubles à l'absence des libertés politiques, c’est-à-dire à l’entêtement ou aux fautes des gouvernements, et pas du tout aux jolies ou aux crimes des révolutions. C’est précisément ce qu’il y a de plus propre à encourager les révolutionnaires et à affaiblir les gouvernements. Je doute que Palmerston lui-même se rende bien compte du mauvais effet de ses paroles et les dise avec toute la mauvaise intention qu'elles semblent contenir ; mais des mauvais instincts lui suffisent et il répand son venin, sans dessein arrêté et réfléchi d'empoisonner.
Montebello a très bien fait de dire à Léon Faucher ce qu’il lui a dit sur le mot d’ordre que le gouvernement devait donner dans les élections, et il faut faire arriver cette idée de tous côtés. Non seulement elle est très bonne pour le succès électoral ; mais elle efface les anciennes classifications, les anciennes dénominations des partis, et en introduit de nouvelles qui laisseront aux hommes sensés beaucoup plus de liberté et les aideront à chasser de l'esprit des masses les anciennes préventions.
11 heures
Vous avez raison sur Gladstone. C'est bien dommage que des gens d’esprit et d’honnêtes gens soient ainsi des sots. Adieu, adieu. G.
Val-Richer, Lundi 29 octobre 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
7 Heures
Vous rappelez-vous bien le 29 octobre, il y a neuf ans mon arrivée à Paris le 26 et les trois jours qui précédèrent la formation du Cabinet ? Je suis décidé à ne pas croire que ce jour-là, et tout ce que j’ai fait du 29 octobre 1840 au 24 février 1848 m'ait été bon à rien. Mais aujourd’hui il n’y a que Dieu qui sache à qui cela a été et restera bon. Hier quand j’ai fermé ma lettre, je n’avais pas ouvert mes journaux. Excellente nouvelle de Pétersbourg. Vous savez que j'y ai toujours compté. Et je pense comme vous que ce n'est pas fini pour les Turcs. L'Empereur n’a pas besoin de se remuer beaucoup pour avancer beaucoup. Bonne nouvelle aussi d’Espagne. Je tiens à Narvaez comme artiste politique, et pour le bon exemple. Je n’avais d’inquiétude que parce qu’on ne sait jamais où en est et ce que fera la Reine Christine. Elle et Narvaez se détestent et se craignent. Mais la haine et la crainte ne leur enlèvent pas leur bon sens. J’en suis charmé. Tant que ces deux personnages se soutiendront mutuellement, l’Espagne se maintiendra. Je suis assez amusé de la fausse joie qu'aura eue Lord Palmerston. Il n’a depuis longtemps que le plaisir des revers de ses adversaires, pas du tout celui de ses propres succès. Il y a bien à parier que Lord Normanby aura lu votre lettre. N’appartient-il pas plutôt à Lord John qu'à Lord Palmerston ? Malgré cela, s’il vous a lue, il se sera donné probablement le mérite d'en dire quelque chose à son chef direct. Il ne lui aura rien appris, rien sur vos sentiments et rien qui le corrige. Outre M. Moulin, j’ai eu hier un autre ancien député conservateur un brave capitaine, le vaisseau, M. Béchameil qui a été destitué après Février à cause d’une lettre de lui à moi que la Revue rétrospective à publier. Il n'en est pas moins décidé, ni moins dévoué. M. Moulin est tout-à-fait un homme de sens et d’esprit. Je le trouve très inquiet, non seulement, en Général et pour l'avenir, mais prochainement. Persuadé que le Président par détresse d'argent autant que par ambition, cherche à faire et finira par faire le coup d'Etat impérial. Faire, c’est-à-dire tenter. Et cette tentative peut amener quelque grand désordre même un triomphe momentané des rouges. Ceci, je ne vois pas comment, l'assemblée étant là, et le Président ne pouvant pas la chasser, ni se faire Empereur par la grâce des rouges qui eux chasseraient bien l’Assemblée par la violence. Mais peu importe que je voie ou que je ne voie pas comment le désordre peut éclater. Evidemment les hommes les plus sensés et les mieux informés craignent qu’il n'éclate. Ceci me préoccupe. Pour vous d’abord. Il y faut bien regarder. Montebello est très bon pour vous tenir bien au courant. N'hésitez pas, comme renseignement à faire venir aussi mon petit fidèle, et à savoir de lui ce qu’il sait. Il est toujours, bien instruit. Au fond, je ne crois pas à ces crises prochaines. Toute crise qui ne sera pas absolument indispensable, et imposée aux hommes par des nécessités actuelles, sera ajournée. Mais nous sommes tombés à ce point qu’il faut craindre même les maux auxquels on ne croit pas. Je ne suis pas très étonné de la simple carte du Duc de Broglie. Je vous dirai pourquoi. Vous n'avez pas idée de sa disposition d'esprit. On va jusqu'à dire que les affaires d'argent de Morny sont si mauvaises que, pendant son séjour à Londres, son traitement de représentant à été saisi à Paris par des créanciers. Je ne puis pas croire cela.
Midi.
Voilà votre lettre. A demain les réponses. Je n’ai jamais craint la guerre Turque, mais j'ai le cœur bien plus léger depuis que je ne peux plus la craindre. Adieu, adieu, adieu. G.
Val-Richer, Lundi 28 juillet 1851, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je trouve dans le nouveau cahier de l'Edinburgh Review un article sur des Tales and Traditions of hungary publiées à Londres par un conte Paelszky que vous vous rappelez ; et dans cet article je trouve cette histoire-ci.
Une invasion de Tartares, ravageait la Hongrie. Un grand seigneur hongrois vivait dans son riche château, avec sa femme jeune et belle. Il avait grand peur d'une visite des Tartares ; " when suddenly a Tartar on his steed galloped into the court. The hungarian bounced from his seat to meet his guest, and said. Tartaz, [thy] art my lord ; I'm shy servant ; all those seert in thine. Take what those fanciest. I do not oppose shy power ; command ; thy servant obeys - The Tartar impatiently sprang from his horse entered the house, and cast à careless glance on all the precious objects around. His eye was fascinated by the brilliant beauty of the Lady of the house who appeared lastfully attired to greet him there, no less graciously than her consort had in the court below. The Tartar seized her without a moment's hesitation, and, unheadful of her shrieks, swung himself upon he saddle and spurred away, carrying off his lovely boaty. All [?] but ein instant's work ; the nobleman was thunderstruck ; yet he recovered and hartened to the gate. He could hardly still distinguish the Tartar galloping in the distance aud bearing away the Lady fair. Her consort heaved a sigh, and exclaimed with deep commiseration. " Alas! Poor Tartar ! "
Drôle d’histoire dans un livre écrit par le comte Pulszky en l’honneur des Hongrois et contre les Tartares. Je lis beaucoup. Un peu moins à présent que je ne suis plus seul.
L’ordre, le seul journal Régentiste a très bien parlé du discours de Michel de Bourges, et y revient complaisamment. Preuve de plus que ce discours était concerté avec Thiers. Plus j'y regarde, plus je vois clairement le travail pour refaire un parti orléaniste dans la Montagne, et pousser par là, quand le moment viendra, la candidature du Prince de Joinville, si la proposition Creton vient à passer, cette candidature aura des chances. Les légitimistes n'auront, pour y échapper, d’autre ressource que de voter pour Louis Napoléon et le général Changarnier sera étouffé entre les deux. Voilà mes pronostics ; mais je sais ce que valent les pronostics, même les miens.
Vous dîtes que Lord Granville devient le rising man. C'est apparemment à cause de cela qu’il va être le conducteur, le Berger des industriels anglais au grand banquet que va donner, aux industriels du monde entier, le Berger de Paris. Cinq jours de fête, l'hôtel de ville, Versailles, St Cloud, le champ de mars. Cela ressemble furieusement aux trains de plaisir. On s'amuse en troupe. Singulier chemin pour monter et devenir premier ministre d’Angleterre ? J’aime mieux le discours de Lord Aberdeen contre le bill ecclésiastique. C’est un des meilleurs que j'aie lu de lui. Je me figure que cela le grandira plus que le banquet de M. Berger ne grandira lord Granville.
Onze heures
Personne ne pense plus qu’à s’en aller. Il y a pourtant bien de quoi penser à autre chose. La lettre du petit cousin est charmante et lui fait. honneur. Je vous la renverrai demain. Adieu Adieu. G. Voici un petit papier bien fin pour vous amuser un moment.
Val-Richer, Lundi 27 octobre 1851, François Guizot à Dorothée de Lieven
4 heures
Je suis toujours bien aise de rentrer chez moi même quand il m'a réussi d'en sortir. Voilà trois jours que je vous écris bien sottement. J’ai fait hier à Falaise, tout le jour une vraie mission pour la fusion ; presque sans en parler, mais parfaitement compris de tout le monde ; conservateurs et légitimistes que j'ai laissés tout contents de moi, et d’eux-mêmes. L’un ne va guère sans d'autre. Avec du temps, beaucoup de temps, et en y prenant beaucoup de peine ; et avec l'aide de beaucoup de malheur et de beaucoup de peur, on pourra arriver à quelque chose. Les incidents dérangeront et précipiteront. Si tant est que les incidents dérangent le véritable cours de l'eau, le cours du fond. Nous vivons et nous nous remuons à la surface ; mais ce n'est pas à surface que se préparent et se décident les grands événements. Quels que soient les incidents, nous marchons à la monarchie par la fusion ou à la décadence par la République. Voilà les deux courants profonds qui sont, aux prises. Lequel des deux l'emportera ? Mon raisonnement est pour la crainte et mon instinct pour l'espérance.
Dans tout le monde que j'ai vu depuis les plus considérables jusqu'aux moindres, et soit bienveillants, soit malveillants, la situation du Président est mauvaise. On a porté sa santé au banquet, le maire de la ville, mon hôte. Un silence universel lui a répondu à la lettre. Le Préfet qui était là, s’en est tiré en homme d’esprit, et en répondant au toast qui lui était porté à lui-même ; il a parlé du Président, de l'appui qu’il avait donné au parti de l'ordre et qu'il avait trouvé dans le parti de l'ordre, en termes trés convenables qui ont été applaudis. Beaucoup de blâme, point de rancune, voilà la disposition. Jusqu'au dernier moment la transaction sera toujours possible et j'y crois toujours. Je n'ai jamais été plus applaudi. Les ennemis n’applaudissaient pas, mais ils approuvaient du geste les amis qui applaudissaient. Les Conservateurs, pris en masse, m'aiment vraiment ; et ceux-là même, qui n'ont nul goût pour la fusion me sont, au fond, gré de la vouloir et trouvant que j'ai raison.
J’attends toujours la lettre du duc de Noailles. Pour mon langage à quelques personnes, il m'importe un peu de savoir jusqu'à quel point M. de St Priest, M. Nettement et tout ce côté du parti, désavouent ou ne désavouent pas les bruits dont je vous ai parlé. Comme il n’y a plus aujourd'hui rien d'étrange ni de ridicule, il ne faut pas laisser passer. Sans y regarder ce qui paraît le plus étrange et le plus ridicule.
Je répète que je ne puis pas ne pas croire qu'on fera à Claremont ce qui convient. On aura bien pesé que M. le comte de Chambord n’en tire trop de parti et ne les mette dans un grand embarras. Mais je tiens pour impossible que cette peur arrête. Je crois que Montebello a bien fait de n'y pas aller. On ne fait pas ce qui déplaît sans déplaire ; surtout quand on veut le faire efficacement, et de manière à empêcher ce qui plairait.
Voici ce que j'ai écrit au sujet de cet incident du Times, au général Trézel, après lui avoir parlé de mes raisons contre la candidature du Prince ; je suis bien aise que vous le connaissiez textuellement. " Je suis absolument étranger, indirectement comme directement, à la correspondance du Times qui a raconté, bien ou mal, ma conversation avec M. le duc de Nemours. Je ne me permettrais jamais une telle inconvenance. Ce qui est vrai, c'est que, soit à Londres, soit à Paris, j'ai redit moi-même à plusieurs personnes le fond de cette conversation. A dessein, et par plusieurs motifs. D'abord, parce qu'opposé comme je le suis à la candidature de M. le Prince de Joinville, j'ai désiré que mon opinion fût connue, et qu’il fût connu aussi que je l'avais exprimée à la famille royale ; nous ne pouvons et ne devons agir librement qu'après avoir dit aux Princes ce que nous pensons et quand on sait que nous le leur avons dit. J'espérais de plus que la publicité de notre opinion rendrait peut-être un peu plus incertaine la publicité de cette candidature elle-même et comme je désire qu’elle ne le produise pas décidément je n'hésite point à faire ce qui peut y jeter quelque hésitation. Enfin, quoique je trouve que les Princes ont tout-à-fait raison de se tenir et de se montrer très unis, je ne regrette point qu’on sache, et je crois même qu’il est bon pour leur avenir qu’on sache qu’au fond ils ne sont pas tous du même avis, ni sur la même pente. Je trouve fort simple que parmi eux, quelques uns dressent leur tente au milieu de l'ancienne opposition au gouvernement du Roi leur père ; mais je ne pense pas que les chances de leur cause aient à souffrir si, parmi eux aussi, il y a encore les alliés fidèles de l'ancien parti conservateur, et si les conservateurs en sont convaincus. Voilà, mon cher général, pourquoi j’ai parlé assez ouvertement de la conversation que j’ai eu l'honneur d'avoir avec M. le Duc de Nemours. Je n’ai pas le droit de m'étonner qu’il en soit revenu quelque chose aux correspondants du Times, à Paris, et qu’ils l’aient racontée confusément et inexactement comme ils l'ont fait. Je le regrette puisqu’on l’a regretté à Claremont ; mais je ne puis pas ne pas penser que, pour la bonne politique de la bonne cause la candidature de M. le Prince de Joinville serait infiniment plus nuisible qu’il ne peut l'être qu'on entrevoie que M. le Duc de Nemours n'en est pas tout-à-fait d'avis."
Adieu jusqu'à demain.
J’ai trouvé vos deux lettres en arrivant ici Onze heures Le cabinet n’a rien d'effrayant, Tout ceci finira par une transaction. Mais j'attends Pétersbourg. Je ne peux croire ni au refus, ni au silence. Si cela arrive ! Adieu, Adieu. G.
Val-Richer, Lundi 27 août 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
3 heures
Je vois que le succès de l'Empereur préoccupe beaucoup les Anglais. Reeve m'écrit : " Aujourd’hui que les guerres de Hongrie, de Bade et de Rome sont finies, et que les armées dominent partout on se demande quel sera le rôle de la politique conquérante. Il me revient des bruits de rapports plus intimes, entre la Russie, l’Autriche et le président de la République représenté par le général Lamoricière ; rapports destinés soit à étouffer les foyers révolutionnaires en Suisse et en Allemagne soit à un certain remaniement des territoires menaçant pour les petits états qui sont peu capables de se défendre et de maintenir l’ordre chez eux. D'après ces bruits, il s’agirait même de mesures prononcées contre la Suisse qui présente en effet de grands dangers. Quoiqu’il en soit, cette politique toute Russe, laisserait tout-à-fait de côté l’Angleterre. Que faut-il penser de tout cela ? Il est certain que nous n'avons rien fait pour nous attirer la confiance de l’Europe ; et personnellement il n'est pas impossible que les yeux de Louis Napoléon se tournent du côté de St Pétersbourg. Mais le sol de l’Europe est peu affermi pour tenter de pareilles expériences."
Vous voyez qu’ils prennent bien vite l'alarme. Les hommes sont toujours, beaucoup plus prompts qu’il ne faut à l'espérance et à la crainte. Que d'agitations perdues? Ici, dans le gros du public on n'a pas l’esprit si éveillé. Les idées sont plus courtes, et les sentiments plus vagues. On n’était pas sans quelque intérêt de routine pour les Hongrois. Cependant votre succès ne déplait pas ; c’est un gage d’ordre et de paix. Cependant on n’est pas sans quelque inquiétude de votre puissance. Aurez-vous envie de vous mêler d'autres affaires ? On espère que non ; mais on n’est pas sûr ; si votre armée rentre tranquillement, en Pologne, vous serez presque populaires, comme puissants et comme modérés. Le mouvement de reprise des Affaires commerciales continue. Rouen, Le Havre, Lisieux, Elbeuf, Lyon sont assez contents. Paris souffre toujours, et les villes de province n’en sont pas fâchés. Il y a vraiment un sentiment de rancune profonde contre Paris. Mais de rancune plutôt que d'émancipation. Il me parait impossible que ce soit par bêtise que Lord & Lady Palmerston prennent si publiquement le deuil de la Hongrie. Il y a là un parti pris, un parti politique. Ils croient qu’il leur vaut mieux d'être populaires parmi les vaincus qu'agréables aux vainqueurs. Et puis la routine, les engagements, les relations personnelles. En tout cas, je conviens que fermer sa porte ce jour-là, c’est bien fort.
Mardi 20 août. 9 heures
Pour la première fois, je me souviens aujourd’hui que je n'aurai rien et j'attends la poste avec indifférence. Je vais dîner chez un de mes amis à six lieues d’ici. Il y aura beaucoup de monde ; un seul homme notable de la société de Lisieux est exclu, le gendre de M. Duvergier de Hauranne M. Target. Il s'est mal conduit envers moi, et j'ai déclaré en arrivant, que je ne le verrais pas. Il me fallait un bouc émissaire, un seul, pour les lâchetés et les trahisons. J’ai pris celui-là à l'approbation générale du pays. Je suis le plus amnistiant des hommes ; si peu d’entre eux peuvent me blesser ! Mais il y a un sentiment public de justice et de convenance auquel il faut donner une certaine mesure de satisfaction.
Onze heures
Adieu. Adieu. Je n'ai que cela à vous dire, et j’aimerais mieux vous le dire de près. Adieu. G. J’ai mes deux lettres aujourd’hui. Certainement je ferai comme vous ; j'irai les demander et me plaindre si cette irrégularité se renouvelle. Vous avez raison sur Milner. C’est un bon homme et intelligent. Cela m'amuse toujours de voir comme nous nous rencontrons, toujours dans le même avis. Je vous disais cela de Milnes, il y a quelques jours. Adieu, adieu, dearest. Je suis charmé de mes deux lettres. Il pleut. Je ne me promènerai pas autant qu’hier. Adieu. G.
Val-Richer, Lundi 24 octobre 1853, François Guizot à Dorothée de Lieven
Quand Xérès fit dire à Léonidas " rends-moi tes armes " c’est, je pense, qu’il était un peu embarrassé de passer les Thermopyles ; et Léonidas fit acte de bon sens comme d’héroïsme en lui répondant " Viens les prendre."Il me paraît qu’Omer Pacha, est dans le même embarras que Paris, et qu’il somme le Prince Gortschakoff de passer le Danube et de venir l'attaquer, le menaçant de le passer lui-même et d'aller l’attaquer, en cas de refus. Je ne sais si c’est sérieusement qu’on écrit cela de Bucarest ; il n’y a pas eu beaucoup de situations plus ridicules que celle de ces deux armées qui vont passer l'hiver à se montrer le poing d’un bord du Danube à l'autre. Entendez-vous parler de l’Asie et la guerre peut-elle vraiment commencer là, à défaut de l'Europe ?
Je n'ai pas eu hier de nouvelles de la Reine Marie Amélie. Quand même elle continuerait d'aller mieux, elle serait hors d'état de faire son voyage d’Espagne. Les Princes ont écrit à leur frère Montpensier de venir sur le champ à Genève. On préparait, à Lisbonne, une très belle et très affectueuse réception pour la Reine. La Reine de Portugal mettait du prix à la traiter avec éclat. Le Duc de Nemours est accouru en hâte, laissant sa femme à Vienne où il retournera probablement. Je dis comme vous, je n'ai rien à dire. Je vous quitte pour aller profiter, dans mon jardin d’un temps admirable. Nous avons eu hier le plus beau jour de l’année, chaud et clair. comme dans un bel été. Aujourd’hui sera aussi beau.
Un journal dit que sir Edmund Lyons reprend du service comme marin, et va rejoindre comme contre amiral, la flotte de l’amiral Dundas. Lord Palmerston ne peut pas renvoyer en Orient un agent plus dévoué, plus remuant, plus impérieux, et plus anti-russe.
Midi
Je ne m'étonne pas de toutes ces mollesses. Il n’y a vraiment pas un motif sérieux de guerre, à moins qu’on ne s'échauffe par taquinerie, et ce n'est pas la peine. Adieu. Adieu. Ma fille vous remercie de vos bons souhaits. Elle part ce soir, en assez bonne disposition. Adieu. G.
Val-Richer, Lundi 23 septembre 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
Huit heures
Mes enfants sont arrivés. Merci de votre lettre. J'ai bien envie que tout soit vrai. Je reçois d'ailleurs bien des détails sur la situation, point contraires à ce que vous me dîtes d’une personne, mais qui me prouvent que d’autres personnes travaillent bien ardemment en sens contraire. Et les anciennes rivalités sont pour beaucoup dans cette ardeur là. Ce serait bien puérile s’il n’y avait pas derrière les noms propres tout autre chose, que des passions ou des intérêts personnels. Les personnes sont la personnification de politiques profondément diverses, et dans les principes et dans les tendances. C'est là ce qui fait la ténacité, et en même temps l'excuse des rivalités. Je voudrais bien que vous puissiez me dire quand le Duc de Noailles viendra à Paris. Je serais bien aise de le savoir deux ou trois jours d'avance.
Dix heures
Vous me demandez ce que je pense de la circulaire Barthelemy. Je vous ai dit hier ma première impression avant d'avoir vu celle de personne. Un énorme blunder, une bonne intention déplorablement exécutée et produisant par conséquent un effet contraire à l’intention. Toujours la même inintelligence des sentiments du pays et de l’impression que font sur lui certains noms, certaines paroles. La même démarche pouvait être faite, la même idée pouvait être exprimée de façon à forcer l’approbation des hommes sensés, et sans blesser même les badauds. On eût fait ainsi un pas. Au lieu de cela on donne un succès aux hommes à qui on veut donner sur les doigts et à qui le public eût été charmé de voir donner sur les doigts, car au fond il les déteste ; il voit en eux les émigrés, et les Jacobins à la fois. Je répète le mot de Napoléon : " tout est dans l'exécution. "
Je m'étonne que Berryer n'ait pas pressenti l'effet. On l'exploitera immensément. Je ne vois à ce triste incident qu’un avantage, c’est que la glace est rompue contre la Gazette de France. En résultera-t-il autre chose, qu’une discorde de plus ? Ou bien ceux qu'on a voulu battre ne reprendront-ils pas avantage pour avoir été si mal habilement battus ? Je crains la pusillanimité après la maladresse.
Certainement Boislecomte à de l’esprit beaucoup de pénétration et d'invention. Il est de ceux qu’il ne faut pas toujours croire, mais toujours écouter. Adieu. Adieu.
L'écheveau s’embrouille de nouveau en Allemagne; mais il me semble que Vienne tient décidément le bon bout du fil. A présent il faut dévider. C'est ce que Catherine de Médicis disait : " C'est bien coupé ; maintenant il faut coudre. "
Adieu. G.
Val-Richer, Lundi 23 juillet 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
J’ai passé ma matinée hier à recevoir des visites. Dix-neuf. Mon impression reste la même. Rien n’est changé au fond, dans la situation générale, ni dans la mienne. Seulement tout a éclaté et s'est exaspéré. C’est toujours la même lutte entre les mêmes classes et les mêmes passions, et j'y tiens toujours la même place. Mais évidemment le moment n'est pas venu pour moi, quand je le pourrais de la reprendre activement. Mes amis se troubleraient. Mes ennemis s’irriteraient. Et les uns et les autres saisiraient le premier prétexte pour rejeter sur moi seul la responsabilité du premier malheur. Et le public spectateur les croirait. Je n’ai qu'à attendre, si le temps, en s'en allant, n'emporte pas trop tôt ce qui me reste de forces, je puis avoir encore un grand moment. Si je m'en vais avant que ce moment n’arrive, j'ai lieu d'espérer aujourd’hui que justice sera faite à mon nom. Fait général. Les honnêtes gens ont moins peur des coquins que je ne m’y attendais. Ils prévoient de nouvelles luttes, sont très décidés à les soutenir, et comptent sur la victoire. Ceci je le vois. Les coquins que je ne vois pas, sont à ce qu'on me dit, assez découragés et sans confiance dans l'avenir. Ce qui ne les empêchera pas de recommencer. L’esprit manque aux uns et aux autres. Ils sont tous de très petite taille et de vue très courte. C’est une guerre entre des nains aveugles. Il y a dans les deux camps, plus de force et de courage qu’il n'en faut pour se livrer de bien autres combats que ceux qu’ils se livrent des combats au bout desquels viendrait nécessairement la grande défaite ou la grande victoire. Mais ils ont, les uns et les autres, si peu d'intelligence et de portée d'esprit, ils sont tellement au-dessous des questions et des événements qu’ils remuent, qu’il pourra fort bien leur arriver de s’agiter longtemps et misérablement sans rien finir. Il ne serait pas, je crois, bien difficile de faire agir efficacement les honnêtes gens si on pouvait leur faire réellement voir ce dont il s’agit. Ils ne voient pas. Je vous envoie mes réflexions, n'ayant point de faits. La prorogation de l'assemblée sera probablement plus courte qu’on ne l’avait dit. Le sentiment général, dans le parti de l'ordre, est contre. On craint de laisser tout seul un pouvoir si faible et un cabinet si douteux. Ce n'est plus la république seule, c’est la Montagne elle-même qui est l’objet des moqueries populaires. Autrefois, dit-on, la montagne accouchait ; aujourd’hui elle découche.
Onze heures et demie
Je regrette que Brougham et Aberdeen aient perdu leur bataille à 12 voix. Je vais les lire. Je me suis abonné, au Galignani pour rester au courant de l’Angleterre. C'est pourtant le lieu où vous êtes ! Vous ne me dites rien de votre santé. J’en conclus que ce n'est pas mal. Je vous le redemande en grâce ; n'oubliez pas ce que vous m'aurez promis. Adieu, Adieu. Le facteur et le déjeuner m'attendent. G.
Val-Richer, Lundi 22 octobre 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
sept heures
J’ai eu hier ici Réné de Guitaut. Je l’ai tourné et retourné en tous sens. Il y a quelquefois beaucoup à apprendre des petits hommes de peu d’esprit. Ils reproduisent, sans y rien ajouter, la disposition du gros public. Je n'ai pu découvrir aucune inquiétude prochaine et sérieuse. Il affirme que le public ne croit pas du tout au triomphe des rouges, ni à la guerre, les deux seules choses qu’il craignît s'il y croyait. Je ne comprendrais pas comment le parti modéré se laisserait battre, ayant la majorité dans l’assemblée qui est la force morale, et le général Changarnier, qui est la force matérielle. Le mérite de cette position, c’est qu'elle donne au parti modéré la légalité, et rejette ses adversaires, Président ou autres, dans la nécessité des coups d’Etat, impériaux ou révolutionnaires. L'Empire et la Montagne ne peuvent plus arriver autrement. Je ne puis croire qu’ils tentent sérieusement d'arriver, quelque étourdi que soit l'Empire et quelque folle que soit la montagne. Il crieront ; ils se débattront, ils menaceront ; ils ne feront rien. Le pouvoir restera à l’assemblée, c'est-à-dire aux modérés, car il me semble impossible qu'ils perdent la majorité dans l’assemblée. Cela ne résout point les questions d'avenir. Mais cela prolonge sans secousse la situation actuelle. Je cherche incessamment dans tout cela, ce qui vous touche.
Je ne vois, quant à présent, que la guerre qui puisse réellement vous toucher. Et je ne crois pas plus à la guerre qu’il y a trois semaines. Regardez bien à tout, mais ne vous tourmentez pas plus qu’il n’y a sujet. Je peux bien vous dire cela, car je suis parfaitement sûr, moi, que je me tourmente autant qu’il y a sujet. Je n'aurai jamais un plus cher intérêt, en jeu. On me dit que M. Bixio disait le soir même de son duel avec Thiers : « J’ai eu tort. J’avais entendu dire cela à M. Thiers dans son cabinet, où il n’y avait que deux autres personnes. Je n’aurais jamais dû en parler. Je me suis laissé aller. J’ai eu tort. » Je trouve Montalembert excellent, presque toujours vrai au fond, et toujours saisissant, entrainant dans la forme. Un jeune cœur uni à un esprit qui prend de l’expérience. La dernière partie du discours est charmante, vive, tendre, pénétrée, abandonnée. C’est vraiment le pendant de son discours à la Chambre des Pairs sur les affaires de Suisse. Je saurai le vote ce matin, car je pense qu’on aura voté avent hier. Nous verrons ce qui en résultera pour le Cabinet. Pouvez-vous savoir ce que c’est qu’un M. Edouard de Lackenbacher, Autrichien à Paris, qui se dit envoyé par Le Prince de Schwarzemberg pour causer avec les gens d’esprit et expliquer la politique de son Cabinet ? Il ne parle que des affaires intérieures de l’Autriche, et il en parle dans un bon sens. Je serais bien aise de savoir d’où il vient réellement et ce qu’il vaut.
Onze heures et demie
Je ferme ma lettre avant d’ouvrir un journal. N’allez pas être malade, Tout le reste est passager ou supportable. Adieu, Adieu. G.
Val-Richer, Lundi 22 juillet 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
6 heures
Décidément, tout calcul fait, je dois recevoir aujourd’hui votre lettre délivrée de mon inquiétude. J’en suis presque aussi impatient que vous l’avez été vous-même.
J'ai reçu hier aussi le petit mot envoyé à Strybes. Je ne sais plus où j’en suis resté avec vous sur sir Robert Peel. J’ai été interrompu un jour où je vous parlais de lui. J’avais mille choses à vous en dire qui me reviendront. Sa grandeur actuelle est très grande. Un doute reste sur sa grandeur future. Si son pays et son gouvernement demeurent intacts, si cette belle organisation sociale se modifie, sans se briser. Peel grandira encore, car il aura eu raison dans ce qu’il a fait ; il aura bien jugé de la portée de ses réformes puisqu'elles n’auront pas ébranlé les fondements de l’édifice, si l’édifice tombe si l'Angleterre aussi entre en révolution, Peel descendra comme son pays car il aura fait ce qu’il ne voulait pas et ses réformes auront commencé les révolutions qu’il se promettait d'écarter. La question est là pour lui. Je ne la préjuge point. Je ne vois pas clair dans cet avenir. A vrai dire j'espère plus que je ne crains. Je crains pourtant. Reeve m'écrit : " Sir R. Peel a laissé des écrits considérables sur l'histoire de son temps et il a nommé Lord Mahon et Cardwell ses exécuteurs littéraires (vous le saviez). Ces écrits doivent être livrés à la publication puisqu'il a déclaré que les profits qu’on en retirerait seraient au bénéfice du Literary Found. Il paraît que, depuis trois ans c'était là sa principale occupation. On sent tous les jours davantage la place immense qu’il remplissait dans ce pays ; mais depuis sa mort les whigs sont devenus sinon plus forts, du moins plus inévitables. Lord Palmerston paraît très disposé à profiter de la dernière leçon qu’il a reçue ; il renonce the Devil and all his works, et jure qu'on ne l'y reprendra plus. Sa conduite dans l'affaire danoise est devenue tout à coup excellente et très ferme. Sans attacher à ces manifestations plus de prix qu'elles ne méritent, il est sage, je crois de les accepter comme si elles étaient les fruits d'une conviction. "
Mêmes nouvelles de Paris. On ne songe plus qu’à s'en aller. On s'en ira du 8 au 10 août. Je suis assez curieux de la commission permanente qui sera nommée aujourd’hui. Piscatory m'a écrit qu'il n’en voulait pas être. Il prévoit qu’elle pourra se trouver, dans une situation embarrassante. Peut-être eût-il eu quelque peine à en être nommé, si la liste que j'ai vue dans mes journaux d’hier, comme arrêtée par la réunion du Conseil d'Etat est authentique, elle est faite en méfiance du Président, et pour le surveiller en effet. Les républicains et les légitimistes y sont nombreux. L'assemblée a certainement perdu dans ces derniers temps. Mais peu importe elle est comme le Président ; ils peuvent perdre impunément l’un et l’autre ; ils sont, l'un et l'autre, le rempart contre l'anarchie, et il n'y a pas de rechange
L'article sur the Austrian révolution dans le Quarterly review est de Reeve. Il mérite que vous le lisiez. Rien de neuf ; mais un bon tableau des faits de Vienne ; clair et d’un bon effet. Je suppose que M. de Metternich en est content. Mais avez-vous à Ems le Quarterly ? [...]
Val-Richer, Lundi 21 octobre 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
10 heures
Vous n'aurez que deux lignes en retour de la lettre intéressante qui m’arrive. Je pars dans une demi-heure pour Lisieux et puis Broglie. Je vous écrirai demain de Broglie.
J’ai une lettre de Mad. Mollien qui me dit : " On voudrait en Belgique que la Reine acceptât la haute direction de l’édu cation des jeunes princes sous le rapport religieux, et qu’elle promit de venir tous les ans passer un mois ou deux à Bruxelles. Je ne sais pas pressentir la décision, encore moins les désirs réels du Roi Léopold. "
Adieu, adieu. Radowitz se chargera de tranquilliser Hübner. Adieu. G.
Val-Richer, Lundi 21 juillet 1851, François Guizot à Dorothée de Lieven
6 heures
J’avais oublié de vous dire que vous auriez d’Haubersaert. Il était venu me voir en passant à Paris, venant de Vichy et allant à Ems. Il avait eu Salvandy à Vichy ; il allait trouver Duchâtel à Ems et se félicitait de l'échange. Salvandy est certainement un des hommes qui gâtent le plus d’excellentes qualités d’esprit et de cœur à force de ridicule.
Qu’entendez-vous par original ? Duchâtel l'est en effet et tout le monde, l'est, plus ou moins, comme vous dites. Mais je suis assez curieux de savoir si votre impression sur lui, (Duchâtel) maintenant que vous le connaissez bien est la même que la mienne. Je le suppose.
Vous dites vrai ; vous avez beaucoup de goût à tout ce qui a l’air royal. Par un sentiment fort naturel ; le monde royal est votre patrie, votre enfance, votre jeunesse presque toute votre vie. Je trouve seulement que vous en êtes quelquefois trop facilement et trop exclusivement charmée. Vous savez que nous nous disons tout. C'est peut-être une petite jalousie de ma part, moi qui ne suis pas Roi.
Marion a trop d’esprit pour ne pas dire Monseigneur à un Prince. Si j'étais républicains, je n'y manquerais certainement pas. Il y a bien plus de fierté à ne pas se soucier des titres qu'à s'en souvenir pour les contester. Est-ce que Marion, homme, se serait crue obligé d'entrer dans le salon de Washington le chapeau sur la tête ? Il y avait de bons américains qui faisaient cela, superbement. Je suis décidé à ne pas me figurer Marion le chapeau sur la tête.
Ma solitude est finie ; voilà M. de Witt qui m’arrive, et Pauline sera ici samedi matin avec son mari. Ma petite fille va beaucoup mieux mais or la retient encore quelque temps à Paris. Onze heures Je m'étonne que vous ne vous souveniez pas du baron de Rendoff, vous qui vous souvenez de toute la diplomatie européenne. Un assez grand et gros homme avec une énorme brochette de croix. Il avait été ministre de Portugal à Berlin, et il l’était bien effectivement à Paris, au moment de la révolution. Voilà donc la révision votée, c’est-à-dire rejetée, à demain les commentaires. Mon facteur est arrivé tard et mon déjeuner m'attend. Adieu adieu. G.
Val-Richer, Lundi 20 octobre 1851, François Guizot à Dorothée de Lieven
Que signifie cette ridicule nouvelle du Constitutionnel que Lord [Palmerston] viendra à Falaise pour l’inauguration de la statue de Guillaume le conquérant ? Ce serait trop plaisant. Je donnerais bien 20 fr. pour qu’il vint en effet et pour qu’il parlât. Ce serait encore mieux que Lord John venant s'amuser à Paris.
La lettre d'Aberdeen me donne à croire que la Reine est peu favorable à la nouvelle réforme projetée. Quel dommage que le parti conservateur n'ait plus là ses anciens chefs ! Quelle belle occasion de prendre et d'exercer efficacement le pouvoir à l'approbation de la vraie majorité de l’Angleterre ! Certainement Aberdeen est très vexé de cette affaire Gladstone et il a raison. N'avez vous rien entendu dire de Gladstone à son passage à Paris ? Est-ce vraiment dans le midi de la France qu'il est allé passer l'hiver, comme le disent les journaux ?
Je ne comprends pas que Piscatory n'aille pas vous voir. Il ne m’a point récrit depuis une lettre dont je vous ai cité un fragment très amical. Il médite probablement quelque coup de tête en paroles dont il ne veut pas avoir à parler ni avant, ni après.
Vos détails sur l'attitude et la confiance du Président et de ses amis sont bien curieux. Je crois qu’il se trompe. Il y a beaucoup de vrai dans ce qu’il pense et beaucoup de possible dans ce qu’il espère de l'esprit de la population en général, des masses inconnues ; et si rien ne devait se passer, se dire et se faire dans l’Assemblée avant que le pays eût à se prononcer, le pays pourrait bien donner raison au Président. Mais des trois grands acteurs entre qui le drame se joue, le pays, le Président de l’Assemblée, le Président oublie que celui-ci viendra en scène et bientôt. Et quand il est en scène, tout change, ou bien ce qui ne change pas se tait et ne fait rien. L’oncle avait raison ; il faut bien vivre avec les Assemblées, ou vivre sans assemblée, ou avec des assemblées muettes et nulles. Le neveu entreprend de mal vivre avec des Assemblée qui parlent et décident. Et pourtant il aurait pu bien vivre avec elles. Je n'en finirais pas.
Changarnier a quelque raison d'espérer. Jamais sa chance, je ne dirai pas n'a ôté, mais n'a pu devenir aussi sérieuse que dans le moment. Si tant est qu’il puisse y avoir une chance pour qui n’est pas Prince. Quand pouvez-vous avoir la réponse à ?
Onze heures
Je suis bien aise que vous voyez Chomel. Pourvu que vous fassiez ce qu’il vous dira. Probablement rien de plus qu’un régime pour calmer vos nerfs et vous aider à dormir. Adieu, adieu. Je n'ai rien de nulle part. G. Voulez-vous que je vous renvoie la lettre d'Aberdeen ou que je vous la rapporte à mon retour ?
Val-Richer, Lundi 18 août 1851, François Guizot à Dorothée de Lieven
Vous ne recevez pas une feuille jaune, autographiée et partant de Paris à 5 heures comme la correspondance d’Havas. Elle s’appelle le Courrier de Paris ; elle est fusionniste et commence à se répandre dans les départements.
J'y lis cette lettre des Pyrénées : " M. Thiers paraît vouloir quitter bientôt Cauterets où il était venu, dit-il, pour se reposer et où il est obligé de travailler constamment pour ne pas mourir d'ennui ne trouvant personne avec qui il puisse passer agréablement son temps. Il est sombre, peu communicatif, me disait hier un médecin militaire en retraite qui l’a connu autrefois à Florence et qui croyait pouvoir l’aborder facilement et rentrer en relation avec lui. Il se trompait. M. Thiers parle peu, se montre fort peu disposé à communiquer avec les baigneurs, va tous les jours à pied, et toujours seul à [Larrailère] l’air préoccupé, regardant de côté et repoussant la curiosité par la mauvaise humeur "
Est-ce qu’il n’est pas content de la campagne qu’il commence ? Je serais tenté de le croire ; il a trop d'esprit pour ne pas voir qu’il entre dans une route qui descend, au lieu de monter. C'est comme symptôme que ces détails m'ont intéressé. Je voudrais être sûr qu’ils sont vrais.
La même feuille jaune me dit que votre Empereur va faire de grands changements dans l'administration intérieure de la Pologne. Il remplacera les juges de village par des Potestas de son choix. Il prendra les biens du Clergé catholique et lui donnera des traitements à la place. Il exemptera la noblesse Polonaise du service militaire inférieur pour la mettre sur la même ligne que la noblesse Russe. Savez-vous si c’est vrai ?
Je n’ai pas eu hier de Paris, d'autres. journaux. Je reçois beaucoup de journaux de départements et je les trouve assez curieux ; souvent plus sérieux et plus pratiques que les journaux de Paris ; moins embarrassés d’intrigues, et moins engagés dans les coteries. La très grande majorité de ces journaux légitimistes s’est prononcée pour MM. Berryer, et Falloux. Les pointus sont pleins d'humeur mais en retraite. J’en suis charmé en général et surtout à cause des élections.
Votre mal à la langue provient de la fatigue de l'estomac. C'est presque toujours la cause des aphtes, car je suppose que c'est là, ce que vous avez. Peu mauger et un régime trés doux, c'est en général le remède. Vous ne méritez pas cette ressemblance avec M. Thiers, vous n'avez pas fait de votre langue un si excessif, ni si pernicieux usage.
10 h. Je suis charmé que votre langue aille mieux. Reste votre tête à guérir. Je me figure qu'il ne fait pas assez chaud sur les bords du Rhin. Les journaux de Paris sont aussi vides que ma correspondance. Le silence des Débats, sur la lettre du comte Roger est un fait important. Adieu, Adieu.
Je ne vous ai rien dit de vos lettres pour le temps de mon séjour à Londres. On me les renverra là. Je ne sais pas encore où je logerai. Probablement à Grillon. Adieu. G.
Val-Richer, Lundi 16 septembre 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
Mon instinct ne me trompait pas sur les affaires de Hesse. Je soupçonnais que le grand Duc avait tort. J'espère que le conflit entre les deux grandes Puissances m’aura pas lieu, pas plus pour la Hesse que pour Bade ou pour ailleurs. J’ai confiance dans leur bon sens et dans la lenteur allemande. Même la brutalité n'exclut pas là l'inertie. Au fond, l’Europe ne me préoccupe plus guère, ni d'Allemagne, ni d'Italie, il ne viendra de gros événements. Elles ont jeté toute la gourme qui leur était venue de France, et la France, d’ici à quelque temps ne leur en enverra pas d’autre.
Avez-vous lu les lettres de Mazzini essayant de se justifier des assassinats systématiques ? Ridicule mélange de fanatisme et d'embarras. Il ne veut pas qu’on le croie assassin, et il veut qu’on craigne son pouvoir d’assassin. Vous ne me dites rien de M. de Meyendorff. J’en suis pourtant curieux.
J’ai envie que vous pensiez bien de mon fils, Guillaume. Lisez, je vous prie ce qu’il m'écrit du Norfolk. A sensible boy.
Voici ce que vous désirez pour Fleischmam. Je ne croyais pas ma première lettre compliquée. Elle disait les choses comme elles sont avec détail et sollicitude, comme désirant le but et regrettant les obstacles. Je ne puis rien envoyer de plus décidé. Conrad veut en causer avec son frère. Et comme personne n’est encore amoureux, on n'est ni pressé, ni tout-à-fait indifférent aux considérations mondaines. Melle de Witt une fois mariée, ne pourrait pas continuer à vivre avec sa tante. Cela n'irait pas, et il a toujours été entendu entre eux qu’on se séparerait alors. Ou pour vivre seuls, ils auraient excessivement peu. Il faut ou une bonne carrière, ou de l'amour, ou assez d'argent. En attendant qu’une de ces trois choses là vienne, si elle peut venir, ayez seulement la bonté d'envoyer à Fleischmann ma petite lettre. Vous avez raison ; je peux trouver les lenteurs de mes gendres naturelles, mais je ne dois pas vous en ennuyer.
Thiers me paraît précisément ce qu’il faut pour que la Reine de Hollande et la Princesse de Prusse en raffolent. Elles ne le rendront pas plus sages, ni lui, elles. De l'amusement des deux parts voilà tout. Adieu. Adieu. Je demande tous les jours à ce beau soleil de chasser votre rhume. Adieu. G.
Val-Richer, Lundi 15 septembre 1851, François Guizot à Dorothée de Lieven
Vous n'aurez aujourd’hui qu’une bien courte lettre. Je dîne à Lisieux. J’ai beaucoup de petites affaires à régler dans la matinée, partant demain pour Broglie. De plus, des épreuves à corriger et à renvoyer. Et pas grand chose à vous dire.
Je ne suis pas surpris du désespoir du duc de Noailles. Je l’y vois marcher depuis longtemps. Tout ceci est trop difficile et trop long. Il a raison dans ce qu’il dit qu'on ne fera rien que lorsqu'on aura vraiment peur, peur partout. La proposition Creton peut en effet amener cette peur-là. Si les meneurs en font tout ce qu’ils s’en promettent, elle nous lancera dans une nouvelle carrière d'événements et de révolutions. Nous recommencerons au lieu de finir. Aussi j’ai peur de cette affaire-là.
Vous ne lisez pas le journal le Pays. La République modérée est exactement dans la même situation, vis-à-vis du président, que les légitimistes. Elle se prépare à aller à lui pour échapper au Prince de Joinville. M. de Lamartine emploie tout ce qu’il a d’esprit à se préparer et à protester que non. Il cherche, à travers ce gâchis, une chance personnelle à poursuivre. Il ne la trouve pas ; la peur de l'Orléanisme le prend. Il revient autour du Président puis il recommence. Voilà la République ; Lamartine, Changarnier, qui sais-je ? Tous rêvent pour eux-mêmes le pouvoir souverain. Une alternative continuelle de rêve et d'impuissance.
L'article du Journal des Débats d'avant hier fera plaisir au Prince de Metternich. J’oublie ceci depuis quatre jours. Pouvez-vous me savoir l'adresse actuelle de M. de Montalembert ? J'ai besoin de lui écrire, et je ne sais où. M. de Mérode n’est probablement pas à Paris ; mais j’espère que Montebello pourra vous dire cette adresse.
11 heures
Puisque vous allez à Champlâtreux, vous y aurez vérifié ce qu’on m’écrit ce matin : " que M. Molé est fort inquiet de sa santé et qu’il a raison de l'être car M. Cloquet s'en inquiète aussi. " Adieu, Adieu. A demain une lettre moins courte. Adieu. G.
Val-Richer, Lundi 15 octobre 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
8 heures
Vous serez donc après-demain en France. Pourtant j’espère que si le vent a continué, vous aurez attendu à Folkstone. A Folkstone et non pas à Londres. Je m’arrange pour partir d’ici le 14 novembre au soir, et être à Paris, le 15 vers 10 heures. Que ce sera encore long ! Mais plus j’y pense plus je me persuade que c'est le seul parti à prendre. Une course de quatre jours me retarderait ensuite d’au moins quinze jours, Il faut absolument que je finisse, qu’on traduise que cela paraisse en même temps à Paris et à Londres. Je suis sûr qu'en restant ici, sans interruption jusqu'au 14 j’aurai fini, ou si près que je pourrai, finir sans peine à Paris pendant qu’on imprimera. J'aime mieux retarder un peu mon plaisir, et l’avoir ensuite tout entier et pour longtemps, que l’entrevoir un moment pour ne le retrouver que plus tard, et avec des ennuis d'affaires retardées. Que je voudrais que vous fussiez tout de suite de mon avis. Je crois que nous avons, devant nous une assez longue période de tranquillité à Paris. Peut-être un peu d’agitation apparente pendant quelques jours, à cause du procès de Versailles ; mais rien de Lisieux, ni seulement de bruyant. J’ai bien envie que rien ne vous tourmente à votre arrivée. Que trouverez-vous là de votre société ? Vous ne m’avez pas dit ce que devenaient les Holland, ni si vous les aviez enfin vus. Je les suppose de retour à Paris. Je regrette Thom pour vous, non pas comme fécondité, mais comme sureté de conversation. Ste Aulaire et Barante n’y seront pas, je crois, avant le mois de décembre. Faites causer Boislecomte. Vous verrez qu’il a bien de l’esprit. Et il est très honnête. Je l’attends ce matin. Adieu, adieu.
Je vous quitte pour vous écrire à Londres. Quel dommage que je ne suis pas à Boulogne pour vous y recevoir, et vous amener à Paris ! Je dois avoir deux lettres ce matin. Je n’ai eu hier que celle de Jeudi que j'aurais dû avoir samedi. J’ai vu que la poste d’Angleterre avait manqué vendredi pour tout le monde. Onze heures Une seule lettre de Vendredi, Toujours une poste en retard. Adieu, adieu.
Val-Richer, Lundi 15 octobre 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
9 heures
Je fais ce que vous désirez. Je regarde comme très possible que vous ne passiez pas après-demain, à cause du vent. Mais j’espère que vous partirez toujours demain de Londres pour Folkstone. Une fois à Folkstone, je suis bien sûr que vous passerez, vous hésitez quelques fois longtemps ; mais vous ne revenez pas en arrière. Comme j’aimerais mieux vous conduire que vous attendre. Et vous attendre encore si longtemps ! Je n’ai pas le cœur à une longue lettre qui probablement ne vous trouvera plus. Adieu. Adieu adieu, adieu. Quel sentiment éprouvez-vous en quittant. l’Angleterre ? Grand, sûr et bon pays. Adieu, adieu.
Val-Richer, Lundi 14 octobre 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
On rentre mes orangers, dans l’orangerie. C’est la préface de l'hiver. Moi aussi, je suis un arbre du midi quand l'hiver vient, il faut que je rentre. Je compte partir d’ici le mardi 29 et être à Paris le 30. Pauline et son mari resteront quelques jours après moi. Henriette part vendredi prochain. J'ai besoin de bien employer les quinze jours qui me restent. Il y a cent petites choses que je veux avoir faites avant mon départ. Ma course à Broglie me dérangera ; mais elle est nécessaire. Je tiens à causer avec lui. J’y passerai deux jours.
J’écris aujourd’hui à la Reine et au Roi Léopold. Je voudrais avoir des nouvelles du duc de Nemours. Je vois qu’il a été pris d'une de ces crises nerveuses auxquelles il est sujet, et qu’il a fallu l'emporter dans sa chambre. Quelle tragédie. Et dans les tragédies royales, depuis la maison d'Oedipe jusqu'à la maison d'Orléans, c’est toujours une femme qui est la figure frappante, le type du malheur, et du dévouement. Antigone, la Dauphine, la Reine Marie-Amèlie. La femme de la tragédie des Stuart est la plus obscure, Marie-Béatrix de Modène. Elle aussi a pourtant son originalité et sa grandeur. Grandeur de couvent plus que de trône, si vous aviez des yeux, je vous engagerais à lire son histoire dans les Lives of the Queens of England de Miss Agnes Strickland, livre médiocre et écrit avec une partialité jacobite puérile, mais plein de détails anecdotiques, et de lettres originales qui ont de l'intérêt.
Je reviens à une autre tragédie non pas royale, mais populaire, celle du Holstein. Quel acharnement mutuel devant Friedrichstadt. Je suis sûr qu’il y a eu là des scènes de passion, de courage, de dévouement et de douleur égales à celles des plus célèbres luttes historiques. Les hommes ont quelquefois de l'énergie et de la vertu à prodiguer obscurément sur les plus petits théâtres ; et puis elles leur manquent quand elles auraient tant d’éclat devant le monde entier qui regarde.
J'ai lu attentivement le discours du Roi de Danemark à l’ouverture de sa diète. Remarquable par le ton confiant, sûr de son fait et amical pour son peuple. On y sent que roi et peuple sont d'accord et ne font vraiment qu’un. Il paraît que son mariage à la mode ne l'a pas encore dépopularisé. Pardonnez-moi mon calembour.
10 heures
Je reçois un des principaux journaux de Bruxelles. C'est beau et touchant, et ce sera pour la pauvre mère qui survit, une vraie consolation. Elle a le cœur assez grand pour rester sensible à ces consolations là. J’ai une lettre d'Ostende, d’un de mes amis M. Plichon, qui était là ; il m’écrit ce que disent les journaux, plus ceci : " La Reine Marie Amélie est sublime ; elle est devenue surnaturelle. c’est elle qui console les enfants, l’époux, les frères. Une heure ne s’était pas écoulée depuis le moment suprême que déjà elle était aux pieds de l’autel, environnée de toute sa famille, et donnant l'exemple de la résignation aux décrets de la Providence. Elle m’a fait la grace de me recevoir. Elle ne tient plus à la terre. Depuis Ste Thérèse, je n'ai pas vu une sublimité morale aussi grande. " La comparaison est un peu étrange ; mais mon correspondant est un admirateur passionné de Ste Thérèse comme s’il l’avait vue. Il a dit ce qu’il a trouvé de plus beau.
Votre impératrice ferait vraiment bien d’écrire Adieu, Adieu, Soignez votre estomac. Adieu. G.
Val-Richer, Lundi 13 octobre 1851, François Guizot à Dorothée de Lieven
La conversation de mon petit homme, vous aura intéressée. Le résultat de son voyage sera bon. Il importe beaucoup que le Journal des Débats se tienne en dehors de toute cette intrigue, et le langage du Duc de Broglie à cet égard a été aussi net ; aussi positif que le mien. L’ébranlement me paraît grand sur la loi du 31 mai. Si le Président se sépare dans cette question, du parti de l’ordre et fait un pacte quelconque avec la gauche, ou une portion quelconque de la gauche, il se tire d’un embarras du moment pour se perdre infailliblement un peu plus tard. Si au contraire il manoeuvre bien un peu en dehors du, et un peu de concert avec le parti de l'ordre, il peut amener, à la loi du 31 mai, certaines modifications qui mettront fin à cette question entre les honnêtes gens, et dont il aura, lui président, le profit comme l’honneur, en restant séparé de la Montagne, comme il l’est à présent ce qui est pour lui selon moi, la condition du Salut. Le Président a entre les mains, dans cette question de la loi du 31 mai, un moyen de négociation avec les diverses fractions du parti de l’ordre, qui peut l'aider beaucoup, s'il sait s'en servir à résoudre les autres questions embarrassantes et périlleuses pour lui. Créton, révision, élections & & &.
On me mandait la note de Palmerston à Francfort au moment où vous m'en parliez. Ce serait un acte inconcevable si ce n’était pas un système. Il est décidé à se porter partout, le patron des littéraux, sans s’inquiéter de savoir s’ils sont ou non des révolutionnaires chez lui, il ne craint pas la contagion ; et au dehors, le patronage lui sert. Je suis convaincu que c'est une détestable politique, pour l'Angleterre comme pour le continent ; mais c’est la politique bien arrêtée de Palmerston, non seulement il la pratique, mais il y croit. C'est son esprit qu’il faudrait changer. On y réussirait encore moins qu'à le renverser. Kossuth l’embarrassera. Mais il n'est pas embarrassé de recaler. Surtout quand il n’y a rien à faire, et qu’il ne s’agit que de modifier un peu le ton du Globe ou du Morning-Post.
Kossuth est un grand ignorant ou un grand sot. Il a gâté, pour plaire un moment aux Jacobins de France, toute sa position en Angleterre. J'attendrai avec impatience, le résultat. de votre lettre à l'Empereur. Votre fils Alexandre me préoccupe. Pauvre garçon, accoutumé à Naples, à Castellamare, à se promener dans toute l’Europe, pour s'amuser ou pour se guérir. Échanger cela contre Pétersbourg ou le Caucase.
J'ai reçu hier une lettre de Saint-Aignan qui me frappe assez par sa vivacité contre la candidature du Prince de Joinville. C’est fort simple de sa part car il est, lui, très fusionniste. Mais son langage m'indique qu’il y a là tout un coin de l'ancien orléanisme à qui cette candidature déplaît mortellement. 1 heures Ce n'est pas la brièveté de votre lettre, ni l'absence de nouvelles. qui me déplaît ; ce sont vos nerfs et votre insomnie. Guérissez de cela ; je me consolerai du reste. Adieu, Adieu. G.
Val-Richer, Lundi 13 août 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
6 heures
Il y avait hier assez de mouvement à Lisieux et dans le pays ; mouvement très tranquille ; on allait au Havre voir le président et les régates. Une députation de la garde nationale de Lisieux y allait. Elle a pour commandant un vieil officier de l’Empire, en retraite très bon soldat et très brave homme. Il a dit que, si la députation était au moins de 150 hommes il irait lui-même au Havre, avec le drapeau du bataillon. C'est le règlement ; le drapeau ne se déplace pas sans ce nombre. Il ne s’est présenté, pour aller que 78 hommes. Le commandant a déclaré qu’il n'irait. pas. On lui a demandé le drapeau. Il l'a refusé, Ceux qui voulaient aller se sont fâchés, et ont dit qu'ils voulaient le drapeau, qu’ils l'auraient de force. « Venez le prendre chez moi, c’est là qu’il faudra le prendre de force. Ils sont partis sans le drapeau. Ceci m'a assez frappé comme mesure de l’unanimité et de l’enthousiasme. Vous n’avez pas d'idée de l'effet que font dans le public, dans le plus gros public des scènes comme le soufflet de Pierre Bonaparte à M. Gastier. Cela choque bien plus que les plus graves fautes de constitution et de gouvernement. Cela choque une foule de gens qui, s'ils étaient à l'assemblée courraient grand risque d'en faire autant. Ce pays-ci a le goût des formes et la prétention de l'élégance. Il ne pardonne pas ce qui l’humilie sous ce rapport. Si la République et l’Assemblée avaient les belles manières et le beau langage du temps de Louis XIV, il leur passerait presque tout le reste. Cette combinaison là lui plairait beaucoup. Mais il n’a pas, ce plaisir là.
Avez-vous remarqué, il y a quelques jours, la fin du discours de M. de Tocqueville sur l’affaire de Rome ? Il y a été assez dur pour le Pape et en faveur de la politique vaguement libérale. On dit que c’est moins pour plaire à la gauche que pour se préparer une porte de sortie dans le cas, qu’il prévoit où cette politique ne prévaudrait pas à Rome. Il est déjà las du Ministère, et des injures qu’il faut subir, et des luttes qu’il faut soutenir, et des nécessités qu’il faut accepter. Il ne se résigne pas aussi facilement que M. Barrot, à la flagellation publique d’une repentance quotidienne. Et il s’y attend. On m'assure qu’il désire ardemment se retirer. Vous savez qu'on appelle M. Passy le passif des finances de la France. M. Vitet m'écrit qu'il viendra dîner aujourd'hui avec moi. Je suppose que Duchâtel n’arrive à Paris que demain ou après demain. M. et Mad Lenormant me viennent aussi aujourd’hui. Ils me diront les détails et le vrai de la querelle de Thiers et de Montalembert. Si cela est sérieux cela deviendra important. Barante m'écrit ceci : "L'opinion publique commence évidemment à avoir le courage de regretter le passé ; mais elle ne s'émeut pas plus pour le ramener qu’elle ne s’est émue pour le défendre." Rien du reste que des lamentations et des tendresses. Il finit par cette phrase : "Je vais écrire à Madame de Lieven, encore que ma correspondance soit vide et stérile. Autrefois, elle avait la bonté de ne point trop s'ennuyer d'un commerce où j’avais tout à gagner." Adieu. Je vais travailler en attendant la poste. Vous écrire, c'est mon plaisir. Adieu, adieu, dearest.
Onze heures et demie
La poste vient tard. Je n'ai que le temps de vous dire adieu. Adieu. Vous voyez qu’il n’y a rien eu à Rouen. Adieu. G.
Val-Richer, Lundi 13 août 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
6 heures
M. et Mad. Lenormant arrivent. Je n'ai pas encore causé avec eux. Ils m'ont dit seulement que dans son voyage à Chartres, le président avait dû aller déjeuner chez le Duc de Noailles, à Maintenon. Il ne l'a pas pu, ou pas voulu ; mais, à l'aller et au retour il a pris dans son wagon, le Duc de Noailles, qui en a été très content, plus content qu’il ne s'y attendait, quoiqu’il s’y attendît. Le voyage de Rouen ressemble aux autres. Convenable et froid. On restera comme on est. Chaque jour me confirme dans cette conviction. Il n’y a plus que Dieu qui ose faire quelque chose. Dimanche ou lundi dernier, MM. Odilon Barrot et Defaure sont allés en personne chez Napoléon Daru ( l’aîné, l’ancien Pair) pour lui offrir le Ministère des Finances. Il a refusé. Ils ont insisté. Il a refusé péremptoirement, disant qu’il ne croyait point à tout ceci et n’y voulait pas prendre plus de part qu’il n'en prenait déjà, comme représentant. Dufaure s'est montré, comme de raison beaucoup plus confiant. La Constitution toute mauvaise qu’elle est, peut bien vivre trois ans. En 1852, on la révisera. Daru a tenu bon, et leur a conseillé de garder M. Passy : " C’est un bon caissier ; contentez vous d’un bon caissier. Il n’y a pas moyen aujourd’hui d'avoir autre chose. " Mardi 14 août 6 heures M. Vitet est arrivé hier, pendant le dîner. Il venait de Rouen et du Havre, où il a tout vu et pris part à tout, comme député du département à Rouen, bonne réception, pas d’enthousiasme mais très bonne réception, public très décidé. Beaucoup de "Viva le Président ", ou Napoléon. Assez de "Vive l'Empereur", non pour avoir l'Empire, mais pour adhérer au neveu de l'Empereur. Très peu de "Vive la République". Au banquet, ovation pour le Président, ovation pour Changarnier, ovation pour Thiers, au Havre, autre chose. Grand concours de population ; 25 ou 30 000 étrangers venus de tout le pays. A l'arrivée du Président, dès le débarcadère, et pendant la revue, une démonstration désagréable, évidemment organisée ; de petits groupes épars criant à tue-tête et sous son nez : "Vive la République, vive la Constitution". Peu de " Vive le Président" en réponse. La masse Froide, étrangère à la démonstration, hostile, mais froide. Il a été reçu au Havre, sauf la grande foule, comme je l'ai été ; peut-être même moins soutenu par les amis contre les ennemis. Au banquet, et au spectacle des régates s’est un peu relevé ; bon accueil, pas mal de Vive le Président mais toujours dans un coin de la salle du banquet et du spectacle, un certain nombre de cris furibonds obstinés : " Vive la République, vive la Constitution". Il a senti le désagrément et témoigne qu’il le sentait. Il était fatigué, souffrant de mauvaise mine ; un peu de cholérine. Il n'a pu ni recevoir solennellement les autorités, ni assister à tout le banquet ; il n’est venu qu’au dessert ; et quand il a répondu au toast, il l’a fait brièvement, sèchement : " Je bois à la santé de la ville du Havre. Je fais des vœux pour sa prospérité. J'espère qu’elle sentira tous les jours davantage que le respect de l'ordre, des autorités qui maintiennent l'ordre, peut seul assurer cette prospérité" ; et quelques phrases, dans ce sens. Voilà le récit d’un observateur très intelligent, très exact, et bien placé pour bien voir. Vous en conclurez comme moi, comme M. Vitet comme tout esprit clairvoyant que ce qui est aujourd’hui a tout juste ce qu’il faut de force pour être, et ne fera rien de plus.
Je ne comprends pas que Madame la Duchesse d'Orléans n'ait pas fait visite à la Duchesse de Cambridge comme aux autres membres de la famille royale d’Angleterre. Peut-être parce qu’elle la croit peu bienveillante. Mais ce n'est pas une raison. Peut-être quelque secrète humeur entre Princesses allemandes. Je ne sais pas. Moi aussi, la Hongrie m'étonne. Je ne puis pas ne pas croire qu'on en finira bientôt. S’il en était autrement, ce serait un grave échec. Peut-être qu'on négocie en même temps qu’on se bat. Il y a là, ce me semble, nécessité et matière à transaction. Nous verrons. C'est le mot qu'on redit à propos de tout.
Onze heures
C'est mardi ! Adieu. Adieu. G.
Mots-clés : Opinion publique, Politique (France), Réseau social et politique
Val-Richer, Lundi 12 novembre 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
8 heures
Nous voilà dans la bonne semaine. Qu'il y a de temps que nous n'avons causé. Nous aurons beau faire. nous ne retrouverons pas tout ce que nous nous serions dit. Ce qui me revient de Paris (non par mes amis, mais par des personnes du gros public) est favorable à la perspective de l'Empire. Non par goût, mais parce que " on a soif de silence et d'autorité. " Ce court résumé me paraît bon. On ajoute qu’on ne croit nullement à du trouble dans la rue. Dans le pays que j'habite, grande insouciance sur cet avenir-là. Peu d’espérance, et point de crainte. J’ai trouvé hier le manifeste de M. Carlier dans mon Galignani. On aura voulu l'afficher dans Paris avant de le mettre au Moniteur. Le ton en est ferme et la suppression des termes sacramentels est assez frappante. J'admire de quoi on est réduit à être frappé. Si l'Empire fait, ou si, pour faire l'Empire, on fait la loi sur les gardes nationales dont le Prince Paul vous a parlé, cela seul vaut la peine de courir l'aventure. Mais je doute qu'on ose cela du moins aujourd’hui. Je suis assez curieux du Ministre des Affaires étrangères. Tenez pour certain que si c’est le Prince de la Moskowa, c'est très dangereux. Tout autre est préférable. Je serai charmé d'entendre le discours du Duc de Noailles. Seul d’abord, et puis à l'Académie. J’ai quelque peine à me figurer l'Académie et tous les passetemps, littéraires ou autres de Paris. J’ai pris depuis si longtemps l'habitude de ne voir, dans Paris que l’une de ces deux choses, gouvernement ou révolution, qu'il me faut un effort pour y voir autre chose. Je ne me propose pas du reste de prendre grande part à ce qui s’y voit. Il me convient de porter le deuil et j'en profiterai. Mon penchant, et pas de voiture, et l’hiver, ce sont de bonnes raisons pour courir très peu. On m’écrit que ma petite maison est bien arrangée, et sera agréable à habiter. Vous devez bien jouir de votre appartement par ce charmant temps que nous avons depuis huit jours.
Onze heures et demie
Rien à ajouter. Et probablement pas grand'chose à dire d’ici à trois jours. Adieu, adieu. Adieu. Et encore. G.
Val-Richer, Lundi 10 novembre 1851, François Guizot à Dorothée de Lieven
Voici la fin. Après demain à 1 heure, je vous verrai. Marion me dit que vous recommencez à manger, et Génie qu’il vous a trouvée en assez bon état. Tout cela est médiocre, mais enfin le mieux a commencé.
Je ne puis pas regretter, pour mon compte de n'avoir pas été plutôt à Paris. Ce qui s'y passe me paraît pitoyable et déplorable. Je ne comprends pas que ces gens d’esprit perdent volontairement les avantages de la situation que leur ont faite des sots ; et il faudrait qu’on m’apprît de bien importantes choses que j'ignore et que je n’entrevois pas du tout, pour m'ébranler dans ma conviction. Nous verrons.
Je suis très curieux d'entendre Molé et Vitet. J’ai vu hier, ici et à Lisieux, quelques honnêtes gens dont le langage révélait déjà l'effet de ce qui se passe. Ils s'en étonnent et recommencent à donner tort à l'Assemblée, sans redonner raison au président. Ils iront plus loin si on continue. Adieu. Adieu. Marion a été un suppléant charmant. Adieu. G.
Voilà vos quelques lignes qui me plaisent. Mais il ne faut pas veiller jusqu'à 11 heures. Merci de ce que vous avez dit à Mérode.