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295. Paris, Jeudi 24 octobre 1839, Dorothée de Lieven à François Guizot
Lord Brougham est mort. Il a été tiré en se promenant en voiture dans son parc ; les chevaux l'ont emporté et tout brisé, il a été jeté de la voiture, foulé aux pieds des chevaux & roues ensuite. C’est horrible. Voilà une des gloires de l'Angleterre qui a disparu, car bien que fou, c’était un esprit très supérieur, très universel, et vous verrez que tous les partis s’uniront en Angleterre pour le reconnaître et proclamer cela une perte nationale. Savez-vous qu'on dit que Lady Clauricarde avait pour lui un sentiment très tendre et qu’elle sera très malheureuse de cette mort ?
Thiers est venu chez moi hier, mais il ne m’a pas trouvé, j’en suis fâchée. J'ai dîné chez les Granville, il n’y avait que Montrond. Ils étaient bien troublés de la nouvelle de Brougham. J’ai pris froid hier en courant les boutiques. Décidément il y a rien de plus malsain que de se meubler. Le temps est affreux, J’ai des douleurs à la têtes, je crains un retour de ma fluxion. Adieu.
Je suis tourmentée de mille petites tracasseries, ma nouvelle femme de chambre est partie. Elle n’a pas aimé la rivalité de l'Anglaise, et comme celle ci me plait extrêmement je n’ai pas hésité à me séparer de l'autre. Je cherche donc de nouveaux et cette pauvre Charlotte est malade du chagrin de tous ces retards. Je vous conte toutes mes peines. Adieu. Adieu.
Midi Bulwer me fait dire dans ce moment que Brougham n’est pas mort. Je ne conçois pas cette étrange mystification. Le duc de Bedford est mort. On accuse M. d'Orsay de la fausse nouvelle sur Brougham. J'ai reçu la réponse de Burkham. Les lettres of administration sont entre ses mains pour être remises à mon fondé de pouvoir quand je le désignerai.
295. Val-Richer, Mardi 22 octobre 1839, François Guizot à Dorothée de Lieven
7 heures
Pauline va bien. Je sors de sa chambre. Elle a parfaitement dormi. C’est un enfant prodigieusement nerveux, un petit instrument toujours tendu et qui retentit toujours. L’immobilité et le sommeil sont pour elle de vrais remèdes. Je ne sors jamais sans un serrement de cœur de la Chambre de mes filles. Il n'y a point de sécurité où il n'y a pas une mère. La mienne est excellente pour mes enfants, et de la tendresse la plus dévouée. Mais elle a 75 ans.
Votre appartement doit être en effet très bruyant. Mais vous devez pouvoir vous en défendre à force de sourdines. A côté du bruit, il y a de l’espace pour que le bruit s'y répande et s'y perde. Vous jouirez beaucoup du printemps. La verdure, le soleil et les oiseaux reviendront pour vous aux Tuileries plutôt que pour personne.
A propos de retour, les Granville sont-ils revenus ?
Il faut à présent que quelque incident survienne qui fasse faire à la question d'Orient un nouveau pas. Nous sommes tous en Occident arrivés au point où nous resterons sur cette affaire. Je ne vois pas d’où viendraient la concession et le mouvement. Le statu quo indéfini ne se peut pourtant pas. Je compte sur Méhémet. Avez-vous remarqué, dans le Constitutionnel l'humeur de Thiers sur les faveurs de Madrid pour le Maréchal, la toison la grandesse &.. ? Il va, en fait, de jalousie, sur les brisées de M. Molé. On dit que le Maréchal grogne un peu des 30 000 fr que lui coûte le brevet de la Toison. Voici ce qu’on me dit : " Thiers est ici ricanant. beaucoup, mais sans tapage. Ses amis sont très sombres. Ils sont chargés de faire quelques avances aux centres. Mais le mot d’ordre varie tous les jours. Il n’y a qu’un sentiment qui ne change pas, c’est la fureur contre Dufaure et Passy. " M. Passy a gagné quelque chose auprès du Roi. Le Roi le trouve plus intelligent que les autres sur les Affaires étrangères, et aussi plus large, un peu plus aristocratique en fait de Gouvernement. Il a consenti en effet à demander une dotation pour M. le duc de Nemours. Le Roi traitera toujours bien MM. Passy et Dufaure. Il leur sait un gré infini de ce que Thiers ne leur pardonne pas ! M. Dufaure s'affectionne beaucoup au Ministère.
10 heures
Vous m’arrivez à travers un brouillard effroyable. Vous avez le pouvoir de dissiper tous ceux du dedans. Mais ceux du dehors vous résistent. Je suis charmé que Lady Granville, soit de retour. Je reviendrai aussi. Et plus vous me presserez, plus je serai charmé de revenir. La coquetterie est indestructible. N'est-ce pas ? Adieu. Adieu. Ne vous tracassez pas. Adieu.
296. Paris, Vendredi 25 octobre 1839, Dorothée de Lieven à François Guizot
Midi
J’ai passé toute la journée dans ma chambre. Je n’ai vu personne que Thiers il est venu à 2 h. et ne m’a quittée qu’après cinq heures. Beaucoup d’Orient, presque rien que cela. Beaucoup d’esprit sur ce sujet. Ce qu’il aimerait le mieux, c’est que nous nous arrangeassions cela. Au fond c'est son vieux refrain et le refrain de beaucoup de gens ici. " Donnez-nous le Rhin, & nous vous donnerons Constantinople. " Mais il y a une petits écueil là-dedans, c’est que nous pouvons prendre Constantinople, & que nous ne pourrons ni ne voudrons donner le Rhin. Je l'ai un peu plaisante sur la coalition il a fort mal pris mes plaisanteries et a soutenu fort et ferme qu’elle avait accompli ce qu’elle s'était proposé. Tuer le ministère, que c’était beaucoup, que c’était tout, & que les gens d’esprit n’avaient pas un autre devoir. Les Turcs tous les uns après les autres, de façon à y arriver après que tout le monde sera mort. Je vous assure que je vous ai dit là tout ce qu’il a tourné et retourné pendant 3 heures. Il parle fort bien de vous, mais sans affectation, il dit qu’il est à merveille avec le roi.
J’ai eu une lettre de mon frère qui m'envoie les comptes de Brünnow. J'aurai 24 milles francs de plus que les 56 mille en tout 80 mille qui me seront remise quand je voudrai, à ce que dit mon frère. Il a jouté " Vous n'aurez plus qu’à régler la question du capital anglais Paul part pour Londres à cet effet, il a un vif désir de se réconcilier, avec vous. " (écrit comme cela.) Je voudrais voir trace de ce désir ! Ce que vous me dites de M. de Talleyrand est d'une parfaite vérité, de grandes habitudes mais pas de grandeur naturelle. Adieu.
Me voici en face d’une jolie femme de chambre, qui ne l'a jamais été mais qui a l’air si doux que je veux me résigner à toutes le gaucheries. Adieu, adieu.
296. Val-Richer, Mercredi 23 octobre 1839, François Guizot à Dorothée de Lieven
7 heures
Ma journée a été prise hier par M. Hèbert, qui me reste encore aujourd’hui. C’est un homme de quelque importance dans la Chambre. Il a du sens, du courage et de la parole. Il m’a toujours été très fidèle. Mais c'est une terrible chose qu’un brouillard qui rend la promenade impossible, et la conversation permanente. Je ne connais plus que vous au monde avec qui en fait de présence et de conversation, je n’arrive jamais au bout de mon plaisir. Mon hôte ne sait rien. Il vit depuis deux mois à la campagne, en vacances. Sa disposition me paraît être celle des gens sensés du centre, le mécontentement expectant, peu de confiance et peu d’ambition.
Vous verrez que D. Carlos, pour avoir ses passeports, sera obligé de prier sérieusement Cabrera et le comte d’Espagne d'en finir, & qu’ils ne lui obéiront pas. Raison de plus pour ne pas les lui donner de sitôt ; il faut qu’il ait autant d'envie que la reine Christine de voir cesser la guerre civile, et qu’il emploie ce qu’il a d'influence pour nous comme il l'a employée contre nous. Bourges doit être bien ennuyeux, pas plus pourtant qu’Elisando, je pense. Je ne suppose pas que les visiteurs Carlistes suffisent pour charmer le séjour. Quel puérile parti !
Il me paraît que Berryer poursuit sa candidature à l’Académie française car on m'en écrit de nouveau. Parlerait-il du Roi comme il convient dans son discours de réception ? Demandez-le lui tout simplement si vous le voyez. Remarquez-vous, de votre côté un léger, bien léger mouvement pour nous adoucir un peu dans notre refus de faire comme l’Angleterre.
Plus j'y pense, et plus je répète, pour la politique ce que Mirabeau disait pour la morale : " la petite tue la grande. " Et je le répète contre tout le monde.
Pour rien au monde, je ne voudrais épouser la Reine d’Angleterre. Vous n'aviez pas bonne opinion de l'avenir conjugal de la Princesse Charlotte. Je parierais bien plus contre cet avenir-ci. Je ne sais pourquoi, car au fait je n'en sais rien. Mais j’ai cette impression. Peu importe du reste au résultat. Le Prince de Cobourg ne l'en poursuivra pas moins, et ne s'en félicitera pas moins, s’il l'obtient. Puis le temps s’écoulera ; les mécomptes viendront les ennuis, les colères, les regrets peut-être. C'est le train de la vie. Bien peu y échappent, même de ceux qui le prévoient.
9 heures et demie
Je m’attendais, en effet au dénouement de Félix. Vous faites bien de le garder. Moi aussi, j’attends le beau mois de Novembre. Adieu. Adieu. Je vous quitte bien brusquement. Mon hôte entre dans mon Cabinet. Si c'était vous !
297. Paris, Samedi 26 octobre 1839, Dorothée de Lieven à François Guizot
Imaginez-vous que Brougham à forcé M. Shafto, un de ses amis résidant avec lui à le Campagne d'écrire à Londres le récit circonstancié de sa mort, pour voir l’effet que produirait cette nouvelle. Une pure plaisanterie. Concevez-vous pareille chose. Le prince Metternich a répondu. Appony épouse, et a la promesse d’un poste indépendant en attendant il sera attaché ici. Vous ai-je dit que mon frère me parle de ce mariage aussi, et se réjouit que sa fille sera auprès de moi? Cela veut dire qu'il sera ravi que je reste à Paris. Il n’a pas de termes d'improbation assez forte pour l’affaire secrète et surtout pour le cordon donné à Espartero ! Point de nouvelles de tout.
Le Roi a été enchanté de revoir Lord Granville. J’ai été encore courir les boutiques de vieux meubles hier, le soir chez Mad. Appony et puis Lady Granville. Je ne laisse entrer chez moi personne, j’ai un peu des coquetteries pour mon appartement et je ne veux pas le montrer qu’il ne soit prêt. Je ne reçois qui Bulwer & Lord Granville, & Thiers l’autre jour dans ma chambre à coucher.
On me dit que tout sera arrangé la semaine prochaine. Le tout me coûtera 30 mille francs & j'espère pas d'avantage. vous êtes fort heureux de ne pas vous trouver auprès de moi dans ce moment, je ne vous parlerais que tapissiers et ébénistes. Peut être cependant que je vous dirais autre chose aussi ! Adieu. Adieu mille fois.
297. Val-Richer, Jeudi 24 octobre 1839, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je vois que vous commencez à jouir de votre entresol. Que sera-ce ce printemps ? Les journaux s'amusent à remarquer que vous avez pris l’appartement de M. de Talleyrand. Cette maison et son maître m'ont frappé en 1814, au moment de la Restauration. C’est son grand moment, le seul à vrai dire. Il y a été déployé à ce moment là, un grand savoir-faire sur de grandes choses, et avec infiniment d’aisance, de bon goût, de rapidité, de résolution. A toutes les autres époques, faveur ou disgrâce, je n’ai vu là qu’un homme d’esprit très aimable, gracieux d’un commerce doux d'une conversation agréable, et très habile à plaire, au fait, il avait de grandes habitudes, mais pas de grandeur naturelle, involontaire et permanente. Vous ne m’avez jamais bien dit comment il avait été à Londres en 1830, et qu’elle était vraiment là, sa situation.
Montrond qui est venu me voir la veille de mon départ, m'a parlé de lui une demi-heure, avec le plus singulier mélange d'affection et d'indifférence, un regret très vrai et parfaitement sec. J’aurais été touché et choqué tour à tour si Montrond pouvait me toucher et me choquer. Les journaux reviennent sans cesse sur les embarras du Roi. Guillaume à propos de son projet de mariage. Est-il vrai que ce soit devenu une affaire, et qu’il rencontre de vives résistances dans sa famille ? Je m'intéresse à ce vieux Prince entêté. S'il lui plait de finir sa vie avec une ancienne amie auprès de lui, il fera bien de mettre là aussi, son entêtement.
Je crois comme vous qu'il n'y a point de nouvelles. Il ne m'en est point venu du tout. depuis plusieurs jours. Il serait plaisant que la session s’ouvrit tout simplement, tout paisiblement ; par les seules affaires. C'est peut- être ce qui vaudrait le mieux pour tout le monde.
9 heures et demie
Si vous avez quelque moyen un peu sûr et un peu prompt d'avoir des renseignements sur le mobilier de la terre de Courlande, usez-en ; ne fût-ce que pour savoir ce qu’on a si légèrement jeté à l'eau de votre bagage. Le comte Frédéric de Pahlen est ; il encore en Courlande ? Vous auriez pu vous adresser à lui. Sérieusement je n’espère rien de cette réclamation, avec de tels agents et de tels adversaires. Mais il vaut la peine de savoir au juste ce qui en est, et qui sait peut-être dans l’intervalle, surviendra-t-il quelque moyen de succès. Je m'étonne que vous n'ayez pas reçu les letters of adm. Je crains quelque coup fourré. J’ai ri aussi du Times. Il n’y a pas de mal. Adieu. Adieu. Je me lasse de ceux là. Je vous promets de ne me lasser jamais des autres. Adieu donc. G.
298. Paris, Dimanche 27 octobre 1839, Dorothée de Lieven à François Guizot
Quel plaisir de voir bientôt finir ce mois-ci. Mais toussez donc un peu. J'ai dîné hier en Appony. Ils commencent à faire confidence, du mariage, mais certainement il y a en eux un peu plus de consternation que de joie, et au fait c’est très naturel. Une Russe. Vous ne voudriez pas épouser une russe. La diplomatie voit bien que ce n’est pas la volonté du Roi qui se fait sur l’affaire de Don Carlos. On ne lui donne pas encore ses passeports.
Aujourd’hui dimanche, je me repose. Point de courses dans les boutiques et point d’affaires chez moi. M. de Pogenpohl m’aide dans la réponse à faire à mon frère, car enfin il faut répondre. Vous déjà bien du temps de perdu. Je vous enverrai copie de ce que j'aurai écrit. Il fait bien froid, et j’ai froid. Il me parait que je n'ai rien à vous dire puisque j'ai recours à la température. Il n’y a pas la moindre nouvelle. Le prince Metternich écrit de grands éloges de M. de Brünow, et dit que certainement nos relations avec l'Angleterre ont été placées par lui sur sur pied excellent. Adieu, adieu. Quand est ce que je n'écrirai plus adieu !
Mots-clés : Diplomatie, Réseau social et politique
298. Val-Richer, Vendredi 25 octobre 1839, François Guizot à Dorothée de Lieven
J’ai remarqué que Médem, quand vous le consultiez ; était toujours de votre avis, entrait dans votre sens ; ce qui n'empêchait pas que, après le conseil, le moment de l'action venu, il ne fit rien pour vous. Lui avez-vous demandé de vous procurer sur la valeur du mobilier de la terre de Courlande, des renseignements un peu précis ? Il me semble qu’il le pourrait. Son père, si je ne me trompe, avait là, ou tout près, une partie de sa fortune. Je me méfie fort des gens qui disent toujours comme moi, et ma confiance comme mon estime, ont besoin qu'on me contrarie souvent.
Je suis charmé que Pahlen revienne ; pour vous d’abord, et aussi pour nos rapports avec vous ; bons ou mauvais, ils seront convenables et tranquilles. A présent que votre tentative sur Londres est manquée, je trouve qu'elle a été faite avec trop d’éclat. L’envoi de M. de Brünnow était une façon de monter à l'assaut ; il fallait emporter, la place. Tout cela du reste est de peu d’importance pour l’événement ; il sera le même. Ce sont de petites vicissitudes de situation et de petites agitations d'amour propre qu’on se donne comme passe-temps.
En fait de passe-temps, j’en ai un depuis deux jours qui m'amuse fort. Je lis ces mémoires de Mirabeau ou plutôt des Mirabeau, que je n’avais jamais fait que regarder. C’est une étrange famille, une fougue de passion, un besoin de suivre sa fantaisie et de faire sa volonté, une mon habitude d’énergie bizarre & d'emportement spirituel, transmis de génération en génération, comme une physionomie et un caractère de caste. Il faudra que vous lisiez cela. Mon libraire me les a envoyés avec d’autres livres, dont j’avais besoin. Je les rapporterai à Paris pour vous. Vos yeux continuent-ils de se trouver un peu mieux ?
Qu'arriverait-il si M. de Metternich refusait à Rodolphe Appony l'autorisation dont il a besoin. ? Irait-il de l'avant dans le mariage ? Mais cela n’arrivera pas.
10 heures
J’espère que la mort de Lord Brougham n’est en effet qu’une étrange mystification. Vous avez mille fois raison. Quand une gloire nationale disparaît, tout le pays s’en ressent et doit s'en affliger. Il a moins de soleil sur son horizon. donne. L'Angleterre sait bien cela. Aussi mérite-t-elle des gloires. Je ne me serais jamais douté du sentiment de Lady Clauricard ! Je ne mets pas, bien ces deux personnes là ensemble. Je suis charmé que vous ayez les letters of adm. Adieu. Adieu. G.
299. Paris, Lundi 28 octobre 1839, Dorothée de Lieven à François Guizot
J’ai vu hier chez moi Lady Granville que j’ai laissé entrer enfin. Elle est ravie de mon appartement. J’ai vu plus tard le prince Paul de Wurtemberg. Il a des lettres de Madame sa fille, selon lesquelles l'Impératrice serait à toute extrémité. Vous ne sauriez concevoir quelle catastrophe cela sera pour l’Empire. Je ne conçois pas l’'Empereur et sa violence devant un premier malheur. J'ai fait visite à Pozzo hier au soir. Il était bien faible et bien imbécile. C’est vraiment une belle action d’aller passer une heure avec lui. Je viens de recevoir une lettre d'Ellice, mais je n’ai pas le courage encore d’aller à cet affront. La petite Ellice est arrivée très gentille, mais pas tout-à-fait autant qu'à Bade. C’est qu’à Bade j’étais bien abandonnée. Adieu.
Je vous assure que je suis bien harassée de tous ces tracas d’intérieur. Je ris quelque fois à force d’avoir envie d'en pleurer. Adieu. Si votre mère n’est incommodée qu'un peu et de façon seulement à ce que votre retour ne soit qu’une mesure de prudence je ne saurais m’en chagriner. Si vous aviez de l’inquiétude soyez sûr que j’en aurais beaucoup beaucoup aussi. Adieu. Adieu.
299. Val-Richer, Samedi 26 octobre 1839, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je répète ce que nous avons dit souvent ; quand on approche du terme la route devient assommante ; quand on est près de se revoir on ne prend plus de plaisir à s’écrire. Il ne s’est rien passé depuis que nous nous sommes quittés. J’ai des milliers de choses à vous dire, et l’insuffisance des lettres me choque plus que jamais. Il fait très beau et très froid ce matin. J’ai été me promener hier sur ma nouvelle route par laquelle je m'en irai, et qui va être achevée enfin. Tout le monde dit qu’elle a été faite avec une rapidité inouïe. Il est vrai qu'on l’a commencée, l’année dernière. Pour moi, il me semble qu’on y travaille depuis un temps infini, et qu’elle s’est fait attendre outre mesure. C’est qu’on m'en a et que j'en ai beaucoup parlé. La parole allonge et use extrêmement les choses. C’est ce qui fait que, de nos jours, tant des gens sont blasés en un clin d’œil, ou même d'avance. On parle trop. Au fait, ma route sera fort jolie.
Je suis charmé que Lord Brougham ne soit pas mort. Je lui ai enfin répondu il y a huit jours. Lady Clauricard me revient beaucoup. Est-ce depuis le mariage du marquis de Dauro, ou auparavant ? Vous avez peut-être vu dans les journaux l'histoire de cette comédie de Mad. de Girardin, qui a été reçue à l'unanimité par les comédiens dont l’autorité hésite à permettre la représentation, et qui excite beaucoup de curiosité me dit-on. C’est une vengeance de femme. Elle s’appelle l’Ecole des Journalistes. C'est l'histoire du Mariage de Thiers et de toute sa vie politique et privée. M. Duchâtel paraît décidé à ne pas permettre et il a raison. Mais ces Girardins ont bec et ongles. Ils feront du bruit.
L'ouverture de la session pour le 16 ou le 20 décembre. On voudrait bien avoir quelque chose de plus à dire sur l'Orient. On espère un peu que d'orient même, il viendra quelque chose qui fera faire un pas. Au fond, je ne suis pas convaincu que le Roi soit pressé. Il aime assez à avoir sur les bras, un embarras dont il n’a pas peur.
9 heures et demie
Je suis bien aise que vous ayez 24 mille francs de plus. Mais j'ai peur d’une femme de chambre qui ne l'a jamais été. Comment ferez -vous cette éducation là ? Par un drôle de hasard, trois ou quatre de mes amis m’écrivent aujourd’hui même qu'ils ont vu Thiers, et leurs dires s'accordent parfaitement avec votre conversation. Je vous en parlerai demain. D'après ce qu’on me mande, l'Orient est tout à fait immobile, et on ne compte plus sûr quelque chose de nouveau avant la session. Adieu.
Si vous étiez ici, vous ne resteriez pas dans votre chambre. Il fait vraiment aujourd’hui un temps admirable pour se promener. Il y a des gens qui aiment passionnément les beaux jours d’automne, parce que ce sont les derniers. J'aime mieux les beaux jours du printemps, parce que ce sont les premiers. J’aime l'avenir, ce que j’aime encore mieux, c'est ce qui est éternel. Adieu. G.
300. Paris, Mardi 29 octobre 1839, Dorothée de Lieven à François Guizot
Voici vraiment 300 lettres que je vous ai écrites, cela ne nous fait pas honneur. C'est de mauvais arrangements pour des gens qui trouvent du plaisir à être ensemble il y a bien de la maladresse à avoir passé plus du temps de leur vie commune, séparés. Bulwer doit m’apporter ce matin une lettre, selon laquelle il prétend que Paul montre des dispositions à un racomodément. Je verrai. Je ne veux qu’un retour sincère, Je n’en accepterai plus d’autre. Il m’a trop offensé.
Appony est allé annoncer au roi le mariage de son fils, on dirait l’héritier d'un trone ! Ces bonnes gens font une quantité de petites démarches de petits arrangements surtout, qui sont assez drôles. Le fils se met un peu sous ma protection pour empêcher des lésineries, mais cela ne me regarde pas. Je préparerai mon cadeau. Voilà tout ce que j’ai à y faire.
Midi. Vingt marchands deux querelles où j’avais raison, un froid de loup, une quantité de petits embarras qui puissent toujours pas me donner des grands plaisirs pour me moment vous voyez bien qu'il s’agit de mes meubles, voilà l'emploi de cette première partie de la matinée. Mes lettres doivent bien vous ennuyer car je n’ai rien à vous dire du tout. J'ai eu une longue lettre d’Ellice, au fond rien de nouveau. Le ministère très faible tout juste comme il y a un an et les vraisemblances qu’il fera la même campagne. Point de gloire, mais les plans for ever.
A propos, j’ai ouï dire que vous avez une espèce de discussion presque de querelle avec M. Duchâtel pour un préfet je ne sais pas son nom, & on dit vraiment que vous avez tort, que votre préfet est un sot et que vous ne devriez pas vous faire une affaire pour un pareil personnage. Je trouve cela aussi, et je serais bien aise que vous fussiez de cet avis. Soyez sûr que lorsque je m’avise de vous dire de ces choses là c’est que je crois qu’il est bien de vous le dire. Adieu. Adieu, quand m'annoncerez-vous une date? Adieu.
300. Val-Richer, Dimanche 27 octobre 1839, François Guizot à Dorothée de Lieven
9 heures
Ma mère a été souffrante hier, assez souffrante. Si cela se prolongeait ou se renouvelait d’ici à quatre jours, je presserais mon départ. Son mal, s’il s'aggravait, aurait besoin de secours prompts et décisifs. Je lui en ai dit un mot hier. Cela la contrarie. Mais je n'hésiterai pas. Pauline est parfaitement bien. Mais quelle fièvre que d’aimer des créatures, quand on a tant perdu, quand on a tant éprouvé la fragilité de la vie ! Je ne puis voir malade quelqu'un que j’aime, sans une angoisse, une prévoyance horrible. Je ne vaux plus rien pour un tel fardeau ; mes épaules plient à la moindre apparence qu’il s’appesantisse encore sur moi.
Voici une conversation de Thiers avec un de mes amis ; plus directe que la vôtre mais très analogue, je pense. Thiers : Que pensez-vous du Ministère?
- Qu’il est faible et dans une position fausse.
- Que fera-t-il ?
- Peu de chose sans doute ; ce qu'on peut faire quand on est faible et dans une position fausse.
- Et comment tout cela finira-t-il ?
- Je vous le demanderai à vous- même. "
Ici une pause assez longue. Thiers reprend, et expose ce qu’il pense du Ministère de ses embarras, des difficultés de la session ; la gauche votera contre ; M. Barrot votera contre avec quelques ménagements. Le centre gauche se divisera ; une portion appuiera le Ministère, l'autre votera contre. Et les doctrinaires, que feront-ils ?
- Comme le centre gauche.
- Et M. Guizot, que fera-t-il ? L’avez-vous vu à son dernier passage à Paris ?
- Je l'ai vu ; il agira selon les circonstances sa situation, peut être embarrassante à cause de ceux de ses amis qui sont ministres.
- Autre chose sont ses amis, autre chose est le Ministère."
Thiers revient sur la situation en général, sur l'impossibilité qu’il n’arrive pas quelque chose. On répond que quoi qu’il arrive, il est désormais impossible de parler de coalition. On lui rappelle qu'à la même place, au moment des dernières élections en causant avec lui, en prévoyait la victoire et un grand succès si la conduite était sage et mesurée ; on ajoute que rien n'a été omis de ce qui pouvait et devait tout compromettre. Ceci a paru préoccuper vivement Thiers ; le rouge lui a monté au visage. Après un peu de temps, il a repris :
- Sans se coaliser, on peut tendre au même but. On le peut et on le doit, si en effet on se propose le même but, si on a les mêmes intentions."
Nouvelle pause. Thiers reprend encore pour dire qu’il a pris son parti, qu’il travaille, qu’il veut continuer, qu'il est heureux.
- Vous faites bien. "
10 heures
Lord Brougham n’a pas prolongé assez longtemps sa fantaisie. Il ne faut pas qu’un mort revienne sitôt. Avait-il fait prévenir Lady Clauricard. Vous avez raison de ne pas montrer votre appartement. Mais moi je regrette de ne pas assister à sa création. Vous me parleriez d'autre choses. Vous me permettez cette fatuité. M. Delessert m'écrit que Calamata vient de terminer la gravure de mon portrait. On m'en donnera quelques épreuves quelques unes à Paul Dela Roche ; puis 450 pour les souscripteurs et la planche sera brisée. Voilà des amis jaloux. Adieu. Adieu. G.
301. Paris, Mercredi 30 octobre 1839, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je suis charmée qu'il fasse froid chez vous, que vous souffriez du froid dans votre maison, il me parait que je suis charmée de tous les petits maux qui peuvent vous arriver loin de moi. Voilà pour mon désintéressement.
M. Jaubert a demandé à me voir, je l'ai reçu. Il m’a plu. Il a d'abord une qualité à laquelle je suis particulièrement sensible, il est poli. Après cela il a parlé de toute chose avec mesure et convenance et esprit. Enfin il me semble qu'il me plaira chez moi presque autant qu'à la tribune, mais... pas souvent. Les boutiques le matin, la Princesse Saltykoff, plus tard. Lady Granville chez Lady Granville le soir. Voilà ma journée. Et je ne sais rien. M. Molé rentre en ville demain. J'ai encore des affaires ce matin, et probablement, pour le reste de la semaine, & puis il faut que je me repose. Miss Clarke me plaît toujours. Adieu, Adieu. On me dit que l’Impératrice va mieux. Adieu. Adieu. Bulwer n’est point venu hier je ne sais donc rien de plus.
Mots-clés : Politique (France), Portrait
301. Val-Richer, Lundi 28 octobre 1839, François Guizot à Dorothée de Lieven
7 heures et demie
Je ne m'étonne pas qu’on soit furieux contre Maroto. Il a bien dérangé le comte de los Valles. Mais j'admire qu'on en veuille. tant au cordon d'Espartero. On tient donc encore plus au respect des cordons qu'au respect des Rois. N'avez-vous pas eu aussi vous-même un peu d'étonnement de ce cordon ? Pour moi, je vous l'avoue, s’il a fait grand plaisir à Espartero, si les Espagnols ont trouvé que c’était là pour lui une récompense, si une aune de ruban rouge, venu de France, a au delà des Pyrénées cette valeur, je trouve qu’on très bien fait. Je fais cas des cordons ; ils plaisent à quelque chose d’indestructible et de puissant dans la nature humaine ; mais je ne les respecte pas ; pas plus que je ne respecte l'argent. Ils sont comme l'argent, très bons à donner à ceux qui les aiment, et il faut savoir, chamarrer les hommes comme les enrichir. Mais je ne connais à l'emploi des cordons, qu'une limite ; c'est de ne pas les user au point qu’on ne les désire plus. Vous voyez qu’on n'en est pas là dans la Péninsule.
Ma mère est mieux. Elle vient de me faire dire qu’elle avait passé une bonne nuit. Je l’ai fait promener hier pendant deux heures au plus petit pas possible sous un ciel sans soleil mais doux et en causant du passé, cette vie des vieillards. Elle était contente, et le contentement est ce qu’il y a de plus sain à tout âge.
J’écris ce matin à Lord Brougham pour lui dire qu’une petite affaire qu’il m’avait recommandée vient d'être faite. J’ai bien envie de lui reprocher d'être revenu trop tôt. Il fallait nous donner trois jours, son expérience est manquée. J'ai peur qu’il ne lui en reste qu’un ridicule de plus. Je suis bien aise que ce mariage Appony soit tout-à-fait arrangé, et que vous ayez votre nièce près de vous. Peut-être en ferez-vous quelque chose ?
Votre anglaise vous plait donc. Est-ce plus qu’une bonne d'enfants ?
Vous devez avoir les Pairs ce matin, au Moniteur. M. Rossi est le seul qui m'intéresse. A sa place, j’aurais mieux aimé attendre qu’une porte s'ouvrit à la Chambre des Députés. Mais qui sait attendre ? Il sera bien partout. Il est du très petit nombre des hommes qui ont assez d’esprit pour que je regrette que vous ne les connaissiez pas.
10 heures
J'ai beau faire, je ne tousse pas. Mais il fait froid. Vous n'êtes pas plus pressée que moi. Je monterai l’escalier de cet entresol avec tant de plaisir ! Je n’ai pas plus de nouvelles que vous. Je vous envoie le peu qui m’arrive. Adieu. Adieu, Adieu. Je suis bien aise que vous vous soyez reposée hier. Vous aviez l'air fatiguée. G.
302. Paris, Jeudi 31 octobre 1839, Dorothée de Lieven à François Guizot
Prenez patience encore et lisez ce que je vous envoie. Il faut que vous me disiez maintenant ce que j'ai à faire. J'ai reçu hier une lettre d'Alexandre de Berlin. Il arrive aujourdui à Londres. Il ne veut y faire ce séjour strictement nécessaire pour régler ses intérêts là-bas ce qui veut dire recevoir sa part du capital ensuite il viendra ici. Après un petit séjour ici il va en Italie, pour revenir au printemps à Paris et puis Londres encore, et s'embarque de là avec son frère pour un second voyage en Russie. Vous voyez bien qu'il sera pressé et que moi n’ayant écrit ce que je vous envoyé que le 26 Je ne pourrai avoir de réponse que tout au plus le 20 novembre. Cela leur semblera bien long et pourra vexer ce pauvre Alexandre. Cependant puis-je après ce que j’ai écrit à mon frère, & dans mon propre intérêt, leur donner le Capital avant ses réponses ? Dois-je informer Alexandre de tout ceci ? Je crains à présent qu'il est auprès de Paul, quelques réponses impertinentes. Dois-je en charger une tierce personne & qui ? C’est au duc de Sutherland que je donnerai mes pleins pouvoirs. Mais comme il ne sera pas à Londres il les déléguera à quelqu'un, un banquier sans doute. Je ne veux répondre à la lettre d’Alexandre que quand vous m’aurez donné votre avis. Il m’écrit très tendrement et se réjouit beaucoup de me revoir. Ma lettre à mon frère est-elle bien ?
On dit dans le monde diplomatique, que le Roi est fort mécontent de tous les ministes moins le maréchal. Il s’agit de Don Carlos. On menace même de dissoudre le cabinet si ces messieurs s'obstinent à contrarier la volonté du roi sur ce point. C’est Montrond qui m’a dit cela. Lord Granville pousse à garder Don Carlos. On dit que le Roi parle très mal et très vivement sur mon Empereur. Je tremble que Pahlen ne revienne pas ce serait un vrai chagrin pour moi. Il fait un temps abominable Il n’y a plus de belle campagne possible. Adieu. Adieu, Adieu.
14/26 octobre 1839 à mon frère
J’ai reçu il y a huit jours seulement le paquet contenant votre lettre du 20 août et l’acte passé avec mes fils, et avant-hier votre lettre des 22 7bre avec le compte de Bruxner. Je commence mon cher frère par vous remercier bien tendrement de toute là peine que vous avez prise pour arranger mes affaires, et de toute l’amitié, la bonté que vous m'avez prouvées par là. Je vois que j’avais raison ne vous contestant cet été les chiffres de mon revenu que vous portiez à 9400 roubles argent et 400 milles francs de capitaux de la succession de mon mari. Mes propositions sont devenues plus modestes, selon ce que vous me mandez aujourd’hui. L’ensemble de cette succession tel que je le relus de l’acte que vous avez conclu et des autres papiers que vous m’avez envoyés forme pour moi un revenu de 36 395 roubles papiers. Mon propre avoir monte à 20 152 roubles papier. Total général 56 544. Vous en verrez le détail dans le tableau ci-joint. Vous ne trouverez peut-être plus que je suis trop riche comme vous me l'écriviez alors, car il y a loin delà à 80 mille francs de rente que vous m’annoncez. Je vais faire selon la loi russe le partage du capital anglais aussi tôt que je saurai que tout est terminé à Petersboug. Je désire pour cet effet obtenir des réponses aux observations consignés dans la note ci-jointe. En lisant avec attention l’acte et en le confrontant avec les observations que je vous avais soumises dans le temps j'ai trouvé tout parfaitement en règle et toute les questions répondues, sauf le seul point du mobilier de Courlande dont je vous avais déjà entretenu deux fois. J’appelle votre attention sur ce point. S'il a été oublié dans la discussion, c'est à vous à juger si je dois regarder la somme qui aurait dû me revenir de cet état comme perdue à tout jamais ; ou si, dans le cas que l’objet en vaille la peine, vous voudrez le porter à la connaissance de mes fils.
Note
1. La loi de Courlande dit § 194
Toute la partie mobilière de la terre, bétail, magasin, maison, effets, & & sera partagée entre la veuve & les enfants en parts égales.
Comme il m’en revient par conséquent le tiers,. que ce doit être un objet considérable, vu la qualité de la terre et que cependant je ne trouve pas cet objet spécifié dans les papiers qui m'ont été envoyés, je désire savoir quels sont les arrangements qui ont été pris à cet égard, ou l’indemnité qui m'a été assignée pour l’abandon que j’aurais fait de ce droit car on ne peut pas l'inclure dans le 15 829 roubles papier une fois payés. Cette somme formait exactement le revenu de l’année que la loi accordé à la veuve.
2°. Je ne trouve ici dans le tableau du banquier Bruxner, ni autre part mention des coupons qui se trouvaient dans le portefeuille de mon mari pour la valeur de 1350 £ sur la maison Hammersby à Londres.
3°. On aura certainement dressé un inventaire des meubles et un procès verbal de la vente qui en aura été faite à l’encan. Je désire que copie m’en soit envoyée. 4°. Je désire spécialement avoir un état de la vaisselle, & savoir si après la vente à l'encan ma part a pu être rachetée, comme je l'avais demandé. Dans le cas contraire je désire connaître le produit de cette vente.
302. Val-Richer,Mardi 29 octobre 1839, François Guizot à Dorothée de Lieven
8 heures
Je me lève tard. Décidément le froid s’établit. Je fais des feux énormes, qui ne me réchauffent pas autant que le plus petit feu au coin de votre cheminée. Votre appartement sera très chaud. Sous le règne de M. de Talleyrand c'était une étuve. Mais vous êtes une Reine du Nord. Vous ouvrez les fenêtres.
Est-ce le frère de Bulwer qui vient à Paris à titre de commissaire pour les négociations commerciales ? Il me semble que toute la famille le pousse. Je n’ai pas lu un seul des romans qu’ils ont faits car ils en ont fait tous deux, si je ne me trompe. Les connaissez-vous ? L'Empereur devrait bien ne pas perdre son argent aux sottises du Capitole. Si peu qu’il en donne, elles ne le valent pas. Il y a une région où les souverains font très bien de semer l'argent ; il y fructifie. Mais trop bas, il ne sert absolument à rien. Que de pauvretés je vous dis là ! J’ai pourtant beaucoup mieux à vous dire.
10 heures
Comment ? Votre aigreur pour votre appartement avait été jusqu'à Lady Granville. Je suis ravi qu’elle soit ravie. Je veux que vous soyez très bien. Je me plais à penser que vous resterez là toujours, que je vous y soignerai toujours, que vous y mènerez une vie douce, agréable. J’arrange l’agrément de cette vie. Je cherche ce qui pourra s’y ajouter. Vous n’avez pas d’idée de l'activité de mon imagination sur les gens que j'aime. J’ai tort de dire sur les gens. Il n'y a pas de pluriel en ceci.
Les mêmes nouvelles que vous avez sur l'Impératrice, me viennent par notre gouvernement. On s'attend à une fin, très prochaine. J’ai une immense pitié pour un tel malheur, n'importe sur quelle tête.
Ma mère est décidément beaucoup mieux. C’est une affaire que de lui faire quitter la campagne où elle se plaît beaucoup, et où elle se persuade qu'elle est mieux pour sa santé parce qu'elle marche et se promène. Cependant il est déjà convenu que nous serons à Paris pour le milieu de Novembre. A présent, je prépare la fixation et l'avancement du jour. Ce que je dis là n’est guère français. Mais peu importe. Vous parlez des tracas de votre intérieur. Ce n’est rien du tout que les tracas de meubles. J’aimerai mieux avoir à arranger trente salons que trois personnes. Henriette m’aide déjà en cela. Elle est pleine de tact sur ce qui peut plaire ou déplaire, embarrasser ou faciliter. Elle a l’instinct de la conciliation.
Adieu. Adieu. Je suis au coin du feu, j’ai les doigt gelés. Mais seulement les doigts. G.
303. Paris, Vendredi 1er novembre 1839, Dorothée de Lieven à François Guizot
Vendredi
Votre lettre de ce matin m’annonce que notre beau mois ne sera beau qu’a demi. C’est bien shabby ce que vous faites là, mais je ne vous querellerai pas vous seriez capable de me réduire au quart.
J’ai vu du monde hier matin, et un long tête-à-tête avec Appony le père ; des affaires de famille. Que le bon Dieu me préserve de me mêler. jamais d’affaires, j’ai eu bien assez des miennes. Je lui ai conseillé de charger M. de Fiquelmont de traiter de ces matières avec mon frère. Les Appony ont peu de fortune je crois. Mais ils sont passablement avares. Pozzo est venu aussi ; bien mal je trouve, et triste, disant : " le vieillards sont comme les enfants ils croient qu'on les oublie. " Il avait voulu avoir du monde à dîner, tout le monde. l’avait refusé. J’ai été dîner chez lui, il a mis sa plaque en diamants pour me recevoir et il n'y avait personne pauvre homme ! Les jeunes Pozzo mouraient d’envie d’aller aux Italiens. Mais ils n'osent pas car le vieillard veut qu’ils restent jusqu’à son coucher onze heures. Je l'ai engagé à faire une visite à Mad. de Castellane, il est venu et la petite Pozzo a eu sa liberté dont elle m’a été fort reconnaissante. Nous avons trouvé M. Molé, coquet, aimable. Point de nouvelles. M. Cousin y est venu. L’impératrice est beaucoup mieux, elle est sortie en voiture.
Voici du soleil. Adieu, je suis encore occupée, encore fatiguée. J'espère bien que depuis le 12 j'aurai fini mes fatigues. Lady Cowper m’écrit mais rien de nouvelles. Elle était en province. Elle allait se rendre à Windror, d'où elle me mandera des nouvelles. On dit le Prince Albert charmant, mais la Reine ne le dit pas encore. Adieu, adieu.
Mots-clés : Relation François-Dorothée, Réseau social et politique
303. Val-Richer, Mardi 29 octobre 1839, François Guizot à Dorothée de Lieven
J’ai écrit ce matin quelques pages qui m'ont amusé. La famille de Mad. de Rumford m’a demandé de parler d’elle dans quelque Biographie. J’ai recueilli quelques souvenirs. Les souvenirs sont un grand amusement. Mad. de Rumford avait été très bonne pour moi, il y a trente ans, quand j'étais un petit jeune homme bien inconnu. Elle a fait les deux choses qui touchent le plus en pareil cas ; elle m'a témoigné en tête-à-tête beaucoup de bienveillance dans le monde, beaucoup de considération. Je le lui ai bien rendu. Quand elle a mis à me voir souvent chez elle, plus d'importance pour elle-même que pour moi, j’y suis allé très souvent, je l’ai beaucoup soignée, et j’ai contribué à l'agrément de son vieux salon comme elle avait contribué à l'agrément de ma jeunesse. Elle en a été touchée. Elle m'a dit deux ou trois fois, en me serrant la main, avec son ton bref et rude : " Vous êtes bien aimable. "
Il y a trente ans, 25 ans, 20 ans son salon valait beaucoup ; tous les étrangers de quelque distinction y venaient. C’était une arche de Noé de bonne compagnie. Salon très peu politique, mais d’une conversation très animée, très variée. J’ai vu là les dernières lueurs de la sociabilité élégante, spirituelle, facile du dernier siècle. Il s'en fallait bien qu’elle en fût un modèle elle-même ; elle était brutale, despotique ; mais elle avait de bonnes traditions et qui attiraient tous les bons débris.
Vous me montrerez votre petite Ellice. La pauvre enfant me parait en train de déchoir. Je lui saurai toujours gré de vous avoir un peur soutenue à Baden. Savez-vous que vous m’avez vraiment inquiété pendant ce temps-là, physiquement et moralement ? Pour une personne d’un esprit aussi ferme et aussi précis que le vôtre, vous avez quelquefois, sur vous-même, la parole singulièrement exagérée ; sans le moindre dessein d’exagérer, mais parce que votre imagination et vos nerfs s’ébranlent outre mesure. De là me vient à votre sujet, un déplaisir quelque fois très pénible ; je ne sais jamais bien ce qu’il faut croire de vos impressions sur votre propre compte ; je crains de me trop rassurer en me disant que vous vous inquiétez trop. Donnez-moi un moyen de savoir exactement ce qui est ; je ne puis supporter l'idée de me tromper dans ce qui m’intéresse si vivement. Quand nous sommes ensemble, je m'en tire ; je vois. Mais de loin le doute est intolérable.
9 heures et demie
Vous avez raison sur mon préfet, et je ne pouvais pourtant pas passer le fait complètement sous silence. Je vous dirai pourquoi. Mais la chose va finir et j’espère qu’il n’en restera qu'une bonne impression. Je vous enverrai bientôt une date. Je ne veux pas vous la dire avant d'en être sûr. Je conviens de notre maladresse. Trois cents lettres en moins de deux ans et demi, c’est horrible. Adieu. Adieu. Il faut que j'écrive quelques lignes à Génie à propos de ce Préfet. Adieu. G.
304. Paris, Samedi 2 novembre 1839, Dorothée de Lieven à François Guizot
J'ai eu un long tête-à-tête hier avec Médem. Il est d’avis que je donne connaissance à mes enfants par l’entremise de Bulwer et Cunning des questions que j’ai adressées à mon frère. Si mes fils sont en état de répondre, il n'y aurait plus de quoi attendre, et le question N°1. Serait tranchée par eux mal ou bien, car enfin, c'est à eux à en décider. Les retards ne les rendraient pas plus accommodants, parce qu'au fait ils ont maintenant le droit pour eux ; ce qu’ils feraient serait courtoisie. Il est clair que pour les trois autres points ils sont compétents pour les éclaircir.
Médem n’est pas sans quelque appréhension que la mauvaise humeur que vous nous montrer ici empêche Pahlen d’y revenir. L’Empereur sera ravi d'un prétexte de faire quelque chose de désagréable au Roi. Et il lui est désagréable de n’être pas environné d’Ambassadeur. Moi, je serais au désespoir. Il me manquera beaucoup et toujours. Médem est sans aucune instruction depuis quatre mois, cela gêne beaucoup sa position. Les Appony préparent un petit appartement, de petits cadeaux c’est le diminutif dans toute son exagération. Je dîne aujourd’hui chez les Granville avec de la diplomatie. Bulwer vient toujours tous les jours, quelques fois deux fois. Lord Brougham va arriver.
Adieu, à présent que le bon moment approche, mon mépris pour les lettres. augmente. Je crois que vous vous en apercevez à la façon dont sont faites les miennes. Le prince d’Arembourg a légué à M. de Bacourt toutes les lettres de Mirabeau, il me l'a dit lui même. Je pense que c'est à lui que vous devriez-vous adresser. Adieu. Adieu.
304. Val-Richer, Jeudi 31 octobre 1839, François Guizot à Dorothée de Lieven
8 heures et demie
Je voulais partir le 9. Ma mère me demande trois ou quatre jours pour des arrangements de ménage. Je partirai du 12 au 14. Je vous le dirai positivement un de ces jours. J’arriverai vers 6 heures et je vous verrai vers 8. Et pour longtemps. Quand il vous retrouve pour quelques jours, j'ai, dès le premier moment, le sentiment que je vais vous perdre. Le doux est au bord, l'amer au fond. Tout sera doux. Et puis je ne sais, mais j’ai peine à croire que l’été prochain se passe comme celui-ci. Si les situations sont les mêmes, et que je me sente à la gorge la même disposition, je pourrai bien aller prendre les eaux des Pyrénées. Elles ont parfaitement guéri, du même mal, M. de Broglie et M. Mauguin. Venez-y. C'est le plus charmant pays du monde ; et on m'assure qu’il y a deux ou trois établissements où l'on est bien. Le Duc de Noailles pourra vous le dire. Il y a passé l’été.
Les 300 lettres m'indignent comme vous. Que tout est incomplet dans la vie ! Et cet incomplet est si fragile. Rien ne sera incomplet dans quinze jours. Au moins, nous le croirons un peu, quelques fois.
Le Préfet en question méritait son sort. Mais j’en avais parlé, demandant un peu de temps pour y préparer ses amis, dont quelques uns me tiennent de fort près. Nous en étions restés là. J'apprends sa révocation par le Moniteur. Cela m'a mis dans une position désagréable, et j'ai voulu qu’on le sût. Je suis très facile avec mes amis Ministres, très facile et pour ce qui me regarde personnellement et pour les affaires. Je ne veux pourtant pas qu'on me croie trop facile et qu’on en abuse. Il faut qu’on y pense un peu. Je n'ai pas eu d’autre motif, et la chose en restera là. Vous savez bien que vous devez me tout dire. J’ai une confiance, entière en deux choses, vos premiers instincts et vos jugements définitifs. Ce qui vous vient soudainement à l’esprit, par pure impulsion de nature, et ce qui y reste quand vous y avez bien pensé, est toujours excellent. Entre deux, vous avez quelquefois des impressions excessives, des jugements pris d’un seul côté et que je dispute.
10 heures
Je suis bien aise que vous ayez encore des Affaires pour quelques jours. Je voudrais que vous en eussiez jusqu'à mon arrivée et que votre repos ne commençât qu'avec moi. Adieu. Jaubert vous plaira, à la condition que vous y mettez. Il a un mouvement inépuisable et il sera toujours très poli. Mais vous serez bientôt au bout de son esprit. Il en a beaucoup plus à la tribune qu'ailleurs. Adieu. Adieu. Le froid gagne.
305. Paris, Dimanche 3 novembre 1839, Dorothée de Lieven à François Guizot
Vous avez mal interprété shabby. Je voulais dire et cela veut dire en Anglais, avarie, parcimonie et je l'appliquais aux quelques jours que vous me volez.
Je viens de recevoir une lettre de Bruxner qui m'annonce l’argent que m’avait déjà annoncé mon frère et me dit en même temps qu'on allait commencer sons peu la vente à l’encan, ainsi après le départ. de mes fils. Il n’y a plus à leur demander compte de cela. D'un autre côté Canning a parlé à Bulwer d’argent que Paul avait à me remettre qui doit être la part des coupons. De toutes les interrogations adressées à mon frère il ne reste donc plus à éclaircir que le premier point et il ne vaut vraiment pas la peine de suspendre pour cela. mention en sera faite pas l’entremise de Canning et mes fils feront ou ne feront pas à volonté. Ne trouvez- vous pas que cela vaut mieux ? Et puis dites-moi vite ; si pour éviter des embarras je ne ferais pas aussi bien de donner à Bulkhausen ma procuration pour lever le capital. Il est conseil général de Russie, sa probité je n'en sais rien, mais il est très employé par notre cour à toute chose. Il me parait qu'il n'y aurait pas de risque. Je donnerais avis à mes fils que je lui envoie mes pleins pouvoirs. C’est lui d’ailleurs qui a avancé 25 milles francs pour les legacy duty. Vite répondez-moi.
Il fait un brouillard de Londres épais comme du cream cheese, do you know what it is ? Il y avait hier toute l'Angleterre chez Granville. Toutes des connaissances arrivées la veille, repartant le lendemain pour l’Italie. Vous savez qu'on a renvoyé de Paris, Labrados, & Nobra deux assidus de Don Carlos. Granville approuve tout ce qui se fait dans ce genre et la détention de Don Carlos. Il espère que les ministres tiendront tête au roi et ne le relâcheront pas Du reste il n’y a aucune nouvelle. On commence à voir que la mission de Brünnow est de l’invention du Prince Metternich.
Adieu. Adieu, oui que de choses nous aurons à nous dire. Et que de choses nous aurons oubliées. C’est insupportable. Je ne me sens pas très bien aujourd’hui je crois qui je ne sortirai pas du tout. Ce brouillard est affreux. God bless you.
Autre proposition; mes pleins pouvoirs au banquier Harman chez lequel le Capital est déposé. N’est-ce pas encore plus simple ? C'est un quaker. Il est banquier de la cour de Russie depuis 50 ans.
Mots-clés : Diplomatie, Enfants (Benckendorff), Finances (Dorothée), Politique (Espagne)
305. Val-Richer, Vendredi 1er novembre 1839, François Guizot à Dorothée de Lieven
Nous voilà dans le bon mois. En 1815, à Gand, Louis 18 sortant de son cabinet et traversant le salon, le matin même du jour où il répartit pour rentrer en France me disait : " Eh bien M. Guizot, nous voilà du bon côté de la glissoire. " J'aurai certainement, à vous retrouver, plus de plaisir que lui à reprendre la route de Paris. Que de joies différentes en ce monde, comme de douleurs ! J’en ai connu de toutes sortes ; et bien décidément c’est de l'affection que viennent les plus vives, les seules qui aillent toucher jusqu'au fond de l'âme, & l’ébranlent, et la satisfassent toute entière.
Je partirai le 13. Il n'y a pas moyen de presser davantage, ma mère. Je serai à Paris le 14 pour dîner, et je vous verrai dans la soirée. Il fait aujourd'hui un temps affreux, le vent, la pluie, le froid. Il fera beau, le 14. Je voudrais qu’il fit beau après-demain. J’ai tout mon Lisieux à déjeuner. Ce sont mes adieux. J’ai refusé absolument leurs dîners, leurs parties de campagne, leurs toasts. Ils m'auraient donné dix rhumes. Ils auront les primeurs de Ma route neuve. Elle est finie. On la livre dimanche matin à la circulation. Il ne me reste plus à faire qu’une avenue de la route à ma porte. On la fera cet hiver. L’entrepreneur me la promet pour le 15 avril prochain. Que les plus petites choses sont lentes quand il faut créer !
J’ai envie de quelque chose de M. de Bacourt. Je me crois sûr qu’il a entre les mains, je ne sais comment tous les papiers du comte de La Marck, (d’Aremberg) l’ami intime de Mirabeau et à qui Mirabeau laissa en mourant presque tous les siens, les plus confidentiels. Je voudrais bien voir, ces papiers. Je suis dans Mirabeau jusqu'au cou, par curiosité après Washington. Croyez-vous que je puisse demander à Mad. de Talleyrand de demander cela à M. de Bacourt ? Est-ce convenable ? Ou faut-il que je m'adresse directement à M. de Bacourt ?
10 heures
Votre lettre à votre frère est à merveille, très douce et très ferme, très précise. S'il a, comme j'en ai peur, oublié ou abandonné vos intérêts sur les points que vous touchez, il en ressentira quelque embarras... si quelque embarras est possible. Je n'hésite pas quant à vos fils, d'après ce que vous avez écrit à votre frère, vous devez attendre sa réponse avant de partager le capital. Vous vous le devez à vous-même. Je suis un grand partisan de la consistency. Si vous aviez renoncé à toute observation, il faudrait vider sur le champ l’affaire du capital. Mais vous avez voulu rappeler votre droit méconnu, constater du moins qu'on l’avait méconnu. Le capital est votre seul moyen d'action. Il faut le retenir jusqu'à ce qu’on ait répondu à vos observations, soit pour les accueillir quelque peu, soit pour vous dire nettement. que vous êtes liée par l’arrangement, et que vous ne devez attendre rien de plus. A votre place j’écrirais tout simplement cela à Alexandre. Mais comme ce sera Paul qui répondra par Alexandre, je comprends votre crainte de réponse inconvenante. Ne pourriez-vous pas écrire à Benkhausen, et le charger de dire à vos fils vos intentions ? Voilà mon avis à la première vue. Si quelque autre idée me venait, je vous la dirais demain.
Adieu. Adieu. A dater d'aujourd'hui les Adieux valent mieux. G.
306. Paris, Lundi 4 novembre 1839, Dorothée de Lieven à François Guizot
Point de lettres de vous, ce matin. Qu’est- ce que cela veut dire ? Vous savez que l'inquiétude est ma disposition naturelle. Je serai donc très inquiète jusqu'à demain matin. Vous vous portiez tous bien. Mais tout est si fragile dans ce monde ! Je suis inquiète d’un autre côté aussi. La mer du Nord a été affreuse depuis huit jours, & c’est juste le moment où mon fils s'y est trouvé. Je tremble. Dites-moi que vous vous portez bien et qu’Alexandre est arrivé à Londres.
J'écris aujourd’hui au duc de Sutherland. Bulwer écrit à Cunning l'affaire ira vite maintenant. Je me suis décidée pour le Duc, parce que M. Pogenpohl m'a démontré que dans les mains d'un banquier. mon plein pouvoir entraînerait encore des frais pour 10 milles francs. C'est donc pure avarice ; c’est peut être aussi. plus de sûreté. Midi. Il fait un superbe soleil mais que me fait le soleil ; je n’ai point de lettre. Je reçois de quatre à 6 jusqu'au temps où je recevrai de 9 à 11 heures. Je n’ai à vous citer personne parce que je n'ai rien appris de nouveau hier. Pourquoi suis-je si inquiète ! J'écris aujourd’hui à Alexandre et le cœur me bat. Adieu, il y a encore dix jours jusqu'au 14. Adieu. Adieu.
306. Val-Richer, Samedi 2 novembre 1839, François Guizot à Dorothée de Lieven
8 heures
Vous avez bien raison ; il n’y a plus de belle campagne. Encore notre maladresse : vous avez eu de la belle campagne à Baden et moi en Normandie, et nous en avons joui séparément, si c'est jouir.
Je persiste dans tous mes avis d’hier. Si votre frère y mettait un peu de bonne volonté, il ne serait peut-être pas impossible que dans l'impatience du Capital, vos fils revinssent un peu sur le mobilier de Courlande, et l’argent en portefeuille. Ils vous donneront du moins quelques explications. Je ne vois que Benkhausen ou Cumming que vous puissiez charger de les leur demander. Encore une fois, si vous en écrivez à Alexandre, ce sera Paul qui répondra et Dieu sait comment. Pourtant j'ai en idée que toujours par impatience du Capital, il se contiendra dans ce moment, et vous fera peut-être même quelques avances. N’ont-elles pas déjà un peu commencé ? N'est-ce pas là le sens caché de ce que vous a dit Bulwer ? La tendresse de la dernière lettre d'Alexandre ne lui a-t-elle pas été permise ? Vous voyez que je vous dis tout impitoyablement. Je me trompe, avec une très grande pitié. Je trouve tout cela déplorable.
Le Roi fera bien avant de dissoudre son Cabinet sur les passeports de D. Carlos de s'assurer des successeurs. Mais nous sommes bien bons d'y regarder. Cela n’est pas sérieux. J'en reviens à mon dire ; j'aime la grande et vraie comédie, non pas la petite et inutile.
9 heures et demie
Je n'accepte pas le Shabby. Vous savez que je suis maîtresse de maison ménageant, arrangeant les personnes, les choses. Dieu sait si j'étais fait pour ce métier là ! Mais c’est lui qui m’y a condamné. Ma vieille et bonne mère ne peut pas être pressée. Elle est le contraire de M. de Talleyrand. Elle a de la grandeur naturelle, et de petites habitudes. Je respecte tout en elle. Croyez donc bien, sachez donc bien une fois pour toutes que moi, je n'ai jamais rien de plus pressé que de vous revoir, et que j’y pense, comme on pense à sa première affaire et à son seul plaisir. J’ai mille choses à vous dire que je ne peux pas écrire. Adieu. Adieu.
M. Rossi, ne sera pas Pair cette fois. La loi sur les catégories pour la Pairie n'admet que les membres des quatre académies de l'Institut, & il est membre de la 5e Académie, qui n’existait pas encore du moment où cette loi a été faite. C'est moi qui l’ai créée en 1832. Objection de procureur ; mais les procureurs sont puissants partout. Il attendra. Adieu encore et toujours. G.
Mots-clés : Académie des sciences morales et politiques, Diplomatie, Enfants (Benckendorff), Famille Benckendorff, Famille Guizot, Finances (Dorothée), France (1830-1848, Monarchie de Juillet), Institut de France (Paris), Louis-Philippe 1er (1773-1850), Politique, Politique (Espagne), Politique (France), Relation François-Dorothée, Rossi, Pellegrino (1787-1848), Vie domestique (François)
307. Paris, Mardi 5 novembre 1839, Dorothée de Lieven à François Guizot
Pas de lettres encore aujourd'hui ! Que faut-il que je pense et comment voulez-vous que je ne sois pas inquiète, très inquiète. Je voudrais m'imaginer que c’est la poste et ses négligences qui me vaut ce chagrin. Mais deux jours de suite c’est trop pour cette cause. Vous ne savez pas à quel point je m’inquiète.
M. Molé m’a fait une longue visite hier, il repart aujourd’hui pour quinze jours il va chez Madame de Castellane. Il allait hier soir aux Tuileries. Son dire est un peu méprisant pour le ministère, et sans spéculation pour l’avenir. Il voit des hommes, mais il les voit toujours isolés sans moyen aucune de faire un pluriel. Il ne comprend pas cependant que le ministère tel qu’il est puisse aller à la rencontre des hommes puissants siégeant sur leur banc. Il critique fort l’affaire de Don Carlos. Il ne fallait pas le retenir trois jours. Aujourd'hui et tous les jours il sera plus difficile de le relâcher. On vient de bannir de Bourges un ami de Don Carlos auquel on n’avait accordé que depuis huit jours la permission de résider auprès de lui.
J'ai mené hier au soir la Princesse Saltykoff chez Lady Granville. Il y avait fort peu de monde. Pahlen s'annonce pour le 10 décembre. Je persiste cependant à douter qu’il vienne. Personne n’a vu l’Empereur depuis Borodico. Il ne quitte pas sa femme. Elle allait mieux cependant. Le pauvre Bulwer a un gros chagrin. Lady Granville recevra sa belle-sœur, je n’y puis rien. Je trouve qu’elle a tort, mais elle ne m’a pas demandé mon opinion. Je calme Bulwer de mon mieux.
Midi. Dieu merci, voici deux lettres ! J’étais excessivement agitée, je ne savais à qui demander, où envoyer. J’ai parcouru avidement les journaux cherchant votre nom. Cela n’avait pas le sens commun mais le cœur n’a pas beaucoup d'esprit. Je vous remercie de n’avoir pas eu d'accident. c’est donc le 13 que je serai contente. Demain en huit. Quel plaisir ! J'ai fait comme vous me dites, j’ai écrit au Duc de Sutherland, Bulwer a écrit à Cunning pour une interrogation simple, et l’affaire va finir. Pas de nouvelle d’Alexandre Il faut bien que je m’inquiète encore de ce côté.
Adieu. Adieu. Le journal des Débats et le moniteur me paraissent assez piquants. Adieu mille fois. Dites à votre poste de ne plus me donner de frayeurs. M. Bresson est arrivé de Berlin hier. On a trouvé fort mauvais à Berlin que le roi de Hollande ait reconnu Isabelle et on le lui a dit.
307. Val-Richer, Dimanche 3 novembre 1839, François Guizot à Dorothée de Lieven
8 heures
J'espère partir, le 12 et vous voir le 13 au soir. Il me semble que dans votre appartement à vous stable, définitif, je vais prendre possession d’un bonheur stable et définitif aussi. C’est une impression très douce, ma consolation de ne plus revoir cette pauvre Terrasse. N’entrez pas dans les affaires des Appony. Je suis sûr qu’elles seront très embarrassées et pointilleuses. Ils mont toujours fait l'effet de gens qui ne sont dans les grandes affaires que pour en faire de petites, celles de leur ménage. Il n’y a pas de contraste qui me choque plus. J’y prends la mesure des gens.
On est très content de Lord Granville. Non qu’il ait rien dit de bien nouveau, ni de bien précis Mais il a dit et il répète comme très sûr de son fait : " Cela s’arrangera. " Je le crois comme lui.
Les débats de la prochaine session ne me paraissent pas tourner beaucoup aux Affaires Etrangères. L’Espagne est finie. Rien en Allemagne, si l'Orient n’est pas terminé, on en parlera peu. Je ne vois que Buenos-Aires et le gouverneur Rosas. Car les affaires du Roi Ernest aussi sont en panne. n revanche on me dit que les intrigues ministérielles se raniment, que Thiers tâte en tous sens, qu’il est en relations très suivies avec Dupin, un peu aussi avec M. Molé. Il croit tour à tour toutes les chances bonnes, et voudrait les garder toutes, Tout cela n'aboutira pas à grand chose. On se remue beaucoup plus pour se faire croire à soi-même qu'on agit que pour agir réellement. On s’attrape soi-même pour se désennuyer ou se consoler.
Les porcelaines du Roi sont arrivées hier ; bleu, blanc et or. De très belles fleurs sur les assiettes. C'est fort joli et élégant, pas très abondant.
11 heures
Il est onze heures. La poste n’est pas encore venue. et les déjeunants vont m’arriver. J’aurai à peine le temps de fermer ma lettre. J’aime à être pressé pour les affaires, mais pas du tout pour ce qui me plait. 3 heures La poste arrive à présent, pour une roue cassée. Nous sortons de table. Adieu, adieu. G.
308. Paris, Mercredi 6 novembre 1839, Dorothée de Lieven à François Guizot
J’ai dîné hier chez les Appony, plus tard j’ai été chez Madame de Boigne. Elle est maintenant fixée ici. Rien ne m’a paru plus ridicule que la demi-heure que j’y ai passé. Il y avait M. de Sainte Beuve (dis-je bien ?). Les premières deux minutes il causait à voix basse avec M. Rossi, lorsque le chancelier est entré. Madame de Boigne sans lui dire bonjour ni bonsoir lui montre M. de Sainte- Beuve, et lui dit qu'il soutient les Jansénistes, depuis cet instant je n’ai plus entendu que Pascal Arnaud, Nicole, avec un flux de phrases, de sentences d'un côté et de l’autre à tel point qu’il a été impossible de dire un mot ou d’avoir une idée. Un fond, j'avais bien envie de rire. C'était une véritable exhibition je crois que c’est comme cela que l’entendaient ces messieurs.
308. Val-Richer, Lundi 4 novembre 1839, François Guizot à Dorothée de Lieven
7 heures
Je me lève de bonne heure Je ne sais pourquoi depuis quelque temps je passe ma nuit tout entière à rêver les rêves les plus actifs, les plus compliqués, les plus suivis du monde. La vie que je mène le jour ne m'ébranle pourtant pas les nerfs. C’est la plus égale et la plus tranquille qui se puisse. C'est peut-être cela. Je place de jour le repos et de nuit l'activité de mon esprit.
Pahlen reviendra, croyez-moi. Leurs humeurs ne sont guère plus sérieuses que leurs colères et on ne se retirera pas plus les ambassadeurs qu’on ne se tirera des coups de canon. L'immobilité et dans l'immobilité de petites parades de temps en temps pour lui donner l’air du mouvement voilà la politique. Mais parades en paroles, pas même en gestes.
J’écrirai à M. de Bacourt. Je suis curieux des lettres de Mirabeau. Cet homme là m'amuse extrêmement, beaucoup plus qu'il ne me plaît. L’incohérence et le dérèglement ne me plaisent pas, quelque grands qu’ils soient. J’aime mieux le soleil que les éclairs. Ce mouvement prodigieux et tourbillonnant des premiers temps de la révolution française, cette explosion d’idées vraies et fausses, de passions bonnes et mauvaises mêlées masquées, hors d'état de se reconnaître, cet entassement de ruines subites, de constructions avortées, d’événements étouffés, écrasés dans la foule, tout cela ressemble au chaos sans créateur, et contraint de se débrouiller lui-même. Le spectacle est très curieux ; mais je n’ai pas goût au drame. Je ne crois pas qu’il vous eût convenu plus qu'à moi. M. de Talleyrand en aimait passionnément le souvenir. Il m’a dit un jour que ce qui le consolait de tout c’était le plaisir d'avoir vécu dans ce temps-là, tant il s’était amusé.
10 heures
Vite les affaires. J’ai là un malheureux architecte qui a fait vingt lieues cette nuit pour venir me montrer et m'expliquer un projet de Pénitentiaire, une prison qui doit faire, de tous les coquins autant de petits saints. Vous ne pouvez donner vos pouvoirs au banquier, chez qui est l'argent. C’est lui qui doit le remettre. Il ne peut le recevoir en même temps. Je ne vois pas d’inconvénient à en charger Benkhausen. Il s’est bien conduit envers vous dans tout ceci. Il n'est pas dans la dépendance de vos fils. Si vous aviez à Londres quelqu'un de vos amis qui voulut en prendre la peine, si le Duc de Sutherland y était, je l’aimerais mieux. Mais faute de cela Benkhausen me paraît le meilleur. Et je pense tout-à-fait que puisque la plupart des questions sont résolues mieux vaut en finir, promptement, dès que vos fils auront manifesté leur intention sur la première. Il est clair que pour ce mobilier de Courlande, vous êtes tout-à- fait à leur merci. S'ils en tiennent compte, c’est bien. Sinon, finissez vite de tout. Adieu. Adieu. G.
309. Paris, Jeudi 7 novembre 1839, Dorothée de Lieven à François Guizot
Midi
J'ai été envahie par des affaires et surtout une affaire à Pétersbourg dont je n’ai pas le temps de vous entretenir, (il parait que Paul met des entraves à ce qu'on m'envoie de la l’argent qui me revient). Tout cela m’a fait arrivé à midi sans vous avoir dit un mot. J'en suis désolée, car à présent il faut que je me presse. Je crois que je n'ai reçu de neuf à vous conter. Le roi a vu Médem avant hier. Le Maréchal aussi cela s’est passé plus doucement que de coutume. Nous sommes hostiles aux personnes nous ne le sommes pas aux choses et nous ne sommes pas loin de nous entendu sur l'Orient. Cela me fait plaisir parce que je vois Pahlen au bout de cela.
L’Impératrice va mieux mais le grand duc est malade et très malade à Mohilon. L’Empereur l’a été un moment il était bien de nouveau. La grande Duchesse Olga toujours malade. Voilà un hôpital.
Adieu. Adieu, pardonnez-moi cette pauvre lettre, je suis très occupée et désagréablement. Alexandre n’était pas arrivé à Londres avant-hier, je continue à être inquiète. Adieu.
309. Val-Richer, Mardi 5 novembre 1839, François Guizot à Dorothée de Lieven
7 heures et demie
Il y avait avant-hier du cream cheese à déjeuner, et il y a ce matin sur ma vallée un brouillard, tout-à-fait pareil. On dit que la Normandie ressemble beaucoup à l'Angleterre. Elles se tenaient évidemment avant le déluge, et il y a entre elles, depuis le déluge, des rapports continuels. Si jamais vous avez mangé à Londres de belles poires et de belles pommes elles venaient peut-être du Val-Richer. Les fermiers Normands les expédient par milliers, et il part toutes les semaines, du port de Honfleur vingt mille œufs pour l'Angleterre. J’entends shabby comme vous, et c’est parce que je l’entends que je m'en défends. Je ne vous vole jamais rien, car je vous donne tout ce dont je dispose. Voilà nos questions de Dictionnaire vidées.
Plus j’y pense, plus je me persuade que Benkhausen n’a pas d’inconvénient. Tout sera fini plus vite. Je n’espère toujours rien quant au mobilier de Courlande. Mais au moins la suppression ne passera pas inaperçue. Je suppose que vous avez envoyé à Cumming copie des questions que vous airez adressées à votre fière.
Que voulait faire. M. de Metternich de la mission de M. de Brünnow ? Terminer l'affaire d'Orient sans s'en mêler, ou nous brouiller avec l’Angleterre sans y paraître ? L’un et l'autre a échoué. Je vois, par ce qu’on m'écrit, qu'on a peu d'inquiétude, et qu’on laissera traîner dans l’idée que le temps est au profit du Pacha, qui possède. On a bien fait de renvoyer M. de Labrador, s'il s’agitait encore pour D. Carlos. Nous ne devons aux partisans de D. Carlos que la stricte légalité et à D. Carlos lui-même qu'une politique raisonnable dans sa froideur. L’Europe a envoyé un aigle qui s’appelait Napoléon et qui la troublait, mourir à Ste Hélène. Nous ferons vivre quelques mois à Bourges D. Carlos qui nous tracasse. Il y a eu tout juste proposition.
J’ai aussi mes tribulations d’intérieur. Mon concierge d'ici est malade. Je craignais hier une fluxion de poitrine. On me dit qu'il est mieux ce matin. C’est un factotum très intelligent et qui met sa fierté à être à mon service, ce qui fait que je lui passe des défauts.
10 heures
Je craignais ce qui est arrivé. La poste n’étant venue chez moi que très tard, m'en est répartie que très tard, et n'aura pas été à Lisieux à temps. Vous aurez eu deux lettres ce matin. Mauvaise compensation. Tout cela cessera dans huit jours. Les tristes chances de la vie seront les mêmes ; mais nous serons ensemble. J'espère que vous me direz bientôt que vous avez des nouvelles d'Alexandre Adieu. Adieu. J’aime mieux le Duc que Benkhausen Dix mille francs, c’est beaucoup pour une commission. Adieu. G.
310. Paris, Vendredi 8 novembre 1839, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je ne suis pas bien, j’a passé. une très mauvaise nuit, mais voici votre déménage ment qui m'arrive et qui me donne de la bonne humeur. J'ai besoin de cela car du reste je suis triste, triste de Paul, inquiète d'Alexandre.
Madame de Boigne est venue hier me faire des excuses du jansénisme. Elle dit que c’était pour distraire le pauvre chancelier, elle parle mal du Ministère c.a.d. qu’elle ne leur donne pas une longue vie. C’est bien ce que dit tout le monde mais cela ne me parait pas avoir grande valeur ici. J’ai eu une lettre bouffonne de Lord Brougham, et une autre de Lady Clauricarde. Elle part toujours pour Pétersbourg & Lord Brougham arrive dans trois semaines. Il n’y a pas la moindre nouvelle, j’ai vu Appony qui ne savait rien. Je ne reçois pas encore le soir ; je ne sais pourquoi l'idée de recevoir m'ennuie profondément. La vie de garçon me plait encore dans huit jours je commencerai.
Mes caisses arrivées au Havre il y a quatre semaines. n’arrivent pas encore à Paris, les banquiers grands seigneurs ne sont pas commodes pour les petites choses. & sans ces petites chose je ne suis pas complète. Cela m’ennuie. Adieu, que de choses à vous dire, grandes et petites, & surtout douces. Adieu.
310. Val-Richer, Mercredi 6 novembre 1839, François Guizot à Dorothée de Lieven
7 heures et demie
Depuis quelques jours, je vois avec bonheur croître le chiffre de notre correspondance. Il touche à son apogée. Il se reposera là bien longtemps.
Les journaux que j’ai repris attentivement hier, ne parlent d’aucun accident dans la mer du Nord. La traversée n'est pas longue. Je compte que vous me donnerez au premier jour des nouvelles d'Alexandre. Je ne veux vous retrouver ni triste, ni malade. Il y a pourtant des choses qui finissent. Je vous retrouverai avec vos affaires arrangées. Pas aussi bien que je voudrais, tant s’en faut, mais enfin arrangées. Vous souvenez-vous combien de fois vous m'avez dit qu'elles ne s’arrangeraient pas ? J’ai été aussi bien inquiet. Il arrive deux choses. Tout ne tourne pas aussi mal qu’on l'imaginait. On se résigne à une grande partie du mal. Il faut accepter ces termes-moyens de la vie. Le repos est à ce prix. Il n’y faut jamais réduire son âme. Ce serait là de la décadence. Il y a une vraie consolation à planer, au dedans, bien au dessus de ce qui se passe et de ce qu’on accepte au dehors.
Ma mère a encore été souffrante hier. Je crains l’hiver. Elle a heureusement une grande force intérieure. Je ne connais personne de plus inaccessible à l’abattement. Dans sa longue vie, je l'ai vue souvent au désespoir, pas un moment abattue. C’est un puissant moyen de résistance même à la maladie. Je crois au moins autant à l'influence du moral sur le physique que du physique sur le moral.
10 heures
Les premières lignes de votre lettre me désolaient. Je n'y comprenais rien. La distribution a donc tardé à Paris. Enfin bientôt, nous ne courrons plus ni l’un ni l’autre aucune chance d'inquiétude, c’est- à-dire de cette inquiétude là. Adieu. J’ai trois lettres d'affaires à écrire par le facteur qui attend ; des lettres de départ autour de moi. Oui à huit jours. Adieu. Adieu
Je persiste sur D. Carlos. La mise en liberté immédiate eût mieux valu en effet. Mais celle-là aussi n’était pas possible. La Chambre est convoquée, pour le 23 déc. Les Pairs sont nommés. M. Rossi en est. Mais vous savez tout cela. C'est ennuyeux de ne pas savoir et faire toutes choses ensemble. Nous y touchons.
Mots-clés : Conditions matérielles de la correspondance, Enfants (Benckendorff), Finances (Dorothée), France (1830-1848, Monarchie de Juillet), Politique (Espagne), Politique (France), Politique (Internationale), Portrait, Relation François-Dorothée, Rossi, Pellegrino (1787-1848), Santé (Elisabeth-Sophie Bonicel)
311. Paris, Samedi 9 novembre 1839, Dorothée de Lieven à François Guizot
Dieu merci il n'y aura plus ni jeudi, ni vendredi, ni samedi entre nous. Je vois passer les jours avec un plaisir extrême. Cependant je voudrais bien avoir le cœur tranquille sur Alexandre. Il ne faut entre Hambourg & Londres que 36 heures, et voici 10 jours ! car il a dû s'embarquer le 29 octobre ! Il me semble que vous êtes presque, aussi content que moi de mercredi le 13 ? Je vais le plus que je puis en promenade tous les jours au bois de Boulogne. C’est triste, seule, mais c’est de l'air. Je suis toujours rentrée pour 4 heures car c’est le seul moment où je vois du monde chez moi.
Onze heures. Voici une lettre d'Alexandre de Londres. Il y est heureusement arrivé. Sa lettre est froid, il est auprès de Paul. Il me dit qu’il ne peut pas fixer le moment de son arrivée ici, parce qu’il faut qu’il termine ces affaires à Londres. C’est donc de moi que cela dépend, et tout cela digne de ce que vous me direz. Il est clair par la lettre de Bruxner que mes fils l’empêche de me payer ce qui me revient. Je suis extrêmement irritée de cela, et je veux au moins qu’en recevant de moi le capital anglais je reçoive d'eux l’ordre à Bruxner de m'envoyer ce qui m’appartient. Mais voilà ce que je ne sais à qui confier. Mon frère comme de coutume ne se doute de rien et m’a écrit dans le temps que le banquier m’enverra l’argent où & quand je voudrai. Je vous assure que je suis 3 parfaitement sick de toutes ces affaires si je pouvais les remettre à quelqu’un ! Mais qui sera-ce quelqu’un ? Point de nouvelles du tout. J’ai vu du monde hier, mais je n'ai rien appris.
Adieu. Adieu. Je ne me porte par bien. J’attends mon Médem. God bless you.
311. Val-Richer, Jeudi 7 novembre 1839, François Guizot à Dorothée de Lieven
8 heures
On emballe autour de moi. Il part après demain, par le roulage des caisses de livres, d'effets, de fruits. C’est un vrai déménagement tous les ans. Mais celui-ci me plait.
Le Journal des Débats et le Moniteur sont en effet assez amusants. Et comme il arrive, ils ont tous deux raison. Ce qui me frappe aussi, c’est le Constitutionnel d'avant-hier mardi. Il est bien à la gauche. Depuis quelque temps Thiers avait paru chercher à se rapprocher du centre. Le voilà qui s'en éloigne fort. Je m’y attendais. Nous causerons de tout cela. J’ai perdu l’habitude de causer. Mais je la reprendrai avidement. Viendra-t-il beaucoup de vos Anglais, cet hiver à Paris ? Il me semble que non puisqu'ils partent pour l'Italie. A présent que vous voilà fixée à Paris, vous deviendrez une étape pour tout ce qui ira d’Angleterre sur le continent. Personne ne passera sans vous voir.
J’en suis fâché pour Bulwer. C'est peu aimable de la part de Lady Granville. Est-ce qu’ils ne l’ont pas vu, avec plaisir succéder à Aston ? Le leur a-t-on donné sans leur demander, si le choix leur convenait ?
Je comprends qu'on ait de l'humeur contre le Roi Guillaume. Mais en conscience, il ne doit rien aux trois Puissances. Elles lui ont donné de belles paroles et l’ont complètement abandonné en toute occasion. Politique à part, et ne fût-ce que par malice, il a bien fait. Il a bien fait aussi au fond. Il est rentré dans sa position naturelle. Il appartient, par toutes sortes de raisons à la politique occidentale. L'affaire de la Belgique, l’en avait seule éloigné. Et puis c’est la condition d’un peuple de négociants de rester étrangers aux querelles des trônes et des races, et de faire partout ses affaires. Du reste soyez sûre qu'avant de reconnaître il a consulté le Johannisberg.
10 heures
Mes lettres ont tort de vous arriver tard. Je ferai mieux moi-même. En attendant, je vous quitte pour donner les livres que je veux remporter. Vous avez bien raison de ne trouver aucun salon bon, ni personne aimable. Ne soyez bien que chez vous et avec moi. Adieu. Adieu dearest. G.
312. Paris, Dimanche 10 novembre 1839, Dorothée de Lieven à François Guizot
Vous avez assurément le talent de me contrarier beaucoup. Il était facile de vous assurer de la voiture dès le jour où vous avez fixé votre départ. 24 heures est peu de chose peut-être et c’est beaucoup pour moi, beaucoup de deux manières. Pour mon plaisir, d'abord ; & puis pour mes affaires. Cette contrariété par dessous ma mauvaise journée d'hier fait quelque chose de complet comme tristesse. Aussi suis-je parfaitement triste. Rien ne va pour moi, tout va contre moi dans le monde, et c’est cette vérité visible en toute chose qui fait que la vie m’est insupportable.
Voici une nouvelle vexation de Pétersbourg un peu étrange et fort inattendue. Ma sœur me mande, par secrétaire, que mes fils ont décidé de ne partager ni me vendre la vaisselle, et d’attendre que l’un du trois ait besoin de la totalité pour indemniser les deux autres. Vous voyez bien la portée de cela ; on me refuse l'usage et l’usufruit. Car il est bien clair que je ne prendrai pas une vaisselle de 30 couverts et que je ne payerai pas 200 milles francs. C’est sur cela qu'il faut que je vous consulte. Moi, je suis décidée à ne pas admettre un arrangement aussi absurde. Je vais insister pour avoir et tout de suite, ma part en nature, ou ma part en argent. Et je suis décidée de plus à un point partager le capital anglais que ce point ne soit arrangé. C’est cela que je voulais vous soumettre. Attendre jeudi pour vous consulter & vendredi pour écrire c’est beaucoup trop long. Veuillez me répondre par écrit. Ici le droit est pour moi tout-à-fait. Je ne comprends ni ma sœur, ni mon frère, mais il n'y a rien de gâté je pense puisqu'en tout cas ce ne pouvait être qu’un arrangement provisoire. S’il en était autrement, j'en suis fâchée pour mon frère mais je n’accepterais pas la sanction qu’il y aurait donné. Je vous prie de m’écrire encore un mot sur ceci car ma lettre ne partira que mardi. Songez aussi au fait d’absurdité, qu'à moins d’être ambassadeur, les fortunes de mes fils ne sont pas de taille à avoir jamais besoin de cette vaisselle, Paul s’est mis hors de la carrière, & Alexandre n'arrivera à ce poste jamais. Ce n’est donc je le répète qu’une résolution de me contrarier, et c’est cela qui me révolte et m'irrite à un haut degré. J’ai eu une lettre de mon frère mais qui ne me dit rien, sinon qu'il sera impatient d’apprendre la conclusion de mes affaires, et que mes file désirent vivement être bien avec moi ! Paul s’y prend bien.
Pozzo est devenu tout-à-fait imbécile. Je m’étonne qu'on le montre encore. C'est humiliant. J'ai vu hier, Brignoles et quelques autres mais je ne sais rien absolument rien de nouveau. J'ai oublié de demander des nouvelles du Duc de Bordeaux. Adieu, vous voyez que mon humeur va mal ; ma santé va mal aussi. Adieu. je m’étais tant réjouie de mercredi ! J’apprendrai à ne me réjouir de rien. je m’épargnerai des désappointements. Je ne me réjouis donc pas de jeudi qui sait ce que sera jeudi. Adieu.
312. Val-Richer, Jeudi 7 novembre 1839, François Guizot à Dorothée de Lieven
9 heures
Je pense que depuis plusieurs jours, je ne vous écris que de courtes lettres. Cela me déplaît. Au moment où je vous écris, la perspective de Mercredi soir m’apparaît et je m'arrête. Ma lettre m’ennuie. Quand elle est partie, sa brièveté me choque ; tout ce que j’aurais pu vous dire me revient à l’esprit. C’est une conversation qui me manque. C’est presque vous qui me manquez. Presque quasi. Vous dites que le cœur n’a pas d’esprit. Ce n’est pas vrai. Je ne connais rien qui en ait autant. Rien qui en donne autant. Quel est l'amoureux qui n’a pas d'esprit. M. de Sainte-Beuve en a, sans être amoureux ; mais du plus alambiqué, quintessencié, un peloton embrouillé qui se dévide dans un labyrinthe.
Je vous vois d'ici immobile, grave étonnée, regardant les interlocuteurs, et vous en allant. Vous avez raison. C’est un défaut Français de s'adonner tout entier à une idée, une fantaisie, une conversation, une personne et de ne plus faire attention à rien ni à qui que ce soit. Défaut aggravé de notre temps par les habitudes de coterie. Les habitués d'une coterie sont peu polis. Ils se voient tous les jours, et ne se gênent plus entre eux. Delà à ne se gêner pour personne, il n’y a pas loin. Puis, il y a un argot dans une coterie, & ceux qui le parlent oublient que tout le monde, n’est pas initié. M. le Chancelier, en sa qualité d’ancien parlementaire, se croit obligé d’être pour les Jansénistes d’aimer les Jansénistes. Il ne les connait, ni ne les aime. Rien ne ressemble moins à un Janséniste que cet esprit tout d’expédients, de billets du matin, de visites du soir, avisé, expérimenté, glissant beaucoup et ne tombant jamais. Pascal l’aurait mis dans ses Provinciales. Mais n'importe. Ses pères étaient Jansénistes. Il n'en entendra pas parler avec indifférence. Il ne cessera pas d’en parler. M. de Ste Beuve n’a pas les mêmes raisons de passion. Il a les raisons contraires, ce qui vaut tout autant. Il est, lui, un converti à l'amour du Jansénisme, un ancien libertin et incrédule qui s’est épris d’un enthousiasme littéraire pour austérité et la dévotion. Il a le zèle du novice comme M. le Chancelier, celui de l’hérédité. Vous qui n’avez ni l’un ni l'autre, vous ne vous êtes pas trouvée de la coterie. Après avoir concédé, il faut résister. Il y a des impolitesses nationales. Chaque pays a les siennes. Quand nous serons ensemble, je vous dirai celles que je trouve aux Anglais. Pour le moment, je ne parle de M. de Ste Beuve qu'à vous. Je n'en veux pas parler légèrement. Il écrit à mon sujet une espèce de brochure qui doit paraître cet hiver dans la Revue des deux mondes. On m'a dit cela.
Vendredi 7 heures et demie
Je me lève par un singulier effet de lumière. Le ciel est rouge comme au plus chaud soleil couchant du midi. Il fait froid. Le temps ne me fait plus rien. Il n'y a point et il n’y aura point de querelle sérieuse entre le Roi et son Cabinet. Ils se céderont toujours assez l’un à l'autre pour que le dissentiment n'aille jamais au delà de l'humeur. Et comme ils n’ont pas la prétention d'être amoureux l'un de l'autre entre eux l'humeur ne fait rien.
10 heures
Je ne me résigne pas à ces affaires de Péterbourg, à ces entraves de Paul, à ce renouvellement perpétuel de procédés inouïs. Il m’est venu de là depuis six mois, plus de vraie colère intérieure que d'aucune autre source depuis bien des années. Adieu. Adieu. Les jours s’écoulent. Trop lentement, mais ils s’écoulent. Adieu. G.
313. Paris, Lundi 11 novembre 1839, Dorothée de Lieven à François Guizot
J'ai eu une longue lettre de Lady Cowper. Le prince Albert doit quitter l’Angleterre demain, mais personne ne doute que la reine ne l'épouse bientôt. On le trouve charmant. Ces chartistes n’inquiètent personne. L’Inde veut tout le monde en grand triomphe. Le ministère est très fort. Voilà Lady Cowper. Le prince Esterhazy que j’ai vu hier soir à son débotté dit autrement. Les Torys auront probablement la majorité dans la chambre. Et s'il y avait dissolution ils auraient une majorité de 70 voix. Le ministère est donc plus fragile que jamais. Mais l'Angleterre peut fort bien aller sans gouvernement tout est solide là. J'écris à Pétersbourg ; je ne puis pas attendre vos avis. Bulwer écrira à Cunning pour tacher officieusement d'éclaircir les deux points. Nous verrons. On ne parle pas du duc de Bordeaux si ce n’est pour confirmer ce que disent les journaux, que c’est un coup de tête que le duc & la duchesse d’Angoulême sont furieux, que le Pape est très embarrassé & & moi, je ne le croyais pas un homme ; il fait acte de volonté. C’est probablement une sottise, mais il n'y a pas de mal d'en faire à 19 ans. Cela ne peut pas vous inquiéter, il n’y a pas de quoi. Je suis fort pressée d'écriture, je vous montrerai jeudi tout ce que j'écris, que le ciel me tire enfin de toutes en désagréables affaires. Adieu. adieu. Je suis interrompue, tracassée, ennuyée. Adieu.
Mots-clés : Politique (Angleterre), Santé (Dorothée)
313. Val-Richer, Vendredi 8 novembre 1839, François Guizot à Dorothée de Lieven
9 heures
Je suis très contrariée. Je ne puis partir que le 13 au soir. Il me faut toute la voiture, et on ne peut me la donner toute entière que le 13. Le 12 elle est prise en partie. Je ne vous verrai que le jeudi soir 14 au lieu du Mercredi. J’étais si content d'avoir gagné un jour. Soyez bien contrariée aussi. C’est la moitié de mon chagrin et toute ma consolation.
Il faut que Génie vous soigne extrêmement car il s’excuse de vous négliger. Il m’écrit. " Depuis huit jours, je néglige un peu Madame le Princesse de Lieven. C'est que nous avons repris nos travaux à la cour. Je suis de Chambre trois jours de la semaine et obligé de travailler chez moi les autres jours, Seriez-vous assez bon pour expliquer cela à Madame de Lieven, afin qu'elle ne croie pas qu'il y a de ma faute ? Convenez que c’est une bonne et consciencieuse créature.
Je n’ai point et n'ai jamais eu d'inquiétude vraie sur nos rapports avec vous pour l'Orient. Encore une fois, nous sommes tous pacifiques. Et Pahlen reviendra le 10 décembre. Vous voyez bien que nous sommes au mieux. Vous me donnez le bulletin de toute la famille, Impériale, grands et petits, et je m’y intéresse. N’entendez-vous rien dire d'Afrique ? Au bout de toutes ces courses du Duc d'Orléans, de toutes ces enthousiasmes arabes, j'attends toujours des coups de fusil. Je n'en ai nulle envie. J’ai envie que ce jeune homme se conduise bien et réussisse. Parle-t-on, dans votre monde du voyage du Duc de Bordeaux en Italie ? Je vous fais des questions comme si je n'étais pas sur le point d’aller chercher les réponses. Que ce jour de plus me contrarie ?
Samedi 9 heures et demie
Je me lève. Je voudrais avoir quelque belle histoire à vous conter et à me conter pour charmer votre contrariété et la mienne. Je n’en ai point. J'ai pourtant reçu hier une lettre de Montevideo, (république nouvelle et chancelante, comme tant d'autres, entre le Brésil et Buenos Aires) d’un homme qui m’avait demandé un service, il y a quatre ans. Je le lui ai rendu il y a près de trois ans. Il l’a appris il y a plus d’un an, et il m'écrit avec passion pour m’en remercier mettant à ma disposition tout ce qu’il peut dans l’Amérique du sud, où il peut quelque chose. Je n'en ai que faire. Il ne peut m'envoyer le jour qu’on m'a pris.
Mes filles m'ont fait de la musique hier au soir leur musique. Pauline a beaucoup plus de dispositions qu’Henriette. Henriette a des doigts excellents, mais une intelligence plus active que ses nerfs ne sont susceptibles. Les impressions qu’elle reçoit ne lui suffisent pas ; il faut que son esprit agisse. Pauline est tout nerfs et impressions. Elle se fondrait à entendre de la musique comme la cire se fond au feu & la neige au soleil. L’une est aisément distraite l'autre aisément absorbée. L’une résonne, l'autre raisonne. Au fond, pour tout ce qui est vertu, caractère, jugement, elles sont parfaitement élevées. Il y manque deux choses l’une, que je suppléerai. L'autre je ne sais pas. Avec leur mère, rien n’eût manqué.
10 heures
Ne soyez pas souffrante, je vous en conjure. Je crains mille fois plus votre mauvaise santé que tout le reste. Je soignerai votre tristesse. Je soignerai votre ennui. Je ne puis rien pour votre santé, et de tous les sentiments, le plus amer est celui de l’impuissance dans l'affection. Adieu. Adieu. A jeudi seulement. Voilà un ennui. Ecrivez-moi jusqu'à mardi inclusivement. Je recevrai votre lettre mercredi avant de partir. Je vous écrirai encore Mercredi matin. Adieu. G.
314. Paris, Mardi 12 novembre 1839, Dorothée de Lieven à François Guizot
Voici donc ma dernière lettre, si c’est ma dernière lettre ! (vous voyez comme je crois difficilement au bonheur.) Je me sens fatiguée ce matin à faire des copies pour vous. Je me sens fatiguée à mille choses de désagréables. Il me semble difficile que les choses désagréables, aient la moindre chance de m’atteindre jeudi.
Le duc de Bordeaux n’a pas été reçu par le Pape. La Duchesse de Berry est allé voir le Saint Père pour solliciter une audience pour son fils. Il l'a absolument refusé parce que le passeport du jeune prince ne portait pas le visa du nonce à Vienne. La cour d'Autriche et la cour de Gorrie sont également fâchée de ceci. J'ai causé hier avec Miraflores il n’est pas sanguin pour les affaires de son pays. Il dit que la dissolution est décidée. Montrond est occupé de la candidature de Berryer à l’Académie. Thiers se donne beaucoup de mouvement pour lui. Il sera surement odieux. Le Roi est curieux de voir ce que sera son discours de réception.
Granville me donne des conseils dans mes affaires. Il veut que des questions directes sont adressées à Londres, et je le ferai. Cela ne doit pas traîner. Je me porte mal, ne vous attendez à rien d’autre qu'à ce que vous aurez laissé. Et tout au plus encore. mais attendez vous bien à ma joie car elle sera grande. Adieu. Adieu, ce dernier adieu est le seul bon de loin. Adieu.
314. Val-Richer, Dimanche 10 novembre 1839, François Guizot à Dorothée de Lieven
8 heures
Vous n’avez pas d’idée de l'activité qui règne dans cette maison. Je plante un bois ; je fais un chemin. Je redresse des allées. Je sème des fleurs pour l’été prochain. Et mon factotum est encore dans son lit. Ce n'est rien de grave. Mais il ne sera sur pied et bon à quelque chose que lorsque je serai parti. J'admire quel air d’importance et d'entrain on peut mettre à des choses dont on se soucie si peu. Les soins et les agréments de la vie extérieure sont charmants dans le bonheur ; mais il n’y a pas moyen d'en faire le bonheur même. Je ne l’ai jamais cru, ni tenté.
A part son chagrin, le Chancelier doit avoir bien de l'humeur autant qu’il peut en avoir. On ne lui a pas envoyé une levée de Pairs bien éclatante. On a en pourtant bien de la peine à se mettre d'accord sur ces vingt noms. Le Roi a livré une grande bataille pour M. Viermet le plus ridicule des hommes de courage. Il ne l’a emporté que la veille du Moniteur, à 10 heures du soir. Enfin il l’a emporté, tandis que le Chancelier a été battu sur M. Etienne, dont il ne voulait pas. Que disent les Granville, que dit surtout Bulwer des Affaires d'Espagne ? L'Angleterre reste-t-elle là à la tête des radicaux ? Poursuivra-t-elle sa rivalité d'influence avec nous ? Je reprends intérêt à l’Espagne. J’ai recommencé depuis que je connais Zéa. En lui, pour la première fois, j’ai entrevu un homme au delà des Pyrénées. Evidemment, il y a là, dans ce moment quelque chose à faire. Bien difficile ; mais la difficulté dans la possibilité, il n’y a que cela qui vaille la peine qu’on y mette la main. Je ne comprends pas pourquoi vos caisses arrivées au Havre, ne sont pas depuis longtemps à Paris. Ce n’est qu'un ordre d'expédition à donner. Quelque grand serment que soit Rothschild, il peut faire cela, sans déroger.
9 heures et demie
Vous serez ce matin aussi contrarié que moi du jeudi au lieu du mercredi. Pas plus, je vous en réponds. Je ne vous dirai qu’une chose. Finissez avec vos fils. Il faut absolument qu’ils vous donnent, en échange du leur part du capital anglais, l’ordre à Bruxner de vous envoyer ce qui vous appartient. Je ne comprends pas comment ils ont pu l’empêcher, comment Bruxner, s'est laissé interdire par eux ce qu’il était de son devoir de vous envoyer sur le champ. Mais tout cela est si étrange, hommes, choses, procédés, pays que je ne compte sur rien et ne m'étonne de rien. Pourquoi ne chargeriez-vous pas Cumming de cela comme du reste ? Il en sait assez pour que cela de plus ou de moins ait bien peu d'importance. Mais sans aucun doute, ordre pour ordre, argent pour argent. Je suis affligé, blessé, irrité, humilié de tout cela. Adieu. Adieu. Au moins vous n'avez plus d'inquiétude. Adieu Dearest. G.
315. Paris, Mardi 25 février 1840, Dorothée de Lieven à François Guizot
Mots-clés : Ambassade à Londres, Relation François-Dorothée, Santé (François)
315. Val-Richer, Lundi 11 novembre 1839, François Guizot à Dorothée de Lieven
7 heures et demie
Enfin, nous voilà dans la bonne semaine. Car je suis de ceux qui regardent le Dimanche comme le dernier jour de la semaine. Après demain, je serai en route vers vous. Et vers vous définitivement établie chez vous, en France chez moi. Quelle inextinguible soif du définitif dans notre âme ! Il nous fuit toujours et nous le poursuivons toujours. Sans qu'aucun mécompte parvienne à dissiper notre illusion et à lasser notre désir. N'est-ce pas c’est définitif ? Si je n'y croyais pas un peu, je ne jouirai de rien. Si j’en étais tout-à-fait sûr, tout serait ravissant. Dites-moi que c’est sûr. Me direz-vous, quand j’entrerai que vous vous portez bien ? Vous êtes certainement mieux que vous n'étiez en arrivant de Baden. Je n’ai personne à vous donner pour vos affaires. Et puis cela ne servirait à rien. Il faudrait bien qu’on vous en parlât quelque fois, et vous vous en occuperiez, vous vous en préoccuperiez tout autant qu’à présent. Au fait, elles vont finir. Vous tenez le dernier de ces ennuis. Une fois le capital de Londres, partagé votre argent venu de Pétersbourg et placé, vous n'aurez plus de débat à soutenir ni de question à résoudre. Vous ferez vos affaires toute seule, ou plutôt, elles se feront toutes seules. Voilà un coup de soleil charmant sur la vallée jaune et verte variée de toutes les nuances de l’automne. Il n'y a de charmant que la grande route.
10 heures
Si vous aviez la moindre expérience de ces choses là, vous sauriez qu’en province, on ne s'assure pas d’une voiture, le jour où on veut. J’ai eu tort de vous dire que je parlais le 12. Dès que je m’y suis décidé. J’aurais dû attendre que la voiture me fût assurée. Une autre fois, je serai plus réservé. Mais je ne veux pas vous rendre votre gronderie. Je suis un hypocrite, car la voilà rendue. Le droit est pour vous, sans nul doute, pour la vaisselle, et je suis d’avis du fait. Demandez sans hésiter, votre part immédiates, en nature, ou en argent. Ici cela ne ferait pas un pli, à Pétersbourg, je ne sais pas. Pourtant il me paraît impossible qu’on ne vous fasse pas droit. C’est inconcevable, inconcevable. Servez-vous du capital anglais. C’est votre arme, arme bien innocente à côté de celles qu'on emploie contre vous. Mais ici, j'espère qu’elle sera efficace. Je ne serai jamais assez étonné de tels procédés. Adieu. Vous avez fort contribué à rendre toutes mes paroles exactes. Vous m'apprendrez aussi à ne rien dire d'avance. Adieu, pourtant à jeudi. Adieu. G.
316. Calais, Mercredi 26 février 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
316. Paris, Mercredi 26 février 1840, Dorothée de Lieven à François Guizot
317. Londres, Vendredi 28 février 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je me lève. Je suis arrivé hier à 5 heures un quart. J’ai mis un peu plus de huit heures de Douvres à Londres par un beau soleil froid qui est entré avec moi dans le brouillard de la ville et s’y est éteint tout à coup. J’espère que je n’en ferai pas autant.
317. Paris, Vendredi 28 février 1840, Dorothée de Lieven à François Guizot
Votre lettre de Calais m’a fait tant de plaisir ! Comme vous avez été vite ! Vous voilà donc vraiment à Londres. Votre chambre à coucher donne-t-elle sur le square ou le jardin ? Vous devriez prendre le square, l’air doit y être meilleur. Comment supportez-vous l’odeur de Londres ? J’ai mille et une question à vous faire ; mais vous me direz tout. J’ai eu longtemps hier matin les Granville et les Appony. En fait de nouvelles ici, ni les uns ni les autres ne savaient la moindre chose. Mais l’un attendait patiemment le dénouement, et l’autre, avec une grande horreur de Thiers, et une presque certitude de retourner au Marechal.
Je ne me suis point promenée il faisait trop froid, je n’ai pas fait d’autres visites, j’ai manqué celle de Mad. Sébastiani dont j’ai trouvé la carte en rentrant ; je vous dis cela comme suite à ce que je vous mandais dans mon dernier n°. J’ai dîné à 6 heures seule, et je suis allée à l’opéra où j’avais donné rendez-vous à M. Molé et le duc de Noailles. Le dernier est venu et Lord Granville nous avons entendu Mozart [ ? ] Les noces de Figaro mais charmant, chanté à ravir. Cela m’a plu j’y retournerai. Medem, [ ? ] et d’autres étaient venus chez moi. Je suis fâchée d’avoir manqué Médem. [Comte Paul] Je vous raconte tout et cela fait peu de choses. Je fus à Paris ce matin chez M. Jaubert, comme de raison j’ai été très effrayée.
Ce soir il y avait [ ?] et [ ? ]. Évidemment Médem serait charmé que le Maréchal n’y fut plus. Il ne voit pas un grand inconvénient à Thiers. Appony et [ ? ] y verraient la guerre. Il n’y a point de nouvelles du dehors, que je sache. Je vous prie de me mander beaucoup de choses. Racontez-moi [ ?], dites-moi tout ce qu’aurait sinon dit Génie, et une autre fois ne vous fier à des Génies. Moi je m’y fiais puisque vous me le disiez - mais il [faut] que j’apprenne à ne pas croire à tout ce que vous me dîtes. Je vous ai dot que j’étais rancunière et je vous le prouve. Cela n’empêche pas autre chose.
M. Molé est venu me chercher hier, mais je n’y étais pas.
318. Londres, Mardi 3 mars 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
318 Londres, Mardi 3 mars 1840
6 heures
Je viens de passer ma matinée à écrire une longue dépêche sur la conversation que j’ai eue hier au soir avec Lord Palmerston et où nous n’avons pas encore abordé les affaires d’Orient. Je devais le revoir aujourd’hui à une heure. Mais il m’a prié de remettre à demain. Il était obligé d’employer sa journée à préparer les documents demandés par la Chambre des Communes sur la querelle avec la Chine. Sa vie pendant la session est vraiment très dure. Il travaille beaucoup. Je lui trouve l’esprit net, prompt & pratique. Il doit prendre de l’influence.
Je n’ai encore fait que rencontrer Lord Melbourne. Mais il me plaît. Je lui trouve un certain mélange de bonhomie & de commandement, d’insouciance& d’autorité que je n’ai pas encore vu. Son crédit auprès de la Reine est toujours le même. Les Whigs aiment tendrement la Reine. Ils font remarquer qu’on n’a pas encore cité d’elle un acte, un mot qui manquât de prudence ou de tact.
Elle n’a plus grand goût à la danse. Elle aime mieux son mari.
Je dîne jeudi à Buckingham-Palace. Cela me fait déranger un petit dîner chez moi ave Dedel, Alava et le baron de Blum. Le corps diplomatique me parait très avisé de ces petits dîners & d’une partie de whist après.
M. de Hummelauer a plus d’esprit que vous ne m’aviez dit. Il part au mois de mai, charmé de quitter l’Angleterre, où il s’ennuie, pour aller à Milan épouser une jeune Italienne de 18 ans qu’il ennuiera, je pense. Ellice est venu dîner hier avec moi, très bon et très aimable. Je puis abuser de lui tant que je voudrai. Je lui ferai plaisir.1
J’ai interrompu mes écritures ce matin, pour aller mettre des cartes, chez Lord Lyndhurst, Lord Cowley, et le marquis de Northampton. Voilà qui est bien intéressant , n’est-ce pas ? Je vous dis tout.
Ma chambre donne sur le square. On dit qu’elle est très gaie. Décidément, ici, le ciel et la terre se confondent, gris tous les deux. J’ai regardé hier le soleil bien plus en face que ma lampe. C’est là, jusqu’à présent, le seul fait physique qui me frappe en Angleterre. Je n’ai du reste aucune impression d’un changement de climat, de température et d’habitudes. Si j’avais près de moi ceux que j’aime j’oublierais parfaitement que j’ai changé de lieu. Mon cuisinier a le plus grand succès. Ellice dit qu’il n’a point de pareil. Mon maître d’hôtel est excellent. Je ne suis pas aussi content de mon valet de chambre. Je ne vous dis que des balivernes et j’ai à vous parler de choses si importantes. Je n’ai pas voulu les entamer ce matin. Je me repose avec vous de ma dépêche.
Mercredi, 5 heures
Je voulais vous écrire avec détail sur le parti que je prends, vous dire toutes mes raisons qui me semblent décisives et ne me laissent aucun doute. Je sors de chez Lord Palmerston qui m’a gardé trois heures et demie. J’ai à peine le temps d’envoyer à la poste. A après-demain donc les détails. Mais je veux que vous sachiez au moins l’ensemble. Voici des copies de la lettre que j’ai reçue ce matin du Duc de Broglie, et de celle que j’écris aussi ce matin, à M. Duchâtel. Vous serez au courant. J’y ai bien pensé. Je suis parfaitement convaincu. J’attendrai et je regarderai. Quel douloureux ennui que l’éloignement! Je voudrais vous tout dire et je ne vous dis rien, rien.
Je suis charmé que vous ayez vu ma mère. J’étais sûr qu’elle vous plairait. Adieu, adieu. Quand je cesse de vous écrire, c’est encore une séparation. Adieu au moins.
318. Londres, Samedi 29 février 1840, François Guizot à Dorothée de Lieven
318 Londres Samedi 29 février 1840
9 heures du matin
J’éprouve ici le matin une grande impression de calme. Personne ne vient. Personne ne me parle. Je n’entends point de bruit. C’est le repos de la nuit, sauf les ténèbres. Il me semble que je sors d’un guêpier bruyant, et que je contemple une ruche d’abeilles qui travaillent toutes sans bourdonner. Vous avez raison. Avec du bonheur domestique, la vie peut être ici aussi douce que grande. Il y a en France trop de mouvement extérieur; ici, pas assez de mouvement intérieur. En tout, l’aspect de cette société me plaît; je m’y sens à l’aise et dans un air sain, bien que trop froid.
Voilà du bonheur, le 316. Décidément chaque fois, je vous dirai mille fois merci. Oui, c’est du bonheur, un bonheur charmant quoique triste. Que serait-ce s’il était gai ? Je ne comprends pas Mad. Sébastiani ; malgré tout ce que j’en savais, ceci est plus bête. Mais je comprends encore moins Génie. Je lui ai répété ma recommandation pour tous les jours, cinq minutes avant de monter en voiture. Je n’entrevois qu’un motif, les obsèques de ce pauvre M. Devaines. Elles ont dû avoir lieu avant-hier jeudi, et Génie aura eu toutes sortes de soin à prendre. C’est un travail de mourir, et ceux qui s’en vont lèguent à ceux qui restent l’embarras avec le chagrin. Il est impossible que Génie ne soit pas allé vous voir hier.
4 heures Je viens d’avoir des aventures. Je sors de chez la Reine. Imaginez que je reçois, à une heure dix minutes, un billet de Lord Palmerston qui me dit que la Reine me recevra à une heure. J’envoie sur le champ chez Lord Palmerston pour constater mon innocence. Je m’habille en toute hâte. Je demande mes chevaux. Je pars. J’arrive avant 2 heures, à Buckingham. Comme de raison, on m’attendait. Je monte et trouve Lord Palmerston qui arrivait aussi. Les ordres de la Reine lui étaient parvenus tard. On ne les lui avait pas remis tout de suite. Heureuse-ment la Reine avait d’autres audiences qu’elle avait données en atten-dant. [Point de maître des cérémonies. Sir Robert Chesler, prévenu en même temps que moi, n’avait pas été aussi preste que moi.]
Bref, la Reine m’a reçu avec beaucoup de bonne grâce; sa dignité la grandit; son regard est intelligent et animé. Je lui ai dit en entrant : « J’espère, Madame, que Votre Majesté sait mon excuse, car je serais inexcusable. » Elle m’a répondu en souriant, et j’ai vu que Lord Palmerston était excusé aussi. Mon audience a été courte. Le Roi, la famille Royale, les relations du Roi avec le Duc de Kent son père, la surprise que je ne fusse jamais venu en Angleterre etc, etc. [Je suis sorti. Lors Palmerston est resté un moment après moi. Je m’en allais ; il m’a rejoint en courant : « Vous n’avez pas fini ; je vais vous présenter sur le champs au Prince Albert et à la Duchesse de Kent ; sans cela, vous ne pourriez leur être présenté qu’au prochain lever, le 6 mars ; et il faut qu’au contraire que, ce jour-là, vous soyez de vieux amis. »]
Nous avons été chez le Prince Albert, très beau et agréable jeune homme d’une physionomie douce, ouverte, intelligente, simple et élégant de langage. Il m’a retenu un quart d’heure. Nous avons causé. Il m’a plu tout à fait...
[De là, chez la Duchesse de Kent, au rez de chaussée. Elle était un peu malade de la goutte. Au moment où je traversais le vestibule pour aller reprendre ma voiture, sir Robert Chester est entré descendant de la sienne. Je lui ai fait toutes mes excuses dont je n’avais pas besoin. Je suis rentré chez moi, j’ai quitté mon harnois. J’ai couru une heure et demie pour aller m’écrire chez les Ducs de Sussex & de Cambridge, la duchesse de Glocester, les Princesses Auguste et Sophie-Mathilde, et me voici de retour. Demain les visites du cabinet. Après demain celle du Corps diplomatique. Les cartes pleuvent chez moi ce matin. On me remet à l’instant celle de Lord Aberdeen, Lord Holland et Lord Howe. Je demanderai demain à être reçu par la Reine Douairière.
Je suis allé hier soir chez Lady Holland sans la trouver. Elle était à Covent Garden où la Reine a été fort bien reçue. Les loges en face ont été louées pour 20 £ pour la voir, et les loges à côté 10 liv., pour ne pas la voir.
Dimanche 9 heures.
J’ai été plongé hier en Angleterre ; jusqu’au fond. A dîner le duc de Sussex, le Duc de Norfolk, le Duc de Devonshire, Lord Carlisle, Lord & Lady Albermarle, Lord & Lady Minto, Lord & Lady Elisabeth Howard, Lady Seymour, &, &, tous Whigs sauf un petit Tory dont j’ai oublié le nom. Le soir un rout immense, tout ce qu’il y a de ministres, de corps diplomatique, de membres des deux chambres, Whigs, Torys, radicaux, depuis lors Aberdeen jusqu’à M. Grote ; mais les Whigs souverains, selon leur droit.
J’ai passé ma soirée à être présenté et à accueillir des présentés. On me dit que je dois être content, très content que j’ai été bien lion et bon lion. Il me semble que j’ai rencontré de la curiosité et de la bienveillance. Je suis décidé à y être difficile. Je ne fais nul cas des demi-succès et des succès de début. Il les faut, mais pour commencer, comme il faut un premier échelon à la plus haute échelle. Si je suis bon à quelque chose ici, pour mon pays & pour moi, ce ne peut être qu’en inspirant une estime & un intérêt soutenu & croissants.
Fanny Cowper est charmante ! Elle promène partout, modestement mais sans embarras, un regard si jeune et si indépendant ! Je serais surpris si elle n’avait pas des goûts très décidés, en attendant des volontés.
Lord Aberdeen est venu à moi avec un empressement marqué. Je l’ai trouvé plus vieux et l’air moins sombre que je ne m’y attendais.
Lord Melbourne m’a parlé français de très bonne grace et longtemps. Il n’y a qu’Ellice qui soit décidé à ne pas me dire un mot de français. Il a raison. Je lui ai promis d’aller diner chez lui mercredi, en famille, et vendredi, chez Lord Charendon, en petit comité. Lord Charendon a été très aimable.
Je n’ai pas vu, du Cabinet, Lord John Russel, et du corps diplomatique, le Baron de Brunnow.
Connaissez-vous une Mad. Stanley, jolie, vive, spirituelle, whig très décidée et très active, que Lord Palmerston appelle notre Chef d’Etat major ? Son mari est un whipper-in important.
J’ai trouvé là le Prince de Capoue et sa femme. Il y a plus que l’océan entre les façons anglaises et les façons napolitaines.
Le Duc de Sussex a l’air d’un très bon homme. Il m’a beaucoup parlé de ses voyages sur le continent. Il a vu commencer toutes les révolutions, en France, en Espagne, en Portugal. Il prenait grand plaisir à me raconter Mirabeau. Vous savez que M. Croker m’a dressé à ces leçons-là.
J’étais à table entre Lady Cecilia Underwood (vous savez) et Lady Albermarle qui m’a mis très bonnement, au courant de tout le monde. Lady Palmerston avait à côté d’elle le Duc de Sussex et le duc de Norfolk. C’est la règle, n’est-ce pas ?
J’ai échangé en courant quelques paroles avec Lady Palmerstonn affectueuses pour vous. Elle a l’air très contente, et répand avec beaucoup de grace son contentement tout autour d’elle. Son fils, Lord Cooper m’a paru sprituel.
Si nous étions ensemble, je vous dirais mon compliment de Lady Palmerston à mon sujet, que j’ai entendu en passant. Mais cela ne se dit que tout bas quoique tout seuls.
Vous avez raison ; elle a l’air très fine et voyant tout sans y regarder.
5 heures
J’ai eu toute à l’heure un vrai plaisir. J’ai été à Stafford house. Le Duc et la Duchesse de Sutherland m’ont accueilli presque avec amitié. J’aime Stafford-house. C’est très beau, très beau. Et ce sera encore plus beau, car le premier étage n’est pas fini. J’ai vu ce qui est fait et ce qui se fait. Le Duc m’a promené partout. L’Escalier a vraiment de la grandeur, assez pour que la richesse y soit bien placée. Le comte de Montfort m’y a succédé.
J’apprends que j’ai eu tort de ne pas me mettre à côté de Lady Palmerston. C’est Lady Albermarle qui m’a trompé. Je lui donnais le bras. Je l’ai consultée ; elle m’a dit que je devais me placer à côté de Lady Cécilia Underwood, quasi altesse royale. Je prendrais ma revanche.
J’ai fait ce matin toutes mes visites de cabinet, et Lord Charendon sort d’ici. Il a vraiment de l’esprit, et un esprit gracieux. Nous nous sommes entendus au-delà de mon attente. Je dine chez lui vendredi, samedi chez Lord Lyndhurst, Dimanche chez Lord Landsdown. Il y a aussi un dîner arrangé chez le duc de Devonshire, avec le duc et la duchesse de Cambridge. Je subis cette première bouffée , j’espère qu’elle ne soufflera pas toujours.
Je vous parle de tout, et pas un mot de ce qui se fait à Paris. Que serviraient mes paroles ? Vous en savez plus que moi. J’attends ce que me mandera le duc de Broglie. Il a mes pouvoirs, sauf ratification. Adieu pour Aujourd’hui. Il fait très froid. Mais je n’ai pas l’impression d’un changement de climat.
M. Dedel sort aussi de chez moi, très ouvert et très bienveillant. Je crois que je me trouverai bien de lui et avec lui Lundi.
Lundi 2 mars 9 heures
Je ne compte pas avoir de lettre de vous ce matin, par la poste. Vous aurez attendu le courrier des affaires étrangères. C’est horrible une poste qui arrive et qui ne m’apporte rien de vous. Le Val-Richer, Baden ne m’ont jamais coûté si cher. Je m’y accoutume tous les jours moins. C’est déjà si peu qu’une lettre ! Et pourtant c’est tout.
J’ai passé deux heures et demie hier soir chez Lady Holland, empressée, charmante. J’ai trouvé Lord Holland toujours le même, absolument le même, la seule personne qui ne m paraisse pas vieillie, d’esprit ni de corps. Lord John Russel et Ellice y avaient dîné. Lord & Lady Palmerston y sont venus le soir. J’ai un peu causé avec Lady Palmerston, et j’ai protesté contre l’erreur où m’avait attiré Lady Albermarle avant-hier. Voici mes dîners de la semaine. Mercredi Ellice. Vendredi, Lord Clarendon. Samedi, Sir Robert Peel. Dimanche, Lord Landsdown. Mardi 10, le Duc de Sutherland. Il me semble que je vous en ai dit la moitié plus haut.
10 heures ¼
J’avais tort de ne pas espérer. La poste est charmante. Que de choses à vous répondre ! En attendant vous gagnerez quelque chose à ma joie. Je ferai partir ce volume aujourd’hui. Un autre suivra promptement. Que ne donnerais-je pas en ce moment pour causer une heure avec vous ! Adieu. Adieu.
318. Paris, Dimanche 1er de mars 1840, Dorothée de Lieven à François Guizot
318. Paris, le 1er mars 1840, dimanche
10 heures
Après avoir fermé ma lettre hier, je suis allée chez votre mère. Le cœur m’a battu en entrant. Elle m’a reçue avec bonté. Vous ne sauriez croire comme elle me plaît. C’est un visage si serein, un regard si intelligent et si doux, et même gai.
Je l’ai beaucoup regardée. Quand je ne la regardais pas, il me semble qu’elle me regardait aussi. Le Duc de Broglie y était, et y est resté. Il a parlé de la situation tout le temps. Pourquoi le Duc de Broglie a-t-il cet air moqueur et désobligeant ? Je conçois qu’il ne plaise pas. Moi, je l’aime assez malgré cela, et malgré autre chose que je déteste et que j’ai découvert en lui hier. Il a commencé par dire qu’il ne savait absolument rien ; que depuis trois jours il n’avait vu personne du tout ; et puis il nous a raconté son entretien avec le Roi, la veille, et un long entretien avec Thiers le soir, et puis, et puis, tout ce qui se passe. Pourquoi commencer par mentir ? Vous savez l’horreur que j’ai de cela. Si jamais je commence, moi, je continuerai. Mais il me semble que je suis trop fière pour commencer. Les Français ont décidément l’habitude du mensonge ; je ne connais pas d’Anglais dans lequel j’aie surpris ce défaut. Voyez bien et vous trouverez si je dis vrai!
Mais je reviens à la rue de la Ville-l’Evêque. Vos enfants ont couru à ma rencontre dans la cour, cela m’a fait plaisir. Ils ont une mine excellente, surtout Henriette. J’ai demandé à votre mère de me les envoyer ce matin pour voir passer le bœuf gras, elle ne le veut pas à cause de leur deuil. Votre mère a été bien polie et affectueuse pour moi.
Delà je fus chez Lady Granville qui est bien malade ; elle n’avait pas dîné ni assisté à la soirée la veille. Nous avons causé pendant une heure, elle et son mari, du nouveau ministère, de votre situation ; il ne sait trop qu’en dire. Moi, je ne me permets pas d’avoir une opinion devant les autres ; j’attends que vous ayez pris votre parti.
J’ai été rendre visite à Mad. Sebastiani sans la trouver. De là chez les Appony qui sont consternés. Appony ne conçoit pas le Roi, et il ajoute qu’il n’aura certainement aucune affaire à traiter avec Thiers, et qu’il entre en conséquence en vacances.
J’ai dîné seule. Le soir la diplomatie est venue. Granville croyait savoir que la nomination du ministère avait été mal accueillie à la Chambre. Médem est enchanté de n’avoir plus Soult et d’avoir Thiers. Il est tout remonté. Brignoles n’a pas d’opinion.
Quand aurai-je mes lettres ? à propos notre correspondance ! Cela ne sera plus très commode. Cela prouve bien votre situation naturelle vis-à-vis de ce ministère.
Bulwer est très malade, je ne puis pas le voir. Il m’écrit ce matin ce matin & me dit qu’Odillon Barot est très piqué contre Thiers qui ne l’aurait pas même consulté pendant la crise. Cela n’est pas trop d’accord avec d’autres avis.
Midi
Génie sort d’ici, il a un peu ébranlé mes opinions d’hier, par les récits qu’il m’a faits de ses entretiens avec vos amis. Il faut attendre ; mais si on tire à gauche, revenir sur le champ : voilà ce qui me paraît ressortir des avis les plus sages. En attendant, la puissance de Thiers me paraît établie dans tous les départements du Ministère.
J’attends votre lettre , car on me dit qu’il y a un gros paquet au bureau de l’hôtel des Capucines.
1 heure
La lettre n’arrive pas. La voilà. Je vous en remercie.
Lundi 2 mars, I heure
Je ne sais pas trop comment vous envoyer cette lettre. Cependant, jusqu’à nouvel avis, je ferai comme vous me l’avez indiqué. Lundi et jeudi au bureau des Affaires étrangères et samedi par la poste.
J’ai été voir hier les trois malades, la petite Princesse, Lady Granville & Mad. Appony. Même fureur chez ceux-ci. Il veut aller au château ce soir.
J’ai eu à dîner M. de Pogenpohl. Ah! mon Dieu, Dimanche passé c’était autre chose! Le soir j’ai été faire visite à Mad. de Castellane; mais quoique j’aie tenu bon jusqu’à onze heures, M. Molé n’y est pas venu, je le regrette. Mad. de Castellane est fort opposition. En bonne catholique, elle a une sainte terreur de M. Vivien. Outre ces faits là, je n’ai rien relevé dans sa conversation.
Lord Palmerston mande à Lord Granville que dimanche il devait avoir un long entretien avec vous. Vous voilà lancé dans les affaires, les dîners et les fêtes. Je crains que, pour commencer, le Duc de Sussex ne vous ait fait longtemps rester à table. Je vois tout cela, et un peu tout ce que vous en pensez. Votre première impression de Londres m’a divertie. Elle est vraie; je n’oublierai pas vos colonnettes et vos figurines.
J’ai fait venir mon petit brigand et l’ai envoyé chez votre mère avec des nappes de Saxe. Elle choisira ; il a tout ce que vous demandez. Les services ordinaires pour 12 personnes, étonnamment bon marché, 129 francs.
Je n’ai de lettres de personne.
Le temps est toujours brillant et froid. Ceci ne me plait pas ? Je crains la grippe des ambassadeurs. Je ne marche pas.Adieu, il me semble que je vous ai tout dit, tout ce que peut porter une lettre. J’aurais mieux dit à la chaise verte. Ah! que cette chambre est vide! Adieu. Adieu.
319. Paris, Mardi 3 mars 1840, Dorothée de Lieven à François Guizot
319 Mardi 3 mars 1840
9 heures
J’attends vos lettres avec une vive impatience. Je suis curieuse de ce que vous me direz de Paris autant et plus que de ce que vous me direz de Londres.
M. d’Appony est venu causer longtemps chez moi hier matin. Plus tard j’ai été causer longtemps chez Lady Granville. M. Thiers quoi venu de bonne heure chez l’Ambassadeur d’Angleterre. L’entretien été fort agréable à Granville. Thiers lui a dit qu’il avait votre promesse de rester avec lui Ministre des Affaires Etrangères. Cette visite s’est faite même avant la notification officielle du changement de Ministère. J’ai dîné seule. Le soir tout le monde était chez Thorn. Il ne m’est venu que Mad. de Boigne et le Duc de Richelieu, trop fier pour faire la connaissance du plébéien de l’autre monde. Mme de Boigne ne sait trop que dire de ceci. Elle trouve à Thiers beaucoup de puissance, mais elle aime Thiers, elle en aime quelques autres dans le nouveau ministère. Somme totale, elle attendra patiemment avec ce ministère ci l’occasion d’aimer beaucoup un ministère prochain. Elle a parlé de vous, espérant fort — que vous resteriez à Londres pour le moment, quoique M. Duchâtel dise que vous n’étiez pas préparé à la combinaison actuelle, telle qu’elle est faite. M. de Broglie se proclame très haut le parrain du Ministère actuel ; il y a des gens que cela étonne beaucoup, car ce Ministère ne peut trouver d’appui que dans la gauche (Boigne). Le Roi a causé avant-hier avec l’Ambassadeur d’Angleterre. Il se dit fort content des explications qu’il a eues avec Thiers. On pense généralement qu’il sera fort doux avec tout le monde, voire même les Appony.
Je suis dans de tristes anniversaires et cette année, pour la première fois, les jours correspondent avec les dates ! Je cherche à me distraire, mais comment ? Ah que vous me manquez, à présent, toujours ! Il y a huit jours je vous attendais encore, je n’attends plus rien, personne.
2 heures Il fait un temps bien froid et avec cela bien gris.
Mercredi, 11 heures
J’ai fait visite hier à Lady Granville, à Pauline et puis à sa mère. L’enfant de Pauline a la ressemblance la plus frappante avec M. de Talleyrand. J’ai trouvé chez la Princesse Mrs de Rambuteau et de Vandoeuvre. Celui-ci ravi et inquiet. Rambuteau disant qu’il faut soutenir parce que les changements sont déplorables. La Duchesse spécule sur la diplomatie française au cas où Londres, Vienne et Petersbourg viendraient à vaquer. Elle doute que Londres vaque.
J’ai dîné hier soir en Autriche. Appony avait été le matin faire visite à Thiers sans le trouver. Une heure après, Thiers est venu chez lui. Il a été très poli, très bien. Il est évident qu’il est décidé à être bien pour tout le monde. Appony avait été au Château avant-hier soir. Il a trouvé le Roi résigné et triste, reconnaissant fort bien que sa situation devait être très abaissée aux yeux de tous. Il s’est dit cependant content de ses entretiens avec Thiers. Les articles d’hier et ce matin dans les Débats font quelque sensation. Mon voisin Jaubert reste mon voisin. J’en suis bien aise. Il est venu me faire visite hier avant que je ne fusse rentrée de chez les Appony. J’étais chez moi à 8 h 1/2. Il n’est venu personne, personne. C’était le mardi-gras, par conséquent mon mardi maigre. Et tout juste hier c’était horrible. Je me suis couchée à 11 heures sans pouvoir m’endormir jusqu’à 6 heures du matin. Cette terrible heure ! Ah quelle nuit !
Il me semble que je suis bien loin de vous, j’ai votre lettre de vendredi & depuis je n’ai rien. Aujourd’hui le Galignani me parlera de vous, voilà tout ce que j’en saurais.
Midi
Voilà M. […] qui m’apporte le 318. Comme j’ai dévoré tout ! Eh bien, je vous dirai que Londres vous plaît beaucoup. Vous êtes content, oui, vous êtes content, même gai. J’ai prévu cela. Et c’est très naturel. La mer nous sépare aujourd’hui, nos sensations seront bien différentes. Je pleure aujourd’hui et vous riez! Quand vous aurez passé par le feu des dîners, dites-moi donc un peu autre chose. Que fait le négociateur Brünnow ? Le petit Nesselrode a dû porter les réponses de Pétersbourg. Mais c’est de Berlin qu’il les a prises au courrier. Quand me direz-vous ce que vous pensez de ceci ? Thiers a dit à Granville qu’il fera une diminution dans les fonds secrets. On dit que cela va être présenté incessamment. Il a reçu hier soir Aston dans la place St Georges ; les zélés y sont allés. Appony s’est abstenu.
1 heure 1/2
Vous voyez comme je reviens à vous souvent! Il me semble que vous m’avez recommandé de vous redire souvent ce que je vous avais dit souvent déjà ici. Eh bien, restez ce que vous êtes, grave, sérieux, naturel. Défendez-vous de l’enivrement de la situation nouvelle où vous vous trouvez. Rappelez-vous que vous vivez dans une maison de verre. Tout sera remarqué. Les Anglais sont infiniment plus fins qu’on ne l’imagine, et singulièrement observateurs et curieux, tout en ayant l’air de n’y pas regarder.
Jeudi 5 mars,
10 heures J’ai été à la Chambre hier. Elle était comble. Thiers est venu prendre sa place sur le banc des Ministres avec un contentement visible. 1 Il s’est assis, pan, pan, pan, comme pour bien en prendre possession. Il a lu un discours d’une voix fort monotone, et pas très haute. Il a été reçu très froidement. J’ai quitté la Chambre tout de suite après, pour le Bois de Boulogne, ensuite chez Lady Granville. M. de Rémusat est venu chez son mari pendant que j’y étais. Il est convenu également qu’ils avaient été accueillis assez tièdement. Il a dit à Granville qu’il ne doutait pas que vous resteriez à Londres.
J’ai dîné seule. Le soir j’ai eu Mad. de Coutades, elle est restée toute la soirée. Appony, Brignoles, le Duc de Noailles, M. Molé, Pahlen, d’Ossuna. Brignoles venait de chez le Roi qui lui a dit : « Je ne suis pas vaincu, mais je suis battu. » M. Molé parle du Ministère comme très transitoire. Il ne fait aucun doute qu’il tombe sur les fonds secrets : tout son monde tient ferme, le vôtre vient à lui. Il n’y a que cinq ou six doctrinaires qui restent avec M. de Rémusat. Les autres 25 passent à l’opposition. Thiers ne peut avoir de soutien qu’à la gauche, et cela ne peut pas suffire. Le Roi affirme qu’il n’accordera jamais la dissolution à Thiers. On a dit : « Et M. Guizot? — M. Guizot? cela ne fait pas une question. Il y a une justice à lui rendre, il n’a jamais cessé de combattre la gauche. » Vous voyez que je vous dis tout. Le Maréchal Soult avait dit aux Ambassadeurs qu’il n’attendait que la fin de la crise pour se rendre dans sa terre en Languedoc, hier il est venu leur faire visite à tous pour les prévenir qu’il les recevra tous les lundis soirs. Cela fait jaser.
Voici une longue lettre, ou plutôt une gazette. Je sais qu’on attend M. d’André en courrier de Pétersbourg ; des lettres venues par la poste annoncent son départ, mandez-moi ce qu’il apporte. M. de Pahlen écrit à son frère toujours la même chose, qu’il n’y a rien. Que pensez-vous que fera Barante de l’ordre qui lui a été envoyé ? Je vous prie de me dire une quantité de choses. Adieu, adieu, adieu.
Lord Granville a été hier à la soirée de la Place St Georges, Mardi. Il y avait une foule de députés, rien que la gauche.
Mots-clés : Ambassade à Londres, Deuil
