Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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9 Paris, Dimanche 5 mars 1854

Je suis pressé ce matin. Je trouve le ton de la réponse de votre Empereur très convenable, modéré, doux, même caressant. Quant au fond, j’y retrouve le même défaut que j’ai trouvé, dans le commencement de l'affaire, dans tout ce qu'a dit et fait votre Empereur ; il n’a jamais assez nettement, assez complètement, assez hautement avoué, sa situation particulière vis-à-vis de la Turquie, vos traditions, et la politique que lui imposaient les perspectives d’un avenir qu’il ne voulait point hâter, mais dont il ne pouvait oublier les nécessités et les chances. Il s’est toujours présenté comme aussi attaché que la France et l'Angleterre à l’intégrité et à l'indépendance de l'Empire Ottoman. Cela n'est pas ; cela ne se peut pas ; vous êtes voisins et grecs. Si vous aviez pris ouvertement, votre position, on vous aurait su gré de votre modération. Au lieu de cela, on s’est méfié de votre langage officiel que démentaient les tendances plus ou moins cachées, plus, ou moins lointaines de vos actes. Il y a, dans la lettre actuelle, le même défaut et vérité générale. Vous êtes trop de petits saints, vous en êtes affaiblis comme politiques. Je ne dis rien des questions de détail comme droit public, vous avez souvent raison.
Voilà l'Assemblée nationale suspendue, c’est-à-dire supprimée. Quoique inattendue en ce moment et pour l’article inculpé, la mesure ne m’a pas surpris. Je lui ferais volontiers le même reproche qu'à la lettre de votre Empereur ; il y a trop de réticence.
Dîner littéraire hier chez Mad. Mollien ; pas ennuyeux. Le soir, Mad. de Boigne malade. Mad. Rothschild ne recevait pas, par exception. Je suis rentré chez moi de bonne heure.
Il vaut mieux que le Ministre de France soit allé vous voir, et que vous soyez avec lui, en bons rapports. C’était autrefois un conservateur décrié. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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10 Paris, Lundi 6 mars 1854

Ste Aulaire vient de me prendre deux heures. Il m’avait donné à lire toute l'affaire d'Orient de 1840 dans son ambassade de Vienne. Lecture parfaitement amusante aujourd’hui. On voit naître 1854. J’avais quelques observations à lui faire quelques additions à lui indiquer. Longue conversation. Il m’a beaucoup remercié, et moi lui. Cela vous amuserait beaucoup. Comme vous étiez au bout de tout, vous me manquez partout.
On trouve en général la lettre de votre Empereur plus habile que fière à la fois pacifique et entêtée ; des désirs pacifiques avec des résolutions. qui rendent la guerre inévitable.
Je ne sais rien quoique j'ai vu hier assez de monde, Dumon, Molé Duchâtel, Vitet, Noailles, Broglie. L’Assemblée nationale, était pour beaucoup dans la conversation ; elle reparaîtra le 6 Mai, après ses deux mois de pénitence.
Je remarque ce matin que, de tous les journaux, le plus impérialiste, l'Univers, est le seul qui, en publiant l’arrêté de sus pension de l'Assemblée nationale, publie aussi l’apologie qu’elle y a jointe hier, en paraissant pour la dernière fois.
On disait beaucoup hier que deux régimes anglais traverseraient, la France ; on affirmait même que le chemin de fer du Nord avait reçu ordre de se mettre en mesure pour les transporter. Je n'y crois pas. Ici aussi, il fait froid, mais avec un soleil superbe. J’espère que vos yeux vont mieux. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°19 Val Richer 20 Juin 1852

Je n'ai pas de goût à vous écrire quand j’attends impatiemment une lettre. Le manque de celle d’hier m’a contrarié plus vivement encore que de coutume. Seriez vous plus souffrante ?
Ni mes lettres, ni mes journaux ne me disent rien. Si nous étions, en temps ordinaire, cette chute de la convention d'extradition entre la France et l'Angleterre, signée et ratifiée par le président et par la reine Victoria, serait un gros échec pour les deux gouvernements, et un gros embarras entre eux. Rappelez-vous ce qui est arrivé quand je n’ai pas fait ratifier la convention sur le droit de visite. Mais aujourd’hui rien ne fait rien. Je suppose pourtant que Lord Malmesbury payera son étourderie.
Décidément les affaires du cabinet Tory vont mal. Lord John est un opiniâtre fellow. Il persiste, en dépit de tout le monde, à être le chef de l'opposition. Il en viendra à bout.
Il pleut. Je me suis levé tout à l'heure par un beau soleil. Mais le ciel redevient tout noir. Je m'en consolerai quand j'aurai une lettre. Je suis plongé dans l’histoire de Cromwell et de son travail pour se faire Roi. Jamais homme n’a eu à la fois tant d’ambition et tant de bon sens. Aspirer à tout et savoir s'arrêter, c’est le seul exemple.

10 heures
Pas de lettre encore aujourd’hui. C'est désolant. Si vous êtes malade, pourquoi ne pas me faire écrire deux lignes, n'importe par qui, par Auguste ou Emilie. La journée sera bien longue. Adieu. Adieu.
On m’écrit : " Il n’y aura point de petite session. Les lois somptuaires seront retirées. Le corps législatif votera le budget sans mot dire, malgré les coups que le Conseil d'Etat, lui a donnés sur les doigts. "

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°23 Val Richer. Vendredi 25 Juin 1852

Outre la satisfaction de cœur, c’est un plaisir d'être rentré dans l’ordre. Plus je vieillis, plus le moindre désordre le simple dérangement me déplait et m'inquiète. On ne sait jamais ce que cela peut devenir.
Je suis charmé qu’on soit si bien pour vous à Schlangenbad. Est-ce que vos fils ne s'en ressentiront pas ? C'est là vraiment la marque d’amitié que vous devrait l'Impératrice. J’ai peine à comprendre qu’elle ne soit pas en état ou en volonté d'obtenir cela de l'Empereur, et que l'Empereur ne puisse pas être amené, pour faire plaisir à sa femme, à faire deux exceptions au régime des passeports. Je voudrais beaucoup que vos fils vous dussent l’agrément de leur vie. Rien ne les rapprocherait d'avantage de vous. Ils sont dans cette disposition et cette habitude d’esprit, où l’agrément de la vie inspire plus de reconnaissance que la vie même. Avez-vous de bonnes nouvelles de la santé d'Alexandre ?
J’attendais hier avec quelque curiosité, mon Journal des Débats pour voir comment le corps législatif aurait pris la lettre de M. Casabianca sur le rapport de M. de Chasseloup Laubat. Je vois seulement que beaucoup de personnes ont parlé, MM. de Montalembert, de Kerdrel, de Chasseloup deux ou trois conseillers d’Etat, et M. Billault lui-même, du haut de son fauteuil. Mais le procès-verbal détaillé n'était pas encore prêt et communiqué aux journaux hier, à 4 heures. Il aura probablement été un peu difficile à rédiger.
Les ministres Anglais, Lord Malmesbury surtout, ont l’air d'écoliers à qui le Parlement fait la leçon et qui recommencent leur tâche quand le Parlement leur a montré qu’elle n'était pas bien faite.
Voilà votre ami Bulwer qui va rentrer en négociation à Florence pour les coups de sabre de M. Mather, et qui est chargé d'obliger le grand Duc de Toscane à dire, s’il répond ou non, de ce qui se passe chez lui. Ainsi les plus petits incidents ramènent les plus grandes questions. Et M. Mornay, sera-t-il ou ne sera-t-il pas pendu à Ancône ? A Dieu ne plaise que je regrette si un homme n’est pas pendu ; mais vraiment, si M. Mourray est l’un de ces mauvais sujets errants qui vont se faire partout où l'occasion s'en présente, les complices de l'anarchie et de l’assassinat révolutionnaire, c'est une grande indignité au gouvernement Anglais de forcer la main au pauvre Pape pour lui faire faire cette grâce. Le Pape portera ici la peine de la mauvaise réputation, très mérité, du gouvernement Papal en fait de justice et de jugements criminels.
J’ai connu, il y a quelques années, à Paris un M. de Harthausen qui était un homme d'esprit, et qui écrivait. Il avait écrit quelque chose sur le rôle et la politique de l’Autriche en Allemagne. Je ne suppose pas que ce soit là ce que l'Impératrice, s'est fait lire. Comme M. de Meyendorff lit sans doute le Français aussi bien que l'Allemand, je vous signale un article sur St Ambroise, de M. Villemain, inséré dans le Journal des Débats d’hier. Jeudi 24 ; c’est un morceau très intéressant, et assez court pour être lu tout haut. Je serais surpris s’il ne plaisait pas à l'Impératrice, et même à vous. Cependant je dois convenir que St Ambroise résistait quelques fois aux Empereurs, mais à des Empereurs qui ordonnaient le massacre de Thessalonique. On est infiniment plus juste et plus doux à Pétersbourg, au XIXe siècle, qu’à Rome ou à Constantinople, au IVe.

Onze heures
Mon facteur arrive tard et doit repartir promptement. Je regrette que vous n'ayez pu causer à l'aise avec le Roi de Wurtemberg. Voilà un chapitre au budget rejeté. On me dit que c’est celui du Ministère de la police générale. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°24 Val Richer, Samedi 26 Juin 1852

J’ai lu hier soir ces débats du corps législatifs sur le budget. Ceux qui s’en promettent, et ceux qui en redoutent beaucoup me paraissent également enfants. Ni l’absolutisme impérial ni l'opposition parlementaire, ne sont près de ressusciter. On ne fera qu'évoquer deux fantômes. Voici l’incident sérieux du Débat. M. de Kerdrel, au milieu de son discours a demandé à l'huissier un verre d'eau sucrée ; l'huissier n’a pas osé prendre sur lui ce retour au régime parlementaire ; il a consulté le secrétaire de la Présidence, M. Valette qui a consulté, M. Billault. M. Billault a répondu qu’il valait, mieux s'abstenir. Alors, M. de Kerdrel a prié un de ses voisins d'aller lui chercher un verre d'eau et le voisin a rapporté le verre au milieu des rires et des applaudissements de l'assemblée. M. de Montalembert, en prenant la parole a demandé à son tour un verre d’eau sucrée à très haute voix. L'huissier troublé a regardé M. Billault, et M. Billault trouble a fait signe à l'huissier de l’apporter C'est la première liberté reconquise.
Vous savez que le Président assistait à la séance, dans sa tribune. On dit que, pendant le discours de M. de Montalembert, il a écrit un billet à l'autre président, pour lui demander de faire taire l'Orateur, et que M. Billault a traité cette demande de prétention inconstitutionnelle. Je doute de la demande et de la réponse. Le chapitre qui a été rejeté n’est point celui de la Police générale, mais celui de la dotation du Sénat. Le rejet a eu lieu, non pour le fond même de la dotation, mais pour une question de place et de forme. Les fonds seront votés ailleurs.
Il y a eu aussi des scènes au Sénat, mais des scènes privées, entre le Roi Jérôme et le maréchal Exelmans à propos d’un M. Laurent de l’Ardèche naguère très rouge, qui vient d'être nommé Bibliothécaire au Sénat. Le Maréchal s'est fâché tout rouge. Le Roi a répondu que M. Laurent n'était plus que bleu.
Après les commérages de l'Elysée ceux de Claremont. La fusion ne marche pas. Le départ de Mad. la Duchesse d'Orléans, qui devait la presser, l’a arrêtée. Les Princes troublés de la séparation disent qu’il ne faut pas brusquer la Princesse qu’avec de la douceur on l’amènera à la fusion que d'ailleurs, avant de faire la démarche décisive, ils ont besoin de savoir où en sont les vues politiques du comte de Chambord. Le Duc de Montpensier retourne directement en Espagne par Plymouth, et le Duc d’Aumale qui avait été très explicite sur son intention d’aller à Frohsdorf, ne parle plus que de patienter et d'attendre.
J’ai vidé mon sac. J'attends le vôtre. J'étais pressé hier en fermant ma lettre. Je vois que le Roi de Wurtemberg est venu vous chercher et que vous avez eu, avec lui, la conversation tant interrompue. J’en suis bien aise. C’est certainement un Prince fait pour la grande. politique.

10 heures et demie
Votre lettre ne m’apprend rien, mais elle me fait plaisir. Malgré la fatigue vous vous trouvez un peu mieux et votre vie vous plait. Et probablement vous aurez Aggy. Je l’espérais un peu. Moi aussi, j’ai bien envie de connaître M. de Meyendorff. Adieu, Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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85 Val Richer, Dimanche 4 Juin 1854

Vous avez bien de la peine à prendre Silistrie. Quand on dit cela, vos amis répondent que vous y avez mis deux ans en 1828. Pauvre réponse pour 1854. Si les Turcs et leurs alliés ne sont pas en mesure d'entreprendre rien de grand contre vous cette année, il paraît que ni vous non plus contre eux. Voilà les propos des spectateurs de cette insignifiance mutuelle dans les débats de la guerre, il résulte. Deux impressions contradictoires en apparence, mais toutes deux favorables à la guerre ; on s'impatiente et on a moins peur.
Voilà la session du Corps législatif close sans qu’on lui ait demandé aucun pouvoir discrétion naire ni pour des levées d'hommes, ni pour des emprunts. Cela n'indique pas qu’on aie le projet de faire cette année beaucoup plus que ce qui est déjà fait. Certainement si la paix ne se fait par l'hiver prochain, cette affaire là sera la honte de la diplomatie, au moins de celle qui désire la paix.
Dans la confusion, où est la Grèce, je ne sais ce que sont devenus les anciennes classifications de parti ; mais si elles subsistent encore, le nouveau ministère au Roi Othon est anglais, Maurocordato et ses collègues ont toujours appartenu à cette couleur de mon temps, malgré notre entente cordiale à peu près partout, nous ne nous entendions point en Grèce, et les Anglais y compris, Lord Aberdeen, ne pardonnaient guère à Colettis sa couleur française. Je ne suppose pas qu’on les rende aujourd’hui la même susceptibilité.

18 heures et demie
Je vous ai quittée pour aller faire un tour de jardin. La pluie m'en chasse, une pluie froide par un vent de Nord ouest. Vous avez bien fait de retarder votre départ jusqu'au 7 ; on supporte mieux le vilain temps dans un ancien que dans un nouvel établissement.

Midi
Pas de lettre. Je ne comprends pas pourquoi. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie Dimanche 21 Sept 1851

Duchâtel m'écrit : " J'ai déjà causé, avec assez de monde et dans la Charente inférieure et dans la Gironde. Dans le premier de ces départements, on est Bona partiste, dans le second, j'ai trouvé plus de fusionnistes que je ne croyais. Mais dans tous les deux, la candidature Joinville peut produire plus d’ébranlement que je n’avais pensé. Nous ne pouvons, il est vrai, apprécier que les sentiments de la bourgeoisie qui seule parle politique ; mais dans une portion considérable de la bourgeoisie, la première impression est favorable à la candidature du Prince. La réflexion amène une réaction et en montre les inconvénients ; jusque là, l'expédient paraît commode et acceptable. Ce qui est certain c’est que la candidature du Président ne pourrait pas résister à des lois pénales rendues par l'assemblée ; il n’y a pas sur ce point, deux avis ; le dévouement ne va pas jusqu'à vouloir se compromettre avec la police correctionnelle. "
" On m’a beaucoup parlé et ici, et en Saintonge, de candidature pour les prochaines élections. J'ai ajourné toute réponse définitive ; le parti à prendre dépendra des circonstances. Il se formera dans la Gironde un comité fusionniste qui servira de négociateur autre les conservateurs et les légitimistes. Chacun veut réussir et chacun sent que le succès dépend de l’union. Ce sera ici le levier des élections. La position électorale de M. Molé est très compromise dans la Gironde, pour ne pas dire perdue. Cela ne tient pas à la politique, mais au peu de soin qu'on lui reproche d'avoir pris de ses commettants. Les gens de ce pays sont pleins d'amour propre ; ils ont adopté M. Molé sous la Constituante ; ils auraient voulu au moins une visite en retour. " C'est là tout.
La lettre d’Ellice m’a attristé et point surpris. Si l'Angleterre reste entre les mains de ses amis, ils la placeront décidément sur la pente qui mène où nous sommes. Un ancien radical, qui ne l’est plus du tout, M. Austin me disait il y a trois semaines, à Weybridge : " S'il nous arrive une Chambre des Communes radicale, elle bouleversera de grand sang froid, mais de fond en comble, la société anglaise. " Et Lord John, si on le laisse faire, amènera une Chambre des communes radicale. Qui empêchera Lord John ? Je ne vois pas. Si je n’avais pas confiance dans le vieux bon sens, la vieille discipline et la vieille vertu de toute l'Angleterre, je serais très inquiet. Je le suis, malgré, ma confiance.
Quant à nos affaires à nous, Ellice répète Thiers, purement et simplement. Il est plus Thiers qu’Anglais, et il abandonne le Président. Thiers est un révolutionnaire encore en verve qui amuse un révolutionnaire blasé. Au fond de ces deux esprits-là, il y a toujours une grande aversion de toutes les supériorités et de tous les freins. Dès qu’il s’agit de rétablir vraiment l’ordre, ils rentrent dans le camp de la révolution et ils fomentent toutes les passions révolutionnaires, à tout risque. Leur situation est mauvaise car ils ne peuvent pas, quand ils ont fait une révolution rester longtemps les maîtres du gouvernement qu'elle a fait ; et ils sont obligés de recommencer. Mais notre situation à nous n'en est pas meilleure.
Je ne suis pas en disposition gaie. Je ne crains pourtant pas de grands bruits pour cet hiver. Je vous renverrai demain la lettre d'Ellice. Je suis bien aise que Marion vous revienne. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 20 juillet 1851 Dimanche.

Voici une lettre du duc de Noailles fort content jusqu’ici. Moi je ne le suis pas de ma santé. Mon estomac est en déroute, je ne sais qu'y faire, vos pilules ne sont pas the thing. Le Prince George de Prusse nous quitte demain. Nous le regretterons un peu, il venait tous les jours. Il est parfaitement Prince, bon enfant & il a de l’esprit. D’Haubersaert part après demain.
Ces messieurs me prennent mes journaux. Je n’ai pas encore lu, de suite Berryer, mais ce que j’en ai entrevu me ravit, m'enchante. Beau talent. Il nous revient de Paris que le prince de Joinville aurait écrit une lettre moqueuse sur Berryer, ce qui a été cause que celui-ci n’a parlé ni de la fusion, ni des Princes. Si votre prince a fait cela vraiment, cela ressemble bien plus à un laquais qu'à un Prince. Vous m'en direz quelque chose. Je vois que la discussion s’anime fort. J’ai parié ici que le duc de Broglie ne parlerait pas. Adieu, J’ai eu une excellente lettre du petit cousin, que je
vous enverrai. Adieu. Adieu. Pas un mot de nouvelles à vous dire de ce côté-ci. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 31 juillet 1851, jeudi

J'écrirai à Ellice aujourd’hui même au sujet de M. de Lavergne. Je crois me souvenir qu'il sera le 15 août en Ecosse je le verrai probablement mieux à Schlangenbad ou à Francfort. Le duc de Noailles me mande qu'il quitte Francfort le 2 août. Il sera à Paris le 15. Il se plaint extrêmement de ce que personne ne lui a écrit. Jugez que le 23 on ne savait pas encore à Frohsdorf un mot direct de la visite à Claremont. L’empereur d'Autriche a reçu le duc de [Noailles] seul sans témoins. Une demie-heure de conversation, dont il est sorti très content. Il est charmé du prince Monarque. Moi je ne suis pas charmée de l’effet d’Ems cette année. Il est possible que l'absence de mon cuisinier en soit cause. Maudite avarice et ennui de lettres contre quelques embarras. Et Schlangenbad est bien pire encore. Auguste est meilleur lecteur que cuisinier.
J’ai vu hier une lettre (ou pour être plus exacte on me l’a racontée) d'un aide de camps du Président qui dit qu'on est charmé à l’Elysée du chiffre de la majorité, & qu'on est sûr de l’emporter à la prochaine discussion de la révision. c-a-d que la majorité sera tellement plus forte encore qu’il faudra que l’Assemblée passe outre, secondée qu’elle va être par de nouvelles pétitions. Nous n’avons pas joué hier au soir. La conversation vous a entraînés. Ces dames Beroldingen, Boutineff, Richelieu. J'avais vu longtemps Beroldingen dans l'après-midi. Il m’a raconté l’Allemagne pleine sécurité. Les deux grandes puissances s'entendent parfaitement. L’esprit public a repris son équilibre. Les professeurs, ou ce qu’on appelle. le parti gotha essaye toujours de remuer, ils intriguent mais cela reste stérile. Les masses ont fait leur expérience. Elle restent tranquilles, les troupes partout sont excellentes. Avec cela on est sûr de son affaire. Et si la France redevient février ? Cela ne fera rien en Allemagne. Voilà ce que dit Beroldingen. J’ai trouvé sa conversation bonne. Il a beaucoup de sens, & connaît bien l’état des affaires. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 21 Juillet 1851 Lundi

Voilà donc le vote ! Il me paraît d’après une analyse très succincte dans l’Indépendance que [Odilon] Barrot a fort bien parlé. Je n’ai pas encore vu Duchâtel ce matin je verrai ce qu'il dit. Le Prince George est venu nous dire adieu hier soir. Nous le regrettons tous. Il va à Trouville il y passera tout le mois d’août. Il espère vous y rencontrer. Je suppose que vous y irez comme de coutume au moins un moment. Ne manquez pas d'aller le chercher & soyez aimable pour lui. Il est très embarrassé, mais il est intelligent et fort désireux d’apprendre. Duchatel est vraiment très agréable. Toujours en train. Il fait un petit doigt de cour à la duchesse d'Istrie et cela va très bien.
Le duc de Richelieu hait à mort M. d’Haubersaert, il se tient donc à l'écart, mais comme celui-ci part il nous reviendra. Il ne vaut pas le partant. L'air est charmant aujourd'hui presque chaud ; enfin ! On m'écrit de Londres (Lady Allen) que Narvaez avait demandé à être présenté à la Reine en audience, elle a refusé, & on lui a proposé de rencontrer la reine à l’exposition ce qu'il a à son tour refusé indignantly, à la suite de quoi il a été prié au concert à la cour où il s’est montré triomphant. Voilà tout ce que je sais.
Le parlement va être prorogé. Je crois qu'il est très possible que nous voyons Ellice arriver ici demain ou après-demain. Mes Russes viennent peu chez moi. Ils ont une quantité de femmes et d'enfants. Adieu. Je dîne aujourd’hui avec toute ma société dans une maison je ne sais quelle. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems Mardi le 22 juillet 1851

Le dîner a fort bien réussi hier. D'abord très bon, ce qui est une merveille à Ems, & puis très gai, ce qui n’est pas étonnant, car nous sommes fort aimables tous. Une fois pour toutes on finit toujours la soirée chez moi et à 9 heures on va se coucher d’Haubersaert est parti ce matin. Me voilà inquiète de l'éclipse de Lundi prochain. Je n’aime pas les phénomènes. Remarquez l’effet qu’elle va faire sur les animaux, tous, je suis comme eux.
Nous trouvons ici la majorité pour la révision, très forte. Nous attendons les noms avec quelque curiosité. Le journal est arrivé. Je vois que Thiers & son monde ont voté contre. Ellice arrive demain. J’en suis ravie. J'ai l’esprit un peu troublé. J'ai égaré ou perdu un reçu de compte pour les titres d'un gros capital déposé chez lui. Comme ces titres sont au porteur, c’est important. J’ai les coupons jusqu'en 1858, mais après ? ? Cela me tracasse beaucoup. Je viens de lui écrire. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 23 Juillet 1851

J’ai été vraiment malade hier. J'ai laissé mon monde dans le salon & j’ai été me coucher ma nuit a été bonne & me revoilà sur jambes ce matin. Le temps est charmant. Les lettres de Paris disent que le rôle de Changarnier a révolté la chambre, se mettre avec Thiers & la Montagne contre ce qui est le voeu du pays & de la majorité ! Quelle conduite. Broglie en grande admiration du discours de Berryer et converti par son raisonnement. Les aînés valent mieux que les cadets. Vous dit-on cela aussi ?
Ellice va arriver. Marion part Samedi avec Duchatel. Les Metternich l'envoient chercher à Bingen. Ils l’attendent avec impatience. J'ai ici un neveu qui est bête et sa femme qu’on dit un peu jolie. Je verrai cela. demain. Je réponds au petit cousin. Je vous envoie la partie de sa lettre qui me plait tant. Je suis sure qu’elle vous plaira aussi. Vous me la renverrez. Adieu. Il fait très chaud aujourd’hui cela me convient. Adieu

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems Samedi le 12 Juillet 1851

Je suis étonnée que vous ne me disiez pas un mot des visiteurs à Claremont. Nous n'en savons des nouvelles que par l’Indépendance Belge qui raconte le fait et le bon accueil ! Je n’ai pas lu le rapport de M. de Tocqueville. C’est trop long. Je me contente de ce que vous m’en dites. Vous faites comme a fait dit-on l’Assemblée. Ni contente, ni fâchée seulement elle ne manifeste pas comme vous sa surprise de l'omission des questions capitales. Nous allons être curieux ici de la discussion. C’est insoutenable d’être si loin des nouvelles. Les postes sont sauvages. A moins d’aller lire au Cabinet de lecture il faut attendre 24 heures.
Duchâtel hier toute la soirée, patience, piquet, bavardage. Cela va très bien. Vous ai-je dit que le comte Beroldingen est ici ? Ancien collègue de Wurtemberg à Londres l’année 1814. Depuis & pendant 25 ans premier ministre dans son pays. Aujourd’hui en retraite, riche, bien portant & bon homme. Voilà de la pluie encore. C’est abominable. Adieu. Adieu. Vitel & [Malat] écrivent de mercredi à Duchâtel que vous me mandez tous les détails des voyageurs. Et votre lettre, de mercredi aussi, n’en parle seulement pas. Duchâtel est furieux. Quelle [?]. Voilà ce que c'est de se fier les uns sur les autres !
Adieu !

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 19 juillet 1851 Samedi.

Je n'ai encore lu le discours de Berryer qu’en extrait dans l'Indépendance Belge, je le trouve bien beau d’un grand effet. J’attendrai cependant pour le juger que je l'aie lu dans les Débats. Ce ne sera que demain. Misérables postes.
Ma société a passé la journée à Stolzenfels hier ils sont revenus pour ma soirée. Marion ravie. Duchâtel part Samedi le 26. Je crois que je la lui confierai pour la mener à [B?] où les Metternich l'enverraient chercher. Elle y passerait huit ou dix jours et viendrait me rejoindre à Schlangenbad. J’ai quelques lettres d'Angleterre. La [duchesse] de Sutherland, entre autres, mais sans le moindre intérêt. Ici je vois assez de monde mais vraiment je ne sais rien, tout le monde regarde Paris. Baromètre universel. Quoique je vois sans cesse Duchâtel nous n'avons plus rien de nouveau à nous dire. Il est content d’Ems. Il fait son piquet avec d’Haubersaert. Je lui fournis les journaux. Je suis pleine d’attention pour lui. j'ai fait un peu de promenade ce matin avec Mad. de Hulot, elle est très lady like. Et elle a l’esprit de cette trempe aussi. Elle est très bien choisie pour élever une princesse. Adieu, le temps se relève. Il fait presque beau aujourd’hui. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems, Vendredi 11 Juillet 1851

Etais-je donc si stérile et si bête l’année dernière ? Je n’ai pas un pauvre mot à vous dire. Personne et rien à Ems. Hier Duchâtel & Duchâtel. Quel bonheur qu'il soit ici ! Il dit cela peut être de moi, quoiqu'il ait des consolations. 30 & 40 & & &
Aujourd’hui 8 degrés, pluie battante & beaucoup de vent. Jugez tout ce que cela ajoute ! Pourquoi avez-vous refusé les Hatzfeld ? Je crains aussi que vous n’ayez oublié, Delmas. Ce serait un mauvais procédé pour moi. Molé a tenu parole, il y a été !
Kolb me demande un congé de huit jours pour aller voir ses parents à Augsbourg. Il prétend que Duchâtel tient très bien sa place. Le duc de Richelieu n'est pas venu encore.
Selon ce que vous m’en dites le rapport de M. de Tocqueville a l'air bien. Je serai curieuse de la discussion. Vraiment qu’est-ce qui arrivera en 52 ? Je crois toujours au Président, et cependant il m’arrive de temps en temps de douter, et plus souvent encore de trembler. Je voudrais bien prier tout le monde de laisser les choses comme elles sont. Pour mon goût elles sont très bien.

1 heure. Je viens de lire les journaux au Cabinet de lecture. Je vois que le travail de Tocqueville a été lu à l’Assemblée, que c’est une pièce importante, nous verrons. Je vois aussi que les voyageurs ont été reçus à Claremont. Vous me direz cela. Comme il fait très laid j'ai été au salon, Duchâtel était établi à la table de jeu. Absorbé. Et ne nous a pas vu. Dit-on vu-ou vues, ou vus. Voilà où je pêche toujours.

3 heures. Duchâtel est venu. il a fait des patiences, tiré les cartes, il nous a montré la rouge. & noire. Voilà les occupations d'Ems. Nous recommençons ce soir. Adieu. Adieu et encore de vos bonnes lettres. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 18 juillet 1851 Vendredi

Grand émoi hier. Marion avait reçu un jeune Monsieur envoyé par le Prince Metternich pour l’escorter au Johannisberg. Il apportait une lettre de la fille du Prince. Sotte petite lettre. Le jeune homme veut qu’elle parte de suite la faire coucher à Coblence. Marion dit oui à tout, seulement elle attend que je rentre. J’étais chez les Belges. J’ai trouvé tout cela bien leste. Pas un mot du reste des parents, pas un mot à moi. Un inconnu, des cheveux blonds, très jeune. Cela ne va pas. J’ai refusé. J'ai fait comprendre à Marion qu’il fallait la traiter avec plus d'égards, et puis je ne sais pas quand on me la rendrait. Je trouverai moyen de lui faire faire une visite au Johannisberg quand je serai à Schlangenbad, cela n'est pas loin.
Aujourd’hui j’envoie Marion à Stolzenfels avec la duchesse d'Istrie, Duchâtel & d’Haubersaert. Tout cela était hier ici et le duc de Richelieu, [Bouteneff] et Beroldingen. Je garde un grave quelconque pour le piquet les autres jouent à ce qu’ils veulent, à 9 1/4 je les renvoie tous. Le prince George n’a pas où monter chez moi hier il avait un frac coupé en rond, il a eu peur de moi. C’est trop.
L'indépendance me donne bien vite les nouvelles de la Chambre. Je vois que Berryer a fait un superbe discours. Jusqu’ici tout cela va si tranquillement que je nous trouve très sots d’y avoir attaché. quelque importance. Je fais ici quelques connaissances. Des Prussiens & Prussiennes appartenant à la cour. Le roi sera probablement à Stolzenfels le 15 août. La Princesse de Prusse revient à Coblence dans huit jours.
Adieu votre solitude & mon éloignement ne nous donnent pas beaucoup de sujets à traiter. Vous me direz cependant votre opinion des discours & de l'ensemble de la discussion. J’ai écrit hier au duc de Noailles. Charles Greville me dit que le rising [?] est Lord Granville. Grande popularité & talent à la Chambre des Pairs. Le ministère est très solide. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 25 Juillet 1851

Une lettre de Constantin confirme la nouvelle d’hier sur le nouvel oukaze. Imaginez que c’est cette nièce rouge qui en est cause ! On a trouvé des correspondances entre elle & des professeurs de Dorpat. Je ne sais ce que va faire mon fils Paul, je crois qu'il faut qu'il aille en Russie. Comme il va être furieux.
Je vois que le vote de Lundi n’incommodera pas le ministère. J'en suis bien aise. C'est de la chicane. Comme cette assemblée se conduit sottement. Claremont me paraît plus sot encore. Ce qui m'en revient ici par Duchâtel me fait penser que le Président a là d’excellents auxiliaires. Duchatel & Marion partent demain. Ellice reste jusqu’à Lundi. Je ne sais rien encore sur les mouvements de ma grande duchesse. Je reste à mes premiers projets d’être à Schlangenbad le 2 août. Mais jusqu’à nouvel avis adressez toujours à Ems. C’est plus sûr.
La brochure de Gladstone est détestable. Il peut avoir de l’esprit ce n’est pas un homme politique, ni un futur ministre. Irait-il faire la guerre au roi de Naples, si demain il entrait aux affaires ? Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°6 Paris, Dimanche, 6 Juin 1852

Beaucoup de monde hier aux obsèques du marquis de Mornay, des légitimistes, des Orléanistes, des tiers parti des républicains, le Duc de Castres, le Duc de Montmorency, tous les La Rochefoucaud, le maréchal Vaillant, le maréchal Reille, Montebello, Duchâtel & &, au moment où le service allait recommencer, quatre soeurs de la Charité ont traversé l'Église, l’une d'elles était Mlle de Mornay ; elle est allée rejoindre sa mère dans une petite tribune d'en haut ; ses trois compagnes se sont placées près du chœur.
Un de mes voisins s'est penché vers moi, et m’a dit " Elle a pris cet habit comme un jeune homme, par un coup de tête, s’engage dans un régiment. " Tout le monde dit que c’est une personne de beaucoup d’esprit et de distinction. Elle n’est pas folle ; mais elle porte très bien, simplement et dignement, la robe de sœur grise. Sa mère, la fille du Maréchal Soult qui n’a pas, je crois, beaucoup d’esprit est une femme de beaucoup de sens et de courage, passionnée et forte, sentant vivement et supportant tranquillement ses chagrins. Son mari, vivant et mourant, lui en a donné beaucoup. Et par dessus les chagrins, des affaires assez dérangées. Elle les arrangera avec sa part dans la fortune de son père. Le Maréchal laisse environ cinq millions, y compris la galerie qui vient d'être vendue. Le majorat attribué à son fils absorbe à peu près un million. Restent quatre millions à partager. Ce n’est pas énorme.
Mon petit discours a réussi. Il y a trois ou quatre paroles que j’ai été bien aise d'avoir cette occasion de dire.
Personne ne disait là rien de nouveau. On parlait de l'article du Constitutionnel sur la Belgique. Vraiment officiel. Vous avez très bien parlé à Van Praet. Il s'est établi en Europe. quant au droit d'asile politique, des idées, très fausses, pleines de péril et qui finiront par coûter cher aux réfugiés eux-mêmes. Cela date de l'émigration Française, à laquelle les gouvernements Européens portaient un intérêt très naturel et auquel ils se sont abandonnés, sans penser aux conséquences. Tous les autres réfugiés ont profité de ce précédent. Il faudra bien que le bon sens rentre là comme ailleurs. On ne sauvera le droit d'asile politique, qu’il faut sauver, qu’en l'obligeant à ne plus être un droit de guerre, avec inviolabilité.
Il paraît décidé que le Président ira en Afrique. Ses entours le disent. J'en discute toujours. Il faudrait qu’il laissât un régent, serait-ce le roi Jérôme ? J'efface une redite.
On ne croit pas que la session du Corps législatif soit prolongée. Chasseloup fera, dit-on. Vendredi prochain le rapport du budget des dépenses. Ce rapport fera du bruit, le bruit qui se peut faire aujourd’hui. Pas beaucoup mais encore trop. C'est le principal défaut de la situation du gouvernement actuel que le moindre bruit est trop gros pour lui. Il l'a pris trop haut, en fait de silence. Je suis convaincu qu’il pourrait faire beaucoup plus de pouvoir qu’il n'en fait, de pouvoir vraiment réparateur et efficace, en permettant un peu plus d'opposition. La mesure, la mesure, c’est le grand secret de l'art de gouverner. On annonce pour samedi prochain, ou pour le lundi suivant, la délibération du Conseil d'Etat sur l'affaire des biens d'Orléans. Toujours même incertitude.
Adieu, Princesse. Je vous ai vidé mon sac.
Je vais dîner aujourd’hui à la campagne, un dîner d'académie des sciences. Je crois que je partirai samedi 12 pour le Val Richer. Je voudrais bien avoir de vos nouvelles ce matin. Je ne l’espère pas beaucoup. Adieu, adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°7 Paris. Lundi 1 Juin 1852
9 heures

Merci de votre lettre de Cologne, et Coblentz qui m’arriva à l'instant. Vous êtes parfaitement aimable de m'avoir écrit ces petits bâtons rompus. J’attendrais plus patiemment des nouvelles de Schlangenbad que je n'espère pas avant après-demain. J’ai frémi de l'aventure de votre malle. Puis, j’ai ri quand vous l'avez retrouvée. Non pas de votre trouble, mais de celui de vos compagnons.
Assez de visites hier avant de partir pour mon dîner de campagne. Paul Daru, Lagrené, St Aignan, le général Trézel &. Les détails qu’on vous a donnés à Bruxelles sur Claremont sont vrais et paraissent décisifs. Le Duc de Montpensier restera là jusqu'au 26 août, et retournera dans les premiers jours de septembre, en repassant par l'Allemagne.
Il est un peu bruit, ici d’une circulaire récente de M. de Persigny, écrite aux Préfets à propos des élections de Maires, Conseils généraux, conseils municipaux et leur enjoignant de s’appuyer fermement sur le peuple source et base du gouvernement actuel. L’idée que M. de Persigny m’a développée, le jour où je l’ai vu chez vous, devient un fait officiel et pratique. Et vraiment il est difficile qu’il en soit autrement. Il faut bien poser sur quelque chose. Je ne crois pas qu’il soit tout-à-fait impossible de poser sur autre chose ; mais il y faudrait moins de passion, et plus de patience qu’on n'est en droit d'en attendre des hommes. Du reste, je ne me préoccupe pas beaucoup de ces velléités de Gouvernement systématique ; de nos jours, les idées, et les paroles ont l’air tranchant et exclusif ; les conduites ne le sont pas ; en fait, il y aura de la modération et de la prudence, et la situation ne se développera que lentement.
Le docteur Véron de ce matin vous amusera. Hier, en vous écrivant, je n'avais pas vu le communiqué du Moniteur. Je l’ai peu compris. Que le président se serve de M. Granier de Cassagnac pour lancer dans le monde telle ou telle insinuation, rien de plus simple ; mais qu’il se croie ensuite obligé de l'avoir ou de le désavouer quand ses paroles font un peu de bruit cela m'étonne. Le bruit sans réponse est la condition, et souvent le moyen des gouvernements.
Je reviens à mon idée ; il y a, autour du pouvoir actuel, trop ou trop peu de silence, trop ou trop peu d'opposition. Si on ne parlait pas du tout, il n'aurait pas à répondre, et si on parlait un peu plus, il ne se croirait pas obligé de répondre. Le juste milieu n’est pas encore trouvé.
On croit que la discussion du budget dans le corps législatif sera très peu de chose. On veut en finir le 29 Juin sans prolongation de la session. Les députés sont au moins aussi pressés de retourner chez eux que le gouvernement de les y renvoyer. Tout ce qu’il y aura de malice, s’il y en a sera dans le Rapport. Mais certainement pour la plupart ce seront des mécontents qui retourneront chez eux.
Adieu, princesse. Soignez vous. Je suis un peu préoccupé, pour vous, des fatigues de promenade, et de conversation. Paris se vide. tout-à-fait. Duchatel et Montebello y seront bientôt tout seuls. Je pars toujours samedi. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°27 Val Richer Mardi 29 Juin 1852

Nous allons être encore bien plus sans nouvelles ; le corps législatif finit aujourd’hui. Il ne venait rien de là, mais on en attendait toujours quelque chose. Les feuilles d'havas disent que M. de Montalembert peut bien faire imprimer et distribuer, à ses frais, son discours, mais qu’il ne peut pas le faire vendre chez des libraires, car alors ce ne serait plus à ses frais. J’ai vu que votre pauvre favori Mérode avait perdu un enfant.
N'ayant point de nouvelles à recevoir ni à donner, je travaille ; je vis, avec Cromwell, et les républicains anglais, d’il y a deux siècles. Je les aime mieux que ceux d'aujourd’hui, quoique je ne les aime pas du tout. Si je ne suis pas dérangé, comme je l’espère, j'achèverai bien des choses cet été.
Je suis très aise de la douce impression que vous rapporterez de Schlangenbad sur votre impératrice ; mais je suis fâché de celle que je vois percer en vous sur ces deux pauvres petites Ellice. Vous n'êtes pas juste. Vous avez de l’amitié pour elles, mais ce n’est pas par amitié pour elles que vous les désirez près de vous ; c’est pour vous-même. Elles ont de l'amitié pour vous et elles se trouvent très bien près de vous ; mais leur soeur est plus malade que vous, et bien plus isolée que vous sans elles. Elles ont toujours vécu toutes les trois ensemble, et si elles doivent rester de vieilles filles ce sera en vivant ensemble qu'elles supporteront le mieux leur solitude, et leur vieillesse. Elles pensent probablement à tout cela, et elles sont perplexes. Comme agrément et amusement, elles sont infiniment mieux chez vous que chez elles. Pourquoi donc sont-elles perplexes ? Uniquement par sentiment des devoirs et des affections de famille, et par prévoyance de leur propre avenir. J’espère que l’une d'elles viendra vous retrouver ; vous en avez besoin, comme vous dites, et vous ne trouverez jamais aussi bien qu'elles ; mais soyez juste pour elles, et ne gâtez pas d'avance, par des amertumes de coeur que vous ne cacherez pas longtemps la douceur et le plaisir que vous trouvez dans leur société.
J’ai des nouvelles de Duchâtel, de Vitet, de Mallac, d'Arnaud Bertin, de Molé. Ils n'en savent pas plus que vous et moi. Molé est occupé de la querelle des Évêques, et de l’abbé Gaume sur les livres classiques Païens ou Chrétiens. Je viens de lui écrire quelques lignes de condoléance sur la mort de sa soeur. Je ne crois pas que ce soit pour lui un vif chagrin.
Je n'ai pas entendu parler du duc de Noailles, il est à Maintenon mettant en ordre les lettres de Mad. de Maintenon et cherchant à grand peine les dates qu’elle n’y a pas mises, car vous n'étiez pas là pour la corriger de ce défaut.
Albert de Broglie est revenu d’Angleterre, ramenant sa soeur, son père, qui était allé passer quelques jours en Alsace pour les affaires, est de retour à Broglie. Ils y vivent très paisiblement et très solitairement.
Il n’y a pas encore beaucoup de monde à Trouville ; mais on en attend beaucoup du beau monde ; toutes les maisons sont louées Mad. de Boigne et le chancelier y sont établis. Voilà les nouvelles de ma province, à défaut de Paris.

11 heures
Voilà votre N°21. Grâce à Dieu l'ordre est bien rétabli. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°29 Val Richer, Jeudi 1er Juillet 1852

Mon petit homme m’a dit que vous auriez certainement Aggy . Comment ne me l’avez vous pas dit hier ? Je voudrais bien être sûr qu’il dit vrai.
On a été frappé de la majorité qui s’est prononcé, dans le corps législatif, pour l'impression du discours de Montalembert. Tout le monde dit que la session qui vient de finir ne peut pas se recommencer et que la prochaine sera différente. C’est téméraire de le dire car personne ne sait où l'on en sera à l'époque de la session prochaine, dans neuf mois ! Cependant je trouve que le message du Président, indique qu’il a lui-même le sentiment que sa machine n’a pas bien fonctionné et que la session prochaine devra en effet être différente. Il l'a dit presque ouvertement, et très convenablement, sans fanfaronnade, et sans complaisance ; il a l’instinct du ton du pouvoir. Nous verrons s’il a réellement l’instinct du pouvoir. Ce serait bien le moment.
L’Europe est évidemment dans l’une de ces époques critiques où l'habileté des gouvernants peut décider, pour un assez long temps, de l'avenir. L’esprit révolutionnaire a beau être encore très fort ; il est bien malade, car il est décrié ; il a été naguères le maître, et il n’a rien su faire, rien de bon, ce qui est fort simple mais rien non plus de hardi et de grand, même mauvais ce qui lui arrive quelquefois. Evidemment la balle revient à l’esprit de gouvernement ; saura-t-il la saisir et la manier ? Démêlera-t-il bien ce qui se peut et ce qui ne se peut pas, ce qui suffit et ce qui ne suffit pas ? C'est là l'art et le secret.
J’ai des nouvelles d'Aberdeen décidément la question religieuse dominera dans les Élections anglaises. Popery or not Popery ! Voilà le résultat de ce qu’a fait la cour de Rome en Angleterre et du coup de tête du cardinal Wiseman. Je suis et je reste protestant ; mais je ne veux point de mal à l’Eglise catholique, tout au contraire. Je suis convaincu qu’elle peut seule reprendre l'influence religieuse et relever moralement la société dans les pays qui sont restés catholiques, et qui ne se feront certainement pas protestants. Mais je crains un peu que l’Eglise catholique, n'ait perdu les qualités qui l’ont jadis distinguée et qui ont tant fait pour la force, la connaissance, des temps et la mesure. Je trouve qu’elle n’a pas l’air de comprendre du tout ce temps ci. Elle se remue beaucoup partout ; elle tracasse ici les gouvernements, là les peuples, mais ce sont de vieilles tracasseries, toujours les mêmes, et qui indiquent, dans les chefs catholiques, une grande ignorance, non seulement du temps actuel et de l’esprit des nations, mais du temps passé et de leur propre histoire. Ils se souviennent de ce qu’ils ont été ; ils ne savent plus par quelles voies ni à quel prix ils étaient devenus ce qu’ils ont été. Je serais bien fâché que l’Eglise catholique fût déchue à ce point ; le monde à besoin d'elle car elle y tient encore une place qu'aucune autre église Chrétienne ne peut prendre. Et il faut que le monde reste, ou devienne, ou redevienne chrétien.
Soyez sûre que si ces affaires là ne vous intéressent pas, vous avez tort ; ce seront certainement de grandes, et peut être les plus grandes affaires des temps qui s'approchent.

10 heures et demie
Je reçois le N°23, et les extraits qu’il contient et qui sont intéressants. Adieu, adieu. Je ne sais où vous recevrez ceci. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°30 Val Richer, 3 Juillet 1852

Mon gendre arrive de Paris. Il n’y a pas la moindre nouvelle. Tout le monde se promène et s'ennuie. Plusieurs mois vont se passer dans cet état. On a été un moment très troublé de l'ombre d'opposition du Corps législatif. Il a été question de le dissoudre. Le décret, dit-on a été signé. On est rassuré. La manie de l'opposition était jadis de supprimer le pouvoir ; la manie du pouvoir est de supprimer l'opposition ; ni l’un ni l'autre ne réussira.
Vous avez passé hier la journée à Stolzenfels. J'espère que vous avez eu le magnifique temps que nous avions ici. Un beau soleil est encore plus beau sur la vallée du Rhin que sur mon vallon. Je suis d’un bon caractère ; j’aime les grandes choses et je jouis des petites.
Je crois que le comte de Chambord persiste à interdire le serment, et il ne peut faire autrement. Ce sont des questions sur lesquelles on peut se taire ; mais quand on parle, il faut bien parler d’une certaine façon, et quant on a parlé d’une certaine façon, il faut bien s'y tenir. Voilà les querelles de Protestants et de Catholiques qui commencent en Angleterre. Ils se sont battus à Stockport. Il se battront peu. Le vent n’est pas à la guerre, à aucune guerre, étrangère ou civile. Ils se querelleront, se dénigreront, se verront.
Est-il vrai qu’on est très préoccupé en Prusse aussi de l’attitude agressive du catholicisme, et qu’on se disposa à ne pas se laisser faire ? Cela paraît dans les journaux, et il me revient que le Roi de Prusse, ses conseillers, ses anciens sujets, toute l'Allemagne protestante, princes et peuples, sont extrêmement sur le qui vive. Ceci influera beaucoup sur la politique.
Je me suis abonné pour trois mois au Moniteur. J’ai voulu voir la métamorphose annoncée. Il n’y paraît pas encore, et on dit qu’il n’y en aura point du tout. Moniteur et autres, tous les journaux sont insignifiants.
Si vous restez sur le Rhin, tout le mois de Juillet, il me semble qu'Aggy pourra aller vous y rejoindre ; c’est le 30 Juin qu’il lui était impossible d’y arriver, à ce que me disait Marion, je crois. Puisqu'elle devait venir vous joindre à Paris dans les premiers jours de Juillet, elle pourrait de là, aller vous chercher sur le Rhin. Du reste tout est difficile pour une personne encore trop jeune pour courir seules.

11 heures
Malgré votre N°25, je vous adresse encore ceci sur le Rhin. Vous me direz quand il faudra cesser. J'étais sûr que votre dîner en plein air ne vous réussirait pas. Je voudrais vous savoir revenue de Stolzenfels, autre plein air, Adieu, adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris dimanche le 19 octobre 1851

Je n’ai vu personne hier qui put me donner des renseignements nouveaux. Rothschild m’a fait dire que Billault avait refusé. Voilà tout ce que je sais.
Mad. [Marichkein] a trouvé le Président très triste et préoccupé. Il n’a pas dit un mot de la crise. Si j’avais été sa voisine à table j’aurais su m'y prendre. Mad. de la Redorte est revenu me voir hier. En grand blâme du Président, très convaincue que l'Assemblée ne votera pas le rappel du 31 mai. Son mari arrive demain, j’en suis bien aise.
Montebello n’est pas revenu de Tour où il a conduit sa femme. Le départ de Dumon le laisse tout-à-fait sec. J’ai oublié de vous dire hier que Génie est venu me voir. Il était intéressant. Je verrai peut être quelqu’un de la commission de permanence ce matin, mais trop tard pour vous en redire quelque chose. Je vous quitte. Je verrai Chomel. Je commence à m’inquiéter de moi. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 2 octobre

Je me suis trompé en écrivant ou vous en lisant. Je parlais de la lettre du Times dans le temps & vous avez lu Thiers. Je veux ajouter à ce que j'aurais pu vous dire hier ceci. Fould en me parlant de la proposition Creton & de ses chances me dit : moi-même si je ne servais pas ce gouverne ment ci, je me croirais obligé de voter pour la proposition. Et puis Thiers avait dit à Marion en parlant du Président : " Changarnier a eu tous les torts dans la rupture. " Dumon se dit malade. Le soir, il vient chez moi le matin. Il est vrai qu'il a mauvais visage. Il a rectifié le dire de Fould en ce sens. - Si l'Assemblée veut décider la révision à la majorité des voix, je la soutiendrai. - Cela change beaucoup le sens, & rend la phrase irréprochable. vous savez que je parle de messages présumés. Tous les jours les perplexités augmentent c.a.d. dans l’opinion des bavards irresponsables & ignorants.
J'ai vu hier la duchesse Decases. Elle croit que le Président perd. Il me semble qu’elle le désire, le corps diplomatique devient tous les jours plus ardent pour le succès du Président. L'article de Véron ce matin me paraît fort bon. J'avais hier soir Viel Castel, Stratford Canning est très embarrassé. Il avait donné au sujet du chemin de fer à la Porte des assurances que la conduite du Conseil anglais à Alexandrie a démenti. Ce sera un démêlé entre Palmerston & Canning. On refuse à Kossuth de traverser la France et on trouve fort mauvais qu'on lui ait permis de mettre pied à terre à Marseille Adieu voilà tout je crois. Adieu

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 16 octobre 1851

M. Fould est venu avant le dîner. Très gai mais très décidé. Il doute que le Président trouve des Ministres, mais ceux-ci ne peuvent durer que jusqu’à la rentrée de l'Assemblée, car aucun d'eux ne signerait le projet de loi pour révoquer le 31 Mai. Ils voteront tous contre ce projet. La situation est très violente & le Président très content & très obstiné dans sa pensée. Il n’en reviendra pas. Si l’Assemblée se conduit bien, elle peut reprendre une grande autorité & popularité. Cela est très vrai, si elle est bien conduite. Mais où est le chef ?
Les nouvelles des départements sont mauvaises. Les paysans armés contre les châteaux. Quel moment pour un changement complet de Ministère & de politique. On persiste à dire cependant que ce Président veut rester fidèle à la politique conservatrice & qu’il en donnera des gages. Cela a l’air d’un puzzle !
[Helkerm] était chez moi hier soir. Il avait eu lundi un tête-à-tête de 2 heures avec le Président. Il prétend lui avoir dit toute la vérité & très fortement, & avoir complètement échoué. Le Président s’est plaint avec une grande amertume de Thiers & [?].
Il est 2 heures, je n’ai pas de lettres de vous. Qu’est-ce que cela veut dire ? Voilà Aberdeen que je vous enverrai demain. Constantin après avoir lu ma lettre à l’Empereur [?] mon procès gagné. Puisse-t-il avoir raison ! Cette affaire m'a bien détraquée. Je me sens vraiment malade. Oliffe me traite.
Je vois beaucoup de monde cela me fatigue, l’opinion est bien unanime que le Président a fait une grande faute. On dit qu’il restera à St Cloud. Il a là beaucoup de troupes. Adieu, j’ai donné mes lettres à votre fille, je l'ai manquée. Marion l’a vue & lui a trouvé bonne mine. Adieu.
Je viens de voir Vitet. La commission après avoir entendu les ministres a résolu de ne point convoquer encore l’Assemblée. Cette commission se réunira dimanche. Faucher avait dit qu’ils n'étaient en dissidence avec le Président que sur la loi du 31 Mai. Mais que cela ne lui avait pas permis de rester.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris jeudi 23 octobre 1851

Fould hier soir. Billault est encore possible. Mais tout est difficile, comment trouver des nouveaux qui fassent le [?]. Deux visages révolutionnaires pour rendre le suffrage universel, réactionnaire pour des mesures extrêmement sévère que le Président va mettre au jour. Il est également résolu à l'une & l’autre chose. Très convaincu que l'Assemblée fera sa volonté & si elle ne la fait pas, ça lui est indifférent. Il la place dans une impasse. inextricable, où elle s’avilit, s'annule, entièrement, ou bien elle s’interdit toute chance de réélection. Le Président se venge bien des dégoûts qu'elle lui a fait subir ! Toujours en grandissime désapprobation de ce que le Président vient de faire. Mais persuadé que c'est encore lui qu’il faut soutenir qu’il n’y a que lui de capable de sauver la France. Le Président ou la guillotine. Voilà pour hier soir.
Tout à l'heure le duc de Noailles qui passe la journée en ville. On m’interrompt. La commission s’ajourne à Lundi sauf la nomination du ministère dans lequel cas on s’assemble le lendemain. On écrit à Claremont. pour rappeler qu'il faut envoyer complimenter à Frohsdorf sur la mort de la duchesse d’Angoulême. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Paris. Lundi 11 aout 1851
3 heures

Je reviens du grand concours où j’ai été reçu, en entrant dans la salle, plus bruyamment encore que l’an dernier. Et quand mon fils a été nommé, son nom a amené deux fois une nouvelle explosion. Il faut se féliciter de la mobilité de mon pays ; elle le perd et le sauve tour à tour. Ce qui ne veut pas dire que je le croie sauvé parce qu’il recommence à m’applaudir.
J’ai eu du monde constamment, quoiqu’il n’y ait personne ici. Je vous ai déjà dit ce matin, je crois, que j’avais été content hier de la conversation du Duc de Broglie, très content, et pour le fond des choses, et pour sa propre disposition. Il regarde l’union comme très bien établie entre les deux corps d’armée conservateur et légitimiste, et il les croit décidés l’un et l'autre à faire ce qu’il faudra pour la maintenir. Il loue beaucoup Berryer, talent et conduite. Il s'attend, au mois de Novembre, à une majorité, encore insuffisante, pour la révision, mais plus forte. Les conseils généraux et les consuls d’arrondissement seront presque unanimes. Le pétitionnement recommence. On ne veut que des signatures nouvelles. Que résultera-t-il de tout cela au Printemps ? On n'en sait rien. On ne s'inquiète pas de le savoir. On ne s’inquiète que de l'élection de l'Assemblée, très probablement au mois de mars. On l'espère bonne, au moins aussi bonne que celle-ci, et plus décidée. Si on y réussit, on verra après. On aura fait ce qui fera ce qui sera possible.
Le Président se conduit tranquillement, sans autre dessein ni travail que sa réélection. C’est toujours le plus probable. Jusqu'ici le mouvement n’est pas vif pour le Prince de Joinville et lui ne dit ni oui, ni non. L’Elysée parait plutôt content qu'inquiet de cet incident.
Lord Aberdeen m'écrit qu’il part pour l’Ecosse où il me presse fort d'aller. Je n'irai point. Il me dit : " We expect a new reform bill at tre opening, of the next session of Parliament. If Lord Derby at that time should be prepared to abandon his present policy of protection and dear bread, he may very probably be able to oppose Parliamentany Reforme with success. But if not Lord John may carry universal suffrage, if he should think proper. Whatever exertion or sacrifice may be necessary to secure free trade will be cheerfully made."
Nous verrons si l’aristocratie anglaise aura son vieux bon sens. Je trouve que dans ces derniers temps, son bon sens et son énergie ont également faibli. Elle a été plus entêtée que hardie.

Mardi 12
M. Molé est venu hier pendant que je vous écrivais. Il arrivait du Marais. Je le reverrai aujourd’hui avant de partir. Nous aurons notre petite réunion pour les affaires de l'Assemblée nationale. Duchâtel est arrivé aussi hier soir. Kisseleff est venu me voir après Molé. Vous manquez beaucoup à ce monde. Kisseleff dit qu’il use ses redingotes n'ayant plus une occasion de mettre un habit. Molé part samedi pour Champlâtreux, jusqu'au mois de Novembre. Il se promet que vous irez l’y voir.
Changarnier est parti tout de suite pour la Bourgogne ; triste, et commençant à s'apercevoir qu’il n’a pas bien conduit sa barque. Pas la moindre nouvelle d'ailleurs.
Autre visite hier, qui m’a intéressé et plus. Le comte de Thomar que Païva m’a amené. Encore jeune, physionomie spirituelle ; mélange de gravité espagnole et de vivacité italienne. Bien méridional. La langage plus impartial et plus calme sur ses ennemis qu’il n’appartient aux méridionaux. Il est ici pour quelques semaines. Et en automne, il compte aller reprendre sa place dans la Chambre des Pairs de Lisbonne. Rien ne l'en empêche. Adieu.
Je repars ce soir à 6 heures emmenant tout ce que j’avais laissé ici des miens. Je voudrais bien que vous me dissiez ce matin que votre tête va mieux. Adieu, Adieu.
G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris lundi le 27 octobre 1851
Midi

Voilà le ministère. Vous saurez mieux que moi en décider la couleur. Je n’ai vu personne encore, rien que le Moniteur. A tout hasard je vous envoie les noms, car je ne sais pas si vous recevez les journaux du soir. Chasseloup était ici hier, ne sachant rien. La Redorte très curieux à entendre. Très mécontent. Le pays d'où il vient, ardent comme lui-même l’était, pas le Président ; aujourd’hui en blâme comme lui et très vivement. Faute énorme dont le Président [?] ne pourra pas se relever. L'Assemblée qui était très bas, est redevenue très respectée. Sa conduite tranquille a beaucoup plu. L'espoir et le conseil de La Redorte sont qu’elle continue comme cela mais qu’elle tienne bon et ferme. Jamais accorder l'abrogation. Selon ce qu'il avait recueilli dans 24 heures, grande consternation à l’Elysée du jugement si unanime de toutes les classes élevées. Heckern me disait hier que Morny & Persigny se disputent l'influence. Morny pour qu'on recule. Persigny pour qu'on avance. Je suppose que le ministère est dans l’opinion Morny.
J’ai rencontré hier le Président il avait l’air fort triste. Les diplomates curieux, inquiets de l’inquiétude de leurs gouvernements. Mad. de la Redorte a pris le deuil de la Dauphine. Mad. Roger aussi chez moi hier soir. Celle-ci blame & noir. L’autre tout noir. Les dames russes sont venues chez moi hier en deuil. Je les en ai louées. Est-ce loué ? ou louées ? La Redorte dit que ce qui cause le blâme universel c'est que la politique personnelle marche à front découvert. Adieu. Adieu.
Rien encore de Pétersbourg. Peut-être aurai-je pour toute réponse le silence. Est-il possible ! Je suis toujours misérable. Un artichaut & deux quenelles de volaille, les forces s'en vont. Adieu. Adieu.
Corbin Justice
Turgot. Aff. étrangères
Charles Giraud Instruction
Thorigny Intérieur
Casabianca agriculture
Lacrosse travaux publics
Saint-Arnaud la guerre
Fortoul marine
Blondel Finances
Maupas La police.
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