Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Vendredi 1er oct. 1852

Un spectateur sensé m’écrit d'Avignon : " Tout s’est très bien passé ici ; au moin 100 000 âmes ; peu de cris, sauf de la part des gendarmes et des membres du Corps législatif ; mais l’absence d'enthousiasme ne laissait pas à sa place le moindre air de mécontentement. Quant aux rois et au barrières des communes des campagnes, c'était Louis-Napoléon et qu'elles demandaient ou saluaient. Le Prince avait fort bon air, gracieux et d’un accès simplement bienveillant. Notre ciel brillant, notre beau fleuve, notre rocher, nos créneaux et nos quais couverts de monde, tout cela ferait une grande fête. "
Evidemment, il n'y a point eu de discours à Marseille ; seulement la réponse du président à l'Evêque. Il aurait tort de faire un autre discours ; il ne paraît pas si bien qu'à Lyon. D'ici au fait de l'Empire, il n’y a plus de place pour des paroles.
Le Roi Léopold doit être bien embarrassé. Un ministère ainsi renversé de l’épaisseur d’un cheveu est difficile à remplacer. Le Cabinet nouveau sera évidemment obligé de dissoudre et de faire des élections. Peut-être lui donneront elle, une meilleure majorité. En tout cas ceux qui tombent ne sont pas regrettables. Ils ont rendu service en Février 1848.
Le lac français est une de ces hâbleries dont les Français se repaissent, et qui sont à la fois ridicules et compromettantes. L'Empereur Napoléon a mis celle-là en circulation, et elle pèse sur vous depuis. Je l’ai ouvertement attaqué un jour à la Chambre des Députés et on a beaucoup murmuré, à peu près autant que lorsque j'ai maintenu le mot sujets dans une Monarchie.
Les Américains ont beaucoup de ces hâbleries là, et les Anglais eux-mêmes, en ont eu ; j'en trouve pas mal du temps de Cromwell. Il faut un bon sens et un bon goût très développés pour que les peuples y renoncent.
Voici le plan qu’on m'envoie de Paris quant à l'Empire. Le Président abrège son voyage de trois jours. Il sera à Paris, le 18. La Sénat ne sera pas convoqué officiellement, mais il sera là. Il se réunira spontanément et portera au Président. Le sénatus consulte déjà rédigé par M. le Premier président. Trop long. Aussitôt après le Sénatus consulte, on fera l’appel au peuple pour battre le fer pendant qu’il est chaud.
Mardi soir, chez vous, M. Fould promettait 10 millions de vous. Est-ce bien cela ?

Onze heures
Je n’ai rien à vous dire qu'adieu. Je vois que vous croyez toujours que le Président ne reviendra que le 16. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Vendredi 25 Juillet 1851

Une seule chose me paraît assez grave dans ce moment, c’est la prorogation de l'Assemblée. Je doute qu’elle vienne à bout de se donner les vacances qu’elle veut avoir autrement qu’en nommant et laissant une commission permanente. Et si cette commission ressemble à la dernière, qui peut prévoir ce qui arrivera ? Entre peu de gens qui n’ont rien à faire, on est bien plus tenté de se quereller ou de quereller autrui. Le Président, de son côté trouvera, je le crains, dans le général Magnan, un serviteur docile, et peut-être un tentateur. Il y a là des éléments de crise. L'assemblée, qui ne veut pas de crise, ferait mieux de s’arranger autrement. Je ne vois pas grande disposition à recommencer le pétitionnement pour la révision et je doute que les conseils généraux y soient bien vifs. Il y aura partout quelques personnes qui y prendront de la peine ; mais il n’est pas faute de tenir éveillé des gens fatigués qui ont envie de dormir.
Deux de mes journaux s'amusent à envoyer Thiers à Frohsdorf, en pendant de Berryer à Claremont. En attendant Thiers va aux Pyrénées.

10 heures
Merci de la lettre du duc de Noailles. Je suis fort aise qu’il soit content. Ce qui ne sert pas de grand chose aujourd’hui servira un jour. Si 1852 n’amène pas une crise, nous en aurons pour longtemps singulière nature que celle de ce pays-ci ! Avec son imprévoyance, et ses emportements il fait ses expériences plus lentement qu’aucun autre. On dirait qu’il veut aller jusqu’au bout de toutes choses.
Je vois que vous allez perdre vos Français Duchâtel, d’Haubersaert & & mais vous faites des recrues parmi les Allemands. Votre estomac me contrarie beaucoup. Est-ce que Kolb n'essaye pas quelques amers fortifiants ? Adieu.
Je n’ai vraiment rien à vous dire ce matin. Il ne m’arrive rien de Paris. Nous entrons dans une saison bien morte. Quand l'assemblée n’y sera plus du tout, de quoi parlerons-nous ? Je m'en consolerai si votre estomac va bien. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Vendredi 24 Oct. 1851

Je me lève tard. Je ne suis rentré chez moi qu'à minuit. On m'a fait causer et jouer au Whist toute la soirée. L'alarme est réelle, pas vive. Les affaires se sont ralenties sans s'arrêter tout-à-fait. On croit en général à une transaction entre l'Assemblée et le Président, sur la loi du 31 mai. Le président ayant pris le suffrage universel sans sa protection. On le blâme plus qu'on ne s'en inquiète. Très généralement on trouve sa manœuvre mauvaise ; le profit de popularité qu’il en pourra retirer ne vaudra pas le discrédit que cela lui attire. Il a fait la manoeuvre pour les paysans qui auraient été ses amis sans cela, et pour les rouges qui ne cesseront pas d’être ses ennemis. Voilà le raisonnement commun.
Ce que M. Odiot rapporte, dit-on, de Claremont ne m'étonne pas. Il est impossible que cet incident ne leur donne pas des espérances. On parlait beaucoup ici ces jours derniers d’un manifeste prochain du Prince de Joinville. C’était la nouvelle générale évidemment répandue par les partisans de sa candidature. Je n’y crois pas. A moins qu'on ne renouvelle la faute de faire feu trop tôt, ce qui se pourrait bien. S'il n'y avait point de transaction entre le Président et l'Assemblée. Si l’Assemblée rendait des lois pénales contre sa réélection, la candidature Joinville deviendrai plus sérieuse. Mad.Lenormant m'écrit : " Le Duc de Noailles est tout ranimé, tout confiant ; la crise lui paraît commencée et sous de bons auspices. " Est-ce vrai, et a-t-il raison ?
Voilà donc encore deux départements de plus en état de siège. C'est aujourd’hui l'état de la 9e partie du territoire français. En attendant.
Le journal de Thiers, l’Ordre, a passé au ton de la conciliation. Il fait, comme le Président, sa cour aux légitimistes. Je suppose qu'ils n'en sont pas dupes. Mon petit courrier jaune est à cet égard, très sensé et très clairvoyant. Je crois plus à ce que vous a dit Antonini qu'au ton de l'Ordre.
Je ne vous dis pas grand chose et je n’ai rien de plus à vous dire. Je vais faire ma toilette, en attendant la poste. Moi aussi, je me suis mis au régime, non pas d'un artichaut par jour, mais de l’eau de Vichy. J’ai ressentie quelque petite atteinte de mes douleurs de foie et de reins. Cela n’est pas revenu. L’eau de Vichy me réussit toujours. Jusqu'ici, car tout s'use, dans notre corps du moins. J'ai, quant à notre âme, le sentiment contraire.

11 heures
La mort de la Dauphine me touche. Je l'ai bien peu vue, mais j'ai passé ma vie à la respecter. Certainement, il faut une démonstration très publique de Claremont. Adieu. Adieu. G.

L’article des Débats sur le Prince de Joinville fait pressentir une retraite. Quant à présent du moins et comme manœuvre du moment.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Vendredi 18 Juillet 1851
6 heures

Je suis curieux du discours de Berryer qui commençait si bien. Il aura voulu répondre sur le champ à Michel de Bourges, et mettre sa Monarchie en face de cette République. Aura-t-il poussé à fond son attaque et nié à Michel de Bourges, la République pour ne lui laisser que la Révolution ? C'est là le coup à porter aux Montagnards. Il ne faut pas leur permettre de se dire des républicains. Ils ne sont que des révolutionnaires, qui tueraient la république, s'ils y dominaient, tout aussi bien que la monarchie. Plaisante République que celle qui ne vit qu'à condition que le pouvoir soit aux mains des hommes monarchiques et que les hommes monarchiques gouvernent par la force armée et l'état de siège ! Et qui périrait demain s'il en était autrement ! C'est une stupidité, et une lâcheté de laisser les coquins et les fous se cacher sous de beaux mots ; il faut les appeler de leurs vrais noms et leur dire les choses telles qu'elles sont. Certainement on ment beaucoup parmi nous, et c’est un grand défaut ; mais nous en sommes bien punis car on nous paye de tout avec des mensonges. Et nous nous laissons faire. Sauf le ménage d’un bout à l'autre, il y a de l’esprit et du talent dans le discours de Michel de Bourges, et il mérite une bonne réponse. Jusqu’ici ce débat n'est ni violent, ni commun. Il n’est que vain.
J’oublie que je suis seul, et je cause comme si nous étions ensemble. Du reste, je supporte bien ma solitude. C'est une épreuve que je n’avais jamais faite. J’ai eu hier deux longues visites dont j’ai désiré la fin comme si j'étais constamment très entouré. L’air du pays est au profond repos. Point d’idée, point d'affection, point d’ambition, point de politique, rien, absolument rien que la préoccupation des intérêts privés, qui ne vont pas assez bien pour qu'on croie à ce qui est comme à un régime durable, ni assez mal pour qu'on désire, avec un peu de risque un changement. " Manger pour vivre et non pas vivre pour manger " était la devise d’Harpagon. " Vivre pour manger " est aujourd’hui celle de la France. Les vauriens ne désirent pas et les honnêtes gens n'espèrent pas autre chose.
Voilà mes nouvelles. Il faut que vous vous en contentiez. Je me rappelle le comte Beroldingen. Je doute qu’il soit pour vous une grande ressource.

Onze heures
Vous paraissez un peu moins ennuyée. Moi je suis charmé du succès de Berryer. M. Mollin, m'écrit : “ il a tué la discussion. Il a tenu à peu que la clôture ait été prononcée. On dit que Montalembert et Barrot vont renoncer à la parole. Victor Hugo est à la tribune et débite en comédien sa prose boursouflée. Ou le débat reprendra une vigueur nouvelle, ou nous finirons demain ! Ainsi, les républicains et les légitimistes auraient seuls parlé. Adieu. Adieu.
Ma petite fille va mieux. Pauline et son mari viendront me rejoindre dans huit jours. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Vendredi 3 Oct. 1851

J’ai eu hier à l'occasion de votre lettre un long entretien avec mon fils. Deux bons résultats. Je crois le mal moindre qu'on ne vous l'a dit. J'espère qu’il ne se reproduira pas. Je suis sûr, autant qu'on peut l'être, qu’il m'a dit vrai. Il est naturellement vrai, et il me respecte beaucoup. Il est convenu de ce qui avait pu donner lieu à ce qu'on vous a dit. Il usera beaucoup moins l’hiver prochain du spectacle, du bal et du monde. A travers sa popularité, il croit avoir dans son collège, un camarade envieux et ennemi, qu’il a déjà rencontré parlant mal de lui et s'appliquant à lui nuire. Son caractère à lui a besoin d'être contenu. Il a de la vivacité et du laisser aller. Double danger. L’esprit est juste, le cœur très droit et très affectueux. J'y veillerai de plus près. Vous avez très bien fait de m'avertir et je vous en remercie encore. La vérité est toujours bonne à savoir, et venant par vous, elle ne peut m'être déplaisante, fût-elle amère.
Mon fils se porte très bien. Il a mené ici, depuis six semaines, une vie de mouvement physique, et de repos domestique qui lui a parfaitement réussi. Il retourne lundi à Paris, en même temps qu'Henriette, pour rentrer au Collège. Il logera chez son Professeur jusqu'à mon retour. Henriette partira de Paris le 16 ou le 17, pour s'embarquer à Marseille par le bateau du 21.
Avez-vous lu dans les Débats la note française du 19 Juillet à la Diète sur l'incorporation de tous les états autrichiens dans la confédération ? Elle est solide au fond ; quoique confuse et tronquée. Je suis curieux de savoir. Si cette question sera bientôt reprise à Francfort et si le Prince de Metternich, exprimera un avis.
Mon journal jaune dit que la candidature du Prince de Joinville, en remplacement du général Magnan est complètement abandonnée. En avez-vous entendu parler ? A en juger par l'impression que je vois se répandre et grandir autour de moi, Fould a raison. Plus on approche de la crise, plus le désir du Statu quo se prononce. Toutes les peurs et tous les doutes sont au profit du Président. Il a là une puissante armée. Si la baisse des fonds, la langueur des travaux, tout le malaise public vont croissant, cette disposition ira aussi croissant. Ce qu’il est difficile de prévoir, c’est l'effet que produiront les débats prochains, de l’Assemblée ; ils peuvent troubler beaucoup le sentiment public et le jeter momentanément hors de sa propre pente. Ce pays-ci ne sait pas de défendre; il se retrouve quand il a été perdu ; mais on peut toujours le perdre. Je me méfie du mois de novembre.

Onze heures
Je reçois une foule de petites lettres, et il est tard. Adieu, Adieu. Je vais lire l'article du Constitutionnel. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Vendredi 1er août 1851

Je n’ai point Gladstone, et je ne puis, comme de raison, en écrire à Lord Aberdeen sans l'avoir lu. Ce que vous me dîtes de la grossièreté et de la violence du langage m'étonne. Peut-être m’a-t-il fait envoyer sa brochure, et est-elle chez moi, à Paris où je n’ai plus personne. Je vais écrire à Henriette d'aller y regarder.
Si les faits dont Gladstone m’a parlé sont vrais, ou seulement s’il y a beaucoup de vrai, je ne m'étonne pas qu'il les ait attaqués vivement. Mettre et retenir beaucoup de gens en prison, indéfiniment, sans les faire juger, sans même leur dire pourquoi, c’est ce qu’un Anglais comprend et excuse le moins.
Je reviens à vos 10,000 liv. st. Certainement, vous avez fait il y a un an, 18 mois, 2 ans, je ne me rappelle pas bien quelque chose à ce sujet, sur la question de savoir à qui les laisser et par qui les faire toucher, il y a eu hésitation, dans votre esprit, entre Couth et Rothschild. Je ne me rappelle pas comment s'est terminée votre hésitation. Mais la coïncidence du dire de Couth avec la perte de son reçu me porte à penser que c’est chez les Rothschild à Paris ou à Londres, que vous trouverez le terme de votre inquiétude. Je serai charmé quand je vous en saurai délivrée. Je ne puis croire que la perte soit réelle. Je conviens que ce serait, pour vous, un vif ennui. Je conviens aussi que si comme je l’espère, vous retrouvez vos titres, votre mémoire, aura été bien en défaut.
Il n’y a réellement plus d'assemblée à Paris. Légitimistes, Elyséens ou Montagnards, tous ne songent plus qu’à s'en aller. S’il n’arrive point d'événement pendant leur séparation, ce qui est probable, ils se retrouveront, à leur retour, plus embarrassés qu'aujourd’hui car ils seront plus pressés, et tout aussi impuissants. C’est un spectacle plus attristant qu'inquiétant, à mon avis ; je ne crois pas à un triomphe des rouges, le pays-ci ne sait pas se sauver, et ne se laissera pas perdre. Il faudrait un bien mauvais coup de dés électoral pour amener une majorité de Montagnard. C'est très peu probable. Cependant, c’est possible ; car aujourd’hui en France les élections sont un coup de dés. L'Empereur Français il avait raison : totus mundus stultisat. Voici, au fond, ma vraie inquiétude ; quand tout le monde est fou, c’est qu'il se prépare, dans le monde, des nouveautés prodigieuses par lesquelles Dieu veut, ou le transformer ou le punir. Je ne vois pas comment nous rentrerons dans des voies déjà connues. La sagesse elle-même sera nouvelle.

Onze heures
Je respire pour vous. Il est sûr que Couth est bien léger. Je retire mes souvenirs confus. Reste votre oubli du reçu. Mais peu importe. Adieu, Adieu. Dormez et remettez vos nerfs. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 19 Juillet 1851
7 heures

Le grand effet du discours de Berryer est très mérité. C’est un talent admira blement abondant expansif communicatif, sympathique. Il plaît à ses adversaires presque autant qu'à ses amis. Amusez-vous de la mobilité des esprits et des situations. Nous avons tous dit d’abord qu’il fallait que ce débat fût un grand duel entre la République et la Monarchie, c'était aux hommes monarchiques à l'exiger, à en prendre l'initiative. Puis, nous avons renoncé au duel ; c'était une folie ; le pays n'en voulait pas ; il fallait baisser la voix, se tenir bien tranquille, bien modeste. Le débat commencé, et le duel entre la monarchie et la République éclate ; et il n’y a pas d'autres acteurs en scène que les républicains et les monarchiques, Cavaignac et Michel de Bourges, Falloux et Berryer. Seulement ce sont les républicains qui ont pris l'initiative, ce qui a rendu la position des monarchiques plus commode. Variez tant qu’il vous plaira c’est presque toujours la première idée qui est la bonne ; seulement, il ne faut pas la suivre au premier moment ; elle devient plus sage et plus pratique quand elle a passé par un peu de contradiction et de temps.
Voici un petit incident. On m’écrit : “ Depuis deux jours, M. Thiers et ses amis font grand bruit d’une lettre du Prince de Joinville qui serait arrivée à l'amiral Hernoux, et qui contiendrait un récit burlesque de l’entrevue de Claremont. Le Prince s’attacherait, dit-on, à tourner en ridicule tout ce qu'aurait dit Berryer. Il parle avec une amère ironie des larmes que l'avocat avait mises dans sa voix du Duvergier de Hauranne et Thiers, qui colportent les phrases de cette lettre sur tous les bancs de l'assemblée, ont eu soin que Berryer, et St Priest en fussent avertis. Ils en paraissent très blessés et c’est peut-être à cause de cet incident que Berryer s'est abstenu de parler de la fusion. M. de Montalivet, va faire tous ses efforts pour savoir la vérité sur cette lettre. " Je vous dirai ce qu'aura appris Montalivet, s'il apprend quelque chose. Toute sottise est possible. Cependant, dans ce cas-ci, je suis plus porté à croire au mensonge qu'à la sottise.”
J’ai une longue lettre de Croker. Sinistre sur l'Angleterre ; croyant au triomphe des radicaux et à tout ce qui s'en suit. Les Whigs ne tiendront pas. Les Torys ne reviendront pas. Il ne sort pas de ce qu’il a prédit en 1832 au moment du bill de réforme : " It is true, dit-il pourtant, that it has not gone so fast as I expected. " Quant à la France, voici son résumé : " I am afraid that some of the good folks in my neighbourhood (West-Molesey est près de Claremont vous savez) as was said of their cousins, n’ont rien appris, and are Still Thinking of rebuilding the temple of July, as if it could be hoped that a child and a woman were to succeed, not only where the wise old man failed, but with the additional and incalculable disadvantage of his fall and all its consequences. I see by the Assemblée nationale that you, the conservatives are greatly perplexed what to do. My humble advice would be to give the republic a fair trial. You are not ripe for Henry V. An Orleans usurpation would be still less possible. An unconstitutional reelection of Louis Napoleon will lead to immediate bloodshed ; and for the sake of France her character as well as her peace and happiness, I think the had better not attempt to revise the Constitution, but to endeavor to execute it, as it stands. The best thing France could do in every view, could be to elect you président. " Vous ne vous attendiez pas à cette conclusion. 10 heures et demie Voilà le Diable rentré dans le débat. Il le fallait bien. Adieu, Adieu.
Je ne reçois, rien qui vaille la peine de vous être redit. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, samedi 9 août 1851

Montebello m'écrit d'Angoulême où il est allé conduire son fils aîné pour les examens de l’école de Marine. Le pauvre homme est encore sous le coup des inquiétudes qu’il a eues pour sa femme ; il m’en parle avec terreur. La maladie aigüe est guérie, mais il lui reste mal au foie et des crises presque intermittentes qui la font beaucoup souffrir, et qui dureront probablement jusqu'à ses couches prochaines. Montebello compte toujours aller à Claremont vers la fin de ce mois. Il a vu me dit-il à Angoulême le Général de La Rue, inspecteur général de la gendarmerie, homme d’esprit, que je connais beaucoup, et dont le jugement a de la valeur. Le général qui vient de parcourir beaucoup de départements en rapporte l'impression qu'il n’y a et qu’il n’y aura, pour la Présidence, que deux candidats sérieux Louis Napoléon et Ledru Rollin.
En attendant la candidature du Prince de Joinville éclate tout-à-fait. L’ordre est à lire désormais puisqu’il se déclare le moniteur des Régentistes. La conduite me paraît bien peu habile. Le Roi Louis-Philippe n’a jamais voulu se laisser conduire par Thiers. Sa famille, apprendra probablement, après sa mort, combien il avait raison. M. de Lasteyrie dit que M. le Prince de Joinville accepte la candidature, et il en promet, aux uns la fusion, aux autres le contraire. C’est un jeu qui ne comporte pas la durée, ni la publicité. En attendant l'élection, à la Présidence on sonde Paris pour une élection du Prince à l'Assemblée, en remplacement du général Magnan. Mais les coups de sonde ne réussissent pas. Manœuvre pitoyable. C’est bien assez d’une abdication. Est-ce qu’on fera passer tous les Princes par cette même porte ? MM. de Lasteyrie et de Rémusat sont furieux de n'avoir pas été portés par la majorité à la commission de permanence. Et très tristes d'avoir échoué par la minorité. Vous aurez vu, dans la Patrie, la réponse du Président au coup qu'on lui a porté à propos de ses projets d'emprunt à Londres. On avait fait grand bruit d'avance de ce coup-là. Il me paraît que même le bruit ne sera pas grand.
J'ai reçu une nouvelle lettre de mon ami Croker qui insiste encore pour que j'aille le voir à Alverbank quand j’irai à Londres. Il ajoute : " And now let me ask another favor of you. Some one has set about à story that George the IVth had endeavoured to sell the Royal Library (which was afterwards given to the British Museum) to the Emperor of Russia, and Madame de Lieven is quoted as the authority for this statement. I never before heard of any such idea, and I wish you would ask Madame de Lieven with my compliment and best regards, if she can tell me any grounds for such a rumour. I am curious to know how, il such a thing ever happened, it has escaped either my memory or my knowledge, for I had the honour of a good deal of George IV confidence on such matters, though he did not often follow my advice. » Pouvez-vous satisfaire la curiosité de Croker ?
J'ai aussi ma curiosité. Je voudrais savoir qui dit vrai, de l'Assemblée nationale, ou de Lord Palmerston, sur les notes ou lettres venues du nord aux cours de Naples, de Florence et de Rome. Le Journal est bien positif ; et le Ministre a bien l’air de mettre dans sa dénégation un subterfuge. Je suis charmé que vous ayez retrouvé Marion. Il est bien juste que le Prince de Metternich règne un peu au Johannisberg. Je ne sais si ses successeurs feront mieux que lui, mais il ne paraît pas qu’ils puissent faire autrement.
Si vous pouvez à Schlangenbad, à Ems ou à Francfort vous procurer le dernier numéro de la Revue des deux mondes (1er août), faites-vous lire l'article de M. Cousin sur Madame de Langueville. Il y a bien à dire ; mais c’est très agréable spirituel et curieux ; avec un ton tantôt de rigidité pieuse, tantôt de désinvolture aristocratique auquel la vérité manque également dans l’un et dans l'autre cas mais qui a de l’élévation et de la grâce. Cela vous intéressera et Marion aussi.

10 heures
Adieu. C’est tout ce qui me reste à vous dire, et ce qui me plaît mieux que tout ce que je vous ai dit. Adieu

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Samedi 4 Oct. 1851

C'est moi qui me suis trompé en lisant. Au fond, c'est bien Times que vous aviez écrit ; mais cela ressemblait à Thiers ; et il y avait auparavant de au lieu de du. C'est ce qui m’a trompé.
Je crois assez à la phrase rectifiée selon le dire de Fould : " Si l’Assemblée veut décider la révision à la simple majorité des voix, je la soutiendrai. "
C'est irréprochable en effet et conforme à la faiblesse d’un temps où chacun veut surtout rejeter la responsabilité sur son voisin. S’il y a eu, si l’Assemblée ne fera pas plus que le président et on ira aux élections comme on est. Je vois dans mon journal jaune que Lamoricière va aller à Claremont. Ce serait curieux et bien caractéristique. J’y vois aussi qu'on s'attend, dans le débat de la proposition Creton, a un grand discours de Thiers sur potentiellement la candidature du Prince de Joinville. S’il la pose en effet ainsi, ce sera mardi, peut-être utile, peut-être nuisible au succès ; je ne sais pas apprécier d'avance cette impression. S'il ne la pose par ouvertement et s'il élude la question ce sera bien petit, et un symptôme de faiblesse qui affaiblira les chances. La situation est embarrassante. pour lui.
Je suis préoccupé de la nouvelle réforme électorale en Angleterre. Il me semble que les radicaux préparent, à l'appui, un mouvement populaire assez vif. On commence à attaquer la Chambre des Lords ; on parle de l'élire elle-même, par une élection à deux degrés. Je ne crains pas grand chose de ces attaques ; mais je crains beaucoup de la non-résistance. Je trouve que le parti conservateur s'abandonne bien lui-même. Je suis convaincu que ralliée et soutenue par ses Chefs, la nation Anglaise est du bon côté et s'y porterait énergiquement. Mais si, parmi ses chefs, les uns ne la soutiennent pas pendant que les autres la livrent, tout mal est possible.
On a raison de refuser a Kossuth la traversée de la France. Cela ne lui est bon à rien, à lui, et est mauvais pour nous. Je (vous demande pardon, je m'aperçois que j’ai écrit sur une des feuille coupé); je voudrais qu’on supprimât absolument envers ces hommes-là, les rigueurs inutiles et les complaisances molles ; elles nuisent presque également. Je croyais que Kossuth se rendait en Amérique. Je vois que c'est en Angleterre qu’il va s'établir. Le trio sera complet.
Quel scandale que cette forteresse inviolable où non seulement tous les grands Jacobins se retirent mais d'où ils bombardent leurs patries ! Dans les temps barbares, les Églises avaient le droit d'asile ; mais elles ne permettaient pas aux meurtriers qui s'y réfugieront de tuer encore de là les passants. Le droit d'asile emporte l'obligation de mettre celui qui en profite dans l'impuissance de nuire. Je ne sais pas bien ce que les Gouvernements du continent peuvent faire pour faire sentir à l'Angleterre, l’indignité de sa tolérance ; mais il faudra qu’ils finissent par faire quelque chose.

Onze heures
Quelle curieuse conversation ! ou monologue ! Mais que faire d’un orgueil si échauffé ? A demain les réflexions. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Mercredi 29 oct. 1851

Le Ministère n'est pas effrayant. Tous ceux que je connais sont, ou du moins ont toujours été des conservateurs très décidés. En particulier, les Ministres de l’intérieur et de la justice ; gens capables et honnêtes, et très compromis contre les rouges. Je ne me figure pas qu'avec ces hommes-là il puisse y avoir à craindre ni alliance avec la Montagne, ni coup d'Etat. Je persiste plus que jamais dans ma première conjecture. Rejet complet, par l'assemblée de l'abrogation de la loi du 31 mai, et acceptation par le Président, des modifications à cette même loi que l'Assemblée fera elle-même un peu plus tard, à l'occasion de la loi municipale. Les ministres, qui sortent rentreront alors, M. Fould, M. Rouher, M. Baroche, d'autres peut-être, M. Léon Faucher restera dehors. Ce sera la dupe de cette journée, avec M. De Lamartine et Emile de Girardin. Voilà mon programme.
Je ne connais pas du tout M. de Maupas le Préfet de Police, ni le Ministre de la guerre, le général St Arnauld. On parle mal du premier. Le maréchal Bugeaud regardait le second comme un militaire hardi et capable. S'ils ont comme on dit de l'esprit tous les deux, ils comprendront bien vite la situation et ils ne pousseront pas aux mesures extrêmes. Quand elles ne sont pas dans l’air, personne ne peut les y mettre. Dans le conflit, je parie toujours pour Morny.
Puisque Mad. de la Redorte et Mad. Roger, et les dames Russes sont venues chez vous en deuil et puisque vous les en avez louées, tout est correct. Qui avez-vous loué ? Des femmes, plusieurs femmes. Et avant le mot louées, je trouve dans votre phrase le mot les qui désigne ces femmes. Donc, quand vous avez écrit le mot louées, vous saviez que vous parliez de femmes, et de plusieurs femmes ; donc il fallait le féminin et le pluriel, c’est-à-dire louées et non pas loué. Est-ce clair ?
Ce que la Redorte vous a dit, quant à la situation respective du Président et de l'Assemblée devant le public est vrai de mon département comme du [sign]. Quoiqu’un peu moins absolument, parce qu'on ne change pas aussi vite d'impression et d'avis en Normandie qu’en Languedoc

Onze heures
Ces accès de faiblesse nerveuse me désolent. Que je voudrais une bonne lettre le Pétersbourg. Elle vous ferait plus de bien que toute autre chose. L'écriture de Marion sur l'adresse m’a troublé. J’ai été heureux de trouver la vôtre en dedan.s Adieu, adieu.
Je partirai d’ici le 11 nov. et je serai à Paris le 14 au matin. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Mercredi 23 Juillet 1851

Que signifient ces nouvelles entraves apportées à la libre circulation des Russes en Europe ? Nécessité de rentrer en Russie tous les deux ans au lieu des cinq, accroissement des frais de passeport & &. Vous voyez que je lis mes journaux attentivement. Est-ce de la politique ou de la pure finance ? Vos fils en seront fort importunés.
Vous ne lisez pas le Pays, le journal de M. de Lamartine. Il vous amuserait par ses Hymnes en l’honneur de la discussion sur la révision, et par son désespoir hypocrite de n'avoir pas pu y prendre place. J'imagine que tous ceux qui crient si fort à présent contre la brusque clôture du débat, ont été charmés d'être dispensés de parler. La situation n’était pas commode pour ceux qui n'ont envie de se commettre, ni pour, ni contre le Président. Je ne vois pas encore clair dans le mois d'Octobre prochain, la question recommencera-t-elle ? Personne ne me paraît décidé. Cela dépendra beaucoup de l’attitude des conseils généraux qui vont se réunir à la fin d'août. S'ils étaient tous comme ceux des départements qui m'environnent, ils ne feraient pas grand effort pour ramener la révision sur l'eau.
Tous ces Princes Allemands qui vous servent de gardes du corps ne vous disent-ils rien des affaires d'Allemagne, et de la diète de Francfort. Pure curiosité d'artiste, car il ne viendra de là aucun évènement ; mais la question de l’entrée de toute l’Autriche dans la confédération m'intéresse. J’ai envie de savoir ce que vous en voulez au fond. Et puis les affaires d'Italie sont à mon avis, les seules interminables en Europe et toujours menaçantes ; il y a là des hommes qui ne peuvent ni réussir, ni renoncer. On m’écrit que le gouvernement piémontais, malgré ses complaisances, ne parvient pas à en avoir assez pour les mazziniens, et commence lui-même à en être excédé. Votre dépêche aux Etats italiens vos amis était bien vraie. Et il est bien vrai que lecture en a été donnée à Londres et à Paris.
On, c’est-à-dire M. Berger, se donne bien du mouvement à Paris pour faire un peu de bruit de la fête qu'on veut donner à l’industrie universelle. Je trouve cela pitoyable. L’hôtel de ville est très beau ; mais même là, un dîner de chevet ne sera pas un rival suffisant du Palais de cristal. Un journal prétend que le Prince Albert y viendra. Je ne puis pas le croire.

10 heures
Mes lettres m'arrivent aujourd'hui avant mes journaux. Je n'aurai les journaux que dans deux heures. Je n'ai de nouvelles de personne. Vous avez bien raison avec Marion, pour les courses comme pour le jeu, drôle de fille. Je m'étonne quelques fois qu’il n’arrive pas plus d'aventures aux Anglaises qui en courent tant. Adieu, Adieu. Je vous quitte pour ma toilette. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 6 août 1851

Lisez quelquefois, je vous prie, la Chronique politique de l'Assemblée nationale signée Robillard. C'est, depuis quelque temps ce qu’il y a de mieux dans le Journal. J’y trouve aujourd’hui sur les Régentistes et leur journal l'Ordre, des réflexions pleines de sens et d'à propos.
Je souhaite que M. de Beroldingen ait raison dans tout ce qu’il vous a dit de l'Allemagne et que les masses aient, en effet fait leur expérience. Cela dépend des gouvernements ; quand ils se conduisent avec tact et mesure, les expériences profitent en effet aux masses ; quand les gouvernements abusent des expériences, les masses recommencent bientôt de plus belle et plus fort. Nous ne voyons pas autre chose depuis soixante ans.
Voilà encore deux élections qui viennent de se faire ici, l’une dans le nord, l'autre dans le Lot, et qui toutes les deux, ont tourné comme les quatre précédentes contre les Montagnards, et les pointus légitimistes réunis qui n'ont pu ni faire l'élection en y prenant part, ni la faire manquer en s'abstenant. Cela fait bien des échecs pour eux dans l’Assemblée, et au dehors. Si le plaisir du succès peut consolider l’union des conservateurs et des légitimistes sensés, ce sera excellent, [?] le Président en profitera le premier.
J’ai eu hier des nouvelles de votre ami M. Fould, à l'occasion d’une petite affaire que je lui avais recommandée, et qu’il a faite de très bonne grâce. Il m’écrit d’un ton content. Ce que vous me dîtes de l'absence de toute nouvelle directe à Frohsdorf, le 23, sur la visite à Claremont, est étrange. C'est bien le cas de dire légèreté française. Je vous demande la permission de mettre humain à la place de française, par amendement. Que d'anglais auraient fait une démarche semblable sans en rien dire, ni avant, ni après au premier intéressé.
Je commence à m'occuper de mon discours futur en réponse à M. de Montalembert. Sans connaître du tout le sien qui n’est pas fait, et qu’il m’apportera ici, m’a-t-il dit, vers la fin de septembre. Je n’écris pas un mot, comme de raison ; mais je lis ce qu’ont écrit M. Droz et M. de Montalembert mes deux sujets. Deux sujets bien divers, venus des points opposés de l’horizon, et qui ont fini par se rencontrer dans les mêmes sentiments sur toutes les grandes choses de la vie. Il y a de quoi bien parler. Dieu sait où nous en serons quand viendra cette séance ! Peut-être au milieu de l'élection d’une assemblée constituante. Cependant je ne crois pas ; je persiste à ne croire à rien jusqu'au printemps de 1852.
Ce que j’ai peine à croire, c’est que je ne désire pas vous retrouver dimanche à Paris, et que j'y aille pour ne pas vous y retrouver. Je n'ai encore point de nouvelle de Duchâtel depuis son retour, je suppose qu’il persiste dans son projet de visite à Claremont. Je saurai Dimanche si nous faisons ce pèlerinage à plusieurs. Montebello ni Dumon non plus ne m’écrivent. Il paraît que tout le monde est las de n'avoir rien fait et ne songe qu’à s'en reposer. onze heures J'espère bien que votre mal de tête n'est que de la migraine, et par conséquent un mal très passager. J'ai deux lettres de vous à la fois, du 1er et du 2. Adieu Adieu.
J’ai peur de n'avoir rien demain. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Mercredi 1 Oct. 1851

Je reviens à ce qu'on vous à dit des alarmes de Thiers. Quoique je le sache très prompt et crédule en fait d'alarmes, il a trop d’esprit pour avoir toutes celles des badauds. Il faut que les coups d'Etat aient été et soient encore dans l’air de l'Elysée, plus que je ne l'ai cru. Je persiste cependant à n’y point croire. On en parle probablement beaucoup ; on les arrange, on les discute ; on ne les fera pas. Race de bavards pleins d'imagination, qui s'amusent de leurs plans et s'enivrent de leurs paroles, mais à qui les plans et les paroles suffisent.
Il m’est bien revenu quelque chose de cette fameuse lettre de Thiers dont vous me parlez, et que Normanby a montrée à Rogier. Mais je n'en sais rien que d'incomplet et de vague. C’était, je crois une désapprobation de la lettre de Rogier. Si vous pouvez me donner, à ce sujet quelques détails un peu précis, soyez assez bonne pour me les donner.
Je vois qu’on me fait aller tous les jours à Champlâtreux et assister à toutes les réunions possibles. L’Assemblée nationale a bien fait de rappeler que je suis ici fort tranquille. Je suis très décidé, et très hautement contre la proposition Créton ; mais il ne me convient pas de paraître toujours présent, et actif dans les réunions purement légitimistes, où on la repousse. C’est une malice de Thiers ou de ses gens à l'adresse de Claremont.
Je vous ai dit que Montalembert m'écrit qu’il n’est pas prêt pour son discours qu’il devait m’apporter ici à la fin de septembre. " Je suis bien confus d'avoir à vous avouer aujourd’hui que je n'ai pas encore terminé ce travail. Pour me justifier, je dois dire que j’ai été indisposé au commencement de la prorogation puis distrait et absorbé par une foule de devoirs et d'ennuis électoraux. Cela ne diminue pas le remords que j'éprouve de ne pas vous tenir parole. Je viens donc vous demander humblement quelques jours de délai. "
Je parie qu'il ne sera pas prêt avant la fin d'octobre. Assez grand ennui pour moi, car je ne puis pas faire mon discours sans avoir vu le sien et il me faut bien autant de semaines qu'il lui a fallu de mois, et un peu de loisir. Ce discours sera fort écouté. Il faut qu’il soit bon.
Montalembert ajoute : " J’ai pris la liberté de faire remettre chez vous tout ce que j'ai jamais dit ou écrit. Il y a beaucoup de générosité de ma part à vous faire cette communication aussi complète, car vous pourrez y trouver plus d'une attaque contre vous et contre le Gouvernement que vous dirigiez. Mais la révolution de Février, si elle m'a donné raison sur quelques points, vous a si bien vengé sur tant d'autres qu'il ne saurait rester de ressentiment dans votre cœur contre ceux d'entre vos anciens adversaires qui étaient au fond vos alliés naturels. "
Il a bien raison. Je n’ai pas le moindre ressentiment contre lui. Je suis assez frappé du Firman de la Porte. au Pacha d’Egypte contre le chemin de fer d'Alexandrie à Suez. Je croyais à Sir Stratford Canning plus de crédit à Constantinople. C'est un gros désagrément pour Lord Palmerston qui met à ce chemin beaucoup d'importance. Vous verrez qu’il finira par prendre le parti d'Abbas Pacha contre le Sultan, comme nous avons pris en 1840, le parti de Méhémet Ali. Êtes-vous pour quelque chose dans cette résistance si décidée de la Porte, ou n’est-elle due qu’au travail de Paris et de Vienne ?

Onze heures
Merci de votre lettre très intéressante. Et j'en remercie aussi un peu Marion, excellent reporter. Le mot, si je ne me trompe est plus poli que celui de rapporteur. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 22 Juillet 1851
Sept heures

J’ai lu attentivement tout ce débat. A tout prendre, il a été favorable à la révision et surtout à la Monarchie, succès bien éloigné et incertain ; succès pourtant, pour les hommes comme pour les idées. On m'écrit : " Le duc de Broglie est dans le ravissement du discours de Berryer. Il a dit à M. Molé : Puisqu’il en est ainsi, je n’ai plus d’objections contre la légitimité. Mais est-elle possible ? Dans tous les cas, Berryer, a levé mes scrupules. La liste des votants est curieuse à étudier ; les Montagnards, le Tiers-Parti, 21 pointus légitimistes, et 13 Régentistes, les deux derniers chiffres sont la mesure de l'influence de Thiers et de Changarnier. Aussi m'écrit-on : " Le Général Changarnier vient de faire une faute énorme. Sa passion contre le Président l’égare, et lui fera faire des énormités. J’ai bien peur qu’en 1852, il ne soit à ce point décrié que nous ne puissions en tirer aucun parti. " Voilà l’impression du lieu et du moment. On m'écrit encore : " La lettre du Prince de Joinville existe. Elle est moins mauvaise qu’on ne l'avait dit ; mais elle est mauvaise. Il y règne un ton d'ironie qui peut à bon droit, justifier les méchants propos de MM. Thiers et Duvergier. "
Notre pauvre ami Montebello a failli éprouver un grand malheur. La Duchesse a été très malade. Il y a trois jours, elle était en grand danger. On me l'a dit sauvée. C'était une inflammation d’entrailles qui, dans son état de grossesse avancée, pouvait devenir fatale. Montebello est rassuré. Il va écrire au Prince de Joinville. Je souhaite que sa lettre fasse quelque effet. Ou je me trompe fort, ou l’intrigue pour la candidature du Prince de Joinville à la présidence est ce qu’il y a de réel et d'actif au fond de tout ceci, dans le silence comme dans le travail de Thiers et de son monde.
Soyez tranquille, en tout cas ; vous pourrez aller chercher à Paris vos robes. Chercher, je veux dire retrouver. Je ne vois aucune chance de désordre matériel, si les apparences ne sont pas bien trompeuses, les rouges sont partout plutôt en déclin qu’en progrès, au moins pour le temps prochain. Soignez-vous bien à Ems, et rapportez un peu de force pour l'hiver. Le temps a l’air de vouloir devenir enfin un peu chaud. Je m'en réjouirai pour vous, pour moi, et pour les récoltes de Normandie.
Ma matinée d’hier a été pleine de visiteurs comme si mon gendre, en arrivant avait rouvert les portes de ma solitude, neuf personnes successivement de Caen, de Rouen et des environs. Tout le monde dit la même chose. Je ne sais ce qui sera au printemps prochain. Aujourd'hui, les élections seraient certainement assez présidentielles. Les Montagnards perdraient. Peut-être les légitimistes aussi. A cause de la politique et du langage des pointus ce qui rejaillit sur tous.
Vous seriez bien bonne de me faire, à Ems une commission, de me rapporter : 1° un petit caillou- Diamant du Rhin, monté en épingle ; 2° Deux garnitures de boutons pour gilets, en cailloux du Rhin. Quelque chose de semblable à ce que j'ai acheté là, l'an dernier. J'espère que cela vous donnera peu de peine en vous promenant. Onze heures Voilà votre lettre de jeudi. C'est bien loin en effet. Vous avez parfaitement raison de ne pas vouloir que Marion joue. Adieu, adieu. G

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 15 Juillet 1851

A toutes les perfections que possède Auguste, je voudrais bien qu’il ajoutât celle de bon cuisinier. Je n’ose vous dire de faire comme moi, quand le mouvement de bile se prolonge ; une petite, très petite pilule de très peu d'opium. Il ne faut pas jouer avec l'opium ; n'en prenez jamais que sur l’ordre d’un bon médecin en qui vous ayez confiance. Mais pour moi, la diète et une ou deux pilules mettent fin sûrement à cet ennui
Vous avez toujours eu l’esprit que vous avez. Mais vous en faisiez un usage très exclusif, la vie du monde et votre diplomatie Russe. Hors de là, vous ne pensiez à rien. Depuis vous avez découvert de nouveaux mondes. Vous en découvrez encore ; témoin M. de Maistre. Vous êtes, en tout, très exclusive, ce qui est singulier, étant très impartiale. Et ce qui est encore plus singulier, c’est que vous êtes beaucoup plus impartiale pour les personnes que pour les choses. Vous rendez volontiers justice à toutes les personnes, n'importe lesquelles. Mais pour les choses vous dédaignez souverainement, ou vous ne voyez pas du tout celles qui ne rentrent pas dans vos habitudes et dans vos goûts de tous les jours.
J'ai reçu hier tous mes journaux, sauf les Débats qui, j'espère bien ne me manqueront pas aujourd’hui. Je n’y trouve rien d'important si ce n'est les trois élections qui viennent d'avoir lieu pour l'assemblée ; toutes trois Elyséennes, et deux en remplacement de deux rouges. C’est un symptôme remarquable. L’abstention systématique des légitimistes et des rouges est remarquable aussi. La loi du 31 mai en est bien atteinte. Dans une élection générale, l'abstention n'aurait certainement pas lieu ; mais de graves désordres la remplaceraient. Il faudrait un gouvernement bien fort pour faire pratiquer en paix un système électoral qui rencontre une si forte opposition. Un autre fait qui mérite d'être remarqué, c’est la guerre déclarée, dans le soin du parti légitimiste entre l'Union, et l'Opinion publique, le journal de Berryer, et celui de M. de St Priest. Le Duc de Lévis doit être désolé. Il employait tout ce qu’il a d'influence à prévenir l'explosion de la scission. La scission n’ira pas jusqu'à brouiller les individus ; mais elle troublera la marche du parti. Ni uni, ni divisé ; c'est le caractère du temps, et le symptôme d’une transformation.

10 heures
Sachez donc une fois pour toutes, je vous en prie, que toutes vos lettres sont intéressantes pour moi. Mon bulletin de l'Assemblée à la fin de la séance du 14, me dit. " M. de Falloux vient de parler avec un grand talent, beaucoup d'élévation et d'habilité. Il a franchement arboré le drapeau de la fusion. L'assemblée est restée froide. Nous ne sommes pas encore compris. M. de Falloux a répondu très heureusement au mot de M. Thiers : " la république est le gouvernement qui nous divise le moins. " - " C'est le gouvernement, a-t-il dit, qui nous tient divisés, puisqu'il, nous permet de rester divisés." - Le discours a été court sans être écouté. La force physique manquait. " Ceci vous arrive par un long détour. Je vous l'envoie pourtant. J'aurai un bulletin tous les jours ; les impressions intérieures de l'Assemblée. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 4 nov. 1851

Je jouis encore de vos deux lignes d'hier. J’espère bien en avoir quelques unes aujourd’hui. Pourvu que votre soirée de Dimanche ne vous ait pas trop fatiguée. Entre le besoin de distraction et la crainte d’agitation, vous êtes très difficile à arranger. Pourtant, je penche, en général du côté de la distraction, l'ennui vous agite plus que la fatigue.
Je suis fort aise que Molé soit pressé de me voir ; mais la presse quant aux choses mêmes n’est pas si grande. Je ne crois pas tant à ma nécessité et à mon efficacité que quelques jours de plus ou de moins y fassent quelque chose. En fait d'envie de hâter mon départ, j'ai résisté à mieux que cela. Je serai à Paris dans huit jours, et bien à temps pour n’y rien faire. J’ai absolument besoin de cette semaine pour ma réponse à M. de Montalembert qui est en bon train.
J’ai bien envie que vous ayez pu voir Mérode avant mon arrivée, et lui dire ce que je vous ai dit du discours de son beau-frère ; discours dont on peut tirer un grand succès, et un grand effet, et qui, s'il restait tel qu’il est, serait probablement pour lui, l'occasion d’un grand échec, comme son rapport sur la loi du Dimanche.
Je suis désolé que le Duc de Montmorency ne soit pas parti. C'était très bien, comme vous l’avez senti au premier moment. Et s’il ne va pas, parce que Thiers ne l'aura pas voulu, ce sera déplorable. Déplorable comme fait, déplorable comme symptôme. Je fais ce que je puis pour me persuader qu’il y a moyen de nous tirer de nos vieilles ornières. Nous y retombons toujours. Etrange pays aussi obstiné que mobile !
Sait-on enfin positivement si c’est la Reine, ou le Duc de Nemours qui a écrit au comte de Chambord, et si réellement on a écrit ? Je ne veux pas croire qu’on se soit borné au service funèbre de Claremont et d’Eisenach.
J’ai vu hier les députés d’ici partant le soir pour l'Assemblée. Ils partent semés. Rejet de l'abrogation de la loi du 11 Mai ; ajournement de la proposition Créton ; et puis, adoption de la loi municipale et de modifications indirectes qu’elle introduit dans la loi du 11 mai. Parti pris de tout subordonner au maintien d’une majorité de 400 voix. Je m'étonne que M. Molé se laisse aller, ou paraisse se laisser aller à un sentiment trop rude envers le Président. Ce n’est pas dans ses allures. Je ne doute pas que le président ne cherche un accommodement, et ne finisse par accepter plus que l'Assemblée elle-même lui donnera, après avoir rejeté sa propositions d’abrogation. Je crois tous les jours moins au coup d'Etat. Pas plus par le général [Saint Arnaud] que par le général Magnan. Tout le monde est un peu fou ; mais les vrais fous sont très rares.

Onze heures
Tant mieux que votre soirée de Dimanche ne vous ait pas trop fatiguée. Je vois que vous avez encore assez de force pour animer la conversation. Adieu, adieu, et merci à Marion. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 20 Oct. 1851

Que signifie cette ridicule nouvelle du Constitutionnel que Lord [Palmerston] viendra à Falaise pour l’inauguration de la statue de Guillaume le conquérant ? Ce serait trop plaisant. Je donnerais bien 20 fr. pour qu’il vint en effet et pour qu’il parlât. Ce serait encore mieux que Lord John venant s'amuser à Paris.
La lettre d'Aberdeen me donne à croire que la Reine est peu favorable à la nouvelle réforme projetée. Quel dommage que le parti conservateur n'ait plus là ses anciens chefs ! Quelle belle occasion de prendre et d'exercer efficacement le pouvoir à l'approbation de la vraie majorité de l’Angleterre ! Certainement Aberdeen est très vexé de cette affaire Gladstone et il a raison. N'avez vous rien entendu dire de Gladstone à son passage à Paris ? Est-ce vraiment dans le midi de la France qu'il est allé passer l'hiver, comme le disent les journaux ?
Je ne comprends pas que Piscatory n'aille pas vous voir. Il ne m’a point récrit depuis une lettre dont je vous ai cité un fragment très amical. Il médite probablement quelque coup de tête en paroles dont il ne veut pas avoir à parler ni avant, ni après.
Vos détails sur l'attitude et la confiance du Président et de ses amis sont bien curieux. Je crois qu’il se trompe. Il y a beaucoup de vrai dans ce qu’il pense et beaucoup de possible dans ce qu’il espère de l'esprit de la population en général, des masses inconnues ; et si rien ne devait se passer, se dire et se faire dans l’Assemblée avant que le pays eût à se prononcer, le pays pourrait bien donner raison au Président. Mais des trois grands acteurs entre qui le drame se joue, le pays, le Président de l’Assemblée, le Président oublie que celui-ci viendra en scène et bientôt. Et quand il est en scène, tout change, ou bien ce qui ne change pas se tait et ne fait rien. L’oncle avait raison ; il faut bien vivre avec les Assemblées, ou vivre sans assemblée, ou avec des assemblées muettes et nulles. Le neveu entreprend de mal vivre avec des Assemblée qui parlent et décident. Et pourtant il aurait pu bien vivre avec elles. Je n'en finirais pas.
Changarnier a quelque raison d'espérer. Jamais sa chance, je ne dirai pas n'a ôté, mais n'a pu devenir aussi sérieuse que dans le moment. Si tant est qu’il puisse y avoir une chance pour qui n’est pas Prince. Quand pouvez-vous avoir la réponse à ?

Onze heures
Je suis bien aise que vous voyez Chomel. Pourvu que vous fassiez ce qu’il vous dira. Probablement rien de plus qu’un régime pour calmer vos nerfs et vous aider à dormir. Adieu, adieu. Je n'ai rien de nulle part. G. Voulez-vous que je vous renvoie la lettre d'Aberdeen ou que je vous la rapporte à mon retour ?

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, 3 Novembre 1851

Il a fait ici cette nuit une tempête effroyable ; je me suis réveillé dix fois, pensant à vous et espérant que ces coups de vent et les torrents de pluie n'étaient pas aussi au-dessus de vous. Ils auraient encore agité vos nerfs déjà si faibles. La tempête a cessé ce matin, et le soleil brille. Que je voudrais apprendre, ce matin que vous avez un peu dormi !
Ce n'est pas au moins le mouvement autour de vous qui vous manque. On vient beaucoup vous voir et vous dire ce qu’on sait, vous vivez des indiscrétions d’autrui qui se confient dans votre discrétion à vous.
Malgré l'ennui qu’ont eu mes amis du nom du Duc de Montmorency dans l’Assemblée nationale, je n’y ai nul regret. Ces choses- là n’ont leur valeur que quand elles sont publiques à cette condition seulement elles lient un peu. Et bien peu encore. Certainement ces courtoisies de famille ne sont rien tant que la question politique n'est pas résolue ; mais elles aplanissent les voies vers cette solution ; surtout elles rendent de plus en plus difficile tout autre chose que cette solution. Rien ne le prouve mieux que l'humeur des adversaires ; l'ordre n’a pu se résoudre à dire que la Reine avait écrit au comte de Chambord.
Je ne puis croire au calcul de Dupin pour l'abrogation de la loi du 31 mai. Je n'allais pas au-delà de 300 voix contre 400. Il connaît mieux que moi l’Assemblée. Je persiste à n'y pas croire. On a parfaitement raison de rejeter tout-à-fait, sans amendement ni transaction la proposition d’abrogation pourvu qu’on soit décidé à adopter ensuite la loi municipale dont le rapport a déjà été fait, et qui contient la transaction pratique dont le parti de l'ordre a besoin pour rester uni. Je vous quitte pour ma toilette.
Voici ma dernière semaine sans vous voir. Que ferais-je pour remercier Marion de ses bonnes lettres ? J'en ai reçu hier une très longue de Croker qui ne peut toujours pas se consoler qu’on n'ait pas renommé le général Cavaignac président, et laissé ainsi la République seule avec elle-même. C'est bien dommage que la Révolution française ne se soit pas laissée diriger par lui ; il savait bien mieux ses affaires qu'elle-même, et il lui aurait donné d'excellents conseils.
Sur l’Angleterre, il ne me dit que ceci : " Why is the Assemblée nationale so stupid as to attribute Palmerston policy to England in general, and above all to suppose that any man in England dreams of acquiring Sicily ? So far from desiring any such thing I will venture to say that not one man, Whig or Tory, would consent to accept it, even il offered I and you may be assured we [?] more likely to get rid of colonies that we have than to attempt to obtain a new one." Je crois qu’il dit vrai.

Onze heures
Voilà deux lignes qui me charment ; soit dit sais faire tort à la charmante Marion. Adieu, adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 31 Juillet 1851

J’ai fait hier à Lisieux un dîner beaucoup plus chargé de personnes et de plats mais certainement beaucoup moins bon et beaucoup moins gai que le vôtre je ne sais où dans Ems. Deux choses seulement à remarquer. A peu près point de politique ; non par embarras et avec dessein, mais naturellement, par la pente libre des esprits ; on n'y pense pas, et on n’y veut pas penser. On n’y a nul goût, et on n'a pas très grand' peur de l'avenir. On ne demande pas grand chose à cet avenir ; qu'on vive et qu'on meure en paix, qu’on vende et qu’on achète en sûreté, on sera content. On se promet à peu près cela, en toute hypothèse. Tout le reste paraît un luxe vain, ennuyeux et périlleux. Il a été fort question des hannetons qui ravagent les fruits cette année " L'assemblée ferait bien mieux de donner des primes pour la destruction des hannetons que de discuter la révision de la constitution ; elle serait bien plus utile à la France." Cela a été dit à l'approbation générale.
Ma seconde remarque, c’est la faveur extrême du Clergé pour moi. L’évêque était là avec ses deux grands vicaires et le curé de la principale paroisse de Lisieux. Eux seuls ont un peu parlé politique, et à moi seul, pour me dire combien ils désiraient de me voir rentrer dans l'assemblée et que je pouvais compter sur leur plus vif concours. Je crois en vérité qu'ils sont de l’avis de Donoso Cortés. Cela est bon, mais un peu compromettant, et j'ai d'autres amis qui s'en préoccupent un peu et me recommandent de ne pas me laisser envahir de ce côté. Voilà tout mon dîner. Pardonnez-moi ; je m’aperçois que je vous écris sur une demi-feuille déchirée. Vous me permettez de ne pas recommencer, ma lettre pour cela.
J'oubliais ce que m'a dit M. Leroy-Beaulieu, le député actuel de Lisieux à l'assemblée, et de mes anciens amis. Il était venu à dîner là. Les révisionnistes ( il en est, et des Pyramides) ne s’attendaient pas à plus de 400 voix. Ils sont donc contents de 447, et recommenceront certainement en novembre. C'est même par cette raison qu'ils ne veulent pas que la prorogation aille au-delà du 20 octobre. C'est ce jour-là que les trois mois d’intervalle exigé expirent. Ils ne veulent pas perdre un jour pour recommencer. Est-ce que la lettre de Gladstone est imprimée dans les journaux anglais ? Je n'en ai pas encore trouvé trace dans les nôtres. Je la regrette sans m'en étonner. Certainement c’est une étourderie imprévoyante ; mais vous connaissez les Anglais ; quand quelque chose les choque à un certain point, ils ne le gênent pour personne, roi ou peuple. Et ils s'inquiètent peu des conséquences, car ils savent qu’ils ne s'en embarrasseront guères quand elles viendront, et que ce qu’ils auront dit ne les gênera point pour agir autrement si cela leur convient. Je doute que M. Gladstone soit destiné à devenir ministre dirigeant de son pays ; mais si cela lui arrivait, il ne se croirait pas du tout obligé de faire la guerre au Roi de Naples parce qu'il l’aurait, jadis appelé un tyran ; et il entrerait en intimité avec lui, si cela lui était bon, à lui Gladstone et à l'Angleterre, bien sûr de n'être pas refusé ; sur quoi il aurait raison de compter.
Encore un Anglais drôle. Croker m'écrit : " My immediate object, is to ask you whether you will not come and see our exhibition. Its utility ls nulle, nor is there any individual thing worth walking a mile to see ; but the aggregate, as if all the shops of the world had given themselves a rendez-vous, is really striking-if it were only to convince mankind how little good taste there is in the world. But then the edifice itself is a real curiosity ; and as everyone else of any note in France has come to see it, you should not be singular. Come to us here. " Et il me trace mon itinéraire pour aller du Havre à Southampton, et de Southampton à Alverbank où il est, et où je dois passer trois jours, puis deux jours à Londres. " The d'Orleans are all in Scotland ; all easily within a week "
Je vais lui répondre que j'irai à Londres, à la fin d’Août pour voir " les d'Orléans " et que je verrai, en passant, l'Exposition, et lui aussi, s'il est à Londres. Sans le blesser pourtant, car je suis touché de son empressement affectueux.

11 heures
Je tiens pour impossible que vos 10 000 livres, soient perdues, à moins que quelqu'un n'ait volé vos titres. Couth sont d’honnêtes gens et ne mentent pas. Je recherche dans ma mémoire ; j'ai quelque souvenir confus d’une perplexité où vous avez déjà été, précisément pour ces titres-là, il y a 18 mois ou 2 ans. Vous aviez je ne sais pas bien qu’elle hésitation, mais quelque hésitation entre Couth et Rothschild. Vos titres ne seraient-ils pas chez Rothschild, celui de Paris ou celui de Londres ? Ne les avez-vous pas retirés de chez Couth pour les mettre chez Rothschild qui vous a remis les coupons jusqu'à je ne sais plus quelle année ? Pensez-y et allez aux informations. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 24 Juillet 1851
8 heures

Je viens d'écrire une longue lettre à Croker. Il faut payer ses dettes, surtout à ses vieux amis. Je serais bien triste si je parvenais à être réellement inquiet sur l’Angleterre. Je persiste à ne pas l'être. Il y a là une digue de bon sens et de vertu assez forte pour résister même à un gros torrent qui viendrait l'assaillir, et je ne vois pas encore le torrent.
J’ai eu hier des visites qui m’ont assez frappé ; deux des hommes les plus intelligents, et les plus froids du pays ; sans passion et sans parti pris sur rien. Ils m’ont parlé du débat sur la révision comme ayant été très favorable à la monarchie, et pas très favorable au Président. Ils trouvent que République et Président ont fait là assez pauvre figure. Ils examinent ce qu’ils ne faisaient pas du tout, il y a un mois, comment la monarchie pourrait revenir, l'an prochain, ou quel autre président pourrait être élu. Cependant ils concluent que la République et le président. actuel sont encore ce qui a le plus de chances.
J'envie à Marion et à Duchâtel leur course à Stolzenfels. Je pense à Ems avec plaisir, et regret. A cause de vous d'abord, ce qui va sans dire, mais un peu aussi à cause d'Ems même. Le pays est plus pittoresque que celui-ci, et au milieu de ce pays pittoresque il y a des restes du passé un peu de vieille histoire, Stolzenfels restauré et les ruines de Nassau. Il n'y a point du tout de passé autour de moi, à dix lieues à la ronde, point du tout. On prend de plus en plus le goût du passé en vieillissant, comme les ombres s'allongent le soir. Pardon de l'incohérence.
Que dites-vous du souffle que l'assemblée vient de donner à ce pauvre Léon Faucher ? C’est la seconde fois que cela lui arrive. Il y a des gens qui auront voulu se dédommager de l'effort qu'ils avaient fait en votant pour la révision. Cela amènera-t-il une crise de cabinet ? M. Od. Barrot est là, prêt à recevoir l'héritage et à servir de couverture pour la réélection du Président. Je soupçonne que quelques uns des collègues de M. Léon Faucher auront été, sous main, pour quelque chose dans son échec. C'est aussi ce qui lui arriva, à sa première chute. Il est déplaisant, et embarrassant.

Onze heures
On m'écrit de Paris : " Les ministres restent. Ce n'est pas qu'à l’Elysée, on n'ait un grand désir de profiter de l'occasion pour renvoyer Faucher qui est odieux à ses Collègues et au Président ; mais ce serait donner une victoire à l'Assemblée, et on se décide à laisser les choses comme elles sont. Il faudrait d'ailleurs prendre Barrot qui n’est pas plus aimé que Faucher. " " Berryer, a reçu une longue lettre du duc de Noailles, dont il est très content. Le Duc aussi est content." Ce pauvre Maréchal Sebastiani aurait mieux fait de mourir il y a quatre ans. Il en avait une admirable occasion. C'était un esprit politique remarquablement sûr, fin sans subtilité, et presque grand avec une pesanteur et une lenteur assommantes, et une extrême stérilité. Propre à l'action, quoique sans invention. Je ne l'ai pas revu depuis la révolution de Février.
Je suis bien aise que Mad d'Hulot vous plaise. C’est une honorable personne, et je l’ai toujours trouvée aimable. Adieu, Adieu. Nous sommes depuis hier, sous le déluge d’un orage continu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 17 Juillet 1851
6 heures

Le temps est splendide. J'ouvre mes fenêtres sous le plus pur ciel, et le plus brillant soleil que j’aie jamais vus en Normandie. N'étaient les vapeurs qui roulent en fuyant à l’horizon, je croirais un col et un soleil du midi. Mais je n'y crois pas. L’impression chaude et transparente de l’air du midi est restée trop vive dans ma mémoire. Je viens d'allumer mon feu.
Après la nature, l'histoire. Celle-ci est bien ancienne. Pourquoi êtes-vous si loin ? Le discours de M. de Falloux est excellent, spirituel, sensé, honnête, élevé, élégant. Je comprends que l’assemblée soit restée froide. Ni l’éloquence n'est puissante, ni la politique pratique. Rien qui satisfasse les intérêts, ni qui remue les armes. C'est, pour moitié, la faute de la situation quand il n’y a rien à faire, il n’y a rien à dire. Pourtant on pouvait certainement exciter plus fortement l’inquiétude et faire entrevoir plus distinctement l'avenir. Le Général Cavaignac m'a intéressé et ennuyé. Tout ce qu’il dit est nouveau pour lui et vieux pour moi. Il découvre des théories usées. Mais on sent un homme sous les guenilles un homme fortement convaincu et qui se battra pour la République. Plus l'avenir s'éloigne, plus il m'inquiète. La République ne peut pas vivre, et ne se laissera pas mourir. Je suis dans un état d’esprit très désagréable. Je crois fermement à un certain avenir et je ne vois pas du tout comment il sortira du présent. Comme un homme sûr d'arriver, mais qui marcherait à travers des précipices sans voir du tout son chemin. C’est la foi absolument dénuée de science. M. de Maistre serait content de celle-là.
Je n'ai point oublié les Delmas. Je suis allé chez eux et, ne les trouvant pas j'ai laissé deux cartes p.p.c., pour qu’ils sussent bien que, s'ils ne me croyaient pas, c’est que je n'étais plus à Paris. Quand j'aurais un mauvais procédé, pour vous, vous ou moi, nous irons le dire à Rome. Je vous laisserai le choix. Je n’ai pas dîné le Jeudi 10, chez les Hatzfeldt parce que j’avais un engagement antérieur chez Mad. Lenormant, engagement auquel j'ai manqué parce que j'étais encore souffrant. J’ai passé moi-même et mis des cartes, la veille de mon départ, chez Hatzfeldt, Hübner, Kisseleff et Antonini. On m'a dit que ce dernier était malade.

10 heures
Voilà des visites qui m'arrivent avec la poste. Je n'ai que le temps de fermer mes lettres. Mon bulletin de l'assemblée porte : “ Berryer est depuis quelques minutes à la tribune. Il signale le double danger de l’anarchie, et du Bonapartisme. Il devient magnifique, admirable. Il n’a jamais été plus beau, aussi beau. Mais il faut que je ferme ma lettre. La nomination du Général Magnan est très mal accueillie.” Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 14 août 1851

Je serai donc à Paris le 24, à Londres le 27 ; à Weybridge pour le service le 26, et probablement à Claremont le 27, pour la conversation. Si je resterai à Londres un ou deux jours, c’est ce que je ne sais pas. Je me refuse absolument aux invitations Lord Aberdeen, Sir John Boileau, Croker & & mais peut-être Croker et Sir John Boileau viendront à Londres pour me voir. En tout cas je compte partir de Londres le 29 ou le 30, et être par conséquent à Paris, le 30 ou le 31. Vous voyez que mes plans cadrent avec les vôtres. Je vous prie seulement d'être à Paris le 31 août ou le 1er septembre au plus tard, car j'aurai bien peu de jours à y rester et je n'en veux rien perdre. Je suis entré très activement, dans plusieurs travaux qui ont quelque importance que je veux avoir terminé avant de rentrer à Paris cet automne et qui me laissent peu de liberté.
Je n'ai trouvé les choses, ni si changées, ni si aggravées que vous l’avait écrit Duchâtel. L’intrigue Joinville avance peu, quoique fort active. Les pauvres étourderies du Prince lui-même tombent à terre presque aussitôt que commises. Sauf à recommencer. Les questions qui s’agitent et les événements qui se préparent sont trop gros pour que tout ce petit mouvement y fasse ou y change grand chose. Ce qu’on a gagné, par le progrès de l'union désireuse et réelle entre les deux partis conservateurs est à mon avis bien plus important que les incidents dont on se préoccupe ne sont fâcheux. Voilà la part de mon optimisme. Deux sortes de gens ont raison d'être tristes, des gens difficiles et les gens pressés ; rien de grandement bon ne se fera, ou du moins ne se fera bientôt. Nous avons encore je ne sais combien de sottises à traverser et de sots à user. Ce sera probablement contre ce qui existe aujourd’hui qu’ils s’useront. Quand la France, sera sortie de cet abominable bourbier on trouvera qu'après le malheur d’y être tombée, et tombée par sa faute elle y a eu du bonheur et qu’elle s'en est tiré à bon marché. La candidature Joinville, et la proposition Creton, voilà les embarras réels du moment. Le second fournira peut-être un moyen de sortir du premier.
J’ai été parfaitement content de Berryer. Il n’a qu’une idée fixe, l’élection de l'Assemblée future. C’est à ce but que tout doit être subordonné. Et heureusement, le gros du parti le comprend. Les dissidents même, très peu nombreux commencent à s'inquiéter de l'explosion de leur dissidence et à chercher quelque moyen de boucher le petit trou qu’ils ont fait. M. de Falloux, très sensé et très ferme, mais de nouveau souffrant, est parti pour aller rejoindre sa femme à Nice. Le Président a causé avec Kisseleff, le jour de sa fête à St Cloud, et lui a tenu un langage fort raisonnable. Décidé à se croiser les bras et à attendre que le pays agisse. Il y a toujours des impatients amateurs de Coup d'Etat. Il est peu probable, très peu, qu’ils prévalent quoiqu’on ne soit peut-être pas fâché que le public en ait toujours un peu peur. Cela le rend plus modeste, et plus, empressé à faire lui-même ce qui dispense des coups d'État. Le public s’inquiète d'une circonstance. Un commandement donné, à Paris, au général St Arnauld, le vainqueur de la Kabylie, le plus entreprenant et le plus dévoué des nouveaux généraux africains bien plus capable d’un coup que le Général Magnan de Paris à Londres.
Un de mes amis anglais whig sensé et fort au courant m’écrit : " Lord John has made a promise, a very rash one, it seems to me of a new reform-bill ; and whether, it succeeds or fails, it will not leave us where it founds. I breakfasted this morning with Lord Lansdowne, and tried to find out whether the government had any fixed plan. But I could learn nothing, and I suspect that they have not yet, even seriously considered what they mean to propose. My suspicion is that what they ultimately do propose will be too strong for the Tories and too weak for the radicals ; that they will be defeated by a Tory-radical opposition, and go out ; that a Tory government will come in and reign for 4 or 5 years, and that then the whigs will come back, with a larger or at least a more,(deux mots que je n’ai jamais pu lire).... bill. " Cela me paraît de l'English good sense. Adieu.
J'adresse toujours à Francfort Vous ne m'avez rien dit contre. Votre tête me déplait bien. J’ai peine à croire que vous ne sauviez pas votre fils Alexandre. Ce ne serait pas la peine de prendre tant de peine pour avoir si peu de crédit. Adieu, adieu G

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 11 Sept 1851

J'ai passé hier ma matinée à Lisieux. 26 visites ! à la vérité, je n'en ai trouvé que six. Dans les villes de province comme à Paris la société est dispersée et court les champs. Ce n'est pas la peine de vous redire mes observations sur l'état des esprits. Je n’ai rien entendu de nouveau. J'arrive toujours à la même conclusion ; s'il ne survient point d'événement qui dérange la pente des choses, on élira une assemblée plus présidentielle que celle-ci, et puis on réélira le Président, dans la confiance que l'Assemblée couvrira l’inconstitutionnalité de sa ratification. Toutes les autres combinaisons, toutes les autres. prétentions sont en dehors du sentiment national. Il est vrai que, dans mon pauvre pays le sentiment national est bien souvent bafoué et foulé aux pieds. Il se venge ; mais cela ne le sauve pas.
Je travaille beaucoup. J'écris ma politique personnelle ; ce que j’ai cherché pour mon pays ; fragment de Mémoires personnels. Je veux avoir cela tout prêt, pour le publier au moment qui me conviendra. C’est un grand amusement et ce peut être un grand intérêt pour moi. Je crois que cela vous intéressera aussi. On peut très bien trouver la garantie qu’on cherche pour Changarnier. Je suis moins sûr, qu'elle lui convienne quand on l’aura trouvée.
Si Thiers va à Londres, c'est pour faire cesser les hésitations qui existent encore là, qui ont même augmenté, je crois, dans ces derniers temps, et qui empêchent toute conduite positive et publique. Or il n’y a que les conduites positives et publiques qui réussissent. Thiers ira quand le Duc d’Aumale y sera arrivé, pour être de la délibération de famille. Je ne crois pas qu'on lui résiste. Il fera adopter le plan de campagne qu’il proposera. Quel sera ce plan. C'est ce qu’il faudra savoir le plus tôt possible. Il y en avait eu un premier qui a été fort dérangé. Nous verrons ce qui adviendra du second.
Est-ce que personne à votre connaissance, ne parle d'aller aussi voir Madame la Duchesse d'Orléans à Eisenach ? Je n’entends plus parler du tout de Piscatory. Il ne m’a pas écrit depuis que je suis ici. J'en saurai peut-être quelque chose à Broglie. En tout cas je romprais moi-même le silence. Je ne veux, ni me brouiller avec un ami, ni me laisser boucher une fenêtre sur le camp ennemi. Avez-vous quelque certitude qu’il est en correspondance avec la Duchesse de Talleyrand ? Cela vaut la peine de le savoir sûrement. Je m'étonnerais que de la part de Palmerston, cette correspondance eût recommencé sans quelque intention. Il a à la fois beaucoup de premier mouvement et beaucoup de calcul. Et il peut avoir envie de s’entrouvrir, en tous sens des portes.

11 heures
Merci de votre longue lettre. Je vous remercierai bien plus encore quand vous me direz que vous vous sentez mieux. Voilà des visiteurs de Trouville qui viennent me demander à déjeuner. Hippolyte de La Rochefoucauld et cinq ou six Mallet, Labouchère & Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Jeudi 7 août 1851

Duchâtel m'écrit : " Je trouve l'aspect des choses triste ; la situation de Changarnier à peu près détruite ; la fusion rendue presque ridicule par la correspondance du Prince de Joinville ; tout le monde en découragement ; le mouvement dans le sens du Président ; l'assemblée a été raisonnable pour la révision et le choix de la commission de permanence ; mais cette raison, si elle persiste, la conduira plus loin que jusqu'à présent ne le veulent les Légitimistes. Il est clair que la prolongation doit en sortir. "
Vous voyez ; c’est la même impression que j'ai d’ici ; sauf l'exubérance de l’esprit de critique, qui est le plaisir et la faiblesse de Duchâtel. Il ne résiste pas à se moquer de ce dont le monde se moque. Si l'idée de la fusion est juste, comme je le crois, il n’est pas au pouvoir du Prince de Joinville de la rendre ridicule par ses sottises. Elle en surmontera bien d’autres. Mais en attendant, et sur la situation en général, certainement Duchâtel dit vrai. J'y regarderai dimanche. Il voudrait aller chasser quelques grosses en [?] avant notre visite à Claremont le 26. Mais son fils, et la distribution des prix le retiendront trop tard à Paris. Je doute pourtant que nous partions ensemble. Il veut arriver à Londres 8 ou 10 jours avant le 26, pour les donner à l'exposition. Je n’en donnerai pas tant ; un ou deux jours de Londres me suffiront très bien, et je ne veux arriver en Angleterre que tout juste pour la visite qui m’y fait aller.
D'autres lettres de sources diverses, me transmettent la même impression que Duchâtel. Je vois seulement que, dans beaucoup de département on commence à se préoccuper sérieusement de l'élection de la future assemblée, et à se concerter entre conservateurs et légitimistes, pour qu’elle soit bonne. C’est aujourd’hui le but essentiel, et le seul possible, à attendre.
Un autre mouvement électoral m’arrive celui de l'Académie. Tous les concurrents m'écrivent, M. Liadières, M. Philarète Chasles, M. Poujoulat & Vous ne connaissez guères plus les noms que les personnes. Tous aussi légers les uns que les autres. Il n’y aurait que Berryer qui eût du poids et de l'éclat. Mais notre dernier choix a été M. de Montalembert ; l'Académie ne voudra pas faire coup sur coup deux choix politiques, l'un pris à Rome, l'autre à Frohsdorf. Je n’ai pas idée du résultat. Ce dont vous n'avez pas d’idée, c'est de mon état d'enchiffrenement et d'éternuement ce matin. Je vous écris à travers des torrents de larmes. Il fait pourtant bien beau et bien sec hors de mes yeux. Je suspends pour attendre un intervalle lucide.

10 heures
Merci de la lettre qui m’arrive. Je n'y comptais pas aujourd’hui. J’y vois un peu plus clair, mais guères. Je n'ai rien de Paris. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 20 Juillet 1851

Pourquoi ne le dirais-je pas ? M. Victor Hugo me plaît. Il a remis tout le monde dans la vérité. La République du Gal Cavaignac, mensonge ; la République de M. Michel de Bourge, mensonge ; c’est la révolution qui est là, deux révolutions, une vieille et une future, celle des Montagnards et celle des Socialistes. C'est très bien de se mettre en colère contre le mauvais fou qui dit tout cela ; mais il faut savoir qu’il dit vrai, et que ces odieuses folies sont l'ennemi auquel on a réellement affaire. Hors de là, je ne vois que des badauds qui s’attrapent eux-mêmes en essayant d'en attraper d'autres qui se laissent volontiers attraper. Je trouve que ce débat, tout en restant parfaitement stérile est plus sérieux et plus significatif que je ne m’y attendais. Il y a de la vie dans ce pays-ci ; ce qui est, paraît, quelque envie qu'on ait de ne pas le voir. C'est une singulière impression que de recevoir l’écho de ce bruit dans le silence de ma solitude.
Mon gendre Conrad m’arrive demain pour passer ici quatre jours. Ils ne veulent pas me laisser plus longtemps seul. Pauline qui est à merveille ainsi que son enfant, vient s'établir avec son mari samedi prochain 26. Henriette est obligée de rester encore trois ou quatre semaines à Paris ; sa fille va mieux et on espère qu’elle ira décidément bien ; mais il n'y a pas moyen de la séparer en ce moment de son médecin. Le Val Richer aura revu un moine pendant huit jours. Vous savez que moine veut dire solitaire.
Je suis bien aise de ce que vous dit Lady Allice sur le ballot. Je ne me fie pourtant pas beaucoup à ces indifférences superbes des Ministres. Je compte plus sûr le bon sens anglais que sur la fermeté de Lord John. Croker, dans sa dernière lettre caractérise le genre et le degré d'habileté des Whigs, et le mal qu'ils laissent faire grâce à celui qu'ils ont l’air d'empêcher, avec beaucoup de vérité et de finesse. Je suis frappé de ce que vous me dites que la réaction va trop vite à Berlin. C'est mon impression aussi, sans bien savoir. Et j'ai peur que cette réaction, qui va si vite, ne soit, au fond, pas plus courageuse qu'habile. Avez-vous remarqué ces jours-ci un article Alexandre Thomas dans les Débats à ce sujet ? Il était plus précis et plus topique que ne l'est ordinairement cette signature.
Je trouve le Constitutionnel bien faible depuis quelque temps. Rabâcheur, sans confiance en lui-même. Est-ce que le Président serait déjà un vieux gouvernement ? Le plus grand des défauts dans ce pays-ci.

Onze heures
Le facteur ne m’apporte pas grand'chose. Petit effet de Dufaure. Pas plus grand de Barrot, M. Moulin m'écrit pendant que Barrot parle. Le discours de Berryer reste entier, et jusqu'ici seul, du bon côté du moins. Mon gendre Cornélis m’écrit : " Ce discours a fait dans Paris une grande sensation, plus grande qu'on ne pouvait l'espérer. Tout le monde en parle, et ce qui est singulier, tout le monde l'a lu. Les journaux anti légitimistes y ont beaucoup contribué ; ils ont cherché à entourer la fusion sous les couronnes décernées à M. Berryer, et pour éviter d'apprecier l'acte politique, ils ont adressé à l'orateur des louanges excessives, en affectant de ne voir là qu’un beau discours. Mais le public n'est pas de leur avis " Adieu. Adieu. Je suis charmé qu’il vous arrive du renfort. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer 17 août 1851

J'espère bien avoir une lettre ce matin. Je ne reçois pas celles de Francfort plutôt que celles d’Ems, ni celles de Schlangenbad plus tard. Je suis fâché de ne pas connaître Schlangenbad. Jamais le calme n'a été plus profond qu'en ce moment. Le mouvement de l'Assemblée est fini. Celui des conseils généraux n'est pas encore commencé. Les journaux n'excitent plus aucun mouvement. A peine dit-on quelques mots de la candidature du Prince de Joinville. La réserve du Journal des Débats déplaît évidemment beaucoup à ceux qui y poussent. Quelle leçon, si cela finissait par un coup d'épée dans l’eau ! Ce sera le point délicat de ma visite à Claremont. Mais je m'en tirerai comme Dugueselin se tira de la ville de Rennes, où il était assiégé par les Anglais. Grand stratagème du Connétable. Il met son Chroniqueur en tête de ce chapitre ; et ce stratagème fut de rassembler sa garnison, de sortir de la place bannières déployées et de se faire jour, à grands coups de lance et d’épée, à travers le camp des Anglais. Je parlerai comme Dugueslin marchait bannières déployées et en disant tout ce que je pense. Je ne connais, ni dans mon devoir, ni dans leur intérêt, aucune raison de m'en gêner.
Ce qui m'amuserait, ce serait comme je le vois dans les journaux, que Thiers, Rémusat, Lasteyrie, Piscatory & vinssent là aussi pour le 26 août. La réunion autour du cercueil du Roi serait frappante. La mort change peu de chose.
J'étais inquiet, il y a quelques jours, pour la petite fille de ma fille Henriette. L'affection vient vite en regardant une pauvre petite créature muette qui souffre et qui vous regarde avec des yeux suppliants, où il n’y a rien encore que l’instinct confiant de la faiblesse qui implore secours. L'enfant va mieux. Je ne sais si on viendra à bout de l'élever ; elle est bien chétive. Il y a aussi quelque chose qui saisit et attache dans ce problème de la vie à son début ; une flamme qui vacille ; durera-t-elle ? S'éteindra- t-elle ? C'est le mot de mort à propos du Roi, qui m'a reporté vers ma petite-fille. Qu'il y a loin de l’un à l'autre !

11 heures
Voilà ma lettre, et vous êtes rétablie à Schlangenbad. J'en suis bien aise pour votre repos. La fatigue un peu prolongée, même agréable ne vous va pas. Adieu, adieu. Point de journaux ce matin. Montalivet m'écrit. " La Reine et les Princes vont quitter l’Ecosse. Le Prince et la Princesse de Joinville, retournent directement à Claremont. La Reine et le duc de Nemours feront un détour qui leur prendra plusieurs jours. Je ne crois pas qu’ils soient à Claremont avant le 24. Mad. la Duchesse d'Orléans habitera Claremont et y arrivera de son côté le 22 ou le 24. " Mon plan, à moi, est toujours le même. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 3 août 1851

M. Molé m'écrit pour se chagriner de l'Assemblée nationale. Il n'est pas content de la rédaction, ni de la direction ; il trouve que les articles politiques sont souvent impolitiques. Il a raison. Il me demande quand je pourrai aller à une réunion du Comité. Je n'irais certainement pas à Paris pour cela. Pendant la dispersion de la saison, l'Assemblée nationale ira cahin caha, c'est inévitable. Mais je vais à Paris dimanche prochain 10, pour la distribution des prix au grand concours de l'Université. Je n’ai jamais manqué à mon fils ce jour-là. J’y passerai les 11 et 12. Je me mets à la disposition de Molé pour ces deux matinées. Nous ne ferons pas grand chose de plus que nous donner mutuellement le plaisir de la conversation. Duchâtel a dû arriver hier à Paris. Je règlerai notre course à Claremont pour la fin de ce mois. Je n’ai rien dérangé à notre correspondance. On me renverra mes lettres deux jours. Il n'y a pas moyen à cette distance et avec les Postes allemandes, de cadrer parfaitement juste. Mais ne manquez pas de me dire, dés que vous le saurez, quel jour précis vous serez de retour à Paris pour que je m’arrange en conséquence.
Le choléra l'emporte donc, dans Ellice, sur l'amour. A-t-il jamais été très amoureux ? Il me semble que, même jeune, le choléra devait toujours être le plus fort. Aurez-vous quelqu’un à Schlangenbad ? L’été dernier, vous aviez au moins la Princesse Grasalcovitch. Qu'a-t-elle fait cet été ? Est-elle aux Pyrénées avec Thiers ?
Les légitimistes à la fois intelligents, et un peu pointus sont bien préoccupés de celui-ci. L’un deux m'écrit : " Il se brasse, sous main, la plus splendide des mystifications. Figaro exerce, depuis longues années, une déplorable influence sur notre orateur, trop sensible aux douceurs d’une vie paresseuse. Et dont l’éloquence, toute grande qu'elle est, n'équivaut pas à l'astuce et à l’esprit de persistance de Figaro. Les événements vont se succéder rapidement. Une commission permanente formée à l'exclusion des Montagnards commencera à fournir aux Pyramidaux l'occasion de prendre le pas sur les Rivoliens, gens de nature inerte et molle, privés qu’ils seront de l'activité que leur donnerait un simple appoint de Montagnards, à la rentrée de l'Assemblée reprise de la proposition de retour des exilés ; application de la loi actuelle d'élection qui doit ajouter aux Pyramidaux le nombre de représentants qu'elle enlèvera certainement aux Rivoliens. Le surplus n'a nul besoin de développement. Tous les hommes du triomphe à Figaro. "
Vous retrouvez-là, ce singulier mélange de clairvoyance et d'aveuglement que donne le violent esprit de parti. Mon pointu croit trop à ce qu’il craint ; mais il y a des chances pour ce qu'il dit. Le jeu est bien compliqué.

10 heures
Vous serez bien seule en effet à Schlangenbad. Depuis que j’ai passé dix jours absolument seul, je ne crains pas la solitude pour moi, et je la crains encore plus pour vous. Adieu, Adieu Je n'ai rien de Paris. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer 2 Novembre 1851

Je ne suis pas malade comme vous, mais j’ai eu hier et cette nuit une forte migraine ; ce qui fait que je me lève tard, et que vous n'aurez qu’une courte lettre.
J’ai beaucoup travaillé depuis quelque temps, et je veux travailler beaucoup cette dernière semaine. Je sais le peu de temps dont je dispose à Paris. Si ma réponse à M. de Montalembert n’est pas tout-à-fait finie quand je partirai, elle en sera bien près.
J’espère bien apprendre ce matin que le mieux s'est soutenu pour vous. Ce sera parfait si je l’apprends de vous-même. Vous aurez vu que j’avais fait grand attention à l'article du Constitutionnel sur M. de Persigny, et que j'en savais le sens. Si cela aboutissait à son renvoi, ce serait en effet très significatif, et une facilité pour reculer.
Je ne suis pas inquiet de la reculade, pourvu que le débats de l'Assemblée n'enveniment pas trop les plaies. Si elle le conduit aussi sensément que sa commission de permanence, si elle cherche le succès plutôt que le bruit, elle aura certainement le succés. L’ajournement de la proposition Créton et probablement aussi de la candidature de M. le Prince de Joinville me paraît être la résultat naturel et obligé de la situation actuelle. Il n'y a de majorité qu'à cette condition.
Le Duc de Montmorency est-il bien réellement parti ? J’ai des nouvelles de Duchâtel. Rien de nouveau. Mêmes observations, même impressions et mêmes conjectures que les miennes. Il ne reviendra qu'à la fin de novembre.

Onze heures
Je suis moins content aujourd’hui qu’hier. Je maudis Pétersbourg. Je sais avec qu’elle lenteur vous vous remettez de secousses pareilles. Adieu, adieu. Je ne vous ferais pas grand bien si j'étais là, mais je suis bien pressé d'y être. Adieu. Je remercie toujours Marion, vrai trèsor. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Schlangenbad le 13 août 1851

Je n'ai jamais entendu dire un mot de l’idée du Roi George IV de rendre la bibliothèque royale à l’Empereur, c'est un conte. Dites cela à M. Croker. À votre question maintenant. C'est l’Assemblée nationale qui a raison. Nous avons écrit à nos représentants en Italie exactement ce que le journal a cité. Je le sais par Bouteneff notre Ministre à Rome à qui j'ai fait lire le journal. À propos il s’abonne, à l’Assemblée nationale je l'ai recommandé à mes autres ministres aussi. Voici ce qui me reste du peu de mots que m’a dit le prince de Prusse de ses conversations à Londres. La Duchesse d’Orléans dit " Henry V doit être rappelé. Nous serions élus. Cela rentre dans le principe de ma maison." " Et voilà entre nous la différence. " Je vous ai dit que la grande Duchesse survenant au milieu de cela, il n’y a plus eu moyen de reprendre & quelques instants après Le Prince voguait sur Cologne.
Ma langue va un peu mieux, mais j’ai un grand échauffement à la tête. C’est ennuyeux de le sentir mal arrangée par ce bout là. J’ai vu la duchesse de Hamilton. Ce sera si non une ressource, du moins quelqu’un. Jeudi matin le 14. Rien à vous dire. J’ai passé une mauvaise nuit. Il y a intermittence. On me conseille la quinine. Je ne me soucie pas de ces conseils là. Dans 10 jours j’aurai fini ceci je suppose, mon voyage n’a pas bien été. Que faire ? Adieu. Adieu. Je suis avide de vos lettres de Paris. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Schlangenbad le 4 août lundi 1851

Marion est toute éprise du Pce Metternich (à propos et pour ne pas l'oublier il est dans une grande admiration de votre lettre insérée au Journal des Débats & Ass. nationale) Elle a écouté tous ses récits, tous ses raisonnements avec curiosité, intérêt, & esprit. Elle fait sur tout cela de réflexions pleines de justesse. Il me paraît que lui a été très frappé de son mérite à elle. Ils étaient ensemble tout le jour. Se promenant en tête à tête. On allait se coucher, elle restait seule avec un vieux professeur à l'écouter, & discuter avec lui. On adore Marion là. D’abord elle a été revue en reine. Le fils & la fille sur la rive opposée du Rhin à Bingen. La Princesse Metternich sur le rivage au pied du château. Le Prince sur le péron, et des Ambassades ! La Princesse l'a reconduite jusqu’à moitié chemin de ceci. Elle veut venir me voir, & et espérant que j’irai passer quelques jours chez eux. Mais je ne sais pas si bien écouter que Marion. Certainement cette fille a l’esprit mieux fait & plus solide que le mien. Elle cherche et trouve le mérite dans les profondeurs du rabâchage. Je n’aime pas à prendre tant de peine.

Mardi 5. Pas de lettres hier ! Est-ce que ma combinaison Francfort serait mauvaise ? C’est-ce que je vais apprendre aujourd’hui en attendant cela me contrarie vivement. Cela et mon mal de tête qui continue. Rien n'y fait. Mauvaise année. Le temps est charmant, le lieu aussi. Marion aussi. Mais ma tête, j’en perds la tête. Je n’ai pas un correspondant à Paris, il n’y a que vous qui me donniez des nouvelles. La commission de permanence me semble bonne. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Paris, Vendredi 11 Juillet 1851.

J’ai vu hier Berryer, et St Priest chez Molé. Ils sont très contents. M. de St Priest témoigne une crainte d’honnête homme que les journaux légitimistes ou fusionnistes n'enflent la visite, et ne prétendent en tirer ou en faire présumer autre chose, que ce qui s’y est réellement passé et dit. Elle faisait hier à l'Assemblée beaucoup d'effet. Thiers en a parlé à M. de St. Priest. " Vous avez donc été à Claremont ; vous y avez été bien reçu. C’est tout simple ; je suis sûr que si j’allais à Froshsdorff, M. le comte de Chambord me recevrait très bien. "
Le journal régentiste, l’Ordre, en parle ce matin avec une réserve inquiète, et pour empêcher qu’on n’y attache une importance politique. L'enfantillage dans le mensonge c’est la ressource des partis de mauvaise humeur.
J’ai fait votre commission sur le duc de Noailles auprès de M. Molé et j’y ai ajouté Berryer. Sauf la visite à Claremont, on ne s'occupe à l'Assemblée que du rapport Tocqueville et du débat qui se prépare. Les Elyséens et les Montagnards sont amers contre le Rapport. C’est M. de Lamartine qui ouvrira le débat. M. Payer s'est inscrit pour lui. Les chefs Républicains font tous leurs efforts pour que de leur côté, on soit modéré, et qu’on laisse tout dire. Le Duc de Broglie, que j’ai vu hier soir, est très préoccupé de son propre discours. Le vent est plus favorable à la révision qu’il y a huit jours au moins pour une grosse majorité. Fould est venu me voir avant-hier et Morny hier. Fould confiant, Morny inquiet. Morny craint des élections rouges. Si on continue d'aller à la dérive. On ne s’entendra pas dans le parti de l’ordre ; on n’aura pas une seule liste de candidats ; on ne sera pas de bonne humeur et en train, et les rouges passeront. Il cherche, sans trouver ce qu'on pourrait faire pour ne pas attendre le printemps prochain, et pour résoudre la question plutôt, de concert entre les pouvoirs aujourd'hui en vigueur ou par je ne sais quel appel inattendu au peuple, qui placerait tout le monde, Assemblée, président, électeurs, dans une situation nouvelle, et étrangère aux querelles de constitution et de légalité. Pure rêve d'un esprit prévoyant et inquiet. On me dit et il me l'a dit lui-même, que l'inquiétude de Morny pourrait bien provenir un peu de l'état de son propre département, le Puy de Dôme, où il craint fort que les rouges ne triomphent.
Que dites-vous du vote de la Chambre des Communes sur le ballot et du silence de Lord John ? Si c'était sérieux ce serait très sérieux. Je ne puis croire qu’une telle question soit ainsi décidée inopinément, par quelques membres et sans débat. On reviendra sur ce vote dans les Communes mêmes. Sinon, l’Angleterre serait bien plus malade que je ne le crois. A dire vrai, je la crois malade, c’est-à-dire que je crois que la maladie et là comme ailleurs. Mais je crois aussi qu’il y a là des forces saines, capables de résister et de vaincre. Je serais bien triste de me tromper. Adieu.
C'est bientôt en effet de vous ennuyer déjà. J’ai peur que l'ennui de Duchâtel ne vous guérisse pas du vôtre. Ma petite fille va mieux. J'en ai été un moment très inquiet. Si le mieux continue, je ne changerai rien à mes projets et je partirai demain soir pour le Val Richer. C'est de beaucoup le plus probable. Adieu, Adieu.
Mes amitiés à Marion.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 10 octobre 1851

Pardonnez-moi hier, je n’étais plus en état d'écrire une ligne. J’avais passé ma matinée en allées & venues, consultations & & pour l’affaire de mon fils. Constantin me conseille une lettre à l’Empereur. Je l'ai écrite de suite, je l'ai fait partir. Quel sera son sort ? Je vous envoie la copie. La croyez-vous bonne ? Hélas si elle ne l’est pas, il est trop tard. M. Fould est venu hier matin. Il est décidé pour le maintien de la loi du 31 mai. Il admettrait quelque modification, mais l'abrogation jamais. Un changement de Ministère est très possible. Odilon [Barrot] sera ministre peut être. Pourquoi M. de Falloux ne le serait-il pas ? Il l'a bien été. Les Légitimistes doivent comprendre que leur intérêt est de soutenir le président.
J’ai lu un passage de votre lettre où vous prêchez cela aussi. Cela lui a fait un grand plaisir. Le coup d’état, il n’y a pas de raison pour le faire. Et après tout on a aisément raison de l’Assemblée. Elle reviendra très divisée et très impuissante. La candidature Joinville ne fait aucun progrès. Partout c’est le président qu’on nomme. Grande résolution de faire de la force. On proposera [par exemple] la déportation pour les sociétés secrètes. Voilà à peu près tout ce qu’il m’a dit je vous envoie la lettre d’Ellice, vous me la rendrez par Génie. John Russell [...]

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Vendredi le 3 octobre 1851

J’ai vu hier matin Saint-Aulaire & Vitet. Celui-ci un moment seulement. La commission de permanence s’était ajournée au bout d'une demi-heure. On a parlé des discours de M. Léon Faucher. On a décidé qu'on lui ferait des questions à la tribune. Changarnier a dit de Léon Faucher qu’il ne fallait pas le prendre au sérieux. Fould a rencontré hier quelqu’un à qui il a parlé sans beaucoup d’assurance Il avait le langage triste, et a laissé la conviction que la loi du 31 mai serait abrogée. Il a dit que c’était une idée fixe dans la pensée du Président. Selon lui, il n'y a que deux vrais pouvoirs, ou la légitimité, ou le suffrage universel. Il représente et veut représenter celui-ci. Odillon Barrot se met en mesure de redevenir Ministre, car Léon Faucher & quelques autres cesseraient de l’être. Barrière est revenu bien malade encore.
Hier soir longuement seule avec Changarnier. J’ai dit ce qu'aurait dû dire Marion. Vous deviez rester à la tête du parti de l'ordre. Vous avez excité des méfiance. Vous n’avez pas d’armée, où est votre parti ? & & & de trés belles vérités. Il a été très irrité. Ah, je n’ai pas de parti ? Si je parle à l'Assemblée tout le monde m’obéit vous verrez quand j'irai à la tribune. Mais que veut-on de moi. Que j'écrive sur mon chapeau [?] Henry V ? Mais c’est insensé. Je suis perdu & tout le monde l'est avec moi. Est-ce que je n’ai pas assez dit ce que je suis. Je l’ai dit pendant 2 heures en tête-à-tête à Berryer. Il est sorti de là disant : que j’étais très réservé. Ce sont des menteurs. On veut toujours me croire orléaniste. Je ne le suis pas du tout. Je n'ai aucune raison de l’être. Alors il m’a fait un beau morceau sur son élection qui ne dépend que des Légitimistes. Qu’ils lui doivent seulement 400 mille voix & c’est fait, il est entre les cinq. Alors un discours à la tribune racontant ses services. Etranger à la Révolution de 30, à celle de 48, étranger à toutes les batailles sanglantes à Paris. En connaissant de batailles que celles sur le sol algérien, à Paris trop batailles pacifiques, voilà l'homme qu’on présente à la France. Très beau discours que ferait Berryer ou tout autre, & il est nouveau. J'écoutais en toute humilité et attention. Grandes éloges de St Priest, Nettemont, Barthélemy. Grande haine de Berryer. Peu d’estime pour les grands hommes. Grande confiance dans sa popularité en France. Mais Thiers lui-même dit que hors Paris, on ne vous connaît pas en France. C’est menti, il n'y a pas un [?] qui ne connaisse mon nom. Depuis trois ans j'ai rempli la France de mon nom. Toujours haine du Président, de mon Président. Je vous promets que j'empêcherai votre Président de le redevenir. Je ne sais ce que je saurais faire mais je suis sûr d'empêcher. Voilà le ton pendant une heure.
Beaucoup de diplomates sont venus ensuite. Il est resté jusqu'au bout de la soirée. Dumon a voulu causer avec lui. Cela ne prenait pas. A moi il avait dit, je ne suis un candidat qu’avec vous, il ne me convient pas d’aller me proposer à d’autres. Je crois que voilà tout sur Changarnier. J'ai fait l’éloge du Président. Nous n’avons eu qu'à nous louer de lui, politique, honnête, & pacifique. Il est parti de là pour l'appeller le candidat de l'Empereur Nicolas. Enfin cela m’a amusée.
Grasalcoviz est arrivée. Elle a eu hier chez elle. Thiers & Changarnier. Kisseleff va mieux. Que dites-vous de la correspondance entre Londonderry & le Président, c'est impayable. Le temps est laid et froid. Paris vaut mieux je crois que la campagne. La duchesse de Montevago a dîné à St Cloud avant son départ, elle est partie hier, après le dîner on a joué au lansquenet. Elle a gagné deux mille francs au Président dont elle était très honteuse. Adieu. Adieu.
[Changarnier] m’a dit que le duc d’Aumale est en pleine approbation de ce qui s'est fait à Claremont. Il m’a dit encore 1000 contre 1 que Joinville se proclamera candidat. Il n’attend que la proposition Creton. Pour celle-là [Changarnier] croit fermement qu’elle sera rejetée. D’autres pensent le contraire, et disent que si l’exil est levé Joinville annoncera qu’il ne veut pas de la Présidence. Il ne veut que rentrer en France.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris samedi le 27 septembre 1851

Dites je vous en prie à votre fille ma vive & sincère sympathie, pour sa douleur. Un semblable malheur m’a frappé à son âge. Quand je me reporte à cette époque de ma vie je ne puis m'empêcher d'un grand remord de n'en avoir pas éprouvé un assez long chagrin. Que de fois depuis j’ai demandé à Dieu une fille, j’ai pleuré cette fille. Pauvre enfant, heureux enfant sans doute. Henriette a plus que je n’avais alors ces sentiments religieux qui font supporter avec douceur les volontés de Dieu, les peines qu'il vous envoie. Elle a plus que moi aussi la réflexion. Marion me prie de vous dire et à votre fille sa plus tendre sympathie. Elle est vraiment touchée de votre affliction.
J’ai vu hier apparaître Bulwer vraiment comme un ghost. Quelle mine ! Il passera sans doute l'hiver à Paris. Les Ministres lui ont fait mille éloges flatteurs, mais Palmerston a été froid. Il demande un autre poste. On ne le lui promet pas. Il ne veut pas retourner en Amérique, & comme je doute qu'on s'emploie en Europe, je suppose qu’il demandera sa pension de retraite. Pacha est venu aussi, on débarquait. Il est nouveau à Pétersbourg & va s’y rendre. Il a voulu tout de suite démentir le bruit qui avait couru qu’il était chargé de négocier un mariage pour le Président, il dit qu'il n'y a pas un mot de vrai. Il parle tristement de son pays. Les septembristes vont tout à l’heure être les maîtres. L'armée est complètement indisciplinée, perdue.
Fould est venu le soir, il y avait du monde nous n’avons pas pu causer. Son dire général est toujours une grande confiance dans le succès & assez de mépris pour tout autre concurrent. Montebello est revenu de Chalons disant que dans la Marne le mouvement napoléonien est irrésistible, unanime. Grande défaveur pour Joinville. Il a causé très longuement avec Léon Faucher, sur les élections d’abord, il lui a dit que le mot d’ordre du [gouvernement] devrait être de voter pour les 446 qui ont formé la majorité pour la révision, & ne pas s’inquiéter de tel ou tel parti. Ceci serait le mot de ralliement. Léon Faucher a gouté cela. On a parlé ensuite de la prorogation. & Léon Faucher a dit que le Président ne l’accepterait certainement pas des mains de l’Assemblée seule, qu’il lui fallait le suffrage du pays. Je trouve qu'il a raison.
Palmerston a fait un bon discours, et habile ; avec de la malice pour n’en pas perdre l'habitude. Comment trouvez-vous la réponse du [gouvernement] napolitain à Gladstone ? Je n’ai pas lu encore. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 18 octobre 1851

J'ai vu hier soir M. Fould très gai, très décidé ; décidé pour son compte à voter contre l'abrogation de la loi du 31 mai. Très sûr de la résolution du Prince de demander cette abrogation. Presque sûr que l’Assemblée aura peur et fera la volonté du Président. Le Président a fait une faute, il peut en faire impunément beaucoup encore car il est très puissant. Le pays est à lui. Les salons, les classes élevées, tout est unanime à blâmer ce qui vient de se passer. Il n’y a personne qui ne soit de cet avis. Mais cela n'y fait rien. Le prince sait tout cela, & cela lui est égal. Voilà ce qui s’est dit devant une demi douzaine de personnes. Le Prince multiplie les dîners. Aujourd’hui Kisseleff. On joue le soir au Lansquenet. Quand il n'y a pas dîner, le prince va au spectacle. Il rit beaucoup aux variétés. Voilà !
Viel Castel s'en va pour huit jours à Broglie. Baroche est parti pour sa campagne. Tout le monde est en vacances. Hier le Président a donné audience au comte Louis Batthyany qui devait être pendu.
Voici la lettre de Lord Aberdeen. Je lui ai répondu hier. Il est évident que cette affaire Gladstone le vexe beaucoup.
Dans le gros public, je vous rapporte le dire de mon médecin, on est persuadé que l’Assemblée fera la volonté du Président. Elle aura peur des rouges & peur de la popularité du Président ; c’est exactement ce que dit Fould. Il n’avait aucune idée sur le nouveau ministère. Il doute que Billault accepte. On dit que Victor Lefranc a refusé. Piscatory est ici, je suis fâché qu’il ne vienne pas me voir. Changarnier parle beaucoup. Il est en grande espérance. Marion le voit tous les jours chez les Rothschild. Le Baron est couché depuis sa chute. chez moi. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Samedi le 17 Mai 1851

Hier Duchatel seul, le matin. Le soir M. Molé, Antonini, Hotzfeld. Molé est remis et en bon train & bonne humeur. Il avait eu la visite de M. Dupin, revenu très révérencieux pour la fusion. Il ne parle plus que chapeau bas de M. le comte de Chambord il dit seulement qu'il faut que tous les prétendants se fusionnent Antonini me contait les fureurs du parti Thiers contre Changarnier. M. de Rémusat crie à l'ingratitude. " C'est moi qui lui ai fait les pauvres petites phrases qu'il a encore à débiter à la tribune." !
Duchatel est bien amusé de Lady Allen pas reçue à Esher. Cela l’enchante. On dit beaucoup que Léopold passe à la fusion. J’ai eu une lettre de Constantin du 15 il parlait à l’instant même avec le Roi. La reine ayant reçu la nouvelle de la mort de la duchesse de Leuchtenberg, sa sœur n’a pas pu aller à Varsovie. Cette mort met en deuil toutes les cours de l’Europe. Prusse, Autriche, Russie, Saxe, Suède, Piémont, Elysée ! C’est sa tante. Il ferme ses portes. On espère que les 3 souverains se rencontreront, c’est très désirable. Dans tous les cas, on se concerte pour les éventualités françaises et cela deviendra visible bientôt. Montebello est repris, une troisième rougeole s’est déclarée chez lui. C'est insupportable. J'ai eu une visite ce matin qui me dit que Mazzini désavoue la pièce. D'un autre côté M. Carlier a dit hier à quelqu’un qu’elle était authentique. J’espère qu’elle l’est.
Adieu. Adieu, jusqu’à lundi. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 29 octobre 1851
1 heure
Je suis encore dans mon lit, avec des étouffements. Vitet que j'ai vu hier soir m’a prié de vous dire qu'il a vu les lettres du duc de Nemours à M. Bauchez témoignant du vif chagrin de la reine & du sien à l'occasion de la mort de la Dauphine. Le Duc de [Nemours] était son filleul. On va célébrer une messe, et on écrit au duc de [Mont?] pour le prier de chercher un complimenteur convenable pour Frohsdorf. On espère that he will take the hint. Cela serait très bien.
Longue visite hier matin de M. Dupin. Blâmant beaucoup, espérant peu de l'Assemblée à cause de ses divisions. Des regrets, des hélas de ce que chacun s'occupe de son intérêt ou de son penchant personnel. Le mieux serait que le comte de Chambord abdique ! Il pense bien de Corbin & Giraud, il rit du reste surtout de Fortoul. Il n’ira pas à St Cloud, il s'est borné à s’inscrire à l'Elysée. Le soir Pasquier m’a dit qu’il croyait que Corbin refuse. Il n’est pas ici encore.
Je voudrais bien mes nouvelles. J'en suis bien loin aujourd’hui. Rien de Pétersbourg. Adieu. Adieu.
Je trouve votre discours à Falaise extrêmement bien. Avez-vous trouvé la statue extrêmement belle ?

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 24 septembre 1851

Hier matin F. Byng. le duc de Noailles. G. Delessert, celui-ci bien triste, bien affecté. Très contre Joinville. Byng ditto. Du reste sur les affaires anglaises un peu de l’avis de la personne à qui il parle. Le duc de Noailles de fort mauvaise humeur, cela est plus saillant que la tristesse. Il venait causer avec le duc de Lévis qui part aujourd’hui pour Frohsdorf comme Molé, Noailles est pour le coup d’Etat. C’est superbe et facile à l’entendre parler. Seulement... Il faut que le Président le fasse seul, personne n’en veut partager la responsabilité. C’est commode. Il ne faut pas dire après cela que c'est le Président qui manque de courage. Les Légitimistes voteront tous contre la [proposition] Créton, mais après si elle est rejetée il leur sera difficile de ne pas voter les lois pénales, ils les voteront donc sous condition expresse qu’elles s'appliquent à Joinville. Le duc Rollin, tous les candidats inconstitutionnels. Voilà donc tout le monde écarté. Alors quoi ? Changarnier. Et Changarnier pour qui est-il ? Tout cela est de la pitoyable conduite. Dumon me disait hier soir que Paul de Ségur arrive de Claremont. La Candidature semble décidée. Le duc d’Aumale est de cet avis. Il est allé à Eisenach. M. A. Bertin finira par appuyer Joinville quoique ce ne soit pas tout-à-fait son goût.
Je regrette que vous ayez quitté Broglie. Il me semble que vous y étiez utile. Mes yeux ne vont pas bien. Voilà mon souci actuel. Marion ne revient que demain. Adieu. Adieu.

Dumon est allé passer la journée à Champlatreux. Montebello revient de Chalons demain. J’ai rencontré hier le Président très triste. Il suivait tout pensif le chemin de St Cloud. Il ne manquait rien. Le cheval se conformait à sa triste pensée. Je trouve comme vous l’article sur la vicomtesse trop, & même beaucoup trop. Vitet ne vient jamais. Je lui fais cependant parvenir des agaceries. À propos, j’ai parlé moi-même au concierge de Montalembert. On ne sait pas son adresse. Pas un de ses gens n'est à Paris. Où demander. Je demanderai cependant encore.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 15 octobre 3 heures

J’ai passé la nuit ayant Oliffe auprès de moi, & des cataplasmes de moutarde autour du corps. Un mouvement de bile affreux. Je me suis levée à l'heure seulement & depuis là jusqu'à présent Molé, Vitet & Montebello. Ils me quittent à l’instant.
La commission a décidé d'appeller demain les ministres. L'avis de Molé est qu’il ne faut pas convoquer l'Assemblée. Il est persuadé que le Président ne fera pas un coup d'état. On ne trouvera pas de ministres. Les anciens resteront en attendant. Thiers est effrayé à mort. Changarnier n’a pas ouvert la bouche à la commission. Montebello seul a parlé pour ce que vous dit le commencement de ma lettre. Pardonnez cette brièveté. Je suis bien souffrante. L'heure me presse. Molé est venu à 11 heures, & repart tout de suite. Falloux est chez lui à Champlatreux. Molé bien sensé. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Paris, Mercredi 9 Juillet 1851
8 heures

Les journaux vous apportent le rapport de M. de Tocqueville. Tout a marché plus vite qu'on ne croyait. Il n’en sera probablement pas de même du débat. 55 orateurs inscrits, sans compter les incidents ! Le Président ne posera pas sa candidature à la présidence de la République plus clairement que M. Od. Barrot n'a posé la sienne à la Présidence du Conseil du Président réélu.
J’ai éprouvé tout à l'heure, en lisant ce rapport une singulière impression de surprise et de malaise. J'attendais toujours qu’il parlât des deux questions auxquelles le sort de ce pays est suspendu, la question socialiste et la question monarchique. Qui dominera dans notre société le haut ou le bas de la population ? Dans quel gouvernement s’arrêtera la France, la République ou la Monarchie ? Voilà de quoi il s’agit vraiment, et de cela presque pas un mot. Tout cela est renvoyé à l'assemblée constituante qui viendra, si elle vient. La crainte de la réélection inconstitutionnelle du Président et la mauvaise organisation constitutionnelle de la République, voilà les motifs dominants, et seuls développés de la révision ! Je ne connais pas de plus forte preuve de l'ineffable timidité et faiblesse des esprits et des cœurs. Il me paraît impossible que le débat public ne pousse pas plus avant. Qui sait pourtant ?
Voilà votre lettre de samedi. J'espère que nous avons ressaisi le fil et qu’il ne se rompra plus. L'absence est déjà beaucoup trop ; mais le silence dans l'absence est insupportable. Je suis content que vous soyez contente d'Ems. Et très content de ce qu'on vous a dit à Bruxelles. Cela confirme la lettre d'Aberdeen. Je n'espère que de ce côté-là un peu d'influence sur Claremont. Il se peut qu’on se soit trompé ici sur l'effet produit là par la lettre du comte de Chambord au moment du vote sur la proposition Créton, et c'est grand dommage. Pourtant, je doute beaucoup de ce qui serait arrivé, si le vote eût été autre. Les bonnes intentions auraient-elles suffi pour résister au courant ? Je n'ai rien de plus. Je suis resté chez moi avant-hier et hier soir, un peu souffrant. Cela passe. Moi aussi j'ai besoin de sortir de Paris et de changer d'air.
Dans son discours à Beauvais, le Président, en parlant de Jeanne d'Arc et de Jeanne Hachette, a dit, et trés vivement : " Elles marchaient en avant aux cris de vive le Roi ! Vive la France ! " Vous jugez de l'effet. Les Ministres ont retranché, cette phrase dans Le Moniteur. Adieu. Adieu. J’ai ce matin chez moi, à midi, le baptême des mes deux petites-filles. Je vais faire ma toilette. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857) ; Ellice, Marion
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Paris le 5 novembre 1851

Le message a été trouvé déplorable. La Redorte est venu le premier me raconter le fiasco. En même temps on a fort blâmé Berryer, & Molé lui même en était mécontent. iIs étaient tous deux chez moi hier soir. Le rejet de l’urgence parait à Berryer les funérailles du projet de loi. Il m'a dit ensuite à l’oreille que la majorité était bien molle, & que tout ce qu'il pouvait espérer serait 300 voix compactes et encore. Ni la reine, ni le duc de Nemours n’ont écrit au comte de Chambord on n’a parlé que de la séance. Les diplomates présents ont trouvé dans l’attitude de défi du [général] [Saint-Arnaud] l’indice d'un coup d’Etat. Le peu de soin de la rédaction du message parait indiquer ainsi beaucoup de dédain pour l’assemblée. Le Président a sans doute pris son parti quoiqu'il arrive. La Montagne triomphe et l’a témoigné hier. Enfin le grand combat a commencé hier.
Montebello n’est pas ici. Sa femme cependant va mieux. [Mérade] n’est pas ici non plus. Je n'oublierai pas ce que vous me dites dès que je le verrai. Adieu. Adieu.

La Princesse me permet d'ajouter deux mots, sur la santé dont elle ne vous aura probablement pas parlé. Elle a pris hier avec son diner avec pillule digestive, dont elle s’est aussitôt [?]. Cette nuit, en effet elle s'est réveillée vers 2 h. du matin avec des étouffements qui lui ont gâté un peu sa nuit. Mais ce matin Olliffe est loin d'être mécontent. Le pouls est bon, et le teint meilleur. Mais nous avançons tout doucement cependant ! Chomel n’est pas ici. Il n'arrive qu’aujourd’hui mais nous espérons pourtant le voir dans le courant de la jounée. La princesse tâche de prendre la nourriture qu'on lui ordonne mais c’est toujours là le point difficile. Voilà un bulletin légèrement décourageant [mais] il ne faut pourtant pas se décourager.
Croyez-moi toujours, cher M. Guizot. Trés sincèrement à vous. M. Ellice

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 30 septembre 1851 Mardi

J’ai vu peu de monde hier, mais j’ai su par Marion quelques rapportages. Mad d'Asur lui a fait visite le matin. Et elle a remonté Thiers à dîner chez lady Sandwich. Assise entre lui & M. Royer à table. Il a parlé de Changarnier de ce qu’il eut été s'il avait su se conduire, précisé ment dans les mêmes termes que vous m'en avez parlé le matin & que Marion avait lus. Il n'épargnait rien à la ressemblance. Il n’est pas sûr que le prince de Joinville passe. Le pays est encore fort attaché au nom du Président. Quant à Changarnier c'est risible, le pays ne le connaît pas du tout, il aura pour lui les Légitimistes, & encore.. Beaucoup d’incertitude sur la proposition Creton. Thiers avait dit le matin à Mercier ( qui est venu chez moi le soir) Si Henry V était possible se serait ce qu'il y aurait de mieux peut-être. Mais c’est archi impossible. Le pays, le repousse absolument. Il est impossible. Il nous faut la Monarchie, il ne nous reste donc que la branche cadette, et bien pour faire arriver la Monarchie il faut que le Prince de Joinville soit à la tête du [gouvernement] du pays. Il ne serait pas longtemps président. Tout autre ferait durer la République. Le pays s’y accoutumerait, je ne veux pas de cela. Voilà mes motifs et pourquoi le Prince de Joinville a raison de se laisser faire.
Dumon hier soir était fort noir. On parle de message pour le 4 nov. invitant l'Assemblée à voter la révision à la simple majorité. C’est M. Fould qui avait dit cela à je ne sais qui que Dumon ne m’a pas nommée, le même anonyme ayant rencontré hier aussi M. Granier de Cassagnac celui-ci aurait ajouté et si l’Assemblée recule devant cette illégalité, on casse l'Assemblée. Mais l’armée que dira-t-elle, que fera-t-elle ? Voilà à quoi personne ne répond. On devient très triste très inquiet. Fould a dit que tout s’en allait dégringolant, crédit, ouvrage. & & De raisonnements en raisonnements, on en vient à dire qu’il n'y a que la guerre qui puisse tirer de là. On a tant jasé & si tard que j'en ai très mal dormi cette nuit. Je me lève et il est midi déjà. Bastide & Cavaignac se donnent tous deux pour Joinvillistes.
J'ai fait hier la plus mélancolique des promenades. J’ai été voir Neuilly. Ah quel aspect horrible ! Adieu. Adieu

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 14 octobre 1851

Comme votre petit homme n’est pas venu me voir, je ne sais pas un mot de ses conversations. M. Fould est venu hier soir. La retraite des ministres tout entier n’est plus douteuse. Celle de M. Carlier aussi. Le Président est décidé au retrait de la loi du 31 Mai. Dans le conseil qui se tenait à midi à St Cloud, les ministres donneront probablement leur démission, & probablement aussi. Ils seront invités à garder leurs portefeuilles jusqu'à la nomination de leurs successeurs. Ces successeurs très inconnus encore, mais certainement le Président n’ira pas les chercher à la montagne. En même temps qu’il retourne au suffrage universel il donne des gages au parti de l’ordre. Par quelque mesure conservatrice très vigoureuse. Jamais il ne fera ménage avec les démocrates. Il a vu M. Girardin une fois pour une affaire privée. On parle de M. Billant, mais au fait, on ne sait rien. Que fera l’Assemblée ? Si elle accorde le retrait de la loi elle le déjuge. Si elle refuse elle accroît son impopularité au profit de celle du Président. Il y a profit pour lui de l'une ou l’autre façon. Les nouvelles de Bourges & autres villes de ce côté sont que les rouges travaillent beaucoup.
J'avais hier soir Rothschild assez inquiet et curieux. En sortant de chez moi, il a fait une chute dans la cour. Oliffe l’a ramené chez lui, il s'est beaucoup blessé à la jambe. Cet accident a fait lever la séance, il était bien tard 11 1/2. Normanby était venu chez moi le matin, très curieux aussi, & assez inquiet. J’ai dîné hier chez Delmas. à mon heure, mes lampes &. il n’y avait pas eu moyen de refuser. Rothschild hier était Présidentiel, ce qui a fait dire à Fould que tout le monde le deviendrait, & qu’après tout les partis conservateurs de l'assem blée s'étaient conduits, bien maladroitement à quoi [Rothschild] a dit amen aussi. La soirée était fort curieuse. J’ai dit en l'air, Mais pourquoi le Président ne passerait-il pas par dessus la tête de l'Assemblée pour demander pays de rétablir le au suffrage universel ? A quoi de grands éclats de rire, & Fould disant mais vous allez droit au plus vif, c'est là la question. Je saurai quelque chose plus tard, mais trop tard pour vous le mander.
Changarnier a perdu sa sœur. [Rothschild] dit qu’il en est très affecté. Adieu. Voilà tout, pour aujourd’hui. Le Président n’a pas été à Chantilly. On l’attendait préfet & &. C’est Carlier qui a donné le premier le signal de la retraite du Ministère.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Paris, Mardi 8 Juillet 1851

M. Vitet et M. Moulin sont venus hier à 5 heures. L’un quittait le Gal Changarnier ; l'autre sortait de le Commission de révision où le Rapport de M. de Tocqueville venait d'être lu. Rapport pas trop républicain. La république est encore le seul gouvernement possible ; il faut en prolonger l’expérience, mais ne pas prétendre y lier définitivement le pays. Il est le maître de choisir le gouvernement qui lui convient, et l'assemblée constituante sera la maîtresse d’exprimer comme elle l’entendra, le vœu du pays. On ne peut limiter, ni la souveraineté nationale, ni le pouvoir constituant. En attendant, il faut observer strictement la légalité, seul frein qui subsiste encore, et la faire observer, à tous ceux qui voudraient la violer.
Le ton du Rapport est triste, très triste, connu d’un homme sans confiance dans les gouvernements qu’il préfère et dans le pays qu’il invoque. Les Montagnards s’en sont montrés surpris, et mécontents. Le Gal Cavaignac a dit à M. de Tocqueville : " C'est le moins de mal que vous ayez pu dire de nous. " selon M. Charras, c’est de la métaphysique bien vague ; il faut du temps pour la comprendre. "
Ils ont demandé, l'impression immédiate du Rapport pour eux seuls et du temps. Ils le discuteront aujourd’hui et demain. On croit qu'il ne sera déposé que jeudi, et que le débat ne commencera que le jeudi suivant 17. Après la séance de la Commission les révisionnistes se sont réunis chez le duc de Broglie pour arrêter la liste des orateurs qui doivent parler et s'inscrire pour la révision. M. de Montalembert très ardent, poussant tout le monde à parler ; ce qu’il faudrait, dit-il, ce serait que les 233 membres, qui ont signé pour demander la révision, s’inscrivissent pour la soutenir. Il s'est plaint du rigorisme excessif du rapport quant à la légalité. " Il n'y a pas moyen de nous plaindre, lui a dit le duc de Broglie, ni de parler autrement ; nous pouvons subir l’illégalité ; nous ne pouvons pas l'autoriser et l'accepter d'avance. "
On a dressé la liste des Orateurs ; une douzaine environ, MM de Montalembert, Broglie, Daru, Beugnot, Goulard, O. Barrot, Berryer, Falloux, Kerdrel & &. O. Barrot prêchant avec passion, la prudence, la modération " On sera très violent contre le Président ; il faut être très doux, jeter de l’eau froide. " Il fait sur tout le monde l'effet d’une ambition impatiente et sénile, qui veut arriver, qui se croit près d’arriver, et qui meurt de peur qu’on ne la dérange, ou qu’on ne lui impose des efforts qu'elle ne pourrait pas faire. On ne sait pas encore si beaucoup de Montagnards parleront, et lesquels. On s’attend à un débat long, violent, confus et plein d’incidents.
Changarnier est triste et inquiet. Il y a évidemment recrudescence de mouvement Bonapartiste et de timidité parmi les anti bonapartistes. L’intérêt électoral gouvernera tout le monde. Dans les masses, Changarnier est un candidat inconnu. Pour lui donner quelques chances, il faudrait écarter d'avance, et absolument au nom de la légalité, les trois candidats connus Le Napoléon, le Prince de Joinville & Ledru Rollin, Est-ce faisable ? En allant à Beauvais, le Président a été harangué à Clermont-Oise, par le Président du tribunal qui lui a dit : " Vous avez été élu il y a trois ans ; vous serez réélu l'an prochain, quoiqu'on fasse, et quoi qu'on dise. " Cette boutade inconstitutionnelle de la part d'un magistrat, a fait quelque rumeur. Le Président n’a rien répondu. Thiers ne songe qu'au libre échange. Michel Chevalier voyage pour recueillir des faits contre son discours. Thiers en recueille pour le défendre. Duvergier de Hauranne revient de Claremont, et se loue de l'accueil qu’il y a reçu. Je n'ai encore point de nouvelles, des autres voyageurs. Il en viendra probablement aujourd’hui. Je pars toujours samedi. J’ai été un peu incommodé hier ; ce n'est rien. Les Hatzfeldt m’ont engagé à dîner pour Jeudi. Je n'irai pas. Je mettrai quelques cartes p.p.c. Adieu.
J’ai bien peur de ne pas avoir ce matin une lettre d'Ems. L'Allemagne ne me ressemble pas ; elle ne prend ni la ligne droite, ni le chemin le plus court. Adieu, Adieu.G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris lundi le 27 octobre 1851
Midi

Voilà le ministère. Vous saurez mieux que moi en décider la couleur. Je n’ai vu personne encore, rien que le Moniteur. A tout hasard je vous envoie les noms, car je ne sais pas si vous recevez les journaux du soir. Chasseloup était ici hier, ne sachant rien. La Redorte très curieux à entendre. Très mécontent. Le pays d'où il vient, ardent comme lui-même l’était, pas le Président ; aujourd’hui en blâme comme lui et très vivement. Faute énorme dont le Président [?] ne pourra pas se relever. L'Assemblée qui était très bas, est redevenue très respectée. Sa conduite tranquille a beaucoup plu. L'espoir et le conseil de La Redorte sont qu’elle continue comme cela mais qu’elle tienne bon et ferme. Jamais accorder l'abrogation. Selon ce qu'il avait recueilli dans 24 heures, grande consternation à l’Elysée du jugement si unanime de toutes les classes élevées. Heckern me disait hier que Morny & Persigny se disputent l'influence. Morny pour qu'on recule. Persigny pour qu'on avance. Je suppose que le ministère est dans l’opinion Morny.
J’ai rencontré hier le Président il avait l’air fort triste. Les diplomates curieux, inquiets de l’inquiétude de leurs gouvernements. Mad. de la Redorte a pris le deuil de la Dauphine. Mad. Roger aussi chez moi hier soir. Celle-ci blame & noir. L’autre tout noir. Les dames russes sont venues chez moi hier en deuil. Je les en ai louées. Est-ce loué ? ou louées ? La Redorte dit que ce qui cause le blâme universel c'est que la politique personnelle marche à front découvert. Adieu. Adieu.
Rien encore de Pétersbourg. Peut-être aurai-je pour toute réponse le silence. Est-il possible ! Je suis toujours misérable. Un artichaut & deux quenelles de volaille, les forces s'en vont. Adieu. Adieu.
Corbin Justice
Turgot. Aff. étrangères
Charles Giraud Instruction
Thorigny Intérieur
Casabianca agriculture
Lacrosse travaux publics
Saint-Arnaud la guerre
Fortoul marine
Blondel Finances
Maupas La police.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Paris. Lundi 11 aout 1851
3 heures

Je reviens du grand concours où j’ai été reçu, en entrant dans la salle, plus bruyamment encore que l’an dernier. Et quand mon fils a été nommé, son nom a amené deux fois une nouvelle explosion. Il faut se féliciter de la mobilité de mon pays ; elle le perd et le sauve tour à tour. Ce qui ne veut pas dire que je le croie sauvé parce qu’il recommence à m’applaudir.
J’ai eu du monde constamment, quoiqu’il n’y ait personne ici. Je vous ai déjà dit ce matin, je crois, que j’avais été content hier de la conversation du Duc de Broglie, très content, et pour le fond des choses, et pour sa propre disposition. Il regarde l’union comme très bien établie entre les deux corps d’armée conservateur et légitimiste, et il les croit décidés l’un et l'autre à faire ce qu’il faudra pour la maintenir. Il loue beaucoup Berryer, talent et conduite. Il s'attend, au mois de Novembre, à une majorité, encore insuffisante, pour la révision, mais plus forte. Les conseils généraux et les consuls d’arrondissement seront presque unanimes. Le pétitionnement recommence. On ne veut que des signatures nouvelles. Que résultera-t-il de tout cela au Printemps ? On n'en sait rien. On ne s'inquiète pas de le savoir. On ne s’inquiète que de l'élection de l'Assemblée, très probablement au mois de mars. On l'espère bonne, au moins aussi bonne que celle-ci, et plus décidée. Si on y réussit, on verra après. On aura fait ce qui fera ce qui sera possible.
Le Président se conduit tranquillement, sans autre dessein ni travail que sa réélection. C’est toujours le plus probable. Jusqu'ici le mouvement n’est pas vif pour le Prince de Joinville et lui ne dit ni oui, ni non. L’Elysée parait plutôt content qu'inquiet de cet incident.
Lord Aberdeen m'écrit qu’il part pour l’Ecosse où il me presse fort d'aller. Je n'irai point. Il me dit : " We expect a new reform bill at tre opening, of the next session of Parliament. If Lord Derby at that time should be prepared to abandon his present policy of protection and dear bread, he may very probably be able to oppose Parliamentany Reforme with success. But if not Lord John may carry universal suffrage, if he should think proper. Whatever exertion or sacrifice may be necessary to secure free trade will be cheerfully made."
Nous verrons si l’aristocratie anglaise aura son vieux bon sens. Je trouve que dans ces derniers temps, son bon sens et son énergie ont également faibli. Elle a été plus entêtée que hardie.

Mardi 12
M. Molé est venu hier pendant que je vous écrivais. Il arrivait du Marais. Je le reverrai aujourd’hui avant de partir. Nous aurons notre petite réunion pour les affaires de l'Assemblée nationale. Duchâtel est arrivé aussi hier soir. Kisseleff est venu me voir après Molé. Vous manquez beaucoup à ce monde. Kisseleff dit qu’il use ses redingotes n'ayant plus une occasion de mettre un habit. Molé part samedi pour Champlâtreux, jusqu'au mois de Novembre. Il se promet que vous irez l’y voir.
Changarnier est parti tout de suite pour la Bourgogne ; triste, et commençant à s'apercevoir qu’il n’a pas bien conduit sa barque. Pas la moindre nouvelle d'ailleurs.
Autre visite hier, qui m’a intéressé et plus. Le comte de Thomar que Païva m’a amené. Encore jeune, physionomie spirituelle ; mélange de gravité espagnole et de vivacité italienne. Bien méridional. La langage plus impartial et plus calme sur ses ennemis qu’il n’appartient aux méridionaux. Il est ici pour quelques semaines. Et en automne, il compte aller reprendre sa place dans la Chambre des Pairs de Lisbonne. Rien ne l'en empêche. Adieu.
Je repars ce soir à 6 heures emmenant tout ce que j’avais laissé ici des miens. Je voudrais bien que vous me dissiez ce matin que votre tête va mieux. Adieu, Adieu.
G.
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