Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 20 octobre 1851

Le Président a dit avant hier que rien ne serait changé à sa politique. L’Europe peut être tranquille sur ce point. Il n'a jamais accepté pour son compte le 31 Mai. Il veut être réélu comme il a été élu. Il le sera. Il restera là où il est. Les vieux temps & les vieux hommes sont passés. Il a beaucoup réfléchi à tout cela, et il a le pays avec lui. Il est fort indifférent à ce que fera, ou ne fera pas l’Assemblée. Son entourage tient un langage très vif, les autres ont plus à perdre que nous. Ils ont des terres, des maisons des familles. Nous sommes indépendants de tous ces biens. Nous irons résolument au but et au bout. Cela sent un peu le brigand, c’est égal.
Hier soir [Hecheren] se croyait sur que Billault entrait que le général [Bourjolis] serait [Ministre] des Affaires étrangères. Saint-Arnaud à la guerre. Ducos je ne sais quoi. Il croyait aussi que Fould resterait. Cela je ne le crois pas du tout. Il faudrait pour cela que le Président se prêtât à une modification de la loi du 31 Mai.
J'ai revu hier soir le brave Lahitte, & cela m’a fait grand plaisir. Le Président rentre à l'Elysée. Samedi J’ai vu assez de monde hier point d’hommes politiques. Thiers a été si effrayé pendant 3 jours, qu’il en a été malade et ses accidents d’aphtes lui sont revenus. On dit beaucoup qui Carlier l’avait prévenu lui & Changarnier qu’ils seraient arrêtés.
Hier [Heseren] disait que le Président ne demandait pas mieux que d’être mis en accusation, alors il ira de l’avant. Je cite [Hesseren] parce qu'il voit dit-on le président tous les jours. Il a beaucoup d’esprit.
Il y aura consultation pour moi aujourd’hui. Il y a de quoi. Je suis toute jaune & tirée.
Samedi
J'avais une loge aux italiens. Je n’ai pas eu le courage ni l’envie d'y aller. Adieu. Adieu.
Vitet a été très frappé de ce que vous me dites du travail légitimiste contre vous. Je verrai le duc de Noailles aujourd’hui je lui en parlerai. Le comte Buol va arriver ici de Londres aussitôt que Kossuth y paraîtra. Hubner m'a dit qui si la princesse Grasalcovitz se permettait le moindre propos factieux, l'Empereur lui ordonnerait sur le champ de revenir en Hongrie. On est là très sévère. Le corps diplomatique blâme toujours ceci, & attend sans curiosité les nouveaux Ministres. On dit beaucoup que ce ne se sera qu’un relais, & que la troupe dorée est derrière. Montebello est revenu. Sa femme va mieux.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 19 Oct. 1851

Mes visiteurs d'hier étaient assez curieux à observer. A peu près tous des Elyséens sensés. Il sont tristes et déconcertés de ce qui se passe, mais pas troublés au point de croire leur partie perdue, et de renoncer. Ils disent que le Président n'ira pas jusqu'au bout, qu’il s’arrêtera ou qu’il reviendra à temps, qu'il n'abandonnera pas définitivement le parti de l’ordre, qu'il est encore la meilleure garantie de l’ordre, &. Ils ajoutent que tous des mouvements parlementaires restent inconnus ou indifférents à la masse des paysans qui sont toujours décidés à voter pour Louis Napoléon que la candidature du Prince de Joinville ne gagne ici point de terrain, plutôt le contraire, deux choses seulement les ébranleraient tout-à-fait ; si le président. prenait décidément ses ministres et la politique à l'entrée de la Montagne, obligeant ainsi le parti de l’ordre en masse à devenir opposition ; si des lois pénales étaient rendues dans l'Assemblée contre la réélection du Président. Ceci pénétrerait jusqu'aux paysans et arrêterait beaucoup de votes. Dans cette hypothèse, à laquelle ils ne croient pas, quelques uns vont au Prince de Joinville. D'autres, les plus intelligents pensent à Changamier, beaucoup disent que le Président des rouges l'emporterait et ont peur.
Sur la loi du 31 mai, à peu près tous désirent les modifications dont il était question avant la crise et blâment beaucoup le Président de ne s'en être pas contenté. Voilà mes observations. Décidément ce pays-ci est sensé. Si toute la France, lui ressemblait, il n’y aurait pas grand chose à craindre. On dit cependant que le département de La Manche se gâte un peu. Toujours, dans la masse des paysans même méfiance et même antipathie envers les légitimistes.
Je regrette que Kisseleff n'ait pas dîné à St. Cloud avec les dames Russes. Il est bon observateur. Je suis curieux de savoir jusqu'à quel point le Président est confiant ou troublé.
Pendant que nous remettons ici tout en question, l'Europe est tranquille et se reconstitue. Je suis frappé du contraste. Quand l’Assemblée sera réunie, on devrait bien faire ressortir ce fait pour faire sentir à la France sa jolie et poser sur les honnêtes gens. Si le Président. changeait réellement de politique, l’armée Française quitterait Rome, et ce serait un petit ébranlement. Mais l’Autrichienne y entrevoit tout de suite. Je ne crois pas aux Italiens. Pourtant il y a encore là des volcans et des tremblements de terre.
A propos d'Italiens, avez-vous été à leur rentrée ? Je n'ai pas regardé dans les journaux si elle avait été brillante. Cela ne vous fera-t-il pas coucher trop tard le samedi, veille du Dimanche ?

Onze heures
Mes impressions d’ici ne sont pas en désaccord avec ce que dit M. Fould de la confiance du Président. Quand l'Assemblée sera là, ce sera autre chose. On a beau en mal parler. Sa présence réelle agit et sur le public, et sur le président lui-même. Nous verrons. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 8 Oct. 1851

Avez-vous remarqué, il y a deux jours dans les Débats un article de John Lemoinne sur Pacifico et Lord Palmerston ? La moquerie était bonne et poignante. Il est vrai qu’il y avait de quoi. Les Anglais seuls ont le talent d’être à la fois puissants et ridicules. Malgré ses éloges pour notre ami, je ne goûte pas beaucoup le discours, de Sir James Graham à Aberdeen. Vide et mou. Des promesses de concessions cachées sous un manteau de conservateur. C'est de là que viennent mes véritables craintes pour l'Angleterre.
Et le manifeste de Kossuth ? Rien ne pouvait donner plus raison à l’interdiction dont il a été l'objet. Un des trois hommes de sens qui, dans le Common Council de la cité, ont voté contre l’accueil solennel préparé pour Kossuth à Londres, devrait demander quand il y arrivera, la lecture publique de cette sotte déclaration. J’ai peine à croire que le bon sens Anglais n'en fût pas choqué.
Ma feuille jaune raconte tous les embarras de Changarnier à propos de son messager de l’Assemblée. Je les comprends. Le général approche du pied du mur. Plus j'y regarde, plus je me persuade que sa candidature n’a point de chances. Il aurait fallu, pour la préparer, une tout autre conduite que celle qu’il a tenue et qu’il tient encore.
Vous voyez que, moi aussi, je n’ai rien à vous dire. Je reçois beaucoup de visites locales. On vient me parler des élections. La préoccupation sérieuse commence. Elle ira vite quand les débats de l'assemblée auront recommencé. Je me tiens parfaitement tranquille. Je ne vais nulle part. Guillaume le conquérant seul aura le pouvoir de me faire faire une course dans mes environs. Je ne sais si j’aurai encore, dans ma vie, quelque chose de considérable à faire ; ce que je sais bien c’est qu’il faudra que la circonstance vienne me chercher chez moi.

10 heures
Voilà deux visiteurs qui m’arrivent de Caen, avant le facteur. Je vous dis adieu en hâte. Je ne fermerai pourtant ma lettre qu'après l’arrivée de la poste. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 30 Sept 1851

Ce que vous me dîtes de Mad. Gabriel Delessert m'étonne un peu. Je la croyais bien dans les eaux, sinon de Thiers au moins de M. de Rémusat ; et M. de Rémusat, d'après ce qui me revient est au moins aussi engagé que Thiers dans la candidature Joinville. Il n’y a pas moyen de se faire à présent une idée juste des chances de cette candidature ; trop de mois et trop d'incidents nous séparent des jours de l’épreuve. Si l'élection se faisait à présent, l'échec me paraîtrait certain. Qui sait dans sept mois ?
Entendez-vous mettre quelque importance à ce qui se passe en Belgique ? Il me paraît que le ministère Rogier gagne sa partie et qu’il aura un sénat plus traitable. Cela me semble mauvais. Mais après tout, je n‘ai pas envie que la résistance au mal commence en Belgique ; elle y serait trop aisément battue.
Vous devriez jeter un coup d'oeil sur la brochure de M. de Késatry, dont je trouve des extraits dans les Débats. Cela n'a guère d'autre mérite que celui d’une grande franchise ; mais c’est quelque chose. Le gros public qui m’entoure pense tout ce que dit M. De Késatry.
J’ai eu hier la visite de l'inspecteur des écoles primaires de mon arrondissement. Vous ne devinerez jamais pourquoi je vous en parle. Un homme de 40 ans, d'une assez jolie figure, l'air intelligent, un peu familier, très bavard après m'avoir parlé des écoles : " Jai vécu trois ans à Berlin, Monsieur, dans la maison d’un de vos admirateurs. - Qui donc, Monsieur ? - Chez le Ministre de Russie, M. le Baron de Meyendorff. J’ai achevé l'éducation de ses fils. " - Grands détails sur M. de Meyendorff, sur son esprit, sa prodigieuse instruction, sur son intérieur, sa femme, ses fils. J’ai peine à croire que mon inspecteur ait été là, un bon et convenable précepteur. Il s'appelle M. Lambert. Du reste on m'a dit du bien de lui et il s’acquitte bien, ici, de ses fonctions.
Je continue la lecture du Mémoire napolitain décidément, il a trop longuement raison. Je regrette Montebello pour vous. J'ai bien peur qu’un grand malheur ne l'attende. Il en souffrira beaucoup. Est-ce qu’il va établir sa femme à Tours pour l'hiver ?

Onze heures
Je crois tous les jours un peu moins au coup d'Etat auquel je n'ai jamais cru. Thiers est bien bon de s'amuser à avoir peur de Vincennes. C’est du luxe de peur.
Mes lettres ne m'apprennent rien du tout. J'en reçois une de Montalembert qui s’excuse de n'avoir pas encore terminé son discours, et demande un peu de répit. Ce qu’il voudra Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 23 septembre 1851 Mardi

Personne ne sait me donner des nouvelles de M. de Montalembert. En sortant tantôt je passerai moi-même à sa porte pour m'en enquérir. Je ne pourrai vous mandez que demain si j’ai fait quelque découverte. M. Carlier a dit hier matin à un diplomate. " Nous allons bien mal. Si nous avions de nouvelles élections nous serions perdus. " Textuel. l’inquiétude commence à devenir générale. Qu’est-ce que ce sera vers Novembre ?
Jai vu hier soir [Glucesberg] entre autre. Son père est convalescent ils ne sont plus inquiets. On me dit que Thiers est engraissé et de très bonne, humeur. Boutonné quant à la candidature Joinville. Pas d’opinion. Il a passé chez moi hier, sans en trouver. M. Pougoulat /je crois que je dis bien / votera pour la rentrée. des Princes. On dit qu’une grande partie des Légitimistes fera comme lui. Le sort de cette cette proposition est fort douteux et le temps qui coule est à l’avantage de Joinville. Peut-on courir ce risque-là ? Mais les grands hommes se proclament / il n'y a que le petit homme qui soit ici, & il ne perd pas son temps. Dumon était noir hier. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 14 sept. 1851

Ce que vous me dîtes du petit orage contre les Lettres du Times ne me surprend pas du tout. On veut le but ; mais on ne veut ni prendre la peine, ni courir le risque des moyens. Et dès qu’on découvre dans les moyens quelque imperfection un côté faible, on s'y rue et on s'enfuit par là, pour échapper à toute responsabilité. Les hommes ne sont ni plus conséquents, ni plus braves que cela ; je le sais depuis longtemps. Avant d'aller à Claremont, j'ai dit tout haut à bien des gens ce que j’y voulais dire. Quand je me suis trouvé dans le salon de la Reine, j'ai dit en grande partie, tout haut ce que j’avais dit que j’y dirais. Après en être sorti, j'ai redit tout haut, à bien des gens, ce que j'y avais dit. Quoi d'étonnant que tout cela se retrouve dans les lettres du correspondant du Times ? Je ne réponds pas des erreurs des confusions et des inconvenances qui s’y trouvent mêlées, et je ne regrette pas la publicité que reçoit ainsi ce qu’il y a de vrai, car je l'ai voulue. Pour mon propre honneur et pour le succès de la bonne cause qui a besoin qu'on fasse échouer la mauvaise. Voilà mon langage. Je n'en sortirai pas.
Je m'étonne aussi que le Duc de Noailles ne soit pas venu vous voir. On a raison de faire venir M. de Falloux. Soit dans l’intérieur du parti, soit dans ses relations extérieures, on ne peut pas se passer de lui. C’est bien dommage qu’il soit d’une si mauvaise santé.
Autre étonnement, c’est le gouvernement anglais donnant raison aux Américains à propos de Cuba. Valdegamas en est-il bien sûr ? La lettre d'Isturitz au Times m’a tout l’air au contraire d'être concertée avec Lord Palmerston. Si Valdegamas a raison, c’est certainement une grande hypocrisie et une grande platitude de Palmerston envers les Américains. Il ne veut pas contrarier là, le sentiment populaire et il n'agira en faveur de l’Espagne, que sous main. Les Etats-Unis sont une bien grande Puissance
Il faut que la garçonnade soit bien inhérente aux Français, car tous les partis en France, grands ou petits ont leur Gascon, qui même est quelquefois leur héros. M. de La Rochejaquelein est certainement le premier de tous. On me dit ici que sa réélection comme député, dans son département du Morbihan, n'est pas du tout certaine. Je serais bien surpris si, pour être président, il avait dans toute la France, 50,000 voix. Je ne sais rien d'une entrevue de Morny avec Mallac. Je n’y crois pas.

11 heures
Je suis charmé que vous ayez un peu mieux dormi. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 13 septembre 1851

Le duc de Noailles est venu hier matin. Il ressemble parfaitement au duc de Broglie. “c'en est fait de la France. Nous périssons, seulement j’aime mieux périr avec le Président qu’avec le prince de Join ville " Voilà toute sa politique. On fait venir M. de Falloux. C'est l'homme utile & convenable si l’on peut faire quelque chose. Mais rien ne pourra être fait que lorsqu'on aura vraiment peur. Peur à l’Elysée, puis dans le camps légitimiste. Ce moment sera la proposition Creton. Si elle passe, ou alors les légitimistes se déclarent. Berryer passe à l’Elysée & dira pourquoi. Mais il faut que l’Elysée prenne en retour des engagements. Si la proposition est rejetée ou écartée, on restera comme on est. Des bruits de coup d’état ont circulé dans la journée. Cela vient de quelques déplacements de régiments. Mad. Royer qui est venue voir Marion était toute pleine de cela.
Le soir Dumon, Kisseleff, Antonini, Mercier. Rien de neuf. Marion me quitte aujourd’hui pour huit jours. D'abord chez les Royer & puis à Ferrières. J'ai un peu dormi cette nuit, mais cela ne va pas encore. Adieu. Adieu. C’est drôle, Barante.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris vendredi le 12 septembre 1851

Saint-Aulaire est venu hier & Vitet & Montebello, voilà pour la matinée. Le soir je n’ai vu qu’Antonini tout seul. J’expédie d'abord celui-ci. Valdegamas avait dîné chez lui se louant extrêmement du gouvernement français qui met la flotte des Antilles aux ordres des gouverneurs de Cuba. Tandis que le gouvernement Anglais donne raison aux américains. Morny aurait eu une entrevue avec Mallat. Est-ce vrai ?
Ce que je sais c’est que Morny est à la chasse. Vitet était bien sombre. Si on ne convient de rien avant l'Assemblée, la gauche proposera les loix pénales contre les votes illégaux & il sera bien difficile de s'opposer. Changarnier pousser à ce vote tant qu’il peut. Comment entre l'Elysée & les légitimistes n’'y a t il pas quelque rapprochement ? Si cela était, tout pourrait aller. Je suis étonnée que le duc de Noailles ne soit pas venu me voir hier. Il passait la matinée en ville. J'ai oublié de vous dire qu'on a envoyé chercher Falloux. C'est Berryer qui me l’a dit. Montebello serait bien d'avis qu'on s’arrangeât avec le président. Saint-Aulaire croit savoir que le duc de Broglie est en grave blâme des lettres dans le Times. C'est un peu l’opinion de tout le monde. Barante dit que son département est très Joinvilliste.
Vous avez là tous les commérages que je sais. Marion a dîné hier chez Salomon Rothschild en famille avec Changarnier. Mad. (James] seule manquait elle est à [Ferrières]. Changarnier folâtre et disant à Marion qu’elle avait eu tort de nous quitter avant hier. Il n'a de secret pour personne. Sa politique est la plus nette dégagée de tout image. Il est monarchien, & veut un Roi. Il n’a pas dit lequel. Le ton de la maison était hostile à l’Elysée. La Rochejaquelein disait hier à Montebello que sa candidature, qu'il avait traité lui-même de plaisanterie devenait très sérieuse, & qu'il avait déjà au-delà de 600 m. voix ! Le duc de Lévis parle très mal de tout projet de rapprochement avec l’Elysée. Marion a vu hier matin M. Royer, très animé et se moquant beaucoup de Changarnier.
Mes nuits continuent à être mauvaises. Je n'ai pas à me plaindre d’autre chose. C'est bien assez. Le Prince Metternich trouve comme moi la lettre d'Aberdeen pitoyable. Marion est convaincu que Gladstone et peut-être même notre ami n'ont pas été fâché de se réhabiliter auprès des libéraux et de reprendre un peu de la popularité que leur avait fait perdre leur vote sur le bill Catholique. Elle pourrait bien avoir raison. Ma lettre est une vraie mosaïque on m’interrompt. Joaillier & tapissier. Je suis embarquée pour ma chambre à coucher. Il faut aller. Mais j’arrête pour les autres. On m’interrompt. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 11 Sept 1851

J'ai passé hier ma matinée à Lisieux. 26 visites ! à la vérité, je n'en ai trouvé que six. Dans les villes de province comme à Paris la société est dispersée et court les champs. Ce n'est pas la peine de vous redire mes observations sur l'état des esprits. Je n’ai rien entendu de nouveau. J'arrive toujours à la même conclusion ; s'il ne survient point d'événement qui dérange la pente des choses, on élira une assemblée plus présidentielle que celle-ci, et puis on réélira le Président, dans la confiance que l'Assemblée couvrira l’inconstitutionnalité de sa ratification. Toutes les autres combinaisons, toutes les autres. prétentions sont en dehors du sentiment national. Il est vrai que, dans mon pauvre pays le sentiment national est bien souvent bafoué et foulé aux pieds. Il se venge ; mais cela ne le sauve pas.
Je travaille beaucoup. J'écris ma politique personnelle ; ce que j’ai cherché pour mon pays ; fragment de Mémoires personnels. Je veux avoir cela tout prêt, pour le publier au moment qui me conviendra. C’est un grand amusement et ce peut être un grand intérêt pour moi. Je crois que cela vous intéressera aussi. On peut très bien trouver la garantie qu’on cherche pour Changarnier. Je suis moins sûr, qu'elle lui convienne quand on l’aura trouvée.
Si Thiers va à Londres, c'est pour faire cesser les hésitations qui existent encore là, qui ont même augmenté, je crois, dans ces derniers temps, et qui empêchent toute conduite positive et publique. Or il n’y a que les conduites positives et publiques qui réussissent. Thiers ira quand le Duc d’Aumale y sera arrivé, pour être de la délibération de famille. Je ne crois pas qu'on lui résiste. Il fera adopter le plan de campagne qu’il proposera. Quel sera ce plan. C'est ce qu’il faudra savoir le plus tôt possible. Il y en avait eu un premier qui a été fort dérangé. Nous verrons ce qui adviendra du second.
Est-ce que personne à votre connaissance, ne parle d'aller aussi voir Madame la Duchesse d'Orléans à Eisenach ? Je n’entends plus parler du tout de Piscatory. Il ne m’a pas écrit depuis que je suis ici. J'en saurai peut-être quelque chose à Broglie. En tout cas je romprais moi-même le silence. Je ne veux, ni me brouiller avec un ami, ni me laisser boucher une fenêtre sur le camp ennemi. Avez-vous quelque certitude qu’il est en correspondance avec la Duchesse de Talleyrand ? Cela vaut la peine de le savoir sûrement. Je m'étonnerais que de la part de Palmerston, cette correspondance eût recommencé sans quelque intention. Il a à la fois beaucoup de premier mouvement et beaucoup de calcul. Et il peut avoir envie de s’entrouvrir, en tous sens des portes.

11 heures
Merci de votre longue lettre. Je vous remercierai bien plus encore quand vous me direz que vous vous sentez mieux. Voilà des visiteurs de Trouville qui viennent me demander à déjeuner. Hippolyte de La Rochefoucauld et cinq ou six Mallet, Labouchère & Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 9 Septembre 1851 Mardi

Thiers est revenu en très belle humeur, il dit que le pays est bien plus démocratique qu’il ne l’avait cru, mais qu'il s'accommoderait très bien de la forme monarchique recouvrant le socialisme. Il va à Londres. Voilà ce qui m’a été dit hier de source à ce qu’il me paraît. Changarnier est bien animé. Plein de professions de dévouement à la bonne cause. Il met toute la gloire à la servir, mais il ne peut pas affecter cela sans compromettre son élection à la présidence sur laquelle il compte, à quoi il travaille, & qui servira au moins à diviser les voix. On veut lui imposer un certain engagement, obtenir quelque garantie, il est prêt à la donner, il faut inventer, chercher. L'Elysée semble disposé à se rapprocher de Molé, on dit même de Changarnier ; je vous redis ce qu'on me dit et tout cela est encore à l’état de symptômes. Je n’ai pas vu Changarnier. J’ai vu hier Mad. Decazes. Elle est convaincu que Joinville sera élu. Elle dit : " Pourquoi pas ? Ceci vaut mieux que 1830. On ne chasse personne. " On fait aujourd’hui l'opération de la peine au Duc Decazes. Il en a fort peur. Lord Granville est ici. Il est venu me voir hier. Spirituel & doux, & ne m’apprenant rien de nouveau.
Je ne me sens toujours pas bien. Pas de sommeil et très nervous. Adieu. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Dimanche le 7 Septembre 1851

Plus j’y pense, plus je suis contente de ce que vous avez fait à Claremont. Comme cela a éclairé la situation ! & puisque vos princes sont de si pauvres gens, tant mieux que cela soit proclamé. Quelle mauvaise race et comme la bonne aura toujours raison de se défier d'eux.
Carlier a dit hier à [Kisseleff] qu'on a saisi surtout des papiers importants. L’affaire n’ira pas devant le jury. Elle sera jugée plus sommairement. La grande chose à présent c’est les élections. On les veut très prochaines. A la question si cela serait encore cette année, il y a eu doute à cause de mouvement de [communes] du nouvel an, mais certainement cela sera au mois de janvier. J’ai vu hier Hatzfeld, Dumon & Kisseleff. J’avais fermé ma porte aux autres. J’étais trop fatiguée. Hatzfeld est d’opinion que les arrestations sont un prélude. Le public ne s’est pas ému le moins du monde. On peut aller de l’avant & de degrés en degrés faire un coup d'Etat qui n’a pas l’inconvénient d’un coup de tonnerre. Je crois qu’on serait fâché à l’Elysée de voir la candidature Joinville tout à fait morte, car elle sert à effrayer les légitimistes et à les rapprocher de l'Elysée. Quant à nous autres nous sommes très décidément pour le Président. Il n'y a pas mieux, il n’y a pas si bien, il n'y a même personne.
Je n'ai plus entendu parler de Morny. La Redorte est parti depuis plusieurs jours. Je n'ai pas encore fait savoir à Changarnier mon retour. Je le ferai demain. Je vous ai dit qu'il va aujourd’hui à Champlatreux avec Montebello. Molé m'écrit pour me presser beaucoup d'aller le voir. J’irai dans la semaine mais pour quelques heures seulement. Comme vous dites bien sur Lamartine ! J'ai un peu dormi cette nuit, pas beaucoup. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Paris. Lundi 11 aout 1851
3 heures

Je reviens du grand concours où j’ai été reçu, en entrant dans la salle, plus bruyamment encore que l’an dernier. Et quand mon fils a été nommé, son nom a amené deux fois une nouvelle explosion. Il faut se féliciter de la mobilité de mon pays ; elle le perd et le sauve tour à tour. Ce qui ne veut pas dire que je le croie sauvé parce qu’il recommence à m’applaudir.
J’ai eu du monde constamment, quoiqu’il n’y ait personne ici. Je vous ai déjà dit ce matin, je crois, que j’avais été content hier de la conversation du Duc de Broglie, très content, et pour le fond des choses, et pour sa propre disposition. Il regarde l’union comme très bien établie entre les deux corps d’armée conservateur et légitimiste, et il les croit décidés l’un et l'autre à faire ce qu’il faudra pour la maintenir. Il loue beaucoup Berryer, talent et conduite. Il s'attend, au mois de Novembre, à une majorité, encore insuffisante, pour la révision, mais plus forte. Les conseils généraux et les consuls d’arrondissement seront presque unanimes. Le pétitionnement recommence. On ne veut que des signatures nouvelles. Que résultera-t-il de tout cela au Printemps ? On n'en sait rien. On ne s'inquiète pas de le savoir. On ne s’inquiète que de l'élection de l'Assemblée, très probablement au mois de mars. On l'espère bonne, au moins aussi bonne que celle-ci, et plus décidée. Si on y réussit, on verra après. On aura fait ce qui fera ce qui sera possible.
Le Président se conduit tranquillement, sans autre dessein ni travail que sa réélection. C’est toujours le plus probable. Jusqu'ici le mouvement n’est pas vif pour le Prince de Joinville et lui ne dit ni oui, ni non. L’Elysée parait plutôt content qu'inquiet de cet incident.
Lord Aberdeen m'écrit qu’il part pour l’Ecosse où il me presse fort d'aller. Je n'irai point. Il me dit : " We expect a new reform bill at tre opening, of the next session of Parliament. If Lord Derby at that time should be prepared to abandon his present policy of protection and dear bread, he may very probably be able to oppose Parliamentany Reforme with success. But if not Lord John may carry universal suffrage, if he should think proper. Whatever exertion or sacrifice may be necessary to secure free trade will be cheerfully made."
Nous verrons si l’aristocratie anglaise aura son vieux bon sens. Je trouve que dans ces derniers temps, son bon sens et son énergie ont également faibli. Elle a été plus entêtée que hardie.

Mardi 12
M. Molé est venu hier pendant que je vous écrivais. Il arrivait du Marais. Je le reverrai aujourd’hui avant de partir. Nous aurons notre petite réunion pour les affaires de l'Assemblée nationale. Duchâtel est arrivé aussi hier soir. Kisseleff est venu me voir après Molé. Vous manquez beaucoup à ce monde. Kisseleff dit qu’il use ses redingotes n'ayant plus une occasion de mettre un habit. Molé part samedi pour Champlâtreux, jusqu'au mois de Novembre. Il se promet que vous irez l’y voir.
Changarnier est parti tout de suite pour la Bourgogne ; triste, et commençant à s'apercevoir qu’il n’a pas bien conduit sa barque. Pas la moindre nouvelle d'ailleurs.
Autre visite hier, qui m’a intéressé et plus. Le comte de Thomar que Païva m’a amené. Encore jeune, physionomie spirituelle ; mélange de gravité espagnole et de vivacité italienne. Bien méridional. La langage plus impartial et plus calme sur ses ennemis qu’il n’appartient aux méridionaux. Il est ici pour quelques semaines. Et en automne, il compte aller reprendre sa place dans la Chambre des Pairs de Lisbonne. Rien ne l'en empêche. Adieu.
Je repars ce soir à 6 heures emmenant tout ce que j’avais laissé ici des miens. Je voudrais bien que vous me dissiez ce matin que votre tête va mieux. Adieu, Adieu.
G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23014_00151.jpg
Val Richer, Mercredi 6 août 1851

Lisez quelquefois, je vous prie, la Chronique politique de l'Assemblée nationale signée Robillard. C'est, depuis quelque temps ce qu’il y a de mieux dans le Journal. J’y trouve aujourd’hui sur les Régentistes et leur journal l'Ordre, des réflexions pleines de sens et d'à propos.
Je souhaite que M. de Beroldingen ait raison dans tout ce qu’il vous a dit de l'Allemagne et que les masses aient, en effet fait leur expérience. Cela dépend des gouvernements ; quand ils se conduisent avec tact et mesure, les expériences profitent en effet aux masses ; quand les gouvernements abusent des expériences, les masses recommencent bientôt de plus belle et plus fort. Nous ne voyons pas autre chose depuis soixante ans.
Voilà encore deux élections qui viennent de se faire ici, l’une dans le nord, l'autre dans le Lot, et qui toutes les deux, ont tourné comme les quatre précédentes contre les Montagnards, et les pointus légitimistes réunis qui n'ont pu ni faire l'élection en y prenant part, ni la faire manquer en s'abstenant. Cela fait bien des échecs pour eux dans l’Assemblée, et au dehors. Si le plaisir du succès peut consolider l’union des conservateurs et des légitimistes sensés, ce sera excellent, [?] le Président en profitera le premier.
J’ai eu hier des nouvelles de votre ami M. Fould, à l'occasion d’une petite affaire que je lui avais recommandée, et qu’il a faite de très bonne grâce. Il m’écrit d’un ton content. Ce que vous me dîtes de l'absence de toute nouvelle directe à Frohsdorf, le 23, sur la visite à Claremont, est étrange. C'est bien le cas de dire légèreté française. Je vous demande la permission de mettre humain à la place de française, par amendement. Que d'anglais auraient fait une démarche semblable sans en rien dire, ni avant, ni après au premier intéressé.
Je commence à m'occuper de mon discours futur en réponse à M. de Montalembert. Sans connaître du tout le sien qui n’est pas fait, et qu’il m’apportera ici, m’a-t-il dit, vers la fin de septembre. Je n’écris pas un mot, comme de raison ; mais je lis ce qu’ont écrit M. Droz et M. de Montalembert mes deux sujets. Deux sujets bien divers, venus des points opposés de l’horizon, et qui ont fini par se rencontrer dans les mêmes sentiments sur toutes les grandes choses de la vie. Il y a de quoi bien parler. Dieu sait où nous en serons quand viendra cette séance ! Peut-être au milieu de l'élection d’une assemblée constituante. Cependant je ne crois pas ; je persiste à ne croire à rien jusqu'au printemps de 1852.
Ce que j’ai peine à croire, c’est que je ne désire pas vous retrouver dimanche à Paris, et que j'y aille pour ne pas vous y retrouver. Je n'ai encore point de nouvelle de Duchâtel depuis son retour, je suppose qu’il persiste dans son projet de visite à Claremont. Je saurai Dimanche si nous faisons ce pèlerinage à plusieurs. Montebello ni Dumon non plus ne m’écrivent. Il paraît que tout le monde est las de n'avoir rien fait et ne songe qu’à s'en reposer. onze heures J'espère bien que votre mal de tête n'est que de la migraine, et par conséquent un mal très passager. J'ai deux lettres de vous à la fois, du 1er et du 2. Adieu Adieu.
J’ai peur de n'avoir rien demain. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Paris, Dimanche 6 Juillet 1851

M. Paget vient de m’apporter deux lettres de Lord Aberdeen, des 28 juillet et 4 juillet. M. d'Harcourt après l’avoir promis, avait négligé d’envoyer chercher la première, ou de donner son adresse. Légèreté française comme vous diriez. Longue lettre. Voici les points intéressants. Le Roi Léopold point hostile à la fusion, mais croyant que les Princes ont peu à y faire ; tenant le même langage que le feu Roi ; se plaignant de la déraison impertinente de quelques légitimistes, surtout autour du comte de Chambord. Celui-ci serait convenablement reçu à Londres, s'il y allait. Les désirs de la famille d'Orléans, surtout de la Reine et du duc de Nemours, y seraient pris en grande considération. Le Cabinet anglais, plus discrédité que ne l'a jamais été aucun gouvernement ; mais il achèvera la session. " We are threatened with a new reform bill at the commencement of the next session ; and although lord John looks to this as the means of acquiring additional strength, it may very possibly lead to his ruin. This is a matter upon which all conservatives might act cordially together. "
Changarnier s'est montré fort perplexe. Il craint une grosse majorité pour la révision. Des hommes sur qui il comptait pour voter contre, M. de Maleville et M. de Rémusat, par exemple, voteront pour dans leur intérêt électoral. Il insiste ardemment pour qu’on prenne d'avance des mesures législatives contre l'élection des trois candidats inconstitutionnels. Il regarde, en ce cas, sa propre élection comme certaine, avec toutes les meilleures conséquences. Mais il doute beaucoup que l'Assemblée le fasse. Il dit les mêmes choses que vous lui avez entendu dire, avec moins d’assurance. J’irai lui rendre sa visite avant mon départ. Quelques autres personnes ce matin, mais rien de nouveau. Décidément les affaires commerciales reprennent assez.
Le public a moins peur de 1852, sans savoir comment, il se croit sûr qu’il s’en tirera, à assez bon marché, et il ne demande rien de plus. La chute d’ambition est encore plus grande que la chute de puissance.

Lundi 7 9 heures
Votre mot de Cologne m’arrive. J'espère que demain je vous saurai arrivée et établie à Ems. Cela me plaît de connaître les lieux, maison et pays. J’irai me promener avec vous à Nassau. J'espère aussi que vous aurez pensé à m'écrire au Val Richer, à partir de Mercredi 9. Rien n’est changé dans mes projets.
Je n'ai vu personne hier soir. Je reçois ce matin une lettre de Donoso Cortes qui me croit et m'écrit au Val Richer. Voici le dernier paragraphe : " Mon Dieu ! je suis émerveillé de voir combien sont faciles les choses difficiles. Je crois, par exemple, qu’il se peut que le salut de l’Europe tienne à ce qu’un homme, qui est à Val Richer, le veuille ou ne le veuille pas. Le voudra-t-il ? " Comprenez-vous ? La lettre roule sur l’Eglise catholique qui peut seule sauver le monde, parce qu’elle en sait plus que le monde, et aime plus que le monde n'aime. Et la question est de savoir si je voudrai me faire catholique. Suis-je assez flatté pour me décider ? Qu'en pensez-vous ? Adieu, adieu.
Dites-moi, je vous prie, à quelle heure vous arrivent mes lettres et partent les vôtres. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Paris. Mercredi 2 Juillet 185
Une heure

Je ne suis pas du tout résigné à la séparation. Mon plaisir me manquera aux heures accoutumées, et mon attente de mon plaisir tout le jour.
En vous quittant hier soir je suis retourné chez Mad. de Staël. Point d'autre visiteur que Viel-Castel uniquement préoccupé des affaires de La Plata dont le rapport se fait ces jours-ci. M. Thiers, les a toujours à coeur, plus que vous. Il ne refera pourtant pas son discours cette année, mais il en fera faire plusieurs. Pour rien, car la paix sera faite avec Rosas. 13 membres de la commission sont pour la paix contre 2. M. De Tocqueville lira Lundi 7, à la Commission, son rapport sur la révision. La Commission le discutera lundi et mardi. Il le lira à l’assemblée mercredi, ou jeudi. Le grand débat commencera, le mardi 15, grand peut-être, et long certainement.
Pour la réunion des Pyramides, sept orateurs, MM. de Broglie, Montalembert, Daru, Odilon Barrot, Beugnot, Gal Bedeau et Coquerel. Pour la République, plaine ou Montagne, MM. le Gal Cavaignac, Lamartine, Gal Lamoricière, Jules Favre, Charras, Mathieu de la Drôme Michel de Bourges. Pour le Tiers Parti, MM. Dufaure, Tocqueville et Laboulais. Pour les légitimistes, MM. Berryer, Falloux, Vatimesnil, La Rochejacquelein, Laboulie. Pour les fusionnistes MM. Molé, Montebello, Moulin. Pour le Ministère, MM. Baroche. Léon Faucher et Rouher. Voilà le programme général. Et comme il s’agit de prendre position pour les élections futures, peu de gens se retireront de la scène. Au moins dix ou douze jours de débat. Je n’ai encore vu personne qui connût le discours du Président.
La réception de Poitiers n'a pas valu celle de Tours. Peu de visites ce matin. Deux légitimistes, MM. de Neuville et de Limairac, bien pressés qu’on s'entende avec eux pour faire, à la loi du 31 mai une petite modification qui leur permette de ne pas attaquer la loi, et de voter avec la majorité, contre la Montagne. Le parti est assez découragé.
Je verrai demain le général Chabannes qui part le soir pour Claremont. Je lui dirai bien des choses à redire et il les redira. Je ne suis pas plus intéressant que cela. Adieu. La pluie me plait. Vous aurez moins chaud et point de poussière. Adieu, adieu.
Tout va bien chez moi. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 10 Juillet 1850

Votre lettre hier est intéressante sur Paris. Elle confirme tout ce que je pense, c’est que bon gré malgré tout tournera au profit du Président. Il est là pour aussi longtemps qu'il lui plaira. Eh bien qu'il fasse de bonnes choses. Deux tiers des électeurs de Paris éliminés, quelle bonne affaire. Voyons la loi sur la presse. Elle passera j’espère, malgré l'humeur des journaux. Voici enfin Ellice, & je vous engage à l’étudier, cela en vaut la peine. Quelle journée hier ! De la pluie tout le long. Personne que le Prince Paul pendant une demi-heure. C’est à pleurer. Je suis au bout de la ville. Ainsi pas même la récréation des passants, d’un peu de bruit, rien, rien du tout. De hautes montagnes couvertes de nuages. Je m'attendais à bien de l’ennui. Ceci surpasse de beaucoup mon attente, comment arriverai-je au bout des quatre semaines ? Je bois, & aujourd’hui je commence les bains. Le temps y est très peu favorable. Jusqu’ici & me voilà au quatrième jour des verres d’eau, je ne sens d’autre effet qu’une grande lassitude. Un affaiblissement général. Si c’est là ce que je suis venue chercher, il ne valait pas la peine de faire ce long voyage. J’étais bien assez faible à Paris. C’est le Médecin du coin qui règle mon régime.
Marion m’a envoyé la correspondance dont parle Ellice. C’est en effet une lettre pleine de reproches, & de flatteries de la part lady Palmerston. Reproches des critiques d’Ellice sur Palmerston. La réponse d’Ellice est très franche, il déteste la politique révolutionnaire du [f. o.] et condamne tout à fait la marche suivie par le [gouvernement] tout entier dans cette discussion. C'était le 21, lendemain du jour où Lord Russel avait fait fi de la chambre des Pairs, & des grandes puissances. Enfin, sa lettre est parfaitement dans la vérité en même temps que convenable. Peel ayant disparu, je suis bien portée à croire que le seul homme considérable en Angleterre reste lord Palmerston. Au besoin l’autre l’aurait contenu, dominé. Aujourd’hui il reste sans frein, sans contrôle. Je crois que l'Angleterre ira mal. Qu’en pensez-vous ? Adieu, adieu. Quel ennui que l'absence, quel ennui que l'ennui. Adieu. Adieu. Quel bon article sur Peel dans les Débats de dimanche, par Lemoine !

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 13 juin 1850
Neuf heures

Pas un mot sur la consultation de Chomel ! Voilà ce qui me déplaît de votre lettre. Est-ce que la consultation n’a pas eu lieu ? Duchâtel m'écrit que le voyage de St Léonard est pressant, et me propose de le faire avec moi. Cela me convient. Il est libre à partir de samedi, et il voudrait partir dimanche soir. Je lui réponds que j'aimerais beaucoup mieux lundi. Enfin, je serai là dimanche matin. Nous verrons. Je vous trouve en effet bien en train de lord Palmerston. Dieu vous exauce ! Certainement, si rien n’est fini lundi sa situation sera bien mauvaise. Mais il ne dépend pas de Lahitte que rien ne soit fini. Palmerston n'a qu'à tout céder.
Le discours du Président à St Quentin ne m’a point surpris, ni son succès. Il ressemble à tous ses autres discours. Bonnes intentions vagues et contradictoires. Le vrai et le faux, le pour et le contre le gentleman et le philanthrope, un peu socialiste, l’ordre et la porte entrouverte au désordre. Et c'est à cause de cela que le Président réussit souvent en parlant. L’état général des esprits lui ressemble eux aussi, ils voudraient tout cela à la fois. Changarnier a raison de ne pas faire de bruit. Voilà Emile de Girardin enfin élu. Ce sera dans l’assemblée, un ennui pour le gouvernement et quelques fois un embarras. Il prêtera souvent à la Montagne de l’esprit et de l'audace. Ce n'est nullepart ni jamais un homme indifférent.
Vous ne vous intéressez surement pas à Cuba. Moi, je suis charmé que la piraterie américaine ait échoué honteusement. Je souhaite toutes sortes de bien à l’Espagne et au général Narvaez. Adieu. J’ai tant de choses à vous dire dimanche que je ne vois rien à vous dire aujourd’hui. Je vous écrirai encore demain. Je suis seul absolument seul aujourd’hui dans le Val Richer. Pauline est partie ce matin pour Trouville avec son mari. Henriette arrive ce soir ici avec le sien. Adieu, adieu. G.


Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 29 Sept 1849 8 heures

Je suis rétabli chez moi. Avec plaisir, quoique les quinze jours que je viens de passer à Broglie aient été vrai ment agréables. Bonne et intime conversation. Je l’ai laissé un peu moins abattu que je ne l’avais trouvé. Non pas moins triste, car il y a, dans sa tristesse, une cause à laquelle personne ne peut rien. Sa situation personnelle lui déplait ; il se trouve en mauvaise compagnie ; pour lui même, il aimerait infiniment mieux n'avoir pas touché du bout du doigt à tout ceci. Non qu'il regrette d'avoir fait ce qu’il a fait ; il l’a fait par devoir, dans l’intérêt du pays, pour concourir à la résistance universelle et nécessaire des honnêtes gens contre les coquins, des hommes de sens contre les fous. Et vraiment, quand on voit de près ce qui arriverait dans ce pays-ci, si on laissait faire, on comprend que personne ne se soit cru permis d'en courir la chance, et de ne pas faire soi-même tout son possible pour empêcher. C’était une nécessité de défense personnelle et un devoir strict, urgent envers sa famille, ses amis, ses voisins, tout son pays. Mais la position qui en résulte n'en est pas moins pénible et lourde. Ce sont les conséquences d’une intervention forcé pour cause de sureté intérieure, mais qui coute cher et pèse beaucoup. Hier une heure avant de partir, j'ai encore causé de la tranquillité de Paris. Toujours la même conviction développée, en raisons convaincantes. Quoique finissant par la précaution que tout le monde prend toujours ici : " On ne peut répondre de rien. "
Albert est très bien très sensé, en train et courageux, sa femme très agréable, douce, intelligente, modeste, simplement élégante d’esprit et de cœur, prenant intérêt à la conversation souriant de plaisir parce qu'elle comprend et rougissant quand on la regarde au moment où elle comprend. Broglie et Albert partent demain pour Paris ; la petite Princesse mardi pour aller passer six semaines en Périgord, chez son père, où son mari ira la rejoindre. Ils seront tous réunis à Paris, dans la dernière quinzaine de Novembre. Albert se croit quelques chances d'être élu à l'assemblée par le département du Haut-Rhin, quand le procès de Versailles aura fait des vacances. S’il fait toutes celles auxquelles on croit, il y en aura trois dans ce département-là, et une trentaine en tout. Les réélections seront importantes. Elles révèleront, l'état actuel de ce monde, inconnu qu'on appelle le suffrage universel. On en est assez préoccupé d'avance.
Vous voilà au courant de Broglie comme si vous y aviez passé ces quinze jours. Fait important que j'oubliais. C’est bien certainement Thiers qui est le conseiller sérieux, et efficace de Louis Napoléon. Quand il y a quelque circonstance difficile, douteuse, c’est Thiers qu’il fait appeler. Il dine tête-à-tête. avec lui. Quelquefois Persigny en tiers. Puis on s’arrange pour faire donner par Molé le conseil auquel on s’est arrêté. Et pourvu que Molé ne s’en doute pas, il le donne. Et il ne demande pas mieux que de ne pas s'en douter.

Onze heures
Merci, merci de votre longue lettre. Soyez tranquille ; je n’ai pas le temps aujourd’hui de vous dire comment ; mais je vous promets que je ne me ferai pas des ennemis. Bien au contraire. Et nous passerons l’hiver ensemble à Paris, aussi doucement que le permettra l'état. général de l’atmosphère. Adieu. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie, Mercredi 26 Sept 1849 4 heures

Je vous écris sans plaisir. Cette journée m'ennuie. Je n'y peux rien mettre qui me plaise. Le Président perd beaucoup. Tout le monde le dit ; ce qui ne prouve pas grand chose, car le monde qui parle de cela n'est pas celui qui en décide. Personne ne connait les dispositions réelles des millions d'hommes, paysans et ouvriers, qui sont les rois du suffrage universel. Jamais il n’y a eu plus de raison de dire : " Mon Dieu, pardonne leur, car ils ne savent ce qu’ils font ! " Cela est rigoureusement vrai de tout le monde en France ; peuple et chefs du peuple pensent et agissent tout-à-fait à part les uns des autres, sans influer les uns sur les autres, sans se connaître les uns les autres. Il y a une chose merveilleuse ; c’est qu’ils ne fassent pas cent fois plus mal qu'ils ne font.
N'entendez-vous rien dire de Berlin ? Le Cabinet Braudenburg durera-t-il ? Quel est l’Arnim dont on parle pour lui succéder ? Est-ce notre ancien ami ? J'ai grand peur des fautes futures de Berlin et de Vienne. Dieu sait ce qui en sortirait. Est-ce que nous n'aurions que l’alternative des sottises ? Albert de Broglie, qui connait bien Rome ne comprend pas que la Légation de France ne s’entende pas avec le cardinal Antonelli, homme d’esprit dit-il, modéré, sensé, et avec qui M. Rossi était au mieux. Que faites. vous de M. de Bouténeff ? Est-il à Gaëte ou à Rome ? Je vous quitte pour aller faire le tour du Parc. Il y a de très beaux hêtres. Pas si beaux cependant que le grand chêne du Parc de Richmond.

Jeudi 27 sept. 9 heures
Voilà mes deux lettres. Excellentes. Mais je les aurais mieux aimées l’une après l’autre. Ils m'ont gâté ma journée d'hier. Je ne sais qui est ils. En tout cas, je lui donne ma malédiction. Ils pourraient bien avoir lu la lettre de dimanche, et lundi. Elle en valait la peine. Peu importe. S’ils sont capables de comprendre, Ils auront trouvé à apprendre. J’ai lu et relu la lettre de Lord Melbourne. Et je la ferai lire et relire. Il a cent fois raison. Mais voici cet autre problème que je le prie de résoudre : faire jouer une pièce sans acteurs. Il y a un public en France. Même un grand public, qui siffle ou applaudit. avec beaucoup d'intelligence. Il n'y a pas d'acteurs. Le public ne souffre pas que personne sorte de ses rangs, monte sûr la scène et fasse son état des grands rôles. Il veut que tout le monde reste public. Notre mal est là. Certainement, il faut faire ce qui est nécessaire, et le faire sans s’embarrasser du testament des morts qui ont prétendu que les vivants devaient s’enterrer avec eux. Mais pour réussir en faisant ce qui est nécessaire, il faut deux choses : ne pas se tromper sur la nécessité, et que le public croyant aussi à la nécessité accepte ce qui a été fait en son nom. Le public français ne veut pas croire à la nécessité ! Elle le gêne. Il aime mieux ses fantaisies. Les Anglais sont un peuple politique ; ils agissent. Les Français sont un peuple critique ; ils frondent. J'en sais bien à peu près les raisons. Elles sont trop longues. Pour le moment, il n’y a plus en France qu’une idée, ou plutôt un sentiment qui ait autorité sur les masses et auquel elles soient disposées à obéir. C'est le sentiment de la légalité. Et la légalité, c’est le droit de la majorité à l'obéissance de la minorité. Là où sont la moitié plus un des mâles Français au dessus de vingt et un ans là est le droit ; le droit devant lequel tout le monde, à peu près, s’incline. hors de là, il y a que des prétentions, auxquelles chacun oppose les siennes propres. Voilà ce que disent les gens d’esprit qui se croyent obligés de dire cent subtilités et de prendre de longs détours pour arriver à peu près au même point où le bon sens résolument pratiqué, les conduirait beaucoup plus vite et plus sûrement. M. de Perigny n'est pas dégouté. Les Césars ! Qu'on m’en trouve. Par malheur, il ne suffit pas d'avoir un peu lu l’histoire pour la refaire, et de prononcer les noms pour ressembler aux hommes.
Je retourne demain au Val Richer. J'espère bien y avoir samedi ma lettre. Je l’espère parce que j’ai confiance en vous, car j'ai oublié de vous avertir à temps. Adieu, Adieu. Je vous écrirai le vendredi comme les autres jours. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Dimanche 26 Août 1849.
Val Richer 7 heures et demie

Je n'ai point été nommé au Conseil Général. C'est le voisin que je vous ai indiqué. Malgré ce que j'ai dit on m’a encore donné 300 voix. Ma commune et deux communes voisines n’ont pas voulu aller voter du tout, plutôt que de ne pas voter pour moi. Bien des poltrons ont encore peur de moi. Bien des esprits faibles sont encore incertains. Dans les premiers temps de la révolution, les Républicains de toute nuance, et plus récemment mes anciens adversaires politiques, ont ardemment travaillé contre moi, dans tout le pays. Journaux, petits pamphlets caricatures, lettres particulières, mensonges spécieux ou effrontés, odieux ou stupides, tout a été mis en œuvre et non sans quelque succès dans quelques parties de cette masse qui n’a point d’yeux pour voir, ni de temps pour regarder. Il reste, et il restera longtemps encore des traces de ce travail. Mais évidemment le vent souffle aujourd’hui de mon côté. Le courage revient à mes amis. La faveur des indifférents me revient. On fait de tout côté, honte à ceux qui ont menti ou qui ont cru aux mensonges. Ma présence et mon immobilité plaisent. Je n'ai qu'à continuer, et je continuerai certainement. Je suis sur le flot qui monte. S’il monte assez haut pour me relever, à la bonne heure. Je ne suis point pressé et je ne me contenterai pas à bon marché.
Ce qui me contentera parfaitement dans trois heures, j’espère, c’est votre lettre vos deux lettres. Comment se fait-il que ces irrégularités aient attendu jusqu'à présent pour se produire et qu’elles se renouvèlent à si peu de jours de distance ? Si on lit nos lettres, et si ceux qui les lisent ont un peu d’esprit, ils doivent voir bien clairement deux choses, que nous ne nous gênons pas, et que nous n’avons rien à cacher. Ce n’est vraiment pas la peine de nous causer le très vif déplaisir d’un retard.
J’ai reçu hier un mot de Dalmatie qui m’a annoncé sa visite pour cette semaine. On me dit que M. de Corcelle est très malade, et qu’il pourrait bien mourir à Castellamare. Ce serait une perte pour le Pape dont il a épousé avec passion la cause. On me dit aussi qu’il y aura, un peu plutôt ou un peu plus tard nouvelle explosion en Piémont, au moment où le Roi sera obligé de dissoudre la Chambre actuelle. La Suisse redevient le foyer du volcan, et c’est sur le Piémont que la flamme se dirige. Suisse et Piémont seront envahis s’ils éclatent, et la République Française fera comme les autres, on laissera faire les autres. Si les gouvernements sensés, sont assez sensés, leur chance est bonne. Les fous sont faibles et bêtes. Je crains que la brouillerie qui a éclaté entre Narvaez et Mon ne se raccommode pas cette fois. Ce serait bien dommage. Adieu jusqu'à la poste. Adieu, adieu. Je vais faire ma toilette.

Onze heures
Voilà seulement la lettre de jeudi 23. Je devrais avoir aussi celle d'avant-hier vendredi. Est-ce que les lettres mettraient désormais trois jours à m’arriver ? Je ne puis pas le croire. Il faut qu’il y ait quelque méprise, quelque retard dans l’ajustement de Richmond à Londres, et de Londres à Paris. Vous y prenez surement grand soin, dearest. Pourtant, j'ai bien envie que nous retrouvions notre exactitude accoutumée. Jusqu'ici cela marchait si bien ! Adieu, adieu. Nous verrons si j'aurai deux lettres demain, ou seulement celle de Vendredi. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond le 18 Juin
Lundi 5 heures

Hier les John Russell tous seuls copiant des vers de lord Byron. Il croit que l’assemblée va statuer quelque chose sur la situation du Président. Il ne sait quoi. Drouyn de Lhuys sera nommé ambassadeur ici. Dufaure a dit à Normanby. " Les soucis de tribune, c’est des bêtises ! Le pouvoir c’est tout, je l'ai, et je le garderai. " Mon Empereur mécontent de roi de Prusse. Voilà tout ce que j’ai relevé de la conversation hier. J’ai rencontré Duchâtel dans la rue. Delessert lui mande qu'on s’est fort battu à Lyon, on a tiré des forts. Cela a bien fini, & tout cela est bon. Je rentre, le temps est charmant, & la promenade avec vous serait plus charmante encore. Des visites. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton Dimanche 10 Juin 1849
2 heures

Voilà donc Rome pris, ou à peu près pris, ou près d'être pris. Je ne sais encore que le Morning Chronicle, 3e édition, que je n'ai pas même lu. Guillaume m'a rapporté les nouvelles du bureau du journal. Il y a trop de détails pour que le fond ne soit pas vrai. Pourtant je ne trouve pas ce fond bien clair. Je désire que tout soit vrai. Amour-propre à part, un échec à Rome serait bien mauvais à Paris. Je veux bien qu’on se batte avec les Montagnards ; mais je ne veux pas que les Montagnards se battent en ayant le vent pour eux. Un échec devant Rome dégoûterait l’armée, l’armée de Paris. Il faut qu’elle ait cœur à se battre pour le Gouvernement. Les raisons abandent. Que d’embarras suivront la victoire ! Autant qu’il y aurait de périls dans le revers. Le Dimanche est plus insupportable, aujourd’hui que jamais. Rome, la santé du Maréchal Bugeaud. Ledru Rollin mort ou vivant. Attendre m'impatiente aujourd’hui presque autant que vous. Je ne me suis pas ennuyé hier chez Lady Alice. A table, j'ai assez causé avec elle, de vous surtout. Elle vous aime. Je ne m'y trompe pas. Elle a un peu trop de peine à comprendre ce qu'on lui dit. Le marquis, et la marquise d’Exter, le duc de Ruttand, Lord Granby, Lord Chelsea, Lord Jermyn, Lord Forrester, Sir James Gaham, M. Goulburn, Kielmansegge, Lady Aylesbury, Lord Jocelyn. J’étais chez moi à onze heures. Duchâtel sort d’ici. Il ne savait rien.
4 heures
J’ai été interrompu par Paul Dara qui arrive de Paris en passant par St Léonard.. Il a eu le choléra. 14 personnes dans la maison de son frère avec qui il habite, ont eu le choléra. Deux sont morts, le beau père de son frère et le cuisinier. Toujours brave mais aussi triste que brave. De mon avis pourtant en ce point que, s’il est vrai que le mal à beaucoup, grandi, il est vrai aussi que les moyens de résistance ne manquent point la majorité, le Président, encore l'armée. C'est le courage qui manque, et encore plus le courage de l’espérance que celui de la défense. On se croit perdu. On se défendrait si on croit relever la tête et regarder l'ennemi. Les légitimistes sauf la petite coterie de M. de la Rochejacquelin sont sensé, dans l'Assemblée. Il est convenu contre les grands partis, qu’on n'élèvera aucune question politique aucune question de prétendant, qu’on ne pensera, d'ici à trois ans qu’à se défendre du danger commun. On cherche un successeur au Président actuel qui ne sera point réélu. On ne pense qu'au Prince de Joinville. C'est le seul roi dans l’air. La duchesse d'Orléans arrive le 25. Le Prince et la Princesse de Joinville vont la voir à Eisenach. Le duc de Nemours ira la prendre à Ostende. Je vous donne pêle-mêle ce que m'a donné Daru. Il passe ici quelques jours. Adieu. Je vais à l’Athenaeum. Il fait froid, gris. Beaucoup de vent. Les Delassort m'ont fait demander, si je serai chez moi ce voir. Ils viendront à 9 heures. On me reparle d'élection dans le Calvados à propos de la mort de M. Deslongrais. Je nous montrerai ce que je réponds. Vous approuverez. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Il est quatre heures. Vous ne viendrez probablement pas aujourd'hui. Voici les nouvelles de Paris. Dupin a été nommé Président au premier tour de scrutin. Il a eu 336 voix (Dupin aîné) et 9 (Dupin seul) ; en tout 345. Ledru Rollin 182. Et Lamoricière (porté par la réunion Dufaure) 76. C'est un très bon résultat. Les rouges et le tiers parti ensemble n'ont que 258 voix. Les modérés seuls en ont 345. C'est une meilleure majorité qu’on n'attendait. On m'écrit de plus, (M. Mallac en sortant de chez le Maréchal Bugeaud), que cette majorité se montre décidée, compacte et très disposée à marcher sur le ventre de la minorité si la minorité veut l'opprimer. Quant au cabinet avant-hier, il semblait formé. Dufaure, Remusat, Vivien, Tocqueville. Ils avaient tous accepté. Bugeaud et Falloux étaient à l'écart. La séance violente de la veille a épouvanté Dufaure et relevé en même temps ses prétentions. Soit sincèrement, soit pour rompre, il a demandé l'éloignement de Changarnier. Rémusat voulait rompre aussi. Le président a refusé d'accepter seulement la discussion sur ce point. Ces messieurs se sont retirés. Le Maréchal a été rappelé. Il comptait sur Barrot, Barrot a objecté sa fatigue, et décliné absolument d'entrer sans Dufaure. On m'écrit : " Le maréchal est décide à aller jusqu'au bout. Les désertions successives ne l’intimident pas. Vous pouvez regarder la combinaison suivante comme arrêtée : - Présidence et guerre, le Maréchal - Affaires Etrangères, Gal Bedeau - Intérieur Maleville - Travaux publics, La Redorte - Finances, Benoist - Instruction publique, Falloux - Marine Piscatory - Commerce buffet. - Garde des Sceaux, M. Rouher député nouveau (ami de Morny). Ces messieurs devaient se réunir hier soir chez le président et en finir. Si on peut finir quelque chose. Ceci serait le mieux possible. Adieu. Adieu. Il fait bien beau. Vous aurez pris plaisir à vous promener. Adieu.

Brompton, Samedi 2 Juin 1849 4 heures

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton. Vendredi 16 fév. 1849
Midi

Demain sera charmant. Et je serai charmé que vous me fassiez honte de mes mauvaises pensées. J’ai tort de dire mes. Je ne devrais dire que ma. J’en ai bien rarement. Votre lettre de demain matin me dira si vous voulez que j'aille dîner avec vous. La dernière tentative pour ajourner la fin de l'Assemblée à échouer. Les élections auront très probablement lieu, le 22 avril. Cela met mon retour en France aux premiers jours de mai. Je n’ai point de nouvelles ce matin. Duchâtel, qui sort de chez moi, m’a apporté les siennes. Tout à fait d'accord avec les miennes. Seulement il ne croit pas qu'au fond Molé sait bien en ce qui touche notre élection. Il se croit sûr que Molé, sous main, travaille activement contre lui à Bordeaux. Je lui ai montré ce que j’ai écrit au duc de Broglie. Il approuve complètement et écrira dans le même sens. Thiers a fait sa paix avec le Président. Il a vu que les affaires du Président allaient mieux, et il s'est rapproché de lui. C’est Morny qui l’écrit à Flahault. Flahault toujours très bien, très gentleman et tenant un très bon langage. Dites, je vous prie, au Prince de Metternich que je regrette, et que je regretterai beaucoup mes visites à Brighton. Nous avons à peine commencé à causer, et nous avons ce me semble, de quoi causer des années. J'espère que nous nous reverrons à Londres. Je me désespère même pas de Paris. Faites-moi aussi la grâce de demander pour moi, à la Princesse de Metternich, une petite place dans ses souvenirs de Brighton. Et notre bonne Marion ? Est-ce quelle ne m’écrira pas quelques fois pour son compte ? Est-ce qu’elle ne viendra pas vous voir ? Il y a bien peu de personnes qui gagnent plus on les voit. C'est le sort de Marion. Je la charge de mes amitiés pour ses sœurs. Adieu. Adieu. Il fait plus froid ce matin. Prenez bien vos précautions demain. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton. Mercredi 14 février 1849

J’étais sûr que vos promenades par ce froid ne vous valaient rien. Il n’y a qu’une manière de se débarrasser d'un rhume, c’est de rester dans la même atmosphère, et dans une atmosphère douce. J'espère avoir de meilleures nouvelles demain. J'en veux bien à votre toux de vous avoir empêchée de m’écrire vous-même. Je doute que ce soit à votre toux que je doive m'en prendre. Mais je n’y veux pas regarder de plus près. Guérissez-vous de la toux ; elle vous fait mal et vous conseille mal. Au fait ne soyez pas souffrante ; il n’y a que cela qui me préoccupe. Je répète que j’aime mieux que vous ne veniez pas demain. Il vaut mieux ne pas voyager par ce froid. J’ai vu hier le général Dumas. Rien de plus que ce que je vous ai mandé hier, mais bien ce que je vous ai mandé. Très timidement, très indirectement. J’ai très nettement, été toute espérance que je laissasse faire, de moi, un bouc émissaire. Voilà la phrase dans laquelle se résume ma lettre au duc de Broglie : " Je ne demande rien à personne. Rien à mes anciens amis. Rien à plus forte raison, à mes anciens adversaires. Je ne recherche point la réparation qui m’est due. Mais lorsqu'elle vient spontanément à moi, j'ai droit d'attendre qu'on ne se mette pas en travers pour l'empêcher de m’arriver. Et je ne le souffrirai pas. " Ma conversation avec Dumas a été le commentaire de cette phrase. La Reine est dans le même état. Abattu, ne voulant, ni manger, ni marcher, quoique ses médecins l'exigent. Le duc d’Aumale vient de louer, un pied à terre à Londres, entre Charing-cross et la rivière. Il y passe ses journées à arranger une petite bibliothèque. Les nouvelles du général Changarnier excellentes. L'espoir est là. Je viens de voir Montebello. Il part demain pour aller passer quinze jours à Paris, voir sa mère, et aviser un peu à ses affaires électorales dans le dép. du Gers en celui de la Marne. Il y tient et il a quitté la France depuis si longtemps qu'on l'y connaît peu. Il a besoin d’exhorter ses amis. Je l'ai mis bien au courant de la situation. Il est absolument de mon avis. Son attitude et son langage seront très bons. Il regrette fort de n'avoir pas le temps d'aller vous voir. Barante est spirituel, sensé, ingénieux et judicieux, un peu terne, et pas très frappant. ni pour les hommes de beaucoup d’esprit ni pour le gros du public. De plus, un peu confus et incohérent ; les idées se suivent plus qu'elles ne se tiennent. Adieu. Adieu. Il me semble que je vous entends tousser. Cela me poursuit. Adieu. Je remercie la bonne Marion. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton, Dimanche 4 fév. 1849

Je crois qu’il y avait complot lundi. C’est à dire un peu plus de complot qu’il n’y en a tous les jours. Le Gouvernement a eu raison de faire ce qu’il a fait. Il en a fait seulement plus qu’il ne fallait, et aujourd’hui on se sert du trop contre lui. La lutte est bien vive ; les deux partis sont bien irrités, bien de même taille et bien corps à corps. J’ai peine à croire que cette situation puisse durer deux mois jusqu'aux élections, cependant je vois qu’on l'espère assez à Paris. Si le Président tient bon avec les modérés, et si les élections se font sous cette influence, il se donne je ne sais quel temps de vie de plus mais certainement assez de temps. La prochaine assemblée aurait, en ce cas, la constitution à refaire. Peut-être la referait-on meilleure sous le manteau de la République que sous tout autre. Ce sera long et obscur. C'est ce que j’y vois de plus clair.
Jour sans nouvelles. J’irai à l'Athenaeum. Mais les journaux français n’y arrivent que tard. D'ailleurs nous n’y aurons que ceux d’hier matin. C'est ceux de ce matin qu’il nous faut. Je vous écrirai demain matin avant de partir pour Claremont. Et puis demain soir, de chez Croker où je n’arriverai pas avant 3 où 4 heures. Mais je ne sais pas à quelle heure la poste part de chez lui. J'écrirai toujours. Si nous étions ensemble Nous parlerions toujours. Ce serait mieux.
Voici ma réponse à votre nouvelle attaque à propos de Béhier. C'est une lettre de lui que Pauline a reçue. Jeudi, et où il explique pourquoi il n’est pas arrivé dimanche. J’ai eu un moment envie de me fâcher. Mais j’aurais eu tort, quoique vous ayez tort. Je n’ai pas toujours été exact. Vous restez méfiante trop longtemps. C’est tout simple. Molière était très jaloux de sa femme qui était très coquette. Et la querellait un jour. Il s’arrêta tout à coup en disant : " Au fait, je n’ai pas le droit de m'étonner qu'elle ne puisse pas s'empêcher d'être coquette, moi qui ne peux pas m'empêcher d'être jaloux. " Je ne pourrais pas m'empêcher d'être jaloux. Mais, je peux fort bien m'empêcher d'être inexact. Et vous faites bien d’insister, même quand vous vous trompez. Vous finirez par n’y plus revenir Adieu. Adieu Votre écriture est bien bonne ce matin. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton, mercredi 31 Janv. 1849
9 heures

Hier à 6 heures, j’ai eu enfin des lettres. Je vous en envoie trois ; le duc de Broglie, M. d’Haussonville, et une troisième, très petite écriture, que je vous prie, cependant de lire vous-même, et vous seule. Elle est courte. Vous y trouverez l'explication de la lettre de Molé. Mon premier mouvement a été d'être fort contrarié, cependant, à tout prendre, je crois qu’il vaut mieux que ce qui est arrivé soit arrivé. C’est un embarras de moins dans les situations. Je gronderai et je pardonnerai. J’avais bien fait de recommander, aux deux ou trois personnes à qui j'en avais parlé de ne rien dire du petit subterfuge de M. Molé. La lettre du duc de Broglie est écrite avant la crise et ne roule guères que sur ce qui me touche. Très noire et desponding sur la situation générale. M. d’Haussonville un peu moins. Le séance d’hier aura été décisive si le débat a fini. Ou la reculade de l'Assemblée, ou l'expulsion de l’Assemblée, ou le reculade du Président devant l’Assemblée, il faut qu'une de ces trois choses là arrive. Je crois à la première. C'est ce que m'indique le vent de Paris. Je trouve que les grands préparatifs militaires du Cabinet ont plus l’air d’un acte d’intimidation que d’un prélude de combat. Duchâtel est venu dîner hier avec moi. Il avait des lettres aussi dans ce sens-là. Et sombres aussi. Si l'Assemblée recule, nous aurons les élections fin de mars. Si le Président expulse l’Assemblée et fait des élections, la prochaine assemblée le fera Empereur. Si le Président recule et livre son cabinet, la crise se prolongera, et la prochaine assemblée qui viendra je ne sais quand, chassera le Président et la République. Voilà le résumé de nos conversations. Mais encore une fois, je crois à la reculade de l’Assemblée. Pendant de l'abdication du 24 Février. La poste arrive et ne m'apporte rien de Paris. Ni lettres, ni journaux. Je les aurai à 3 heures. Merci de la lettre de M. Armand. Intéressante. Je vous la renvoie. Renvoyez-moi je vous prie, tout de suite mes trois lettres de Paris. Les Princes quoi qu’ils m'aient dit le contraire sont ; au fond, de l’avis de Lady Holland, et croient leur mère très malade. Cela perce dans leurs paroles. Je sais positivement de ce matin, que Chomel est parti hier au soir très inquiet. Point de lésion organique nulle part ; mais un dépérissement général, lent, progressif. Chomel dit que cela a commencé à la mort du Duc d'Orléans. Le Roi n’est pas très inquiet. Il ne ne veut pas l'être et on ne veut pas qu’il le soit. S’il l’était, il ferait un mal énorme à la Reine par son agitation ses explosions de tous les moments. Elle a surtout besoin de repos. J’irai samedi à Claremont.

Une heure
Voilà le Daily News. L’Assemblée a en effet reculé. Et sur le rapport Grevy et sur la loi des Clubs. Bien petite majorité qui ouvre la porte à toutes sortes d’amendements et de transactions. Mais enfin toute crise ajournée, et très probablement l'assemblée se dissoudra dans le cours du mois de mars, et les élections se feront en avril. Je ne rentrerai qu'après. Gabriel Delassort sort de chez moi. Arrivé avant-hier soir, il repart Samedi. Rien de plus que ce que nous savons. Ne croyant pas au succès des légitimistes. On passera par l'Empire. Ni lui, ni son fière ne veulent être élus à la prochaine assemblée. Il m'a lu deux lettres venues hier de sa femme et de son frère. Adieu. Adieu. On doit m'apporter aujourd’hui la circulaire Prussienne. God bless your eyes ! Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton. Vendredi 26 Janv. 1849

Il n'y a pas moyen de me donner lundi. Béhier arrive de Paris. Dimanche soir ou lundi matin. Il ne vient que pour deux jours. Il m’apportera beaucoup de choses. J'ai besoin d'être ici lundi. Je viendrai donc demain à Brighton, selon notre premier plan. J'espère que nous réussirons à causer, un peu seuls. Vous me direz quand vous comptez revenir. J’aime bien Brighton et j'en garderai un bon souvenir. J’aimerai mieux Londres. Duchâtel sort d’ici. Mêmes nouvelles que les miennes. Misérable état des affaires. L'Assemblée veut non seulement durer, mais faire faire les élections par des Ministres à elle. Et si cela arrivait, si les ministres appartenaient à la République et non à la réaction, les élections, s'en ressentiraient beaucoup. Louis B. est encore le drapeau de l’ordre, la population n'en est pas encore à faire les élections en opposition à son ministère. L'Assemblée veut aussi faire elle-même, le budget de 1849 se promettant de se rendre populaire par des réductions d'impôts et de paralyser l'administration entre les mains de ses adversaires. Tout ce qu'il y a de plus personnel et de plus petit ; les personnes étant très petites. Pas une ombre d’idée ou de sentiment public. Dumon dit : " On ne fait plus de politique en France ; il n’y a plus que des intrigues de couloir. " L'Etat intérieur du Cabinet ici se révèle. On en parle partout. C'est sur le discours de la couronne que l’embarras éclate. On ne réussit pas à se mettre d'accord sur ce qu’on dira de l'Italie et de l’Espagne. Il me revient qu'hier Lord Palm. était pris d’un vif retour de goutte, suite de la vive contrariété. Je dîne aujourd’hui chez le Ld. Holland. Il est plus que vous ne croyez au courant de toutes choses. Adieu. Adieu. A demain 2 heures. J’aime bien la veille. C'est le lendemain qui est mauvais. Enfin, bientôt il n'y aura plus de lendemain. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton Mardi 23 Janv. 1849

Voici une lettre du Maréchal Bugeaud qui me plaît, malgré un fond de mauvaise humeur, et qui vous plaira. J’ai reçu hier, par deux occasions de Paris et de Lisieux, un déluge de lettres. Piscatory, Mornay, Jayr, Cuvillier Fleury, Plichon & &. Je vous apporterai samedi, celles que je ne vous envoie pas. Pour votre amusement, je joins à la lettre du Maréchal celle de mon hôtesse qui ne contient pas grand chose mais qui vous fera rire. Plus votre lettre de Barante. Mes lettres de Lisieux sont bonnes quant à mon élection. Non que cela doive aller tout seul. J'aurai contre moi, les Républicains les Bonapartistes, des bêtes et des poltrons. Mais mes amis et tout le gros du parti conservateur sont décidés, en train, et se promettent de gagner la bataille, pour peu que les légitimistes les aident. Et les légitimistes promettent de les aider tout haut, Tout ce qui m’arrive me confirme dans ma résolution. C'est l’avis très décidé de Piscatory, à la vérité un peu piqué de son échec électoral à Tours et plus noir que jamais. " J’aurai besoin de le voir, me dit-il, pour croire que dans notre plat pays, il y ait des gens assez braves ou plutôt assez de gens braves pour vous assurer une majorité." Vos extraits des lettres de Mad. Rothschild sont très intéressants. Je crois de plus en plus à la prolongation de l'Assemblée. On grognera, on criera, on finira peut-être par la chasser violemment ; mais on ne commencera pas par là, et en attendant elle durera. C’est tout ce qu’elle veut, par peur et pour argent. J’ai eu tout à l'heure, de bon lieu, des nouvelles du cabinet d’ici. L'orage grossit contre Lord Palmerston. Le vent de Windsor souffle fort. Lord John est troublé. Il y a un cabinet council ce matin. On y parlera beaucoup d'affaires Etrangères. C’est Lord Palmerston qui a essayé de persuader à les collègues que l'expédition de Toulon avait pour but la Sicile, contre Naples. Il voulait. couvrir ainsi sa propre politique. Quelques uns l'ont vraiment cru. Cela tombe et Palmerston baisse. Il a raison de souhaiter le Parlement. Je ne sais si la toile levée lui sera bonne mais l’entracte ne lui vaut rien. Adieu. Que de choses nous nous dirions si nous nous voyions tous les jours? Adieu. Adieu. G. P.S. Mes livres sont arrivés ce matin. En très bon état; les vieux comme les neufs. C’est parfaitement ce que je désirais. Merci et Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton Dimanche 21 Janv. 1849

Je ne me suis jamais accoutumé à cette date du 21 Janvier. J’étais si enfant que je n'en ai aucun souvenir personnel. Mais l'impression m'en reste profonde. Je suis bien près de l’avis de Madame de Metternich. On peut oublier le champ de bataille d’Eylau, non pas la place Louis XV. J’aime cent fois mieux courir le risque de la non élection que courir, ou avoir l’air de courir après l'élection. Je viens d’écrire dans ce sens au duc de Broglie. Il est à Paris très sombre. Dumon aussi. Ce que Barante vous écrit est vrai. J’ai une lettre de lui où il me dit la même chose, et toutes celles qu’on m’apporte les confirment. De sombres pronostics, et des intrigues pitoyables, il n’y a que cela. Ce que fera le pays en masse sera peut-être bon; et à de bons instincts. Ce que feront les individus isolés ceux dont nous savons les noms, sera mauvais ; ils sont plus aigris qu'éclairés. On croit que décidément l'assemblée n'assignera point de terme fixe pour son départ. Elle se contentera de réduire à trois ou quatre le nombre des lois organiques, et voudra faire celles-là ainsi que le budget ; ce qui pourra bien la conduire jusqu'au mois de juillet. Il y a autant de mécontentement que d’abattement, et vice versa. Le public trouve que les légitimistes se remuent beaucoup, et commence à s’en impatienter. On dit que le grand dîner de M. de Falloux a déplu. On dit cependant, en même temps, que depuis quelques jours, Thiers tourne à la fusion. Mais on ajoute que ce pourrait bien être uniquement un trick de quelques jours. Des Ministres actuels. Léon Faucher est le meilleur, le plus laborieux, et le plus sérieux. Il a donc raison d’être glorieux. Mais on dit aussi qu’il est désagréable, maussade, dur, impoli et détesté. Je vous répète les rapports de deux ou trois personnes que je viens de voir, entr'autres de Duchâtel qui est revenu hier au soir de Belvair, frappé de la splendeur, de l'ordre, de la froideur et de l’ennui. Il dit que s’il n’avait pas eu pour causer un peu, Lady Alice et M. Stafford O’Brien, il ne sait pas ce qu’il serait devenu. Le duc de Rutland était en effet malade. Tout s’est passé sans lui. Duchâtel l’a vu dans sa chambre la veille de son départ. Duchâtel a bien envie, aussi de prolonger son séjour à Londres jusqu'après les élections à moins qu'elles ne soient retardées jusqu'au mois de Juillet. Nous n'aurions, en ce cas, aucune raison de ne pas retourner, dans le cours de mars. Notre retour n'aurait aucun air électoral. Votre lettre pour Barante part aujourd'hui. J’ai effacé baron et mis l'adresse. Il est place Vendôme n°8. Je vous rapporterai la sienne samedi. Adieu. Adieu. J’aime bien les longues lettres mais ne fatiguez pas vos yeux. Adieu G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Brighton jeudi le 23 Novembre 1848

J'ai eu deux lettres, hier soir, & ce matin. Je suis renvoyée à Mardi. C’est bien long, mais puisque vous pouvez rester si longtemps sans me voir. Il faudra bien que je le puisse. Cela fera quinze jours ! Marion a reçu plusieurs lettres de Paris. Je vous en envoie une, renvoyez la moi.
Mad. Roger écrit aussi. Bien choquée des Normanby qui ont donné leur premières soirées depuis un an, le jour de la proclamation de la Constitution. Cela a fait que personne n’a voulu y aller. Ils se sont divertis avec les Marast & C°. Mad. Royer très contre Cavaignac. Bonapartiste sans enthousiasme ; dégoutée, triste de tout. Et moi aussi. Les Neumann & Koller sont ici aujourd’hui. Je les verrai sans doute. Je ne puis m’empêcher de croire que Miss Gibbons est un peu folle. Elle est dehors, c’est fini depuis hier, elle ne me manque encore que par le plaisir que j'éprouve à ne plus subir les attaques de son humeur. C'est comme cela que j’y pense.
Les nouvelles de Berlin sont assez bonnes. Le corps diplomatique y est revenu. Depuis mars. il habitait Potsdam. Mais Potsdam même est devenu un peu mauvais, ce qui fait que la famille royale s’est fortifié dans le vieux château. Ordinairement chacun des prince demeurait dans sa maison de plaisance, & le Roi à Sans souci.
8 heures
Tansky écrit que Mad. Kalergis est de retour à Paris. Molé a couru chez elle. Amoureux fou, et voulant l'épouser. Tout Paris en parle. Thiers le rival, mais pas pour épouser. Les chances égales pour Cavaignac et Bonaparte. Mais on s'anime beaucoup dans les salons, on s’aborde avec le nom du candidat dans quinze jours on le battra et on se tuera. Marseille et environs. Tout pour Cavaignac. Le télégraphe dit que Rossi ne mourra pas des coups de poignard. Dans le nord de la France, on crie beaucoup vive l’Empereur. C’est aujourd’hui la St Clément je ne l’ai appris que tard j’ai été faire ma politesse. Longue visite de Neumann mais rien de nouveau. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton-Mercredi 22 Nov. 1848
Midi

Je suis toujours sans nouvelles de Paris à vous envoyer. Il est impossible que je n’en aie pas bientôt. Je sais que Duchâtel n'en a pas davantage. Je crois qu’il viendra dîner aujourd'hui avec moi. Je viens de recevoir un billet de Lady Lovelace qui me presse d’aller les voir dans le Surrey. Dumon y va. Comme de raison, je refuse. Je ne veux plus aller nulle part avant Noël, où j'irai passer quelques jours chez Sir John Boileau.
J’irai vous voir Mardi. J'aurai complétement terminé ce que j'écris. M. Lemoinne emportera, le manuscrit à Paris pour que le Duc de Broglie, le lise. Je l’apporterai mardi à Brighton. Je vous en lirai quelques fragments après l'élection du Président, quelle qu’elle soit, et à moins qu'on n'en vienne immédiatement aux mains, il y aura un moment opportun pour la publication. Les chances vont croissant pour Louis Bonaparte. C'est la conviction des Débats qui sont croyables sur ce point.
Je suis de plus en plus inquiet de Berlin mais pas étonné que de Francfort, on abandonne le Roi de Prusse après l'avoir poussé. C’est exactement ce qui arrivait en 1790 et 91 avec le pauvre Louis XVI. Du dedans et du dehors, on l'excitait, on le compromettait ; puis on ne le soutenait pas. Berlin ressemble extrêmement à notre première révolution. La Cour et la nation. Les idées et les façons d'agir. Et je crains que le Roi de Prusse, qui a plus d’esprit, n'ait encore moins de courage, et n'inspire encore moins de confiance que Louis XVI. Moralement, à coup sûr, il ne le vaut pas. Ni politiquement peut-être. Il y a là de plus l'ambition de la Prusse qui veut prendre l'Allemagne C’est vraiment là l’incendie. Le rétablissement même de l’ordre en France ne l'éteindrait pas. Mais il donnerait bien de la force pour le combattre.
Je suis vraiment triste du bruit qui est venu de Rome sur M. Rossi. Je cherche et ne trouve nulle part des détails. On dit que l'ordre n’a pas été troublé. Mais Rossi lui-même qu'est-il devenu sous ce coup de poignard pauvre homme? Quelle surprise pour lui et pour moi si, quand je l’ai envoyé à Rome, tout cet avenir s’était dévoilé devant nous ! J'espère que l’assassin a manqué son coup. Ce n'est peut-être pas vrai du tout. Il manque bien les choses à M. Rossi. Le cœur n'est ni tendre, ni grand. Mais l’esprit est supérieur ; si juste, si fin, si actif dans son indolence apparente, si prompt, si étendu ! Des vues générales et un savoir faire infini. Très inférieur à Colettis par le caractère et l’empire. J’ai pleuré Colettis. Il m’aimait et je l’aimais. Je regretterai M. Rossi, si le fait est vrai, comme un allié utile et un homme très distingué. L’un et l’autre est rare. Il ne m’a pas donné signe de vie depuis Février. On me disait, il y a quelque temps, qu’il disait qu'il ne retournerait jamais en France. S'il a été assassiné, c’est que le parti révolutionnaire de Rome, le considérait comme un obstacle, sérieux. Ce serait un honneur pour son nom.
J’ai vu hier Charles Greville à dîner, chez le Baron Parke. Il ne savait rien. Parlant toujours très mal des affaires de Sicile. Le Roi de Naples me paraît décidé à laisser trainer cette médiation anglo-française, comme on fait à Milan. On se rejoint ici de la nomination à peu près certaine, du Général Taylor comme président aux Etats-Unis. Cass est très anti- anglais.
Puisque vous prenez votre dame assez à cœur pour en être malade, vous ferez bien de vous en débarrasser, à Brighton, tel que Brighton est à présent, vous pouvez vous en passer. Il y aura tel lieu et tel moment où même cette maussade personne vous manquera. Mais après tout, vous en trouverez une autre. Nous aurons le temps de chercher. Marion vous a-t-elle reparlé ? Adieu. Adieu.
Mardi est bien loin. Je ne puis vraiment pas plutôt. Je suis très pressé. Par toutes sortes de motifs. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton, mardi 21 Nov. 1848
2 heures

J’arrive et je trouve vos deux lettres. J’aime toutes vos lettres, humeur ou non. Soyez tranquille ; il y a dans celle d’hier autant d'humeur que vous en avez voulu. Je ne voudrais pas qu’il y en eût davantage. Je reconnais ma faute. J’ai écrit lundi au lieu de mardi. Car je n’ai pensé qu'à mardi. Je n'aurais pu partir plutôt sans blesser Sir Robert qui avait évidemment envie de me garder. Et j'aurais eu à regretter si j'étais parti lundi, car j’ai eu hier lundi avec Sir Robert, deux excellentes conversations, le matin à la promenade, le soir dans la bibliothèque, près de deux heures chacune, sur nos affaires futures en France et sur les affaires générales de l’Europe. Y compris Lord Palmerston. Ceci soit dit pour dissiper votre humeur. Vraiment excellentes conversations, par le fond des choses et par le ton d’amitié. Point démocrate pour la France. Encore moins pour l'Allemagne. Très inquiet de la démocratie allemande. Très favorable à nos vues pour l'avenir de la France. Plus enclin à croire à la Régence et au comte de Paris. Très mécontent de la politique extérieure anglaise. Je doute fort qu'il l’attaque lui-même ; mais il trouvera bon que ses amis l’attaquent. En résultat, je suis bien aise d’avoir fait cette visite. Elle peut devenir le commencement, non pas d’une intimité, il n'y a pas d’intimité là, mais de relations vraiment amicales et confiantes.
Je ne trouve rien de Paris. Je viens de voir un homme qui en arrive. L’élection de Louis Bonaparte est toujours la plus probable de beaucoup. Mais dans tous les cas, et quelque soit l’élu, on se battra après l'élection. Je mets assez d'importance à ce qu’écrit Tanski. Thiers vice-président &. Cela commencerait fort à m'expliquer les Débats. S’ils ne croient pas au désintéressement bonapartiste de Thiers, leur attitude est concevable. J’aurai certainement des détails bientôt. Je les ai formellement demandés à Génie par une lettre qu’il a eue avant-hier. Son silence me fait croire qu’il a des choses assez délicates à me dire et qu’il attend une occasion sure. Je vais écrire à Richmond ce que vous me dîtes de Lord Holland. Je pense comme vous qu’ils devraient accepter. Tout le monde va beaucoup mieux à Richmond. Adieu. Adieu.
Je ne vous dis rien aujourd’hui de ma prochaine visite. Je n'en sais pas encore le jour. Cela me plaît d'être revenu plus près. Jamais assez près. Depuis bien longtemps. Adieu G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Brighton Dimanche le19 Novembre 1848

Votre lettre de Drayton d'hier matin, m’est arrivée hier soir. C’est être très bien servi. Je suis charmée que vous abrégiez d'un jour ; je l’espérais. Cette lettre va donc vous attendre à Londres. Quand vous me direz le jour où vous voulez penser à Brighton, souvenez-vous que Lundi le 27 je ne serai pas libre le soir, car c'est un jour de fête dans la famille royale.
Andrieu est arrivé et demeure aussi au Bedford. Je le verrai sûrement. On dit que l'Angleterre l'ennuie à périr. Kielmannsegge me dit que Bruxelles est choisi pour le lieu des conférences italiennes. Le plénipotentiaire anglais est Lord Minto !! Et le Français Toqueville. Je ne sais qui sera l’Autrichien et l’Italien. Je trouve assez étrange ce choix de Bruxelles. Dans toute autre résidence il y aurait un ministre de Russie, qui pourrait prendre une part officieuse aux conférences. Là il n'y en a point. Il est possible que cela ait fait pour Palmerston un motif de préférer Bruxelles. Au reste je n’attache aucune valeur à ce congrès. C'est de la pure comédie. Il n’aboutira pas. C’est bien gros d’avoir fusillé Bluhen à Vienne. Comment Francfort s'arrangera-t-il de cela ? A Berlin la conduite n’est pas assez énergique, ou bien elle l’a été trop. Comment laisser siéger l'Assemblée ?
J’ai vu hier un Rothschild Antony, il pense très mal de Berlin, & dit que rien ne pourra aller tant qu’il y aura le roi. A Paris l'on commence à croire que ce sera Cavaignac qui l’emportera, et on accuse entre autre le journal des Débats. Rothschild est convaincu qu'on lui a donné de l’argent. Un bel ami que vous avez là. Les propos de Beaumont de viennent beaucoup plus républicains et surtout Cavaignac. Voilà tous mes commérages.
Hier les Hollands chez la Duchesse de Glocester, c'était un peu plus animé que de coutume. On dit que Melboune est fini par la tête. Cela c’est bien triste. J’ai écrit à Lady Palmerston pour avoir de ses nouvelles. En attendant son fils William se marie après demain.
8 heures. Andrin est venu mécontent de Berlin, de ce que le gouvernement n’a pas assez de courage. Très content de Vienne. Disputant un sur Bluhen. Rien de nouveau. Tansky écrit en date du 17 que les chances sont toujours pour Bonaparte. Thiers sera bien président, Barrot à l’Intérieur, Bugeaud gouverneur de Paris et de toutes les troupes aux environs. Drouyn de Lhuis affaires étrangères. Walesky ambassadeur à Londres.
On fait beaucoup la cour à Jérome. Les grandes dames y vont. Madame de la Redorte joue. La duchesse de Mont[?] elle ne veut pas rencontrer les dames du nouveau régime. Mad Roger Ditto Mad. Thiers approuve. Tout cela est fort amusant. Tansky n’explique pas le journal des Débats. Quand me l’expliquerez-vous ? Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Brighton le 12 Novembre. Dimanche

Vous avez été charmant hier deux lettres. J’ai reçu la première hier soir. La seconde à mon réveil ce matin, et toutes les deux très intéressantes. Je suis bien contente qu'on ne vous porte pas pour le Calvados.
Je n’ai pas lu le journal des Débats depuis le 8. Il se promène en Angleterre. J’ai écrit à Paris pour me plaindre. Rien de nouveau d'ici. Une lettre de Lord Brougham de Cannes du 6 amusante mais rien de nouveau. Le militaire à Lyon, fanatique pour la Bête impériale.
Je me réjouis extrêmement de Mardi. Je suppose que vous arriverez comme l'autre jour. S'il y avait un changement dans les heures mandez le moi demain. Nicolay est venu ici pour la journée. Je le fais dîner avec moi. On meurt assez à Pétersbourg et encore du choléra, entre autres ce Prince Dolgorouky homme d’esprit dont vous devez-vous souvenir, et que j’aimais beaucoup. Lady Holland vient me voir tous les jours. Je vous raconterai quelque chose sur elle qui vous divertira organiser l’état de siège, pourquoi pas la révolution, pourquoi pas le bombardement de Paris. Il faut tout prévoir. C'est trop de non sens. Adieu. Adieu

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Brighton Samedi le 11 Nov. 1848
9 heures

Je vous renvoie la lettre du Duc de Noailles. Sensée. Tout ce que vous me dites & tout ce qui revient de là prouve encore de l’incertitude sur la présidence, et Cavaignac m'apparait toujours comme un grand malheur. Mais avec l’autre aussi quelle confusion. C'est égal j'aime mieux l’autre. Votre élection dans le Calvados me trouble horriblement. J'espère encore qu’elle ne se fera pas. Prenez-y de la peine. Mais si le malheur voulait que vous fussiez élu, ne serait-il pas simple de leur écrire que ne pouvant par les servir de la prison vous les priez d’attendre, ou d'en prendre un autre. C'est bien clair que vous ne devez pas aller à Paris, à aucun prix. Dites-moi que c’est votre avis.
Peel m’invite à Drayton, mais évidemment avec peu d'espoir que j’accepte. C'est trop loin, je ne suis pas capable de ces tours de jeunesse. Je n’ai rien à vous dire ce matin. Les journaux anglais ne sont pas là encore, et mes Français vont se promener à Bedford. On prend l’hôtel pour la forme. Adieu. Adieu. et toujours Adieu.
Malgré les conduites et les citernes je trouve les accidents de Claremont un peu équivoques. Savez-vous, ce qu’ils comptent faire, car Richmond ne doit pas être tenable ? Adieu. Adieu.

Lady Holland me dit qu'on adore Cavaignac au foreign office, on est convenu avec lui de certains arrangements dans l'Orient. Contre nous sans doute. Normanby et Jérôme Bonaparte qui étaient amis intimes sont brouillés tout-à-fait depuis le mois de Mai, je vous conterai cela, rappelez le moi. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton Samedi 11 nov. 1848
7 heures

Je me lève. Le jour commence. Je viens d'allumer mon feu. Puis à vous. Je vais déjeuner ce matin chez Macaulay, avec Lord Mahon et quelques oiseaux de passage à Londres. Avez-vous froid à Brighton ? Il faisait froid hier ici, par un beau soleil. J'espère qu’il ne faisait pas froid à Brighton.
J’ai vu du monde hier chez moi, car je ne sors point. M. Vitet, très longtemps. Il était venu la première fois avec Duchâtel, son ami d’enfance, et son patron politique spécial. On ne cause librement que tête à tête. Je l'ai trouvé hier très intelligent et très sensé. Convaincu qu’il n’y a de bon et d'efficace que la fusion. Parce que cela seul peut être fort, et que cela seul est nouveau. Il n’y a pas moyen, de part ni d'autre, de ne faire autre chose que recommencer. Mais la fusion est horriblement difficile. Les nôtres y sont les plus récalcitrants. Ils croient plus que les autres qu'ils peuvent s’en passer. Quoiqu'on ne parle pas des Princes, ni des Orléanistes, au fond, c’est là ce qui est dans la pensée de la grande majorité. Il faut plus de temps et plus de mal pour leur faire accepter la raison. Elle n’a pas encore la figure de la nécessité.
Les derniers venus d'Eisenach rapportent un mauvais langage. Sémiramis ne veut pas partager ses grandes destinées. D'un autre côté, le duc de Noailles a parlé à Mad. Lenormant en homme assez découragé, qui rencontrait parmi les siens, bien peu d’intelligence et beaucoup d'obstacles. Vous avez vu que sa lettre est pourtant pressante. Evidemment tout est encore loin, par conséquent vague et obscur. L'avenir le plus prochain et le plus pratique est l’élection d’une nouvelle Assemblée. C'est à cela qu’il faut penser et travailler dès aujourd’hui. Elle videra la question. Pour ces élections-là, les deux partis monarchiques sont très décidés à agir de concert. Je vous envoie là pêle-mêle ce qu’on me dit et mes réflexions.
Hier soir, Lavalette et sa femme qui repartent aujourd'hui pour Paris, et de là pour une terre qu'ils ont près de Bordeaux. Et près de Bugeaud chez qui ils vont passer deux jours. Lavalette revenait de Richmond. Il avait trouvé le Roi bien, la Reine mieux, le Prince de Joinville, malade, le Duc d’Aumale repris et dans son lit. Il avait été content du dernier. Le Roi triste parce qu'on ne lui envoie pas d’argent de Paris. On ne veut lui donner de l'argent ni sa vaisselle, que lorsqu’il aura fait son emprunt pour payer ses dettes. Et l’emprunt n’est pas encore fait. Un brave amiral, que le Roi a connu jadis et dont Lavalette avait oublié le nom, était venu le matin à Richmond, offrir au Roi dix mille louis, avec toute la franchise et la shyness anglaises.
Je n'ai point eu de lettres. Merci de celle que vous avez pris la peine de copier pour moi. Amusantes. Quels subalternes ! Je ne les ai montrées à personne. Montebello m’a écrit hier matin. Il me donnera tous les jours des nouvelles du Roi, tant qu'ils seront là. Vous n'aurez peut-être pas remarqué dans les Débats d’hier un petit article sur les élections du Calvados, emprunté à un Journal de Caen. Ce que j’ai écrit a fait son effet. On ne me portera point. On portera un légitimiste que je connais un peu, honnête homme et assez distingué.
J’ai eu des nouvelles de Turin et de Florence. Charles Albert persiste à regarder un conflit entre lui et les Autrichiens comme inévitable. La république le talonne plus que jamais. Gênes est de plus en plus menaçant. Il est tout seul. On le laissera tout seul. Mais on le poussera sur le champ de bataille. Tout son désir, c’est que le premier boulet y soit pour lui. Il disait tout cela il y a huit jours. A Florence, le grand Duc a été sur le point de s'enfuir, et n'y a pas renoncé. L’anarchie est au comble. On a de la peine à écrire d’une ville à l'autre. Il faut des occasions. Adieu. Adieu.

C'est mardi que j'espère aller vous voir. Pour revenir mercredi matin. J'attends une lettre de Sir Robert Peel. Mais je compte toujours aller vendredi à Drayton. Adieu, Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton Jeudi 9 nov. 1848
5 heures et demie

J’ai été mettre une carte chez Mad. de Lavalette à Regent Park. J’ai eu du monde toute la matinée. Je vous arrive trop tard pour aujourd’hui. Mes nouvelles de Paris sont un peu moins sombres. M. Vitet, qui a passé une heure et demie ici avec Duchâtel croit peu à une bataille avant le 10 décembre. Cavaignac, à tort selon lui, n'est pas sans espérance électorale. Dufaure l’y entretient. C’est une illusion. Louis Bonaparte a toujours les plus grandes chances. Pas telles cependant que Cavaignac se regarde, dès aujourd’hui comme battu. Il attend donc, et ne fera point de bruit en attendant. Comment en faire après tout de suite après, si Louis Napoléon est élu ? Ce sera difficile. On pourra bien essayer de susciter quelque tumulte impérial pour se donner un prétexte de sauver la République. Il est douteux qu’on y réussisse. Les Impériaux seront fort sur leurs gardes. Probablement donc une situation fort tendue, sans explosion. La misère publique et la détresse financière plus grandes, plus croissantes, le peuple de Paris plus désespéré qu’on ne peut dire, Louis Bonaparte prudent et silencieux, dans le présent, se promettant d'être très très conservateur dans l'avenir. Il parle à ses confidents de je ne sais quel plébiscite impérial d'il y a plus de 40 ans qui lui permettra de rétablir une Chambre des Pairs héréditaire formée de tout ce qui reste de Sénateurs de l'Empire, de Pairs de la Restauration et de Pairs de Juillet. La fusion ainsi accomplie en même temps que l’hérédité rétablie. Des intentions très bonnes et très ridicules, qui peuvent être utiles après lui. Le propos des légitimistes et des conservateurs, est ceci : " Les Bourbons ne peuvent pas succéder à la République. Il faut les Bonaparte entre deux comme la première fois. "
On m’écrit de Paris : " Le bruit se répand que votre candidature fait de tels progrès dans le Calvados que votre sélection y serait faite à l'unanimité. Le candidat légitimiste qui devait être porté M. Thomine, a écrit, dit-on à M. de Falloux qu’il se retirait et que lui se retirant, votre élection croit d'elle-même. " Je doute de ceci. Cependant il faut prévoir cette chance que je sois élu malgré ce que j'ai dit et fait dire. Ce sera un grave embarras.
J’ai oublié de vous dire que de bonne source, on attribue au Général Lamoricière ce propos : " Si on nous envoie Louis Napoléon pour Président. nous le recevrons à coups de fusil ; je mettrais le feu à Paris de mes propres mains plutôt que de le subir. " C’est bien violent. Pourtant cela indique le dessein de ne rien faire avant l'élection.
Voici une lettre du duc de Noailles qui m’est arrivée avec son livre. Renvoyez-la moi, je vous prie. J'ai vu ce matin le Médecin du Roi. Il arrivait de Richmond. On y va mieux. Il n'a d’inquiétude pour personne malgré les rechutes. La Reine était très souffrante. On a de nouveau analysé l'eau la veille du départ, en présence de plusieurs chimistes anglais, extraordinairement chargée de plomb. Ce sont des réparations faites il y a près de deux ans, à des conduits, et à une citerne. Claremont avait à peine été habité depuis. Rien de singulier donc. Deux maids aussi ont été malades. Duchâtel penchait à croire à quelque empoisonnement factice, à quelque coquin envoyé de Paris et gagnant un domestique. Je n'y crois pas. Le médecin non plus. Tout s’explique naturellement. Adieu. Adieu. A demain matin.

Vendredi 10. 9 heures
Je n’ai rien ce matin. Sinon Adieu, adieu, ce qui n’est pas nouveau et n'en vaut que mieux. Adieu donc. J’ai eu hier soir, à 8 heures, votre lettre du matin.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Brighton jeudi le 9 novembre 1848

Voici la lettre, & merci beaucoup de me l’avoir envoyée. Relisez-la elle est pleine de sens pour les avis qu’elle vous donne et c’est bien là à quoi je vous ai exhorté. Pas un mot de vous à personne. J’espère qu’il n’y a rien dans les deux lettres que vous avez écrit à la Duchesse Galliera qui puisse vous embarrasser. Mais tenez pour certain que pour l’avenir ce que vous avez de mieux à faire est de ne plus lui écrire du tout. Et si vous m’en faisiez la promesse je serais plus tranquille. Elle n’est pas autre chose qu’une intrigante second rate.
Pour en revenir à la lettre. Quel coquin que [Thomine] ! (langage de Mad. de Metternich). Je crois qu'il faut un démenti très simple et court à ce qu’on débite sur vous et vos opinions. Vous n’êtes pas appelé à juger de choses & de situations que vous ne connaissez pas. Et ne nommez personne. Le Calvados vous n'en voulez pas. (Vous restez loin jusqu’après votre procès. Ceci est inutile.) Enfin bref & simple. Pourquoi votre travail si pressé ? Ce ne sera pas dans un moment de bouleversement qu'on le lira vous avez le temps de l'achever à votre aise. J’aime Bertin de tout mon cœur, et le narrateur aussi. Relisez la lettre. J’espère que vous aurez ceci dans la journée. Windisch Graetz se conduit à merveille, et de quatre ! Paris, Francfort, Milan, Vienne. Je crois que cela fera passer le goût d'insurrection dans les capitales. Vous verrez cependant qu’il y aura tout à l'heure quelque chose de très gros à Paris. Adieu. Adieu, et encore merci de m'avoir […]

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton, Mercredi 8 nov. 1848
9 heures

Voici une lettre très curieuse. Lisez-la, je vous prie, vous-même, malgré vos mauvais yeux et renvoyez-la moi tout de suite. G[énie] me fait dire qu'il importe infiniment que ses lettres restent entre lui et moi, et qu'il n'en revienne rien à Paris. Vous verrez combien tout cela confirme ma résolution. Je devrais dire notre résolution de me tenir parfaitement tranquille et en dehors de toutes les menées.
Le Roi me fait écrire hier par d'Houdetot " Le Roi me charge de vous dire que les accidents de santé de ses chers malades, sans être plus graves, ayant continué, les médecins avaient conseillé un changement d’air immédiat ; ce qui l’avait décidé à aller passer quelques jours à Richmond, à l’hôtel du Star and Garter. Nous partons aujourd’hui même à une heure. Le Roi désire que vous sachiez bien le pourquoi de ce mouvement afin de vous mettre en garde contre les bruits publics." D’Houdetot aurait dû me donner quelques détails sur la Reine. Mais enfin elle a pu évidemment être transportée, sans inconvénient. Je voudrais savoir qui occupera votre petit appartement. J'irai les y voir. Pourvu que mon travail m'en laisse le temps, car je veux absolument le finir sans retard et l'envoyer à Paris. Le moment de le publier peut se rencontrer tout à coup. Et dans l'état des affaires au milieu de tout ce mouvement d'intrigues croisées, je ne serais pas fâché de donner une marque publique de ma tranquillité et liberté d’esprit en parlant à mon pays sans lui dire un mot de tout cela. Cette course à Drayton va me faire perdre encore du temps. Je réponds aujourd’hui à Sir Robert Peel, mais je n’y resterai que jusqu'au mardi 21 et non jusqu'au jeudi 23 comme il me le demande. Ce serait charmant, s'il vous invitait aussi.
Je reçois à l’instant même un billet de Duchâtel qui était allé hier a Claremont au moment où le roi et toute la famille partaient pour Richmond. Il a trouvé le Duc de Nemours et le Prince de Joinville, très souffrant. Ils ont eu une rechute, c’est ce qui a déterminé la résolution, soudaine.
La dernière scène de Vienne est tragique. Le parti révolutionnaire, étudiants et autres est plus acharné que je ne le supposais. On m’apporte de Paris de bien sombres pronostics sur l'Allemagne. On s’attend que l'Assemblée de Francfort se transportera à Berlin, et finira par y proclamer la République. La Monarchie, et l’unité allemande paraissent de plus en plus incompatibles. Le rêve en progrès est celui d’une république allemande, laissant subsister dans son sein, par tolérance et jusqu’à nouvel ordre des monarchies locales. En France les esprits sont malades sans passions. En Allemagne, il y a la maladie, et la passion. Adieu, adieu. Merci de votre accueil, digne réponse à votre merci de ma visite. Adieu vaut mieux. M. Vitet arrive aujourd’hui de Paris. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Brighton le 1er Novembre 1848

Trois lettres hier. Deux le matin, & ce soir celle que vous m'avez écrite hier matin de Cambridge. C’est trop à la fois, je vais tout à l’heure me plaindre de mes richesses après avoir gémi sur ma pauvreté. Je suis un peu malade ce matin. La bile en mouvement. L'air de la mer produit cela quelque fois. Si cela continue je quitte la mer. En attendant, j’ai envoyé chercher un Médecin.
J'ai vu hier le Prince Metternich. Décidément c’est trop long. Et pour moi, intolérable. A propos, on lui a assuré que vous voulez que le duc de Bordeaux promet qu’il n’aurait pas d’enfants et s'il en avait qu'on les mettrait de côté pour faire place au comte de Paris. Je l’ai assuré que vous ne pouviez pas avoir dit cette bêtise. Que vous étiez d'avis de la fusion, et qu'on ne parlât pas de postérité. Le comte de Paris étant naturellement l’héritier présomptif. Il a été charmé. L'Autriche l'inquiète, on travaille les populations dans les provinces. Il ne croit pas au bombardement de Vienne.
Mon Dieu comme il parle ! Je crois vraiment qu'il est devenu machine à vapeur. Sa femme est en grand soin pour moi, Le Prince se vante que vous vous êtes exprimé comme elle sur la candidature de Bonaparte. On dit que vous allez être élu ? à Caen, le croyez-vous ?

2 heures. Le médecin ne prescrit rien et dit que cela passera. Voilà un bon médecin.

4 heures. Voici les journaux de hier qui m’arrivent. Je n’ai pas eu le temps de lire. Je cours vite au dernier mot d'un long article du Constitutionnel. " M. Thiers n’a point l’honneur de connaître le prince Louis Napoléon. Il n’a pas de relation politique avec lui. Il n’est pas appelé à en avoir. Est-ce clair ? " Adieu car voici le moment où ma lettre doit aller à la poste. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton. Lundi 30 Octobre 1848
8 heures
Je pars aujourd’hui pour Cambridge à 2 heures. Cela ne me plaît guères. Nous serons plus loin. Je crains le retard des lettres. J’étais en train de travail. Quand vous n’y êtes pas, c'est mon amusement. Je fais de la très bonne politique. Trop bonne. Toujours la même faute. Je puis vous le dire à vous. Je puis être avec vous aussi orgueilleux qu’il me plaît. Vous savez que je suis modeste en même temps qu'orgueilleux.
Point de nouvelles hier. Je suis allé voir Duchâtel qui n’en avait pas plus que moi. Nous verrons le courrier d’aujourd’hui. Il ne nous apportera pas grand chose. Nous vivrons dans le statu quo jusqu'au 10 Décembre. Mais nous comprendrons mieux une situation vraiment obscure pour moi. Duchâtel soutient que notre procès finira aussi tôt après l'élection du président. Par une ordonnance de non lieu. Si Louis Bonaparte est nommé et Thiers son ministre, il est impossible que notre procès ne finisse pas tout de suite malgré le peu d'envie.
Lisez je vous prie, attentivement le Constitutionnel. Cherchez y Thiers envers Louis Bonaparte. Là est la clef de l'avenir. D'un avenir qui dans aucun cas ne sera bien long, j’espère, mais qui pourrait être très court si Louis Bonaparte n’épousait pas Thiers. Vous devriez engager Marion à écrire à Madame de La Redorte et à la questionner un peu. Peu importe que les réponses soient des mensonges. Vous voyez clair dans le mensonge comme dans la vérité.
Les histoires des Gardes nationaux de Paris ne finissent pas. Le Duc de Somerset a demandé à Panton Hôtel, Panton Street, qu’on en priât quatre à dîner chez lui, n'importe lesquels. On lui en a envoyé quatre dont il a fait une exhibition. Entre autres un Capitaine Gonet qui est un beau parleur, et qui s’est fait l’intermédiaire entre tous ses camarades et la légation de la République à Londres. M. de Beaumont est assez embarrassé de la visite de quelques-uns à Claremont. Il a fait un rapport à ce sujet, fort modéré, atténuant au lieu de grossir. Cependant on croit qu’il y aura quelque mesure prise à Paris, qu’on défendra ces visites en uniforme hors des frontières. Il me paraît qu'à tout prendre l’excursion nationale n’a pas beaucoup plu à Paris. Entre les promeneurs eux-mêmes, il y a un peu de mauvaise humeur. Ceux qui ne sont pas allés à Claremont se sont plaints d'être compromis par ceux qui y sont allés. Ceux-ci se sont fâchés. On dit qu'au retour à Calais, il y aura quelques duels. Ici, évidemment, le peuple les a pris en très bonne part. Adieu.
Je vais faire ma toilette. Je vous reviendrai après la poste. Savez-vous ce qu'a fait Guillaume avant-hier dans un metting où les jeunes gens de King's college se réunissent les samedi pour s'exercer à parler ? Il a fait un speech en Anglais pour M. de Metternich qu’un autre attaquait comme l'auteur, par son obstination, des malheurs de l’Autriche. Guillaume a fait l’apologie de la consistency politique. Assez bien pour être fort cheered et pour faire voter à une voix de majorité, que la consistency était une vertu, non pas un tort. Il m’a redit son speech qui n’était pas mal. Il a pour la politique une passion au moins aussi effrénée que celle de mon garde national d’avant Hier. Midi Je suis désolé que ma lettre vous ait manqué, Elle a été mise à la poste avant 5 heures Peut-être est-ce trop tard pour Brighton. Celle-ci sera mise avant l’heure, par Guillaume que j'envoie exprès. C'est votre seul chagrin de Brighton que je regrette beaucoup. Je prends mon parti des autres. J’ai eu tort de ne pas insister davantage pour vous y conduire moi-même. Je n’aime pas que vous ayez peur et froid toute seule. Adieu Adieu.
Je n'ai qu’une longue lettre de Bruxelles, d’Hébert. Adieu. G. Mes amitiés à Marion, je vous prie.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton Samedi 23 Sept. 1848
Une heure

Je trouve l'état de Paris très grave. Si Cavaignac recrute son ministère à gauche, les communistes entrainent avec eux le gouvernement. S’il le recrute à droite, les Communistes attaqueront très vite le Gouverne ment. Et Louis Bonaparte à travers tout cela, principe de désorganisation dans la droite et dans la gauche. La crise, au mieux les crises, vont se précipiter. Beaucoup de légitimistes et de conservateurs ont voté pour Louis Bonaparte, par désir de brouiller, et d'en finir. Tout le monde est plein d'humeur, d’aigreur. Avant l'élection Benj. Delessert était allé voir Thiers pour se remettre bien avec lui, et lui demander son appui. Thiers l’a très mal vécu : " Que venez-vous me demander ? Vous êtes un ancien conservateur. Ce sont les anciens conservateurs qui ont tout perdu par leur entêtement. Ils n'ont pas voulu me laisser arriver. Je n’ai rien à faire pour eux. " Vraie colère d'enfant désappointé.
Si Delessert est sorti furieux. Les conservateurs à qui il le raconte sont furieux contre Thiers. Les amis de Bugeaud spécialement furieux. Ils disent que Thiers n'a jamais rien fait et ne fera jamais rien pour lui, sinon de l’appeler indéfiniment l'illustre Maréchal. Ledru Rollin se croit déjà président. Lamartine se rapproche de nouveau de Ledru Rollin pour lui disputer la Présidence. Raspail veut qu’on fasse sortir Barbès et Blanqui de Vincennes avec lui.
Tout le monde, négocie avec tout le monde. Tout le monde se brouille, avec tout le monde. Chaos d'aveugles ivres qui ne savent plus même se servir de leur bâton pour se conduire, et s’en frappent les uns les autres à tort et à travers. Je ne sais d'où viendra la lumière qui y mettra fin, mais le chaos ne peut pas durer.
Le décret sur les biens du Roi, et des Princes est prêt. On dit qu'on le présentera la semaine prochaine. La propriété est reconnue. L’Etat garde l'administration, et alloue aux propriétaires peut-être un tiers, peut-être la moitié du revers, les dettes. payées. Si le Ministère tombe à droite le décret sera présenté en effet, et adopté. S'il tombe à gauche, on fera tout autre, chose, ou l'on ne fera, rien du tout. C'est plus commode et moins compromettant. Avant-hier, après mon départ, il y a eu une longue conversation entre le Roi et le Prince de Joinville. Grand remord, grand attendrissement de celui-ci. Il a beaucoup pleuré. L’intérieur était un peu remis.
La répression de Francfort fera de l’effet partout. C'est le 23 juin allemand. Le Prince Lichnowski et l’archevêque de Paris de ce 23 juin là. Adieu. Je voulais aller ce matin à l'Atheneum. Il pleut à Seaux. Je dîne chez M. Luckhart, Regents Park avec Croker qui est venu passer deux jours à Londres. De quoi donc est mort Lord George Bentinck ? Cela ne rendra-t-il pas plus facile à Peel de rallier le Conservative Party et de s'y rallier. Je ne crois pas du reste que Peel, y soit bien empressé. Adieu. Adieu. A demain, Holland House. J’y serai avant 5 h. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Vendredi le 22 7bre 1848

Un de mes journaux le Corsaire donne le prochain ministère Dufaure, Vivien, Bedeau, [?] , Dupin, Maleville, Goudchaux Baudin, Tourret. En tout cas Cavaignac me parait malade & la république aussi. Serait-il possible que le Prince Lichnowsky ait été massacré ? Pauvre Mad. de Talleyrand ! Vous voyez je ne vous donne que les journaux. Je n’ai vu personne, je ne sais rien, sinon qu'il fait très chaud, très beau & que je rentre d’une longue course. Hier valait mieux. Adieu. Car je suis au bout. Si j'avais quelque chose d'ici à midi demain je vous écrirai, peut-être ma lettre vous serait elle remise le soir. Sinon à Holland house dimanche. Venez y à 4 1/2. Adieu. Adieu.
Lord George Bentinck est mort.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond le 20 Septembre 1848

Lutterotte me mande en date de hier, qu'on remanie le ministère. La montagne a déclaré se séparer tout-à-fait de Cavaignac il doit donc chercher du renfort dans le parti modéré, sa majorité étant désorganisé. Ainsi décidément changement de Cabinet. Voilà tout ce que je sais, n'ayant vu que les habitants de Richmond qui ne savent jamais rien. Votre lettre me dira demain matin quand je puis vous attendre ; où je dois vous allez chercher.
Je suis un peu furieuse de ce que Lutterotte m’a mal arrangé mes affaires. On me prend une chambre, & il faut que je paie comme avant ? Cela n’est pas juste. Adieu. Adieu.
Que dira-t-on à Claremont de la lettre du Prince de Joinville à son frère écrite un mois avant la révolution, la prévoyant, et parlant très mal de son frère ? Le Roi cause de tout. Cette lettre est dans tous les journaux moins les Débats, vous l'aurez lue dans le Times. Adieu.

1 heure
Louis Bonaparte est élu partout & à la tête de tout à Paris. Après lui Raspail & Cabet, Fould député dans quelques arrondissements. Voilà mes dernières nouvelles de hier 6 h. du soir Paris.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton, Mercredi 20 sept. 1848
une heure

J’ai écrit hier au Roi que s’il ne faisait pas dire le contraire j’irais à Claremont demain, jeudi de midi à 3 heures. Si vous persistez dans votre projet de venir me prendre, soyez, entre 3 h. et 3 h. et demie, à Esher, aux environs de l’ours. Nous retournerons ensemble à Richmond. Nous aurons ainsi la promenade et le dîner. Cinq bonnes heures. Je vous rapporterai la lettre de Paris. Intéressante. Je ne m'étonne pas qu’il n'eût pas encore reçu l'autre de vous. Mon révérend à qui je l'ai remise, m’avait prévenu qu’il passerait quelques jours à Boulogne où était sa famille. Il ne devait aller à Paris que du 16 au 18, et la lettre que vous venez de recevoir est du 17.
Je regrette que vous n'ayez pas trouvé la Princesse de Parme. J’ai confiance dans votre observation. Ce que dit la lettre de Paris n'explique rien. Comment ne sait-elle pas l'état des Affaires et la conduite de son parti ? Comment va-t-elle à Londres sans le savoir ? Ou sans que son parti sache qu'elle va à Londres et la mette au courant ? Tout cela ne s'explique que par la légèreté mutuelle qui explique tout, et ne rassure sur rien.
Me voilà bien pédant. Il faut bien l'être en pareille affaire. Je trouve en effet que c’est un grand symptôme de fusion, de la part des légitimistes que de porter le Maréchal Bugeaud. Ils ont bien raison et je voudrais bien qu’il passât. Pas la moindre nouvelle électorale dans mes journaux de ce matin. Je ne me rends pas bien compte de l'effet de l'élection de Louis Bonaparte, s'il est élu. En tous cas, et pour tout le monde ce sera une grosse complication. Il tombera inévitablement entre les mains des républicains rouges conspirateurs de profession, et les seuls qui puissent vouloir de lui comme Empereur. Cela peut amener un rapprochement, plus ou moins long, plus ou moins sincère, entre les républicains modérés, et l'ancienne gauche. Par conséquent entraver et retarder la fusion des monarchiques. Je vous ai déjà dit que les Débats m'étonnaient un peu. Nous en saurons davantage dans quelques jours. Evidemment nous touchons à une crise.
Qu’il fait beau ! J'en jouis pour vous à Richmond. Je reviens de Kensington Gardens. Il me faut une demi-heure pour y aller. Je m'y promène une demi-heure. C’est une heure et demie de marche en bon air. J’ai eu hier Lady Cowley. Voulant être spécialement caressante, et étant généralement grognon. Cela fait un drôle d’assemblage. Elle va passer quelques jours chez la Duchesse de Glocester. Comme de raison, elle ne savait rien. Où êtes-vous à présent ? Probablement à votre luncheon. Il va être 2 heures. Adieu. Adieu.

Je ne pense pas que le Roi me fasse être qu’il ne sera pas à Claremont, demain. Cependant, s’il me le faisait dire, je n'irais pas. Et comme je n'aurais sa lettre que demain matin, je n'aurais pas le temps de vous l'écrire. Si vous ne me voyez pas paraître à Esher, à 4 heures, retournez à Richmond. Vous aurez fait votre promenade du côté d'Esher et moi j’irai toujours dîner avec vous. Mais je compte bien aller à Claremont. Adieu. G.

P.S. Le rapport de l’Amiral Baudin, inséré dans les Débats d’aujourd’hui, prouve que la défense de Messine n'a pas été aussi désespérée qu'on le disait.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Lowestoft, jeudi 17 août 1848
10 heures

Le temps est superbe. Je viens de me promener au bord de la mer. Mais vous manquez au soleil et à la mer bien plus que la mer et le soleil ne me manqueraient si vous étiez là. D’Hausonville m’écrit très triste quoique point découragé : " A l'heure qu’il est, me dit-il, le pouvoir nouveau est, vis-à-vis de la portion saine de l'Assemblée nationale à peu près dans les mêmes dispositions que l’ancienne commission exécutive. Autant que M. de Lamartine, M. Cavaignac redoute l’ancienne gauche, et comme lui il est prêt à s'allier avec les Montagnards, pour ne pas tomber dans les mains de ce qu'il appelle les Royalistes. Ce dictateur improvisé paie de mine plus que de toute autre chose, et a plus le goût que l’aptitude du pouvoir. Vienne une crise financière trop probable ou la guerre moins impossible depuis les revers des Italiens, et la république rouge n’aura pas perdu toutes ses chances. " Il veut écrire sur la politique étrangère passée. Il me dit que c’est à son excitation que son beau frère a écrit dans la revue des Deux Mondes, sur la diplomatie du gouvernement provisoire, l’article dont vous m’avez parlé. " Les documents diplomatiques insérés, dans la Revue rétrospective me serviront dit-il de point de départ pour venger, pièces en mains, cette diplomatie du gouvernement de Juillet, si étrangement défigurée. Je voudrais finir par indiquer quelle doit être dans cette crise terrible, l’attitude de ceux qui ont pensé ce que nous avons pensé, et fait ce que nous avons fait, si vous croyez utile de m'esquisser ce plan, je recevrai vos conseils avec reconnaissance et j’en ferai profiter notre pauvre parti resté, sans chef et sans boussole dans ce temps, si gros et si obscur." Ceci m'explique un peu Barante.
Évidemment l’envie de rentrer en scène vient à mes amis. J'ai aussi des nouvelles de Duchâtel, d’Écosse où il se promène charmé du pays. Je vous supprime l’Écosse. Voici ce qu’il me dit de la France : " Il me semble que, dans le peu qu’elle fait de bon, la République copie platement et gauchement la politique des premières années de la révolution de 1830." Quel spectacle donne la France.
On m’écrit de chez moi que les élections municipales ont été excellentes. Les résultats sont beaucoup meilleurs que de notre temps. Le député actuel de mon arrondissement, qui faisait toujours partie du conseil municipal n'a pas pu être élu cette fois.

Une heure
Votre lettre est venue au moment où j’allais déjeuner. J'espère que celle de demain me dira que votre frisson n’a pas continué. La phrase du National ne me paraît indiquer rien de particulier pour moi. Il insiste seulement sur le danger pour la République d’un débat qui mettra en scène le dernier ministre de la Monarchie qui n’a fait, après tout, que combattre ces mêmes auteurs de la révolution qu'on demande aujourd’hui à la république de condamner. Je comprends que ce débat, leur pèse. S'il y a un peu d’énergie dans le parti modéré, il faudra bien que le National et ses amis le subissent. Mais je doute de l’énergie. Tout le mal vient en France de la pusillanimité des honnêtes gens. S'ils osaient, deux jours seulement, parler et agir comme ils pensent, ils se délivreraient du cauchemar qui les oppresse. Mais ce cauchemar les paralyse, comme dans les mauvais rêves.
La lettre de Hügel est bien sombre, et je crois bien vraie. Je vous la rapporterai avec celle de Bulwer à moins que vous ne le vouliez plutôt. Je vois que Koenigsberg le parti unitaire a pris le dessus. Parti incapable de réussir, mais très capable d'empêcher que la réaction ne réussisse. La folie ne peut rien pour elle-même ; mais elle peut beaucoup contre le bon sens. Pour longtemps du moins. Que dites-vous du Général Cavaignac parcourant les Palais de Paris le Luxembourg, l’Élysée & pour voir comment on en peut faire des casernes et des postes militaires. On voulait nous prendre pour les forts détachés, dont le canon n'atteint pas Paris. Aujourd’hui, on met les forts détachés dans les rues. Ce qui me frappe, c’est que Cavaignac et les siens ont l’air de régler cela comme un régime permanent. C'est de l'avenir qu’ils s’occupent. Ils sont convaincus que, si on ôte au malade sa camisole de force, il jettera son médecin par la fenêtre. Et le gouvernement ne consiste plus pour eux qu’à prendre des mesures pour n'être pas jetés par la fenêtre. Adieu.
J’attendrai la lettre de demain un peu plus impatiemment. Je travaille. Que de choses je voudrais faire ! Adieu. Adieu. G.
J’avais donc bien raison hier de croire que la chance du Roi de Naples en Sicile pourrait bien valoir mieux que celle du Duc de Gènes.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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24 Val-Richer Vendredi 7 août 1846

Voici ce que me mande Duchâtel sur le résultat définitif des élections. " Nous avons gagné sur l'opposition 49 batailles. Mais, parmi, les candidats que nous avons appuyés, il y en a deux ou trois un peu douteux."
" L'opposition nous a battus, par des candidats. de ses diverses nuances, dans 28 Collèges. Il y a sur ce nombre deux ou trois membres qui peuvent, je crois, être ramenés."
" Elle a fait passer contre nos candidats, dix candidats conservateurs auxquels elle a donné la préférence sur les nôtres, qui sont, à très peu d’exceptions près, bons au fond, mais qui auront besoin d'être disciplinés." " Les pertes de l'opposition dans ses diverses fractions. se résumant ainsi : Légitimistes, 17 pertes. 6 membres nouveaux. Perte nette 11. Extrême gauche, 7 pertes. 1 membre nouveau Perte nette 6."
"gauche et centre gauche, parti Thiers, Barrot. 30 pertes. 19 Membres nouveaux. Perte nette 11"
Il est parfaitement content. Je lui ai écrit hier très amicalement. Le Roi aussi est très content. J’ai reçu cette nuit à 2 heures deux lettres de lui, et copie de la lettre qu’il a écrite à Duchâtel après le succès. Je suis charmé et du succès et de sa joie. Je prendrai garde seulement qu'il ne croie pas que tout est possible.
Longues nouvelles de Madrid. Rien de vraiment nouveau. Bulwer malade. Assez malade, pour être dans son lit et ne voir personne. Je crois qu’il use beaucoup de la maladie. Pas mal d'inquiétude dans le gouvernement Espagnol et les deux Reines, sur les penchants et les projets du Cabinet anglais en faveur des Progressistes. Forte aigreur entre Madrid et Lisbonne jusqu'à craindre une entrée des Espagnols au Portugal ce qui y amènerait les Anglais. Bresson s'emploie beaucoup à calmer cela. De Berlin, commencements de réforme, dans l'administration de la justice, les codes, les procès. Le Roi entrant toujours en conversation et en discussion avec son peuple. M. de Canitz un peu mieux. Je vous renvoie la lettre de Lord John. Si vous lui écrivez, parlez-lui de moi, je vous prie.
Oui, je vous verrai le 13 au matin, et nous réglerons votre marche. Ma volonté sera ce qui vous plaira. D’abord ce qui vous sera bon. Au fond, je suis très exigeant très romanesque comme vous dîtes. Mais je ne me laisse pas être tout ce que j’aurais envie d'être. Pas même avec vous. Glücksbierg vient d’arriver. Jarnac arrive pour dîner. Je les renverrai demain tous les deux au château d’Eu, d’où Jarnac partira pour Londres et Glücksbierg pour Madrid en repassant par ici. Je tiens à causer de nouveau avec lui quand il aura vu le Roi. Je vous quitte pour écrire à Stockhausen qui m’a écrit, il y a plus de quinze jours, pour me presser. Grace à Dieu, cette affaire-là est finie Elle m’a bien ennuyé. Il me fallait absolument Lavalette. Je suis charmé que Bacourt apprécie l'habilité avec laquelle je m’en suis tiré. Adieu dearest. J’espère bien que votre mauvaise nuit n'aura pas eu de suite. Cette nuit, quand l’estafette du Rois m’a réveillé, j’ai été trois quarts d’heure sans me rendormir pensant à vous. Adieu. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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24. Saint-Germain jeudi 6 août 1846
Je me suis levée fort tard aujourd’hui parce que j’avais eu une bien mauvaise nuit. Des points dans la poitrine qui m'ôtaient la respiration. J’ai fait tout ce que je sais faire, mais sans succès. Ce n’est que vers le matin que les douleurs se sont un peu calmées. Je viens d'écrire à mon médecin, j’espère que ce ne sera rien. Hier un bel orage le soir, mais le temps n'est guère rafraichi. Lonepeleun et Fagel ont dîné chez moi. Tous les diplomates sont frappés d'avance du bon que les élections produiront partout, et de la grande importance que cette législation soit bonne, pour le cas d'un changement de règne. Cela fera un véritable événement. en Europe. J’en demande. pardon à la France mais ce n’est que parce que vous êtes son ministre que cela me touche & m’enchante. Voici votre lettre d’hier. Je vous renvoie vite Fontenay, intéressant. Je comprends fort bien la mauvaise humeur contre le journal des Débats, seulement on est bien sot chez nous si l'on ne voit pas que tout changerait si nous changions. Je garde jusqu'à demain le Caucase, car il me faut du temps pour lire cette fine. écriture. J'ai eu une lettre de Normanby, (à propos de Verity qu’il prend) il me dit que comme Cowley annonce à Palmerston qu’il ne peut pas sortir de l’hôtel avant le 20, Normanby ne viendra qu’après et pour peu de jours se rendant à Vichy. Enchanté de son nouveau poste. Le temps est joli aujourd'hui Je me suis déjà fait traîner dans la forêt pour me remettre de ma mauvaise nuit. Adieu dearest, le 13 je vous verrai donc, savez-vous que c’est dans huit jours. 7 même. Vous vous arrêterez ici le matin & vous déciderez ce que je dois faire. Tout-à-fait la ville c'est bientôt par ce temps ravissant, mais je ferai votre volonté. Adieu. Adieu.
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