Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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54 Val Richer, Jeudi 1er septembre 1853

Merci de vos quelques lignes de Strasbourg. J’espère en avoir quelques unes ce matin de Paris. Vous devez y être arrivée avant hier soir. Vous n'y trouverez pas plus de soleil qu’à Schlangenbad je n’ai jamais vu un plus affreux été. Mais vous vous reposerez chez vous. A mon avis on n'est bien que là où on doit rester. Grand signe de vieillesse.
Je n’aime pas ces petites modifications demandées à Constantinople. J’espère qu’elle sont aussi insignifiantes qu’on le dit. Les reproches du Times à la Porte, m'en font un peu douter. Du reste, j'en reviens toujours à mon dire ; si vous ne désirez pas, en secret, que la question dure, elle finira. Bien des gens à Londres, et à Paris, croient que vous ne voulez pas qu'elle finisse, et que vous comptez sur les objections de la Porte. Si cela est, petites ou non, elles sont graves.
Faites-vous attention aux actes et au langage des agents des Etats-Unis, chez eux et en Europe, le Président Pierce, le ministre Soulé, le chargé d'affaires Brown ? Il y a là du nouveau. Tenez pour certain que le nouveau monde se mêlera bientôt, et bien activement, des affaires de l'ancien, et avec toute l’arrogance et l'hypocrisie démocratiques.

Onze heures
Je suis charmé de vous savoir arrivée et hors des auberges. Merci de deux copies. La vivacité de Constantin m'amuse. La paix ne s'en fera pas moins. Adieu, adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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54 Bar le duc Mardi le 30 août 1853

Si je date de Mardi une lettre que je vous aurais écrit la veille (Lundi) est-ce antidater on postdater qu'il faut dire ? Répondez-moi je vous en prie et tout de suite. Détestable auberge, mais il a fallu m’arrêter.
Paris le 31. Me voilà et fatiguée. Je trouve une lettre de Meyendorff et une de Constantin. Je vous envoie copie des passages importants. Je n’ai encore vu personne ici et ma lettre partira avant toute visite, mais ces deux lettres me semblent renfermer ce qui est essentiel. Greville me mandait si les Turcs ne font pas what we prescribe nous ne pouvons plus les soutenir. Voyons comment tout cela ira, maintenant, notre partie est la belle. Heeckeren m’a dit que jamais les vaisseaux. Français ne reculeraient tant que nous resterons dans les principautés. Nous verrons. Comment pourraient-ils entrer dans les Dardanelles sans provoquer le guerre, et ils ne peuvent pas rester à Besika. Adieu. Adieu.

Je copie un autre passage de la lettre de Meyendorff. " je voudrais vous dire tout le plaisir avec un peu d'envie que j’ai éprouvé ici apprenant le beau sens du fils de M. Guizot. Comme j’admire le père d’avoir eu le temps de bien élever ses enfants ! "

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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52 Val Richer, Vendredi 26 Août 1853

Je vous écris à Paris où je suppose que vous arriverez demain. Je vous ai écrit à Francfort d’où l’on vous renverra ma lettre si vous y avez passé trop tôt pour l'avoir, ce qui me paraît probable. Je ne reviens pas sur ce que je vous disais. Il aurait fallu vous attendre trop longtemps. J’aime mieux refaire 95 lieues que perdre huit jours. J’irai vous voir du 10 au 15 septembre. J’attends deux visites dans les premiers jours de septembre. Certainement je causerai plus longtemps avec vous qu’avec l'Académie. J’ai grande envie de vous voir et de causer. La personne d'abord, puis la conversation. Ce serait charmant que nous fussions toujours du même avis ; la sympathie vaut mieux que la dispute ; mais là, où le premier plaisir n'est pas, le second à encore son prix. Je suis fort aise que vous soyiez content, à Pétersbourg de votre sortie de l'affaire Turque. Je ne pense pas qu’on soit mécontent à Londres et je crois que, s’il n’y avait point eu d'Angleterre, ou si elle ne s'en était pas mêlée, vous seriez encore plus contents. C'est elle qui vous a empêchés de faire toute votre volonté. Là est son succès, quelles qu'aient été ses fautes. La politique extérieure Anglaise fait beaucoup de fautes de détail, car elle ignore beaucoup, tant le continent lui est étranger, et elle est pleine de transformations brusques, et de soubresauts, comme il arrive dans les pays libres ; mais en gros et dans l’ensemble des choses, le bon sens et la vigueur y sont toujours et la mènent au but. Quant à l'affaire elle-même, comme je ne m'en suis jamais inquiété, j'en attends très patiemment à la dernière fin. J’ai reçu hier des nouvelles de Barante qui ne me paraît pas s'être inquiété non plus.
Le mariage de l'Empereur d’Autriche était très inattendu. En Normandie du moins. Je ne suppose pas qu’il y ait là aucun goût personnel. C’est un lien de plus avec la Bavière que l’Autriche tient toujours beaucoup à se bien assurer, comme son plus gros satellite en Allemagne. Les Belges me paraissent ravis de leur Duchesse de Brabant. L’Autriche aura toujours bien à faire avec les deux boulets rouges qu’elle traine ; mais elle se relève bien tout en les traînant. Je voudrais connaître un peu au juste son état intérieur. J’entends là dessus bien des choses contradictoires.
On m’a dit à Paris que le travail pour faire venir le Pape avait sérieusement recommencé. On vous le dira sans doute aussi. En France, dans les masses, certainement l'Impératrice est populaire ; on aime mieux la beauté, et le roman que la politique, on s'y connaît mieux. Je suis venu, samedi de Paris à Rouen par un train qui précédait d’un quart d'heure celui qui devait mener le ménage impérial à Dieppe. Toute, la population était en l’air pour les voir passer ; et ce n'était pas de la pure curiosité ; il s'y mêlait de l’intérêt.

Onze heures 1/2
Voilà mon facteur et n'en à ajouter. Adieu, adieu.G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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52 Schlangenbad le 24 août 1853

Me voilà encore. La chaleur a été si forte que je n’ai pas où me mettre en route. Elle se dissipe un peu, et samedi je pars. Je serai à Paris sauf nouvel incident ou accident. Mardi le 30. Meyendorff était très affir matif en me mandant que Constantinople avait accepté l’Ultimatum. Une lettre de Kisseleff reçue hier l’est moins, mais cela nous est bien égal. La faute serait aux autres.
Je ne vois plus une âme, il n’est resté personne à Schlangenbad. Ce repos me plait beaucoup, seulement il ennuie mon fils. Je n’ai pas l'ombre de nouvelle à vous dire. Mariage à droite, à gauche, voilà le seul aliment des journaux. Adieu. Adieu. On a bien des Bavaroises déjà en Autriche, cela ne plaira pas.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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50 Paris, Vendredi 19 Août 1853

La séance de l'Académie. Française a eu lieu huit jours plutôt que je ne pensais. Je suis arrivé hier matin pour y assister. Je repars demain. Il n’y a absolument personne ici. De mes amis ; Dumon seul.
Je trouve le public très rassuré ; et pourtant il court de mauvais bruits sur les Principautés ; on doute de la prompte évacuation. Je me soucie peu des bruits ; mais je suis frappé du débat du Parlement surtout, du discours de Palmerston. Il n’a jamais été si Turc, jamais si décidé à la guerre pour l'indépendance de la Turquie, jamais si confiant dans les moyens de résistance de la Porte et dans l'efficacité de l'alliance Anglo-française pour la soutenir. Ici, le langage et toutes les démonstrations du gouvernement sont archi pacifiques, et font regarder l'affaire comme terminée. Je sais qu’au ministère de la guerre, on n’a pas douté un moment de la paix et qu’on n’a fait aucun préparatif pour une autre chance. Mais je persiste à croire qu’on aurait accepté et qu’on accepterait volontiers cette autre chance, et que la sympathie est toujours grande pour Palmerston.
Mad. de Hatzfeld est la seule ressource du petit nombre d’âmes politiques en peine qui errent encore à Paris. Elle reçoit les jeudi et lundi. Je passerai à sa porte ce matin. Je ne la trouverai probablement pas. Il fait très beau. Tout le monde se promène. La fête du 15 a été très brillante. Paris était plein d'étrangers. Il se vide. J’ai vu Mad. de Boigne en passant à Trouville. La mort de sa belle-soeur a été pour elle un vrai chagrin, autant qu'elle peut avoir un chagrin. Mad. d'Osmond est morte tout à coup, par une pression du cœur sur les poumons ; elle a été asphyxiée. Sa fille, la Duchesse de Maillé, venait de la quitter ; on a couru après elle, sur le Boulevard. Elle est revenue en courant ; sa mère était morte. Mad. de Boigne attend ces jours-ci à Trouville toute sa famille.
On s'amuse beaucoup à la cour. La Reine Christine y est en grande faveur et fait ce qu’il faut pour être en faveur. On parle du mariage d’une de ses filles avec le Prince Napoléon. On reparle aussi du sacre et du Pape. En attendant l'Impératrice a de grands succès au jeu du ballon, en plein air. Adieu. Ce n’est pas la peine de venir à Paris pour n'y apprendre que cela. Aussi n’y suis-je pas venue pour rien apprendre. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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48 Schlangenbad le 17 août 1853

J’ai vu hier lady Jersey arrivant de Londres. Très opposition, mais disant que le Ministère se soutiendra. Prévoyant la chute de l'Angleterre. Elle ne reste debout que pas l’amour et le respect qu’on a pour la Reine.
La G. D. Olga fait furrore. C'est une admiration extraordinaire. Voilà tout Lady Jersey. Mme Rothschild me mande de Paris que Lord Cowley se plaint du gouvernement français qu'il trouve trop russe, ou plutôt trop pressé de la paix. Il me semble que l'Angleterre ne l’est pas moins. On ne sait rien encore de sûr de Constantinople, et il y a encore bien des difficultés à vaincre. Il pleut ici, j'en suis bien fâchée, cela gâte mes derniers moments. C’est mardi le 23 que je quitterai ceci. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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48 Val Richer, Mardi 16 Août 1853

Puisque votre fils trouve Schlangenbad charmant et que votre santé s'en trouve, sinon beaucoup mieux, du moins pas plus mal. Vous avez raison d'y rester encore. Le changement sans rien savoir pourquoi, est un grand ennui. Nous aurons, sans doute avant la clôture, un grand exposé de l'affaire Turque dans le Parlement ; Lord John l’a promis. Il n’y sera pas embarrassé ; le cabinet Anglais a bien conduit sa barque ; il a maintenu la paix, en se montrant prêt à faire la guerre ; il a protégé efficacement la Turquie et rallié à lui la France sans se mettre à leur disposition. C'est de la bonne politique de temporisation et d’ajournement des questions. Personne aujourd’hui n'est en état, ni en goût d'avoir une politique qui les décida. Vous me dites que les Russes de Paris trouvent qu'après tout, et au prix de votre bonne réputation en Europe, vous avez fort avancé vous affaires ; je ne connais pas assez bien les faits pour en bien juger ; mais si cela est, soyez contents aussi ; tout le monde le sera. La Turquie l'est certainement autant que peut l'être un mourant qui n’est n'est pas mort, et pour la France, on dit qu’elle l'est beaucoup. Le public l'est car il voulait la paix, et il sait gré au gouvernement de l'avoir maintenue. Le gouvernement a de quoi l'être, car il a sa part dans le succès pacifique, et il s'est mis fort bien avec l'Angleterre. L’est-il bien réellement, au fond de l'âme ? J'en doute un peu. Mon instinct est que l'Empereur Napoléon aurait préféré l’union belligérante avec l’Angleterre, le Ministère de Lord Palmerston et toutes les chances de cet avenir-là. Je penche à croire que c’est là le but que, de loin et sans bruit, il poursuivait. Mais il ne s'y est pas compromis ; et ce n’est pas un échec pour lui de ne l'avoir pas atteint. Il peut donc se féliciter aussi. J’ai rarement vu une affaire où tout le monde ait été si embarrassé pour être, à la fin, si satisfait.
Je ne pense pas que l'Empereur Napoléon, se soit fait, dans le public, le même bien par le Rapport qu’il s’est fait faire pour montrer en perspective huit ou dix millions à payer en vertu du testament de son oncle. C'est se donner un gros embarras pour une nécessité bien peu pressante. Il y a assez de questions vivantes ; pourquoi exhumer les mortes ?

10 heures
Voilà votre N°46. Je ne partage pas du tout les soupçons de lord Greville à l'endroit des Principautés. Vous êtes entrés nécessairement. pour couvrir vos concessions sur vos premières demandes à Constantinople ; vous vous en irez loyalement. Question d’honneur dans l’un et l'autre cas. Adieu, adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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47 Schlangenbad le 15 août 1853

Constantin est arrivé hier ici très inopinément. Il y passera quelques jours. Je n'ai rien décidé encore pour mon départ, mais il est très probable que je serai à Paris avant la fin du mois. J’ai lu la pièce acceptée par mon gouvernement et sans doute aussi par la Turquie & qui termine cette maudite affaire. Il me semble que c’est même plus explicite et plus obligatoire que ce que nous demandions. Les Anglais et Français ont confectionné cette pièce et c'est Lord Radcliffe qui dans ce temps avait conseillé la résistance ! Le roi de Wurtemberg est parti ce matin. Il a passé hier la soirée chez moi. Très aimable ; je regrette qu’il n’y soit plus.
Voici votre lettre du 12. Et Votre explication de notre conduite. Je l'enverrai à [Meyendorff]. Elle est curieuse et juste. Je ne lui enverrai pas l'autre page qui traite du Prince de Joinville. Elle n’est pas digne de vous. Il n’a aucun mérite à sa dénonciation. Les plus simples lois d'honneur et d’humanité lui en faisaient un devoir.
Je crois sans en être bien sure que je quitterai ceci le 23. Si je ne fais pas de halte ou de détour je serai à Paris le 26 ou 27. Vous serez informé et dans ce cas vous me donneriez bien autant de jours qu'à l'Académie ? Lady Jersey est arrivée à Wisbade et me demande un rendez-vous. Cela m'ennuie. Adieu. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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47 Val Richer, Dimanche 14 Août 1853

Vous avez raison ; mon impression sur les promenades de votre flotte dans la Batique et sur le camp de Chobham n'était pas fondée. Au fait, rien n’est plus naturel. Je ne doute pas que si la Porte se refusait à accepter la note de Vienne, la France et l'Angleterre ne lui retirassent leur appui. Il n’y aurait pas moyen de faire autrement. Mais je suis convaincu qu’on n'en viendra pas là. Il paraît que la vivacité du public anglais sur cette affaire était réelle et qu’elle avait gagné même les gros marchands de la Cité. Un de mes amis m’écrit en sortant de chez Samuel Gurney “ J’ai remarqué avec assez de surprise que le pacifique Duché partageait le sentiment d'impatience et d’irritation qu'inspire généralement ici la politique russe ; on est peut-être plus animé sur la question d'Orient à Manchester et à Birmingham qu'au camp de Chobham." On n'en sera pas moins fort aise de pouvoir se calmer.” Je viens de lire les détails de la Revue de Spithead. Ce devait être beau. Je vois que votre grande Duchesse Olga y était. C’est de bon goût. Tout le monde aime la paix aujourd’hui les rois comme les peuples ; la guerre dérangerait tout le monde.
Adieu.
Je n'ai vraiment rien à vous dire. M. Mallac me disait l'autre jour, à propos de l'Assemblée nationale : " Que deviendrons- nous maintenant et de quoi parlerons-nous, la question d'Orient terminée ? : " Nous n'aurions pas le même embarras si nous causions, mais de loin, le cercle est plus restreint. Barante va venir à Paris pour les couches de sa belle fille. Il viendra me voir ici. Duchâtel part demain pour le Médoc. Le Duc de Broglie est à Broglie. Molé au Marais. Je ne trouverai personne, à Paris la semaine prochaine. Quelques personnes y viendront pour la séance de l'Académie. J'en repartirai le lendemain. On dit qu’il faut lire les Mémoires de la baronne d'Oberkirch. Adieu. J'espère que vous avez votre fils. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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45 Schlangenbad le 11 août 1853

Mon fils Alexandre est arrivé hier, il est vieux de Paris. Je suis plus franchement informée par Meyendorff, mais il me rapporte l'impression des Russes de France, qu’après tout nous avons fort avancé nos affaires, quoique au prix de notre bonne réputation. Celle-là restera fort endommagée. Hier la porte a totalement manqué à Schlangenbad. C’est odieux, ni lettres, ni journaux. Constantinople n’est plus pour moi que question de curiosité.
Les Princes du voisinage se croient obligés quand ils viennent faire la cour au roi de Wurtemberg et à la Princesse Charles de Prusse de se présenter chez moi aussi. C’est ainsi que j’ai vu l’autre jour le Prince régnant de Waldek, beau garçon de 22 ans, timide, embarras sé, labourant le Français avec une peine infinie, à la torture pour trouver un mot. Une scène de comédie ; son premier. ministre était avec lui. important, empesé, grotesque J'ai bien ri après. Marion me fait une collection de portraits des personnes qui viennent chez moi. Elle a un talent rare. Elle se souvient le lendemain matin des visages de la veille, des ressemblances frappantes. Mon fils trouve ceci charmant et ne demande pas mieux que de prolonger notre séjour. Je me laisse aller sans arrêter de place. Le froid diminue voilà tout ce que je puis dire du temps. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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45 Val Richer, Mardi 9 Août 1853
3 heures
Il se peut fort bien que votre Empereur ait eu raison de penser à la Russie plus qu’à l'Europe. Je ne suis pas juge du cas particulier ; mais en thèse générale, on a toujours raison de se préoccuper du dedans plus que du dehors. Le pauvre roi Louis-Philippe se préoccupait infiniment du dedans ; à ce point qu’il en désespérait. Il a certainement en grand tort de faiblir le 22 février, et cette faiblesse a été la cause prochaine de sa chute ; mais il a été de tous, le moins surpris de ce qui lui est arrivé, tant, il en connaissait les causes générales et lointaines, et les regardait comme irrésistibles. Deux dispositions parfaitement contradictoires s'alliaient en lui ; dans l’ensemble, il était sans espérance, sans confiance, convaincu qu’il ne réussirait pas à fonder sa monarchie, que la France était vouée à l’anarchie et à la révolution dans chaque occasion particulière, quand le jour du péril venait, il était imprévoyant et sanguin, convaincu qu’avec un peu d'adresse, de souplesse et de patience. Il reviendrait sur l'eau et se relèverait après avoir plié, les deux dispositions ont également contribué à le perdre ; il a vu à la fois trop en noir et trop en beau ; il a trop désespèré du présent et trop espéré de l'avenir. On pouvait très bien résister en Février 1848, il ne l’a pas cru. Il a cru qu’il reviendrait du renvoi de son cabinet et même de son abdication ; et cela ne se pouvait pas. Il avait cela, et seulement cela, de commun avec Louis XI qu'il faisait beaucoup de fautes, et qu’il excellait. à s'en tirer, et qu’il espérait toujours avoir le temps de s’en tirer. Le temps lui a manqué pour se tirer de la dernière. Le chagrin a été pour plus de moitié dans sa mort. Le désespoir de votre N°43 est mal tombé, ce matin, après les quatre lignes du Moniteur d'hier. Vous aurez certainement eu directement l’avis de l'adhésion de votre Empereur à la proposition combinée à Vienne ? Je tiens pour impossible que le sultan n’y adhère pas aussi. Je suis donc de l’avis du Moniteur, et de la Bourse Je regarde l'affaire comme finie. Vous vous serez beaucoup tourmentée en pure perte. A part l’intérêt Européen, je suis charmé que vous voyez un terme de vos inquiétudes.

Mercredi 10 9 heures
Il me revient que Kisseleff est très content, et qu'on est très content de lui à Paris. Son attitude. et son langage, pendant toute cette crise, ont été très fermes et très tranquilles. C'est Morny qui a renversé M. de Maupas, et fait supprimer le ministre de la police. Il s'est allié pour cela avec Persigny. L'Empereur Napoléon est content de Drouyn de Lhuys et du mélange de pacifique et de guerrier qu’il a mis dans ses conversations et dans ses pièces. Bon pour tous les en cas. M. d’Hautpoul a obtenu la permission de recommencer à se promener, en mer avec son yacht de Trouville.
Mad. la Duchesse d'Orléans confie M. le comte de Paris à Paul de Ségur pour aller faire un tour en Irlande. Adieu, adieu. J'espère que demain le facteur m’apportera votre tranquillité au lieu de votre désespoir.
Par grand hasard, j’ai reçu hier une lettre de Massi ; on me dit : " La paix jusqu'ici n’est pas troublée par l'occupation ; les troupes russes observent la plus exacte discipline et payent tout ce qu'elles consomment.” Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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44 Schlangenbad le 9 août 1853

Ma cour a consenti à l’Ultima tum que l’Autriche adresse à la Porte. Voilà une bonne affaire, très bonne pour Aberdeen. Il faut maintenant que la Porte accepte. Si elle le fait nous recevons son ambassadeur. Meyendorff qui me mande cela espère que la France & l'[Angleterre] soutiendront leur oeuvre et retireront tout appui à la Turquie si elle refuse cette dernière planche de salut. Comme démonstration de cette menace il faudrait rappeler les flottes et nous évacuerons les principautés ; il est en bonne espérance et content de lui même car ceci est son œuvre.
Pardonnez moi, mais votre critique des manoeuvres de notre flotte de la Baltique aussi bien que du camps de Chobane est singulière. Mais de tous temps on exerce des troupes. Et depuis que nous avons un vaisseau il fait des promenades. dans la saison d’été pour exercer les matelots à la manœuvre. Est-ce que vous n'envoyez pas les vôtres à droite et à gauche en été pour la même raison ? Nous restons dans notre coin la Baltique ; dans d’autres années ils viennent dans la mer du nord, voilà la différence pour cette année. Et les régimes Anglais ? Mais c’est un camps d’exercices comme Satory, comme St Omer, comme Krasno Selo où mon empereur. fait manoeuvrer tous les ans 100 m hommes. Le chiffre n’y fait rien.
Voilà qui est trop long pour la question militaire. Mon fils n’est pas arrivé encore, ce qui me surprend. Il y a depuis quelques jours un vent glacial, abominable. Mon rhume est plus fort que jamais. La duchesse de Nassau est venue me voir ; bien gentille et bonne. Mes impolitesses sont acceptées, je ne rends visite à personne. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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44 Schlangenbad le 7 août 1853

J'ai oublié de vous dire que j’ai donné à lire au roi de Wurtemberg trois de vos lettres qui traitent de la question d’Orient c.a.d. de nos circulaires. Il en a été ravi, il me les a renvoyées avec un billet que je vous montrerai. A propos ses plus intimes ici nient qu'ils aient jamais vu la face de Klingworth (belle face) Il vient ici sans cesse chez le roi.
2 heures. Le roi vient de recevoir une dépêche télégraphique en annonçant qu’à Pétersbourg le projet d'ultimatum à la Turquie a été agréé ; je ne pouvais en douter puisque cela s’est fait sous les yeux de Meyendorff. Reste à voir ce que dira Constantinople. Ce n’est plus aussi grave. Si les Turcs acceptent, l’affaire est terminée. S'ils refusent, ils n’auront plus l’appui des protecteurs qu'ils s’en tirent tout seuls. L’une on l’autre alternative est donc bonne pour nous.
Je suppose que cet ultimatum ne touche que l’affaire principale, la proposition Menchikoff. Les principautés seront une affaire séparée et secondaire ; mais je suis portée à croire que nous les évacuerons du moment que la Turquie se soumet à la note de Vienne.
Si la nouvelle que vient de me donner le roi est vraie et elle doit l’être, je vais me reposer de toutes mes agitations. J’attends aujourd’hui. mon fils Alexandre. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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43 Val Richer, Samedi 6 Août 1853

Merci de la lettre de M. de [Meyendorff] qui m’a beaucoup intéressée. Je suis charmé que les miennes l’intéressent un peu. J’aimerais bien mieux causer avec lui. Je lui dirais que je n'ai jamais pensé à un protectorat collectif des Chrétiens en Turquie. J'en sais, comme lui, l'impossibilité pratique. Ce qui me paraissait praticable, c'était que votre Empereur, puisque on regardait un engagement de la Porte envers lui comme attentatoire à l’indépendance Ottomane, proposât lui-même que la Porte prit le même engagement, non plus envers lui seul, mais envers toutes les Puissances Chrétiennes, laissant chacune de ces Puissances protéger ensuite, pour son compte, ses propres dieux Chrétiens, l’une les Grecs, l'autre les Catholiques, l'autre les Protestants &
Mon idée n'était qu’un expédient pour sortir de la difficulté du moment par une porte qui ne fût plus seulement Grecque et Russe, mais Chrétienne et Européenne, qui fût par conséquent plus grande pour votre Empereur et unobjectionable pour les autres. Ce sont les situations prises qui décident. des affaires je voyais là une bonne situation à prendre, bonne pour la dignité et pour la solution. Voilà tout. Cela ne signifie plus rien aujourd’hui. Le sultan a beau se griser et traîner. L'affaire finira bientôt puisque tout le monde veut, qu'elle finisse. Les embarras ne sont des périls que lorsqu’il y a des puissants qui veulent en faire des périls.
Vous ne lisez probablement pas les récits de la révolution de Chine. S'ils sont vrais il y aura bientôt là, pour l'Europe, de nouveaux Chrétiens à protéger. Seront-ils Grecs, Catholiques ou Protestants ? Je crois que vous avez une mission religieuse à Pettiny. Du reste, ces Chrétiens chinois, orthodoxes ou non, me paraissent en train de se bien protéger eux-mêmes. Convaincu, comme je le suis, que le monde entier est destiné à devenir Chrétien, je serais bien aise de lui voir faire, de mon vivant, ce grand pas.
Avez-vous des nouvelles de la grande Duchesse Marie ? Le voyage de la grande Duchesse Olga en Angleterre est-il déterminé par la santé de sa sœur ? Dieu veuille épargner à votre Empereur cette affreuse épreuve ! Il m’arrive le contraire de ce qui arrive, dit-on, ordinairement ; je deviens en vieillissant, plus sympathique pour les douleurs des autres ; mes propres souvenirs me font trembler pour eux comme pour moi-même.
Je voudrais vous envoyer un peu du beau temps que nous avons depuis quelques jours ; très beau, mais pas chaud. C'est le vent du Nord avec le soleil. Nous n'aurons décidément point d'été. Vous ne me dites rien de l'effet de vos bains ; mais à en juger par l’air de votre silence, Schlangenbad vaut mieux qu'Ems.
Changarnier parle en effet trop de lui. Mais quand vous n'avez rien à faire des gens, vous ne savez pas assez les prendre par le bon côté, et mettre à profit ce qu’ils ont tout en voyant ce qui leur manque. Vous vous ennuyez trop de l'imperfection dès qu’elle ne vous est bonne à rien.
Adieu, adieu. Je ne fermerai ma lettre que quand mon facteur sera venu ; mais il ne m’apportera probablement rien à y ajouter. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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42 Val Richer, Jeudi 4 Août 1853

J’ai devant moi le plus épais brouillard que j'ai vu depuis longtemps dans un pays où j'en vois beaucoup ; mais c’est un brouillard blanc du matin que le soleil élève et dissipe en une heure, et qui présage une belle journée. Nous en retrouvons quelques unes, mais sans suite et sans sécurité mêlées de mal et précaires, comme tous les biens de la vie.
Je ne suis pas inquiet comme vous ; je suis pourtant moins tranquille que je ne l’ai été jusqu'ici. La question primitive et turque me paraît arrangée ; vous demandez moins que vous ne vouliez d'abord ; la Porte dira ce que vous voulez ; vous lui répondrez comme elle vous le demande ; il n’y a là plus d’embarras. Mais il y en a maintenant entre l'Europe et vous ; un gros et un petit. Le gros tient à la position isolée que vous travaillez à reprendre envers la Porte ; le petit a été créé par les circulaires de M. de Nesselrode. Une question de vieille politique et une question d’amour propre récent. J'espère bien, ou plutôt je compte que ni l’une, ni l’autre n’amènera la guerre ; mais je ne vois pas encore comment on les arrangera l’une et l'autre, à la quasi satisfaction des partis intéressés, condition nécessaire de tout arrangement. Il faudra bien qu’on en vienne à bout. Quand ce sera fait, je me donnerai le plaisir de vous dire ce que, depuis longtemps, j’ai à vous dire, et je ne vous dis pas.
Je vois que vous aussi vous faites parader vos flottes dans la Baltique comme dans la mer noire. Est-ce bien utile et de bien bon goût ? Cela me fait un peu le même effet que le camp de Chobham en Angleterre, un joujou rare et fragile dont on s'amuse. En général, il ne faut pas se mettre beaucoup en avant par le côté où l’on n'est pas le premier. Il paraît que notre ami Aberdeen a couru un véritable danger. Les cabs font bien du bruit à Londres. Je ne leur aurais jamais pardonné s'ils lui avaient fait vraiment mal, car je l’aime toujours beaucoup malgré son silence que je comprends. Plus on aurait envie de causer à coeur ouvert, moins on parle quand on ne le peut pas.
Avez-vous fait quelque attention, dans le Galignani, aux articles tirés d’un nouveau journal Anglais, the Press, qui me paraît se consacrer à la cause de l'Aristocratie territoriale, intelligente et libérale, de l'Angleterre ? Je viens d'en lire un, sur l’Angleterre, la Russie et les Etats-Unis, qui est très spirituel et très politique. Je voudrais bien que cette cause-là, qui est la bonne, fût bien défendue ; elle l'est bien faiblement depuis longtemps.
Je vous quitte pour faire ma toilette. Je pars ce matin à 10 heures, pour une course de campagne qui me prendra la journée. Je fais plus de ces courses-là que je ne voudrais. Mon gendre Conrad cherche à acheter une petite terre dans ce pays-ci, et il me demande d'aller voir tout ce qu’on lui propose. J’espère que ce sera bientôt fini. Pauline est encore un peu souffrante, plus de fièvre, mais une névralgie douloureuse, et qui l'abat.

10 heures
Adieu, adieu. Je pars sans que mon facteur soit arrivé, ce qui est toujours un grand ennui. G.

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42 Schlangenbad le 4 août 1853

Décidement mon voyage ne me profite pas. Je rapporterai à Paris tous mes maux avec & quelques nouveautés p. e. des crampes affreuses dans les jambes. Vous voyez bien que les médecins sont des imbéciles. Le temps est assez beau. Je prends de l’air tout ce que j’en puis prendre. Je ne m'ennuie pas, et quelques fois même je m’amuse. Marion a fait hier chez les vieux Rothschild un dîner impayable. La Princesse Louise de Prusse, Klingworth celui-ci bavardant & mentant, elle idiote. Des Allemands les Croy. Elle est revenue de là impayable de moquerie. Tous les Rotschild sont partis. Les vieux ce matin, Mad. James avant hier rappelée par son mari. Le Général est parti aussi. Tout cela sera rempli par des Biberes, ancien hospoder. C’est une lanterne magique. Nous rions souvent le roi et moi, il a vraiment bien de l’esprit. Le Prince Emile vient aussi me voir de Wisbade, tout autre genre, de la très bonne espèce. L'Empereur Napoléon vient de lui envoyer son grand cordon de la légion d’honneur en souvenir des grandes campagnes. Je ne sais rien de plus sur l'Orient. Cela finira pas la guerre après avoir fait éclater des révolutions à Constantinople le sultan est très menacé.
Je crois que mon fils Alexandre va venir bientôt ici. Je déciderai avec lui de mes mouvements ultérieurs. Je penche un peu pour Paris. Adieu. Adieu.

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40. Schlangenbad le 1 août Lundi 1853

J'ai enfin reçu une longue lettre de Meyendorff. Je la ferai copier par Marion pour vous l'envoyer. Le dernier mot du 29 est que les Turcs trainent en dépit des conseils de tout le monde et que cela peut durer encore par leur fait, car aujourd’hui tout le monde y va de bon cœur. Le sultan se grise.
Il y a ici la Princesse Charles de Prusse et sa fille. La mère & la fille belles, mais bêtes à un degré étonnant c' est à qui en évitera. Vous comprenez que j’en suis là aussi, et à faire des impertinences. Le roi de Wurtemberg est toujours aimable et assidu. Changarnier part demain je crois, car Mad. [Rotschild] part. Je répète qu'il est très convenable et que moi au moins, je n’ai pas entendu une parole aigre ou amère. Il se croit à Malines pour longtemps. Je vous avoue qu'il ne m’amuse pas. Il parle trop de lui, et il n’est pas naturel. Marion qui le voit beaucoup dit qu'il est beaucoup plus agréable hors de ma présence. Mais elle aussi n’a pas relevé un mot qui ne peut être dit à Paris sur la place publique. C’est un parti pris, ou bien vraie conviction.
Le temps est atroce, parfaitement froid, j’ai repris toute ma toilette d’hiver je me baigne malgré cela. Adieu. Adieu.

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37. Schlangenbad le 26 juillet Mardi 1853

Votre lettre n’est pas arrivée hier. Cela m'ennuie. Je n’ai rien ici de nulle part, je n’ai que les journaux. Il me paraît que la négociation sera longue nous resterons quelques temps dans les principautés, les Turcs auront leurs embarras intérieurs. On voudra les secourir, nous comme les autres peut être, et cela peut devenir une drôle d’affaire et grosse au bout. Au fond le gouvernement Anglais est dans l'embarras.
Je ne parle politique qu’avec vous et le Roi de Wurtemberg, mais il n’est pas tout-à-fait sincère avec moi. Il a bien de l’esprit. Il vous plairait beaucoup Il me parle beaucoup de vous. Je ne sais si votre petit ami est dans les environs. Vous devriez lui faire savoir que je suis ici au cas qu'il se trouve sur le Rhin. Constantin m’a quittée hier. Je ne suis pas tout à fait abandonnée, il y a quelques causeurs le soir, et deux ou trois femmes, pas grand chose. Ma journée est assez remplie par la promenade, le bain, le repos qu'il faut prendre après. Je végète. Je ne remarque pas du tout. que cela me fasse du bien, je suis comme j’étais. Voilà une misérable lettre Adieu. Adieu.

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36. Schlangenbad samedi 23 juillet 1853

Je n’ai rien au monde à vous dire, mais je suis curieuse de savoir ce que vous avez dit de la circulaire de Drouyn de Lhuys. Moi je l’ai trouvé très bien faite simple, claire, et sans réplique. Très supérieur à Nesselrode. Est-ce de la rédaction de Thomanel ou du chef ?
Le roi de [Wurtemberg] a passé ici deux jours en courses pour faire visite à ses filles. Je ne l’ai pas vu. Mon fils Alexandre a été malade à Naples. Cela retarde son arrivée. Il ne sera à Paris que la semaine prochaine, & ici sans doute quand je voudrai. Ce sera alors que je déciderai où aller. Je n’ai pas grande envie de me remuer pour autre chose que pour rentrer dans mon home. Je ne crois pas qu’à tout prendre mon voyage n’aura fait beaucoup de bien ; il me donne avant tout le goût du repos. Adieu, voici une pauvre lettre. Du Val Richer il y a au moins les commentaires, mais que voulez vous qui vienne de Schlangenbad. Adieu. Adieu.

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31 Ems le 13 juillet 1853
Voici une lettre qui devrait me rassurer, et je ne parviens pas à l’être. Je trouve notre dernière circulaire de 20 juin bien faite, mais elle engage la polémique avec l'Ang & la France. Voilà une complication. Et cependant le fond est pacifique. Je suis tourmentée, l'esprit s'épuise à examiner cette maudite question sous toutes ses faces.
Je n’ai pas été bien hier. Aujourd’hui encore un fort mouvement de bile. C’est la Turquie. Le comte [Pani] me plait tous les jours d'avantage. Un bien honnête homme, très instruit, très intéressant à écouter sur la Russie, et en pleine confiance avec moi. C’est un ami de Viel Castel ils se sont rencontrés en Espagne. Nous nous parlons de bien loin c’est vrai, c’est bien ennuyeux ; et quand il y aurait tant à se dire ! C’est pourquoi mes lettres sont bêtes. Je le sens. Je ne puis penser qu'à une seule chose, & je ne puis pas dire tout ce que j’en pense. Pour changer, que veut dire le voyage de la Reine Christine ? Je trouve que nous sommes devenus bien ignorants vous et moi. Adieu. Adieu.
La lettre dont parle M. et celle où vous me disiez votre opinion sur l'Angleterre.

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30 Ems dimanche le 10 juillet 1853

J'ai eu vraiment un grand plaisir à apprendre le succès de votre fils. Je vous prie de lui en faire mon compliment très sincères. Je comprends la joie que cela vous aura donnée.
Voici la dernière proposition comme à Paris je crois, comme par nous et appuyé par l'Autriche à Constantinople. La Turquie nous enverrait un ambassadeur muni de la certaine note signée. Il nous la remettrait & recevrait en échange l’assurance écrite que nous ne ferons usage de notre protectorat du culte orthodoxe que dans un but religieux, & jamais politique On me demande le secret sur ce projet. Je vous prie donc de le garder. Il doit réussir à moins que Stratford rascal ne s’y oppose.
Je suis charmée de la remise du débat au Parlement. Tout cela à l’air pacifique. à juger par tout ce qui me revient votre gouvernement a une conduite très sage. Aberdeen. est plus gêné que lui, mais au total j’espère aussi que là on ira bien.
La chaleur a été étouffante ici. Aujourd’hui c’est mieux. Ma nièce est partie hier, elle me précède à Schlangenbad, J'y vais samedi le 16. C’est donc là toujours duché de Nassau que vous m’adresserez vos lettres. Je commence à avoir un peu de société ici. D'abord les deux princes de Prusse, le futur roi, & le Prince George, les [Panin], Platen, les de l'Aigle elle est insupportable, une princesse Carolath assez animée. On vient chez moi le soir, à 9 1/2 je chasse tout le monde. Avant 10 heures je suis dans mon lit. A 7 1/2 debout et à la promenade. Je dîne à 3 1/2. Vous avez ma journée avec le bain & les courses en voiture de plus. Adieu. Adieu.

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29 Ems samedi le 9 juillet 1853

Une lettre extra pour vous dire que selon mes dernières nouvelles nous allons publier une dépêche explicative de Manifeste, où il sera dit : qu’aussitôt que la porte nous aura offert des garanties acceptables et que les escadres des puissances maritimes auront quitté les eaux de la Turquie, nos troupes de leur côté évacueront la Moldavie et la Valachie. Qu'en dites-vous ?
A propos M. de [Damis] est enfoncé dans les lectures que je lui fournis quoique nous nous voyons deux fois le jour il m'écrit à tout instant. Voici sur votre lettre. Il m’en a reparlé le soir, avec des admirations sans fin sur le style de votre lettre. Vous me querellez sur la distinction que j’ai l’air de faire de votre Génie pour les grandes & petites choses. Certainement vous valez mieux pour les premières, mais je vous prie de ne pas m’abandonner dans les autres.
Je suis d'une grande curiosité du débat de hier au Parlement. On commence à dire que Palmerston reprendra les affaires parce que si dans ce poste il ne nous fait pas la guerre, les Anglais verront qu’il n’y a pas de quoi la faire. Enfin ce serait drôle, mais tout est drôle, pourvu que cela ne reste que drôle. La chaleur est étouffante. Adieu. Adieu.
J'attends ce que vous me direz du Manifeste. [Damis] prétend que de même que l'[Empereur]. excite l’enthousiasme religieux, il saura le calmer. Il est le maître très puissant chez lui.

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28. Ems le 8 juillet 1833

L'impératrice m'écrit en date du 2. " J’espère en Dieu qu'il bénira les intentions droites & simples de mon empereur, & que la guerre. sera évitée. " Bonnes paroles, les dernières.
Le manifeste va exalter le sentiment religieux, mais il laisse encore ouverture à la négociation. Nous allons savoir tout à l’heure si Constantinople regarde l’entrée dans les principautés comme cas de guerre.
Je suis inquiète de tous ces complots à Paris. Que Dieu nous préserve d'un malheur là. Le comte [?] est arrivé. De l’esprit, beaucoup de connaissances, pas trop versé dans la diplomatie. Fort disposé à causer. Cherchant à apprendre. Défendant notre cause très bien, mais ne me persuadant pas. Toujours en doute de l'Angleterre c.a.d. ne croyant pas qu’elle puisse en venir aux extrémités.
Quant à nous pas l'ombre d'un doute que nous aurons Constantinople, & que personne ne peut nous en empêcher. Des préparatifs sur la plus grande échelle et les Turcs impuissants & appauvris. Le temps est à la chaleur, mais excessive. Je suis fondue. Adieu. Adieu.

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26. Ems Lundi le 4 juillet 1853

Bien mauvaise lettre de Greville. La guerre inévitable. L’Empereur dit qu’on peut lui brûler sa flotte de la mer noire, cela lui est égal. Il veut avoir raison des Turcs. Greville parle de nous détruire aussi dans la Baltique. Enfin cela n’est plus arrangeable selon lui, & selon tout le monde. Ah mon Dieu. Et vos pressentiments ? Tiennent-ils encore ? Que vais-je devenir ? Tout ceci, & le mauvais temps et l'isolement complet, me fait du mal. Je ne suis pas mieux qu’à Paris et aujourd’hui après cette mauvaise lettre, pire.
En Russie on parle de guerre sainte. En Turquie c’est la guerre sainte aussi, & chez les Grecs ditto. Comment espérer qu'on recule quand on est allé si loin ? La mission de Giulay ne produira rien.
La guerre de la révolution apparaîtra bientôt. Nous en verrons de belles ! Vous pouvez concevoir ma tristesse, & cela au milieu d'un total isolement.
Adieu. Adieu.
Brunnow avait annoncé le 1er Juillet à Clarendon que l’ordre d'entrer dans les principautés était parti. L'Angleterre et la France nous déclareront la guerre si les négociations ne nous forcent pas à nous retirer. Et nous ne nous retirons pas. Je vous ai dit qu'on a ordonné chez nous une nouvelle levée de 10 h sur 1000. C’est énorme.

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25 Ems samedi le 2 juillet 1853

Aujourd’hui 2 nous entrons dans les principautés. On nous interpellera sur nos intentions. Les négociations commenceront à Constantinople. Quand la Turquie voudra signer l'engagement que nous demandons nous sortirons des principautés, pas avant. C’est l'Autriche qui sera intermédiaire. Elle a intérêt à la conservation de l’[Empire] ottoman & point de la confiance des deux parties. Voilà ce que me mande mon correspondant de Vienne en date d’avant hier. Il ajoute quand la guerre éclatera j’irai à Gastine, je me soignerai et j'aurai désormais peu de foi dans la diplomatie. Si je n’étais retenu par les liens de la reconnaissance j'enverrai toute la boutique au Diable.
Vous voyez qu’il n'y a là rien pour me rassurer. Aussi suis-je bien noire.
2 h. Dans ce moment une lettre de Berlin d'un jour plus fraîche et donnant des nouvelles de Pétersbourg du 25. Beaucoup plus rassurantes, mais refusant de m’expliquer pourquoi, mais me priant de croire. Je ne demande pas mieux, mais j’ai peine à comprendre. Comme tout cela me tracasse, et la pluie par dessus le marché et une température très froide, et pas une âme. Les de Laigle sont ici c’est à peu près comme rien du tout.
Ma Nièce est gentille & bon enfant. Adieu. Adieu.

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23. Ems le 28 juin 1853

Vos réponses sont longues à m’arriver. Je ne sais pas encore ce que vous dites de notre long facteur. Il est bien controversé. Il y a bien à dire. Il est évident que tout le monde cherche à éviter la guerre, moins Lord Redcliffe et peut-être ses patrons. Nous verrons. Toute cette incertitude me fait du mal. J’ai été obligée de suspendre mes bains. La pluie n’a pas discontinué depuis mon arrivée c’est une horreur au milieu de cette solitude. Ma nièce est très bon enfant, mais elle va bien s'ennuyer aussi. Je n'ai pas un mot à vous dire. Personne ne m'écrit de Paris. Mollé seul ! Je vous laisse à juger ce que sont ses lettres ! Il parait que Morny s'est donné du mouvement, vous m'en direz quelque chose.
Un mot de Constantin m’apprend que nous entrerons le 2 juillet dans les principautés. Les Bulgares Turcs nous demandent des armes contre les Turcs, les Grecs sont dans une grande effervescence, les Turcs sont agressifs. Ils envoient des émissaires pour soulever les Circassiens. Tout cela est très mauvais. Comment cela finira-t-il ?
Adieu. Adieu.
Nous faisons une pauvre correspondance ! Menchikoff reste à bord de son vaisseau à Odessa.

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22 Ems le 25 juin 1853

Selon une nouvelle lettre de Vienne, nous n’entrerons pas dans les principautés avant le 2 ou le 3 juillet ; alors encore on pourra négocier, mais les chances de s’arranger deviennent plus faibles tous les jours. Et hélas vous perdrez votre pari. Et moi, je ne rentrerai pas en France. C’est affreux d'y penser. Je doute de l’efficacité de l’Autriche à Constantinople et c’est la dernière chance.
Tout ceci dérange grandement l'effet des haines. Je ne pense qu’à la guerre et à ce que sera mon sort. Je ne le conçois pas. comme je ne vois personne ; jugez quelle belle occasion de me faire tous les dragons du monde.
Et puis, il pleut sans cesse. Je ne puis pas sortir. Je suis très à plaindre. Les journaux, voilà pour m’assombrir l’esprit encore. Ah la maudite question d'Orient. Marion prétend que je me suis [?] à [?], c’est possible. Depuis hier je ne me sens pas bien. C’est peut-être l’agitation d’esprit qui dérange l’effet des eaux. J'attends ce soir ma nièce. Ce ne sera pas grand chose quoi que quelque chose. Adieu. Adieu.

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20. Ems Mercredi 22 juin 1853

Voici copie de qui vous savez. Si vous entrez, ce sera la guerre, si vous restez à la porte on négociera.
Je crois plus au bon sens français qu’au bon sens anglais dans cette circons tance. Mais à vrai dire je ne crois plus à rien. Je rumine toute seule dans ce désert. Vrai désert moral. Toujours et absolument personne. Si je n’avais pas l'incluse à vous envoyer je ne vous écrirais pas aujourd’hui car je n’ai pas un mot à vous dire. Le temps est pluvieux & froid.
Je suis à mon quatrième jour des bains & de l’eau. Mon médecin m'inspire assez de confiance. Marion est gaie, j'ai fait une bonne distribution de ma journée, elle ne m’a pas encore parue trop longue. Mon esprit s’engourdit un peu. Cela repose.
Dites-moi ce que vous pensez de la lettre. Evidemment bien de l’esprit, pas trop content de ce qui s’est passé et pas très confiant dans l’avenir je le soignerais ici surtout il me sera précieux. Donnez moi de quoi le nourrir.
Adieu. Adieu.
2 h. Je suis de lire notre circulaire du 11 juin. J'en suis contente. On ne peut pas se battre pour cela. Au fait il n’y aura de mot qu’une église. De tout ceci il restera une forte attente portée à notre réputation d'habileté diplomatique un rapprochement entre la France & l'Angleterre. Et un nouveau bail pour la Turquie est-ce que je me trompe ?

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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19. Ems le 20 Juin Lundi 1853

Mon fils m’a quitté avant hier soir. Me voilà vraiment sans une âme. Je n’ai pas voulu le retenir. Il a été bien & charmant. Plus longtemps j'aurais trop vu l'ennui, je n’ai pas voulu abuser. Je n’attends personne. Quelle jolie perspective ! Je commence à m'alarmer vraiment. Les chances de la guerre sont grandes, car rien ne peut satisfaire mon empereur qu’une satisfaction directe, écla tante ; et le firman pour tous les cultes n'est pas cela.
Je me suis un peu orientée sur ce qui s’est passé chez nous. Au fond Nesselrode n'était pas d'opinion d'envoyer le Prince Menchikoff. C'est l'Empereur qui l’a voulu. Cet ambassadeur a été cassant, hautain. Redcliffe est venu brochant sur la mauvaise humeur des Turcs. Des querelles de visites ont aigri l’un contre l’autre les deux ambassadeurs. Menchikoff a été maladroit en toutes choses et lorsque enfin la place n’a plu été tenable, il a mis sur le compte des faiblesses de Nesselrode la décadence de notre influence auprès de la porte, ce qui avait préparé sa défaite. L’[Empereur] a reproché à Nesselrode tout le passé des dernières années. Et la scène a été vive dit-on. M. Le ministre a voulu racheter cela par une rédaction très insolent de sa note à Rechid Pacha. Nous allons en apprendre le résultat après-demain. Sans doute la porte nous répondra par un refus, nous entrerons dans les principautés. Je crois savoir que ce ne sera pas cas de guerre aux yeux de l'[Angleterre]. & de la France, à moins que cela n’ait changé depuis mon départ de Paris.
Voici une lettre de Greville qui vous intéressera. Nous sommes dans une position très embarrassée. Dans tous les cas notre bonne situation en Europe restera bien endommagée ; mais je le répète je crains plus que cela.
La mort du Nonce m’a vraiment beaucoup affligé. Marion en pleurs. C'était un brave homme. si tolérant, si doux, si facile & fin. Il pleut à verse aujourd’hui. Pas de promenade, pas une visite. J'ai commencé les bains. Nous verrons dans quelques jours comment ceci me convient. Adieu. Adieu.
Nous sommes bien loin. Vos lettres m'arrivent en quatre jours. Comment vont les miennes ? Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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15 Val Richer, samedi 11 Juin 1853

Un nouveau délai, c’est quelque chose, pendant ce temps là, on négocie certainement à Vienne à Londres, à Paris. Si on sait s'y prendre, il doit venir de Constantinople quelque ouverture que l'Empereur ne puisse pas se dispenser au moins d'écouter, et qui engage une négociation nouvelle. Je suppose toujours que l'Empereur n’a pas son parti pris d’engager la question dernière, et de jeter bas, l'Empire Ottoman. Sauf cette hypothèse il est impossible que l'affaire ne s’arrange pas.
On m'écrit de Londres : " I see Lord Aberdeen very frequently happily rather a friend than patient. His healthy, since he took office, has been better than usual, though you will judge from what you see of tre current of affairs that he cannot he without various inquiétudes. The Turkish question, under ils present aspect the India Bill in its future course and the Education bill under the various perplexities which religious fond impose upon it, are all subject which may well afford to him thought and anxiety. " (Je vous supprime les questions intérieures) " On the Turkish questions I will not speak. A few days or weeks will decide them for good or ill, and the anticipation here is (or was yesterday, that all will end in compromise."
Est-il vrai que Lord Stratford ait proposé à ses collègues de faire une réponse collective aux questions de la Porte, et qu’on s’y soit refusé, en se bornant à des réponses identiques rédigées par M. Delacour ? Cela serait assez significatif et cette fois-ci encore comme en 1840 l’Angleterre aurait de la peine à se faire suivre de ses alliés.

Onze heures
Merci de ce que vous m'avez fait écrire. J’espère que votre fatigue n’est pas sérieuse. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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15 Paris Samedi le 11 juin 1853

Menchikoff est resté à Odessa il ne bouge pas de là. Nos troupes avancent. Notre flotte est prête. Nous entrerons dans les principautés, si l'Ultimatum est rejeté, et nous resterons. Pas de guerre pour cela à moins qu’on ne la veuille. Je doute que les flottes [anglaises] & [françaises] entrent dans les Dardanelles, mais si même elles y venaient. Quoi ? On se regardera et on rira. Il faudra que les Turcs fassent notre volonté.
Vous êtes parfaitement sages au-delà de ce que j’avais espéré. Long tête hier soir avec Fould. Je suis bien contente de lui. Pas trop d’amour de l'Angleterre. Point d'humeur contre nous. On veut modérer, concilier avoir l'honneur d'empêcher la guerre, bien plus grande gloire que le gain d'une bataille. Parfaitement convenable & bien, enfin je vous dis que je suis très contente, & que je pars rassurée. Je doute que l’Autriche se détache de nous, c’est impossible. Je suis abîmée de fatigue & de conversations. De tous côtés on est fâché de mon départ mais il faut partir je n’en puis plus. Adressez encore ici. On m'enverra votre lettre. Adieu. Adieu.
Voici Greville de hier.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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14. Paris le 9 juin 1853

L'Empereur donne encore à la porte huit jours de délais pour accepter les propositions du Prince M. Si elle refuse encore, nous entrons dans les principautés. Ceci est parti de Pétersbourg, il y a 6 jours. Tout compris il faut attendre trois semaines à Pétersbourg pour savoir la réponse de la porte. Voilà où j'en suis. Je suis mécontente de tout et tout le monde l'est.
Vous êtes sages ici. En Angleterre on ne l’est pas. Cela ira mal. Adieu je fais mes paquets, je m’agite. Je ne dors pas. Adressez encore à Paris. Je vous dirai demain le jour de mon départ. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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12. Paris le 7 juin 1853

Je reste certainement bien troublée des nouvelles que je vous ai données hier. On les tient très secrètes, la Russie s’entend.
Le bavardage est infini. Jamais l’occasion ne fut plus belle. Quelle confusion ! Les Allemands sont très montés aussi contre nous. Hubner surtout, mais il me le dit dans le tuyau de l'oreille. Ma tête s'en va de tout ce que j’entends je suis devenue le confesseur général. On cherche à me retenir, mais il faut que je parte. Que puis-je à tout ceci ? Le Times d’aujourd’hui est catégorique. L’Empereur persiste, la flotte anglaise. part. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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11. Paris le 6 juin Lundi 1853

Rien de nouveau. Toute la diplomatie chez moi hier soir pas l'ombre de nouvelles nouvelles. On ne peut connaître qui jeudi le Pétersbourg décisif, la paix ou la guerre. L’attente & l’inquiétude sont énormes ce qui n’empêche pas qu'on n'aie bien ri chez moi hier, Heeckeren faisait les Frais.
2 heures
Grosses nouvelles. L’ordre est donné à la flotte de Malte d’aller aux Dardanelles. La vôtre la joindra. L'Empereur de Russie a dit aux [?] d'Angleterre qu'il insiste sur l’acceptation immédiate & sans condition de l’ultimatum de Menchikoff.. Voilà où nous en sommes venus. Croyez-vous encore à la paix ? Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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10 Paris le 5 juin 1853

Voici la lettre d’Ellice. Elle n’a pas l'importance que je croyais. J'en ai eu une de C. Greville plus sérieuse : l’ordre à la flotte a, ou va être donné, mais je crois vous avoir déjà dit cela hier. Lord Cowley est venu hier soir de plus en plus noir. Les explications de ce Nesselrode avec [Seymour] deviennent menaçantes. Les Anglais se disent dupés par nous. Je crois qu’ils ont envie de la guerre. Détruire une flotte est toujours une partie de plaisir pour eux. Il n’en est pas de même pour vous ou les autres. Vous n’avez pas intérêt à ce qu’il n’y ait que des puissants anglais dans le monde. Je ne vois plus comment la guerre sera évitée, mais le secours porté aux Turcs sera tout simplement cause de la chute de l’Empire Ottoman, car où ne nous empêchera pas de prendre Constantinople. Malgré toutes vos bonnes prédictions, je crains bien que je ne sache plus où aller. Ni Paris, ni Londres pour moi ! Le temps est toujours affreux. Je ne partirai pas avant la fin de la semaine.
1 h. Encore une lettre de Greville. Il se dit sûr de l’Autriche et de la Prusse, cela n’est pas possible. Adieu. Adieu

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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7. Paris le 2 Juin 1853

J’ai vu hier matin 18 personnes une dizaine ce soir. La tête me tourne de tout le bavardage que j'entends. Je passe au gros fait. Hier à à Berlin 6 du soir on recevait de Pétersbourg le propos souvent de Nesselrode. " Nous aurons le protectorat des Grecs coute que coute. " M. de Budberg avait avec M. de Manteuffel le ton très haut. Tout cela arrive par télégraphe.
Cowley est venu le soir me conter cela. Greville dans une longue lettre finit par ces mots-ci. The flut will not sail until we give order et puis. “The emperor has promised that he will in no case have recourse to ulterior measures without giving us ample notice of his intention. " Il me mande que Brunnow est dans le dernier embarras. Les Allemands ici parlent de désavouer Menchikoff, (vous voyez que le télégraphe de Berlin dément cela) et disent que l’Emp. n’a pas bien compris la portée de ce qu’il exige de la porte. Tout ceci prouve seulement que nous n’avons l’appui de personne. "
Nous amusons L. Radcliffe de tout le mal. Cowley me le dit aussi à l’oreille. Mais Greville maintient qu'il s’est parfaitement conduit & son cabinet l’approuve. Je suis inquiète de cette situation. Nous ferons la guerre sans le moindre doute à moins que la porte ne cède.
Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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4 Val Richer, Mardi 31 Mai 1853

Faut-il que je vous renvoie la lettre d'Ellice à Marion ? Elle est intéressante et j'en remercie Marion. Si on a conseillé à la Porte de déférer la question aux quatre puissances, ce n'est pas très prévoyant, et si après cela, on ne soutient pas la Porte, ce n’est pas très brave. Je regrette quelque fois de porter tant d’intérêt à la paix, car j'en prends très peu aux Turcs ; je voudrais voir ce beau pays rentrer dans le giron Chrétien. Mais St Marc Girardin a raison ; il en coûterait trop cher aujourd’hui, il en coûterait une nouvelle explosion de la révolution, en Europe. Il faut attendre, pour cela comme pour tout le reste. Je doute toujours du canon.
Voilà la session du Corps législatif close. Elle n’a pas été brillante pour le pouvoir, mais je trouve qu’il s'est conduit sagement, en ne s’entêtant pas et en transigeant sans bruit avec les velléités de résistance qu’il a rencontrées. De résistance, j’ai tort ; c’est d'indépendance, et d’indépendance très mesurée qu’il faut dire. Si le Gouvernement sait accepter peu à peu cet adoucissement à la réaction qui a marqué son origine, il s'en trouvera bien et le pays aussi. On a beau avoir réussi dans un coup d'Etat ; il n’y a pas moyen de rester aussi absolu que le jour où on l’a fait.
Je suis pressé de savoir comment vous aurez remplacé votre professeur Allemand. Quels mauvais renseignements vous sont donc venus sur son compte ? Il est vrai que la sagacité de ce bon Tolstoy n’est pas, une garantie suffisante.

Midi
Mon facteur arrive très tard. Mais il m’apporte une bonne lettre. Vous ne me dites pas encore quel jour vous partez. Je suis de l’avis de Hübner ; cela s’arrangera. Le trouble des spéculateurs de toute sorte m'amuse. Adieu, adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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5. Paris Mardi le 31 mai 1853

Votre petit ami a passé hier 3 heures chez [Kisseleff] et en est sorti bien content. Mon fils aîné est arrivé ; il m’accompagne à Ems de bonne grâce même. Je n’ai pas encore fixé le jour de mon départ, en tous cas pas avant samedi. Je ne sais pas de nouvelles. Menchikoff est arrivé le 24 à Odessa. Si nous n’agressons pas d'ici à demain. Que nos troupes avancent c'est qu’il n’a pas les pleins pouvoirs pour les mettre en mouvement. C’est très curieux comment nous nous tirerons de ce mauvais pas. Je ne conçois pas la bonne manière pour notre dignité. Il me semble qu'il faut aller battre les Turcs bien vite, lancer un manifeste rassurant à l’Europe, et puis laisser le sultan à Constantinople, avec de telles garanties pour nous, que la signature de la convention proposée devienne inutile. Quand nous aurons battu & fait grâce de la vie tout ce que nous céderons aura bon air. Je ne sais rien aujourd’hui et je ne saurai que plus tard. Le temps est détestable. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 28 Mai 1853
8 heures

Je ne vous ai pas écrit hier en arrivant. J'étais en retard et mon facteur, en avance. Le temps m'a manqué. Je suis arrivé fatigué. Je le suis depuis quelque temps. J’ai besoin du bon air et du profond repos que je trouve ici. Le silence et la solitude ; rien à entendre et personne à attendre, pas plus de dérangement que d'affaire. Quand on devient vieux, il faut ou de grands intérêts ou un grand calme ; le mouvement de Paris dans l'oisiveté est une fatigue sans excitation. Je ne regrette absolument que vous. Il est vrai que ce qui est beaucoup.
Que du moins notre séparation profite à votre santé comme à la mienne. Vous ne serez pas aussi seule à Ems que moi au Val Richer et vous ne le supporteriez pas. J’espère pourtant que vous vous reposerez, et que vous reviendrez mieux portante que l’an dernier.
Prés, bois, champs, feuille, fleurs, tout est resplendissant de fraîcheur, et de jeunesse. Le soleil brille surtout cela. Quelques ondées de pluie coupent de temps en temps les rayons du soleil. C'est charmant à voir. Outre le plaisir du moment dans ce spectacle, j’aime à penser qu’il se renouvelle et se renouvellera chaque année depuis et pendant je ne sais combien de siècles, apportant à je ne sais combien de millions du créatures le même plaisir.
J’attends les nouvelles de Constantinople, avec curiosité, mais sans vraie inquiétude. Plus j’y pense, plus je me persuade que rien de grave n’en peut sortir, même quand vous vous brouilleriez tout-à-fait avec la Turquie, même quand vous lui feriez un peu de guerre. Il n’y a de grave aujourd’hui que ce qui engage la question révolutionnaire et tout l’Europe. On n'en viendra pas là.
Je suis frappé de la tranquillité de la bourse de Londres à côté de la vivacité des journaux anglais. Adieu. J’attendrai le facteur pour fermer ma lettre. Adieu, Adieu.

Onze heures
Je crois encore moins à la chute de Lord Aberdeen qu'à la guerre. Les Anglais ont encore plus de bon sens pour la dedans que pour le dehors. Je ne m’agite pas de tous ces bruits ; je n’aime pas, ensuite, à m'être agité pour rien. Merci de vous trouver triste et misérable. sans moi. Adieu, adieu.
Il ne fallait rien moins à Lord Cowley qu’une grosse fusion. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Vendredi 27 mai 1853

On croit savoir ici qu'il y a dissidence dans le Cabinet Anglais et l’on est dans la plus grande espérance que l’affaire turque sera cause de la chute de Lord Aberdeen et de l’élévation de Palmerston. à la direction suprême du cabinet ce qui amènerait sur le champ l’alliance avec la France.
On dit aussi que tous les spectateurs ici, (& qui ne l’est pas ?) sont enragés, & veulent à tout prix que l’affaire s’arrange.
Je ne sais pas d’autre nouvelle aujourd’hui que ce que vous voyez dans le Moniteur et qui laisse quelqu'espoir.
Quel ennui d’avoir à vous écrire, comme j’en suis triste et misérable. J'ai vu beaucoup de monde intéressant hier, mais Je ne sais vraiment rien de plus que ce je vous ai dit là. Je crois que je verrai Cowley aujourd’hui. Hier il était malade, la tête enflée et emmailloté. Adieu. Adieu. Merci de [?] & encore adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 30 oct. 1852

L'affaire Belge me paraît, pour le moment, bien près d'être arrangée ; le ministère Broucker va se former ; il avait été appelé comme le plus propre à terminer les négociations avec la France. Il s'acquittera de sa mission, et la question commerciale ne sera plus un prétexte aux querelles politiques. Resteront la presse et les réfugiés, nous verrons si les Chambres belges feront quelque chose à cet égard.
Albert de Broglie me disait hier que la Suisse était inondée du pamphlet de Victor Hugo ; on l’offre aux voyageurs sur les bateaux à vapeur, dans les auberges. Les radicaux sont toujours les maîtres là, et très malveillants pour le président.
Le Piémont en revanche se loue beaucoup du président. M. de Cavour dit qu’il a été presque étonné de l'accueil que lui a fait le gouvernement français et de la bienveillance, toute politique, qu’on lui a témoignée. Ils n'ont, disent-ils, absolument aucune inquiétude, pour la Savoie et ils comptent sur un appui diplomatique s’ils étaient tracassés d'ailleurs.
Il me paraît qu’il n’y a guère de doute sur la venue du Pape, si on le lui demande formellement. A part toute autre considération, son caractère l’y poussera ; il a le goût de la popularité ; il en trouvera plus en France que partout ailleurs, et comme Pape, et comme formateur libéral.
La Times est bien violent sur l'affaire de l'emprunt Turc. Il y a là quelque chose que je ne sais pas, et qui donne à Londres, et à Paris beaucoup d'humeur, peut être à des gens qui manquent là une bonne occasion de donner beaucoup d'argent.
La Duchesse d'Orléans était très souffrante. vraiment très souffrante avant son accident ; les entrailles en fort mauvais état ; le repos absolu qu’elle a dû garder lui a fait un bien réel. Elle est, à tout prendre, bien aise de retourner en Angleterre, dans sa famille ; elle commençait à la trouver fort seule, délaissée ; elle n’a, auprès d'elle, personne qui puisse lui donner un bon conseil et un utile appui. Elle passera l’hiver dans quelque bon coin du midi de l’Angleterre. Le climat de Claremont ne lui réussit pas.
Le comte de Paris a été très bien au moment de l'accident de voiture intelligent, courageux et affectueux. Je recueille des bribes de conversation, en attendant mieux.

4 heures et demie
Mon facteur vient tard. Abdel Kader ne déshonore pas votre appartement de la Terrasse. C'est un grand homme malheureux. Il y a des grands hommes dans le désert. Adieu, Adieu.
Je crois sans en savoir rien de plus que ce que vous m'en dites, que l'Empire commencera modestement. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 28 oct. 1852

J’ai passé hier ma journée avec une très désagréable migraine. Je me suis couché à 9 heures. Nous avons le plus sot temps du monde, des pluies sans fin, avec des coups de tempête. J’ai dormi et je suis mieux ce matin, mais encore la tête lourde. Les Anglais me semblent bien nombreux à Paris. Ils viennent assister à l'avant scène de l'Empire.
Le 4 novembre verra recommencer à Londres le régime parlementaire, à Paris le régime impérial. Je trouve que le gouvernement, est, de tous, celui qui s'est conduit dans cette perspective, avec le plus de prudence et de dignité. Il n’a témoigné ni bon, ni mauvais vouloir ; il n’a point donné lieu de croire qu’il eût d'avance aucun parti pris ; il n’a cherché ni à détourner, ni à pousser. C'est à lui qu’il est le plus facile de reconnaître l'Empire, sans démentir en rien, je ne dirai pas ses paroles, mais sa physionomie. C'est décidément le moins léger et le moins gascon des gouvernements. Il n’est cependant pas en train de grandir dans ce moment-ci. Le cabinet et l'opposition auront petite mine l’un et l'autre le 4 novembre.
Je suis frappé du ton des journaux Anglais qui engagent la Reine " to forget party distinctions and to lend for a score of men, only because they are the ablest in view." 
Cela ne sera pas, ce n’est pas possible ; mais c’est l'indice d’un sentiment national bien menaçant pour Lord Derby. Ceci finira, dans le cours du Parlement qui commence, par l’alliance des Whigs et des Peelites. John Russell et Aberdeen.
Dit-on de quelle manière l'Empire sera annoncé aux puissances étrangères ? Y aura-t-il des envoyés extraordinaires, ou se contentera-t-on d’une circulaire aux agents Français ordinaires, avec ordre de la communiquer ? Cela n’a aucune importance en soi ; pure curiosité de spectateur. En tout cas, la reconnaissance aura lieu. Probablement, on mettra de part et d'autre, peu de faste dans la demande et dans la réponse.
Du reste, la situation du président est la meilleure ; il fait ce qu’il veut sans s'inquiéter de savoir si cela plaît ou déplaît. Il sait que la réponse sera à peu près la même, soit que la demande plaise, ou déplaise. Il peut être aussi modeste qu’il le voudra dans la forme. La modestie sera bon goût et non faiblesse.
Savez-vous le sens de cette querelle à Constantinople sur l'Emprunt Turc ? Je ne comprends par pourquoi la France s’y est engagée, ni pourquoi nous nous ferions à la fois les Protecteurs des Lieux saints et des Juifs. Je ne vois pas bien non plus pourquoi vous mettez de l'importance à faire échouer cet emprunt ; ce n’est pas une innovation parlementaire, et ni la France, ni l’Angleterre n’y gagneront grande influence à Constantinople. Vous pourrez toujours, pour abattre cette influence, faire faire banqueroute à la Turquie.

Onze heures
Je n'ai pas de lettre ; mais j’ai de vos nouvelles J'espère que votre rhume ne durera pas. Adieu Adieu. Voilà donc l'emprunt Turc rejeté. Encore une fois, je ne comprends pas pourquoi On fait de cela, chez nous, une si grosse affaire. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 28 octobre 1852

Le 2 Décembre me paraît le jour fixé pour la proclamation de l’Empire. Cela se passera aux Tuileries. Les paris sont ouverts à propos des Jérômes. La haine contre eux est universelle. L’affaire turque fait quelque bruit. Je ne m'y entends pas du tout. J’ai été un peu délaissée ces jours-ci par les habiles, de sorte que je n'ai rien d'intéressant à vous dire. Le Lord Holland est venu me voir hier. Il revient de Moscou et d’Alger ! Et part aujourd’hui pour l'Angleterre, beaucoup d'Anglais traversent Paris, peu s'y arrêtent. Il y a longtemps que je n’ai vu Cowley. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Mercredi 20 oct. 1852

Nous ne faisons aucune attention aux affaires d'Orient. Il n’y a plus d'Orient. Les gouvernements de France et d’Angleterre sont trop occupés chez eux et d’eux-mêmes pour regarder au loin. Pendant ce temps, je vois que les révolutions ministérielles se succèdent à Constantinople ; voilà Ali Pacha renversé, le successeur, mais encore l’ami de Reschid Pacha. Je suis sûr que ce sont vos affaires qui se font et que vous faites là. Il n’y a rien à dire. Vous avez raison de profiter des fautes de l'Occident.
Voici une faute qui vous touche peu, et qui m’a choqué. Comment a-t-on, samedi dernier, fait sortir et amené en masse sur le passage du Président, les collèges, et les écoles primaires, des enfants ? Ceci est pire que le suffrage universel. On se plaignait jadis que les étudiants de droit et de médecine, les jeunes gens de 20 ans fussent mis en scène une politique, et on y met aujourd’hui des marmots. Ce n'est ni sensé, ni honnête.
Je ne comprends pas ce que fait Lord Malmesbury pour être mal avec l'Autriche. Je ne leur vois point de sujet de querelle ; à moins que la mauvaise humeur des voyageurs Anglais en Italie, à propos de leurs passeports, ne devienne une question de gouvernement. Ce serait bien absurde. Peut-être aussi le Piémont. qui donne sans doute de l'humeur à l’Autriche. Du reste, les puissances du continent auraient grand tort de se mettre mal avec l'Angleterre ; si jamais l’incendie révolutionnaire se rallumait ce qui n’est pas du tout impossible, c'est encore là qu'elles trouveraient, pour résister, le point d’appui le plus fixe et le plus fort.
Vous avez bien raison de trouver bon que Paris perde l'habitude de faire et de défaire les gouvernements. En soi, l'acte de puissance que font depuis quelque temps les populations des campagnes est excellent ; elles sont hors d'état de gouverner ; mais il ne faut pas qu’on puisse gouverner ou détruire les gouvernements sans elles et contre elles, et la leçon donnée en ceci aux prétentions et aux traditions de Paris est très salutaire.

Onze heures
Je n’ai pas de lettre. Adieu donc. Il fait bien beau temps. J’espère que vous avez le même soleil à Paris et que vous en profitez pour prendre l’air. Adieu, Adieu.
J'ouvre mes journaux. Vous avez perdu votre pari avec M. Molé. Nous aurons l'Empire en Novembre.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Le 31 Août 1852

Ma maison est fort tranquille aujourd’hui. J’y suis seul avec mes filles et mes petites filles. Tous les hommes sont partis pour la chasse qui s'ouvre ce matin. Pauline n’est pas du tout malade, elle a eu quelques soins à prendre pour se remettre de ses couches et un commencement de mal de gorge qui l’a fait rester, 24 heures dans son lit, mais ce n'était rien et elle va bien, comme une personne délicate.
Il y a longtemps que Génie ne m’a écrit. Dans ce que dit le Moniteur sur Constantinople, il n’est pas du tout question des Lieux Saints. Je suppose que cette affaire-là, en est resté où elle était, et qu’on parle des petites affaires arrangées pour éviter de parler de la grosse qui ne l'est pas.
10 heures et demie.
Il ne fait pas chaud du tout ici. Je voudrais bien vous envoyer un peu de ma fraîcheur et de ma verdure normande. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 30 Août 1852

J’ai dîné hier à Lisieux avec l'Évêque, son clergé et les gros bonnets de la ville. Le clergé toujours bienveillant, pour le président. Les laïques sans enthousiasme pour l'Empire et craignant qu’il n’amène la guerre. Tout le monde sensé dans un horizon bas et court. La conversation ne s’arrêtant pas sur la politique et cherchant, d’un sentiment général à se porter ailleurs ; tantôt sur les questions économiques, tantôt sur les questions religieuses. C’est un assez amusant spectacle que de voir ces bourgeois au fond très peu dévots quoique respectueux essayer de prendre intérêt à la querelle des auteurs chrétiens et des auteurs païens, aux citations des pères de l'Eglise, et à la tenue des synodes des prêtres du diocèse.
Avez-vous lu un article du Globe sur les affaires d'Orient, France and Turkey, bien fait et curieux ? Il me paraît que le renvoi de Rachid Pacha, s'il est sérieux ne tournera qu’à votre profit. Plus on ira, plus on sentira la faute d'avoir relevé solennellement cette question des Lieux Saints. La politique de la France en Turquie depuis vingt ans est un tissu d'inconséquences et d'étourderies.
J’étais moi-même dans cette mauvaise voie, en 1840, jusqu'à mon ambassade en Angleterre. J’ai essayé d'en sortir de 1840 à 1848 en me tenant tranquille en Orient, et en n'y traitant aucune question que de concert soit avec la Porte elle-même, soit avec toutes les grandes puissances Chrétiennes quand il fallait agir contre la Porte, c’est-à dire sur la Porte, malgré elle. Il n’y a pas autre chose à faire, tant qu’on ne sera pas décidé à fondre, avec du canon, la cloche. de ce pauvre Empire. On s'en apercevra. pour la seconde fois, lorsqu’on se sera mis, pour la seconde fois, dans quelque mauvais pas, comme il nous est arrivé en 1840 à propos de Mehemet Ali.
Le Moniteur, est un peu embarrassé à parler convenablement du déplacement du monument élevé au Duc d'Enghien dans la chappelle de Vincennes. C’est une pauvre raison à donner de ce déplacement que la nécessité de faire plaisir aux artistes " en rétablissant la symétrie des belles lignes architecturales du temple bâti par St. Louis. " Une phrase sur " le respect qu’on doit à la cendre des morts " n’est pas une compensation suffisante. Il ne fallait pas toucher du tout à la cendre de ce mort-là. Elle brûle encore et brûlera toujours quiconque y touchera.
Pourquoi M. de Persigny est-il à Londres ? Est-ce, comme, on l’a dit, pour le traité de commerce qu’on a tout récemment démenti ? J’ai peine à le croire. Il y a là des intérêts puissants, et auxquels il est aussi imprudent de toucher qu'au monument du Duc d'Enghien

11 heures
Voilà le facteur et le général Trézel qui m’arrivent à la fois. Je n'ai que le temps de vous dire Adieu, et adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, dimanche 22 Août 1852

Ce mauvais temps continu me déplait ; il gâte les blés du mon fermier qui ne me paye pas et moi, il m'enrhume ; j’ai la gorge prise depuis quelques jours ; je tousse beaucoup le matin. Je vais faire venir quelques bouteilles d'Eaux bonnes. C'est mon remède habituel. Mais probablement les remèdes s’usent à mesure qu’on s’en sert, et surtout à mesure qu’on vieillit.
Que signifie la nouvelle chute de Reschid Pacha ? Je suis enclin à n’y voir qu’une comédie, car Ali-Pacha, qui le remplace a toujours été son homme, et tout-à fait dans la même politique Turcs et Français ne savent comment se tirer de cette question des lieux saints. Il ne fallait pas l'élever, et le jour où l’on voulait absolument l'élever, il fallait commencer par la traiter officieusement avec vous, à Pétersbourg, avec l'Empereur en personne qui, probablement, eût pu être amené à comprendre et que conseillait l’intérêt commun de la Chrétienté. Il est difficile à présent que la France accepte la dernière décision de la Porte, et je ne sais comment fera la Porte pour en prendre une autre.
Je trouve dans les feuilles d'havas un petit article qui indique que le Gouvernement est décidé à solliciter indirectement des conseils généraux, des votes en faveur de l'Empire. On s'y félicite beaucoup de la presque unanimité qui s'est manifestée à cet égard dans les conseils d'arrondissement, et on finit par dire : " Cela présage d’une manière certaine que les conseils généraux formuleront à leur tour cette même pensée plus explicitement et plus unanimement encore. "Les feuilles d'havas sont plutôt adressées, aux fonctionnaires qu'au public, et elles donnent des instructions plus que des nouvelles.
Je vois que Lord Cowley est allé à Londres. Est-ce pour les propres affaires ou pour celles du public. Ce retard prolongé de la réunion du Parlement n’a pas bon air. On concevait le retard des élections, pour les préparer ; mais à présent que les élections sont faites pourquoi en faire attendre le secret ?

Onze heures
Vous répondez à ma question sur Cowley. Quoique je le connaisse peu, je le regretterai s’il s'en va. C'est plus sérieux que Lord Malmesbury. Je viens de prendre un verre d’Eaux bonnes J'en avais apporté. Je vous quitte pour aller me promener un peu avant déjeuner. On dit qu’il le faut. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Mercredi 1 Oct. 1851

Je reviens à ce qu'on vous à dit des alarmes de Thiers. Quoique je le sache très prompt et crédule en fait d'alarmes, il a trop d’esprit pour avoir toutes celles des badauds. Il faut que les coups d'Etat aient été et soient encore dans l’air de l'Elysée, plus que je ne l'ai cru. Je persiste cependant à n’y point croire. On en parle probablement beaucoup ; on les arrange, on les discute ; on ne les fera pas. Race de bavards pleins d'imagination, qui s'amusent de leurs plans et s'enivrent de leurs paroles, mais à qui les plans et les paroles suffisent.
Il m’est bien revenu quelque chose de cette fameuse lettre de Thiers dont vous me parlez, et que Normanby a montrée à Rogier. Mais je n'en sais rien que d'incomplet et de vague. C’était, je crois une désapprobation de la lettre de Rogier. Si vous pouvez me donner, à ce sujet quelques détails un peu précis, soyez assez bonne pour me les donner.
Je vois qu’on me fait aller tous les jours à Champlâtreux et assister à toutes les réunions possibles. L’Assemblée nationale a bien fait de rappeler que je suis ici fort tranquille. Je suis très décidé, et très hautement contre la proposition Créton ; mais il ne me convient pas de paraître toujours présent, et actif dans les réunions purement légitimistes, où on la repousse. C’est une malice de Thiers ou de ses gens à l'adresse de Claremont.
Je vous ai dit que Montalembert m'écrit qu’il n’est pas prêt pour son discours qu’il devait m’apporter ici à la fin de septembre. " Je suis bien confus d'avoir à vous avouer aujourd’hui que je n'ai pas encore terminé ce travail. Pour me justifier, je dois dire que j’ai été indisposé au commencement de la prorogation puis distrait et absorbé par une foule de devoirs et d'ennuis électoraux. Cela ne diminue pas le remords que j'éprouve de ne pas vous tenir parole. Je viens donc vous demander humblement quelques jours de délai. "
Je parie qu'il ne sera pas prêt avant la fin d'octobre. Assez grand ennui pour moi, car je ne puis pas faire mon discours sans avoir vu le sien et il me faut bien autant de semaines qu'il lui a fallu de mois, et un peu de loisir. Ce discours sera fort écouté. Il faut qu’il soit bon.
Montalembert ajoute : " J’ai pris la liberté de faire remettre chez vous tout ce que j'ai jamais dit ou écrit. Il y a beaucoup de générosité de ma part à vous faire cette communication aussi complète, car vous pourrez y trouver plus d'une attaque contre vous et contre le Gouvernement que vous dirigiez. Mais la révolution de Février, si elle m'a donné raison sur quelques points, vous a si bien vengé sur tant d'autres qu'il ne saurait rester de ressentiment dans votre cœur contre ceux d'entre vos anciens adversaires qui étaient au fond vos alliés naturels. "
Il a bien raison. Je n’ai pas le moindre ressentiment contre lui. Je suis assez frappé du Firman de la Porte. au Pacha d’Egypte contre le chemin de fer d'Alexandrie à Suez. Je croyais à Sir Stratford Canning plus de crédit à Constantinople. C'est un gros désagrément pour Lord Palmerston qui met à ce chemin beaucoup d'importance. Vous verrez qu’il finira par prendre le parti d'Abbas Pacha contre le Sultan, comme nous avons pris en 1840, le parti de Méhémet Ali. Êtes-vous pour quelque chose dans cette résistance si décidée de la Porte, ou n’est-elle due qu’au travail de Paris et de Vienne ?

Onze heures
Merci de votre lettre très intéressante. Et j'en remercie aussi un peu Marion, excellent reporter. Le mot, si je ne me trompe est plus poli que celui de rapporteur. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 8 nov. 1849
8 heures

Je fais dire au Duc de Broglie, ce que pense Flahault. Je ne vous réponds pas qu’il le fasse. Il est dans une disposition à la fois, très amère et très réservée, de plus en plus dégouté de se mêler de ce qui se passe, en quelque façon que ce soit soit pour nuire, soit pour servir. Je suppose que Lord Lansdowne ne compte pas rester longtemps à Paris. Il serait bien bon en effet qu’il vît les choses telles qu’elles sont réellement. Je ne sais pourquoi je dis cela, car je ne pense pas qu’il résulte grand chose à Londres de son opinion sur Paris, quelle qu’elle soit. Il est de ceux dont le bon sens ne sert à rien quand il faut qu’ils fassent un effort pour que leur bon sens serve à quelque chose. Je suppose aussi que de Pétersbourg, on ne fait pas grand effort pour empêcher, en Hongrie, les exécutions qu'on déplore. C'est le rôle des sauveurs de déplorer et de ne pas empêcher, de nos jours, la Restauration a fait cela en Espagne, la République à Rome ; et vous en Hongrie. Cette affaire des réfugiés hongrois finit bien pour vous. Il était bon à l'Empereur d'avoir à se plaindre de l'action anglaise, et de le faire un peu haut. La République française, sans l'afficher ouvertement, en ayant même l'air de ne pas le vouloir, vous aidera beaucoup à faire de la Turquie votre Portugal. L'état de l'Europe vous est bien bon. L’Autriche sauvée par vous, la France annulée, vous n'êtes en face que de l’Angleterre. Si vous ne faites pas trop de boutades, vous gagnerez bien du terrain. Le refus de la présidence décennale et d’une bonne liste civile est une preuve sans réplique qu’il y a parti pris pour l'Empire. Quand ce jour-là viendra, la partie sera difficile à jouer pour tout le monde. Président, assemblée et chefs de l’assemblée, armée et chefs de l’armée, sans parler du public, pour qui rien n’est difficile, puisqu'il ne fait rien et laisse faire tout. Ce sera l'une de ces grandes eaux troubles, où les petites gens habiles font leurs propres affaires, et ceux-là seuls. Donnez-moi, je vous prie si vous pouvez quelques détails sur ce terrain que je trouverai pour mon propre compte, et qui vous indigne. Je le vois d’ici en gros ; mais il est bon de savoir avec précision, et d'avance. J'en serai plus instruit qu'indigné. J’ai une indignation générale, et préétablie qui me dispense des découvertes. Mad. Austin est à Paris. Elle a trouvé à Rouen, M. Barthélemy, Saint Hilaire qui l’a fort rassurée, et qui l’y a conduite. J'attends aujourd’hui des lettres qui me feront, je pense prendre un parti à peu près précis sur le moment où j'en ferai autant.

Onze heures
Les lettres que je reçois me disent à peu près toutes comme Sainte Aulaire, et le duc de Noailles. Je me tiens donc pour à peu près décidé pour la fin de la semaine prochaine. N'en dîtes rien. Ce sera un charmant jour. Adieu. Adieu. Adieu. G.
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