Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Collection : 1852 (1er juin-13 novembre) : Guizot historien, liberté de ton et d'analyse (1850-1857 : Une nouvelle posture publique établie, académies et salons)

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 8 Septembre 1852

J’ai vu hier M. Fould, trés engraissé, très content, très confiant très puissant. Il ne bougera pas de Paris pendant le voyage du Prince tous les autres ministres se relayeront à tour de rôle auprès de lui. Fould reste pour répondre de tout et pourvoir à tout. Il est très content de la disposi tion du pays. Partout l’autorité puissante, obéir, les populations contentes. Ce n’est pas lui qui a rédigé l’adresse de son conseil général c’est M. d’Aguilleau. Il en rit. On ne parle pas d’Empire. Le Prince sait fort bien ce qui est dans son intérêt. Il fera attendre. Il a plus d’esprit que les autres. Le voyage sera une ovation. Il regrette la guerre au Times, cela ne continuera pas. On exécute doucement les décrets. Je n’ai dit que deux choses : que le Prince se conduise toujours dans son intérêt personnel, & il a trop d'esprit pour ne le pas connaître. Et puis qu'il laisse tranquille son oncle. Il en a assez parlé. Il a le droit de parler de lui même. J'ai bien relevé aussi l’impatience des ennemis de le voir empereur. Cela a déjà frappé. Voilà en raccourci. Il n’a pas été question de mariage.
Je suis charmée que Fould reste. J’ai été hier soir un moment chez Mad. Salovoy. Fête, illu mination, bal. 18 Hongrois musiciens admirables, dans leur costume pittoresque j'y ai été pour les entendre. à 10 h. j'étais dans mon lit. Aggy a remis son voyage à la semaine prochaine. Les Delmas restent, Kolb reste donc aussi. On regrette à Berlin que Manteuffel n’aie pas donné sa démission, vu le secret que le Roi lui a fait de la faveur rendue à Radowitz, il aurait eu avec lui l’opinion, la bonne qui est toujours la plus puissante en Prusse. Madame de la Redorte croit que le coup porté à Molé par le [?] de camps de Kalerdgi est plus fort encore pour [?] que le 2 décembre. Adieu. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Samedi 6. Nov.

Le Sénat n’a pas siégé hier mais la commission qu'on dit très hostile à Jérome. Le Prince Président est venu à l’Elysée tenir un conseil des ministres pour chercher à concilier. J’ignore ce que ce conseil a décidé. Le sénat se réunit aujour d’hui pour entendre le rapport, discuter, & statuer. L'archevêque de Bordeaux, le duc de Mortemart un grand nombre de Sénateurs ont parlé vivement au Prince contre son oncle. Jérôme était hier très inquiet du Sénat mais très confiant dans la sincérité de son neveu. Je trouve qu'en se rendant au voeu de Sénat il y au rait profit pour le Président et pour tout le monde. Nous verrons dans quelques heures. Mon neveu Constantin est envoyé à Londres pour assister aux obsèques, c’est tout frais. Adieu. Adieu.

Le 11 les ministres anglais seront obligés de se déclarer pour le free trade, ou ils seront renversés.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 9 octobre samedi 1852

Ah quelle rude besogne de gouverner une fille anglaise ! Elle voulait s'échapper tout de suite seule, sans rien ; de ces têtes folles qui suivent leur impuls sans plus. J’ai été fort résolu. Le père m’a armé de son autorité. Il ne faut pas qu’elle parte. Une lettre de vous sera bonne, & n’arrivera pas trop tard. J’espère, car je ne réponds de rien pour moi, cette lettre de toute la journée m’a renversée. J’ai bien besoin de cette agitation de plus. Je n’ai pas mangé et je n’ai pas dormi. La veine de malheures n’a pas tarie encore pour moi.
Hier on disait qu’en même temps que le Prince se fera empereur, il sera roi d’Algérie. Une garde algérienne équivalant à garde impériale. On dit beaucoup de choses. Je croirai ce que je verrai. M. de Caumont est venu me voir. Les Sénateurs iront tous à la rencontre. Le Chancelier est ici. Il est venu le matin, le soir. C’est trop. Je vois qu'étant la seule ressource, il m'ennuiera souvent. S'il n'était pas sourd je ne me plaindrais pas. Je suis très tracassée et bouleversée.
Lady Holland m'est d'un grande aide auprès d'Aggy. Elle a très bon coeur Lady Holland, et elle est très intelligente. Adieu. Adieu, venez à mon secours aussi, et écrivez.
Voici les paroles du Père. Keep Aggy with you by all means. At this season her coming might a danger her & it would only add sorrow to sorrow. If it will be comfortable to her. We shall contrive to get Marion over with her uncle shortly as he is going. Vous voyez d’après cela mon droit et mon devoir de la retenir, et son devoir à elle d’obéir à ses parents.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Je serai à votre porte à 1 ¾. Ce sera un bon moment pour causer. Seulement ne me parlez pas de ma santé. Cela m’attriste ou m’impatiente et l’un et l’autre ne me vaut rien. Adieu
Samedi 13 nov. 1852

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris samedi le 14

Vous n’avez pas idée de la grandeur, splendeur, variété, des préparatifs pour demain. C'est immense. Ils coûtent déjà plus d’un million. Je marche un peu mieux, et toujours très mal avec des bras.
Hier soir j'ai vu beaucoup de monde, Hecken entre autre, disant que Fould est premier ministre et s’en réjouissant. On ne parle pas volontiers du mariage. Et on dit qu' on n'y a jamais sérieusement pensé. Je commence à croire qu’il ne se fera pas. La Princesse Schoenbourg est ici, très changée. La Comtesse de Brandebourg amie intime de l’Impératrice est arrivée aussi. Et la princesse Paskévitch, en voilà des princesses !
L'Électeur de Hesse est arrivé que fera-t-il ? On est ennuyé de cela. S'il ne fait pas visite on pourrait l'envoyez promener. S'il la fait que diront ses camarades ? L’enfant de Tolstoy n’est pas mort. Il y a un peu d'espoir. La visite de la reine d'Angleterre, semble être de l’intention, marquer la protection.
Je vous écris à bâtons rompus. Je suis dans les horreurs de maîtres d'hôtel. Ah quels tracas pour une femme & seule sans conseil. Adieu. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 18 Septembre 1852

La Consultation a été longue tout le traitement est changé. Comme cela inspire confiance ! Enfin, je ferai encore ce qu’on m'ordonne. M. Fould est venu hier soir. Il dit que le Moniteur atténue encore l’enthousiasme. Il a parlé avec quelque aigreur de la Belgique. A son retour du voyage le Prince après avoir encore résidé à St Cloud et Fontainebleau, s’établira pour 3 mois de l'hiver aux Tuileries. On prépare pour lui l’appartement du Roi au rez de chaussée. Voilà toutes mes nouvelles.
Le vieux Prince Wolkonsky ministre de la maison de l’Empereur est mort. Le Prince Crénicheff ministre de la guerre se retire comblé de richesses & d’honneurs héréditaires pour sa descendance. Choses nouvelle chez nous, pour les dotations de pensions et & Ellice écrit que Lord John Aberdeen, & Graham marchent ensemble, que Lord Palmerston ignore lui même comment il va marcher. Qu’il sera très incommode au Parlemen et que c’est là sans doute sa vocation pour le reste de sa carrière. Voilà une visite. Adieu. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 18 Septembre 1852

J'ai oublié de vous dire tantôt que j’ai lu l'Assemblée nationale. L’article sur le duc de [Wellington] m'a beaucoup frappé. Comme il est bien fait.

19 Dimanche. Je suis très engourdie depuis hier soir, un demi-sommeil perpétuel, et pas moyen de manger, je ne veux plus de rien. Voilà le premier effet des nouveaux remèdes. C'est un peu excessif, & je ne sais pas si ces messieurs sont dans la bonne. route. Je continue à obéir.
Morny est venu hier et est resté deux heures. Très intéressant. il ne doute pas de l’Empire, tout en raisonnant comme moi. Toutes fois l’année finira encore en république. Tout le monde est frappé de l’article de l'Assemblée nationale sur Wellington & Napoléon. Je l'ai donné à Morny. Il est irréprochable, mais il donnera de l’humeur. Le voyage est en fin roulant d'enthousiasme. Cela devient monotone, je désire que cela reste monotone. J’ai vu peu de monde hier ; le soir rien que Kalerdgi Dumon et Kisseleff. La chaleur hier était étouffante. Votre lettre ce matin me plait.
A moi aussi le dernier moment a laissé un souvenir bien doux. J’étais restée plus triste que satisfaite des 3 jours. Ceci a effacé et j'ai le coeur remis en place.
J’ai eu une lettre de Paul. On veut qu'il fasse une sorte de noviciat qu'il passe quelque temps à Petersbourg avant de reprendre la carrière active. Cela ne me plait pas du tout ni à lui, & pour commencer sa santé ne le lui permettrait vraiment pas en hiver. Nous verrons tout cela se débrouiller au retour de Nesselrode dans un mois. Il est dans le ravissement de Castellane. Adieu, pas de nouvelles ce matin. Je ne verrai du monde qui dans la soirée. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Samedi le 21 août 1852

J’ai montré à M. Fould quelques passages de vos lettres où vous me parlez de lui. Il a été très flatté et touché, et frappé de beaucoup de vos observations. A propos de lettres et de citations en voici une de Meyendorff de Vienne. Je vois ici de temps en temps des légitimistes qui se fâchant quand je leur dis que le Prince Président à la vocation de rendre la France gouvernable et de réparer le mal produit par les idées de 89, 1814, 30, & 48.
La princesse Schonberg dîne aujourd’hui à St Cloud. Madame Kalerdgi va arriver dans quelques jours mais pour lever le camp. Elle abandonne Paris for good. Elle a acheté un château prés de Francfort, ce sera sa résidence. Cet hiver elle le passera à Pétersbourg. On dit qu'à Kissingen son langage a été fort hostile à ceci. Elle en partait éprise, (de ceci). C'est une tête sans le sens commun. J’ai vu hier soir Halkeren entre autres, on ne parle que de Thiers tout le monde est curieux de le voir et on n’ose pas s’aventurer ; les uns par crainte de la cour, les autres, de Mad. d’Osne. Hekern est de ceux-ci, les diplomates de ceux-là. Thiers a tout de suite couru chez Mad. Schach, elle l'a trouvée embelli et ravi. Mad Rothschild est auprès de Changarnier. L'Électeur est reparti. On a fait semblant de l’ignorer ici. Stockhausen part aujourd’hui. C'est une vraie perte pour moi il restera [?].
Vous ai-je dit que Lord Cowley est parti pour Londres, le prétexte de son fils, mais au fond pour voir clair dans sa situation ? Or il paraît probable que St. Canning aura les aff. étrangères (détestable choix) & Malumberg Paris. Alors Cowley à Constantinople. Bulwer ira sans doute en Amérique régler le différend. Il pleut depuis deux jours c’est bien ennuyeux. Je me suis très affaiblie ; voilà maintenant mon mal. Quel remède ? Adieu. Adieu.
Hier je n’ai pas pu vous écrire. J’avais écrit une longue lettre à l'Impératrice, et puis est venu une visite et il n'y avait plus moyen avant la poste. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 23 octobre

J’ai vu hier M. Fould. Je lui ai raconté le commérage Holland sur Jérôme. Impénétrable sur cela commence sur le reste. Il me renvoye au Sénatus consulte le 6 novembre. Montalembert va dit-on donner sa démission et quelques autres aussi. Fould croit beaucoup au rapprochement plus on moins prochain des nombreux des légitimistes. Lovenjelen a eu une audience en présence de [Drouin] de Lhuys. Le Prince lui a demandé combien il avait vu de [Ministres des affaires étrangères] en France depuis qu’il y réside. 32. - Arrêtez-vous à ce chiffre celui-ci vous restera.
Dumon est venu me dire Adieu hier. Le Chancelier est un peu malade. Mad. de Boigne est revenu. Thiers exhorte les Mahon partout. Je crois que rappeler qu'en effet le Lord maire roi de la cité ne cède le pas qu'au roi, la reine aujourd’hui. Adieu. Adieu.

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Paris le 25 Septembre 1852

J'ai demandé hier au nonce des détails sur l’entrevue à Rome. Les journaux sont bien renseignés. Cela s’est passé comme cela. Quelle impertinence ! Exiger les dossiers pour se faire juge d'une affaire jugée par un [gouvernement] étranger. Je suis bien aise du fiasco. J'ai une lettre de Meyendorff que je vous enverrai quand je l'aurai bien déchiffrée. Le [général] de l’Etang envoyé d'ici a dîné chez Buol avec la Duchesse de Parme. Elle a été charmante pour lui. J'ai revu hier le duc de Noailles. Il a été cause que je vous ai quitté si brusquement. Il est très décidément pour la léthargie. Vous voyez que le voyage est fabuleux. Grenoble et Valence dépassent tout ce qui a précédé. La [grande duchesse] de Mecklembourg est venu hier me faire visite. Grande politesse car je n’y ai pas même été par carte ni rendu visite à sa fille. C'est une bonne femme, animée, en train, curieuse. Mais trop shy pour venir dans mon salon. Je crois que l'absence de Kisseleff sera bien courte. Adieu et adieu.

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Paris samedi le 28 août 1852

La journée hier a été un peu meilleure, mais je n’ai pas dormi la nuit. Je viens de prendre mon premier bain de Vichy, je compte être bien docile, mais je le serai sans confiance. Molé est venu hier soir, une vraie surprise. Il dit qu’il est venu pour moi naturellement je ne le crois pas. Il part ce matin pour Maintenon. Viel Castel m’a dit adieu. Il est allé passer quelques semaines chez Piscatory. J’ai vu Hubner deux fois, il est peu communicatif. Très présidentiel. Il n’y a pas eu de dîner à Vienne le 15. M. de Lacour n’y était pas. La messe le matin dans une église de la paroisse et pour les Français seuls. A Londres la légation de Prusse s'est excusée du dîner. Antonini est venu me dire adieu. Il part ce matin pour Naples. Impossible de continuer. Adieu

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Paris samedi le 4 Septembre 1852

Si je vous avais écrit hier je ne vous aurais parlé que de mes souffrances, j’ai préféré me taire. Mauvaise journée. Je ne vois pas que ma docilité me profite, et je continue cependant à faire tout ce qu'on m'ordonne. Molé est venu ici deux jours de bonne heure avant huit heures, ce qui me donne de longs tête-à-tête. Il est fort triste, & stérile. Mais sa conversation me fait un grand plaisir. Je suis trop accoutumée aux gens d’esprit, et je crois vraiment que c’est cette absence qui est pour beaucoup dans mes maux. Mad. Kalerdgi n’est pas arrivée encore. Il l’attend. Tant mieux pour moi. Je crois que Fould doit arriver aujourd’hui. Je ne saurai que tantôt le dîner d’hier à St Cloud. La petite princesse vient se promener avec moi. Je vais toujours à Bagatelle. Je prends mon livre & je reste là couchée. Je lis la Restauration avec un grand plaisir. Recom mandez moi quelque autre lecture après. Beauvale me mande que sa soeur a été à la mort, elle est hors de tout danger. Je répondrai très sincèrement à votre question. Mon amitié est très refroidie, et il ne reste si peu que j'ai peur de convenir qu'il y eut en difficulté pour des larmes. C'est bien mal ce que je dis là. Pas de nouvelles du tout. Adieu. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 11 Septembre 1852

J’ai vu hier soir M. Fould mais il y avait du monde, trop ou pas assez pour une causerie tête-à-tête ; je ne sais donc rien, seulement j' ai remarqué qu'il n’avait pas l'air de bonne humeur. Persigny est revenu de son voyage parfaitement remis et bien portant. Il part le premier avec le Président et reste auprès de lui 6 jours. Mad de Contades va à Lyon faire les honneurs chez son Père. A la soirée chez la Princesse Mathilde où était le Président ; [Kisseleff] a pris congé de lui, car il va à Petersbourg dans un mois. Il n’y avait pas d’autre diplomate. La plupart des ministres et Morny, très gai. Kolb vient de voir aux Champs Elysées une revue de cinq régimes passée, par le président. Cris unanimes de tous, vive Napoléon vive l’Empereur avec un très grand entrain ; il avait l'air d'avoir crié aussi. Voici votre lettre, c’est bien court, me quitter vendredi déjà ! Aggy ne me reviendra que Mardi 21. Je ne sais vraiment rien. J'ai peur de vous dire que je crois que les forces me reviennent car cela me les ferait perdre sans doute demain. Adieu. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 1er octobre 1852 Vendredi

Lord Cowley a parlé du lac Français à [Drouin de Lhuys] celui-ci a éludé et regretté. Vous voyez que le Moniteur ne donne pas le discours, mais le mot est lâché. Montalembert était encore ici hier soir, et j’avais vu Mouchy le matin, tous les deux s'étonnent du décret qui alloue 2 millions 1/2 pour la Cathédrale de Marseilles. Le corps législatif n’a donc rien à faire.
Le fils de Mad. Osmond s'est fracassé la main à la chasse on l’a amputé. C’est bien triste 21 ans, un charmant garçon. Je ne puis pas continuer je me sens si malade.

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Paris le 5 Novembre 1852

Séance très orageuse hier au Sénat c.a.d. dans les bureaux. Grands hostilité contre Jérôme si on avait voté hier il ne passait pas. Lui et son fils ont couru à St Cloud. Abel Kader y dînait. Le conseil des Ministres a été convoqué là pour 10 heures du soir. A midi aujourd’hui le Sénat se réunit. On verra s'il s'obstine. Cela pourrait être à la convenance de tout le monde, je ne sais, mais hier on était bien agité Que dites-vous du message ? Je suis très contente de Cowley. Il prêche l’union et l’identité de conduite et de langage Mess. de Caumont & Beauvale sont venus chez moi au sortir du Sénat. Et toute la journée j’ai vu tout le monde. Ah que je voudrais voir revenir [Kisseleff] Il y aura des Princes de la famille à voter. Tous les généraux sont contre Jérome. On ne veut que deux articles, hérédité directe, adoption dans la famille B. Napoléon III c’est consacré. Adieu. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 8 octobre 1852

Je donnerai cette lettre à votre petit ami. Mais elle ne méritera pas une si bonne occasion. J’ai vu du monde. Je ne sais pourquoi l’idée s'établit, qu’il n’y aura pas d'empire de sitôt. [Kisseleff] s'en va persuadé de cela tout-à-fait. D’un autre côté hier soir Valdegamas affirmait que le Pape viendra sacrer l’Empereur. Le Nonce qui était là, a seulement répondu que dans son discours de Lyon le Prince a rappelé que l’Empereur Napoléon a été sacré par le Pape. J’ai trouvé cette réponse un peu compromettante.
Je ne sais rien d'Angleterre. Je ne crois pas que Cowley ait été dans le cas de reparler du lac. Le duc de Noailles est venu pour un moment. Il n’a plus qu'une idée fixe. La peur qu'on n'assassine le Président. Il ne pense pas à autre chose. Il voudrait lui donner 50 ans de vie & de pouvoir. Si l’Empire se fait, le chiffre sera une question. N. III effacerait les deux monarchies, cela n'est pas admissible. Louis Napoléon serait le plus naturel.

Midi 1/2 Dans ce moment je reçois une lettre d’Ellice père qui m’annonce la mort de Fanny. Je suis dans un grand trouble pour cette pauvre Aggy. Comment le lui dire ? Enfin je m'en tirerai. Le père me prie ou supplie de la garder chez moi c’est bien ce que j’entends, mais comme je crains son élan vers Marion écrivez lui un mot (à Aggy) Very impressive à votre façon pour lui dire que vous savez que son Père veut absolument qu’elle ne retourne pas, et que par dessus le marché ce serait cruel & inhumain de m'abandonner malade. Enfin regardez comme impossible qu'elle songe à me quitter même pour 8 jours. Tout à fait inutile. Je vous prie écrivez bien. Le Père veut que Marion vienne ici avec l'oncle en décembre, il m'a l'air d’avoir grande envie de se débarrasser de ses enfants. Adieu. Adieu vite.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris vendredi 13 août 1852

Je ne sors pas des émotions. Hier l’enfant de Tolstoy agoni sant. J’y ai envoyé Aggy quatre fois. Le père incapable de rien faire, sanglotant, bon à rien qu'a pleurer. Je ne sais pas aujourd’hui.. Elle vient d'y aller.
J’ai vu hier Fould très longtemps j'ai été très contente de sa conversation. Sa situation est grande, importante ; il le sent et se conduira là avec honnêteté et habileté. Il est de fait et même de forme premier ministre. Les autres lui rendent compte de tout, c’est lui qui règle l’ordre du jour pour le Conseil que le Prince préside deux fois la semaine. L'idée du Prince est qu’il n'a besoin véritablement que de deux ministres. Celui-ci le ministre d’état résumant le travail de tous les autres, & le ministre de la police sachant lui tout et rapportant tout. Les collègues de Fould sont très bien pour lui et acceptent volontiers la supériorité de sa situation. Il voit le Prince tous les jours. Personne aujourd'hui n’a plus que lui des allures intimes. Il n'en abusera pas. Il a certainement l’esprit très bien fait.
Le Prince partira le 10 7bre pour sa tournée du midi. Une absence de 20 jours. On regarde comme moi Persigny comme très malade. Il ne reprendra pas de sitôt les affaires. Il est abîmé. Il rentre les fêtes & voilà tout. pour Dimanche 15 te deum à la Madeleine. Le Corps diplomatique en uniforme y assistera. Revue de la garde nationale sous mes fenêtres. Jeux, joutes nautiques, tout le jour. Grand dîner diplomatique aux aff. étrangères. A 9 h. le corps diplomatique en grand uniforme, viendra rejoindre le Prince à l'hôtel de la [Marine] pour le passage du Mont St Bernard. Les préparatifs sont immenses. Il faut voir ce qu’en dira le bon Dieu. Moi je souhaite bien du beau temps.
On ne parle plus du mariage. On dit sourdement que l’Autriche empêche, je ne saurais le croire Hubner a dîné à St Cloud, avant-hier, très bien traité. Interrompue, Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Le 15 octobre

Je brave la consigne cela m'ennuie. L'effet du discours est grand et bon. Tout le corps [diplomatique] content. Je les ai tous vus. Cowley dit un chef d'œuvre. [Drouin de Lhuys] lui a dit que cela devait effacer le lac français petite flatterie qui a fait son effet. Hubner content aussi avec la remarque que ce qui est une sécurité pour l’Europe est également une satisfaction à la France, il a parlé pour plaire extra et intra muros. Pourquoi ne pas croire à la sincérité ? Ou pour le moins dire qu'on le croit. Persigny est venu me voir bien content, il y a de quoi ; tous ses [?] qu’on regardait comme autant d’extravagances accomplies. C’est enivrant et cela ne l'enivre pas du tout, au contraire pour la première fois je l’ai trouvé très modeste. Lui et son maître sont les moins étonnés de tous. Ils savaient que cela devait être et ils prennent cela très tranquillement tout cela tient de la fable et c'est bien cependant une réalité.
Je vois Fould souvent, très occupé. Et très content. On dit que Jérôme l'est, puis il affecte de l'inquiétude. Le Prince entre demain aux Tuileries, il y trouvera sa famille. Ensuite il ira dîner et coucher à St Cloud. Après viendront les conseils de Ministres, où l’on décidera l’époque & le comment. Personne ne le devine encore, et les ministres pas plus que les autres. Seulement Fould me dit : il n’est jamais pressé. Paris sera très en fête demain. Des arcs de triomphe partout. [?] sous mes fenêtres à l’entrée du jardin. Je ne sais rien de la Princesse de H. Sigmarignan. Mais évidement il faut une femme mais Le nonce est embarrassé mais quand on lui demande si le Pape viendra, il ne dit pas non. Le départ de [Kisseleff] me désole et désole Hubner. Hatzfeld revient dans huit jours. [Kisseleff] est parti sans connaître le discours. Que j’aurais de drôleries à vous raconter et elles seront perdues oubliés quand nous nous reverrons. Aggy a reçu l'ordre formel de rester. Elle reste, plus tard Marion viendra. Je vois Andral tous les jours & je vais tous les jours pire. Adieu.
Voilà tout ce que mon oeil me permet de vous écrire. Aggy redemande la lettre de sa sœur. Envoyez-la moi.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Voici Lord Sidmouth et un volume de Louis XVI publié par M. de Falloux, et qui doit vous intéresser. Je vous demande un peu de soin pour ce volume-là que je ne voudrais pas perdre. Mais vous êtes très soigneuse.
Je vous ai quittée vite, triste de vous quitter et de vous laisser triste, ne dites pas, ne pensez pas que nous ne nous reverrons pas. Nous nous reverrons. Nous retrouverons nos conversations intimes. Vous êtes très souffrante, mais très vivante dans votre faiblesse. Je ne vous dis pas tout ce que je pense et sens à votre sujet. Je crains de vous émouvoir. Je crains vos impressions. Au revoir dearest, ever dearest. Adieu, Adieu. Au revoir. G.
Vendredi 17 sept. 1852 6 heures

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Vendredi le 22 octobre

Je vous assure que je traite Aggy avec tendresse et sympathie. Le père Ellice m'écrit lettre sur lettre pour m’en remercier. Nous parlons sans cesse de la famille. Le frère est ici à présent. Je suis très bonne pour lui, & tout cela marche avec convenance & amitié. Merci toujours de l’avis. Jérôme a dit hier à Lord Holland que le [S. Cte]. le déclarerait héritier présomptif & son fils après lui. Eux deux seuls princes de Sacy & [Altesse] . 2 millions de rente. Il est au comble de la joie. Nous verrons si c’est vrai.
Ce soir le Prince va aux Français. Melle Rachel lira une pièce de vers. L’Empire c'est la paix. Le spectacle sera curieux. Il commence par Cesina. J’ai revu hier le duc de Noailles. La curiosité le ramène à tout moment à Paris mais pour une heure seule ment. Hier il a trouvé chez moi beaucoup de monde, nous n’avons pas causé. Hubner [ment] comme un poisson, malheureux, d’être seul. Hatzfeld tarde. Le Nonce et [Lovenjelen] ont eu hier des audiences du Prince. Frappés tous deux de la transformation. Aussi gracieux & simple que de contenu, mais l’oeil ouvert, vif la parole élevée, l’air satisfait glorieux, radieux. Abdel Kader lui a écrit une lettre où il reconnaît son sujet. Mad. de Contades a fait lecture le soir de cette lettre à St Cloud, style ardent & passionnée reconnaissance. Adieu. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 24 Septembre 1852

Pas de nouvelle du tout à vous mander, quoique j'ai vu assez de monde hier. Le duc de Noailles le matin. Montalembert, Fould, le soir, au milieu d’un cercle assez nombreux. Quelques jolies femmes, une hongroise fort belle. Molé arrive demain et passera ici 6 jours. Le prince George de Prusse vient demain aussi. On me dit que la Belgique ne fera pas de représaille elle laissera les vins & les soieries tranquilles. Montalembert s’est mis en tête que le Président veut quelque conquête en Afrique et il voudrait bien (Montalembert) que l'Angleterre laissât faire sans réclamer. Il a fort peur de la guerre. On commence à se demander qu’est-ce que fera Paris pour le retour du Président ? On dit que ce sera encore pire qu'en Provence. Le mot est je crois de M. de Maupas. Adieu Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Vendredi le 27 août 1852

La Consultation de Chomel a abouti à des bains de Vichy, des pilules, d’autres dragées, tout cela parce que j'ai le foie attaqué. Voilà par dessus mes autres maux. Je suis jaune comme une orange. J'ai fermé ma porte hier soir, je me suis couché à 9 h. et j’ai assez dormi. Le ton a subitement changé ici quand on a sû ( ce qu'on ne sait positivement que depuis avant hier ) que Petersbourg avait été comme Berlin le 15 août. On n'en parle plus, c’est mon avenir.
Voici votre lettre. Je reste dans mon lit jusqu’à midi, j’y [?], je déjeune, je lis, enfin je me repose, & rien ne me repose. Je n’ai pas de nouvelle à vous dire du tout. Il ne se passe rien, on ne parle de rien. Du mariage plus du tout. La nouvelle de salon est la mort subite d'Antonin de Noailles. Et hier soir de la musique et un bal chez Mad. de Caraman. Aggy est bien amusée. La nouvelle Duchesse de Hamilton a passé par Paris, elle ne s'y est arrêté que quelques heures. Dans une rencontre fortuite avec un diplomate dans la rue, elle lui a dit que la princesse de Wasa était partit pour la Bohème où elle passera tout l’hiver. Je vous ai dit qu'on pense pour elle à l’Empereur d’Autriche. Le général Haynau est à Paris. Beauvale m’écrit qu’il croit à la durée du ministère. Il me parle bien petitement de notre ami Aberdeen. C’est difficile de disputer. Adieu, adieu.
Votre réponse au Constitutionnel est très clever. Vous raisonnez très bien. Dans tout cela ce qu'il y a de mieux à faire c’est de se taire à droite et à gauche, mais les Français aiment à parler et à ce qu'on parle d'eux, ce qu’ils supportent le moins c’est d’être oubliées. Je généralise, et je parle pour ceux qui peuvent être oubliés.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 29 octo. Vendredi

J’ai vu hier Cowley. Morny, assez de monde. Callimachi est destitué. Cowley sera je crois absent le 2 Décembre. Il va à Londres pour les funérailles le 20, & ne se pressera pas de revenir. Le corps diplomatique est fort perplexe, je ne sais comment se passera la séance Impériale. Logiquement, rigoureusement, impossible que le [corps diplomatique] y assiste et son absence ne préjuge rien du tout. Mais nous verrons. Je vois par le langage de Morny de Hecken, enfin de tous, que l’on n'évitera pas Jérôme et son fils dans la copie de succession. Jérôme est de nouveau dans le troisième ciel. Il a dit à Lord Holland que tout était convenu. Son fils doit se marier, épouser une princesse. On l’établira en Algérie. Tout ce qu’on dit de promotion de grand dignitaires, grandes charges, est une fable ; l’Empire commencera modestement. Flahaut va venir pour voter pour l’Empire. Le livre de Montalembert me paraît n’avoir pas le moindre succès. On dit qu’il n’a pas le sens commun. Un règne parlementaire à condition qu’il n’y ait pas de libéraux ! Comme je n’ai pas lui je ne sais pas. Valdegamas en parlait très mal hier, et surtout dans le sens que Mont. déraisonne. On dit aussi que c'est écrit avec négligence.
Je vous ai dit qu’Abdel Kader habite mon appartement à la Terrasse ? Adieu. Adieu. On dit de plus en plus à Londres que Palmerston va entrer aux affaires comme Ministre des Colonies. Je n’y crois pas encore.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris vendredi le 10 Septembre 1852

Je n'ai rien recueilli hier si ce n'est une parole de M. de Persigny pendant son séjour à Londres. Il l'aurait dit à Malmesbury que le mariage était arrêté et qu’il ne s’agit plus que de quelques pour parler insignifiants avec le père. Mad. Kalerdgi est très agitée des commérages qui courent ici sur son compte & qui compromettent de plus puissants qu’elle. Le Comte Nesselrode serait hostile au Président, ce qui est faux, mais enfin cela se dit et se croit. Voici huit jours depuis son arrivée, pas de message de St Cloud et quelques [?] de Drouin de Lhuys qui sont déplaisants. Elle était ici hier soir décidée à vider la querelle à fond dans les 4 jours qui restent jusqu'au départ du Président. Hier fête au pavillon Breteuil il n’y avait je crois que Kisseleff de Diplomate.
La Princesse Mathilde déteste Madame [Kalerdgi] c'est un gros paquet de commérages. Mon fils a prêté sa villa aux Creptovitch pour tout l’été. Je crains qu'il ne paye cher l'hospitalité qu’il leur donne. Le séjour de Nesselrode rappelle la possession qui est vue de très mauvais œil. Pas de nouvelle de mes fils depuis longtemps, ce qui me prouve qu’ils n'ont pas besoin de moi. Il y a de grandes princesses étrangères ici incognito. Il y aura peut-être des princes de la même façon dans une dizaine de jours ! Bonne saison pour les voyages. Adieu. Adieu.
Je me réjouis bien de la semaine prochaine !

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 8 Août 1852

Je rentre dans nos habitudes ; je ne numérote plus. C’est un petit travail de chaque matin.
La translation à Brompton est un triste symptôme. On envoie là les [?] dont on n'espère plus grand chose, et qui ne sont pas assez forts ou assez riches pour être transportés à Pise où à Madère. On dit que l’air y est plus doux, et plus égal que dans Londres. Il y a un bal hôpital for consumption.
Pauvre Fanny ! Je suis toujours plus touché de la mort de ceux qui sont jeunes, et qui n’ont pas connu les douceurs de la vie.
Un de mes amis dont vous connaissez le nom, M. Moulin m'écrit : " Mon avis a toujours été et est qu’il ne faut pas abandonner les fonctions de représentation locale quand elles sont gratuites, électives et qu’on peut les conserver ou les obtenir sans trop d'effort."
J'aurais vivement mécontenté par la conduite contraire mon vieux canton de La Tour d'Auvergne que je retrouve fidèle à toutes mes fortunes aujourd’hui comme après 1848, et qui va probablement me réduire à la presque unanimité. J’ai compris d'abord les instructions de Venise comme moyen de modérer l'ardeur du parti légitimiste à se porter vers les fonctions publiques dont il a été si longtemps privé, mais je ne m'explique pas l’insistance avec laquelle, on vient de les reproduire à la veille des élections des conseils généraux. En Auvergne, elles n'ont reçu, elles ne reçoivent aucune exécution ; pas un légitimiste ne s’est retiré ; tous les légitimistes de nos conseils électifs vont y rentrer. Comme nous ne sommes pas un pays de grande propriété, le parti ne peut avoir influencé que par le patronage des intérêts locaux ; il perd toute autorité, toute importance s'il se retire sous sa tente, et sa retraite inspire plus de sarcasmes que de regrets.
Je suis bien aise que Cromwell vous amuse. Je vous en envoie sous bande un exemplaire. Cela a été inséré dans la Revue contemporaine, et ne se vend point séparément. On m'écrit que cela fait quelque bruit à Paris, et j'en juge par la fureur avec laquelle Emile Girardin l’attaque dans la Presse. Les amis du Président, ont tort de s'en fâcher. Cela n'a été écrit, ni pour lui, ni contre lui. J’ai pensé à son oncle en l'écrivant, à lui pas du tout. Il est vrai que l'allusion subsiste à la seconde génération, et que la conclusion est que Cromwell fit bien de ne pas se faire Roi. Si j'étais l’un des conseillers du Président, je lui conseillerais de faire comme Cromwell, qui mourut dans son lit, à Whitehall tranquille, et puissant. Mon conseil déplairait probablement, ce qui n'empêcherait pas qu’il ne fût bon.
Adieu. Je passe mon temps à me promener et à causer avec mes Anglais qui ont l’air de se plaire ici. Ils me quittent, le 15, et je pars le même jour pour aller près de Caen marier M. de Blagny. Je rentrerai chez moi le 13 pour n'en plus bouger. Adieu, adieu.
J’espère que la lettre de ce matin me dira que vous avez marché.

11 heures
Malgré votre lettre, j'adresse encore à Dieppe, Pour vous, je crois que vous serez mieux à Paris d’autant que les chaleurs de l'été me semblent passées. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 9 Août 1852

La pluie n’est pas commode à la campagne quand on a des hôtes à amuser. Je crois pourtant qu’ils s'amusent. Nous avons toujours trouvé jusqu’ici deux heures dans la journée pour nous promener. Ils me quitteront demain soir et j'irai à Caen après-demain matin.
Leurs nouvelles de Londres sont insignifiantes. Sir John est un Whig bien déterminé. Il reconnaît les fautes de son parti, mais il n’en parle pas. Quand la conversation tombe sur Lord John ou sur Palmerston, il baisse les yeux et attend qu’on ait fini.
Le Duc de Bedford, n'a jamais donné et ne donnera jamais un sou à son frère John. Il a pris la passion de thésauriser en s'y livrant d’abord pour payer 700 000 liv. St. de dettes. Maintenant les dettes sont payées, et il a 200 000 Iiv. st. de revenu, mais il thésaurise toujours. Cela ne vous fait rien du tout ; mais je vous dis ce que j'entends, n'ayant rien à vous dire d'ailleurs.
Ou la réserve est bien grande à Paris, ou l’on y est bien résigné au statu quo. On n’entend plus parler ni d'Empire, ni de mariage. Il n’est question que du Conseil supérieur de l’instruction publique et de l’abstention des électeurs aux conseils généraux. Evidemment ceci a beaucoup fâché. On se trompe, si l’on croit que les préméditations, et les influences de parti ont décidé ce fait ; la paresse et l'indifférence y sont pour bien d'avantage. On a mis le pouvoir politique dans des classes qui n’y prennent intérêt que pour tout bouleverser ou pour se défendre d’une crise de bouleversement.
Je plains bien votre neveu Tolstoy. J'espère que ses inquiétudes passeront bientôt. Dîtes le lui, je vous prie, de ma part. C'est un excellent homme.

11 heures
Je vous aime mieux à Paris. Vous y serez plus commodément et mieux entourée. Je regrette qu'Olliffe n’y soit pas. J’espère qu’on vous renverra à Paris un exemplaire du Cromwell que je vous ai fait adresser hier à Dieppe. Cela ne se vend pas. Adieu, Adieu.
Je trouve, on ouvrant mon Journal, la rentrée, des principaux exilés, Fould a bien fait de donner cette compensation.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer 10 Août 1852

C'est dommage que la note du Journal de Francfort sur le prétendu traité du Morning Chronicle, ne soit pas mieux rédigée, elle est pleine de bon sens. C'est de la politique à la fois vraie et prudente ; accord rare. Mais les Allemands ne savent jamais donner, même au bon sens, le mérite de la simplicité et de la clarté.
Je suppose que les exilés ne se le feront pas dire deux fois pour rentrer. Il me revient que Thiers s'ennuyait autant en Suisse qu’en Angleterre. Mes Anglais me disent qu'à Londres, son ennui avait fini par devenir un sujet de moquerie générale. Les Anglais seuls, à mon avis n'avaient pas le droit de s'en moquer eux qui s'ennuient tant, et chez eux plus qu'ailleurs.
C'est surtout pour Rémusat et Lasteyrie que ceci me fait plaisir ; ce sont d'honnêtes gens peu riches, que l’exil dérangeait beaucoup et qui le supportaient dignement.

11 heures
C'est dommage, en effet que vous quittiez Dieppe au moment où M. de Persigny y arrive. Les conversations auraient été intéressantes. D’autant qu’il est loin, ce me semble, de voir les choses comme elles sont. Le mal, s’il vient, viendra de là ; des désirs et des alarmes révolutionnaires. Ce sont les dragons qui amèneront la guerre.
Je suis bien aise que vous ayez fait venir Kolb pour vous ramener. Vous ne me donnez pas aujourd’hui des nouvelles de vos jambes. Je pars demain pour Caen à 7 heures du matin. Je ne vous écrirai pas demain, et probablement cette petite course troublera un peu notre correspondance. Je serai de retour ici, Vendredi. Je ne vois rien dans mes journaux et je n'ai point de lettre. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer 16 Juin 1852

Quand je vous écris, je n'ai point de nouvelles à vous dire, et quand j'en ai, je ne suis comment vous les écrire. Je recueille ici ce que j’ai appris de plus intéressant, et de plus exact depuis quelques jours. Ma lettre ira attendre à Paris une occasion.
A tort ou à raison, MM. Fould. Rouher et même Morny se flattent de rentrer prochainement au pouvoir, et il y a des intimes de l'Elysée qui y croyent. Ce serait le résultat d’un accord entre eux et M. de Persigny, qui passerait aux Affaires étrangères. Les anciens ministres adopteraient pour le dehors et dans l'avenir, la politique impériale représentée par Persigny, et le nouveau Cabinet adopterait au dedans et actuellement, la politique modérée qu’ils représentent. Cela se ferait-il à la suite et par suite d’une décision du conseil d'Etat dans l'affaire des biens d'Orléans, qui rouvrirait une porte à Morny et Fould ? Je ne sais et ce qui me revient des dispositions du Conseil d'Etat, m'en fait beaucoup douter. Cependant, le bruit dont je vous parle est sérieux.
Le Président ne renonce à rien, mais il est décidé à deux choses, à attendre, et à tout faire pour vous amener à ce qu’il veut. Il vous croit séduisibles. Question de temps, de savoir faire et de bonne fortune. Son espérance est aussi indomptable que son idée est fixe. Vos compliments l'encouragent plus que vos duretés ne le piquent. Il fait de tout cela un mélange qui le laisse plein de confiance. Vous ne pouvez lui ôter ni son étoile, ni son adresse persévérante. Vous subirez l'influence de l’une et de l'autre. Vous en passerez par son titre d'Empereur parce que vous ne pouvez vous passer de lui. Il attendra tant qu’il faudra pour le prendre ; mais le bon moment lui viendra pour le prendre, comme il lui est venu pour le coup d'Etat. Sa politique extérieure aura son 2 Décembre ; il ne mettra pas l’Europe à la porte, mais il la mettra à la raison. Voilà ce qu’il y a au fond de la prudence, et de sa patience ; tôt ou tard, vous céderez à ses coquetteries, et à la nécessité. Vous douterez encore, et moi aussi je doute.
Voici cependant où en est la fusion. L’arrivée du Duc d’Aumale à Claremont et son opinion clairement exprimée avaient embarrassé la Duchesse d'Orléans, sans abandonner sa résistance, elle avait demandé qu’on restât en suspens jusqu'à ce que le Duc de Montpensier arrivât, et que toute la famille réunie pût en délibérer. Le Duc de Montpensier est arrivé, plus décidé. qu’aucun de ses frères. Alors a paru tout à coup ce petit article des Débats que vous vous rappelez et qui présentait les Princes et Changarnier comme encore bien loin de la fusion. La colère a été grande parmi les Princes. Le Prince de Joinville s'est chargé de l'explosion. Il est allé chez la Duchesse d'Orléans qui s'est dite absolument étrangère à l'article des Débats ; mais l'explication n'en a pas moins été jusqu'au bout. “ Il n’y a point d'autre parti à prendre, c’est le seul moyen de salut pour notre maison. Quand j’ai consenti à être porté pour la présidence de la République, c'était dans cette seule vue nous avons nous, maison d'Orléans, une revanche à prendre ; je voulais la prendre en personne, mais pour remettre la couronne sur la tête du comte de Chambord. Comment Paris pourrait-il régner ? Vous seriez chaque matin obligée de faire aux partis révolutionnaires, une nouvelle concession ; avant six mois nous serions dans leurs mains. N’y pensez plus ; il faut en finir "
Tout cela, dit avec verve, avec abandon, d’autant plus impétueusement que la Duchesse d'Orléans semblait moins convaincue. Quand elle a vu que ses beaux frères étaient à ce point décidés, et que Joinville, sur qu'elle comptait et dont elle ne pouvait se passer se montrait le plus décidé de tous, elle s'est résignée, sans céder. Elle a dit qu’elle ne se séparerait point de la famille qu’elle ne protesterait point qu’elle subirait son sort, qu’elle demandait seulement, à ne prendre, personnellement point de part active à ce qu’on voulait faire, et à n'être pas là quand on le ferait. Les Princes y ont consenti.
Elle part donc pour Baden en Suisse et les Princes restent à Claremont jusqu'au départ du Duc de Montpensier, moment fixé pour accomplir leur résolution. Sous quelle forme ? Par le Duc de Nemours seul, au nom de tous, ou par tous ensemble ? Je n'en sais rien ; ils n'en disent absolument rien ; ils veulent que l'acte soit tout-à-fait personnel et intérieur dans la famille. Ils se donnent seulement pour vous décidés à en finir et très près d'en finir. Je vous donne là le dires des meilleurs rapporteurs, et qui se sont dits autorisés à me dire. Ils sont de plus persuadés qu’il y a déjà eu, entre Claremont, et Frohsdorf, des communications préparatoires, et précises. Je n'ai rien de plus gros, ni rien de plus. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Dimanche 3 oct. 1852

Je suis impatient de la lettre d'aujourd’hui qu’est-ce que ce malaise qui vous est survenu subitement ? J’ai été moi-même assez mal à mon aise ces jours-ci, nous vivons au milieu des ouragans et des orages. J'en ai ressenti l'influence.
Je vois dans les feuilles d'Havas que Hatzfeldt a demandé sa retraite à cause de sa santé. Je ne suppose pas qu’il y ait rien de vrai. Il était au contraire, ce me semble, allé à Berlin pour faire voir qu’il se portait bien.
M. Hébert est même hier passé la journée avec moi. Il dit que l'Empire sera décidément bien vu à Rouen, et dans tout le département de la Seine inférieure. Les affaires y vont très bien ; les manufacturiers gagnent beaucoup d’argent ; les ouvriers ont de bons salaires ; les uns et les autres ne demandent que de la durée, et ils espèrent que l'Empire leur en donnera.
La paix et la durée, ils ne pensent pas à autre chose.
L’Angleterre sera couverte de statues du duc de Wellington, aristocratiques ou populaires ; en voilà une à Manchester, au milieu des ouvriers. Du reste, c’est juste.
Il est vrai que les 2 500 000 fr. donnés pour la Cathédrale de Marseille sont singuliers. Le Président peut dire que c’est une simple promesse dont il demandera la ratification au corps législatif. Ce sera à ce corps à voir ce qu’il aura à faire, et de bonne ou de mauvaise humeur, je ne pense pas qu’il refuse de ratifier.
Le lac français est une parole plus étourdie que les deux millions. Est-ce par cette raison qu’on n’a pas publié le discours ? C’est une nécessaire mais fâcheuse sagesse. Quest-ce qu’une vanterie qu’on cache ?
Montalembert reste donc à Paris. Je croyais qu’il devait aller rejoindre en Flandres son beau-frère Mérode. Je suis bien aise qu’il vous reste plus longtemps.
Ste Aulaire vient-il vous voir quelquefois le jeudi, après l’Académie ?
Je trouve la conversation du Moniteur et de l'Indépendance belge au moins aussi aigre que le fait même. Quelle nécessité à cette discussion prolongée qui ne fera qu'embarrasser la négociation prochaine ? Quelques lignes d'explication suffiraient.
Croit-on à la formation d’un cabinet catholique et à la dissolution de Chambres Belges, ce ne serait guère dans les procédés habituels du Roi Léopold.
Avez-vous lu, dans les deux derniers N° de la Revue contemporaine, les fragments des Mémoires du comte Beugnot sur les derniers temps de l'Empire. Quoiqu'un peu bavards et longs, ils vous amuseraient. Je l’ai beaucoup connu, c'était un homme d’esprit et d’expérience, très douteux et très gouailleur, ce qui m’est antipathique. J’aime les gens qui veulent quelque chose et qui ne se moquent pas de tout.

Onze heures
Je remercie bien Aggy. Si je n'avais rien eu du tout, j’aurais été inquiet, triste et fâché, très mauvais états d’âme. Je suis fort aise que vous ayez vu. Andral et qu’il vous prescrive de vous bien nourrir. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Dimanche 5 sept. 1852

Quand quelque chose vous empêche de m'écrire, faites-moi écrire je vous prie, deux lignes par Aggy ; non pour me donner des nouvelles, dont je me passerais fort bien quand même, il y en aurait, mais uniquement pour me dire ce qui vous empêche d’écrire, et comment vous vous trouvez ; c'est là ce que j'ai tous les jours besoin de savoir, et ce qui me préoccupe quand je ne le sais pas.
J’ai eu hier des visiteurs de Trouville, des Delessert, des Mallet, Hippolyte de La Rochefoucauld, une bande ; ils ont passé ici la matinée. Il y a beaucoup plus de monde, mais pas plus de nouvelles, à Trouville qu'au Val Richer. Il y a eu de la grande compagnie ; elle s'en est allée ou s'en va ces jours-ci. La quantité reste. Le Chancelier et Mad. de Boigne toujours centre le soir, sauf pour ceux qui vont danser au salon. Et toujours très intelligents sensés et causants.
Le 15 Août a été très brillant à Trouville ; illumination de toutes les maisons sur la plage, et celle de Mad. de Boigne très bien illuminée. Et le 26 Août, elle est allée à un très modeste service dans la petite église d'Hennequeville, pour la mémoire du Roi Louis-Philippe. Il y a du bon sens et du bon goût à concilier ce qui est dû aux souvenirs du passé et aux droits du présent, au pouvoir qu’on a servi et aimé et au pouvoir qui maintient l’ordre au profit de tous. Il n’y a pas, dans ce pays-ci, beaucoup de gens qui sachent faire cette conciliation-là.
Voilà, M. de Persigny qui a repris possession de son portefeuille. Est-ce qu’on ne dit rien de l'objet de son voyage à Londres ? Il me revient qu’en dépit des articles du Times et du Moniteur, l’intelligence est très bonne entre le Président et le gouvernement Anglais, et que s’il avait à recevoir de là quelques bons offices, on les lui rendrait volontiers.
Il me revient aussi que la situation de Fould, même en son absence, devient de jour en jour meilleure. On dit, par exemple, qu'aucun ministre n’est plus admis à envoyer au Moniteur un communiqué sans l'avoir fait passer par le Ministre d'Etat. Dans le gouvernement tel qu’il est constitué aujourd'hui, c’est très sensé.
Le vote du Conseil général des Hautes-Pyrénées que Fould présidait, à dû plaire au Président. C'est à la fois le plus positif et le plus large. Quand, M. de Nesselrode, doit-il rentrer à Pétersbourg ?
Je suis impatient de savoir quelles conséquences auront les ouvertures faites à votre fils Paul et les bontés de l'Impératrice pour lui. Je crains un peu d'humeur et de jalousie ministérielle. Le bon vouloir du pouvoir le plus absolu est bien aisément distrait ou entravé.
Avez-vous entendu dire que la Constitution avait été sur le point, il y a quelques jours d'être suspendue pour deux mois, à propos de son article, très inconvenant, il est vrai, sur le duc de Parme ? Antonini s'en est plaint, avec raison. Le Constitutionnel s’est excusé comme il a pu, et on s’est contenté de son excuse publique. Mais il a eu peur. C’est probablement, pour vous une vieille histoire.

Onze heures
Merci de votre lettre. Je suis bien aise que la restauration de M. de Lamartine vous amuse. Je vous chercherai quelque autre lecture. Adieu, Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 10 oct. 1852

Lisez, si vous avez des yeux et de la patience pour lire les discours adressés au Président par l’évêque de Carcassonne l'archevêque de Toulouse, et le premier président de la cour d’appel de Toulouse ; ils sont remarquables par la mesure politique gardée au milieu des expressions de la reconnaissance et de la louange. C'est le langage sincère et réfléchi d'hommes sérieux. Dans mes tristesses sur mon pays, je prends plaisir à rencontrer quelques actes, ou quelques paroles qui m’en soulagent un peu.
J’ai aujourd’hui, le plus beau ciel et le plus beau soleil possible. Je me promènerai. Il a fait froid cette nuit, de la glace. Je ferai rentrer demain mes orangers. Si le froid s’établit, nous aurons du beau temps. Nous avons depuis deux mois un temps aussi mauvais que triste. J’espère que celui-ci vous vaudra mieux. C’est un tonique. Mais prenez bien garde ne pas vous enrhumer.
Que signifie cette singulière ordonnance donnée sur la frontière de la Prusse Polonaise, que tout voyageur sera obligé de déclarer en entrant, combien il a d'argent et l’usage qu’il compte en faire ? C'est bien curieux. Est-ce une curiosité Prussienne ou Russe ? ce que j'approuve tout-à-fait et ce qui me paraît un bon petit symptôme de civilisation pacifique, c’est la convention conclue entre la France et les Puissants Allemandes, y compris la Belgique, pour la transmission des dépêches télégraphiques par un chiffre diplomatique pour chaque Puissance, connu seulement de chaque gouvernement et de ses agents au dehors. C'est la seule manière de rendre le télégraphe électrique praticable et utile pour les gouvernements. On se promet probablement qu’on devinera les chiffres étrangers. Mais il s'en faut bien qu’on y réussisse toujours.

Onze heures
Je ne vous dis qu'adieu. Je réponds quatre lignes à Aggy, très présomptueuses. J’espère que ma lettre d’hier lui aura fait quelque effet. Je veux y ajouter tout de suite ma réponse à celle que je reçois d’elle ce matin. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 15 Août 1852

Que d'éclat, de mouvement et de bruit vous aurez autour de vous aujourd’hui, autant que j'ai autour de moi de silence et de repos. Le contraste m'amuse à le figurer.
Ce que vous me dites de l'impression que vous a faite, la conversation de Fould me plaît. C’est toujours bon qu’un homme d’esprit juge sa situation grande, car c’est un gage qu’il s'y conduira grandement et sensément. Quand on a son amour propre satisfait et le sentiment d’une haute responsabilité, on est en voie de sagesse. M. Fould en aura besoin.
J’ai vu du monde dans la petite tournée que je viens de faire, des gens de parti et des gens tout-à-fait étrangers aux partis des beaux esprits et des esprits simples de gros bonnets de province et des paysans ; voici mes deux observations. Le gouvernement du Président a gagné comme avenir ; on le croit établi et on croit qu’il durera, on ne voit rien qui puisse le renverser et lui succéder. Il n’a pas gagné comme considération et renom de capacité ; il a en général pour serviteurs des hommes inférieurs et des brouillons légers ou peu estimés. Durer ne suffit pas ; il faut monter en durant.
Il y a de l’inquiétude, dans le pays pour les récoltes, et si le temps qu’il fait depuis quinze jours se prolonge encore autant l’inquiétude sera fondée. Les moissons se font mal ; la pluie perd les blés.
Avez-vous vu Morny depuis votre retour ? Est-il bien avec Fould ? Les feuilles d'Havas insistent beaucoup pour bien établir qu’il n’y aura plus de changement dans le Ministère, et je suis persuadé qu'elles ont raison. Mais si la santé de M. de Persigny devenait de plus en puis mauvaise, il faudrait bien y pourvoir. Je me figure qu’en pareil cas, M. Jayr serait l’un des hommes auxquels le Président songerait. Je ne sais pas du tout quelles sont en ce moment ses dispositions. Sa capacité est réelle.

11 heures
Puisque vous marchez mieux, vous marcherez bien. Mais ne hasardez rien. Ce que vous me dites de l'enfant de Tolstoy me fait grand plaisir. Il pleut ici à torrents. Que deviendrez vous ce soir à Paris, vous et tous vos lampions ? Adieu, adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 17 Oct. 1852

Un brouillard épais au lieu du brillant soleil d'hier. Evidemment, le bon Dieu y a mis de la bonne grâce.
Je suis curieux d'avoir les détails de la journée. Mon gendre Cornélis, qui est allé passer deux jours à Paris me les rapportera ce soir. Il n’y a point de lettres même les vôtres, qui disent tout ce que des yeux ont vu. Je ne puis croire que les conseils de ministres retardent beaucoup la résolution définitive, et l'action. C'est bien fait de n'être pas pressé ; mais il y a des situations où le retard devient, sinon nuisible, du moins ridicule.
Voilà le facteur. Point de lettre de vous. Je ne m'en étonne pas. Vous aurez été pressée, et la poste aussi. Je n'ai comme de raison, rien à vous dire.
J’écris à Aggy pour lui demander pardon. J’ai sans doute avant hier, en jetant au feu des papiers, brûlé par mégarde la lettre de Marion que j'avais mise sur mon bureau, dans une enveloppe. blanche, pour vous la renvoyer. J’en suis désolé. Adieu. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 19 sept 1852

Je suis impatient d'avoir de vos nouvelles ce matin, et de savoir ce qu'aura dit Chomel. J’espère qu’il aura un peu élargi votre régime alimentaire. Il faut certainement ne pas donner à votre estomac beaucoup de fatigue, puisque ce sont les organes digestifs qui sont souffrants et fatigués. Mais il faut aussi soutenir les forces de ces mêmes organes pour qu’ils puissent continuer leurs fonctions. Toujours de la politique de juste milieu, aussi indispensable que difficile, et aussi difficile, qu'indispensable.
J’ai parcouru hier soir les journaux que je n’avais pas vus tant que je vous voyais. Pur acquis de conscience, car il n’y a rien.
Lisez un petit roman, la Messe noire, dans la Revue contemporaine des 1er et 15 septembre. Assez intéressant mélange. des moeurs du Moyen- ge et des nôtres, d'un amour de la croisade et d’un amour de salon. Je ne sais si l'article de M. Vitet sur le Louvre vous intéressera. Il m’a intéressé. C’est une histoire du monument, de toutes les vicissitudes, et une discussion de son avenir. Très sensible et spirituelle. Peut-être un peu technique pour vous.
Je trouve ici des torrents de pluie. Je n’ai pas pu hier passer plus d’un quart d'heure dans mon jardin. La température est extrêmement douce.
Je vois que Lord Mahn sera l’exécuteur testamentaire du Duc de Wellington comme de sir Robert Peel. Cela le consolera un peu de n'avoir pas été réélu au Parlement. Lady Mahon était une des petites favorites du duc. N’y aura-t-il pas, pour le Président, quelque inconvénient au grand éclat du début de son voyage ? Nevers ne peut guères être surpassé, et il est difficile que ce niveau là se maintienne. La saison des fleurs est trop avancée ; il n’y en aura pas assez partout pour embarrasser les jambes de ses chevaux, et les empêcher de marcher.
J’ai des nouvelles de Barante qui me dit : " On est bien tenté, quand on a tiré les ficelles, de prendre les mouvements de Polichinelle pour des actes vivants ; c’est un grand danger. "

Onze heures
Ne vous inquiétez pas trop du changement de régime ; la politique de juste milieu ressemble souvent à la politique de bascule ; on se porte à droite après s'être porté à gauche, là, où le secours devient, pour le moment, nécessaire. Adieu, Adieu.
Je reçois une longue lettre de ce pauvre Sauzet. Quelle ombre ! Bien honnête, sensée et pompeuse. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, dimanche 22 Août 1852

Ce mauvais temps continu me déplait ; il gâte les blés du mon fermier qui ne me paye pas et moi, il m'enrhume ; j’ai la gorge prise depuis quelques jours ; je tousse beaucoup le matin. Je vais faire venir quelques bouteilles d'Eaux bonnes. C'est mon remède habituel. Mais probablement les remèdes s’usent à mesure qu’on s’en sert, et surtout à mesure qu’on vieillit.
Que signifie la nouvelle chute de Reschid Pacha ? Je suis enclin à n’y voir qu’une comédie, car Ali-Pacha, qui le remplace a toujours été son homme, et tout-à fait dans la même politique Turcs et Français ne savent comment se tirer de cette question des lieux saints. Il ne fallait pas l'élever, et le jour où l’on voulait absolument l'élever, il fallait commencer par la traiter officieusement avec vous, à Pétersbourg, avec l'Empereur en personne qui, probablement, eût pu être amené à comprendre et que conseillait l’intérêt commun de la Chrétienté. Il est difficile à présent que la France accepte la dernière décision de la Porte, et je ne sais comment fera la Porte pour en prendre une autre.
Je trouve dans les feuilles d'havas un petit article qui indique que le Gouvernement est décidé à solliciter indirectement des conseils généraux, des votes en faveur de l'Empire. On s'y félicite beaucoup de la presque unanimité qui s'est manifestée à cet égard dans les conseils d'arrondissement, et on finit par dire : " Cela présage d’une manière certaine que les conseils généraux formuleront à leur tour cette même pensée plus explicitement et plus unanimement encore. "Les feuilles d'havas sont plutôt adressées, aux fonctionnaires qu'au public, et elles donnent des instructions plus que des nouvelles.
Je vois que Lord Cowley est allé à Londres. Est-ce pour les propres affaires ou pour celles du public. Ce retard prolongé de la réunion du Parlement n’a pas bon air. On concevait le retard des élections, pour les préparer ; mais à présent que les élections sont faites pourquoi en faire attendre le secret ?

Onze heures
Vous répondez à ma question sur Cowley. Quoique je le connaisse peu, je le regretterai s’il s'en va. C'est plus sérieux que Lord Malmesbury. Je viens de prendre un verre d’Eaux bonnes J'en avais apporté. Je vous quitte pour aller me promener un peu avant déjeuner. On dit qu’il le faut. Adieu. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 24 oct. 1852

Ce que vous me dites d'Aggy me fait plaisir. Il n'y a point de bonne. volonté ni de soin des convenances qui suppléent à un sentiment naturel et vrai. C'est ce sentiment qu’il faut inspirer à ceux qui nous entourent pour qu’ils se portent de coeur à ce qu’ils font pour nous, et y prennent eux-mêmes plaisir.
J’ai reçu hier de Londres, une lettre assez intéressante. Voici ce qui vaut la peine de vous être envoyé : " Rien n'a été fait pour amener la reconstitution de l'opposition libérale. Lord Palmerston a déclaré qu’il était prêt à faire partie d’une combinaison Whig, avec Lord John Russell pourvu que celui-ci, n'en fût pas le chef. Lord John a déclaré qu’il n’entrerait dans aucun cabinet sans en être le chef. Lord Lansdowne consulté sur cet antagonisme, a déclaré carrément qu’il n'était pas du tout disposé à se charger en personne, du premier rôle et qu’il croyait la présidence de John Russell nécessaire à un gouvernement libéral.
On se demande si le mauvais succès de ces démarches aura pour effet d’amener un rapprochement entre Lord Palmerston et le pouvoir actuel. Des deux côtés, on a envie de s'entendre, et pour peu que le cabinet ait l'air de prendre de la durée, je ne serais pas étonné de voir arriver cet étrange résultat. John Russell perd du terrain à chaque pas qu’il fait ; et ce qui achève de le perdre, c’est qu’il met tout l’entêtement de son caractère à méconnaître sa véritable position. Le Cabinet montre une étonnante incapacité dans tout ce qu’il entreprend, et il est plus menacé par ses fautes administratives que pour ses principes. Cependant je crois qu’il aura une certaine Revue, et que tout l’esprit de ses adversaires comptera moins que les votes de ses amis. Le langage du Duc de Newcastle et de ses amis est toujours fort hostile à Lord Derby, et leurs vues exagérées sur les questions religieuses les séparent de tout le monde. "

Onze heures
Je ne comprends pas que le Président et ses amis hésitent à adopter, dans leur sénature consulte impériale le système de l'adoption. C'est évidemment, celui qui lui laisse, à lui, le plus de liberté en lui donnant sur tout le monde, le plus de pouvoir. Et le seul qui fasse que tout n’est pas réglé par l'Empire, et qu’il y a encore un avenir douteux à chercher et à attendre, de la stabilité et de l’inconnu, il faut ces deux choses-là à ce pays-ci. Adieu, Adieu.G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Dimanche 26 sept 1852

Je ne m'étonne pas qu’on attribue au Président quelques vues d’aggran dissement en Afrique ; c’est là qu’il peut tenter quelque chose de ce genre avec le moins de danger du côté, soit de Tunis, soit du Maroc. Je doute que l’Europe, et peut-être même l’Angleterre lui fissent, pour cela, une guerre immédiate ; mais il en résulterait, pour eux, au dehors, surtout à Londres, une situation très gâtée, et au dedans de graves embarras financiers, car, sur ce terrain-là les guerres ne rapportent rien et coûtent énormément. Et tout docile qu’il est, son Corps législatif ne serait guère disposé à lui donner beaucoup d'argent pour de telles conquêtes. A tout prendre, elle lui seraient, je crois plus nuisibles que profitables, et le Constitutionnel a raison de prêcher deux fois par semaine, comme il le fait, l'Empire pacifique et commerçant. Il ne faut pas pousser l’imitation au-delà du nom.
On vient de prendre un petite mesure que vous n'avez certainement pas remarquée, mais dont l'effet sera mauvais dans les départements, c’est la suppression de l'institut agronomique de Versailles. Pure économie, je crois ; on ne sait où en faire, et on en a besoin. Je n’ai pas la moindre opinion sur le fond de la question ; mais je sais, et je vois, autour de moi, que cet établissement plaisait aux propriétaires agriculteurs un peu aisés, et qui veulent que leurs enfants soient bien élevés en restant agriculteurs. Il était fondé ; il commençait à bien marcher. On trouvera cela léger [?] Sans compter qu’on met ainsi à la porte une douzaine de savants considérables qui crieront.
Cela vous est égal, et à moi aussi ; mais je vous dis ce qui me vient à l’esprit en lisant mes journaux.
Qu’est-ce que c’est que votre belle hongroise ? Sera-ce une remplaçante de Mad. Kalerdgis ?
Le discours de Lord John Russell à Stirling en l'honneur du duc de Wellington m’a plu ; la louange est vrai, et dit avec une simplicité ferme. Il n’y a rien de tel que de mourir pour n'avoir plus d'adversaires.

Onze heures
Pas de lettre du tout, ni de vous, ni d’Aggy. C’est trop peu. Donc adieu et adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 29 Août 1852

J’espère que le général Haynau ne sera pas insulté à Paris comme il l’a été à Londres, et à Bruxelles. Je me figure qu’il en est de lui comme de Naples et que ce qu’on a dit de ses brutalités est vrai. N'importe ; les brutalités populaires, et impunies, qu’il a subies sont des indignités. Je désire qu’il ne les retrouve pas à Paris. Il le devra certainement à l'ordre rétabli par le président, sans cela, Dieu sait comment il aurait été traité par nos socialistes. Probablement il ne serait pas venu.
Le dire de la Duchesse de Hamilton sur la princesse Wasa me frappe beaucoup. L'affaire serait donc tout-à-fait manquée. Comment pense-t-on à elle pour l'Empereur d’Autriche ? Je croyais que le mariage de l'Empereur était arrangé avec une Saxonne une fille du Prince Jean.
M. Hallam m'écrit, comme Lord Beauvale à vous, que le Ministère tiendra. Je trouve que le ton des journaux Whigs et radicaux l'indique aussi. Il y a une grande différence entre l'injure qui espère et l'injure qui n'espère pas.
J’ai ri de votre précaution oratoire en faveur de ceux qui ne peuvent pas être oubliés. Merci d'avoir voulu m'excepter de votre coup de patte à ces pauvres Français. Il est très vrai qu’ils ne supportent guère d'être oubliés. Et vrai aussi que les vainqueurs du jour voudraient bien que les vaincus se fissent ou se laissassent oublier. Personne ne supporte guère ce qui lui déplait ou l’incommode. A travers tous ces dépits, regrets, désirs et humeurs de droite, et de gauche, le monde va son train, et justice finit presque toujours pas se faire. Ce n’est pas l'avenir que je crains, je crains de n'avoir pas le temps de le voir.
Est-ce que Chomel ne vous fait pas boire quelques verres d’eau de Vichy ? Il est vrai qu'elles portent quelque fois très vite sur les entrailles, et qu'avec vous il ne faut rien risquer.
Mad. de Caraman est donc clouée à Paris. Elle fait bien tout ce qu’elle peut pour attirer dans sa maison, et devenir un centre. Je doute qu’elle y réussisse.

11 heures
Confiance ? Vous n'en aurez jamais dans aucun médecin, au moins passé les premiers jours. sauf dans Chermside, et parce qu’il n’est pas là. Mais essayez au moins quelque temps de l'obéissance. Chomel est un homme trop éclairé pour qu’elle puisse être dangereuse. Adieu, adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 2 sept 1852

2 septembre ! J'étais bien jeune ce jour-là, il y a soixante ans ; mais j’ai été nourri dans une sainte horreur de son souvenir, et je ne vois pas cette date écrite sans retrouver ce sentiment. Le massacres des prisons de Paris ont été certainement quelque chose de plus affreux encore que la Saint Barthélemy ; la haine n’y était pas.
Avez-vous remarqué l’article du Morning Post répété par le Moniteur et par les Débats ? Cela a bien l’air d’un nouvel ajournement de l'Empire et du mariage.
On a raison de se moquer du discours de M. de La Rochejaquelein ; la platitude et la fanfaronnade ne vont pas à ce nom- là. Du reste le Président a très bien fait de le nommer président ; pour lui, il n’y a que profit.
Je suis porté à croire que Lord Granville pourrait bien avoir raison. Quand un homme d’esprit, et de caractère a été longtemps chef d’un grand parti il ne tombe. pas, même quand il déchoit.
Je n'ai point de nouvelles d'Aberdeen. Leur bon vouloir mutuel à Lord John et à lui est ancien ; leur alliance officielle serait étrange, Lord John, Lord Aberdeen et sir dans Graham. Je n'y crois pas. Je crois à Derby pour assez longtemps.

11 heures
J’ai été interrompu par des visites de chasseurs, très matinales. Je n'ai absolument rien qui en vaille la peine à vous dire. Comme j’ai bon cœur, je suis bien aise que Lady Palmerston soit sauvée, pour elle, pour son mari et pour vous que sa mort aurait chagrinée. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 7 oct. 1852

J’ai eu hier une lettre de Lord Aberdeen qui m'a été apportée à Paris par M. Cardwell. Il y est venu passer quelques jours avec sa femme. Je regrette de ne pas le voir. C’est un homme d’esprit, et Aberdeen me le recommande chaudement. Il nous aurait mis bien au courant de Londres. Lady Allice Peel le connaît beaucoup. J’ai déjeuné avec lui chez elle. Elle vous l’a peut-être déjà amené.
Aberdeen est évidemment, très peu bien veillant pour le Cabinet : " I suppose our Parliament will not meet before the middle of november, and although some indication will be afforded of the relative strength and disposition of parties, it is not at all probable that the existence of the government will be endangered before Christmas. Their real trial will commence in February, and what may be the result, it is extremely difficult to say. Their position, although discreditable and entirely unprecedented, is strong when compared with the scattered forces and disunited taste of their opponents. "
Nous oublions trop que Lord Aberdeen a été le collègue de Peel, de Graham, Gladstone, Cardwell, le Duc de Newcastle, qu’il a pris part à toutes les mesures de réforme commerciale, que c’est là son dernier acte politique, et qu’il reste attaché aux mesures et aux hommes. Il se sépare de ceux qui les repoussent ; il s’unira à ceux qui les adopteront. Il m’a l’air plus préoccupé de nos affaires que des [?], et bien convaincu que l'Empire, " Although it may, at present, make no great change in France or in Europe, is surely pregnant with future complications and wars "
Il est de l’avis de M. de Heeckenen. Il me dit qu’il voudrait bien venir causer. " It is not impossible that, after our short session before Christmas, I may go to Paris for two or three weeks ; but this must be extremely doubtfull. "
Avez-vous fait attention, au discours que Michel Chevalier a adressé au président, à Montpellier, au nom du Conseil général, et à la réponse du Président ? C'est le programme de ce qu’il y a de plus sincère et de plus honnête dans le Bonapartisme.
Il me semble que le Roi de Wurtemberg, des princes allemands, celui qui s'exécute le mieux pour la répression de la presse injurieuse au Président. C'est qu’il est celui qui a le plus d’esprit et le plus d'autorité chez lui. Savez-vous s'il y a un parti pris sur Napoléon 2 ou Napoléon 3 ? La diversité des acclamations me laisse dans le doute à cet égard.
Le départ de M. Frère d'Orbon pour l'Italie prouve que la retraite du Ministère Belge est sérieuse, et qu’il ne pense pas à se reconstituer en se rapieçant.

Onze heures
Je n'ai que le temps de vous dire adieu. Deux visites m’arrivent, en même temps que le facteur Adieu. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 8 sept 1852

Dites-moi précisément quel jour Aggy part pour son petit voyage. J’irai passer avec vous trois jours pendant son absence. Je veux voir par moi-même comment vous êtes et me donner, nous donner ce rafraîchissement dans le cours d’une si longue séparation. Je puis faire cela la semaine prochaine. J’attendrai après demain vendredi votre réponse pour fixer le jour de mon départ. Ce sera un charmant plaisir.
Je m'étonne que le Président ne soigne pas Cowley autant que Hubner. Il compte sans doute davantage sur la complaisance, de l’Autriche pour sa grande affaire ; mais il a besoin aussi de celle de l'Angleterre, et je ne la crois pas inabordable.
Ce que vous me dites de Lord Cowley quant aux chances de l'avenir n’est probablement pas son sentiment à lui seul dans son gouvernement. La politique anglaise est peut-être, de toutes celle qui vit le plus dans le présent. Le Cabinet actuel d'ailleurs n'est guère en état, ni en disposition d’aller au devant d’aucune difficulté, il les éludera tant qu’il pourra et n'en créera à personne pour ne pas s'en créer à lui-même.
Le journal des Débats répond à ma question ; il annonce le rappel du ministre de France à La Haye, le petit d’André, si je ne me trompe. Je doute que cela fasse revenir les Chambres hollandaises, au traité sur la contrefaçon. Ce seront de mauvais rapports inutiles.
Mad. Kalerdgi manquera à l'Elysée et à M. Molé. Il a le goût des comédiennes Mad. de Castellane valait mieux que celle-ci. Elle était capable de dévouement. Je doute qu’il en soit de même de Mad. Kalerdgi. Passe pour le dévouement d’un jour ; mais la dévouement long exclusif, non. Mad. de Castellane, il est vrai n’avait pas commencé par ce dévouement-là ; mais elle y était venue. C'est quelque chose.
A propos de Mad. Kalerdgi, Piscatory me revient à l’esprit. J’ai eu de ses nouvelles il va mieux. Il a eu une forte esquinancie mais il a une de ses filles assez gravement malade, ce qui le tourmente beaucoup. Il a du cœur. Il se tient parfaitement tranquille entre ses enfants et les champs.

Onze heures
Je vous chercherai de vieux Mémoires. Ce pauvre Piscatory a perdu sa fille, une enfant de douze ans. Je reçois trois lignes de lui. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 14 oct. 1852

Qu'est ce qu’une petite Princesse de quinze ans, fille du Prince Charles de Hohenzollern Sigmaringen petite fille aussi de la grande Duchesse Stéphanie, et que le Président pourrait épouser à la place de la Princesse Wasa ?
Ce serait bien jeune et bien petit. Il se mariera mieux, l'Empire une fois établi, surtout s’il se tient au bon paragraphe du discours de Bordeaux.
L'effet de ce discours est réel parmi les gens auxquels il est spécialement adressé, les manufacturiers, les négociants, les gros et riches bourgeois. Ils sont comme l'Europe pour eux, l'Empire et la guerre vont ensemble. Le discours a répondu à leurs préoccupations. Il se demandent si la réponse sera bien solide ; mais en attendant l’épreuve, elle leur plaît, et l'impression est favorable.
J’ai diné hier à Lisieux, avec beaucoup de monde. Ce que je vous dis là était général de plus le blé, et les bestiaux se vendent mieux. Là est le thermomètre.

Onze heures
N'avoir pas de lettre m’a beaucoup déplu au premier moment. Mais on me donne de vos nouvelles, soignez vos yeux. Aggy peut toujours bien me dire comment vous êtes. Adieu, adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 19 Août 1852

Olliffe m’a amené hier M. Rivaz ministre des Etats-Unis, et M. Sheridan, M. frère de Lady Dufferin. M. River est un Américain Européen, spirituel, poli, Whig, c’est-à-dire conservateur dans son pays. Il s'attend à être révoqué de son poste après l'élection du nouveau Président qui appartiendra très probablement au parti démocratique. Il est fort occupé de la querelle entre les Etats-Unis et l'Angleterre sur leurs pêcheries, mais convaincu qu’elle s’arrangera. Lord Malmesbury et M. Webster, ont chacun de son côté cherché là un peu de popularité ; mais le bon sens public les arrêtera, et les a déjà arrêtés.
De nouvelles instructions viennent de partir de Londres. On ne croit pas que l'envoi de M. Baring à Washington soit nécessaire. M. Sheridan a la belle figure de toute sa famille, et pas l’esprit de ses deux soeurs.
J’espère que votre coquetterie de prendre un parapluie, pour une canne ne durera pas longtemps ; un parapluie est plus lourd qu'une canne et vous fatigue probablement autant qu’il vous soutient.
Le Président fait les choses, magnifiquement. Son bal des halles retardé doit lui coûter cher. Je présume du reste que ce n’est pas sa liste civile qui paye cela. Le corps législatif ne regardera pas de si près au budget du ministre de l’Intérieur.
Avez-vous remarqué avec quelle largesse, les journalistes et les imprimeurs ont été traités, en fait de croix d’honneur et d’autres récompenses ? C’est très démocratique ; mais je ne l’en blâme pas. Il use de son droit à son profit.
M. Sheridan m’a dit que les espérances de Lord Derby portaient sur deux points, la brigade Irlandaise et l’adjonction au Cabinet de Gladstone, et de Sidney Herbert. Il parait qu'à l’ouverture du Parlement, l’une des premières mesures proposées aura pour but de se concilier les Irlandais. Des avances aux Free traders, et aux catholiques. Voilà le cabinet Tory. Il n’y a plus de partis.

11 heures
Je ne puis que répéter. Pauvre Tolstoy ! Dites-lui, je vous prie, que je suis profondément touché de son chagrin, et que je le suis tout entier.
Je suis fort aise que vous ayez enfin un maître d'hôtel s’il n’est pas très bon, vous le formerez ou vous en changerez. Je suis de votre avis sur le dire de Molé ! Pourquoi le Président n’est il pas allé au bal des dames de la halle ? Je ne sais s’il fallait donner ce bal-là, mais le donnant, il fallait y aller. On ne peut pas à la fois rechercher la popularité et avoir l’air de n'en pas faire cas. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, jeudi 21 oct. 1852

Voici une lettre de Marion qu’il me paraît utile que vous lisiez. Prenez y un peu garde ; ménagez leurs sentiments. Comme vous le dites, ce sont des personnes de votre condition, et elles ont du cœur ; il faut qu'elles se sentent à l'aise avec vous. Vous êtes sujette à vous préoccuper trop exclusivement de ce qui se passe en vous, et pas assez de ce que pensent ou sentent les autres.
Voilà donc l'Empire. Je trouve qu’on a raison d'en finir. La délibération du mal ne sera certainement pas longue. Le vote universel prendra une quinzaine de jours. Puis la réunion du Corps législatif chargé de faire le dépouillement. Le second Empire pourra être inauguré au commencement de décembre, le même jour que le premier.
Reste la question du Pape. Ce qui me revient, par des catholiques fervents, est plutôt contraire à l’idée qu’il viendra. Mon instinct à moi est qu’il viendra si on le lui demande formellement. Mais formellement. Il faudra qu’il soit mis au pied du mur.

Onze heures
Génie m’avait écrit que le régime d’Andral vous réussissait mieux que celui de Chomel, que vous repreniez un peu d’appétit et de sommeil, qu’il vous trouvait lui-même meilleure mine. La même impression m'est revenu aussi d'ailleurs. Votre impression à vous me désole. Olliffe est si je ne me trompe, de l’avis d'Andral pour votre régime.
Les feuilles d'havas annoncent ce matin. que " la majorité qui va sortir de l’urne populaire dépassera par son chiffre, tous les résultats antérieurs, y compris le scrutin du 20 décembre. "
Je ne trouve pas qu’il y ait sujet d'être violent contre la mise en liberté d'Abdel Kader, et je suis plutôt porté à croire qu’elle n'aura pas d’inconvénient. L'Algérie doit être bien changée depuis six ans et lui-même bien dépaysé. Ce que je trouve de mauvais goût, ce sont les injures qu'à cette occasion les journaux du gouvernement nous disent à nous qui n'avons fait, dans cette occasion, que ce que le plus simple bon sens commandait alors et ce que le droit politique autorisait parfaitement. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Jeudi 23 sept. 1852

Je trouve le discours du Président à Lyon très bien fait, le meilleur qu’il ait fait. On ne tire pas mieux parti de sa situation et de son nom. On ne fait pas mieux servir les faits passés aux intérêts présents. Toutes les paroles répondent à des dispositions instinctives du peuples, réelles et bien comprises. Je n’y vois qu’une faute ; c’est la malice contre la légitimité à propos de la statue équestre de Napoléon. Cela n’est ni grand, ni juste. Le gouvernement de Juillet a remis la statue de Napoléon sur la colonne de la place Vendôme, et Napoléon lui-même sous le dôme des Invalides. Cela vaut bien une statue équestre. J'étais ministre à l’une et l'autre époque et j’ai bien le droit de dire que jamais gouvernement ne s’est plus généreusement conduit envers la mémoire d’un prédécesseur dont les descendants restaient des rivaux. Cela m'amuse de prendre, en ceci, fait et cause pour la légitimité et de reporter sur elle le mérite des actes du gouvernement de Juillet. Mais je n’ai pas tort.
Au fond, ce n’est pas contre la branche légitime seulement, c’est contre les deux monarchies précédentes, contre toute la maison de Bourbon que l'allusion est dirigée, et là est l'injustice comme l’artifice ; à cela près, le discours est habile et a très bon air.
Voilà la guerre commerciale engagée entre la France et la Belgique. On vient. de doubler les droits d’entrée, sur les houilles et les fontes belges. La nouvelle négociation a donc tout-à-fait manqué. Cela peut devenir sérieux. Mais rien ne devient sérieux maintenant, rien du moins de ce qui peut aboutir à la guerre.
Je vous parle toujours des Feuilles d’Havas. Je suis frappé d’un petit article que je trouve dans celles d’hier, pour prendre le parti du Duc de Wellington contre les journaux qui l'ont attaqué, en attaquant l’article de l'Assemblée nationale. La défense est très convenable, de fond et de ton. On veut évidemment n'être point responsable des mauvais procédés et du mauvais langage envers l’Angleterre.
Vous ne lisez plus le Journal des Débats. Faites-vous lire pourtant, dans le numéro d’hier mercredi, un article de M. St Marc Girardin sur les Mémoires de Mallet Dupan. Très sensé, très spirituel et très piquant. Avez vous lu, ou du moins parcouru ces Mémoires de Mallet Dupan ? C'est, sans aucune comparaison, ce qui a été écrit de mieux sur la Révolution Française. C'est la vérité vue et entendue au milieu de la fumée et du bruit du canon.
Je ne vous parle que de discours et de journaux, et c’est à votre santé que je pense surtout. J'espère avoir ce matin de vos nouvelles, par vous et que vous me direz que vous recommencez à manger. Adieu, en attendant je vais faire ma toilette.

Onze heures
Voilà une lettre qui me fait bien plaisir. Mangez et dormez. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 26 Août 1852

Je reviens à votre faiblesse. Essayez de rester dans votre lit plus tard, le matin. Quand on est très fatigué, rien ne repose comme le lit. Vous pouvez lire, écrire, déjeuner dans votre lit, si vous ne vous leviez qu'à onze heures ou midi, vous auriez un peu plus de forces pour le reste de la journée. Faites vous usage des pastilles de Vichy ? Elles aident beaucoup à la digestion.
J’ai lu les Regrets du Constitutionnel. Je ne chicane pas sur les détails. En gros, c’est vrai, spirituel, piquant et poli. De la bonne morale, et de la guerre bien faite. Morale et guerre bien vieilles. Cela est arrivé et cela a été dit depuis le commencement du monde. Mais ce qui est arrivé recommence et ce qui a été dit est bon à redire. Je n'objecte donc point.
Voici seulement ce que je voudrais ajouter. Comme il y a des gens qui sont mécontents dès qu’ils ne gouvernent plus, de même il y en a qui sont contents qui que ce soit qui gouverne, et de quelque façon qu’on gouverne. Les uns trouvent que rien ne va plus dès qu’ils ne sont plus là les autres que tout va bien tant que Dieu les laisse ici. On fait bien de se moquer du dépit des uns et d'exploiter la platitude des autres. Seulement il faut voir toutes choses et appeler chaque chose par son nom.
Il y a aussi des gens qui pensent que tous les gouvernements sont ou également bons, ou également mauvais, et qu’il n’y a jamais de raison pour en regretter, ou en désirer un plutôt qu’un autre. Je ne suis pas de cet avis. Je crois qu’il y a du choix en fait de gouvernements comme en fait d’appartements ou d'étoffes, et qu’il y a des pays mal gouvernés, comme il y a des hommes mal logés et mal élus. Vous savez que je ne suis ni de la secte des sceptiques, ni du tempérament des apathiques. De plus, je dirais volontiers de cette petite guerre ce que vous me disiez de Cromwell, à quoi bon ? What use ? Un simple particulier fait et dit ce qui lui plaît, un gouvernement ne doit faire et dire que ce qui le sert. Je ne vois pas en quoi cela sert le gouvernement de faire ainsi taquiner des hommes dont les uns se tiennent tranquilles et dont il exile les autres quand ils ne se tiennent pas tranquilles. Le gouvernement ne peut pas ne pas sentir que le concours actif et bienveillant des esprits et des classes élevées, lui manque, et il ne peut pas croire que ce manque soit, pour lui, un fait indifférent. A sa place, je penserais constamment à rallier ou à désarmer ces classes et ces esprits-là, et pour y réussir, même un peu, je serais constamment, avec elles, ou avec eux, tranquille, poli et inoffensif. Point d'avances et point de coups d’épingle. La dignité du pouvoir n'y perdrait rien, et sa relation avec ce monde-là y gagnerait quelque chose. Il n’y a point de dépit qui soit inabordable aux bons procédés des puissants. C’est une maladie qu’on ne guérit pas, mais qu’on peut faire rentrer. Elle est ridicule cela est sûr ; mais en l'attaquant, on l'envenime, et on lui donne des prétextes pour s'exhaler et se répandre. Il vaudrait mieux la traiter de telle sorte qu'elle fût embarrassée de se montrer et que tout le monde la trouvât en effet ridicule si elle se montrait. Je dis ceci dans la supposition que M. Sainte-Beuve parle comme le gouvernement le désire et pour lui plaire. Si ses regrets ne sont que la malice d’un homme d’esprit qui moralise pour son compte, je n'ai rien à dire ; il en est bien le maître, et il a raison de s'en donner le plaisir.

Onze heures
Votre lettre vient tard. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 28 oct. 1852

J’ai passé hier ma journée avec une très désagréable migraine. Je me suis couché à 9 heures. Nous avons le plus sot temps du monde, des pluies sans fin, avec des coups de tempête. J’ai dormi et je suis mieux ce matin, mais encore la tête lourde. Les Anglais me semblent bien nombreux à Paris. Ils viennent assister à l'avant scène de l'Empire.
Le 4 novembre verra recommencer à Londres le régime parlementaire, à Paris le régime impérial. Je trouve que le gouvernement, est, de tous, celui qui s'est conduit dans cette perspective, avec le plus de prudence et de dignité. Il n’a témoigné ni bon, ni mauvais vouloir ; il n’a point donné lieu de croire qu’il eût d'avance aucun parti pris ; il n’a cherché ni à détourner, ni à pousser. C'est à lui qu’il est le plus facile de reconnaître l'Empire, sans démentir en rien, je ne dirai pas ses paroles, mais sa physionomie. C'est décidément le moins léger et le moins gascon des gouvernements. Il n’est cependant pas en train de grandir dans ce moment-ci. Le cabinet et l'opposition auront petite mine l’un et l'autre le 4 novembre.
Je suis frappé du ton des journaux Anglais qui engagent la Reine " to forget party distinctions and to lend for a score of men, only because they are the ablest in view." 
Cela ne sera pas, ce n’est pas possible ; mais c’est l'indice d’un sentiment national bien menaçant pour Lord Derby. Ceci finira, dans le cours du Parlement qui commence, par l’alliance des Whigs et des Peelites. John Russell et Aberdeen.
Dit-on de quelle manière l'Empire sera annoncé aux puissances étrangères ? Y aura-t-il des envoyés extraordinaires, ou se contentera-t-on d’une circulaire aux agents Français ordinaires, avec ordre de la communiquer ? Cela n’a aucune importance en soi ; pure curiosité de spectateur. En tout cas, la reconnaissance aura lieu. Probablement, on mettra de part et d'autre, peu de faste dans la demande et dans la réponse.
Du reste, la situation du président est la meilleure ; il fait ce qu’il veut sans s'inquiéter de savoir si cela plaît ou déplaît. Il sait que la réponse sera à peu près la même, soit que la demande plaise, ou déplaise. Il peut être aussi modeste qu’il le voudra dans la forme. La modestie sera bon goût et non faiblesse.
Savez-vous le sens de cette querelle à Constantinople sur l'Emprunt Turc ? Je ne comprends par pourquoi la France s’y est engagée, ni pourquoi nous nous ferions à la fois les Protecteurs des Lieux saints et des Juifs. Je ne vois pas bien non plus pourquoi vous mettez de l'importance à faire échouer cet emprunt ; ce n’est pas une innovation parlementaire, et ni la France, ni l’Angleterre n’y gagneront grande influence à Constantinople. Vous pourrez toujours, pour abattre cette influence, faire faire banqueroute à la Turquie.

Onze heures
Je n'ai pas de lettre ; mais j’ai de vos nouvelles J'espère que votre rhume ne durera pas. Adieu Adieu. Voilà donc l'emprunt Turc rejeté. Encore une fois, je ne comprends pas pourquoi On fait de cela, chez nous, une si grosse affaire. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00371.jpg
Val Richer, Jeudi 30 sept. 1852

Je n'aurais pas deviné, d'après les journaux que Marseille eût été un peu moins enthousiaste que Grenoble, et je m’en étonnais, car certainement l'opinion des deux villes est et a été de tout temps différente. Montpellier sera un peu moins enthousiaste que Marseille. Le Président retrouvera tout l'enthousiasme en quittant Bordeaux, à Angoulême.
Je regrette qu’on n'ait pas arrêté tout le complot. C’est un malheur pour tout le monde, et pour tous les temps que de tels scélérats échappent. Certainement Thiers est de bien mauvais goût d'attribuer ceci à la police. Il a assez vu de ces complots-là pour savoir qu’il y en a toujours plus que la pluie, elle-même n’en sait et n'en dit.
On me dit que la Reine et le Prince de Joinville sont partis pour Lausanne avec l’intention de faire effort pour ramener Mad. la Duchesse d'Orléans à Claremont. L'accident a été plus grave qu’on ne l’avait dit ; mais elle est bien.
Charles Pozzo fait bien d'avoir peur. C’est une manière de rappeler qu’il est le neveu de son oncle. On l'oublierait aisément.
Si je croyais au parti pris de chercher querelle à la Belgique, je croirais qu’on a pris, pour commencer, le prétexte de la négociation commerciale. J'en connais les difficultés, car j’ai eu à les résoudre deux fois ; mais elles ne sont pas insolubles ; il faut seulement n'avoir pas peur des clameurs de quelques industries intéressées. J’ai donc peine à comprendre qu’on n'ait pas abouti, car la situation de la Belgique vis-à-vis de la France, est moins bienveillante, il est vrai, mais plus faible qu’elle n’était de mon temps. Je ne crois pourtant pas au parti pris de chercher querelle. On n'en est pas là.
Le petit Lord John Russell n’a rien perdu de son énergie. Je suis sûr que son discours à Perth a eu du succès. Vous verrez que Lord Granville a raison. Si Dieu leur prête et nous prête vie, nous verrons un cabinet Russell, Aberdeen et Graham, et vous aurez le plaisir d'avoir Lord Granville à Paris.
L'Indépendance Belge dit que M. Bacciochi est allé à Constantinople pour s'entendre avec le sultan sur la mise en liberté d'Abdel Kader. Avez-vous entendu dire cela ? Je n'y crois pas. Et ce que surtout je ne crois pas, c’est que le sultan consente à se faire le geôlier d'Abdel Kader pour débarrasser le Président de cet ennui.

Onze heures
Adieu. J’aurais trop à vous dire sur le retour des mots lac français. Grosse faute, et que rien n'explique. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 1 Novembre 1852

Je suis bien aise d’entrer dans ce mois. Il faut que j’ai bien du goût pour vous, car je n’en ai pas le moindre. pour Paris. Il est vrai qu’on n'a rien à se dire à présent. Et je ne crois pas qu’on est grand chose à se dire de quelque temps, sauf de cérémonies, ce qui est le plus ennuyeux bavardage. Je ne suis pas surpris de Lavalette, Mussuren et Callimachi. C'est ce que j’avais présumé. Il est déplorable que de telles perturbations puissent venir de là. Stratford Canning à Paris ne serait pas commode. Moins dangereux pourtant là, ce me semble, que partout ailleurs. Il est honnête, ferme et capable. Trois qualités que j’aime par goût et dont l'expérience m’a fait faire encore plus grand cas. Vous même, vous l’aimeriez certainement mieux à Paris qu’au Foreign office à Londres.
Abdel Kader me fâche. Non pas pour ses trouve qu’il y a, dans l’ouvrage, plus de talent que jamais. Il écrit toujours avec négligence. Il aura son public, peu nombreux, par insouciance, ou par timidité plus que par opinion. Pour moi, le régime parlementaire à part, je suis décidé à lui savoir beaucoup de gré de se prononcer, lui catholique dans ce moment-ci, pour la liberté religieuse. Je ne sais si son livre fera grand bien à l'Eglise catholique ; mais je suis sûr que Valdegamas et ses amis lui font beaucoup de mal. Je suis certainement le plus catholique des Protestants, mais je reste Protestant. La France ne reviendra pas protestante ; mais si on croit qu'elle redeviendra catholique, comme l'Univers, on se trompe fort.
A propos de Protestants, voici une question qui ne vous touche pas du tout, et dont probablement personne ne vous a parlé, mais enfin auriez-vous par hasard entendu dire si la conviction de l'Eglise Anglicane a quelque chose de sérieux et si le gouvernement anglais se propose de la faire ou de la laisser revivre ? Pardonnez moi, ma demande.
Cuba me paraît bien près de redevenir une grosse affaire. Ce sera une grande iniquité et un grand désordre international que l'Europe laissera consommer. La politique de toute l’Europe est en décadence. Gouvernements et peuples ont l’air de gens pour qui les événements du temps sont un fardeau trop lourd, et qui se décident à le laisser par terre et à s'asseoir eux-mêmes par terre à côté, ne pouvant le porter. Qu'est ce donc que cette tentative d'assassinat à Florence sur le comte Baldasseroni ? Mais je vous fais vraiment trop de questions. Avant quinze jours, ce sera de la conversation, ce qui vaut beaucoup mieux.

Onze heures
Vous faites bien de profiter du moindre rayon de soleil pour vous promener, et je remercie Aggy de ses quatre lignes. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23015_00384.jpg
Val-Richer Lundi 4 octobre 1852

Puisque vous avez besoin des médecins. Je suis bien aise que vous ayez vu concurremment les deux meilleurs. Le départ de Chomel vous y a obligé. Vous ne pourrez pas les garder tous les deux à son retour ; mais vous comparerez leurs avis et leurs procédés et Olliffe se changera de prendre de l’un et de l'autre, ce qui vous sera bon. Andral est moins agréable de sa personne que Chomel ; mais je lui crois plus d’esprit, et il est extrêmement consciencieux.
Je n’ai absolument rien à vous dire. Rien n’est plus stérile que l’attente d’une chose prévue et regardée comme certaine.
Dans le sentiment public, l'Empire est déjà du passé. Pour moi, je ne vis plus qu’avec Cromwell. Si vos yeux vous le permettent quand il paraîtra, il vous amusera à connaître quoique aucun passé ne vous amuse guère.
C'est le bruit de la bourse, m’écrit-on que le Pape viendra sacrer le nouvel Empereur. Je n'y crois pas. Pourtant, il se fera sacrer. L'exemple de son oncle, et ses propres relations avec le Clergé lui en font une loi. Par qui ? L’archevêque de Paris sera bien petit Il n’ira pas le faire sacrer à Reims. Peut-être un sacre collectif ; tous les cardinaux Français réunis. Je suppose qu’on a pensé à cet embarras.

Onze heures
Adieu, adieu. Les paroles sont aussi vaines sur l'Empire que sur la santé. Il faut attendre. Adieu.
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