Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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122 Val Richer, Vendredi 21 Juillet 1854

Sacy (ou son rédacteur) a eu certainement tort ; la liberté des cultes existe en Russie ; elle a même, depuis longtemps été l’un des mérites de votre gouvernement, et l’un de ceux dont on l’a et dont il s'est avec raison, le plus vanté. Les Débats n'auraient pas eu tort s'ils avaient simplement dit qu’en sa double qualité de chef de la religion grecque et de souverain absolu, votre Empereur avait fait souvent, dans l’intérêt de l’unité de son pouvoir religieux comme politique, de la domination et de la propagande tyrannique, aux dépens des cultes non-Grecs de ses états Catholiques, Protestants, Juifs, en ont souffert et s'en sont plaints. Vous vous rappelez les religieuses persécutées, les Jésuites bannis, les Provinces Baltiques tracassées, les Juifs de Lithuanie transportés en masse. Il y a eu certainement là de quoi réclamer au nom de la liberté religieuse. Mais on ne s’inquiète jamais assez de savoir la vérité des faits et de ne parler que dans la mesure de la vérité. Je comprends qu’on se préoccupe des lenteurs de l’Autriche ; je n’y mets, pour mon compte que très peu d'importance ; je suis de l’avis de Gréville ; à cause de la Prusse, l’Autriche ne peut faire autrement. Le dénouement sera le même : ou bien vous vous déciderez à faire la paix, une paix désagréable pour vous, mais nécessaire, ou bien l’Autriche prendra décidément parti contre vous et la Prusse elle-même un peu plus tard. Au point et dans le courant où sont les choses, cela me paraît inévitable.
C'est étrange qu'Orloff ait été si insolent avec l'Empereur d’Autriche de deux choses l’une ou le comte Orloff n’a pas autant d’esprit qu’on lui en donne, ou s’il n'a fait qu’agir selon les instructions de votre Empereur, votre Empereur s'est bien trompé sur le caractère et la situation du jeune souverain auquel il avait affaire. Infatuation ! Infatuation. C'est la maladie des jolies femmes, des peuples en révolution et des souverains absolus. J’aurais certainement pris plaisir à causer avec votre jeune Prince de Nassau. Je me le rappelle, très bien. Ces deux ans passés à parcourir l’Amérique du nord, lui font honneur.

Onze heures et demie
Rien dans les journaux, ni du Danube, ni d’Espagne. Deux lettres de Paris qui ne m’apprennent pas. L'Impératrice n’est pas grosse puisqu'elle va prendre des bains de mer. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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116 Val Richer, Mercredi 11 Juillet 1854

Si j'étais un Russe un vrai Russe, bien Moujik et bien grec, je serai un peu choqué de ces promenades de divertissement de la cour pour aller lorgner la flotte Anglo-française. Je ne regarderais cette flotte que de travers et je n'en approcherai qu'à coups de canon. Mais c'est l'affaire de votre Empereur ; il sait mieux que moi ce qui choque, ou ne choque pas les Russes.
Le Bulletin d'Havas parle des nouvelles hésitations du Roi de Prusse et de ces tentatives pour que la réponse de votre Empereur aboutisse à une nouvelle négociation. Mais il en parle sans colère presque ironiquement et comme ayant la certitude que tout le petit travail sera vain, et que la Prusse sera entraînée jusqu'au bout, à la suite de l’Autriche, dans la politique Européenne. Cela me paraît probable.
Avez-vous remarqué l’article du Constitutionnel d’hier mardi, signé Granier de Cavaignac, et intitulé caractère actuel de la question d'Orient. Il en vaut la peine. L'idée qu’il développe, est déjà et sont de plus en plus le lieu commun de la politique dans nos provinces.

Jeudi 12
Je dis comme vous, cela ne valait pas la peine de vous être envoyé hier. Je mène ici une vie très douce, entouré d'affection et de soin ; mais vous me manquez, vous et votre conversation, bien plus que je ne vous le dis. Tantôt j'ai l'esprit trop plein et il m'irrite de ne pas vous avoir là, pour la mettre en commun avec vous à tantôt je languis et je m'endors dans ma solitude. J'étais hier dans un accès de langueur.
Nous voilà dans une nouvelle attente de courriers et de réponses entre Vienne, Berlin et Pétersbourg. Cela n'aboutira pas ; les négociations incertaines peuvent réussir au commencement où à la fin des grands événements, quand la sagesse est encore écoutée ou quand la lassitude, est déjà venue. Mais nous n'en sommes ni à l’une, ni à l'autre de ces deux époques. Pendant qu’à Vienne on écrit, et on reçoit encore des lettres, 6.000 Anglais de plus partent de Southampton pour la Mer Noire et 10.000 Français de Calais pour la Baltique. C’est trop d'efforts et trop de forces pour que le vieux savoir-faire du Prince de Metternich arrête tout cela. Mais il peut bien en résulte que les grands coups soient remis à l’année prochaine. Pourtant, j'en doute. Il y a encore cette année, trois mois de guerre.
On pense comme vous à Paris sur les affaires d’Espagne, malgré la retraite des insurgés, on ne les trouve pas très rassurantes. Que signifie ce que je vois dans les journaux anglais que votre grand Duc héritier est très malade, rapid decline ?
Si vous ne pouvez pas avoir de logement à Schlangenbad, pourquoi ne resteriez-vous pas à Ems tant que vous y aurez une société et un peu agréable. Je vois que vos petites soirées de musique vous plaisent. Gardez-les, même quand [manque une page]

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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114 Val Richer Mardi 10 Juillet 1854

Mon fils me rapporte enfin de Paris des grosses plumes à mon grés. Je n’avais que de ces plumes à bec fin qui me sont insupportables. Il ne me rapporte guère autre chose, sinon que Morny a été malade, à croire qu’il allait mourir. Il paraît qu’il aurait assez envie d'être président du Corps Législatif à la place de M. Billaut ; mais il ne témoignera pas cette envie et je doute qu’on aille le chercher. On dit que le Corps législatif serait bien aise de l'avoir pour Président.
Paris est très tranquille, très désert, très préoccupé des travaux dans les rues et très peu de la guerre, confiant dans le succès. Les embarras d'argent se font un peu sentir. Le général Nielle qu’on envoie dans la Baltique, avec Baraguey d’Hilliers, et Regnaut de St Jean d'Angely est un officier du Génie très distingué ; cela suppose, ou qu’on a de grands sièges à faire en règle, ou qu’on veut s’établir et se fortifier quelque part. C’est une opinion assez générale que la grande guerre contre vous ne se fera que l'année prochaine.
C'est aussi pour l’année prochaine que vous annoncez vos grands armements, et vos grands coups. Je trouve cela, un peu ridicule, de part et d’autre. Je ne trouve pas non plus de bien bon goût la lettre de votre Empereur au Roi de Prusse dont on me donne un résumé qu’on me dit textuel. Le ton en est plus gros qu'au fond la confiance n’y est grande cette dernière phrase : " Quand vos amis deviennent vos ennemis, on ne peut plus se confier qu'à Dieu ; mais soyez en bien persuadé, j’aurai mon tour, et je punirai les Turcs et les autres " est un langage de Sultan à Pacha, non de souverain à souverain.
Il n’est question dans cette lettre que de 500 000 hommes en armes l’année prochaine, non pas de 1. 300 000, comme vous disait le général Offenberg. Grande colère aussi contre le Prince de Metternich : " Il a déjà mis l’Autriche à deux doigts de sa porte ; il va jouer encore une fois son va tout. Et bien, je ne ferai pas la guerre à l'Empereur d’Autriche ; mais j'accepte sa déclaration de guerre. Je ne quitterai pas les principautés ? Je ne sais pourquoi je vous envoie toutes les phrases, vous les avez sûrement. Il pleut à Paris. Un peu de choléra ; rien de grave. Il est grave dans quelques villes du midi ; à Arles, il est mort 80 personnes en un jour. Ville du 10 à 12 000 âmes.

Midi
Voilà votre N°94. Le Constitutionnel me fait croire tout à fait que la lettre qu’on me domme comme de votre Empereur est bien authentique. Il y a, contre l’Autriche, plus d'humeur que vous ne me dites. J’incline assez à penser qu’il y a encore de la part des Allemands, quelque tentative de médiation à votre profit, que du moins ils vous ont présenté sous cet aspect, leurs dernières résolutions, même l’entrée des Autrichiens en Valachie. Je doute que cela réussisse. Les politiques incertaines, et obscures sans être profondes ne réussissent guère aujourd’hui que toute se passe sur une grande échelle et au grand jour. Les événements sont plus sérieux que les hommes. Adieu, Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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108 Val Richer, samedi 1er Juillet 1854

Je vous renvoie, la lettre d’Ellice, intéressante si j'y croyais tout à fait, j'en conclurais que la politique de la paix a fait son temps, que l'Angleterre veut du nouveau, n'importe par quels motifs, et à quel prix, et que nous entrons dans une de ces époques où les gouvernements et les peuples dépensent en enfants prodigues, le capital de force, de richesse et de bonheur qu’ils avaient acquis dans ces jours plus sensés. Cela se peut ; il y a bien des symptômes de cet état. Pourtant je n'y crois pas ; je vois bien des symptômes contraires, et je suis sûr que la France n’est pas du tout dans cette disposition.
// Ne croyez pas que je vous dis ceci par pure malice ; tenez pour certain que, s'il y avait dans ce pays-ci une tribune et si ses affaires du dehors, et du dedans, étaient publiquement discutées, ce qui arrive n’arriverait pas. Le vrai sentiment et intérêt de la France se ferait jours et les amis de la paix en Angleterre trouveraient en France un point d’appui. Je conviens qu’il aurait fallu s'y prendre plutôt, et qu’au point où en sont aujourd’hui les choses la paix ne peut se faire que fort à vos dépens.//
Le Duc de Broglie m'écrit : " Voilà l'affaire d'Orient qui entre dans une phase nouvelle ; il me paraît difficile qu’il n’y ait pas, dans tout cela, un dessous de cartes une certaine entente entre la Prusse et l’Autriche et la partie modérée du Ministère anglais. S'il y avait un homme quelque part, les choses étant posées comme elles sont, la paix telle qu’elle s’en suivrait. Mais je n'y crois pas ; je crois que John Bull poussera sa pointe que nous l’y seconderons un peu à contrecoeur, et que l'Allemagne laissera faire. Les événements décideront. "
J’ai aussi des nouvelles de Ste Aulaire qui me demande quelques renseignements pour ses Mémoires ; très amical : “ De fréquentes lettres de vous, c’est tout ce que je regrette des ambassades hélas, je serais bien indigne à présent de votre correspondance ; mon esprit s'endort et ma main tremble " Il m’écrit au crayon ; il ne peut plus tenir une plume. C'est ce qui m’arrivera un jour. Sa lettre finit par ceci : " Pauvre Princesse de Lieven ! On croit qu’elle a renouvelé son bail de la rue St Florentin. et j'en augurais bien pour son retour vous me ferez plaisir de mettre, mon nom dans une de vos lettres ; je lui suis bien sincèrement attaché. "
Puisque j'en suis sur les souvenirs, vous vous souvenez de M. Sauzet ; il est à Paris et M. Vitet m’écrit : " C'est à tomber à la renverse ; un spectre, un vrai fantôme. Le pauvre homme m’a donné l'explication de sa maigreur extrême ; c’est son énergie qui l’a dévoré. Par malheur, elle ne lui a pris que son embonpoint et lui a laissé sa faconde, à l’entendre, on le reconnaît." Il paraît qu’il y a eu de vifs débats à l'Académie, à propos des prix Monthyon ; les philosophes aux prises avec les dévots ; Cousin et Montalembert se sont querellés vivement. Cousin a été battu. Adieu.
Toujours un temps abominable des torrents de plus depuis trois jours. Si votre Empereur est aussi entêté que mon éternuement, il n’y a guère de chances de paix. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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83 Val Richer, Vendredi 2 Juin 1854

Je suis bien aise de savoir Mlle Cerini auprès de vous. Elle me paraît réunir les qualités essentielles aux convenances extérieures. Je souhaite qu'à l'user elle vous plaise, et que cela dure. Mettez du vôtre. Ce qu’elle a est déjà assez difficile à trouver. Ne vous querellez pas avec Constantin. C'est un excellent homme et il a de l'affection pour vous. Que vous importe son plus ou moins d’esprit ? Vous ne vivez pas avec lui. Il se conduira toujours honorablement, et il vous sera toujours dévoué. Ne lui en demandez pas d'avantage. Vous ne lui donneriez pas l'esprit qu’il n’a pas et vous lui ôteriez les bons sentiments qu’il a.
Génie m’écrit que demain samedi ; il vous aura renvoyé votre bail paraphé et signé. J'en suis charmé, non seulement pour votre repos d’esprit, mais pour notre avenir de Paris auquel je crois toujours très décidément, sans entrevoir comment il reviendra. La foi ferme est dans ma nature. J’y ai été souvent trompé, mais pas toujours. J’ai eu quelquefois raison d'espérer contre toute apparence, assez pour ne désespérer jamais.
On me dit qu’entre l’Autriche et la Prusse, indépendamment de l'article addi tionnel qui a été publié et qui spécifie les cas de guerre, il y a un article secret par lequel l’Autriche s’engage à ne rien entre prendre d'effectif, contre vous sans une entente préalable avec la Prusse. Je suis assez porté à y croire. Savez-vous qu’on vient de frapper à la Monnaie de Paris une médaille destinée à consacrer le souvenir de l'alliance Franco- Anglo-Turque ? Sur une face, l'Empereur Napoléon III donnant la main droit à la Reine Victoria, et la gauche, au sultan Abdul Medjid, avec ces mots autour. Catholicisme, Protestantisme, lslamisme, Civilisation ; Dieu les protége - sur l'autre face : - sous le règne de l'Emp. Napoléon III et sous celui de la Reine Victoria, la France et la Grande Bretagne se sont unies pour assurer la paix du monde. Il faut convenir qu'elles n’ont pas pris, vers la paix, le chemin le plus court. On prétend que cette médaille a été distribuée à tous les Évêques Français. Mauvaise plaisanterie. Mais quant à la médaille même, on m’assure qu'elle existe, et qu’on l’a vue. Quand je l'aurai vue, je vous le dirai.
Je suppose que je vous écrirai encore demain à Bruxelles, et puis à Ems. Vous me donnerez vos instructions. Je pense avec plaisir que la Princesse Kotchoubey et sa charmante fille sont encore pour deux ou trois mois avec vous. Remerciez les je vous prie, de ma part, de leur aimable souvenir. Et quand vous quitterez Bruxelles, soyez assez bonne pour dire un mot de moi à M. Barrot. J’ai été touché et point surpris de sa courtoisie. C'est dommage que M. Van Praet n'aille pas aussi à Ems ; vous ne remplacerez pas sa conversation.
Onze heures
Je n’ai rien de vous ce matin. Adieu donc. J'espère bien que vous n'êtes pas malade. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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72 Paris, Samedi 20 Mai 1854

J’ai vu hier Mlle de Cerini. Elle devait partir mercredi 24 pour tenir bien exactement sa parole. Je lui ai dit la certitude que vous lui laissiez. Elle hésitait à en profiter, quoiqu'elle en eût envie. Comme je veux lui remettre, pour vous un livre qui ne doit paraître, et que je ne puis avoir que Vendredi, je l’ai engagée à prendre deux jours. Elle partira Samedi prochain 27. J’ai été vraiment content de sa conversation et de sa disposition. Elle m’a dit que vous aviez été parfaitement bonne pour elle qu’elle désirait de tout son coeur répondre à votre bonté, qu’elle voudrait être pour vous une fille. Tout cela avec une émotion simple et franche qui m’a touché. J’ai parlé de la lecture. Elle la fera. Elle demande seulement un peu d'indulgence au commencement, si elle ne lit pas très bien. C'est une habitude à prendre.
J'attends, mon homme pour votre arrangement avec Rothschild. Cela ne peut se traiter que par un homme d'affaires. Le mien sera ici demain.
Voilà votre N°61. J’approuve tout à fait votre lettre à Rothschild. Il ne peut pas ne pas accepter. Vous revenez au prix de l’ancien bail et vous vous chargez des réparations, dont vous êtes le juge naturel. Envoyez-la lui. L'affaire sera réglée. Le Duc de Noailles doit venir me voir aujourd’hui à cinq heures. Je lui en parlerai. Il sera certainement de mon avis.
Dîner hier chez Mad. de Staël, avec les Broglie et les d’Haussonville. Le soir, chez Duchâtel, où il y avait un peu de musique 40 ou 50 personnes. Presque tout notre monde. Point de diplomate. Je n'ai vu personne qui eût vu Hübner depuis son retour. Il me revient que son langage est plus contenu. Evidemment on compte ici tout à fait sur l’Autriche, et on n'a pas la moindre inquiétude sur la Prusse qu’avec raison on regarde comme définitivement liée par la convention Austro Prussienne. Les politesses qu'elle vous fait sont naturelles, et insignifiantes. Mais on dit que les menaces du Times n’ont pas été inutiles pour amener le Roi de Prusse à ce point.
Le nouveau ministre des Etat-Unis à Paris M. Mason est venu me voir hier. Gros homme qui à l’air d’un grand sens. Très résumé, et je crois, très indifférent sur la politique Européenne. Il en parle en passant, comme d’une curiosité qui l'amuse et ne le regarde pas. Uniquement préoccupé du prodigieux développement de richesse et de puissance de son pays sur ceci, il ne tarit pas. Un de ses amis, qui n'aime pas les villes, avait bâti son habitation à trois milles de celle à laquelle il appartenait, dans l’Etat des Illinois. Il a été un an absent de chez lui, pour le congrès, pour les affaires. Quand il y est retourné, il a retrouvé sa maison dans une rue ; la ville était venue le rejoindre à la campagne. Il est plus contenu. Évidemment on compte. Vous voyez qu’il n’y a rien de nouveau.
e cherche si on m'a raconté quelque histoire. Le comte Branicki a accompagné le Prince Napoléon. A Marseille, il a imaginé de se faire lui-même colon Français et il s'est promené dans les rues avec l'uniforme. Le ministre de la guerre, informé par le télégraphe, est allé trouver l'Empereur qui lui a demandé " Êtes-vous sûr du fait ? Voilà la dépêche du général qui commande à Marseille. - Eh, bien, faites, ce que vous voudrez " Ordre transmis immédiatement par le télégraphe de déshabiller le comte Branicki qui a été déshabillé en effet, et a continué de suivre le Prince, en uniforme de fantaisie.
Adieu, Adieu.
Je vais demain passer la journée à la campagne, chez Mad. Mollien. Je pars à 9 heures et demie. Il est probable que je ne vous écrirai pas demain. Je ne comprends pas ce qu'est devenu le N°66. Mercredi dernier, en arrivant à Paris, je ne vous ai pas écrit. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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71 Paris, Vendredi 19 mai 1854

L’Académie a occupé hier ma journée. Nous avons fait ce que nous voulions. Je croyais à 20 voix pour l'évêque d'Orléans et à 22 pour M. de Sacy. Ils en ont eu chacun une de moins. Ce sont deux choix très dignes, à la place de MM. Tissot et Jay.
Je repartirais pour la Val Richer, si je n'avais encore Vendredi prochain une élection à l'Académie des Inscriptions. Celle-ci sera plus disputée. Le Ministre de l’instruction publique, M. Fortoul, se met sur les rangs. et il a des chances. Quoiqu’il ait contre lui, dit-on, la princesse Mathilde. M. de Nieuwkerke soutient vivement le concurrent de M. Fortoul, qui est son second dans l'administration du Musée.
Les fureurs du Times contre le Roi de Prusse sont de bien mauvais exemples. Les purs révolutionnaires ne diraient pas mieux. C'est aussi absurde que choquant la convention Austro Prussienne est bien plus occidentale que Russe, et ce n’est pas au moment où elle vient de la signer que la Prusse s'éloignerait de cette politique. Je trouve cette convention très sensée. Les deux puissances s'y engagent dans la mesure qui convient à chacune d'elles, et il y a là des moyens de négociation et des chances de paix. Pourvu que la vigueur de l’exécution réponde à la sagesse de l’intention. C'est par l’exécution surtout que la politique pêche aujourd’hui, on fait ce qu’on ne voulait pas faire ; on va où l’on ne voulait pas aller. Par imprévoyance et par faiblesse quotidienne, à chaque moment où il faut passer de l’intention, à l'action.
Ici, on se dit content de la Convention, et je crois qu’on l'est. Il y a de la confiance et du mouvement ascendant dans la situation plutôt que de l’inquiétude, et du déclin. Toujours quelque agitation autour de M. de Persigny ; il était en querelle dernièrement avec ses chefs de service, surtout avec le principal, M. Frémy. Il a, comme de raison, gagné cette petite bataille et congédié, M. Frémy. On répète aussi que M. Drouyn de Lhuys est fort ébranlé. Je ne crois à aucun de ces bruits. Lord Cowley n’est pas encore revenu de Londres. J’ai vu hier tout notre monde à l'Académie, Molé, Noailles, Montalembert, Barante & quand je suis arrivé, j’ai trouvé Thiers assis à côté de ma place : " On dit que je vous ai pris votre place, m'a-t-il dit. - Non, mais vous me l’avez fait prendre par M. de Barante à qui vous avez pris la sienne. " Il s'est reculé d’une chaise, et je me suis assis entre Barante et lui. Nous avons causé aussi amicalement qu'insignifiamment et nous avons voté ensemble.
Montalembert est tranquille et de bonne humeur. Tout le monde dit qu'après le départ du Corps législatif, son procès tombera dans l’eau. Noailles me demandait d'aller dîner dimanche chez lui, mais j’ai promis à Mad. Mollien. Hier chez Mad. Lenormant, aujourd’hui chez Mad. de Staël et lundi chez Duchâtel qui part mardi.

Une heure
Je n'ai pas de lettre aujourd’hui. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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49 Paris, Mardi 25 Avril 1854

Ce froid me déplait beaucoup. J’ai mal à la gorge, et très mal à propos dans une semaine de meetings et de conversations. Le soleil tout brillant qu’il est, est peu efficace contre le vent dur et sec. Enveloppez-vous bien dans le bois de La Cambre, et n'abusez pas de la voiture ouverte ; vous avez, sur ce dernier point, des habitudes Anglo-russes dont je me méfie. Vous n’avez plus que cela d' Anglo-Russe.
Hier soir, un Comité Protestant et Mad. de Champlouis avec de la musique. Bonne à ce qu’on dit, et à ce que je crois parce qu'elle m’a plu. Vous avez beau vous moquez de mon ignorance ; je persiste à accepter. mon plaisir quand il me vient. Les arts, la musique surtout ont le privilège qu’on n'a pas besoin de s'y connaître pour en jouir. Ils trouvent toujours, dans les plus inexpérimentés, des fibres qu’ils remuent, et qui à leur tour, remuent toute l'âme.
Le traité de la Prusse et de l’Autriche fait de l'effet. On dit qu’il sera communiqué à la Diète de Francfort qui l’approuvera, et qu'alors, c’est-à-dire vers l'automne, au nom de toute l'Allemagne, on demandera aux Puissances belligérantes de mettre fin, par une transaction, à une situation interminable par la guerre. On parle même déjà des bases de la transaction ; on dirait que votre Empereur a eu tort dans les deux moyens qu’il a pris pour imposer à la Porte ses demandes, sa mission du Prince Mentchikoff et l’occupation des Principautés ; mais il avait réellement quelque chose à demander, et la Porte a eu tort de lui refuser toute satisfaction, et les Puissances occidentales ont eu tort de ne pas engager sérieusement la Porte à lui en accorder une. Tous ces torts admis, on en viendrait à l’évacuation des Principautés, et à un congrès, si mieux n’aimaient votre Empereur et la Porte en finir tout de suite par quelque chose d’analogue à la Note de Vienne un peu modifiée et sans commentaire. Voilà les prédictions. Je n’ai pas trouvé Andral hier quand j’ai passé chez lui. Je lui écrivais ce matin pour le presser, si vous ne me dites pas qu’il a répondu.
Les départs commencent. Henriette part lundi prochain pour le Val Richer, avec son mari et son enfant. Pauline et les siens resteront avec moi jusqu’au 19 Mai. Nous ferons les élections de l' Académie Française le 18, et celles de l'Académie des inscriptions le 19 et le soir même je partirai, à ma grande satisfaction. Les Broglie seront retenus un peu plus longtemps à Paris à cause des couches de la belle-fille qui va très bien. Les Ste Aulaire et les Duchâtel seront partis.
Adieu, Adieu. Avez-vous repensé à Mlle de Chériny ou à quelque autre ? Je dois dire que M. de Chériny n'a pas du tout l’air d’une grande dame Allemande à qui il faut apporter sa chaise. Adieu, G

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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45 Paris, Vendredi 21 Avril 1854

Hier à dîner chez Duchâtel, Lord Brougham, les trois Ellice, M. et Mme Emile Cornudet, Flahault, Dalmatie d'Haubersart, Dejean. Je m’en suis allé en sortant de table. J'avais du monde chez moi, le soir, les Boileau. Dumon, Senior, Liadières, le Prince, et la Princesse de Broglie et huit ou dix anciens déportés conservateurs que vous ne connaissez pas même de nom. Trés honnêtes gens, à la fois fidèles et sensés. Il y avait, et il y a encore là, dans notre ancien parti conservateur, un fonds d'excellent parti de gouvernement. Trop petits ; ils ne voyaient pas d’assez haut. Mais leur bon sens subsiste ; ils sont toujours pour la politique de la paix et de l’ordre Européen. Ils en veulent à votre Empereur de l'avoir sacrifiée pour courir après un peu plus d'influence, apparente peut-être, à Constantinople.
Personne ne croit à aucun arrangement. actuel ; il faut qu’on se batte, et qu’on se batte en vain. L'Autriche se réserve pour reprendre le rôle de médiateur l'hiver prochain, quand on se sera battu en vain tout l'été. Les Anglais se résignent à ne pas faire grand chose dans la Baltique, grand' chose d'éclatant ; mais ils bloqueront tous vos ports, toutes vos côtes ; effectivement, ce qui écarte les neutres et ce qui doit ruiner tout-à-fait votre commerce, c'est-à-dire vos grands propriétaires. Je les trouve un peu tristes dans leur langage, mais obstinés et patients ; ils sentent qu’ils ont fait trop de bruit et trop promis ; mais ils persistent, quoique plus modestement.
Voilà leur traité d'alliance offensive et défensive avec la France conclu et signé. On prépare ici de nouveaux envois de troupes. On crie beaucoup contre la folie des Turcs qui, en expulsant les grecs, ont expulsé tous les négociants, tous les fournisseurs avec lesquels ils avaient passé des marchés pour l'approvisionnement des armées alliées. Les marchés s'en vont avec les marchands de là de grands embarras et une juste humeur.
Le Moniteur énumère ce matin nos trois escadres. On dit que M. Ducos a dit à l'Empereur qu’il en avait dans la main une quatrième ; à quoi l'Empereur répondu : " Fâchez de la faire remonter dans la manche." Mad. de la Redorte vient d'être très malade. Sa fille était très jolie hier, chez Duchâtel ; mais on dit que ses yeux ont plus d’esprit qu’elle. Mad. de Caraman avait avant hier soir, une lecture des Mémoires sur les Cent Jours, de M. Villemain. J'en ai entendu un long fragment l’hiver dernier. C'est piquant. Cela paraîtra au mois d'octobre.
On dit beaucoup que la Chambre du Conseil va déclarer qu’il n’y a lieu à suivre contre M. de Montalembert. Ce bruit se soutient, et se confirme depuis plusieurs jours. Ce serait, pour le gouvernement, un désagrément momentané qui lui épargnerait un long embarras. Adieu.
Il a plu hier tout le jour. On dit que c’est excellent et je le crois. Pour moi, j’aime mieux le soleil. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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34 Paris, lundi 10 avril 1854

Hier matin, le chancelier ; hier soir le Duc de Noailles, Molé, Duchâtel, Savandy, Berryer. Personne ne sait et n'attend rien de nouveau, si ce n'est la guerre réelle. Vous semblez partout décidés à une guerre purement défensive. C'est la guerre indéfiniment. Il faudra pourtant bien qu’elle finisse, dit-on. Qui sait ? Je suis triste, et plein de sombres pronostics. Je ne connais rien de plus inattendu, de moins nécessaire, de plus factice que tout ce qui arrive. Apparemment Dieu le veut. Si la paix n’est pas faite, l'hiver prochain, nous en aurons pour dix ans, et l'Europe entière bouleversée.
Le nouveau protocole, après la déclaration de guerre a en effet une grande valeur. On dit que la lettre de l'Empereur d’Autriche à l'Empereur Napoléon, en ce sens. " Maintenant, approbation de la politique occidentale, entente continuée dans la neutralité ; avec la Russie, jamais union active ; avec la France et l'Angleterre, union active peut-être, probablement plus tard, certainement le jour où les intérêts propres de l’Autriche seraient engagés. "
Voici une moins grande question. La mort de M. Tissot laisse une place vacante à l'Académie Française. M. l’évêque d'Orléans se présentera-t-il pour faire, en lui succédant, l'éloge d’un vieux Jacobin archi-voltairien ? Je voterai pour lui, s’il se présente ; mais je serais étonné qu’il se présentât. Il y a encore dans l'Académie quatre octogénaires, dont deux malades. M. l'évêque d'Orléans n'attendra pas longtemps une autre vacance.
J’irai aujourd'hui voir et renverser la prince de Ligne. On ne se rencontre plus nulle part. Le Chancelier ne donne plus à dîner. Molé ne reçoit plus. Dans trois ou quatre semaines, tout le monde sera disposé.
J’attends ma fille Pauline demain, et certainement avant le 15 Mai. Je serai rétabli au Val Richer. Quand les grandes satisfactions de l’âme me manquent, je prends les petites en dégoût, et je ne me plais plus que dans le libre repos de la famille et de la campagne.
Kisseleff a bien peu d’esprit d'être revenu chez vous sans commencer par vous offrir son appartement avec ses excuses. L’égoïsme finit toujours par être sot et ridicule. La moindre société humaine vaut un peu de bienveillance sincère et de sacrifices mutuels, je dirai volontiers un peu d’amitié. Où il n’y en a pas du tout, la simple politesse même et le bon goût disparaissent bientôt. Adieu, Adieu.
On commence à se désoler sérieusement du beau temps. On dit que si ce soleil sec dure encore quinze jours, la moitié de la récolte prochaine sera perdue. La disette avec Dantzig et Odessa de moins, ce serait grave. Adieu encore. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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19 Paris. Jeudi 16 Mars 1854

Si de part et d'autre, on ne voulait réellement que ce qu’on dit, l'occasion serait belle pour arrêter encore, les milliers de bouches à feu près de tirer, voilà les Turcs en train de faire pour les Chrétiens, Catholiques, Protestants ou Grecs, bien plus que vous n'avez jamais demandé, pour eux. Pourquoi votre Empereur ne déclare-t-il pas que cela étant, la guerre n'a plus le motif, qu’il ne veut pas la faire et qu’il demande pourquoi, on l’a lui fait ? On serait peut-être un peu étonné, mais très embarrassé. J’ai peur qu’il ne le fasse pas. Et pourtant, s'il ne le fait pas, ce sera plus que jamais à lui que l'Europe s'en prendra de la guerre, car, pour tout ce qu’il a fait depuis un an, il n’a allégué d’autre motif que le motif religieux, la nécessité, pour lui, de protéger l'Eglise grecque. Et en ce moment, c’est au sentiment religieux de son peuple qu’il fait appel pour populariser la guerre. Voici ce qui arrivera probablement. La Russie fera la guerre, à l'Europe pour garantir aux Chrétiens grecs, de Turquie des privilèges très inférieurs à ceux que la Turquie leur accorde. L’Europe fera la guerre aux Chrétiens grecs pour les forcer à accepter ce que la Turquie leur accorde. En soi, cela est absurde, et bientôt, aux yeux des hommes religieux, cela sera odieux. Et si, comme cela encore est probable, l’Europe est elle-même bouleversée, de nouveau par cette guerre, devenue révolution, un jour ne tardera pas à venir, où il n’y aura ni assez de malédictions, ni assez de sifflets pour les auteurs d’une telle situation.
On n'aura, pour échapper aux malédictions. et aux sifflets, d’autre ressource que de dire qu’on voulait autre chose que ce qu’on disait. Triste apologie quand le jour du jugement est arrivé.
On disait hier, de bonne source, que tout était arrangé avec l’Autriche, qu’elle ne vous déclarerait et ne vous ferait point la guerre, mais qu’elle déclarerait son adhésion morale à la politique qui maintient l’intégrité et l'indépendance de l'Empire Ottoman, et qu'elle se chargerait de maintenir l’ordre, dans la Servie, la Bosnie et le Monténégro. On paraissait espérer que la Prusse en gardant sa neutralité, donnerait, à cette quasi-neutralité de l’Autriche, une approbation explicite. " Si on était sage, disait avant hier Morny, on se contenterait de cela, on le dirait tout haut, et on resterait en intimité avec l’Autriche, à ces termes. " Il a raison ; mais il disait Si. Et si on n’est pas sage, qu’arrivera-t-il ?
Voilà votre numéro 13. Vous avez un peu troublé Molé il y a quelques jours, en lui écrivant, par la poste, que vous aviez chargé M. de Mirepoix de lui remettre une lettre. Cela n’est pas de votre prudence ordinaire, et je ne dirai pas à Hatzfeld que vous m'avez écrit, par la poste aussi, de me servir de son courrier. Je lui ferai demander ce matin si son courrier peut se charger aussi des deux volumes, de Cromwell. Je pense que oui. Sinon, je vous les enverrai par une autre voie. Adieu.
Je vous ai dit, je crois, que je vais au Val Richer lundi, pour trois jours. J'en reviendrai Vendredi matin. Mon projet. est ensuite de partir le 21 mars et d'aller passer cinq jours avec vous, jusqu’au 5 avril au soir, d’un jeudi à un jeudi. On vient assez me voir le jeudi soir, et je ne veux pas y manquer souvent. J'espère que rien ne dérangera mon projet, et qu’il vous conviendra comme à moi. Adieu, adieu. G.
P.S. On m'assure que les nouvelles de Constantinople disent que la négociation en faveur les Chrétiens est loin d’être aussi avancée qu’on le disait. Au bal qu'a donné ces jours derniers le Roi Jérôme, on affirme que son fils Napoléon n’a pas paru, déclarant à son père que dans ces fonctionnaires Impériaux, il y avait tant d'ennemis de leur droit héréditaire qu’il ne voulait pas se mêler à eux. Le Roi de Naples se prêtera à tout ce qu’on voudra de lui ; mais il a demandé à être débarrassé de M. de Maupas qui intriguait trop ouvertement pour les Murat. De là le remplacement de Maupas par de la cour.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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17 Paris, Mardi 14 Mars 1854

Le bruit court ici qu’il se fait en ce moment un dernier effort pour un accommodement, que le comte de Nesselrode, le comte Orloff et le Prince de Metternich se sont entendus, à cet effet, entre eux et avec Berlin, que la mission du Prince de Hohenzollern et du général Groeben sont à ce dessein, qu’il s’agirait de préliminaires de paix dont votre Empereur serait déjà à peu près d'accord, qui seraient officiellement convenus ensuite entre vous et la conférence de Vienne, après quoi vous traiteriez définitivement tête-à-tête avec les Turcs. J’ai peine à croire que cela soit réel, et encore plus que cela aboutisse. On est trop engagé de part et d’autre, et un tel mouvement ne s'arrête pas devant un travail si incertain et si obscur.
Je ne suis pas sorti hier soir. Je suis resté chez ma fille, à jouer au whist et à causer domestiquement. Vous ai-je dit qu'avant hier, dans la matinée, j’ai rencontré Thiers chez Mad. de Rémusat ? Quand je suis entré, il était assis à côté d'elle sur un canapé, avec deux autres visiteurs dans le salon ; il s'est levé en m'offrant sa place. " Non, lui ai je dit, je ne me mettrai sur ce canapé que si vous y restez. - bien volontiers. " Nous nous sommes assis à côté l’un de l'autre, et Mad. de Rémusat est allée se mettre sur un fauteuil. Une heure de conversation animée, et amusante.
Thiers, très partisan de la guerre ; vous croyant très puissants et très redoutables mais mon pas invincibles ; tôt ou tard, il aurait fallu en découdre avec vous ; l'occasion est bonne pour l'alliance, mauvaise pour vous. Inquiet de l’avenir cependant ; parlant bien du Maréchal Vaillant comme ministre de la guerre, homme capable, honnête et homme d’ordre, du reste, très bon enfant et visiblement caressant, non sans un peu d’embarras, en commençant. Mais tout embarras disparaît vite entre gens d’esprit. Cette heure là m'a plu, sans ne rien apprendre, ni rien changer.
On m’a dit positivement que Castelbajac avait été reçu. Je tâcherai de savoir comment. Je remarque que les diplomates ne viennent presque pas chez Molé. J’y suis allé les deux derniers mardi ; Hatzfeld lui-même n’y était pas. J’ai rencontré Hübner samedi sur l'escalier des Rothschild. Il descendait je montais. Nous nous sommes arrêtés deux minutes à causer, pour rien. Il n’a paru plutôt pas content. Adieu, Adieu. Je dîne aujourd’hui chez Madame de Caraman. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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12 Paris, Mercredi 8 mars 1854

J’ai reçu votre N°6. Je ne vous ai pas écrit hier. Je n’avais rien à vous dire et j'étais dérangé par toutes sortes de visites. Moins on sait, plus on cherche.
On est toujours un peu perplexe sur l’Autriche. On croit pourtant, et je crois qu’elle signera la convention qui est sur le tapis et qu’on regarde comme suffisante. La Prusse, dit-on. refuse formellement de la signer ; mais elle engage l’Autriche à la signer, lui promettant appui si cela lui attire quelque gros embarras. Le bruit a couru hier que M. de Manteuffel s'était retiré comme trop peu Russe. On n'y croyait pas. Je vous donne le résumé de ce que j'ai entendu dire dans la journée, et le soir chez Molé. Il y avait assez de monde, entr'autres les Cowley. Vous devez du reste savoir les nouvelles Allemandes mieux que nous.
La demande de M. Gladstone pour le doublement de l'Income tax a été assez mal accueillie dans le Parlement. Personne n’aime à payer la guerre, même celle qui plaît. Le corps législatifs d’ici était plus en train. Il voulait voter l'emprunt de 250 millions le jour même où on le lui a présenté. C’est M. Billault qui, par respect pour les formes, a fait retarder d’un jour en disant : " A demain ; cela suffira." Montalembert voulait parler ; point du tout pour combattre l’emprunt, ni la guerre ; il en est tout à fait d’avis, très approbateur de l'alliance Anglo- française et de la résistance à vos prétentions en Orient. L’Assemblée était si pressée qu’il a renoncé. Flavigny, seul, a dit quelques mots convenables et écoutés.
Le Maréchal St Arnauld a eu une nouvelle crise de son mal. Il persiste cependant à vouloir partir. Il dit à l'Empereur : " Vous m'avez donné un bâton de Maréchal ; j’aime mieux mourir en m'en servant que dans mon lit ? " S'il ne peut pas partir, ou s’il meurt après être parti, les gens bien informés croient que le Général. Baraguey d'Hilliers le remplacera. Les badauds disaient hier qu'on avait fait faire des ouvertures au général Changarnier. Les nouvelles levées d'hommes se font sans difficulté et partent sans mauvaise humeur. La longue paix a fait oublier les maux de la guerre. Le goût du mouvement et des aventures s’est ranimé. Cela contrebalance un peu le goût du bien-être et le besoin de la prospérité matérielle.

2 heures
Voilà votre N°8. Que je déplore vos yeux ! On a été bien gauche à Pétersbourg si on avait envie que vous restassiez à Paris. C'était si aisé ! En admettant que vous ne vous trompez pas aujourd’hui, ce ne serait plus si aisé, car il serait plus grave. Il faut que vous sachiez la vérité dans le gouver nement, et aussi un peu dans le public, l’esprit de guerre s'échauffe ; on s'y prépare sérieusement, et pour longtemps. On parle sans sourciller, de ce qu’on fera dans deux ans, dans trois ans, si on ne réussit pas tout de suite, et de toutes les chances en pourraient s'ouvrir alors. Votre Empereur seul peut encore et pourra toujours faire tout finir promptement ; mais s'il ne le fait, les autres accepteront la longue lutte et le grand chaos. Adieu, adieu. Triste adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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52 Val Richer, Vendredi 26 Août 1853

Je vous écris à Paris où je suppose que vous arriverez demain. Je vous ai écrit à Francfort d’où l’on vous renverra ma lettre si vous y avez passé trop tôt pour l'avoir, ce qui me paraît probable. Je ne reviens pas sur ce que je vous disais. Il aurait fallu vous attendre trop longtemps. J’aime mieux refaire 95 lieues que perdre huit jours. J’irai vous voir du 10 au 15 septembre. J’attends deux visites dans les premiers jours de septembre. Certainement je causerai plus longtemps avec vous qu’avec l'Académie. J’ai grande envie de vous voir et de causer. La personne d'abord, puis la conversation. Ce serait charmant que nous fussions toujours du même avis ; la sympathie vaut mieux que la dispute ; mais là, où le premier plaisir n'est pas, le second à encore son prix. Je suis fort aise que vous soyiez content, à Pétersbourg de votre sortie de l'affaire Turque. Je ne pense pas qu’on soit mécontent à Londres et je crois que, s’il n’y avait point eu d'Angleterre, ou si elle ne s'en était pas mêlée, vous seriez encore plus contents. C'est elle qui vous a empêchés de faire toute votre volonté. Là est son succès, quelles qu'aient été ses fautes. La politique extérieure Anglaise fait beaucoup de fautes de détail, car elle ignore beaucoup, tant le continent lui est étranger, et elle est pleine de transformations brusques, et de soubresauts, comme il arrive dans les pays libres ; mais en gros et dans l’ensemble des choses, le bon sens et la vigueur y sont toujours et la mènent au but. Quant à l'affaire elle-même, comme je ne m'en suis jamais inquiété, j'en attends très patiemment à la dernière fin. J’ai reçu hier des nouvelles de Barante qui ne me paraît pas s'être inquiété non plus.
Le mariage de l'Empereur d’Autriche était très inattendu. En Normandie du moins. Je ne suppose pas qu’il y ait là aucun goût personnel. C’est un lien de plus avec la Bavière que l’Autriche tient toujours beaucoup à se bien assurer, comme son plus gros satellite en Allemagne. Les Belges me paraissent ravis de leur Duchesse de Brabant. L’Autriche aura toujours bien à faire avec les deux boulets rouges qu’elle traine ; mais elle se relève bien tout en les traînant. Je voudrais connaître un peu au juste son état intérieur. J’entends là dessus bien des choses contradictoires.
On m’a dit à Paris que le travail pour faire venir le Pape avait sérieusement recommencé. On vous le dira sans doute aussi. En France, dans les masses, certainement l'Impératrice est populaire ; on aime mieux la beauté, et le roman que la politique, on s'y connaît mieux. Je suis venu, samedi de Paris à Rouen par un train qui précédait d’un quart d'heure celui qui devait mener le ménage impérial à Dieppe. Toute, la population était en l’air pour les voir passer ; et ce n'était pas de la pure curiosité ; il s'y mêlait de l’intérêt.

Onze heures 1/2
Voilà mon facteur et n'en à ajouter. Adieu, adieu.G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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10 Val Richer. Lundi 6 Juin 1853

Si le résultat de votre opération sur Constantinople était de refaire l'alliance de l’Autriche, la France et l’Angleterre ; vous y perdriez plus que vous n'y pourriez gagner. Et l’Europe aussi. Mais je ne crois à aucune alliance sérieuse. Vous sortirez de ceci moins bien que vous n'étiez avec tout le monde, et n'ayant pas gagné sur la Porte tout ce que vous vouliez, mais ayant gagné pourtant, et sans guerre européenne. Tout bien considéré, je doute que vous ayez fait de la bonne politique, et même que vous ayez bien fait votre politique. On vous avait fait plus beau jeu que vous n'avez bien joué. Mais votre position est si forte que vous avancez même en bronchant. D'ailleurs, vous avez un but et vous y marchez. Toutes les autres puissances en Europe ne veulent que le Statu quo.
Le temps est redevenu doux et charmant. J’ai marché hier trois heures de suite, sans fatigue. C'est de l'appétit et du sommeil de plus. Je me plains seulement que la journée n'ait pas 36 heures. J’ai pris, une rage de travail et de promenade à la fois à laquelle les 24 heures ne suffisent pas.
Vous aussi les 24 heures ne vous suffisent pas. Au jour du jugement dernier, vous ne direz pas comme ce pauvre Valdegamas. " Mon dieu, j’ai fait des visites. " mais " Mon dieu, on m’a fait des visites ? Je m'amuse de votre amusement.
Andral a trop d’esprit pour vous faire partir de Paris tant que vous vous y amuserez si bien. Je vois que Bourqueney à Vienne et M. Gobineau à Berne se donnent bien de la peine pour raccommoder l’Autriche et la Suisse. Je ne comprends pas que ce soit difficile du moment que l’Autriche est décédée, comme elle le paraît, à ne pas employer la force pour obtenir ce qu'elle demande. Quand on ne veut pas se battre, à quoi bon se quereller ?
Le succès du voyage du Roi Léopold me revient aussi par Claremont où l’on s'en réjouit beaucoup. Il influera grandement pour remettre l’Autriche bien avec l’Angle terre. Evidemment, il s’y est déjà beaucoup employé ! La Reine d'Angleterre est mieux que jamais pour toute la famille d'Orléans. Le cardinal Wiseman a très éloquemment parlé pour la première communion du duc de Chartres. Peu de Français et beaucoup d’Anglais présents.

Onze heures et demie
Je n'ai que le temps de fermer ma lettre. A demain la conversation. Adieu, Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Mercredi 20 oct. 1852

Nous ne faisons aucune attention aux affaires d'Orient. Il n’y a plus d'Orient. Les gouvernements de France et d’Angleterre sont trop occupés chez eux et d’eux-mêmes pour regarder au loin. Pendant ce temps, je vois que les révolutions ministérielles se succèdent à Constantinople ; voilà Ali Pacha renversé, le successeur, mais encore l’ami de Reschid Pacha. Je suis sûr que ce sont vos affaires qui se font et que vous faites là. Il n’y a rien à dire. Vous avez raison de profiter des fautes de l'Occident.
Voici une faute qui vous touche peu, et qui m’a choqué. Comment a-t-on, samedi dernier, fait sortir et amené en masse sur le passage du Président, les collèges, et les écoles primaires, des enfants ? Ceci est pire que le suffrage universel. On se plaignait jadis que les étudiants de droit et de médecine, les jeunes gens de 20 ans fussent mis en scène une politique, et on y met aujourd’hui des marmots. Ce n'est ni sensé, ni honnête.
Je ne comprends pas ce que fait Lord Malmesbury pour être mal avec l'Autriche. Je ne leur vois point de sujet de querelle ; à moins que la mauvaise humeur des voyageurs Anglais en Italie, à propos de leurs passeports, ne devienne une question de gouvernement. Ce serait bien absurde. Peut-être aussi le Piémont. qui donne sans doute de l'humeur à l’Autriche. Du reste, les puissances du continent auraient grand tort de se mettre mal avec l'Angleterre ; si jamais l’incendie révolutionnaire se rallumait ce qui n’est pas du tout impossible, c'est encore là qu'elles trouveraient, pour résister, le point d’appui le plus fixe et le plus fort.
Vous avez bien raison de trouver bon que Paris perde l'habitude de faire et de défaire les gouvernements. En soi, l'acte de puissance que font depuis quelque temps les populations des campagnes est excellent ; elles sont hors d'état de gouverner ; mais il ne faut pas qu’on puisse gouverner ou détruire les gouvernements sans elles et contre elles, et la leçon donnée en ceci aux prétentions et aux traditions de Paris est très salutaire.

Onze heures
Je n’ai pas de lettre. Adieu donc. Il fait bien beau temps. J’espère que vous avez le même soleil à Paris et que vous en profitez pour prendre l’air. Adieu, Adieu.
J'ouvre mes journaux. Vous avez perdu votre pari avec M. Molé. Nous aurons l'Empire en Novembre.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 19 Oct. 1851

Mes visiteurs d'hier étaient assez curieux à observer. A peu près tous des Elyséens sensés. Il sont tristes et déconcertés de ce qui se passe, mais pas troublés au point de croire leur partie perdue, et de renoncer. Ils disent que le Président n'ira pas jusqu'au bout, qu’il s’arrêtera ou qu’il reviendra à temps, qu'il n'abandonnera pas définitivement le parti de l’ordre, qu'il est encore la meilleure garantie de l’ordre, &. Ils ajoutent que tous des mouvements parlementaires restent inconnus ou indifférents à la masse des paysans qui sont toujours décidés à voter pour Louis Napoléon que la candidature du Prince de Joinville ne gagne ici point de terrain, plutôt le contraire, deux choses seulement les ébranleraient tout-à-fait ; si le président. prenait décidément ses ministres et la politique à l'entrée de la Montagne, obligeant ainsi le parti de l’ordre en masse à devenir opposition ; si des lois pénales étaient rendues dans l'Assemblée contre la réélection du Président. Ceci pénétrerait jusqu'aux paysans et arrêterait beaucoup de votes. Dans cette hypothèse, à laquelle ils ne croient pas, quelques uns vont au Prince de Joinville. D'autres, les plus intelligents pensent à Changamier, beaucoup disent que le Président des rouges l'emporterait et ont peur.
Sur la loi du 31 mai, à peu près tous désirent les modifications dont il était question avant la crise et blâment beaucoup le Président de ne s'en être pas contenté. Voilà mes observations. Décidément ce pays-ci est sensé. Si toute la France, lui ressemblait, il n’y aurait pas grand chose à craindre. On dit cependant que le département de La Manche se gâte un peu. Toujours, dans la masse des paysans même méfiance et même antipathie envers les légitimistes.
Je regrette que Kisseleff n'ait pas dîné à St. Cloud avec les dames Russes. Il est bon observateur. Je suis curieux de savoir jusqu'à quel point le Président est confiant ou troublé.
Pendant que nous remettons ici tout en question, l'Europe est tranquille et se reconstitue. Je suis frappé du contraste. Quand l’Assemblée sera réunie, on devrait bien faire ressortir ce fait pour faire sentir à la France sa jolie et poser sur les honnêtes gens. Si le Président. changeait réellement de politique, l’armée Française quitterait Rome, et ce serait un petit ébranlement. Mais l’Autrichienne y entrevoit tout de suite. Je ne crois pas aux Italiens. Pourtant il y a encore là des volcans et des tremblements de terre.
A propos d'Italiens, avez-vous été à leur rentrée ? Je n'ai pas regardé dans les journaux si elle avait été brillante. Cela ne vous fera-t-il pas coucher trop tard le samedi, veille du Dimanche ?

Onze heures
Mes impressions d’ici ne sont pas en désaccord avec ce que dit M. Fould de la confiance du Président. Quand l'Assemblée sera là, ce sera autre chose. On a beau en mal parler. Sa présence réelle agit et sur le public, et sur le président lui-même. Nous verrons. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 11 Oct 1851
Sept heures

Cela me déplait bien de n'avoir pas eu de lettre hier. J'espère que ce n’est pas autre chose, qu'une méprise de domestique ou de la poste quand on s'écrit tous les jours, il est difficile que cela n’arrive jamais. Si vous étiez souffrante, je compte que Marion m'écrirait. Je le lui demande formellement quoique je ne crois pas avoir besoin de le lui demander.
On me mande de source certaine, que le général Changarnier a formellement déclaré qu’il s'abstiendrait dans la proposition Créton, et qu’une fois sa candidature acceptée par les légitimistes, il la maintiendrait envers et contre tous, y compris M. le Prince de Joinville lui demandât-il lui-même de la retirer. Que le Général ait dit cela, je n'en puis guère douter. Qu'est-ce que cela veut dire ? Est-ce de sa part, un acte indépendant et vraiment personnel, ou bien est-ce arrangé avec Thiers, de l'aveu de Claremont ? Est-ce une manière de retirer, sous main, la candidature du Prince de Joinville, et d’y substituer celle de Changarnier en la faisant accepter d’abord par les légitimistes ? Ceci serait très possible, s’il était possible que Changarnier se prêtât à une telle rouerie. On me mande d'ailleurs que Thiers travaille décidément à faire sa retraite sur la candidature Joinville. On ajoute que le gâchis va croissant. Quand il n'y a pas moyen d'empêcher le gâchis, il faut au moins y voir clair.
Je vois que le manifeste de Kossuth à Marseille commence à faire en Angleterre l'effet que j'ai prévu. Les indifférents, comme le Times, comprennent et attaquent. Les bienveillants comme le Globe essayent d'excuser. Palmerston trouve sûrement que Kossuth est un maladroit, qui lui gâte son jeu. Nos journaux à nous n'exploitent pas assez cet incident. Ils devraient commenter le manifeste, et l'admiration qu’en témoignent les révolutionnaires. Cela aiderait les Anglais à comprendre.
Dans la solitude où vous laisse votre diplomatie n’entendez-vous rien dire du tout de ce qui se prépare en Autriche ? Je suis curieux de savoir comment s'arrangeront ensemble les deux idées qui sont là en présence : fortifier l’unité de la Monarchie autrichienne, et laisser à chacun des Etats qui la comptent, une existence et des institutions locales. La conciliation est difficile. C'est cependant le problème. Je présume que c’est la Hongrie qui paiera tous les frais de la Révolution.
9 heures
Génie arrive et me remet votre lettre. Je vous pardonne et je ne vous pardonne pas. Il était bien aise de me faire écrire deux lignes par Marion. Votre lettre à l'Empereur est ce qu’elle doit être pour réussir. Si elle ne réussit pas, je n'en parlerai plus. La lettre à l'Impératrice devait suffire. Je ne suppose pas qu’elle ne la lui ait pas montrée, ou qu’il ait voulu que vous lui demandassiez cette grâce à lui-même. Adieu, adieu. La conversation qui m'arrive est curieuse. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Vendredi 3 Oct. 1851

J’ai eu hier à l'occasion de votre lettre un long entretien avec mon fils. Deux bons résultats. Je crois le mal moindre qu'on ne vous l'a dit. J'espère qu’il ne se reproduira pas. Je suis sûr, autant qu'on peut l'être, qu’il m'a dit vrai. Il est naturellement vrai, et il me respecte beaucoup. Il est convenu de ce qui avait pu donner lieu à ce qu'on vous a dit. Il usera beaucoup moins l’hiver prochain du spectacle, du bal et du monde. A travers sa popularité, il croit avoir dans son collège, un camarade envieux et ennemi, qu’il a déjà rencontré parlant mal de lui et s'appliquant à lui nuire. Son caractère à lui a besoin d'être contenu. Il a de la vivacité et du laisser aller. Double danger. L’esprit est juste, le cœur très droit et très affectueux. J'y veillerai de plus près. Vous avez très bien fait de m'avertir et je vous en remercie encore. La vérité est toujours bonne à savoir, et venant par vous, elle ne peut m'être déplaisante, fût-elle amère.
Mon fils se porte très bien. Il a mené ici, depuis six semaines, une vie de mouvement physique, et de repos domestique qui lui a parfaitement réussi. Il retourne lundi à Paris, en même temps qu'Henriette, pour rentrer au Collège. Il logera chez son Professeur jusqu'à mon retour. Henriette partira de Paris le 16 ou le 17, pour s'embarquer à Marseille par le bateau du 21.
Avez-vous lu dans les Débats la note française du 19 Juillet à la Diète sur l'incorporation de tous les états autrichiens dans la confédération ? Elle est solide au fond ; quoique confuse et tronquée. Je suis curieux de savoir. Si cette question sera bientôt reprise à Francfort et si le Prince de Metternich, exprimera un avis.
Mon journal jaune dit que la candidature du Prince de Joinville, en remplacement du général Magnan est complètement abandonnée. En avez-vous entendu parler ? A en juger par l'impression que je vois se répandre et grandir autour de moi, Fould a raison. Plus on approche de la crise, plus le désir du Statu quo se prononce. Toutes les peurs et tous les doutes sont au profit du Président. Il a là une puissante armée. Si la baisse des fonds, la langueur des travaux, tout le malaise public vont croissant, cette disposition ira aussi croissant. Ce qu’il est difficile de prévoir, c’est l'effet que produiront les débats prochains, de l’Assemblée ; ils peuvent troubler beaucoup le sentiment public et le jeter momentanément hors de sa propre pente. Ce pays-ci ne sait pas de défendre; il se retrouve quand il a été perdu ; mais on peut toujours le perdre. Je me méfie du mois de novembre.

Onze heures
Je reçois une foule de petites lettres, et il est tard. Adieu, Adieu. Je vais lire l'article du Constitutionnel. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 4 sept 1851

Vous êtes incomparable pour faire succéder, presque sans intervalle, la plus complète impartialité à la plus vive passion. Vous ne savez que dire à l'article des Débats sur la candidature du Prince de Joinville. Je vous assure qu’il ne détruit rien de ce que vous avez jusqu'ici pensé et dit contre cette candidature. Les Débats ne se sont pas le moins du monde inquiétés de la discuter, d'examiner si elle était bonne ou mauvaise ; ils ont saisi une occasion de faire un hymne, en l’honneur du Prince de Joinville pour couvrir leur embarras sur la question même. Ils repoussent une injure pour se dispenser d'avoir un avis. Que l'effet de leur article puisse être mauvais, je ne le conteste pas, et j’aimerais infiniment mieux qu’ils n'eussent rien dit ; mais je l'ai relu attentivement j’y avais à peine regardé hier matin, en fermant ma lettre ; c'est de la politique purement personnelle dans une situation équivoque, et pour se réserver la faculté de dire plus tard oui ou non selon le besoin de cette situation. Il y a des attaques contre les patrons de la candidature du président et des insinuations contre les patrons de celle du Prince de Joinville. On prépare et on élude. Et on finit par donner au Prince de Joinville des conseils pour son bonheur. Je ne sais ce que fera le Journal plus tard ; mais ceci n’est pas sérieux. Je n'ai encore vu que bien peu de personnes de ce pays-ci ; mais personne ne s'attend à un coup d'Etat ; et s’il arrive sans quelque fait nouveau qui le motive. On n'y comprendra rien.
La disposition des esprits est vraiment singulière et leur fait bien peu d’honneur comme esprit ; on n'a pas du tout le sentiment du danger de la situation ; on est sans confiance, mais aussi presque sans inquiétude. On semble se dire : " Nous nous en tirerons toujours ; après tout, cela ira toujours bien aussi bien que cela va à présent, et cela nous suffit. " Il n'y a point de milieu entre le désespoir de Jérémie et ce stupide aveuglement. Je suis fort triste et encore plus humilié.
Montebello m'écrit, fort triste aussi, mais je vais entrevoir de plus, dans sa tristesse un peu de perplexité. Je n'ai point de perplexité du tout ; nous avons bien plus raison que nous ne croyons. Et il faut nous établir chaque jour plus nettement dans notre avis. Je répondrai bientôt à Montebello. Je voudrais bien qu’il fût tranquille sur sa femme.
Je regarde, et je regarderai attentivement à ce qui se passe en Autriche. Ce sera curieux. Il n’arrivera, à la révolution et aux révolutionnaires, rien qu’ils n'aient mérité ; mais je voudrais bien que la réaction fût conduite habilement, et qu’il en résultât une vraie réorganisation. Je suis un peu pour les gouvernements, comme vous pour les diplomates ; je m’y intéresse, quelque soit leur nom comme à mon métier, et il me semble toujours que je suis pour quelque chose dans leurs revers ou dans ceurs succès.

10 heures
Votre lettre confirme, un peu mes conjectures instinctives. Je croirai au coup d'Etat quand je l’aurai vu. Mais ce qui me plaît le plus de votre lettre, c’est que vous vous sentez mieux. Paris vous reposera et le bon effet des eaux viendra peut-être. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, 16 Août 1851

Je serais curieux avant d'aller à Claremont, de savoir avec détail ce que le Prince de Prusse vous a dit de la Duchesse d'Orléans. C'est dommage que nous soyons si loin.
Je suis toujours frappé des Pièces de Mazzini. Infiniment supérieures à celles des démocrates français. Un habile mélange de mysticisme et l'irréligion, de vieil esprit et de nouvel esprit Italien. Cet homme là et sa secte donneront beaucoup d'embarras à l’Europe. Et la question italienne est la pire de toutes, car elle ne peut ni résoudre, ni s'éteindre. La Pologne finira ; l'Italie ne finira pas. Je ne vois pas du tout clair dans cet avenir là. Je respecte beaucoup le Pape, et j'estime la fermeté persévérante du Roi de Naples ; mais ce ne sera le gouvernement ni de l’un, ni de l'autre qui apaisera l'Italie. Et l’Autriche ne conquerra pas toute l'Italie, et nous ne nous la partagerons pas comme vous vous êtes partagé la Pologne. J'y renonce.
La lettre du comte Roger, n'est pas si franche, ni si hardie que le manifeste de Mazzini. Et les Débats sont bien embarrassés. C’est un triste spectacle. Il me paraît impossible qu’une politique si entortillée et si subalterne réussisse. Il n'y a pas une idée juste ni un sentiment noble qu’elle ne choque. Nous verrons si le temps sera lui-même assez subalterne et assez court d’esprit pour s’y prêter. Autour de moi, dans le gros public, on pense très peu à la candidature du Prince de Joinville ; n'est pas entrée en circulation. Je dis comme vous ; je n’ai rien de plus à vous dire. Je vous quitte pour faire ma toilette. Admirable séjour pour travailler ! Je suis endormi à 10 heures, levé à 6 et dans mes seize heures de veille, j'en passe bien dix dans mon Cabinet. Adieu, en attendant le facteur.

10 heures
Pas de lettre. Votre départ de Francfort en est certainement la cause. J'espère bien que l’ordre ne sera pas aussi tout à se rétablir pour moi que pour vous. Adieu. Je n’ai d'ailleurs rien de Paris. Voilà la candidature au Prince de Joinville tout à fait lancée... dans les journaux. Nous verrons la suite. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 4 août 1851

C’est un grand fait que la composition de la Commission permanente. C’est la preuve que le parti monarchique sensé a, quand il le veut, la majorité contre la République, les pointus légitimistes le tiers-parti et le parti Thiers coalisé. Berryer, 402 voix, Dufaure 210 ; voilà les deux vrais termes de comparaison. Qu'il en pût être ainsi, si on le voulait, je le savais ; mais qu’on l'ait voulu et fait, je n'y comptais pas. C’est un grand pas vers l'organisation d'un parti d'avenir. Avancera-t-on dans cette voie ? Nous verrons.
Les pointus Légitimistes et les Régentistes sont furieux. Ils ont raison. On a très bien fait d'admettre Changarnier. On a eu tort d'exclure M. de St Priest. Sa présence dans la commission n'eût rien fait. Son exclusion le repousse parmi les pointus légitimistes, et il a de l'influence dans tout le parti. On prétend que le Duc de Lévis parle assez mal de la visite à Claremont, et dit qu’il n’en savait rien lui avant qu'on l'ait faite. Je ne crois pas cela.
Avez-vous remarqué la réponse de la Diète de Francfort, à la protestation de la France et de l’Angleterre contre l'entrée de l’Autriche, avec tous des États dans la confédération ? C’est bien médiocre. Pourquoi se borner au point de droit, qui est évidemment le côte faible, et ne rien dire de la nécessité anti-révolutionnaire qui est la grande raison ? Vieille routine de bureau. En général, la rédaction diplomatique allemande est faible et bien inférieure à la rédaction Française, Russe ou Anglaise.
Je vous quitte pour aller faire un tour de jardin. Le temps est superbe aujourd’hui et chaud ; ce qui fera grand plaisir à mes orangers, à mes œillets, et à moi.

10 heures
Le facteur m’arrive au milieu de ma toilette et je l’interromps pour fermer mes lettres. Adieu, Adieu.
J’espère que vous n'aurez pas souvent de pareils orages pour troubler vos nuits, et je suis charmé que ma lettre sur la démocratie vous convienne. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°29 Val Richer, Vendredi 2 Juillet 1852

Voici une lettre de Marion qui ne vous plaira guères. Vous en savez certainement déjà une partie ; elle vous a écrit, me dit-elle, qu’Aggy ne vous rejoindrait qu'à Paris. Il faut que vous sachiez le tout. Je ne sais si vous auriez mieux aimé rester sur le Rhin avec Aggy que revenir à Paris et l’y trouver ; après le mois que vous venez de passer, vous devez avoir besoin de repos sans solitude, et vous aurez cela à Paris mieux que sur le Rhin. Vous venez d'être très fatiguée et très intéressée ; il vous faut du calme sans vide, il me semble que sur le Rhin, à Baden, Wiesbaden, Ems, n'importe, vous n'auriez ni l’un ni l’autre. Pourquoi n'iriez-vous pas un peu à Versailles, où vous trouveriez Dumon, un peu à Maintenon un peu à Dieppe ? Je parle au hasard ; il n’y a pas moyen de discuter cela de loin.
Fould est un homme d’esprit qui sait se conduire dans le présent, et qui voudrait bien arranger l'avenir. Envie fort naturelle aux gens d’esprit. Mais l'oeuvre est plus difficile.
Je suis fort aise que la rencontre de l'Impératrice, et du Roi Léopold ait réussi, et j’espère que ce sera le prélude de quelque chose de plus et de mieux encore. Soyez sûre que pour toutes les affaires de tout le monde, le Roi Léopold est un homme considérable, et qui ne demande qu’à faire très bien, pourvu qu’il soit un peu bien traité.
Avez-vous remarqué le discours de Lord Palmerston à propos de la motion de Sir Harry Verney sur les missionnaires anglais expulsés de Hongrie par l’Autriche ? Il a rarement été plus perfidement anti-autrichien et plus habile pour plaire en Angleterre. Le coup de patte qu’il a donné en passant à Lord Granville doit être fort désagréable à celui-ci. Palmerston jouira encore un rôle. Je ne sais si le comte de Bual sera très flatté de ses compliments. Aberdeen me dit qu’il part pour l'Ecosse trois jours après la dissolution du Parlement.
J’ajoute un fait à ce que je vous disais hier sur l'importance prochaine des questions religieuses. Il se prépare et déjà, il se commence dans l'Eglise anglicane, une scission pareille à celle qui s’est faite, il y a quelques années, dans l'Eglise Presbytérienne d’Ecosse, c’est-à-dire que l’Eglise Anglicane se coupera en deux, l’une restant officielle et unie à l'Etat, l'autre séparée et indépendante. Et voilà, un M. Gladstone frère, je crois du politique, qui entre dans ce mouvement. Les Catholiques croiront que c'est la reine de l’Eglise anglicane qui commence et ils se tromperont, ne comprenant pas l’Angleterre, ni la liberté religieuse.

11 heures
Votre rhume me déplait. Et par conséquent votre dîner en plein air, même quand on vous regarde manger. Ce régime-là ne vous irait pas longtemps. Je vois qu'ayant Kolb vous retournerez vous reposer dans Schlangenbad solitaire, de Schlangenbad impérial. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°13 Val Richer, lundi 14 Juin 1852

Je n'ai pu vous écrire hier ; le service de mon facteur n'était pas encore arrangé. Rien ne se ressemble moins en effet que le Val Richer et Schlangenbad. Je suis seul ici, avec mon fils, et mes paysans (le mes est très abusif), qui me racontent leurs tristesses ou leurs espérances de récolte. Il pleut. Mes fleurs, qui en ont joui d’abord, en souffrent aujourd’hui. Mais, même avec la pluie ce séjour me plaît, après la société de ceux que j’aime, ce que j’aime la mieux c’est ma liberté, et mon loisir. Rien ne m'ennuie plus que de vivre à la merci des indifférents.
Quoique j'eusse fait fermer ma porte le jour de mon départ, j’ai vu assez de monde, Duchâtel, Montebello, Vitet, Salvandy, Mallac, Armand Bertin. On croyait assez à un remaniement de Cabinet qui mettrait Persigny aux affaires étrangères, et ferait rentrer Morny, Fould et Rouher. On arrangeait une bonne occasion. Le Président devait gagner au Conseil d'Etat, demain mardi, la question du conflit. On savait le compte des voix, 9 contre 7 après ce succès, il devenait généreux ; il réglait à nouveau ou faisait régler par le conseil d'Etat l'affaire des biens de la maison d'Orléans, modérément, équitablement en assurant les droits des créanciers et ceux de sa sûreté à lui, aussi bien que ceux des propriétaires. Cela fait, tout était facile. Le public était satisfait et les hommes capables redevenaient ministres. Voilà l’utopie.
Le Président se trouverait en effet très bien d’agir ainsi ; il s'ôterait un fardeau fâcheux, et se donnerait une meilleure administration. Je ne crois guère aux Utopies. Non pas pour toujours, mais pour quelque temps, ce n’est peut être pas tout à fait une utopie que de se promettre un peu plus de retenue de la part des journaux étrangers. Si on leur fait craindre de voir leurs correspondants expulsés de Paris. Ce serait en effet pour eux un grand inconvénient. Ils finiraient par le surmonter ; ils trouveraient d’autres moyens d'information, et en dernière analyse, ils n'en seraient que plus violents contre le pouvoir qui les aurait ainsi maltraités. Mais au premier moment, et pour échapper à cet embarras, ils lui feraient probablement quelques concessions.
Le langage du Times, et même du Morning Chronicle, l'indique un peu. Comme expédient, l'expédient est assez bien imaginé. Je regrette bien que l’Autriche et la Prusse ne se mettent pas d'accord sur la question douanière. Il n’y a qu’une seule mauvaise chance pour la paix de l'Europe, c’est le défaut d’union entre les grandes puissances. Mais si cette chance là se laisse entrevoir les partis révolutionnaires l'exploiteront infailli blement. Ils ont autant de verse que d’ardeur. Et qu’on ne se fasse point d'illusion ; le venin révolutionnaire n'éclate et ne circule plus en ce moment ; mais il subsiste et il s'amasse. Le bon parti n’a pas de marge pour faire des fautes ; le mauvais en a pour attendre.
Adieu, Princesse. J’ai pris quelque soin pour avoir des nouvelles de Paris ; mais ne comptez pas sur moi. Je serai très stérile. D'ailleurs le free trade n’est pas, en ce moment, aussi à la mode pour l’esprit que pour la matière. Adieu, adieu. Ma fille va bien. Elle viendra me retrouver dans les premiers jours de Juillet et sa soeur la précèdera de quelques jours. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°11 Paris, Vendredi 11 Juin 1852
J’ai été hier soir à Passy, chez les Delessert. Point de nouvelle là, si ce n'est que Cécile de Valon se remarie ; elle épouse M. de Nadaillac. Les connaisseurs le savaient il y a longtemps.
On nous inquiète ici sur l'état intérieur de l’Autriche ; on dit que l’esprit révolution naire y est toujours très fort, et que le gouvernement reste moralement faible depuis la mort du Prince de Schwartzenberg et disposé à se conduire comme les gouvernements faibles, des concessions et des ajournements partout. Que faut-il croire de cela ?
Je suis frappé de l'échec du Cabinet Anglais à propos de la motion de M. Horsman. Vous ne l’avez peut-être pas remarqué. C’est un symptôme positif de l'accès de ferveur protestante qui va présider aux élections. Il en résultera une nouvelle décomposition des anciens partis anglais. Les Torys étaient les Protestants par de excellence ; l’esprit protestant était dans le peuple leur point d’appui contre l’esprit révolutionnaire ; ils ne peuvent plus, ou ils ne savent plus, ou ils n'osent plus s'adosser fortement à ce point d’appui-là. Ils seront sans force, dans les masses, contre les radicaux politiques. Je crois qu’il y avait moyen, pour eux, de rester énergiquement Protestants sans persécuter les catholiques. M. Pitt trouverait, ce moyen là. Mais M. Pitt est mort, décidément mort. Toutes mes craintes anglaises viennent de là.
Votre N°5 qui m’arrive à l’instant m'inquiète un peu malgré vos résolutions d'impolitesse, vous serez plus polie que vous n'êtes forte, et vous vous fatiguerez. Vous aimez les Princes, Dieu s'amuse à vous en donner plus que vous n'en pouvez porter.
J’ai rendu à M. Fould sa visite, sans le trouver aussi. Il venait de partir pour Fontainebleau, avec le président, je suppose. Ils sont toujours très bien ensemble. On parle de quelques changements ministériels, partiels et politiquement insignifiants. Le ministre de l’instruction publique, M. Fortoul serait remplacé par l’un de ses prédécesseurs. M. de Parieu. On prononce le nom de M. Nisard, homme d’esprit et de mes amis, vous savez. Il est, je crois, en bons rapports avec M. de Maupas. Je ne sais rien de plus, et je ne crois pas qu’il y ait rien de plus à s'avoir.
Nous entrons décidément dans la saison morte. Tout le monde s'en va et se tait. Il n’y a plus que les évêques qui parlent, et qui se disputent. Voilà M. l'archevêque de Rheims et M. l’évêque d'Orléans aux prises sur le Christianime ou le Paganisme des livres classiques. Et l'Univers, chassé des séminaires du diocèse d'Orléans, régnera dans ceux du diocèse de Rheims. Est-ce que nous aussi, nous échangerons les querelles politiques contre les querelles religieuses ? Adieu. Je crains bien quelque trouble dans nos lettres à l'occasion de mon départ pour le Val Richer. Mais vous y aurez pensé. j’espère. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°10 Paris, Jeudi 10 Juin 1852
2 heures

J’ai eu du monde jusqu'à présent, M. de La Farelle d’Escayrac, de La Tournelle, le Duc de Noailles, Liadières, Berryer, Dumon. Tout le monde dit toujours la même chose. Le Constitutionnel seul ne dit plus rien.
On dit que M. Véron s'est donné le divertissement d’inviter à dîner des généraux, des sénateurs, par des cartes calquées sur le modèle des invitations du Président, et dans sa maison de campagne d’Auteuil, la Tuilerie, que vous connaissez. Seulement il a supprimé la et mis simplement Tuilerie. A ceux qui font des impertinences sérieuses, on en prête de frivole. Cet incident dure encore. Les ennemis s'en amusent. Les gens sensés s'étonnent que le Président se brouille si aisément et si vite avec les amis. Il a l'indifférence fataliste ; confiant dans le mérite et le succès de son idée, il ne s’inquiète pas des instruments ; s’il se prive des uns, il en trouvera d'autres ; si les habiles ne veulent pas l'aider, les médiocres y suffiront.
Voilà l'explication. Voilà enfin une lettre, le N°4 de Dimanche 6. Il faut donc quatre grands jours de Schlangenbad ici ; et cinq quand je serai au Val Richer, c'est-à-dire Dimanche prochain. J’espère que vous aurez pensé à m'adresser là vos lettres.
J’aime à vous savoir établie. Vos premières entrevues vous auront émue. C'est sur M. de Meyendorff que je compte pour vous donner du mouvement sans fatigue. Une bonne conversation anime, et repose à la fois.
Ce n'est pas pour les enfants, c’est pour elle-même que Mad. la Duchesse d'Orléans va à Baden d'abord, puis à Interlaken ; et c'est le Dr Chomel qui l’y envoye. Il revient de Claremont ; il a trouvé la Duchesse d'Orléans souffrante, toussant beaucoup la poitrine et les nerfs ébranlés ; il lui a ordonné Baden et puis des bains de petit lait.
Berryer me paraît content de son voyage mais très frappé du ferment révolutionnaire qui gronde, toujours un Autriche, et qui absorbe les forces répressives du gouvernement, sans que la répression pénètre au delà de la surface ; on vit, mais on ne guérit pas. Je ne connais pas l’Autriche. En France, je suis sûr qu’on peut guérir ; je n'ose pas dire qu’on guérira.
Le comte Strogonoff est venu me voir hier, passant par Paris pour aller conduire sa femme à Vichy. Je lui ai demandé s’il n'allait pas à Bruxelles. Il m’a répondu qu’il n'en avait pas été question, quoiqu’il n’y eût maintenant aucun obstacle, les officiers Polonais étant tous congédiés.

3 heures et demie.
J’ai été interrompue par des arrangements de départ. Je vais faire quelques visites au lieu d'aller à l’Académie. Adieu Princesse. Il pleut constamment ici. Pour vous à Schlangenbad et pour moi, au Val Richer, je demande du soleil. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Vendredi 25 oct. 1850

J’ai trouvé hier en arrivant, et je reçois ce matin une quantité d’épreuves à corriger. Monk, dont l’impression finit. Je veux que ce soit prêt à paraître à mon retour à Paris. De plus, je vais dans une heure, déjeuner à Lisieux. Préface pour dire que ma lettre sera courte. Je n'aime ni à écrire ni à recevoir des lettres courtes. Nous avons tant à nous dire et le temps s'en va si vite. Le courrier m'apporte une lettre de Morny qui m’écrit ce qu’il vous a dit. Il a senti la nécessité d’un peu d’excuse. Je m'attendais à ce qui est arrivé. Je n'en suis point dérangé ; mais je suis bien aise que l'abus soit constaté. Vous savez que je suis décidé à ne pas m'inquiéter des Affaires d'Allemagne.
Salvandy a parfaitement raison. Pour qu'une alliance avec la Prusse fût bonne à quelque chose à la France, il faudrait que la Prusse elle-même fût décidée à céder à la France les provinces du Rhin, en prenant à son tour en Allemagne son dédommagement. On n'en est pas là. Pour faire quelque chose aujourd’hui, il faudrait faire de grandes choses. On ne fera rien.
Je crois un peu à l'engourdissement de Lord Palmerston.Sa dernière lutte l’a laissé atteint. Il n'y a pas à s'y fier. Il est hardi et étourdi. Mais certainement il a envie de se reposer. Je me sais s’il y a quelque chose dans les journaux. Je n'ai pas le temps de les lire avant de partir pour Lisieux. Je crois que le Pape s’est trop pressé de faire un archevêque de Westminster. Il n’est pas assez bien assis chez lui pour s'attirer une forte bouffée de colère populaire anglaise. Palmerston en pourrait tirer grand parti. Je suis frappé de la décadence de l’esprit ecclésiastique Romain. Plus de foi fanatique et plus d'habileté politique ; c’est bien dangereux. On prétend pourtant que le Cardinal Antonelli est un homme d’esprit. Il n’y paraît pas. Adieu, adieu.
J’aurai, d’ici à mardi, je ne sais combien de petites affaires. La mort de mon pauvre juge de Lisieux m'oblige à me mêler de toutes. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie, Jeudi 24 octobre 1850

Me voilà tranquille sur le Ministre de la guerre. Schramm est un bon choix. Bon pour Changarnier, et bon pour le président. Il est laborieux, assez capable, obéi des subalternes, et étranger, je crois, aux grandes prétentions, et aux petites tracasseries. Nous avons deux fois failli le prendre. Mais le Roi ne l'aimait pas. Ceci apaisera fort les débuts de la session. Le duc de Broglie, en est convaincu. Il restera encore assez de sujets de querelle.
L’Autriche et la Prusse s’arrangeront comme le Président et le Général Changarnier. Elles ne peuvent pas plus se faire la guerre, à moins d'être folles, et elles ne sont pas Folles. Il faut que l’Autriche gagne le gros de la bataille, la bataille de l’unité allemande. Le Parlement d'Enfurt mourant et la Prusse rentrant dans la diète de Francfort, c’est la grosse bataille gagnée pour l’Autriche. L'affaire de Hesse est l’escarmouche, la rencontre par occasion. Là, il faut donner à la Prusse quelque satisfaction une couverture pour sa retraite. On la trouvera à Varsovie d’ici, il me semble qu’elle peut se trouver aisément. Il suffit de donner, un peu sur les doigts au grand Duc et de le contraindre à s’arranger avec ses sujets qui après tout, ne se sont point soulevés. On peut faire quelque chose pour eux sans céder à l’insurrection. Tout n'est-il pas bien réglé ?
Je pars dans deux heures. Je suis fort aise d'être venu. Il y a deux mérites qui surnagent toujours et surmontent tout le reste, d'être homme d’esprit et honnête homme. Là où ces deux mérites se rencontrent, il est bien rare qu’il my ait pas moyen de s’entendre et rien de bon à faire.
Je ne vois rien de plus dans les journaux. Mais Schramm est assez pour un jour. Il neige ici. Ce matin, quand j'ai ouvert mes volets tout était blanc. Adieu Adieu.
J’aurais tant aimé que Lady Jersey fût partie avant mon arrivée. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Mardi 15 oct. 1850

Voici une question que je ne trouve pas, dans ma bibliothèque d’ici, les moyens de résoudre et sur laquelle mon petit visiteur ira peut-être vous consulter. mon libraire veut mettre sur le titre de Washington, les armes des Etats-Unis d’Amérique, et sur le titre de Monk, les armes d'Angleterre. Mais ce sont les armes d’Angleterre sous les Stuart qu’il faut là et non pas les armes d'Angleterre sous la maison de Hanovre. Je ne me rappelle pas bien et je ne puis indiquer d’ici les différences. On fera la vérification, à la Bibliothèque du Roi, (nationale aujourd’hui) et je pense qu’on trouvera là tout ce qu’il faut pour la faire. Mais si quelque renseignement manquait aurait-on, à l'Ambassade d'Angleterre, et votre ami Edwards pourrait-il procurer de là un modèle des armes de Charles 2 en 1660 ? J'espère qu’il ne sera pas du tout nécessaire que vous preniez cette peine, mais je veux vous prévenir qu’il est possible qu’on vienne vous en parler.
Ce que vous a dit de Cazes ne m'étonne pas. Bien des gens le pensent. C'est peut-être le plus grand danger qu’il y ait à courir. J’ai très mauvaise idée de ce que serait le résultat. Probablement encore un abaissement de plus. Mais la tentation serait forte. Je dois dire que les dernières paroles qui m’ont été dites à ce sujet ont été très bonnes et très formelles.
Avez-vous revu Morny ? Je suis assez curieux de savoir, s'il vous dira quelque chose de mes quelques lignes, et de l’usage qu’il en a fait.
La corde est en effet bien tendue en Allemagne. Pourtant il me semble que Radowitz prend déjà son tournant pour la détendre un peu. Que vaut ce que disent les journaux de son travail pour amener l'union restreinte à n'être qu'une union militaire comme il y a une union douanière ? Ce serait encore un grand pas pour la Prusse et je ne comprendrais pas que les petits États se laissassent ainsi absorber par la Prusse sans avoir au moins le voile et le profit de la grande unité germanique. Mais il y aurait là un commencement de reculade. Je persiste en tout cas à ne point croire à la guerre. Personne n'en veut, excepté la révolution qui a peu prospéré en Allemagne. L'indécision même de votre Empereur entre Berlin et Vienne est un gage de paix. Y eût-il guerre, le Président ne serait pas en état, le voulût-il de faire prendre parti pour la Prusse. On ne prendrait point de parti de Paris comme de Pétersbourg et de Londres on remuerait ciel et terre pour empêcher la guerre, qui serait de nouveau la révolution. Je ne viens pas à bout d'être inquiet de ce côté, malgré le duo de bravoure de Radowitz et de Hübner.

10 heures
Je vois beaucoup de bruit dans les journaux et rien de plus. Pas plus de coup d’Etat en France que de guerre en Allemagne. Je n'ai qu'une raison de me méfier de mon impression ; c’est qu’il ne faut pas aujourd’hui trop croire au bon sens. Notre temps a trouvé le moyen d'être à la fois faible et fou. Adieu, adieu.

Je reçois de mauvaises nouvelles du midi de la France. On m’écrit que les rouges y redeviennent très actifs. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 29 Sept. 1850

Je vous vends Fleischmann. Je suis frappé de son hostilité contre l'ancienne diète de Francfort. Quand un homme aussi honnête et sensé pense cela, il y a bien à regarder. Car il n'est pas complaisant pour les radicaux ; témoin ce qu’il vous dit de la Reine des Pays-Bas. Evidemment, il faut à l'Allemagne, autre chose que ce qu'elle avait avant février ; elle n'y retournera pas et ne s'y tiendra pas tranquillement. De loin, la raison le dit ; voilà un homme intelligent et monarchique à qui l’observation le dit de près. Le bon chemin entre le bouleversement et l'immobilité n'est pas encore trouvé. L’Autriche devrait le trouver ; elle n’est plus vouée à l'immobilité ; de gré ou de force elle change tant de choses dans sa propre maison, elle y admet tant de nouveau; elle devrait trouver aussi et admettre le nouveau qui convient au grand corps allemand. C’est la seule manière de déjouer l'ambition de la Prusse. Tout ce qu’il faut à l’Autriche, c’est que la confédération germanique subsiste tran quille et point asservie à la Prusse. Il ne se peut pas que l'ancienne organisation soit la seule qui atteigne à ce but. " Cherchez et vous trouverez. “, dit l'évangile qui a toujours raison. Je suis convaincu que, si l’Autriche, cherche sérieusement et sincèrement, elle trouvera.
Le Roi de Wurtemberg me fait dire qu’il espère que je retournerai sur le Rhin l'été prochain et qu’il me priera alors de pousser jusqu'à Stuttgart. Avez-vous vraiment quelque idée d’y aller voir, votre grande Duchesse ?
Peel and his times m'amuse toujours beaucoup. Je viens de lire 1827, l'apparition et la disparition de Canning. Vous n'êtes pas nommée du tout ; mais les menées autour de George IV, pour la formation de ce Cabinet brillant et éphémère sont assez vivement racontées, par un libéral modéré et de peu d’esprit, qui déteste les cours et les femmes dans les cours. Il parle du travail caché que faisait ou laissait faire le Duc de Wellington pour remplacer lui-même, Lord Liverpool et il dit : " The king was disposed to favour this tortuous course ef proceeding ; he had et this time become a kind of English Sardana palus, and was anxious, to have a government sufficiently strong to relieve him from all anxieties about affairs of state, and to leave him free to enjoy the imitation of a Mohammedan Paradise which he had established at Windsor, perfect in all respects save the prohibition of wine." Il raconte assez bien l'effet que fit sur le Roi la démission, simultanée des six anciens collègues Tories de Canning : " This, which certainly looked like an attempt to intimidate, fired the pride of George IV ; he immediately confirmed the appointment of M. Canning, and gave him full power to supply the places which had been vocated. " Cela vous amuserait.

10 heures
Votre lettre est intéressante. J'y répondrai demain. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 25 Sept 1850

J’espère que vous aurez bientôt de meilleures nouvelles de votre fils Alexandre. Vous ne me dites pas quel est son mal. Peut-être ne vous l’a-t-il pas dit lui-même. Il a l’air d'avoir un bien bon fond de santé. Dieu vous garde d’une longue inquiétude.
Vous aurez vu qu’on ne pouvait m'en dire, sur la circulaire, plus que je n'en pense. Je trouve le mal très grave et le symptôme encore plus grave que le mal. Que personne ne se soit douté de l'effet ! Certainement cela tourne au profit du Président, et je ne doute pas que ses conseillers, n’en tirent parti. S'ils savent se conduire, la chance est pour eux, non pas pour toujours, mais pour longtemps.
Vous avez raison de trouver à Achille Fould vraiment de l’esprit ; il en a et ce qui est plus rare, son esprit est de l’esprit politique ; il a de la mesure, et de la prévoyance, les deux qualités essentielles de l'esprit politique.
Je regrette de n'avoir pas été à Paris pendant le séjour de Lady Allice. Sa bizarrerie me plaît et sa passion pour vous me touche, Quand vous lui écrirez, parlez-lui de moi, je vous prie, et de mon regret.
La citation de Massillon est une bonne fortune pour La Rochejaquelein. Sa seule bonne fortune dans cette affaire, car elle ne vaut pas mieux pour lui que pour le parti. Il aura beau dire et on aura beau lui dire d'autres paroles. l'excommunication lui restera. Il est déclaré et repoussé dans la région des ombres errantes, rendez-vous des brouillons qui veulent plaire à tous les partis.
Croyez-vous, comme je le vois dans mes journaux, que, de Vienne, on soutienne à Cassel M. de Hassenpflug] ? Que l’Autriche défende les petits Princes de l'Ambition prussienne, je le comprends ; mais je ne la trouve pas, pour cela obligée d’épouser tous les Princes sots.
Que signifie ce qu’on appelle le manifeste du Président inséré dans le Bulletin de Paris et que l'Assemblée nationale attaque si vivement ? Cela fait-il aussi du bruit ? Si c'est authentique, il y a de quoi faire du bruit. Les premières séances de l'assemblée, seront curieuses. Je trouve l'article de M. Véron dans le Constitutionnel habilement fait. Pour lui-même et pour le Président. Il y a du monde, dans le pays, derrière cette position-là. Vous ne lisez pas l’Univers. Il défend la circulaire Barthélemy et reproche aux journaux légitimistes leur faiblesse. Le seul de son espèce.

Onze heures
Je ne vous reviens que pour vous dire adieu. Ne manquez pas, je vous prie, de me donner des nouvelles de votre fils, dès que vous en aurez. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Lundi 23 Sept 1850
Huit heures

Mes enfants sont arrivés. Merci de votre lettre. J'ai bien envie que tout soit vrai. Je reçois d'ailleurs bien des détails sur la situation, point contraires à ce que vous me dîtes d’une personne, mais qui me prouvent que d’autres personnes travaillent bien ardemment en sens contraire. Et les anciennes rivalités sont pour beaucoup dans cette ardeur là. Ce serait bien puérile s’il n’y avait pas derrière les noms propres tout autre chose, que des passions ou des intérêts personnels. Les personnes sont la personnification de politiques profondément diverses, et dans les principes et dans les tendances. C'est là ce qui fait la ténacité, et en même temps l'excuse des rivalités. Je voudrais bien que vous puissiez me dire quand le Duc de Noailles viendra à Paris. Je serais bien aise de le savoir deux ou trois jours d'avance.

Dix heures
Vous me demandez ce que je pense de la circulaire Barthelemy. Je vous ai dit hier ma première impression avant d'avoir vu celle de personne. Un énorme blunder, une bonne intention déplorablement exécutée et produisant par conséquent un effet contraire à l’intention. Toujours la même inintelligence des sentiments du pays et de l’impression que font sur lui certains noms, certaines paroles. La même démarche pouvait être faite, la même idée pouvait être exprimée de façon à forcer l’approbation des hommes sensés, et sans blesser même les badauds. On eût fait ainsi un pas. Au lieu de cela on donne un succès aux hommes à qui on veut donner sur les doigts et à qui le public eût été charmé de voir donner sur les doigts, car au fond il les déteste ; il voit en eux les émigrés, et les Jacobins à la fois. Je répète le mot de Napoléon : " tout est dans l'exécution. "
Je m'étonne que Berryer n'ait pas pressenti l'effet. On l'exploitera immensément. Je ne vois à ce triste incident qu’un avantage, c’est que la glace est rompue contre la Gazette de France. En résultera-t-il autre chose, qu’une discorde de plus ? Ou bien ceux qu'on a voulu battre ne reprendront-ils pas avantage pour avoir été si mal habilement battus ? Je crains la pusillanimité après la maladresse.
Certainement Boislecomte à de l’esprit beaucoup de pénétration et d'invention. Il est de ceux qu’il ne faut pas toujours croire, mais toujours écouter. Adieu. Adieu.
L'écheveau s’embrouille de nouveau en Allemagne; mais il me semble que Vienne tient décidément le bon bout du fil. A présent il faut dévider. C'est ce que Catherine de Médicis disait : " C'est bien coupé ; maintenant il faut coudre. "
Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Samedi 14 sept 1850

Je ne puis vous rien dire encore de définitif sur René de Fleischmann. Mon gendre Conrad ne veut pas avoir un avis définitif avant d'en avoir causé avec son frère qui arrivera ici du 20 au 25. La lettre de ce jeune homme lui a plu extrêmement, ainsi qu’à ma fille Henriette, Tout leur plaît dans la famille, et la personne. Mais la fortune est bien, bien petite. C'est Mirabeau, je crois, qui disait : " 1500 livres de rente de ma Sophie ". Mais Mirabeau était déjà amoureux, et de plus très aventureux. René de Fleischmann paraît avoir grande envie de laisser là sa place au chemin de fer pour devenir secrétaire de la légation de Wurtemberg, ce qui ne lui vaudrait rien du tout pendant on ne sait combien de temps, pour lui valoir on ne sait pas quoi, ni avec quel degré de sécurité, quand il deviendrait chargé d'affaires. Il n'aurait donc, en se mariant que les 1800 fr. de pension que lui ferait son père, de qui il n'en peut attendre, et un jour éloigné j'espère, que 2 ou 3000 fr. de plus. C’est vraiment trop peu pour vivre habituellement à Paris. Il faudrait ou un peu plus de revenu personnel et assuré, ou une meilleure place dans les chemins de fer.
Mlle. de Witt est très simple et très bonne ménagère, et accoutumée à l'économie hollandaise. Mais elle a vécu jusqu'ici, en commun avec ses frères et sa tante, Mlle Temminck, par conséquent dans une maison très aisée. On ne voudrait pas qu’elle se trouvât trop gênée dans sa propre maison. J’avais espéré, sans en rien savoir du tout, que le jeune homme aurait, soit de sa place soit de son père, quelque chose comme 6 ou 7000 liv. de rente. Pas bien grande ambition. Je voudrais savoir quelque chose de précis sur la place qu’il a au chemin de fer et sur ce qu’on pourrait faire pour lui en faire avoir une meilleure, soit dans le chemin de fer où il est, soit dans un autre.
Voilà, en tout cas tout ce que je puis vous dire aujourd'hui. Quand Cornélis et sa femme seront revenus, la délibération de famille sera complète. Je serais vraiment fâché que cela ne pût pas s'arranger. J’aime le père et le fils me plaît.
Qu'est-ce je vous prie, que cette nouvelle de Berlin que M. de Meyendorff quitte votre service, pour sa santé ou pour autre cause, et s'en va en Italie ? et que c’est le comte Creptovitch qui remplace Medem à Vienne ? Cela me parait une sornette. Moi aussi l'affaire de Hesse me préoccupe. Je n'en sais pas le fond ; mais je crois toujours l’incapacité brutale de ces petits gouvernements allemands. Les mesures, me semblent bien grosses pour les motifs, s’il faut occuper la Hesse, je ne comprendrais pas que l’Autriche, se résignât à la seule occupation prussienne. Bade d’abord, puis la Hesse, ce serait une manière commode de prendre possession sous forme d’occupation.
J’ai fait hier ma visite. Seize lieues par un très beau temps il est vrai. Mad. de Neuville est bien, l’air intelligent et très arrêté. Deux fils d'assez bonne mine. On m’a tout présenté. M. de Neuville m'a dit que M. le comte de Chambon l’avait chargé de me dire combien il regrettait de ne pas m'avoir rencontré en Allemagne. J’ai répondu que j'étais parti quelques jours plutôt pour ne pas le rencontrer, et pourquoi. Je me sais rien de tel que de tout dire pour que tout soit compris.
Le Duc de Broglie m'écrit : " Je reçois votre lettre d'hier et je vous félicite d'avoir fait ce qui me reste à faire, et ce que je ferai avant mon retour à Paris. Je crois qu’il vaut mieux; pour les personnes que vous venez de voir, que les visites se succèdent ; elles ont besoin d'être entretenues dans leurs bonnes dispositions. " Voilà votre lettre. J’attends bien impatiemment que votre gorge soit mieux. Adieu, Adieu. Adieu. G.

P.S. Je viens de lire à Conrad, qui l’approuve tout- à-fait, ce que je vous dis de René de Fleischmann. Il me demande seulement de supprimer, quant à présent, et jusqu’à ce qu’il ait vu son frère, cette phrase " Je voudrais savoir quelque chose de précis..." jusqu'à " soit dans un autre.» Tenez donc, je vous prie cette phrase pour non avenue jusqu'à nouvel avis.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Vendredi 12 Sept. 1850
6 heures

Je me lève de bonne heure et le soleil est levé avant moi, brillant dans un ciel pur. Je veux absolument croire qu’il vous aidera à chasser votre rhume. Je commence à me sentir reposé. Je me mets au courant de ma correspondance. J'étais fort en arrière. Les lettres prennent bien de la place dans la vie. Mais ce n'est pas une place perdue. On agit beaucoup par lettres bien des gens se défient moins d’une lettre que d’une conversation. On croit plus volontiers un absent. On lui sait gré de la peine qu’il prend pour persuader et on met moins d'amour propre, à lui résister.
Je vais faire aujourd'hui une visite à huit lieues de chez moi. M. de Neuville le député de Lisieux et le gendre de M. de Villèle. Vous m'en avez je crois entendu parler. Il est venu me voir plusieurs fois et je ne lui ai pas encore rendu sa visite. C’est toute une journée. Je reviendrai dîner chez moi.
J’ai lu L'ère des Césars dont je vois que les journaux font quelque bruit ! C’est un livre ridicule d’un homme d’esprit impertinent. Le Président dit à Cherbourg : " Donnez-moi du pouvoir ". Ses écrivains lui disent à lui : " Prenez du pouvoir " Il ne prend pas et on ne lui donne pas. Sot contraste! Plus l’action est prudente et modeste, plus la parole est exigeante et superbe. On se dédommage par ce qu’on dit de ce qu’on ne fait pas, de ce qu’on n'ose et ne peut pas faire.
Entendez-vous un peu parler des affaires du Piémont ? On me disait à Paris. (Je ne me rappelle plus qui) qu’on s'en inquiétait aux Affaires étrangères, et que si la querelle se réchauffait entre Turin et Vienne, et si Turin demandait appui à Paris, on ne serait pas en état de le refuser ou plutôt d'empêcher le Président de le donner. On dit aussi que les agents anglais recommencent à se remuer beaucoup là. Dans la stérilité de la saison je ramasse tous les on dit. Vous n'avez plus même Antonini pour le questionner.

Midi
J’ai été pris par des gens de Lisieux et je n'ai que le temps de fermer ma lettre avant de partir pour ma visite lointaine. Je vous parlerai demain de Fleischmann. Mais chassez votre rhume. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Paris Samedi 10 août 1850

Il n’y a plus personne ici, et j’ai eu du monde hier tout le jour Dalmatie Mallac, Génie, Piscatory, des insignifiants. Rien de plus que ce que nous savons ; mais un sentiment général qu’il faudra absolument du nouveau l'hiver prochain, et que tout ce qui est est usé. Le banquet de l'Elysée fait encore assez de bruit. Changarnier et les officiers supérieurs étaient partis quand les sous officiers se sont promenés dans le jardin, en criant : " Vive l'Empereur ! Aux Tuileries ! Pas tous, à beaucoup près, dit-on, mais un certain nombre. Et on dit que ces banquets se renouvelleront au retour du Président que tous les sous-officiers de l’armée de Paris y seront successivement invités. Cela déplaît beaucoup aux Généraux. Changarnier pourrait bien interdire, aux sous-officiers d’y aller. Alors le conflit entre les deux. Evidemment la Camarilla du président se remue assez et voudrait se faire un parti dans l’armée. Si son voyage réussit, s'il est bien reçu par les populations, on s’attend à quelque chose. Je ne m'attends à rien. Et au fond, Piscatory, non plus, ne croit pas qu’il se fasse rien, quoiqu’il eût bien envie de croire qu’il se fera quelque chose. On dit qu'au retour de l’assemblée, les diverses réunions, Rivoli, Richelieu, & & se disloqueront que, dans toutes, les sensés et les fous sont las de vivre ensemble et veulent se séparer, que tous les partis sont en état de désorganisation. Je crois cela ; mais je crois que l'explosion et les conséquences de cet état se feront encore attendre longtemps. Un seul fait est certain c’est que pour le moment, les légitimistes sont en perte et les orléanistes en progrès. On fait toutes sortes de raisonnements fantastiques ; voyez l’Espagne pourquoi s’est-elle sauvée ? Parce qu'il n’y avait sur le trône que des femmes et des enfants. Plus les apparences, d’un gouvernement sont faibles, moins il y a de péril ; le peuple veut un gouvernement qu'il ne craigne pas, qu'il ne respecte pas, qui ait besoin de sa protection.
Savez-vous pourquoi vous êtes tombé sans être soutenu ? Parce que vous imposiez trop, parce que vous n'avez point de préjugés populaires. Si le Roi avait suivi, en 1840, la pente populaire, s’il s’était engagé n'importe dans quoi en harmonie avec les traditions de la révolution et de l'Empire, il serait arrivé on ne sait pas quoi, mais autre chose, quelque chose qui eût duré. J’écoute, je souris, j'objecte ; je finis par parler sérieusement, et on ne sait plus que dire. Les esprits sont bien grès de retomber dans les vieilles maladies ; mais les corps sont fatigués et impuissants.
J’ai passé près de deux heures à Bruxelles avec le Prince de Metternich. Grande satisfaction de me voir ; il voulait être plus que poli. Après lui, il a fallu entrer chez Madame de Metternich ; il m'y a conduit. Aussi gracieuse que lui, là, il a fallu m'asseoir. Des compliments et des questions sur mes filles, sur leur mariage ; on cherchait mes faibles pour entrer par là. Quand je m’en suis allé il m'a reconduit jusqu'au milieu de l'escalier. Il m'a même écouté en silence deux ou trois fois. Bonne conversation. Il m’a parlé de l’Autriche et de Thiers. Plein de confiance dans l’avenir de l'Autriche : " Les hommes qui gouvernent sont de braves gens, pleins de courage " sur quoi, il me raconte toutes leurs fautes, et les embarras qui résultent de leurs fautes. Mais tout va bien. Ce qu’il m'a dit de ses conversations avec Thiers m’a intéressé. Il a fini par : " Je ne suis pas Thiériste." Et alors une longue comparaison entre sa situation à lui Metternich, et la mienne, pourquoi, il ne retourne pas en Autriche, pourquoi je fais bien de rester en dehors de tout ; en quoi nous nous ressemblons et en quoi nous différons . Pour qu’il y ait vie, il faut qu’il y ait les conditions de la vie. Ce n'est pas la même chose d'être tout-à-fait vieux, et de ne l'être pas encore tout-à-fait & &. Il m'a amusé, et il s'est amusé. Adieu.
Mon fils vient de m’arriver. On dit qu’il y a ce matin, une séance publique de l'Académie française ; prix Monthyon, l'éloge de Mad. de Staël. J'irai peut-être, pour voir quelques personnes. Adieu, Adieu. J’espère bien avoir une lettre ce matin. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Jeudi 25 Juillet 1850

La poste me traite ici cette année avec une grande courtoisie ; elle envoie un facteur au Val Richer exprès pour moi. Il vient directement, chargé de mes seules lettres et attend quatre heures avant de repartir. Comme au temps de ma puissance. Cette faveur a été sans doute l'objet de quelque hésitation, car deux ou trois fois, elle a été suspendue. Je suis rentré dans la foule ; le facteur faisait une tournée de canton, arrivait ici tard et repartait presque aussitôt. Il paraît qu’on s'est enfin tout à fait décidé pour la bonne grâce. Le facteur me le dit. J’en suis fort aise, et je témoignerai de quelque façon au directeur général que j’y suis sensible.
On annonce la convocation des Conseils généraux pour la fin d’août, quinze jours ou trois semaines après le départ de l'Assemblée. Ils se préparent fort tranquillement. C’est évidem ment une institution plus enracinée dans le pays que beaucoup d'autres, les propriétaires y ont goût et confiance, sans distinction de partis. Si les Conseils généraux exprimaient vivement et généralement quelque voeu, faisaient quelque démarche cela aurait assez d'autorité. Mais ils ne feront, cette année, rien de semblable ; point d'impulsion forte ni générale, point de but précis. Ils resteront à peu près, dans la même ornière que l’assemblée et le gouvernement. Il n'en résultera rien.
Je suis frappé de l’ignorance où vous êtes, vivant en Allemagne, sur les affaires d'Allemagne. On y pense donc bien peu en Allemagne. Car enfin, quoique vous n'ayez à Ems personne de bien amusant, vous y avez du monde. Si vous étiez à Plombières ou à Vichy, vous entendriez bien autrement parler des affaires de France et de Paris. Les plus froids et les plus sots en seraient sans cesse occupés. Il faut qu’il y ait au delà du Rhin bien peu de public et de publicité politique. Ce qui se passe à Vienne et à Berlin mérite fort à coup sûr qu’on y regarde. Pour moi, je suis avec un vif intérêt la réorganisation de la Monarchie autrichienne et les soubresauts rusés et vains de l'ambition prussienne. Vous avez raison ; petit pays, excepté pour les savants et pour les Chambellans. Vous me ferez voir le Rhin. Je ne le verrai probablement jamais sans vous.

9 heures
Précisément aujourd’hui vous me donnez sur l'Allemagne, des renseignements intéressants. Ce que vous me dites a l’air vrai. Vous voyez que la nomination de la commission permanente est devenue tout-à-fait une affaire. Sans conséquence, comme tout aujourd'hui, mais qui excite vivement les passions ce qui se croit des passions. L’Elysée y est battu ; ce qui ne servira de rien à l'Assemblée.
Je trouve le discours de Lord Palmerston au reform Club meilleur que son discours à la Chambre des communes. Plus vif, et plus original. Je suis assez frappé qu’aucun de ses collègues ne soit allé à ce dîner. C’est probablement d'accord avec lui.
On me dit que le Vice Président des Etats-Unis, M. Fillmore est un homme très distingué, beaucoup plus distingué que le Général Taylor. Le choléra en veut aux Présidents américains. Deux en quelques années. Les rois d’Europe ont été plus ménagés.
Le petit article du Constitutionnel sur la première communion du Comte de Paris est intéressant. Mais évidemment le Roi est toujours bien faible. J’aurai un de ces jours de ses nouvelles avec détail. Adieu, adieu.
Je crois un peu que les eaux d’Ems sont un humbug. Je l’ai entendu dire. On envoie là les personnes à qui on ne veut ni bien ni mal. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 9 Juillet 1850
5 heures

Je partirai demain de bonne heure pour Trouville. Pas avant la poste pourtant ; je veux avoir ma lettre. Mais je n'aurai guère le temps d’écrire. J'écris donc aujourd'hui. Je me suis beaucoup promené ce matin. Mon mal de tête est à peu près dissipé. Mais je n’ai pas plus de nouvelles à vous mander.
Avez-vous remarqué la lettre de Vienne dans le Journal des Débats d’hier lundi ? Je ne veux pas croire que l' ouvrage d’un port à l'embouchure du Danube puisse être entre vous et l’Autriche, une affaire sérieuse. Voulez-vous réellement que l’Allemagne se réorganise et se raffermisse ? Ou ne seriez-vous pas fâchés que son état d’anarchie et d'impuissance se prolongent ? Ce serait de là bien petite politique. Les plus grands s’y laissent quelquefois aller.
M. de Meyendorff va-t-il, ou non à Vienne ? Je le voudrais partout, tout son esprit me paraît bon. L'affaire danoise n'existe-t-elle vraiment plus qu'entre le Danemark et les Duchés ? Si la Prusse en est réellement sortie, il est impossible qu’elle ne finisse pas bientôt. Vous voyez qu'aux nouvelles je substitue les questions. Vous reviendrez d'Ems bien forte sur les affaires allemandes. Vous avez beau être Allemande et Russe ; ce ne sont pas ces affaires là qui vous intéressent le plus. Quand la France ou l’Angleterre ne sont pas en scène vous êtes bien tentée de vous endormir, soyez tranquille ; la France et l'Angleterre ne sont pas près de vous laisser dormir. Dalmatie, St Aignan et Mornay, qui reviennent de St. Léonard ont trouvé la Duchesse d'Orléans moins crispée, et plus abordable.

Mercredi 10, 8 heures
Pas de lettre encore aujourd’hui. C’est trop fort. Je m'en prends à la police allemande, nassauvienne, prussienne, n'importe laquelle. Je ne veux pas croire à quelque accident. Mais je suis très impatient, pour ne pas dire mieux. Adieu, Adieu. Je reviendrai ici ce soir attendre la poste de demain.
Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Vendredi 28 juin 1850,
Cinq heures

Je viens de lire attentivement Lord Palmerston habile mensonge d’un bout à l'autre. Bien plus mensonge qu'habile pour qui s’y connait un peu. Il omet hardiment ce qui est. Il affirme hardiment ce qui n'est pas. Ce serait ridicule et périlleux, s’il n’était pas sûr de son public et s’il avait des contradicteurs bien décidés.
Grèce. Il oublie qu’en 1835 il a dénoncé le Duc de Broglie au Prince de Metternich comme trop favorable à une constitution à Athènes.
Portugal. Il ne songe plus à renverser Costa Cabral. Donc il n’y a jamais songé.
Espagne. Narvaez, ce reckless adventurer, dans sa dépêche du 19 Juillet 1846, est aujourd’hui l'observateur le plus fidèle de la constitution.
France. Lord Normanby n'a été lié parmi les opposants à M. Guizot, qu'avec M. Molé, aussi monarchique que M. Guizot.
Autriche. L’Autriche a été six mois sans se plaindre de la non-production d'une dépêche. Donc elle n’avait pas à se plaindre.
Russie. Pas un moment des dépêches de Mr. de Nesselrode, du moins dans ce que j'ai aujourd’hui.
Quand on est aussi effrontément résolu à mentir en se taisant ou en se contredisant. On n'a pas grand peine à se défendre. Il se défend bien quand il accable de compliments la nation française pour retourner, contre les adversaires anglais, le reproche qu'ils lui ont fait de m'avoir renversé par haine personnelle, et avec moi la Monarchie. C'est le meilleur morceau du discours. La péroraison, qui me paraît avoir ou grand succès est un lieu commun d'éloquence vulgaire bon pour des badauds. Mais il a bien fait de s'en servir puisqu’il avait là des badauds pour l'applaudir. Je comprends le succès ; mais c’est un succès qui ne fait honneur ni à l'orateur, ni à son public.
Samedi 29 - 9 heures
Le chaud est passé ici, après deux orages nous sommes entrés, dans une température fort modérée. J'espère qu’il en est de même pour vous. Si le soleil vous fait mal, je finirai par m'en dégoûter. Je ne suis plus curieux que de Peel. Je n’espère pas qu’il dise tout ce qu’il y a à dire. Mais il pourrait dire beaucoup sans dire tout. L’article des Débats sur Palmerston me convient. Je voudrais vous envoyer des nouvelles pour vous distraire un peu de vos paquets. Je n'en ai point. Adieu, adieu.
Avez-vous revu, ou reverrez-vous Chomel avant de partir ? Je vous écris encore à Paris, selon votre ordre. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 26 juin 1850
7 heures

J’ai oublié de vous demander quoique j'en sois curieux, si vous étiez allée dimanche à Passy si vous y aviez fait votre rencontre et si vous lui aviez parlé de ce qu'on m'a dit à St Léonard. Je suppose qu'il n'est pas très pressé de vous rencontrer. Il est plus hardi à tendre ses pièges qu'à se trouver en face de ceux qu’il y voudrait prendre.
Le facteur va m’apporter les premières nouvelles de Londres. Je crains bien que la conclusion de l'affaire si petite pour Paris n'ait nui au débat. Le bataillon radical et fanatique qui entoune Palmerston et lui apporte solennellement son portrait, fait peur à bien des gens ; ils saisirent ce prétexte de donner satisfaction à leur peur. Si l'Angleterre, ce qui j’espère bien, n’arrivera pas, devait être emportée aussi par le démon révolutionnaire Palmerston serait le Judas qui le livrerait. Tâchez de savoir de Hübner si l’Autriche est en effet disposée, comme nous l'a dit le comte Creptowitch, à abandonner sa prétention d'entrer dans la confédération germanique avec tous ses états allemands où non allemands. Plus j’y pense, plus je trouve comme le Roi, qu'elle aurait tort d'y persister. La politique simple et attachée uniquement à l’intérêt principal est la seule qui convienne aujourd’hui : aux temps faciles et calmes il appartient de tenir grand compte des intérêts secondaires & de poursuivre simultanément des buts divers. L’Europe n'en est pas là.

10 heures
Certainement, la journée d'avant-hier est grande. Le petit billet qu’il vous a écrit me plait. Il y a de quoi penser à son petit château du Loiret. Décidément, la prudence, l'extrême prudence prévaut partout. Il faut donc que l’initiative vienne des intéressés pour qu’il y ait de bons conseils. Je n’ai jamais douté que dans le cas les conseils seraient bons. Mais je crois aussi que les plus intéressés ne sont pas les seuls intéressés, et qu’il y a bien des manières de prendre soi-même l’initiative sans inconvenance ni imprudence, quand on veut arriver au but. Je viens de lire le commencement de la séance des Communes et du discours de Rocbuck. Voilà donc la question posée entre la politique de l'Angleterre pendant trente ans et sa politique actuelle, entre M. Pitt et Lord Palmerston. Rocbuck condamne, dans le passé la lutte contre la révolution, et promet, pour l'avenir, l'appui de l’Angleterre à la Révolution. Et on appelle cela la cause de la civilisation et de la liberté ! Il est possible que Sir Robert se taise, qu'il laisse injurier ainsi tout ce passé auquel il a pris part, et pousser l'avenir dans ce détestable mensonge qui confond la révolution avec la liberté. Mais je suis décidé à ne pas comprendre son silence. L'occasion est belle pour rendre à son pays un immense service, et avoir, dans son Parlement, un immense succès. Dieu veuille qu’il le fasse ! S’il ne le fait pas, si personne ne le fait, je commencerai à être inquiet pour l'Angleterre. Adieu. Adieu.
Je jouirais bien de ce magnifique temps, si je ne craignais qu’il ne soit trop chaud pour vous. Adieu, adieu. Je ne comprends pas pourquoi ma lettre d'avant-hier a été en retard. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, samedi 8 Juin 1850
7 heures

Vous me dites que Montebello ne part pas. Est-ce qu’il ne part pas du tout ? J'espère qu’il ne fait que retarder sa course de quelques jours, et que, la loi de déportation une fois votée, il ira. Je crois sa visite importante. Est-ce que M. Molé est sérieusement malade ? Je suis en train de questions. Manie d'absent. Je ne saurai que demain quelque chose de la séance d’hier soir à Londres. Je n'y compte pas. La question n'est pas assez grosse pour forcer les votes, et les acteurs ne sont pas assez décidés pour exploiter sérieusement une petite question. Ce sont deux curiosités très différentes que celle qui attend quelque chose et celle qui n'attend rien. Pourtant la curiosité y est toujours. Sans croire aux journaux, je suis assez frappé de ce qui vient de Berlin sur la visite du Prince de Prusse à Varsovie. Evidemment, cette visite a changé quelque choses aux dispositions de l'Empereur. Il a bien raison du reste de ne pas se jeter à l'aventure dans ce chaos allemand. Décidé et réservé, c'est son attitude depuis Février, elle lui a réussi. Il n'en doit sortir, s'il en sort, que pour quelque chose de très grand et d’indispensable.

10 heures
Les journaux répètent, et vous confirmez le départ de l'Empereur d’Autriche pour Varsovie. Il y a ou concert entre les trois souverains, ou lutte de deux devant un. Je crois plutôt au dernier fait. La querelle de l’Autriche et de la Prusse n'ira pas à la guerre ; ils ne le veulent pas eux-mêmes et au besoin vous l'empêcherez. Mais c'est une querelle, très sérieuse, querelle de prépondérance et d’ambition, qui recommencera toutes les fois que la question révolutionnaire sommeillera. Les jours de repos sont finis pour l’Europe ; l'être paisible qui était la réaction de l’ère belliqueuse de l'Empire est accomplie. Nous entrons dans la réaction contraire. Je ne crois pas aux grandes et longues guerres ; mais des menaces des commencements des échantillons de guerre, des révolutions, des quasi-révolutions, de contre-révolutions une instabilité générale, rien qui dure et rien qui finisse, c'est là ce qui nous attend pour longtemps.
Ce que Thiers vous a dit de son projet de visite à St Léonard me frappe assez et je crois à votre application de son départ ou de son retard. Je suis ennuyé de cette antithèse ; elle est trop longue et trop monotone.
Voilà Londres fini ; car évidemment le retard, c’est la fin. Quand le cabinet viendra amener qu’il est raccommodé avec la France, la Chambre des Lords ne votera pas une censure ; ou si elle la vote, le cabinet n’en tiendra compte. Ce sera de l'opposition platonique. Les individus s'en peuvent accommoder, mais les corps ne se résignent pas à étaler ce mélange de mauvais vouloir et d'impuissance. Ajournée au 17, la motion de Lord Stanley tombera dans l’eau ou sera rejetée.
Est-il vrai que Mercredi dernier, à l'assemblée générale de l'Institut, au milieu d’un grand discours de Salvandy, un pigeon blanc, qui s'était introduit dans la salle est venu se poser sur sa tête et s'est si bien empêtré dans son toupet qu’on a eu quelque peine à l'en dépêtrer ? On me mande cette bouffonnerie. Je n’y puis pas croire. Ce serait trop drôle. Adieu, et merci de votre longue lettre. Avez-vous encore vos deux fils ? Adieu Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer Vendredi 7 Juin 1850
7 heures

Je trouve les journaux timides sur la dotation du Président, timides à la défense et timides à l'attaque. Il aura son argent, mais il le payera cher. Ce serait trop cher s’il était roi, ou destiné à le devenir. Un pouvoir temporaire peut risquer cela, le risque lui vaut mieux que de n'avoir pas le sou tant qu’il dure et d'être en banqueroute quand il s'en va. L’Ordre le journal d'Odilon Barrot, est bien vif contre. Il y a là des rancunes qui se donneront libre carrière toutes les fois que le Président leur en fournira l'occasion.
C'est ce soir le débat à la Chambre des Lords. La motion de Lord Stanley est bien rédigée, modérée et incisive. Mais je suis de l’avis d'Ellice ; je doute que Stanley et Aberdeen soient in earnest. Ils n’oseront pas se charger du gouvernement ; et les Whigs jouent évidemment le jeu de leur en imposer le fardeau pour les effrayer du succès. Ils déclineront, sous main, le succès. Ce sera grand dommage. Je suis convaincu qu’un grand Ministre conservateur, aurait aujourd’hui en Angleterre une admirable chance, et ferait jouer à l'Angleterre un rôle admirable en Europe. Ce ne serait plus le Torysme de M. Pitt et de Lord Castlereagh, un Torysme agressif et belligérant ; mais un Torysme grave et mesuré pratiquant pacifiquement la bonne politique, blâmant hautement la politique révolutionnaire et lui retirant partout tout appui, un Torysme de principes de langage, et d’attitude, puissant par l'autorité plus que par les coups. Il n'en faudrait pas davantage au point où en est aujourd’hui l’Europe, pour la faire rentrer dans la bonne voie. Les difficultés intérieures seraient plus grandes pour un cabinet Tory ; pourtant je les crois, surmontables. Rien ne me déplaît davantage que les honnêtes gens manquant à faire le bien ; bien plus que les coquins faisant le mal. C'est pourtant ce qui arrivera à Londres.

10 heures
Vous avez raison de prédire à Piscatory qu’il voterait les 3 millions. Bien d'autres en feront autant. Et ils voteront bien autre chose. Je suis très curieux de Varsovie. Je vois dans un journal que l'Empereur d’Autriche est parti pour y aller. Est-ce vrai ? Certainement le rôle Russe entre Berlin et Vienne est difficile. Prusse et Autriche prétendent l’une et l'autre à des choses fort nouvelles et qui dénaturent fort la confédération germanique. En tout, le monde est en train de vouloir du nouveau, et rien n'est plus difficile que de démêler, le bon dans le nouveau. Je suis charmé de votre nouvelle que rien n'est fini avec Lord Palmerston. Bon article dans les Débats d’hier. Mais je n'ai pas confiance dans Londres. Il n'y a point de prudence égale à la prudence anglaise.
Pas de réponse encore sur ce que j'ai écrit à propos des voyages à St Léonard. Adieu. Adieu. Hubner doit être bien content de vous avoir à dîner. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 31 octobre 1849
8 heures

L'Empereur a eu raison de finir vite et avec le Turc seul. Mais je crois que Palmerston ne se console aisément d'être arrivé un peu tard. Vous connaissez sa fatuité ; il se dira : « mon oncle a suffi." Ceci ne changera point les situations à Constantinople ; votre influence à vous est là au fond, partout et de tous les jours ; celle de l'Angleterre n'est qu'à la surface et pour les grands jours ; on craint tous de vous; on espère quelque chose de l'Angleterre. La porte n'est pas égale. Non seulement les pas en avant, mais les pas de côté, mais même les pas en arrière tout en définitive, vous profite à vous tant votre position est forte et naturellement croissante. L'Empereur prouve un grand esprit en sentant cela, et en se montrant modéré et coulant quand il le faut. Il y risque fort peu, et probablement, un peu plus tard, il y gagnera au lieu d’y perdre. Mais ayez plus de confiance dans cette sagesse, et ne croyez pas si aisément à la guerre pour des boutades. Je suppose que Vienne restera quelque temps sans donner de successeur à Collaredo. Il faudra que Londres se contente de Keller. Vienne a raison. Montrer sa froideur sans se fâcher, c'est de bon goût d'abord, et aussi de bonne politique. L’Autriche n'en sera pas moins grande à Londres parce que son agent y sera petit. Mais le corps diplomatique de Londres descend bien. Méhémet Pacha et Drouyn de Lhuys en sont maintenant les plus gros personnages. Puisque M. Hübner est enfin venu vous voir, ce dont je suis bien aise, causez un peu à fond avec lui de la Hongrie. Ce pays- là est entré dans l’Europe. On regardera fort désormais à ses affaires. Est-ce sage la résolution qu'on vient de prendre à Vienne de maintenir, quant à la Hongrie, la Constitution centralisante de mars 1849, et de considérer son ancienne constitution comme abolie, au lieu de la modifier ? Je n’ai pas d'opinion; je ne sais pas assez bien les faits ; mais je suis curieux de m'en faire une. Puisque M. Hübner est un homme d’esprit il vous reviendra souvent. Je me promets de m'amuser de votre visite à Normanby. Que de choses à nous dire ! Précisément les choses amusantes. On ne rit pas de loin. Vous avez bien fait de faire cette visite. Au fond, c'était, je crois la règle. Et puis il n’y a que les petites gens qui comptent toujours par sols et deniers. Vous aurez ceux là bien plus empressés. L'accompagnement dans la rue est le commencement de l'attitude. Plus j’y pense, plus je crois que mon avis tel que je l'ai dit à M. Moulin est le bon. Il vous sera revenu par Petersham. Ne se prêter à aucune demi-mesure extralégale, et pousser à la formation du plus décidé, et du plus capable cabinet conservateur possible. Les répugnances de ceux qui ont sauté le fossé de la république sont ridicules ; c’est du calcul égoïste ou pusillanime, non de la fierté. Je suis en cela de l'avis du duc de Noailles. Le Gouvernement du tiers parti ne compromet et n'use pas les conservateurs, c’est vrai ; mais il ne leur profite pas ; aujourd’hui du moins il ne leur profite plus. Et bientôt, il les mettra tout-à-fait en danger, M. Dufaure couve maintenant M. Ledru Rollin. Etrange. situation ! Les conservateurs ont le pouvoir et ne le prennent pas. Cela a pu être sage d’abord ; mais ce qui est sage d’abord ne l'est pas toujours. J'en parle bien à mon aise moi qui suis en dehors. Mais pourquoi n’en parlerais-je pas à mon aise ? Onze heures Trouvez-vous étrange qu’en parlant à M. Moulin de mon plaisir à revenir à Paris, je n'aie parlé que de mon fils, et de mes livres ? Adieu, adieu, adieu.
Je ne vous gronde pas. Je ne me plains pas. Vos velléités d’injustice m'irritent et me plaisent. Quant à l’air gai, je vous ajourne à la rue St Florentin. Adieu Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 23 octobre 1849
7 heures

Madame Austin m'est arrivée hier. Voici ce que m’écrit Reave : « Je suis revenu à Londres au moment de la discussion turque. Au fond, de part et d’autre, je sens que nous avons pris cette affaire un peu trop vivement et Lord Palmerston en a profité pour jeter une pierre dans le jardin de ses adversaires. Mais il en résulte que l’Angleterre a montré que les endormeurs du Peace congress, ne l’avaient pas tout à fait assoupie, que l'Empereur de Russie s’attachera davantage à son état de repos armé ; et que l’on a acquis ici des notions plus justes sur la valeur vraie de la soi-disant alliance de la République française, qui consiste essentiellement à ne rien faire. A tout prendre, je ne regrette pas cette petite campagne, malgré le petit ridicule qui s’attache à tout excès de vigueur hors de propos. Du reste la mission arrogante du Prince Radziwill et l'exécution militaire de Louis Balthiany, sans la procédure judiciaire qui devait faire ressortir sa culpabilité sont, je crois, les deux fautes capitales des Empereurs alliés. On dit qu’il a été saisi une correspondance de Bathory, étant ministre avec le Roi Chartes Albert. Si cela est vrai, il aurait suffi de constater le fait devant la justice. du pays pour le conduire au supplice d’une manière légitime. »
Vous voyez qu’on sait à quoi s’en tenir à Londres sur le concours qu'on peut attendre de la République française, et qu’on ne croit pas à de bien grands coups après tant de bruit. Vous dites bien : le problème à résoudre pour l'Empereur c'est de concilier la grande attitude avec la raison. Il en viendra à bout, sa boutade n’a pas été heureuse ; elle a retourné contre lui l'Europe qui allait à lui, et elle ne lui vaudra pas en Turquie ce qu'elle lui a fait perdre en Angleterre et en France. Il n'en avait pas besoin pour faire, à l'occasion des affaires de Hongrie, un grand pas vers Constantinople. Le pas était fait ; et s'il tenait à le constater, il y avait dix manières d'atteindre ce but là, à meilleur marché. L'Empereur s’est laissé aller à une première idée, et à un premier accès de vainqueur. Il lui en coutera quelque chose de le reconnaitre et de rentrer dans une autre voie. Mais il le fera. Il a un sentiment trop juste de sa mission et de son intérêt de souverain, je veux dire de grand souverain, pour le lancer et pour lancer l'Europe dans le chaos de la guerre et de la révolution parce qu'on ne lui livrera pas Bem et Dembinski. Je suis très curieux, mais plus curieux qu'inquiet du résultat de la mission de Fuad. Effendi. Reeve me dit peu de chose de l'état des esprits en Angleterre sur nos affaires intérieures. Ceci seulement qui est sensé et qui me plaît assez. « Nos yeux se tournent de nouveau avec. sollicitude vert la France. Si M. Thiers se décide enfin à prendre un rôle plus actif, je ne vois devant lui qu’une des catastrophes qui lui sont familières. Il ne manquerait plus que cette direction suprême pour couronner les malheurs du pays. Je suis de plus en plus heureux que vous soyez complètement étranger à ce qui se passe dans cette assemblée. C'est là, je crois le sentiment de tous vos amis de ce côté de la manche, et de plusieurs de ceux qui m’écrivent de l’autre. Dans une position aussi radicalement fausse que celle de la République, il est impossible de faire autre chose du pouvoir qu’une déplorable fiction. " Je suis content de l’issue du débat sur Rome. Le défilé est passé. Le gouvernement, Président. et cabinet s’en tire sans y grandir, et la bonne cause est la seule qui ait été bien défendue. Ce sont là, pour le moment, les seuls résultats auxquels en toute occasion, il faille prétendre. Je doute que j’ai aussi pleinement satisfaction dans les deux questions encore sur le tapis, l'affaire turque et le rappel des deux branches bannies. On passera aussi ces deux défiles ; mais personne, je le crains ne dira ce qu’il y aurait à dire sur l’une et l'autre affaire, comme Montalembert, et même La Rozière, l'ont dit dans celle de Rome.
Onze heures et demie
Adieu, Adieu. Je n'ai que le temps de fermer ma lettre La vôtre est intéressante. J'en reçois une de Piscatory qui l’est aussi. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer 11 oct. 1849
8 heures

Puisque vous n'avez pas été absolus et péremptoires dans votre demande, ni la Porte dans sa réponse, raison de plus pour que l'affaire s’arrange. On trouvera quelque expédient qui couvrira la demie-retraite que fera de son côté chacune des deux puissances. Nous n'avons vu la guerre avorter depuis vingt ans malgré les plus forts motifs de guerre du monde pour la voir éclater par un si misérable incident. C'est comme la guerre entre la France et l'Angleterre pour Tahiti. Nous en avons été bien près ; mais ce n'était point possible. Il me parait que Fuad Efendi n'a pas été renvoyé à la frontière et qu’il doit être arrivé à Pétersbourg. La tranquillité où l'on est à Vienne sur cette question me parait concluante. S'il y avait la moindre raison de craindre, les esprits Autrichiens seraient renversés. Jamais l’Autriche n'aurait été à la veille d'un plus grand danger. Je vous répète qu’à Paris personne ne s’inquiète sérieusement de cette affaire. M. de Tocqueville a été, jusqu'ici, un homme d’esprit dans son Cabinet et dans ses livres. Il est possible qu’il ait de quoi être un homme d’esprit dans l'action et gouvernement. Nous verrons. Je le souhaite. C’est un honnête homme et un gentleman.
Je savais bien que ma petite lettre au Roi pour son anniversaire lui ferait, plaisir. J'ai reçu hier la plus tendre réponse. Après toutes sortes de compliments pour moi, dans le passé : « vous me donnez la plus douce consolation que je puisse recevoir, non pas à mes propres malheurs, (ce n’est pas de cela dont je m’occupe); mais à la douleur que me causent les souffrances de notre malheureuse patrie, en me disant que vous anticipez pour moi une justice à laquelle j'ai été peu accoutumé pendant ma vie. Cette justice, je l'espère et surtout je la désire pour vous comme pour moi. Mais j’ai trop peu de temps devant moi pour me flatter d'en être témoin avant que Dieu m’appelle à lui. La maladie du corps politique est bien grave. Ses médecins n’en connaissent guères la véritable nature, et je n’ai pas de confiance dans l’homéopathie qui me parait caractériser leur système de traitement. J’aurais bien envie de laisser couler ma plume mais je craindrais qu'elle n'allât top loin. Ma bonne compagne, qui se porte très bien, et qui a lu votre lettre, me charge de vous dire qu'elle en a été bien touchée.» J’ai été touché moi de cette phrase : une justice à laquelle j’ai été peu accoutumé, pendant ma vie. Il parle de lui-même comme d’un mort. Lord Beauvale a en effet bien de l’esprit, et du meilleur. Merci de m'avoir envoyé sa lettre. Je regrette bien de ne l'avoir pas vu plus souvent pendant mon séjour en Angleterre. Recevez-vous toujours la Presse ? Je ne la reçois pas, mais, M. de Girardin m'en envoie quelques numéros, ceux qu’il croit remarquables. J'en reçois un ce matin. Tout le journal, plus un supplément, remplis par un seul article le socialisme et l'impôt. Vous feriez je ne sais pas quoi plutôt que de lire cela. Je viens de le lire. Une heure de lecture. Tenez pour certain que cela fera beaucoup de mal. C'est le plan de budget, de gouvernement et de civilisation de M. de Girardin. Parfaitement fou, frivole, menteur, ignorant, pervers. Tout cela d’un ton ferme convaincu, modéré, positif, pratique. Des chimères, puériles et détestables présentées de façon à donner à tous les sots, à tous les rêveurs, à tous les badauds du monde l'illusion et le plaisir de se croire de l'esprit et du grand esprit et de l'utile esprit. Quelle perte que cet homme-là ! Il a des qualités très réelles qui ne servent qu’à ses folies et à ses vices. Personne ne lira ce numéro en Angleterre, et on aura bien raison. Et j’espère que même en France, on ne le lira pas beaucoup. C’est trop long. Mais rien ne répond mieux à l’état déréglé et chimérique des esprits. Je vous en parle bien longtemps, à vous qui n'y regarderez pas. C'est que je viens d'en être irrité.
Onze heures J’aime Clarendon Hôtel. C’est un premier pas. Je vous écrirai là demain. Vos yeux me chagrinent. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, mardi 9 oct. 1849
6 heures du matin.

Votre perplexité me désole. Elle ne me gagne pas encore ; mais au fait elle est bien naturelle. Toutes les bonnes raisons sont contre la guerre. Je devrais savoir ce que valent les bonnes raisons. Je croyais impossible que la France fit, ou laissât faire une stupide folie comme la révolution de Février. L'Empereur aussi peut avoir sa folie. Et alors ! Ne vous y trompez pas ; ce que dit Morny et ce qu’il écrit au Président n’y fera rien. La France fera ce que fera l’Angleterre. Et la France poussera plutôt que de retenir. Et si cela arrivait, vous verriez Thiers et Molé, au moins le premier, entrer au pouvoir, et se mettre à la tête de cette grande affaire, espérant encore, par l'alliance intime de la France et de l'Angleterre ce que Napoléon espérait à lui tout seul, distraire et satisfaire l’esprit de révolution par la guerre, en le contenant. Chimère, mille fois chimère dans laquelle ils échoueraient bien plus vite et bien plus honteusement que n'a échoué Napoléon, mais chimère qui les tenterait (je les connais bien) et qui bouleverserait le monde. Car vous dîtes vrai; ce serait la guerre partout, et la révolution partout. Cela n’arrivera pas ; cela ne se peut pas. Il ne se peut pas que l'Empereur soit aussi fou et aussi aveugle que la garde nationale de Paris en Février. Personne ne peut prévoir, personne ne peut imaginer quels seraient, en définitive, les résultats d’un si épouvantable bouleversement, mais à coup sûr, ils ne seraient bons pour aucun des grands et réguliers gouvernements aujourd’hui debout. La fin du monde profiterait peut-être un jour à quelqu'un certainement pas à ceux qui y auraient mis le feu. Même conclusion de ma part et avec la même conviction. Mais je répète que votre perplexité me désole car enfin la chance existe, et quel serait notre sort, à nous deux, dans cette chance ! J'y pense sans relâche comme si j’y pouvais faire quelque chose. Cela ne sera pas.
Neuf heures
Je n’ai rien à espérer aujourd’hui. Je vous renvoie votre lettre allemande. Intéressante. C’est un homme d’esprit. Assez ressemblant à Klindworth. Je voudrais bien que l’Autriche et la Prusse parvinssent à s'entendre, pour quelque temps au moins, et à rétablir un peu d'ordre, en Allemagne. Si l'Empereur veut bien ou la guerre, il aura la guerre et pas Bem, et Bem bouleversera de nouveau l'Allemagne pour lui faire la guerre. Je ne fermerai ma lettre qu'après l’arrivée de la poste, pour voir si j’ai à vous dire quelque chose de Paris. Midi Le facteur arrive très tard. Je n’ai que le temps de fermer ma lettre. Adieu, Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, 5 octobre 1849

Ce que vous me dites de la différence qui existe entre les demandes de l’Autriche et les vôtres me frappe, et me confirme dans ma première conjecture. Vous ne voulez pas, aujourd’hui, la ruine de l’Empire Ottoman ; mais vous voulez mettre une bonne occasion à profit pour faire un grand pas. Vous demandez péremptoirement l'extradition, au nom de la lutte contre les révolutions. Si la Turquie vous l'accorde c’est un grand coup sur les révolutionnaires ; si elle vous la refuse, c'est une grande raison, et très plausible, pour prendre vous-même vos suretés. Et vos suretés, c’est l’occupation forte et permanente des Provinces Danubiennes qui couvrent vos frontières, et sont contre vous, le foyer de révolution. Vous ne vous les approprierez pas encore tout de suite et d’un seul coup ; mais vous vous y fortifierez, vous vous y établirez ; vous les gouvernerez, provisoirement encore, mais vous-mêmes et en votre propre nom. La Turquie payera ainsi les frais du secours que vous avez donné à l’Autriche, et vous lui prendrez, en provinces les garanties qu'elle vous aura refusées en réfugiés. Et l’Europe ne vous fera pas la guerre pour cela, tandis que si vous attaquez la Porte pour Bem et Kossuth l’Europe la défendra peut-être, probablement même. Si vous attaquez la Porte pour Ben et Kossuth, l’Europe verra là la ruine de la Porte, et de votre part un parti pris de la détruire. Elle ne veut pas souffrir cela. L’Europe est accoutumée au contraire à vous voir avancer et grandir dans les provinces danubiennes. Et même résignée, au fond, à vous y voir établir en maîtres définitifs, car elle regarde cela comme inévitable. Le temps des longues prévoyances et des résolutions fortes prises, en vertu des longues prévoyances est passé pour l’Europe occidentale. La France ne pense plus à cette grande politique et l'Angleterre n'en veut plus. Vous pouvez faire tout ce qui exigerait. que la France et l’Angleterre, pour vous en empêcher adoptassent et pratiquassent de concert cette politique là. Mais il y a tel acte en soi bien moins grave que l'occupation définitive des Provinces Danubiennes qui peut soulever en France, en Angleterre dans toute l’Europe occidentale une de ces émotions publiques soudaines, puissantes qui jettent les gouvernements dans ces résolutions extrêmes auxquelles leurs propres calculs et desseins ne les conduiraient pas. Votre exigence de l'extradition, poussée jusqu'à la guerre, pourrait bien être un acte semblable et produire de tels effets. Si donc l'Empereur ne veut pas engager aujourd’hui, en Orient la question suprême, je ne puis croire qu’il ait fait sa demande avec l’intention de la soutenir à fond ; ce serait trop méconnaître l'état des esprits en Europe et trop risquer pour un petit motif. Je suis tenté de croire à une ambition et à une intention plus détournées. Voilà mon impression, et sur quel raisonnement elle se fonde. Et j'aboutis toujours à ma même conclusion ; la guerre ne se fera pas. Autre raison décisive. L'Empereur, qui en veut surtout aux révolutions, ne peut pas soulever une guerre dont le drapeau serait : « L’Angleterre et la France patronnent et couvrent les chefs de révolutions. » Mais ma raison n'est décisive que si bien certainement l'Empereur ne veut surtout aux révolutions, et ne songe pas à en profiter pour aller à Constantinople. Adieu en attendant votre lettre.

Onze heures et demie La voilà. Et probablement de bien vives agitations de votre part, et de bien longs raisonnements de la mienne pour un incident pas grand chose. C’est égal ; la seule chance valait bien la place que nous lui avons faite. Adieu, adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 4 oct 1849
2 heures

Je ne puis croire à cette guerre ; à moins que votre Empereur n'ait un parti pris de la vouloir, ce que je ne crois pas. Je ne pense qu'à cela et j’arrive toujours à la même conclusion. Ils s’évaderont. Je vois déjà dans un journal de ce matin, que Kossuth s'est évadé. Ce n’est probablement pas encore vrai. Cela deviendra vrai. Faire la guerre parce qu’ils se seront évadés, pour en punir la Porte comme un geôlier négligent ou vendu, est impossible. Certainement si l’Angleterre soutenait effectivement la Porte, la France en ferait autant. Peut-être même, ici, n'en serait-on pas fâché. Une occupation qui serait distraction. Ce pays-ci s’inquiète des francs jamais des millions. Il déteste de donner de l'argent ; mais il aime à le jeter par les fenêtres. Je ne peux me résoudre à examiner sérieusement l’hypothèse où vous ne pourriez habiter ni Londres, ni Paris. Naples, si une fois vous y étiez arrivée aurait, pour l’hiver le mérite du climat. Bruxelles serait froid, mais sûr. La Belgique resterait neutre. Et au moins aussi bonne compagnie à Bruxelles qu'à Naples. Et bien plus près. J’en parle parce que vous m'en parlez. Je répète encore que je n'y crois pas. Mais il résultera de cette affaire-ci une situation bien plus accentuée, comme on dit aujourd'hui, en Europe ; la Russie et l’Autriche d'un côté, la France et l’Angleterre de l'autre, la Prusse entre deux, penchant géographiquement du premier côté, moralement du second. C’est très mauvais. L’Europe coupée en deux c'est de l'encouragement et de la force pour les révolutionnaires de tous les pays. Il ne se peut pas que l'Empereur ne voie pas cela. Certainement si cette guerre éclatait l'Italie et la Hongrie recommenceraient. Et Dieu sait qui les imiterait. Il ne faut pas ouvrir de telles perspectives. Pour la troisième fois, je n'y crois pas. Vous viendrez bientôt à Paris. Mais il est clair, qu’il faut attendre un peu pour y voir plus clair. Avez-vous remarqué dans les débats d’hier 3, la lettre de [Bucha?] ? Assez piquante probablement du vrai. La réponse napolitaine à Lord Palmerston est très bonne. Peu lui importe. Il veut. s'afficher Protecteur de la Sicile. Par routine et par mauvais esprit. Le même partout et toujours. C’est un spectacle qui m'ennuie. Je ne lis pas les Mémoires d’Outre-tombe. C’est vous qui me faisiez lire ces frivolités-là, Outretombe, Raphael. Quand je ne vous ai pas, je ne me doute pas qu'elles paraissent. Je vais demander les passages où il est question de vous. J’ai eu la brochure de M. Dunoyer. Honnête homme, lourd et courageux. Plein de pauvres idées, et d’erreurs de fait sur les journées même de Février, mais beaucoup de sens et de bonne hardiesse sur la situation générale d’à présent. Je n'ai rien du tout de Paris. Ce silence absolu et la nullité des premières séances de l'Assemblée me font croire qu’il se brasse quelque chose. On se tâte, on se prépare, on doute, on projette tout bas ; et en attendant on se tient coi. Je ne crois toujours à rien de plus gros qu’à une modification du Cabinet.
Onze heures et demie
Voici votre lettre. Je persiste toujours à ne pas craindre ce que vous craignez. J’ai écrit à Paris pour être bien précisément tenu au courant des intentions et des dispositions du gouvernement et du public. Ce que j'en sais déjà ne me permets pas de douter que la France ne fasse tout ce que fera l'Angleterre et qu'elle ne pousse l'Angleterre plutôt que de la retenir. Adieu, adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 3 Oct. 1849 9 heures

Je comprends que l’Autriche et la Russie insistent pour se faire rendre les fugitifs hongrois et polonais. Je comprends que la Turquie, refuse de les rendre. Certainement aucun des grands gouvernements Européens ne les rendrait. Être la seule nation en Europe capable de cela, c’est beaucoup. Les Turcs ne sont plus assez barbares. Sont-ils assez faibles ? Si j’avais à parier, je parierais que les fugitifs s’évaderont et iront en Angleterre. Vous ne ferez pas la guerre à la Turquie pour les reprendre. La France et l’Angleterre ne vous feront pas la guerre, avec la Turquie pour l'aider à ne pas vous les rendre. Tout le monde sera dans une impasse dont tout le monde voudra sortir. Ils s’évaderont. On criera d’un côté, on se taira de l'autre. Et bientôt on n’en parlera plus. Resteront dans le monde Kossuth, Bem, et Mazzini, trois hommes qui se seront fait un nom dans les événements de 48 et 49. La seule chose qui en reste. En apparence du moins et pour quelque temps car si les évènements ont été impuissants et ridicules, leurs causes subsistent, toujours redoutables, à ces trois hommes correspondent trois questions dont deux, l’Italienne et la Polonaise sont insolubles mais très vivaces et dont la troisième la Hongroise ne peut être résolue que par un bon gouvernement Autrichien, ce qui n’est par sûr. Et le vent de folie révolutionnaire, et socialiste soufflant toujours sur ces trois places de l’Europe, il y a à parier que l’accès de fièvre chaude qu'elles viennent de lui donner n’est pas le dernier. Si vous lisiez les journaux légitimistes, vous verriez que le parti catholique lui-même, les politiques du moins, M. de Falloux en tête ne songent qu’à profiter du Motu proprio du Pape pour sortir de Rome sauf à négocier encore après pour obtenir de lui quelque chose de plus, un peu plus d’amnistie ou un peu plus de constitution. On n'insistera pas sur le dernier point. Qui gardera le Pape et Rome après cela ? Peu importe. On aimera mieux les Espagnols que les Autrichiens. On se résignerait aux Autrichiens. L’armée française aura rétabli le Pape dans Rome, et protégé la politique modéré. C’est assez pour s'en aller. Que la politique modérée, et le Pape deviennent ensuite ce qu’ils voudront. La République française ne songe qu'à se laver les mains des révolutions et des restaurations qu'elle a faites. Ni pour les unes, ni pour les autres, elle ne se charge du succès.
Je suis frappé de la rentrée en scène, à Paris de Proudhon et de Louis Blanc par leurs nouveaux journaux la Voix du Peuple et le Nouveau monde. Le parti modéré a beau vouloir dormir ; ces gens-là, ne le lui permettront pas. Ou des batailles au moins annuelles dans les rues, ou un gouvernement assez fortement constitué pour que ceux-là, même qui ont envie de la bataille la croient impossible ; il n’y a pas moyen d'échapper à cette alternative. Il faut que la société mette le socialisme sous ses pieds, ou qu’elle meure de sa main. Et pour mettre le socialisme sous ses pieds, il faut ou cent mille hommes et le général Changarnier en permanence dans Paris, ou un vrai gouvernement. Combien de temps maintiendra-t-on le premier moyen pour s’épargner la peine de prendre le second ? C’est la question.

Onze heures
Nous ne pouvons nous répondre que le lendemain. Je vois que vous craignez plus que moi que la rupture entre la Russie et la Porte ne devienne sérieuse. Si elle devenait sérieuse, vous auriez le dernier. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie. Lundi 24 sept 1849 Sept heures

Je vois approcher avec plaisir le jour où je retournerai chez moi. Je suis très bien ici très choyé. Bonne conversation, et qui me plait sur toutes choses comme sur les affaires. Mais j’ai l’esprit plein de ce que je fais de ce que je veux faire. Il n’y a qu’une conversation que je préfère toujours à mes propres préoccupations. Ce que je fais me préoccupe sérieuse ment. Je me figure que ce qui manque le plus aujourd’hui en France, c’est quelqu'un qui dise la vérité avec quelque autorité ; la vérité que tout le monde croit, que tout le monde attend, et à laquelle personne n’ose toucher. Je ferais certainement cela. D’abord sous le manteau anglais ; puis et pas longtemps après, sous ma propre figure française, en parlant de mon temps et de moi- même. Il est clair que l'autorité ne me manque pas. Je voudrais que vous vissiez tous les gens qui viennent me voir. Je suis frappé surtout de ceux d’ici, que je ne connaissais pas auparavant, la plupart du moins. Conservateurs, il est vrai, mais conservateurs de toute sorte et de toute date. Vous seriez frappée de leur déférence. Et de leur curiosité pleine d’assentiment quand j'explique comme je l’entends, ce qui s’est passé, la conduite que j'ai tenue, et pourquoi je suis tombé quoique ma politique fût bonne, et parce qu’elle était trop bonne. N'ayez pas peur ; je ne suis point arrogant, ni blessant. Je ne fais que profiter du sentiment que je rencontre pour exprimer librement le mien. Si le temps et la force ne me manquent pas un moment viendra, où mon avis sera d'un grand poids. Mais le temps et la force pourront bien me manquer. Je vieillis. Je me fatigue vite, et de corps et d’esprit, par la promenade et par le travail. J’ai besoin de repos, de sommeil. Je dors quelques fois dans le jour. Je serais encore en état de donner un coup de collier. Mais à un effort soutenu, prolongé, sans relâche, et sans liberté, je pourrais fort bien ne pas suffire.

10 heures
Je suis bien aise que vous soyez allée à Claremont. Et sûr que votre observation est très juste. La mauvaise fortune n'a fait qu'accroitre la disposition ancienne et constante du Roi; se plaindre de tout le monde, et ne se louer de personne. Mauvaise disposition pour être bien servi. Je sais que l’intérieur n'est pas très harmonieux surtout en ce qui concerne le séjour de l'hiver prochain. L’Angleterre leur déplait à tous excepté au Roi. C’est lui qui a raison. A moins que l'hiver de Claremont ne convienne pas à la santé de la Reine, ce dont j'ai peur. Que dites-vous de Gustave de Beaumont à Vienne ? Au fond, peu importe. Mais le gros bavardage que vous avez entendu à Holland House sera encore plus déplacé à Vienne. M. de Falloux, est décidément hors de danger. Plus de nécessité de retraite, et sa convalescence servira à ajourner, les deux plus périlleuses discussions. Ce qui va beaucoup mieux aussi, c'est le choléra de Paris. Il s'en va. J’ai des nouvelles de plusieurs médecins, unanimes à se rassurer. Que faites-vous de M. Guéneau de Mussy ? Tant que vous resterez en Angleterre, je suis bien aise qu’il y reste. Adieu, adieu. Adieu encore. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie. Lundi 17 sept 1849 8 heures
Vous êtes devenue d’une grande intimité avec Lord John. Vous le voyez tous les jours. C’est très bien fait malgré son attachement à Kossuth. Lady John mérite que vous causiez avec elle. Elle a assez d’esprit pour se plaire avec ceux qui en ont plus qu'elle. Et son mari is very uxorious. Je me figure que si j’avais été là Madame de Metternich n'aurait pas. retenu cette expression de sa colère contre Lord Palmerston qu’elle vous a soustraite. Vous voyez ce que j'en pense. Je regrette que son mari devienne si ennuyeux. Les décadences me déplaisent toujours. Soyez tranquille ; je ne redeviendrai pas doctrinaire. Fatuité à part, je ne voudrais pas redevenir rien de ce que j’ai été. Je crois que ce serait déchoir. Redevenir jeune en restant ce que je suis à la bonne heure. Et si je ne me trompe, vous en diriez autant. J’ai écrit hier une longue lettre à Lord Aberdeen. Et aussi à Claremont.
M. Dufaure fait en ce moment une chose qui fera plaisir au Roi. Il a demandé au duc de Broglie de présider une commission chargée d'examiner et de trier tous les papiers enlevés aux Tuileries après Février et déposés aux archives générales. " Il est temps, dit-il de trier ces papiers, et de rendre à la famille royale, ce qui lui appartient. Le Duc de Broglie a accepté, comme de raison. Les journaux légitimistes qui m’arrivent ce matin me frappent assez. Ils détournent leur parti de l'attaque contre le Cabinet au retour de l'Assemblée. C'est M. de Falloux qui fait cela. Il n’espère pas refaire à son gré le Cabinet nouveau, et il aime mieux maintenir celui-ci, où il est plus gros qu’il ne serait avec Molé et Thiers. En tout les légitimistes travaillent plus encore que tout autre parti, à ajourner les grosses questions. Il ne se sentent pas en état de profiter des solutions. Ils veulent pénétrer plus avant dans le pouvoir sous le manteau de la République. Sans compter qu'ils sont comme des affamés qui depuis longtemps n'approchaient pas de la table, et qui ne veulent pas risquer la part qu’ils sont en train de reprendre du gâteau. J'ai lieu de croire qu'il y a eu entre les deux branches de la famille royale quelques paroles même quelque démarche réelle de réconciliation, pour arriver du moins aux apparences de la réconciliation. Les légitimistes se vantent de quelque chose parti de Claremont. Pouvez- vous sonder un peu ce qui en est ? Par la Duchesse de Glocester, ou la Duchesse de Cambridge, ou les aboutissants légitimistes ?
Est-il vrai que vous laissez en Hongrie 40 ou 50 000 hommes ? Je ne puis pas mettre la moindre importance à Céphalonie. J’en suis fâché pour ces pauvres grecs, qui certainement seront rudement punis. Les Anglais sont d'admirables égaux et de terribles maîtres. Avez-vous remarqué deux grands articles des Débats, l’un sur l’Autriche l’autre sur la Prusse ? Je serais assez curieux de savoir ce qu'en pense M. de Metternich s'il pouvait ne pas vous le dire si longuement.
Adieu, Adieu. Je ne sais rien de précis. Mais je suis sûr que le Cabinet est plus content de ses nouvelles de Rome. Adieu. Je ramasse toutes les petites choses que j'ai à vous dire ; mais je ne vous dis pas les grandes, c’est-à-dire la grande. Adieu. Adieu. G.
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