Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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192 Val Richer, Dimanche 5 nov. 1854

Je reviens à mon post scriptum d’hier. Tout cela est bien obscur, et c’est un grand ennui que l'obscurité dans un si grand intérêt. Trois choses que je ne comprends pas qu’il n’y ait pas un service de dépêches plus régulier et plus fréquent ; que les généraux et les amiraux n'en disent pas davantage dans leurs rapports que le gouvernement n'en dise pas davantage, si les généraux lui en disent davantage. Tout cela est de la pure malhabileté. Il faut savoir parler au public, même des affaires qui vont médiocrement. Notre public a donné la démission de la politique, mais moins de la politique extérieure que de l’intérieure. Pour la politique extérieure, il reste curieux et redeviendrait aisément animé et difficile. D’autant qu’on a soi-même surexcité plus d’une fois le vieil esprit national. Point de rapport, ou point de publication des rapports de l’amiral Hamelin sur l'affaire du 17 où les flottes, et la flotte Française en particulier, et le vaisseau amiral Français, la ville de Paris entr'autres, ont évidemment jouer le grand rôle et beaucoup souffert ! C’est inconcevable. Je dirai du silence comme du mensonge ; c’est une si bonne chose qu’il ne faut pas en abuser, car on l’use et on le décrie.
Par dessus le marché, mon journal des Débats et mon Moniteur d’hier m'ont manqué. Il n’y avait certainement rien que ne m'aient dit l'assemblée nationale et les feuilles d’Havas ; mais c’est impatientant.
Albert de Broglie, qui arrive de Paris m'écrit : " J’ai laissé Paris un peu inquiet des longueurs du siège auxquelles, on aurait du être préparé. Il n’y a point d’incertitude sur l’issue, mais un sentiment, je crois assez juste, que plus la défense des Russes sera longue, moins le coup sera décisif. pour la paix."
Albert me donne des nouvelles des St Aulaire. " Cette pauvre famille, après trois mois de tortures héroïquement supportées est, je crois à bout de forces. Elle n’a voulu voir personne encore J’ai eu un mot de Mad. d'Harcourt, et vu une lettre de Langsdorff à M. Doudan ; l’un et l'autre paisibles et désolés. " Il ne me dit pas que St Aulaire soit malade.
Serez-vous assez bonne pour remercier de ma part, le capitaine Van de Velde de sa brochure sur la guerre de Crimée qu’il a bien voulu m'envoyer à Paris et qu’on m’a renvoyée ici ? Je l’ai trouvée très claire, très intéressante et très vraisemblable pour les ignorants, comme moi.
A en juger par les extraits qu’on en a donnés à Londres et à Paris, les rapports du Prince Mentchikoff sur la bataille de l'Alma sont écrits avec dignité et convenance.

Midi
Avec les journaux, j’ai des nouvelles de Paris, de très bonne source. Je copie : " La version russe relative à l'échec éprouvé par les troupes anglaises était singulièrement exagérée ; mais peu s'en est fallu qu’elle ne fût exacte. La vérité est que le 25, le général Liprandi, à la tête d’un corps de 30 000 hommes a surpris et attaqué l'aile droite du corps d'observation des armées alliées, composée de la division Anglaise qui a été un moment très compromise. Mais l’arrivée du général Bosquet et de la division française a rétabli les choses et forcé les Russes à la retraite. Les Anglais ont fait des pertes sensibles surtout leur cavalerie. Les rapports de leurs généraux rendent l'hommage le plus complet à la valeur et à la décision de nos troupes qui ont dans cette occasion, sauvé la partie. Cette affaire fait le plus grand honneur au général Bosquet. qui paraît être un officier de grand avenir. Vous voyez que j’ai eu la même impression que vous sur les rapports du Prince Mentchikoff.
Adieu, Adieu. G. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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193 Baden Jeudi 3 heures le 6 juin 1839

Je fais mieux encore que je ne dis. Je suis arrivée à 2 heures, pas. trop fatiguée. J ai trouvé un fort joli logement fort en désordre, il faut passer par un peu d'ennui, je voudrais bien n’avoir à me plaindre que de cela dans ma pauvre vie ! J’ai eu bien de l'émotion en traversant le Rhin, mais cette fois-ci je savais pourquoi ; l'année 36 je n'ai jamais pu le deviner. Je viens de recevoir une lettre du grand Duc, je vous en écrirai copie, une pauvre lettre ; mais enfin c'est du souvenir, c'est tout ce qu'il a à se faire.

5 heures
Voici votre lettre, que je vous remercie ! Je suis triste mais j'essaierai de l'être le moins possible avez-vous eu ma lettre de Sezanne. & de Saverne ? Voyez bien à m'accuser réception de tous mes N°. Voici la lettre du grand duc orthographe & tout.

Londres 19/31 mai 1839
Madame,
Avant de quitter ce pays où vous avez passé tant d’années et où tout ceux que vous ont connu, vous aiment et vous conservent un attachement bien sincères, permettez-moi de vous adresser ce peu de mots pour vous dire, chère Princesse, la peine que j'éprouve de ce que les circonstances ne nous aient pas permis de nous rencontrer. Le séjour que j’ai fait en Angleterre et l'accueil vraiment amical que j’y ai reçu de la part de la Reine, de ses ministres, et je puis le dire avec vérité de le part de tous les partis, me laisseront un souvenir bien agréable pour toute ma vie. Soyez persuadée, Madame que je serais éternellement reconnaissant à la veuve du Prince de Lieven pour l'amitié que son défunt mari n'a jamais cessé de me témoigner et que j'ai su apprécier.
Recevez Madame les assurances des sentiments que je vous ai voués.
Alexandre

Je vais répondre, et vous en aurez copie aussi. Vous ai-je dit qu'Orloff était inquiet de n'avoir rien eu de moi depuis sa lettre. C'est Lady Cowper qui me mande. Je ne sais encore qui est à Baden. Je crois, personne. Au reste je n’ai pas regardé par la fenêtre. Il pleut et fait froid. Bonsoir mais surtout adieu.

Vendredi 7 à 7 heures du matin.
Je me suis coucher à 9 heures levée à 6. J'ai fait une longue promenade pas un beau soleil dans un pays ravissant, j’ai déjeuné et me voici à vous, à vous toujours. Il me semble que je m'arrangerai de ceci très bien pourvu qu'il ne pleuve pas. Vraiment mon logement est charmant, gai, environné de rosiers, d’orangers. Je vous enverrai le dessin, le plan. 2 heures J’ai vu du monde des Russes, que vous ne connaissez pas. M. de Bacourt qui me dit que ma lettre doit être porté de suite à la poste. Adieu donc, adieu, il fait beau, il fait chaud, si vous étiez ici ! God bless you.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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193 Bruxelles Mardi 19 Xbre 1854

Je n’ai pas été en état hier de traiter une ligne votre lettre de Samedi m’avait bouleversée. Elle m’a donné mes attaques de bile des plus violentes. J’ai passé hier tout le jour dans mon lit. J'y suis encore aujourd’hui. mais mieux que hier. Ces secousses ne me vont plus. Que puis-je vous dire ? Mon esprit et mon courage m’abandonnent. Tout ce que je perds de ce côté-là, je le gagne en tendresse de cœur, et mon cœur déborde, et mess yeux pleurent. J'écrirai peut-être à l'Empereur. Ce sera mes résolution soudaine, car par réflexion je ne le ferais pas.
Je me suis fait lire votre discours, très beau, mais la fin n’a pas été de mon goût Nous avons sur certaines choses des gouts différents, et j’ai trouvé le moment mal[ ?]. La Prusse ne se joindra pas encore à l’alliance. C’est le plaisir de trainer, car il faudra bien qu’elle y arrive. Je ne puis pas continuer. Je suis trop faible. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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193 Du Val-Richer, Samedi 8 juin 1839 2 heures

Je me doutais de ce qui vous est arrivé. Mad de Talleyrand m’avait répondu en termes très aimables, mais vagues, et comme un peu inquiète de son impuissance à vous être bonne à quelque chose. Mes prétentions n'allaient pas jusqu'à espérer qu’elle vous cédât le rez-de-chaussée pour prendre le second ; ce sont là des dévouements héroïques que je n'attends pas des amitiés du monde. Mais venir quelque fois dans votre voiture, et vous désennuyer pour son propre plaisir, j’y comptais un peu. Apparemment elle aime mieux le confort de sa solitude que le plaisir de votre conversation. Gardez de ceci non pas de la rancune, ce qui est un sentiment déplaisant et fort peu dans votre nature, mais de la mémoire, ce qui sera beaucoup et ce que vous ne savez point faire. Vous oubliez le mal avec une facilité très aimable, mais très déplorable. C’est ainsi qu’on retombe toujours avec les autres dans la dépendance ou dans l’illusion. Vous avez beaucoup de pénétration mais elle ne vous sert à rien, comme prévoyance. vous recommencez avec les gens comme si vous ne les connaissiez pas du tout , et vous êtes obligée de rapprendre à chaque occasion, ce que vous aviez parfaitement vu ou deviné à la première. Vous avez bien raison d'être au Val-Richer. Vous ne serez nulle part en aussi tendre compagnie. Restez-y un peu plus que vous ne comptiez. Je n’en partirai que samedi prochain 15.
On m’écrit que le rapport de l'affaire d'Orient n'aura lieu que le 19 et le débat le 20. Le Maréchal est allé à la commission ; inculte, ignorant, mais rusé et se conformant assez habilement à ses instructions. Il a annoncé très confidentiellement et en demandant le secret, que le gouvernement voulait maintenir en Orient le statu quo, mais un statu quo durable, en assurant au Pacha l'hérédité de l’Egypte et de la Syrie. Du reste rien de plus ; des communications de pièces parfaitement insignifiantes, ou déjà imprimées ; rien qui mette la commission au courant de l'état de l'Empire Turc et des relations des diverses Puissances avec lui ou entre elles. La commission a, dit-on, assez d'humeur; et cela paraîtra.
Le Cabinet n'est pas en bonne veine. Il a vivement combattu, aux Pairs, la proposition de M. Mounier sur la légion d’honneur et elle a passé malgré lui. Aux Députés, une autre proposition, fort absurde, pour retirer aux fonctionnaires députés leur traitement pendant la durée de le session, et qui avait toujours été rejetée jusqu'ici, a été adoptée, au grand étonnement des Ministres qui n'avaient pas même ouvert la bouche, tant ils se croyaient sûrs du rejet. Un crédit de cinq millions, demandé pour achever le chemin de fer de Paris à Versailles sur la rive gauche, a été fort mal reçu. En tout il y a du décousu, de l’inertie dans le pouvoir, et de la débandade dans son armée. Thiers ne va plus à la Chambre, et annonce son très prochain départ. Plusieurs de ses amis. craignent qu’il n'attende même pas la discussion des Affaires d'Orient. Vous voilà au courant, comme si nous avions causé, au plaisir près. Mais le plaisir vaut mieux que tout le reste, n’est-ce pas ?

Dimanche 7 heures
Hier, il a plu sans relâche ; aujourd’hui le plus beau soleil brille. Hier vous me manquiez pour rester dans la maison et oublier la pluie ; aujourd’hui, vous me manquerez pour me promener et jouir du soleil. J’attends quelques personnes cette semaine, M et Mad. de Gasparin, Mlle Chabaud. Celle-ci m’est très précieuse pour mes filles et ma mère. Je suis très touché de l'amitié infatigable avec laquelle elle s’en occupe. C’est une excellente personne, très isolée en ce monde, et qui avec un cœur vif, n’a jamais connu aucun bonheur vif. Elle reporte sur les affections collatérales la vivacité, et le dévouement qu'elle n'a pas trouvé à dépenser en ligne directe. Mes filles l'aiment beaucoup. Henriette fait vraiment, avec elle, des progrès sur le piano. Elle a de très bons doigts. Adieu.
Vous me tenez dans l'anxiété en me disant que vous avez de mauvaises nouvelles pour vos affaires, sans me dire ce qu’elles sont, ni d’où elles viennent. J’en suis très impatient, car nous sommes impatiens de savoir le mal comme le bien. Mais je ne puis me résoudre à croire que, sur les terres de Courlande, tout le monde se soit jusqu'ici si grossièrement trompé. Encore une preuve de plus de votre barbarie. Les plus éclairés n'ont pas la moindre connaissance sûre des lois du pays. Adieu. Adieu. Enfin, votre prochaine lettre sera de Baden, & notre correspondance régulière sera établie. Mais vous avez été bien aimable, vous avez mis de la régularité en courant la poste adieu encore. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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193 Val Richer. Lundi 6 nov. 1854

J'étais pressé hier en vous envoyant les nouvelles qui m’arrivaient ; je n’ai pas copié le dernier paragraphe. Après les mots sur le général Bosquet, officier de grand avenir, on ajoute : " Les Anglais ont d'ailleurs pris leur revanche. Dans cette même journée du 27, les assiégés ayant tenté une sortie formidable sur les lignes anglaises, (sans doute en même temps que le général Liprandi les attaquait du dehors) ont été complètement battus, et ont laissé sur le terrain mille morts, dont les corps ont été comptés (on souligne ainsi). Tout cela est glorieux, mais horriblement triste.
Les journaux que vous recevrez aujourd’hui ou demain vous donneront probablement les détails. Je vous les envoie en tous cas comme ils me viennent.
J’ai lu en entier, les rapports du Prince Mentchikoff dont je n’avais vu que de extraits. Ils sont vraiment remarquables par l'absence de forfanterie et pas l’équité. Les journaux Anglais nient que le fils de Lord Clanricard ait été pris. Le sait-on positivement de Pétersbourg ?
Avez-vous lu le discours de Lord John à Mansion house pour provoquer les souscriptions au patriotic fund en faveur des familles des tués et des blessés ? Au milieu des éloges à la bravoure et au dévouement des soldats anglais, il les félicite et il félicite le pays de ce que leurs lettres, publiées dans les journaux, ont prouvé " that our rank and file can express themselves with a degree of intelligence and property which, while it marks their good feeling, indicates how much progress has been made in education, since the last war. " Voilà la passion de la civilisation, et cela a été couvert d’applaudissements.
J’ai une longue lettre de Macaulay. Purement littéraire ; des compliments sur Cromwell. Il me dit qu’il publiera dans quelques mois son Histoire de Guillaume 3. Toute préoccupation politique personnelle du moins l'a évidemment quitté : " My health is not very good. But I do not complain. I have numerous sources off happiness, independance, liberty, leisure, book, kind friends and relations."
Il viendra à Paris, le printemps prochain, pour l'exposition. Il nous faut la paix alors, pour que tout le monde y vienne. Midi Je vais lire les rapports détaillés, sur les affaires du 15. Je commence à comprendre celles du 25 et du 26, et j'en conclus que rien n'est fini. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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194 Baden Samedi 8 juin 1839 à 3 heures

J'ai été bien fatiguée toute la matinée j’ai écrit au grand Duc, à Orloff, à mon frère, à mon fils Alexandre. J'ai envoyé copie à mon frère de la lettre du grand Duc et de ma réponse. Tout cela est beaucoup après une mauvaise nuit et par un temps bien chaud. J’ai vu longuement mon médecin. Il veut pour moi du lait d'ânesse, des bains de son, de l’air toujours de l'air, du calme dans ma vie, point de peines ! Point d'agitations ! Il veut que je dorme et avec tout cela il me répond de m'engraisser. Oui mais comment, excepté le lait et le bain, comment avoir tout cela ? Il m’a trouvé extrêmement changée et maigrie il y a longtemps que cela me frappe.
Je ne vois Mad. de Talleyrand qu’une demi-heure par jour, voilà tout, et puis je ne vois personne que Marie qui vient se promener avec moi le soir. Voilà mes dissipations de Baden. Mais le lieu est charmant, le temps superbe. Je ne me plaindrai pas, mais je suis bien seule.

Dimanche 9. à 8 heures du matin.
J'ai reçu hier au soir votre N°191. Je suis avide et heureuse de vos lettres, mettez-vous bien en tête qu’il ne se passe pas de minute où je ne pense à vous. J'ai des nouvelles de mon fils Alexandre. Il est arrivé à Pétersbourg le 22. Mon frère est tout de suite accouru chez mon fils, et les à reçus avec la plus grande tendresse. Alexandre a l’air fort content. Je n’ai rien de mon frère.
Une longue lettre d’Ellice qui ne pense pas que le ministère anglais tienne longtemps. Il croit que Lord Howick fera la brèche. Il est question de dissolution. J'ai presque bien dormi cette nuit.
J’ai commencé ce matin le lait d’ânesse. Je reviens de mon bain qui m’a plu. J'ai marché, j'ai déjeuné et il n’est que huit heures. Hier au soir je me suis fait miner au vieux château. On monte pendant une heure. C’est beau, c’est superbe. Des points de vue admirables des ombrages charmants, venez donc voir cela. Je défie que vous ayez rien vu de comparable. J’étais seule, toujours seule, ah ! que c’est triste ! midi. Je reviens de l'église. J'ai entendu mon excellent sermon, qui m’a bien émue. Vous ne savez pas comme j'ai l’âme tendre et triste. Je vous envoie copie de ma lettre au grand Duc. Dites-moi si elle est bien. Adieu, Adieu, que d'adieux à 120 lieux de distance. Ah que j'aimerai à repasser le Rhin ! Si on s’avisait de me le défendre, qu’est-ce que je ferais ? Adieu. Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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194 Bruxelles le 20 Décembre 1854

Le Prince Gortchakoff a reçu des pleins pouvoirs pour traiter. sur les trois premiers points pas d'objections, sur le quatrième, révision du traité. Si l'on élève les prétentions de la dépêche de M. Drouin de Luys. Il se retire de la conférence. Décidément nous ne céderons pas sur ce point. Nous tenons Sébastopol, qu'on nous le prenne. Meyendorff est très péremptoire sur ce point, aussi, pas de commission de cette nature-là.
La vive opposition au Foreign unlistement bill provient. de ce qu’on croit que le Prince Albert y a le doit dans l’intérêt des Allemands. C’est très impopulaire. Jeudi 21. Je n’ai pas pu continuer hier, je me suis trouvé mal. L'heure de la poste a passé. Je n’ai pas encore écrit. Je flotte entre le direct & l’indirect dirait, ce sera sans doute celui-ci.
Avez-vous lu le Times du 18 ? La correspondance de l’armée. Quel était pitoyable, quel tableau il en fait. Cholera, dénuement, dans l’armée anglaise. misères de tout sortes ! C’est très curieux à lire tâchez de l’avoir. Cela vaut la peine que vous y prendrez. Kisseleff est très malade. comme moi. Cet atroce climat.
Le général Osten Sacken est mort en Crimée à la tête de 36 m grenadiers, corps d’élite après la garde impériale. Je ne vois pas que les opérations avancent. Le Times dit que le Choléra enlève tous les jours 80 hommes dans l’armée anglaise. Adieu, je suis très faible depuis 3 jours dans mon lit. La[ ?] m’y a laissé hier. Adieu. Adieu. Flahaut arrive à Paris demain. Voyez-le et parlez lui de moi. Et puis parlez moi de lui. Tous vos numéros m’arrivent régulièrement.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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194 Du Val Richer Lundi 10 juin 1839 4 heures

J’espère que vous avez à Baden un climat moins variable que le mien. Je ne puis garder le soleil deux jours de suite. Je n’aime pas cela. J’aime l’égalité et la durée. Plus ce qui me plaît dure, et dure toujours le même, plus j'en jouis. Je n’ai jamais compris ce que c'était que de se blaser. Il m'est arrivé (et même bien rarement) de reconnaitre que je m'étais trompé, que j’avais eu tort de prendre plaisir à quelque chose ou à quelqu'un ; mais m'en lasser à cause du temps seul, non. Bien loin d'user pour moi ce que j'aime, le temps m’est trop court pour en jouir, selon mon cœur. L’éternité seule y suffirait. Vous êtes-vous jamais figurée ce que serait le bonheur avec la perspective de l'éternité ? Il n'y a d'éternel que mon rhume de cerveau. Ceci, par exemple, je m'en ennuie. Depuis quelques jours, je ne vois rien qu’à travers un nuage, ma vallée, mes enfants, mes idées, sauf une qui est toujours claire et vive. A force d'éternuements de brouillards, de larmes, je me suis endormi hier sur mon canapé en lisant l'Orient. Car décidément je regarde beaucoup à l'Orient. J’en saurai très long sur ces affaires-là. C’est bien dommage que nous ne puissions pas en causer encore avant que j'en parle. Evidemment les évènements ne marchent pas vite, là, et les efforts de l’Europe pour les ajourner arriveront à temps. D'après ce qui me revient, pour peu que l'affaire fût bien conduite, l’hérédité de Méhémet-Ali sortirait de cette crise, et le statu quo, dont on parle toujours après un changement, recommencerait pour un temps.
8 heures et demie
Je viens de faire placer mes orangers. On peut prendre beaucoup d’intérêt à ce qu’on fait par cela seul qu'on le fait. Mais, c’est seulement pendant. qu'on le fait. J’ai planté un monde de fleurs. Dans six semaines le Val Richer sera un bouquet. Que vous revient-il de Londres? Le Cabinet me semble dans une situation de plus en plus précaire Lord Melbourne et Lord John ont l’air d’honnêtes gens à bout de voie, qui ont de l'humeur contre tout le monde, contre qui tout le monde a de l'humeur, et qui ne voulant par aller plus loin, ne peuvent plus aller du tout. On ne me mande rien de Paris, sinon que les grands projets historiques de Thiers, ne sont pas si sérieux qu’on l'affiche, et que tout cet étalage de 500 000 fr. a surtout pour but de rassurer des créanciers, et de les engager à prendre patience. A défaut du Ministère, on leur montre en perspective l'histoire de l'Empire. La Chambre des Pairs s’est bien échauffée sur la Légion d’honneur. Le Ministère y a repris ses avantages. Décidément M. Villemain est l'homme résolu et agissant aussi bien qu'éloquent du Cabinet. Il est toujours question du voyage du Roi à Bordeaux. M. Dufaure l'accompagnerait. Le Roi prend tout à fait possession de M. Dufaure. Il ( je veux dire M. Dufaure) avait aussi votre faveur, Madame ; mais je doute qu'il la conservât de près. Il n’a d’esprit et de talent qu'à la tribune.
Mardi 9 h. J’attends le courrier ce matin avec un surcroit d'impatience. Je n’ai pas eu de lettre depuis deux jours. Enfin celle-ci ouvrira une ère régulière. C’est bien le moins qu’elle soit régulière. Vote embonpoint et vos lettres, je veux ces deux choses-là de votre absence.
1 heure Voilà enfin votre N°193. Encore un nouveau retard de la malle poste. Je suis désolé d'avoir dit qu'il ne fallait pas destituer M. Conte. A demain ma réponse. Il faut que je donne tout de suite ceci. Je suis charmé de vous savoir arrivée bien logée. Adieu. Adieu. Mille et un.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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194 Val Richer, Mercredi 8 nov. 1854

Des connaisseurs en fait de tactique politique prétendent à Paris que le gouvernement ne prend point de peine pour prévenir ou dissiper les inquiétudes parce qu’il veut qu’on soit inquiet, se promettant de donner par là plus d'éclat au succès final, et de regagner ce que le Tartare de Bourqueney lui a fait perdre. Je ne crois pas beaucoup à ces finesses, et je m'étonne de plus qu’il faille 17 jours pour avoir des nouvelles de Balaklava. Le Rapport de l’amiral Hamelin est très bien et lui fait honneur ; mais nous aurions de l'avoir au plus tard le 1er Novembre.
S'il est vrai, comme le dit le Constitutionnel, que nos troupes, vous aient repris le 26, les redoutes dont vous vous étiez emparées le 27 et qu'elles aient rejeté le général Liprandi au-delà de la Tchernaia, en même temps, qu'elles repoussaient la sortie des assiégés, l'opération offensive du prince Mentchikoff. aurait complètement échoué, et il lui resterait peu de chances de faire lever le siège par une bataille. Restent toujours deux questions vos renforts arriveront-ils plus vite et en plus grand nombre que les nôtres ? Combien de temps encore avec l’hiver qui approche des assiégeants, nourris par mer, peuvent-ils continuer le siège ? Je suis tout-à-fait de ceux qui croient que Sébastopol sera pris ; mais il faut qu’on se dépêche, car il ne reste plus beaucoup de temps pour le prendre.
Parlons d'autre chose. Faites mettre des bourrelets dans votre appartement pour peu que vous y restiez encore à toutes les portes et à toutes les fenêtres. Faites calfeutrer une fenêtre, s’il y a encore des courants d’air ; c’est assez d’une fenêtre à ouvrir. Avec du charbon et des bourrelets, on peut toujours se défendre du froid, et des vents coulis.
On m'écrit que le Chancelier a repris ses dîners du lundi, et que dans l'avant-dernier il a donné une marque de verdeur qui a diverti ses convives. C'étaient tous des jeunes gens de l'Académie, âge moyen, 60 ans. Le Chancelier a voulu prendre un papier dans son secrétaire, et a laissé tomber un trousseau de chefs, de toutes petites chefs, chefs de portefeuille à papiers qu’on serre, clefs de cassette à lettre qu’on garde. Les jeunes gens ont cherché par terre et n'ont pas trouvé. Le chancelier, tout en leur disant de ne pas se donner la peine, " et très content de nous humilier un peu nous autres sveltes et fringants ", dit le narrateur qui en était à continuer à causer en se promenant dans la pièce, et avec une adresse d’ancien préfet de police, sans faire semblant de rien, il tâtait le tapis du pied droit puis tout à coup, il s'est baissé, et s'est relevé tout aussi vite, le petit trousseau de clefs à la main. Ayez 89 ans à ce prix là. On attend avec assez de curiosité les deux discours de demain à l’Académie. On ne connait pas du tout celui de M. Dupanloup ; mais M. de Salvandy a lu le sien à plusieurs personnes, entr'autres de très longs fragments chez Mad. de Talleyrand. On dit qu’il y aura des hardiesses.
Cela m'amuserait assez d'être à Paris pendant que Lord et Lady Palmerston y sont. Je les verrais un peu et je les aurais beaucoup. Mais je présume qu’ils n'y resteront pas longtemps et moi, je n’y serai pas avant le 20 novembre. Je ne suis pas du tout pressé d'y retourner.
Midi.
Mes journaux annoncent l'assaut pour le 15 ou le 2 Novembre. Si cela était, nous le saurions bientôt. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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195. Baden lundi le 10 juin, 1839, à 8 h matin.

Je n’ai dormi que deux heures cette nuit la lettre de mon banquier m’avait de nouveau renversée. Vous savez comme je le suis aisément. Je m’en vais écrire à moi frère et Matonchewitz. Et j'ai bien peu de forces. Si vous étiez là vous m'en donneriez, et un peu de courage. Mais mes seules ressources ! C’est pitoyable.

Mardi 8 h. du matin
J’ai écrit, je vous enverrai copie si cela ne me coûte pas trop de peine. J’ai reçu votre n° 192. Je serai bien aise de vous écrire à Paris nous serons plus près. J’ai vu Mad. de Talleyrand. Ah que nous sommes loin. Hier un peu plus que de coutume, elle redevient très bonne ; je vous ai dit ; le secours moral, j’y puis compter, l’autre non. Elle me prendra mes chevaux et mes chambres, mais elle me donnera de bons conseils. Voici ma vie à 6 heures hors de mon lit et un verre de lait d’ânesse. Une heure de promenade à pied. Une demi-heure de repos à 7 1/2 un bain de son et de lait à 27 degrés. Dix minutes de bain, à 8 h mon déjeuner, et puis mes lettres à 9 1/2 ma toilette, à 11 heures seconde promenade à pied. à Midi le lunchon. Après de la lecture de 2 à 3 promenade en calèche ; de 3 à 4 je me repose dans le jardin. à 4 heures mon Dieu ! à 5 h., on m'apporte mes lettres et mes journaux, à 6 heures en calèche jusqu'après 8 heures. Ensuite une demi-heure de mon jardin, et à 9 heures mon lit. Voilà exactement mes faits et gestes. Ensuite, Marie vient me voir un quart d’heure dans la matinée pas davantage. Mad. de Talleyrand se promène en calèche avec moi ou le matin ou le soir. Et voilà toutes mes ressources. A propos elle me charge de la rappeler à vous. Dans quelques temps elle vous écrira pour vous dire de mes nouvelles.

1 heure
Je vois par votre lettre que j’ai négligé de vous dire d'où m'étaient venu les mauvaises nouvelles sur mes affaires en Courlande. C'est de copies des textes de la loi en Courlande très volumineux, très embrouillés, mais d'où il appert, que j'aurai une année du revenu entier de la terre de Courlande une fois payé ce qui fait je crois 60 m. francs. Rien du tout d’une autre terre en Lituanie achetée par mon mari, et rien non plus d'une belle arende en Lituanie. La 7ème partie de l’arende en Courlande qui sera peut être 2 mille francs par an. Vous voyez que cela me réduit au 7ème de la terre de Russie & à la quatrième part du capital en Angleterre. Mes fils auront chacun entre 80 à 90 mille roubles de rentes. Voilà mes notions pour le moment. Ces papiers Courlandais dont je vous parle m'ont été remis par la princesse Mescherscky. C'est un cousin à elle qui les lui a envoyés de Mittan. Je vous envoie les copies promises, dites-moi si j'ai bien fait sans ma lettre à Matonchevitz, j’ai été un peu plus claire. Il n’y a personne encore à Baden que je connaisse beaucoup de russes petites gens. Quelques Anglais ditto Le lieu est fort embellie. L'entrepreneur des jeux à Paris est venu ici, il y a déjà dépensé un million 300 m. francs pour embellir le salon et les promenades. Je suis la voisine immédiate. C’est même lui qui me nourrit. Le temps est charmant pas trop chaud, les promenades les plus belles du monde. Que ce serait joli se vous étiez ici ! Je n’ai pas une nouvelle à vous mander je ne sais absolument rien. Je ne saurai rien que par vous.

5 heures
Je reçois dans ce moment, une lettre de mon frère, fort bonne et amicale. Il me parle avec tendresse de mes fils, dont il parait fort content. Il me dit que Pahlen accepte, et que lui mon frère se réserve le rôle de super arbitre. Il fait faire un recueil des lois en Russie et en Courlande, qui m’indiquera ce qui me revient, et il ajoute. " Le reste sera une négociation j'espère aisée avec deux fils qui paraissent si comme il faut. " A présent j'attendrais avec plus de patience et de confiance, car je crois que vraiment mes affaires sont dans les meilleurs mains possibles. Je transcrirai demain ce qu'il me dit de vos affaires qui est assez drôle. Adieu. Adieu. Adieu. Ecrivez-moi tout. J’attends vos lettres avec tant d’impatience ! Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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195 Bruxelles, Samedi 23 décembre 1854

Très malade hier. Aujourd’hui. un peu mieux, parce qu’après 3 nuits d'insomnie j’ai un peu dormi, j’ai écrit directement. puisque M. le recommandait. J’ai cru au fond que c’était plus sûr. J’ai conjuré de n'en garder le secret.
" On m’envoie tous les jours le bulletin sur l’Impératrice. Elle va mieux mais l’inquiétude n’a pas cessé. L'Emp. fait revenir ses fils, on le lui a annoncé avant-hier. C’est la comtesse Brandsburg qui me transmet tout cela. Je n’ai pas encore écrit un mot à Constantin. J’ai eu hier de lui une lettre où il emplore son pardon. A la bonne heure. Les nouvelles diplomatiques sont mauvaises. Cette affaire n’ira pas. Comment voulez-vous que nous souffrions qu'on nous parle de Sébastopol ? Qu'on le prenne d’abord, mais on ne peut pas nous demander de nous reconnaitre vaincus quand nous ne le sommes pas. Je doute qu'il y ait même le semblant d'une conférence. La démarche de la Prusse à Londres et à Paris restera parfaitement stérile. Cela ne mène à rien. Je vous prie continuez vos lettres, elles sont ma seule consolation. Je suis bien malade mais je serais encore en état d’aller trouver Andral. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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195 Du Val Richer, Mercredi 12 juin 1839 4 heures

Je prends du plus grand papier. Il me semble que j’ai une infinité de choses à vous dire. Je vous en dis bien peu pourtant. M. et Mad. de Gasparin viennent de m’arriver avec M. Chabaud. Ils resteront jusqu'à samedi. Moi, je ne partirais que lundi. Rien ne m’attire à Paris, point de plaisir et peu d'affaires. Fort peu. La question d'Orient se refroidit. Les événements s'éloignent. On s'attend à peu de discussion. Thiers part demain pour conduire sa femme aux Pyrénées. Cependant je persiste à vouloir parler. La question, prochaine et point flagrante, est peut-être une raison de plus de parler ; elle est assez près pour qu’on y regarde et encore assez loin pour qu’on parle librement. La commission fera par l'organe de M. Jouffroy, un rapport savant et terne, une belle dissertation. Les Affaires Etrangères sont de toutes, à mon avis, celles sur lesquelles la parole séparée de l'action, a le moins de valeur. Elle tombe presque inévitablement dans la politique de café, ou de livre ; politique presque toujours arbitraire et futile, même la plus spirituelle. Les crédits demandés pour augmenter nos forces navales sur les côtes d'Espagne donneront peut-être lieu à un débat plus vif. On me mande que M. Molé veut les faire attaquer. Si le cabinet, dit-il, entend continuer l'ancienne politique, l’argent qu’il demande est inutile. S’il veut adopter une politique nouvelle et s’engager plus avant dans les Affaires d’Espagne, c’est dangereux. Si en faisant comme ses prédécesseurs, il veut seulement avoir l’air de faire plus qu'eux, on ne lui doit pas des millions pour qu’il se donne ce petit plaisir. En tout le cabinet ne gagne pas de terrain. Tout le monde le trouve petit et le lui témoigne, la Chambre des Pairs et M. Bresson. Cette démission de M. Bresson a été une affaire. Le Roi, dit-on, l’en a hautement approuvé. Et pour obtenir la réintégration de M. Legrand aux forêts, il a fallu que M. Passy menaçât de sa retraite. Je vous envoie toutes les pauvretés qui m’arrivent. Pourquoi pas ? Je vous les dirais. M. de Broglie a voulu conduire lui-même sa fille à Coppet. Je ne le trouverai donc pas à Paris. Mais il y sera de retour du 20 au 25 de ce mois, pour le procès, qui durera au moins quinze jours.
On m’appelle pour la promenade. Le temps est magnifique et la verdure aussi brillante que le soleil. Je n'aime pas à faire ce qui me plaît avec quelqu'un qui n’est pas vous. Adieu au moins.

Jeudi 6 heures
La lettre de votre grand Duc est une lettre d'enfant. Je suis toujours bien aise qu'il vous l’ait écrite, et qu'Orloff ait envie d'avoir votre réponse. Je suis curieux de savoir qu’elle sera la valeur des paroles de celui-ci. Vous dites toujours qu’il a de l'esprit. Nous verrons. J’espère bien que votre pauvre Castillon aura une course de courrier. J’insisterai jusqu'à ce qu’il en ait une. On me l’a promis et je graduerai mon humeur sur l'accomplissement de la promesse. Nous avons, aussi nos barbares, nos esprits grossiers quoique rusés qui feront toutes les platitudes du monde, et manqueront de bons procédés. Mais il faut le leur faire sentir. Je ne trouverai plus personne à Paris. Mad. de Rémusat est partie pour le Languedoc. Mad. de Boigne est à Chastenay. J'irai quelque fois. Si cela peut s’appeler aller à Chastenay ! Je reviendrai vers le 15 juillet.
Mes enfants sont ici d’un bonheur charmant à voir. Je les trouve déjà engraissés. Bien des fois dans le jour, je voudrais vous envoyer la société de ma petite Henriette. Elle vous calmerait en vous amusant. Je n’ai jamais vu une créature plus sereine, et plus animée. C’est la vie et l’ordre en personne. Jamais de trouble ni de langueur. Et ayant ce qui donne et justifie l'autorité, l’instinct naturel du commandement, et la disposition au dévouement. J'en jouis avec plus de tremblement que je ne veux me le dire à moi-même. Je ne me sens plus en état de résister à de nouveaux coups. Soignez-vous bien.

9 heures Je serai très bref. Le post-scriptum de votre n°194 me met dans une indignation que je ne veux pas comprimer. Je n’ai rien vu de pareil. Qu’avez-vous donc fait ? De quoi vos fils veulent-ils vous punir ? Adieu. Adieu. Je voudrais pouvoir mettre dans cet adieu tout ce que je ne dis pas, et de quoi vous faire oublier tout ce qui vous arrive. J’attends bien impatiemment une lettre de votre frère. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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195 Val Richer, Jeudi 9 Novembre 1854

Si j'étais autrichien, le séjour de Lord Palmerston à Paris me déplairait. S’il y machine quelque autre avenir Européen, ce sera aux dépens de l’Autriche. Il lui en veut de ce que malgré les plus belles chances, il n’a pas réussi, en 1848 à la chasser d'Italie. A dire vrai, je ne crois pas qu’il machine grand chose tant que la situation actuelle durera le ministère actuel tiendra. Et la situation actuelle ne peut finir que par la paix, ou par une extension de la guerre qui fera prendre parti à l’Autriche pour l'Alliance occidentale. Ni l’une, ni l’autre chance ne fait les affaires de Lord Palmerston.
Y a-t-il quelque chose de sérieux dans les nouvelles instances qu’on vous adresse de Berlin ? Sérieux en ce sens que si vous dites non, cela fasse faire à la Prusse un pas de plus vers l’Autriche et l'occident ; car je ne suppose pas que vous disiez autre chose que non. La Prusse le sait certainement. Pourquoi donc recommence-t-elle à vous presser ? Est-ce pour se donner, auprès des alliés le mérite d'avoir l’air de les aider, ou bien pour se préparer, dans votre obstination, une excuse pour vous abandonner. Pauvre politique, en tout cas, comme est toujours la politique des faibles entre les forts qui se battent.
Je trouve que la guerre prend, entre les combattants, un déplorable caractère d'acharnement. Ces combats de tous les jours excitent plus de passion que les grandes et rares batailles. Même en France, malgré le peu de goût public pour la guerre, l'animosité s'éveille. Il y a à Lisieux en ce moment un prédicateur missionnaire assez célèbre, l'abbé Combalot ; il prêche tous les jours contre les incrédules, les Protestants et le tyran Tartare. Il disait avant hier : " L’Eglise catholique a triomphé de tous ses ennemis ; elle a abattu Calvin, elle a abattu Voltaire, elle a abattu Robespierre ; elle abattra Nicolas ! " et il est descendu de sa chaire sur cette parole. La classe un peu élevée, les négociants, les magistrats, le barreau, tous les bons bourgeois désapprouvent, les uns sérieusement, les autres en haussant les épaules. Mais le peuple écoute avidement ce prêtre qui est sincère et grossièrement éloquent ; et une haine absurde entre, par ses paroles, dans le cœur de la multitude catholique et patriote. Tout cela est honteux, et aussi dangereux que honteux. Non seulement on perpétue ainsi la guerre ; mais la guerre, ainsi faite, dans l’Eglise de Lisieux en même temps que sous les murs de Sébastopol, laisse des germes qui se développent, même la paix faite, et rendent le gouvernement très difficile. On m’a raconté ces sermons hier à Lisieux, où je suis allé dîner.

Midi
Je me figure que nous ne tarderons pas à apprendre l'assaut. Votre dépêche disant que, le 2, Sébastopol ne l’avait pas encore essuyé, semble indiquer qu’il devait l'essuyer bientôt. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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196 Baden le 12 juin 1839, mercredi 10 heures 1/2

Savez-vous que je me sens si faible et malade que j’ai de la peine à vous écrire. Probablement ni le lait ni les bains ne me conviennent, Mes jambes me manquent, j’ai des vertiges. Mon dîner me fait mal, j’ai encore beaucoup maigri. Il ne restera plus rien. Je suis fort découragée, fort triste. Le pire de mes maux sans doute est la solitude. Je ne puis pas m’en guérir à Baden. Je vous écris aujourd'hui par devoir, pas par plaisir, je ne puis en avoir aucun à vous entretenir de mes souffrances. C’est mauvais pour moi, mauvais pour vous. Ah mon Dieu que je suis triste !
Voici l'extrait de l'autre partie de la lettre de mon frère. Vous voyez que les dispositions ne sont pas améliorées.

Jeudi 6 heures du matin.
Merci de votre bonne lettre. Je crains que les miennes ne vous soient pas arrivées puisque les deux dernières étaient adressées à Paris, l’une à votre maison l'autre chez M. de Broglie. Vous ne serez donc à Paris que dimanche. Je vous y désire pour moi ; mais pour vous je souhaiterais la campagne. Le temps est si beau, vous y êtes si heureux. Je n'ai rien mangé hier de toute la journée, il en résulte une grande faiblesse. Je me suis fait traîner le soir avec Marie, Marie est une grande distraction. Jugez ! On parle beaucoup de Darmstadz. Le grand Duc y reste encore. L’étonnement est grand. La petite princesse est patiemment la fille d'un M. Groney dont la sœur est sa gouvernante. Le grand duc son père officiel ne lui parle jamais. Il n'y a que mon prince Emile qui en aie pitié par conformité de situation parce que lui aussi est arrivée comme cela dans le monde. Il a fait venir pour sa nièce il y a trois semaines un trousseau complet de Paris, afin qu’elle fût mise convenablement pendant cette visite. De toutes les princesses d’Allemagne c'est la seule qui n'ai jamais rêvé qu’elle pût être sur les rangs. Elle n’est pas jolie, mais piquante et spirituelle à ce qu'on dit. Je voudrais bien la voir. J’ai retrouvé ici une petite madame Wiallesby sœur de Lord de Ros. Son mari est fils de Lord Cowley. Elle est trop jeune et trop commère pour moi. Du reste animée et assez agréable. Je vais me promener ce soir avec elle.

3 heures
Je rentre d'une promenade avec Mad. de Talleyrand cela dure une demi-heure, et cela compte pour la journée. J'accepte ce qu’elle me donne, et je ne demande pas davantage, parce qu'en fait je ne crois pas que je l’amuse. Je ne me crois plus guère capable d’amuser personne. Je suis trop triste. Adieu. Adieu. Il me semble que nous nous parlons rarement. Il me semble que nous nous disons peu de chose. Qu’il y a de temps que je vous ai vu ! Mon Dieu qu’il me parait long sans vous ! Adieu mille fois.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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196 Bruxelles, Dimanche le 24 Xbre 1854

Il faudra donc finir cette année & commencer l’autre dans l’exil. Jamais je n’aurais cru cela possible, ni possible de le supporter. et je vis encore. Je ne parviens pas à fixer mon attention sur ce qui se passe, quoique ce soit bien grand, bien terrible. Je pense cependant beaucoup à l’Impératrice. On me dit qu'à Berlin, cette préoccupation domine tout à fait la politique. On ne s’inquiète que des bulletins. de Patchina. Le retour des grands ducs me parait une mesure extrême et qui prouve le danger où l’on croit leur mère J’ai vu hier quelqu’un arrivant de Vienne. Tout à la guerre et les préparatifs formidables. Le public très mécontent, très russe. Gortchakoff inquiète. Il y a des gens qui croient qu'il est ou qu'il va devenir fou. C’est très possible tel que je le connais. Et j’ai toujours trouvé qu'on avait fait là un choix malheureux.
De bien grands éloges de Bourqueney, mon rapporteur l’a vu et beaucoup cause avec lui. Tous les jours je me persuade davantage de notre ardent désir de la paix, mais de l'humiliation, nous ne l'endurerons pas. Je le répète, nous ne sommes pas battus. Je vais toujours mal, & pas de sommeil. Quand je cause, je m'anime, mais hors de là je tombe.
Ah si j’avais Marion. Cerini, ou rien, c’est tout un. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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196 Du Val-Richer. Vendredi 14 juin 1839 3 heures

Je commence par où j’ai fini hier, mon indignation. Elle est inépuisable. Que deviendriez-vous si vous n'aviez rien à vous ? On n'en aurait été que plus pressé de vous traiter de la sorte pour vous dompter, pour se venger que sais-je ? Ceci me fait éprouver un des sentiments les plus pénibles que je connaisse. Je porte un respect général et profond à ces relations naturelles, indestructibles, indépendantes de notre choix, par lesquelles, sans concours, sans mérite de notre part, dieu nous donne des amis, des appuis, du bonheur et de la sécurité ; et pour toute la vie. Même avec des gens que je n’aime pas, que je ne connais pas, il m'est souverainement désagréable de laisser tomber un mot de reproche ou de blâmer sur un fils devant sa mère, sur un frère devant sa sœur. J'en éprouve une sorte d’embarras et de tristesse comme si j'allais contre une intention divine, si je touchais à une œuvre sacrée. Et pourtant ici, il n'y a pas moyen. Je ne puis me taire ; je ne dirai jamais tout ce que je pense. Alexandre ne vous avait donc pas dit un mot de cette mesure. Vous en avez sans doute informé sur le champ votre frère. Je n'ai d'espoir qu'en lui pour pousser un peu vite vos affaires et prendre un peu soin de vos intérêts. Car voilà une raison, une nécessité de plus d’aller vite. On ne peut vous laisser longtemps dans ce dénuement. Qu’on finisse, qu’on finisse, et que vous puissiez ne plus penser qu'au lait d’ânesse et aux bains de son. Votre médecin de Baden est plein de bon sens ; il sait ce qu’il vous faut. Pour dieu, qu’on le laisse faire.
Je trouve votre réponse au Grand Duc excellente. Pour tout dire, je ne lis pas sans quelque mouvement d’impatience ces belles paroles, ces tendres épanchements de votre âme jetés à un pauvre jeune homme qui ne comprend pas, qui n'ose pas, devant qui tout cela passe comme les élans de la piété et de la prière devant une idole. Il y a un Dieu au-dessus de l’idole, dont l’idole n’est que l’image, et qui comprend l'âme qui prie. Mais ici... Décidément, je ne vaux rien pour l’idolâtrie. J’admire, j’aime le respect et le dévouement, deux vertus rares, beaucoup trop rares de mon temps et dans mon pays ; mais j'y porte, je l'avoue, un peu d'exigence superbe. Passé cette explosion de fierté libérale, je ne vois pas le moindre mot à redire dans votre lettre ; elle est triste, pénétrante, et très digne dans sa ferveur impériale. C’était le problème et vous l’avez résolu.

Samedi 9 heures
Mes hôtes viennent de partir, et moi je partirai après demain pour un mois, je présume. Si vous étiez à Paris, ce mois serait charmant. On est assez occupé du procès. Concevez-vous l'audace de ces gens-là qui font fabriquer une pièce de canon & la trainent dans les rues de Paris ? On l'a saisie. C'était une machine pitoyable ; mais enfin, au dire des ingénieurs, elle aurait pu tirer encore 40 ou 50 coups. Les sociétés secrètes viennent de modifier, leur organisation ; elles se sont constituées par armées ; à un homme par jour. Cinq armées sont organisées, formant donc à peu près 2000 hommes. Elles se sont épurées dans ce nouveau travail, comme tous les partis en déclin, mais très vivaces, qui opposent le redoublement du fanatisme au progrès de l'impuissance. La dernière insurrection n'a pas eu, dans les Provinces, le moindre retentissement. Presque toujours quand un orage éclatait à Paris, il grondait à Lyon à Strasbourg, à Marseille. Rien de semblable cette fois. L’épreuve a même été très complète car il y a eu à Lyon, un peu de tumulte parmi les ouvriers pour une question de salaires, et la politique n’y a paru en rien.
Voilà votre n°195. Merci de vos détails. J'en avais besoin. La lettre de votre frère me rassure un peu. Mais j'aspire à la fin. Du reste, après l'acceptation de vos pouvoirs par le comte de Pahlen et la surveillance déclarée de votre frère, vous pouvez certainement être plus tranquille. Il me faut la permission de l'Empereur. Ce qui vous revient de droit sera trop peu. Votre lettre à votre frère est très convenable. Adieu. Je vous dirai en arrivant à Paris, s'il faut m’écrire rue de l'Université ou rue Ville l'évêque. Adieu. Adieu. Commencez-vous à engraisser ? G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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196 Val Richer, Vendredi 10 Nov. 1854

Certainement le siège de Sébastopol sera un siège mémorable. Rien ne le dit mieux, dès à présent, que le rapport du général Canrobert du 23 octobre. Outre son énumération des difficultés, le ton en est d’une simplicité grave et presque triste qui révèle l'état d’âme du chef aussi bien que les fatigues et les souffrances des soldats. Les listes de tués, et de blessés commencent à faire de l'effet. Cette malheureuse Mad. de la Bourdonnaye me fait une profonde pitié ; ses deux fils, l’un officier de terre, l'autre officier de mer, tué l’un à l'Alma, l'autre dans l'attaque du 17. Le dernier, presque un enfant, sortait de l'école de Brest, et avait conjuré, l’amiral Bruat de l'emmener Je ne m'étonne pas que l'impression soit si vive, en Angleterre ; il n’y a presque point de famille de la classe élevée qui n'ait là quelqu’un des siens, et leurs troupes, ont encore plus souffert que les nôtres.

Personne ne doute ici de la prise de la place. Le mécompte serait grand si on ne réussissait pas et s’il fallait recommencer le printemps prochain. Mais si on réussit, on sera, de notre côté, fort disposé à se tenir pour content et à vouloir la paix. Je suis fort aise que la disposition soit la même à Londres. Où en sera-t-on à Pétersbourg ? C'est pour le coup que Vienne et Berlin devront peser sur vous de toute leur force. Je ne crois guère à la chute de Buat et de Bach, et au triomphe du parti Russe, même Sébastopol n'étant pas pris. Le parti Russe de Vienne ne resterait pas neutre ; il s'allierait à vous. C'est plus que l’Autriche ne peut faire, et plus que vous ne pouvez pour la soutenir. L'Italie et la Hongrie se soulèveraient à l’instant contre elle, et vous ne seriez pas en état de les lui rendre. Vous vous battez très bravement ; mais il est clair que vous avez bien assez à faire de vous défendre vous-mêmes. Vous ne défendriez pas l’Autriche, d’abord contre la France et l'Angleterre et de plus contre la révolution. Elle ne se mettra pas et ne vous mettra pas à cette épreuve.
Midi.
Pas la moindre nouvelle. Adieu, adieu.
Je voudrais bien savoir que votre rhume est passé.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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197 Baden le 14 juin 1839, 7 heures du matin

Ma nuit a été meilleure, mais une mine est affreuse. Baden est ravissant pour tout le monde mais si triste pour moi. Je n’y vois pas une personne isolée. Il n'y a que moi seule, seule. Et vous savez comme cela me va. Je n’ai pas eu de lettres. Je me remets au courant de mes correspondances, je devais des réponses partout, mais au fond les lettres que je vais recevoir ne me feront aucun plaisir. Il n'y a que les vôtres qui comptent, sans les quelles je ne pourrais vivre. Et puis il y a les nouvelles de Pétersbourg qui me font quelque chose, mais ces lettres là, je ne sais jamais si je dois les ouvrir. J'aurais envie de vous les envoyer cachetées. Ah que vous me manquez pour tout, pour tout ! Soyez bien sûr de cela et qu'il n'y a pas une minute de la journée où vous ne soyez présent à ma pensée.

Samedi le 13 à 8 heures
Comment pas de lettres de vous ! Au nom de Dieu ne me donnez pas ces inquiétudes, je n’y pense pas suffire. Il me semble maintenant que le plus grand des malheurs pour moi serait de rester deux jours sans nouvelles de vous. Je ne pense qu'à cela depuis hier cinq heures, l'heure de la poste. J'ai été bien loin dans les montagnes, les forêts, il faisait si beau, il y ferait si beau avec vous. Je n'avais besoin de rien, de personne ; ce qui se passe dans le monde me serait indifférent, vous ne savez pas à quel point cette image me plait. Et puis j’étais si triste si triste. Vous êtes si loin. Ce grand fleuve qui nous sépare, je le regardais du haut de cette grande montagne et j'avais le cœur serré.
Je continue dans ma solitude, je vois Mad. de Talleyrand une fois le jour de 2 à 3 voilà tout. Et Marie part pour une semaine pour Carlsruhe ainsi pas même sa petite visite du matin d’un quart d’heure. Ah, que je suis seule ! Et puis je me sens malade, je deviens très faible. Je ne sais ce que c'est ; je me portais mieux à Paris où je me portais mal. Enfin jusqu'ici je ne vois pas que j'aie bien fait de vous quitter. Pourquoi ne m'avez-vous pas retenue ?

5 heures
Voilà votre lettre, et me voilà rassurée. Mais pourquoi est elle venue si tard ! J’espère que votre rhume est passé. Aujourd'hui vous allez à Paris, n'est-ce pas. Tout ira mieux de là. Il faut remettre ma lettre à la poste. Il faut donc vous quitter Adieu. Adieu. Ecrivez-moi, aimez- moi, Adieu.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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197. Bruxelles, le 25 décembre 1854

Il est superflu sans doute de vous recommander de ne pas dire que j’ai écrit directement. Mais j’aime mieux cependant vous faire souvenir, que ce fait s’il venait à être comme plus loin ne me serait jamais pardonné. Et tous les commérages font leur chemin. Je mène une vie bien triste. Van Praet est maintenant entraîné dans des dîners, il ne vient pas tous les soirs. Quand il ne vient pas, je reste seule. Concevez-vous ce supplice pour moi. Hier, j’ai pris le bras d’Emilie pour faire le tour de mon salon, car je ne marche plus sans un bras. Cerini était en soirée, elle y est beaucoup. Elle ne m’est vraiment bonne à rien. Elle ne s’en doute pas.
Il me prend des révoltes de cœur, de raison. Comment suis-je abandonnée ainsi. Comment ai-je mérité d’être traitée aussi. Les événements du jour ne me touchent plus. Comme ils ne mènent pas à la paix, je ne saurais m’y intéresser. Ainsi tout ce qui vous anime à Paris est bien peu de chose pour moi. J’ai pitié de moi-même & je me répète plus souvent ce que je vous ai dit une fois. il serait plus simple de mourir.
Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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197 Du Val-Richer. Dimanche 16 Juin 1839 9 heures

J’ai eu des visites toute la journée, ce soir encore après dîner. Je pars demain matin. Je vais passer un mois parfaitement seul dans ma maison ; à moins que le Duc de Broglie ne revienne pour le procès, comme il l'a dit. Mais j'en doute un peu. Il me semble que le même empressement qui l’a fait partir pour quinze jours pourra bien l'empêcher de repartir au bout de quinze jours. Pourtant il aurait tort. Il ne faut pas qu’un juge manque à un procès de vie et de mort.
Je trouve votre vie bien ordonnée. Je vous y voudrais un peu plus de société. Je ne suis point jaloux. Ai-je raison ? Mais vous êtes absolument obligée de me revenir grasse et fraîche. L'absence est un crime qui ne peut-être couvert que par le succès.
Vos mauvaises nouvelles de Courlande paraissent bien authentiques. Je m'en désole, car je n'ai foi à personne. Votre frère ne vous dit-il rien, absolu ment rien de la perspective d'une pension ? J'espère presque plus de l'Empereur que de tout autre. Je ne croirai jamais qu’il soit impossible aux trois hommes qui l’entourent de faire luire dans son cœur, s'ils le veulent, un éclair de justice et de générosité.

Lundi 9 heures
Je me lève par le plus beau soleil. Si je devais vous revoir, demain, je serais aussi gai que le soleil. Voilà la première fois depuis deux ans que je vais à Paris sans vous y retrouver. Quel ennui de partir quand on n'a pas envie d’arriver ! C’est bien deux ans, avant hier 15 Juin. Comment n’y a-t-il que deux ans ? Il me semble que c’est toute une vie.

Eternité, néant, passé, sombres abymes.
Que faites-vous des jours que vous engloutissez ?
Parlez ; nous rendrez-vous les extases sublimes
Que vous nous ravissez ?

C’est M. de Lamartine qui dit cela. Vous savez que j’aime la poésie. Elle entre et reste très avant dans ma mémoire. Elle agit sur moi comme un écho de l'âme. Elle me rend des sons que j'ai entendus. J’aime mieux la voix que l’écho. Pourtant l’écho est très doux. Mon fils aimait passionnément la poésie. Et sans y porter cette disposition un peu vague et romanesque de la jeunesse. C’était l’esprit le plus net et le plus simple du monde, choqué par instinct dès qu’il apercevait du brouillard ou de l'emphase ; mais d’un cœur si élevé et si délicat, d'une nature si parfaitement élégante et rare que la poésie lui allait d'elle-même et comme par une harmonie spontanée. Je n'ai vu aucune créature, qui semblât créée à ce point pour plaire ! Et c’est à moi seul qu’il a plu. J’ai connu seul le parfum charmant de cette fleur ! C'est l’un de mes plus amers regrets. Il me semble que je l’aurais moins perdu si d’autres en avaient joui comme moi.

9 h. 1/2 Le numéro 196 me désole. Je les ai tous reçus, aucun si triste. J’espérais, et je veux encore espérer mieux du lait d’ânesse, des bains de son, de tout ce régime doux et tranquille. En grâce, si votre médecin persiste à le croire bon, ne le cessez pas parce que vous vous trouvez plus souffrante un jour ou deux. Il faut bien accepter ces mauvaises alternatives. Je n’ai pas la superstition des médecins. J'y crois pourtant un peu plus qu'à notre ignorance. Je craignais bien la solitude de Baden. Vous ne supportez pas la société médiocre et vous avez raison. Il est si rare d'en rencontrer une autre !
Madame de Talleyrand travaille à se désintéresser de toutes choses, à ne penser qu'à elle-même à ses affaires, à ses conforts, à ses habitudes. Ce n’est pas une manière d'animer les autres. Moi aussi, je trouve que nous nous disons peu de chose. Adieu. Adieu.
J’ai une foule de petits soins à prendre avant de partir. Je trouve dans mes journaux de ce matin une triste nouvelle. Ce pauvre Emmanuel de Grouchy est mort à Turin d’une fièvre cérébrale. J’avais de l’amitié pour lui, et il m'était très dévoué. Il s’était marié il y a 18 mois. Il était heureux. Adieu encore. J'aime mille fois mieux une sotte réalité que mille fictions. Adieu pourtant. Mais ne souffrez pas ; ne maigrissez pas. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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197 Val Richer, Dimanche 12 nov. 1854

Moi aussi j’attends j'ouvre les journaux tous les matins avec précipitation. Je veux voir si nous avons fait un pas. A quoi sert que le temps passe, s'il ne nous approche pas du but. Je retournerai probablement à Paris le lundi 20. On commence à être vraiment inquiet à Paris. On parle, à ce qu’on me dit, de Changarnier, et du Maréchal Vaillant qui en a parlé à l'Empereur. Je n'en crois rien. A quoi cela servirait-il ? Il faut que Sébastopol soit pris avant la fin du mois. Le siège ne peut pas durer tout l’hiver. On parle aussi d’un nouvel emprunt ; les uns disent 600, les autres 700 millions. C’est trop tôt.
Comment un messager anglais perd-il ou oublie-t-il les dépêches de son général ? C'est inconcevable. Que de malédictions sur ce criminel étourdi ! Il y a des douleurs dont la pensée seule, sur la tête d’autrui, me bouleverse, et j’ai trouvé hier dans mes journaux, avec une joie vive, qu’un des jeunes. La Bourdonnaye l’officier de terre n’avait pas été tué à l'Alma et qu’il était revenu en France malade, mais en train de guérison. Quand la vieillesse n'endurait pas, elle affaiblit beaucoup. La séance de l’Académie a été très brillante et l'Evêque d'Orléans a eu un grand succès, grand même dans le public indifférent et plutôt disposé à la critique. On m'écrit : " Il y avait moins de prêtres que je ne m’y attendais, et la société un peu moins aristocratique que les relations de M. Dupanloup ne me l'auraient fait supposer. Cette société est encore à la campagne. J’ai aimé bien des choses dans le discours de l'Evêque, l’esprit général qui est élevé et doux, les élans d’une nature sympathique, la foi Chrétienne sans âpreté ni goût de combat, des idées fines exprimées avec une élégance abondante ; trop abondante, et beaucoup de désordre dans cette abondance. On pourrait en retrancher un bon quart et mettre le commencement à la fin et la fin au commencement, le discours n'en vaudrait que mieux. Je n’ai pas encore lu Salvandy. Il n’a pas eu de succès. Long sur long, c’est trop.
Il y a 22 candidats pour la place vacante à l'Académie. Je trouve le discours de la Reine d’Espagne, convenable dans sa soumission triste et inquiète à la souveraineté du peuple. Il y a du bon goût à Espartero de n'avoir pas chanté victoire par la bouche de la Reine vaincue. Nous allons voir comment se dessineront les Cortés et si le parti révolutionnaire monarchique résistera au parti purement révolutionnaire. Je suis porté à le croire.
Vous avez raison de rester dans votre lit si vous toussez beaucoup. Le lit est le meilleur remède contre les rhumes. Depuis que le Roi Léopold est revenu avez-vous vu son médecin ? C'est surtout de soins assidus que vous avez besoin, et rien ne peut remplacer Olliff, pouvoir exécutif d'Andral législateur. Midi.
Je ne trouve que des bruits vagues de nouvelles batailles d’assauts proclamés, et un fait certain, qu’on fait partir de nouveaux renforts. Adieu, adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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198 Baden dimanche 16 juin 1839 8 h. du matin.

J’ai été relire votre lettre hier soir auprès du vieux château, sur cette belle montagne au milieu de ruines, de rochers et de magnifiques sapin. C’est ma promenade favorite. Il devrait y avoir tant de calme là pour moi, et cependant je n’en éprouve point. En rentrant pour me coucher, j’ai trouvé Mad. Nesselrode qui m’attendait chez moi après y être déjà venue deux fois. Elle m'a fait veiller, mais j’ai été aise de la revoir et de la retrouver bonne. Nous avons causé de tout, hors de moi, cela viendra plus tard. Elle passe ici deux mois il puis elle ira au Havre. J'en suis bien aise. Son arrivée va me faire une petite ressource ; le grand Duc a dû quitter Darmstadt hier. La jeune Princesse est très maladive, cela ne nous va pas. Aussi je crois qu'on ne décidera rien encore. Elle n’a pas quinze ans. Dans ce moment même est malade, et elle ne paraissait qu'une heure dans la journée. Le grand Duc sera à Pétersbourg dans quinze jours.

Lundi le 17 à 8 heures
Votre N°195 m’est parvenu hier. Votre retour en ville étant encore. retardé je ne doute pas que vous ne soyez resté quelques jours sans lettre. J’ai adressé selon vos ordres, mais vos mouvements ont changé depuis. Vous ne me dites pas si malgré l'absence du Duc de Broglie. C’est chez lui que vous allez descendre j’y adresse ma lettre puisque vous m'avez dit de le faire dans une de vos lettres. J'ai suspendu le lait d'ânesse J’ai recommencé les bains. J’ai été voir Mad. de Nesselrode hier matin. Et puis à l’église à 2 h. ma promenade avec Mad. de Talleyrand à 6 heures avec ma petite Ellice nièce de notre Ellice, qui veut bien rem placer Marie pendant quelques jours. à 9 heures dans mon lit et à deux heures du matin encore éveillée.
J'ai eu un vilain accès de nerfs qui m’a pris au moment de me coucher. Décidément je ne me porte pas bien. Si vous êtes ici ; il me semble que j'y serais à merveille. Mais sans vous, et sur le, cela n'ira pas. Ah rien ne va. Vos affaires me semblent être very flat. J’attends la discussion sur l'Orient, c.a.d. votre discours avec une grande impatience. Savez-vous ce que j’attends surtout ? l’époque de quitter Baden ; j'y suis trop triste, trop seule. Ah l'horreur que la solitude au milieu de l’affliction.

11 heures
Je viens de voir Mad. de Nesselrode. Pour la première fois j’ai parlé de moi. Même de mes affaires du moment. Vous en sauriez concevoir son étonnement lorsqu’elle apprit que mes fils en n’avaient fait aucune proposition. Le dire de Péterstourg était qu’ils m'avaient cédé le capital en Angleterre. En général elle me dit que bien que la loi prescrive ce qui revient à une veuve, il n’y a pas d’exemple en Russie que cette loi soit suivie. Les fils cèdent à leur mère à peu près tout ; l’opinion la gouverne beaucoup plus que la loi, et enfin elle ne peut pas croire que Paul se soustraie à cette opinion. Elle a été fort bien sur ce chapitre, et m’a laissé l’intime conviction qu’il faudra bien que mes fils se conduisent bien pour moi. Nous allons voir. Dans tous les cas mes affaires sont en bonnes mains. Le dernier procédé l’a renversée d’étonnement. Elle ne peut pas le croire enfin tout ce qu’elle me dit me promet que l’atmosphère de Pétersbourg doit agir sur l’esprit de Paul, car c’est les antipodes de toute sa conduite envers moi. Ah mon Dieu si on y savait tout, quel étonnement cela causerait ! Je n’ai parlé à Mad. de Nesselrode que d'une manière très réservée, elle ne sait pas l'essentiel. Je répugne trop à le dire. Adieu. Adieu.
Mad. de Talleyrand veut que je vous parle d'elle, Dites-moi un mot sur un compte bon à lui être montré. Elle est de nouveau un très bon train pour moi, et pour faire du bien auprès de Mad. de Nesselrode Adieu encore bien tendrement.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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198 Bruxelles le 26 Xbre 1854

J’attends, j’attends et j’attends après avoir dit cela je ne sais plus que dire. Je n'ai jamais manqué de vous écrire que le 20 et le 22.
Je ne sais rien. On croit que Gortchakoff, & les Occidentaux y se rencontreront par hasard et entameront un peu de parlage. De conférences, il n'en est pas question. Tout cela marche aussi pauvrement, aussi gauchement qu’a marché toute l’affaire. Et a propos de cela il me parait que la mienne y ressemble comme deux gouttes d’eau. Chaque pas m'enfonce & me recule. Je fais ce qu'on me conseille de faire. Je n’ai plus ma liberté de jugement. Je ne comprends rien. P. 2. Vous me dites que vous avez lu. Qu'avez-vous pu lire ? Je ne m'en fais pas une idée. Des soupçons oui, mais des faits ? L'Anglais est bien l'animal le plus soupçonneux de la terre.
Je suis curieuse du discours d'aujourd’hui si je suis encore curieuse d’autre chose que de moi. Adieu. Vous et moi nous nous impatientons bien, à quoi sert d’avoir de l’esprit. Adieu. Adieu.
La codéine me gâterait l’estomac dit le Médecin et c’est toujours la partie faible. Remarquez que mes insomnies c’est ma tête. Chez vos filles c’était autre chose. Guérissez ma tête. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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198 Paris. Mardi 18 Juin 1839, 2 heures

Je suis désolé de votre inquiétude. Ma lettre était partie très exactement. Me voilà ici pour un mois. Le retard sera impossible, s'il y a un mal impossible. Vous étiez un peu mieux samedi. Je voudrais suivre toutes les variations de votre santé, de votre disposition morale. Ce n'est pourtant pas un très bon régime. On s'accoutume au mal en le voyant revenir sans cesse, et on n'y croit plus assez quand on l’a vu s’en aller souvent. Je ne veux pas être rassuré à tort. Dites-moi tout, toujours tout. Je ne veux pas ignorer la moindre de vos souffrances et de vos peines.
Paris est grand et vide comme le désert. Je ne me fais pas à y être venu pour ne pas vous y chercher. Cette nuit, pendant toute la route le roulement de la voiture n’avait pas de sens pour moi. Je m'étonne quelquefois que vous me soyez tant. Dans une vie déjà longue et si pleine, après avoir tant possédé et tant perdu, je devrais être plus las et plus détaché. Je ne le suis pas du tout quant à vous. J’ai, quant à vous, cette ambition vive, indomptable et pleine d'espoir de la jeunesse. Je ne renonce à rien, je ne me résigne à rien. Je veux tout et que tout soit parfait. Je ne sais quelles années Dieu me réserve, ni quelles épreuves encore dans ces années. Mais il y a en moi un côté, un point que la vie la plus longue n'usera pas, et qui descendra jeune dans le tombeau.

8 h. 1/2
Je rentre. Je viens de traverser la place Louis XV par le plus magnifique spectacle. Sur ma tête, le ciel noir, parfaitement noir, le déluge près de tomber, et ce voile noir jeté tout autour de la place, entr'autres sur les deux colonnades. Au bout des Champs-Elysées, derrière les Champs-Elysées, le soleil couchant dans un cercle de feu, sur un bûcher embrasé, comme pour braver au moment de s'étendre, la nuit et l'orage. Et la moitié supérieure de l'obélisque brillante, rouge des derniers rayons du soleil, un jet de flammes suspendu au milieu des ténèbres, et les hiéroglyphes visibles et inintelligibles, comme des caractères cabalistiques. Effet étrange et grand qui ne se reproduira peut-être jamais. Je regrette que nous ne l’ayions pas vu ensemble. Je vous ai désirée au moment où il a frappé mes yeux. J’ai passé ma matinée à la Chambre, le seul lieu de Paris où il n’y ait point d'orage. Tout le monde repart de la session comme finie. Ministres et députés ont l’air de s'entendre pour ne rien faire et ne rien dire. Le Cabinet a perdu ce qu'il n’avait pas. Le Maréchal a été la risée de la Chambre des Pairs à propos des fonds secrets. M. Villemain y a été battu avec gloire à propos de la légion d’honneur. Le Ministre de la guerre ne se bat nulle part. M. Duchâtel est ce qu’il était. M. Dufaure ne devient rien, M. Passy paraît le plus sérieux ; c’est lui qui cause de l’Europe dans les couloirs. Tout va cependant, et tout ira cla se, comme le monde. Convenez qu'il est plaisant d'entendre un Russe dire dédaigneusement que " tout cela finira par un bon petit despotisme, le seul gouvernement possible avec les Français. " Du fait, ce ne sont là que les petits moments d'une grande histoire. Et il y a beaucoup de petit dans le plus grand. Le petit s’en va & le grand seul demeure. Nous ne supporterions pas la lecture du passé s’il nous était arrivé chargé de tout son bagage. L'Assemblée constituante, l'Empire, la Charte, la Révolution de 1830, c’est un manteau assez large pour couvrir bien des misères.
On me dit que M. Molé s’est beaucoup remué contre le Cabinet dans l'affaire de la Légion d’honneur tandis que M. de Montalivet se faisait très ministériel. Aussi ils se renient l’un l’autre. M. Molé part pour Plombières dans les premiers jours de Juillet. La fantaisie lui reprend d'entrer à l'Académie française. Ce qu’il y a de singulier, c’est qu'elle lui reprend sans qu’il y ait en ce moment aucune vacance. On m'en fait parler par avance. Est-ce bien de l'Académie française qu’on veut me parler ?

Mercredi 1 heure
J’ai eu du monde depuis que je suis levé. Je vais à la Chambre. C’est aujourd'hui mon mauvais jour. Je n’ai pas de lettre. Adieu. Adieu. Je viens de revoir la mine de M. Saint. Rendez-la moi. Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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198 Val Richer Lundi 13 Nov. 1854

Voilà le soleil, et le froid. Il a gelé cette nuit. Il fera beau le jour. Je voudrais savoir que vous toussez moins. Je persiste à croire que vous ferez bien de rester beaucoup dans votre lit tant que ce ne sera pas tout-à-fait passé. Et n'en croyez pas trop vos impressions du moment, vos fantaisies de grand air. C'est bon quand on est jeune ; à notre âge, il faut avoir chaud, et très peu de variations de température dans l'atmosphère où l’on vit.
Il me paraît que nos généraux ont pris l'offensive pour se débarrasser du général Liprandi. Je crois à cette bataille dont nous avions hier des bruits vagues. On dit que le pays, étant dévasté, vous avez encore plus de peine à y faire vivre votre armée, que nous la nôtre par mer. On fait toutes sortes de réflexions et de calculs pour se rassurer. J’ai peur que vous n'ayez la supériorité du nombre. Le choléra nous a enlevé beaucoup de monde ; aux Anglais plus qu'à nous, mais à nous aussi. On fait effort pour remplir les vides d'après des renseignements que j’ai lieu de croire exacts, les divisions Dulac et de salles qui étaient au camp du midi, et les troupes du camp de Sathonay près Lyon, qu’on fait partir aussi, forment un total de 12 000 hommes. C’est un grand renfort mais il arrivera bien tard.
Je ne sais si lord Palmerston fera de la politique à St Cloud ; il n'en a pas fait au banquet du Lord Maire, son interminable madrigal sur les alliances conjugales, à côté des alliances nationales, était bien anglais, et bien lourd. Aberdeen fait bien à mon avis, de faire en toute occasion de la paix, le fond de sa politique. C'est d’un effet étrange au milieu d’une guerre si vive ; mais ce sont des paroles qui se retrouveront un jour. Les feuilles d’Havas tout l'énumération, de neuf généraux que la guerre vous a déjà coûtés Schilder, Selvan, Dreschen, Chruleff, Bebutoff, Soltikoff, Meyer, Karamsin, et Korniloff. Sans parler des blessés. Est-ce exact ?
Midi
Toujours même situation. Vous dites vrai ; habilité ou non, c’est un grand spectacle, qui fait honneur à tous. Quelle folie de faire tuer tant de braves gens sans nécessité ? Si je disais tout ce que je pense de cette guerre et de la politique dont elle sort, j'étonnerais et j'irriterais bien du monde. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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199 Baden Mardi le 18 juin 1839
5 1/2 du matin

Je ne puis pas dormir. Je me suis levée avant cinq heures. J'ai marché à l'ombre il faisait de déjà trop chaud. J’attends mon déjeuner et je viens en attendant vous dire bonjour. J’ai été bien malade hier au soir. Le médecin n'en accuse que mes nerfs. Je le sais bien, et que faire ? Mad. de Talleyrand à eu un long entretien avec Mad. de Nesselrode à mon sujet. Imaginez qu’on dit à Pétersbourg que j’ai fort maltraité mes fils qu'ils m'avaient offert un capital d’un million, que j'ai refusé avec dédain, trouvant cela trop peu, et que je m’étais en conséquence brouillée avec eux on parlait fort mal de moi à ce sujet. Mad. de Talleyrand a rétabli la vérité des faits, et la comtesse Nesselrode veut en écrire de suite à son mari et à Matonshewitz. Celui ci peut à peine avoir reçu ma longue lettre. L'arrivé de Pahlen, à Petersbourg me fera du bien aussi si toutes fois, il ouvre la bouche pour ma défendre. Je crois qu’il quitte Paris dans peu du jour. Comprenez-vous tout ce que ceci me donne d’agitation. Vraiment je passe par de dures épreuves !

3 heures
La comtesse Nesselrode m’a fait une longue visite ce matin. Nous avons parlé de tout excepté de moi. Je n’ai pas voulu le faire. 1° parce que mes forces ne suffisent plus à un entretien, 2° parce qu’elle est suffisamment instruite par Mad. de Talleyrand et qu’il ne faut pas risquer d’affaiblir une impression en revenant trop sur le même sujet. Voici ce que j’ai relevé de plus marquant de son entretien avec Mad. de Talleyrand. Le maître ne m’a pas. pardonné et ne me pardonnera jamais. Il est vraisemblable qu'on ne me molestera plus, mais il est invraisemblable qu'on me donne la pension, cependant le comte de Nesselrode veut le tenter. Je pense que cet essai sera fait après l'arrivée d’Orloff, je le désire, ce ne serait que par lui qu’il y aurait quelque chance. Maintenant vous savez tout. Je crois que Mad. de Nesselrode et une bonne fortune pour moi. Ce que je n’aurais jamais dit, elle le dira, et on la croira.

Mercredi 19 à 8 heures du matin.
Votre N° 196 est charmant. Il y a une page à propos de ma lettre au grand Duc est incomparable. ma nuit a été un peu meilleure je continue mes bains ; mais quant à l'embonpoint, vous êtes un peu pressé. Il n’y a pas encore d'apparence, et je n'ai que d’espoir, j’ai l’esprit trop agité. J’ai eu une réponse du comte F. Pahlen, très convenable pour me dire simplement qu'il accepte et qu’il ne doute pas, qu’il ne puisse très incessamment me soumettre un plan d’arrangement. Il m'écrivait cependant, avant d'avoir vu mes fils. C’est une très vieille lettre. Je vous préviens que dans quatre ou cinq jours on fait partir un nouveau courrier pour Pétersbourg. Et Castillon ? Sera-t-il envoyé ? Vous êtes à Paris. Vous y avez chaud sans doute. Que faites vous de votre temps ? Au fond comment êtes-vous resté à longtemps absent ? Aura-t-on pris cela pour de la bouderie. Vous me raconterez beaucoup de choses n’est-ce pas ?
Adieu. Adieu. Moi je n’ai à vous parler que de ma pauvre personne et de mes plus pauvres affaires. Je ne veux pas vous faire l'injure de vous demander si je vous ennuie. Mais il n’y aurait rien de plus naturel. Adieu encore mille fois.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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199. Bruxelles le 27 Xbre 1854

Vous savez mon bonheur, mon passeport & séjour sans terme. Après ma joie je pense à la vôtre. Mais tout de suite après je songe avec effroi aux tribulations qui s’attendent bien loin. Cela sera rude à traverser ! Il me faut quelques jours d’arrangements ici et surtout à Paris. Je vous tiendrai informé du moment, dans ce moment. J’ai la tête pleine, je n’en puis plus. Ecrivez-moi. Je trouve le discours modéré et très convenable. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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199. Paris, jeudi 20 Juin 1839, Midi.

Pas une lettre ne m'a manqué et ne m'est arrivée deux heures plus tard. J’avais pris mes précautions. Mais adressez-les moi désormais rue de la Ville l'évêque.
Le Duc de Broglie arrive dimanche pour siéger lundi au procès. Il ne passera pas plus de quinze jours à Paris, et les passera probablement, comme moi en garçon ; car il revient tout à fait seul. Nous dinerons souvent ensemble, mais je resterai chez moi. J’y vois beaucoup de monde le matin beaucoup trop pour mon plaisir. Je n’ai pas les ennuis de la solitude. Je ne voudrais pourtant pas vous passer mon monde ; il ne vous désennuierait pas. Je sors à 1 heure, pour quelques visites et pour la chambre. Je rentre avant 6 heures. Je vais dîner en ville ou au café de Paris. Je fais le tour des Tuileries. Je dis adieu à la Terrasse; et je suis chez moi avant 9 heures pour lire, écrire et me coucher. Sauf les forêts et les montagnes, et sauf vous pour qui je donnerais toutes les montagnes et toutes les forêts du monde, cette vie ressemble un peu à la vôtre. J’en ai jusque vers la fin de juillet, du 20 au 25. La Chambre est endormie et pressée, partagée entre la précipitation et l’apathie. J’espère pourtant la réveiller et la ralentir un peu sur l'Orient. Le rapport se fait attendre. M. Jouffroy est malade. M. de Castillon sort de chez moi, bien content. Il partira pour Pétersbourg dans quinze jours. Il aurait pu partir hier et le marquis de Dalmatie me l’avait dit à la Chambre. Mais par un arrangement intérieur du département, on a mieux aimé, et il a mieux aimé lui-même ne partir que dans quinze jours. L’envoi des courriers est fréquent. Nous sommes contents des dépêches qui nous viennent de chez vous. Vous avez trouvé que nous nous étions bien pressés de demander des millions, que cela avait un peu trop ému l’Europe. Mais au fond, vous savez que nous serons raisonnables, et vous le serez vous-mêmes. L’Autriche l’est beaucoup, la Prusse beaucoup. L'Angleterre est fort contente de nous. L'hérédité du Pacha en Egypte est à peu près convenue entre quatre. Mais il lui faut l'hérédité de la Syrie, ou d'une portion de la Syrie. Sur cela, on négociera et on enverra à Constantinople des négociations conclues. Voulez-vous que j'aille à Constantinople ? J'ai lieu de croire que d'autres que vous m’y verraient avec plaisir. Passons en Occident. Ce pauvre Zéa doit être désolé. Les Cortès espagnoles dissoutes et le baron de Meer destitué du gouvernement de la Catalogne. C'est le renversement de sa politique et de toutes ses espérances. J’ai tort de dire toutes. Il retrouvera de l’espérance, car il a de la foi.

5 heures et demie
Je suis bien aise que vous ayez Madame de Nesselrode et qu’elle soit bonne. Quiconque a de l’esprit devrait être bon, et toujours bon. La méchanceté, pour dire le plus gros mot, même quand elle réussit ne donne que des plaisirs tristes comme sont tous les plaisirs solitaires. Ce serait une chose charmante que de se promener dans ce beau pays dont vous me parlez avec Madame de Talleyrand et vous. Puisque je n’y suis pas, parlez-lui de moi, je vous prie. J’ai cru quelques fois que pour n'être pas oublié d'elle, j’avais besoin que quelqu'un prit soin de l'en empêcher. Mauvaise condition, qu'il ne faut jamais accepter, n’est-ce pas ? Mais il me semble que son bon souvenir m'est revenu, et j'en jouis beaucoup. J'en jouirai encore mieux si vous voulez bien veiller à ce qu’il me reste.
Toute idée de voyage du Roi me parait abandonnée. Il ne faut pas aller au devant des velléités d'assassinat qui succèdent presque toujours aux tentatives d’insurrection. Mais Mgr le duc d'Orléans pourra bien aller à Bordeaux ; de la à Bayonne au devant de Mgr, le Duc de Nemours qui viendra y débarquer après avoir visite le Tage et Lisbonne ; de là le long des Pyrénées où nous avons des troupes ; de là à Alger pour voit l’armée d'Afrique. J’ai vu hier Montrond qui a envie d'aller à Baden. Je l’y ai fort encouragé. Mais il voudrait aller auparavant aux eaux d'Aix, puis à Florence, puis à Palerme. C'est beaucoup pour un été. Vendredi 11 heures.
Voilà Montrond qui sort encore de chez moi. C'est beaucoup. Adieu. Quelques uns me parlent. & d'autres m'attendent. J’aimerais bien mieux être à Baden. Adieu Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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199 Val Richer, Mardi 14 nov. 1854

Quel chiffre ? Quand cela finira-t-il ? La neige tombe à gros flocons. Tout à l'heure les prés et les bois en seront couverts. En avez-vous autant à Bruxelles ? Cela vous fait toujours mal. Si vous étiez à Paris, vous auriez vos amis, des distractions et Andral. Je me reproche presque le courage que j’ai eu en étant d’avis que vous deviez partir. C'est un vrai déplaisir de retourner à Paris pour ne pas vous y retrouver.
J’attends des nouvelles de l'assaut. Le Moniteur disait hier comme votre grande Duchesse, le 4 ou le 5. On dit, en effet que Lord Raglan n'en veut pas. Il est épouvanté des pertes qu’il a déjà faites. Est-il vrai qu’il ait tancé, et même renvoyé Lord Cardigan ? Il paraît bien que la bravoure a été très étourdie. Certainement l'assaut sera terrible. C'est la conviction générale que nos forces sont insuffisantes. Si nous avions eu 20 ou 40 000 hommes de plus, ce serait fini depuis longtemps. Je trouve que cela perce dans les rapports des généraux. Canrobert parle des fatigues des soldats, en homme qui n'en a pas assez pour l'ouvrage à faire. On dit que c'était là le seul motif des objections de l’amiral Hamelin à l'expédition. Il demandait plus de monde.
C'est vraiment une honte pour l'administration Anglaise que l’insuffisance des secours médicaux. Si le fils du Duc de Sutherland a été quinze jours sans médecins, qu’est-ce donc des soldats ? C’est un spectacle assez frappant, au milieu de cette dislocation de l'Europe du Congrès de Vienne que le Roi Oscar élevant à Stockholm la statue du Roi son père et la dynastie Bernadotte maintenant, ouvertement sa neutralité. Les deux dynasties nouvelles, le roi Oscar en Suède, le Roi Léopold, en Belgique, sont les seules qui restent neutres tranquillement, et sans contestation.

Midi
Seconde édition, plus grosse, de la journée du 25 octobre ; une bataille à droite, une sortie à gauche. Vous n'avez pas réussi, et vous avez perdu beaucoup de monde. Mais nous en avons certainement perdu aussi. Toujours la même question : arrivera-t-il assez de renforts, et assez tôt, pour qu’on puisse tenir contre vous la campagne, et continuer le siège jusqu'à ce qu’on prenne la place ? Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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200 Baden le 20 juin 1839 jeudi 6 1/2 du matin.

Je n’ai vu personne hier, ni Mad. de Talleyrand ni Mad. de Nesselrode ma seule récréation a été une promenade le soir avec Mad. Wellesley. Vous voyez que c’est trop peu pour moi et que la journée est bien longue ! Et il y a encore au moins deux grands mois à passer de la sorte. Mon fils Alexandre me doit bien des lettres. La Dernière était du 23 mai. c’est long.

Vendredi 21 à 11 heures
Voilà tout ce que j'avais pu vous dire hier, j’étais fatiguée, triste, découragée, et dans l’angoisse d'une lettre de mon fils Alexandre venus à 5 h. et que mon médecin m'avait prié de ne pas ouvrir. afin de ne pas déranger ma nuit je l'ai donc envoyée à Mad. de Talleyrand et je ne l’ai ouverte que ce matin. Elle ne renferme rien absolument. Il est à la campagne chez ma sœur, il va tous les matins en ville pour les affaires voilà tout ce qu'il me dit. Et au fait je suis charmée qu'il ne me parle pas affaires. Ce n’est pas par lui que j'en apprendrai rien, cela doit en venir de mon frère pourvu que cela vienne bientôt ! Je suis surprise du complet silence de Matonchewitz. Je ne veux pas vous parler de ma santé jusqu'à ce que j’ai quelque chose de bon à vous en dire. Jusqu'à présent je suis comme j’étais.

3 heures 1/2
La comtesse Nesselrode est venue m’interrompre. Elle est certainement très bien disposée, elle écrit à son mari, j'ai bien insisté sur ce que je préfère la carrière de mon fils à mes propres intérêts ; ainsi je ne veux pas qu’on dise rien qui puisse lui nuire, en même temps je ne veux pas qu'on puisse me croire des torts envers lui. Tout cela est bien délicat, tout cela est difficile à ménager, c'est une mauvaise situation, et tous les jours cela m’afflige davantage Notre Ambassadeur Pahlen. m'écrit pour me dire qu'il quitte Paris aujourd'hui même. Il sera à Pétersbourg le 2 de juillet et me demande ce qu'il peut faire pour moi. Je lui écrirai pour le prier de me défendre s'il entend dire qu’on m'attaque, je ne veux pas autre chose. Mad. de Talleyrand prétend qu'aujourd’hui tout à l’air de se placer mieux pour moi et elle croit que de tout cela ressortira un bon dénouement. Moi je ne crois encore à rien de bon je suis si accoutumée au mauvais.
Lady Cowper me mande que son frère est bien fatigué, bien tracassé, que les Torys sont très violents que s'il y avait un changement elle et lord Melbourne viendraient, tout de suite de ce côté-ci. Le chevalier Courrey quitte l'Angleterre. C’est le grand événement de Londres. Peut être cela ramènera-t-il la paix entre la mère et la fille ? Lady Cowper est très désappointée de ce que je n’aille pas en Angleterre, elle m’attend en automne. Elle me reparle d’Orloff, de ses promesses. Elle me fait des messages d’amitié de Palmerston, voilà la lettre. J'aurais dû vous l’envoyer ce matin, et vous aurez dû me la rapporter à midi 1/2 ! Ah le bon temps passé !
Puisque vous allez avoir du loisir voyez un peu si vous ne pourriez pas me trouver une maison. Ne soyez pas trop exclusif pour le Fbg St. Honoré. Au fond les bonnes maisons ne sont que de l’autre côté. Vous savez qu'il me faut le soleil avant toutes choses. Non pas, pas avant vous; mais après vous. Adieu. Adieux, je suis impatiente de vos lettres de Paris que pensez-vous de la situation, éclairez- moi, racontez-moi. Adieu. Adieu.

6 h. Voici votre lettre de Paris, & il faut que la même partie. Je vous remercie tendrement, bien tendrement. Ecrivez, Ecrivez. Vous êtes dans votre maison je suppose ?

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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Paris, Samedi 22 Juin 1839 -7 heures

200 Quel gros chiffre ! Je vous disais l’autre jour, que je ne pouvais croire qu’il n’y eût que deux ans. En voilà bien encore une preuve. Nous nous sommes beaucoup écrit. Nous nous sommes beaucoup parlé. Que de choses pourtant nous ne nous sommes pas dîtes ! On vit bien séparés bien inconnus l’un de l'autre. Cela me déplaît et m'attriste à penser. J’ai horreur de la solitude. Mais qu’il est difficile d'en sortir !
J’ai dit hier à la Chambre quelques paroles qui ont fait assez d'effet. Cette pauvre chambre ressemble bien à la nature humaine, elle s'ennuie de la médiocrité et s’impatiente de la supériorité. Elle a envie de ce qui est mieux qu’elle et elle n'en veut pas. Elle prend plaisir à l'entrevoir; et quand on le lui offre, elle ne peut se résoudre à l'accepter. C’est la vraie difficulté de ce pays-ci et de toute société démocratique. A travers la langueur générale, je m'aperçois qu’il serait assez facile de ranimer les débats. On me promet, sur l'Orient, un discours fantastique de M. de Lamartine et un discours russe de M. de Carné.
A propos de Russe, savez-vous que l'Empereur vient de fonder ici un journal Russe, le Capitole ? C’est un M. Charles Durand, naguères journaliste à Francfort, & journaliste à votre solde, qui a transporté ici ses Pénates. Il avait épousé une fort jolie personne de mon pays de Nîmes, qu’il a fait mourir de chagrin. Cela n'empêche pas de faire un journal Russe.
M. Delessert a arrêté la nuit dernière un des quatre généraux de la République, M. Martin Bernard. C’est une capture assez grosse. Le procès en sera retardé de quelques jours. Il faut que ce nouveau venu y prenne place. Pour le moment même, cela est très bon. On s'attendait à quelque tentative nouvelle, à quelque sauvage prise d'armes de ces gens-là, pendant le procès. Il est vraisemblable que cet enlèvement d’un de leurs généraux les troublera un peu.

5 heures
Je passe d’indignation en indignation. Ces mensonges répandus à Pétersbourg, d'où viennent-ils ?
Sans nul doute, Mad. de Nesselrode est une bonne fortune. Il vous faut bien du monde pour vous défendre. Vous avez besoin d’une sentinelle à toutes les portes. Cependant je suis plus tranquille que je ne l'étais et vous devez aussi l'être plus. Il me paraît certain que vos intérêts seront protégés, et les mensonges démentis. Quand une fois cela sera fini, quand vous aurez quelque chose d'assuré, j'aurai le sentiment d'une vraie délivrance. Des Affaires pareilles, à 600 lieues, dans un tel pays avec votre santé... Moi aussi, souvent je n'en dors pas. Vous dormirez après, n’est-ce pas ? Vous me le promettez ?
Je rentre de la Chambre. Séance insignifiante. Les intimes de Thiers sont enragés mais enragés en dedans comme des officiers abandonnés de leurs soldats. Le Cabinet n’a pas gagné ce qu’ils ont perdu ; mais ils l’ont perdu. Thiers est allé prendre congé du Roi qui a causé longtemps avec lui. Ils se sont séparés en bons termes. Thiers en partant a recommandé à ses journaux de ménager le Roi. Et le Roi a dit à un ami de Thiers. Dites lui que je lui suis nécessaire et qu’il m’est agréable ; mais, qu’il faut qu’il renonce aux affaires étrangères — Vous voyez que le raccommodement n’est pas bien avancée. Thiers de loin et les siens de près sont en grande coquetterie avec moi. J’ai été chercher ce matin Lord Granville. Je ne l’ai pas trouvé. J’irai faire une visite à votre ambassadeur, s’il n’est pas parti.
Dimanche 6 heures et demie
Je suis dans une corbeille de roses. Mon petit jardin en est couvert. Si vous étiez ici, je vous les enverrais. Pourquoi n'aviez-vous plus de fleurs ? Est-ce santé ? Est-ce économie ? car j'ai vu poindre en vous cette vertu, ou pour mieux dire cette sagesse. Madame de Boigne vient d’être très souffrante, mais très souffrante, beaucoup de fièvre, du délire. Madame Récamier qui est allée dîner avant-hier avec elle, l’a trouvée encore dans son lit, et dans un grand découragement. Elle se plaint d'être fort seule, et que la société la fatigue et qu’on arrive chez elle trop tard, après 10 heures, quand elle est épuisée et ne demande plus qu’à se coucher. Elle parle de se retirer en province ou de rester à la campagne. Lord Grey n’est pas le seul qui ne puisse se résoudre à vieillir. J’irai demain voir le Chancelier, et savoir de lui si on peut aller dîner à Chatenay. J’ai dîné hier chez Mad. Lenormant, en face d’un buste de M. de Châteaubriand immense, monstrueux, quatre pieds de tête, deux pieds de cou, long, large, épais, un taureau, un colosse. Etrange façon de se grandir. C'est le sculpteur David qui met cela à la mode. Il a fait un buste de Goethe, un de Cuvier dans les mêmes proportions. Notre temps est bien enclin à croire qu'avec beaucoup, beaucoup de matière, on peut faire des âmes. C'est le système de la quantité.
On a eu hier une dépêche télégraphique d'Orient. Rien de décisif. Toujours point d'hostilités ; mais toujours à la veille. Le rapport se fait après demain à la Chambre. Nos armements maritimes se poursuivent très activement. Ils pourront bien ne pas être purement temporaires, et si la situation se prolonge, elle aboutira à nous faire tenir une grande flotte en permanence dans la méditerranée, comme vous en avez une dans la mer noire.
Adieu. Je vais faire ma toilette & recevoir du monde. Avez-vous décidément abandonné le lait d’ânesse ? Quel mal vous faisait-il ? Est-ce que vous ne le digériez pas bien. Où en est votre appétit ? Ah, on ne sait rien de loin. Adieu. Adieu.
Onze heures Les nouvelles d'Orient sont moins pacifiques que je ne vous disais. Il y a eu de petites rencontres entre des détachements isolés. On parait croire ce matin que cela deviendra sérieux.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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200 Val Richer, Mercredi 15 nov. 1851

Ce que je crains beaucoup en ce moment, ce sont les batailles inutiles. Celle du 5 m'en a un peu l’air. Vous n'avez pas été assez battus pour renoncer à vos tentatives de faire lever le siège. Pourtant le rapport du Prince Mentchikoff est court et triste. C'est sans doute en repoussant la sortie de la garnison et en la refoulant dans la place que les alliés ont eu l’air de tenter ce qu’il appelle un assaut qui n’a pas réussi. Le général Canrobert a la une rude opération pour son coup d’essai de général en chef. Les renforts vont lui arriver de tous côtés, Français et Anglais. Combien de temps les flottes pourront-elles tenir la mer. On rabâche. Que faire autre chose ?
Les articles du Times et du Morning Chronicle indiquent qu’on se prépare, si le siège ne finit pas ces jours-ci à le continuer imperturbablement malgré l'hiver, et jusqu'à ce qu’il finisse. Cela doit être possible et si ce n’est pas absolument impossible, on aura raison de le faire, n'importe à quel prix. J’ai trouvé, en écrivant Cromwell, qu'au 17e Siècle avant les amiraux Anglais et Hollandais, Blake et Tromp, on ne croyait pas possible une campagne navale d’hiver, ni dans l’un, ni dans l'autre pays. Ces deux hommes l’ont cru possible, et l’ont exécuté ; ils se sont fait la guerre hiver comme été. La chose ne doit pas être plus impossible dans la mer noire que dans l'Océan. C’est toujours l'alimentation quotidiennement assurée de l’armée qui est la grosse difficulté. Les hommes se font tuer, mais les estomacs n'attendent pas.
L’ardeur pour la guerre est toujours bien grande en Angleterre. Avez-vous remarqué ce petit fait qu’il y a plus de 1200 demandes inscrites par avance pour les commissions qui peuvent vaquer dans l’armée, tandis qu’ordinairement le nombre des demandes ne dépasse pas 100.
Midi
Nous avons toujours la même impression. Pauvre St Aulaire ! Je ne le plains pas ; il était si triste ! On dit que son gendre Langsdorff est atteint d'une tumeur cancéreuse au bras. Adieu, Adieu. G. G. L'Empereur a eu raison de nommer. Morny. J'en suis bien aise.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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201 Baden Samedi le 22 juin 1839 7 heures du matin

Le petit paquet m’ennuie, je donne aujourd'hui dans l’autre excès. Votre description de la place Louis XV est superbe. Celle de la chambre si elle se soutient vous dispenserait presque d'être à Paris. J’aime bien cependant vous y savoir. Vous êtes plus près, tout est plus régulier. J’ai fini ma journée hier par une promenade avec Mad. Wellesley. Elle bavarde et m’amuse un peu. Nous avons connu les mêmes personnes. Cela fait un lien. Je ne manque jamais de me coucher à 9 heures. Je ne manque rien de ce qui peut me faire me bien porter. Si je n’y réussis pas, il n’y aura pas de ma faute. Il me semble que Pozzo va vous arriver. Vous le verrez n’est-ce pas ? Faites le causer et vous me redirez s'il sait causer encore et de quoi ?

Dimanche 23. 7 heures du matin
Ma journée s’est mal passée hier. Je ne me suis pas sentie bien. Je ne le suis pas encore aujourd’hui. Je ne sais ce que c’est ; je sors cependant de mon bain, car je fais tout comme on me l’ordonne On mange très mal ici ; voilà peut- être ce qui me dérange, je n'engraisserai pas avec cela.

Onze heures. Je reviens de l'église. J’y vais tous les dimanche. Il y a un prédicateur admirable qui est le plus mauvais sujet du pays. Un homme à prendre pour toutes sortes de méfaits et le prédicateur le plus éloquent, le plus touchant que j'ai jamais entendu. Je reçois dans ce moment une lettre d’Alexandre. Lui et son frère avaient vu l’Empereur et l’Impératrice par faveur extraordinaire ils ont passé une soirée intime avec la famille impériale. Ils ont été comblés. L’Empereur attendri à leur vue. Les traitant comme des proches parents. Leur répétant vous me tenez de près et je veux que ces rapports là subsistent toujours entre nous. " Enfin c’est comme cela devait être mais comme je ne l'espérais pas. Alexandre trouve moyen par une phrase convenue de me dire qu'on continue à être très mal pour moi. Vous voyez bien qu’il ne s’agira pas de pension. Je suis toujours enchantée qu'il soit si bien pour mes enfants.

5 heures
Voici l’heure de la poste. J’attends votre lettre, et il faut que je fasse partir la mienne. J’ai vu Mad. de Nesselrode ce matin. Elle est vraiment bonne pour moi, mais je l'incommode le moins possible. Cependant je la tiendrai au courant de mes affaires. Elle a mandé à son mari d’interroger Pahlen sur mes relations avec Paul ! Tout pourra se concilier avec les intérêts de service de Paul. On a de lui bonne opinion comme capacité. Il faut le pousser. Et il pourrait être pour moi plus mal encore que cela ne doit faire aucune différence pour sa carrière. Son intérêt doit aller avant le mien, c’est comme cela que je l’entends. voilà votre lettre, intéressante bonne aimable. Je vous remercie bien de Castillon. Adieu. Je suis pressée par la poste, adieu adieu milles fois.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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201 Paris lundi 24 Juin 1839 8 heures

J’ai dîné hier avec Lady Jersey. Le Duc de Broglie dit qu'elle est toujours belle. Elle parle toujours beaucoup avec la confiance d’une jeune femme, d’une jolie femme, d’une grande dame et d’une bonne personne. Elle a été très bonne pour moi et sa bonté a fini par me demander de signer mon nom sur son album, qu’elle avait évidemment apporté pour cela. Elle m’a paru un peu piquée que vous ne l’eussiez pas attendue à Paris. Elle repart jeudi pour l'Angleterre. Elle y trouvera à sa grande joie, le Cabinet, bien malade. Se retirera-t-il encore une fois pour une majorité de 5 ? Il a eu tort de rentrer. Du reste ce qui me revient est d'accord avec Lady Cowper. Les Tories sont violents, & inquiètent leurs chefs modérés ; si le duc de Wellington, par l’âge, par la santé, se trouvait hors d'état de prendre aux affaires une part active, ni Peel, ni Lord Aberdeen n'auraient assez d'autorité pour contenir et gouverner le parti. Et ses fautes rendraient bientôt le pouvoir à ses adversaires. Si vous étiez ici, vous verriez un Cabinet bien aussi chancelant en apparence, quoi qu’il le soit bien moins au fond. Vous entendriez dire tout le jour que M. Molé se rapproche de M. Thiers, et aussi de moi, et moi de M. Thiers que M. Cousin part pour Plombières avec M. Molé ; que l'autre jour, de la voix et du geste, j'ai approuvé M. de Salvandy à la tribune. Je n’ai jamais vu tant de commérages. Il n’y a rien, rien du tout, et le Cabinet tiendra jusqu'à des événements.

5 heures
Je reviens de la Chambre et j'en rapporte peut-être des évènements. Deux dépêches télégraphiques disent que les Turcs ont envahis quinze villages égyptiens qu’Ibrahim s'est mis en mouvement avec 25 000 hommes pour les reprendre ; que la flotte Turque est dans le Bosphore, occupée à embarquer 7000 hommes de débarquement ; que le Sultan est très malade &. On attend cette nuit les dépêches écrites qui donneront des détails. En tout cas, lisez attentivement le rapport que M. Jouffroy vient de lire à la Chambre. C’est un morceau remarquable par la netteté et la mesure, au fond et dans la forme. Le langage est excellent. Il a été accueilli avec grande faveur. Il est très douteux qu’il y ait un débat.
Votre N°200 vaut mieux à la fin qu'au commencement. Quand je vois, pour tout un jour, quelques lignes, écrites comme on se traine quand on ne peut plus marcher, mon cœur se serre pour vous. Du reste, j'ai la même impression que Madame de Talleyrand. Je pressens un meilleur tour de vos affaires. A la vérité il faut bien qu'à force de descendre le moment de rencontre arrive. J'emploierai mon loisir à vous chercher une maison. Et si je trouvais de l'autre côté de l'eau quelque chose qui vous convient vraiment je n'hésiterais pas ; au risque d’y perdre, et par conséquent de vous y faire perdre quelque chose. Mais n’arrêtez aucun projet donc aucune maison avant les arrangements de Pétersbourg. Il faut savoir ce que vous aurez.

Mardi 8 heures
J’ai été hier soir faire ma cour à Neuilly. J’ai trouvé le Roi en bonne humeur, et comptant que les affaires d'Orient s’arrangeront de concert entre vous nous, et tout le monde. Il m'a gardé longtemps, et m’a paru penser qu’il avait aujourd’hui du pouvoir presque ultra petita. Il me semble que cela ne va pas au delà de votre latin. De Neuilly, j’ai été chez Lady Granville. Elle part, dans une quinzaine de jours pour les eaux de Kitsingen (dis-je bien ? ) près de Würtsbourg, où elle ne trouvera personne et c’est ce qu’elle cherche. Je suis allé hier chez votre Ambassadeur. Il était parti. Adieu. Voilà des visites. Quoique vous ne me disiez rien de bon sur votre santé, j'ai à son sujet, le même pressentiment que sur vos affaires. Et je crois entrevoir que vous même l’avez un peu. Ainsi soit-il ! God bless you ! Adieu Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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201 Val Richer, Vendredi 17 nov. 1854

J’ai écrit hier à Madame de St Aulaire, avec une vraie tristesse. Après bien des années d’une simple habitude de société, son mari, depuis que nous avions fait des affaires ensemble, était devenu pour moi un véritable ami sûr, fidèle, courageux et d’un commerce doux et animé. Je regretterai beaucoup de ne pas le retrouver. Je regrette de ne pas lui avoir dit adieu. Je vous ai mandé, je crois, ce qu’il m'écrivait après la mort de sa mère : " Je ne demande plus à Dieu qu’une grace, c’est que personne ne passe avant moi. Le pauvre homme ne l’a pas obtenu. La mort de sa fille l’a abattu et la maladie l'a trouvé hors d'état de résister. Je ne sais encore aucun détail.
Votre pasteur de la rue Chauchat, M. Verny, mort en chaire à Strasbourg, a laissé une femme et une fille qui sont dit-on, des personnes distinguées, et sans pain. On fait une souscription, parmi les Protestants, pour leur faire un petit capital qui bien placé leur donne de quoi vivre. De Strasbourg, on a déjà envoyé 18 000 francs. Ne voulez-vous pas donner quelque chose, par charité d’abord, et puis pour faire acte de présence à Paris, dans votre église, où M. Verny était, parmi les riches très considéré et parmi les pauvres très populaire ? François Delessert et Léon de Bussierre sont à la tête du comité.
J’attends avec une impatience triste et sans grande curiosité, les détails de la bataille du 5. Quatre généraux Anglais blessés, le général Joymanoff tué une journée entière de lutte et tout cela pour rester dans le statu quo. Il est clair que votre sortie a été repoussée, qu’en vous repoussant le général Forest a voulu, entrer dans la place pêle-mêle, et qu’il a été repoussé à son tour. Vous voyez ce que disent les journaux Anglais du vrai motif de la visite de Palmerston à St Cloud ; s'entendre avec l'Empereur pour qu’il envoie 50 000 hommes de plus, que l’Angleterre payerait. C’est très possible, et je suis très porté à y croire. Ce qu’il y a de certain c’est qu’on travaille vivement ici sur terre et sur mer, pour envoyer, non pas quelques mille hommes, mais une armée de plus.
Que signifie cette dépêche du Standard que le Prince Gortschakoff a annoncé officiellement à Vienne que la Russie, était prête à traiter avec l’Autriche sur la base des quatre garanties ? Je ne comprends pas et je ne crois pas.
Vous aurez cette lettre-ci dimanche. Ecrivez-moi lundi matin à Paris. J’y serai lundi soir à 11 heures, et je vous écrirai de là mardi. Une seule chose me plaît du retour à Paris ; nous nous parlerons du jour au lendemain.
Midi
Voilà le 163. L'Empereur fait très bien de renvoyer à Lady Clauricard son fils. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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202 Baden lundi le 24 juin 1839

Il y a deux ans aujourd’hui que nous sommes allé dîner à Chatenay. Et que nous en sommes revenus ! Vous en souvenez-vous ? Je vous remercie de toute votre lettre d’hier. Je voudrais avoir entendu votre conversation avec Montrond. Je voudrais entendre bien des choses. A propos, je vous prie de lui dire mes amitiés, je voudrais bien le voir ici. Je crois moi qu’il s’y plairait beaucoup et que cela lui ferait du bien. Il plairait à Mad. de Nesselrode qui aime beaucoup les gens d’esprit. Je commence toujours ma journée avec elle. Nous nous rencontrons à 6 h du matin, et jusqu’à 7 1/2 nous nous promenons ou nous asseyons ensemble selon qu'il fait chaud ou frais. Aujoud’hui il fait frais. J'ai marché.

Mardi 25 à 8 heures du matin
J'ai lu dans les journaux la discussion à la chambre sur l’armée. Vous avez été très brillant, mais je ne suis pas de votre avis. Et la raison est que nous en Russie dans une armée de huit cent mille hommes, nous avons deux maréchaux depuis que je suis au monde, je n’en ai jamais vu que trois en même temps. Je crois même qu'aujourd’hui notre seul maréchal est Paskient nous ne le faisons qu'en temps de guerre. Il y a eu des époques où il n'y en avait pas un seul. Je suis bien aise du journal des Débats, il me paraît avoir tout-à-fait passé de votre côté. Je ne vois pas que vous ayez fait visite à Neuilly. Dites-moi un peu bien des choses que vous me diriez à la Terrasse. Je ne sais rien du tout.
Mad. de Talleyrand a été sensible à votre souvenir. Elle parle de vous très bien. Que je serais aise si Montrond venait ici ! Mon existence est very dull. Je n’ai certainement pas souri une fois depuis que je vous ai quitté. Et je ne crois pas que cela m’arrive tant que nous resterons séparés. Je ne sais pas s'il est possible d’engraisser quand on est toujours triste , mais assurément il n'y a pas le moindre signe de changement en ma personne. Et voici trois semaines cependant.

11 heures
L’air est charmant, je reviens des montagnes. Marie est de retour de Carlsruhe. On lui cherche un mari. Elle préfère les vieux, j’imagine que cela sera facile à rencontrer. Je voudrais bien la voir bien établie. Au fond c'est une bonne fille. Je vous remercie beaucoup de la promesse pour Castillon pour cette fois j'y compte. Je viens de relire encore votre discours. Il est fort beau, et vous avez raison all circunstances considered Il ne faut point de comparaison quand il s’agit de l’état actuel de la France, & moi j'ai tort.

5 heures
Voici votre n° 200 ! Sûrement j'ai bien peine à ce gros chiffre en vous écrivant, mais il y a tant de choses auxquelles je pense sans vous les dire. Je voulais vous parler de mes roses ici. Vous ne savez pas comme c'est joli des bouquets de roses ; tout le jardin garni d’orangers, de rosiers, une belle fontaine au milieu du parterre. J'ai voulu vingt fois vous décrire tout cela et puis la tristesse, le découragement me saisissent, & je ne dis rien. L’odeur des fleurs dans les chambres m’incommode mais dehors je trouve cela charmant. Ecrivez-moi davantage, dites-moi tout. Je suis curieuse et puis je suis bien seule, bien triste. Vos lettres sont mon seul plaisir. Adieu. Adieu. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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202 Paris. Mercredi 26 Juin 1839 8 heures

Je sors d’une nuit détestable. Je ne sais si je dois m'en prendre à l'orage qui a été violent. Mais je viens de passer quelques heures dans un mal aise et des rêves affreux. J’avais mes trois enfants près de moi, au milieu d'un déluge. L'eau montait, les soulevait de terre. Elle m'en a emporté un, puis deux. Je retenais ma fille Henriette de toute ma force. Elle me conjurait de la lâcher et de me sauver à la nage. J’ai souffert le supplice d'Ugolin. Je me suis réveillé couvert de sueur, criant, pleurant. Je revois encore. Mes mains se sont jointes avec désespoir. J’ai prié, j’ai supplié les trois Anges que j’ai depuis longtemps au Ciel, ou de me rendre ceux qui venaient de les rejoindre, ou de me prendre avec eux. Il y a une des heure que je suis levé. Je suis dans mon cabinet. Je vous écris. Je souffre, je tremble encore. J’attends une lettre de mes enfants. Je l’aurai certainement. En attendant, je ne puis reprendre mon empire sur mon imagination sur mes nerfs. Quelle nuit ! Quelle horreur que la douleur dont le rêve est une telle torture ! Pardon de vous parler de la mienne. Mais vraiment, je souffre encore beaucoup. Je suis très ébranlé. J’attends mes lettres avec angoisse. Il me semble que je me rassure en vous parlant.

10 heures
Voilà une lettre de Pauline et de ma mère. Dieu soit loué ! Il n’y en a point de noyé. J’étais vraiment fou il y a deux heures, je ne voyais rien que ma pièce d'eau. Mes enfants tombés dans ma pièce d’eau. Il faut que je parle d'autre chose, car je retomberais. Que nous sommes de faibles créatures ! Et avec une telle faiblesse, toujours à la porte de tels dangers, de telles douleurs ! Une étourderie, un faux pas, une minute de négligence d’une bonne, rien, vraiment rien, entre nous et le supplice ! Et nous marchons, nous vivons nous dormons au bord de ces abymes ! Ah, nous sommes aussi légers que faibles. Nous oublions tout, les maux passés, les maux possibles, les maux qui sont là peut-être là tout près ! Que nous sommes dignes de pitié ! Et quelle pitié que ce que nous sommes ! Il faut que je vous quitte encore. Je ne puis m’arracher à mon impression de cette nuit. J’aime pourtant bien votre grand papier, car j'ai aussi votre N°201.

Jeudi 27 7 h et demie
Les débats de la Chambre s’animent un peu. Le Cabinet avait eu avant-hier sur l'affaire du Mexique, une pitoyable séance. Les hésitations et les contradictions du Maréchal et de son avocat le Garde de sceaux, avaient soulevé le cœur. Hier sur l’Espagne, M. Passy et M. Dufaure est assez bien parlé. Je doute que le Roi soit content de ce qu’ils ont dit surtout M. Dufaure ; mais ils ont réussi. Pour qui les deux séances ont été bien mauvaises, c’est M. Molé. Défendre dans l'une par M. de Salvandy, sans le moindre effet, et dans l'autre, attaquant le cabinet actuel par M. de Chasseloup qui est resté seul, absolument seul. Tout le monde en a été frappé ! Demain ou après-demain, le débat sur l'Orient. Vous voyez les nouvelles. Les gens qui connaissent le pays ne croient pas que le Pacha dirige son effort sur Constantinople ; ce qui mettrait ses amis d'Europe dans l’embarras et les empêcherait de lui donner l'appui dont il a besoin. La guerre une fois engagée et s’il bat les Turcs, il marchera plutôt de l'Ossoff à l'Elbe que du Sud au Nord et vers Bagdad que vers Constantinople. Conquérir l'hérédité, c’est son grand but. Il y subordonnera toute sa conduite. Nos instructions partent pour notre flotte en Orient, analogues à celles de l'Angleterre.
Le procès commence aujourd’hui. Pendant son cours, le gouvernement s'attend à quelque nouvelle attaque. Ces gens-là l’annoncent très haut. Ce sont des sectaires de plus en plus isolés, et qui redoublent de rage à mesure que leur nombre diminue. Dans leurs réunions du matin et du soir ils mettent en avant les projets les plus frénétiques, l'incendie, l'assassinat. On est fort sur ses gardes. On a fait venir deux régiments de plus. Je doute fort d’un nouveau coup. Les Chefs des accusés refusent absolument de parler. Avant-hier le Chancelier pressait Martin. Bernard de questions. Celui-ci a dit au greffier : " Ne pourriez-vous pas faire taire ce grand Monsieur qui m’ennuie ? " Il faut que je vous quitte. J'ai ma toilette à faire Je vais déjeuner au Luxembourg avec Lady Jersey. Nous ne nous quittons pas. Elle a voulu entendre la lecture du Chapitre des Mémoires de Mad. de Rémusat qui raconte la mort du Duc d'Enghien. M. de Rémusat l'a lu hier au soir chez Mad. Anisson. Elle part demain pour Londres. L'autre jour à dîner chez Madame Brignole, la Princesse de Ligne était là aussi. Madame Brignole ne savait trop à qui donner le pas. Elle a imaginé d'aller confier son embarras à Lady Jersey elle-même qui lui a répondu. " Il n'y a rien de plus simple. Je suis femme d’un lord d’Angleterre. Vous ne pouvez pas hésiter. " Je suis de son avis. L’aristocratie passe avant la noblesse. Adieu. Adieu. Votre grand papier a son mérite mais il est traitre comme le petit du reste. Vous n’écrivez pas sur le verso. On n'a que la moitié de ce qu’on attend. Adieu encore.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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202 Val Richer, samedi 18 Nov. 1854

J'étais bien sûr que la mort de ce pauvre Ste-Aulaire vous ferait une vraie peine. Vous avez raison, vous aussi vous perdez un ami. Outre mon regret pour lui, il m'en laisse un autre ; il n’a pas terminé ses Mémoires sur son ambassade de Londres, et il y aurait dit beaucoup de choses que j'aurais été fort aise de savoir dites. Il ne laisse de complet que ses ambassades de Rome et de Vienne. Sa mort laisse à l'Académie une place pour laquelle M. de Falloux se présentera très naturellement, et aura bien des chances d'être nommé. Il a assisté à la séance de l'évêque d'Orléans, et pas avec beaucoup de tact, ni écrit-on. Il a applaudi, et applaudi seul, quand l'Académie, y compris l'évêque est entrée dans la salle. Ce n’est pas l’usage. Personne ne l’a suivi. Il n'en a pas moins persisté dans son applaudissement solitaire et remarqué avec des sourires. On ajoute qu’il est fort changé " il n’a plus l’air souffrant ; il a l’air vieux."
Je n’ai rien trouvé hier dans mes journaux sinon de beaux détails sur l'héroïque étourderie, non pas qu'à faite Lord Cardigan, mais qu’un ordre mal porté et mal interprété lui a fait faire. J’aime beaucoup le mot du général Canrobert en voyant cette charge de la cavalerie anglaise : " C'est magnifique, mais ce n’est pas là la guerre. Cette guerre-ci prouve deux choses ; l’une, que vous n'êtes pas des barbares, l'autre que la civilisation n'énerve pas les peuples. Entre nous, je vous dirai que même sans compter que je suis Français le courage, et le dévouement de nos hommes, officiers et soldats me touchent plus que celui des Anglais. Il y a vraiment, en Angleterre de l’ardeur de l'enthousiasme et du profit national à cette guerre. Chez nous, il n’y en a point. Nous n’y partons que le sentiment du devoir, et le goût du métier. Le sacrifice est plus grand.
Les Turcs ne grandissent pas en Crimée. Silistrie leur vaut mieux que Sébastopol.
Kisseleff doit être bien triste. Brünnow me semble mieux traité que lui. Il a du moins un certain air d'activité. Il va et vient. Votre diplo matie a fait une bien mauvaise campagne. Votre armée vaut mieux.
Midi
Rien de nouveau. Adieu, Adieu. Mon facteur est arrivé très tard.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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203 Baden le 26 juin, 1839 5 heures après midi.

J'ai beaucoup écrit ce matin, je me suis beaucoup promené, je ne vous ai rien dit jusqu’à ce moment et je ne vous dirai pas combien j’ai pensé à vous, vous savez comme on peut penser, toujours pensé à une même chose. Je pense à vous à Baden un peu plus encore que je n’y pense à Paris. C’est beaucoup.
Je suis sérieusement inquiète de ce qui peut arriver à Paris, dites-moi si vous l’êtes. Madame de Talleyrand était tellement persuadé en partant qu’il aurait de gros événements qu’elle n'y a rien laissé du tout. Hors ses combles, elle a tout fait venir à Baden. Moi tout au contraire, j'y ai quatre robes de deuil, et j’ai tout tout laissé à Paris. Pillera-t-on l’hôtel de la Terrasse ? Dites-moi cela, J'en serais très fâchée, cela me manque encore. J'ai écrit une longue lettre à mon frère aujourd'hui, je ne sais plus quoi mais c’était bien, que je voudrais voir mes affaire finies !
J'ai eu une lettre de Lady Cowper. Lady Flora Hastings est très mal . Si elle meurt ce sera une mauvaise affaire pour la Reine. Les Ministres espèrent arriver dans dix jours à la fin de la session. Lady Cowper n’admet pas de discussions dans le Cabinet. Lord Normanby ne pense pas à supplanter Lord Melbourne. Pozzo très faible et hors d’état même de partir. Lady Cowper, Mad. de Flahaut d’autres encore veulent venir à Baden. Je ne crois à rien de cela parce que cela me serait agréable, et je crois à de mauvais moments à Paris parce que j’en serais désolée. Voilà la foi que j'ai dans ma fortune !

Jeudi 27 à 8 h. du matin.
Le temps est beaucoup rafraîchi, il fait même froid et ma promenade hier au soir ne m'a fait aucun plaisir. Ah que les jours coulent lourdement ici ! Je n'en puis plus. Si je voyais mes bras s’arrondir selon votre volonté, je supporterais Baden gaiement peut-être. Mais sans bras, sans société, sans un moment de bon temps ou de plaisir dans la journée, c’est bien dur ! J’ai laissé le lait d'ânesse, il n'allait pas à mon estomac. Je continue les bains, et il me semble qu'ils m’affaiblissent. Ainsi, il y a décadence au lieu de progrès.

5 heures
Merci de votre N°201. Il m'arrive au moment où je suis obligée de remettre le mien. Je n’ai rien de nouveau à vous dire. Je me suis trouvé mal ce matin. Le Médecin trouve mon pouls très affaibli, on va changer en bains. Moi j'aimerais bien mieux ne rien faire. Je suis sûre que tout ceci va me tuer. Je me sens très souffrante. Adieu. Adieu. Pensez bien moi.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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203 Paris. Vendredi 28 Juin 1839. Midi

Vous me demandez de vous écrire davantage. Indiquez-moi comment. Ma lettre ne part que tous les deux jours ; mais tous les jours, je vous dis ce que je fais et ce que je sais. Je vous dis tout... sauf ce que je vous dirais à la Terrasse. Mais il n'y a point de remède à ce mal. La distance tue beaucoup de petites choses, et les plus grandes.
Je suis bien aise que vous approuviez ce que j'ai dit à la Chambre. Car votre opinion que deux ou trois Maréchaux, ou un, sont assez pour une armée de huit cent mille hommes, permettez-moi de n'en pas tenir grand compte, pas plus que de la mienne qu'il en faut huit pour une armée de cinq cent mille. Je ne me suis guère inquiété de mon expérience militaire. J’ai vu l’antipathie des grandes situations, le désir d'en retrancher une, deux. Je n’ai pas compté ; j’ai protesté. Je ne sais si je parlerai sur l'Orient. Le débat commencera Lundi. J’ai peur qu'on ne me fournisse aucun bon prétexte. C’est déjà beaucoup pour moi de parler sans cause et seulement sur un prétexte. Au moins il me le faut bon. Il n’est pas nécessaire que je parle ; il faut qu’on le trouve au moins naturel. Je regretterais de me taire. Je crois que ce que j'ai à dire est bon, pour la question et pour moi. Du reste les nouvelles s'accordent de plus en plus avec ce que je vous ai dit. Le Pacha aura le bon sens de ne battre les Turcs que s'il y est forcé. Et quand il les aura battus, de ne faire de conquêtes que d’un côté qui ne mette pas ses amis d’Europe dans l'embarras. Il ne passera point le Taurus. Rien ne vous appellera à Constantinople. Pourtant le Pacha pourra bien gagner son hérédité. Ce sera une nouvelle pierre tombée sans bruit de l’édifice ottoman. A moins qu’un succès momentané des Turcs ne fasse éclater leur folie, et que leur folie ne pousse le Pacha hors de son bon sens c'est-à-dire vers le Nord au lieu de l’Est. Et ce pauvre Prince Miloch. On vous impute fort cet échec du pouvoir absolu en Serbie.

8 heures
J'ai dîné chez M. Devaines. Je rentre. Je m'ennuie d’aller chercher des gens qui m'ennuient. Quand je fais un effort, je parviens à ne pas m'ennuyer même de ceux-là, et à en tirer un passetemps. Je veux tenter ce soir un effort plus doux, celui de me persuader que nous causons, et de causer en effet comme si nous causions. Pauvre ressource pour un homme aussi peu enclin que moi aux illusions, et qui en fait aussi peu de cas !

Nous avons voté ce matin, sans la moindre objection et presque à l'unanimité, ce doublement, de la garde municipale qu’on osait à peine demander. Il y a trois ou quatre ans, nous nous sérions arraché les yeux pendant huit jours sur cette question, et il y aurait eu 160 voix de minorité. Tout le monde est las. Et puis sérieusement parlant, les lois de septembre ont fait leur effet. Le principe que la révolte est illégitime, en paroles comme en actes, est admis par tout le monde excepté par cette poignée de frénétiques que les Pairs jugent depuis hier. Personne ne veut ou n'ose plus les soutenir. Ils ont eu quelque peine à trouver des avocats. Les craintes de nouveaux troubles pendant le procès se dissipent. Non qu'ils ne les annoncent eux-mêmes, et ne se les promettent en effet tous les jours. Mais ils n’ont point d’armes, point de poudre. Je doute qu’ils tentent quelque chose. Ils avaient conçu une horrible idée, celle d'enlever un des petits Princes sur la route du Collège, ou Madame la duchesse d'Orléans sur celle de l’Eglise des Billettes pour s'en faire des otages. Vous pensez bien qu’on a pris toutes les précautions imaginables.
Au milieu des complots et des procès, le monde ordinaire, va son train. Mlle de Janson épouse le Duc de Beaufort, Mad. de Janson a beaucoup hésité. Enfin les paroles ont été données hier. Le bruit du mariage du Duc de Broglie avec Mad. de Stael avait été fort répandu, grâce à M. Molé dit-on. J’y crois moins que jamais.
Il y a une conspiration à la Comédie Française contre Melle Rachel. Elle fait la fortune et le désespoir des comédiens. Là comme ailleurs, l'amour propre est plus fort que l’intérêt. L’une des fontaines de la place Louis XV est près d’être terminée. Cette masse de fer en coupes, en hommes, en amours, en poissons, fait un singulier effet. Il faudra beaucoup, beaucoup d'eau pour couvrir tout cela. On dit qu'il y en aura beaucoup, et par dessous l'eau entre les statues des réverbères qui brilleront à travers l’eau. M. de Rambuteau épuisera là son génie. Il a fait mettre au-dessus des candélabres et des colonnes rostrales, des lanternes dorées qui sont très riches. Voilà mon feuilleton. Vous ne me demanderez plus de vous en dire davantage. Adieu. Je vais me coucher. Je vous dirai encore adieu demain avant d'envoyer ma lettre à la poste. La journée a été encore pleine d'orages. J'espère qu’il n’y en aura pas cette nuit. J'en ai horreur.
Tout va bien au Val-Richer. J’ai eu ce matin une lettre d'Henriette. Très gentille, mais je ne puis obtenir d’elle la moindre ponctuation. Je lui ai répondu, pour lui en faire comprendre la nécessité et le mérite, la plus belle lettre du monde, un petit chef d’œuvre de grammaire. de morale. Vous s’avez que j’ai quelque talent pour la grammaire. Adieu enfin.

Samedi 10 heures
Adieu encore. On m’apporte mon déjeuner, du beurre et du chocolat. Vous ne vous en contenteriez pas. Je suis fâché que vous n'ayez, pas à Baden un bon cuisinier. Je dîne aujourd’hui chez Mad. Eynard, demain au café de Paris, après-demain chez Mad. Delessert. Je ferai meilleure chair que vous. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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203 Val Richer, Dimanche 19 Nov. 1854

Vous n'aurez que deux mots. J’ai une foule de petites affaires à régler aujourd’hui, et probablement des visites. Mais je ne veux pas que vous soyez deux jours sans lettre. Je vous écrirai de Paris mardi matin. Quelle différence, si j’allais vous voir en arrivant.
J’ai eu hier une lettre de Louis de Ste Aulaire. Il aimait beaucoup son père. C’était une famille très unie. Il me dit que sa mère est bien. Elle restera le centre. Elle a très bien élevé les filles qui sont très tendres pour elle.
Nos journaux ne sont pleins que des préparatifs de la nouvelle armée qu’on envoie en Crimée. Le Moniteur de l’armée donne des détails d'état-major et de matériel, qui prouvent qu’il s’agit bien en effet de 40 ou 10 000 hommes. Si Sébastopol n’est pas pris bientôt l’hiver n’interrompra, ni la guerre, ni le siège.
Je ne vois pas que Lord Palmerston soit encore à Paris. Cette visite traine beaucoup uniquement à cause de sa santé, je suppose. Adieu jusqu'au facteur.
Midi
Voilà le N°164 qui me convient fort. J’aurai de vos nouvelles après demain à Paris. Mais vraiment, quand on crache le sang pendant huit jours, il faut voir son médecin, n'importe où et comment. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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204 Baden le 28 juin vendredi 1839 9 heures du matin

J'ai lu les rapports de M. Jouffroy. Il est très bien, on ne peut mieux. Mais le conseil qu’il donne impraticable. Nous ne laisserons par les puissances de l'Europe se mêler de cette affaire, soyez persuadé qu’il ne peut pas y avoir de congrès. Vous serez très content de nous, moins cela.
Vous m'écrivez de courtes lettres. Je manque d’appétit pour mon dîner mais j’en ai toujours, toujours un très grand pour vos lettres, songez à cela. Vous m'avez promis de me tout dire, mais vous ce qui arrive. Quand vous êtes à Paris vous avez beau coup à me dire et vous n'en avez pas le temps. A la campagne, beaucoup de temps et point de nouvelles vous êtes un peu dissipé à Paris. Racontez-moi mieux vos journées. Est-ce que par hasard vous feriez des visites comme l’année dernière, dont je n’entends parler que l’hiver d’ensuite ? Vous voyez que c’est une vieille querelle que je veux réchauffer. Mais trois petites pages et demi pour deux jours, cela, me parait d'une grande avarice. Comment ne trouvez-vous pas de temps pour m'écrire davantage. On trouve toujours du temps quand on veut ! Je vous prie, je vous prie écrivez-moi davantage. Vous me maltraitez, & moi je suis triste, je suis seule, je me fais des dragons. Et si dans ce moment, je continuais, je vous dirais quelques sottises. Adieu. Je vais me promener.

11 heures
Je rentre et je suis plus tranquille, mais ne dérangez pas ma tranquillité. Ecrivez-moi, écrivez- moi davantage. Eh bien, de Paris envoyez-moi une lettre tous les jours. Vous aurez honte de ne m’écrire que deux pages, il faudra bien que je vous occupe un peu plus que cela. Ce sera mieux pour vous, pour moi, pour moi surtout. A la campagne vous donnez des leçons à vos enfants, je n'en suis pas jaloux, vous donnez des ordres à les ouvriers, je n'en suis pas jalouse. Vous aidez Mad. de Meulan à caler des gravures, je n'en suis pas jalouse. Je vous laisse faire. à Paris, sans moi ; je ne vous laisse pas tant de liberté ; il faut que je vous aie à moi davantage toujours, quand vous n'avez pas des affaires. Est-ce convenu ? Je fais parler cette lettre aujourdhui lors de ma règle mais c’est pour que vous soyez plutôt informé de mes exigences. Ainsi de Paris vous m'écrirez tous les jours. Promettez-le moi je vous en supplie.
Ma nuit a été un peu meilleure. Mais le médecin a été forcé de renverser toutes ses ordonnances, au lieu de son et de lait, c'est des bains de sel et d’aromates que je vais commencer demain, & si au bout de huit jours ils ne me font pas de bien, je suis décidé à ne plus rien faire. Je suis plus faible que je ne l’étais à Paris. Il n’y a pas le sens commun à être venu ici pour être plus mal. Le prince Toufackin est venu me voir ce matin. Imaginez que j’ai eu presque du plaisir à le revoir. C’est fort. Adieu. Adieu. Il me semble que je me sens déjà. soulagé par l’arrangement que je vous propose. Adieu. Vous comprenez comment je vous dis Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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204 Dimanche 30 Juin 1839, 5 heures

Je suis excédé. Après ma corvée de visites du Dimanche, il m'a pris la fantaisie de mettre un peu d'ordre dans un horrible fouillis de livres, planches, cartes & que j’avais laissé entasser. J’y travaille depuis trois heures. La tête m'en tourne. Je ne puis me redresser. Pour moi, l'activité morale et l'activité physique s'excluent l’une l'autre. Quand je ne fais rien, quand je ne pense à rien et ne me soucie de rien, je puis marcher, courir, supporter autant de fatigue corporelle que tout autre. Mais quand j'ai l’esprit très occupé, il faut que mon corps se repose. Toute ma force va à l’un ou à l'autre emploi.
Je ne suis pas content de votre N° 203. Ce peu de succès du lait d’ânesse et des bains, cette lassitude invincible dans une vie si tranquille, cette impossibilité de reprendre un peu d’embonpoint, tout cela me désole. Je vous en conjure ; nous avons assez souffert l'un et l'autre ; ne nous soyons pas, l’un à l’autre, une cause de souffrances nouvelles. Ayons pitié l’un de l'autre. Et que Dieu ait pitié de tous deux ! Je me défends du mieux que je puis mais j’ai le cœur serré. Dites-moi que vous êtes mieux ; mais ne me mentez pas. Vous pouvez être tranquille sur Paris. Il n’y aura infailliblement point de pillage très probablement, point d'émeute, et probablement rien du tout. Le procès se passe dans un calme profond, dans la salle et autour de la salle. Les accusés ne sont pas même insolents. En cas de condamnation à mort seulement, on peut craindre quelque tentative, tentative d'assassinat, d'enlèvement, de coup fourré, qui sera déjoué, mais dont il est difficile de prévoir le mode. On croit à deux condamnations à mort. Le procès sera moins long qu’on n'imaginait. Les interrogatoires marchent vite. Pozzo a pu partir, car il est arrivé à Calais. Une dépêche télégraphique l’a annoncé ce matin. L’envie dont je vous parlais l'autre jour s'est manifestée. Le marquis de Dalmatie est allé trouver M. Duchâtel pour lui demander de la part du Maréchal, s'il croyait possible de me déterminer à aller à Constantinople. C’est décidément M. de Rumigny qui ira à Madrid et M. de Dalmatie, sera nomme à Turin. Le Duc de Montebello se désole de rester Ambassadeur à Naples in partibus. Le Roi de Naples est toujours mal et ne remplace pas M. de Ludolf. C’est Mad. la Dauphine qui a fait rompre le mariage de Mademoiselle avec le comte de Lecce, par vertu et pour ne pas sacrifier cette jeune Princesse à une espèce d’idiot.

8 heures et demie
Je viens de dîner au café de Paris, avec M. Duvergier de Hauranne, uniquement occupé des chemins de fer, qu’on discutera après l'Orient. Dans mes études, je n'ai jamais eu aucun goût pour les sciences physiques. Je reste fidèle à cette disposition. Il me faut des hommes à remuer. Les pierres m'ennuient.

Lundi 8 heures
Il fait froid. Je viens de faire faire du feu. Ce temps là vous gâte vos promenades, tout ce que vous avez de bon à Baden, n’est-ce pas ? Mes enfants m'écrivent qu’il pleut sans cesse au Val-Richer. Pour eux, ils ne s’en promènent guère moins. Ils sont très bien. Guillaume a été un peu enrhumé, mais sans la moindre conséquence. Ma mère est très bien aussi. Montrond me dit que décidément il ira à Baden. Mais il va d’abord à des eaux de malade, je ne sais lesquelles, dix en Savoie, je crois. J’ai peur qu’il ne vous arrive bien tard. Adieu. Donnez-moi de meilleures nouvelles si vous voulez que je ne sois pas triste et abattu. Ce n'est pourtant pas le moment.
La discussion sur l'Orient commence aujourd’hui. J’ai envie de parler et je doute. On dit que M. de Lamartine dira toutes sortes de choses, qu'il faut tuer, l’Empire Ottoman parce qu’il va mourir qu’il faut vous donner Constantinople pour l'ôter aux Barbares, & Adieu. Adieu.

10 heures
J’aime les plaisirs inattendus. J’aime les exigences. Je les rends. Je puis donner beaucoup, beaucoup beaucoup plus qu’on ne sait ; mais je veux reprendre tout ce que je donne. Je vous écrirai demain. Je vous écrirai deux fois par jour, si vous voulez me promettre de vous bien porter. Vous me dites que vous pensez sans cesse à moi. Je vous défie d'envoyer vers moi une pensée qui n'en rencontre une de moi vers vous. Je suis sujet à vous de fier. On dit que j'ai l’esprit actif. J’ai le cœur bien plus actif que l’esprit ; et il me passe bien plus de peines ou de joies dans l'âme que d’idées dans la tête. Mais l’esprit montre tout ce qu’il a, & l'âme en cache beaucoup. Je m'arrête, car j'irais à des subtilités de théologiens ou de Bramine. Il y a du vrai pourtant dans ce que je vous dis là. Adieu jusqu’à demain. Je vais déjeuner & puis me promener en allant à la Chambre. Je ne fais point de visites. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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204 Paris, Mardi 21 Nov. 1854

Merci du N°165 que j’ai trouvé hier soir, en arrivant, et du 166 venu ce matin. J'en attends bientôt de meilleurs encore ; mais je suis tout à fait de votre avis ne rien dire et laisser couler l'eau. J’ai déjà vu quelques personnes, ce matin. On est triste et inquiet. Le Ministre des finances, M. Bineau s'en va. Il est très malade, la poitrine attaquée, ne pouvant plus parler. Il donne ses ordres à ses employés en écrivant sur une ardoise. Il va à Hyères ou à Pise. Il aura pour successeur, M. Magne, ou M. de Germiny. Le premier est l'homme de Fould et un homme capable. Le choix est important, car il est de plus en plus question d’un nouvel emprunt. On en a débattu le chiffre dans l’un des derniers conseils 300 millions pour minimum, 600 pour maximum. Le Ministre de la guerre a voulu donner sa démission. Il s'est opposé à toute nouvelle levée d'hommes par décret impérial seulement. On a reconnu qu’il avait raison et il reste. Le corps législatif sera convoqué pour le mois de Janvier. L'Empereur a écarté absolument toute idée de faire payer par l’Angleterre les nouveaux envois de troupes. Il a dit : " Les Français ne sont pas des Suisses. Il a eu raison. Lord Palmerston passe, pour très pacifique, et cherchant plutôt des moyens d’arrangement que des chances de grandeur dans de nouvelles complications.

3 heures
Le Duc de Broglie et Vitet me sont arrivés, et s'en vont seulement à présent. Je ferme ma lettre en hâte. Ce pauvre Ste Aulaire est mort tout à coup contre l’attente des médecins, quand on ne lui croyait qu’une indisposition sans gravité. Je trouve mes amis plus tristes et plus inquiets encore que le public ; criant comme vous la paix, la paix. Mais il n’y a plus d'hermites. Vous n'en trouverez point ni Pierre, ni autre. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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205 Paris, mardi 2 Juillet 1839 9 h 1/2

A mon grand regret, et contre mon dessein, je ne puis vous écrire aujourd’hui qu’en courant. La discussion d'Orient a pris hier plus détendue et d'importance qu’on ne s’y attendait. Je parlerai aujourd'hui. La politique du Cabinet du 11 octobre en 1833 a été attaquée par le duc de Valmy. Je la défendrai en passant mais je la défendrai, et il faut que j'en cause ce matin avec le Duc de Broglie qui a les dépêches. Mon temps est pris. Quatre discours ont été écoutés hier et le méritaient. M. de Valmy et très habilement mêlé et confondue le fond de la question avec la tactique Carliste. Si vous le lisez, vous me direz ce que vous pensez d’un Ambassadeur qui écrit des lettres particulières contre les instructions qu’il a reçues et exécutées. M. de Valmy n'a jamais voulu prononcer à la tribune le nom de l’amiral Roussin, quoique j'aie pu faire pour l'y obliger. Il a eu raison. Mais alors il ne fallait pas lire la lettre. M. de Carné a bien défendu le Pacha. M. de Lamartine a été très brillant. Il a du bon sens une demi-heure et il l'emploie à la critique des idées d'autrui. Cela fait, quand il parle de ses propres idées et pour son propre compte, ce sont les mille et une nuits. Mais elles vaut mieux à l'Orient qu'ailleurs, M. Villemin a été sensé vif, et quelquefois éloquent. Il a eu du succès. Vous voyez que je suis plein de mon sujet. Je suis très convaincu que vous ne viendrez pas à un congrès, quoique j’aie rencontré l’espérance contraire. Mais on est crédule à l'espérance. Sachez seulement que cette affaire là vient d’entrer dans les préoccupations publiques. C'est pour la première fois.
Rien de nouveau du Procès. Il se trame. Le Chancelier est las et mou. La Chambre n’est pas dirigée. Nous sommes fort tranquilles. Adieu. Voilà le Duc de Broglie. J’attendrai avec impatience des nouvelles de vos bains de sel et d’aromates. J'attendais presque, un mot de vous ce matin, un mot seulement, mais le début de notre nouveau régime. Vous voulez des nouvelles tous les jours, et moi je veux de vos nouvelles tous les jours. Rien de plus. Je ne veux pas vous fatiguer. Vous m'écrirez longuement quand vous pourrez. Mais de vos nouvelles. Adieu. Adieu. G

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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205 Paris, Mercredi 22 Nov. 1854

Je trouve plus convenable que vous envoyiez directement votre bon de 500 fr. pour Mad. Verny à M. Français Delessert, (176 rue Montmartre) ; ils seront très bien reçus. J’ai oublié de vous le dire hier. Le Duc de Broglie est revenu passer la soirée avec moi. On rabâche partout. Il paraît que sur la dépense des nouveaux renforts que nous envoyons, on prend un moyen terme ; l'Angleterre se chargera du transport, et d’une partie des frais matériels la solde des troupes restera purement Française. On dit que cela a été arrangé dans un conseil d'avant hier lundi.
Ce qui revient de Crimée, rapports officiels et lettres particulières, Anglaises, ou Françaises est très favorable au général Canrobert ; on le trouve pratique, résolu, simple, actif. On dit qu’il a pour tout ce qui touche à la santé et au bien être des soldats, quelques unes des qualités bienveillantes et vigilantes du Maréchal Bugeaud. C'est le sentiment général que le mal St Arnaud est mort à propos, pour l’armée comme pour lui-même. Nos officiers admirent extrêmement la bravoure des Anglais ; ils en sont émus ; mais on trouve qu’ils ne savent pas faire la guerre. Le général Ferey, le gendre de Bugeaud, écrit qu’on prendra certainement Sébastopol que l'assaut donné et les murs emportés, il y aura, dans les rues, un siège de Saragosse, mais qu’on viendra à bout de tout, et que les troupes ont une ardeur inépuisable. Sa lettre à lui-même est pleine d’entrain. Il commande une brigade de cavalerie légère.
Le trouble était grand hier à la Bourse. Plus à cause des perspectives de l'emprunt que des nouvelles de la guerre.
Berryer sera reçu à l’Académie, le 7 ou le 14 du mois prochain.
Dans le monde littéraire et surtout théâtral (ceci n'est guère Français en ce sens) l’interdiction de la Médée de M. Legouvé fait assez de bruit. Les amis de Mlle Rachel, et de M. Fould se récrient contre un auteur qui veut se faire jouer par force et arrêt de justice. Ceux de M. Legouvé demandent pour quels nouveaux crimes on chasse du théâtre cette pauvre Médée qui en est en possession depuis tant de siècles. Pures querelles de foyer et de coulisse, auxquelles le public est très indifférent. Le public est très sérieux.

10 heures
Je viens de lire les rapports de la bataille. du 5. J’ai le cœur serré. Que de braves gens. Je connaissais sir George Catheart, et le général de Lourmel. Le Prince Gortschakoff a très bien fait de dire : " Nous sommes des Chrétiens ", mais il aurait mieux fait de ne pas dire : " C'était une attaque bête." On peut être Chrétien, et poli. Evidemment on est resté de part et d'autre un peu stupéfait de cette journée ; on a eu besoin de se reposer.
3 heures
Je n’ai rien appris de nouveau ce matin. Adieu. G. Adieu. G.

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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206 Baden lundi 1er juillet 1849, à 2 heures

Le temps est vraiment atroce. 8 degrés seulement. Le médecin ordonne à tout le monde de discontinuer les bains. Il pleut des torrents, on ne peut pas bouger ; c'est affreux ceci par un temps pareil. J’attends votre lettre tantôt. C'est la seule chose que j’attends que je désire surtout à Baden.
Vous voyez qu'on ne se presse pas de m’informer de mes affaires. Je n'ai pas d’idée comment elles vont, si elles vont. Je pense qu’il n’y aura que les lettres de Mad. de Nesselrode à son mari qui les fera aller parce qu'elle aura écrit très énergiquement qu'il faut en tirer de l’incertitude où je languis depuis si longtemps. J'ai beau m'en plaindre moi-même cela me touche pas trop ; mais le témoignage d’un turc aura du poids. Voilà comme nous sommes faits ! Un nouvel incident nous donne de l'espoir ; nous croyons si aisément ; je devrais cependant être désabusée.

Mardi 2. à 8 heures du matin Je reçois dans ce moment trois lettres de Pétersbourg. L’une de mon frère ne me parlant que de fêtes- approuvant fort ma réponse au grand duc ! me disant que Paul s’occupe de mes affaires. Voilà tout. L’autre de mon fils Alexandre qui m'annonce prochainement des voyages dans leur terre de Courlande et de Russie, ce qui fait qu’il ne viendra pas me rejoindre à Baden. La troisième de Matonchewitz. Il venait de recevoir ma grande lettre. Il en est très surpris, très peiné, et affirme que s’il n’avait pas été instruit par moi de ces tristes affaires, jamais il ne les eut soupçonnées rien dans la conduite ou le langage de Paul en laissant plus à cette idée. Dans tout cela vous voyez que mes affaires d’intérêts n'ont pas fait un pas. Et il me parait assez probable que rien ne se fera avant le voyage de mes fils, c.-a.-d. que je suis renvoyée à l'automne ou l’hiver.
Après vous avoir parlé de ce qui me tracasse, j’en viens à ce qui me plait. Votre N° 203, dont je vous remercie beaucoup. Vous me dites un peu plus de détails sur vous c’est ce que j’aime. Quand je les recevrai tous les jours je serai contente.
J’ai vu les dépêches de Constantinople du 12 juin adressées à Vienne. Elles laissent fort peu d’espoir de conserver la paix. Le manifeste contre le Pacha d’Egypte devait paraître le lendemain. Le Sultan est très malade ; il est attaqué de la poitrine, il ne peut pas durer. La Hongrie donne du souci au Cabinet de Vienne. Il aura là bien de l'embarras.
Le temps est si laid qu'au lieu de promenade on est venu chez moi hier. J’y ai eu longtemps Mad. de Nesselrode Mad. de Talleyrand et le comte Maltzan Ministre de Prusse à Vienne. Il a un peu d'esprit, une préoccupation continuelle des affaires. Et il est très bien informé de tout ce qui ce passe malgré son absence de son poste. Cela me sera une ressource.

2 heures
Je viens de recevoir des lettres de Londres. Bulner m'annonce sa nomination à Paris. Il venait d'écrire à Paul une lettre qu’il croit bonne, il me rendra compte des résultat. Ellice m'écrit aussi ; l’un et l’autre disent que battus ou battant les Ministres resteront. Il n’est pas possible de songer à un changement. La Reine est devenue Whig enragé. Les Torys c.a.d. Wellington & Peel seraient désolés d'une crise, ainsi il y n’y a aucune apparence quelconque qu’elle arrive. Lady Flora Hastings est mourante. Cela fait un très mauvais effet.

5 heures
J’ai vu ce matin chez moi, Mesdames Nesselrode, Talleyran, Albufera, la Redote. J'ai marché par un bien vilain temps. Je viens de faire mon triste dîner toute seule. Voilà un sot bulletin. Adieu, Adieu, tout ce que vous me dites m'intéresse. Je suis avide de toutes les nouvelles et avide surtout de vous. Ne trouvez-vous pas qu’il y a bien bien longtemps que nous sommes séparés, que c’est bien triste ? Ah mon Dieu que c’est triste ! Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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206 Paris, Jeudi 23 Nov. 1854

Je n’ai vu hier que Mad. Mollien et le Duc de Broglie ; l’une ne ne racontant que Claremont, l'autre, que ses inquiétudes. Le Chancelier aussi est très noir. Il n’y a du reste encore personne ici. Avez-vous remarqué un article du Times, sur les généraux anglais tués le 5, particulièrement sur sir George Catheart ? Vraiment très beau ; une noble oraison funèbre. J’y vois le symptôme d’une profonde émotion en Angleterre. Quoique vous soyez plus durs et moins excités par la voix publique, on doit être ému aussi à Pétersbourg. Vous perdez aussi bien des généraux.
Paris était hier couvert de neige, et très sale. J’ai passé rue St Florentin. Je passe plus vite là qu'ailleurs. Quand m’y arrêterai-je ? Décidément la place Louis XV n’a pas réussi ; la complète suppression des fossés et la multiplication des passages. pour les voitures ont agrandi l’espace outre mesure et lui donnent un aspect illimité qui est désagréable. Le Palais de l’industrie et ses immenses annexes placés, après coup réussissent encore moins ; c’est tout un côté des Champs Elysées converti en un vaste hangar. Quand ce sera plein de choses et de personnes ce sera beau. Mais il faut la paix à l'Exposition de 1855 si elle se fait au milieu de la guerre, elle sera belle encore mais d’une beauté triste. La tristesse est fatale même à la beauté.

9 heures
Je reçois votre 167. Je vais m'habiller et passer chez M. avant le déjeuner. J’espère que je le trouverai. Si je ne le trouve pas je lui laisserai un mot pour lui demander à quelle heure dans la journée, je puis le rencontrer. J’ai toujours craint quelque anicroche de ce côté surtout à cause de la visite de Lord P. Mais j’espère bien que ce ne serait qu’un ménagement momentané.

1 heure
J’ai passé trois quarts d'heure avec M. L'obstacle. est bien ce que je pensais. Obstacle actif. On a parlé de vous deux ou trois fois. Des rancunes, et encore plus de méfiances. On ne saurait prendre trop de soins pour maintenir l'alliance intime et pour écarter ceux qui auraient envie de la rompre. Tout sur ce thème là. Les dispositions plus, les intentions ne sont point changées. Mais il faut un peu de patience. Il faut laisser partir. M. Plein d'amitié et de dévouement, demandant qu’on le laisse faire et assurant qu’il fera. Il ne perd aucune occasion. Il a réponse à tout. Fould est bien. J’ai dit tout ce qu’il y avait à dire, tout ce qui se pouvait dire pour soutenir, pour exciter pour presser. Mais évidemment, pour le moment, il faut attendre. On retarderait en brusquant pour avancer. Je vous répète que je crois à la sincérité du zèle et au bon résultat définitif. Je n'en suis pas moins sorti triste.
On envoie au Prince Napoléon l’ordre de retourner au siège, malade, ou bien portant. Adieu, Adieu. G.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874)
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206 Paris, mercredi 3 Juillet 1839, 8 heures

J’ai parlé hier. Vous lirez cela. Je regrette bien que nous ne puissions en causer à l'aise. Je suis sûr que j’ai bien parlé. J’ai réussi beaucoup auprès des connaisseurs, convenablement auprès des autres. La portée de ce que j'ai dit n'a pas été vue de tous. De M. Dupin, par exemple qui n’y a rien compris. Quelques uns ont trouvé que je parlais trop bien de votre Empereur, & se sont étonnés qu’en parlant si bien, je n'en parlais pas encore beaucoup mieux. Je crois avoir quant aux choses mêmes, touché au fond, et quant à moi pris la position qui me convient. Vous savez que je suis optimiste, pour moi comme pour les choses. A tout prendre, je ne pense pas que mon optimisme m'ait souvent trompé. Et puis si vous étiez là, je vous dirais bien qu'elle en est la vraie source. Mais vous êtes trop loin. En tout, c’est un grand débat. Et n'oubliez pas ce que je vous disais hier. Pour la première fois, la question est entrée très avant dans la pensée publique. Elle y restera. Elle s’y enfoncera. A mesure que les événements se développeront. S’ils se développent, le Gouvernement peut venir demander aux Chambres ce qu’il voudra, elles le lui donneront. Et si les événements se développent sans lui, il aura grand peine à rester en arrière. Du reste, je crois au bon sens de tout le monde, en ceci. Je ne vous dis rien des nouvelles. Les dépêches télégraphiques sont publiées textuellement. M. Urquart, sur qui je vous avais demandé si vous pouviez me donner quelques renseignements est à Paris, et m’a fait demander à me voir ce matin. Tout brouillé qu’il est avec Lord Palmerston, il me paraît un des hommes les plus curieux à entendre sur l'Orient. Si je vous répétais ce que tout le monde dit, je vous dirais que la session est finie, que ceci est le dernier débat que la Chambre est extenuée et n'écoutera plus rien. J’en doute. La Chambre écoute quand on parle. Ce sont des esprits très médiocres, très ignorants, très subalternes, mais au fond plus embarrassés que fatigués, et qui n'hésiteraient pas tant s’ils y voyaient un peu plus clair.

10 heures
J’ai été interrompu par des visites. Elles prennent beaucoup de place dans ma journée. Je ne me lève guère avant 8 heures et depuis que je suis levé jusqu'au moment où je pars pour la Chambre, j'ai du monde. Je ne ferme point ma porte. Je suis seul ici ; je n’y suis pas venu pour travailler. Je travaillerai au Val-Richer. Ici j'écoute et je cause. Bien dans une vue d’utilité car pour du plaisir je n’y prétends pas. Je suis très difficile, en fait de plaisir. J'en puis supporter l'absence, mais non la médiocrité. Je déjeune à 1 heures. Je vais à la Chambre à l'heure. Quelques fois, je sors une demi-heure plutôt pour passer au ministère de l’Intérieur. Je passe à la Chambre toute, ma matinée. Je lis les journaux. Je cause encore. J’écoute un peu. Je rentre au sortir de la séance. Je m'habille. Je vais dîner bien rarement au café de Paris, trois fois seulement depuis que je suis ici ; hier chez Mad. de Gasparin, aujourd’hui chez Mad. Eymard avec le Duc de Broglie. Jeudi chez M. le Ministre de l’instruction publique, Vendredi, chez M. Devaines etc. Je rentre de très bonne heure. Je lis. Je me couche et je dors ou je rêve, quelquefois bien mal, comme vous savez, souvent mieux. Quand je dis que je dors, je me vante un peu. Depuis quelque temps je dors moins bien. Je rallume mes bougies. Je lis ou je pense. Je n’ai pas deux pensées.

11 heures
Voilà votre Numéro 205. Je viens de faire ce que vous me demandez. Je vous ai raconté mes journées. Elles se ressemblent beaucoup. Les vôtres me chagrinent. Vous savez que je déteste les sentiments combattus. Vous m’y condamnez. J’aime le vide que je fais dans votre vie, et celui que vous souffrez ne désole. Je vous pardonne tous vos reproches. Adieu. J’ai ma toilette à faire, et à déjeuner. Je veux être à la Chambre de bonne heure, M. Douffroy résumera la discussion. Ce ne sera pas brillant, mais sensé et bien dit. Adieu. Adieu. Tout est insuffisant, tout ; et c’est le mal de notre relation qu'elle est vouée à l’insuffisance. Je supporte ce mal avec une peine extrême, et je le retrouve à chaque instant pourtant. Adieu

Auteurs : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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207 Baden le 3 juillet. 2 heures 1839

Je n’ai rien à vous dire que mon impatience de vos lettres, ma mauvaise humeur du mauvais temps.
J’ai écrit aujourd’hui à Matonchewitz et à Frédéric Pahlen, je les presse tous les deux de me dire quelque chose, et je les avertis assez clairement que mes fils pourraient vouloir traîner ; que ce qui n'a aucun inconvénient pour eux, parce que leur fortune est assurée, en a de très grands pour moi qui ne sais pas le premier mot de ce que sera ma fortune, & qui suis obligé de vivre en attendant dans un provisoire très pénible. Je crois avoir fort bien expliqué tout cela. Mais il me semble que je fais toujours des merveilles, et je ne vois rien avancer ; c’est plus qu’ennuyeux.

Jeudi 4 à 8 heures
Votre n°204 m’a donné de la joie personne n’a jamais su comme vous redire toujours la même chose sous une forme toujours nouvelle. Et il y a des lignes charmantes dans votre lettre, des paroles si pénétrantes, si douces. Je vous remercie de toute la lettre, et je vous remercie de toutes les lettres que vous me promettez et que je mérite pas le plaisir qu’elles me font, et par ma reconnaissance qui sait être si vive ! Il fait toujours froid, toujours laid. J'en marche davantage, mais je n’engraisse pas. Je me baigne. J’ai quelque idée que les bains ne me conviennent pas. Mais on n'ose pas avoir d'avis avec les médecins aussi absolus que le mien. Cependant si d'ici à huit jours je ne vais pas mieux. Je crois que je romprai avec le Médecin. Qu’est-ce que veut dire un mois de régime qui n’aboutit à rien ? Je me couche à 9 heures, je me lève à 6. Je dors mieux que je ne dormais à Paris dans les dernier temps, voilà ce que j'ai gagné, mais de l’embonpoint non. Et le médecin qui ne saura pas me procurer cela sera un sot.

Le journal de Francfort renferme des commentaires sur le rapport de M. Jouffroy qui sont très bien et très vrais. Lisez cela parce que cela vient de source. Je suis même un peu surprise que nous ayons là quelqu'un d’aussi bien renseigné. Il faut qu’on ait muni à tout événement notre ministre de documents étrangers aux affaires qu'il a à traiter à la Diète. Le grand duc doit être arrivé hier à Petersbourg. Cela pourrait faire époque pour moi si je n’étais payée pour ne plus croire à rien. Ce pauvre grand Duc a éprouvé bien des pertes à Rome. Son chirurgien y est mort très peu de temps avant mon mari. Plus tard son valet de Chambre de confiance qui ne l'avait jamais quitté depuis son enfance. Et tout à l’heure son jeune camarade le comte Wulhomsky élevé avec lui et avec lequel il était entièrement lié. Tout cela mort à Rome. Ce jeune homme était tombé malade pendant que le grand Duc y était encore et n’avait plus été en état de le suivre.

5 heures.
Voici votre petit mot 205. Je ne savais pas que vous attendrez mes lettres comme moi j'attends les vôtres. Puisque vous le voulez vous les aurez tous les jours, mais quelles tristes lettres que les miennes ! Si j’allais vous ennuyer ! Car enfin je ne vous parle que de moi, Et si c'était moi florissante avec des bras, à la bonne heure. Mais moi comme vous m'avez vue ! Ah mon Dieu ! Vous me rendrez bien curieuse de la discussion sur l'Orient. Adieu. Adieu mille fois adieu, From the bottom of my heart.
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