Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 8 Oct. 1851

Avez-vous remarqué, il y a deux jours dans les Débats un article de John Lemoinne sur Pacifico et Lord Palmerston ? La moquerie était bonne et poignante. Il est vrai qu’il y avait de quoi. Les Anglais seuls ont le talent d’être à la fois puissants et ridicules. Malgré ses éloges pour notre ami, je ne goûte pas beaucoup le discours, de Sir James Graham à Aberdeen. Vide et mou. Des promesses de concessions cachées sous un manteau de conservateur. C'est de là que viennent mes véritables craintes pour l'Angleterre.
Et le manifeste de Kossuth ? Rien ne pouvait donner plus raison à l’interdiction dont il a été l'objet. Un des trois hommes de sens qui, dans le Common Council de la cité, ont voté contre l’accueil solennel préparé pour Kossuth à Londres, devrait demander quand il y arrivera, la lecture publique de cette sotte déclaration. J’ai peine à croire que le bon sens Anglais n'en fût pas choqué.
Ma feuille jaune raconte tous les embarras de Changarnier à propos de son messager de l’Assemblée. Je les comprends. Le général approche du pied du mur. Plus j'y regarde, plus je me persuade que sa candidature n’a point de chances. Il aurait fallu, pour la préparer, une tout autre conduite que celle qu’il a tenue et qu’il tient encore.
Vous voyez que, moi aussi, je n’ai rien à vous dire. Je reçois beaucoup de visites locales. On vient me parler des élections. La préoccupation sérieuse commence. Elle ira vite quand les débats de l'assemblée auront recommencé. Je me tiens parfaitement tranquille. Je ne vais nulle part. Guillaume le conquérant seul aura le pouvoir de me faire faire une course dans mes environs. Je ne sais si j’aurai encore, dans ma vie, quelque chose de considérable à faire ; ce que je sais bien c’est qu’il faudra que la circonstance vienne me chercher chez moi.

10 heures
Voilà deux visiteurs qui m’arrivent de Caen, avant le facteur. Je vous dis adieu en hâte. Je ne fermerai pourtant ma lettre qu'après l’arrivée de la poste. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 5 Oct. 1851

Changarnier voudrait bien vous enrôler dans sa candidature. Je ne sais ce qui sera utile, et possible dans les derniers moments. Quant à présent tenez pour certain qu’il n'y a dans le grand public, que trois candidatures sérieuses. Louis Napoléon, de Prince de Joinville, et Ledru Rollin, les trois inconstitutionnelles. Tant la France respecte la Constitution ! Toute tentative pour produire en ce moment une autre candidature la perdrait. Il en arriverait ce qui est arrivé de celle du Prince de Joinville qui a infiniment plus perdu que gagné à être mise en avant si longtemps d'avance. Il y a des forces et des chances qu’il faut réserver, comme ressource de la dernière heure. Je ne sais si Changarnier sera, une de ces chances là. Cela se peut. Et cela ne se pourra plus s'il est mis en scène et ballottée dès à présent.
Plus je vis, plus je prends en mépris l'impatience ; c’est la mère des trois quarts des sottises. Que sert aussi à Changarnier, de faire un tel étalage de son humeur contre Berryer, Falloux, Molé, et même moi qui suis ici dans mon coin ? Pourquoi nous fait-il attaquer tous les jours dans son journal, le Messager de l'Assemblée ? Que ne ménage-t-il Berryer comme il ménage Thiers qu'il semblerait ne pas devoir ménager du tout puisqu'il soutient que, lui Changarnier, n'est-pas du tout Orléaniste, et puisque Thiers, est bien plus encore que Berryer opposé à sa candidature ? Il ne faut pas être si agressif d'un côté et si timide de l'autre. Il ne faut pas surtout, quand on aspire à un grand résultat, se mettre mal patiemment avec les grands chefs, des grands partis pour n'être bien qu'avec les chefs des coteries dissidentes, comme M. Nettement ou tels autres, qui font beaucoup de bruit dans les journaux de peu d'abonnés ou dans les couloirs de l’Assemblée où l'on ne fait rien que bavarder, mais qui n’exercent en définitive aucune action réelle, ni sur les dispositions, des masses, ni sur les votes législatifs.
Je ne peux pas répéter les mêmes mots ; tout cela, c'est de l'impatience, de la boutade ; ce n'est pas de la politique. Changarnier peut avoir des chances éventuelles et qui, à un moment donné, peuvent devenir grandes ; et les galavaude, et les perd en voulant les fixer et les proclamer dès aujourd’hui. Il commet la même faute qu’il reproche à ceux qui lui demandent de se déclarer ouvertement et sur le champ pour Henri V. On sert aussi mal l'avenir de Changarnier, en disant aujourd’hui : " Changarnier est mon président. " qu’il servirait mal, lui-même l'avenir de Henri V en disant : " Henri V est mon roi. "
La correspondance de Lord Londonberry avec le Président sur Abdel Kader est fabuleuse d'impertinence et de niaiserie. Et c’est pour un chef d’Etat, une situation pitoyable que de se croire obligé d'y répondre si sérieusement. On sent là dessous les ménagements pour le grand salon de Park-Lane, dans le passé et peut-être aussi dans l'avenir. Toute cette affaire est parfaitement simple ; le général Lamoricière a fait une convention avec Abdel Kader ; M. le duc d’Aumale l’a ratifiée. Ils étaient bien les maîtres d'accepter ce qu'Abdel Kader leur proposait et de lui donner leur parole ; mais ils n'avaient nul droit d’engager la parole et la conduite du gouvernement. J’ai refusé de ratifier la parole de M. le Duc d'Aumale et du général Lamoricière. C’était mon droit, et j'ai dit dés lors et je maintiens aujourd’hui, que j'ai bien fait d'en user comme j'en ai usé. Que M. le Duc d’Aumale et le général Lamoricière usent le droit de se plaindre et de donner leur démission. Je le reconnais. Leur démission eût été pour moi un embarras ; mais je l’aurais certainement acceptée plutôt que de relâcher Abdel Kader. Je ne sais pas ce qu’ils ont écrit ; mais si lord Londonderry publie leurs lettres, ils n'ont qu'une chose à faire c’est de reporter sur moi la responsabilité du refus de ratification de la parole qu’ils avaient donnée. Ils seront dans la vérité des principes et des faits. Il leur restera, j'en conviens, l'embarras de n'avoir pas donné leur démission. Est-il vrai, comme le dit le Messager de l'Assemblée, que Lord Palmerston lui-même ait écrit au président pour Abdel Kader ? Je ne puis le croire tant ce serait inconvenant. Je suppose que le messager se sera mépris et aura attribué à Lord Palmerston une des lettres du marquis de Londonderry.

10 heures et demie
Je suis bien aise que les légitimistes soient si décidés. Ils ont raison, comme honneur et comme succès. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Samedi 4 Oct. 1851

C'est moi qui me suis trompé en lisant. Au fond, c'est bien Times que vous aviez écrit ; mais cela ressemblait à Thiers ; et il y avait auparavant de au lieu de du. C'est ce qui m’a trompé.
Je crois assez à la phrase rectifiée selon le dire de Fould : " Si l’Assemblée veut décider la révision à la simple majorité des voix, je la soutiendrai. "
C'est irréprochable en effet et conforme à la faiblesse d’un temps où chacun veut surtout rejeter la responsabilité sur son voisin. S’il y a eu, si l’Assemblée ne fera pas plus que le président et on ira aux élections comme on est. Je vois dans mon journal jaune que Lamoricière va aller à Claremont. Ce serait curieux et bien caractéristique. J’y vois aussi qu'on s'attend, dans le débat de la proposition Creton, a un grand discours de Thiers sur potentiellement la candidature du Prince de Joinville. S’il la pose en effet ainsi, ce sera mardi, peut-être utile, peut-être nuisible au succès ; je ne sais pas apprécier d'avance cette impression. S'il ne la pose par ouvertement et s'il élude la question ce sera bien petit, et un symptôme de faiblesse qui affaiblira les chances. La situation est embarrassante. pour lui.
Je suis préoccupé de la nouvelle réforme électorale en Angleterre. Il me semble que les radicaux préparent, à l'appui, un mouvement populaire assez vif. On commence à attaquer la Chambre des Lords ; on parle de l'élire elle-même, par une élection à deux degrés. Je ne crains pas grand chose de ces attaques ; mais je crains beaucoup de la non-résistance. Je trouve que le parti conservateur s'abandonne bien lui-même. Je suis convaincu que ralliée et soutenue par ses Chefs, la nation Anglaise est du bon côté et s'y porterait énergiquement. Mais si, parmi ses chefs, les uns ne la soutiennent pas pendant que les autres la livrent, tout mal est possible.
On a raison de refuser a Kossuth la traversée de la France. Cela ne lui est bon à rien, à lui, et est mauvais pour nous. Je (vous demande pardon, je m'aperçois que j’ai écrit sur une des feuille coupé); je voudrais qu’on supprimât absolument envers ces hommes-là, les rigueurs inutiles et les complaisances molles ; elles nuisent presque également. Je croyais que Kossuth se rendait en Amérique. Je vois que c'est en Angleterre qu’il va s'établir. Le trio sera complet.
Quel scandale que cette forteresse inviolable où non seulement tous les grands Jacobins se retirent mais d'où ils bombardent leurs patries ! Dans les temps barbares, les Églises avaient le droit d'asile ; mais elles ne permettaient pas aux meurtriers qui s'y réfugieront de tuer encore de là les passants. Le droit d'asile emporte l'obligation de mettre celui qui en profite dans l'impuissance de nuire. Je ne sais pas bien ce que les Gouvernements du continent peuvent faire pour faire sentir à l'Angleterre, l’indignité de sa tolérance ; mais il faudra qu’ils finissent par faire quelque chose.

Onze heures
Quelle curieuse conversation ! ou monologue ! Mais que faire d’un orgueil si échauffé ? A demain les réflexions. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 2 octobre

Je me suis trompé en écrivant ou vous en lisant. Je parlais de la lettre du Times dans le temps & vous avez lu Thiers. Je veux ajouter à ce que j'aurais pu vous dire hier ceci. Fould en me parlant de la proposition Creton & de ses chances me dit : moi-même si je ne servais pas ce gouverne ment ci, je me croirais obligé de voter pour la proposition. Et puis Thiers avait dit à Marion en parlant du Président : " Changarnier a eu tous les torts dans la rupture. " Dumon se dit malade. Le soir, il vient chez moi le matin. Il est vrai qu'il a mauvais visage. Il a rectifié le dire de Fould en ce sens. - Si l'Assemblée veut décider la révision à la majorité des voix, je la soutiendrai. - Cela change beaucoup le sens, & rend la phrase irréprochable. vous savez que je parle de messages présumés. Tous les jours les perplexités augmentent c.a.d. dans l’opinion des bavards irresponsables & ignorants.
J'ai vu hier la duchesse Decases. Elle croit que le Président perd. Il me semble qu’elle le désire, le corps diplomatique devient tous les jours plus ardent pour le succès du Président. L'article de Véron ce matin me paraît fort bon. J'avais hier soir Viel Castel, Stratford Canning est très embarrassé. Il avait donné au sujet du chemin de fer à la Porte des assurances que la conduite du Conseil anglais à Alexandrie a démenti. Ce sera un démêlé entre Palmerston & Canning. On refuse à Kossuth de traverser la France et on trouve fort mauvais qu'on lui ait permis de mettre pied à terre à Marseille Adieu voilà tout je crois. Adieu

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 29 Sept. 1851

La réponse du gouvernement Napolitain à Gladstone a un grand mérite ; c'est d'être envers lui non seulement polie et mesurée, mais juste et vraie. Elle le voit tel qu'il est réellement. Cela importait beaucoup pour l'effet en Angleterre, où Gladstone est honoré avant la réponse napolitaine, la présomption dans les esprits en Angleterre, était certainement pour lui ; après la réponse, elle sera probablement contre lui ; il est clair que le gouvernement napolitain le juge lui-même, avec beaucoup plus de sang froid et d’équité qu’il n’a jugé le gouvernement napolitain.
La Préface est donc bonne. L'ouvrage est trop long, trop chargé de phrases, de développements moraux ou presque oratoires ; j’y voudrais plus de faits, des faits plus serrés et plus précis. Il y en a quelques uns qui sont positifs et concluants, comme le nombre des prisonniers politiques, le nombre des accusés dans le dernier grand procès, la suppression des cachots souterrains & & & Je regrette qu’il n’y en ait pas davantage. Il fallait prendre simplement, textuellement, toutes les assertions de Gladstone, et mettre en regard la dénégation, ou la rectification et même quelquefois, s'il y avait eu lieu, l'admission de la réalité de tel ou tel abus, comme il y en a dans les gouvernements les plus doux et les plus attentifs. C’était, je crois, le plus sûr moyen de faire effet. Du reste, je n'ai encore lu que la première partie de la réponse, dans les Dodah, et à tout prendre, elle est bonne.
Le discours aussi de Palmerston est bon ; bon pour lui et habile, comme vous dites ; très mauvais pour le continent. C'est plus que de la malice simple, c’est de la malice perfide. Il tourne à la gloire de l'Angleterre les troubles du continent, passe ; mais il fait servir le bon état de l'Angleterre à fomenter les troubles du Continent, car il à l’air d'attribuer ces troubles à l'absence des libertés politiques, c’est-à-dire à l’entêtement ou aux fautes des gouvernements, et pas du tout aux jolies ou aux crimes des révolutions. C’est précisément ce qu’il y a de plus propre à encourager les révolutionnaires et à affaiblir les gouvernements. Je doute que Palmerston lui-même se rende bien compte du mauvais effet de ses paroles et les dise avec toute la mauvaise intention qu'elles semblent contenir ; mais des mauvais instincts lui suffisent et il répand son venin, sans dessein arrêté et réfléchi d'empoisonner.
Montebello a très bien fait de dire à Léon Faucher ce qu’il lui a dit sur le mot d’ordre que le gouvernement devait donner dans les élections, et il faut faire arriver cette idée de tous côtés. Non seulement elle est très bonne pour le succès électoral ; mais elle efface les anciennes classifications, les anciennes dénominations des partis, et en introduit de nouvelles qui laisseront aux hommes sensés beaucoup plus de liberté et les aideront à chasser de l'esprit des masses les anciennes préventions.

11 heures
Vous avez raison sur Gladstone. C'est bien dommage que des gens d’esprit et d’honnêtes gens soient ainsi des sots. Adieu, adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris dimanche 28 septembre 1851

J'ai vu Granville, plus questionneur que discoureur. Montebello qui avait reçu de M. Moulien une mauvaise lettre, mauvaise sur la fusion. Le Prince Paul très sourd, très malade, très anti Joinville. L'unanimité sur ce point est remarquable. Si on savait cela à Claremont il est impossible que cela ne fasse pas d’effet. J’ai vu les Delessert aussi. Madame, très vive dans le même sens. Tout le monde en critique sévère de Thiers. Pas de nouvelle de la journée. On est tranquille et on le restera probablement pendant le mois d’octobre.
Montebello part après demain pour Brest où il établit son fils dans la marine. De là il ira probablement rejoindre sa femme à Tours. On s'y transporte. Beauséjour n'a pas réussi. Je n’ai pas vu Dumon depuis jeudi. Il part le 10 octobre pour sa province. Adieu. Adieu.
Voici la lettre de Gladstone. Je l'ai relue. C'est un sot.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris samedi le 27 septembre 1851

Dites je vous en prie à votre fille ma vive & sincère sympathie, pour sa douleur. Un semblable malheur m’a frappé à son âge. Quand je me reporte à cette époque de ma vie je ne puis m'empêcher d'un grand remord de n'en avoir pas éprouvé un assez long chagrin. Que de fois depuis j’ai demandé à Dieu une fille, j’ai pleuré cette fille. Pauvre enfant, heureux enfant sans doute. Henriette a plus que je n’avais alors ces sentiments religieux qui font supporter avec douceur les volontés de Dieu, les peines qu'il vous envoie. Elle a plus que moi aussi la réflexion. Marion me prie de vous dire et à votre fille sa plus tendre sympathie. Elle est vraiment touchée de votre affliction.
J’ai vu hier apparaître Bulwer vraiment comme un ghost. Quelle mine ! Il passera sans doute l'hiver à Paris. Les Ministres lui ont fait mille éloges flatteurs, mais Palmerston a été froid. Il demande un autre poste. On ne le lui promet pas. Il ne veut pas retourner en Amérique, & comme je doute qu'on s'emploie en Europe, je suppose qu’il demandera sa pension de retraite. Pacha est venu aussi, on débarquait. Il est nouveau à Pétersbourg & va s’y rendre. Il a voulu tout de suite démentir le bruit qui avait couru qu’il était chargé de négocier un mariage pour le Président, il dit qu'il n'y a pas un mot de vrai. Il parle tristement de son pays. Les septembristes vont tout à l’heure être les maîtres. L'armée est complètement indisciplinée, perdue.
Fould est venu le soir, il y avait du monde nous n’avons pas pu causer. Son dire général est toujours une grande confiance dans le succès & assez de mépris pour tout autre concurrent. Montebello est revenu de Chalons disant que dans la Marne le mouvement napoléonien est irrésistible, unanime. Grande défaveur pour Joinville. Il a causé très longuement avec Léon Faucher, sur les élections d’abord, il lui a dit que le mot d’ordre du [gouvernement] devrait être de voter pour les 446 qui ont formé la majorité pour la révision, & ne pas s’inquiéter de tel ou tel parti. Ceci serait le mot de ralliement. Léon Faucher a gouté cela. On a parlé ensuite de la prorogation. & Léon Faucher a dit que le Président ne l’accepterait certainement pas des mains de l’Assemblée seule, qu’il lui fallait le suffrage du pays. Je trouve qu'il a raison.
Palmerston a fait un bon discours, et habile ; avec de la malice pour n’en pas perdre l'habitude. Comment trouvez-vous la réponse du [gouvernement] napolitain à Gladstone ? Je n’ai pas lu encore. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 24 septembre 1851

Hier matin F. Byng. le duc de Noailles. G. Delessert, celui-ci bien triste, bien affecté. Très contre Joinville. Byng ditto. Du reste sur les affaires anglaises un peu de l’avis de la personne à qui il parle. Le duc de Noailles de fort mauvaise humeur, cela est plus saillant que la tristesse. Il venait causer avec le duc de Lévis qui part aujourd’hui pour Frohsdorf comme Molé, Noailles est pour le coup d’Etat. C’est superbe et facile à l’entendre parler. Seulement... Il faut que le Président le fasse seul, personne n’en veut partager la responsabilité. C’est commode. Il ne faut pas dire après cela que c'est le Président qui manque de courage. Les Légitimistes voteront tous contre la [proposition] Créton, mais après si elle est rejetée il leur sera difficile de ne pas voter les lois pénales, ils les voteront donc sous condition expresse qu’elles s'appliquent à Joinville. Le duc Rollin, tous les candidats inconstitutionnels. Voilà donc tout le monde écarté. Alors quoi ? Changarnier. Et Changarnier pour qui est-il ? Tout cela est de la pitoyable conduite. Dumon me disait hier soir que Paul de Ségur arrive de Claremont. La Candidature semble décidée. Le duc d’Aumale est de cet avis. Il est allé à Eisenach. M. A. Bertin finira par appuyer Joinville quoique ce ne soit pas tout-à-fait son goût.
Je regrette que vous ayez quitté Broglie. Il me semble que vous y étiez utile. Mes yeux ne vont pas bien. Voilà mon souci actuel. Marion ne revient que demain. Adieu. Adieu.

Dumon est allé passer la journée à Champlatreux. Montebello revient de Chalons demain. J’ai rencontré hier le Président très triste. Il suivait tout pensif le chemin de St Cloud. Il ne manquait rien. Le cheval se conformait à sa triste pensée. Je trouve comme vous l’article sur la vicomtesse trop, & même beaucoup trop. Vitet ne vient jamais. Je lui fais cependant parvenir des agaceries. À propos, j’ai parlé moi-même au concierge de Montalembert. On ne sait pas son adresse. Pas un de ses gens n'est à Paris. Où demander. Je demanderai cependant encore.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris lundi le 22 septembre 1851

J’ai vu assez de monde hier soir, considering le désert. Les deux ministres, mes voisins & le corps diplomatique, & Lord Brougham qui avait déjeuné le matin à Walmart avec le duc de Wellington. Fould est toujours in good spirits. Chasseloup très sensé spirituel. Je n’avais jamais causé avec lui. J’ai trouvé sa manière bonne & le fond très raisonné & bien jugé du nouveau, il n'y en a point. Le Prince de Joinville écrit à beaucoup de marins, & certainement cette correspondance prouve la résolution d'accepter. Fould avait voulu faire un peu clandestinement le voyage ds cristal palace, je crois qu'il y renonce. Les Mouvements de bourse demandent à être surveillés.
Il regrette que vous reveniez si tard. Il est fâché que Molé ne soit pas ici. C'est vrai à la veille d'un si grand événement en revenir que le jour de la bataille, c’est peu prévoyant. Fagel avait vu le Président le matin. Il lui avait paru triste et lui a parlé sur ce ton. Montebello est allé à Châlons pour les commis agricoles. Il ne revient que jeudi. Brougham est en blâme d’Aberdeen comme nous. Mais il n’a pas fait comme nous, il n’a pas osé le lui dire. Ils se sont écrit sans toucher le sujet. Le prince Metternich est reçu triomphalement sur toute sa route dans le midi de l’Allemagne. Bade, Wurtemberg, la plus mauvaise partie. Il arrive aujourd'hui à Vienne. Je ne vois plus Hatzfeld que le matin, il est trop malade pour sortir le soir. Mécontent, triste & un peu noir. Très sensé. Marion ne me reviendra que jeudi. Adieu. Adieu. Comme vous dites-vrai sur Thiers & Ellice !

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie Dimanche 21 Sept 1851

Duchâtel m'écrit : " J'ai déjà causé, avec assez de monde et dans la Charente inférieure et dans la Gironde. Dans le premier de ces départements, on est Bona partiste, dans le second, j'ai trouvé plus de fusionnistes que je ne croyais. Mais dans tous les deux, la candidature Joinville peut produire plus d’ébranlement que je n’avais pensé. Nous ne pouvons, il est vrai, apprécier que les sentiments de la bourgeoisie qui seule parle politique ; mais dans une portion considérable de la bourgeoisie, la première impression est favorable à la candidature du Prince. La réflexion amène une réaction et en montre les inconvénients ; jusque là, l'expédient paraît commode et acceptable. Ce qui est certain c’est que la candidature du Président ne pourrait pas résister à des lois pénales rendues par l'assemblée ; il n’y a pas sur ce point, deux avis ; le dévouement ne va pas jusqu'à vouloir se compromettre avec la police correctionnelle. "
" On m’a beaucoup parlé et ici, et en Saintonge, de candidature pour les prochaines élections. J'ai ajourné toute réponse définitive ; le parti à prendre dépendra des circonstances. Il se formera dans la Gironde un comité fusionniste qui servira de négociateur autre les conservateurs et les légitimistes. Chacun veut réussir et chacun sent que le succès dépend de l’union. Ce sera ici le levier des élections. La position électorale de M. Molé est très compromise dans la Gironde, pour ne pas dire perdue. Cela ne tient pas à la politique, mais au peu de soin qu'on lui reproche d'avoir pris de ses commettants. Les gens de ce pays sont pleins d'amour propre ; ils ont adopté M. Molé sous la Constituante ; ils auraient voulu au moins une visite en retour. " C'est là tout.
La lettre d’Ellice m’a attristé et point surpris. Si l'Angleterre reste entre les mains de ses amis, ils la placeront décidément sur la pente qui mène où nous sommes. Un ancien radical, qui ne l’est plus du tout, M. Austin me disait il y a trois semaines, à Weybridge : " S'il nous arrive une Chambre des Communes radicale, elle bouleversera de grand sang froid, mais de fond en comble, la société anglaise. " Et Lord John, si on le laisse faire, amènera une Chambre des communes radicale. Qui empêchera Lord John ? Je ne vois pas. Si je n’avais pas confiance dans le vieux bon sens, la vieille discipline et la vieille vertu de toute l'Angleterre, je serais très inquiet. Je le suis, malgré, ma confiance.
Quant à nos affaires à nous, Ellice répète Thiers, purement et simplement. Il est plus Thiers qu’Anglais, et il abandonne le Président. Thiers est un révolutionnaire encore en verve qui amuse un révolutionnaire blasé. Au fond de ces deux esprits-là, il y a toujours une grande aversion de toutes les supériorités et de tous les freins. Dès qu’il s’agit de rétablir vraiment l’ordre, ils rentrent dans le camp de la révolution et ils fomentent toutes les passions révolutionnaires, à tout risque. Leur situation est mauvaise car ils ne peuvent pas, quand ils ont fait une révolution rester longtemps les maîtres du gouvernement qu'elle a fait ; et ils sont obligés de recommencer. Mais notre situation à nous n'en est pas meilleure.
Je ne suis pas en disposition gaie. Je ne crains pourtant pas de grands bruits pour cet hiver. Je vous renverrai demain la lettre d'Ellice. Je suis bien aise que Marion vous revienne. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie, Mercredi 17 Sept. 1851

Point de lettre de vous ce matin. Je suis pourtant bien sûr de vous avoir donné exactement cette adresse-ci en vous demandant de m'y écrire à partir d’hier mardi 16. Les déplacements entraînent toujours les ennuis. Il faut attendre à demain. Cela ne me plaît pas du tout.
Je trouve ici un accueil très affectueux, presque plus empressé que de coutume et une disposition bonne, quoiqu'un peu perplexe. Non pas perplexe quant au jugement et au langage ; la désapprobation de la candidature Joinville est ouverte et complète ; mais il y a tristesse d'être obligé de choisir et d’agir effectivement selon son jugement. Il ne croit pas à l'adoption de la proposition Créton. Sur les 300 membres de la réunion des Pyramides, l’Elysée en fera, dit-il, voter contre au moins 200. Non qu’ils soient vraiment Elyséens mais pour soutenir ce qui est et éviter les crises avec ces 200, les légitimistes et la portion de la Montagne qui n’entrera jamais, sur ceci, dans les menées de Thiers, le rejet de la proposition lui paraît plus que probable. Il ne sait rien de Claremont.
Auprès de lui, les auteurs de la candidature Joinville la présentent comme un moyen d'attendre la majorité du comte de Paris. Le Prince de Joinville prêterait effectivement serment et serait président pendant quatre ans. Broglie traite cela de pure chimère ; mais c'est là ce qu’on fait valoir quand on lui en parle.
Pas un mot encore sur les Correspondances du Times. Si le mot ne vient pas de lui même j'irai le chercher. Je ne veux pas des humeurs sous-entendues. Je vois par l’Indépendance Belge que je viens de lire, qu'on continue à exploiter ce thème. Vous savez que cela ne m'a jamais beaucoup touché ; cela me touche moins que jamais depuis le petit article des Débats. Désaveu suffisant, et assez méprisant.
Grande désapprobation ici de Gladstone. Grande crainte de la nouvelle réforme électorale que prépare Lord John. A tout prendre cependant, pas autant de découragement sur toutes choses qu’il en avait il y a quelques mois.
Moi qui désirais surtout aujourd’hui des nouvelles, de votre estomac, je n'en ai d'aucune sorte. C’est très contrariant. Adieu Adieu.
Salvandy m'écrit : " Le Duc de Montpensier m’a écrit il y a quelques jours, son frère étant auprès de lui, quand rien ne le provoquait et il me parle du sentiment avec lequel il m’a suivi, dans toutes mes courses, dans des termes qui doivent vouloir dire, si le Français est du Français, que les deux frères et au moins un sont de notre avis. " Le Français n’est plus du Français. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 14 sept. 1851

Ce que vous me dîtes du petit orage contre les Lettres du Times ne me surprend pas du tout. On veut le but ; mais on ne veut ni prendre la peine, ni courir le risque des moyens. Et dès qu’on découvre dans les moyens quelque imperfection un côté faible, on s'y rue et on s'enfuit par là, pour échapper à toute responsabilité. Les hommes ne sont ni plus conséquents, ni plus braves que cela ; je le sais depuis longtemps. Avant d'aller à Claremont, j'ai dit tout haut à bien des gens ce que j’y voulais dire. Quand je me suis trouvé dans le salon de la Reine, j'ai dit en grande partie, tout haut ce que j’avais dit que j’y dirais. Après en être sorti, j'ai redit tout haut, à bien des gens, ce que j'y avais dit. Quoi d'étonnant que tout cela se retrouve dans les lettres du correspondant du Times ? Je ne réponds pas des erreurs des confusions et des inconvenances qui s’y trouvent mêlées, et je ne regrette pas la publicité que reçoit ainsi ce qu’il y a de vrai, car je l'ai voulue. Pour mon propre honneur et pour le succès de la bonne cause qui a besoin qu'on fasse échouer la mauvaise. Voilà mon langage. Je n'en sortirai pas.
Je m'étonne aussi que le Duc de Noailles ne soit pas venu vous voir. On a raison de faire venir M. de Falloux. Soit dans l’intérieur du parti, soit dans ses relations extérieures, on ne peut pas se passer de lui. C’est bien dommage qu’il soit d’une si mauvaise santé.
Autre étonnement, c’est le gouvernement anglais donnant raison aux Américains à propos de Cuba. Valdegamas en est-il bien sûr ? La lettre d'Isturitz au Times m’a tout l’air au contraire d'être concertée avec Lord Palmerston. Si Valdegamas a raison, c’est certainement une grande hypocrisie et une grande platitude de Palmerston envers les Américains. Il ne veut pas contrarier là, le sentiment populaire et il n'agira en faveur de l’Espagne, que sous main. Les Etats-Unis sont une bien grande Puissance
Il faut que la garçonnade soit bien inhérente aux Français, car tous les partis en France, grands ou petits ont leur Gascon, qui même est quelquefois leur héros. M. de La Rochejaquelein est certainement le premier de tous. On me dit ici que sa réélection comme député, dans son département du Morbihan, n'est pas du tout certaine. Je serais bien surpris si, pour être président, il avait dans toute la France, 50,000 voix. Je ne sais rien d'une entrevue de Morny avec Mallac. Je n’y crois pas.

11 heures
Je suis charmé que vous ayez un peu mieux dormi. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris vendredi le 12 septembre 1851

Saint-Aulaire est venu hier & Vitet & Montebello, voilà pour la matinée. Le soir je n’ai vu qu’Antonini tout seul. J’expédie d'abord celui-ci. Valdegamas avait dîné chez lui se louant extrêmement du gouvernement français qui met la flotte des Antilles aux ordres des gouverneurs de Cuba. Tandis que le gouvernement Anglais donne raison aux américains. Morny aurait eu une entrevue avec Mallat. Est-ce vrai ?
Ce que je sais c’est que Morny est à la chasse. Vitet était bien sombre. Si on ne convient de rien avant l'Assemblée, la gauche proposera les loix pénales contre les votes illégaux & il sera bien difficile de s'opposer. Changarnier pousser à ce vote tant qu’il peut. Comment entre l'Elysée & les légitimistes n’'y a t il pas quelque rapprochement ? Si cela était, tout pourrait aller. Je suis étonnée que le duc de Noailles ne soit pas venu me voir hier. Il passait la matinée en ville. J'ai oublié de vous dire qu'on a envoyé chercher Falloux. C'est Berryer qui me l’a dit. Montebello serait bien d'avis qu'on s’arrangeât avec le président. Saint-Aulaire croit savoir que le duc de Broglie est en grave blâme des lettres dans le Times. C'est un peu l’opinion de tout le monde. Barante dit que son département est très Joinvilliste.
Vous avez là tous les commérages que je sais. Marion a dîné hier chez Salomon Rothschild en famille avec Changarnier. Mad. (James] seule manquait elle est à [Ferrières]. Changarnier folâtre et disant à Marion qu’elle avait eu tort de nous quitter avant hier. Il n'a de secret pour personne. Sa politique est la plus nette dégagée de tout image. Il est monarchien, & veut un Roi. Il n’a pas dit lequel. Le ton de la maison était hostile à l’Elysée. La Rochejaquelein disait hier à Montebello que sa candidature, qu'il avait traité lui-même de plaisanterie devenait très sérieuse, & qu'il avait déjà au-delà de 600 m. voix ! Le duc de Lévis parle très mal de tout projet de rapprochement avec l’Elysée. Marion a vu hier matin M. Royer, très animé et se moquant beaucoup de Changarnier.
Mes nuits continuent à être mauvaises. Je n'ai pas à me plaindre d’autre chose. C'est bien assez. Le Prince Metternich trouve comme moi la lettre d'Aberdeen pitoyable. Marion est convaincu que Gladstone et peut-être même notre ami n'ont pas été fâché de se réhabiliter auprès des libéraux et de reprendre un peu de la popularité que leur avait fait perdre leur vote sur le bill Catholique. Elle pourrait bien avoir raison. Ma lettre est une vraie mosaïque on m’interrompt. Joaillier & tapissier. Je suis embarquée pour ma chambre à coucher. Il faut aller. Mais j’arrête pour les autres. On m’interrompt. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 7 sept. 1851

Aberdeen et Gladstone ont fait chacun une faute peu anglaise. Evidemment Gladstone devait attendre pour publier, la réponse du Prince de Schwartzemberg puisqu'il l’avait provoquée ; et quand Aberdeen a vu que Gladstone voulait publier sans attendre, il devait lui refuser absolument l’usage de son nom. Gladstone a eu, pour lui-même, une impatience d'enfant, et Aberdeen a eu pour Gladstone une faiblesse d’amant. C’est très fâcheux, car évidemment aussi, si Gladstone avait attendu quelques jours de plus, la lettre de Schwartzemberg lui aurait donné, un commencement de satisfaction ; il n'aurait pas publié ses lettres ; Schwartzemberg aurait fait à Naples quelque démarche et obtenu quelques adoucissements. Il y aurait eu un peu de bien et point de bruit ; il y a beaucoup de bruit et point de bien. Je leur dirai quelque chose de cela à tous les deux. J’ai là deux excellents amis dont l’un n'a pas un jugement bien sûr, ni l’autre un caractère bien fort. Du reste la lettre d'Aberdeen m’a fait plaisir en ce sens qu'elle m'a prouvé qu’il avait sérieusement agi pour empêcher la publication, et que le Prince de Schwartzenberg l'avait sérieusement écouté. C'est bien dommage que la chose ait mal tourné ; Aberdeen y perdra de son crédit à Vienne et Schwarzenberg de sa bonne disposition.
Vous avez certainement répondu à Beauvale que le récit du Times était vrai. Il y a bien des méprises et des omissions ; mais peu importe l'effet est produit. Et à en juger par l'effet produit à Paris et sur les journaux, je ne serais pas étonné qu'à Claremont, il y eût aussi quelque effet par réaction, et que nous vissions faire là un mouvement de retraite analogue à celui des Débats. Celui-ci est excellent ; je connais les personnes ; elles hésiteront et tarderont beaucoup à se rengager si même elles se rengagent, ce dont je doute. Je craignais qu’il n’y ait là plus de parti pris d'Orléaniste, et plus de pique de journaliste. Pourvu que le Constitutionnel et autres ne les taquinent pas trop sur leur retraite. Beauvale est plus puritain que je ne croyais. C'eût été, de la part du Roi Louis Philippe, une vertue sublime de ne pas se tenir en mesure de profiter des fautes prévoyables de la branche aînée, et d'en accepter au contraire la solidarité, ainsi que celle de ses destinées. Car il n’y avait pas de milieu pour lui ; il fallait ou se distinguer nettement afin de pouvoir rester en France après les ordonnances de Juillet, ou se confondre absolument avec Charles X et émigrer de nouveau avec lui. L’alternative était dure ; et des Anglais qui trouvent très bon que Guillaume 3 se soit tenu si à part du Roi Jacques son beau-père et ait fini par le chasser lui-même n'ont pas le droit d'être si exigeants envers le roi Louis-Philippe. Ceci soit dit sans rien retrancher de ce que je pense et viens de dire à Claremont sur la conduite actuelle.
Je remercie Marion, après vous des deux copies. J'ai aussi de loin mes petits profits dans son séjour auprès de vous. Le langage de Changarnier à la Commission de permanence sur les réfugiés de Londres et le gouvernement anglais m'a frappé. Ce n'était pas à lui à mettre des bâtons, dans ces roues là, que les bâtons soient légitimes au non. [...]

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Vendredi le 5 Septembre 1851

Voici Aberdeen. Vous me dites très vrai sur les Débats. Aujourd’hui ce journal est en retraite. Je vous enverrai copie de ce que me dit Beauvale sur Claremont. Le voici ; Marion est expéditive. Comme vous avez bien fait de parler à Claremont. Je suis charmée que les Débats aussi répètent la conversation. Les arrestations font assez d’effet. Il me semble avoir compris que la commission incitait le [gouvernement] à faire des démarches auprès du [gouvernement] anglais.
J’ai vu hier soir des Napolitains. Le [Prince] San Giacomo entre autres ami de mon fils Alexandre. Il arrive de Vienne. Schwarzenberg lui a dit : " Il nous restait une espérance. Un ministre conservateur en Angleterre. C’est fini, L. Aberdeen même fraie avec la Révolution. " Il est impossible de se conduire plus pitoyablement. que ne l'a fait notre ami. Dites-moi que vous lui avez écrit et dit des vérités, de mon côté ce n’est pas fini. Je lui en dirai de bonnes sur sa lettre. What en apology ! Je ne sais vraiment rien. J'ai vu hier Montebello, le soir des diplomates, ils ne savent pas grand chose. J'ai mal dormi, je ne retrouve pas mon équilibre. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Londres, Mardi 26 Août 1851
Une heure

Je trouve en rentrant votre lettre de Griberich. Merci de me l'avoir adressée directement ici. Je vous dirai pourquoi tenant à avoir vos lettres, comme vous dites avec un si, j’avais cru mieux faire en ne changeant rien. C’est trop long à écrire. Je reviens de l’office. Bien petite église bien pleine. Rien que des Français ; cinq ou six anglais seulement. Deux Princesses étrangères la Princesse Bayration et la Princesse Grasalcovitch.
De mon bord Duchâtel, Dumon, Montebello, Vitet, Tryel, Montalivet, Jayr. Il ne manquait que Salvandy qui n’est pas venu, à dessein, dit-on ; en quoi il a eu tort ; Hébert qui est malade et Canin Gridaine.
Du bord régentiste, Rémusat, Lasteyrie et Ségur. Personne n'a entendu parler de Piscatory ; je ne sais ce qu’il devient. Beaucoup d'autres bons, venus exprès, d'Haubersaert, Ch de la Ferronays, Hippolyte de la Rochefoucauld, Bussion. Les vrais amis nombreux ; les flatteurs rares. Ce qui n'empêche pas les flatteurs d'être les favoris. Dans la tribune réservée, la Reine, la Duchesse d'Orléans, la Duchesse de Nemours, la Princesse de Joinville, le duc de Nemours, le Prince de Joinville, le comte de Paris, le Duc de Chartres, le comte d’Eu et le duc d'Alençon. Point de pompe ; le curé de la chapelle ; l’office des morts complet, grave et simple. L'auditoire recueilli très convenable. Assez de curieux autour, très convenables aussi.
J’irai demain à Claremont. Ce qu'on m’en dit ressemble fort à ce que j'en attends. Triste mélange d'impatience et d'impuissance. Grande ardeur à revenir ; grande terreur d'avoir un avis et de prendre un parti. Et en attendant on prend celui de se laisser faire par ceux qu’on croit le plus capables de nuire. Ils ont perdu le père par leur opposition ; ils perdront les fils par leurs services. J’y vais demain dans l'unique intention de dire mon avis sans y demander de réponse. Il y a, je crois une conduite à tenir, qui n’est pas prompte, mais qui doit être efficace. Reste à savoir si en France, on saura la tenir.
J’ai entrevu Jarnac en sortant de l'église. Il viendra me voir ce soir, et nous causerons. Il est toujours très bon et très décidé.
Ce que vous me dîtes de vous me déplait beaucoup. J'y regarderai, j’espère le 29. Je compte partir, d'ici après-demain jeudi soir. Quand j’aurai fait ma visite à Claremont et donné une matinée à l’exposition, je serai quitte. Le très peu de personnes que j'ai vues me prouvent que les lettres de Gladstone ont fait ici beaucoup d'effet, et de mal. On vient de me les envoyer. Je ne veux écrire à Lord Aberdeen qu'après les avoir lues. Adieu. Adieu, Duchâtel et d'Haubersaert repartent ce soir. Dumon, demain soir. Montalivet avec moi, après-demain. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Vendredi 22 Août 1851

Je puis répondre à votre question de poste. Vous êtes arriérée d'un jour parce qu'on a retenu ma lettre 24 heures à Francfort pour la lire et la copier à son aise. Précisément celle-là contenait, sur ce que j’avais vu à Paris, quelques détails qui pouvaient intéresser. On n’est, en Allemagne ni expéditif, ni soigneux de voiler ce qu’on fait.
Ma course en Angleterre ne me plait pas. Je n'ai personne à y voir qui me plaise. C’est un devoir que j'accomplis. On m'écrit que la Reine ne recevra personne le 25, la veille, je m’y attendais, personne non plus le lendemain le 27. Je ne pourrai donc la voir que le 28. Je compte bien m’arranger en tous cas, pour repartir le 29. Je saurai d’ici là le jour précis de votre retour à Paris.
C’est vraiment bien dommage qu'Ems ne vous ait pas aussi bien réussi, cette année que l’an dernier. Je me répète encore que peut-être le bien viendra plus tard.
Je vois que l’amiral Parker est arrivé devant Tunis avec son escadre et a signifié au Bey qu’il eût à publier la Hatti-Schériff du Sultan qui règle les relations avec la Porte. C'est précisément là ce que notre flotte est allée empêcher quatre fois de mon temps. Ce n'était pas parfaitement correct ; mais on verra quels embarras renaîtront en Algérie, quand la Porte aura repris l'ascendant à Tunis. J'ai reçu hier une nouvelle lettre d'Alexandrie, trés longue sur les progrès du travail anglais en Egypte. S'il continue sans plus d'obstacle, l'Angleterre sera bientôt établie solidement en Egypte. Lord Palmerston a raison de souhaiter ce maintien pur et simple de ce qui existe aujourd’hui.
Mon pauvre ami Rossi a enfin son monument dans l’Eglise de San Lorenzo. Voici un petit rapprochement assez frappant. C’est Tenerani qui a fait ce monument de Rossi. J’ai une lettre de Rossi qui me demandait que Tenerani près de venir à Paris, fit mon buste. Je vous quitte pour faire ma toilette.

Onze heures
Il me revient, par une source pas très élevée, mais trés rapprochée, qu'on parle assez légèrement, autour de Madame la Duchesse d'Orléans de la candidature du Prince de Joinville. On ne croit pas au succès ; mais on se dit qu'il enlèvera, un million de voix, au Président qui ne sera pas nommé d'emblée et qui ne le sera pas non plus alors, par l'Assemblée. On joue toujours au hasard et pour amener une crise. La Duchesse d'Orléans ira, dit-on, en Allemagne, presque aussitôt après l'anniversaire.
Décidément donc vous serez à Paris le 28 ou le 29 au plus tard. Je hâterai mon départ de Londres, en dépit des amis, car il y a toujours des amis. Granville a certainement eu tort de ne faire visite à aucun Ministre. Quoi, pas même à M. Baroche, ni au Ministre du commerce avec qui il avait été en rapport à Londres ? C'est singulier. Adieu, Adieu.
Je voudrais bien que Paris vous guérit d'Ems. Adieu. Vous ai-je dit qu'à Londres, je serais chez Grillon ? Je crois que oui. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Mercredi 20 août 1851

Vous n'aurez ce matin que quelques lignes. Je suis pris d'une violente, migraine. Je viens de me promener trois quarts d'heure dans le jardin pour voir si le grand air la dissiperait ; mais l’air, qui est pourtant charmant, n’y fait œuvre. Je crois que je vais m'étendre sur mon lit. Il n’en sera plus question ce soir. Elles étaient bien plus fréquentes autrefois. Avec beaucoup de plaisirs l’âge emporte aussi quelques ennuis.
Vous ne lisez pas l’Univers ; il conterait ces jours-ci une lettre à Gladstone, très médiocre d’esprit et de forme, mais qui lui donnait, sur quelques uns des faits qu’il a affirmés, des démentis précis et frappants ; par exemple 1800 prisonniers dans les prisons de tout le Royaume de Naples, au lieu de 20 à 30, 000. Et le nom de chaque prison, et le nombre des détenus dans chaque prison, y sont énoncés. Le Roi de Naples et les agents ont grande raison de multiplier les renseignements. Il devrait faire offrir à M. Gladstone de revenir les vérifier lui- même.
Vous vous étiez promis des merveilles de mes lettres écrites de Paris. Vous n'y aurez pas trouvé grand chose. Je n’avais trouvé moi-même à Paris que bien peu de chose. Je n’ai eu rien de mieux à vous envoyer. Je crains bien que ma course en Angleterre ne jette, pour vous comme pour moi, un peu de trouble dans notre correspondance. C’est très ennuyeux. Je ferai tout ce que je pourrai pour l’éviter. Adieu, Adieu.

Je vais réellement me mettre sur mon lit. J’ai la tête lourde, et le cœur barbouillé. Adieu. Je ne fermerai pourtant ceci qu'après avoir reçu mon courrier.

10 heures
Je vous ai écrit mardi matin une longue lettre. Je ne comprends pas ce retard. Votre poste de Francfort est insupportable, et je ne mérite aucun reproche. Je ne vous ai pas écrit le dimanche 10, en arrivant à Paris, parce que ma lettre écrite au Val Richer la veille 9, partait de Paris pour Francfort précisément ce même jour Dimanche 10. C'était donc deux lettres qui vous seraient arrivées le même jour. Peu aurait importe si j’avais eu quelque chose de nouveau à vous dire. Mais je n'avais rien. Je suis très contrarié de votre ennui. Vous aurez certainement eu ma lettre du mardi 12, écrite en partie le lundi, tard en partie le mardi matin. Adieu, adieu.
Adieu, dearest. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Schlangenbad le 19 août Mardi 1851

Merci de votre très intéressante lettre du 14. Vous me trouverez probablement à Paris à votre retour de Londres. Je crois que j'y serai le 30. Je vous adresserai ma prochaine lettre à Paris. Et puis je n’ai plus votre adresse où allez-vous à Londres ? J'espère que vous aurez songé à me le dire. De Paris adressez-moi une lettre à Bruxelles poste restante, de Londres la première aussi car je resterai certainement un jour à Bruxelles. Ensuite à Paris.
Le temps est bien rafraîchi. Et Schlangenbad alors est détestable. Enfin, c’est bientôt fini. Je partirai sans doute dimanche. Constantin sera ici après-demain.
Quelle joie dans tous les journaux radicaux de ces lettres de Gladstone. Vous devriez bien en faire honte à lord Aberdeen. Moi je lui ai parlé assez durement de cela, un petit mot plus doux de vous ferait bien de l’effet, et vraiment il mérite une leçon. Le Roi de Prusse a passé hier à Mayence le jour de la fête de l’empereur d’Autriche ou plutôt ses 21 ans. Samedi le roi reçoit l'hommage de ses nouveaux sujets de Hohenzollern. Grand speech historique à cette occasion. Adieu. Adieu. Que voulez- vous que je vous dise de ce lieu solitaire ? Pas une âme. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Schlangenbad le 14 août 1851 jeudi

Je viens d'écrire une lettre à L. Aberdeen qui ne lui plaira pas, car je lui dis de bonnes vérités sur sa faiblesse d'avoir permis à Gladstone de lui adresser ces détestables lettres. Vous voyez la joie de L. Palmerston. 8 heures. Voici un mot de vous de Paris, lundi, mais si petit, si court, trop court. J’espère que vous vous serez donné de meilleures proportions le lendemain. Je rentre d'une longue promenade avec la duchesse de Hamilton, personne très digne, très convenable, parlant le Français à merveille, et voilà tout. Les journaux m'apprennent que vous & la Marseillaise avez été très honorés à la distribution des prix. Quel singulier accouplement ! Je suis charmé des succès de Guillaume.

Vendredi 15. Je relis votre billet. Vous trouvez les choses en meillleur train que vous ne croyez. Je suis interrompue par l’arrivée de vos deux lettres perdues 31 & 2. Elles avaient été envoyées à une Princesse de Lieven. Ma nièce à Kreuznach. L'une, elle l’a ouverte. C'est bien égal, c’est une brave femme qui n'y aura pas compris un mot. Je suis ravie d’avoir retrouvé mon bien.
Je me repose ici de Francfort, les deux jours que j’y ai passés m'a vaient vraiment fatiguée, déjà l’idée que je ne m’appartenais pas, que je faisais un peu la volonté d'une autre. Cette idée me chiffonnait. Vous comprenez cela pour moi ? Adieu. Adieu.
Je crois que Constantin sera ici demain ou après- demain. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Paris. Lundi 11 aout 1851
3 heures

Je reviens du grand concours où j’ai été reçu, en entrant dans la salle, plus bruyamment encore que l’an dernier. Et quand mon fils a été nommé, son nom a amené deux fois une nouvelle explosion. Il faut se féliciter de la mobilité de mon pays ; elle le perd et le sauve tour à tour. Ce qui ne veut pas dire que je le croie sauvé parce qu’il recommence à m’applaudir.
J’ai eu du monde constamment, quoiqu’il n’y ait personne ici. Je vous ai déjà dit ce matin, je crois, que j’avais été content hier de la conversation du Duc de Broglie, très content, et pour le fond des choses, et pour sa propre disposition. Il regarde l’union comme très bien établie entre les deux corps d’armée conservateur et légitimiste, et il les croit décidés l’un et l'autre à faire ce qu’il faudra pour la maintenir. Il loue beaucoup Berryer, talent et conduite. Il s'attend, au mois de Novembre, à une majorité, encore insuffisante, pour la révision, mais plus forte. Les conseils généraux et les consuls d’arrondissement seront presque unanimes. Le pétitionnement recommence. On ne veut que des signatures nouvelles. Que résultera-t-il de tout cela au Printemps ? On n'en sait rien. On ne s'inquiète pas de le savoir. On ne s’inquiète que de l'élection de l'Assemblée, très probablement au mois de mars. On l'espère bonne, au moins aussi bonne que celle-ci, et plus décidée. Si on y réussit, on verra après. On aura fait ce qui fera ce qui sera possible.
Le Président se conduit tranquillement, sans autre dessein ni travail que sa réélection. C’est toujours le plus probable. Jusqu'ici le mouvement n’est pas vif pour le Prince de Joinville et lui ne dit ni oui, ni non. L’Elysée parait plutôt content qu'inquiet de cet incident.
Lord Aberdeen m'écrit qu’il part pour l’Ecosse où il me presse fort d'aller. Je n'irai point. Il me dit : " We expect a new reform bill at tre opening, of the next session of Parliament. If Lord Derby at that time should be prepared to abandon his present policy of protection and dear bread, he may very probably be able to oppose Parliamentany Reforme with success. But if not Lord John may carry universal suffrage, if he should think proper. Whatever exertion or sacrifice may be necessary to secure free trade will be cheerfully made."
Nous verrons si l’aristocratie anglaise aura son vieux bon sens. Je trouve que dans ces derniers temps, son bon sens et son énergie ont également faibli. Elle a été plus entêtée que hardie.

Mardi 12
M. Molé est venu hier pendant que je vous écrivais. Il arrivait du Marais. Je le reverrai aujourd’hui avant de partir. Nous aurons notre petite réunion pour les affaires de l'Assemblée nationale. Duchâtel est arrivé aussi hier soir. Kisseleff est venu me voir après Molé. Vous manquez beaucoup à ce monde. Kisseleff dit qu’il use ses redingotes n'ayant plus une occasion de mettre un habit. Molé part samedi pour Champlâtreux, jusqu'au mois de Novembre. Il se promet que vous irez l’y voir.
Changarnier est parti tout de suite pour la Bourgogne ; triste, et commençant à s'apercevoir qu’il n’a pas bien conduit sa barque. Pas la moindre nouvelle d'ailleurs.
Autre visite hier, qui m’a intéressé et plus. Le comte de Thomar que Païva m’a amené. Encore jeune, physionomie spirituelle ; mélange de gravité espagnole et de vivacité italienne. Bien méridional. La langage plus impartial et plus calme sur ses ennemis qu’il n’appartient aux méridionaux. Il est ici pour quelques semaines. Et en automne, il compte aller reprendre sa place dans la Chambre des Pairs de Lisbonne. Rien ne l'en empêche. Adieu.
Je repars ce soir à 6 heures emmenant tout ce que j’avais laissé ici des miens. Je voudrais bien que vous me dissiez ce matin que votre tête va mieux. Adieu, Adieu.
G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, samedi 9 août 1851

Montebello m'écrit d'Angoulême où il est allé conduire son fils aîné pour les examens de l’école de Marine. Le pauvre homme est encore sous le coup des inquiétudes qu’il a eues pour sa femme ; il m’en parle avec terreur. La maladie aigüe est guérie, mais il lui reste mal au foie et des crises presque intermittentes qui la font beaucoup souffrir, et qui dureront probablement jusqu'à ses couches prochaines. Montebello compte toujours aller à Claremont vers la fin de ce mois. Il a vu me dit-il à Angoulême le Général de La Rue, inspecteur général de la gendarmerie, homme d’esprit, que je connais beaucoup, et dont le jugement a de la valeur. Le général qui vient de parcourir beaucoup de départements en rapporte l'impression qu'il n’y a et qu’il n’y aura, pour la Présidence, que deux candidats sérieux Louis Napoléon et Ledru Rollin.
En attendant la candidature du Prince de Joinville éclate tout-à-fait. L’ordre est à lire désormais puisqu’il se déclare le moniteur des Régentistes. La conduite me paraît bien peu habile. Le Roi Louis-Philippe n’a jamais voulu se laisser conduire par Thiers. Sa famille, apprendra probablement, après sa mort, combien il avait raison. M. de Lasteyrie dit que M. le Prince de Joinville accepte la candidature, et il en promet, aux uns la fusion, aux autres le contraire. C’est un jeu qui ne comporte pas la durée, ni la publicité. En attendant l'élection, à la Présidence on sonde Paris pour une élection du Prince à l'Assemblée, en remplacement du général Magnan. Mais les coups de sonde ne réussissent pas. Manœuvre pitoyable. C’est bien assez d’une abdication. Est-ce qu’on fera passer tous les Princes par cette même porte ? MM. de Lasteyrie et de Rémusat sont furieux de n'avoir pas été portés par la majorité à la commission de permanence. Et très tristes d'avoir échoué par la minorité. Vous aurez vu, dans la Patrie, la réponse du Président au coup qu'on lui a porté à propos de ses projets d'emprunt à Londres. On avait fait grand bruit d'avance de ce coup-là. Il me paraît que même le bruit ne sera pas grand.
J'ai reçu une nouvelle lettre de mon ami Croker qui insiste encore pour que j'aille le voir à Alverbank quand j’irai à Londres. Il ajoute : " And now let me ask another favor of you. Some one has set about à story that George the IVth had endeavoured to sell the Royal Library (which was afterwards given to the British Museum) to the Emperor of Russia, and Madame de Lieven is quoted as the authority for this statement. I never before heard of any such idea, and I wish you would ask Madame de Lieven with my compliment and best regards, if she can tell me any grounds for such a rumour. I am curious to know how, il such a thing ever happened, it has escaped either my memory or my knowledge, for I had the honour of a good deal of George IV confidence on such matters, though he did not often follow my advice. » Pouvez-vous satisfaire la curiosité de Croker ?
J'ai aussi ma curiosité. Je voudrais savoir qui dit vrai, de l'Assemblée nationale, ou de Lord Palmerston, sur les notes ou lettres venues du nord aux cours de Naples, de Florence et de Rome. Le Journal est bien positif ; et le Ministre a bien l’air de mettre dans sa dénégation un subterfuge. Je suis charmé que vous ayez retrouvé Marion. Il est bien juste que le Prince de Metternich règne un peu au Johannisberg. Je ne sais si ses successeurs feront mieux que lui, mais il ne paraît pas qu’ils puissent faire autrement.
Si vous pouvez à Schlangenbad, à Ems ou à Francfort vous procurer le dernier numéro de la Revue des deux mondes (1er août), faites-vous lire l'article de M. Cousin sur Madame de Langueville. Il y a bien à dire ; mais c’est très agréable spirituel et curieux ; avec un ton tantôt de rigidité pieuse, tantôt de désinvolture aristocratique auquel la vérité manque également dans l’un et dans l'autre cas mais qui a de l’élévation et de la grâce. Cela vous intéressera et Marion aussi.

10 heures
Adieu. C’est tout ce qui me reste à vous dire, et ce qui me plaît mieux que tout ce que je vous ai dit. Adieu

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Schlangenbad le 6 août 1851

Longue promenade avec Ellice à avec et en calèche. Il est allé à Schwalbach avec Marion et me reviendra pour dîner. Il me quitte demain soir. Il trouvera à Londres Duchâtel et de là ils vont le 12 en Écosse. Palmerston a envoyé de nombreux exemplaires des deux lettres de Gladstone à ses missions à l’étranger. Celle de Francfort en a déjà fait d’abondantes distributions.

Jeudi le 7 Enfin une lettre ! Celle du 1er. Le 31 me manque et le 2 aussi qui aurait dû arriver hier. Cela s’arrangera j’espère. Je suis heureuse d'avoir reçu une lettre au moins ma journée s’est bien passée. Un peu de jaserie, beaucoup d’air, mauvais dîner. Le piquet le soir. Ellice est ravi de Schlangenbad, il veut y revenir l’année prochaine, certainement c’est le plus joli site, le plus pittoresque. Je vois par les journaux que la candidature Joinville & le rapprochement des légitimistes de l’Elysée font beau coup de fruit. Comme personne ne m'écrit de Paris, je ne sais jusqu’où cela est vrai. Mad. d’Huilot à qui j'ai parlé à Ems du Prince de Joinville, réponse : cela comme une indignité. Elle affirme que jamais le Prince de Joinville ne se prêterait à cela. Moi, je ne crois pas beaucoup à la dignité de vos Princes. Adieu. Adieu. Vous allez trouver mes lettres bien bêtes.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Schlangenbad le 5 août Mardi soir.

Jugez mon chagrin ! Encore pas de lettre aujourd’hui. J'écris à Francfort de nouveau. Je ne conçois pas ce que cela veut dire. Il est bien certain que vous m’aurez écrit. Maudites postes. Je n’ai rien, je ne sais rien, & mon mal de tête continue. Vrai supplice.

Mecredi 6 août 7 h. du matin. Ellice est arrivé tard hier soir. Il dort encore je suppose. Je ne l’ai point encore vu : voilà une petite distraction dans ma solitude, & mon absence de lettres. Ma tête va un peu mieux. J’ai pu dormir cette nuit. Et le temps est charmant, mais vos lettres ! J'en ai une d'Aberdeen regrettant la publication de Gladstone, mais craignant que le fond ne soit vrai. Sur le bill Catholique, il prédit des malheurs à l'Angleterre. Quant à la réforme promise par Lord John, elle le renversera, ou le consolidation mais il lui faudra de nouveaux éléments dans son cabinet. Vienne et Londres très mal ensemble. Je vous envoie tout ce qui me revient dans mon trou. Adieu. Adieu.
Aurai-je une lettre aujourd’hui ? Il m’en faut trois. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, mardi 5 août 1851

Il me paraît que les fêtes de Paris se passent bien. Le discours de Lord Granville est très bon, le seul vraiment bon et qui ait un sens. Tous les autres sont un peu trop insignifiants. Cela m'amuse de voir les ouvriers républicains crier vive l'Angleterre, pendant que la République donne à dîner au Lord Maire. Le Roi ne faisait pas mieux pour la Reine Victoria, au château d’Eu, ni le peuple royaliste qui criait vive la Reine à son débarquement. Je ne savais pas à quel point j'avais raison. La République me l'apprend tous les jours. J'ai reçu avant-hier une invitation du Président de la République pour aller passer la journée ( de 3 à 7 heures) au Palais de St. Cloud, hier Lundi 4. Je suppose que c’est la fête qu’il donne lui à tous ces hôtes anglais. Comme je vais samedi soir à Paris pour deux jours, j'irai écrire mon nom à l'Elysée pour lui rendre sa politesse.
Autre visite qui m'amuse, c’est celle du Bey de Tunis à Vienne. Il va chercher là aujourd'hui contre la Porte soutenue par l'Angleterre la protection qu'en 1844, il venait chercher, et qu’il trouvait à Paris. Si on laisse Lord Palmerston s'établir à Tunis comme en Egypte, nous ne tarderons pas à avoir, pour l'Algérie, quelque gros embarras. Je doute que l’Autriche prenne efficacement le Bey de Tunis sous sa protection. Elle n'y a que bien peu d’intérêt et elle en a bien plus à être bien avec la Porte. Il y aurait, pour nous, si on savait s'y prendre quelque chose de bon à trier de cette situation, ce serait la reconnaissance, par la Porte de notre établissement en Algérie. Je ne doute pas que l’impertinence de Lord Palmerston au comte Buol ne soit préméditée. Il veut qu'on s'accoutume à le voir mettre sur le même rang les gouvernements et les insurrections, si cela convient à l'Angleterre. Pourquoi se le refuserait-il ? Les insurrections lui en savent gré et les gouvernements le lui passant. Vous savez que c’est dans la baie de Torquay qu'a débarqué Guillaume 3 arrivant en Angleterre. Je suppose que la baie est aussi bonne pour l'embarquement que pour le débarquement.
Le journal l'Ordre annonçait hier bien qu'avec un peu de réserve et d’embarras, la candidature de M. le Prince de Joinville. Pour le parti, cela me paraît une grosse faute ; si cette candidature est jetée dans le public et débattue longtemps d'avance, elle sera usée avant d’être sérieuse. Il me semble que la formation de la Commission permanente et la majorité qui l’a formée jettent un grand désarroi dans les coteries des impatients. Leurs journaux sont non seulement irrités, mais troublés.

10 heures
Je suis fâché qu'Ems ne vous réussisse pas aussi bien que l'an dernier. Le duc de Noailles aura vu qu’il avait tort de se plaindre. Je crois en effet que l’Elysée est content de la majorité ; mais je ne crois pas que la seconde discussion amène un résultat différent. Adieu et Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 2 août 1851

Je jouis vraiment de votre délivrance. Je sais à quel point vous avez dû être agitée ; et votre agitation m'inquiète et me chagrine comme m'inquiéterait et me chagrinerait une maladie. J'en veux à Couth de vous avoir si étourdiment répondu.
Je crois que vous avez raison sur les fêtes de l’hôtel de ville. On ne pouvait guère ne pas rendre les politesses anglaises et on les rendra magnifiquement. Le Lord maire et les Aldermen viendront-ils en robes et en perruques ? Depuis que je suis ici, j'ai vu des industriels considérables et deux des commissaires Français à Londres. Il y a un peu d'humeur, parmi eux, de la décision qui a supprimé, les grandes médailles d’or qu’on devait donner, en petit nombre aux ouvrages d'élite. Les Français affirment que cette décision a été prise contre eux, par jalousie, et parce qu'en fait d'ouvrages d’élite et parfaits d'exécution ils auraient eu bien plus de grandes médailles que les Anglais cependant, à tout prendre, il restera plutôt de là, entre les deux pays, des impressions bienveillantes et de bonnes relations. Je ne sais si le gouvernement Anglais a fait de la bonne politique intérieure ; mais il a certainement fait de la bonne politique étrangère. On a vu sa puissance, et on lui sait gré de cette façon de la montrer.
Mad. de Ste Aulaire m'écrit que ses visiteurs du Dimanche (à Etiolles) sont très découragés et décourageants. Le Duc de Broglie, Viel Castel & Broglie, ne m’écrit guères ; il est vrai que je ne lui ai pas écrit du tout. Mais il a chargé ma fille de me dire qu’on ne faisait et qu’on ne préparait que des bêtises. L'impression générale est triste et morne, plus que sombre et agitée. Je ne vois pas dans le pays que j'habite, grande ardeur à recommencer, le pétitionnement pour la révision. Il est vrai que déjà ce département-ci a peu pétitionné.
Voilà un fauteuil vacant à l'Académie française. Je ne vois pas à qui nous le donnerons. Il sera très vivement et très petitement disputé. Je perds, dans M. Dupaty un ami très dévoué, très actif, et assez influent dans la sphère académique comme parfaitement étranger à l'arène politique. Galant homme d'ailleurs, d'un esprit aussi sensé dans la vie que léger dans la littérature, et d’un cœur très steady. On est très ému ..., à Alexandrie, du chemin de fer que le Pacha d’Egypte vient enfin de concéder aux Anglais. Je reçois de là une lettre, non signée mais dont je reconnais l'auteur, riche négociant Français établi depuis longtemps en Egypte. " C'est le 12 de ce mois que les signatures ont été échangées. C'est donc à partir de ce moment qu'Abba-Pacha est officiellement le gouverneur du pays pour le compte de l'Angleterre. Ainsi, à moins que l’Europe ne s'y oppose, MM les Anglais vont disposer librement de 90 mille hommes, de 80 à 100 millions, des mines de charbon nouvellement découvertes, des produits inépuisables de la vallée du Nil, de l’Abyssinie & Et cela entre Malte et Aden, au point le plus stratégique du Globe commercialement et militairement parlant ; au point par conséquent le plus favorable pour prélever une dîme sur tous les produits agricoles et industriels du globe & & Et il m'invoque comme si j’y pouvais quelque chose. C'est certainement un grand pas vers la possession du Nord-Est de l'Afrique et de la clef européenne de l'Orient.

Onze heures Vous voilà parfaitement calme. Cela me plaît beaucoup. Adieu, adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Vendredi 1er août 1851

Je n’ai point Gladstone, et je ne puis, comme de raison, en écrire à Lord Aberdeen sans l'avoir lu. Ce que vous me dîtes de la grossièreté et de la violence du langage m'étonne. Peut-être m’a-t-il fait envoyer sa brochure, et est-elle chez moi, à Paris où je n’ai plus personne. Je vais écrire à Henriette d'aller y regarder.
Si les faits dont Gladstone m’a parlé sont vrais, ou seulement s’il y a beaucoup de vrai, je ne m'étonne pas qu'il les ait attaqués vivement. Mettre et retenir beaucoup de gens en prison, indéfiniment, sans les faire juger, sans même leur dire pourquoi, c’est ce qu’un Anglais comprend et excuse le moins.
Je reviens à vos 10,000 liv. st. Certainement, vous avez fait il y a un an, 18 mois, 2 ans, je ne me rappelle pas bien quelque chose à ce sujet, sur la question de savoir à qui les laisser et par qui les faire toucher, il y a eu hésitation, dans votre esprit, entre Couth et Rothschild. Je ne me rappelle pas comment s'est terminée votre hésitation. Mais la coïncidence du dire de Couth avec la perte de son reçu me porte à penser que c’est chez les Rothschild à Paris ou à Londres, que vous trouverez le terme de votre inquiétude. Je serai charmé quand je vous en saurai délivrée. Je ne puis croire que la perte soit réelle. Je conviens que ce serait, pour vous, un vif ennui. Je conviens aussi que si comme je l’espère, vous retrouvez vos titres, votre mémoire, aura été bien en défaut.
Il n’y a réellement plus d'assemblée à Paris. Légitimistes, Elyséens ou Montagnards, tous ne songent plus qu’à s'en aller. S’il n’arrive point d'événement pendant leur séparation, ce qui est probable, ils se retrouveront, à leur retour, plus embarrassés qu'aujourd’hui car ils seront plus pressés, et tout aussi impuissants. C’est un spectacle plus attristant qu'inquiétant, à mon avis ; je ne crois pas à un triomphe des rouges, le pays-ci ne sait pas se sauver, et ne se laissera pas perdre. Il faudrait un bien mauvais coup de dés électoral pour amener une majorité de Montagnard. C'est très peu probable. Cependant, c’est possible ; car aujourd’hui en France les élections sont un coup de dés. L'Empereur Français il avait raison : totus mundus stultisat. Voici, au fond, ma vraie inquiétude ; quand tout le monde est fou, c’est qu'il se prépare, dans le monde, des nouveautés prodigieuses par lesquelles Dieu veut, ou le transformer ou le punir. Je ne vois pas comment nous rentrerons dans des voies déjà connues. La sagesse elle-même sera nouvelle.

Onze heures
Je respire pour vous. Il est sûr que Couth est bien léger. Je retire mes souvenirs confus. Reste votre oubli du reçu. Mais peu importe. Adieu, Adieu. Dormez et remettez vos nerfs. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 31 Juillet 1851

J’ai fait hier à Lisieux un dîner beaucoup plus chargé de personnes et de plats mais certainement beaucoup moins bon et beaucoup moins gai que le vôtre je ne sais où dans Ems. Deux choses seulement à remarquer. A peu près point de politique ; non par embarras et avec dessein, mais naturellement, par la pente libre des esprits ; on n'y pense pas, et on n’y veut pas penser. On n’y a nul goût, et on n'a pas très grand' peur de l'avenir. On ne demande pas grand chose à cet avenir ; qu'on vive et qu'on meure en paix, qu’on vende et qu’on achète en sûreté, on sera content. On se promet à peu près cela, en toute hypothèse. Tout le reste paraît un luxe vain, ennuyeux et périlleux. Il a été fort question des hannetons qui ravagent les fruits cette année " L'assemblée ferait bien mieux de donner des primes pour la destruction des hannetons que de discuter la révision de la constitution ; elle serait bien plus utile à la France." Cela a été dit à l'approbation générale.
Ma seconde remarque, c’est la faveur extrême du Clergé pour moi. L’évêque était là avec ses deux grands vicaires et le curé de la principale paroisse de Lisieux. Eux seuls ont un peu parlé politique, et à moi seul, pour me dire combien ils désiraient de me voir rentrer dans l'assemblée et que je pouvais compter sur leur plus vif concours. Je crois en vérité qu'ils sont de l’avis de Donoso Cortés. Cela est bon, mais un peu compromettant, et j'ai d'autres amis qui s'en préoccupent un peu et me recommandent de ne pas me laisser envahir de ce côté. Voilà tout mon dîner. Pardonnez-moi ; je m’aperçois que je vous écris sur une demi-feuille déchirée. Vous me permettez de ne pas recommencer, ma lettre pour cela.
J'oubliais ce que m'a dit M. Leroy-Beaulieu, le député actuel de Lisieux à l'assemblée, et de mes anciens amis. Il était venu à dîner là. Les révisionnistes ( il en est, et des Pyramides) ne s’attendaient pas à plus de 400 voix. Ils sont donc contents de 447, et recommenceront certainement en novembre. C'est même par cette raison qu'ils ne veulent pas que la prorogation aille au-delà du 20 octobre. C'est ce jour-là que les trois mois d’intervalle exigé expirent. Ils ne veulent pas perdre un jour pour recommencer. Est-ce que la lettre de Gladstone est imprimée dans les journaux anglais ? Je n'en ai pas encore trouvé trace dans les nôtres. Je la regrette sans m'en étonner. Certainement c’est une étourderie imprévoyante ; mais vous connaissez les Anglais ; quand quelque chose les choque à un certain point, ils ne le gênent pour personne, roi ou peuple. Et ils s'inquiètent peu des conséquences, car ils savent qu’ils ne s'en embarrasseront guères quand elles viendront, et que ce qu’ils auront dit ne les gênera point pour agir autrement si cela leur convient. Je doute que M. Gladstone soit destiné à devenir ministre dirigeant de son pays ; mais si cela lui arrivait, il ne se croirait pas du tout obligé de faire la guerre au Roi de Naples parce qu'il l’aurait, jadis appelé un tyran ; et il entrerait en intimité avec lui, si cela lui était bon, à lui Gladstone et à l'Angleterre, bien sûr de n'être pas refusé ; sur quoi il aurait raison de compter.
Encore un Anglais drôle. Croker m'écrit : " My immediate object, is to ask you whether you will not come and see our exhibition. Its utility ls nulle, nor is there any individual thing worth walking a mile to see ; but the aggregate, as if all the shops of the world had given themselves a rendez-vous, is really striking-if it were only to convince mankind how little good taste there is in the world. But then the edifice itself is a real curiosity ; and as everyone else of any note in France has come to see it, you should not be singular. Come to us here. " Et il me trace mon itinéraire pour aller du Havre à Southampton, et de Southampton à Alverbank où il est, et où je dois passer trois jours, puis deux jours à Londres. " The d'Orleans are all in Scotland ; all easily within a week "
Je vais lui répondre que j'irai à Londres, à la fin d’Août pour voir " les d'Orléans " et que je verrai, en passant, l'Exposition, et lui aussi, s'il est à Londres. Sans le blesser pourtant, car je suis touché de son empressement affectueux.

11 heures
Je tiens pour impossible que vos 10 000 livres, soient perdues, à moins que quelqu'un n'ait volé vos titres. Couth sont d’honnêtes gens et ne mentent pas. Je recherche dans ma mémoire ; j'ai quelque souvenir confus d’une perplexité où vous avez déjà été, précisément pour ces titres-là, il y a 18 mois ou 2 ans. Vous aviez je ne sais pas bien qu’elle hésitation, mais quelque hésitation entre Couth et Rothschild. Vos titres ne seraient-ils pas chez Rothschild, celui de Paris ou celui de Londres ? Ne les avez-vous pas retirés de chez Couth pour les mettre chez Rothschild qui vous a remis les coupons jusqu'à je ne sais plus quelle année ? Pensez-y et allez aux informations. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Mercredi 30 Juillet 1851

J’ai un ennui aujourd’hui ; je vais dîner à Lisieux. Le mouvement physique commence à me déplaire beaucoup. Signe de vieillesse. Du reste, il ne m'a jamais plu. Toute l'activité possible, assis dans mon cabinet ou en me promenant dans mon jardin, la méditation, la discussion, la conversation, les grandes affaires dans un intérieur tranquille, et presque immobile, voilà ma vie de choix. C'est l’évêque du département qui vient faire sa visite pastorale à Lisieux, et il a désiré dîner avec moi. J’ai, plus que jamais, le vent des évêques et des curés.
Le conseil d’Ellice à Lord John sur Lionel Rothschild est un acte d'insolence révolutionnaire envers la Chambre des Pairs qui y répondra, je l'espère, en ne recevant pas le nouveau Pair. Je ne pense pas que Lord John suive ce conseil. M. de Metternich dit vrai quand il dit que tous les Anglais sont un peu fous ; mais il est également vrai de dire que tous les fous anglais ont un peu de bon sens. Je ne m'étonne pas que Gladstone ait publié une lettre sur Naples. Il m’avait paru très animé à ce sujet. J’ai peur que la plupart des faits qu’il aura dits ne soient vrais, et que là ne se prépare une triste réaction. Mais je n'admets pas qu’il y ait aucune conséquence à en tirer en faveur de la politique de Lord Palmerston envers Naples. Le mauvais gouvernement intérieur du Roi de Naples ne donne à Lord Palmerston nul droit de faire là de la mauvaise politique internationale.
Avez-vous entendu dire quelque chose d'un projet de Thiers d'aller faire un voyage en Allemagne en revenant des Pyrénées ? Est-ce qu’Ellice et lui se seraient donné rendez-vous là ?

10 heures
Je n'ai que le temps de vous dire adieu. Il m’arrive plusieurs lettres insignifiantes, mais auxquelles il faut répondre un mot tout de suite. J'adresse toujours à Ems comme vous le voulez. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 28 Juillet 1851

Je trouve dans le nouveau cahier de l'Edinburgh Review un article sur des Tales and Traditions of hungary publiées à Londres par un conte Paelszky que vous vous rappelez ; et dans cet article je trouve cette histoire-ci.
Une invasion de Tartares, ravageait la Hongrie. Un grand seigneur hongrois vivait dans son riche château, avec sa femme jeune et belle. Il avait grand peur d'une visite des Tartares ; " when suddenly a Tartar on his steed galloped into the court. The hungarian bounced from his seat to meet his guest, and said. Tartaz, [thy] art my lord ; I'm shy servant ; all those seert in thine. Take what those fanciest. I do not oppose shy power ; command ; thy servant obeys - The Tartar impatiently sprang from his horse entered the house, and cast à careless glance on all the precious objects around. His eye was fascinated by the brilliant beauty of the Lady of the house who appeared lastfully attired to greet him there, no less graciously than her consort had in the court below. The Tartar seized her without a moment's hesitation, and, unheadful of her shrieks, swung himself upon he saddle and spurred away, carrying off his lovely boaty. All [?] but ein instant's work ; the nobleman was thunderstruck ; yet he recovered and hartened to the gate. He could hardly still distinguish the Tartar galloping in the distance aud bearing away the Lady fair. Her consort heaved a sigh, and exclaimed with deep commiseration. " Alas! Poor Tartar ! "
Drôle d’histoire dans un livre écrit par le comte Pulszky en l’honneur des Hongrois et contre les Tartares. Je lis beaucoup. Un peu moins à présent que je ne suis plus seul.
L’ordre, le seul journal Régentiste a très bien parlé du discours de Michel de Bourges, et y revient complaisamment. Preuve de plus que ce discours était concerté avec Thiers. Plus j'y regarde, plus je vois clairement le travail pour refaire un parti orléaniste dans la Montagne, et pousser par là, quand le moment viendra, la candidature du Prince de Joinville, si la proposition Creton vient à passer, cette candidature aura des chances. Les légitimistes n'auront, pour y échapper, d’autre ressource que de voter pour Louis Napoléon et le général Changarnier sera étouffé entre les deux. Voilà mes pronostics ; mais je sais ce que valent les pronostics, même les miens.
Vous dîtes que Lord Granville devient le rising man. C'est apparemment à cause de cela qu’il va être le conducteur, le Berger des industriels anglais au grand banquet que va donner, aux industriels du monde entier, le Berger de Paris. Cinq jours de fête, l'hôtel de ville, Versailles, St Cloud, le champ de mars. Cela ressemble furieusement aux trains de plaisir. On s'amuse en troupe. Singulier chemin pour monter et devenir premier ministre d’Angleterre ? J’aime mieux le discours de Lord Aberdeen contre le bill ecclésiastique. C’est un des meilleurs que j'aie lu de lui. Je me figure que cela le grandira plus que le banquet de M. Berger ne grandira lord Granville.

Onze heures
Personne ne pense plus qu’à s’en aller. Il y a pourtant bien de quoi penser à autre chose. La lettre du petit cousin est charmante et lui fait. honneur. Je vous la renverrai demain. Adieu Adieu. G. Voici un petit papier bien fin pour vous amuser un moment.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 25 Juillet 1851

Une lettre de Constantin confirme la nouvelle d’hier sur le nouvel oukaze. Imaginez que c’est cette nièce rouge qui en est cause ! On a trouvé des correspondances entre elle & des professeurs de Dorpat. Je ne sais ce que va faire mon fils Paul, je crois qu'il faut qu'il aille en Russie. Comme il va être furieux.
Je vois que le vote de Lundi n’incommodera pas le ministère. J'en suis bien aise. C'est de la chicane. Comme cette assemblée se conduit sottement. Claremont me paraît plus sot encore. Ce qui m'en revient ici par Duchâtel me fait penser que le Président a là d’excellents auxiliaires. Duchatel & Marion partent demain. Ellice reste jusqu’à Lundi. Je ne sais rien encore sur les mouvements de ma grande duchesse. Je reste à mes premiers projets d’être à Schlangenbad le 2 août. Mais jusqu’à nouvel avis adressez toujours à Ems. C’est plus sûr.
La brochure de Gladstone est détestable. Il peut avoir de l’esprit ce n’est pas un homme politique, ni un futur ministre. Irait-il faire la guerre au roi de Naples, si demain il entrait aux affaires ? Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 24 Juillet 1851, jeudi

Je suis un peu effrayée de ma décadence. Cette affaire du reçu égaré est étrange. Je l’ai tenu en main, je l’ai soigneusement serré avec mes papiers d’affaires, et il n’est par là ! C’est évidemment de ma faute, mais comment est-ce que je fais des fautes pareilles. J'oublie ; je ne sais plus ce que je fais des choses. Il y a du trouble dans ma mémoire. Est-ce que cela arrive vite, comme une maladie, la rougeole, ou autre chose ?
Voilà un oukase nouveau bien sévère. En cinq ans d'absence convertis en 2 années et cela encore avec des droits énormes. Je crois qu'on criera bien fort en Russie. Il faut que l’Empereur soit bien sûr de son fait pour aventure est oukaze. Mes fils vont être bien contrariés. Je le suis pour eux, surtout pour Alexandre. Car Paul, Courlande ou Londres cela revient un peu au même pour moi.
Ellice est arrivé. Bonne mine et en train de s’amuser. Je voudrais qu'il devint un peu amoureux de la duchesse d'Istrie comme l’était le prince George de Prusse. Cela le ferait rester un peu. Avant de l’avoir vue, il menace de repartir après demain, avec Marion & Duchâtel. Quel grand vide pour moi.
Gladstone vient de publier une lettre à Lord Aberdeen contenant des horreurs contre le Roi de Naples & donnant pleine raison à Lord Palmerston sur ce point. Ellice conseille à Lord John d'élever Lionel Rothschild à la Pairie, pour punir la Chambre haute de résister à la volonté des Ministres pour l'admission des Juifs. Je n'ai encore causé avec Ellice qu’en courant. Adieu. Adieu. Je pense que le Président gardera ses Ministres.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 24 Juillet 1851
8 heures

Je viens d'écrire une longue lettre à Croker. Il faut payer ses dettes, surtout à ses vieux amis. Je serais bien triste si je parvenais à être réellement inquiet sur l’Angleterre. Je persiste à ne pas l'être. Il y a là une digue de bon sens et de vertu assez forte pour résister même à un gros torrent qui viendrait l'assaillir, et je ne vois pas encore le torrent.
J’ai eu hier des visites qui m’ont assez frappé ; deux des hommes les plus intelligents, et les plus froids du pays ; sans passion et sans parti pris sur rien. Ils m’ont parlé du débat sur la révision comme ayant été très favorable à la monarchie, et pas très favorable au Président. Ils trouvent que République et Président ont fait là assez pauvre figure. Ils examinent ce qu’ils ne faisaient pas du tout, il y a un mois, comment la monarchie pourrait revenir, l'an prochain, ou quel autre président pourrait être élu. Cependant ils concluent que la République et le président. actuel sont encore ce qui a le plus de chances.
J'envie à Marion et à Duchâtel leur course à Stolzenfels. Je pense à Ems avec plaisir, et regret. A cause de vous d'abord, ce qui va sans dire, mais un peu aussi à cause d'Ems même. Le pays est plus pittoresque que celui-ci, et au milieu de ce pays pittoresque il y a des restes du passé un peu de vieille histoire, Stolzenfels restauré et les ruines de Nassau. Il n'y a point du tout de passé autour de moi, à dix lieues à la ronde, point du tout. On prend de plus en plus le goût du passé en vieillissant, comme les ombres s'allongent le soir. Pardon de l'incohérence.
Que dites-vous du souffle que l'assemblée vient de donner à ce pauvre Léon Faucher ? C’est la seconde fois que cela lui arrive. Il y a des gens qui auront voulu se dédommager de l'effort qu'ils avaient fait en votant pour la révision. Cela amènera-t-il une crise de cabinet ? M. Od. Barrot est là, prêt à recevoir l'héritage et à servir de couverture pour la réélection du Président. Je soupçonne que quelques uns des collègues de M. Léon Faucher auront été, sous main, pour quelque chose dans son échec. C'est aussi ce qui lui arriva, à sa première chute. Il est déplaisant, et embarrassant.

Onze heures
On m'écrit de Paris : " Les ministres restent. Ce n'est pas qu'à l’Elysée, on n'ait un grand désir de profiter de l'occasion pour renvoyer Faucher qui est odieux à ses Collègues et au Président ; mais ce serait donner une victoire à l'Assemblée, et on se décide à laisser les choses comme elles sont. Il faudrait d'ailleurs prendre Barrot qui n’est pas plus aimé que Faucher. " " Berryer, a reçu une longue lettre du duc de Noailles, dont il est très content. Le Duc aussi est content." Ce pauvre Maréchal Sebastiani aurait mieux fait de mourir il y a quatre ans. Il en avait une admirable occasion. C'était un esprit politique remarquablement sûr, fin sans subtilité, et presque grand avec une pesanteur et une lenteur assommantes, et une extrême stérilité. Propre à l'action, quoique sans invention. Je ne l'ai pas revu depuis la révolution de Février.
Je suis bien aise que Mad d'Hulot vous plaise. C’est une honorable personne, et je l’ai toujours trouvée aimable. Adieu, Adieu. Nous sommes depuis hier, sous le déluge d’un orage continu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 21 Juillet 1851 Lundi

Voilà donc le vote ! Il me paraît d’après une analyse très succincte dans l’Indépendance que [Odilon] Barrot a fort bien parlé. Je n’ai pas encore vu Duchâtel ce matin je verrai ce qu'il dit. Le Prince George est venu nous dire adieu hier soir. Nous le regrettons tous. Il va à Trouville il y passera tout le mois d’août. Il espère vous y rencontrer. Je suppose que vous y irez comme de coutume au moins un moment. Ne manquez pas d'aller le chercher & soyez aimable pour lui. Il est très embarrassé, mais il est intelligent et fort désireux d’apprendre. Duchatel est vraiment très agréable. Toujours en train. Il fait un petit doigt de cour à la duchesse d'Istrie et cela va très bien.
Le duc de Richelieu hait à mort M. d’Haubersaert, il se tient donc à l'écart, mais comme celui-ci part il nous reviendra. Il ne vaut pas le partant. L'air est charmant aujourd'hui presque chaud ; enfin ! On m'écrit de Londres (Lady Allen) que Narvaez avait demandé à être présenté à la Reine en audience, elle a refusé, & on lui a proposé de rencontrer la reine à l’exposition ce qu'il a à son tour refusé indignantly, à la suite de quoi il a été prié au concert à la cour où il s’est montré triomphant. Voilà tout ce que je sais.
Le parlement va être prorogé. Je crois qu'il est très possible que nous voyons Ellice arriver ici demain ou après-demain. Mes Russes viennent peu chez moi. Ils ont une quantité de femmes et d'enfants. Adieu. Je dîne aujourd’hui avec toute ma société dans une maison je ne sais quelle. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 20 Juillet 1851

Pourquoi ne le dirais-je pas ? M. Victor Hugo me plaît. Il a remis tout le monde dans la vérité. La République du Gal Cavaignac, mensonge ; la République de M. Michel de Bourge, mensonge ; c’est la révolution qui est là, deux révolutions, une vieille et une future, celle des Montagnards et celle des Socialistes. C'est très bien de se mettre en colère contre le mauvais fou qui dit tout cela ; mais il faut savoir qu’il dit vrai, et que ces odieuses folies sont l'ennemi auquel on a réellement affaire. Hors de là, je ne vois que des badauds qui s’attrapent eux-mêmes en essayant d'en attraper d'autres qui se laissent volontiers attraper. Je trouve que ce débat, tout en restant parfaitement stérile est plus sérieux et plus significatif que je ne m’y attendais. Il y a de la vie dans ce pays-ci ; ce qui est, paraît, quelque envie qu'on ait de ne pas le voir. C'est une singulière impression que de recevoir l’écho de ce bruit dans le silence de ma solitude.
Mon gendre Conrad m’arrive demain pour passer ici quatre jours. Ils ne veulent pas me laisser plus longtemps seul. Pauline qui est à merveille ainsi que son enfant, vient s'établir avec son mari samedi prochain 26. Henriette est obligée de rester encore trois ou quatre semaines à Paris ; sa fille va mieux et on espère qu’elle ira décidément bien ; mais il n'y a pas moyen de la séparer en ce moment de son médecin. Le Val Richer aura revu un moine pendant huit jours. Vous savez que moine veut dire solitaire.
Je suis bien aise de ce que vous dit Lady Allice sur le ballot. Je ne me fie pourtant pas beaucoup à ces indifférences superbes des Ministres. Je compte plus sûr le bon sens anglais que sur la fermeté de Lord John. Croker, dans sa dernière lettre caractérise le genre et le degré d'habileté des Whigs, et le mal qu'ils laissent faire grâce à celui qu'ils ont l’air d'empêcher, avec beaucoup de vérité et de finesse. Je suis frappé de ce que vous me dites que la réaction va trop vite à Berlin. C'est mon impression aussi, sans bien savoir. Et j'ai peur que cette réaction, qui va si vite, ne soit, au fond, pas plus courageuse qu'habile. Avez-vous remarqué ces jours-ci un article Alexandre Thomas dans les Débats à ce sujet ? Il était plus précis et plus topique que ne l'est ordinairement cette signature.
Je trouve le Constitutionnel bien faible depuis quelque temps. Rabâcheur, sans confiance en lui-même. Est-ce que le Président serait déjà un vieux gouvernement ? Le plus grand des défauts dans ce pays-ci.

Onze heures
Le facteur ne m’apporte pas grand'chose. Petit effet de Dufaure. Pas plus grand de Barrot, M. Moulin m'écrit pendant que Barrot parle. Le discours de Berryer reste entier, et jusqu'ici seul, du bon côté du moins. Mon gendre Cornélis m’écrit : " Ce discours a fait dans Paris une grande sensation, plus grande qu'on ne pouvait l'espérer. Tout le monde en parle, et ce qui est singulier, tout le monde l'a lu. Les journaux anti légitimistes y ont beaucoup contribué ; ils ont cherché à entourer la fusion sous les couronnes décernées à M. Berryer, et pour éviter d'apprecier l'acte politique, ils ont adressé à l'orateur des louanges excessives, en affectant de ne voir là qu’un beau discours. Mais le public n'est pas de leur avis " Adieu. Adieu. Je suis charmé qu’il vous arrive du renfort. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 19 Juillet 1851
7 heures

Le grand effet du discours de Berryer est très mérité. C’est un talent admira blement abondant expansif communicatif, sympathique. Il plaît à ses adversaires presque autant qu'à ses amis. Amusez-vous de la mobilité des esprits et des situations. Nous avons tous dit d’abord qu’il fallait que ce débat fût un grand duel entre la République et la Monarchie, c'était aux hommes monarchiques à l'exiger, à en prendre l'initiative. Puis, nous avons renoncé au duel ; c'était une folie ; le pays n'en voulait pas ; il fallait baisser la voix, se tenir bien tranquille, bien modeste. Le débat commencé, et le duel entre la monarchie et la République éclate ; et il n’y a pas d'autres acteurs en scène que les républicains et les monarchiques, Cavaignac et Michel de Bourges, Falloux et Berryer. Seulement ce sont les républicains qui ont pris l'initiative, ce qui a rendu la position des monarchiques plus commode. Variez tant qu’il vous plaira c’est presque toujours la première idée qui est la bonne ; seulement, il ne faut pas la suivre au premier moment ; elle devient plus sage et plus pratique quand elle a passé par un peu de contradiction et de temps.
Voici un petit incident. On m’écrit : “ Depuis deux jours, M. Thiers et ses amis font grand bruit d’une lettre du Prince de Joinville qui serait arrivée à l'amiral Hernoux, et qui contiendrait un récit burlesque de l’entrevue de Claremont. Le Prince s’attacherait, dit-on, à tourner en ridicule tout ce qu'aurait dit Berryer. Il parle avec une amère ironie des larmes que l'avocat avait mises dans sa voix du Duvergier de Hauranne et Thiers, qui colportent les phrases de cette lettre sur tous les bancs de l'assemblée, ont eu soin que Berryer, et St Priest en fussent avertis. Ils en paraissent très blessés et c’est peut-être à cause de cet incident que Berryer s'est abstenu de parler de la fusion. M. de Montalivet, va faire tous ses efforts pour savoir la vérité sur cette lettre. " Je vous dirai ce qu'aura appris Montalivet, s'il apprend quelque chose. Toute sottise est possible. Cependant, dans ce cas-ci, je suis plus porté à croire au mensonge qu'à la sottise.”
J’ai une longue lettre de Croker. Sinistre sur l'Angleterre ; croyant au triomphe des radicaux et à tout ce qui s'en suit. Les Whigs ne tiendront pas. Les Torys ne reviendront pas. Il ne sort pas de ce qu’il a prédit en 1832 au moment du bill de réforme : " It is true, dit-il pourtant, that it has not gone so fast as I expected. " Quant à la France, voici son résumé : " I am afraid that some of the good folks in my neighbourhood (West-Molesey est près de Claremont vous savez) as was said of their cousins, n’ont rien appris, and are Still Thinking of rebuilding the temple of July, as if it could be hoped that a child and a woman were to succeed, not only where the wise old man failed, but with the additional and incalculable disadvantage of his fall and all its consequences. I see by the Assemblée nationale that you, the conservatives are greatly perplexed what to do. My humble advice would be to give the republic a fair trial. You are not ripe for Henry V. An Orleans usurpation would be still less possible. An unconstitutional reelection of Louis Napoleon will lead to immediate bloodshed ; and for the sake of France her character as well as her peace and happiness, I think the had better not attempt to revise the Constitution, but to endeavor to execute it, as it stands. The best thing France could do in every view, could be to elect you président. " Vous ne vous attendiez pas à cette conclusion. 10 heures et demie Voilà le Diable rentré dans le débat. Il le fallait bien. Adieu, Adieu.
Je ne reçois, rien qui vaille la peine de vous être redit. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems jeudi 17 Juillet 1851

Voilà votre petit mot du Val Richer. Nous sommes bien loin l'un de l’autre. Le dimanche arrive ici jeudi la réponse vous parviendra donc lundi. Il y a de quoi aller et venir quatre fois en Angleterre. Ma soirée s’est passée comme l’autre, d’Haubersaert & moi au piquet. Le Prince George de Prusse, Duchâtel, la duchesse d'Istrie, le comte [?] très joli jeune homme aide de camp du Prince, au lansquenet Marion regardant. On lui prend son argent je ne veux plus qu’elle joue.
Je ne me baigne pas aujourd’hui, je veux me reposer. J’en profiterai pour aller faire visite à la petite princesse. 2 heures. J’ai été les voir. De charmants enfants, & la petite, jolie comme un ange. Ellice viendra probablement ici. Le parlement va se séparer bientôt. Adieu. Je n’ai pas un mot de plus à vous dire Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Mercredi 16 Juillet 1851
6 heures

Je me lève. Voilà une vie tranquille et saine. J’écrirai, des lettres ou autre chose jusqu'à 10 heures. La poste arrive. C'est mon événement. Je lis mes lettres. Je descends dans le jardin. Je remonte et je fais ma toilette. A 11 heures, je déjeune. Je me promène. Je remonte dans mon Cabinet, et je lis mes journaux. D'une heure à 7, je travaille et je me promène. A 7 heures je dîne. Après mon dîner, j'arrose mes fleurs une demi-heure. Je rentre et je lis jusqu'à 10 heures. Pas une âme, pas une voix, autre que mon valet de chambre et mon jardinier. On va commencer à savoir dans le pays que je suis arrivé, et on viendra un peu me voir. Nous parlerons de l'assemblée et du Président. Mais je resterai encore en grand repos.
Ma petite fille continue à aller mieux ; mais comme elle continue aussi à être fort délicate, je doute que le médecin d'Henriette lui permette de quitter Paris avant quinze jours. Je mettrai ce temps là à profit pour mon travail et pour mon repos.
Voilà donc la révolution Portugaise qui avorte comme les autres. Etrange temps où les révolutions sont si aisées à faire et si impossibles à poursuivre ! On ne les empêche jamais d’arriver ; mais dès qu'elles sont là, on les arrête. Je voudrais que le comte de Thomas vint à Paris l'hiver prochain. Je serais bien aise de le connaître. Que dites-vous de l'aplomb de Palmerston sur Pacifico ? et du bon sens anglais qui laisse tomber cette sottise sans mot dire, étant décidé à n'en pas renverser l’auteur ? Le vice originel du gouvernement représentatif, ce sont les paroles exagérées, et les paroles vaines tous les pays qui en essayent donnent à plein collier dans ce vice-là. L'Angleterre seule s’en défend ; elle sait parler bas, et même se taire.
10 heures
Je viens de lire mes lettres d'abord ; puis un coup d'œil sur les journaux. M. de Falloux me plaît, et le général Cavaignac m'amuse. Je lirai attentivement. J'en ai le temps. La campagne double la longueur de la vie. Vous allez mieux puisque vous ne m'en parlez pas. Vous ne me dites rien de Marion. Il me semble qu’elle doit être une grande ressource de conversation habituelle. A-t-elle autant d’esprit que de mouvement ? Ce n’est pas tout de remuer ; il faut avancer. Point de nouvelle de Paris. C’est vues qu’il faut dire. A qui se rapporte ce mot vu ? De qui parlez-vous ? De vous et de Marion. Vous êtes femmes, donc le mot qui vous regarde doit être au féminin. Vous êtes deux femmes. Donc il doit être au pluriel. Est-ce clair ?
Adieu. Adieu.
Je vais faire ma toilette. Je la fais pour moi seul comme si je devais passer ma journée à voir du monde. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 14 juillet 1851

Je vois par une lettre de Lady Allen que le vote by ballot emporté à la ch. des communes n’a pas fait le moindre effet. Cela ne veut rien dire du tout, personne n’a combattu car on sait bien que cela ne peut pas passer. Les ministres traitent toujours ces choses là avec dédain. Elle me dit que le Parlement va être très prochainement prorogée.
Le temps se relève un peu aujourd’hui. Hier soir rien que Duchâtel & le piquet. Il se trouve très at home chez moi. Moi je le trouve original. Au fond il n’y a personne qui ne le soit un peu. Plus nous rabâchons & plus nous sommes contents de Claremont. Mais je répète, la situation de Berryer vis-à-vis la proposition Creton va en devenir embarrassante. Notre situation à Copenhagen est très puissante. Celle de l’Angle terre bien faible. A Vienne nous commandons à Berlin on nous obéit et au delà (La réaction va trop vite.) Tout ceci de notre part avec les formes les plus modestes. Radowitz conserve sa correspondance privée avec le roi. Cela reste un sujet d'inquiétude pour l’avenir. Dans le moment tout va bien. Voilà ce que j’ai relevé de mon diplomate à Copenhagen. Je verrai celui de Rome sans doute aujourd’hui. La duchesse d’Istrie est arrivée aujourd’hui. J’en suis bien aise. Adieu.
Votre lettre de vendredi me fait adresser ceci au Val-Richer. Hier j’ai écrit à Paris. Marion vous dit mille souvenirs.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Paris, Vendredi 11 Juillet 1851.

J’ai vu hier Berryer, et St Priest chez Molé. Ils sont très contents. M. de St Priest témoigne une crainte d’honnête homme que les journaux légitimistes ou fusionnistes n'enflent la visite, et ne prétendent en tirer ou en faire présumer autre chose, que ce qui s’y est réellement passé et dit. Elle faisait hier à l'Assemblée beaucoup d'effet. Thiers en a parlé à M. de St. Priest. " Vous avez donc été à Claremont ; vous y avez été bien reçu. C’est tout simple ; je suis sûr que si j’allais à Froshsdorff, M. le comte de Chambord me recevrait très bien. "
Le journal régentiste, l’Ordre, en parle ce matin avec une réserve inquiète, et pour empêcher qu’on n’y attache une importance politique. L'enfantillage dans le mensonge c’est la ressource des partis de mauvaise humeur.
J’ai fait votre commission sur le duc de Noailles auprès de M. Molé et j’y ai ajouté Berryer. Sauf la visite à Claremont, on ne s'occupe à l'Assemblée que du rapport Tocqueville et du débat qui se prépare. Les Elyséens et les Montagnards sont amers contre le Rapport. C’est M. de Lamartine qui ouvrira le débat. M. Payer s'est inscrit pour lui. Les chefs Républicains font tous leurs efforts pour que de leur côté, on soit modéré, et qu’on laisse tout dire. Le Duc de Broglie, que j’ai vu hier soir, est très préoccupé de son propre discours. Le vent est plus favorable à la révision qu’il y a huit jours au moins pour une grosse majorité. Fould est venu me voir avant-hier et Morny hier. Fould confiant, Morny inquiet. Morny craint des élections rouges. Si on continue d'aller à la dérive. On ne s’entendra pas dans le parti de l’ordre ; on n’aura pas une seule liste de candidats ; on ne sera pas de bonne humeur et en train, et les rouges passeront. Il cherche, sans trouver ce qu'on pourrait faire pour ne pas attendre le printemps prochain, et pour résoudre la question plutôt, de concert entre les pouvoirs aujourd'hui en vigueur ou par je ne sais quel appel inattendu au peuple, qui placerait tout le monde, Assemblée, président, électeurs, dans une situation nouvelle, et étrangère aux querelles de constitution et de légalité. Pure rêve d'un esprit prévoyant et inquiet. On me dit et il me l'a dit lui-même, que l'inquiétude de Morny pourrait bien provenir un peu de l'état de son propre département, le Puy de Dôme, où il craint fort que les rouges ne triomphent.
Que dites-vous du vote de la Chambre des Communes sur le ballot et du silence de Lord John ? Si c'était sérieux ce serait très sérieux. Je ne puis croire qu’une telle question soit ainsi décidée inopinément, par quelques membres et sans débat. On reviendra sur ce vote dans les Communes mêmes. Sinon, l’Angleterre serait bien plus malade que je ne le crois. A dire vrai, je la crois malade, c’est-à-dire que je crois que la maladie et là comme ailleurs. Mais je crois aussi qu’il y a là des forces saines, capables de résister et de vaincre. Je serais bien triste de me tromper. Adieu.
C'est bientôt en effet de vous ennuyer déjà. J’ai peur que l'ennui de Duchâtel ne vous guérisse pas du vôtre. Ma petite fille va mieux. J'en ai été un moment très inquiet. Si le mieux continue, je ne changerai rien à mes projets et je partirai demain soir pour le Val Richer. C'est de beaucoup le plus probable. Adieu, Adieu.
Mes amitiés à Marion.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Paris, Dimanche 6 Juillet 1851

M. Paget vient de m’apporter deux lettres de Lord Aberdeen, des 28 juillet et 4 juillet. M. d'Harcourt après l’avoir promis, avait négligé d’envoyer chercher la première, ou de donner son adresse. Légèreté française comme vous diriez. Longue lettre. Voici les points intéressants. Le Roi Léopold point hostile à la fusion, mais croyant que les Princes ont peu à y faire ; tenant le même langage que le feu Roi ; se plaignant de la déraison impertinente de quelques légitimistes, surtout autour du comte de Chambord. Celui-ci serait convenablement reçu à Londres, s'il y allait. Les désirs de la famille d'Orléans, surtout de la Reine et du duc de Nemours, y seraient pris en grande considération. Le Cabinet anglais, plus discrédité que ne l'a jamais été aucun gouvernement ; mais il achèvera la session. " We are threatened with a new reform bill at the commencement of the next session ; and although lord John looks to this as the means of acquiring additional strength, it may very possibly lead to his ruin. This is a matter upon which all conservatives might act cordially together. "
Changarnier s'est montré fort perplexe. Il craint une grosse majorité pour la révision. Des hommes sur qui il comptait pour voter contre, M. de Maleville et M. de Rémusat, par exemple, voteront pour dans leur intérêt électoral. Il insiste ardemment pour qu’on prenne d'avance des mesures législatives contre l'élection des trois candidats inconstitutionnels. Il regarde, en ce cas, sa propre élection comme certaine, avec toutes les meilleures conséquences. Mais il doute beaucoup que l'Assemblée le fasse. Il dit les mêmes choses que vous lui avez entendu dire, avec moins d’assurance. J’irai lui rendre sa visite avant mon départ. Quelques autres personnes ce matin, mais rien de nouveau. Décidément les affaires commerciales reprennent assez.
Le public a moins peur de 1852, sans savoir comment, il se croit sûr qu’il s’en tirera, à assez bon marché, et il ne demande rien de plus. La chute d’ambition est encore plus grande que la chute de puissance.

Lundi 7 9 heures
Votre mot de Cologne m’arrive. J'espère que demain je vous saurai arrivée et établie à Ems. Cela me plaît de connaître les lieux, maison et pays. J’irai me promener avec vous à Nassau. J'espère aussi que vous aurez pensé à m'écrire au Val Richer, à partir de Mercredi 9. Rien n’est changé dans mes projets.
Je n'ai vu personne hier soir. Je reçois ce matin une lettre de Donoso Cortes qui me croit et m'écrit au Val Richer. Voici le dernier paragraphe : " Mon Dieu ! je suis émerveillé de voir combien sont faciles les choses difficiles. Je crois, par exemple, qu’il se peut que le salut de l’Europe tienne à ce qu’un homme, qui est à Val Richer, le veuille ou ne le veuille pas. Le voudra-t-il ? " Comprenez-vous ? La lettre roule sur l’Eglise catholique qui peut seule sauver le monde, parce qu’elle en sait plus que le monde, et aime plus que le monde n'aime. Et la question est de savoir si je voudrai me faire catholique. Suis-je assez flatté pour me décider ? Qu'en pensez-vous ? Adieu, adieu.
Dites-moi, je vous prie, à quelle heure vous arrivent mes lettres et partent les vôtres. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems Samedi le 5 juillet 1851

Je suis arrivée hier à 7 heures après un voyage excellent. Je me suis séparée de mon fils à Coblence, bien bon garçon. Ici je retrouve tout, très bien, matériellement, pas une âme de connaissance. Nous avons bien besoin l’un de l’autre. Duchatel & moi.
Votre lettre du 2 qui est venue ce matin. Une d’Ellice aussi. Le discours de Thiers n'a pas fait fortune en Angleterre du tout. Ellice me dit quel effort de déraison ! Lord john est parfaitement raffermi, & restera très solidement. pour l’éternité. Amen. On m’a dit à Bruxelles qu'on ne s’est pas douté à Paris de l’effet produit à Claremont par la lettre du comte de Chambord en février. La duchesse d’Orléans était rendue complètement. On songeait à une entrevue. La proposition Creton renversée par Berryer a renversé toute la [?]. Léopold est très sensé. Il donne les meilleurs conseils. Les doutes que j’avais exprimés à ce sujet ont beaucoup déplus & étonnés. J’ai dit des choses utiles.
A Bruxelles comme partout, on est convaincu de la durée du Président, et comme partout, on la désire car on ne voit rien de bon que cela en fait de choses possibles. A Naples chaque fois qu'on se rencontre, on fait un petit programme de phrases à s'adresser ni plus ni moins. C’est positif. Je crois que je vous ai dit tout ce que j'ai ramassé.
Marion est ravie d’Ems elle a une fort jolie chambre à la gauche de mon salon. L’air est délicieux, ni trop chaud, ni trop froid. Je ne regrette de Paris que vous, car du reste je pense de lui avec mépris, au physique & au moral. Adieu. Adieu. Adieu.
Brunnow ne parle de Walensky que comme d’un polisson. S'il fait comme il parle cela va faire une relation agréable. Le discours à Châtellerault est excellent.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris vendredi le 16 Mai 1851

C’est très ennuyeux d’avoir à vous écrire. C’est plus ennuyeux encore d’avoir pensé à vous hier tout le jour. Quand vous êtes pris je ne m'occupe pas autant de vous. Expliquez cela, arrangez cela. Point de nouvelle à ce qu’il me semble. J’ai vu le matin le Prince Paul Montebello, Lord Holland des Russes. Un comte Koutouzoff bien bel homme. Le soir Dumon, Meradi, Viel Castel, Meradi charmant. Thiers est de bien mauvaise humeur. Assis à la Chambre à côté de Heeckeren. Un député les appelle les débris qui se consolent. Thiers trouve débris très impertinent. L’interlocuteur dit : " Glorieux débris dès 18 ans. "
Je vous redis des bêtises. La Duchesse de Parme va à Naples avec injonction de voir les d’Aumale. Puisque vous ne m'avez pas dit cela, je vous l’apprends. Lady Allen croit que le Ministère tiendra. Stanley le désire. Graham au con traire voudrait que Stanley le remplaçât tout de suite, afin que son tour à lui, Graham vint plutôt. La duchesse d'Orléans boude lady Allen, & ne l’a pas vue encore. Joli retour des ardeurs de lady Allen.
Le message Marzini fait du bruit. Je n’y crois pas du tout moi. Mes petites amies ont passé leur soirée hier chez Thiers. Elles l'ont trouvé en très bonne humeur croyant à la prorogation du Président peut être à sa perpétuité. Paul de Ségur était là. Charlotte Rothschild se moque de la fusion et ne croit à rien. Mais elle est en grande haine de l'Elysée. Elle veut un Dictateur. J'espère que me voilà suffisamment commère. Adieu et demain encore Adieu.
G. Viel-Castel ne savait rien du Portugal. En y pensant bien je ne crois pas du tout à l’abdication de la reine ou à sa chute. L'Angleterre la soutiendra.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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38 Val Richer, Dimanche 11 Juillet 1852

Avez-vous lu tout le discours de Lord Palmerston à Tiverton ? Certainement un des plus sensés, et des plus spirituels qui aient été faits en ce genre. Populaire et conservateur à la fois. Et si vraiment anglais ! Je tiens pour évident qu’il se prépare à être le chef, ou à peu près, à un cabinet free trade et conservateur. Il a touché à toute les questions Old England, pas de république, pas de ballot, pas de Parlement triennaux. Si, cela arrive ce sera une singulière destinée, un personnage secondaire et malfaisant jusqu'à 70 ans ; premier, et utile en cheveux blancs. Je suppose qu’il ne redeviendra plus ministre des affaires étrangères. Le comble serait qu'Aberdeen le fût dans le même cabinet. Je n'espère pas tout. Jusqu'ici le parti protectionniste me semble bien battu. Et bien tranquillement battu. Ce sont là les vraies défaites. Il y aura du nouveau dans ce pays là. Dieu veuille que ce soit du bon !
J’espère bien que vous trouverez un bon logement à Dieppe. Je me figure que l’air de la mer vous fera du bien. C’est un tonique qui n’agite pas. On dit qu’il y a beaucoup de monde. Il y en a beaucoup partout. Pas de soleil aujourd’hui, et des apparences d’orage. J’ai beaucoup joui de cette chaleur brûlante et brillante. Avez-vous rapporté quelques bonnes paroles, sur vos fils ? Vous les méritiez bien. Avec tout ce que vous m'avez dit de l'Impératrice de son coeur, de son esprit et de son tact, il me semble impossible qu’elle ne veuille pas, et qu’elle ne sache pas vous faire ce grand plaisir.
Je suis charmé que vous n'ayez pas un moment de solitude. On n'est jamais seul à Paris. Le contraire de Londres. Je vous trouve en effet un peu paresseuse, de ne pas pousser un jour jusqu'à Champlatreux. Ce n’est guère plus qu’en une fois, la somme de vos promenades de la journée. Vous êtes encore plus adonnée à vos habitudes que paresseuse ; il vous en coûte de faire ce que vous ne faites pas tous les jours.

11 heures
Votre lettre ne vient pas. En voilà deux qui manquent cette semaine. C'est singulier. à moins que vous ne m'ayez pas écrit tous les jours. A demain donc. Adieu. Adieu. G.
Je viens de vérifier vos numéros. Le 32 m’a manqué. Par conséquent jusqu'à avant hier vendredi 9 vous avez écrit tous les jours. J'attendrai demain impatiemment.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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36 Val Richer, 9 Juillet 1852

Si vous avez vu, ou quand vous aurez vu M. Fould, pouvez-vous me dire pourquoi le Prince-Président (du Sénat) a dit dans son discours d'adieu. " Le Sénat a adopté deux des senatus consultes organiques qui lui sont attribués par la Constitution. " Quels sont ces deux senatus consultes. Je ne m'en souviens pas du tout. Est-ce que la fixation de la liste civile en est un ?
Autre question. Je vois qu’on prépare par tout des fêtes au Président ; Lille, Nancy, Limoges, Bordeaux ce sont trois points extrêmes de la France. Est-ce qu’il ira partout ? Encore M. Fould saura cela.
Je trouve que dans le petit article du moniteur sur les bruits de complot, dans l’armée qui n'ont aucun fondement sérieux." Le mot sérieux est de trop. C'est le premier mot que je relève dans le Moniteur depuis que je m'y suis abonné.
C'est singulier que les mauvaises passions de la vile multitude de Vichy soient encore échauffées au point de s'adresser au Général St Arnaud. Il n’y a pas de mal que les avertissements soient si clairs. Personne n’est plus convaincu que moi que les mauvaises passions ne sont pas vaincues. Le Roi Louis Philippe. me disait souvent : Nous ne faisons que de l'eau claire ; c’est un prophète qu’il faut oui un prophète, quelqu’un qui change les esprits ; Rousseau a rendu les hommes fous ? C'est très bien fait de déployer la force matérielle ; il la faut d'abord, et absolument ; c’est les sine qua non de la victoire ; mais elle ne suffit pas, bien s'en faut ; et quand on l’a, on se persuade trop aisément qu’elle suffit. On est trop absolutiste et pas assez anti-révolutionnaire.
Le Ministre de la guerre fera très bien de bien punir les gens qui l’ont insulté ; mais quand ceux là auront été envoyés à Lambassa, il s'en refera d'autres à Vichy, si on ne sait, ou si on ne peut que punir.
Voilà notre ami Ellice réélu à Coventry, Je n'étais pas inquiet pour lui. Il sait faire ses affaires. Il se serait fait radical s'il l’avait fallu pour être élu. Le caractère de l’esprit révolutionnaire, c’est précisément le regarder tout comme permis et tout comme possible. Ellice en est un peu entaché, tout anglais, tout riche et tout spirituel qu’il est. Je suis bien pressé que vous ayez Aggy. Vous aurez Duchâtel tout le mois de Juillet. Son fils le retient à Paris, jusqu'au commencement d'Août. Je ne sais pas les projets de Montebello.

10 heures
Pas de lettre. Cela m'étonne un peu heureusement j'en ai une de Duchâtel qui me dit qu’il vient de vous voir, et que malgré les fatigues du voyage, vous lui avez paru avoir très bonne mine. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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33. Paris le 9 juillet 1852 jeudi

Je n’ai pris à Schlangenbad qu’un seul bain. Je n’avais pas le temps. Voilà la vie de cour. Ils ont fait du bien à l’Impératrice. Je les aurais pris avec grand bénéfice après son départ pendant 15 jours, si Aggy était venue. Voici qu’elle s'annonce pour le 14 c’est encore bien long.
Paris est étouffant. Je vois tout le monde. Fould, Caumont, voilà pour la Cour. Toute la diplomatie. Duchatel, Dumon, Noailles les indépendants. L’Empire ne se fait pas encore, on n’en parle pas ; pas du tout. Il faut une femme, elle n'y est pas encore. Le Prince se porte à merveille & se repose à St Cloud. Il ira à Strasbourg le 17. 3 jours d'absence.
Je vous répète que j’ai beaucoup à vous raconter et rien à écrire. Je cause avec vos amis, je les écoute & je leur apprends. Je suis trop paresseuse pour aller à Champlatreux. Je n’ai pas eu une minute de solitude de puis mon arrivée. Je me lève à 7. Je me promène jusqu'à 8 1/2 alors je me renferme. Je dîne à 3, à 6 h. je sors pour rentrer à 8 1/2 & je me couche voilà ma journée.
De 10 à 6 on vient me voir. Kisseleff part demain pour Vichy. Hatzfeld est bon d’affaires. Hubner n'est pas revenu. L’Impératrice s’est bien trouvée de Schlangenbad, mais il eut fallu quinze jours encore & l’Empereur ne lui a pas accordé. Je n’ai pas encore eu le temps d'écrire un seul mot à l’Impératrice. Adieu. Adieu.
On me dit que je ne trouverai rien à Dieppe. C'est là que je veux aller, mais j’ignore si je réussirai. Je le saurai demain Adieu.
Drouin de Lhuys va avoir les aff. étrangères. On changera aussi M. Duruflé. Lord Mahon & Cardwell ont perdu leur élection.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°35 Val Richer, Jeudi 8 Juillet 1852

A part la fatigue les bains de Schlangenbad vous ont-ils fait quelque bien ? Vous êtes-vous baignée régulièrement ? Et l'Impératrice, comment s'en est-elle trouvé ? Le mois de Juillet vaudra mieux que celui de Juin pour des eaux allemandes. Par cette chaleur-là, les environs d’Ems doivent être charmants. Je conserve une impression singulièrement vive des lieux qui m'ont plu, et où je me suis plus.
A mesure que les élections anglaises, approchent, il me semble que leur aspect en plus favorable à Lord Derby. La question sera décidé ces jours-ci. Je veux du bien à Lord Derby quoi que je n'en espère pas beaucoup. Si Lord John ou sir James Graham reviennent au pouvoir ils y feront les affaires des radicaux, ce qui fera, sur le continent, les affaires, soit des révolutionnaires, soit des absolutistes. Ni les unes, ni les autres ne sont les miennes. Ceci ressemble presque à une provocation. Ce n’est pourtant pas mon goût. Je n’aime pas du tout à me disputer avec les gens que j’aime. J’aimerais bien que nous fussions toujours du même avis. Mais puisque vous êtes toujours du même avis que le Prince Charles de Prusse, il n’y a pas moyen.
Il m’est arrivé ces jours-ci de l'administration locale, une question très bienveillante, elle m’a demandé, si je voulois être porté au conseil général dont les élections se feront bientôt, comme de raison, j’ai répondu que non, que je voulais rester en dehors des affaires comme de l'opposition. Je n'ai jamais vu l’horizon plus calme. Pour mieux dire, il n’y a rien du tout à l'horizon. C'est même là le mal principal de la situation. Il faut qu’un gouvernement ait devant lui un avenir. Celui-ci est traitement renfermé dans le présent. C’est là ce que je crains pour lui ; il ne se résigne pas à une portée si courte ; il voudra étendre plus loin la main, et il se fera de mauvaises affaires sans nécessité, si ce n’est qu’il faut avoir des affaires.

11 heures
Je suis charmé de vous savoir arrivée même en compagnie de Juifs, vous devez avoir en effet grand besoin de repos. Je vous ai écrit hier qu'à moins de vraie nécessité, je n'irais pas vous voir tout de suite. Cela me dérangerait vraiment beaucoup. Ne vous tourmentez pas trop de l'avenir quant aux Ellice. J’espère bien que vous n'aurez pas à y renoncer. En attendant, vous allez avoir Aggy. Nous verrons ce qu’il faudra faire pour vous l’assurer, elle ou la sœur. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°34 Val Richer 7 juillet 1852

Vous arrivez, je pense, aujourd’hui. à Paris. J’espère que malgré votre vaillance. vous vous serez reposée un jour à Bruxelles. Le voyage, par cette chaleur doit vous fatiguer beaucoup. Je regrette que vous ne jouissiez pas de ce temps-là comme j'en jouis. Je me promène dans mon jardin à toutes les heures. La chaleur, et la lumière, c’est la vie. à moins que vous n'ayez tout-à-fait besoin de moi, je n’irai pas vous voir tout de suite. J’attends quelques visites. Je suis en train d’un travail que je ne voudrais pas interrompre. Je me suis promis de finir cet été plusieurs choses que je tiens en effet à finir d'avance dans la vie, et j'ai l'âme encore assez pleine pour désirer que les années qui me restent ne soient pas vides. J’aimerais mieux aussi placer nos quelques jours de réunion un peu moins loin du terme de notre longue séparation. Quand vous aurez un peu entrevu ce qu’il vous convient de faire dans ce moment, vous me le direz, et j'adapterai mes plans aux vôtres.
J’espère bien qu’Aggy ne se fera pas attendre longtemps. C'est bien dommage que la maladie de cette pauvre Fanny’s soit venue troublée vos arrangements avec ses deux soeurs ; ils étaient bien bons pour vous. Vous garderez, je vois, de votre séjour à Schlangenbad. Un agréable souvenir ; agréable au coeur, ce qui vaut mieux que tout ; et aussi comme agrément d’esprit. Je ne suppose pas qu’à prendre les choses, en grand et dans leur ensemble, vous ayez beaucoup appris là ; il n’y a plus de grands secrets ; mais beaucoup de détails intéressants, et qui rectifient les idées. Il n’y a rien de si commun aujourd’hui que les idées vrais en gros et chargées d’erreurs ou pleines de lacunes. Je n’aime pas cela. J’aime à savoir les grandes choses exactement, et par le menu.
Vous ne lisez pas les feuilles d'havas. Je vous assure qu’elles le mériteraient quelque fois. Il y avait hier, sur les prétentions et le ton du gouvernement anglais dans les affaires Mather à Florence et Murray à Rome, un article excellent. On comparait ces deux affaires à celles du général Haynac et du prêtre Achille, et on demandait à l’Angleterre. si elle avait de quoi être si exigeante, en fait de police et de justice. C’était de la justice amère, et dont il ne faudrait pas tirer des conclusions générales, mais de la justice vraie et topique dans l'occasion.
Je suis curieux de savoir si lord John Russell sera élu dans la cité. Cela se décide aujourd’hui. 11 heures Je n’ai pas de lettre aujourd’hui. Je m’y attendais un peu. J’ai bien envie de vous savoir arrivée à Paris et pas trop fatiguée de cette chaleur. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°33 Val Richer Mardi 6 Juillet 1852
6 heures

J’ai eu hier vos N°27 et 28, Schlangenbad et Stolzenfels. J’espère, pour vous, que vous n'avez pas en la chaleur que nous avons ici depuis trois jours ; avec votre fatigue, vous en auriez été accablée. Vous aurez certainement grand besoin de repos. Je suppose que vous arriverez à Paris demain ou après-demain. Vous y aurez bientôt Aggy, si elle n’y est déjà ; la lettre que je vous ai envoyé était positive sur cela ; elle valait mieux pour le présent que pour l'avenir. Votre navigation sur le Rhin a dû être très agréable. J’aime le Rhin, les bons bateaux et la bonne compagnie. Je serais fâché de savoir que je ne reverrai jamais Stolzenfels.
Malgré la saison, vous ne serez pas seule à Paris, on n’y est jamais seul. C'est le lieu où l’on peut le plus se reposer sans s'ennuyer. Vous y avez toujours vos diplomates. Je regrette pour vous Stockhausen. Connaissez-vous son successeur ? Les hommes du nouveau Roi ne vous seront probablement pas aussi familiers, ni aussi dévoués que ceux de l'ancien. Je n’ai toujours point de nouvelles à vous dire. C'est vous qui m'en direz.
Le discours de la Reine d'Angleterre m’a assez plu, quoique trop long. Il est d’un ton tranquille. On aurait peine à y voir, si on ne le savait pas, qu’elle a changé de ministère et de parti.
Je travaille et je m'amuse vraiment à travailler. Je raconte comment Cromwell a eu envie de se faire Roi, et pourquoi il a eu le bon sens de ne pas se faire Roi. Je n’ai pas choisi récemment le sujet et je ne cherche pas du tout les analogies ; mais je m'amuse à les rencontrer. J’ai peine à croire à l'expulsion de Thiers de la Suisse ; les conservateurs suisses ne sont pas si brutaux et les radicaux suisses auraient tort d'être si rancuniers. Il a défendu les corps francs.

10 h 1/2
Voilà votre N°30. Je suis charmé que ce soit fini. Vous en aviez vraiment besoin. Vous êtes cependant plus forte que vous ne croyez. Ce que vous me dites de votre journée du 3 et de votre matinée du 4 aurait lassé je ne sais qui ; et vous ne vous arrêtez-même pas à Cologne vous allez coucher à Aix-la Chapelle, et vous ne savez pas si vous vous reposerez un jour à Bruxelles. Ne dites pas, je n'en puis plus.
Adieu. Adieu. Vous serez certainement demain à Paris, comme cette lettre. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°29 Val Richer, Vendredi 2 Juillet 1852

Voici une lettre de Marion qui ne vous plaira guères. Vous en savez certainement déjà une partie ; elle vous a écrit, me dit-elle, qu’Aggy ne vous rejoindrait qu'à Paris. Il faut que vous sachiez le tout. Je ne sais si vous auriez mieux aimé rester sur le Rhin avec Aggy que revenir à Paris et l’y trouver ; après le mois que vous venez de passer, vous devez avoir besoin de repos sans solitude, et vous aurez cela à Paris mieux que sur le Rhin. Vous venez d'être très fatiguée et très intéressée ; il vous faut du calme sans vide, il me semble que sur le Rhin, à Baden, Wiesbaden, Ems, n'importe, vous n'auriez ni l’un ni l’autre. Pourquoi n'iriez-vous pas un peu à Versailles, où vous trouveriez Dumon, un peu à Maintenon un peu à Dieppe ? Je parle au hasard ; il n’y a pas moyen de discuter cela de loin.
Fould est un homme d’esprit qui sait se conduire dans le présent, et qui voudrait bien arranger l'avenir. Envie fort naturelle aux gens d’esprit. Mais l'oeuvre est plus difficile.
Je suis fort aise que la rencontre de l'Impératrice, et du Roi Léopold ait réussi, et j’espère que ce sera le prélude de quelque chose de plus et de mieux encore. Soyez sûre que pour toutes les affaires de tout le monde, le Roi Léopold est un homme considérable, et qui ne demande qu’à faire très bien, pourvu qu’il soit un peu bien traité.
Avez-vous remarqué le discours de Lord Palmerston à propos de la motion de Sir Harry Verney sur les missionnaires anglais expulsés de Hongrie par l’Autriche ? Il a rarement été plus perfidement anti-autrichien et plus habile pour plaire en Angleterre. Le coup de patte qu’il a donné en passant à Lord Granville doit être fort désagréable à celui-ci. Palmerston jouira encore un rôle. Je ne sais si le comte de Bual sera très flatté de ses compliments. Aberdeen me dit qu’il part pour l'Ecosse trois jours après la dissolution du Parlement.
J’ajoute un fait à ce que je vous disais hier sur l'importance prochaine des questions religieuses. Il se prépare et déjà, il se commence dans l'Eglise anglicane, une scission pareille à celle qui s’est faite, il y a quelques années, dans l'Eglise Presbytérienne d’Ecosse, c’est-à-dire que l’Eglise Anglicane se coupera en deux, l’une restant officielle et unie à l'Etat, l'autre séparée et indépendante. Et voilà, un M. Gladstone frère, je crois du politique, qui entre dans ce mouvement. Les Catholiques croiront que c'est la reine de l’Eglise anglicane qui commence et ils se tromperont, ne comprenant pas l’Angleterre, ni la liberté religieuse.

11 heures
Votre rhume me déplait. Et par conséquent votre dîner en plein air, même quand on vous regarde manger. Ce régime-là ne vous irait pas longtemps. Je vois qu'ayant Kolb vous retournerez vous reposer dans Schlangenbad solitaire, de Schlangenbad impérial. Adieu, adieu. G.
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