Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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344 Paris Mercredi 15 avril 1840
6 heures
J’ai eu une longue visite des Appony. J’ai fait une longue promenade au Bois et me voilà. Le Roi n’a pas encore reçu M. de Pahlen. C’est de l’intuition et c’est juste. M. de Pahlen, de son côté n’avait pas perdu un moment pour demander l’honneur de faire sa cour, car lundi à 10 h. du matin il était chez Thiers pour le demander. Il n’a pas encore reçu d’avis. Médem aura je crois l’ordre de se rendre à son poste bientôt. Il est parfaitement clair que c’est une disgrace dont on lui ôte cependant le droit de se plaindre. On a détaché du poste de Stuttgard celui de Darmstadt qu’avait Brünnow aussi. Ce qui diminue la paye et beaucoup d’agrément, vu les projets de mariage. J’ai une lettre de mon frere, simplement pour me suplier d’écrire vu que mes lettres sont si intéressantes. Quelle rage de me dire toujours cela par la poste ! Il médite une petite vilénie. Je leur dirai qu’ils n’auront plus de lettres intérissantes s’ils ne me renvoient pas ma correspondance avec le comte de Nesselrode. Je veux absolument la ravoir.

Jeudi le 16. 10 heures
Je vous écris un mot avant d’aller prendre l’air. J’ai besoin d’air mais j’ai besoin de vous aussi, et davantage. Je n’ai rien vu d’intéressant hier au soir que le Duc de Noailles, il est satisfait de lui-même. C’est à bon marché, mais je flatte avec plaisir son illusion parce qu’il me plait au fond c’est un esprit plus sérieux que la plupait des gens avec qui je vis. Bon dieu qu’il a envie des Affaires. Il les ferait très bien très
proprement j’en suis sûre. Il convient que jamais les affaires extérieures de son pays n’ont été dans des mains plus habiles qu’à présent, et que si on échoue la faute en sera aux événements et non aux hommes, en effet c’est une grande ambassade que la vôtre. Avec lui, je sais vous louer. Je ne sais pas ce qui se passe en fait de souffres. Le Pce Castelcicala est toujours ici. On dit que c’est un sot et un brutal. Génie me dit que vous avez parlé dans quelques lettres à lui ou à Mad. de Meulan d’une visite de quelques jours qu’elle pourrait vous faire. Permettez-moi de vous dire que vous avez tort. For long or short, il ne faut pas qu’elle aille en Angleterre. Ou on médira ou on en rira. Si vous ne la montrez pas, on croira que c’est quelque charmant objet. Si vous la montrez vraiment, convenez que c’est trop fort ! Ainsi, sandale, ou ridicule, vous ne sortirez pas de ces deux alternatives. Je vous dis des choses brutales mais vraies parce que je serais bien fâchée de cette tache à votre bonne situation à Londres. Et que votre longue habitude de Mad. de Meulan et de quelques bonnes qualités ne vous trompent pas à son sujet. Je vous déclare que moi, je n’ai jamais manqué de rire un peu quand je la voyais entrer dans un salon avec vous... Moi, c’est le public.

Mardi
J’ai envoyé savoir des nouvelles de Pauline, et on m’a répondu par des menaces de rougeole. Je ne sais si c’est elle ou Henriette. Je vais aller moi-même y regarder. Je suis inquiète parce que vous allez l’être, point du tout parce qu’il y a de quoi. Une rougeole est une fort bonne chosedans cette saison et il faut l’avoir eue. Mais de loin on a si peur et de prés aussi, je sais cela. Je n’ai pas de bonnes paroles à dire sur ces choses. Je vous parle de Pauline parce que je suppose qu’on vous en parle, et que je veux que vous sachiez bien que tout ce qui vous occupe m’occupe, et de la même façon. J’attends mon fils Alexandre, mais j’attends une lettre avant et elle ne vient pas. Adieu. Adieu, Voici une courte lettre, je n’ai point de nouvelles à vous dire. Vous a-t-on envoyé le grand cordon, vous ne m’en dites rien? Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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345 Paris jeudi 16 avril 1840,
6 heures

J’ai été chez votre mère. J’ai vu Henriette. Elle a le visage bouffi, mais votre mère dit que c’est tout bonnement ses joues, et qu’elle est engraissée. La crainte de la rougeole se dissipe On ne croit pas qu’elle l’aie. Pauline était dans son lit. Je ne l’ai point vue. Guillaume se porte bien votre mère n’a pas l’air inquiet du tout, mais l’idée de votre inquiétude la préoccupe. Voilà exactement ce que j’ai trouvé dans votre maison et dont je vous rend un comple fidèle. J’ai vu Granville. Il a l’air d’être dans la confidence du délai de la reception de Pahlen. Le Serra Capriola attend aussi, parce que lui aussi n’était pas pressé d’arriver. 

Vendredi 17, 8 heures
J’ai dîné seule. Je me suis fait trainer en calèche après le dîner. Le soir j’ai vu Appony, Armin, l’internonce. Pahlen était venu deux fois dans la matinée ; je l’ai manqué. Et le soir il court les petits spectacles pour commencer peut être aussi n’aime-t-il pas rencontrer des questioneurs avant d’avoir été au château. Je crois que la semaine se passera sans audience. Appony n’a encore rien eu de sa cour sur l’affaire de Naples, mais on dit qu’il y a grande rumeur à Vienne sur ce sujet. Vous saurez cela mieux sans doute.

10 heures
Je viens de parcourir le journaux. Ils disent que M. de Pahlen a eu son audience, par conséquent les Ambassadeurs et moi nous étions mal informés J’ai envoyé à la rue de la Ville l’Evêque. Henriette n’a pas de rougeole, et Pauline a assez bien passé la nuit. Voilà le bulletin. J’ai eu hier une très longue lettre de lady Palmerston. Elle me dit que vous allez demain à Holland House pour deux jours. J’en suis bien aise. Cela vous fera plaisir. Elle parle extremement bien de vous, décidément vous lui plaisez beaucoup. Lord Grey m’écrit avec aigreur sur toute chose et tout le monde. A propos, il me dit qu’Ellice est très peu bienveillant pour les Ministres Je vais voir cela tout à l’heure, il arrive aujourd’hui. Lord Grey me dit qu’il n’a fait que vous entrevoir, qu’il n’a pas d’occasion de causer avec vous. J’en suis fâchée. Je voudrais qu’il vous entendit. Est-ce que vous ne vous êtes point fait visite? Il serait convenable de demander à aller voir lady Grey c’est une très respectable personne. Je vous envoie cette pauvre lettre, elle vous trouvera au milieu de cette belle verdure de Holland House. Il n’y a pas d’arbre que je ne connaisse. J’y venais souvent souvent le matin, lorsque les Holland étaient absents. J’y restais des heures entières. J’écris aujourd’hui à la duchesse de Sutherland ; je parle du mois de Juin sans préciser le moment, car eux-même seront absents la première quinzaine et ne pourraient pas me recevoir alors. J’explique un peu mes jambes. Coucher au second est absolument impossible, il y a 90 marches. S’ils ont encore à me donner l’appartement du rez de chaussée, je serai fort contente d’être chez eux. J’apprends que Paul part à la fin de ce mois-ci pour la Russie. Il n’est donc pas vraisemblable que son frère le voie avant, ce qui pourrait fort bien faire qu’Alexandre ne vint pas du tout ici. Encore ce mécompte.
Je n’ai point de lettres de vous depuis avant-hier, et voici 1 heure. Il n’est pas vraisemblable qu’elle vienne, j’en suis fâchée. Adieu. Monsieur, adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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345. Londres, Samedi 18 avril 1840
8 heures et demie

Je viens de réussir dans une petite négociation qui a quelque valeur en elle-même et quelque importance pour moi. A la première nouvelle des vivacités de l’Angleterre à Naples, en causant avec Lord Palmerston et le voyant un peu préoccupé des conséquences possibles, une insurrection en Sicile, des embarras en Italie et, je dis quelques paroles des bons offices de la France et du parti que l’Angleterre en pourrait tirer. Elles furent bien accueillies. Elles le furent très bien à Paris. J’ai mené l’affaire vivement, et un courrier vient de partir hier soir pour Lord Granville qui acceptera la médiation de la France entre l’Angleterre, et Naples chargera la France de négocier au nom de l’Angleterre et lui donnera le pouvoir de suspendre les hostilités contre le pavillon Napolitain. Cela sera bon dans le cas particulier et d’un bon effet général. On verra que la France et l’Angleterre ne sont pas si près de se brouiller, ni si dénuées de confiance l’une dans l’autre. Lord Granville vous aura peut-être déjà parlé de ceci quand ma lettre vous arrivera. Ayez soin seulement de n’en pas parler la première. Du reste, je suppose que l’affaire une fois conclue, on n’aura rien de plus pressé que d’en parler. Je crois avoir bien saisi et bien poussé l’à propos.
J’ai eu hier un pauvre sermon d’une insignifiance et d’une séchéresse rare, commune ici, me dit-on. Mais la foi, et la componction des assistants supplient le talent du prédicateur. J’ai été édifié du recueillement et de l’air convaincu, pénétré, de tout le monde. J’étais à St George hanover-square, la paroisse fashionable. Lady Palmerston s’est mariée là ! Je suis revenu à pied, par un beau temps, mais un vent de Nord-Est fort et froid. Je suis allé faire quelques visites, c’est-à-dire des cartes. Dans la cité pour la première fois, à la Deanery de St Paul, pour l’Evêque de Landaff. J’ai été frappé de l’aspect vraiment monumental de Temple Bar. Lord Wiltoughby, Lord Hermiker, Lord Nugent, le comte de Lovelace (qui a épousé la fille de Lord Byron, jolie et aimable) Lady Willians Pawlett et la comtesse douaierière de Charleville. Voilà, je crois, un compte-rendu bien complet, jusqu’à mes visites.
Le soir, à Holland-House où j’ai trouvé Lord Palmerston qui m’a dit que son courrier venait de partir. Lady Holland me soigne extrêmement. Elle m’a envoyé hier un ouvrage, qu’on dit curieux, sur les principaux procès criminels de l’Angleterre. Je lui envoie ce matin mon maître d’hôtel pour prendre la mesure de papiers de lampe dont elle a besoin et que je lui ferais venir. Palmerston, Hobhouse, Dedel, Neumann, Bülow, Rogers, voilà Holland House hier au soir. On cherchait un vers qui contenait un mot singulier et qui devait être, selon les uns dans Milton, selon les autres dans Shakespeare. On ne l’a pas trouvé.

3 heures
Ces menaces de rougeole me préoccupent extrêmement, et je n’en sais que ce que vous m’en dites. Je n’ai rien de ma mère ce matin, à mon vif chagrin. Elle aura envoyé sa lettre aux Affaires étrangères, pour le courrier de jeudi qui n’est pas parti, sans doute à cause du débat de la Chambre des Pairs. Je n’aurai donc rien que demain, entre midi et 2 heures. Quelle fièvre que la vie ! Je le repète sans cesse parce que je l’éprouve sans cesse. Je suis depuis deux mois dans une grande activité d’esprit, de cœur, de corps. Je n’en suis pas fatigué ; mais j’aurais besoin qu’aucune fatigue extraordinaire, aucune préoccupation extraordinaire, aucun accident, aucune épreuve ne vînt ajouter son fardeau à mon travail, son agitation à mon activité.
Je n’ai jamais senti les contrariétés, les inquiétudes plus vivement que depuis deux mois. Pendant que je lis, que j’écris, quelque idée poignante, quelque crainte horrible me vient tout à coup. Je me lève. Je fais quelques pas dans ma chambre. Je joins les mains devant Dieu ; je le prie, je le conjure deux secondes, qui me semblent des heures. Je me remets à travailler. Et je recommence dix fois. Ah, si Dieu veut encore faire quelque chose de moi, si je lui suis encore bon à quelque chose en ce monde, qu’il protège ce que jaime vous, mes enfants, ma mère. J’ai usé beaucoup de force à supporter. Il m’en reste bien peu.
Alexandre passera-t-il un peu de temps avec vous ? Vient-il prendre son frère ici pour aller en Russie ou se sont-ils donné rendez-vous quelque part ? Je n’ai entendu parler de Paul qu’une fois, Bourqueney, peu avant de partir, a dîné avec lui chez le baron de Munchausen.
On ne m’a pas encore envoyé le grand Cordon. Ce sera probablement à la fête du Roi, le 1er mai. C’est l’époque.

4 heures 3/4
J’ai été dérangé par Neumann et Bülow, de la pure conversation. La semaine prochaine sera stagnante. Tout le monde va à la campagne.
Adieu, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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348. Paris Lundi 20 avril 1840, 10 heures

Après ma promenade au bois avec Marion, j’ai eu une longue visite de mon ambassadeur. Il est très confiant, et peut être même un peu plus defférent que jadis. A propos Je modifie l’article duc de Bordeaux en ceci : qu’on essaye de le dissuader de venir en russie. Mais cette confidence directe a flatté, et a fait dire que c’était la premiere parole agréable qui ait été reçe ici de la part de l’Empereur.
Les Ambassadeurs donnent raison au mien au sujet des visites de ministres. Ils lui doivent les avances ; aucun n’est venu. Cela le dispense de faire leur connaissance. Il me parle beaucoup de Brünnow, et voudrait bien que j’ecrivisse à mon frère à son sujet, c’est-à-dire pour montrer l’inconvenance de ce choix. Je lui dit que je ne m’en mélerais pas d’ici, mais qu’une fois à Londres, je dirai peut être ce que j’en pense après avoir vu. J’ai dîné hier chez les Appony. On m’a fait entendre M. Liszt pianiste d’une grande célébrité. C’est un possédé, un enragé, faisant des merveilles, à me faire fuir. De là, un moment chez les Granville et puis chez Brignoles. Il me semble que Naples va mal. Votre médiation y fera-t-elle quelque chose ? Il y avait beaucoup de monde en Sardaigne, mais rien qui
vaille la peine de vous être redit. J’ai reçu à mon reveil une lettre d’Alexandre de Marseille. Il sera ici demain, je crois. Je m’en réjouis bien, mais j’imagine qu’il ne fera que passer pour aller trouver son frère reviendra-t-il après l’avoir vu ?Voilà ce que j’ignore.

Midi
Je viens de recevoir votre lettre. Je suis charmée de vos succès. Lord Granville m’avait dit un mot hier, mais qui ne me paraissait pas aussi catégorique. Vos inquiétudes me chagrinent extrèmement, mais vous aurez été rassuré. D’abord pas de rougeole et puis Pauline va mieux. Le lait d’ânesse, administré à tout le monde fait du bien à tous. J’ai des nouvelles tous les matins. Je crois que j’enverrai chercher M. Andral ; je ferai demander chez vous où il demeure; le vent d’est persévère, mais cependant je ne puis pas être malade seulement du vent.
Adieu ; je vous envoie la lettre de Lady Clanricarde par votre foreign office, mais je fais bien je crois de vous envoyer ceci par notre voie ordinaire.
Adieu, adieu, tranquilisez vous et soignez vous. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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349. Paris, Mardi le 2l avril 1840
9 heures

Je commence par vous donner des nouvelles de Pauline. Je l’ai vue hier. Sa mine est très différente de celle de l’autre jour. elle a l’air animé. Le teint, les yeux, tout est mieux elle cause gaiement. Les autres étaient allés se promener ainsi tranquilisez vous tout-à-fait. J’ai fait un peu de bois de Boulogne seule, une visite à la petite princesse, mon diner solitaire, la soirée chez Lady Granville. J’avais dû y diner mais tout-à-coup cela m’a ennuyé et je n’y suis venu qu’après. Il y avait la diplomatie et l’Angleterre car il y a beaucoup d’Anglais ici dans ce moment. Je ne sais si on sait votre médiation on ne m’en a pas parlé, et je me suis tue. J’ai reçu hier une lettre de mon banquier à Pétersbourg. Mon frère se refuse tout-à-fait à se mêler de la vente de la vaisselle ; cela lui déplait, et il veut que Bruxner ait mes pleins pouvoirs et non pas lui. voilà qui va faire encore un très long delai, d’autant plus que la saison n’est plus favorable à des ventes. Les autres effets ont été vendus, c’est peu de chose, il m’en revient 6000 francs. Je vous dis toutes mes affaires.

10 h 1/2
Je rentre des Tuilleries. Il fait froid mais beau. Cependant ce temps sec m’est odieux, je ne respire pas à l’aise ; la pluie me ferait tant de bien. Je viens de lire les journaux, la
médiation y est.
J’ai prié Madame votre mère de m’envoyer M. Andral. Elle l’attendait hier soir. Rothschild est venu m’interrompre. Il me donne de très bonnes nouvelles sur votre compte.

Mercredi le 22 9 heures
Mon mot d’hier écrit à toutes les heures, a été interrompu par l’arrivée de mon fils. Appony l’avait précédé. Tout cela ensemble a fait qu’il était trop trod pour espérer gagner la poste. Vous n’aurez donc pas de lettres demain ; mais au fond cest juste mon mardi sera votre jeudi. Le mardi est un bien vilain jour. (interruption, mon fils)

10 heures, Voici votre lettre ; dieu merci vous êtes rassuré pour Pauline et vous avez tout lieu de l’être. Je ne trouve aucun changement dans votre mère. Elle est tout-à-fait comme je l’ai vue à mes autres visites. Et point inquiète. seulement préoccupée de votre inquiétude.  Je ne suis point d’avis que vous la laissiez quinze jours, sans lui dire votre résolution. Le vague est toujours ce qui tourmente le plus, ainsi l’idée du voyage, de la traversée, d’un nouveau lieu à habiter tout cela doit lui tourmenter l’esprit. Quand vous lui aurez dit le Val Richer, je suis sûre qu’elle en sera plus tranquille du moins je serais comme cela à sa place, et puis dites lui que vous viendrez la voir en été ; trompez la un peu, ici c’est nécessaire, cela lui ferait peut être du bien.
Décidement vous aurez Lord Palmerston à dîner vis-à-vis de vous. N’étant pas à côté le vis-à-vis est la premiere place, et elle lui revient. Dans vos convives, voici la hiérarchie. Le Président du conseil. Le Pristy seal (Clarendon). Le duc de Wellington, le marquise de Normanby, Lord Minto, &. Mais Melbourne comme premier ministre doit absolument être auprès de vous. Lui et Landsdowne à vos côtés. Wellington et Clarendon auprès de
Palmerston. Soyez sûr que j’ai raison, et ce conseil est moi et Granville ensemble. J’ai dîné avec mon fils. Le soir j’ai vu Granville, mon ambassadeur,  le Duc de Noailles, Ellice, Capellen, les Durazzo. Granville avait été un peu blessé des termes dans lesquels le Constitutionnel avait annoncé la médiation. Il a fait modifier dans le Moniteur parisien. Le duc de Noailles regarde cette affaire comme un grand succès pour vous et une très bonne affaire pour le ministère. Il dit c’est heureux et habile.

1 heure
Je ne puis pas être à Londres dans une auberge d’abord et puis chez les Sutherland. Il faut tout-à-fait l’un ou tout-à-fait l’autre. Autrement, cela n’aurait pas de sens, et je touve l’un beaucoup plus convenable que l’autre. Je suis sûre que je vous en ferais convenir si je vous parlais. Ils ne seront à Londres qu’après les vacances de la Pentecôte. Je pourrais bien me trouver dans les environs de Londres avant, et j’y ai pensé déjà. Je vous prie d’y penser aussi. Il me semble que Norwood est ce qu’il y a de plus près, ou bien Hamstead, si depuis mon temps il y a quelque bonne auberge établie là. Informez-vous en. J’y passerais quelques jours. Vous m’y viendriez voir, mais on  ne saura que j’y suis que lorsque je le voudrai. Norwood est au midi de Londres en passant Westminster bridge. Hampstead au nord par le Regents park. Ceci vaudrait mieux peut-être, c’est plus près de chez vous. Il y a de mauvaises nouvelles de Bruxelles à ce qu’on disait hier au soir. La Reine était menacée d’une couche prématurée. Ceci pourrait faire des delais dans la noce. On parle beaucoup d’un sermon à St Roch. L’abbé Cœur a fait un discours superbe sur l’amour de l’or, la Reine s’est fâchée, et n’a plus reparu à St Roch. Je suis étonnée qu’elle ait fait cela, mais s’est parfaitement vrai et parfaitement connu. C’est dommage. Mon fils est très bien, et très bien pour moi, il me parait avoir et du regret et de l’étonnement de ce que Paul ne soit pas venu. Il ditqu’il lui a écrit sur ce sujet très fortement. Mais cela n’y fera rien. Dans ce moment il entre, pour me dire qu’il faut qu’il soit à Londres dans 6 jours. Je ne replique rien. Je n’ai plus d’opinion sur ces choses là. Je n’en parle pas et j’essaye de n’y pas penser.
Ellice passe son temps avec Thiers. Il y déjeune il y dine, il se promène avec lui même. Et il bavarde à tort et a travers. Il veut maintenant que les Etats-Unis demandent la médiation de la France dans sa querelle de frontières avec l’Angleterre. Il est très certain que votre affaire de Naples aura un grand éclat comme attestation de bonne intelligence entre Londres et Paris, et vous en avez l’honneur.
Adieu. Adieu. Je vous écris très à batons rompus ; car mon fils m’interrompt  à tout instant. On me fait dire que Pauline va bien. Andral n’est pas venu. Adieu, adieu beaucoup de fois.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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350. Paris, Jeudi le 23 avril 1840, 9 heures

J’ai fait ma promenade seule. Pas de visites, dîner chez Lady Sandwich avec les Granville, les Brignoles et quelques autres. Thiers devait en être, il n’est pas venu. Le soir chez moi, M. Molé, Brignoles mon amb., Tcham, les d’Aremberg, Ellice, Heischman,  la princesse Rasoumosky point de nouvelles. M. Molé comme de coutume, dénigrant. Les nouvelles de Bruxelles hier ont tout-à-fait rassuré le chateau et on passe à St Cloud ce matin, on raconte que votre médiation est conditionnelle. C’est-à-dire qu’elle prescrit d’alord à Naples de résilier le contrat mais se serait du nonsens et je ne le crois pas. On attend samedi ou dimanche la reponse par télégraphe. M. de Pahlen était vif hier sur la nécessité d’un arrangement quelconque en orient, il dit : si on ne fait pas. il y aura des troubles en Turquie, et alors nous y arrivons infailliblement et puis la guerre générale. L’Empereur est pour qu’on reprenne la Syrie si on le veut ; pourqu’on ne la reprenne pas si on ne veut pas. Enfin cela lui est bien égal mais il veut un arrangement, et il faut que la France et l’Angleterre s’entendent. Voilà le ton d’hier au soir. Il aura une conférence avec Thiers ce matin, et il enverra son courrier samedi. Je voudrais bien pouvoir mander quelque chose.
J’ai reçu tout à l’heure une lettre de Matonchewitz dans laquelle il me dit qu’il venait de conjurer Paul de passer par Paris. Nous verrons si cela fera effet. Je ne crois plus à rien de bon de ce côté là.

1 heure.
Voici le 347. Excellent speech, j’en suis aussi contente que l’auditoire, vec quelque chose de plus que lui. Lady Charleville donne des routs et des dîners, depuis 50 ans. Elle m’a constamment prié pendant 22 ans ; j’y ai été une fois, mon mari jamais, parce que c’est a bore. Ne vous en laissez pas incommoder. Il y a quarante vieilles femmes comme cela vous n’êtes pas accrédité auprès d’elles.
Henriette m’a écrit avant-hier de la part de sa grand-mère pour me dire que M. Andral viendrait à une certaine heure. je l’ai attendu il n’est pas venu, mais la menace de sa visite m’a fait du bien. Je suis mieux depuis deux jours. J’écris à mon frère je ne sais quoi car je n’ai rien, donnez-moi.
Adieu. Adieu, pauvre lettre,  mon fils me prend mon temps ; il entre à tout instant, cela me donne des fidgets et je ne puis rien faire.
Adieu, God bless you. Je suis bien contente de vous savoir plus transquille, et de savoir ici positivement que vous avez raison de l’être.
Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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358. Paris, jeudi le 30 avril 1840
9 heures

Il y a aujourd’hui 6 ans que mon mari reçut la lettre de l’Empereur lui annonçant sa nouvelle destination lettre qui lui fit lever les mains au ciel de joie, et moi de douleur. J’ai noté ce jour comme un des plus cruels de ma vie. Il y a aujourd’hui un an que mon fils ainé me déclara qu’il ne me reverrait jamais. C’est un triste jour que ce 30 avril. J’aurai de vous une lettre n’est-ce pas ? Deux probablement, car je n’ai rien eu hier. Rien depuis lundi. C’est long. J’étais inquiette hier. Je suis allée chez votre mère pour savoir si elle aussi manquait de lettres elle avait eu la sienne, ainsi vous vous portiez bien. J’ai trouvé tout votre monde en parfaite santé et vous pouvez être bien tranquille Je me suis promenée avec Marion. J’ai dîné chez M. fFeihman. De la diplomatie. On raconte que Thiers dit à propos de l’affaire des soufres : "Si j’avais fait ce que fait Lord Palmerston, qu’aurait dit l’Europe ?" C’est vrai, entendez-vous les cris d’indignation ? Il y a bien de l’injustice dans le monde. Je n’ai vu personne hier au soir. Ces dîners me font veiller tard et je manque tout le monde. Je n’ai vu que M. de Bacourt et Ellice. Je vous enverrai par le courrier des Affaires étrangères une lettre que j’ai reçue hier de Matonchewitz, elle vous intéressera.

11 heures
Je viens de faire un tour en calèche. La chaleur empêche ma promenade plus tard. J’attends toujours votre lettre vos lettres. Hier matin, j’ai vu longtemps Appony, et longtemps Fagel. Le premier est vert de mauvaise humeur. Il y a bien de l’aigreur dans son fait. Il me raconte bien des commérages. Ces gens-là ont bien envie que vous vous brouilliez avec Thiers. Ils avalent tout ce qui peut ressembler à cela. J’ai dit à Appony ce que je vous disais hier. Il faudrait de bien grosses raisons. Votre bonne intelligence est utile, et tout-à-fait convenable ; il faut qu’elle dure. Fagel est très bon enfant et fort dans le vrai sur toute chose.

Midi.
Voici deux lettres l’une par le petit médecin, l’autre par le gros monsieur. Le petit monsieur l’ayant reçu que hier à 2 heures n’a plus osé venir puisque vous lui disiez de la porter avant l heure. Je l’ai renseigné pour l’avenir. Merci de toutes les deux, et de tout. Vraiment Brünnow est trop bête. L’ Europe finira par répéter cet écho. Je vous ai dit hier un mot direct par la poste pas dessus mon autre lettre. Je répete aujourd’hui. Parlez en français à l’academie. C’était mon premier instinct vous vous en souvenez. Granville m’a déroutée, et j’ai assez de confiance dans ses avis, mais cependant je crois que le Français est plus convenable. De toutes les façons, et j’y reviens avec assurance, parce que j’entends dire qu’un ambassadeur Français doit parler sa langue là où il peut être compris et c’est vrai. C’est votre inclination aussi; c’est donc dit samedi à 8 heures je saurai que vous parlez Français. Vous ne savez pas comme je m occupe et m’inquiète de tout ce qui vous regarde. Votre dîner du 16 mai me parait trop short notice pour cette saison d’autant que tout le monde prend le samedi. Il me parait que le 23 est plus sûr. Je pense que ni les Sutherland, ni les Carlisle, ni le Duc de Devonshire, ni Lord Morpeth n’accepteront. Mais cela ne doit pas vous empêcher de donner le diner Whig, il le faut absolument avant celui-pour les Torys. J’ai écrit ce matin à M. Andral. Je ne suis pas bien de nouveau. Vraiment c’est une étrange santé que la mienne, avec mon régime, mon abstinence je ne conçois pas ce qui me dérange, je ne vois plus d’autre parti à prendre que de ne plus manger du tout. On peut s’acoutumer à cela peut être. Vous pourriez prendre M. e Mrs Slanley dans le dîner Whig si vous avez place. Adieu. Adieu.J’ai bién grondé de ce que ma lettre de samedi a été remise trop tard à la poste. Ordinairement, je les porte moi-même. Je ne suis jamais sure que de moi-même. Je viens de relire la lettre de Matonchewitz. Je vous promets qu’elle vous plaira. Vous ne l’aurez pa encore aujourd’hui. Je veux la faire lire à M. de Pahlen.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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391. Paris lundi le 1er juin 1840

Voici notre mois, qui redeviendra. nôtre. J’ai vu Granville hier. Vous ne lui avez pas écrit sur M. Rey. Mais il ne s’y attendait nullement il n’y avait pas lieu à une réponse et il sait l’essentiel c’est que vous avez fait bon accueil à son recom mandé. J’ai oublié de vous dire que souvent M. Molé me demande vos opinions sur ce qui se passe ici, les mesures qu’on prend ou qu’on projette. Je réponds invariablement que je n’en sais rien du tout. J’ai été hier au soir chez Mad. de Brignoles. On parle beaucoup du Roi de Prusse. La nouvelle n’était pas confirmée, mais elle est imminente le matin j’ai vu chez moi les Appony et Paulini, qui est très divertissant vrai italien.

1 heure. Je n’ai pas encore votre lettre. J’en ai écrite une longue à mon frère ce matin. Je ne sais où il sera maintenant On ne voudra pas à Berlin que l’Emperatrice y vienne. Elle sera bien accablée de la mort de son père. Qu’en dit Bulow ? Voilà donc la souscription nationale par terre. Quelle inconséquence que toute la marche de cette affaire ! Je crois savoir de bonne source que la session sera terminée avant la fin du mois, qu’on se hâte d’arriver au budget pour noyer ou ajourner toute autre question, Rémilly du nombre. Il fait bien chaud, j’ai mille petites affaires désagréables, et Vous savez que je ne vaux rien pour les petites tracasseries. Elles me font presque l’effet d’un malheur.
Adieu. vous une très pauvre lettre. Mais votre journée mercredi sera bien remplie, et puis vraiment je n’ai rien absolument rien à vous mander. Je trouve qu’Appony a l’air défait et triste, mais il ne dit pas de quoi. On dit que le Roi est de très belle humeur.
Adieu. Adieu. Le comte Woronzoff qui est à Londres, est un grand Seigneur chez nous. Un bon enfant. il était à notre ambassade à Londres et y est resté pendant nos deux premières années. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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411. Wrest Park, Jeudi 13 août 1840

J’ai quitté Londres hier sans lettre je n’ai eu de vous qu’un mot de Calais, et un mot d’Eu de Samedi matin. Depuis rien du tout. Cela m’inquiète et m’afflige. Je suis venue ici malade. On me drogue ici ; je suis vraiment, souffrante. Des vertiges abominables. Je m’ennuie parfaitement : c’est bien long d’y rester encore aujourd’hui et demain !
Si j’avais une lettre je partirais peut être demain. Dans tous les cas je serai à Stafford house.
Samedi 3 heures. Je vous préviens que j’ai accepté dîner à Holland house dimanche. Lady Palmerston est ici ; elle va à Windsor demain, son mari y est et y reste jusqu’à Mercredi. J’ai eu à me plaindre de la cour et de mes amis ministériels ces derniers jours. J’ai eu une lettre de Mad. de Flahaut. Une lettre de mon frère. La première ne n’envoie pas de copie. L’autre ne me répond pas encore. Il n’avait par reçu Adieu, adieu. Je suis très mécontente de n’avoir pas eu de lettres. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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433. Paris vendredi 25 septembre 1840
9 heures

J’ai vu hier Montrond et les Appony. J’ai fait ma promenade En rentrant, j’ai vu M. de Pahlen. Après mon dîner, j’ai éte un moment chez Mad. de Flahaut avant sa réception et puis chez lady Granville, que je trouve toujours au coin du feu avec son mari. Appony a eu un long entretien, hier matin avec Thiers. M. de Metternich s’emploie à arranger Thiers le trouve long et métaphysique Il voudrait que cela allât plus vite. Il a été un peu menaçant, un peu doux, et toujours un peu drôle. Appony au fond était moins inquiet hier que ces jours derniers. Tout le monde se demande " Mais comment dès qu’on va faire la guerre ! pourquoi ? " Je crois que vraiment quand le moment surprise arrivera, le ridicule pourrait bien tuer le danger. Que Dieu m’entende.
Les petits états envoient des Déclarations de Neutralité, je veux dire Sardaigne, et Suède. Les pauvres allemands n’oseront pas l’être. La Confédération en décidera autrement.
Si je vous écrivais dans mes moments de faiblesse et de tristesse, mes paroles vous feraient de la peine. De la peine et du plaisir. Le matin j’ai un peu de force, vers le milieu du jour elle m’abandonne, le soir je suis tout à fait triste, découragée. Je regarde le fauteuil vert vide, je trouve ma vie si mal arrangée ! Et puis je la crois si courte. Et ce court moment, je le passe seule ! Je ne devrais pas vous dire tout cela. Vous avez assez de votre propre tristesse et puis vendredi, un mauvais jour.
Lady Holland a bien raison de le trouver un très mauvais jour. Je suis fort bien avec Madame de Flahaut. Après la grosse explosion, elle est redevenue charmante. A propos on dit qu’elle ne parle plus dans le monde, qu’elle est d’une réserve, d’une prudence presque outrées.
Je vous envoie une lettre du duc de Noailles, car je n’ai rien à vous dire, et le dimanche vous n’avez rien à lire à Londres. Cette pauvre princesse Augusta je la regrette, car elle était la meilleure personne du monde. Elle louchait cependant , elle ne vous aurait pas plu. J’espère qu’il n’est arrivée a personne de devenir louche après cinquante ans, car après votre déclaration. tout serait donc fini ? Ma nièce plait à tout le monde. On ne peut rien voir de plus gracieux, de plus naturel et de plus élégant. Sa mère sa arriver dans quelques jours what a bore ?

1 heure
Comment se fait-il que je n’ai pas de lettres ? Je vous en prie n’envoyez qu’au gens qui attendent la poste chez eux. Adieu, adieu. Adieu à demain. Je serai bien fâchée contre vous si vous m’envoyez autre chose qu’un tendre adieu après mon explication d’hier. Je sais suffisamment me gronder moi- même et je suis trop malade pour pouvoir supporter d’être grondée. Vous verrez qu’à force de douceur je deviendrai sage tout-à-fait. Adieu. Adieu. Il y aura un Cabinet council lundi. Il sera important. C’est de Londres que je parle.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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440. Paris, vendredi 2 octobre 1840,
à 10 heures

Le voilà expliqué le bis, au moment où je commençais une toilette de nuit hier, on m’annonce Byng, je le renvoie ; il me fait dire qu’il arrive de Londres à l’instant ; je le fais entrer rêvant à la paix ou à la guerre ; c’était bien autre chose. Cette charmante lettre en tendres paroles ! Elle a passé la nuit avec moi. Ah que je voudrais vous dire à mon tour tout ce que j’éprouve. J’en étouffe, et cela reste ici. J’ai eu un rêve que vous auriez aimé. Mais ce n’était qu’un rêve !
Hier matin j’ai vu les Appony, Montrond, Bulwer. J’ai fait par ordre du médecin une promenade en voiture fermée. J’ai fait dîner Pogenpohl avec moi pour le voir manger. Ensuite j’ai reçu Tshann, et mon ambassadeur. Mais toujours dans ma chambre à coucher. Le matin j’avais eu une bonne visite de votre plus fidèle. Si la question du dehors s’arrange, savez-vous que celle du dedans sera difficile à arranger. Cela me paraît bien embrouillé, bien compliqué. Le moment des chambres sera des plus curieux. Ma nièce a eu une lettre de son père, il s’annonce positivement pour le mois d’avril, et sa femme dans quinze jours, tout cela est bien pacifique. Il parait qu’on ne rêve pas à la guerre.
Que savez-vous de la disgrâce de Bülow ? Les petits diplomates allemands l’affirment. Vous ne m’étonnez pas par ce que vous me dites de Neumann c’est un gros sot, et fort impertinent ; donnez en de bonnes nouvelles à Paris pour le cas où il y viendrait. A propos les Clauricarde viennent-ils toujours ? Elle ne m’a pas écrit depuis mon départ. Il est vrai que je ne lui ai pas écrit non plus.
J’ai eu un retour de crampes cette nuit et un sot accident après. Je m’étais fait frotter rudement l’épaule et la voilà tout ensanglantée ce matin, et me faisant un mal horrible, comme si j’avais été blessée à la guerre, aussi. ai-je fait chercher le chirurgien du 10ème hussards ! (Chermside)

Midi.
Je viens de recevoir votre lettre d’avant-hier, il y a de l’espoir, il y a de l’inquiétude, un peu de tout. Un peu de gronderie à mon adresse, beaucoup d’autre chose qui n’est pas de la gronderie. J’accepte tout à tort et à travers, mais surtout la dernière partie, toujours désirée, toujours bien venue. Toujours nouvelle quoique si vieille. Voici donc Beyrouth pris. On va crier ici comme si c’était chose inattendue et inouïe. J’en suis effrayée; je suis effrayée de tout, parce qu’il faut si peu pour aller bien mal et bien loin. Vous ne sauriez concevoir le plaisir que j’ai eu à voir Byng. Il avait déjeuné avec vous Samedi. Il été fort pressé de me remettre la lettre. Il était encore en toilette de voyage. J’aime Byng. Adieu, que dois-je penser du conseil de cabinet d’hier ? Je tremble et j’espère. L’article du Times était bon, mais rien ne fait quelque chose à lord Palmerston. Je suis bien aise que vous soyez bien avec Flahaut, je ne sais encore rien de cela pour la femme, je ne l’ai point vue depuis mardi.
Adieu. Adieu, tendrement. Montrond vient souvent sans avoir rien à dire. Il est archi pacifique. Tout le monde l’est je crois, mais n’y a-t-il pas des existences politiques que la paix tuerait. Voilà ce qui m’inquiète. Adieu. Adieu.

2 heures
Dans ce moment, je m’aperçois du vendredi. Je suis enragée contre moi-même, il n’a a pas de remède, ceci ne partira que demain, je vous écris un pauvre mot mais il vous faut la vue de mon écriture, sans cela vous me croiriez morte.

Samedi 3 octobre, 11 heures.
Ma journée s’est passée à Beyrouth c-à-d. que tout le monde est venu chez moi parler de cela et rien que de cela. Le matin, les Granville, Werther, Appony, Pahlen. Le soir M. Molé. Je ne compte pas Adair et autres de cette espèce. Et bien on est bien agité, c’est à dire agité de l’agitation que cela va causé ici, comme si ce n’était pas un événement tout naturel, et très attendu. Thiers a dit hier matin à un diplomate à Auteuil : "Monsieur, c’est la guerre. " On ne le prend pas au mot, parce que vraiment il n’est pas possible qu’elle ressorte de ce fait. le conseil s’était réuni d’abord à Auteuil et puis aux Affaires étrangères. M. Molé me dit que la chambre des pairs était dans un trouble inexprimable. On ne parlait que de cela. On proposait de dresser une pétition à la couronne pour demander la convocation du chambre. M. Molé prétend s’y être opposé. Mais il parle très mal de la situation. Il dit que jamais on n’a si mal gouverné une affaire. Et puis une conduite si lâche à côté de tant de bruit, de si pitoyables réponses au général anglais.
Le dernier factum de lord Palmerston excellent, clair, une vraie pièce de cabinet. Et pas de réponse ? mais c’est incroyable. Enfin vous entendez tout ce qu’il dit. Il voudrait bien savoir bien des choses ; moi, je n’ai rien à lui apprendre. J’ai renvoyé M. Molé avant dix heures pour aller un moment chez Lady Granville. Là j’ai appris l’abdication du roi de Hollande. C’est grave aussi, parce que l’héritier est peu de chose. Tête très légère. Le monde va mal. Mais vous que faites-vous ? L’éclat de Beyrouth devrait faciliter les affaires ; on a meilleure grâce à céder quand ou a un succès. Cependant, je ne sais rien bâtir d’agréable sur ce qui peut venir de Londres. Je suis frappée ce matin du ton de Siècle et du Courrier français. Le Constitutionnel est plus prudent, il est évident qu’il attend vos nouvelles sur le conseil de jeudi. M. Molé prétendait savoir qu’on allait mobiliser la garde nationale, mesure révolutionnaire selon lui. Il croyait aussi que le ministère ne pouvait pas l’empêcher, de convoquer les chambres. Le cri public serait trop fort. Moi, je suis pour la convocation cela va sans dire ! Lord Granville était allé hier soit à St Cloud. L’ambassade anglaise est très agitée. Bulwer excessivement.

1 heure.
J’ai eu votre lettre et un long entretien, avec celui qui me l’a portée. Il vous écrit lui-même. Il voudrait que vous l’instruisiez mieux de votre volonté, de vos idées, pour qu’il puisse faire face aux entretiens qu’il a avec vos amis. Vraiment la situation devient très grave pour les choses comme pour les personnes politiques de toutes les couleurs. C’est bien difficile de deviner le dénouement de tout ceci. On dit qu’ici tout le monde est pacifique au fond, tout le monde, et je le crois mais comment arriver à cette parole décisive " la paix " au milieu de ce qui se passe et peut se passer tous les jours ?
J’approuve tout ce que vous me dites, et comme je comprends ces éclairs d’élan vers une vie tranquille, domestique ! Et moi, que de fois je l’ai souhaitée, et tout juste dans les moments les plus agitées. C’est alors que je rêvais les cottages, que j’enviais le sort des plus humbles de leurs habitants. Ah que je saurais aujourd’hui embellir cette vie là pour vous. Mais vous n’osez pas en vouloir, vous ne le pouvez pas. Je sens tout ; je suis en même temps une créature très passionnée et très sensée.
Je crois l’esprit de 20 très combattu dans ce moment, au fond il n’a pas de l’esprit tout-à-fait Il faut finir, je n’ai encore vu personne aujourd’hui. On dit, c’est votre petit ami qui me l’a dit que les ministres sont un conseil depuis huit heures ce matin. Je crois moi qu’il ne ressortira la convocation des chambres. Encore une fois, il m’est impossible de ne pas la désirer ardemment. J’ai vu chez moi Mad. de Flahaut hier, elle m’a parlé des lettres de son mari, mais elle ne vous a pas nommé. Au reste elle est très douce maintenant, et inquiète comme tout le monde.
Adieu. Adieu. Je ferme de crainte d’interruption et de retard, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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446. Paris, Jeudi le 8 octobre 1840
9 heures

J’ai vu hier Montrond, mon ambassadeur, et le reste de la diplomatie le soir chez Appony. La journée toute guerrière, Appony avait été frappé cependant de trouver Thiers la veille plus découragé que vaillant ; l’esprit très préoccupé. Un homme fatigué, abattu. Vraiment on ne sait pas comment tout ceci peut tourner. Le parti de la paix se renforce cependant, mais le parti contraire est bien bruyant, bien pressé. Le roi est toujours très vif avec Appony, infiniment plus doux avec mon ambassadeur.
Il a fait l’éloge de M. Titoff qui s’est refusé à prendre part à Constantinople, à la dépossession du Pacha. J’ai reçu le petit ami dans la journée. Je suis très frappée de voir que dans le récit de ses longs entretiens avec 1, il soit si peu ou point du tout question du chêne.
Décidément S. n’est pas un ami sincère. Il y a quelque ancienne rancune qui perce. Dites au frênes de ne pas s’y fier tout-à-fait.
Les ambassadeurs sont fort disposés à désirer la convocation des chambres, moi aussi. On dirait cependant que hier rien n’était décidé. J’ai eu hier une lettre de M. de Capellan dans laquelle Il me rend compte des événements de La Haye, et où il me dit qu’il part demain pour Londres pour annoncer à la reine l’avènement de son nouveau roi. Je suis désolées que nous perdions Fagel, son successeur Zeeylen est un désagréable homme. Dites toujours je vous prie mes tendresses à Dedel que j’aime beaucoup, est-il confirmé à Londres ? Pourquoi n’est-ce pas lui qu’on nomme à Paris ?
L’arrivée de ma belle-sœur m’ennuie beaucoup. Sa fille me plait davantage tous les jours. Mais elle a peu d’esprit et elle n’a que deux préoccupation sa toilette, et son mari. Et comme cela, dans cet ordre-là.

11 heures
Je suis enchantée voilà la convocation, et plus prochaine que je ne croyais. Moins de trois semaines. Dites- moi bien, répétez-moi bien que vous viendrez. Ah quel beau jour ! Vous ne sauriez imaginer comme mon cœur est joyeux. Si fait vous le savez, et vous répondez à ce transport. Mon fils va lundi à Londres pour revenir la veille de l’ouverture des chambres. Je ne lui ai pas nommé son frère. On a parlé à Baden de M. de Brünnow et moi ; les Russes en ont parlé, car la petit Hesselrode venu de Londres savait tout. Il n’y a eu qu’une opinion, on l’a blâmée de la vilenie, et encore un peu plus de la bêtise. Cependant, cependant, vous voyez qu’on ne me répond pas. Que c’est bête encore !
Vous ne voyez donc pas du tout M. de Brünnow ? Voici ce que je réponds à lady Palmerston. " Il est assez naturel que M. Guizot aime à parler de préférence avec les gens qui sont de son avis ; mais je le crois assez bien orienté en Angleterre pour savoir qu’il n’y a pas d’autre bénéfice pour lui à cela que le plaisir de la conversation. Il sait fort bien que les gens qui parlent la plus ne sont pas ceux qui mènent."

2 heures
Le petit avec ami me quitte ; nous bavardons, nous bavardons ! Voilà donc que M. Barrot sera porté à la présidence. Vous ne jugerez pas possible sans doute de rester neutre ! Je vous fais la question. J’ai donné au petit les noms français Voilà du monde il n’y a pas moyen de continuer. Je n’ai pas eu de lettres encore aujourd’hui. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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449. Paris, samedi 6 heure le 10 octobre 1840

Voici la copie d’une lettre que ma belle sœur vient de me remettre. Dites-m’en votre avis, je la trouve très mauvaise ; pour bête cela va sans dire, mais dites-moi ce que j’ai à répondre. Je suis fâchée de me fâcher ; ces gens-là n’en valent pas la peine. Je ne puis pas me résigner à me taire, et je ne sais sur quel ton le prendre, ni comment me faire comprendre par des sots. Éclairez-moi et décidez-moi.
D’un autre côté voici depuis cinq ans et demi le premier message de l’Empereur. Il a chargé expressément ma belle sœur de me dire " qu’il espère que je ne l’oublie pas lui non plus ancien ami. " Arrangez cela.
Ma belle-sœur est arrivée de Pétersbourg avec M. Mauguin, recommandée par mon frère aux soins de M. Mauguin depuis le Havre, elle a voyagé dans le coupé de la malle-poste avec M. Mauguin. M. Mauguin d’un signe à écarté les embarras de la douane, « il a fait comprendre qu’il fallait. des égards à Mad. de Benckendorff. M. Mauguin a promis sa protection à ma belle-sœur en car d’émeute ou de révolution, et M. Mauguin a assuré ma belle-sœur qu’il s’opposerait de toutes ses forces à la guerre et qu’il n’y aurait pas de guerre. Mon frère a eu de longs entretiens avec M. Mauguin, et lui a fait comprendre toute la politique de l’Empereur dont M. Mauguin est émerveillé et M. Mauguin est converti !
Je viens de vous raconter une demi-heure de ma matinée, après cela le bois de Boulogne, et puis lord Granville chez moi. Appony avant le promenade rien de nouveau une partie du Cabinet très disposée à la guerre. Je vous écris aux bougies c’est mauvais pour mes yeux, je vous quitte.

Dimanche 11 octobre. 9 heures
Je me suis levée avec quelques nouvelles idées. Si je ne prenais acte que du message de l’Empereur et que je traitasse mon frère de sot, qu’en pensez-vous ? Ce qui est bien certain, c’est que l’à propos de ce message n’est pas insignifiant. Dans ma réponse à mon frère je l’exalterai fort, et je rapetisserai, le valet de tout ce que je grandirai le maître. Approuvez-vous. ? Dans tous les cas mon frère aura le détail des vilainies de M. de Brünnow. Mais dois-je insister sur une satisfaction ? Voilà ce que je vous demande.
Je vous demande une autre chose ; dois-je écrire comme ci-devant Savez-vous que je le ferais avec infiniment de plaisir si j’écrivais droit à l’Empereur. C’est mon frère contre qui j’ai de la rancune. Enfin dites-moi, ce que j’ai à faire. Rien du tout, n’est pas possible.
J’ai dîné seule et puis j’ai été aux Italiens. J’avais dans ma loge Mad. de Flahaut, les Pahlen et Hennage. M. de Werther y est venu. Tout le monde hier était à l’espérance tout le monde croyait que dans les deux pays, on désire et on travaille sincèrement à un arrangement. Voilà le vent d’hier ne sera-t-il demain, aujourd’hui ? Certainement la situation de Thiers est pleine de difficultés, moins de périls ; on le pousse, pourra-t-il résister ?

Onze heures.
Voici votre lettre. Vous venez d’apprendre la convocation. Cela vous a écris comme moi. Que des choses réunies dans cette convocation ! Quel moment pour nous ! Vous avez raison, on ne peut pas parler. Il y a trop trop dans ce fait. Il est immense pour nous. Serez-vous content de ce que vous a porté M. de Lavalette ? le public ici est bien curieux de le connaître. Le petit fidèle croit savoir que c’est une platitude. vous prêteriez-vous a une platitude ? Je suis dans une grande anxiété.

Midi.
Je viens de voir le petit. Je l’engage à vous écrire sans cesse la nuit et le jour, il fait que vous soyez informé de tout car tout à de l’importance.
Adieu. Adieu, bientôt quel adieu !

Les diplomates disaient hier que la France veut quelque chose. de plus que le traité, quelque chose de plus grand comme la tête d’une épingle. Mais enfin quelque chose. Cela va peu avec ce que dit le petit mais on vit ici dans un cercle de confusion et de contradictions. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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453. Paris Jeudi 15 octobre 1840

J’ai reçu hier après 3 heures les deux lettres de dimanche et lundi votre bonne intention de dimanche n’a été remplie que tard comme vous voyez. Mais mon cœur la compte, je vous en remercie beaucoup beaucoup. Eh bien je vois qu’on a été content de la note, et je vois cependant que cela va encore traîner. Toujours traîner. Ah mon Dieu ! Il est évident qu’on attend vos réponses.
J’ai beaucoup causé avec ma belle sœur, elle est bien peu de chose, mais enfin elle sait et elle se souvient elle se souvient donc qu’il n’y a pas quelque jours aujourd’hui, on ne rêvait pas à la guerre on ne la voulait pas ; elle est très surprise de tout ce qu’elle entend ici. Le mémorandum de Thiers est fait avec un grand talent. Cela se lit et se comprend parfaitement, et je conçois qu’ici il fasse un excellent effet pour le gouvernement et qu’au delà de la manche il a porte également la conviction dans beaucoup d’esprits. Mais nous autres ses visiteurs d’hier matin nous n’en sommes pas contents. Appony dit que tout ce qu’il dit de l’Autriche est faux. M. de Pahlen dit qu’on est bien près de se battre quand on parle ainsi de la Russie. Et il s’attend a quelque contre coup fâcheux de chez nous. En effet voilà des aveux difficiles. Il y a une forte différence entre penser les choses, et les dire ! Nous savons bien que tout le monde pense cela de nous mais aucun gouvernement n’a encore proclamé cette pensée. La France le fait.
Pensez un peu à cela, ne trouvez-vous pas que M. de Pahlen a raison. J’ai eu un long entretien hier avec ma belle sœur. Elle est d’avis d’une forte démarche de ma part contre M. de Brünnow. Elle est d’avis que je raconte tout en détail ma lettre est faite, j’attends votre conseil. J’insisterai sur une réparation. Elle m’a dit de drôles de chose.
L’empereur a toujours de la colère quand il est obligé de reconnaître que j’ai un peu d’esprit. Cela le dépite. J’ai été à une soirée chez Mad. Appony hier. La diplomatie est triste et inquiète. A propos Appony n’a plus été chez M. Thiers depuis 10 jours, et ne compte y aller que lorsqu’il aura eu un Courrier de Vienne. Mon ambassadeur n’y a pas été non plus depuis tout ce temps. Si bientôt les choses ne prennent pas une bonne tournure, elles ne prendront une bien mauvaise. Appony trouve que la question a fait un progrès sensible en ce qu’elle est très simplifiée mais aussi c’est bien plus grave, et la guerre ou la paix est à la porte, il n’y a plus de faux fuyants possibles. il y a des gens qui disent que s’il faut la guerre au bout de tout cela, il vaut mieux l’accepter tout de suite. Quand la France sera bien en mesure de la faire les alliés pourraient bien n’être plus aussi unis. Aujourd’hui ils tiennent ensemble et la France n’est pas suffisamment préparée.
Cependant il me parait clair aussi que nous (alliés) nous ne la commencerons pas, et que ni d’une part, ni de l’autre il n’y a de véritable bonne raison pour la commencer. Quelle mauvaise bagarre que tout ceci ! Que le ciel nous en tire, car les hommes ne paraissent pas devoir nous en tirer. Quand viendrez-vous quand me pourrez-vous venir ? On dit que tous vos amis sont d’opinion que vos devoirs à Londres sont un prétexte et même une raison suffisante pour vous dispenser de vous trouver ici à l’élection du président.
J’attends avec impatience ce que vous déciderez. Je n’ai point d’opinion là dessus. Je désire que rien n’aggrave l’embarras de la situation que rien ne gâte la vôtre. Je fais des vœux pour l’ensemble, je fais de bons vœux pour vous. Voilà où j’en suis. bien incertaine sur les moyens de concilier tout.

1 heure
Le petit sort d’ici ; tout ce qu’il me dit est bien grand pour le Cèdre. Le cœur me bat bien fort. Qu’est-ce qui ressortira de tout ceci ? L’heure de la décision à prendre va sonner. Ah mon Dieu. Adieu. Adieu. Mon cœur est aussi inquiet qu’il est tendre, qu’il est fidèle, qu’il est passionné. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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452. Paris, Mercredi 14 octobre 1840
10 heures

Je n’ai vu hier que l’Angleterre. L’Angleterre agitée, curieuse, mais assez en espérance. Lord Granville à vu M. Thiers hier au soir à Auteuil. Je l’ai vu à son retour, il ne m’a dit que des généralités, mais l’impression que j’en ai est bonne. J’attends votre lettre avec des battements de cœur. Je préparé une réponse à mon frère, mais je ne ferai rien sans votre avis. On est agité extrêmement dans le public. M. de Lamenais est épouvantable dans les provinces il y a beaucoup d’exaltation. Le gouvernement aura une rude besogne, car j’espère bien qu’il s’appliquera à apaiser. Je suis inquiète. Les Anglais désertent, ils ont parfaitement peur.

Midi
Point de lettres ? C’est toujours le Mercredi qu’elles m’arrivent le plus tard et c’est précisément. Le jour où elles sont le plus ardemment désirées. Il faudra attendre la soirée. C’est bien long ! 2 heures. Le petit est venu aussi impatient, aussi pauvre que moi. Que faire ? Et par dessus le marché je n’ai rien à vous dire. je m’en vais un mettre à lire ce long memorandum. Je n’ai pas vu mon ambassadeur depuis deux jours, il écrit je crois.

2 1/2
Tous les alliés chez moi grand bavardage dont je n’ai plus le temps de vous dire un mot. Adieu. Adieu. On dit seulement que jamais on ne s’est trouvé plus près du dénouement absolu. Paix ou guerre. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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438. Londres, mardi 13 octobre 1840
Une heure

Vous avez toute raison ; rien n’est pas possible ; il faut répondre. Et dans la réponse, beaucoup de reconnaissance du message, beaucoup de dédain pour la lettre. Qu’avez-vous besoin d’insister sur une satisfaction quant à M. de Brünnow ? Laissez tomber M. de Brünnow.
Je suis grand partisan du dédain, pourvu qu’on sache selon l’occasion, unir ou séparer les deux ingrédients dont il se compose. Il y a dans le dédain, du mépris et de l’indifférence. Le mépris blesse, l’indifférence embarrasse ; par le mépris, on se sépare par l’indifférence, on prend le haut du pavé. Il faut tantôt laisser ces deux éléments du dédain ensemble, tantôt n’en montrer qu’un, l’un ou l’autre. Sur M. de Brünnow faites les peser tous les deux ; avec votre frère, seulement le dernier. Cela convient et suffit. Après cela, et pour cette fois, rien de plus. D’abord parce que le moment est bien critique et toute parole bien délicate. Ensuite parce qu’il faut se faire désirer et ne pas se montrer pressé. Voilà mon avis, court et clair, n’est-ce pas ? Je vous en dirai bientôt davantage et vous aussi, vous en direz davantage ailleurs.
Quel beau moment ! Je me sens sur une vague propice qui s’enfle sous moi d’heure en heure, et m’élève et me porte à l’objet de mon désir. Votre frère ne trouverait-il pas que c’est là une belle phrase ?
Au fond, je suis bien aise du message et même de la lettre, toute sotte qu’elle est. Elle l’est beaucoup. Renoncez à vous faire comprendre de ce monde là. Acceptez avec eux les inévitables oscillations de relation et de manière. Vous aurez tantôt à vous offenser, tantôt à oublier. Vous suspendrez aujourd’hui, vous reprendrez demain. Ayez du dédain toujours ; montrez-en quelquefois. De la colère, jamais. Pas plus de confiance que de colère. Et le temps se passe dans ce va-et-vient de rapports alternativement bous ou mauvais, toujours supérficiels et qu’il ne faut pas rendre hostiles, un peu par esprit de justice, beaucoup par prudence, et en dernière analyse encore par dédain.
Je n’avais pas attendu votre lettre pour admirer M. Mauguin protégeant Mad. de Benckendorff. Les journaux l’ont affichée. Je n’aurais pourtant pas devinée, la malle poste. J’ai un peu peur pour la paix si M. M. la prend aussi sous sa protection. Dans la Chambre, il a pendant quatre ans porté malheur à la guerre. Il la décriait en la recommandant Mais ne me brouillez pas avec lui en répétant ce que je vous dis là. Il deviendra peut-être, il est peut-être déjà puissant quelque part. C’est un sot avec de l’esprit. Ils n’en manquent pas tous. Vous lirez dans les journaux la grande réponse que j’ai remise hier à lord Palmerston Elle est déjà ce matin dans le Times et le Morning Herald. C’est trop tôt. Ils l’ont eue de Paris, je ne sais comment, ni pourquoi. Elle n’y est pas correcte ; mais enfin, elle y est. Il y a de bonnes parties, concluantes, et spirituellement rédiger. Je regrette qu’elle ne soit pas venue trois semaines plutôt. Ici comme à Paris, on espère un arrangement et on y travaille. Certainement il y a moyen. Je me flatte que cela suffit pour qu’il y ait chance. Je persiste toujours, toujours, dans mon opinion générale.

4 heures
J’ai été dérangé quatre fois en vous écrivant. Pollon, Van de Weyer, Flahaut. Bowring. Je reçois celui-ci parce qu’il me sert. Il a de l’esprit et pas uniquement de l’esprit anglais. Flahaut repart Vendredi pour Paris. Je demande aujourd’hui mon congé. N’en parlez pas, je ne veux pas que ce soit un sujet de conversation. Lord Palmerston va aujourd’hui à Windsor. Il en reviendra après-demain pour le Conseil. Il me semble que Windsor est son cabinet de travail. J’ai vu lord Melbourne. Son lumbago va mieux. Pourtant il marche encore avec une canne dans son salon. J’ai mal dormi depuis deux nuits. J’ai mal à la tête. Un peu de fatigue. Je me défends très bien et très longtemps de l’agitation. Quand elle me gagne, c’est un vrai ravage dans ma nature, qui la repousse. L’agitation me choque et m’humilie, comme l’ennui.
Adieu. Adieu. J’ai énormément à écrire aujourd’hui. Je vous donne tout, mon temps. Je ne vous donne pas tout ce que je voudrais vous donner. Je vous donne adieu, l’adieu que je veux et que vous voulez aussi, n’est-ce pas ? Dites-moi encore, oui.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris 16 octobre 1840,

J’ai eu votre lettre du 13 sept. mon cher frère. Je vous remercie sincèrement de la première page. Elle me soulage. L’Empereur est étranger aux procédés de M. de Brünnow. Le reste de votre lettre exige réponse et explication. Lorsque je me suis rendue à Londres, je vous ai promis, & je me promettais à moi-même que de là mes lettres auraient de l’intérêt pour vous. Mes relations à droite et à gauche, me mettaient à même de vous tenir parole. Je l’ai fait et j’ai coutume jusqu’au jour où Lady Palmerston d’un côté, Lady Clauricarde de l’autre, toutes deux mes amies intimes m’ont rapporté ces étonnantes paroles dites par M. de Brünnow à leurs maris respectifs :
" Prenez garde à M de Lieven. Mad. de Lieven ce n’est pas une ruse. Mad. de Lieven est un émissaire de la France. Le moindre mot dit à elle s’en va à l’ambassade de France." Voilà mon cher frère ma réponse à votre question : " Êtes-vous donc bien sûre que M. de Brünnow a tenu sur votre compte des propos favorables ? " Vous voyez que j’en suis bien sûre, et comme pour disculper M. de Brünnow à mes dépends vous ajoutez que mes relations avec M. Guizot sont connues. Je le crois bien ! Je n’ai rien à cacher.

M. Guizot est un homme que son esprit, sa situation, son caractère, sa probité place très haut dans le monde. J’ai du respect pour son caractère et beaucoup de goût pour sa société Je n’imagine pas que vous veuillez insinuer autre chose ? Si je le pensais, je ne vous répondrais pas plus que je n’ai répondu aux journaux. Je reviens à mon texte. J’avais remarqué à mon arrivée à Londres que le corps diplomatique était en grande réserve avec moi, malgré que tous furent mes anciens collègues. Cette circonstance m’avait d’autant plus étonnée qu’à Paris mes relations sont aussi intimes et confiantes que possibles avec tous les représentants des grandes puissances qui sont le fond de ma société. Comme en Angleterre je vis avec les Anglais cela m’importait peu, mais Lady Palmerston le jour même où elle me dénonça les propos de M. de Brünnow à son mari me dit que toute cette diplomatie était ameutée contre moi quelques temps avant mon arrivée et huit jours après cet entretien elle reçut une lettre de son frère Lord Beauvale qui lui mandait de Vienne tout ce que vous me dites, le Prince de Metternich lui avait parlé de ces bruits venus de Londres, et Lord Beauvale ajoute : " Qu’est-ce que veut dire ce bavardage ? " J’ai vu cette lettre.

Devant une intrigue aussi infâme, ourdie avec tant de soin, devant des paroles dites aussi officiellement par le ministre de l’Empereur, à des personnes aussi officielles que lord Palmerston et lord Clauricarde, je n’ai pas pu, je n’ai pas dû me taire. Quelqu’un, quelque chose était cause de la situation bien nouvelle qu’on s’efforçait de me faire à Londres. Comment attribuer à M. de Brünnow la maladresse de faire de moi son ennemi, au lieu de m’avoir pour lui, sur un terrain où tout le bénéfice de bons rapports entre nous, était de son côté ? Comment lui supposer la vilenie, il faut bien me servir de ce terme, et l’audace de venir sans grave raison flétrir par une aussi odieuse calomnie, la veuve de l’homme qu’il appelle son bienfaiteur, une femme de mon rang, placée comme je le suis dans l’opinion et l’affection des personnes les plus élevées et les plus importantes en Angleterre ? Voilà ce que me disaient mes amis en ajoutant que M. de Brünnow connu pour être un grand courtisan s’appuyait peut-être sur ma défaveur auprès de l’Empereur. Or, on la connait à Londres.
Elle a eu là de l’éclat, du retentissement par deux choses surtout ! L’oubli total où l’Empereur m’a laissée à la mort de mon mari ; la quasi défense de venir à Londres lorsque le grand Duc s’y est trouvé. Personne n’avait pu comprendre les motifs d’une d’une semblable rigueur. M. de Brünnow venait de les révéler, ils peuvent même en avoir reçu l’ordre ! Voilà ce que Lady Palmerston me rapportait comme l’opinion des autres et je pouvais même raisonnablement craindre qu’elle même se trouvât dans le doute, car mon expérience du monde m’a assez appris la vérité de cette parole de Beaumarchais : " Calomniez, calomniez, il en reste toujours quelque chose."

Je vous ai écrit le 5/17 juillet dans la chaleur de la juste indignation que j’ai ressentie ; je vous envoie copie de cet lettre pour mémoire. Je vous ai écrit le 12/24 juillet que, jusqu’à une réponse de vous sur ce point, vous ne deviez pas vous étonner que je suspendisse ma correspondance intime avec vous, et par une autre lettre du 9/21 août j’ai motivé cette résolution. En effet après tant d’années, tant de preuves de dévouement, voir mon dévouement reconnue de cette façon ; voir le ministre de l’Empereur me dénoncer à un gouvernement étranger comme un traître.

Voir cette calomnie faire son chemin auprès de deux autres cabinets étrangers, la voir ébranler la foi de mes plus intimes amis ! C’était trop, et avant que les causes de cette injures fussent éclaircies j’ai dû m’arrêter tout court c’était bien le moins que je pusse faire. Je vous en ai prévenu et vous faites de cela un chef d’accusation contre moi ! Par mon silence, je confirme les soupçons ! Est-ce me juger avec équité, est-ce seulement me juger avec logique. J’en reviens à la confidence qui m’a été faite des propos, de M. de Brünnow. Savez-vous ce que j’ai dit quand lady Palmerston et lady Clauricarde me les ont dénoncés ? J’ai dit, et j’ai dit bien fort. " L’Empereur ne le croit pas, l’Empereur ne le croira jamais car l’Empereur me connait. Mais il ne sera pas loisible à son ministre de m’injurier impunément." Voilà l’écho que je devais trouver à Pétersbourg.

Vous m’accusez au lieu de me défendre. L’Empereur fait mieux que vous. Pour la première fois depuis tant d’années, l’Empereur me fait dire des paroles d’amitié, d’ancienne amitié, par votre femme. L’Empereur sait que je suis un sujet fidèle et c’est le moment où d’autres veulent en douter ; c’est ce moment que l’Empereur choisit pour me faire parvenir un souvenir bienveillant. Dites à l’Empereur que les plus grandes faveurs sont doublées par l’à propos. Mon cœur le remercie de la faveur, mon esprit de l’à propos. Mais si mon cœur est satisfait, mon honneur ne l’est pas, car il n’en reste pas moins constant que M. de Brünnow a jeté une tache sur le noble nom que je porte ; que c’est me déshonorer que de douter que je suis le loyal sujet de l’Empereur, me déshonorer que de le dire ; et que la dame d’honneur de l’Impératrice ne peut pas rester sous le coup d’une semblable calomnie. C’est à ce titre, si ce n’est au mien propre que je demande que M. de Brünnow rétracte ce qu’il a dit là où il l’a dit, parce qu’encore une fois, il me faut cela ou autre chose qui atteste aux yeux des autres que je n’ai jamais mérité de si odieux soupçons. Je vous prie de mettre cette lettre sous les yeux de l’Empereur.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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458. Paris mardi 20 octobre 1840,
9 heures

Puisque vous êtes inquiet de ma lettre à mon frère, je vous en envoie copie, et je vous préviens qu’elle ne part que samedi ou dimanche, par conséquent votre réponse à ceci m’arriverez avant. Lisez, je la trouve bien, la trouve absolument nécessaire. Ma belle-sœur m’appuie, l’occasion est bonne, Dites-moi votre avis. J’ai dîné hier chez mon Ambassadeur. Je n’ai pas pu le lui refuser c’était un dîner de famille Appony, & Benckendorff. J’y ai revu Zuglen, il repart et revient bientôt pour résider ici en place de Fagel. C’était très différent de Fagel ! De chez M. de Pahlen, j’ai été chez Lady Granville. M. de Broglie en sortait, il avait dit à Granville que vous serez ici le 26, qu’il regrettait que vous n’eussiez pas remis cela de quelques jours, qu’il aurait mieux valu attendre que l’élection du président fut passée ! J’ai vu le matin Mad. de Flahaut. Elle trouve que le ministère de Thiers est bien orageux, que tous les guignons sont venus l’accabler, elle dit beaucoup cela. Et puis elle s’inquiéte, elle dit que la gauche est impatiente il n’y a pour elle aucune faveur, elle sont toutes aux doctrinaires. Elle parle plutôt avec tristesse qu’avec passion.

Mais elle est venue sur l’Angleterre c’est-à-dire sur la portion du ministère qui a amené la rupture avec la France. J’ai donc lu la note du 8 octobre. Je suis ravie de la trouver si pacifique, mais je ne puis pas ajouter que je la trouve brillante. ni pour la forme, ni pour le fond Je ne le des pas mais je le pense.
Je suis trop heureuse de tout ce qui ajoute aux chances de paix. et généralement ceci est regardé comme rendant la guerre impossible. J’irai peut-être jusqu’à trouver ou jusqu’à dire que la note est très belle ! Savez-vous que je crois que je rêve quand je pense que je suis à si peu de jours de tant de bonheur ! Je ris de plaisir et puis je joins les mains, je remercie Dieu, et je le prie. Vous faites comme moi, j’en suis sûre. M. le conte de Paris est très mal on ne croit pas qu’il en revienne. Je ne vous dirai jamais assez combien j’ai trouvé votre lettre à 62 admirable donnez m’en une copie je vous en prie. Je n’ose pas la demander au fidèle sans votre permission. Permettez-lui. Il y en a deux autres aussi belles, si elles ne le sont pas plus encore, à ce qu’il me dit, que je n’ai point lues. Permettez. La Diplomatie dit beaucoup qu’il y a danger imminent, terrible, si Thiers sort du Ministère. Ils sont effrayés à mort ces pauvres gens. Thiers rentre en ville aujourd’hui. Le Roi pas avant le 26, à ce qu’on dit.

2 heures. Voici le petit auquel je donne ma lettre. Je n’ai rien à ajouter. Certainement la crise y est. Dans la semaine il peut y avoir quelque chose. Etes-vous bien décidé ? Quel jour ? Quel que soit ce jour, il sera beau, il sera ravissant. Adieu. Adieu. Mille fois adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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2. Boulogne midi dimanche 2 juillet 1837

Vous voyez comme je cours Monsieur. C’est superbe, et puis c’est insupportable car j’arrive et le bateau à vapeur est parti il y a deux heures. Il faut patienter jusqu’à demain 9 heures ! Soyez assez bon pour un faire passer le temps. Causons un peu et nous pouvons le faire bien commodément. Mon appartement est bien tranquille, pas le moindre bruit. Cela me fait une nouveauté après la bruyante rue de Rivoli. J’ai la vue de la mer de cette mer que j’aime tant & que vous connaissez si peu, & que je vous prie d’aller regarder pour me faire plaisir en descendant de voiture tout à l’heure j’ai senti une main saisir la mienne. Cela m’a donné une palpitation involontaire. C’était celle de lord Pembroke. Il ne valait pas la peine de m’agiter. Comme vous n’êtes pas femme, vous ne comprenez pas les bêtises que je vous dis là.
J’avais reçu en partant de Paris une lettre de mon mari. Je l’avais oubliée. Je l’ai ouverte aujourd’hui. Il m’écrit du 15 juin. Je me sens bien triste aujourd’hui. Je ne l’ai jamais été autant. Monsieur ces paroles dites ce jour là m’ont bien frappées.
4 h. Je viens de dîner, & j’ai reçu quelques visites. J’ai fait parler lord Pembroke, il a quitté Londres hier les Torys sont découragés, toutes les faveurs de la reine sont pour les Whigs. Lord Melbourne passe tous les jours deux heures de la matinée avec elle. Toutes ses idées sont accueillies. On ne dit rien de l’esprit et des opinions de la reine. On dit seulement qu’elle sait haïr, mais c’est bien quelque chose à 18 ans ! Elle veut à toute force chasser l’amant de sa mère. Elle le fait magnifiquement. Elle donne au chevalier Conroy trois mille lires sterling de pension pour qu’il s’en aille. Lord Pembroke s’est avisé de me parler aussi de french politics, il me dit : " Nous autres Torys nous n’avons qu’un vœu, c’est de voir M. Guizot aux affaires."
Mais monsieur ce n’est pas de politique que je veux vous parler, Je cherche... C’est de musique. Vous savez comme Je l’aime cette musique ! Comme elle m’enivre, comme elle me plait. Et bien, je l’entends, je la sens. Je n’ai pas lu aujourd’hui. j’avais trop lu hier, j’en ai mal aux yeux mais j’ai pensé à ce que j’avais lu j’ai trouvé des paroles qui m’ont été répétées. " Le paradis sur la terre." Il venait donc d’elle ? Et c’est avec elle qu’il était trouvé !
8 h. Je vous demande pardon Monsieur de vous parler à tort et à travers de tout ce qui me vient dans la tête. Quel début de correspondance et cependant, vous voyez bien que je ne vous dis rien, rien de ce que je voudrais dire. Je n’aime pas la contrainte. Je n’aime pas les souliers étroits ; un ruban qui me serre, & bien je n’aime pas plus les lettres que je vous écris, comment n’ai-je pas pensé à cela en m’engageant dans cette correspondance ? Dites Monsieur ne vaudrait-il pas mieux la laisser-là ? Hier & aujourd’hui ont été bien mal. C’est à dire bien maladroite. cela va vous fâcher, & je me sens toute humiliée d’avance de cette fâcherie.
Adieu Monsieur, adieu. C’est mon dernier mot de cette terre de France dans quelques heures je trouverai des émotions terribles. Ces pensées me font frémir. Le manteau de Raleigh (je crois que c’est le nom/ sera-t-il assez puissant ? Ah Monsieur j’ai le cœur brisé. Pensez à moi, prenez pitié de moi, je suis bien malheureuse. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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3. Londres le 5 juillet 1837,

Je commence à trouver qu’une lettre eut pu m’arriver déjà. Je vous la demande Monsieur. Je ne sais pas si depuis vendredi vous avez pensé à moi.
Ma journée a passé hier comme un instant, je vois bien que c’est le matin, qu’il faut que je vous écrive, car dès 1 heure je suis envahie, & minuit arrive sans que j’aie eu un instant de solitude. Vous allez être ennuyé des détails, mais vous me les avez demandés. Lord Grey deux grandes heures ! Le prince Esterhazy, Pozzo, Dedel (ministre de Hollande) Lady Flarrowby, Lady Carlisle, la duchesse comtesse de Sutherland, M. Granville jusqu’à 6 heures. Je montai alors en calèche avec la duchesse de Sutherland. Nous voulions faire le tour de Hyde park, mais nous n’avions pas fait deux cents pas que je me trouvais mal. Elle me ramena.
La vue de Londres est terrible pour moi. Je puis bien y être, mais non y regarder. Mon fils vient à 6 1/2. Je ne peux le voir à mon aise que pendant ma toilette à huit h. 1/2 on dîne : c’est détestable. Nous fûmes seuls, il n’y eut que lord Harrowby, & lord Grey & lord Morpeth, grand radical, excellent homme. Mes amis Torys ignorent encore mon arrivée. J’en suis bien aise. Je me sens si fatiguée que je n’ai plus de quoi leur montrer de la joie de les revoir. Cela viendra aujourd’hui & demain.
Au milieu de tout cela avez-vous pensé à Paris madame ? Oui monsieur, j’y ai pensé, toujours pensé.
Le contraste est grand mais je vous ai dit qu’il fait sur moi l’effet des ressemblances. Ah à propos, en montant dans l’appartement où se tient la duchesse le matin, le premier objet qui frappe ma vue est la gravure de M. Guizot ! Jugez ma surprise. Je me suis arrêtée. J’ai fixé mes yeux sur vos yeux.
Je vis ici dans une atmosphère très ministérielle ce qui fait que je ne m’avise pas d’avoir une opinion quelconque sur ce qui ce passe il est dans la nature des Whigs d’être très confiant. La Reine leur montre toutes les faveurs. Il est donc naturel qu’ils soient en pleine espérance, mais j’attends d’autres notions. Lord Grey se donne un grand mouvement pour faire entrer lord Durham dans le cabinet. Lui même lord Grey est aigre, mécontent, frondeur, & furieux d’être vieux. Je n’ai jamais rencontré personne qui convienne de ce chagrin plus naïvement que lui. C’est un vrai désespoir.
La voilà cette lettre. Quel plaisir qu’une première lettre, comme je lis vite, & puis comme je lis lentement, & puis plus lentement encore. Monsieur, que je vous remercie ! Il y a de hautes et nobles pensées dans les vers que me transcrivez, mais il y a une strophe un mot que j’aime plus que tout le reste. Nous avons découvert bien des ressemblances entre nous Monsieur. Mais il y a des impressions qui sont toutes différentes. Ainsi la poésie vous calme & vous élève. Moi elle m’élève bien ; mais si haut si haut que cela ressemble bien plus à du délire qu’à autre chose. Je la fuis donc la poésie. Je saurais lire sans danger il y a peu de temps encore. Aujourd’hui je la crains parce que je me crains. Monsieur je me connais bien, je voudrais bien vous expliquer ce que je suis, mais vous êtes si pénétrant, je n’en prendrai pas la peine. Cependant un homme sait-il bien comprendre le cœur d’une femme ? Je vous ai dit que j’en doutais quand il s’agissait de mes peines, qui doute bien plus pour le sentiment du bonheur. Il me semble que mon âme ne peut jamais suffire ni à la joie, ni à la douleur, que je vais mourir ou de l’un ou de l’autre par l’impuissance de les exprimer. Aujourd’hui j’étouffe ! Mais Monsieur de quoi vais-je vous parler ? Il y a presque du remord dans ce que je vous dis. Ici où une seule pensée devait m’absorber, je ne la retrouve plus distincte. Il y a un voile entre moi et mes malheurs. Toutes les circonstances passées sont devant mes yeux. Je me retrace tout, toute l’horreur de ces affreux moments. Et bien, Monsieur, aucune des sensations que ces souvenirs faisaient naître en moi il y a encore un mois, aucune ne m’atteint dans ce moment. Je ne pleure pas. Je ne me comprends pas. Il y a quelque chose qui m’arrête, qui me protège contre moi-même. Vous l’avez espéré pour moi, vous me l’avez prédit. Monsieur, quel bien vous m’avez fait ! Je vous en remercie à genoux.

Jeudi 6 juillet
Je renonce à vous raconter ma journée d’hier. Ma porte à été ouverte et mon salon n’a pas désempli depuis 1 heures jusqu’à 7. J’ai vu tout le monde Whigs, Tories, radicaux. Je sais les aimer tous. J’ai le cœur terriblement vaste. Vous allez me mépriser. Mais non Monsieur il ne faut pas faire cela. L’amitié me touche toujours de quelque part qu’elle ne vienne. J’aime tant être aimée ! Ces Anglais sont si sincères si simples dans l’expression de leur amitié. J’ai vu quelques yeux humides.
Oh pour le coup je ne résiste pas à cela. Mais j’étouffais matériellement, moralement, j’en recevais quelques uns dans le jardin, pour reprendre des forces. Enfin cela a fait un véritable levé. Je n’ai eu de tête à tête qu’avec lord Aberdeen, lord John Russell, lord Grey & lady Jersey. Tout le reste était cohue. Un immense dîner diplomatique. On m’avait donné la France pour voisin de droite. Cela m’a fait plaisir. Mais il est bien solennel M. Sebastiani & tout arrive bien lentement.
J’aime ce qui va vite. Si l’on tarde un peu à me répondre, je ne sais plus ce que j’ai demandé et cela m’est arrivé hier deux fois avec votre ambassadeur. Je trouve la diplomatie un peu en décadence. De mon temps, elle était un peu plus fashionable.
Jugez Monsieur qu’on me trouve bonne mine. Je ne comprends pas cela. J’ai été interrompue par une visite de deux heures de Lord Durham. Il a bien de l’esprit et il le sait. Il saisit et embrasse tout très vite. Il a le droit d’aspirer à beaucoup & à très haut. J’ignore si le droit se convertira en fait !
La Reine est tout à fait entre les mains de Lord Melbourne qui me parait user de sa position avec tact & intelligence. Il est plein de respect & de paternité pour elle. Elle a l’esprit ouvert, curieux, elle veut tout faire. Il n’y aura point d’intermédiaire entre elle et ses ministres. Elle travaille avec chacun d’eux. Elle s’informe, elle écoute, elle se fatigue à cela. On dit qu’elle en est maigrie ; sa santé est mauvaise. Elle ira fermer le parlement en personne. Elle fera à cheval la revue de l’armée, elle porte la plaque & le cordon de la jarretière. Elle veut faire tout, et tout de suite. On la contemple avec étonnement et respect. C’est un curieux spectacle à 18 ans !

Vendredi 7
J’eus hier matin encore une longue visite de Sir R. Peel, du duc de Wellington, lord Mulgrave, lord Grey, Pozzo. Je vous cite les têtes à têtes. Je ne veux pas vous ennuyer du reste. Peel est venu sur béquilles. Il a été en danger de perdre une jambe, & ceci était sa première sortie. Le duc est vieilli. Lord Grey est fort, bien avec l’un et l’autre. Il m’a dérangé hier. J’eusse aimé sa visite dans un autre moment. Il me semble qu’il se prépare ici bien de l’embarras. C’est lord Durham qui le créerait, mais je vous expliquerai tout cela une autre fois. Pour le moment lord Melbourne est tout puissant. Je fus dîner hier tête à tête avec lady Jersey. Il faisait encore jour lorsque je me rendis chez elle. J’ai fondu en larmes dans la voiture, mon pauvre cœur se brisait pendant un moment il n’y avait place que pour mes malheurs. Le bavardage de Lady Jersey m’a distrait, je la quittai de bonne heure pour aller voir lady Cowper qui revenait de la campagne, où elle était allé enterrer son mari. Elle se jeta dans mes bras en sanglotant. Il ne me faut pas de pareilles scènes. Aussi ne puis-je pas y tenir plus d’un quart d’heure. Je rentrai à 10 h. pour m’enfermer chez moi. Je me couchai. Mon fils vint me trouver encore, je n’avais pas pu le voir de tout le jour. Nous causâmes beaucoup ensemble de mon plus prochain avenir. Il se complique singulièrement.
J’ai reçu hier une lettre de mon mari qui me fait croire qu’au lieu de Kazan, c’est à Carlsbad qu’il va se rendre seul, pour sa santé ! Il cherchera surement à me donner un rendez-vous. Et ce que je désirais le plus vivement il y a quelques temps je le redoute aujourd’hui comme si cela devait finir ma vie. Monsieur, je me suis créé la plus grande félicité ou le plus grand malheur de mon existence. Je l’ai senti en me livrant au seul sentiment qui peut désormais la remplir. Dieu l’a mis dans mon cœur. Pourrait-il si tôt me livrer au désespoir ? C’était mon paradis à moi, je ne pouvais en avoir d’autre sur la terre. Que j’en ai joui ! Monsieur ma pauvre tête s’en va quand je pense à cet avenir qui peut être si beau ou si horrible. Puis-je vouloir du bonheur à tout prix ? C’est à vous que j’adresse cette question.
Dans ce moment on me remet une lettre & une carte de visite, laissés ici hier au soir par un voyageur. Je n’y étais pas lorsqu’il a passé. Il a promis de revenir ce matin, la matinée me paraîtra longue, éternelle jusqu’à ce que je le voie ! Quelle bonne, quelle douce surprise. Y aura-t-il beaucoup de voyageurs ? Comme je vais regarder celui ci avec tendresse.
Pendant que je vous écrivais ou m’a annoncé cette femme dont je vous ai parlé. Celle qui a vu naître & mourir les enfants, & que je n’avais plus revue depuis le lit de mort de mon Arthur ! Ah Monsieur quelle horrible souvenir ! Il dort en paix cet ange & moi je suis encore sur la terre pour pleurer. Je l’ai vue cette femme Nous avons confondu nos larmes. Le petit chien n’y était pas, il viendra un autre jour, il me fera pleurer aussi. Je n’ai pas tenu au delà de dix minutes. Je reviens à vous, dites-moi quelque douce parole Monsieur, consolez mon pauvre cœur. Adieu, quelle longue lettre !

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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10. Stafford house mardi 18 juillet midi

Je recommence tristement un nouveau N°. Que sont devenues les autres ? Que deviennent vos lettres ? Que devenez-vous? Je ne puis plus penser à autre chose. Je ne sais que vous dire, mon cœur est si angoissé. J’écris à " you are safe" pour la conjurer d’apprendre de vos nouvelles & de me les dire. J’ai envoyé par courrier une lettre à l’adresse convenue, & je me suis assurée qu’elle sera postée, & non remise à la petite poste. Je viens d’écrire au porteur de votre N°2 pour le prier de passer chez moi & voir s’il y a moyen de se rendre utile. Enfin je me creuse le cerveau pour y trouver des réponses. Je veux savoir que vous vivez que vous vous portez bien. Je dévore les journaux, je tremble que votre nom ne se présente avec quelque accident. Je défie qu’il y ait au monde aujourd’hui une personne plus agitée plus inquiète que moi. Vous voyez ce bon effet que cela doit faire sur moi. Aussi suis-je bien changée & il m’est impossible de vous promettre des bras. Au contraire, je puis vous assurer qu’il ne m’en restera plus.

Mercredi 19 9h. J’ai passé la nuit la plus affreuse. Monsieur mon faible corps ne résistera pas longtemps aux angoisses que j’endure. Ma raison ne me présente rien qui puisse les calmer, et cette image qui devait tout adoucir est devenu aujourd’hui la cause de toutes mes souffrances. Il me fallait donc ce malheur de plus ! Apprenez-moi, Monsieur, à me résigner aux volontés de Dieu. Hélas vous ne m’apprenez plus rien. Je suis abandonnée, et le comble des maux pour moi devait être d’avoir entrevu, senti le bonheur joui d’une jouissance inconnue, divine, & de me voir tout arraché comme une illusion. J’ai donc rêvé. Ah ma pauvre tête, je sens qu’elle n’y est plus.

Midi. Cet horrible moment de la poste s’est passé comme ils se sont tous passés depuis dix jours. Point de lettres ! Grand Dieu qu’est ce qui s’est donc passé entre nous. La mort, l’enfer, quoi ? Dois-je douter de vous ? Ah cela m’est impossible. Dites le moi vous-même Je ne croirai que comme cela.
Je fus chez la Reine hier, je la vis seule pendant une demi-heure. Lord Palmerston m’a demandé un entretien. Je l’ai reçu seul aussi. Ce fût long & intéressant. Une grande heure avec le comte Orloff. Tout cela Monsieur occuperait bien des pages. Mais je n’ai pas ma tête. Je n’ ai qu’une pensée, il n’y a plus place pour autre chose. Mon entrevue avec Orloff y a rapport cependant, & c’est elle seule qui m’a laissé quelque sommeil. J’avais raison de me promettre quelque chose d’un homme d’esprit. Il en a et de l’indépendance. Il m’a parfaitement comprise, et je ferai comme je veux. Vous savez ce que je veux. Je le veux plus que jamais. Le voulez-vous ? Quel horrible doute.
Mon mari débarque aujourd’hui en Europe, il va d’abord aux eaux en Bohème. Il veut me voir. Monsieur, cela m’est impossible.

Jeudi le 20. J’ai la respiration suspendue. Voici onze heures, l’heure de la poste, le moindre. bruit me fait tressaillir. Je joins les mains, je prie Dieu "qu’il vive, qu’il m’aime que je le revoie." Je ne trouve plus que cela à demander au Ciel. Toute autre pensée est bannie de mon sommeil. Ah non, il y en a d’autres. Il y a tous ces tombeaux Monsieur je suis prête à perdre la raison. Une lettre un mot, pourraient m’aider à la retrouver. Mais ce mot n’arrive pas, il n’arrivera jamais. Je vis hier le porteur du N°2. Je l’ai supplié d’écrire pour demander directement des nouvelles. Je me suis parfaitement compromise, & je me suis sentie parfaitement contente.
Aujourd’hui. j’écris à Mad. de Meulan pour la conjurer de me donner de vos nouvelles. Je veux savoir que vous vivez. Il me semble que pour le moment c’est tout ce qu’il me faut. Mais Monsieur moi je ne vivrai pas longtemps. Toutes les personnes qui m’entourent sont effrayées de mon changement ? Le facteur est venu. Pas de lettres. Mes larmes, mes prières, tout est inutile. Qu’ai-je fait à Dieu pour qu’il ne punisse si cruellement.
Monsieur tout est confusion dans ma tête Je vous prends, je vous laisse, j’ai une fièvre ardente. J’oublie tout, je pense à tout. L’air de Londres m’étouffe. J’entends une voix chérie, j’entends de douces de divines paroles ! Ah je devais mourir en revenant de Chateney. Je serais morte heureuse. Aujourd’hui mourir dans le désespoir ! Hier et aujourd’hui j’ai lu les livres que j’avais en voyage. Cette lecture m’exalte & me fait du mal. Ah, qu’elles valaient mieux que moi ! Que je voudrais leur ressembler.

2 heures. J’ai été m’asseoir ou plutôt me coucher ! Dans le jardin, l’air ne m’aide pas à respirer. Il est frais cependant, tout le monde me le dit. J’ai pensé, repensé, examiné toutes les possibilités. Nos lettres sont interceptées, cela me semble hors de doute. Les journaux annoncent votre arrivée à Lisieux. Le 14 vous vous portiez bien, et je me suis un peu soulagée, mais que faire pour notre correspondance ?
J’adresse ceci à M. Aston secrétaire de l’ambassade d’Angleterre. Je le prie d’envoyer ma lettre à l’adresse convenue par un de mes gens. Je demanderai à cette adresse de Vous faire passer ceci par une vois sûre, à votre tour faites porter votre réponse à l’ambassade d’Angleterre à M. Aston que je préviendrai, & il m’adressera votre lettre pas courrier, la même voie qui vous porte ceci. Les Granville quittent Paris sans cela c’est eux qui auraient été les intermédiaires pourvu que vous prenez bien vos précautions de votre côté il me parait que ce moyen est infaillible.
Si vous ne le jugez pas tel je ne vois plus d’autres réponses que de n’envoyer quelqu’un de sûr. Un courrier ad hoc lequel viendrait me trouver à Broadstairs, c’est un lieu de bain de mer située un peu au nord de Douvres, prés de Ransgate et Margate. L’homme ferait adresser à Lady Cowper qui s’y trouve. The Dawage’s countess Cowper.
Il va sans dire Monsieur que c’est moi qui aurai à lui remettre les frais de l’allée & de la venue. Trouvez seulement un homme sûr et intelligent. Je me charge de lui faire aimer les voyages. Maintenant j’ai épuisé je crois toutes les inventions.

Vendredi. Le 21. Prenez pitié de moi, Monsieur que Dieu prenne pitié de moi. Je sens prête à perdre la raison. Comment supporter longtemps l’état affreux où je me trouve ! On me regarde avec étonnement. Je suis méconnaissable mes idées sont confuses. Il me semble que je n’ai pas connu de véritables malheurs. avant celui-ci et j’ignore la nature de ce malheur. Ai-je à amuser le Ciel ou les hommes ? Êtes-vous malade ? Mais comme il faudrait que vous le fussiez pour ne pas m’écrire un mot ! & dans ce cas assurément les journaux m’en instruiraient. Comment en supposant que mes lettres sont interceptées comme les vôtres n’avez vous pas trouvé un moyen quelconque de me faire parvenir un mot ? Je me perds dans toutes ces hypothèses & je ne puis pas en aborder une troisième. Vous ne pouvez pas m’avoir abandonnée ! Je vous l’ai demandé un jour, venez-vous du Ciel ou de l’enfer. Il y a quelque chose de surnaturel dans la puissance que vous exercez sur moi, vous l’avez établie, mon âme s’est vouée à vous. Dois-je y trouver mon salut ou ma perdition ? Pour le moment il n’y a que mort ou désespoir dans mon cœur. Secourez-moi, prenez pitié de moi. Je n’ai rien à vous dire, je ne trouve rien
J’ai subi hier une fête magnifique que donnaient mes hôtes. Comprenez-vous rien de plus horrible dans l’état de mon âme. Mon cœur était gonflé de larmes, ma vue en était troublée quelquefois. & quand elle s’éclaircissait, je cherchais parmi tous ces yeux, deux yeux. Je les évoquais, il m’a semblé un moment les rencontrer c’était un moment de frénésie. C’est alors que j’ai cru que je devenais folle. J’ai saisi le bras de quelqu’un je ne sais qui, je ne voyais rien. Il m’a dit très doucement : " vous vous trouvez mal." Je ne me suis par trouver mal. On a dit autour de moi que l’odeur des oranges était trop forte.
Monsieur j’ai un souvenir horrible de cette fête, l’une des plus belles que j’aie jamais vues. Je rêvais le cottage, le bonheur, & je ne trouvais pas, même une pauvre feuille de papier ! Monsieur si cette lettre tombe entre vos mains, ne serez-vous pas effrayer de la vivacité de la violence de ma douleur. Me pardonnerez-vous de tant savoir aimer ? Je ne savais pas moi-même, Monsieur, que cela ne fut possible, & je ne le sais aujourd’hui que pour souffrir.
C’est cependant à Lady Granville que j’adresse ceci. Je lui recommande toutes les précautions. possibles pour faire tenir ma lettre à la première de nos adresses, & dans le mot que j’adresse à cette adresse, je le prie de ne vous envoyer ma lettre que par une occasion très sûre en lui annonçant que vous lui en saurez gré. Monsieur tout bien pesé il me semble que M. Aston est l’intermédiaire le plus sûr possible. Faites porter vos lettres chez lui si jamais vous m’écrivez encore. Quelle horreur que ce doute ! Lui me les fera tenir par courrier Anglais.
M. Aston premier secrétaire de l’Ambassade de d’Angleterre,
à l’hôtel de l’ambassade
39 rue du Faubourg St Honoré.

Monsieur, vous souvenez-vous de la menace que je vous ai faite un jour. Vous souvenez-vous de ce que je voulais faire si je recevais jamais une lettre aussi douce aussi enivrante que vos paroles. Y êtes-vous ? Eh bien, savez-vous que cet horrible silence peut avoir les mêmes conséquences s’il se prolonge encore. N’y comptez pas Cependant écrivez, écrivez au nom de Dieu écrivez-moi. Ah comment ma voix ne parvient-elle pas jusqu’à vous. Quelle force dans nos âmes & quelle impuissance que nous sommes grands, & que nous sommes misérables !
God bless & protect you dearest, ever dearest.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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18. Boulogne dimanche 6 août 1837

Je vous écris un mot encore avant de partir. C’est pour vous supplier d’empêcher que mon arrivée à Paris se trouve dans les journaux sur lesquels vous exercerez de l’influence. Vous m’éviterez par là du désagrément. J’ai passé une mauvaise nuit. Je ne me sens pas bien. Je voudrais être à Paris, voir mon médecin. Je voudrais pouvoir vous écrire de Paris déjà, vous mander que je suis mieux, vous dire mille choses, mille pensées que j’ai dans le cœur, sur le cœur. Ma rencontre avec mon mari ! Vous ne sauriez croire comme elle me rend l’âme inquiète. Je n’ai cessé depuis deux ans et demi de le conjurer de venir. Je l’ai fait sous toutes les formes, en l’appuyant de toutes les raisons, en lui montrant le désir le plus tendre de me voir réunie à lui. et quand je le disais je le pensais, car je ne sais jamais dire que ce que je pense et aujourd’hui quel accueil vais-je lui faire ?
Voyez Monsieur voilà des réflexions qui me tiennent. Eh bien, elles ne m’étaient pas venues encore. Je ne songeais qu’à une chose. Je voulais toucher la terre où vous vivez. Tout disparaissait devant ce premier intérêt de ma vie. J’ai tout bravé pour y parvenir. J’y suis, et aujourd’hui ma situation vis-à-vis de M. de Lieven se présente à mon esprit dans toute son horreur. Oui Monsieur c’est le mot. Vous m’avez rendue meilleure. Et voilà pourquoi je me sens plus malheureuse. Comprenez-vous tout ce je vous dis là ? Ah oui vous savez tout vous devinez tout, tout ce qui se passe dans mon cœur. C’est ma joie ; ma gloire. Ah que de pensées qui m’étouffent. Je crois que vous avez raison. Il ne faut pas parler. Et cependant mon âme interroge la vôtre toujours, à tout instant. C’est un dialogue qui ne cesse jamais.
Ah mon Dieu comment peut-on vivre dans l’état où je suis ? Je tremble de la tête aux pieds j’ai des moments affreux, et cependant c’est si doux. Adieu. Adieu. Je vous écrirai de Paris au moment où j’y arriverai mais j’irai lentement. Aujourd’hui je coucherai à Abbeville. Que faites- vous dans ce moment 8 h 1/2 ? Je voudrais regarder, j’ai la vie si bonne si longue. Je ne comprends pas votre maison, mais vos bois il me semble que j’y suis que je touche votre bras. Ah Monsieur, adieu.

Collection : 1837 (7 - 16 août)
Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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23. Paris samedi 12 août 1837,
8h. du matin.

Quelles lettres que ces lettres N°12 & 13 qui me sont revenus de Londres hier que vous m’y dites de ces paroles si douces, si profondes, qui m’attendrissent m’exaltent, me calment, qui font tout cela à la fois. Je ne sais l’effet qu’elles eussent produit sur moi en Angleterre. Ici elles me font du bien elles m’en ont fait hier. Elles m’en feront aujourd’hui car je les relirai. Je les relirai bien des fois. Soyez toujours pour moi ce que vous êtes en m’écrivant ces lettres. Je le mériterai tous les jours davantage, vous verrez cela.
9 heures 1/2
Le N°19 vient de m’être remis. Comment vous croyez que je n’ai pas lu votre Histoire de la révolution d’Angleterre. Je l’ai lue, relue. Je vous en ai parlé, mais c’était à une époque où vous ne faisiez par la moindre attention à ce que je vous disais. Cet ouvrage est regardé en Angleterre comme le meilleur qui existe et comme faisant époque. On y est fort impatient de la suite. Dans ce genre-là histoires, mémoires, j’ai beaucoup lu & il n’y a guère de proposition nouvelle à me faire. C’est le seul genre de lecture qui me plaise. Mais vous avez raison de penser qu’au fond une occupation sérieuse et qui n’a pas un but pratique immédiat ne me plaît pas trop, ce qui fait que je suis très souvent ennuyée, très ennuyée même.
Aujourd’hui non car je pense, je pense. Je trouve même que je n’ai pas assez de temps pour penser. Mais monsieur, je ne voulais plus vous dire cela du tout. Et je le veux Monsieur depuis votre lettre de ce matin. Elle me laisse bien froide, bien calme. Je l’ai méritée. La vivacité de mes expressions vous aura déplu, où vous aura effrayé. Vous voulez me remettre l’esprit en ordre. Vous faites comme mon médecin, il me tient au régime. Ne le faites pas trop, j’en serais triste. Donnez-moi quelques douces paroles qui aille chercher le fond de mon cœur. J’ai besoin de cela tous les jours. Adressez vos lettres à l’hôtel de la Terrasse. J’y rentre aujourd’hui. Je me moque du soleil & des ouvriers.
Je veux être chez nous, vous recevoir chez nous. Vous aimez cela mieux aussi ? Vous voulez savoir ce que je fais. Hier trois heures à l’air au bois de Boulogne, avec Marie et un secrétaire de l’ambassade d’Autriche que j’ai fait courir inutilement la nuit de Boulogne à Abbeville, croyant que J’allais mourir et auquel je voulais laisser le soin de ramener Marie & mes diamants à Paris. Il ne m’a plus trouvé à Abbeville. C’est le même qui a couru il y a 9 ans en Angleterre pour me remettre une lettre du Prince de Metternich que je n’ai plus voulu recevoir. Le pauvre homme est chanceux. Vous voyez bien que je lui devais une promenade au bois de Boulogne, il était honoré et embarrassé à l’excès j’ai prié Marie de lui faire quelques gentillesses.
J’ai vu lady Granville longtemps. Nous n’avons parlé que de vous. Elle me soigne, elle voudrait me voir perdre mon air abattu. Le prince Paul de Würtemberg m’a fait demander de le recevoir. Il est accouru plein de l’espoir que tout marchait à la confusion en Angleterre. Je l’ai horrible ment contrarié par tout le bien que je lui ai dit de la Reine, du premier ministre et la bonne disposition où j’ai laissé ce pays. Il espère encore que je radote car il m’a dit que j’avais fort mauvaise mine & même de la fièvre. Il m’a pris le pouls et m’a assuré que je devais me soigner. Tous les Würtemberg sont médecins & le duc Eugène était accoucheur.
A propos son courrier qui est aussi cousin germain de mon Empereur va épouser la princesse Marie. Le prince Paul prétend le savoir de M. Molé lui- même. Le Roi de Würtemberg ignore parfaitement cette négociation à laquelle il ne donnera jamais son consentement. C’est Léopold qui l’a conduit. J’ai dîné seule avec Marie hier. & de 8 à 10 heures je me suis encore fait traîner en calèche. Par une belle nuit et une belle lune. Mais c’est bien ennuyeux. J’ai mal dormi. Mes occupations sont des lettres à écrire. J’ai négligé tout les monde, il faut y revenir. Vous ai-je dit que M. de Talleyrand me presse de venir à Valençay & d’y faire venir M. de Lieven ? Cela ne sera pas. Mais au reste nous causerons de tout cela. C’est prodigieux tout ce que nous avons à nous dire. Eh bien, j’ai idée que nous ne nous dirons rien. Vous souvenez-vous nos belles promesses de nous écrire des nouvelles ? Nous ne nous en sommes pas dit une seule.
De vous rapporter des bras ? Vous n’en trouvez pas. On ne saurez remplir ses engagements plus mal que je ne l’ai fait. Mais il me fallait des lettres, elles ne venaient pas. Tout tout le mal est venu de là. Adieu, je trouve que ma lettre ressemble un peu à la vôtre, mais votre cœur ressemble au mien, cela rétablit tout.

Collection : 1837 (7 - 16 août)
Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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26. Mardi le 15 août 8 heures

Je vous dirai bien tous les jours tout ce que je fais mais il m’est impossible de vous dire une fois pour toutes ce que je fais tous les jours. Il n’y a de fixe que mes prières en me levant et vous après mes prières, et mon déjeuner après vous. Tout le reste est au service d mes nerfs qui ont toutes les fantaisies du monde. Il n’en était pas de même il y a deux mois. Mon temps était passablement réglé. Aujourd’hui rien ne l’est. Jugez que je suis incapable de prendre un livre, que les journaux même qui m’ont occupée toute ma vie je les regarde à peine & jamais je n’achève un article. Je ne peux pas rester en place. C’est une agitation abominable, je ne suis calme qu’en calèche. Mais je vais mieux déjà je vous le répète et j’ai raison de vous le répéter. Si je pouvais dormir tout serait bien, mais je n’ai pas deux heures de nuit de sommeil, & l’ensemble de ma nuit ne m’en donne pas cinq. Voilà où j’en suis depuis ma seconde semaine de Londres. Le médecin me trouve mieux, & me dit que cela ira bien que dans quelques semaines all with be right again.
Mais voyons, il vous faut ma journée d’hier. Je fus m’asseoir aux Tuileries après ma seconde toilette qui est la longue et qui vient après mon déjeuner. Marie s’ennuie car je ne reçois personne et elle ne me dit rien. Je la prierai de me parler de me dire des bêtises, tout ce qu’elle veut pourvu qu’elle parle, pourvu qu’on ne me laisse pas penser ; car il y a des moments où il faut me tirer de mes plus doux rêves, ils me font trop de mal et tout mon corps tressaille comme lorsque je me livre à mes plus douloureux souvenirs. Voilà ce qui est mauvais pour moi, bien mauvais.
Il faut que je vois du monde, à deux heures j’allai prendre lady Granville pour une tournée de visites d’abord, et puis une promenade. Elle a prodigieusement, d’esprit. L’esprit très observateur, très bouffon. Il n’y a pas de société qui m’amuse plus que la sienne. Nos visites allèrent à merveille, nous ne trouvâmes personne. M. de Valençay m’avait écrit pour me demander de le recevoir avant son départ pour Valençay. Je le vis un moment avant dîner ; je ne vis personne que lui. Je défends encore ma porte le soir & nous allâmes à 8 h. au bois de Boulogne où je marchai avec Marie un peu dans les ténèbres, mais cela me fit du bien. A 10 h. je rentrai pour me coucher voyez la sotte journée.
J’ai beaucoup écrit hier cependant, cela me fatigue & m’ennuie. J’ai trop de friends par le monde. Savez-vous quelles sont les lettres qui me coûtent le plus maintenant ? C’est celles à M. de Lieven. Nous nous écrivons tous les jours un vrai journal. Je ne sais plus le remplir. A propos c’est dans peu de jours que je recevrai la réponse à mes propositions de rencontre en France et à ma déclaration que je n’en peux pas sortir. Vous serez auprès de moi lorsque je recevrai sa lettre et c’est ce qu’il me faut car le cœur me bat bien fort lorsque j’y pense.
Voici votre N°22. Quelle douce chose, que l’habitude, et de prévoir et d’avoir du bonheur, tous les jours à 9 h. 1/4 ! Voilà ce qui calme mes nerfs. Vos lettres me font tant de bien, je vous en remercie quel charme dans votre style, après m’avoir élevée bien haut comme vous me ramenez doucement simplement sur la terre. Vous me faites vivre alternativement dans les cieux, & auprès de vos cygnes. Que j’aimerais leur société. J’ai toujours aimé les cygnes. Ils ont l’air si nobles, si fiers. Vous m’apprenez qu’ils appartiennent au Nord. Il me semble que vous m’apprendrez bien des choses.
Monsieur quel plaisir, quel plaisir de penser à l’avenir, à notre avenir. Vous m’aiderez à l’arranger. Je n’ai pas été aussi contente que vous du discours de Sir R. Peel ! Quel mauvais goût que cette comparaison de la reine avec Marie-Antoinette. A propos une lettre ministérielle de Londres me disent que les Whigs auront cependant une majorité de 40 à la Chambre basse. Mes lettres Torys me manquent dans huit jours les chiffres seront bien exactement connus. On me fait faire une observation assez curieuse, c’est que la reforme a relevé le conservatisme, & que chaque parlement depuis le bill est devenu meilleur. Le bien est résulté du mal. et mon Dieu n’est-ce pas en toutes choses dans la vie ? Que de choses j’ai à vous dire Monsieur, j’oublierai tout quand vous serez là. Cela me fâche. Je voudrais vous dire tout, tout ce qui me traverse la tête aujourd’hui. Que de fois dans ma vie j’ai senti ce besoin de tout dire sans jamais trouver où le satisfaire ! Jamais je n’ai rencontré le bonheur que vous m’offrez. Cela vous fait plaisir Monsieur n’est-ce pas ? Comment je n’ai plus que demain à vous écrire ? Demain le 16. Voyez vous j’étouffe quand je pense au 18 et cependant je suis dans un ravisse ment, une joie. Rien ne peut arriver d’ici à vendredi n’est-ce pas ?
Adieu Monsieur, il est midi, je vais prendre l’air. Je vais vous accompagner auprès de l’étang. Savez-vous que j’ai beaucoup de goût pour l’arrangement d’un jardin, & savez-vous encore que si j’étais auprès de vous je ne penserais pas à votre jardin. Allons, je vois bien qu’il est temps que je vous quitte.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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30. Dimanche 6 heures le 27 août

Je vous écris de notre cabinet vous ne savez pas, vous savez ce que c’est que les souvenirs qui s’attachent aux plus petites choses. Ainsi quelle que part que mon oeil porte je vous vois, devant moi à côté partout. Et dimanche prochain vous y serez bien réellement et mon cœur s’élance avec une joie inexprimable vers l’image de ce bonheur.
J’ai marché bien avec plaisir aux Tuileries de midi à une heure. Il faisait frais, j’avais des forces. J’ai eu un long tête-à-tête plus tard avec le comte Médem. Il a de l’esprit et il est de mes amis. Demain il envoie mes lettres. Palmella lui a succédé. Je l’ai pris avec moi et Marie en calèche j’en reviens. Nous avons causé il m’a distrait. M. Molé est venu me voir pendant que j’étais sortie. Il me semble qu’il est impossible de raconter sa vie avec plus de scrupule que je ne vous raconte la mienne.
Je viens de faire une découverte ; nos noms respectifs ont chacun le même nombre de lettres. Essayez. Noms de baptême, tout. Eh bien cela me charme. Quelle bêtise !

Lundi 9 1/2
Quel doux réveil ! Ma nuit a été mauvaise ; vers le matin je me suis endormie à 8 h. 1/2 j’ai sonné, & en entrant ma femme de chambre me remet une lettre. Je ne fus plus pressée de me lever. Mon Dieu que je fus heureuse ; je vous raconterai cela. Je fis mieux que lady Russell et les battements de mon cœur répondirent vite à ces douces paroles. Ils y répondirent avant même de les connaître. Que vous êtes ingénieux à trouver à faire, tout ce qui peu me plaire. Vous aviez raison un jour de défier mon cœur de femme. Je m’humilie devant cette seconde lettre de Lisieux. Monsieur, que je vous en remercie ! Comme je m’arrête à chaque phrase, à chaque mot, quelle douceur vos paroles répandent autour de moi, Ah que je suis heureuse !
Je vous ai laissé hier à 6 heures & vous voulez savoir ce que j’ai fait depuis. J’ai été au bois de Boulogne seule avec Marie. Nous marchons, et en vérité beaucoup. Cela me prouve que mes forces me reviennent. Le plaisir que j’y trouve c’est de pouvoir vous le redire. La soirée hier était fraîche cela me convient mieux que la chaleur. En rentrant je me suis mise au piano, j’ai trouvé beaucoup de Rossini dans ma tête. Il m’a semblé que cela vous conviendrait.
A propos vous ai-je dit que jamais je ne lis le soir ? Depuis deux ans & demi, j’ai tant pleuré, tant pleuré que ma vue est abimée. Je la ménage aux lumières cela fait que l’hiver les ressourcent me manquent beaucoup. Elles ne me manqueront plus l’hiver prochain, n’est ce pas ? Pozzo est venu de bonne heure ; et puis les Durazzo, le comte Nicolas Pahlen arrivés dans la journée de Londres, ce pauvre Thorn. Voilà tout Pozzo est retournée à la Révolution de 89, & m’y a tenu jusque passé onze heures. Il m’a dit des horreurs d’une Révolution à venir, possible. Mon sanz s’est glacée. J’ai souvent entendu raisonner sur cela, j’y restais froide.
Aujourd’hui ! Ah aujourd’hui !! Monsieur, je viens d’envoyer ma lettre à mon mari. Après avoir donné toute satisfection à ma fierté offensée je n’ai pas pu m’empêcher, avant de la fermer, de laisser cours à un peu de tendresse. Il m’a semblé si dur pour moi comme pour lui, après tant d’années d’union de ne lui envoyer qu’une lettre bien froide. Il y a deux jours que je n’ai relu la sienne. Je ne veux plus la voir. Ce que je vous dis là, ce que je fais c’est de la faiblesse. Vous me voulez telle que je suis ; et bien vous me voyez Monsieur. Je n’ai pas besoin de vous dire que je me tiens dans mon salon le soir.
Demain vous reverrez vos enfants. Quand vous embrasserez votre fille aînée tâchez de vous souvenir de moi, car je l’embrasse de tout mon cœur. Adieu Monsieur. Ce mot qui marque si péniblement l’absence comme il est devenu pour nous le signe charmant de la présence, on du moins de la plus douce illusion. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°31 Jeudi 31 3 h 1/2, du Val Richer.

Oui ceci est ma dernière réponse ; et à part le bonheur de vous voir qui est bien quelque chose, j’en suis charmé. Vous aimez mes lettres, me dites-vous. Vous êtes bien bonne. Je ne les aime pas moi. J’ai un grand défaut Madame. Je passe pour un homme raisonnable ; et je l’ai été, je le suis en effet avec tout le monde, dans le train habituel de la vie. Mais voici ma folie. Quand j’ai rencontré, quand j’ai goûté dans un coin, dans un seul coin, la perfection que Dieu laisse quelque fois tomber sur la terre la perfection de l’affection, de la vérité, de la liberté de l’intimité, de la confiance, de la conversation, de toutes choses enfin, petites ou grandes, je ne puis plus supporter que la moindre imperfection s’introduire que la moindre lacune se fasse sentir dans ce coin là. J’accepte l’insignifiance, le mensonge, tout le vide, l’incomplet, l’artificiel des relations humaines, et les formes et le langage qui conviennent à un fond si léger et si vain. Mais je me révolte, je souffre matériellement dans tous mes nerfs, quand les mêmes apparences, les mêmes réticences subsistent ou reparaissent dans une relation en elle-même vraie et parfaite. Par ma raison, je reconnais la nécessité et je lui obéis ; par ma folie, je proteste et j’enrage. J’agis, je parle aussi sagement, j’espère aussi convenablement qu’un autre ; mais en agissant, en parlant des pensées autres que celles qu’expriment mes actions assiègent mon esprit ; des paroles autres que celles que je prononce, errent sur mes lèvres. Et de jour en jour le sentiment de ce désaccord monte dans mon cœur ; et l’humeur me gagne ; et je prends tout ce que je dis, tout ce que j’écris, en mépris et en déplaisir. Qu’on se passe du Paradis quand on ne l’a pas ; il le faut bien ; mais l’avoir, l’avoir à soi, et y vivre, s’y promener du même air que sur cette pauvre terre au milieu de la pauvre foule qui la remplit, c’est intolérable.
J’irai vous voir Madame et je perdrai pendant quelques jours ce sentiment. Et puis je le retrouverai. Et puis je retournerai le perdre encore près de vous, et pour bien plus longtemps, l’espère. Et je prie Dieu de ne pas prendre mon humeur au pied de la lettre et de me laisser mon Paradis. J’y compte ; vous m’en avez répété dans le n° 31, et en termes ravissants, la ravissante promesse.

10 heures
Vous avez très bien fait de finir amicalement votre lettre à M. de Lieven. Ce n’est point faiblesse, Madame ; c’est droiture et bonté de cœur, c’est respect pour vous-même, pour vos souvenirs, pour un lien ancien et puissant. Vous devez à la supériorité même qui vous a, si souvent rendu cette relation difficile, de mettre de votre côté tous les bons procédés, toutes les bonnes paroles. Il faut que tout le monde soit dans son tort avec vous. J’espère beaucoup que votre lettre au Comte Orloff et son intervention auprès de M. de Lieven feront finir de triste ennui intérieur. J’en suis très préoccupé pour vous ; j’en suis choqué, j’en suis affligé. Tout cela est bien au dessous de vous, et pourtant cela vous atteint. Nous en reparlerons dimanche. J’ai bien des choses à vous dire à ce sujet. J’en ai infiniment à vous dire sur tous les sujets. Mais il y en a un qui prend tout le temps, et il en a bien le droit, car tout le temps ne lui suffit pas. J’ajourne tout à Dimanche excepté cet adieu toujours si doux, même à la veille de Dimanche. G.
Je serai chez vous à 1 heure et demie

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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35. Paris, mardi 5 7bre 10 heures

Ah que hier soir ressemblait peu à avant-hier! J’ai trouvé notre condition abominable et puis je trouve que Je m’en suis très mal tirée. Je n’ai jamais été si gênée. Je n’ai pas été assez polie pour vous. Je l’étais davantage il y a trois mois. Je devais être hier comme il y a trois mois, j’ai été parfaitement sotte. Vous vous êtes très convenablement ennuyé. Vous avez été doux, poli, vous avez subi tout cela admirablement. Je ne suis pas encore revenue de l’assaut de Varsovie. Enfin Monsieur, je vous demande pardon de hier au soir. et puis vous dire adieu, comme je le dis aux autres ! C’est détestable.
Mais savez-vous que je suis très sérieusement inquiète de votre rhume. Je vous prie de commencer votre prochaine lettre par m’en parler. Vous aviez la poitrine très embarrassée hier au soir. Après votre départ nous nous sommes débarrassés de Pozzo, parce que mon ambassadeur voulait me parler. Il m’a tenu jusqu’à minuit. Avant cela il faut que je vous dise que selon l’usage vous êtes demain l’objet de la conversation. Pahlen vous trouve une tête superbe, de cette tête on a passé à tout ce qui en sort, & Pozzo a raconté un peu votre carrière ; il y a un point sur lequel j’aurai à vous demander quelque explication. Il me semble que je n’ai rien dit lorsqu’on a parlé de vous. Je ne me fie pas à ce que je dirais, j’aime mieux me taire ou à peu près.
Monsieur je manque complètement de tenue devant vous, & à propos de vous. Cela viendra peut être. Je ne vaux quelque chose que sur mon canapé vert et vous sur le fauteuil. L’habitude est prise & j’y suis fort naturelle.
Je passe à mon entretien avec le comte Pahlen. Il a été à Marienbad tout exprès pour voir M. de Lieven tout est pire encore que je ne me l’étais imaginé. Il n’y aura aucun moyen de le faire venir. C’est de la folie mais qui vient de très haut. Pahlen ne conçoit pas comment je me tirerai de cet imbroglio. Que d’absurdités il m’a coûtées. Il me parait qu’il est lui même fort embarrassé de certaine ordonnances dont je vous parlerai. Savez-vous le sentiment que j’éprouvais au milieu de ces confidences qui feraient frémir tout loyal Seythe ! Celui d’une parfaite sécurité et force ; et savez vous où je la trouve ? Ah Monsieur comme vous le savez. Je ne me suis trouvé dans mon lit qu’après minuit & demi. Ma nuit s’en est ressentie, et puis il m’est résulté que j’ai dormi longtemps ce matin. Je n’ai sonné qu’à 10 heures. Vous étiez parti depuis longtemps.
Vous courrez maintenant, vous causez de choses qui nous sont bien étrangères. Moi, je n’aurai aucune distraction, je passerai une triste journée, demain viendra déjà mieux parce que ce sera la veille de Jeudi. Monsieur, il y a quelque chose de mauvais en moi. J’ai l’âme inquiète des que vous vous éloigné, les premières vingt quatre heures sont détestables, je prends tout ce qui s’est passé pour un rien, et je ne respire librement que lorsque je reçois votre première lettre, ces lettres qui font si bien la continuation de nos doux entretiens. Je ne me suis par accoutumée au bonheur, à un bonheur si immense, si complet. J’y crois quand je le tiens ; ainsi il me faut votre main, ou votre lettre. à défaut de cela je suis vite démoralisée. Il me semble que toutes ces réflexions me viennent de ce mauvais adieu d’hier. Il ne faut plus que ce soit ainsi quand nous ne devons pas nous revoir le lendemain

1 heure
Le temps est triste, je n’ai nulle envie. de sortir, je ne suis pas sortie encore. Je trouve M. Duchâtel un homme bien heureux. Adieu Monsieur adieu. Je vais lire les journaux, & puis je lierai La fronde & puis j’essayerai une promenade. Je voudrais être arrivée à onze heures et me coucher. Cette montre qui va quelques fois si vite comme elle est lente aujourd’hui, comme tout me semble tourd ! Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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43. Mercredi 25 Septembre 9 1/2

Que nous sommes loin l’un de l’autre Monsieur. Vous allumez vos cheminées lorsque j’étouffe à Paris. Depuis trois jours la chaleur est excessive, et pour ma part elle m’empêche de dormir. Venez-vous chauffer ici ; il y fait charmant. Ce tableau est donc bien récent, il est de cette année-ci peut être de notre année ? Je l’ai devant les yeux sans cesse. J’ai passé une très grande partie de la matinée, hier au bois de Boulogne. Je perds tant de temps à ces promenades que je ne parviens pas à prendre en main un livre. Après mon dîner j’essaie de me faire lire par Marie, elle m’endort. C’est si monotone. Je regrette mes yeux.
J’ai eu mes habitués hier soir. Mon ambassadeur Pozzo, la petite princesse, M. Sneyd, M. Aston, et puis le duc de Valençay et M. de la Redorte comme extraordinaires. Vous savez que celui-ci est fort épris de la duchesse de Sutherland. Il me dit que M. Thiers sera à Valençay sous peu de jours. Votre futur gendre étonne tout le monde par sa haute taille, on dit que c’est presque un géant, fort beau & ressemblant à mon empereur. Il porte l’uniforme et la cocarde russe !
Je vous dis rien du tout aujourd’hui. Je fais pénitence pour hier, ou je vous disais trop. Vous savez que c’est ma manière. Demain peut être je retoucherai. Il n’y a rien de plus charmant que mon appartement dans les heures de la matinée. Vous ne sauriez croire comme il est gai, frais, clair. Vous n’avez jamais vu notre cabinet de bonne heure, il vous plairait. Je tiens beaucoup à un local gai, à du soleil surtout. Mon humeur s’en ressent toujours. Il me faut le côté du midi. Je ne puis pas concevoir que je sois née au 60 ème degré de latitude ; je ne puis rien concevoir de mon passé, je ne conçois que mes malheurs. Ceux là sont toujours devant mes yeux dans mon cœur ; tout le reste m’est incompréhensible. Je ne suis entrée dans ma vraie nature que depuis trois mois. C’est bien là ce qui lui convenait, ce qu’il fallait qu’elle trouvât ici bas ne le trouvant plutôt, sous d’autres auspices, je n’aurais pas pu lui consacrer ma vie. Aujourd’hui tout est accompli, et je n’ai plus que cette vocation entre moi et l’éternité. Je m’y voue, je m’y livre toute entière avec bonheur avec confiance, car vous me l’avez dit, Dieu voit cela avec plaisir, et vous êtes pour moi la voix de Dieu.

1 heures Je viens de marcher pendant une heure sous ces ombrages si frais. Vous m’avez quittée il y a huit jours, je n’en compte plus que quatre n’est-ce pas ? Mais répondez-moi donc. Je n’ai pas reçu un mot de mon mari ni de mon fils qui est avec lui. J’espère en recevoir la réponse à ma lettre que lorsque vous serez auprès de moi. Quelle qu’elle soit je saurai mieux la supporter. Adieu monsieur, adieu. J’ai bien envie de dire un jour à M. Molé pour calmer ses inquiétudes qu’il n’y a rien que je vous dise avec plus de plaisir que ce mot adieu. En vérité c’est un drôle de goût que nous avons là. Adieu donc adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°45 Samedi 5 heures

Si vous pouvez n’être pas trop contrariée, pas trop en colère comme vous dites, de l’article du Temps, n’y manquez pas, je vous prie. Je n’y penserai plus. J’en ai été préoccupé pour vous. Je vous ai vue inquiète de la plus simple apparition de votre nom dans les journaux. Vous m’avez parlé avec un peu de trouble de quelques lignes de la Presse que la petite princesse vous avait fait remarquer. Les difficultés de votre situation, l’humeur de M. de Lieven le surcroît d’ennui que ces malices là, un peu répétées, pourraient vous causer tout cela, m’est tout à coup venu à l’esprit. Pour moi-même, rien ne m’est plus indifférent, et je n’y aurais fait aucune attention.
Mais j’ai bien envie de vous gronder. Vous ne voulez pas " que je m’inquiète " pour vous, que mon affection pour vous soit pour moi " l’occasion de la moindre peine". Et pour qui voulez-vous donc que je m’inquiète ? D’où voulez-vous que me viennent des plaisirs ou des peines.? Madame, vous avez rencontré sur votre chemin bien peu d’affections vraies. Savez-vous ce qu’il y a dans vos paroles ? La triste habitude de voir l’affection hésiter, reculer, se cacher ou s’enfuir devant la menace, le chagrin, un obstacle sérieux, un grand ennui, un intérêt politique, que sais-je ? J’ai été plus heureux que vous en ce genre. J’ai connu, j’ai goûté des affections étrangères à toutes les craintes supérieures à toutes les épreuves, qui les acceptaient avec une sorte de joie et comme un droit dont elles étaient fières ; des affections vraiment faites for better and for worse et toujours les mêmes en effet dans la bonne ou la mauvaise fortune, dans le plaisir ou la peine, sans y avoir aucun mérité, sans y penser seulement. J’ai appris d’elles à n’y point penser moi-même, à avoir en elles tant de foi que de trouver tout simple que le chagrin leur vint de moi comme le bonheur. Et je suis sûr qu’elles avaient en moi, la même confiance. Que le temps ne nous soit pas refusé, Madame, et cette confiance vous viendra; et vous ne songerez plus à me demander de ne pas m’inquiéter pour vous, de n’avoir point de peine à cause de vous. Et je ne vous gronderai plus comme aujourd’hui.

Dimanche 7 h 1/2 M. Duvergier de Hauranne vient de partir. Nous sommes convenus que nous nous retrouverions à Paris au moment où la dissolution serait prononcée, pour convenir à de ce que nous avions à écrire partout à nos amis. Tout indique que ce sera du 1er au 10 Octobre. Je vais m’arranger pour expédier d’ici là mes affaires électorales de Normandie, pour avoir vu qui je dois voir, être allé où je dois aller, avoir dîné où je dois dîner. Vous n’aviez pas besoin de me faire remarquer votre petite vengeance de ne me parler du retard du mariage de M. Duchâtel qu’à la quatrième page. Je l’avais remarquée dès la première ligne. Mais comment pouvez-vous dire que je vous ai annoncé ce retard froidement ? Votre pénétration est là en défaut. Si vous aviez dit timidement avec crainte à la bonne heure. J’ai craint votre injustice, la vivacité de votre injustice, et le chagrin qu’elle nous ferait à tous les deux, à part l’autre chagrin lui-même, le chagrin fondamental. C’est là, j’en conviens, le premier sentiment qui m’a préoccupé, et qui a pu percer dans ma lettre. Mais froidement ! c’est un vilain mot, Madame, un mot coupable.
Les hommes sont bien malheureux dans leurs relations les plus douces. C’est sur eux que pèsent les affaires, les affaires proprement, dites, politiques, domestiques, ou autres. S’ils ne les faisaient pas bien s’ils n’y suffisaient pas, si leur situation, en était tant soit peu abaissée, leur considération tant soit peu diminué, ils perdraient aussi un peu, beaucoup peut-être, dans la pensée, dans l’imagination, et quelque jour dans le cœur des personnes qui les aiment le plus. Il faut donc qu’ils y regardent bien, qu’ils n’oublient aucune nécessité qu’ils prennent leurs arrangements, leur temps, qu’ils pensent à tout, qu’ils suffisent à tout, que toutes les affaires soient faites, et bien faites. Et quand ils font cela et ce qu’il faut pour cela, on s’étonne, on les taxe de froideur. Ce n’est pas bien, dearest. Cela ne fait que rendre le chagrin plus triste et le devoir plus difficile. Je vous en prie ; ayez avant l’époque où je vous ai ajournée, la foi que vous aurez certainement alors.
Ma mère est mieux. Les bains de pieds et le régime ont fait disparaître les étourdissements & diminué la lourdeur de tête. J’espère que nous n’aurons pas besoin de recourir à d’autres remèdes. Mais cette disposition et ses retours répétés m’inquiètent. Mes enfants sont à merveille. Nous avons depuis quatre jours le plus magnifique temps du monde, un soleil très brillant et qui n’altère point la fraîcheur de la terre. J’ai fait hier et avant-hier avec M. Duvergier, des promenades immenses dans les vallées, dans les bois. Tout le long, tout le long de la promenade, je la faisais avec un autre qu’avec lui, je parlais à une autre qu’à lui. César dictait à quatre secrétaires à la fois. J’ai fait bien mieux que César, quoique je n’eusse que deux pensées et deux conversations. Mais il y en avait une si charmante, si puissante ? L’autre était, à coup sûr, beaucoup plus méritoire que toutes les lettres de César.

10 h 1/2 Je vous remercie mille fois de votre longue, bonne, tendre lettre. Peu m’importent les détails sur M. Molé. Nous en causerons à notre aise quand nous serons ensemble. Car nous serons ensemble. J’en suis bien plus occupé que je ne vous le dis. Je travaille à fixer le jour. J’arrange, je combine. J’espère pouvoir vous le dire positivement demain ou après-demain. Ne parlez pas mal d’Adieu. Tout à l’heure, il y a une minute, je viens de le trouver si doux ! Mais vous savez bien que je suis pour la présence réelle, si fort que vous m’avez reproché de ne pas savoir jouir d’autre chose. Adieu. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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48. Lundi le 25 Septembre
10 heures

Je l’ai parfaitement prévu, pensé sans vous le dire, que les amis s’inquiéteraient, & vous tourmenteraient encore plus que les ennemis. Vous ne m’apprenez, donc rien de nouveau. J’avais l’instinct de cela de mille autres choses quand je vous disais, il y a trois semaines je crois que notre bon temps était passé. Soyez en sûr ces huit jours de parfaite liberté ne peuvent plus renaître. Mais que de tristes réflexions à faire pour moi ! Savez-vous bien où tout cela peut mener ? Nous ne sommes qu’au début de tracasseries interminables, et croyez-vous que l’Empereur permette, puisse permettre que mon nom se trouve mêlé à des intrigues françaises puis-je m’y exposer moi-même quel air cela a-t-il ?
Dans mon pays Monsieur je suis une très grande dame, la première dame par mon rang, par ma place au Palais et plus encore, parce que je suis la seule dame de l’Empire qui soit comptée comme vivant dans la familiarité de l’Emp. & de l’Impératrice. J’appartiens à la famille voilà ma position sociale à Pétersbourg, et voilà pourquoi la colère de l’Empereur est si grande de voir le pays de révolution honoré de ma présence. Monsieur ne riez pas quoique j’en ai grande envie, c’est du grand sérieux. Avec des idées pareilles imaginez ce qu’il va dire quand lui arriveront les commérages, les petits journaux, les grands peut-être, que sais-je, des tracasseries politiques, et vous Monsieur emmènerez-vous un auditoire pour voir, entendre, ce qui se fait, ce qui se dit dans mon cabinet vert ? Persuaderez-vous des amis méfiants, des ennemies acharnés ? Vous me faites sortir Monsieur d’une position qui était devenue bonne qui serait devenue meilleure. Je suis toujours restée au courant des affaires de l’Europe.
Je n’ai jamais connu les intrigues de partis en France que pour en rire. Je n’ai pas pris plus d’intérêt à un homme politique qu’à un autre. Voilà ce qui était bien, ce qui faisait pour moi, de ce qui se passe ici, un spectacle animé curieux mais rien qu’un spectacle dont je jouissais avec ma petite société en pleine innocence, & pleine insouciance. Déjà cette position commence à s’altérer, je le vois à la mine de la petite diplomatie de petite espèces. Elle est encore un peu ahurie, et je ne manque aucune occasion de la dérouter. Je poursuivais dans cette intention mais cela me réussira-t-il ? Je vous ai montré pour mon compte le très mauvais côté de ma position actuelle. J’ai été chercher le pire parce qu’en fait de mal, j’aime à échapper aux surprises, je veux vous dire cependant que je ne m’agite pas, je ne m’inquiète pas plus qu’il en faut. Je compte un peu sur mon savoir-faire, infiniment sur mon innocence. Nous verrons comment cela pourra aller.
Mais arrivons enfin à ce qui nous importe à nous. Quand vous reverrai- je? Je vous ai écrit une triste lettre hier, n’était-elle pas même un peu brutale Je me sais jamais ce que j’ai écrit, mais j’ai toujours souvenance de l’impression sous laquelle j’ai écrit. Cette impression était bien mauvaise. Elle n’est guère meilleure aujourd’hui. J’ai un chagrin profond. Vous ne sauriez croire tout ce que j’essaye pour me distraire. Ne vous fâchez pas je cherche à me distraire de vous car lorsque je me livre à vous dans ma pensée je me sens toujours prête à fondre en larmes. Je me puis pas vivre comme cela, je ne puis pas me bien porter, vous voulez que je me porte bien. Mais que faire, qu’imaginer ?
Je lis un peu. Je me promène plus longtemps que de coutume. Le soir je quitte ma place, je fais de la musique je dis des bêtises. Enfin je ne me ressemble pas. Hier au soir si vous étiez entré vous ne vous seriez pas reconnu chez moi. Marie occupant mon coin, ce coin encombré de gravures, et garni, par M. Caraffa, dont les yeux noirs trouvent, les yeux bleus de Marie fort beaux. M. Durazzo M. Henage je ne sais quel jeune anglais encore. Moi au piano avec toute la Sardaigne qui chantait on me rappelait des morceaux de Bellini, Adair quelques autres je ne sais plus qui. Le piano est devant une glace. J’y voyais la porte, & je me suis dit vingt fois, cent fois " S’il entrait ! " Et je voyais dans la glace que mes yeux prenaient une autre expression.
En vérité Monsieur je ne conçois pas comment je pourrai aller longtemps comme cela et je frissonne en vous disant cela. Madame de Castellane est venue chez moi hier matin, et en m’attendant nullement à l’objet de cette visite ; elle m’a fort adroitement amenée à ne pas pouvoir lui refuser d’aller dîner chez elle un jour. Cela ne me plait pas cependant. J’ai choisi jeudi. Pendant qu’elle était là je reçu un billet de M. Molé. Un billet de phrases galantes, qui ne demandait pas de réponse. Tout cela veut-il couvrir les pêchés passés, ou servir de masque à de nouveaux ? Ah, j’ai le Temps sur le cœur.
2 heures. Je viens d’écrire une bonne et forte lettre à M. de Lieven. Je crois que vous en sériez très content. Je ne comprends pas ce qu’il pourra y répondre. Mon fils qui est auprès de lui me mande qu’il est comme fou sur le chapitre de mon séjour ici, et qu’il n’y a pas moyen de placer un mot en ma faveur. C’est une vraie démence. Que de tracas de tous les côtés, que des images qui s’amoncellent ! Et les compensations en bonheur que j’ai trouvées, que le ciel a mis sur ma route quand reluira-t-il pour moi ?
M. de Broglie va revenir pour les couches de sa fille. Cela ne peut-il pas faire un petit prétexte ! Mais par dessus tout la santé de votre mère ? L’air n’est-il pas plus froid en Normandie ? Les cheminées ferment ici elle serait mieux. Pourquoi ne pas établir d’avance qu’il faut rentrer plutôt en ville. Vous n’avez pas d’habitudes sur ce chapitre, car vous n’êtes établi chez vous à la campagne que depuis cette année. Et mon dieu que me sert de vous fournir toutes ces raisons, si elles ne vous viennent pas à l’esprit, si elles ne vous viennent pas au cœur (Oh la mauvaise parole).
Je ne pense pas ce que je vous dis, mais permettez-moi d’être triste, extrêmement triste, & de le rester tant que vous ne m’aurez pas fourni une date. Le 25 aujourd’hui m’a fait mal. J’y avais tant compté. Ce salon ce cabinet que je regardais avec tant de complaisance en pensant au 25, auxquels je trouvais un air si gai, si charmant, il me font un effet désagréable aujour’’hui en y entrant j’avais envie de fermer les yeux. Demain je dîne chez Pozzo, j’avais dit d’avance que je ne serais pas chez moi le soir. Je pensais que le 26 vous en revenant de la noce & moi du dîner nous passerions notre soirée dans mon cabinet ; que vous prendriez du thé à la petite table. Je pensais à de si jolies pensées. Cela fait mal aujourd’hui. Adieu Monsieur, adieu, comme toujours plus que jamais adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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54. Dimanche 1er octobre 9 h.

Voici votre lettre, votre bonne lettre Monsieur, que j’ai besoin de toutes les joies, les consolations que vous me donnez ! & que je remercie le Ciel tous les jours du bienfait immense qu’il m’accorde dans votre affection pour moi ! Je suis triste un peu, je dis vrai quand je dis un peu, car je sens parfaitement que ce qui ne me vient pas de vous ne peut jamais m’atteindre beaucoup ni bien ni en mal. Voici enfin l’arrêt de mon mari. & il avait reçu toutes les lettres retardées c. a. d. le certificat du médecin ente autres.
"Si tu te refusais de te rendre à mon invitation, je me trouverais dans l’obligation de te refuser toute subvention de ma part." "Je dois également prévoir le cas que tu me laisses sans réponse et t’avertir encore, que si dans un délai de trois semaines je ne me trouvais pas en possession de cette réponse, je serais obligé d’agir comme s’il y avait refus de ta part."
Et bien monsieur savez-vous quel est le sentiment qui domine en moi c’est celui d’une grande pitié pour un homme capable d’une action pareille, il est très évident que ce qu’il fait a été concerté avec L’Empereur, promis à l’Empereur. est-il possible ! Mon frère est désormais ma seule protection, j’y vais avoir recours, mais en m’appuyant de quelques conseils que je vais chercher ce matin auprès de mon ambassadeur & du comte Médem.
Nous causerons beaucoup le 6 de tout cela, mais nous causerons beaucoup plus d’autre chose. Monsieur quel bonheur de vous revoir. Quel bonheur ! Je n’ai pas une autre pensée. Hier a été bien mieux que le jour précédent. J’ai mangé, cette nuit j’ai dormi. Je m’étais fait traîner pendant deux heures au bois de Boulogne, je n’ai pas pu marcher mes jambes n’allaient pas. La moindre agitation m’enlève mes forces. Ainsi la veille m’avait fait du mal pour plusieurs jours, mais l’air était ravissant, doux, tranquille, & cette promenade a fait du bien à mes nerfs.
Le soir M. Molé est venu de bonne heure. J’ai passé au delà d’une heure seule avec lui, ensuite sont venus mon ambassadeur, la petite princesse, M. Sneyd, M. Lutrell, c’est un nouvel anglais qui a beaucoup d’esprit. Le pauvre Hugel est dans un très triste état. Je crois que M. Molé a écrit à Vienne pour qu’on se hâte de renvoyer ici M. Appony. C’est mon ami Thorn qui est dans un bel état. Il ne sait que faire, que devenir. Il voit que son principal est fou et il n’ose pas le mander.

Midi. Comme je ne vais pas à l’église, j’ai fait de plus longues lectures pieuses. Je viens d’achever ma longue toilette. Je vais prendre l’air en calèche, oublier s’il se peut mon mari, et comme voici dimanche & que ma lettre doit se trouver de meilleure heure à la poste je la ferme maintenant. Monsieur pensez à mes affaires russes, barbares, mais ne vous en inquiétez pas. Je suis indignée mais inquiète, non. Et dans le pire cas celui où il faisait comme il dit, je puis me tirer d’affaire. Ah mon Dieu, cela est peu de chose à côté des négligences de vos gens, et j’aime cent fois, mille fois mieux qu’on me stop the supplies for ever, que de ce qu’on stop letters for a single day. Je mangerai, je dormirai aujourd’hui ; & avant-hier je n’ai fait ni l’un, ni l’autre. Adieu Monsieur adieu plus que jamais adieu avec tout ce qu’il y a dans mon cœur adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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55. Dimanche 2 heures le 1er octobre

J’ai été prendre l’air, je revenais à vous qui êtes pour moi tout tout dans le monde. Hier au soir dans notre cabinet j’étais étendue sur ce canapé vert, Marie me lisait la Fronde. Je n’en écoutais pas un mot. Je rêvais. Je ne rêvais pas. Tout à coup il me prit une envie énorme d’être seule, et dans l’obscurité. Je renvoyai Marie, je fis enlever, les bougies, et je me mis à appeler tout bas par tous les noms, tous les épithètes les plus tendres, à adresser les paroles les plus intimes à cet être invisible & présent qui remplit toute mon âme. Vous ne sauriez croire ce qu’a été pour moi cette délicieuse demi-heure, je veux que vous l’imaginiez Monsieur, & votre lettre ce matin me prouve bien que cela ne vous sera pas difficile. Ah que des moments pareils font oublier de peines ! Eh bien et ce n’était qu’un rêve et ce rêve va devenir une réalité, et j’en ai joui.

Lundi 10 1/2. Je vous envoie le mauvais commencement de lettres, je ne sais plus ce que j’allais dire lorsqu’on m’annoncera M. de Médem. Notre entretien fut long et triste. Il n’a plus eu une parole consolante à me donner. Je ne sais vraiment que faire. Il croit mon frère dans le complot aussi. Alors il ne me resterait vraiment plus de ressource.
Ma journée a été agitée, j’ai mangé cependant, je suis sortie. J’ai vu du monde le soir, mais cette nuit. Cette nuit a été horrible. J’ai entendu sonné toutes les heures & les 1/2 heures. Il y en a une qui m’annonçait du bonheur qui me l’a apporté. Mes yeux se sont remplis de larmes, de larmes de joie, de reconnaissance, de tristesse. Je suis faible Monsieur, plus faible que ne l’ai cru en vous écrivant hier. Tout ceci est affreux, & ce n’est que le commencement. Ce premier moyen ne réussissant pas, on recourra à un autre, le dernier ! Je demande à M. de Médem, si cela est possible, il me répond que tout est possible quand on est autocrate. Monsieur quelle horreur, mon mari se séparerait de moi, il en aurait le puissance ? Vous voyez bien qu’il sera difficile que je vive jusque là.
Ces épreuves sont trop fortes pour moi aujourd’hui j’ai à peine la force de vous écrire deux mots, et c’est contre une faible créature comme moi que s’arme un puissant monarque ! Je ne veux pas parler de M. de Lieven. Il me répugne de dire tout ce que j’en pense. Monsieur c’est bien vous, vous seul sur la terre qui soutenez mon âme. Elle retourne vers vous dans ses angoisses, elle vous trouve toujours, toujours, elle s’attache à vous comme le lierre s’attache au chêne. Ah s’il n’y avait pas eu de 15 juin, où serais-je aujourd’hui ? Livrée à un homme pareil ! Je ne le connaissais pas, tout est nouveau pour moi dans ce qui m’arrive. J’en reste étourdie.
Monsieur vous me trouverez malade & changée vendredi. Je le suis beaucoup aujourd’hui. Dès que vous serez là, je serai mieux. Je le sens. Je suis fâchée de vous avoir mis dans le cas de répondre à ma sotte lettre de jeudi je ne devrais pas vous écrire tout ce qui traverse ma tête. Le dire, oui, c’est plus vite fait, plus vite répondu, plus vite effacé. Voilà pourquoi venez & restez. Oh je vous en conjure restez, ne m’abandonnez plus. Je n’ouvrirai plus une lettre de mon mari, vous les ouvrirez à l’avenir. De votre main j’accepterai les peines, il n’en est point qu’elle n’adoucisse quand j’entendrai le son de votre voix je pourrai tout supporter. Adieu. Adieu J’ai regret à tout ce que je vous dis. Vous aurez du chagrin pour moi, je le vois, je le sens. Je vous en demande pardon à genoux. Je vous en remercie à genoux. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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57. Mercredi 4 octobre, 11 heures

Que j’aime votre lettre ce matin, que Je l’aime ! C’est moi que le Ciel a traité " avec magnificence." Phrase que j’ai trouvée dans l’une de vos dernières lettres. Je reconnais ce bienfait. Je l’en remercie tous les jours, à tout instant, plus que jamais aujourd’hui. J’ai le cœur plein, plein de vous, de vous seul. Mes peines s’effacent devant un mot tracé de votre main ; et je vais vous revoir !
Ma journée a été pénible hier. J’ai fait ce que j’ai pu. J’ai pris l’air à peu près tout le jour, mais je me sens très oppressée. Le soir je n’ai eu que la petite princesse, son mari, & mon ambassadeur. Il les a laissé partir pour rester seul avec moi. J’ai répété l’entretien que nous avons eu ensemble par l’agitation qu’il m’a laissée et la très mauvaise nuit qui s’en est suivi, mais je suis bien aise d’avoir acquis la certitude que c’est un homme d’honneur & un vrai gentilhomme. Ce n’est pas là les qualités qu’il a reconnues dans le procédé de mon mari. Il l’a qualifié avec une droiture & une rudesse très militaires. Il ne peut pas se persuader qu’il puisse persister dans cette voie, mais il reconnait également qu’il n’y a plus que l’omnipotent Tsar qui puisse le relever du vœu qu’il semble avoir fait dans ce but le seul moyen est mon frère. Mais mon frère vaudra-t-il mieux que mon mari, voilà la question. J’écrirai à mon frère, au comte Orloff. J’ai même commencé mais je vous avoue que le cœur me manque aussi bien que les forces. J’ai tant à dire. Je voudrais que ce fut dit de façon à rendre toute réplique impossible,et à imposer l’obligation de me faire rendre justice sur le champs. Vous m’aiderez à cela & je vous attends. à mon mari, je demanderai seulement s’il croit que je ferai pour de l’argent ce que je n’eusse pas fait par devoir ou par inclination ? à tous les trois je demanderai que l’ambassadeur soit interrogé. Il le désire. Je suis si souffrante que ma pauvre Je voudrais tête ne va plus du tout ! Je voudrais vous écrire des volumes, mais je n’ai plus de forces.
Quel bonheur voici ma dernière lettre. Si je pouvais dormir avant vendredi ; si je pouvais ne pas trop vous effrayer par me pauvre mine. Adieu. Adieu, toujours, toujours adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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67. Dimanche le 22 octobre midi.

J’ai reçu votre lettre ce matin, je ne suis pas fâchée d’avoir une pièce aussi officielle ; elle pourrait être bonne à produire un jour, mais reprenons nos habitudes. Il n’y a plus le moindre danger de l’arrivée de M. de Lieven. Mon fils part demain pour le retrouver à Lausanne, delà ils se mettent immédiatement en route pour l’Italie. Ecrivez-moi par la poste comme vous avez toujours fait, il me faut cela. & puis une fois encore par une bonne occasion plus intimement. Et puis nous arrivons au 31, au 31 ! Concevez- vous tout ce que j’éprouve en traçant le chiffre ! Savez-vous que mon affaire avec mon mari est un tel dédale que nous ne nous y retrouvons plus du tout mon fils et moi, & qu’après avoir tout lu, tout examiné de part et d’autre, nous en sommes venus à la conclusion, qu’il est possible, qu’il ait inventé tout ce qu’il prête à l’Empereur ! Alors la confusion est à son comble, car mes lettres sont parties, mes confidences sont faites, & mon mari va l’apprendre. C’est vraiment trop long à vous dire.
Pahlen et moi nous avons regardé cette affaire de tous les côtés hier au soir. On peut lui intimer de me regarder comme rebelle, on peut m’ôter le portrait. Qu’est-ce que cela me fait ? Exactement rien du tout. & on ne peut pas faire plus. et faire cela cependant est hors de toute vraisemblance car tout despote qu’il est, il faut baser cela sur quelque chose. Être à Paris n’est pas suffisant & je demande une enquête. Il faut bien me l’accorder. En vérité, c’est trop bouffon & après avoir un peu gémi, je finis toujours par rire, mais je crois mon mari fou, ni plus, ni moins, & son fils le peine un peu.
Et savez vous que mon frère l’est complètement. Il vient d’embrasser la religion grecque. Allons me voilà dans une belle famille si j’y étais restée ! Mon fils part demain, j’en suis presque impatiente. Nos entretiens perpétuels sur un même sujet si désagréable me font du mal, & puis je ne dors pas la nuit, je ne vous fais plus mon journal. Depuis 9 h. jusqu’à 6 heures, il ne me quitte pas. Le bois de Boulogne nous le faisons ensemble. à 6 1/2 nous dînons encore ensemble jusqu’au moment où j’ouvre ma poste. Après demain j’écrirai avec plus de liberté d’esprit, & du temps.
J’écris des volumes à mon mari, il y a tant à expliquer ; car c’est un enfant. Je serai impatiente que vous m’annonciez la réception de ma lettre pas M. Grouchy. L’aimerez- vous un peu ? Je ne sais plus ce qu’elle contient. Je voudrais m’en rappeler, savoir s’il n’y a pas trop, s’il n’ a pas trop peu. Je flotte entre ces deux craintes. Et au bout de tout cela je suis mécontente. que ce que dans le trouble d’esprit où je vis Je vous aurai dit des bêtises, pas du tout ce que je voulais vous dire, mais je n’ai pas été maîtresse de choisir mon moment. Cela vaudra mieux que toutes les lettres. J’ai eu une excellente lettre de Valençay. Je vous en parlerai. On me dit de vous rappeler Rochecotte en nov : & moi, je vous prie de l’oublier.
Adieu. Adieu, toujours toute notre vie adieu. N’est-ce pas toute notre vit. M. Grouchy doit porter ce soir.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°111 Samedi 25. 7 heures

Voulez-vous lire tout l’ouvrage de Mad. Necker ? Je le ferai porter chez vous. Ce qu’en citaient hier les débats est en effet très beau, et il y a beaucoup de très beau, surtout dans ce denier volume que je n’ai fait que parcourir. A 70 ans, on fait mieux d’écrire cela que d’être amoureux d’une petite fille de 17. Je suis très ennuyé de partir demain pour Caen. Rien n’est pire que ce qui dérange sans plaire. Ne trouvez-vous pas qu’on s’impose une multitude de devoirs et de chaines parfaitement gratuits ? Et puis, quand on y regarde, on s’aperçoit qu’on néglige aussi une multitude de devoir et de soins qui feraient très bien si on s’en donnait la peine. Que de fois, en rencontrant dans ma vie, un embarras, une lutte, un ennemi, j’en ai reconnu l’origine dans une visite omise, une lettre restée sans réponse, que sais je ? C’est bien difficile et bien ennuyeux d’être attentif pour les gens et les choses dont on ne se soucie pas. Il le faut pourtant.
J’ai essayé hier, contre la tristesse le remède qui m’avait réussi contre le mal de dents. J’ai travaillé assidûment toute la matinée. Avec peu de succès. J’écrivais pourtant pour mes enfants, cette histoire de France que je veux leur raconter moi-même. Je le leur ai dit. Ils en ont sauté de joie autour de moi pendant un quart d’heure. Leur joie m’a encore attristé. J’avais eu cette idée il y a quinze ans ; pour mon fils. Je la reprends aujourd’hui pour ces trois petits. Que de choses qu’on reprend, qu’on renoue, qu’on recommence ! Toute ma vie m’est revenue à l’esprit. C’est bien ma vie. C’était bien moi. Et tout cela n’est plus ! Et toute cette immense part de moi-même a disparu ! Et je vais comme si j’étais tout entier ! Et j’ai encore soif de ce vase rempli et brisé tant de fois ! Ah, nous sommes de misérables créatures ? Nous ne pouvons conserver, & nous ne savons pas nous passer. Jeunes, nous nous épuisons à désirer et à espérer. Vieux, nous nous fatiguons à regretter et à désirer encore. Et les joies perdues sont pour nous comme si elles n’avaient jamais été. Et elles nous gâtent celles qui nous restent. Et celles qui nous restent ne nous empêchent pas de rechercher avec passion celles que nous n’avons plus comme si nous n’en avions pas eu notre part. Notre cœur est sans reconnaissance envers Dieu, sans équité envers les autres, insatiable dans son égoïsme. Je donnerais je ne sais quoi pour vous guérir de votre douleur. Et votre douleur me ramène à la mienne. Et la mienne me distrait de la vôtre. Je suis triste et mécontent de moi-même. C’est trop.
J’ai peine à croire que Mad. la Duchesse d’Orléans se soit trompée d’un mois. D’après ce qui me revient de l’intérieur de sa maison, on attend réellement d’un moment à l’autre. Du reste, c’est bien absurde, de moi de vous en parler d’ici. Vous entendez surement rabâcher tout le jour, sur ces pauvres petites nouvelles là Devinez à quoi je passe ma soirée depuis quatre jours. A coller avec de la gomme sur de grands cartons et dans de grands cadres que j’ai fait faire exprès, les portraits de tous les rois de France d’abord, ensuite de tous les députés à l’assemblée constituante. J’ai 72 portraits de Rois et 530 portraits de députés défaiseurs et faiseurs de Rois. Je veux garnir de cette collection, à la fois loyale et insolente, ma salle à manger et mon vestibule. Je fais cela avec l’aide de Mad. de Meulan, et un peu de mes enfants. Cela vaut bien vos grandes pensées.

10 heures
Ma lettre n’est pas propre à changer votre mauvaise disposition. Je voudrais trouver quelque chose à vous dire qui fût bon à écrire à M. de Lieven. Je ne trouve rien. Il y a de l’irrémédiable en ce monde. Quand il en aura fini avec le grand Duc, quand il sera oisif et seul peut-être alors sentira-t-il quelque besoin des autres, de vous, de ses enfants. Et intérêt seul, à ce qu’il me semble, peut agir, sur lui. Adieu. Je suis bien aise que Pahlen soit de retour. Il vous remplira quelques moments. Parlez-moi toujours de vous, toujours. Et toujours adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°112 Samedi 25 9 h. du soir.

Je pense que j’arriverai peut-être à Caen après le départ du courrier. Je ne veux pas que vous attendiez en vain une lettre. Je laisserai celle-ci pour qu’on la donne demain au facteur, car à 6 heures je serai en route. Le temps est toujours affreux. Je vais là comme à la corvée. J’espère être de retour samedi prochain. Quel dommage que M. de Pahlen ne soit pas un homme d’esprit ; il lui eût été bien facile de se mettre et de vous mettre au courant des vraies dispositions de l’Empereur et par conséquent de M. de Lieven. Mais il n’aura rien su chercher, et n’aura rien à vous dire. Peut-être devinerez-vous quelque chose à travers son ignorance. Je le voudrais bien, car je vous vois vivement préoccupée de cette situation et je le comprends. Amis ou ennemis, tout ce qui vous tient dans ce pays là, a vraiment bien peu d’esprit. La bonne reine d’Hanovre aurait pu vous servir dix fois mieux qu’elle n’a fait.
Que faites-vous de Marie ? Est-elle toujours aussi gaie et aussi fraîche ? A-t-elle la gaieté plus spirituelle que l’humeur. Dites-m’en quelque chose. Cette jalousie-là m’amuse assez. A présent du moins elle ne vous est pas incommode. Adieu. Je vais passer une semaine en visites, banquets, toasts, speechs. J’espère que les derniers ne seront pas aussi pauvres que cette lettre-ci. Je suis pressé, endormi et triste. Pourtant toujours le même adieu, et du même cœur. Cela est immuable. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°116 Lanteuil, Jeudi 30 Août

Un seul mot qui, j’espère, vous arrivera à temps. Je me suis échappé du salon où je ne sais combien de personnes sont venues me voir. Je fais le métier de bête curieuse. On vient de m’apporter les N° 118 et 119. Je suis charmé qu’Alexandre vous arrive. Ce sera une douce distraction. Vous avez, je crois, toute raison de préférer l’Angleterre à Baden. Il faut qu’on vienne chez vous, et non pas, vous aller chez les autres. Vous débattrez beaucoup mieux votre avenir à Londres qu’à Baden. En tout cas, je suis bien aise qu’il y ait pour un an du moins, quelque chose de connu, de réglé.
Je serai chez moi après-demain, à ma grande satisfaction. Si ce régime-ci durait, j’aurais le sort de Vert-Vert. Aujourd’hui, je suis chez des gens qui m’aiment vraiment et qui me plaisent, chez les Turgot. Adieu. On vient me chercher. Voici une lettre bien plus misérable que la vôtre. Pardonnez la moi. Je le mérite car mon plus doux temps est celui où je vous écris. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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118. Paris mardi 28 août 1838

J’ai reçu en même temps que votre lettre ce matin, une lettre de mon frère & une de mon fils Alexandre qui s'annonce pour ce soir. Cela me fait grande joie. Mon frère me mande que l’Empereur vient de décider l’affaire de son fils. Il passera l’automne dans le nord de l’Italie, l’hiver à Naples, le printemps en Hollande, l'été prochain en Angleterre. Pour retourner par mer en Russie au mois d’août 1839. Il m’exhorte beaucoup à profiter de cet itinéraire pour aller trouver mon mari. Pour le moment, il ira avec le grand duc à Baden où il passera le mois de Septembre. Vous savez maintenant tout ce que je sais J’ai pensé un moment à Baden. Mais je crois qu’il est plus prudent d'y renoncer. J’irai l’année prochaine en Angleterre. C'est là, sur mon terrain, que je reverrai mon mari. Ne pensez vous que c’est là ce que je dois faire, & que je ferai même bien de l'écrire ? Quant à Alexandre j’imagine qu'il arrive pour arranger avec moi son mariage. Ah mon dieu, s’il n’y avait que moi à consulter, cela ne serait pas bien difficile.
J’ai été au Château hier au soir. Un cercle de femmes énorme, pas une de ma connaissance. Je n’ai pas vu le Roi. La joie me parait calmée. Je crois qu’on est fatigué de s’être tant réjoui. J’ai passé de là chez Mad. de Castellane j'y ai trouvé M. Molé seul. & puis chez Mad. de Boigne où était le chancelier, seul. Il parait que les couches de Mad. la Duchesse d’Orléans ont ressemblé de tout point à celles de Mad. la Duchesse de Berry. Je parle des témoins. Il ne leur reste aucun doute. Mais imaginez que le Duchesse a pensé mourir parce que tout le monde l’avait quittée pour s’occuper de l’enfant & de sa toilette, et que pendant ce temps elle a changé de lit en prenant soin de le faire bien bassiner . Pas un médecin, pas un garde, personne que deux filles de chambre. On l’a crue morte pendant une demi-heure, et c’est miracle qu'on soit parvenu à la faire revivre.
M. Molé m’a donné beaucoup de détails sur l’Empereur. Il dit qu’il prodigue les largesses & les magnificences de la manière la plus extraordinaire. Il a l’air d'y voir un plan. Votre lettre est bien aimable et bonne. Vous êtes si doux, si bon pour moi, vous avez l'air de vous être chargé de m’aimer de me gâter, pour tous ceux qui ne me gâtent ni ne m'aiment plus. M. de Pahlen n’est pas parvenu à voir M. Molé depuis son arrivée. Adieu. Adieu. Si vous étiez ici, que de choses à vous dire, que de conseils à vous demander. Ever ever yours.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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123. Paris, dimanche le 2 Septembre.

Je vous remercie de votre lettre reçue ce matin ; elle était bonne et intime. Je vais répondre à vos questions. Mon fils a beaucoup de chagrin de la rupture de son mariage. Il dit que la jeune personne a pour lui un amour très visible mais qu’elle a plus d’amour ou de crainte pour sa religion. Son oncle Acton qui va être fait cardinal exerce sur son esprit un grand empire. Elle croit ne pas pouvoir sauver son âme si ses petits garçons sont protestants. Mon fils est parti très brusquement après qu’elle lui a déclaré sa résolution ; il ne souffre, mais il espère encore. Il loge dans la maison à côté de Flahaut un appartement charmant que je lui ai trouvé. Il m’accompagne dans toutes mes promenades. Nous allons presque tous les jours à St Cloud. Longchamp depuis votre départ m’a paru bien ennuyeux.
Tout le monde parle de l’affaire de la Suisse sans comprendre comment elle finira. Louis Bonaparte y reste, cela est sûr. Pour le moment je pense que le rappel de l'Ambassadeur sera la seule mesure qu'on prendra, mais c’est peu de chose. Nous nous retirerons peut-être aussi tous les trois, mais les Suisses s’en consoleront. On s’étonne un peu que la Russie ait si vite et si fermement soutenue là dedans votre gouvernement. Mais c’est que, à part les caresses, vous nous trouverez peut-être meilleurs collègues que tous les autres. L’Empereur évite tout ce qui peut vous donner ombrage. Par exemple il n'a jamais reçu chez lui à Toplitz La Feronnays ou Marmont. Il ne les a vus qu'à leur promenade publique. Il a toujours beaucoup aimé M. de La Ferronays. M de Stakelberg a donné hier à dîner à mon fils qui a longtemps servi sous ses ordres. J’y ai dîné aussi & mon Ambassadeur & Médem. De là j'ai été à Auteuil. J’y ai trouvé M. Molé très entouré de la diplomatie. Il me dit qu’il est plus que jamais accablé de travail. Il a pris l’intérieur dans l'absence de M. de Montalivet. Il y avait hier plus de monde que de coutume à Auteuil. On ne sait pas où est l’Empereur de Russie dans ce moment. Il est attendu partout, et il ne parait nulle part. Le 15 Septembre lui & l’Impératrice seront. à Berlin.
Les derniers mots de votre lettre me plaisent et me font du bien. J'ai l’âme un peu moins triste depuis l'arrivée de mon fils, mais toujours ce silence inexpliqué de mon mari me donne beaucoup de chagrin. Je ne sais que penser, et l’avenir me parait abominable. Mon fils aîné me mande que si sa situation secondaire doit se prolonger il quittera le service, & pour ce cas l'idée de venir vivre auprès de moi est ce qui la donne le plus de plaisir. Adieu. Adieu. Adieu, trouvez-vous que c'est assez ? Par moi.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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163 Paris, le 14 octobre Dimanche

J'ai mal dormi ; je me suis levée très tard. J’attends Matonchewitz tout à l'heure, & je n’ai pas encore fait ma grande toilette. Voyez comme tout cela est enrageant. Et puis dimanche par dessus le marché ! Hier il a fait si froid que j'ai du prendre la voiture fermée. J'ai été à Auteuil où j’ai trouvé beaucoup trop de monde je n’y suis restée que cinq minutes. J'ai dîné chez la D. de Talleyrand avec Alava de là j’ai été de bonne heure chez Lady Holland. M. Molé y dînait. Mad. de Castellane y est venue après, et tout mon monde.
M. Molé a envoyé l’ordre que le corps d'observation reste sur la frontière, attendu que Louis Bonaparte n’a pas quitté encore son château. C’et décidément en Angleterre qu'il doit se rendre & de là aux Etats-Unis/ M. Molé n’avait pas l'air de bien bonne humeur. Il est parti aussi tôt que Mad. de Castellane est entrée.
Le Roi ne rentre en ville que mardi ce jour là aussi on attend Léopold. La conférence ira à ce qu’on croit & dans notre sens, parce que l'Angleterre se joint à nous. a propos Lord Palmerston a proposé d’établir à Londres une conférence pour régler les Affaires de l’Orient Nous avons décliné péremptoirement. Ce sont nos affaires. Demain sera vraiment la moitié du mois d'octobre !
Adieu. Cette semaine sera bien remplie pour moi. Mon fils, Matonchewitz, les Sutherland. Tout cela me quitte avant vendredi. Les derniers arrivent ce soir ! Ils me prendront beaucoup de mon temps aussi. Je voudrais partager toutes ces ressources, tous ces plaisirs, et tout cela vient à la fois ! Ecrivez-moi ; il est bien vrai que j'ai de vous une lettre tous les jours, mais cela ne me parait pas assez. Adieu. Adieu. Je suis bien casée & j'aime bien notre cabinet. Adieu encore.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°164 Vendredi 19 octobre 7 heures et demie

Je suis fâché que la duchesse de Sutherland soit engraissée. C’était déjà beaucoup. Quand elle ne sera plus du tout jeune ce sera beaucoup trop. Je m’intéresse à la durée de ce qui m’a plu un moment. Comptent-ils passer tout l’hiver en Italie ? Comment la Reine s’arrange-t-elle de cela ? Il me paraît qu’elle tient fort à garder ce qui lui plait, s’il est vrai qu’elle ait écrit au Roi de Naples pour garder Lablache. Cette jeune fille m’inspire assez de curiosité. Il me semble que personne ne la connait et ne dit ce qu’elle est. Y aura-t-il vraiment quelque chose en elle, ou sera-ce tout bonnement une reine amie sensée, facile, et uniquement occupée de s’amuser convenablement ? Ceci serait peut-être le meilleur pour l’Angleterre ; elle est, je crois dans l’une de ces crises, où ce qu’il y a de mieux pour le pays, c’est un gouvernement qui s’accommode au temps, en y faisant peu et lui demandant encore moins. Un pouvoir fier et exigeant, pour lui-même comme pour les autres, compromettrait là bien des choses. Vous avez raison sur l’Orient. C’était de ma part une pure fantaisie. Ce qui vaut le mieux à présent, c’est que la question en reste où elle est. Personne n’est prêt à lui donner la solution qui convient. L’Empereur à Potsdam était probablement désolé de ce que sa fille trouvait le Prince royal de Bavière, trop laid.
Est-ce Postdam ou Potsdam ? Vous écrivez Potsdam, et moi aussi. J’ai des cartes qui sont de notre avis ; mais la plupart disent Postdam, et il me semble que l’étymologie le voudrait. Décidez. Avez-vous jamais aimé la géographie ? Thiers prétend qu’il n’y a pas de grand homme qui n’ait aimé la géographie. Je l’ai fort bien sue, parce que je n’ai jamais lu une histoire, sans avoir les cartes sous les yeux, et sans suivre pas à pas les événements. Mais la géographie, pour elle- même me touche peu. L’Astronomie encore moins. Je n’ai jamais pu distinguer une étoile d’une autre. Ni le ciel, ni la terre ; c’est dédaigner beaucoup. Au fait, s’il n’y avait pas d’hommes dessus, et dessous, je prendrais du Ciel et à la terre peu d’intérêt.
Entendez-vous parler d’une jeune artiste, Mlle Rachel, qui a, dit-on de grands succès au théâtre français et ramène la foule à Racine et à Corneille ? Si elle fait cela, je lui veux beaucoup de bien, et c’est ce qui fait que je vous en parle. J’admire et j’aime extrêmement la vieille, la vraie littérature française. Et vous lui devez les mêmes sentiments. C’est votre nature qui le fait. Vous voyez que je vous traite là, comme je traiterais Lord Holland.

10 heures
J’avais un vrai remords, avant-hier de ma lettre si courte. J’aurais voulu la charger de toute autre chose, que de paroles. Il y a peu de variété dans ma manière de penser à vous. mais beaucoup de continuité. Je n’ai rien à apprendre sur votre frère et votre mari. Ils seront ce qu’ils sont. Quelque accoutumé que je sois aux incohérences, et aux contradictions de la nature humaine, pourtant il y a telle occasion, et dans cette occasion telle action, telle parole où l’homme se révèle tout entier, et d’après laquelle on peut hardiment le juger, et le prédire. J’ai vu votre mari et votre frère à cette épreuve-là. Adieu. Je vais donner quelques ordres pour des caisses qui doivent partir la semaine prochaine pour Paris. Adieu Bien, adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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81. Paris Mercredi 4 juillet 1838

J’ai reçu votre lettre, vos poissons. Comme tout à coup tout a changé pour nous. C’est si abrupt. Des habitudes si étrangères à nos habitudes. Des sujets de conversation se différents. Au lieu de politique vous m’envoyez des carpes. C’est égal, j'accepte tout ce qui me vient de vous. Je vous prie de ne pas manger beaucoup de carpes, de têtes de carpes surtout. J’ai vu M. de Talleyrand à Londres, très près de mourir de cela.
J'ai été hier un moment chez la petite Princesse. Il est très vrai que je la néglige il est très vrai que je suis difficile. Il faut me plaire beaucoup pour m’intéresser un peu, et elle a trop de petit esprit & de petites manières gentilles pour me convenir beaucoup. Cependant, je conviens qu’elle me fera une ressource, quand je n’aurai plus rien. J'ai été à Longchamp jusqu'à cinq heures, & puis un moment à Auteuil. C’était une matinée de réception & il n'y avait à peu près personne. Lady Canterbery qui lorsqu’elle m’a vu venir de loin a vite quitté son siège pour se promener seule dans le jardin. Ici on la comble de politesse & une Anglaise comme moi ne la salue pas, la pauvre femme a erré longtemps et puis elle est partie sans vouloir s'approcher de la maîtresse de la maison.
Je suis rentrée pour mon dîner ; je me suis fait traîner après, & j’ai fini par Lady Granville encore. Ah, pour celle-là, elle me plait.
Les conférences pour la Belgique vont commencer à Londres. Ce ne sera ni une petite, ni une courte besogne. Je ne sais ce que fera Pozzo. Il voulait quitter le 15 pour venir passer 3 mois à Paris ! Si Matonchewitz n’avait pas été déserteur on l'enverrait à la conférence. Je ne sais si l’Empereur voudra se donner cet air de faiblesse.
La petite insurrection à Stockolm qui a misé de si près la visite de l'Empereur me parait un fait curieux. Cette visite n’aurait donc flatté que le Roi. Je ne sais rien de vos affaires ici, et il n’est pas vraisemblable que j'en apprenne rien. Je ne fais attention qu'à ce qui me vient de sources directes et celles-là ne sont pas à ma disposition. M. Molé m'a promis une visite, mais je ne fais pas le moindre cas de ses promesses.
La Reine est dit-on inquiète de la taille énorme de sa fille. Elle accouche dans quinze jours.
Je n’ai pas de lettres de mon mari. J’ai écrit aujourd’hui à mon frère.
Il fait chaud. Et le temps passe bien lentement. Il me semble même qu'il s’arrête. Ah mon Dieu qu'il y a loin jusqu’à de bons moments ! Adieu. Adieu. Est-ce que je ne vous parais pas d’un peu mauvaise humeur ? Je crains que mes lettres ne soient maussades. Je suis si transparente. Et mon chagrin prend quelques fois de si vilaines formes. Vous êtes bien mieux élevé que moi. Adieu adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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187 Samedi 2 mars 1839

Mercredi seulement. Que c’est long ! je m'afflige, mais je ne me plains pas. Je ne suis pas inquiète comme vous le dites. Mais cela me fait beaucoup de peine. Cela vous ne vous en plaindrez pas ? Oui le 4 ! C’est horrible, mais je ne puis ni en parler ni en écrire.
J’ai eu une lettre de Paul hier. L’Empereur a envoyé de suite à Londres le comte Strogonnoff pour remplacer mon fils pendant le voyage qu'il va faire en Russie. Il lui enjoint de venir de suite attendu qu’'il désire le voir. Paul ne veut pas aller dans ce moment, sa santé ne va pas à un voyage rapide dans la rude saison. Il ira dans quatre semaines on trouvera cela étrange, il fallait courir ventre à terre dès le lendemain ! Voilà comme on est chez nous. J’ai eu ma lettre de mon frère ce matin ; il avait reçu mes deux lettres. Celle de reproche et l’autre écrite après la mort de mon mari. La sienne contient que des hélas et des reproches sur ce que je ne veux pas vivre en Russie. Voici le lieu de lui dire une fois pour toutes pourquoi je n’y veux pas vivre et que je n’y retournerai jamais. Je vous montrerai cette lettre, je ne l’enverrai qu'après vous l’avoir lue.
J’ai vu hier matin chez moi la comtesse Appony. J’ai fait le plus agréable dîner possible chez Lady William Bentinck, elle, son mari et Lord Harry Vane, voilà tout. Très anglais, très confortable, j’ai eu presque de la gaieté. Le soir chez moi, mon ambassadeur, celui d’Autriche, Fagel, M. de Stackelberg & le Prince Waisensky. Don Carlos a retiré sa proclamation contre Maroto. Après l’avoir déclaré traître, il approuve tous ses actes, lui rend le commandement. Enfin, c’est une confusion plus grande que jamais, et mes ambassadeurs disent que ce qu'il y a de mieux à faire est d’abandonner complètement Don Carlos et le principe. Les princes gâtent le principe.
Lord Everington vient d'être nommé vice roi d’Irlande, c'est un très grand radical, un homme d’esprit, membre distingué de la chambre basse, et très grand seigneur quand son père Lord Forteseme mourra. Je vous conterai comment un jour il est resté caché pendant deux heures dans les rideaux de mon lit ! J’ajoute, puisque vous êtes si loin ; que c’est mon mari qui l'y avait caché. Vous feriez d’étranges spéculations si je ne vous disais pas cela. Et ce n’était pas cache cache.
Le petit copiste est venu. Il a commencé aujourd’hui. Cela va très bien. Les ambassadeurs avaient vu M. Molé hier. Les nouvelles sur les élections sont d’heure en heure meilleures pour les ministres. Vous avez bien fait de n'être pas allé à Rouen, mais vous faites très mal d'avoir du rhumatisme. Je vous le disais lorsque vous êtes parti, j’étais sure que vous alliez prendre froid. Faites-vous bien frotter au moins Adieu. Adieu, il faut donc encore écrire demain et lundi. What a bore ! Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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192 Du Val Richer, jeudi 6 juin 1839 2 heures

A mon grand étonnement, la poste n'est pas encore arrivée. Que je serais impatient si j’attendais une lettre ! Mais je n'y compte pas aujourd’hui. Je n'attends que des nouvelles. Je serais pourtant bien aise de savoir qu’il n’y en a pas de trop grosses. Le Ministre de l'intérieur m’a écrit hier. Qui sait si aujourd’hui il n’est pas aux prises avec une insurrection ? Hier, il n’était occupé que de l'humeur des 200 qui ne peuvent pardonner à M. Passy d'avoir ôté M. Bresson de l'administration des forêts pour y remettre M. Legrand, que M. Molé en avait ôté pour y mettre M. Bresson. « M. Molé, me dit-on, souffle le feu et la discorde, mais ce feu s'éteindra bientôt. Je n'en doute pas : petit souffle sur petit feu.
On me dit aussi que les lettres d'Orient sont à la paix. Je m’y attends malgré le fracas des journaux. Si le Sultan et le Pacha, l’un des deux au moins, n’ont pas le diable au corps, on leur imposera la paix. Moi aussi, je suis pour la paix. Cependant, si la guerre était supprimée de ce monde, quelques unes des plus belles vertus des hommes s'en iraient avec elle. Il leur faut, de temps en temps, de grandes choses à faire, avec de grands dangers et de grands sacrifices. La guerre seule fait les héros par milliers ; et que deviendrait le genre humain sans les héros ?
Voilà le facteur. Il n’apporte rien, ni lettres ni évènements. Tout simplement la malle poste s’est brisée en route. Elle arrivera dans quelques heures ; une estafette vient de l’annoncer. J’en suis pour mes frais d'imagination depuis ce matin. Encore une fois, si j’attendais une lettre, je ne pardonnerais pas à la malle poste de s'être brisée.

4 heures On ne sait ce qu’on dit. On a tort de ne pas espérer toujours. La malle poste est arrivée. Un de mes amis, a eu la bonne grâce de monter à cheval et de m’apporter mes lettres. En voilà une de vous, et qui en vaut cent, même de vous. Vous êtes charmante, et vous serez charmante, riche ou pauvre. J’espère bien que vous ne serez pas pauvre. Plus j’y pense, plus je tiens pour impossible que tous vos barbares, fils ou Empereur ; pardonnez-moi, s’entendent pour ne faire rien, absolument rien de ce qu’ils vous doivent. Votre orgueil n'aura pas à s'abaisser. Et puis, croyez-moi, vous n'auriez point à l'abaisser, mais tout simplement, à le déplacer, à changer vos habitudes d'orgueil. Et puis, pour dernier mot, j'accepterais l'abaissement de votre orgueil devant ce que j’aime encore mieux. Mais je ne vous veux pas à cette épreuve ; je ne veux pas des ennuis, des contrariétés qu’elle vous causerait. Vous souffrez des coups d'épingle presque autant que des coups de massue. Il faut que vos affaires s’arrangent. J'attendrai vos détails, avec une désagréable impatience. D'où vous sont donc venues tout à coup ces nouvelles mauvaises nouvelles ? J’ai vu tant varier les dires et les rapports à ce sujet que je n’en crois plus rien. Ma vraie crainte, c’est qu’il n’y ait là personne qui prenne vos intérêts à cœur et les fasse bien valoir. Cependant je compte un peu sur votre frère. Au fond, c’est un honnête homme, et il a de l’amitié pour vous.

Vendredi, 8 heures
J’ai mal aux dents. Je suis enrhumé du cerveau ; j'éternue comme une bête. Mais n'importe, j'ai le cœur content. Je retournerai à Paris, mercredi ou jeudi. Sans plaisir ; je n’y ai plus rien. J’aimerais mieux rester ici. J’y vis doucement. Je retourne à Paris par décence plutôt que par nécessité. Il ne paraît pas que le débat sur l'Orient doive venir de sitôt. Mais je ne veux pas qu’on s'étonne de mon absence. Le procès commence le 10, et remplira tout le mois. Donc écrivez-moi chez le Duc de Broglie, rue de l'Université, 90. Je le crois bien contrarié d'être obligé de rester à Paris. Il avait grande hâte d'aller en Suisse. C'est le premier indice que j'observe, de son côté, à l'appui de votre conjecture. Si elle se réalise, ce sera par l'empire de l’habitude plutôt que par un sentiment plus tendre. Adieu. Quand notre correspondance rentrera- t-elle dans son cours régulier ? Vous arrivez aujourd’hui à Baden. Je vous souhaite un aussi beau soleil que celui qui brille sur ma vallée. Adieu. Adieu. Le meilleur des adieux. G. 

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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194 Baden Samedi 8 juin 1839 à 3 heures

J'ai été bien fatiguée toute la matinée j’ai écrit au grand Duc, à Orloff, à mon frère, à mon fils Alexandre. J'ai envoyé copie à mon frère de la lettre du grand Duc et de ma réponse. Tout cela est beaucoup après une mauvaise nuit et par un temps bien chaud. J’ai vu longuement mon médecin. Il veut pour moi du lait d'ânesse, des bains de son, de l’air toujours de l'air, du calme dans ma vie, point de peines ! Point d'agitations ! Il veut que je dorme et avec tout cela il me répond de m'engraisser. Oui mais comment, excepté le lait et le bain, comment avoir tout cela ? Il m’a trouvé extrêmement changée et maigrie il y a longtemps que cela me frappe.
Je ne vois Mad. de Talleyrand qu’une demi-heure par jour, voilà tout, et puis je ne vois personne que Marie qui vient se promener avec moi le soir. Voilà mes dissipations de Baden. Mais le lieu est charmant, le temps superbe. Je ne me plaindrai pas, mais je suis bien seule.

Dimanche 9. à 8 heures du matin.
J'ai reçu hier au soir votre N°191. Je suis avide et heureuse de vos lettres, mettez-vous bien en tête qu’il ne se passe pas de minute où je ne pense à vous. J'ai des nouvelles de mon fils Alexandre. Il est arrivé à Pétersbourg le 22. Mon frère est tout de suite accouru chez mon fils, et les à reçus avec la plus grande tendresse. Alexandre a l’air fort content. Je n’ai rien de mon frère.
Une longue lettre d’Ellice qui ne pense pas que le ministère anglais tienne longtemps. Il croit que Lord Howick fera la brèche. Il est question de dissolution. J'ai presque bien dormi cette nuit.
J’ai commencé ce matin le lait d’ânesse. Je reviens de mon bain qui m’a plu. J'ai marché, j'ai déjeuné et il n’est que huit heures. Hier au soir je me suis fait miner au vieux château. On monte pendant une heure. C’est beau, c’est superbe. Des points de vue admirables des ombrages charmants, venez donc voir cela. Je défie que vous ayez rien vu de comparable. J’étais seule, toujours seule, ah ! que c’est triste ! midi. Je reviens de l'église. J'ai entendu mon excellent sermon, qui m’a bien émue. Vous ne savez pas comme j'ai l’âme tendre et triste. Je vous envoie copie de ma lettre au grand Duc. Dites-moi si elle est bien. Adieu, Adieu, que d'adieux à 120 lieux de distance. Ah que j'aimerai à repasser le Rhin ! Si on s’avisait de me le défendre, qu’est-ce que je ferais ? Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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195. Baden lundi le 10 juin, 1839, à 8 h matin.

Je n’ai dormi que deux heures cette nuit la lettre de mon banquier m’avait de nouveau renversée. Vous savez comme je le suis aisément. Je m’en vais écrire à moi frère et Matonchewitz. Et j'ai bien peu de forces. Si vous étiez là vous m'en donneriez, et un peu de courage. Mais mes seules ressources ! C’est pitoyable.

Mardi 8 h. du matin
J’ai écrit, je vous enverrai copie si cela ne me coûte pas trop de peine. J’ai reçu votre n° 192. Je serai bien aise de vous écrire à Paris nous serons plus près. J’ai vu Mad. de Talleyrand. Ah que nous sommes loin. Hier un peu plus que de coutume, elle redevient très bonne ; je vous ai dit ; le secours moral, j’y puis compter, l’autre non. Elle me prendra mes chevaux et mes chambres, mais elle me donnera de bons conseils. Voici ma vie à 6 heures hors de mon lit et un verre de lait d’ânesse. Une heure de promenade à pied. Une demi-heure de repos à 7 1/2 un bain de son et de lait à 27 degrés. Dix minutes de bain, à 8 h mon déjeuner, et puis mes lettres à 9 1/2 ma toilette, à 11 heures seconde promenade à pied. à Midi le lunchon. Après de la lecture de 2 à 3 promenade en calèche ; de 3 à 4 je me repose dans le jardin. à 4 heures mon Dieu ! à 5 h., on m'apporte mes lettres et mes journaux, à 6 heures en calèche jusqu'après 8 heures. Ensuite une demi-heure de mon jardin, et à 9 heures mon lit. Voilà exactement mes faits et gestes. Ensuite, Marie vient me voir un quart d’heure dans la matinée pas davantage. Mad. de Talleyrand se promène en calèche avec moi ou le matin ou le soir. Et voilà toutes mes ressources. A propos elle me charge de la rappeler à vous. Dans quelques temps elle vous écrira pour vous dire de mes nouvelles.

1 heure
Je vois par votre lettre que j’ai négligé de vous dire d'où m'étaient venu les mauvaises nouvelles sur mes affaires en Courlande. C'est de copies des textes de la loi en Courlande très volumineux, très embrouillés, mais d'où il appert, que j'aurai une année du revenu entier de la terre de Courlande une fois payé ce qui fait je crois 60 m. francs. Rien du tout d’une autre terre en Lituanie achetée par mon mari, et rien non plus d'une belle arende en Lituanie. La 7ème partie de l’arende en Courlande qui sera peut être 2 mille francs par an. Vous voyez que cela me réduit au 7ème de la terre de Russie & à la quatrième part du capital en Angleterre. Mes fils auront chacun entre 80 à 90 mille roubles de rentes. Voilà mes notions pour le moment. Ces papiers Courlandais dont je vous parle m'ont été remis par la princesse Mescherscky. C'est un cousin à elle qui les lui a envoyés de Mittan. Je vous envoie les copies promises, dites-moi si j'ai bien fait sans ma lettre à Matonchevitz, j’ai été un peu plus claire. Il n’y a personne encore à Baden que je connaisse beaucoup de russes petites gens. Quelques Anglais ditto Le lieu est fort embellie. L'entrepreneur des jeux à Paris est venu ici, il y a déjà dépensé un million 300 m. francs pour embellir le salon et les promenades. Je suis la voisine immédiate. C’est même lui qui me nourrit. Le temps est charmant pas trop chaud, les promenades les plus belles du monde. Que ce serait joli se vous étiez ici ! Je n’ai pas une nouvelle à vous mander je ne sais absolument rien. Je ne saurai rien que par vous.

5 heures
Je reçois dans ce moment, une lettre de mon frère, fort bonne et amicale. Il me parle avec tendresse de mes fils, dont il parait fort content. Il me dit que Pahlen accepte, et que lui mon frère se réserve le rôle de super arbitre. Il fait faire un recueil des lois en Russie et en Courlande, qui m’indiquera ce qui me revient, et il ajoute. " Le reste sera une négociation j'espère aisée avec deux fils qui paraissent si comme il faut. " A présent j'attendrais avec plus de patience et de confiance, car je crois que vraiment mes affaires sont dans les meilleurs mains possibles. Je transcrirai demain ce qu'il me dit de vos affaires qui est assez drôle. Adieu. Adieu. Adieu. Ecrivez-moi tout. J’attends vos lettres avec tant d’impatience ! Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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195 Du Val Richer, Mercredi 12 juin 1839 4 heures

Je prends du plus grand papier. Il me semble que j’ai une infinité de choses à vous dire. Je vous en dis bien peu pourtant. M. et Mad. de Gasparin viennent de m’arriver avec M. Chabaud. Ils resteront jusqu'à samedi. Moi, je ne partirais que lundi. Rien ne m’attire à Paris, point de plaisir et peu d'affaires. Fort peu. La question d'Orient se refroidit. Les événements s'éloignent. On s'attend à peu de discussion. Thiers part demain pour conduire sa femme aux Pyrénées. Cependant je persiste à vouloir parler. La question, prochaine et point flagrante, est peut-être une raison de plus de parler ; elle est assez près pour qu’on y regarde et encore assez loin pour qu’on parle librement. La commission fera par l'organe de M. Jouffroy, un rapport savant et terne, une belle dissertation. Les Affaires Etrangères sont de toutes, à mon avis, celles sur lesquelles la parole séparée de l'action, a le moins de valeur. Elle tombe presque inévitablement dans la politique de café, ou de livre ; politique presque toujours arbitraire et futile, même la plus spirituelle. Les crédits demandés pour augmenter nos forces navales sur les côtes d'Espagne donneront peut-être lieu à un débat plus vif. On me mande que M. Molé veut les faire attaquer. Si le cabinet, dit-il, entend continuer l'ancienne politique, l’argent qu’il demande est inutile. S’il veut adopter une politique nouvelle et s’engager plus avant dans les Affaires d’Espagne, c’est dangereux. Si en faisant comme ses prédécesseurs, il veut seulement avoir l’air de faire plus qu'eux, on ne lui doit pas des millions pour qu’il se donne ce petit plaisir. En tout le cabinet ne gagne pas de terrain. Tout le monde le trouve petit et le lui témoigne, la Chambre des Pairs et M. Bresson. Cette démission de M. Bresson a été une affaire. Le Roi, dit-on, l’en a hautement approuvé. Et pour obtenir la réintégration de M. Legrand aux forêts, il a fallu que M. Passy menaçât de sa retraite. Je vous envoie toutes les pauvretés qui m’arrivent. Pourquoi pas ? Je vous les dirais. M. de Broglie a voulu conduire lui-même sa fille à Coppet. Je ne le trouverai donc pas à Paris. Mais il y sera de retour du 20 au 25 de ce mois, pour le procès, qui durera au moins quinze jours.
On m’appelle pour la promenade. Le temps est magnifique et la verdure aussi brillante que le soleil. Je n'aime pas à faire ce qui me plaît avec quelqu'un qui n’est pas vous. Adieu au moins.

Jeudi 6 heures
La lettre de votre grand Duc est une lettre d'enfant. Je suis toujours bien aise qu'il vous l’ait écrite, et qu'Orloff ait envie d'avoir votre réponse. Je suis curieux de savoir qu’elle sera la valeur des paroles de celui-ci. Vous dites toujours qu’il a de l'esprit. Nous verrons. J’espère bien que votre pauvre Castillon aura une course de courrier. J’insisterai jusqu'à ce qu’il en ait une. On me l’a promis et je graduerai mon humeur sur l'accomplissement de la promesse. Nous avons, aussi nos barbares, nos esprits grossiers quoique rusés qui feront toutes les platitudes du monde, et manqueront de bons procédés. Mais il faut le leur faire sentir. Je ne trouverai plus personne à Paris. Mad. de Rémusat est partie pour le Languedoc. Mad. de Boigne est à Chastenay. J'irai quelque fois. Si cela peut s’appeler aller à Chastenay ! Je reviendrai vers le 15 juillet.
Mes enfants sont ici d’un bonheur charmant à voir. Je les trouve déjà engraissés. Bien des fois dans le jour, je voudrais vous envoyer la société de ma petite Henriette. Elle vous calmerait en vous amusant. Je n’ai jamais vu une créature plus sereine, et plus animée. C’est la vie et l’ordre en personne. Jamais de trouble ni de langueur. Et ayant ce qui donne et justifie l'autorité, l’instinct naturel du commandement, et la disposition au dévouement. J'en jouis avec plus de tremblement que je ne veux me le dire à moi-même. Je ne me sens plus en état de résister à de nouveaux coups. Soignez-vous bien.

9 heures Je serai très bref. Le post-scriptum de votre n°194 me met dans une indignation que je ne veux pas comprimer. Je n’ai rien vu de pareil. Qu’avez-vous donc fait ? De quoi vos fils veulent-ils vous punir ? Adieu. Adieu. Je voudrais pouvoir mettre dans cet adieu tout ce que je ne dis pas, et de quoi vous faire oublier tout ce qui vous arrive. J’attends bien impatiemment une lettre de votre frère. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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197 Du Val-Richer. Dimanche 16 Juin 1839 9 heures

J’ai eu des visites toute la journée, ce soir encore après dîner. Je pars demain matin. Je vais passer un mois parfaitement seul dans ma maison ; à moins que le Duc de Broglie ne revienne pour le procès, comme il l'a dit. Mais j'en doute un peu. Il me semble que le même empressement qui l’a fait partir pour quinze jours pourra bien l'empêcher de repartir au bout de quinze jours. Pourtant il aurait tort. Il ne faut pas qu’un juge manque à un procès de vie et de mort.
Je trouve votre vie bien ordonnée. Je vous y voudrais un peu plus de société. Je ne suis point jaloux. Ai-je raison ? Mais vous êtes absolument obligée de me revenir grasse et fraîche. L'absence est un crime qui ne peut-être couvert que par le succès.
Vos mauvaises nouvelles de Courlande paraissent bien authentiques. Je m'en désole, car je n'ai foi à personne. Votre frère ne vous dit-il rien, absolu ment rien de la perspective d'une pension ? J'espère presque plus de l'Empereur que de tout autre. Je ne croirai jamais qu’il soit impossible aux trois hommes qui l’entourent de faire luire dans son cœur, s'ils le veulent, un éclair de justice et de générosité.

Lundi 9 heures
Je me lève par le plus beau soleil. Si je devais vous revoir, demain, je serais aussi gai que le soleil. Voilà la première fois depuis deux ans que je vais à Paris sans vous y retrouver. Quel ennui de partir quand on n'a pas envie d’arriver ! C’est bien deux ans, avant hier 15 Juin. Comment n’y a-t-il que deux ans ? Il me semble que c’est toute une vie.

Eternité, néant, passé, sombres abymes.
Que faites-vous des jours que vous engloutissez ?
Parlez ; nous rendrez-vous les extases sublimes
Que vous nous ravissez ?

C’est M. de Lamartine qui dit cela. Vous savez que j’aime la poésie. Elle entre et reste très avant dans ma mémoire. Elle agit sur moi comme un écho de l'âme. Elle me rend des sons que j'ai entendus. J’aime mieux la voix que l’écho. Pourtant l’écho est très doux. Mon fils aimait passionnément la poésie. Et sans y porter cette disposition un peu vague et romanesque de la jeunesse. C’était l’esprit le plus net et le plus simple du monde, choqué par instinct dès qu’il apercevait du brouillard ou de l'emphase ; mais d’un cœur si élevé et si délicat, d'une nature si parfaitement élégante et rare que la poésie lui allait d'elle-même et comme par une harmonie spontanée. Je n'ai vu aucune créature, qui semblât créée à ce point pour plaire ! Et c’est à moi seul qu’il a plu. J’ai connu seul le parfum charmant de cette fleur ! C'est l’un de mes plus amers regrets. Il me semble que je l’aurais moins perdu si d’autres en avaient joui comme moi.

9 h. 1/2 Le numéro 196 me désole. Je les ai tous reçus, aucun si triste. J’espérais, et je veux encore espérer mieux du lait d’ânesse, des bains de son, de tout ce régime doux et tranquille. En grâce, si votre médecin persiste à le croire bon, ne le cessez pas parce que vous vous trouvez plus souffrante un jour ou deux. Il faut bien accepter ces mauvaises alternatives. Je n’ai pas la superstition des médecins. J'y crois pourtant un peu plus qu'à notre ignorance. Je craignais bien la solitude de Baden. Vous ne supportez pas la société médiocre et vous avez raison. Il est si rare d'en rencontrer une autre !
Madame de Talleyrand travaille à se désintéresser de toutes choses, à ne penser qu'à elle-même à ses affaires, à ses conforts, à ses habitudes. Ce n’est pas une manière d'animer les autres. Moi aussi, je trouve que nous nous disons peu de chose. Adieu. Adieu.
J’ai une foule de petits soins à prendre avant de partir. Je trouve dans mes journaux de ce matin une triste nouvelle. Ce pauvre Emmanuel de Grouchy est mort à Turin d’une fièvre cérébrale. J’avais de l’amitié pour lui, et il m'était très dévoué. Il s’était marié il y a 18 mois. Il était heureux. Adieu encore. J'aime mille fois mieux une sotte réalité que mille fictions. Adieu pourtant. Mais ne souffrez pas ; ne maigrissez pas. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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206 Baden lundi 1er juillet 1849, à 2 heures

Le temps est vraiment atroce. 8 degrés seulement. Le médecin ordonne à tout le monde de discontinuer les bains. Il pleut des torrents, on ne peut pas bouger ; c'est affreux ceci par un temps pareil. J’attends votre lettre tantôt. C'est la seule chose que j’attends que je désire surtout à Baden.
Vous voyez qu'on ne se presse pas de m’informer de mes affaires. Je n'ai pas d’idée comment elles vont, si elles vont. Je pense qu’il n’y aura que les lettres de Mad. de Nesselrode à son mari qui les fera aller parce qu'elle aura écrit très énergiquement qu'il faut en tirer de l’incertitude où je languis depuis si longtemps. J'ai beau m'en plaindre moi-même cela me touche pas trop ; mais le témoignage d’un turc aura du poids. Voilà comme nous sommes faits ! Un nouvel incident nous donne de l'espoir ; nous croyons si aisément ; je devrais cependant être désabusée.

Mardi 2. à 8 heures du matin Je reçois dans ce moment trois lettres de Pétersbourg. L’une de mon frère ne me parlant que de fêtes- approuvant fort ma réponse au grand duc ! me disant que Paul s’occupe de mes affaires. Voilà tout. L’autre de mon fils Alexandre qui m'annonce prochainement des voyages dans leur terre de Courlande et de Russie, ce qui fait qu’il ne viendra pas me rejoindre à Baden. La troisième de Matonchewitz. Il venait de recevoir ma grande lettre. Il en est très surpris, très peiné, et affirme que s’il n’avait pas été instruit par moi de ces tristes affaires, jamais il ne les eut soupçonnées rien dans la conduite ou le langage de Paul en laissant plus à cette idée. Dans tout cela vous voyez que mes affaires d’intérêts n'ont pas fait un pas. Et il me parait assez probable que rien ne se fera avant le voyage de mes fils, c.-a.-d. que je suis renvoyée à l'automne ou l’hiver.
Après vous avoir parlé de ce qui me tracasse, j’en viens à ce qui me plait. Votre N° 203, dont je vous remercie beaucoup. Vous me dites un peu plus de détails sur vous c’est ce que j’aime. Quand je les recevrai tous les jours je serai contente.
J’ai vu les dépêches de Constantinople du 12 juin adressées à Vienne. Elles laissent fort peu d’espoir de conserver la paix. Le manifeste contre le Pacha d’Egypte devait paraître le lendemain. Le Sultan est très malade ; il est attaqué de la poitrine, il ne peut pas durer. La Hongrie donne du souci au Cabinet de Vienne. Il aura là bien de l'embarras.
Le temps est si laid qu'au lieu de promenade on est venu chez moi hier. J’y ai eu longtemps Mad. de Nesselrode Mad. de Talleyrand et le comte Maltzan Ministre de Prusse à Vienne. Il a un peu d'esprit, une préoccupation continuelle des affaires. Et il est très bien informé de tout ce qui ce passe malgré son absence de son poste. Cela me sera une ressource.

2 heures
Je viens de recevoir des lettres de Londres. Bulner m'annonce sa nomination à Paris. Il venait d'écrire à Paul une lettre qu’il croit bonne, il me rendra compte des résultat. Ellice m'écrit aussi ; l’un et l’autre disent que battus ou battant les Ministres resteront. Il n’est pas possible de songer à un changement. La Reine est devenue Whig enragé. Les Torys c.a.d. Wellington & Peel seraient désolés d'une crise, ainsi il y n’y a aucune apparence quelconque qu’elle arrive. Lady Flora Hastings est mourante. Cela fait un très mauvais effet.

5 heures
J’ai vu ce matin chez moi, Mesdames Nesselrode, Talleyran, Albufera, la Redote. J'ai marché par un bien vilain temps. Je viens de faire mon triste dîner toute seule. Voilà un sot bulletin. Adieu, Adieu, tout ce que vous me dites m'intéresse. Je suis avide de toutes les nouvelles et avide surtout de vous. Ne trouvez-vous pas qu’il y a bien bien longtemps que nous sommes séparés, que c’est bien triste ? Ah mon Dieu que c’est triste ! Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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218 Baden Mardi le 16 juillet 1839, 10 heures

Je vous disais hier que le temps était à l’orage. Une heure après un gros nuage noir est descendu sur Bade mais plus particulièrement sur la salle de conversation qui touche à la maison que j'habite. La foudre est tombé dessus, le paratonnerre a écarté le danger mais tout le monde qui était à table dans ce moment a senti le choc électrique, deux dames sont tombées par terre de frayeur. J'étais à la fenêtre, relisant votre lettre. Le coup a été si fort qu'il m’a fait sauter & votre lettre m’est tombée de la main. Je n'ai jamais été si près de la foudre que hier. La nuit a été orageuse aussi & nous n’avons pas fini aujourd'hui.
Voilà donc le Sultan mort, je l’ai appris hier au soir. Le courrier venu de Constantinople traversait Bade le 15 ème jour. C'est vite. Tout peut arriver un bien comme un mal. C’est un moment curieux, mais ce qui m’étonnerait le plus serait que nous prissions part à une conférence à moins qu’elle ne se bornât à établir les nouveaux rapports entre les deux chefs barbares.

5 heures
Je viens de recevoir votre lettre, je viens aussi de recevoir un gros volume de mon frère, avec tout l’arrange ment de me fortune. Je vous manderai demain le détail. Il me parait qu’il n’est pas content de mes fils. La loi rien que la loi, comme elle m’accorde à peu près ce que j’ai à présent, je ne me plains pas, mais je ne suis pas bien orientée encore je vous dirai cela plus exactement demain. Adieu. Adieu. Adieu. J'étais mieux ce matin je ne me sens pas si bien dans ce moment. God bless you.
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