Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 17 septembre 1850

J’ai vu le duc de Noailles hier un moment. Salvandy a eu le temps de s'ennuyer. Le comte de Chambord n’arrive à Frohsdorf que demain, & personne ne sait où il a été tout ce temps, probablement une promenade pittoresque dans le Tyrol Bavarois. Darmstadt devient aussi menaçant que la Hesse électorale. Schulenbourg qui était ici hier soir dit qu'on s'inquiète beaucoup de tout cela à Berlin. Changarnier était ici hier au soir. Mad. de Contades les Clans Hamilton, les Cavendish. Piscatory a été à Clarmont prêcher une croisade contre les légitimistes. Il a été très mal reçu. Il est revenu. Je ne sais rien de positif sur la Reine des Belges, mais il paraît qu’elle est bien mal.
J'enverrai à Fleichmann votre petit mot. Dans toute cette affaire rappelez-vous que les Fleischmann n'y rêvaient pas & que les avances son venues de l’autre côté. Au commencement vous m'avez parlé de 20 à 25 mille francs de rente. Eux disent d'emblée ce qu’ils donnent vraiment, pas de humbug. En tous cas c'est un brave jeune homme & de brave parents. Votre fils est bien sensé pour son âge, & sa lettre lui fait grand honneur. Je n’ai pas vu Dumon depuis trois jours. Le temps est superbe, trop beau pour Paris ! Votre lettre pour A.[berdeen] part aujourd’hui ou demain. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris dimanche le 15 septembre 1850

J’ai vu hier matin Kisseleff le soir lui encore, les Douglas Mad. [Kalergis], Mad. Sebach, Viel-Castel, Frantenansdorff & &. Point de nouvelles. Le président & Lahitte sont revenus nègres, tant ils ont été brûlés par le soleil. On mande que la reine de Hollande & la princesse de Prusse se disputent Thiers. Elles en raffolent. Il se laisse prendre volontiers. Il va au salon tous les soirs. Là des coteries ce sera drôle à entendre raconter par les revenants de Bade. Mad. [Nariclekin] sera compétent.
Voici votre lettre. Vraiment votre réponse sur Fleichmann est trop compliquée, je ne me charge pas de redire ce que vous me dites. Ecrivez- moi bel et bon une lettre que je puisse envoyer, cela vaut bien mieux & dites quelque chose de net. Pourquoi donc Mlle de Wiit ne continuerait-elle pas à vivre sous le toit de sa tante ? Avec cela et 1200 francs qu’ils auraient ensemble pour commencer il y a de quoi aller ? Enfin cela ne me regarde pas. Et je ne me charge que de transmettre la lettre que vous m'écrirez. En attendant comme Fleischmann père m’avait prié avant qu'il fût question de mariage de protéger son fils auprès de Rothschild, je ferai cela la première fois que je le verrai.
Mon rhume dure sans augmenter. C’est toujours cela. Mad. Sébach avait dîné hier chez Lamoricière à 3 avec son mari. Il ne leur a donné que du poisson, parce que c'était samedi & qu’il fait maigre tous les vendredis & samedis. Il part pour 15 jours. Voyez comme j’ai peu à dire, c.a.d. rien du tout. Adieu. Adieu

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Je vous dépêche Stryboss pour que ces lignes vous arrivent encore. Pendant que Béhier sera auprès de vous. J’ai l’esprit frappé du très mauvais air de votre appartement. Non seulement triste et sombre mais évidemment très humide à cause de ces grands arbres qui ôtent le jour. Et puis deux murs extérieurs. C'est abominable par le temps qu’il fait, & je me souviens que Serra Capriola fut obligé de rentrer en ville à cause de ses filles qui habitaient en chambres-là et qui tombèrent malades de cet air-là. Je vous conjure de faire attention à ce que je vous dis. C’est très grave. Même bien portant on peut souffrir de cela à plus forte raison malade comme vous l’êtes. Accordez-moi cette grâce, passez en ville. L'air de votre appartement est bon, grandes, bonnes chambres. La belle saison est finie. Je vous prie, je vous supplie, faites cela. Vous risquez de ne pas vous remettre tant que vous resterez dans ce vilain trou. Moi je suis persuadée que cela vous fait du mal. Si vous étiez seul, vous feriez sûrement ce que je vous demande. Eh bien il me semble que dès qu'il s’agit de votre santé, votre mère et vos enfants peuvent bien se conformer ; j’irai le leur demander si vous voulez. Ecoutez-moi je vous en prie. Adieu.

Mercredi 10 h 1/2

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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8. Versailles Mercredi onze heures
Le 16 août 1843

J’ai quitté Beauséjour à 4 heures. Je suis venue dîner seule ici, à 8 la jeune contesse est arrivée. Elle ne m’a pas ennuyée. Mais voici de son côté. Elle me dit tout à coup - Il doit être bien tard chère Princesse. - Quelle heure pensez-vous qu'il soit ? Près de onze heures. Il était huit heures 3/4. Vraiment j’ai peur qu’elle ne supporte pas longtemps le tête-à-tête.
Je me suis couchée à 10 h. J'ai très bien dormi. A 8 h, j'étais sur la Terrasse. Il faisait frais et beau. J’ai déjeuné, j’ai fait une toilette et me voici. La jeune comtesse est allée se promener dans les galeries, déjeuner chez Mad. de la Tour du Pin. J’y étais conviée aussi, mais je reste. Je vous écris et j’attends votre lettre.
Bulwer parle très sérieusement. Au fond il trouve le Cadiz ce qu’il y a de mieux et de plus pratique surtout. Le fils de Don Carlos impossible. Naples peu vraisemblable comme disposition espagnole. Dieu garde dit-il que qui que ce soit mette en avant un prince étranger quel qu'il soit. Car aussitôt la France serait forcée de lui opposer un Prince d’Orléans. Il ne faut pas à tout prix que la lutte de candidats s'engage. Il ne faut se mêler de rien. Il dit cependant que l'Angleterre doit agir pour empêcher que les Cortès ne nomment le duc d’Aumale, car malgré la résolution du Roi le cas pourrait devenir embarrassant. Si l'Angleterre veut en finir, je crois bien qu’elle arriverait au résultat contraire, mais enfin ce n’est que le dire de Bulwer. Il a beaucoup répété que son gouvernement était dans les meilleures dispositions d’entente avec la France. Il a insisté sur le bon effet qu’aurait la présence de Sébastiani, fort respecté à Londres. Cependant ne sera-t-il pas un peu trop Whig pour les gouvernements actuels ?
Tout ce que vous me dites dans votre N°3 me plaît. Vous avez pris si doucement mes reproches. De la manière dont vous me répondez, je trouve bon toutes vos faiblesses. Mais voici ce que je ne pourrais jamais trouver bon c’est que je fusse renvoyée au delà du 26. Vous pouvez être faible pour votre mère, mais vous ne serez pas injuste et dur pour moi. Je reste donc ferme dans ma foi pour le 26.
Midi et demie. Voici le N°4. Je comprends fort bien la première page, car Génie m’avait confié ce qui était venu de Londres. J’espère que vous aurez consenti à rétrancher le petit mot déplaisant. Il ne faut pas que vous ayez à vous reprocher un seul fait ou geste qui empêche de s’entrendre. Mais quel dommage que vous ne soyez pas ici. Je le répète : un jour de retard dans des affaires comme celle-ci c’est beaucoup risquer et vous dites mieux que moi. Je vous copie. " tout cela a besoin d'être conduit avec un grande précision et heure par heure." Et vous êtes à 46 lieues ! Mais au moins vous reconnaissez l’inconvénient, tout le monde le pensait, et moi aussi, par dessus toutes les autres choses. Revenez, revenez. Ceci est votre grand moment vous n'avez rien eu de si grave, de si important, et de si directement posé sur vos épaules depuis 3 ans bientôt que vous êtes ministre. Et c’est là le moment que vous avez choisi pour vos vacances. Pardonnez-moi si je reviens. Mais vraiment je voudrais impress upon your mind combien cela est sérieux pour vous. Je comprends toutes vos jouissances au Val-Richer, & j’essaie même de n'être pas jalouse ; mais je suis désolée de ce que votre sommeil soit toujours troublé. Enfin votre mère en vous voyant comme cela accablé de travail, vous laisserait bien partir, car elle reconnaîtrait que la politique est sa vraie rivale Adieu. Adieu.
Je renvoie Etienne avec ceci. Je regrette que mon N°7 soit arrivé à Génie trop tard pour vous être envoyé par la poste. Je l’avais donné à [?], à 4 pour le poster de suite. Il ne s’est présenté qu’après 6. Nouveau grief. Par dessus la glace & & Adieu. Adieu. Aujourd’hui variante avant le 26. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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5. Beauséjour lundi 2 h 1/2
le 14 août 1843

J'ai trouvé en ville votre petit mot d'Evreux. Le timbre de l'enveloppe portait Lisieux. Vous êtes donc arrivé sans accident. Dieu merci ! J’ai eu ma petite entrevue en ville. Je suis bien contrariée de ce qu'il m’a dit. Vous le serez un peu. Peut-être trouverez-vous que votre présence ici eut mieux valu dans ce moment. Prenez garde, un faux pas peut mener loin. Je voudrais bien vous parler. Je vous disais ce matin quelque chose qui trouve assez son application. Ceci est un moment des plus importants pour vous et pour la question. Je n’aime pas votre absence. Ce n’est pas à moi du tout que je pense en vous disant cela. C’est vrai ce que je vous dis là. Voici une lettre de mon frère que vous me renverrez.
Adieu. Adieu. J’ai voulu encore ajouter ce petit mot. Les numéros sont utiles pour cela. Adieu, le 26, j'ai bien envie de ne plus y croire mais dans le bon sens. C'est-à-dire qu'il est indispensable que vous reveniez avant. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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1. Beauséjour Samedi 11 heures. 12 août 1843,

Vous êtes encore à Auteuil peut être et déjà il me semble que le monde entier est placé entre vous et moi, que l’éternité commence. Je me trouve bien lâche de vous avoir laissé partir. Dites-moi, répétez-moi, jurez moi que je vous reverrai bien portant le 26 ? Je n’aurai pas un instant de tranquillité jusque là. J’attends et j’espère Génie. J'ai oublié de vous dire que Lord Howden est arrivé hier matin de Londres, & qu’il est réparti hier au soir pour l'Espagne. On disait Barcelone, et un simple voyage de curiosité. Mais il ne fera autre chose.
Midi. Voilà Génie venu et reparti. Nous avons causé de tout. Et surtout de votre voyage car je l'ai sur le cœur bien lourdement. Votre mère lui a dit ce matin, qu'elle resterait 15 jours plus au Val Richer. et puis 3 jours à Tréport et puis Auteuil vers le 1er Septembre. J’ai affirmé que c’était impossible. Génie me trouve innocente. Tout ce voyage comme affaire est parfaitement inutile. Les bois cela pouvait être fait par tout autre. Raisonnablement comment et pourquoi aller à 80 ans se trimbaler, s'exposer à être malade. Vos enfants toujours malades en voiture. Vous aurez mille tracas. C’était une pure fantaisie de votre mère à laquelle vous n'avez pas su résister. Ici, comme affaires tout le monde s’étonne et trouve le moment singulièrement choisi. Vous même il y a quinze jours. encore vous n'y croyiez pas, parce que vraiment cela n’est pas sensé. Enfin Génie a été très abondant et éloquent sur cette matière, et encore une fois il est surpris de ce que je sois encore à apprendre que pour peu que votre mère ait une fantaisie, vous ne trouvez d’autre ressource que de vous y soumettre. Et bien tout cela m’attriste beaucoup, beaucoup. Je me figure mille choses de plus maintenant. Pourquoi avez-vous été si faible ? S’il lui arrive quelque chose, sera-ce une grande consolation pour vous de savoir que vous avez fait sa volonté quand cette volonté n’est pas raisonnable. Et Génie persiste à dire que de toutes les façons cela n’est pas raisonnable. Mon Dieu, mon dieu, revenez. Mais vous ne reviendrez pas, maintenant je vois bien que vous ne jugerez aucune question assez importante pour revenir. Mais le 26 vous me l'avez juré. Adieu. Adieu. Je ne vous écrirai que de tristes lettres. Je suis très très triste beaucoup plus triste encore qu’il y a une heure. Adieu. Adieu. Ne trouvez- vous pas que je suis quelque chose, aussi ? Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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189 Paris Lundi le 4 mars. 1839

J’étais réveillée à 6 heures ce matin, comme il m'arrive toujours de l’être à pareil jour. Quatre ans ! Ah mon Dieu, c’est hier. Et en même temps il me semble que j’ai vécu cent ans depuis, tant la douleur m'a usée. Et puis il me semble qu'on m’attend, et que je tarde bien !
J’ai eu votre petit mot d'avant hier, encore ; je ne saurai donc votre élection que demain. lci je n’ai rien appris. Je n’ai en effet vu personne hier que Lord Granvillle à dîner. Nous avons plus parlé d'Angleterre que de France. Lord Lyndhurst veut faire révoquer la nomination de Lord Erington. Si la motion passe. Ce sera bien embarrassant. Le duc de Wellington a été mal décidément. Il est mieux, mais on ne veut pas qu’il aille à la Chambre ; il en résultera que Lord Lyndhurst sera le véritable chef de parti, et il y mettra plus de vigueur. Lord Brougham l’excite et le soutient.
Voici un petit billet de Henriette et un plus long billet de Madame. de Meulan pour m'annoncer votre élection. dont je me réjouis fort. Il me parait que cela a été triomphant. Je vous en félicite. Je viens de répondre aux deux billets. J’ai écrit huit pages à Paul et quatre énormes pages à Alexandre, à celui-ci pour m'opposer au mariage, car on en parle à Paul pour lui envoyer des extraits de vieilles lettres qui jettent quelque jour sur ses affaires. Adieu. Adieu. Dieu merci le dernier adieu. Mercredi midi n’est-ce pas ? Ever your's.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
351. Paris jeudi 23 avril 1840,
3 heures

Il fait trop chaud pour sortir encore. J’attends plus tard. Je suis bien aise que vous alliez passer votre journée à Holland House. J’ai eu la visite de Mme Appony ; de là, jamais rien d’intéressant. Mon ambassadeur est en travail de son courrrer et de deux ou trois dîners qu’il donne la semaine prochaine : d’abord à Molé, j’en suis et puis à Thiers, je n’en suis pas. Il n’y aura que des hommes. Je suis fâchée qu’il commence par Molé. Vous ne sauriez croire comme Ellice est occupé ici. Il travaille avec ardeur à ranimer l’amour anglais. Il y a bien bonne votonte réciproque vraiment votre succès à la Cité me me fait un grand plaisir.

Vendredi, 10 heures
Je rentre déjà de ma promenade. Le temps est ravissant. J’ai marché avec mon fils. Il part après demain pour Londres où il ne veut passer que 3 jours et puis il reviendra chez moi pour me quitter lorsque j’irai en Angleterre. J’ai eu votre lettre en rentrant, j’attendais ce que je vous ai demandé. Je crains que demain cela ne m’arrive trop tard pour m’en servir. J’ai fait hier ma promenade au bois de Boulogne avec le duc de Devonshire ; les sourds entendent très bien en voiture. Il m’a raconté l’Angleterre, la Cour surtout, et m’a étonnée de bien des choses. J’ai dîné seule avec mon fils. Le soir j’ai vu Lord Granville et Lord Leveson qui est venu passer ici quelques jours, Ellice, Montrond, les deux Pahlen, Fagel, M. de Bourqueney. Ellice est parfaitement amoureux de M. Thiers. Je dine aujourd’hui avec celui-ci chez les Granville. Vous aurez Ellice à Londres de lundi en huit. Il est très choqué de ce que pas un Ministre n’ait diné à la Cité avec vous. En effet, c’est fort impoli pour la Cité et même pour vous. N’en avez -vous pas eu un peu de surprise dans le monde où vous vivez ? Il est vrai que la Cité est très Tory, mais l’absence totale est une mesure un peu forte. Lord Leveson se moque aussi de Brünnow. Cela me parait établi. Adieu Monsieur, on va bien chez vous, et ce beau temps confirmera la convalescence. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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53. Samedi 30 septembre. 9 heures

Deux lettres à la fois ! Ah que je regrette cette affreuse journée, cette affreuse nuit l’état dans lequel elles m’ont mise ! J’ai bien tenu parole, j’ai pris froid et me voici enrhumée. Hier tout le jour j’ai été un peu comme folle. Je n’ai touché à rien, ni au lunchon. ni au dîner. Pas un morceau de pain. Il m’était impossible de rien avaler, aussi vers la soirée me sentais-je maigrie dans mon corset. La petite princesse ne m’as pas trop rassurée, elle était dans des étonnements ce n’était pas cela qu’il me fallait. Il fallait me dire que j’extravaguais.
Cette nuit j’ai entendu sonner toutes les heures, et quand à 8 1/2, l’heure de la poste, j’ai tiré la corde de la sonnette, il m’a pris une angoisse horrible. J’ai saisi ma tête dans mes deux mains, j’ai invoqué Dieu, je vous ai appelé vous, la respiration m’a manqué. Ma femme de chambre est entrée, on a ouvert les rideaux les volets, c’est le premier acte, le second est d’aller voir s’il y a des lettres, tout cela ne dure pas une minute 1/2 je n’ai pas fait une question. J’ai attendu le moment de la lettre, avec un frémissement intérieur horrible, & quand enfin la petite porte du couloir s’est ouverte & que j’ai vu ma femme de chambre faire le tour de mon lit pour s’approcher de moi, quand ce mouvement m’a indiqué qu’elle avait quelque chose à me remettre, ah Monsieur avant de saisir les lettres mes mains se sont jointes pour invoquer Dieu, pour le remercier. Et avec quelle ferveur !
Après avoir lu, relu, je me suis sentie mieux sur le champs, mais tellement épuisée que je n’ai pas pu me lever avant d’avoir avalé un bouillon. Voilà Monsieur tout ce que m’a valu la négligence de vos gens, car je vois au contenu de ce N°48 qui devait m’arriver hier que vous étiez parti pour Croissanville avant l’arrivée du facteur, on ne lui aura pas remis votre lettre. J’en ai bien de la colère, je vous assure, car elle m’a fait bien du mal, et n’allez pas croire. que cette expérience me prépare mieux à un autre accident ; pas du tout, je vous croirai mort tout de site. Je suis pour vous comme j’étais pour ces créatures chéries, lorsqu’elles étaient hors de ma vue, je perdais la raison.
Voilà Monsieur le pauvre être que vous avez recueilli, auquel votre cœur promet sincérité & bonheur. Voyez comme il est difficile de me les donner ? Je vous ai tout dit, j’ai voulu tout vous dire vous me pardonnez ces détails si inutiles.
Je viens d’examiner les deux enveloppes, elles portent toutes deux le timbre de Lisieux 29 septembre. Grondez un peu autour de vous, car vous allez être en courses, & vous voulez cependant me retrouver vivante. Je n’en ai pas trop l’air aujourd’hui. Vous ne sauriez croire comme ma soirée m’a pesée hier. Il y avait Pozzo, Pahlen, les Schonberg, les Durazzo, les Brignoles M. de St Simon, je ne sais qui encore. Je ne savais de quoi on me parlait. Je ne comprenais rien. J’ai fait signe à mon ambassadeur, il est parti pour donner le signal aux autres. Ce n’est qu’à onze heures & demi qu’on m’a quittée. M. de Hugel est fort malade. C’est une ossification du cœur. Et toutes les idées sont tournées vers la mort. Il ne parle que de cela. Il ne sort plus le soir. Vous ne sauriez croire comme je le plains. Comme je plains toute créature isolée. Ah Je sais tant ce qu’il y a d’horrible a être seule.
Voyez un peu Monsieur tout ce que j’ai eu de mauvais moments depuis ce vilain 13 septembre où vous m’avez quittée. Les journaux, M. Duchâtel, les lettres de mon mari, maintenant la poste. Je n’ai pas eu deux jours de tranquillité, et vous voulez que je me remette. Monsieur cela na sera possible que lorsque vous serez près de moi tout à fait. Vous m’avez dit que vous rentrerez en ville avec toute votre famille dans la dernière quinzaine d’octobre. Vous m’avez toujours donné cette époque. J’espère que là encore vous ne me trompiez pas ? Cependant depuis la noce de M. Duchâtel, j’ai un peu moins de foi dans vos paroles. Vous ne vous fâchez pas n’est-ce pas ? Et bien Monsieur je vous verrai le 6. Vous resterez surement huit jours à Paris n’est-ce pas ? & puis vous irez au Val Richer chercher votre mère et vos enfants et du 20 au 25 vous serez établi ici, ici près de moi. Toujours près de moi. Promettez le moi, je vous en conjure. Dites moi que vous me le promettez. Je serai si douce si bonne ; si égale ; si heureuse. Vous aurez du plaisir à me voir heureuse ? Je me remettrai alors, j’engraisserai.
Midi. J’ai fait venir mon médecin, il m’a trouvée very low, il me donnera des fortifiants. Je lui ai dit cependant que cela venait d’agitation & de chagrin mais cependant il veut que je prenne ses drogues. Hier de 7 à 8 h du soir on a été à me frotter pour me réchauffer et Marie étouffait dans la chambre.
Le mariage va mal. Il se fera mais le roi de Würtemberg est aussi naughty qu’il est possible, je crois, que le pauvre Mühlinen aura l’ordre de faire un tour un province. Quelles mauvaises manières que tout cela. M. Ellice m’a écrit une lettre énorme et indéchiffrable. Je vous attends pour la comprendre. La petite princesse ne s’est pas amusée à Maintenon. La duchesse de Noailles est fort bête, & son mari un peu pompeux. Le lien est beau. Je suis fort aise de n’y avoir pas été. M. Thiers sera à Valençay le 5.
Vous ne sauriez croire comme je me trouve dans le paradis aujourd’hui en comparaison de ma journée d’hier ! C’était affreux hier ayez soin que cela ne m’arrive plus je vous en conjure.
Adieu, je vais relire vos lettres, & me tenir beaucoup à l’air aujourd’hui. J’ai besoin de me remonter. J’ai une mine bien malade. Adieu. Adieu. & vendredi que ce sera beau ! Adieu. Je crois qu’il me sera plus facile de fermer ma porte vendredi soir que samedi, mais je ferai comme vous voudrez. Ordonnez.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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40. Samedi 2 heures 16 7bre

Je pense avec ravissement que samedi prochain je ne vous écrirai plus. Monsieur je ne sais comment le temps passe sans vous. & il passe cependant ! Dites-moi bien tout ce que vous faites, quand vous vous promenez ! Il me semble que vous devriez être dehors dans ce moment avec votre petite fille. Je la crois bien bavarde. Elle doit bien vous amuser vous distraire, savez-vous jouer avec des enfants ? Que je voudrais regarder tout un jour dans ce Val-Richer.

Dimanche, 9 heures. Voilà votre N°36. Quelle bonne, quelle charmante lettre ! Je jouis du bonheur que vous donnent vos enfants. Il n’y a pas un mouvement d’envie dans ce sentiment là. Ce bonheur est fini pour moi, mais je suis heureuse de vous voir le goûter. Parlez moi de vos enfants beaucoup toujours. Vous êtes peinée de ma solitude ! Imaginez donc ce qu’elle était avant le 15 juin ! Avec tant d’amour, tant d’ardeur, tant de capacité d’aimer ! Et bien j’aimais ces tristes souvenirs, j’adorais ces images chéries, je ne m’occupais que d’elles. Je désirais le ciel, c’est là que je vivais, et j’acceptais l’existence que je m’étais faite à Paris, comme la chose du monde la plus passagère ; l’idée même de n’y être pas fixée flattait ma pensée dominante. Une mauvaise auberge en attendant une bonne demeure. Tout en moi était d’accord avec cette pensée là. Je cherchais à me distraire mais c’était pour passer le temps. Il me paraissait devoir marcher plus vite ici qu’ailleurs, c’est pourquoi j’avais choisie Paris, et la rue Rivoli pour bien regarder ce ciel ! Monsieur le vue du ciel est une grande douceur. Vous y avez bien regardé n’est-ce pas ? Monsieur, c’est affreux, c’est horrible d’être restée sur cette terre !

10 heures Je continue je n’ai pas pu continuer tantôt. Eh bien Monsieur le 15 juin est venu. Ne me plaignez plus aujourd’hui de ma solitude. Mais ne m’y laissez plus retomber. Tuez-moi plutôt. Vous savez bien que je vous dis vrai. Ce serait un bien fait. Comme vous me connaissez ! Comme tout ce que vous me dites sur mon compte me frappe de vérité. Vous me faites faire ma connaissance. Vous voyez que je suis sur le chapitre, des petites contrariétés, & de l’effet qu’elles font sur moi. Vous m’expliquez moi admirablement. Vous devez m’avoir bien regardée. Vous avez mis jusqu’ici beaucoup de bienveillance à cet examen, montrez moi mes défauts. Je vous en pris corrigez-moi, reprenez-moi. Vous verrez comme je serai docile. Monsieur j’ai si envie de vous plaire, de vous convenir en tout, en tout !
J’ai passé hier deux grandes heures au bois de Boulogne. Je me suis assise sur ce que Marie appelle votre banc. Je ne suis pas sortie de cette allée. J’y marchais avec vous. J’ai passé chez la petite princesse un moment avant le dîner. Elle n’est pas venue le soir. Je ne sais pas pourquoi. Je n’ai vu que Pozzo, M. Aston, une autre Anglaise & une grande dame Russe, Mad. de Razonmofsky. Ah mon Dieu quelle espèce ! 70 ans ; des roses sur la tête, une toilette à l’avenant. Et puis l’Empereur m’a dit cela, j’ai envoyé des robes à l’Impératrice ; & des petites manières, et enfin tout ce qu’il faut pour me faire frémir à la seule pensée de vivre dans un pays où l’on porte des roses à 70 ans. Ah ma patrie, comment êtes-vous ma patrie ?
La petite princesse m’a montré hier dans la presse un article sur moi & vous. ll n’y a rien dont j’ai à me plaindre, mais vous savez combien j’aimerais mieux que mon nom ne parut jamais jamais.
Pozzo resta fort tard hier. Il m’amusa un peu. Il y a dans ses récits quelque longs qu’ils soient et un peu rebattus pour moi, toujours des drôleries nouvelles, de la farce italienne, une manière originale qui en fait toujours un petit spectacle. A dire vrai hier même sans cette bouffonnerie il m’aurait endormie, car c’était incohérent. Tout 12, 13 & 14 dans une demi-heure. Mais quand il m’est venu aux conférences de Prague, et qu’après une nuit passée inutilement à émouvoir cette grave & raide Autriche personnifiée dans M. de Metternich, Pozzo s’était endormi de guerre lasse, & que je ne sais plus qui vient le secouer à 9 heures du matin pour lui dire " Réveillez vous belle endormie, l’Autriche entre dans la coalition, & l’Europe va à Paris." On ne résiste pas à la belle endormie, elle vous réveille tout de suite.
Je viens de recevoir une lettre de M. de Noailles qui me donne bien des remords. Je vois que je lui ai fait bien de la peine. Il me le dit sur un ton qui me plait. Il ne veut plus de personne & me charge de le dire aux Schönberg & Pozzo & Pahlen. Ceux là seront un peu désappointés et ne trouveront pas du tout comme lui que je vaille la peine de rompre une partie qui leur faisait grand plaisir. Mais plus j’y pense & plus je trouve que je fais bien de n’y pas aller. Il me faut toute ma longue toilette ; il me faut un tour aux Tuileries avant l’église, & comme c’est dimanche il faut que ma lettre soit mise à la poste avant que j’en revienne. Je vous dis donc adieu. Adieu Monsieur je compte bien sur un bon accueil à ce vilain mot, et je fais pour cela des avances très tendres. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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39. Samedi 16 Septembre 9 h.

Vos douces paroles sont venues me trouver dans mon lit. Je vous remercie. Vous ne savez pas comme j’ai besoin de vous quand vous n’y êtes pas. Je vous l’ai dit vingt fois le jour il me vient la pensée que votre affection ne peut pas être ce que j’imagine qu’elle est lorsque vous êtes présent. Ce n’est pas vous qui êtes l’objet de ce doute c’est moi qui le suis. Et plus je vous montre tout ce que je suis pour vous plus je me persuade, quand vous êtes loin, que je perds dans votre estime ; que vous pouvez être touché de l’affection que je ressens pour vous, mais qu’elle vous parait trop vive, trop en dehors qu’elle doit vous lasser. Et puis quand je suis dans ce train de réflexions je vais vite à l’extrême, et j’étais triste hier, bien triste.
Le soir à ma table ronde je n’écoutais personne. Je regardais à la montre. Je voyais bien l’heure où vous remontez dans votre chambre, où vous me dites que vous vous enfermez avec moi. Eh bien, j’en ai été saisie comme d’un mauvais moment. Un moment où vous retraçant tant d’heures passées ensemble vous pourriez peut être en regretter l’emploi. Je vous vois Monsieur, je vois le mouvement d’indignation avec le quel vous repoussez en méchantes paroles, vous n’avez pas besoin de me répondre mais laissez moi vous dire tout ce qui traverse ma tête. Et trouvez-y autre chose, s’il est possible qu’une preuve de plus, que ma vie entière est attachée au bonheur dont je jouis aujourd’hui, & que je suis éperdue à la seule pensée qu’il puisse éprouver la moindre diminution. Encore une fois Monsieur je le trouve trop grand, je ne m’en trouve pas digne, & quand de flatteuses paroles, telles que vous me les écrivez aujourd’hui viennent me rehausser à mes propres yeux. Je suis heureuse, je vous crois, je porte la tête plus haut et le cœur plus rempli que jamais de ma félicité !
Mais savez-vous donc Monsieur ce que j’ai fait hier ? J’étais pressée de vous le dire et voilà que je m’égare En revenant du bois de Boulogne j’ai été reporter deux livres. J’ai demandé à entrer la portière est venu ouvrir les volets, j’ai tout vu tout regardé, touché. Les portraits comme je les ai regardés ! Ah Monsieur que suis je devenue quand j’ai aperçu le petit tableau contre la porte. Cette tête, cette tête chérie couchée sur ce canapé ; cette figure blanche auprès, anxieuse, caressante. Ah quel mouvement de jalousie, d’horrible jalousie s’est emparée de moi. Il ne faisait pas assez clair pour que je puisse lire les vers écrits dessus. Je n’en avais pas besoin, je ne le voulais pas. Je suis restée devant ce petit tableau. Son souvenir ne me quitte pas. Vous ne m’aviez pas parlé de ce tableau. Vous pensiez peut être qu’il me ferait de la peine ! La portière voyant comme ce tableau m’occupait me dit : " Monsieur était sujet à des migraines." Marie, car elle était avec moi, se mit à rire. Le rire de Marie, le dire de la portière tout cela augmenta mon horrible tristesse. Je fus prête à fondre en larmes.
Monsieur je ne puis pas supporter ces images, & vous ne me direz jamais jamais rien qui rappelle qui ressemble à ces scènes d’intimité. Ma visite se borna à ces quatre chambres. Je ne puis pas demander à voir l’étage supérieur, Marie était avec je redescendis triste, & cependant heureuse. Il me semblait que j’avais pris possession de ces quatre chambres. Mais ce petit tableau, Monsieur, ce petit tableau me serre le cœur.
La petite fille est jolie, elle me parait charmante. D’après ce qu’on m’a dit de votre fils je crois qu’il était mieux que le portrait. L’un des fils de lord Grey doit lui ressembler excessivement et il est bien beau. Je quitte votre maison. En rentrant je trouvai un billet dans lequel il y a ceci : "Depuis deux jours seulement il est parti. J’ai suivi sa marche. Et je comptais aller contribuer pour ma petite part à combler le vide que son absence doit vous laisser. Vous. voyez que je me rends justice et que Je ne m’en fais pas à croire." J’ai pensé que ceci vous divertirait.
Ma société se composa hier au soir de la petite princesse, son mari, Mad. Durazzo, l’ambassadeur de Sardaigne, sir Robert Adair, le comte Médem, Pahlen, M. Sueyd, & Mëchlinen. Celui-ci nous le chassâmes, ou à peu près vous avez fait comme de raison la conquête d’Adair, il trouve que vous connaissez l’Angleterre mieux que lui.

1 heure. J’ai beaucoup marché, presque jusqu’à me fatiguer. L’air est lourd, chaud & triste. Le soleil ne vient pas, je n’en ai pas besoin. J’ai pensé, rêvé tout le temps. Je pense, je rêve bien plus encore que je ne faisais à votre premier retour au Val-Richer tout ce qu’il y avait alors en moi est doublé. Ah que je suis heureuse & triste !
Votre buste ressemble, mais je ne l’aime pas. Il est si raide. J’ai vu le dessin de la campagne, enfin j’ai tout vu. Marie a regardé cela comme une visite classique. Elle était si curieuse de votre habitation ! Quand y reviendrez- vous pour y rester ? Ah, il n’y aura que cela de bon. Un bonheur bien réglé, bien établi. Adieu. Adieu, & comme je vous dis cet adieu ! Tâchez de bien le comprendre.

Collection : 1837 (7 - 16 août)
Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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21. Paris, jeudi le 10 août 1837
huit heures

Vous venez après mes prières. Dans mes prières je pense à vous je prie pour vous. Monsieur venez m’enseigner à ne pas vous donner ainsi toutes mes pensées tous les battements de mon cœur. Cela n’était pas tout à fait ainsi avant mon départ pour l’Angleterre. Il me semble au moins ce voyage, cette longue séparation, vos lettres, les inquiétudes mortelles que j’ai éprouvées pendant dix jours tout cela a tellement exalté ma pauvre tête et affaibli mon corps, qu’aujourd’hui votre image est une douleur. Mais une douleur dont je ne puis pas me séparer un instant. Que sera ce quand vous serez là auprès de moi ? Je vous y vois déjà, je vous établis Je suis fâchée que ce ne soit pas dans la Chambre où nous avions pris de si douces habitudes. Je l’aurais même aimé, mais on y travaille, cela m’impatiente. J’irai voir aujourd’hui s’il n’y aurait pas moyen de presser les ouvriers. Je suis sortie hier, mais il y a un peu d’embarras à satisfaire mon médecin. Il veut de l’air et il ne veut pas d’exercice. Je me suis fait traîner doucement en calèche avant dîner, & j’ai recommencé le soir. Il faisait doux mais triste. Quand vous serez ici nous irons. un soir en calèche. Je laisserai Marion à la maison. J’ai pensé à cela tout le long de la promenade. Que j’aime rêver ainsi alors, je n’entends plus rien & j’y serais encore ; s’il n’était survenu des éclairs très forts.
Je suis rentrée à 10 h. Je me suis couchée. J’avais vu dans la journée quelques personnes. Lady Granville. Le duc de Palmilla, le duc de Hamilton, & M. de Hugel. J’ai une confidence à vous faire sur Lady Granville. Elle a toujours exercé sur moi un grand empire. Elle a de l’esprit prodigieusement et l’amour le plus fanatique pour son mari. C’est la personne qui me connaît le mieux, & qui connait le plus vite toute créature qu’elle a intérêt à pénétrer. Elle m’aime & je crois tout simplement parce qu’elle me connait. Elle sait donc tout. Hier elle m’a trouvé relisant une lettre. Eh bien Monsieur je la lui ai donnée Cette lettre c’est le N°6. Vous y traitez le sujet le plus élevé. Savez-vous ce qu’a fait Lady Granville ? Elle a pleuré, pleuré. Elle y a retrouvé tout ce qu’elle pense. Elle voudrait Monsieur se prosterner à genoux devant vous. Quand je l’ai vu ainsi , émue, exaltée. Je me suis rassurée sur mon propre compte. Il n’y a donc pas de la folie dans mon fait. Voilà ce que je me suis dit d’abord. Savez-vous ce qu’elle m’a dit ensuite ? Monsieur c’est ce que je me suis dit plusieurs fois déjà mais sans avoir où vous le répéter. "
Je mourrai Monsieur comme sont mortes ces deux femmes que vous avez tant aimées !! Elles n’ont pas plus supporté leur bonheur que moi je ne puis supporter le mien. Dieu n’aime pas que les joies du Ciel soient révéler aux mortels. Il leur retire la force de les soutenir. Savez vous Monsieur pourquoi vous venez ? C’est que vous ne sentez pas au moins de près ce qu’elles ont senti, ce que je sens. Dieu vous a placé sur la terre pour un autre but. Moi j’avais accompli ma destiné et vous aimez ma mémoire comme vous chérissez la leur. Encore une fois Monsieur défendez moi de vous écrire, cela me fait mal.

11 heures
J’ai fait ma toilette, j’ai essayé de déjeuner. Je ne puis pas manger. Le facteur est venu il ne ma pas apporté de lettres, pas de lettres ! Pourquoi ne m’avez-vous pas écrit ! Monsieur ne me donnez pas ce chagrin là. Un mot, un mot tous les jours je vous en supplie. Ne me faites pas repasser par toutes les horribles émotions de Londres. Vous le voyez je suis faible, je le deviens même plus tous les jours. Cette nuit a été mauvaise. La chaleur m’accable et cependant je suis froide comme glace. C’est un vilain état de nerfs.
J’ai des nouvelles de M. de Lieven de Marienbad en Bohême. Il allait le lendemain chez M. de Metternich à un château qu’il a près de la. Ils ne se sont pas vus depuis le temps où ils ne s’aimaient guère. Le prince de Metternich fera sur cela quelques bonnes réflexions philosophiques que je suis bien aise de n’être pas condamnée à lire car elles seraient longues. Savez- vous qu’il m’a souvent, bien souvent fait bailler, il disserte lourdement. Vous aurez lu de ses pièces diplomatiques Il y a toujours beaucoup d’esprit, beaucoup d’habileté, mais la forme en est bien allemande. Et bien il vous racontera comment on fait le macaroni avec le même intérêt, la même pesanteur. M. de Metternich traite tous les sujets de même, et se croit fort universel. Jamais il ne lui est arrivé de dire : "Je ne sais pas." Il sait tout, et surtout il a tout prévu, tout deviné. Lady Granville lisait souvent ses lettres, et ne manquait jamais d’en rire. A dire vrai elle m’entraînait quelques fois à rire aussi. Elle servait à souhait M. Canning. Je ne sais comment je suis arrivée à vous parler de tout cela, mais je suis bien aise d’une distraction.
Madame de Dino me supplie de donner rendez-vous à mon mari à Valençay. C’est beaucoup trop loin. Si je vais à Valençay il voudra m’entraîner plus loin. Mais que je suis impatiente de sa réponse à la nouvelle que je suis revenue en France ! Car lui &mon frère aussi, qui m’écrit enfin une lettre très tendre, (tendre parce que je n’étais plus à Paris) ; n’ont pas le moindre soupçon que je puisse penser de nouveau à fouler cette terre défendue. Monsieur, je bavarde, je bavarde et vous ne me dites rien. Rappelez-moi de vous conter, quand je vous verrai un moment de singulières explosions de la part de 17 dans le dernier entretien que j’ai eu avec lui. Par exemple lady Granville rit bien de lui.
Adieu Monsieur, c’est triste de vous dire adieu Sans vous avoir dit merci. Cela ne sera pas ainsi demain n’est-ce pas ?

Collection : 1837 (7 - 16 août)
Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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20. Mardi 8 août 6. h.

J’ai été obligée de recevoir M. Molé, lady Granville, le comte Médem avec le premier deux heures de tête-à- tête, avec lady Granville longtemps. aussi, mais une causerie si bonne, si intime sur un sujet qui me tient le cœur si serré, que j’ai fini par tomber sur son épaule. Je n’avais plus de force. Si je pouvais me débarrasser de mes nerfs mais je suis bien faible, bien faible. Le médecin me dit que je reprendrai des forces au bout de quelques jours. Il faut en reprendre avant de vous voir. Telle que je suis aujourd’hui c’est impossible. J’en tomberais gravement malade, et vous ne le voulez pas ? Je ne cesserai donc de vous le répéter, attendez je vous en conjure. Laissez-moi me remettre un peu ; je vous promets que je ne m’occuperai que de cela. Si je pouvais vous promettre de ne pas m’occuper de vous, je serais bien plus sûre de remplir le premier engagement. M. Molé m’a trouvé bien changée.

Mercredi 9 à 8 h du matin Je suis mieux, il me semble que c’est là ce que vous êtes pressé de savoir. J’ai dormi cinq heures cette nuit, je vous ai oublié un peu, Dieu merci. Et en me levant j’ai vraiment senti que mes jambes me porteraient mieux. Voyez Monsieur, voilà du progrès. Tous les jours j’espère vous en annoncer et puis, & puis. Vous viendrez quand je vous le dirai vous viendrez n’est-ce pas ? Cela me paraît simple, cela me parait sûr, & quand je pense au moment où je vous reverrai, il me semble que j’en mourrai.
Est-il possible qu’en si peu de temps vous soyez devenu pour moi ce que ma peine cherchait dans le ciel, que cette vision qui m’avait un moment enivré de délices sont devenus une réalité ? Je vous ai dit ce que j’ai éprouvé alors, je me rappelle distinctement. Cette sensation mais jamais je ne saurais la décrire, elle surpassait ce que la parole peut exprimer. Et bien de même aujourd’hui ce que j’éprouve est au-dessus de toutes les expressions humaines. Monsieur est-ce que je rêve. Y a t-il de la folie dans ce que je vous dis ? Je ne suis plus sûre de moi. Monsieur défendez-moi de vous parler.
Je lis vos lettres, je les relis. Savez-vous bien ce que sont vos lettres ? Ah quel danger pour ma pauvre raison ! onze heures On m’apporte dans ce moment votre N° 17. Voilà qui est réglée, j’accepte le 18. Je l’accepte avec transport. Pensez donc au 18, pensez y beaucoup, et faites des vœux pour que je n’y pense pas. Car ma pauvre tête pourrait aller. Votre dîner chez le curé me rappelle qu’il y a quelques temps déjà je voulais vous demander une faveur. J’ai lu dans en livre que vous m’avez donné, ces livres dont j’approche avec respect avec mille sentiments contraires que je ne peux, que je ne veux pas vous exprimer. J’y ai lu entre autres choses que celle que vous aimiez surement le mieux s’occupait des pauvres. Est-ce à St Ouen qu’elle avait des pauvres des écoles, enfin des objets de ses charités. Je voudrais bien de cette manière au moins chercher à lui ressembler. Il est une manière où je la surpasse, oui, Monsieur je la surpasse, ne me disputez pas cela j’en suis sûre, sûre.
J’en reviens à mon sujet. Monsieur ayez la bonté d’arranger ce que je vais vous dire. Je destine mille francs à votre comme. Vous distribuerez cela comme vous l’entendez, mais je voudrais bien entre autre ; que ce cottage où vous avez dîné soit mieux tenu, et que l’année prochaine vous me racontiez que cela avait l’air propre et bien rangé. Dites-moi à quelle adresse mon banquier aurait à faire passer cette somme. Adieu. Adieu. Je veux une lettre tous les jours. Je vous en supplie, je vous en conjure, tous les jours un mot jusqu’au jour qui me semble qui n’arrivera jamais !
Mon médecin sort d’ici il me trouve mieux ce matin, mais très faible. Il veut de l’air, de l’air. Une pieds sont froids comme glace, & je n’ai pas la force de marcher. Il veut me faire prendre du quinine. N’allez pas tomber malade, soignez- vous bien. Imaginez que je vais maintenant m’inquiéter de votre santé. Mais elle est bonne n’est-ce pas ? Tous vos N° entre 11 et 16 me manquent encore. Excepté la lettre de Caen sans N°.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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2. Boulogne midi dimanche 2 juillet 1837

Vous voyez comme je cours Monsieur. C’est superbe, et puis c’est insupportable car j’arrive et le bateau à vapeur est parti il y a deux heures. Il faut patienter jusqu’à demain 9 heures ! Soyez assez bon pour un faire passer le temps. Causons un peu et nous pouvons le faire bien commodément. Mon appartement est bien tranquille, pas le moindre bruit. Cela me fait une nouveauté après la bruyante rue de Rivoli. J’ai la vue de la mer de cette mer que j’aime tant & que vous connaissez si peu, & que je vous prie d’aller regarder pour me faire plaisir en descendant de voiture tout à l’heure j’ai senti une main saisir la mienne. Cela m’a donné une palpitation involontaire. C’était celle de lord Pembroke. Il ne valait pas la peine de m’agiter. Comme vous n’êtes pas femme, vous ne comprenez pas les bêtises que je vous dis là.
J’avais reçu en partant de Paris une lettre de mon mari. Je l’avais oubliée. Je l’ai ouverte aujourd’hui. Il m’écrit du 15 juin. Je me sens bien triste aujourd’hui. Je ne l’ai jamais été autant. Monsieur ces paroles dites ce jour là m’ont bien frappées.
4 h. Je viens de dîner, & j’ai reçu quelques visites. J’ai fait parler lord Pembroke, il a quitté Londres hier les Torys sont découragés, toutes les faveurs de la reine sont pour les Whigs. Lord Melbourne passe tous les jours deux heures de la matinée avec elle. Toutes ses idées sont accueillies. On ne dit rien de l’esprit et des opinions de la reine. On dit seulement qu’elle sait haïr, mais c’est bien quelque chose à 18 ans ! Elle veut à toute force chasser l’amant de sa mère. Elle le fait magnifiquement. Elle donne au chevalier Conroy trois mille lires sterling de pension pour qu’il s’en aille. Lord Pembroke s’est avisé de me parler aussi de french politics, il me dit : " Nous autres Torys nous n’avons qu’un vœu, c’est de voir M. Guizot aux affaires."
Mais monsieur ce n’est pas de politique que je veux vous parler, Je cherche... C’est de musique. Vous savez comme Je l’aime cette musique ! Comme elle m’enivre, comme elle me plait. Et bien, je l’entends, je la sens. Je n’ai pas lu aujourd’hui. j’avais trop lu hier, j’en ai mal aux yeux mais j’ai pensé à ce que j’avais lu j’ai trouvé des paroles qui m’ont été répétées. " Le paradis sur la terre." Il venait donc d’elle ? Et c’est avec elle qu’il était trouvé !
8 h. Je vous demande pardon Monsieur de vous parler à tort et à travers de tout ce qui me vient dans la tête. Quel début de correspondance et cependant, vous voyez bien que je ne vous dis rien, rien de ce que je voudrais dire. Je n’aime pas la contrainte. Je n’aime pas les souliers étroits ; un ruban qui me serre, & bien je n’aime pas plus les lettres que je vous écris, comment n’ai-je pas pensé à cela en m’engageant dans cette correspondance ? Dites Monsieur ne vaudrait-il pas mieux la laisser-là ? Hier & aujourd’hui ont été bien mal. C’est à dire bien maladroite. cela va vous fâcher, & je me sens toute humiliée d’avance de cette fâcherie.
Adieu Monsieur, adieu. C’est mon dernier mot de cette terre de France dans quelques heures je trouverai des émotions terribles. Ces pensées me font frémir. Le manteau de Raleigh (je crois que c’est le nom/ sera-t-il assez puissant ? Ah Monsieur j’ai le cœur brisé. Pensez à moi, prenez pitié de moi, je suis bien malheureuse. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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N°1 Abbeville, samedi 1er juillet 7 h. du soir

J’arrive dans cet instant bien fatiguée. J’ai faim, j’ai sommeil mais je ne puis ni manger ni dormir avant de vous avoir remercier de ce bon billet, de ces bonnes connaissances que vous m’avez fait faire. j’ai tout dévoré. J’ai cherché l’histoire, le roman, c’est là ce qu’il me fallait d’abord. Il y a trop peu de cela, mais comme le peu qu’il y a m’a émue. J’ai couru ensuite après les dates. J’ai cherché à me rappeler ce que je faisais à pareil jour. Enfin, j’ai eu toute les émotions du monde. Elles n’ont pas toutes été douces. Ah mon Dieu, que j’ai peu d’esprit à côté de ces esprits là ! J’en ressens quelque embarras. Et puis je me dis qu’il y a autre chose qui compte, et je me rassure.
Monsieur je devais commencer par vous conter hier. Votre billet porte la date de 6 heures. Je ne l’ai vu qu’à 9. Mais à 6 heures je passais devant votre porte ; un embarras de voitures dans la rue parallèle à la vôtre ayant forcé mon cocher de prendre de votre côté pour me mener chez lady Granville. J’ai été bien contente d’elle. Elle m’a répété " you are safe." Je fus dîner chez Mad. de Flahaut, mais matériellement dîner & bien vite, & puis chez moi des affaires, des arrangements à prendre. Il se trouve que je n’avais pensé à rien, que je n’avais donné aucun ordre, quand tout était à commencer lorsque tout devait être fini. Voilà cette bonne tête, qu’on appelait comme cela jadis ! J’ai été excédée à 10 heures je me suis couchée sans pouvoir. dormir. À 6 heures j’étais en voiture & dans la rue de Luxembourg déjà j’avais ouvert le paquet je lisais et je n’ai pas fait autre chose jusqu’ici, excepté de une à trois heures où j’ai fermé les yeux, je ne sais si j’ai dormi, si j’ai rêvé, je ne puis trop expliquer cela, & je ne veux pas m’étendre sur cette partie de ma journée. Ma voiture est douce je m’y trouve bien, il me semble que je ne me trouverai bien que dans ma voiture mon courrier entre dans mes goûts il me fait avancer rapidement et cependant avancer c’est m’éloigner mais j’ai hâte de le faire. On dirait que cela me fera revenir plus tôt.
Adieu Monsieur. Je serai couchée à l’heure où je revenais de Chatenay, il y a huit jours. Je crois que je dors déjà. Pardonnez-moi, Monsieur, cette sotte lettre. Vous n’en aurez pas de plus élégantes jusqu’à ce que je sois settled en Angleterre. Je vous promets des nouvelles, mais jusque là seulement, ma plus tendre amitié.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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394. Paris Mercredi 3 de juin 1840
4h 1/2

Que votre parole est puissante ! Et quand je pense qu’outre cette parole puissante, Il y aura bientôt cette voix, ce regard, qui agissent sur moi si fortement, je me sens bien petite de me laisser aller jamais à des moments de tristesse, de doute, où vous me voyez si souvent. Je rentre et l’on me remet votre 384. Il y a vos inquiétudes. Ah ne les regrettez pas, ne regrettez pas de me les avoir exprimées. Elles m’ont fait tant de plaisir. Je me sens le cœur plus large, plus libre. Le retard de ma lettre vous avait donnée du chagrin, presque l’angoisse. Je suis si contente ! Voyez cet atroce égoïsme. Haïssez-moi bien, car je jouis vivement de vos peines quand c’est à moi qu’elles s’adressent. Nous nous sommes souvent dit que nous ne savions pas rendre tout ce qu’il y a dans notre âme. Jamais je n’ai tant senti l’insuffisance de mes paroles. Mais vous verrez quand vous m’entendrez ! De près, il me semble que je serai bien éloquente Jeudi le 4 de juin.
Voici le 385, et des volumes que j’aurais à répondre, que de choses à vous dire, bien tendres, des reproches, de la reconnaissance. Vous deviez me dire un mot sur le gros Monsieur tout de suite. vous me les dites à présent. Mon cœur allait au devant des paroles de 385. si je les avais trouvées plutôt vous m’auriez épargné quelques jours de peine. Vous avez raison. Il y a bien de la susceptibilité dans l’absence. On remarque tout, cela veut bien dire que nous nous aimons, mais pour cela même il faut que nous nous épargnions mutuellement tous les petites images, car il n’y a rien de petit quand on ne peut que se dire adieu tout de suite après. N’est-ce pas ? Ne faites rien pour Génie si vous y voyiez le moindre inconvénient. Gardez-moi une place à dîner le 26. Cela vous plait, et à moi aussi.
Mes matinées sont très coupées par mon fils et mille bêtises. J’ai à peine le temps d’écrire trois lignes de suite. J’ai dîné hier chez Rothschild à Boulogne. Nous avons beaucoup causé Thiers et moi. Il m’a dit beaucoup de choses qui méritent que je m’en souvienne. Il est très sage, très contenu. La guerre à la toute dernière extrémité, il la reculera plus que ne la reculerait tout autre ! Mais si un jour elle éclate s’il la faut absolument oh alors, par tous les moyens et ravoir ce que la nature indique. Il y a deux forts arguments. L’un pour l’autre contre la guerre. Contre, parce que personne ne la veut. Pour, parce qu’il y a 25 ans qu’on ne l’a faite. Sur l’Orient, sait-on bien, sait-on assez en Europe, que la France sur ce point est in-fle-xible ? Prononçant comme cela et répétant. En Angleterre, il n’y a que Lord Palmerston qui soit de l’avis contraire à tout le monde. La session finit, dans 10 jours tout sera terminé. Odillon Barrot s’est conduit parfaitement. Sa lettre est excellente. On s’est tiré habilement du mauvais pas de la souscription. Les funérailles, qui sait ! Il est vrai que l’épreuve sera forte, car l’émotion sera dans tous les cœurs. Le million de Joseph ? Il na pas voulu me répondre du tout sur cela, il m’a dit simplement : " C’est un vieux fou. C’était une veille créance." Cela confirme sans expliquer ce qu’il veut faire. Je suppose que cela l’embarrasse.
La Prusse. La mort du Roi c’est là révolution. Je suis parfaitement de son avis et vous verrez. Au bout d’une bien longue conversation il me dit que si je ne vais pas en Angleterre, il me jure qu’il viendra deux fois par semaine causer avec moi.
There is a bribe ! I go to England.
Je vois que l’affaire Rémilly est noyée par conséquent rien de grave ou d’immédiat. Il me semble que les rapports de Thiers avec le roi doivent être meilleurs, presque vous. Cela perce dans le paroles respectives. Il me semble que je vous ai tout rapporté. Ah encore, tous les deux lui et moi nous sommes pour une République aristocratique, franchement de tout notre cœur. Je vous assure que nous avons fort bien parlé sur cela, et je crois que vous aurez fait le troisième. Nous nous sommes bien promis de nous garder le secret. Ainsi gardez-le.
Je fais mes préparatifs, et j’ai mille embarras petits et grands, parce que vous savez que je n’ai personne pour me les épargner. Simon m’a dit ce matin qu’il a vu partir toute votre famille en très bonne santé. Il se plaint que la poste lui apporte maintenant les lettres plus tard que de coutume. Je vous en préviens, moi je me plains bien plus que lui. Je suis charmée de ce que vous me dites sur meeting du Slave trade. Vous faites bien de me dire toutes les petites vanités. Cela cela devient bien grand pour moi. de tous côtés j’entends parler de vous, parfaitement J’irez voir. Adieu Adieu, et jamais assez.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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393. Paris le 3 de juin 1840

Le pauvre mardi s’est passé pauvrement, si j’en excepte une visite d’adieux à votre mère. Elle et vos enfant un traitent, avec une bonté familière qui me plait infiniment, tout le monde a bonne mine et tout le monde a l’air gai de s’en aller à la campagne. Je serai chargée je crois de vous porter le portrait de Henriette.
J’ai vu un moment les Granville. J’ai vu et essuyé un gros orage ; J’ai diné seule avec mon file et le soir j’ai vu assez de monde. Mes habitués. Point de nouvelles, si ce n’est que Médem a eu de plus le poste de Darmstadt, ce qui lui fait de la distraction et de l’argent de plus. Il est fort content. le Duc de Noailles dit qu’on va s’ennuyer, il n’y a plus ni affaire, ni scandale. Les ambassades attendent le mort du Roi de Prusse. La duchesse de Mouchey est accouchée d’un garçon mort. C’est un grand désespoir. Je vais dîner à Boulogne aujourd’hui chez Rothschild, demain chez Brignoles, après demain chez les Granville. Vous avez là mes disssipations. J’attends votre lettre qui me dira j’espère que mon 388 ne s’est pas égaré. Je suis aujourd’hui un peu mieux qu’hier, mais pas assez bien pour aller à Epson. Qui était de votre partie, et à dîner chez Motteux ? Où allez-vous pour le ..... ? Irez-vous à Salhill, avec qui ? Je fais une quantité de questions, toutes petites, et peut-être toutes grandes. Je suis bien loin de vous, je suis bien triste d’être si loin. Serai-je bien heueuse quand je serai près ? Lord Grey m’écrit pour me presser d’arriver ; il part avant la fin du mois. Leveson mande à son père que vous êtes établi parfaitement bien. 1 heure. Pas de lettre encore. Cela est devenu bien singulier depuis le départ du gros Monsieur. 2 1/2 il faut fermer ceci. Fermer sans avoir à répondre. Je ne sais plus de vos nouvelles depuis samedi. Le cinquième jour ! Que c’est long. Adieu, Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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386. Paris le 27 mai 1840

Voici une lettre presque aussi sûre que la parole et malgré cela je n’ose pas me livrer. Il me serait si doux de le faire cependant ! Mon bien aimé, J’ai si besoin de te redire et d’entendre des paroles d’amour. Cela est écrit, je ne veux pas l’effacer. Mais je veux me contenir et raconter.
J’ai été hier à la Chambre - curieux et pitoyable spectacle. M. de Lamartine a fait un beau discours voilà tout ce qu’il y a eu de beau. Thiers n’a pris la parole que pour dire qu’il épousait le projet de la commission, et la commission et Thiers ont été battus, ou leur a rogué un million. Votre président de la chambre s’est conduit comme un enfant, un enfant sot et fâché. La chambre a fait un tapage épouvantable ; comme des écoliers. C’était vraiment misérable. On n’est pas Bonapartiste, et hier on n’était pas Thieriste. On dit qu’il est resté accablé de cette triste séance, et qu’à sa soirée il était d’une humeur très hargneuse. Il accusais beaucoup M. Sauzet. je crois en effet que la première confusion était dû au Président. Mais pourquoi Thiers n’a-t-il pas parlé ? Cela me reste incompréhensible. La foule était grande dans la Chambre, dans les tribunes comme aux fonds secrets. Sébastiani est sorti sans voter, il m’a dit : "pauvre séance."
Le soir les ambassadeurs sont venus chez moi, beaucoup d’autres personnes tout cela assez amusé. Je crois que le Roi a pu l’être aussi. Il me semble que le grand effet théâtral commence bêtement. Au fond c’est honteux. Tout le monde trouve Thiers bien changé, vieilli, harassé. La faction Boigne dit qu’il donne des signes de folie. Je n’ai cependant entendu cela que là. On dit aussi qu’au Conseil le Roi ne parle plus. Il laisse faire. Au reste son langage sur Thiers avec les ambassadeurs n’a plus rien d’inconvenant. Ils sont assez contents de lui. Il est poli. On va faire les grands changements dans les préfectures quelques révocations, et beaucoup de mutations. Je crois savoir cela de bonne source.
Le roi de Prusse est très mal. Il n’en reviendra pas. Bresson mandait hier de fort mauvaises nouvelles, ce sera un gros événement. Le Roi de Prusse futur a beaucoup d’esprit, mais pas de tête. Il y a quelques années il détestait ceci encore plus que ne le déteste l’Empereur Nicolas, et il le disait beaucoup plus haut que lui. Il peut s’être amendé. En tout cas, on n’aura pas pour lui le respect qu’on a pour son père. Les libéraux espéreront tout de lui beaucoup. Les ultras aussi. Cela a l’air de non sens, et c’est comme cela cependant. Je m’imagine que mon Empereur va courir à Berlin pour voir encore. son beau père. Ce pauvre mourant sera très incommodé de cette visite.
J’ai été hier voir votre mère, elle est parfaitement bien, les enfants aussi, ils étaient au jardin, je suis allée les y trouver. Votre mère veut se mêler de moi, elle veut que je prenne de la camomille. ne crois et n’écoute aucun médecin. Je me sens si malade. Je vois, qu’au fond, je n’ai politiquement rien de bien intime à vous dire. C’est vous qui pourriez m’apprendre bien des choses, si vous aviez un gros Monsieur. Vos opinions sur l’Angleterre et les Anglais, je les devine. Mais sur ce qui se passe ici ; sur la politique européenne vous savez beaucoup, vous savez tout ce que j’ignore ! Je suis curieuse un peu de tout.
Quelques fois je m’imagine qu’un changement ici peut être très prochain, et alors je me dis qu’il pourrait bien arriver tout juste pour mon voyage d’Angleterre, c’est-à-dire aussi gauchement que possible. L’effet de la séance d’hier peut être quelque chose. Le pays sera un peu étonné, et les partisans de la dissolution en feront un argument assez puissant Qu’en pensez-vous ? Eh mon Dieu, je voudrais vous faire cette question sur toute chose ! Vous verrez que l’affaire de Ste Hélène sera une bien grosse. affaire. Elle a tant de faces vraiment c’est de la déraison ou de la trahison de l’avoir commencée. Et le Roi qui se vante d’en être l’inventeur !
Je vous écris tous les jours, et je m’étonne de ne pas vous écrire aujourd’hui un volume. Je suis honteuse de profiter si peu de cette bonne occasion. Je voulais remplir ma lettre d’Adieux sous toutes les formes. Imaginez-vous cela, prenez tout cela comme dans nos meilleurs temps. Dans les temps qui reviendront n’est-ce pas ?
Il me semble toujours que je commencerai pas arrivé auprès de Londres, quand ce ne serait que pour choisir de là l’Auberge où je veux aller à Londres. Mais je n’ai rien arrêté encore. Je crois que Brünnow en désespoir de cause aura écrit en cour pour empêcher ma venue. Ce sera peine perdue, on n’osera pas en dire un mot, et si on le disait je partirai seulement un peu plutôt. Non, je partirai comme j’ai dit. Je ne me fâcherai, ni ne me dérangerai pour personne Il n’y a plus que vous qui ait le droit de me fâcher ou de me déranger, n’est-ce pas ?
Adieu. Adieu, cher bien aimé. Que de choses à nous dire ! Que de doux et longs regards. Ah si nous en étions là ! Avertissez- moi bien au moins des chances politiques possibles. Un chassé croisé serait trop bête. Adieu. Adieu. Adieu, toujours toute ma vie, mon bien aimé.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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374. Paris, Vendredi 15 mai 1840

Vous me l’avez dit une fois, mon chagrin tourne toujours en injustice. C’est possible, mais voyez la différence entre nous. Je suis pressée d’être injuste et vous, vous êtes injuste à la réflexion. Vous me grondez beaucoup, vous avez vraiment tort. Voici sur quoi ma vivacité à éclater. Votre lettre vendredi : Alexandre va très bien. Je suppose qu’il ne tardera pas à partir.
Cuming Vendredi : Poor Alexandre is still very very ill. The Surgean won’t prononce him out of danger.
J’ai copié exactement. Mettez-vous à ma place. Et puis le lendemain Beackhausen confirme la lettre de Cumming en ce sens, que ce n’est que Samedi qu’en effet le chirurgien a déclaré que le danger était passé, mais qu’il fallait beaucoup de soin. Vous m’entretenez dans une pleine sincérité, et quand la vérité est venue, elle m’a terrassée. J’étais dans un état près de la folie. je m’étais pleinement fiée à vous et assurément en vous adressant plutôt à Brodie ne sachant en dire dès le commencement "ce sera long", au lieu de me dire dès Mercredi le 6, " dans deux ou trois jours il n’y paraîtra plus". Il en serait résulté deux choses ; c’est que je serais partie sur le champs et que je n’aurais pas eu ce terrible contre coup qui m’a abîmée. Et puis et surtout, je ne vous aurais pas écrit une lettre qui vous fait de la peine, vous aviez bien vu (car vous me citez ma phrase) à quel point ce n’était que vous que je voulais croire. En y regardant bien vous ne me gronderiez pas autant, je ne mérite pas cela, mais beaucoup de pitié. Vous voyez bien que j’ai senti que j’étais vive, que j’étais peut-être inquiète, je vous en ai demandé pardon, je vous le demande encore. N’ajoutez pas à tout ce que je ressens de peine de tous les genres.
En voulez-vous de l’injustice encore ? Voulez- vous de la franchise. Eh bien, j’avais bien envie hier de vous écrire une page remplie de M. Antonin de Noailles, de M. de Flamarens, je cherche encore. qui sont les beaux jeunes gens de Paris ! Pour faire pendant à une page remplie d’observation sur les charmes de 6 ou 7 belles femmes du bal de la Reine. Je fais des découvertes sur vous depuis que vous êtes à Londres. Allez-vous vous fâcher ? Me punissez-vous d’être franche ? Faut-il que je déchire cette feuille ? Je suis très combattue. Vous avez exigé que je vous dise tout. Vous voulez avant tout lire tout-à-fait dans mon cœur, et cependant, vous me ferez peut-être me repentir de ma franchise. Savez-vous ce que je crois ? C’est qu’on m’en doit avec cette rigueur que de près ; de près, lorsqu’on peut si vite effacer, expliquer. Ah de près, je sais bien que vous ne vous fâcheriez pas ! Vous feriez le contraire ! Vous verriez ce qu’il y a de profond, de tendre derrière mes paroles. J’ai beaucoup, beaucoup à dire encore, je dis trop, je dis trop peu, J’ai le cœur gros. Je lis les journaux. J’ai cherché pour voir s’il n’y avait vraiment au bal que des jeunes femmes. J’ai trouvé lord Grey, le duc de Wellington. Est-ce que vous ne causez pas avec ces personnes-là pendant 6 heures de suite que vous restez à un bal ? Vous ne me les nommez pas. Certainement et vous le dites-vous même, vos lettres sont frivoles. Vous êtes dans le tourbillon de Londres, vous le suivez en conscience, j’avoue que je n’en trouve par la raison, car je sais fort bien que c’est inutile quand on n’en a pas le goût. Je connais la mesure du temps de résidence à toute ces gaietés là. Je le sais, mais vraiment je ne vous connaissais pas. Vous êtes jeune. Je vous le disais hier sous une autre forme, vous avez sans doute raison, en tout cas vous en êtes plus heureux. Moi, je n’ai rien de jeune ou de gai à vous dire, je vous raconte du grave.
J’ai vu hier matin M. de Bourqueney, il m’a assez intéressé ; il sait plus que n’en savent la plus part des personnes qui me parlent. Après lui Montrond et le duc de Poix. Montrond étonné de ce qu’ils vont se dire le roi et lui, en se souvenant de tout ce qu’ils se disaient sur Napoléon quand ils étaient ensemble en Sicile.
Je retourne à Bourqueney qui me dit : " On est bien content de M. Guizot ici et des succès qu’a eu sa négociation pour les reste de Napoléon, vous devriez Madame lui dire cela en lui écrivant.
- Moi Monsieur ? Mais je l’ignore ; je n’ai pas entendu nommer M. Guizot dans tout cela.
- Comment Madame ? Mais M. Thiers le disait encore hier au roi.
- A l’oreille peut-être, Monsieur." Voilà exactement notre dialogue.
M. Molé est venu hier au soir tout rempli du sujet. Il est ému de la chose, mais il trouve que c’est trop tôt, qu’on remue trop les esprits, que cela est fait avec légèreté sans en avoir examiné les conséquences. La famille, la légion d’honneur, le tapage dans les rues. Il a tout passé en revue. Il dit que s’il avait cru le temps. venu de redemander les cendres de Napoléon; c’est lui Molé qui l’aurait fait, mais qu’alors il aurait autrement qualifié cet acte que ne l’a fait M. de Rémusat, que le discours de M. de Rémusat c’est la révolution, elle toute seule qu’on honore, que lui aurait montré Bonaparte comme la restauration de la religion, de l’ordre, des lois, de l’autorité, et fait tourner tout cela au profit de la monarchie tandis que M. de Rémusat n’a remué que les passions révolutionnaires et il dit que magnanime et légitime voilà les deux grands mots du discours. L’un et l’autre parfaitement, absurdement, appliqués. Ceci est assez vrai. Il critique les Invalides, il veut St Denis, le caveau que Napoléon lui même avait fait arranger pour sa race. Les Invalides, c’est encore l’enfant de la Révolution, et non le monarque. Il ajoute : " Je suis sûr que M. Guizot a trouvé que c’était trop tôt, ou bien qu’il aurait tiré de cet événement le parti que j’ai indiqué, et non les phrases qu’a débitées M. de Rémusat." Il m’a dit hier que c’était Villemain qui lui avait annoncé cela il y a 6 semaines lorsque je vous l’ai redit.

Samedi le 16, à 11heures. J’ai reçu ce matin une lettre de mon fils. Ce pauvre garçon est demeuré sourd d’une oreille, et a perdu l’usage du bras gauche. Il me mande qu’il part de Londres après demain, qu’il restera auprès de moi juqu’à mon départ. et qu’il ira ensuite à Bade. J’ai écrit avant-hier à Boulogne, pour qu’on m’envoie votre lettre. La journée sera triste je ne recevrai rien !
J’ai été voir votre mère hier. Elle est parfaitement bien, et elle a été fort compatissante pour moi. Vos filles faisaient de la musique. Guillaume jouait avec son fusil. C’est le seul que j’ai vu ; il a fort bonne mine. J’ai été voir la petite princesse. J’ai fait dîner Pogenpohl avec moi. Nous avions à règler des comptes, et il s’était occupé de tous mes préparatifs de départ. Le soir, j’ai vu les trois Ambassadeurs, et Médem, Tcham, Armin, & & M. de. Pahlen venait de chez le roi.
Le départ du M. le Prince de Joinville. est retardé à cause de sa rougeole. Il me parait que tout le monde est triste, et qu’on trouve que Thiers est trop ivre. Je ne sais guère ce qui se passe. Appony est d’une mauvaise humeur contenue J’ai fait visite hier à Mad. de. la Redorte. Elle est glorieuse. Elle affirme qu’on ne permettra pas à la famille Bonaparte de venir. C’est bien là la résolution mais assurément ce sera la première fois dans le monde que, les seuls exclus de funérailles soient les parents du défunt. On demande l’effigie de Napoléon sur la légion d’honneur, institué par le souverain légitime de la France. Ah, le discours de M. de Rémusat ! En le relisant Il est bien étrange. Au premier coup d’oeil cela a bon air, c’est ronflant, mais à l’analyse ! Je suis curieuse de votre opinion mais elle m’arrive à travers de l’eau salée !
J’ai dormi encore cette nuit, je m’en vante comme du fait le plus intéressant des 24 heures.
Adieu. Voulez- vous que je déchire cette lettre ! Voulez-vous, voudrez vous toujours que je vous dise tout avec ma funeste franchise, comme l’appelle lady Granville ? Je prends un juste milieu je déchire et j’envoie. Adieu, adieu, si vous saviez combien je pense à vous, comment j’y peuse ! Ah ! vous seriez content si cela vous fait encore plaisir. Comme autre fois, adieu,adieu, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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358. Paris, jeudi le 30 avril 1840
9 heures

Il y a aujourd’hui 6 ans que mon mari reçut la lettre de l’Empereur lui annonçant sa nouvelle destination lettre qui lui fit lever les mains au ciel de joie, et moi de douleur. J’ai noté ce jour comme un des plus cruels de ma vie. Il y a aujourd’hui un an que mon fils ainé me déclara qu’il ne me reverrait jamais. C’est un triste jour que ce 30 avril. J’aurai de vous une lettre n’est-ce pas ? Deux probablement, car je n’ai rien eu hier. Rien depuis lundi. C’est long. J’étais inquiette hier. Je suis allée chez votre mère pour savoir si elle aussi manquait de lettres elle avait eu la sienne, ainsi vous vous portiez bien. J’ai trouvé tout votre monde en parfaite santé et vous pouvez être bien tranquille Je me suis promenée avec Marion. J’ai dîné chez M. fFeihman. De la diplomatie. On raconte que Thiers dit à propos de l’affaire des soufres : "Si j’avais fait ce que fait Lord Palmerston, qu’aurait dit l’Europe ?" C’est vrai, entendez-vous les cris d’indignation ? Il y a bien de l’injustice dans le monde. Je n’ai vu personne hier au soir. Ces dîners me font veiller tard et je manque tout le monde. Je n’ai vu que M. de Bacourt et Ellice. Je vous enverrai par le courrier des Affaires étrangères une lettre que j’ai reçue hier de Matonchewitz, elle vous intéressera.

11 heures
Je viens de faire un tour en calèche. La chaleur empêche ma promenade plus tard. J’attends toujours votre lettre vos lettres. Hier matin, j’ai vu longtemps Appony, et longtemps Fagel. Le premier est vert de mauvaise humeur. Il y a bien de l’aigreur dans son fait. Il me raconte bien des commérages. Ces gens-là ont bien envie que vous vous brouilliez avec Thiers. Ils avalent tout ce qui peut ressembler à cela. J’ai dit à Appony ce que je vous disais hier. Il faudrait de bien grosses raisons. Votre bonne intelligence est utile, et tout-à-fait convenable ; il faut qu’elle dure. Fagel est très bon enfant et fort dans le vrai sur toute chose.

Midi.
Voici deux lettres l’une par le petit médecin, l’autre par le gros monsieur. Le petit monsieur l’ayant reçu que hier à 2 heures n’a plus osé venir puisque vous lui disiez de la porter avant l heure. Je l’ai renseigné pour l’avenir. Merci de toutes les deux, et de tout. Vraiment Brünnow est trop bête. L’ Europe finira par répéter cet écho. Je vous ai dit hier un mot direct par la poste pas dessus mon autre lettre. Je répete aujourd’hui. Parlez en français à l’academie. C’était mon premier instinct vous vous en souvenez. Granville m’a déroutée, et j’ai assez de confiance dans ses avis, mais cependant je crois que le Français est plus convenable. De toutes les façons, et j’y reviens avec assurance, parce que j’entends dire qu’un ambassadeur Français doit parler sa langue là où il peut être compris et c’est vrai. C’est votre inclination aussi; c’est donc dit samedi à 8 heures je saurai que vous parlez Français. Vous ne savez pas comme je m occupe et m’inquiète de tout ce qui vous regarde. Votre dîner du 16 mai me parait trop short notice pour cette saison d’autant que tout le monde prend le samedi. Il me parait que le 23 est plus sûr. Je pense que ni les Sutherland, ni les Carlisle, ni le Duc de Devonshire, ni Lord Morpeth n’accepteront. Mais cela ne doit pas vous empêcher de donner le diner Whig, il le faut absolument avant celui-pour les Torys. J’ai écrit ce matin à M. Andral. Je ne suis pas bien de nouveau. Vraiment c’est une étrange santé que la mienne, avec mon régime, mon abstinence je ne conçois pas ce qui me dérange, je ne vois plus d’autre parti à prendre que de ne plus manger du tout. On peut s’acoutumer à cela peut être. Vous pourriez prendre M. e Mrs Slanley dans le dîner Whig si vous avez place. Adieu. Adieu.J’ai bién grondé de ce que ma lettre de samedi a été remise trop tard à la poste. Ordinairement, je les porte moi-même. Je ne suis jamais sure que de moi-même. Je viens de relire la lettre de Matonchewitz. Je vous promets qu’elle vous plaira. Vous ne l’aurez pa encore aujourd’hui. Je veux la faire lire à M. de Pahlen.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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354. Paris, Lundi 27 avril 1840
9 heures

Mon fils vient de partir pour Londres. Il sera de retour au bout de huit jours J’ai fait des visites hier au soir, entre autres chez Mad. de Castellane. M. Molé a beaucoup causé avec moi, on disait hier que le blocus de Naples était établi ; il voit découler de là une guerre générale, c’est en verite très possible. Personne ne doute que les hostilités de la part de l’Angleterre en deviennent le signal d’un soulevement à Naples, où le Roi est parfaitement détesté et méprisé par tout le monde. Si le reste de l’Italie n’est mal disposé à se remuer aussi, et là se trouveraient au presence, l’Autriche reprimant et vous aidant la révolution. Tout depend de cet imbecile de Roi. Et partout et toujours tout a dépendu d’un fou ou d’un sot.
J’ai envie de me faire démocrate. La situation du parti conservateur à la Chambre parait très mauvaise aux yeux de M. Molé. Il dit : "Il n’y a pas de chef, voilà le vice radical. Il est sans remède avec les élements actuels, M. de Lamartine ne saura jamais être chef ; si un chef se retrouve tout ne serait pas perdu. "
M. Molé n’est pas absolument opposé à une réforme dans la Chambre mais il dit cependant, qu’à défaut d’aristocratie qui ne se présente pas aux élections, les fonctionnaires constituent cette aristocratie, et que les rétrancher, c’est livrer les bancs de la Chambre à des députes pris de très bas, et très pauvres qu’il faudra salarier, c’est-à-dire revenir à la Convention Nationale. Je crois avoir compris comme je vous dis là. Il trouve, naturellement avec exagération, que M. Thiers est passé à la gauche tout-à-fait depuis vendredi, que M. Odillon Barrot est le chef du Cabinet et M. Garnier Pages le chef de la gauche. Les Granville sont très affligés des nouvelles de Londres. Lady Burlington est probablement morte à l’heure qu’il est. C’est une perte immense pour toute la famille et pour le Duc de Devonshire surtout. Il vient de repartir cette nuit. Tous ces derniers jours j’ai fait ma promenade au bois de Boulogne avec mes visites, ainsi, un jour le Duc de Devonshire, un autre Mad. de Talleyrand, hier le Duc de Noailles, il a été sensible au petit mot qu’il y avait pour lui dans une de vos lettres.
Vous ne sauriez concevoir la beauté du temps, de la verdure, et de mon logement dans ce moment c’est ravissant. Ce serait trop beau si vous étiez ici. On a fait l’essai des fontaines ; elles viennent d’être dorées, la masse d’Eau est superbe. Je n’ai rien vu de plus beau à Rome. Depuis le 1er de Mai elles iront toujours. Aujourd’hui aura lieu la noce à St Cloud, M. Molé en sera.
Voici votre lettre. Je trouve votre langage sur nous très bien, et très utile. 

1 heure.
Génie est enfin venu me faire visite. Il y a quinze jours que je ne l’avais vu. Il me dit que votre famille est informée que vous ne la faite pas venir à Londres, et qu’au fond votre mère est plutôt contente que contrariée. Adieu Adieu.
Je repète avec vous le deux vers, et toute la romance. Nous nous disions en même temps ces deux vers en voiture en revenant de Chatenay, le 24 juin 1837.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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350. Paris, Jeudi le 23 avril 1840, 9 heures

J’ai fait ma promenade seule. Pas de visites, dîner chez Lady Sandwich avec les Granville, les Brignoles et quelques autres. Thiers devait en être, il n’est pas venu. Le soir chez moi, M. Molé, Brignoles mon amb., Tcham, les d’Aremberg, Ellice, Heischman,  la princesse Rasoumosky point de nouvelles. M. Molé comme de coutume, dénigrant. Les nouvelles de Bruxelles hier ont tout-à-fait rassuré le chateau et on passe à St Cloud ce matin, on raconte que votre médiation est conditionnelle. C’est-à-dire qu’elle prescrit d’alord à Naples de résilier le contrat mais se serait du nonsens et je ne le crois pas. On attend samedi ou dimanche la reponse par télégraphe. M. de Pahlen était vif hier sur la nécessité d’un arrangement quelconque en orient, il dit : si on ne fait pas. il y aura des troubles en Turquie, et alors nous y arrivons infailliblement et puis la guerre générale. L’Empereur est pour qu’on reprenne la Syrie si on le veut ; pourqu’on ne la reprenne pas si on ne veut pas. Enfin cela lui est bien égal mais il veut un arrangement, et il faut que la France et l’Angleterre s’entendent. Voilà le ton d’hier au soir. Il aura une conférence avec Thiers ce matin, et il enverra son courrier samedi. Je voudrais bien pouvoir mander quelque chose.
J’ai reçu tout à l’heure une lettre de Matonchewitz dans laquelle il me dit qu’il venait de conjurer Paul de passer par Paris. Nous verrons si cela fera effet. Je ne crois plus à rien de bon de ce côté là.

1 heure.
Voici le 347. Excellent speech, j’en suis aussi contente que l’auditoire, vec quelque chose de plus que lui. Lady Charleville donne des routs et des dîners, depuis 50 ans. Elle m’a constamment prié pendant 22 ans ; j’y ai été une fois, mon mari jamais, parce que c’est a bore. Ne vous en laissez pas incommoder. Il y a quarante vieilles femmes comme cela vous n’êtes pas accrédité auprès d’elles.
Henriette m’a écrit avant-hier de la part de sa grand-mère pour me dire que M. Andral viendrait à une certaine heure. je l’ai attendu il n’est pas venu, mais la menace de sa visite m’a fait du bien. Je suis mieux depuis deux jours. J’écris à mon frère je ne sais quoi car je n’ai rien, donnez-moi.
Adieu. Adieu, pauvre lettre,  mon fils me prend mon temps ; il entre à tout instant, cela me donne des fidgets et je ne puis rien faire.
Adieu, God bless you. Je suis bien contente de vous savoir plus transquille, et de savoir ici positivement que vous avez raison de l’être.
Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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349. Paris, Mardi le 2l avril 1840
9 heures

Je commence par vous donner des nouvelles de Pauline. Je l’ai vue hier. Sa mine est très différente de celle de l’autre jour. elle a l’air animé. Le teint, les yeux, tout est mieux elle cause gaiement. Les autres étaient allés se promener ainsi tranquilisez vous tout-à-fait. J’ai fait un peu de bois de Boulogne seule, une visite à la petite princesse, mon diner solitaire, la soirée chez Lady Granville. J’avais dû y diner mais tout-à-coup cela m’a ennuyé et je n’y suis venu qu’après. Il y avait la diplomatie et l’Angleterre car il y a beaucoup d’Anglais ici dans ce moment. Je ne sais si on sait votre médiation on ne m’en a pas parlé, et je me suis tue. J’ai reçu hier une lettre de mon banquier à Pétersbourg. Mon frère se refuse tout-à-fait à se mêler de la vente de la vaisselle ; cela lui déplait, et il veut que Bruxner ait mes pleins pouvoirs et non pas lui. voilà qui va faire encore un très long delai, d’autant plus que la saison n’est plus favorable à des ventes. Les autres effets ont été vendus, c’est peu de chose, il m’en revient 6000 francs. Je vous dis toutes mes affaires.

10 h 1/2
Je rentre des Tuilleries. Il fait froid mais beau. Cependant ce temps sec m’est odieux, je ne respire pas à l’aise ; la pluie me ferait tant de bien. Je viens de lire les journaux, la
médiation y est.
J’ai prié Madame votre mère de m’envoyer M. Andral. Elle l’attendait hier soir. Rothschild est venu m’interrompre. Il me donne de très bonnes nouvelles sur votre compte.

Mercredi le 22 9 heures
Mon mot d’hier écrit à toutes les heures, a été interrompu par l’arrivée de mon fils. Appony l’avait précédé. Tout cela ensemble a fait qu’il était trop trod pour espérer gagner la poste. Vous n’aurez donc pas de lettres demain ; mais au fond cest juste mon mardi sera votre jeudi. Le mardi est un bien vilain jour. (interruption, mon fils)

10 heures, Voici votre lettre ; dieu merci vous êtes rassuré pour Pauline et vous avez tout lieu de l’être. Je ne trouve aucun changement dans votre mère. Elle est tout-à-fait comme je l’ai vue à mes autres visites. Et point inquiète. seulement préoccupée de votre inquiétude.  Je ne suis point d’avis que vous la laissiez quinze jours, sans lui dire votre résolution. Le vague est toujours ce qui tourmente le plus, ainsi l’idée du voyage, de la traversée, d’un nouveau lieu à habiter tout cela doit lui tourmenter l’esprit. Quand vous lui aurez dit le Val Richer, je suis sûre qu’elle en sera plus tranquille du moins je serais comme cela à sa place, et puis dites lui que vous viendrez la voir en été ; trompez la un peu, ici c’est nécessaire, cela lui ferait peut être du bien.
Décidement vous aurez Lord Palmerston à dîner vis-à-vis de vous. N’étant pas à côté le vis-à-vis est la premiere place, et elle lui revient. Dans vos convives, voici la hiérarchie. Le Président du conseil. Le Pristy seal (Clarendon). Le duc de Wellington, le marquise de Normanby, Lord Minto, &. Mais Melbourne comme premier ministre doit absolument être auprès de vous. Lui et Landsdowne à vos côtés. Wellington et Clarendon auprès de
Palmerston. Soyez sûr que j’ai raison, et ce conseil est moi et Granville ensemble. J’ai dîné avec mon fils. Le soir j’ai vu Granville, mon ambassadeur,  le Duc de Noailles, Ellice, Capellen, les Durazzo. Granville avait été un peu blessé des termes dans lesquels le Constitutionnel avait annoncé la médiation. Il a fait modifier dans le Moniteur parisien. Le duc de Noailles regarde cette affaire comme un grand succès pour vous et une très bonne affaire pour le ministère. Il dit c’est heureux et habile.

1 heure
Je ne puis pas être à Londres dans une auberge d’abord et puis chez les Sutherland. Il faut tout-à-fait l’un ou tout-à-fait l’autre. Autrement, cela n’aurait pas de sens, et je touve l’un beaucoup plus convenable que l’autre. Je suis sûre que je vous en ferais convenir si je vous parlais. Ils ne seront à Londres qu’après les vacances de la Pentecôte. Je pourrais bien me trouver dans les environs de Londres avant, et j’y ai pensé déjà. Je vous prie d’y penser aussi. Il me semble que Norwood est ce qu’il y a de plus près, ou bien Hamstead, si depuis mon temps il y a quelque bonne auberge établie là. Informez-vous en. J’y passerais quelques jours. Vous m’y viendriez voir, mais on  ne saura que j’y suis que lorsque je le voudrai. Norwood est au midi de Londres en passant Westminster bridge. Hampstead au nord par le Regents park. Ceci vaudrait mieux peut-être, c’est plus près de chez vous. Il y a de mauvaises nouvelles de Bruxelles à ce qu’on disait hier au soir. La Reine était menacée d’une couche prématurée. Ceci pourrait faire des delais dans la noce. On parle beaucoup d’un sermon à St Roch. L’abbé Cœur a fait un discours superbe sur l’amour de l’or, la Reine s’est fâchée, et n’a plus reparu à St Roch. Je suis étonnée qu’elle ait fait cela, mais s’est parfaitement vrai et parfaitement connu. C’est dommage. Mon fils est très bien, et très bien pour moi, il me parait avoir et du regret et de l’étonnement de ce que Paul ne soit pas venu. Il ditqu’il lui a écrit sur ce sujet très fortement. Mais cela n’y fera rien. Dans ce moment il entre, pour me dire qu’il faut qu’il soit à Londres dans 6 jours. Je ne replique rien. Je n’ai plus d’opinion sur ces choses là. Je n’en parle pas et j’essaye de n’y pas penser.
Ellice passe son temps avec Thiers. Il y déjeune il y dine, il se promène avec lui même. Et il bavarde à tort et a travers. Il veut maintenant que les Etats-Unis demandent la médiation de la France dans sa querelle de frontières avec l’Angleterre. Il est très certain que votre affaire de Naples aura un grand éclat comme attestation de bonne intelligence entre Londres et Paris, et vous en avez l’honneur.
Adieu. Adieu. Je vous écris très à batons rompus ; car mon fils m’interrompt  à tout instant. On me fait dire que Pauline va bien. Andral n’est pas venu. Adieu, adieu beaucoup de fois.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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348. Paris Lundi 20 avril 1840, 10 heures

Après ma promenade au bois avec Marion, j’ai eu une longue visite de mon ambassadeur. Il est très confiant, et peut être même un peu plus defférent que jadis. A propos Je modifie l’article duc de Bordeaux en ceci : qu’on essaye de le dissuader de venir en russie. Mais cette confidence directe a flatté, et a fait dire que c’était la premiere parole agréable qui ait été reçe ici de la part de l’Empereur.
Les Ambassadeurs donnent raison au mien au sujet des visites de ministres. Ils lui doivent les avances ; aucun n’est venu. Cela le dispense de faire leur connaissance. Il me parle beaucoup de Brünnow, et voudrait bien que j’ecrivisse à mon frère à son sujet, c’est-à-dire pour montrer l’inconvenance de ce choix. Je lui dit que je ne m’en mélerais pas d’ici, mais qu’une fois à Londres, je dirai peut être ce que j’en pense après avoir vu. J’ai dîné hier chez les Appony. On m’a fait entendre M. Liszt pianiste d’une grande célébrité. C’est un possédé, un enragé, faisant des merveilles, à me faire fuir. De là, un moment chez les Granville et puis chez Brignoles. Il me semble que Naples va mal. Votre médiation y fera-t-elle quelque chose ? Il y avait beaucoup de monde en Sardaigne, mais rien qui
vaille la peine de vous être redit. J’ai reçu à mon reveil une lettre d’Alexandre de Marseille. Il sera ici demain, je crois. Je m’en réjouis bien, mais j’imagine qu’il ne fera que passer pour aller trouver son frère reviendra-t-il après l’avoir vu ?Voilà ce que j’ignore.

Midi
Je viens de recevoir votre lettre. Je suis charmée de vos succès. Lord Granville m’avait dit un mot hier, mais qui ne me paraissait pas aussi catégorique. Vos inquiétudes me chagrinent extrèmement, mais vous aurez été rassuré. D’abord pas de rougeole et puis Pauline va mieux. Le lait d’ânesse, administré à tout le monde fait du bien à tous. J’ai des nouvelles tous les matins. Je crois que j’enverrai chercher M. Andral ; je ferai demander chez vous où il demeure; le vent d’est persévère, mais cependant je ne puis pas être malade seulement du vent.
Adieu ; je vous envoie la lettre de Lady Clanricarde par votre foreign office, mais je fais bien je crois de vous envoyer ceci par notre voie ordinaire.
Adieu, adieu, tranquilisez vous et soignez vous. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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347/ Paris Samedi 18 avril 1840
6 heures

J’ai fait trois heures de bois de Boulogne avant cela j’ai été chez les Granville. Je confirme parfaitement mon conseil de ce matin pour les places à votre dîner, car j’ai consulté Granville. Si vous aviez un collègue ambassadeur, Esterhaz pas exemple vous en auriez fait la maîtresse de la maison. Cela n’étant pas, vous demandez cet office d’amitié à Lord Palmerston comme celui du ministres Anglais avec lequel vous êtes dans les rapports les plus intimes. Comme la hiérarchie anglaise ne permet pas qu’il soit votre voisin ; c’est lui qui doit être placé vis à vis. Et comme je vous l’ai dit le Chancelier à votre droite, le président du Conseil à votre gauche et aux deux côtés de Lord Palmerston, le Duc de Wellington et Lord Melbourne. N’oubliez pas tout ce petit arrangement. C’est Lord Palmerston qui portera la santé du Roi, à quoi vous répondrez un moment après par la sante de la Reine. Le Roi ici se dit très content de son entrevue avec Pahlen, elle a été longue. Ce qui a fait particulièrement plaisir au Roi est l’assurance qu’il lui a portée que le Duc de Bordaux ne viendra pas en Russie. Il a été informé qu’il ne serait pas reçu. Je crois vous avoir constamment donné cette assurance aussi, sans qu’on m’ait chargé de vous l’annoncer. Vous voyez que je sais deviner juste.
Granville et Ellice dinent aujourd’hui chez Thiers. Granville croit fermement que le Roi est bien disposé pour Thiers maintenant. Je crois que Thiers ferait bien de ne pas le croire aussi fermement que Granville.

Dimanche 11 heures
On va mieux chez vous. Je m’en rejouis beaucoup, beaucoup. J’y ai passé hier au soir, et je viens d’y envoyer ce matin. J’ai dîne seule hier. Mad. de Castellane m’a fait savoir que les Belligioso seraient chez elle. Je n’y ai pas résisté, et j’ai chassé le duc de Noailles et Ellice qui étaient même chez moi de bonne heure.
Ellice avait dîné chez Thiers ; de là il avait été chez le roi. Thiers se plaint du vote de la Chambre des Pairs c’est-à-dire de 53 boules noires. à quoi Ellice rit bien fort, et lui montre 9 voix de majorité aux communes et 100 voix de minorité à la Chambre des Pairs. Le tout très suffisant et satisfaisant pour les Ministres.
Voici votre N°344. Je prévoyais votre inquiétude. Vous exprimez si bien tout ce que je pense, sur ces sujets là. Vous entrez si avant dans ce que le cœur peut renfermer d’amour, d’angoisse ! Enfin ; rassurez-vous, il parait vraiment qu’ici, on n’est pas inquiet de Pauline du tout. Seulement il faut des soins, de grands ménagements. Je suis pour le Val-Richer. Du Bon air. Celui de Londres est décidement lourd et mauvais, vous le sentirez cet été et tout ce que cela donne de blue devils! Je vous envoye ceci quoiqu’une si pauvre lettre. Je n’étais pas bien hier. Je me suis presque trouvée mal chez Mad. de Castellane quoique je m’y plusse. (dit-on comme cela ?). Il n’y avait personne que les chanteurs, M. Molé, M. Rossi, et Médem. Mais tout à coup il m’a pris un abominable vertige, et j’ai eu de la peine entrer chez moi. Je suis mieux ce matin. Adieu. Adieu, mille fois adieu.
Je vous enverrai demain la lettre de lady Clanricarde par le bureau des Affaires étrangères. La grande dduchesse Marie est accouchée cinq jours avant les 9 mois écoulés depuis son mariage.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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345 Paris jeudi 16 avril 1840,
6 heures

J’ai été chez votre mère. J’ai vu Henriette. Elle a le visage bouffi, mais votre mère dit que c’est tout bonnement ses joues, et qu’elle est engraissée. La crainte de la rougeole se dissipe On ne croit pas qu’elle l’aie. Pauline était dans son lit. Je ne l’ai point vue. Guillaume se porte bien votre mère n’a pas l’air inquiet du tout, mais l’idée de votre inquiétude la préoccupe. Voilà exactement ce que j’ai trouvé dans votre maison et dont je vous rend un comple fidèle. J’ai vu Granville. Il a l’air d’être dans la confidence du délai de la reception de Pahlen. Le Serra Capriola attend aussi, parce que lui aussi n’était pas pressé d’arriver. 

Vendredi 17, 8 heures
J’ai dîné seule. Je me suis fait trainer en calèche après le dîner. Le soir j’ai vu Appony, Armin, l’internonce. Pahlen était venu deux fois dans la matinée ; je l’ai manqué. Et le soir il court les petits spectacles pour commencer peut être aussi n’aime-t-il pas rencontrer des questioneurs avant d’avoir été au château. Je crois que la semaine se passera sans audience. Appony n’a encore rien eu de sa cour sur l’affaire de Naples, mais on dit qu’il y a grande rumeur à Vienne sur ce sujet. Vous saurez cela mieux sans doute.

10 heures
Je viens de parcourir le journaux. Ils disent que M. de Pahlen a eu son audience, par conséquent les Ambassadeurs et moi nous étions mal informés J’ai envoyé à la rue de la Ville l’Evêque. Henriette n’a pas de rougeole, et Pauline a assez bien passé la nuit. Voilà le bulletin. J’ai eu hier une très longue lettre de lady Palmerston. Elle me dit que vous allez demain à Holland House pour deux jours. J’en suis bien aise. Cela vous fera plaisir. Elle parle extremement bien de vous, décidément vous lui plaisez beaucoup. Lord Grey m’écrit avec aigreur sur toute chose et tout le monde. A propos, il me dit qu’Ellice est très peu bienveillant pour les Ministres Je vais voir cela tout à l’heure, il arrive aujourd’hui. Lord Grey me dit qu’il n’a fait que vous entrevoir, qu’il n’a pas d’occasion de causer avec vous. J’en suis fâchée. Je voudrais qu’il vous entendit. Est-ce que vous ne vous êtes point fait visite? Il serait convenable de demander à aller voir lady Grey c’est une très respectable personne. Je vous envoie cette pauvre lettre, elle vous trouvera au milieu de cette belle verdure de Holland House. Il n’y a pas d’arbre que je ne connaisse. J’y venais souvent souvent le matin, lorsque les Holland étaient absents. J’y restais des heures entières. J’écris aujourd’hui à la duchesse de Sutherland ; je parle du mois de Juin sans préciser le moment, car eux-même seront absents la première quinzaine et ne pourraient pas me recevoir alors. J’explique un peu mes jambes. Coucher au second est absolument impossible, il y a 90 marches. S’ils ont encore à me donner l’appartement du rez de chaussée, je serai fort contente d’être chez eux. J’apprends que Paul part à la fin de ce mois-ci pour la Russie. Il n’est donc pas vraisemblable que son frère le voie avant, ce qui pourrait fort bien faire qu’Alexandre ne vint pas du tout ici. Encore ce mécompte.
Je n’ai point de lettres de vous depuis avant-hier, et voici 1 heure. Il n’est pas vraisemblable qu’elle vienne, j’en suis fâchée. Adieu. Monsieur, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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344 Paris Mercredi 15 avril 1840
6 heures
J’ai eu une longue visite des Appony. J’ai fait une longue promenade au Bois et me voilà. Le Roi n’a pas encore reçu M. de Pahlen. C’est de l’intuition et c’est juste. M. de Pahlen, de son côté n’avait pas perdu un moment pour demander l’honneur de faire sa cour, car lundi à 10 h. du matin il était chez Thiers pour le demander. Il n’a pas encore reçu d’avis. Médem aura je crois l’ordre de se rendre à son poste bientôt. Il est parfaitement clair que c’est une disgrace dont on lui ôte cependant le droit de se plaindre. On a détaché du poste de Stuttgard celui de Darmstadt qu’avait Brünnow aussi. Ce qui diminue la paye et beaucoup d’agrément, vu les projets de mariage. J’ai une lettre de mon frere, simplement pour me suplier d’écrire vu que mes lettres sont si intéressantes. Quelle rage de me dire toujours cela par la poste ! Il médite une petite vilénie. Je leur dirai qu’ils n’auront plus de lettres intérissantes s’ils ne me renvoient pas ma correspondance avec le comte de Nesselrode. Je veux absolument la ravoir.

Jeudi le 16. 10 heures
Je vous écris un mot avant d’aller prendre l’air. J’ai besoin d’air mais j’ai besoin de vous aussi, et davantage. Je n’ai rien vu d’intéressant hier au soir que le Duc de Noailles, il est satisfait de lui-même. C’est à bon marché, mais je flatte avec plaisir son illusion parce qu’il me plait au fond c’est un esprit plus sérieux que la plupait des gens avec qui je vis. Bon dieu qu’il a envie des Affaires. Il les ferait très bien très
proprement j’en suis sûre. Il convient que jamais les affaires extérieures de son pays n’ont été dans des mains plus habiles qu’à présent, et que si on échoue la faute en sera aux événements et non aux hommes, en effet c’est une grande ambassade que la vôtre. Avec lui, je sais vous louer. Je ne sais pas ce qui se passe en fait de souffres. Le Pce Castelcicala est toujours ici. On dit que c’est un sot et un brutal. Génie me dit que vous avez parlé dans quelques lettres à lui ou à Mad. de Meulan d’une visite de quelques jours qu’elle pourrait vous faire. Permettez-moi de vous dire que vous avez tort. For long or short, il ne faut pas qu’elle aille en Angleterre. Ou on médira ou on en rira. Si vous ne la montrez pas, on croira que c’est quelque charmant objet. Si vous la montrez vraiment, convenez que c’est trop fort ! Ainsi, sandale, ou ridicule, vous ne sortirez pas de ces deux alternatives. Je vous dis des choses brutales mais vraies parce que je serais bien fâchée de cette tache à votre bonne situation à Londres. Et que votre longue habitude de Mad. de Meulan et de quelques bonnes qualités ne vous trompent pas à son sujet. Je vous déclare que moi, je n’ai jamais manqué de rire un peu quand je la voyais entrer dans un salon avec vous... Moi, c’est le public.

Mardi
J’ai envoyé savoir des nouvelles de Pauline, et on m’a répondu par des menaces de rougeole. Je ne sais si c’est elle ou Henriette. Je vais aller moi-même y regarder. Je suis inquiète parce que vous allez l’être, point du tout parce qu’il y a de quoi. Une rougeole est une fort bonne chosedans cette saison et il faut l’avoir eue. Mais de loin on a si peur et de prés aussi, je sais cela. Je n’ai pas de bonnes paroles à dire sur ces choses. Je vous parle de Pauline parce que je suppose qu’on vous en parle, et que je veux que vous sachiez bien que tout ce qui vous occupe m’occupe, et de la même façon. J’attends mon fils Alexandre, mais j’attends une lettre avant et elle ne vient pas. Adieu. Adieu, Voici une courte lettre, je n’ai point de nouvelles à vous dire. Vous a-t-on envoyé le grand cordon, vous ne m’en dites rien? Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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343 Paris Mardi 14 avril 840

J’ai fait visite à Lady Granville hier matin, et une très longue promenade avec Marion. Je me suis même fatiguée, je suis rentreée pour me reposer. J’ai dîné seule. Le soir j’ai vu Mad. de Boigne, Razonmowsky & Lobkowitz, quelques petits hommes et mon Ambassadeur nous sommes restés seuls après onze heures. Il est très difficile de tirer de Pahlen quelque chose, cependant cela est venu. Et bien il n’y a rien de nouveau. L’Empereur est ce qu’il était, toujours la même hostilité personnelle toujours la même passion. M. de Pahlen a toujours combattu sans gagner un pouce de terrain. Il n’est chargé d’aucune parole aimable, de rien du tout. Il a vu Thiers. Ils ont un peu causé. Il lui a dit que favoriser le Pacha, c’est affaiblir la porte & que puisqu’on veut l’intégrité de l’Empereur ottoman, puisqu’on le dit, il faut lui rendre la Syrie. The Old story again and again. Voilà tout. On pense mal de tout ceci. il est bien égal qui gouverne ici Thiers ou tout autre. Cela s’en va. Je crois que je vous ai donné l’essence. Pahlen a fort bonne mine ; il est content d’être ici et de n’être plus là. Il ne parle pas très bien de M. de Brünnow, un plat courtisan dont les longues et habiles dépêches sont lardées de flatteries pour l’Empereur. On le croit un grand homme. Sa nomination a fort mécontenté en Russie. Lady Clanricarde me le mande aussi. A propos, elle m’a écrit une lettre fort spirituelle. Je vous l’enverrai, par courrier Français car elle est volumineuse. Il n’y a rien de pressé, car il n’y a rien de nouveau, mais vous la lirez avec plaisir. Le temps est doux et charmant aujourd’hui. J’ai déjà marché. Et puis j’ai fait ma longue toilette et je ne viens à vous qu’à une heure. Aujourd’hui vous dînez chez les Berry. Je suis sûre qu’elles vous donneront lady William Russell et que sans jamaisvous plaire beaucoup elle vous paraîtra une bonne ressource de conversation. L’impératrice vient en Allemagne à Erns. La grande duchesse Hélène aussi.

Mercredi 15 avril  1 heure
Je réponds au 341. Pardon de cette rature. Vous ne savez pas comme j’ai été tracassée de bêtises, toute la matinée. J’expie le péché d’avoir été lire votre lettre sur la terrasse des Tuileries, et d’y être restée avec vous et un charmant souffle du midi pendant une heure. Tout est retardé, renversé, & maintenant il faut que je vous écrive et vous aime vite, ce qui m’est on ne peut plus désagréable car il me semble que j’ai beaucoup à vous dire. Mais d’abord merci, merci de votre lettre, de Richmond de tout. Ah si vous saviez comme vous avez raison d’être ému en voyant Richmond. Toute ma vie jusqu’au 15 juin se résumait dans ce lieu Richmond. Car ce n’est que là, là que j’ai connu un vrai bonheur. Mon Dieu mon Dieu, que j’y ai été heureuse comme je le sentais, comme le disais, et comme en le quittant je me suis dit avec ferveur, ma vie est finie. Ah quel souvenir ! Je suis si occupée de l’idée que vous avez vu Richmond ; regardé ce que j’ai tant regardé, marché là où je goûtais tant de joies innocentes et pures, & vives et passionnées car je les aimais avec passion.
Je suis tellement occupée de cette idée que je ne vois que cela dans votre lettre par le premier moment des pars. Est-ce que rien ne m’avertissait que vous seriez à Richmond un jour ? Voilà que je bavarde et je veux parler.
J’ai été voir votre mère hier. Pauline est souffrante sa mine m’a un peu alarmée, mais il est vrai qu’elle a toujours l’air délicat. On me dit qu’elle est mieux aujourd’hui. Elle m’intéressait hier beaucoup. D’abord elle vous ressemble beaucoup elle a vos yeux, elle a l’air triste de cette tristesse maladive, chère petite j’espère qu’elle va se remettre par cet air doux. Je n’aimais pas l’air de ces chambres hier, un air de cave tandis que dehors il faisait si doux et si calmant comment ne pas tenir un peu les fenêtres ouvertes ? J’aurais voulu arranger cela la placer du côté du midi les autres ont une mime excellente, votre mère aussi. Il y avait une dame et deux hommes ils avaient tous l’air bien shabby. Je ne sais pas au monde qui c’était. Ils parlaient de vous comme il convient d’en parler mais dans un langage un peu banal. Imaginez que je ne sais pas faire votre éloge ce qui s’appelle éloge, c’est trop vulgaire, mais mon silence me donne un air d’intimité ou d’hostilité comme on voudra le prendre. Je crains cependant qu’on ne s’en tienne à la première explication ; et cela m’embarrasse un peu, et cependant les paroles ne viennent pas. On ajoutait, c’est cependant un poste bien difficile. Alors j’ai dit, un peu avec l’accent que vous y auriez mis, " Mais c’est pour cela seulement qu’il l’a accepté."
Voilà qui a dû avoir l’air un peu trop ménage. Je ne sais qu’y faire. Je n’ai pas vu Mad. de Meulan, j’en suis bien aise. On dit qu’elle bavarde et pérore; et qu’elle va toujours à Londres. N’a-t-elle donc pas compris ? J’ai été seule au bois de Boulogne mais bien longtemps ; j’ai dîné seule. Le soir Granville, Brignole, Miraflores, Capellen, Armin, Médem, Pahlen junior. le Senior faisait des visite, lady Landwich, le Prince de Chalais. On parlait beaucoup de la séance à la Chambre des pairs. Granville y avait été. Mais j’en ai une meilleure idée après avoir parcouru ce matin les journaux. Savez-vous que M. de Broglie n’a pas lieu d’être tout-à-fait content. M. Thiers ne regarde comme exactes que les paroles qu’il dit lui même. Est ce que cela veut dir que M. de Broglie a menti ? Je serai curieuse d’appendre ce qui l’en pense. On disait généralement que M. de Villemain avait été de mauvais goût dans son attaque contre Thiers. Thiers me parait avoir parlé très habilement.
Génie est venu me trouver ce matin, il dit que les médecins ne sont pas d’opinion que votre mère puisse passer la mer. Vous le dit-on ? Je suis très préoccupée de cela maintenant. Je voudrais que vous eussiez plein contentement dans les projets que vous me dites à cet égard. Génie ne le croit guère. Je passerai à votre porte pour savoir moi-même des nouvelles de Pauline. Ai-je quelque chose à vous dire encore ? Je n’en sais rien. Je suis pressée. Mad. Appony s’annonce et je veux avoir fermé ceci. Je savais bien que Holland House vous plairait, et bien voilà ce caractère qu’ont tous les chateaux anglais, en y ajoutant une même magnificence, qui elle aussi atteste la durée. Tout y est vieux respectable respecté et puis le luxe, le soin, le confort par dessus le marché. Ces Anglais sont trop heureux ! Il n’y a pas de grandes existences à côté de celles-là. Adieu, je vais écrire à la Duchesse de Sutherland, ils m’attendent chez eux. Mais il faut qu’ils sachent que je ne puis pas monter d’escaliers, et je ne sais pas s’ils ont encore à me donner un appartement au rez de chaussée ; car coucher au second, j’aime mieux coucher dans la rue. Pardon de cet horrible griffonnage ; ma main tremble, je crois que ce changement de temps subit m’agace les nerfs.
Adieu, adieu, à demain.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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322. Paris, Mardi 10 mars 1840, Dorothée de Lieven à François Guizot

Paris, mardi 10 mars 1840,

Lord John Russell a été ma seule visite du matin hier. J’en ai fait une à Mad. de la Redorte qui est bien malade. Elle est inquiète pour le ministère. On jase beaucoup, il y a assurément une grande incertitude dans les esprits et la situation du nouveau ministère n’est pas triomphante. Cependant on croit qu’il aura les fonds secrets. Je me suis promenée avec Marion au bois de Boulogne, j’ai dîné seule. Le soir j’ai vu Lady Granville et sa fille, la famille Poix, les Durazzo, Brignole, Aston, M. d’André, le hanôvre. Je ne sais ce qui prend à Modem, mais il ne vient plus. Lady Granville sortait du salon du Maréchal Soult où la diplomatie s’était donné rendez-vous. Aujourd’hui sera le tour de M. Molé. J’ai fort mal dormi encore. Je ne me porte pas bien, sans être absolument malade ; si ce malaise dure cependant il me faudra M. Verity. Le vent d’Est ne me va pas du tout.

Il me semble que vous dînez chez le duc de Sutherland aujourd’hui. On ne sera plus embarrassé où vous placer à table. Je vous vois à côté de la Duchesse tournant le dos au jardin ; moi je serais à l’autre extrémité bien loin de vous ; mais dans la même chambre ; aujourd’hui dans un autre pays !

6 heures

Lord John Russel et Appony sont venus me voir. Le premier a tout bêtement de l’esprit et une bonté de cœur parfaite. Il me raconte peu à peu tout, avec beaucoup de finesse, de vie. A propos, il vous conseille de vous défier de notre ami Ellice ; la plus grande commère de Londres. C’est bon pour dîner et mille petits services, mais pas bon pour des confidences ; au reste celles-là, vous aurez soin de n’en faire à personne. Il me semble d’après votre lettre que M. de Brünnow se met en grande froideur avec vous. A propos, Appony me dit qu’on a envoyé l’ordre à Barante de rester à Pétersbourg jusqu’à la dernière extrémité. C’est drôle!

J’ai vu Granville chez sa femme. Il croit que le ministère tiendra. Au moins cela n’a pas encore grand air. Médem se donne les apparences d’être moins lié avec Thiers qu’il ne l’est en effet. Voilà les observations de la diplomatie. Tout ceci aujourd’hui  fait un spectacle curieux à observer. Granville aussi m’a parlé du grand succès de votre dernière dépêche. A propos il dit que les difficultés du mariage Nemours sont aplanies et qu’il se fera après Pâques. Il me semble que je vous raconte tout ce que vous devez savoir par d’autres.

Mercredi 11 –

M. Jaubert est venu me voir hier un moment avant mon dîner ; il est très poli, et n’a pas l’air très soucieux. Il parle de  vous avez grand respect. M. de Pogenpohl a dîné avec moi ; mon monde m’est venu de bonne heure. Pahlen, Médem, Caraffa, Brignole, le Duc de Noailles, Bacourt, Mad. de Contades. Cette petite femme me plait tout à fait. Je n’ai pas causé avec le duc de Noailles. Médem est resté tard. Il m’a répété que Barante restera à Pétersbourg, quand même. L’Empereur regardait à sa montre pour calculer l’arrivée des réponses de Paris aux gesticulations. Médem est le seul diplomate qui n’ait point dîné hier chez Thiers, il dinait avec M. Molé chez M. Greffulhe. Il y a été le soir. Un monde énorme. Rien des 221 que le Gal Bugeaud. M. de .Broglie y était, Odillon, Barôt. Voilà !

Ce que vous me dites du lever de la Reine est très original et très vrai. Je suis curieuse de l’effet que vous aura fait le Drawing room, et de ce que vous mettez comme pendant à : Sérieux, sincère et gauche.

J’ai fait venir Verity hier au soir. Je ne suis pas bien, et je ne sais pas dire ce que j’ai . J’ai de l’ennui, de la tristesse, un gros gros poids sur le cœur, et je me sens malade.

1 heure. Voici le 321 que je vous remercie du plaisir que vous me faites ! Car vous ne savez pas avec quel plaisir je reçois, je lis vos lettres ! Je suis charmée que Lord Melbourne vous plaise, parce que je suis sûre alors que vous lui plaisez aussi. Il me semble que Londres vous plait en général beaucoup. En tous cas votre journée est bien remplie, vous êtes bien heureux.

Jeudi 12 mars, 9 heures

L’infaillible Lord William est encore venu hier pendant mon luncheon. C’est une excellente et douce créature, avec un esprit d’observation très fin. En général vous ne concevez pas combien les Anglais ont de cela, rien ne leur échappe. Il pense que vous vous arrangerez mieux de Lord Melbourne ou d’autres que de Lord Palmerston, mais il ajoute que celui-ci est assez jaloux des relations des Ambassadeurs avec ses collègues. Cela n’est cependant pas une raison pour n’en pas avoir, car en définitive, s’il s’agit d’une résolution à prendre, c’est le Cabinet et non Lord Palmerston qui décide. Que je voudrais causer avec vous! Car vous m’écrivez beaucoup, mais vous ne dites pas tout. Il n’y a de vraie confiance que dans la parole.

J’ai fait visite à votre mère. Je l’ai trouvée seule. Je ne sais pourquoi cela m’a saisie, et dès le premier moment la disposition a tourné à l’attendrissement. Je sentais tellement les larmes me monter aux yeux que pour échapper au ridicule, j’ai dit quelques paroles qui pouvaient les légitimer ; cela est venu naturellement après qu’elle m’eût dit qu’hier était un triste anniversaire pour vous. Ah, il y en a pour d’autres de plus cruels encore ; j’ai fondu en larmes. Votre mère m’a regardé avec plus d’étonnement que d’intérêt ; du moins c’est ce qui m’a semblé. En général je ne suis pas sûre que je lui plaise. Pour elle, elle me plait beaucoup ; si simple dans tout ce qu’elle dit et tout ce qu’elle fait ! Elle donnait quelques ordres pour des chemises ; elle a tiré de son armoire des gâteaux pour les enfants ; tout cela s’est fait comme si je n’y étais pas. J’ai été charmée de me trouver tout à coup initié aux détails du ménage. Je suis restée une demi-heure. Vos enfants vont à merveille, et très aimables pour moi. De là, j’ai fait la visite à Mad. Durazzo, et la petite princesse. J’ai dîné seule. Le soir la princesse Lebkowitz est venue jouer chez moi avec M. Durazzo, Fullarton et Greville. Moi, j’ai causé avec le Duc de Noailles, lord Granville & Arnim. Granville croit plus fermement tous les jours que le vote sera en faveur du nouveau ministère. Décidément toute la gauche est venue au premier mardi. M. de Broglie y avait dîné. Les légitimistes n’ont pas encore décidé ce qu’ils feront ; ils se réuniront samedi pour cela. Thiers est inquiet de l’apprendre. J’ai eu ce matin une lettre de mon fils de Naples. Il sera ici à la fin d’avril. Lord Brougham m’écrit de Cannes. Il ne parle pas de revenir. Les Clanricarde seront en Angleterre au mois de mai.

Le mariage Darmstadt se fait décidément.

Verity vient, mais mon mal ne s’en va pas.

Adieu, adieu. Ecrivez-moi beaucoup. J’aime tant vos douces paroles ! Adieu.

Génie est chez moi dans ce moment et m’assure que je fais mieux de lui remettre ma lettre.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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318. Paris, le 1er mars 1840, dimanche

10 heures

Après avoir fermé ma lettre hier, je suis allée chez votre mère. Le cœur m’a battu en entrant. Elle m’a reçue avec bonté. Vous ne sauriez croire comme elle me plaît. C’est un visage si serein, un regard si intelligent et si doux, et même gai.

 Je l’ai beaucoup regardée. Quand je ne la regardais pas, il me semble qu’elle me regardait aussi. Le Duc de Broglie y était, et y est resté. Il a parlé de la situation tout le temps. Pourquoi le Duc de Broglie a-t-il cet air moqueur et désobligeant ? Je conçois qu’il ne plaise pas. Moi, je l’aime assez malgré cela, et malgré autre chose que je déteste et que j’ai découvert en lui hier. Il a commencé par dire qu’il ne savait absolument rien ; que depuis trois jours il n’avait vu personne du tout ; et puis il nous a raconté son entretien avec le Roi, la veille, et un long entretien avec Thiers le soir, et puis, et puis, tout ce qui se passe. Pourquoi commencer par mentir ? Vous savez l’horreur que j’ai de cela. Si jamais je commence, moi, je continuerai. Mais il me semble que je suis trop fière pour commencer. Les Français ont décidément l’habitude du mensonge ;  je ne connais pas d’Anglais dans lequel j’aie surpris ce défaut. Voyez bien et vous trouverez si je dis vrai!

 Mais je reviens à la rue de la Ville-l’Evêque. Vos enfants ont couru à ma rencontre dans la cour, cela m’a fait plaisir. Ils ont une mine excellente, surtout Henriette. J’ai demandé à votre mère de me les envoyer ce matin pour voir passer le bœuf gras, elle ne le veut pas à cause de leur deuil. Votre mère a été bien polie et affectueuse pour moi.

Delà je fus chez Lady Granville qui est bien malade ; elle n’avait pas dîné ni assisté à la soirée la veille. Nous avons causé pendant une heure, elle et son mari, du nouveau ministère, de votre situation ; il ne sait trop qu’en dire. Moi, je ne me permets pas d’avoir une opinion devant les autres ; j’attends que vous ayez pris votre parti.

J’ai été rendre visite à Mad. Sebastiani sans la trouver. De là chez les Appony qui sont consternés. Appony ne conçoit pas le Roi, et il ajoute qu’il n’aura certainement aucune affaire à traiter avec Thiers, et qu’il entre en conséquence en vacances.

J’ai dîné seule. Le soir la diplomatie est venue. Granville croyait savoir que la nomination du ministère avait été mal accueillie à la Chambre. Médem est enchanté de n’avoir plus Soult et d’avoir Thiers. Il est tout remonté. Brignoles n’a pas d’opinion.

Quand aurai-je mes lettres ? à propos notre correspondance ! Cela ne sera plus très commode. Cela prouve bien votre situation naturelle vis-à-vis de ce ministère.

Bulwer est très malade, je ne puis pas le voir. Il m’écrit ce matin ce matin & me dit qu’Odillon Barot est très piqué contre Thiers qui ne l’aurait pas même consulté pendant la crise. Cela n’est pas trop d’accord avec d’autres avis.

Midi

Génie sort d’ici, il a un peu ébranlé mes opinions d’hier, par les récits qu’il m’a faits de ses entretiens avec vos amis. Il faut attendre ; mais si on tire à gauche, revenir sur le champ : voilà ce qui me paraît ressortir des avis les plus sages. En attendant, la puissance de Thiers me paraît établie dans tous les départements du Ministère.

J’attends votre lettre , car on me dit qu’il y a un gros paquet au bureau de l’hôtel des Capucines.

1 heure

La lettre n’arrive pas. La voilà. Je vous en remercie.

Lundi 2 mars, I heure

Je ne sais pas trop comment vous envoyer cette lettre. Cependant, jusqu’à nouvel avis, je ferai comme vous me l’avez indiqué. Lundi et jeudi au bureau des Affaires étrangères et samedi par la poste.

J’ai été voir hier les trois malades, la petite Princesse, Lady Granville & Mad. Appony. Même fureur chez ceux-ci. Il veut aller au château ce soir.

J’ai eu à dîner M. de Pogenpohl. Ah! mon Dieu, Dimanche passé c’était autre chose! Le soir j’ai été faire visite à Mad. de Castellane; mais quoique j’aie tenu bon jusqu’à onze heures, M. Molé n’y est pas venu, je le regrette. Mad. de Castellane est fort opposition. En bonne catholique, elle a une sainte terreur de M. Vivien. Outre ces faits là, je n’ai rien relevé dans sa conversation.

Lord Palmerston mande à Lord Granville que dimanche il devait avoir un long entretien avec vous. Vous voilà lancé dans les affaires, les dîners et les fêtes. Je crains que, pour commencer, le Duc de Sussex ne vous ait fait longtemps rester à table. Je vois tout cela, et un peu tout ce que vous en pensez. Votre première impression de Londres m’a divertie. Elle est vraie; je n’oublierai pas vos colonnettes et vos figurines.

J’ai fait venir mon petit brigand et l’ai envoyé chez votre mère avec des nappes de Saxe. Elle choisira ; il a tout ce que vous demandez. Les services ordinaires pour 12 personnes, étonnamment bon marché, 129 francs.

Je n’ai de lettres de personne.

Le temps est  toujours brillant et froid. Ceci ne me plait pas ? Je crains la grippe des ambassadeurs. Je ne marche pas.Adieu, il me semble que je vous ai tout dit, tout ce que peut porter une lettre. J’aurais mieux dit à la chaise verte. Ah! que cette chambre est vide! Adieu. Adieu.

Auteur : Chateaubriand, François-René de (1768-1848)
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Chateaubriand mentionne les Essais rédigés par Eliza Dillon et rassemblés et publiés par Guizot en 1834 après le décès d'Eliza Dillon en 1833.

  • De Corinne
  • De Lord Byron
  • De la charité et de sa place dans la vie des femmes
  • Un Mariage aux Iles Sorlingues, poème en prose
  • Le Maître et l'Esclave (pour la Société des traités religieux) (Conte), 1828
  • L'Orage (pour la Société des traités religieux) (Conte), 1828
  • Caroline ou L'Effet d'un malheur
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