Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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287 Du Val Richer, Lundi 14 oct. 1839 8 heures

Je ne comprends pas que vous n'eussiez pas vu Génie samedi à une heure et demie. Il m'a quitté à 6 heures emportant une lettre pour vous. Il faut qu’il ait eu quelque affaire obligée. Il vous aura surement vue, dans la journée.
Je suis arrivé hier à 4 heures, point fatigué. Il fait beau, mais je tousse toujours un peu. Je trouve en arrivant quatre invitations à dîner. Je les refuse toutes en disant que mon médecin veut que je me repose pendant le reste de mon séjour à la campagne. Mes enfants sont à merveille. Ma mère pas trop. Rien de grave cependant.
Le procédé de M. Jennison est en effet choquant. Mais il n’y a que lui qui puisse en souffrir. Vous avez votre bail signé. S’il ne voulait vous rien vendre, vous auriez un peu plus d'affaires pour votre arrangement voilà tout. Mais il vous vendra ; ne lui achetez pas plus, et ne le payez pas plus cher que vous ne voulez. Le monde est juif. La dispersion de la race juive a infecté le monde

9 heures et demie
Sans nul doute, les questions à votre fière sont trop péremptoires et il vaut mieux attendre. Quoiqu'il n’y ait rien d’impossible, il me paraît impossible que vous ne receviez pas bientôt la copie textuelle de l’arrangement définitif. Nous verrons alors ce qui manquera. Je vous enverrai demain matin une lettre pour le directeur des Douanes. Vous prierez Génie de la lui porter et de suivre cette petite affaire. Il faut toujours un homme à la suite d’une affaire. Rien ne se fait tout seul. Adieu.
Je trouve ici une foule de petites affaires à régler, et de lettres insignifiantes auxquelles il faut pourtant répondre. Adieu Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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290 Du Val-Richer, Mercredi soir 16 oct 1839 9 heures

La note de Bruxner est évidemment très obscure. Cependant en voici le sens. Quand il dit : " Nous avons à attendre incessamment l’autorisation nécessaire pour faire payement à M. le Comte du solde stipulé &. " Il veut dire qu’il recevra incessamment de vos fils, l'autorisation de remettre au comte votre frère, comme votre fondé de pouvoirs, le solde stipulé dut, savoir 14 000 roubles argent pour l’année de revenu et 24 000 roubles & &. Il me semble que ces 14 000 roubles argent doivent faire, les 60 et quelques mille francs sur lesquels vous comptiez. Ce que je ne comprends pas, c’est que vous n’ayez pas encore reçu l'acte signé qu’il vous annonce. Votre frère a certainement négligé de vous l'envoyer. Il lui a paru que puisqu'il avait fini, lui, c'était assez pour vous. Il est impossible pourtant que vous ne le receviez pas bientôt.
Puisque, lord Landsdown est à Vienne, vous aviez raison et on était mal informé. Il faudra bien que cela aussi s'éclaircisse comme vos affaires. Je ne m'inquiète pas beaucoup des vicissitudes qu’on traversera. Je crois toujours qu'elles aboutiront au même dénouement. On me mande que Thiers a dû arriver à Paris hier au soir rappelé avec tous les siens par une maladie grave de la mère de Mad. Dodne.

Jeudi 7 heures et demie
L’arrestation de Blanqui, le second ou plutôt le premier de Barbès, fait-elle quelque effet ? Ce sera un grand ennui, et un assez gros embarras pour la Chambre des Pairs. Comment jugera-t-elle autrement qu’elle n'a fait Barbés et comment jugera-t-elle de même. Je suis sûr que le Chancelier en est très préoccupé. On use bien vite les bons instruments dans ce pays-ci. Comme cour de justice, la Chambre des Pairs a fait des miracles depuis 1830. On l’en a dégoûtée. Elle n'en voudra plus faire. Le procès de Blanqui ne sera pas le seul.
Vous n’avez peut-être pas remarqué dans les journaux que Guinard l’un des principaux chefs du procès d'avril est revenu d'Angleterre et s'est constitué prisonnier pour se faire juger. Son père est mort et lui a laissé 40 ou 30 mille livres de rente. On lui a offert sa grâce. Il l'a refusée. Il veut être jugé. Tout cela ne ranimera pas les procès, ni juges, ni accusés. Mais cela fera des embarras, et des embarras ridicules. Du reste le ridicule est mort, comme tant d'autres choses. On ne se moque plus de rien, ni de personne.

9 heures et demie
Je me trompe. Le ridicule n’est pas mort. Ma bonté pour vous le ressuscite. Mais je vous le pardonne. Vous l’avez vu la première. Je rétablis les faits. On n’avait pas, autant qu’il m'en souvient, de nouvelles de Vienne. Mais on avait, de Berlin, une grande approbation, & l’opinion, positivement exprimée, qu’il en serait de même à Vienne. Du reste, vous avez raison, il y a bien du trouble dans les sources les plus pures.
Adieu. Je suis charmé de vous savoir installée, même mal. On est trop heureux quand le bien vient au bout du mal. Le contraire arrive si souvent. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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290 Paris, le 19 octobre samedi 1839

Je n’ai vraiment pas le temps ni la force de copier les papiers et les explications que m’a envoyés mon frère. J’en suis fâchée, car je voudrais vous tout montrer. J'ai fait lire tout cela hier à M. de Pogenpohl. Voici l’explication. La loi ne me donne que la 7ème part aux arendes comme aux biens fonds. Ainsi c’est en règle. Le question de la partie mobilière en Courlande a été évidemment, parfaitement oubliée. Il est d’avis que je dois la reproduire rigoureusement Paul peut refuser d'entrer en discussion, mon abandon étant complet, honorablement il ne le peut pas. Ce serait un tort de plus. Voici donc maintenant ma fortune. 2 mille francs de pension. Et le quart du Capital Anglais. Cela fera 36 milles francs en tout et pas davantage. Les 52 milles francs car ce n’est pas plus de l’année de veuve, couvriront ma dépense depuis juin et l'achat du mobilier. Je ne compte pas sur cinq sols des capitaux qui peuvent se trouver en Russie. D'abord il est clair par la lettre de mon frère que Paul ne veut pas même dire ce qu'il y a avant d’avoir touché le capital Anglais. Et quand il l’aura touché il est probable qu’il ne se trouvera rien, ou peu de chose. Les effets sont encore à partager, ma sœur est chargée de cela pour mon compte. Vous savez comme je comprendrai ses lettres. Au bout de tous mes calculs je trouve qu'en tout y compris toutes mes propres ressources, j'aurai 60 milles francs de rente & pas davantage. vous verrez que c’est exact. Mes fils auront chacun 110 mille francs de rente. Voilà assez parler d’affaires.
Le courrier de Médem venait de Londres. L'Angleterre n’a pas accepté nos propositions. Ses contre propositions ne sont pas très claires. Le question reste à peu près comme elle était mais il y a quelque rapprochement entre Londres et Pétersbourg dans l'ensemble de nos relations. J'aurai des tapis qui vous plairont. Le dîner de M. Fleichman valait mieux que son invitation. Je ne sais pas si on rappelle Ponsonby. Je le demanderai, mais j’en doute, on ne voudra pas encore fâcher Lord Grey. et les mémoires à payer à vérifier. Ah quelle bagarre, et comment vous écris je deux lignes qui aient le sens commun. Adieu. Adieu.
Je n’ai pas fait de promenade depuis 5 jours. Je ne parviens pas à bouger de chez moi. Adieu. Adieu. God bless you. Voyez comme je vous écris des lettres élégantes. Si vous me voyez entre les tapisseries, les lampistes, les marchands de bronze, et les changements de maître d'hôtel & de femme de chambre

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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291 Paris dimanche 20 octobre 1839

Je n'ai vu hier que Bulwer le matin, & Pozzo le soir. J’ai trouvé Mad. de Boigne chez lui. Elle reste en ville jusqu'à pied et puis elle va à Pontchartain pour 3 semaines. Il ne s’est rien dit, et je n'avais rien appris le matin qui mérite de vous être rapporté. Toute la Diplomatie hier est allée à St Cloud à la suite de l'accident de la veille, la Reine ne s’est pas ressenti de ce coup. Je dois très mal. Le bruit est bien plus fort ici qu'à la Terrasse. Cette nuit j’ai entendu des soupirs sous mes fenêtres comme ils ne me sont pas adressés cela m’incommoda beaucoup. Je vais aviser à des sourderies renforcées. J'ai reçu hier une lettre de mon fils Alexandre. Il restait encore à Pétersbourg jusqu'à la décision de ses affaires de service. Il ne mande que tout le reste est terminé et que Paul partait le 5 pour Londres. Il doit y être arrivé. Je suppose qu'il va entrer en relations indirectes avec moi pour l’affaire du Capital. Voulez-vous bien me dire avant d'en faire le partage je n’ai pas le droit de demander à être informée de ce que j'aurai à toucher en argent et en effets à Pétersbourg ? Si je vous ai déjà adressé cette question, pardonnez-moi la répétition. Je n’ai pas vu Tcham depuis votre lettre. Adieu. Il fait un bien beau soleil à Paris, presque aussi joli que votre Lune du Val Richer mais venez-vous chauffer ici. Adieu. Adieu. Adieu. Dites-moi si en répondant à mon frère je dois faire mention de l'oubli dans lequel on a laissé mes droits.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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293 Du Val-Richer, dimanche 20 oct. 1839
7 heures et demie

Il n’y a rien à dire sur tous ces arrangements puisque votre frère avait plein pouvoir pour transiger. Mais il a poussé l'esprit de transaction aussi loin qu’il se pouvait à vos dépends. Je suis surtout choqué que la rente de vos fils ne commence qu’en 1840, et qu'ainsi on vous enlève votre part dans la première année du revenu de la succession. On peut disputer sur les sommes. M. de Pahlen peut s'être trompé quand il a évalué une année de revenu de la terre de Courlande, à 60 milles francs au lieu de 36. On peut faire je ne sais quels calculs sur le revenu de l'arende. Mais sur ceci il n'y a point d’incertitude possible. Vos fils jouiront du revenu de la succession pendant l’année 1839 et vous, vous n'en aurez rien. Paul sait mieux les affaires que M. de Benkendorf, et s’en soucie davantage. Pourtant, je crois qu’il faut tout adopter et tenir tout pour terminé. Légalement, cela est puisque vous avez donné des pleins pouvoirs et en fait, vous ne gagneriez rien à contester. Vous ne me dîtes pas comment a été réglé le partage des meubles et si on a fini par faire ce que vous désiriez pour la vaisselle.
Médem est allé communiquer au Maréchal une dépêche de M. de Brünnow, sur le peu de succès de sa mission à Londres. Le Maréchal a répondu qu’il ne voyait pas pourquoi on lui communiquait cette pièce puisque les propositions de M. de Brünnow n’avaient pas été adressées à la France. Cela me paraît une manière de rentrer en relations sur le fond même de l'affaire et pour des propositions nouvelles. Je retire ma modeste rétractation. On ne vous a pas tout dit. Il y avait des nouvelles de Vienne non pas définitives, non pas complètes mais favorables à nos propositions.
La Maladie de Méhémet n’a rien de grave. Les affaires de la Reine d’Espagne vont bien. Le Roi de Hollande va la reconnaître. C'est le seul prince d’Europe qui ne tâtonne pas. Il tient cela de ses ancêtres les princes, à la fois les plus réservés et les plus résolus de l’histoire moderne. On va faire quelques Pairs.

10 heures
Le mobilier de Courlande n'a pas été oublié puisque Paul d’après votre lettre d’hier, en a fait insérer l'abandon complet dans l’arrangement, bétail, magasins, tout. Puisqu'il y a si exactement pensé, il se refusera à tout retour. Quand vous aurez fait l’épreuve certaine de votre revenu, s’il ne vous suffit pas, faites-vous dix ou douze mille rentes de plus avec vos diamants. A moins que vous n’aimiez mieux en vendre quelques uns, à mesure que vous en aurez besoin pour combler chaque année votre petit déficit. Vous êtes bien informée sur le courrier de Médem, et sur l'état actuel des relations des Cours. Soignez Palmerston. C’est votre point d'appui. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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296. Paris, le 25 octobre 1839
Midi

J’ai passé toute la journée dans ma chambre. Je n’ai vu personne que Thiers il est venu à 2 h. et ne m’a quittée qu’après cinq heures. Beaucoup d’Orient, presque rien que cela. Beaucoup d’esprit sur ce sujet. Ce qu’il aimerait le mieux, c’est que nous nous arrangeassions cela. Au fond c'est son vieux refrain et le refrain de beaucoup de gens ici. " Donnez-nous le Rhin, & nous vous donnerons Constantinople. " Mais il y a une petits écueil là-dedans, c’est que nous pouvons prendre Constantinople, & que nous ne pourrons ni ne voudrons donner le Rhin. Je l'ai un peu plaisante sur la coalition il a fort mal pris mes plaisanteries et a soutenu fort et ferme qu’elle avait accompli ce qu’elle s'était proposé. Tuer le ministère, que c’était beaucoup, que c’était tout, & que les gens d’esprit n’avaient pas un autre devoir. Les Turcs tous les uns après les autres, de façon à y arriver après que tout le monde sera mort. Je vous assure que je vous ai dit là tout ce qu’il a tourné et retourné pendant 3 heures. Il parle fort bien de vous, mais sans affectation, il dit qu’il est à merveille avec le roi.
J’ai eu une lettre de mon frère qui m'envoie les comptes de Brünnow. J'aurai 24 milles francs de plus que les 56 mille en tout 80 mille qui me seront remise quand je voudrai, à ce que dit mon frère. Il a jouté " Vous n'aurez plus qu’à régler la question du capital anglais Paul part pour Londres à cet effet, il a un vif désir de se réconcilier, avec vous. " (écrit comme cela.) Je voudrais voir trace de ce désir ! Ce que vous me dites de M. de Talleyrand est d'une parfaite vérité, de grandes habitudes mais pas de grandeur naturelle. Adieu.
Me voici en face d’une jolie femme de chambre, qui ne l'a jamais été mais qui a l’air si doux que je veux me résigner à toutes le gaucheries. Adieu, adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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803 Du Val-Richer, mardi soir 29 oct. 1839

J’ai écrit ce matin quelques pages qui m'ont amusé. La famille de Mad. de Rumford m’a demandé de parler d’elle dans quelque Biographie. J’ai recueilli quelques souvenirs. Les souvenirs sont un grand amusement. Mad. de Rumford avait été très bonne pour moi, il y a trente ans, quand j'étais un petit jeune homme bien inconnu. Elle a fait les deux choses qui touchent le plus en pareil cas ; elle m'a témoigné en tête-à-tête beaucoup de bienveillance dans le monde, beaucoup de considération. Je le lui ai bien rendu. Quand elle a mis à me voir souvent chez elle, plus d'importance pour elle-même que pour moi, j’y suis allé très souvent, je l’ai beaucoup soignée, et j’ai contribué à l'agrément de son vieux salon comme elle avait contribué à l'agrément de ma jeunesse. Elle en a été touchée. Elle m'a dit deux ou trois fois, en me serrant la main, avec son ton bref et rude : " Vous êtes bien aimable. "
Il y a trente ans, 25 ans, 20 ans son salon valait beaucoup ; tous les étrangers de quelque distinction y venaient. C’était une arche de Noé de bonne compagnie. Salon très peu politique, mais d’une conversation très animée, très variée. J’ai vu là les dernières lueurs de la sociabilité élégante, spirituelle, facile du dernier siècle. Il s'en fallait bien qu’elle en fût un modèle elle-même ; elle était brutale, despotique ; mais elle avait de bonnes traditions et qui attiraient tous les bons débris.
Vous me montrerez votre petite Ellice. La pauvre enfant me parait en train de déchoir. Je lui saurai toujours gré de vous avoir un peur soutenue à Baden. Savez-vous que vous m’avez vraiment inquiété pendant ce temps-là, physiquement et moralement ? Pour une personne d’un esprit aussi ferme et aussi précis que le vôtre, vous avez quelquefois, sur vous-même, la parole singulièrement exagérée ; sans le moindre dessein d’exagérer, mais parce que votre imagination et vos nerfs s’ébranlent outre mesure. De là me vient à votre sujet, un déplaisir quelque fois très pénible ; je ne sais jamais bien ce qu’il faut croire de vos impressions sur votre propre compte ; je crains de me trop rassurer en me disant que vous vous inquiétez trop. Donnez-moi un moyen de savoir exactement ce qui est ; je ne puis supporter l'idée de me tromper dans ce qui m’intéresse si vivement. Quand nous sommes ensemble, je m'en tire ; je vois. Mais de loin le doute est intolérable.

9 heures et demie
Vous avez raison sur mon préfet, et je ne pouvais pourtant pas passer le fait complètement sous silence. Je vous dirai pourquoi. Mais la chose va finir et j’espère qu’il n’en restera qu'une bonne impression. Je vous enverrai bientôt une date. Je ne veux pas vous la dire avant d'en être sûr. Je conviens de notre maladresse. Trois cents lettres en moins de deux ans et demi, c’est horrible. Adieu. Adieu. Il faut que j'écrive quelques lignes à Génie à propos de ce Préfet. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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302 Paris le 11 octobre 1839,

Prenez patience encore et lisez ce que je vous envoie. Il faut que vous me disiez maintenant ce que j'ai à faire. J'ai reçu hier une lettre d'Alexandre de Berlin. Il arrive aujourdui à Londres. Il ne veut y faire ce séjour strictement nécessaire pour régler ses intérêts là-bas ce qui veut dire recevoir sa part du capital ensuite il viendra ici. Après un petit séjour ici il va en Italie, pour revenir au printemps à Paris et puis Londres encore, et s'embarque de là avec son frère pour un second voyage en Russie. Vous voyez bien qu'il sera pressé et que moi n’ayant écrit ce que je vous envoyé que le 26 Je ne pourrai avoir de réponse que tout au plus le 20 novembre. Cela leur semblera bien long et pourra vexer ce pauvre Alexandre. Cependant puis-je après ce que j’ai écrit à mon frère, & dans mon propre intérêt, leur donner le Capital avant ses réponses ? Dois-je informer Alexandre de tout ceci ? Je crains à présent qu'il est auprès de Paul, quelques réponses impertinentes. Dois-je en charger une tierce personne & qui ? C’est au duc de Sutherland que je donnerai mes pleins pouvoirs. Mais comme il ne sera pas à Londres il les déléguera à quelqu'un, un banquier sans doute. Je ne veux répondre à la lettre d’Alexandre que quand vous m’aurez donné votre avis. Il m’écrit très tendrement et se réjouit beaucoup de me revoir. Ma lettre à mon frère est-elle bien ?
On dit dans le monde diplomatique, que le Roi est fort mécontent de tous les ministes moins le maréchal. Il s’agit de Don Carlos. On menace même de dissoudre le cabinet si ces messieurs s'obstinent à contrarier la volonté du roi sur ce point. C’est Montrond qui m’a dit cela. Lord Granville pousse à garder Don Carlos. On dit que le Roi parle très mal et très vivement sur mon Empereur. Je tremble que Pahlen ne revienne pas ce serait un vrai chagrin pour moi. Il fait un temps abominable Il n’y a plus de belle campagne possible. Adieu. Adieu, Adieu.

14/26 octobre 1839 à mon frère
J’ai reçu il y a huit jours seulement le paquet contenant votre lettre du 20 août et l’acte passé avec mes fils, et avant-hier votre lettre des 22 7bre avec le compte de Bruxner. Je commence mon cher frère par vous remercier bien tendrement de toute là peine que vous avez prise pour arranger mes affaires, et de toute l’amitié, la bonté que vous m'avez prouvées par là. Je vois que j’avais raison ne vous contestant cet été les chiffres de mon revenu que vous portiez à 9400 roubles argent et 400 milles francs de capitaux de la succession de mon mari. Mes propositions sont devenues plus modestes, selon ce que vous me mandez aujourd’hui. L’ensemble de cette succession tel que je le relus de l’acte que vous avez conclu et des autres papiers que vous m’avez envoyés forme pour moi un revenu de 36 395 roubles papiers. Mon propre avoir monte à 20 152 roubles papier. Total général 56 544. Vous en verrez le détail dans le tableau ci-joint. Vous ne trouverez peut-être plus que je suis trop riche comme vous me l'écriviez alors, car il y a loin delà à 80 mille francs de rente que vous m’annoncez. Je vais faire selon la loi russe le partage du capital anglais aussi tôt que je saurai que tout est terminé à Petersboug. Je désire pour cet effet obtenir des réponses aux observations consignés dans la note ci-jointe. En lisant avec attention l’acte et en le confrontant avec les observations que je vous avais soumises dans le temps j'ai trouvé tout parfaitement en règle et toute les questions répondues, sauf le seul point du mobilier de Courlande dont je vous avais déjà entretenu deux fois. J’appelle votre attention sur ce point. S'il a été oublié dans la discussion, c'est à vous à juger si je dois regarder la somme qui aurait dû me revenir de cet état comme perdue à tout jamais ; ou si, dans le cas que l’objet en vaille la peine, vous voudrez le porter à la connaissance de mes fils.

Note
1. La loi de Courlande dit § 194
Toute la partie mobilière de la terre, bétail, magasin, maison, effets, & & sera partagée entre la veuve & les enfants en parts égales.

Comme il m’en revient par conséquent le tiers,. que ce doit être un objet considérable, vu la qualité de la terre et que cependant je ne trouve pas cet objet spécifié dans les papiers qui m'ont été envoyés, je désire savoir quels sont les arrangements qui ont été pris à cet égard, ou l’indemnité qui m'a été assignée pour l’abandon que j’aurais fait de ce droit car on ne peut pas l'inclure dans le 15 829 roubles papier une fois payés. Cette somme formait exactement le revenu de l’année que la loi accordé à la veuve.

2°. Je ne trouve ici dans le tableau du banquier Bruxner, ni autre part mention des coupons qui se trouvaient dans le portefeuille de mon mari pour la valeur de 1350 £ sur la maison Hammersby à Londres.

3°. On aura certainement dressé un inventaire des meubles et un procès verbal de la vente qui en aura été faite à l’encan. Je désire que copie m’en soit envoyée. 4°. Je désire spécialement avoir un état de la vaisselle, & savoir si après la vente à l'encan ma part a pu être rachetée, comme je l'avais demandé. Dans le cas contraire je désire connaître le produit de cette vente.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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305 Du Val. Richer Vendredi 1er Novembre 1839
8 heures

Nous voilà dans le bon mois. En 1815, à Gand, Louis 18 sortant de son cabinet et traversant le salon, le matin même du jour où il répartit pour rentrer en France me disait : " Eh bien M. Guizot, nous voilà du bon côté de la glissoire. " J'aurai certainement, à vous retrouver, plus de plaisir que lui à reprendre la route de Paris. Que de joies différentes en ce monde, comme de douleurs ! J’en ai connu de toutes sortes ; et bien décidément c’est de l'affection que viennent les plus vives, les seules qui aillent toucher jusqu'au fond de l'âme, & l’ébranlent, et la satisfassent toute entière.
Je partirai le 13. Il n'y a pas moyen de presser davantage, ma mère. Je serai à Paris le 14 pour dîner, et je vous verrai dans la soirée. Il fait aujourd'hui un temps affreux, le vent, la pluie, le froid. Il fera beau, le 14. Je voudrais qu’il fit beau après-demain. J’ai tout mon Lisieux à déjeuner. Ce sont mes adieux. J’ai refusé absolument leurs dîners, leurs parties de campagne, leurs toasts. Ils m'auraient donné dix rhumes. Ils auront les primeurs de Ma route neuve. Elle est finie. On la livre dimanche matin à la circulation. Il ne me reste plus à faire qu’une avenue de la route à ma porte. On la fera cet hiver. L’entrepreneur me la promet pour le 15 avril prochain. Que les plus petites choses sont lentes quand il faut créer !
J’ai envie de quelque chose de M. de Bacourt. Je me crois sûr qu’il a entre les mains, je ne sais comment tous les papiers du comte de La Marck, (d’Aremberg) l’ami intime de Mirabeau et à qui Mirabeau laissa en mourant presque tous les siens, les plus confidentiels. Je voudrais bien voir, ces papiers. Je suis dans Mirabeau jusqu'au cou, par curiosité après Washington. Croyez-vous que je puisse demander à Mad. de Talleyrand de demander cela à M. de Bacourt ? Est-ce convenable ? Ou faut-il que je m'adresse directement à M. de Bacourt ?

10 heures
Votre lettre à votre frère est à merveille, très douce et très ferme, très précise. S'il a, comme j'en ai peur, oublié ou abandonné vos intérêts sur les points que vous touchez, il en ressentira quelque embarras... si quelque embarras est possible. Je n'hésite pas quant à vos fils, d'après ce que vous avez écrit à votre frère, vous devez attendre sa réponse avant de partager le capital. Vous vous le devez à vous-même. Je suis un grand partisan de la consistency. Si vous aviez renoncé à toute observation, il faudrait vider sur le champ l’affaire du capital. Mais vous avez voulu rappeler votre droit méconnu, constater du moins qu'on l’avait méconnu. Le capital est votre seul moyen d'action. Il faut le retenir jusqu'à ce qu’on ait répondu à vos observations, soit pour les accueillir quelque peu, soit pour vous dire nettement. que vous êtes liée par l’arrangement, et que vous ne devez attendre rien de plus. A votre place j’écrirais tout simplement cela à Alexandre. Mais comme ce sera Paul qui répondra par Alexandre, je comprends votre crainte de réponse inconvenante. Ne pourriez-vous pas écrire à Benkhausen, et le charger de dire à vos fils vos intentions ? Voilà mon avis à la première vue. Si quelque autre idée me venait, je vous la dirais demain.
Adieu. Adieu. A dater d'aujourd'hui les Adieux valent mieux. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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306 Du Val Richer, Samedi 2 Nov à 1839
8 heures

Vous avez bien raison ; il n’y a plus de belle campagne. Encore notre maladresse : vous avez eu de la belle campagne à Baden et moi en Normandie, et nous en avons joui séparément, si c'est jouir.
Je persiste dans tous mes avis d’hier. Si votre frère y mettait un peu de bonne volonté, il ne serait peut-être pas impossible que dans l'impatience du Capital, vos fils revinssent un peu sur le mobilier de Courlande, et l’argent en portefeuille. Ils vous donneront du moins quelques explications. Je ne vois que Benkhausen ou Cumming que vous puissiez charger de les leur demander. Encore une fois, si vous en écrivez à Alexandre, ce sera Paul qui répondra et Dieu sait comment. Pourtant j'ai en idée que toujours par impatience du Capital, il se contiendra dans ce moment, et vous fera peut-être même quelques avances. N’ont-elles pas déjà un peu commencé ? N'est-ce pas là le sens caché de ce que vous a dit Bulwer ? La tendresse de la dernière lettre d'Alexandre ne lui a-t-elle pas été permise ? Vous voyez que je vous dis tout impitoyablement. Je me trompe, avec une très grande pitié. Je trouve tout cela déplorable.
Le Roi fera bien avant de dissoudre son Cabinet sur les passeports de D. Carlos de s'assurer des successeurs. Mais nous sommes bien bons d'y regarder. Cela n’est pas sérieux. J'en reviens à mon dire ; j'aime la grande et vraie comédie, non pas la petite et inutile.

9 heures et demie
Je n'accepte pas le Shabby. Vous savez que je suis maîtresse de maison ménageant, arrangeant les personnes, les choses. Dieu sait si j'étais fait pour ce métier là ! Mais c’est lui qui m’y a condamné. Ma vieille et bonne mère ne peut pas être pressée. Elle est le contraire de M. de Talleyrand. Elle a de la grandeur naturelle, et de petites habitudes. Je respecte tout en elle. Croyez donc bien, sachez donc bien une fois pour toutes que moi, je n'ai jamais rien de plus pressé que de vous revoir, et que j’y pense, comme on pense à sa première affaire et à son seul plaisir. J’ai mille choses à vous dire que je ne peux pas écrire. Adieu. Adieu.
M. Rossi, ne sera pas Pair cette fois. La loi sur les catégories pour la Pairie n'admet que les membres des quatre académies de l'Institut, & il est membre de la 5e Académie, qui n’existait pas encore du moment où cette loi a été faite. C'est moi qui l’ai créée en 1832. Objection de procureur ; mais les procureurs sont puissants partout. Il attendra. Adieu encore et toujours. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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309 Du Val-Richer, Mardi 5 Novembre 1839
7 heures et demie

Il y avait avant-hier du cream cheese à déjeuner, et il y a ce matin sur ma vallée un brouillard, tout-à-fait pareil. On dit que la Normandie ressemble beaucoup à l'Angleterre. Elles se tenaient évidemment avant le déluge, et il y a entre elles, depuis le déluge, des rapports continuels. Si jamais vous avez mangé à Londres de belles poires et de belles pommes elles venaient peut-être du Val-Richer. Les fermiers Normands les expédient par milliers, et il part toutes les semaines, du port de Honfleur vingt mille œufs pour l'Angleterre. J’entends shabby comme vous, et c’est parce que je l’entends que je m'en défends. Je ne vous vole jamais rien, car je vous donne tout ce dont je dispose. Voilà nos questions de Dictionnaire vidées.
Plus j’y pense, plus je me persuade que Benkhausen n’a pas d’inconvénient. Tout sera fini plus vite. Je n’espère toujours rien quant au mobilier de Courlande. Mais au moins la suppression ne passera pas inaperçue. Je suppose que vous avez envoyé à Cumming copie des questions que vous airez adressées à votre fière.
Que voulait faire. M. de Metternich de la mission de M. de Brünnow ? Terminer l'affaire d'Orient sans s'en mêler, ou nous brouiller avec l’Angleterre sans y paraître ? L’un et l'autre a échoué. Je vois, par ce qu’on m'écrit, qu'on a peu d'inquiétude, et qu’on laissera traîner dans l’idée que le temps est au profit du Pacha, qui possède. On a bien fait de renvoyer M. de Labrador, s'il s’agitait encore pour D. Carlos. Nous ne devons aux partisans de D. Carlos que la stricte légalité et à D. Carlos lui-même qu'une politique raisonnable dans sa froideur. L’Europe a envoyé un aigle qui s’appelait Napoléon et qui la troublait, mourir à Ste Hélène. Nous ferons vivre quelques mois à Bourges D. Carlos qui nous tracasse. Il y a eu tout juste proposition.
J’ai aussi mes tribulations d’intérieur. Mon concierge d'ici est malade. Je craignais hier une fluxion de poitrine. On me dit qu'il est mieux ce matin. C’est un factotum très intelligent et qui met sa fierté à être à mon service, ce qui fait que je lui passe des défauts.

10 heures
Je craignais ce qui est arrivé. La poste n’étant venue chez moi que très tard, m'en est répartie que très tard, et n'aura pas été à Lisieux à temps. Vous aurez eu deux lettres ce matin. Mauvaise compensation. Tout cela cessera dans huit jours. Les tristes chances de la vie seront les mêmes ; mais nous serons ensemble. J'espère que vous me direz bientôt que vous avez des nouvelles d'Alexandre Adieu. Adieu. J’aime mieux le Duc que Benkhausen Dix mille francs, c’est beaucoup pour une commission. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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312 Paris, Dimanche le 10 Novembre 1839

Vous avez assurément le talent de me contrarier beaucoup. Il était facile de vous assurer de la voiture dès le jour où vous avez fixé votre départ. 24 heures est peu de chose peut-être et c’est beaucoup pour moi, beaucoup de deux manières. Pour mon plaisir, d'abord ; & puis pour mes affaires. Cette contrariété par dessous ma mauvaise journée d'hier fait quelque chose de complet comme tristesse. Aussi suis-je parfaitement triste. Rien ne va pour moi, tout va contre moi dans le monde, et c’est cette vérité visible en toute chose qui fait que la vie m’est insupportable.
Voici une nouvelle vexation de Pétersbourg un peu étrange et fort inattendue. Ma sœur me mande, par secrétaire, que mes fils ont décidé de ne partager ni me vendre la vaisselle, et d’attendre que l’un du trois ait besoin de la totalité pour indemniser les deux autres. Vous voyez bien la portée de cela ; on me refuse l'usage et l’usufruit. Car il est bien clair que je ne prendrai pas une vaisselle de 30 couverts et que je ne payerai pas 200 milles francs. C’est sur cela qu'il faut que je vous consulte. Moi, je suis décidée à ne pas admettre un arrangement aussi absurde. Je vais insister pour avoir et tout de suite, ma part en nature, ou ma part en argent. Et je suis décidée de plus à un point partager le capital anglais que ce point ne soit arrangé. C’est cela que je voulais vous soumettre. Attendre jeudi pour vous consulter & vendredi pour écrire c’est beaucoup trop long. Veuillez me répondre par écrit. Ici le droit est pour moi tout-à-fait. Je ne comprends ni ma sœur, ni mon frère, mais il n'y a rien de gâté je pense puisqu'en tout cas ce ne pouvait être qu’un arrangement provisoire. S’il en était autrement, j'en suis fâchée pour mon frère mais je n’accepterais pas la sanction qu’il y aurait donné. Je vous prie de m’écrire encore un mot sur ceci car ma lettre ne partira que mardi. Songez aussi au fait d’absurdité, qu'à moins d’être ambassadeur, les fortunes de mes fils ne sont pas de taille à avoir jamais besoin de cette vaisselle, Paul s’est mis hors de la carrière, & Alexandre n'arrivera à ce poste jamais. Ce n’est donc je le répète qu’une résolution de me contrarier, et c’est cela qui me révolte et m'irrite à un haut degré. J’ai eu une lettre de mon frère mais qui ne me dit rien, sinon qu'il sera impatient d’apprendre la conclusion de mes affaires, et que mes file désirent vivement être bien avec moi ! Paul s’y prend bien.
Pozzo est devenu tout-à-fait imbécile. Je m’étonne qu'on le montre encore. C'est humiliant. J'ai vu hier, Brignoles et quelques autres mais je ne sais rien absolument rien de nouveau. J'ai oublié de demander des nouvelles du Duc de Bordeaux. Adieu, vous voyez que mon humeur va mal ; ma santé va mal aussi. Adieu. je m’étais tant réjouie de mercredi ! J’apprendrai à ne me réjouir de rien. je m’épargnerai des désappointements. Je ne me réjouis donc pas de jeudi qui sait ce que sera jeudi. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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344 Paris Mercredi 15 avril 1840
6 heures
J’ai eu une longue visite des Appony. J’ai fait une longue promenade au Bois et me voilà. Le Roi n’a pas encore reçu M. de Pahlen. C’est de l’intuition et c’est juste. M. de Pahlen, de son côté n’avait pas perdu un moment pour demander l’honneur de faire sa cour, car lundi à 10 h. du matin il était chez Thiers pour le demander. Il n’a pas encore reçu d’avis. Médem aura je crois l’ordre de se rendre à son poste bientôt. Il est parfaitement clair que c’est une disgrace dont on lui ôte cependant le droit de se plaindre. On a détaché du poste de Stuttgard celui de Darmstadt qu’avait Brünnow aussi. Ce qui diminue la paye et beaucoup d’agrément, vu les projets de mariage. J’ai une lettre de mon frere, simplement pour me suplier d’écrire vu que mes lettres sont si intéressantes. Quelle rage de me dire toujours cela par la poste ! Il médite une petite vilénie. Je leur dirai qu’ils n’auront plus de lettres intérissantes s’ils ne me renvoient pas ma correspondance avec le comte de Nesselrode. Je veux absolument la ravoir.

Jeudi le 16. 10 heures
Je vous écris un mot avant d’aller prendre l’air. J’ai besoin d’air mais j’ai besoin de vous aussi, et davantage. Je n’ai rien vu d’intéressant hier au soir que le Duc de Noailles, il est satisfait de lui-même. C’est à bon marché, mais je flatte avec plaisir son illusion parce qu’il me plait au fond c’est un esprit plus sérieux que la plupait des gens avec qui je vis. Bon dieu qu’il a envie des Affaires. Il les ferait très bien très
proprement j’en suis sûre. Il convient que jamais les affaires extérieures de son pays n’ont été dans des mains plus habiles qu’à présent, et que si on échoue la faute en sera aux événements et non aux hommes, en effet c’est une grande ambassade que la vôtre. Avec lui, je sais vous louer. Je ne sais pas ce qui se passe en fait de souffres. Le Pce Castelcicala est toujours ici. On dit que c’est un sot et un brutal. Génie me dit que vous avez parlé dans quelques lettres à lui ou à Mad. de Meulan d’une visite de quelques jours qu’elle pourrait vous faire. Permettez-moi de vous dire que vous avez tort. For long or short, il ne faut pas qu’elle aille en Angleterre. Ou on médira ou on en rira. Si vous ne la montrez pas, on croira que c’est quelque charmant objet. Si vous la montrez vraiment, convenez que c’est trop fort ! Ainsi, sandale, ou ridicule, vous ne sortirez pas de ces deux alternatives. Je vous dis des choses brutales mais vraies parce que je serais bien fâchée de cette tache à votre bonne situation à Londres. Et que votre longue habitude de Mad. de Meulan et de quelques bonnes qualités ne vous trompent pas à son sujet. Je vous déclare que moi, je n’ai jamais manqué de rire un peu quand je la voyais entrer dans un salon avec vous... Moi, c’est le public.

Mardi
J’ai envoyé savoir des nouvelles de Pauline, et on m’a répondu par des menaces de rougeole. Je ne sais si c’est elle ou Henriette. Je vais aller moi-même y regarder. Je suis inquiète parce que vous allez l’être, point du tout parce qu’il y a de quoi. Une rougeole est une fort bonne chosedans cette saison et il faut l’avoir eue. Mais de loin on a si peur et de prés aussi, je sais cela. Je n’ai pas de bonnes paroles à dire sur ces choses. Je vous parle de Pauline parce que je suppose qu’on vous en parle, et que je veux que vous sachiez bien que tout ce qui vous occupe m’occupe, et de la même façon. J’attends mon fils Alexandre, mais j’attends une lettre avant et elle ne vient pas. Adieu. Adieu, Voici une courte lettre, je n’ai point de nouvelles à vous dire. Vous a-t-on envoyé le grand cordon, vous ne m’en dites rien? Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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345 Paris jeudi 16 avril 1840,
6 heures

J’ai été chez votre mère. J’ai vu Henriette. Elle a le visage bouffi, mais votre mère dit que c’est tout bonnement ses joues, et qu’elle est engraissée. La crainte de la rougeole se dissipe On ne croit pas qu’elle l’aie. Pauline était dans son lit. Je ne l’ai point vue. Guillaume se porte bien votre mère n’a pas l’air inquiet du tout, mais l’idée de votre inquiétude la préoccupe. Voilà exactement ce que j’ai trouvé dans votre maison et dont je vous rend un comple fidèle. J’ai vu Granville. Il a l’air d’être dans la confidence du délai de la reception de Pahlen. Le Serra Capriola attend aussi, parce que lui aussi n’était pas pressé d’arriver. 

Vendredi 17, 8 heures
J’ai dîné seule. Je me suis fait trainer en calèche après le dîner. Le soir j’ai vu Appony, Armin, l’internonce. Pahlen était venu deux fois dans la matinée ; je l’ai manqué. Et le soir il court les petits spectacles pour commencer peut être aussi n’aime-t-il pas rencontrer des questioneurs avant d’avoir été au château. Je crois que la semaine se passera sans audience. Appony n’a encore rien eu de sa cour sur l’affaire de Naples, mais on dit qu’il y a grande rumeur à Vienne sur ce sujet. Vous saurez cela mieux sans doute.

10 heures
Je viens de parcourir le journaux. Ils disent que M. de Pahlen a eu son audience, par conséquent les Ambassadeurs et moi nous étions mal informés J’ai envoyé à la rue de la Ville l’Evêque. Henriette n’a pas de rougeole, et Pauline a assez bien passé la nuit. Voilà le bulletin. J’ai eu hier une très longue lettre de lady Palmerston. Elle me dit que vous allez demain à Holland House pour deux jours. J’en suis bien aise. Cela vous fera plaisir. Elle parle extremement bien de vous, décidément vous lui plaisez beaucoup. Lord Grey m’écrit avec aigreur sur toute chose et tout le monde. A propos, il me dit qu’Ellice est très peu bienveillant pour les Ministres Je vais voir cela tout à l’heure, il arrive aujourd’hui. Lord Grey me dit qu’il n’a fait que vous entrevoir, qu’il n’a pas d’occasion de causer avec vous. J’en suis fâchée. Je voudrais qu’il vous entendit. Est-ce que vous ne vous êtes point fait visite? Il serait convenable de demander à aller voir lady Grey c’est une très respectable personne. Je vous envoie cette pauvre lettre, elle vous trouvera au milieu de cette belle verdure de Holland House. Il n’y a pas d’arbre que je ne connaisse. J’y venais souvent souvent le matin, lorsque les Holland étaient absents. J’y restais des heures entières. J’écris aujourd’hui à la duchesse de Sutherland ; je parle du mois de Juin sans préciser le moment, car eux-même seront absents la première quinzaine et ne pourraient pas me recevoir alors. J’explique un peu mes jambes. Coucher au second est absolument impossible, il y a 90 marches. S’ils ont encore à me donner l’appartement du rez de chaussée, je serai fort contente d’être chez eux. J’apprends que Paul part à la fin de ce mois-ci pour la Russie. Il n’est donc pas vraisemblable que son frère le voie avant, ce qui pourrait fort bien faire qu’Alexandre ne vint pas du tout ici. Encore ce mécompte.
Je n’ai point de lettres de vous depuis avant-hier, et voici 1 heure. Il n’est pas vraisemblable qu’elle vienne, j’en suis fâchée. Adieu. Monsieur, adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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345. Londres, Samedi 18 avril 1840
8 heures et demie

Je viens de réussir dans une petite négociation qui a quelque valeur en elle-même et quelque importance pour moi. A la première nouvelle des vivacités de l’Angleterre à Naples, en causant avec Lord Palmerston et le voyant un peu préoccupé des conséquences possibles, une insurrection en Sicile, des embarras en Italie et, je dis quelques paroles des bons offices de la France et du parti que l’Angleterre en pourrait tirer. Elles furent bien accueillies. Elles le furent très bien à Paris. J’ai mené l’affaire vivement, et un courrier vient de partir hier soir pour Lord Granville qui acceptera la médiation de la France entre l’Angleterre, et Naples chargera la France de négocier au nom de l’Angleterre et lui donnera le pouvoir de suspendre les hostilités contre le pavillon Napolitain. Cela sera bon dans le cas particulier et d’un bon effet général. On verra que la France et l’Angleterre ne sont pas si près de se brouiller, ni si dénuées de confiance l’une dans l’autre. Lord Granville vous aura peut-être déjà parlé de ceci quand ma lettre vous arrivera. Ayez soin seulement de n’en pas parler la première. Du reste, je suppose que l’affaire une fois conclue, on n’aura rien de plus pressé que d’en parler. Je crois avoir bien saisi et bien poussé l’à propos.
J’ai eu hier un pauvre sermon d’une insignifiance et d’une séchéresse rare, commune ici, me dit-on. Mais la foi, et la componction des assistants supplient le talent du prédicateur. J’ai été édifié du recueillement et de l’air convaincu, pénétré, de tout le monde. J’étais à St George hanover-square, la paroisse fashionable. Lady Palmerston s’est mariée là ! Je suis revenu à pied, par un beau temps, mais un vent de Nord-Est fort et froid. Je suis allé faire quelques visites, c’est-à-dire des cartes. Dans la cité pour la première fois, à la Deanery de St Paul, pour l’Evêque de Landaff. J’ai été frappé de l’aspect vraiment monumental de Temple Bar. Lord Wiltoughby, Lord Hermiker, Lord Nugent, le comte de Lovelace (qui a épousé la fille de Lord Byron, jolie et aimable) Lady Willians Pawlett et la comtesse douaierière de Charleville. Voilà, je crois, un compte-rendu bien complet, jusqu’à mes visites.
Le soir, à Holland-House où j’ai trouvé Lord Palmerston qui m’a dit que son courrier venait de partir. Lady Holland me soigne extrêmement. Elle m’a envoyé hier un ouvrage, qu’on dit curieux, sur les principaux procès criminels de l’Angleterre. Je lui envoie ce matin mon maître d’hôtel pour prendre la mesure de papiers de lampe dont elle a besoin et que je lui ferais venir. Palmerston, Hobhouse, Dedel, Neumann, Bülow, Rogers, voilà Holland House hier au soir. On cherchait un vers qui contenait un mot singulier et qui devait être, selon les uns dans Milton, selon les autres dans Shakespeare. On ne l’a pas trouvé.

3 heures
Ces menaces de rougeole me préoccupent extrêmement, et je n’en sais que ce que vous m’en dites. Je n’ai rien de ma mère ce matin, à mon vif chagrin. Elle aura envoyé sa lettre aux Affaires étrangères, pour le courrier de jeudi qui n’est pas parti, sans doute à cause du débat de la Chambre des Pairs. Je n’aurai donc rien que demain, entre midi et 2 heures. Quelle fièvre que la vie ! Je le repète sans cesse parce que je l’éprouve sans cesse. Je suis depuis deux mois dans une grande activité d’esprit, de cœur, de corps. Je n’en suis pas fatigué ; mais j’aurais besoin qu’aucune fatigue extraordinaire, aucune préoccupation extraordinaire, aucun accident, aucune épreuve ne vînt ajouter son fardeau à mon travail, son agitation à mon activité.
Je n’ai jamais senti les contrariétés, les inquiétudes plus vivement que depuis deux mois. Pendant que je lis, que j’écris, quelque idée poignante, quelque crainte horrible me vient tout à coup. Je me lève. Je fais quelques pas dans ma chambre. Je joins les mains devant Dieu ; je le prie, je le conjure deux secondes, qui me semblent des heures. Je me remets à travailler. Et je recommence dix fois. Ah, si Dieu veut encore faire quelque chose de moi, si je lui suis encore bon à quelque chose en ce monde, qu’il protège ce que jaime vous, mes enfants, ma mère. J’ai usé beaucoup de force à supporter. Il m’en reste bien peu.
Alexandre passera-t-il un peu de temps avec vous ? Vient-il prendre son frère ici pour aller en Russie ou se sont-ils donné rendez-vous quelque part ? Je n’ai entendu parler de Paul qu’une fois, Bourqueney, peu avant de partir, a dîné avec lui chez le baron de Munchausen.
On ne m’a pas encore envoyé le grand Cordon. Ce sera probablement à la fête du Roi, le 1er mai. C’est l’époque.

4 heures 3/4
J’ai été dérangé par Neumann et Bülow, de la pure conversation. La semaine prochaine sera stagnante. Tout le monde va à la campagne.
Adieu, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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348. Paris Lundi 20 avril 1840, 10 heures

Après ma promenade au bois avec Marion, j’ai eu une longue visite de mon ambassadeur. Il est très confiant, et peut être même un peu plus defférent que jadis. A propos Je modifie l’article duc de Bordeaux en ceci : qu’on essaye de le dissuader de venir en russie. Mais cette confidence directe a flatté, et a fait dire que c’était la premiere parole agréable qui ait été reçe ici de la part de l’Empereur.
Les Ambassadeurs donnent raison au mien au sujet des visites de ministres. Ils lui doivent les avances ; aucun n’est venu. Cela le dispense de faire leur connaissance. Il me parle beaucoup de Brünnow, et voudrait bien que j’ecrivisse à mon frère à son sujet, c’est-à-dire pour montrer l’inconvenance de ce choix. Je lui dit que je ne m’en mélerais pas d’ici, mais qu’une fois à Londres, je dirai peut être ce que j’en pense après avoir vu. J’ai dîné hier chez les Appony. On m’a fait entendre M. Liszt pianiste d’une grande célébrité. C’est un possédé, un enragé, faisant des merveilles, à me faire fuir. De là, un moment chez les Granville et puis chez Brignoles. Il me semble que Naples va mal. Votre médiation y fera-t-elle quelque chose ? Il y avait beaucoup de monde en Sardaigne, mais rien qui
vaille la peine de vous être redit. J’ai reçu à mon reveil une lettre d’Alexandre de Marseille. Il sera ici demain, je crois. Je m’en réjouis bien, mais j’imagine qu’il ne fera que passer pour aller trouver son frère reviendra-t-il après l’avoir vu ?Voilà ce que j’ignore.

Midi
Je viens de recevoir votre lettre. Je suis charmée de vos succès. Lord Granville m’avait dit un mot hier, mais qui ne me paraissait pas aussi catégorique. Vos inquiétudes me chagrinent extrèmement, mais vous aurez été rassuré. D’abord pas de rougeole et puis Pauline va mieux. Le lait d’ânesse, administré à tout le monde fait du bien à tous. J’ai des nouvelles tous les matins. Je crois que j’enverrai chercher M. Andral ; je ferai demander chez vous où il demeure; le vent d’est persévère, mais cependant je ne puis pas être malade seulement du vent.
Adieu ; je vous envoie la lettre de Lady Clanricarde par votre foreign office, mais je fais bien je crois de vous envoyer ceci par notre voie ordinaire.
Adieu, adieu, tranquilisez vous et soignez vous. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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349. Paris, Mardi le 2l avril 1840
9 heures

Je commence par vous donner des nouvelles de Pauline. Je l’ai vue hier. Sa mine est très différente de celle de l’autre jour. elle a l’air animé. Le teint, les yeux, tout est mieux elle cause gaiement. Les autres étaient allés se promener ainsi tranquilisez vous tout-à-fait. J’ai fait un peu de bois de Boulogne seule, une visite à la petite princesse, mon diner solitaire, la soirée chez Lady Granville. J’avais dû y diner mais tout-à-coup cela m’a ennuyé et je n’y suis venu qu’après. Il y avait la diplomatie et l’Angleterre car il y a beaucoup d’Anglais ici dans ce moment. Je ne sais si on sait votre médiation on ne m’en a pas parlé, et je me suis tue. J’ai reçu hier une lettre de mon banquier à Pétersbourg. Mon frère se refuse tout-à-fait à se mêler de la vente de la vaisselle ; cela lui déplait, et il veut que Bruxner ait mes pleins pouvoirs et non pas lui. voilà qui va faire encore un très long delai, d’autant plus que la saison n’est plus favorable à des ventes. Les autres effets ont été vendus, c’est peu de chose, il m’en revient 6000 francs. Je vous dis toutes mes affaires.

10 h 1/2
Je rentre des Tuilleries. Il fait froid mais beau. Cependant ce temps sec m’est odieux, je ne respire pas à l’aise ; la pluie me ferait tant de bien. Je viens de lire les journaux, la
médiation y est.
J’ai prié Madame votre mère de m’envoyer M. Andral. Elle l’attendait hier soir. Rothschild est venu m’interrompre. Il me donne de très bonnes nouvelles sur votre compte.

Mercredi le 22 9 heures
Mon mot d’hier écrit à toutes les heures, a été interrompu par l’arrivée de mon fils. Appony l’avait précédé. Tout cela ensemble a fait qu’il était trop trod pour espérer gagner la poste. Vous n’aurez donc pas de lettres demain ; mais au fond cest juste mon mardi sera votre jeudi. Le mardi est un bien vilain jour. (interruption, mon fils)

10 heures, Voici votre lettre ; dieu merci vous êtes rassuré pour Pauline et vous avez tout lieu de l’être. Je ne trouve aucun changement dans votre mère. Elle est tout-à-fait comme je l’ai vue à mes autres visites. Et point inquiète. seulement préoccupée de votre inquiétude.  Je ne suis point d’avis que vous la laissiez quinze jours, sans lui dire votre résolution. Le vague est toujours ce qui tourmente le plus, ainsi l’idée du voyage, de la traversée, d’un nouveau lieu à habiter tout cela doit lui tourmenter l’esprit. Quand vous lui aurez dit le Val Richer, je suis sûre qu’elle en sera plus tranquille du moins je serais comme cela à sa place, et puis dites lui que vous viendrez la voir en été ; trompez la un peu, ici c’est nécessaire, cela lui ferait peut être du bien.
Décidement vous aurez Lord Palmerston à dîner vis-à-vis de vous. N’étant pas à côté le vis-à-vis est la premiere place, et elle lui revient. Dans vos convives, voici la hiérarchie. Le Président du conseil. Le Pristy seal (Clarendon). Le duc de Wellington, le marquise de Normanby, Lord Minto, &. Mais Melbourne comme premier ministre doit absolument être auprès de vous. Lui et Landsdowne à vos côtés. Wellington et Clarendon auprès de
Palmerston. Soyez sûr que j’ai raison, et ce conseil est moi et Granville ensemble. J’ai dîné avec mon fils. Le soir j’ai vu Granville, mon ambassadeur,  le Duc de Noailles, Ellice, Capellen, les Durazzo. Granville avait été un peu blessé des termes dans lesquels le Constitutionnel avait annoncé la médiation. Il a fait modifier dans le Moniteur parisien. Le duc de Noailles regarde cette affaire comme un grand succès pour vous et une très bonne affaire pour le ministère. Il dit c’est heureux et habile.

1 heure
Je ne puis pas être à Londres dans une auberge d’abord et puis chez les Sutherland. Il faut tout-à-fait l’un ou tout-à-fait l’autre. Autrement, cela n’aurait pas de sens, et je touve l’un beaucoup plus convenable que l’autre. Je suis sûre que je vous en ferais convenir si je vous parlais. Ils ne seront à Londres qu’après les vacances de la Pentecôte. Je pourrais bien me trouver dans les environs de Londres avant, et j’y ai pensé déjà. Je vous prie d’y penser aussi. Il me semble que Norwood est ce qu’il y a de plus près, ou bien Hamstead, si depuis mon temps il y a quelque bonne auberge établie là. Informez-vous en. J’y passerais quelques jours. Vous m’y viendriez voir, mais on  ne saura que j’y suis que lorsque je le voudrai. Norwood est au midi de Londres en passant Westminster bridge. Hampstead au nord par le Regents park. Ceci vaudrait mieux peut-être, c’est plus près de chez vous. Il y a de mauvaises nouvelles de Bruxelles à ce qu’on disait hier au soir. La Reine était menacée d’une couche prématurée. Ceci pourrait faire des delais dans la noce. On parle beaucoup d’un sermon à St Roch. L’abbé Cœur a fait un discours superbe sur l’amour de l’or, la Reine s’est fâchée, et n’a plus reparu à St Roch. Je suis étonnée qu’elle ait fait cela, mais s’est parfaitement vrai et parfaitement connu. C’est dommage. Mon fils est très bien, et très bien pour moi, il me parait avoir et du regret et de l’étonnement de ce que Paul ne soit pas venu. Il ditqu’il lui a écrit sur ce sujet très fortement. Mais cela n’y fera rien. Dans ce moment il entre, pour me dire qu’il faut qu’il soit à Londres dans 6 jours. Je ne replique rien. Je n’ai plus d’opinion sur ces choses là. Je n’en parle pas et j’essaye de n’y pas penser.
Ellice passe son temps avec Thiers. Il y déjeune il y dine, il se promène avec lui même. Et il bavarde à tort et a travers. Il veut maintenant que les Etats-Unis demandent la médiation de la France dans sa querelle de frontières avec l’Angleterre. Il est très certain que votre affaire de Naples aura un grand éclat comme attestation de bonne intelligence entre Londres et Paris, et vous en avez l’honneur.
Adieu. Adieu. Je vous écris très à batons rompus ; car mon fils m’interrompt  à tout instant. On me fait dire que Pauline va bien. Andral n’est pas venu. Adieu, adieu beaucoup de fois.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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350. Paris, Jeudi le 23 avril 1840, 9 heures

J’ai fait ma promenade seule. Pas de visites, dîner chez Lady Sandwich avec les Granville, les Brignoles et quelques autres. Thiers devait en être, il n’est pas venu. Le soir chez moi, M. Molé, Brignoles mon amb., Tcham, les d’Aremberg, Ellice, Heischman,  la princesse Rasoumosky point de nouvelles. M. Molé comme de coutume, dénigrant. Les nouvelles de Bruxelles hier ont tout-à-fait rassuré le chateau et on passe à St Cloud ce matin, on raconte que votre médiation est conditionnelle. C’est-à-dire qu’elle prescrit d’alord à Naples de résilier le contrat mais se serait du nonsens et je ne le crois pas. On attend samedi ou dimanche la reponse par télégraphe. M. de Pahlen était vif hier sur la nécessité d’un arrangement quelconque en orient, il dit : si on ne fait pas. il y aura des troubles en Turquie, et alors nous y arrivons infailliblement et puis la guerre générale. L’Empereur est pour qu’on reprenne la Syrie si on le veut ; pourqu’on ne la reprenne pas si on ne veut pas. Enfin cela lui est bien égal mais il veut un arrangement, et il faut que la France et l’Angleterre s’entendent. Voilà le ton d’hier au soir. Il aura une conférence avec Thiers ce matin, et il enverra son courrier samedi. Je voudrais bien pouvoir mander quelque chose.
J’ai reçu tout à l’heure une lettre de Matonchewitz dans laquelle il me dit qu’il venait de conjurer Paul de passer par Paris. Nous verrons si cela fera effet. Je ne crois plus à rien de bon de ce côté là.

1 heure.
Voici le 347. Excellent speech, j’en suis aussi contente que l’auditoire, vec quelque chose de plus que lui. Lady Charleville donne des routs et des dîners, depuis 50 ans. Elle m’a constamment prié pendant 22 ans ; j’y ai été une fois, mon mari jamais, parce que c’est a bore. Ne vous en laissez pas incommoder. Il y a quarante vieilles femmes comme cela vous n’êtes pas accrédité auprès d’elles.
Henriette m’a écrit avant-hier de la part de sa grand-mère pour me dire que M. Andral viendrait à une certaine heure. je l’ai attendu il n’est pas venu, mais la menace de sa visite m’a fait du bien. Je suis mieux depuis deux jours. J’écris à mon frère je ne sais quoi car je n’ai rien, donnez-moi.
Adieu. Adieu, pauvre lettre,  mon fils me prend mon temps ; il entre à tout instant, cela me donne des fidgets et je ne puis rien faire.
Adieu, God bless you. Je suis bien contente de vous savoir plus transquille, et de savoir ici positivement que vous avez raison de l’être.
Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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358. Paris, jeudi le 30 avril 1840
9 heures

Il y a aujourd’hui 6 ans que mon mari reçut la lettre de l’Empereur lui annonçant sa nouvelle destination lettre qui lui fit lever les mains au ciel de joie, et moi de douleur. J’ai noté ce jour comme un des plus cruels de ma vie. Il y a aujourd’hui un an que mon fils ainé me déclara qu’il ne me reverrait jamais. C’est un triste jour que ce 30 avril. J’aurai de vous une lettre n’est-ce pas ? Deux probablement, car je n’ai rien eu hier. Rien depuis lundi. C’est long. J’étais inquiette hier. Je suis allée chez votre mère pour savoir si elle aussi manquait de lettres elle avait eu la sienne, ainsi vous vous portiez bien. J’ai trouvé tout votre monde en parfaite santé et vous pouvez être bien tranquille Je me suis promenée avec Marion. J’ai dîné chez M. fFeihman. De la diplomatie. On raconte que Thiers dit à propos de l’affaire des soufres : "Si j’avais fait ce que fait Lord Palmerston, qu’aurait dit l’Europe ?" C’est vrai, entendez-vous les cris d’indignation ? Il y a bien de l’injustice dans le monde. Je n’ai vu personne hier au soir. Ces dîners me font veiller tard et je manque tout le monde. Je n’ai vu que M. de Bacourt et Ellice. Je vous enverrai par le courrier des Affaires étrangères une lettre que j’ai reçue hier de Matonchewitz, elle vous intéressera.

11 heures
Je viens de faire un tour en calèche. La chaleur empêche ma promenade plus tard. J’attends toujours votre lettre vos lettres. Hier matin, j’ai vu longtemps Appony, et longtemps Fagel. Le premier est vert de mauvaise humeur. Il y a bien de l’aigreur dans son fait. Il me raconte bien des commérages. Ces gens-là ont bien envie que vous vous brouilliez avec Thiers. Ils avalent tout ce qui peut ressembler à cela. J’ai dit à Appony ce que je vous disais hier. Il faudrait de bien grosses raisons. Votre bonne intelligence est utile, et tout-à-fait convenable ; il faut qu’elle dure. Fagel est très bon enfant et fort dans le vrai sur toute chose.

Midi.
Voici deux lettres l’une par le petit médecin, l’autre par le gros monsieur. Le petit monsieur l’ayant reçu que hier à 2 heures n’a plus osé venir puisque vous lui disiez de la porter avant l heure. Je l’ai renseigné pour l’avenir. Merci de toutes les deux, et de tout. Vraiment Brünnow est trop bête. L’ Europe finira par répéter cet écho. Je vous ai dit hier un mot direct par la poste pas dessus mon autre lettre. Je répete aujourd’hui. Parlez en français à l’academie. C’était mon premier instinct vous vous en souvenez. Granville m’a déroutée, et j’ai assez de confiance dans ses avis, mais cependant je crois que le Français est plus convenable. De toutes les façons, et j’y reviens avec assurance, parce que j’entends dire qu’un ambassadeur Français doit parler sa langue là où il peut être compris et c’est vrai. C’est votre inclination aussi; c’est donc dit samedi à 8 heures je saurai que vous parlez Français. Vous ne savez pas comme je m occupe et m’inquiète de tout ce qui vous regarde. Votre dîner du 16 mai me parait trop short notice pour cette saison d’autant que tout le monde prend le samedi. Il me parait que le 23 est plus sûr. Je pense que ni les Sutherland, ni les Carlisle, ni le Duc de Devonshire, ni Lord Morpeth n’accepteront. Mais cela ne doit pas vous empêcher de donner le diner Whig, il le faut absolument avant celui-pour les Torys. J’ai écrit ce matin à M. Andral. Je ne suis pas bien de nouveau. Vraiment c’est une étrange santé que la mienne, avec mon régime, mon abstinence je ne conçois pas ce qui me dérange, je ne vois plus d’autre parti à prendre que de ne plus manger du tout. On peut s’acoutumer à cela peut être. Vous pourriez prendre M. e Mrs Slanley dans le dîner Whig si vous avez place. Adieu. Adieu.J’ai bién grondé de ce que ma lettre de samedi a été remise trop tard à la poste. Ordinairement, je les porte moi-même. Je ne suis jamais sure que de moi-même. Je viens de relire la lettre de Matonchewitz. Je vous promets qu’elle vous plaira. Vous ne l’aurez pa encore aujourd’hui. Je veux la faire lire à M. de Pahlen.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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391. Paris lundi le 1er juin 1840

Voici notre mois, qui redeviendra. nôtre. J’ai vu Granville hier. Vous ne lui avez pas écrit sur M. Rey. Mais il ne s’y attendait nullement il n’y avait pas lieu à une réponse et il sait l’essentiel c’est que vous avez fait bon accueil à son recom mandé. J’ai oublié de vous dire que souvent M. Molé me demande vos opinions sur ce qui se passe ici, les mesures qu’on prend ou qu’on projette. Je réponds invariablement que je n’en sais rien du tout. J’ai été hier au soir chez Mad. de Brignoles. On parle beaucoup du Roi de Prusse. La nouvelle n’était pas confirmée, mais elle est imminente le matin j’ai vu chez moi les Appony et Paulini, qui est très divertissant vrai italien.

1 heure. Je n’ai pas encore votre lettre. J’en ai écrite une longue à mon frère ce matin. Je ne sais où il sera maintenant On ne voudra pas à Berlin que l’Emperatrice y vienne. Elle sera bien accablée de la mort de son père. Qu’en dit Bulow ? Voilà donc la souscription nationale par terre. Quelle inconséquence que toute la marche de cette affaire ! Je crois savoir de bonne source que la session sera terminée avant la fin du mois, qu’on se hâte d’arriver au budget pour noyer ou ajourner toute autre question, Rémilly du nombre. Il fait bien chaud, j’ai mille petites affaires désagréables, et Vous savez que je ne vaux rien pour les petites tracasseries. Elles me font presque l’effet d’un malheur.
Adieu. vous une très pauvre lettre. Mais votre journée mercredi sera bien remplie, et puis vraiment je n’ai rien absolument rien à vous mander. Je trouve qu’Appony a l’air défait et triste, mais il ne dit pas de quoi. On dit que le Roi est de très belle humeur.
Adieu. Adieu. Le comte Woronzoff qui est à Londres, est un grand Seigneur chez nous. Un bon enfant. il était à notre ambassade à Londres et y est resté pendant nos deux premières années. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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411. Wrest Park, Jeudi 13 août 1840

J’ai quitté Londres hier sans lettre je n’ai eu de vous qu’un mot de Calais, et un mot d’Eu de Samedi matin. Depuis rien du tout. Cela m’inquiète et m’afflige. Je suis venue ici malade. On me drogue ici ; je suis vraiment, souffrante. Des vertiges abominables. Je m’ennuie parfaitement : c’est bien long d’y rester encore aujourd’hui et demain !
Si j’avais une lettre je partirais peut être demain. Dans tous les cas je serai à Stafford house.
Samedi 3 heures. Je vous préviens que j’ai accepté dîner à Holland house dimanche. Lady Palmerston est ici ; elle va à Windsor demain, son mari y est et y reste jusqu’à Mercredi. J’ai eu à me plaindre de la cour et de mes amis ministériels ces derniers jours. J’ai eu une lettre de Mad. de Flahaut. Une lettre de mon frère. La première ne n’envoie pas de copie. L’autre ne me répond pas encore. Il n’avait par reçu Adieu, adieu. Je suis très mécontente de n’avoir pas eu de lettres. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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433. Paris vendredi 25 septembre 1840
9 heures

J’ai vu hier Montrond et les Appony. J’ai fait ma promenade En rentrant, j’ai vu M. de Pahlen. Après mon dîner, j’ai éte un moment chez Mad. de Flahaut avant sa réception et puis chez lady Granville, que je trouve toujours au coin du feu avec son mari. Appony a eu un long entretien, hier matin avec Thiers. M. de Metternich s’emploie à arranger Thiers le trouve long et métaphysique Il voudrait que cela allât plus vite. Il a été un peu menaçant, un peu doux, et toujours un peu drôle. Appony au fond était moins inquiet hier que ces jours derniers. Tout le monde se demande " Mais comment dès qu’on va faire la guerre ! pourquoi ? " Je crois que vraiment quand le moment surprise arrivera, le ridicule pourrait bien tuer le danger. Que Dieu m’entende.
Les petits états envoient des Déclarations de Neutralité, je veux dire Sardaigne, et Suède. Les pauvres allemands n’oseront pas l’être. La Confédération en décidera autrement.
Si je vous écrivais dans mes moments de faiblesse et de tristesse, mes paroles vous feraient de la peine. De la peine et du plaisir. Le matin j’ai un peu de force, vers le milieu du jour elle m’abandonne, le soir je suis tout à fait triste, découragée. Je regarde le fauteuil vert vide, je trouve ma vie si mal arrangée ! Et puis je la crois si courte. Et ce court moment, je le passe seule ! Je ne devrais pas vous dire tout cela. Vous avez assez de votre propre tristesse et puis vendredi, un mauvais jour.
Lady Holland a bien raison de le trouver un très mauvais jour. Je suis fort bien avec Madame de Flahaut. Après la grosse explosion, elle est redevenue charmante. A propos on dit qu’elle ne parle plus dans le monde, qu’elle est d’une réserve, d’une prudence presque outrées.
Je vous envoie une lettre du duc de Noailles, car je n’ai rien à vous dire, et le dimanche vous n’avez rien à lire à Londres. Cette pauvre princesse Augusta je la regrette, car elle était la meilleure personne du monde. Elle louchait cependant , elle ne vous aurait pas plu. J’espère qu’il n’est arrivée a personne de devenir louche après cinquante ans, car après votre déclaration. tout serait donc fini ? Ma nièce plait à tout le monde. On ne peut rien voir de plus gracieux, de plus naturel et de plus élégant. Sa mère sa arriver dans quelques jours what a bore ?

1 heure
Comment se fait-il que je n’ai pas de lettres ? Je vous en prie n’envoyez qu’au gens qui attendent la poste chez eux. Adieu, adieu. Adieu à demain. Je serai bien fâchée contre vous si vous m’envoyez autre chose qu’un tendre adieu après mon explication d’hier. Je sais suffisamment me gronder moi- même et je suis trop malade pour pouvoir supporter d’être grondée. Vous verrez qu’à force de douceur je deviendrai sage tout-à-fait. Adieu. Adieu. Il y aura un Cabinet council lundi. Il sera important. C’est de Londres que je parle.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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440. Paris, vendredi 2 octobre 1840,
à 10 heures

Le voilà expliqué le bis, au moment où je commençais une toilette de nuit hier, on m’annonce Byng, je le renvoie ; il me fait dire qu’il arrive de Londres à l’instant ; je le fais entrer rêvant à la paix ou à la guerre ; c’était bien autre chose. Cette charmante lettre en tendres paroles ! Elle a passé la nuit avec moi. Ah que je voudrais vous dire à mon tour tout ce que j’éprouve. J’en étouffe, et cela reste ici. J’ai eu un rêve que vous auriez aimé. Mais ce n’était qu’un rêve !
Hier matin j’ai vu les Appony, Montrond, Bulwer. J’ai fait par ordre du médecin une promenade en voiture fermée. J’ai fait dîner Pogenpohl avec moi pour le voir manger. Ensuite j’ai reçu Tshann, et mon ambassadeur. Mais toujours dans ma chambre à coucher. Le matin j’avais eu une bonne visite de votre plus fidèle. Si la question du dehors s’arrange, savez-vous que celle du dedans sera difficile à arranger. Cela me paraît bien embrouillé, bien compliqué. Le moment des chambres sera des plus curieux. Ma nièce a eu une lettre de son père, il s’annonce positivement pour le mois d’avril, et sa femme dans quinze jours, tout cela est bien pacifique. Il parait qu’on ne rêve pas à la guerre.
Que savez-vous de la disgrâce de Bülow ? Les petits diplomates allemands l’affirment. Vous ne m’étonnez pas par ce que vous me dites de Neumann c’est un gros sot, et fort impertinent ; donnez en de bonnes nouvelles à Paris pour le cas où il y viendrait. A propos les Clauricarde viennent-ils toujours ? Elle ne m’a pas écrit depuis mon départ. Il est vrai que je ne lui ai pas écrit non plus.
J’ai eu un retour de crampes cette nuit et un sot accident après. Je m’étais fait frotter rudement l’épaule et la voilà tout ensanglantée ce matin, et me faisant un mal horrible, comme si j’avais été blessée à la guerre, aussi. ai-je fait chercher le chirurgien du 10ème hussards ! (Chermside)

Midi.
Je viens de recevoir votre lettre d’avant-hier, il y a de l’espoir, il y a de l’inquiétude, un peu de tout. Un peu de gronderie à mon adresse, beaucoup d’autre chose qui n’est pas de la gronderie. J’accepte tout à tort et à travers, mais surtout la dernière partie, toujours désirée, toujours bien venue. Toujours nouvelle quoique si vieille. Voici donc Beyrouth pris. On va crier ici comme si c’était chose inattendue et inouïe. J’en suis effrayée; je suis effrayée de tout, parce qu’il faut si peu pour aller bien mal et bien loin. Vous ne sauriez concevoir le plaisir que j’ai eu à voir Byng. Il avait déjeuné avec vous Samedi. Il été fort pressé de me remettre la lettre. Il était encore en toilette de voyage. J’aime Byng. Adieu, que dois-je penser du conseil de cabinet d’hier ? Je tremble et j’espère. L’article du Times était bon, mais rien ne fait quelque chose à lord Palmerston. Je suis bien aise que vous soyez bien avec Flahaut, je ne sais encore rien de cela pour la femme, je ne l’ai point vue depuis mardi.
Adieu. Adieu, tendrement. Montrond vient souvent sans avoir rien à dire. Il est archi pacifique. Tout le monde l’est je crois, mais n’y a-t-il pas des existences politiques que la paix tuerait. Voilà ce qui m’inquiète. Adieu. Adieu.

2 heures
Dans ce moment, je m’aperçois du vendredi. Je suis enragée contre moi-même, il n’a a pas de remède, ceci ne partira que demain, je vous écris un pauvre mot mais il vous faut la vue de mon écriture, sans cela vous me croiriez morte.

Samedi 3 octobre, 11 heures.
Ma journée s’est passée à Beyrouth c-à-d. que tout le monde est venu chez moi parler de cela et rien que de cela. Le matin, les Granville, Werther, Appony, Pahlen. Le soir M. Molé. Je ne compte pas Adair et autres de cette espèce. Et bien on est bien agité, c’est à dire agité de l’agitation que cela va causé ici, comme si ce n’était pas un événement tout naturel, et très attendu. Thiers a dit hier matin à un diplomate à Auteuil : "Monsieur, c’est la guerre. " On ne le prend pas au mot, parce que vraiment il n’est pas possible qu’elle ressorte de ce fait. le conseil s’était réuni d’abord à Auteuil et puis aux Affaires étrangères. M. Molé me dit que la chambre des pairs était dans un trouble inexprimable. On ne parlait que de cela. On proposait de dresser une pétition à la couronne pour demander la convocation du chambre. M. Molé prétend s’y être opposé. Mais il parle très mal de la situation. Il dit que jamais on n’a si mal gouverné une affaire. Et puis une conduite si lâche à côté de tant de bruit, de si pitoyables réponses au général anglais.
Le dernier factum de lord Palmerston excellent, clair, une vraie pièce de cabinet. Et pas de réponse ? mais c’est incroyable. Enfin vous entendez tout ce qu’il dit. Il voudrait bien savoir bien des choses ; moi, je n’ai rien à lui apprendre. J’ai renvoyé M. Molé avant dix heures pour aller un moment chez Lady Granville. Là j’ai appris l’abdication du roi de Hollande. C’est grave aussi, parce que l’héritier est peu de chose. Tête très légère. Le monde va mal. Mais vous que faites-vous ? L’éclat de Beyrouth devrait faciliter les affaires ; on a meilleure grâce à céder quand ou a un succès. Cependant, je ne sais rien bâtir d’agréable sur ce qui peut venir de Londres. Je suis frappée ce matin du ton de Siècle et du Courrier français. Le Constitutionnel est plus prudent, il est évident qu’il attend vos nouvelles sur le conseil de jeudi. M. Molé prétendait savoir qu’on allait mobiliser la garde nationale, mesure révolutionnaire selon lui. Il croyait aussi que le ministère ne pouvait pas l’empêcher, de convoquer les chambres. Le cri public serait trop fort. Moi, je suis pour la convocation cela va sans dire ! Lord Granville était allé hier soit à St Cloud. L’ambassade anglaise est très agitée. Bulwer excessivement.

1 heure.
J’ai eu votre lettre et un long entretien, avec celui qui me l’a portée. Il vous écrit lui-même. Il voudrait que vous l’instruisiez mieux de votre volonté, de vos idées, pour qu’il puisse faire face aux entretiens qu’il a avec vos amis. Vraiment la situation devient très grave pour les choses comme pour les personnes politiques de toutes les couleurs. C’est bien difficile de deviner le dénouement de tout ceci. On dit qu’ici tout le monde est pacifique au fond, tout le monde, et je le crois mais comment arriver à cette parole décisive " la paix " au milieu de ce qui se passe et peut se passer tous les jours ?
J’approuve tout ce que vous me dites, et comme je comprends ces éclairs d’élan vers une vie tranquille, domestique ! Et moi, que de fois je l’ai souhaitée, et tout juste dans les moments les plus agitées. C’est alors que je rêvais les cottages, que j’enviais le sort des plus humbles de leurs habitants. Ah que je saurais aujourd’hui embellir cette vie là pour vous. Mais vous n’osez pas en vouloir, vous ne le pouvez pas. Je sens tout ; je suis en même temps une créature très passionnée et très sensée.
Je crois l’esprit de 20 très combattu dans ce moment, au fond il n’a pas de l’esprit tout-à-fait Il faut finir, je n’ai encore vu personne aujourd’hui. On dit, c’est votre petit ami qui me l’a dit que les ministres sont un conseil depuis huit heures ce matin. Je crois moi qu’il ne ressortira la convocation des chambres. Encore une fois, il m’est impossible de ne pas la désirer ardemment. J’ai vu chez moi Mad. de Flahaut hier, elle m’a parlé des lettres de son mari, mais elle ne vous a pas nommé. Au reste elle est très douce maintenant, et inquiète comme tout le monde.
Adieu. Adieu. Je ferme de crainte d’interruption et de retard, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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446. Paris, Jeudi le 8 octobre 1840
9 heures

J’ai vu hier Montrond, mon ambassadeur, et le reste de la diplomatie le soir chez Appony. La journée toute guerrière, Appony avait été frappé cependant de trouver Thiers la veille plus découragé que vaillant ; l’esprit très préoccupé. Un homme fatigué, abattu. Vraiment on ne sait pas comment tout ceci peut tourner. Le parti de la paix se renforce cependant, mais le parti contraire est bien bruyant, bien pressé. Le roi est toujours très vif avec Appony, infiniment plus doux avec mon ambassadeur.
Il a fait l’éloge de M. Titoff qui s’est refusé à prendre part à Constantinople, à la dépossession du Pacha. J’ai reçu le petit ami dans la journée. Je suis très frappée de voir que dans le récit de ses longs entretiens avec 1, il soit si peu ou point du tout question du chêne.
Décidément S. n’est pas un ami sincère. Il y a quelque ancienne rancune qui perce. Dites au frênes de ne pas s’y fier tout-à-fait.
Les ambassadeurs sont fort disposés à désirer la convocation des chambres, moi aussi. On dirait cependant que hier rien n’était décidé. J’ai eu hier une lettre de M. de Capellan dans laquelle Il me rend compte des événements de La Haye, et où il me dit qu’il part demain pour Londres pour annoncer à la reine l’avènement de son nouveau roi. Je suis désolées que nous perdions Fagel, son successeur Zeeylen est un désagréable homme. Dites toujours je vous prie mes tendresses à Dedel que j’aime beaucoup, est-il confirmé à Londres ? Pourquoi n’est-ce pas lui qu’on nomme à Paris ?
L’arrivée de ma belle-sœur m’ennuie beaucoup. Sa fille me plait davantage tous les jours. Mais elle a peu d’esprit et elle n’a que deux préoccupation sa toilette, et son mari. Et comme cela, dans cet ordre-là.

11 heures
Je suis enchantée voilà la convocation, et plus prochaine que je ne croyais. Moins de trois semaines. Dites- moi bien, répétez-moi bien que vous viendrez. Ah quel beau jour ! Vous ne sauriez imaginer comme mon cœur est joyeux. Si fait vous le savez, et vous répondez à ce transport. Mon fils va lundi à Londres pour revenir la veille de l’ouverture des chambres. Je ne lui ai pas nommé son frère. On a parlé à Baden de M. de Brünnow et moi ; les Russes en ont parlé, car la petit Hesselrode venu de Londres savait tout. Il n’y a eu qu’une opinion, on l’a blâmée de la vilenie, et encore un peu plus de la bêtise. Cependant, cependant, vous voyez qu’on ne me répond pas. Que c’est bête encore !
Vous ne voyez donc pas du tout M. de Brünnow ? Voici ce que je réponds à lady Palmerston. " Il est assez naturel que M. Guizot aime à parler de préférence avec les gens qui sont de son avis ; mais je le crois assez bien orienté en Angleterre pour savoir qu’il n’y a pas d’autre bénéfice pour lui à cela que le plaisir de la conversation. Il sait fort bien que les gens qui parlent la plus ne sont pas ceux qui mènent."

2 heures
Le petit avec ami me quitte ; nous bavardons, nous bavardons ! Voilà donc que M. Barrot sera porté à la présidence. Vous ne jugerez pas possible sans doute de rester neutre ! Je vous fais la question. J’ai donné au petit les noms français Voilà du monde il n’y a pas moyen de continuer. Je n’ai pas eu de lettres encore aujourd’hui. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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449. Paris, samedi 6 heure le 10 octobre 1840

Voici la copie d’une lettre que ma belle sœur vient de me remettre. Dites-m’en votre avis, je la trouve très mauvaise ; pour bête cela va sans dire, mais dites-moi ce que j’ai à répondre. Je suis fâchée de me fâcher ; ces gens-là n’en valent pas la peine. Je ne puis pas me résigner à me taire, et je ne sais sur quel ton le prendre, ni comment me faire comprendre par des sots. Éclairez-moi et décidez-moi.
D’un autre côté voici depuis cinq ans et demi le premier message de l’Empereur. Il a chargé expressément ma belle sœur de me dire " qu’il espère que je ne l’oublie pas lui non plus ancien ami. " Arrangez cela.
Ma belle-sœur est arrivée de Pétersbourg avec M. Mauguin, recommandée par mon frère aux soins de M. Mauguin depuis le Havre, elle a voyagé dans le coupé de la malle-poste avec M. Mauguin. M. Mauguin d’un signe à écarté les embarras de la douane, « il a fait comprendre qu’il fallait. des égards à Mad. de Benckendorff. M. Mauguin a promis sa protection à ma belle-sœur en car d’émeute ou de révolution, et M. Mauguin a assuré ma belle-sœur qu’il s’opposerait de toutes ses forces à la guerre et qu’il n’y aurait pas de guerre. Mon frère a eu de longs entretiens avec M. Mauguin, et lui a fait comprendre toute la politique de l’Empereur dont M. Mauguin est émerveillé et M. Mauguin est converti !
Je viens de vous raconter une demi-heure de ma matinée, après cela le bois de Boulogne, et puis lord Granville chez moi. Appony avant le promenade rien de nouveau une partie du Cabinet très disposée à la guerre. Je vous écris aux bougies c’est mauvais pour mes yeux, je vous quitte.

Dimanche 11 octobre. 9 heures
Je me suis levée avec quelques nouvelles idées. Si je ne prenais acte que du message de l’Empereur et que je traitasse mon frère de sot, qu’en pensez-vous ? Ce qui est bien certain, c’est que l’à propos de ce message n’est pas insignifiant. Dans ma réponse à mon frère je l’exalterai fort, et je rapetisserai, le valet de tout ce que je grandirai le maître. Approuvez-vous. ? Dans tous les cas mon frère aura le détail des vilainies de M. de Brünnow. Mais dois-je insister sur une satisfaction ? Voilà ce que je vous demande.
Je vous demande une autre chose ; dois-je écrire comme ci-devant Savez-vous que je le ferais avec infiniment de plaisir si j’écrivais droit à l’Empereur. C’est mon frère contre qui j’ai de la rancune. Enfin dites-moi, ce que j’ai à faire. Rien du tout, n’est pas possible.
J’ai dîné seule et puis j’ai été aux Italiens. J’avais dans ma loge Mad. de Flahaut, les Pahlen et Hennage. M. de Werther y est venu. Tout le monde hier était à l’espérance tout le monde croyait que dans les deux pays, on désire et on travaille sincèrement à un arrangement. Voilà le vent d’hier ne sera-t-il demain, aujourd’hui ? Certainement la situation de Thiers est pleine de difficultés, moins de périls ; on le pousse, pourra-t-il résister ?

Onze heures.
Voici votre lettre. Vous venez d’apprendre la convocation. Cela vous a écris comme moi. Que des choses réunies dans cette convocation ! Quel moment pour nous ! Vous avez raison, on ne peut pas parler. Il y a trop trop dans ce fait. Il est immense pour nous. Serez-vous content de ce que vous a porté M. de Lavalette ? le public ici est bien curieux de le connaître. Le petit fidèle croit savoir que c’est une platitude. vous prêteriez-vous a une platitude ? Je suis dans une grande anxiété.

Midi.
Je viens de voir le petit. Je l’engage à vous écrire sans cesse la nuit et le jour, il fait que vous soyez informé de tout car tout à de l’importance.
Adieu. Adieu, bientôt quel adieu !

Les diplomates disaient hier que la France veut quelque chose. de plus que le traité, quelque chose de plus grand comme la tête d’une épingle. Mais enfin quelque chose. Cela va peu avec ce que dit le petit mais on vit ici dans un cercle de confusion et de contradictions. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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438. Londres, mardi 13 octobre 1840
Une heure

Vous avez toute raison ; rien n’est pas possible ; il faut répondre. Et dans la réponse, beaucoup de reconnaissance du message, beaucoup de dédain pour la lettre. Qu’avez-vous besoin d’insister sur une satisfaction quant à M. de Brünnow ? Laissez tomber M. de Brünnow.
Je suis grand partisan du dédain, pourvu qu’on sache selon l’occasion, unir ou séparer les deux ingrédients dont il se compose. Il y a dans le dédain, du mépris et de l’indifférence. Le mépris blesse, l’indifférence embarrasse ; par le mépris, on se sépare par l’indifférence, on prend le haut du pavé. Il faut tantôt laisser ces deux éléments du dédain ensemble, tantôt n’en montrer qu’un, l’un ou l’autre. Sur M. de Brünnow faites les peser tous les deux ; avec votre frère, seulement le dernier. Cela convient et suffit. Après cela, et pour cette fois, rien de plus. D’abord parce que le moment est bien critique et toute parole bien délicate. Ensuite parce qu’il faut se faire désirer et ne pas se montrer pressé. Voilà mon avis, court et clair, n’est-ce pas ? Je vous en dirai bientôt davantage et vous aussi, vous en direz davantage ailleurs.
Quel beau moment ! Je me sens sur une vague propice qui s’enfle sous moi d’heure en heure, et m’élève et me porte à l’objet de mon désir. Votre frère ne trouverait-il pas que c’est là une belle phrase ?
Au fond, je suis bien aise du message et même de la lettre, toute sotte qu’elle est. Elle l’est beaucoup. Renoncez à vous faire comprendre de ce monde là. Acceptez avec eux les inévitables oscillations de relation et de manière. Vous aurez tantôt à vous offenser, tantôt à oublier. Vous suspendrez aujourd’hui, vous reprendrez demain. Ayez du dédain toujours ; montrez-en quelquefois. De la colère, jamais. Pas plus de confiance que de colère. Et le temps se passe dans ce va-et-vient de rapports alternativement bous ou mauvais, toujours supérficiels et qu’il ne faut pas rendre hostiles, un peu par esprit de justice, beaucoup par prudence, et en dernière analyse encore par dédain.
Je n’avais pas attendu votre lettre pour admirer M. Mauguin protégeant Mad. de Benckendorff. Les journaux l’ont affichée. Je n’aurais pourtant pas devinée, la malle poste. J’ai un peu peur pour la paix si M. M. la prend aussi sous sa protection. Dans la Chambre, il a pendant quatre ans porté malheur à la guerre. Il la décriait en la recommandant Mais ne me brouillez pas avec lui en répétant ce que je vous dis là. Il deviendra peut-être, il est peut-être déjà puissant quelque part. C’est un sot avec de l’esprit. Ils n’en manquent pas tous. Vous lirez dans les journaux la grande réponse que j’ai remise hier à lord Palmerston Elle est déjà ce matin dans le Times et le Morning Herald. C’est trop tôt. Ils l’ont eue de Paris, je ne sais comment, ni pourquoi. Elle n’y est pas correcte ; mais enfin, elle y est. Il y a de bonnes parties, concluantes, et spirituellement rédiger. Je regrette qu’elle ne soit pas venue trois semaines plutôt. Ici comme à Paris, on espère un arrangement et on y travaille. Certainement il y a moyen. Je me flatte que cela suffit pour qu’il y ait chance. Je persiste toujours, toujours, dans mon opinion générale.

4 heures
J’ai été dérangé quatre fois en vous écrivant. Pollon, Van de Weyer, Flahaut. Bowring. Je reçois celui-ci parce qu’il me sert. Il a de l’esprit et pas uniquement de l’esprit anglais. Flahaut repart Vendredi pour Paris. Je demande aujourd’hui mon congé. N’en parlez pas, je ne veux pas que ce soit un sujet de conversation. Lord Palmerston va aujourd’hui à Windsor. Il en reviendra après-demain pour le Conseil. Il me semble que Windsor est son cabinet de travail. J’ai vu lord Melbourne. Son lumbago va mieux. Pourtant il marche encore avec une canne dans son salon. J’ai mal dormi depuis deux nuits. J’ai mal à la tête. Un peu de fatigue. Je me défends très bien et très longtemps de l’agitation. Quand elle me gagne, c’est un vrai ravage dans ma nature, qui la repousse. L’agitation me choque et m’humilie, comme l’ennui.
Adieu. Adieu. J’ai énormément à écrire aujourd’hui. Je vous donne tout, mon temps. Je ne vous donne pas tout ce que je voudrais vous donner. Je vous donne adieu, l’adieu que je veux et que vous voulez aussi, n’est-ce pas ? Dites-moi encore, oui.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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452. Paris, Mercredi 14 octobre 1840
10 heures

Je n’ai vu hier que l’Angleterre. L’Angleterre agitée, curieuse, mais assez en espérance. Lord Granville à vu M. Thiers hier au soir à Auteuil. Je l’ai vu à son retour, il ne m’a dit que des généralités, mais l’impression que j’en ai est bonne. J’attends votre lettre avec des battements de cœur. Je préparé une réponse à mon frère, mais je ne ferai rien sans votre avis. On est agité extrêmement dans le public. M. de Lamenais est épouvantable dans les provinces il y a beaucoup d’exaltation. Le gouvernement aura une rude besogne, car j’espère bien qu’il s’appliquera à apaiser. Je suis inquiète. Les Anglais désertent, ils ont parfaitement peur.

Midi
Point de lettres ? C’est toujours le Mercredi qu’elles m’arrivent le plus tard et c’est précisément. Le jour où elles sont le plus ardemment désirées. Il faudra attendre la soirée. C’est bien long ! 2 heures. Le petit est venu aussi impatient, aussi pauvre que moi. Que faire ? Et par dessus le marché je n’ai rien à vous dire. je m’en vais un mettre à lire ce long memorandum. Je n’ai pas vu mon ambassadeur depuis deux jours, il écrit je crois.

2 1/2
Tous les alliés chez moi grand bavardage dont je n’ai plus le temps de vous dire un mot. Adieu. Adieu. On dit seulement que jamais on ne s’est trouvé plus près du dénouement absolu. Paix ou guerre. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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453. Paris Jeudi 15 octobre 1840

J’ai reçu hier après 3 heures les deux lettres de dimanche et lundi votre bonne intention de dimanche n’a été remplie que tard comme vous voyez. Mais mon cœur la compte, je vous en remercie beaucoup beaucoup. Eh bien je vois qu’on a été content de la note, et je vois cependant que cela va encore traîner. Toujours traîner. Ah mon Dieu ! Il est évident qu’on attend vos réponses.
J’ai beaucoup causé avec ma belle sœur, elle est bien peu de chose, mais enfin elle sait et elle se souvient elle se souvient donc qu’il n’y a pas quelque jours aujourd’hui, on ne rêvait pas à la guerre on ne la voulait pas ; elle est très surprise de tout ce qu’elle entend ici. Le mémorandum de Thiers est fait avec un grand talent. Cela se lit et se comprend parfaitement, et je conçois qu’ici il fasse un excellent effet pour le gouvernement et qu’au delà de la manche il a porte également la conviction dans beaucoup d’esprits. Mais nous autres ses visiteurs d’hier matin nous n’en sommes pas contents. Appony dit que tout ce qu’il dit de l’Autriche est faux. M. de Pahlen dit qu’on est bien près de se battre quand on parle ainsi de la Russie. Et il s’attend a quelque contre coup fâcheux de chez nous. En effet voilà des aveux difficiles. Il y a une forte différence entre penser les choses, et les dire ! Nous savons bien que tout le monde pense cela de nous mais aucun gouvernement n’a encore proclamé cette pensée. La France le fait.
Pensez un peu à cela, ne trouvez-vous pas que M. de Pahlen a raison. J’ai eu un long entretien hier avec ma belle sœur. Elle est d’avis d’une forte démarche de ma part contre M. de Brünnow. Elle est d’avis que je raconte tout en détail ma lettre est faite, j’attends votre conseil. J’insisterai sur une réparation. Elle m’a dit de drôles de chose.
L’empereur a toujours de la colère quand il est obligé de reconnaître que j’ai un peu d’esprit. Cela le dépite. J’ai été à une soirée chez Mad. Appony hier. La diplomatie est triste et inquiète. A propos Appony n’a plus été chez M. Thiers depuis 10 jours, et ne compte y aller que lorsqu’il aura eu un Courrier de Vienne. Mon ambassadeur n’y a pas été non plus depuis tout ce temps. Si bientôt les choses ne prennent pas une bonne tournure, elles ne prendront une bien mauvaise. Appony trouve que la question a fait un progrès sensible en ce qu’elle est très simplifiée mais aussi c’est bien plus grave, et la guerre ou la paix est à la porte, il n’y a plus de faux fuyants possibles. il y a des gens qui disent que s’il faut la guerre au bout de tout cela, il vaut mieux l’accepter tout de suite. Quand la France sera bien en mesure de la faire les alliés pourraient bien n’être plus aussi unis. Aujourd’hui ils tiennent ensemble et la France n’est pas suffisamment préparée.
Cependant il me parait clair aussi que nous (alliés) nous ne la commencerons pas, et que ni d’une part, ni de l’autre il n’y a de véritable bonne raison pour la commencer. Quelle mauvaise bagarre que tout ceci ! Que le ciel nous en tire, car les hommes ne paraissent pas devoir nous en tirer. Quand viendrez-vous quand me pourrez-vous venir ? On dit que tous vos amis sont d’opinion que vos devoirs à Londres sont un prétexte et même une raison suffisante pour vous dispenser de vous trouver ici à l’élection du président.
J’attends avec impatience ce que vous déciderez. Je n’ai point d’opinion là dessus. Je désire que rien n’aggrave l’embarras de la situation que rien ne gâte la vôtre. Je fais des vœux pour l’ensemble, je fais de bons vœux pour vous. Voilà où j’en suis. bien incertaine sur les moyens de concilier tout.

1 heure
Le petit sort d’ici ; tout ce qu’il me dit est bien grand pour le Cèdre. Le cœur me bat bien fort. Qu’est-ce qui ressortira de tout ceci ? L’heure de la décision à prendre va sonner. Ah mon Dieu. Adieu. Adieu. Mon cœur est aussi inquiet qu’il est tendre, qu’il est fidèle, qu’il est passionné. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris 16 octobre 1840,

J’ai eu votre lettre du 13 sept. mon cher frère. Je vous remercie sincèrement de la première page. Elle me soulage. L’Empereur est étranger aux procédés de M. de Brünnow. Le reste de votre lettre exige réponse et explication. Lorsque je me suis rendue à Londres, je vous ai promis, & je me promettais à moi-même que de là mes lettres auraient de l’intérêt pour vous. Mes relations à droite et à gauche, me mettaient à même de vous tenir parole. Je l’ai fait et j’ai coutume jusqu’au jour où Lady Palmerston d’un côté, Lady Clauricarde de l’autre, toutes deux mes amies intimes m’ont rapporté ces étonnantes paroles dites par M. de Brünnow à leurs maris respectifs :
" Prenez garde à M de Lieven. Mad. de Lieven ce n’est pas une ruse. Mad. de Lieven est un émissaire de la France. Le moindre mot dit à elle s’en va à l’ambassade de France." Voilà mon cher frère ma réponse à votre question : " Êtes-vous donc bien sûre que M. de Brünnow a tenu sur votre compte des propos favorables ? " Vous voyez que j’en suis bien sûre, et comme pour disculper M. de Brünnow à mes dépends vous ajoutez que mes relations avec M. Guizot sont connues. Je le crois bien ! Je n’ai rien à cacher.

M. Guizot est un homme que son esprit, sa situation, son caractère, sa probité place très haut dans le monde. J’ai du respect pour son caractère et beaucoup de goût pour sa société Je n’imagine pas que vous veuillez insinuer autre chose ? Si je le pensais, je ne vous répondrais pas plus que je n’ai répondu aux journaux. Je reviens à mon texte. J’avais remarqué à mon arrivée à Londres que le corps diplomatique était en grande réserve avec moi, malgré que tous furent mes anciens collègues. Cette circonstance m’avait d’autant plus étonnée qu’à Paris mes relations sont aussi intimes et confiantes que possibles avec tous les représentants des grandes puissances qui sont le fond de ma société. Comme en Angleterre je vis avec les Anglais cela m’importait peu, mais Lady Palmerston le jour même où elle me dénonça les propos de M. de Brünnow à son mari me dit que toute cette diplomatie était ameutée contre moi quelques temps avant mon arrivée et huit jours après cet entretien elle reçut une lettre de son frère Lord Beauvale qui lui mandait de Vienne tout ce que vous me dites, le Prince de Metternich lui avait parlé de ces bruits venus de Londres, et Lord Beauvale ajoute : " Qu’est-ce que veut dire ce bavardage ? " J’ai vu cette lettre.

Devant une intrigue aussi infâme, ourdie avec tant de soin, devant des paroles dites aussi officiellement par le ministre de l’Empereur, à des personnes aussi officielles que lord Palmerston et lord Clauricarde, je n’ai pas pu, je n’ai pas dû me taire. Quelqu’un, quelque chose était cause de la situation bien nouvelle qu’on s’efforçait de me faire à Londres. Comment attribuer à M. de Brünnow la maladresse de faire de moi son ennemi, au lieu de m’avoir pour lui, sur un terrain où tout le bénéfice de bons rapports entre nous, était de son côté ? Comment lui supposer la vilenie, il faut bien me servir de ce terme, et l’audace de venir sans grave raison flétrir par une aussi odieuse calomnie, la veuve de l’homme qu’il appelle son bienfaiteur, une femme de mon rang, placée comme je le suis dans l’opinion et l’affection des personnes les plus élevées et les plus importantes en Angleterre ? Voilà ce que me disaient mes amis en ajoutant que M. de Brünnow connu pour être un grand courtisan s’appuyait peut-être sur ma défaveur auprès de l’Empereur. Or, on la connait à Londres.
Elle a eu là de l’éclat, du retentissement par deux choses surtout ! L’oubli total où l’Empereur m’a laissée à la mort de mon mari ; la quasi défense de venir à Londres lorsque le grand Duc s’y est trouvé. Personne n’avait pu comprendre les motifs d’une d’une semblable rigueur. M. de Brünnow venait de les révéler, ils peuvent même en avoir reçu l’ordre ! Voilà ce que Lady Palmerston me rapportait comme l’opinion des autres et je pouvais même raisonnablement craindre qu’elle même se trouvât dans le doute, car mon expérience du monde m’a assez appris la vérité de cette parole de Beaumarchais : " Calomniez, calomniez, il en reste toujours quelque chose."

Je vous ai écrit le 5/17 juillet dans la chaleur de la juste indignation que j’ai ressentie ; je vous envoie copie de cet lettre pour mémoire. Je vous ai écrit le 12/24 juillet que, jusqu’à une réponse de vous sur ce point, vous ne deviez pas vous étonner que je suspendisse ma correspondance intime avec vous, et par une autre lettre du 9/21 août j’ai motivé cette résolution. En effet après tant d’années, tant de preuves de dévouement, voir mon dévouement reconnue de cette façon ; voir le ministre de l’Empereur me dénoncer à un gouvernement étranger comme un traître.

Voir cette calomnie faire son chemin auprès de deux autres cabinets étrangers, la voir ébranler la foi de mes plus intimes amis ! C’était trop, et avant que les causes de cette injures fussent éclaircies j’ai dû m’arrêter tout court c’était bien le moins que je pusse faire. Je vous en ai prévenu et vous faites de cela un chef d’accusation contre moi ! Par mon silence, je confirme les soupçons ! Est-ce me juger avec équité, est-ce seulement me juger avec logique. J’en reviens à la confidence qui m’a été faite des propos, de M. de Brünnow. Savez-vous ce que j’ai dit quand lady Palmerston et lady Clauricarde me les ont dénoncés ? J’ai dit, et j’ai dit bien fort. " L’Empereur ne le croit pas, l’Empereur ne le croira jamais car l’Empereur me connait. Mais il ne sera pas loisible à son ministre de m’injurier impunément." Voilà l’écho que je devais trouver à Pétersbourg.

Vous m’accusez au lieu de me défendre. L’Empereur fait mieux que vous. Pour la première fois depuis tant d’années, l’Empereur me fait dire des paroles d’amitié, d’ancienne amitié, par votre femme. L’Empereur sait que je suis un sujet fidèle et c’est le moment où d’autres veulent en douter ; c’est ce moment que l’Empereur choisit pour me faire parvenir un souvenir bienveillant. Dites à l’Empereur que les plus grandes faveurs sont doublées par l’à propos. Mon cœur le remercie de la faveur, mon esprit de l’à propos. Mais si mon cœur est satisfait, mon honneur ne l’est pas, car il n’en reste pas moins constant que M. de Brünnow a jeté une tache sur le noble nom que je porte ; que c’est me déshonorer que de douter que je suis le loyal sujet de l’Empereur, me déshonorer que de le dire ; et que la dame d’honneur de l’Impératrice ne peut pas rester sous le coup d’une semblable calomnie. C’est à ce titre, si ce n’est au mien propre que je demande que M. de Brünnow rétracte ce qu’il a dit là où il l’a dit, parce qu’encore une fois, il me faut cela ou autre chose qui atteste aux yeux des autres que je n’ai jamais mérité de si odieux soupçons. Je vous prie de mettre cette lettre sous les yeux de l’Empereur.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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458. Paris mardi 20 octobre 1840,
9 heures

Puisque vous êtes inquiet de ma lettre à mon frère, je vous en envoie copie, et je vous préviens qu’elle ne part que samedi ou dimanche, par conséquent votre réponse à ceci m’arriverez avant. Lisez, je la trouve bien, la trouve absolument nécessaire. Ma belle-sœur m’appuie, l’occasion est bonne, Dites-moi votre avis. J’ai dîné hier chez mon Ambassadeur. Je n’ai pas pu le lui refuser c’était un dîner de famille Appony, & Benckendorff. J’y ai revu Zuglen, il repart et revient bientôt pour résider ici en place de Fagel. C’était très différent de Fagel ! De chez M. de Pahlen, j’ai été chez Lady Granville. M. de Broglie en sortait, il avait dit à Granville que vous serez ici le 26, qu’il regrettait que vous n’eussiez pas remis cela de quelques jours, qu’il aurait mieux valu attendre que l’élection du président fut passée ! J’ai vu le matin Mad. de Flahaut. Elle trouve que le ministère de Thiers est bien orageux, que tous les guignons sont venus l’accabler, elle dit beaucoup cela. Et puis elle s’inquiéte, elle dit que la gauche est impatiente il n’y a pour elle aucune faveur, elle sont toutes aux doctrinaires. Elle parle plutôt avec tristesse qu’avec passion.

Mais elle est venue sur l’Angleterre c’est-à-dire sur la portion du ministère qui a amené la rupture avec la France. J’ai donc lu la note du 8 octobre. Je suis ravie de la trouver si pacifique, mais je ne puis pas ajouter que je la trouve brillante. ni pour la forme, ni pour le fond Je ne le des pas mais je le pense.
Je suis trop heureuse de tout ce qui ajoute aux chances de paix. et généralement ceci est regardé comme rendant la guerre impossible. J’irai peut-être jusqu’à trouver ou jusqu’à dire que la note est très belle ! Savez-vous que je crois que je rêve quand je pense que je suis à si peu de jours de tant de bonheur ! Je ris de plaisir et puis je joins les mains, je remercie Dieu, et je le prie. Vous faites comme moi, j’en suis sûre. M. le conte de Paris est très mal on ne croit pas qu’il en revienne. Je ne vous dirai jamais assez combien j’ai trouvé votre lettre à 62 admirable donnez m’en une copie je vous en prie. Je n’ose pas la demander au fidèle sans votre permission. Permettez-lui. Il y en a deux autres aussi belles, si elles ne le sont pas plus encore, à ce qu’il me dit, que je n’ai point lues. Permettez. La Diplomatie dit beaucoup qu’il y a danger imminent, terrible, si Thiers sort du Ministère. Ils sont effrayés à mort ces pauvres gens. Thiers rentre en ville aujourd’hui. Le Roi pas avant le 26, à ce qu’on dit.

2 heures. Voici le petit auquel je donne ma lettre. Je n’ai rien à ajouter. Certainement la crise y est. Dans la semaine il peut y avoir quelque chose. Etes-vous bien décidé ? Quel jour ? Quel que soit ce jour, il sera beau, il sera ravissant. Adieu. Adieu. Mille fois adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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11. St Germain, vendredi 3 heures.
Le 18 août 1843

J’ai répondu trop courtement tout à l'heure à votre lettre. J’étais pressée de renvoyer Etienne. Je suis très frappée de ce que vous me dites sur Metternich et Naples. Il faut lui enlever cette clientelle, ou plutôt ce client. Faire reconnaître par Naples. Je crois moi, en tout, que vous menerez bien cette affaire là. Elle est grande vous vous y ferez hommes. Mais il faut la surveiller et la suivre de très près.
Samedi Midi le 19 août. Je fus interrompue hier par l'arrivée des [Delosdeky], de Rodolple Appony. Ils sont restés jusque près de l'heure du dîner. Le mari va aujourd’hui à Dunckerque où il s'embarque, & la femme au Havre où elle reste. Elle a eu une lettre de mon frère par laquelle il est évident, qu'il voudrait que sa femme passât l'hiver à Paris pour se débarrasser d’elle, & il garderait Sophie. The better half, et nous aurons the worse. Nous avons eu à dîner le prince Kourakine et M. Balabine. Vous ne vous attendez pas que cela me fournisse quoi que ce soit à vous dire. Voici huit jours depuis votre départ. Et bien le temps a passé. il passe sur l'ennui comme sur la joie. Mais Dieu merci il n’y a plus que trois jour. Que vous aimeriez St Germain ! C’est charmant et un air si pur si bon. Une heure. Votre lettre m’arrive. Je suis enchantée que vous ayez renvoyé à Londres, avec le changement. Décidément c’est avec Londres qu'il faut s’arranger, et vous y parviendrez. Comment Espertaro serait vraiment en France ? C’est certainement original. Depuis votre lettre qui fixe Mardi pour votre retour je médite sur les moyens de m'échapper. Si je le puis convenablement vous savez bien que je le ferai, mais si cela devait offenser ou chagriner cette bonne jeune comtesse, je ne pourrais pas. Vous ne sauriez croire toutes les attentions qu’elle a pour moi. Adieu. Adieu. Il me semble donc que je ne vous lirerai plus que demain. Je mens, je vous écrirai, toujours puisque Genie saura bien où vous trouver. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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3. Saverne Samedi 3 août 1844
6 h. du matin

Je veux encore vous dire adieu sur terre de France. Je serai triste en passant le Rhin ! Hier n’a pas été si bien que les autres journées. Un accident ; le postillon sous les chevaux... La voiture presque renversée. Mon Constantin a sauté dehors avec une prestesse de cosaque. Il a tout fait, coupé les traits, relevé le postillon. Enfin nous nous sommes remis de la frayeur et de l’accident. Cela a fait un délai d'une heure. Le pauvre postillon y perdra un doigt.
Je vais donc revoir mon frère aujourd’hui. Je commence à y penser. J’aurai un peu de plaisir, et quelques conversations curieuses. A propos, si l’envie de voir Strasbourg lui venait, s’il était curieux (ce qu'il sera) d’un exercice des chasseurs d’Orléans, Hennequin serait-il homme à l’orienter pour le jour où cela pourrait se rencontrer ? Ou bien pourriez-vous lui faire tenir quelque autorisation auprès du Chef militaire pour cela ? Cela serait de la bien bonne grâce. Je vous dis ceci en l'air, mais Constantin croit que son oncle serait le plus heureux du monde de voir pareille fête.
Les visiteurs de Bade arrivent à Strasbourg sans passeports. Au reste je vous reparlerai de cela encore quand je l’aurai vu. Je vais déjeuner et partir. Je soutiens bien le voyage. Constantin est tout étonné du peu d'embarras que je lui donne, mais cela vient de ce qu’il est là et que je ne m’inquiète pas de mille détails du voyage. Ma santé va assez bien. Adieu. Adieu. Ecrivez-moi, soignez-vous. God bless you dearest.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris mercredi 9 octobre 1844
9 heures

A 6 heures hier au moment où je m’apprêtais à faire ma toilette pour dîner chez les Cowley, l'ambassadeur d’Autriche est venu m'annoncer la mort de mon pauvre frère. Je ne puis pas dire que j’en ai été saisie, il y a si longtemps que je suis préparée à cet évènement, mais j'en suis fort triste. Votre absence ajoute beaucoup à cette tristesse. Et quand Appony m’a eu quittée j’ai senti profondément mon isolement absolu. Je me suis regardé avec un vrai serrement de cœur, quelle solitude, quelle impuissance. Je suis restée comme cela une heure et puis il a fallu songer à mon dîner. Personne n'était à la maison, j’ai envoyé prendre quelque chose chez un restaurant, je n’ai pas que manger à huit heures je suis allé chez Annette. Pauvre fille elle sanglote sans pleurer. Elle se reproche d’avoir quitté son père. Et elle ne sait pas tout encore. On dit qu'il est mort dans la traversée, ainsi sans sa femme, sans ses enfants. Le bon Constantin tout seul auprès de lui. Toutes ces nouvelles sont venues par des correspondance russes. Personne ne nous a écrit encore ni à Annette ni à moi. Je suis restée auprès d'elle jusqu'à 10 heures. J’ai mal dormi encore. J’ai beaucoup rêvé de vous. Je me suis levée de bonne heure dans l’attente d'une lettre, d'une nouvelle. Il n'y a ni télégraphe ni lettre. Je sens qu’il n’y a pas de quoi m’inquiéter, et je m’inquiète. C’est votre santé qui me trouble l'imagination. Le temps est devenu très froid. Vous avez été fort exposé à l’air. Comment tout cela vous va-t-il ? Par pitié pour moi soignez vous extrêmement. Si vous avez dit vrai c’est d’aujourd'hui en huit que je vous reverrais. Ah que le ciel m’accorde ce bonheur. Et puis je jurerai que vous ne m'échapperez plus.
La pauvre Marie Tolstoy selon ces nouvelles russes aussi, est très près de sa fin. Ce pauvre excellent Constantin quel chagrin pour lui. Il ne lui reste plus rien. Je suis sûre qu'il se rappelle & cherche mon amitié. Il n’a plus que moi pour l’aimer. Je crains qu’il me demande à aller au Caucase cela me désolerait. Voilà encore qu'aujourd’hui ma lettre est demandée pour 11 heures vite je finis. Je vous prie je vous supplie portez-vous bien & ne me dites que cela. Adieu. Adieu.
Mille fois adieu dearest.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris, Jeudi le 10 octobre 1844
8 h 1/2 matin

Voilà votre bon petit mot de Portsmouth. Merci. Merci. Bien dormi, bien mangé. C'est là ce qu’il faut me dire. C'est la seule chose qui m’intéresse vraiment. Hier soir Génie est venu m’apporter la dépêche télégraphique de Windsor. J’en ai été médiocrement contente, elle ne parlait pas de vous. Sachez bien qu’il n'y a que vous pour moi dans le monde.
A propos de cette dépêche la colère de Génie était sans bornes, restée 23 1/2 heures entre Windsor & Calais ! C'est vrai que c’est fort.
Il est impossible de faire plus. La venue du Prince Albert à Portsmouth à bord du Gomer, c’est parfait. Que je serai curieuse maintenant des détails. Comme les journaux vont nous en régaler ! Je voudrais qu’ils me racontent aussi ce que vous mangez.
Hier pauvre journée de larmes. Constantin m'a écrit la plus touchante lettre du monde. Vous verrez qu’elle vous touchera. Cette lettre a enfin fait pleurer la pauvre Annette. Elle n’a pas quitté son lit depuis l’arrivée de la nouvelle.
J’ai vu hier matin Fagel deux fois, Fleishman, Kisseleff, Bacourt, l'Ambassadeur d’Autriche. J'ai fait ma promenade au bois de Boulogne après mon dîner. J'ai été chez Annette où je suis restée jusqu'à 1 heure de me coucher. Je ferai cela tous les jours. Bacourt vous demande s'il doit attendre votre arrivée. Il voulait aller lundi à Bruxelles pour en revenir le 1er Nbre. Mais si vous en disposez autrement, il fera votre volonté et vous attendra. Il ne sait rien que le fait que vous avez peut être besoin de lui. Fagel est excellent d’abord pour moi (il a le cœur très charitable) et puis excellent par les rapports avec Londres. Lord Aberdeen a lu le rapport de Fagel sur son entretien avec le roi où celui-ci-li a fait un éloge si vif & si mérité d’Aberdeen. Cela lui a fait une satisfaction visible. Il s’est beaucoup loué & d'ici, et de vos agents d'Espagne surtout de Glusbery. C'est absurde de vous adresser tout cela à Windsor. Je ne sais que vous mander. Vous comprenez bien qu'ici il n’y a pas de nouvelles, & que moi plus recluse que jamais à présent à cause de mon deuil, je ne puis rien apprendre.
Le Toulonnais donne votre traité avec le Maroc. Certainement, cela n’est pas en règle. Comment ces choses là arrivent-elles chez vous ? J'espère que Tahiti ne va pas faire un nouvel embarras. Ah que j'arriverais à jeter Tahiti au fond de la mer. Revenez je vous en prie avec le droit de visite au fond de mer aussi. Je ne sais pourquoi, je l'espère beaucoup. Mais surtout je vous en supplie portez vous bien. Dormez, mangez, prenez des forces et parlez moi de cela tous les jours.
Sans doute le Roi se louera de Cowley à Windsor. Je voudrais que cela valût à ce bon vieux homme le titre d’earl. Je n’ai pas vu Lady Cowley hier elle était malade, elle viendra aujourd’hui.

Midi et demi. Dans ce moment m’arrive votre petit mot de Windsor. Mardi 5 heures Mille fois thank you dearest que c’est charmant de lire écrit de votre main : Je suis très bien. Continuez à l’être et à me le dire.
Que la bonne réception de Portsmouth m'enchante. Au fait tous ces hourras feront du bien au roi ici. Cela le réhausse encore. Quelle honte pour les Français de si peu reconnaître ce qu’ils possèdent. Mais savez vous qu’au fond il y a un sentiment d’inquiétude de son absence, on sera content de le savoir de retour. Il manque, c’est un vide. On s’aperçoit que c’est une grande affaire que le roi. Je crois moi que tout ceci fera du bien.

9 heures
J’ai été accablée de visites. Il faut que je ferme ceci & que je le porte chez Génie. Adieu. Adieu. Vos filles sont venues elles ont été très aimables pour moi, et m'ont apporté de charmantes brioches bien chaudes très utiles. Elles ont bonne mine toutes les deux. Adieu. Adieu.
Voilà le petit Nessellrode qui reste aussi. Je vous redirai tout demain. Adieu. Adieu. God bless you dearest.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°7 Château de Windsor, Vendredi 11 Oct. 1844
4 heures

Votre pauvre frère est donc mort. Tristesse ou joie, toute chose m'est un motif de plus de regretter l'absence. Loin de vous ce qui vous afflige me pèse ; ce qui me plaît à moi, me pèse. Je ne puis souffrir cette rupture de notre douce et constante communauté. Je suis vraiment triste que votre frère n'ait pas eu la consolation de mourir chez lui, dans sa chambre au milieu des siens. Il semble qu’on ne meure en repos que là. Et cette pauvre Marie Tolstoy ! Je ne lui trouvais point d’esprit. Mais elle a un air noble et mélancolique qui m’intéressait. Non, vous n’êtes pas seule, car je vais revenir.
Nous partons toujours lundi 14, pour nous embarquer à Portsmouth vers 5 heures et arriver au château d'Eu mardi 15 à déjeuner. J’y passerai le reste de la journée du mardi et je serai à Paris mercredi soir. Bien profonde joie.
Le voyage est excellent et laissera ici de profondes traces. Mais cinq jours suffisent pleinement. Je sors de la cérémonie de la Jarretière. Vraiment magnifique et imposante, sauf toujours un peu de lenteur et de puérilité dans les détails, 14 chevaliers présents. Le Roi, très bonne mine, très bonne tenu ; point d'empressement et saluant bien. Lord Anglesey a failli tomber deux ou trois fois en se retirant. Je ne vous redis pas ce que vous diront les journaux.
Hier à dîner entre la Duchesse de Mecklembourg et la Duchesse de Norfolk. La première spirituelle, et gracieuse ; la seconde pompeusement complimenteuse. Après dîner, Lord Stanley. Longue et très bonne conversation. Il m'a dit en nous quittant : " Je vous promets que je me souviendrai de tout ce que vous m'avez dit. " Je crois avoir fait impression. Le Roi en croit autant pour son compte. Quel dommage de ne pas voir les hommes là tous les trois mois ! Qu'il y aurait peu d'affaires. Lord Stanley m’a fait à moi l'impression d'une grande franchise & straightforwardness. Le tort des Anglais, c'est de ne pas penser d’eux mêmes à une foule de choses, et de choses importantes. Il faut qu'on les leur montre.
Outre Stanley, un peu de conversation avec M. Goulburn. Je les ai soignés, tous. Voilà deux soirées où je vous jure que j’ai été très aimable. Hier trois heures avec Aberdeen. Parfait sur toutes choses. Nous sommes de vrais complices. Nous nous donnons des conseils mutuels. Il est bien préoccupé de Tahiti et bien embarrassé du droit de visite. Ce matin deux heures et demie avec Peel. Remarquablement amical pour moi. Les paroles de la plus haute estime, de la plus entière confiance. Il a fini par me tendre la main en me demandant mon amitié de cœur. A un point qui ma surpris. Du reste très bonne intention ; plus d'humeur. Le voyage en effacera toute trace : mais des doutes, des hésitations et des inquiétudes dans l’esprit qui est plus sain que grand. Il m'a répété deux fois, qu’il s’entendait parfaitement et sur toutes choses avec Lord Aberdeen. Se regardant comme brouillé avec une portion notable de l’aristocratie anglaise, & le regrettant peu.
L'Empereur et M. de Nesselrode ont pris plus d’une demi-heure de notre temps. Les choses sont parfaitement tirées au clair. Il a fort approuvé ma conduite de ce côté depuis trois ans. Que de choses j'aurais encore à vous dire. Mais il faut finir. Mon courrier part dans une demi-heure et j’ai à écrire à Duchâtel. Adieu. Adieu. Dearest ever dearest.

J'oublie toujours de vous dire que je vais bien. Un peu de fatigue le soir. Je suis toujours charmé de me coucher. Mais je suffis à chaque jour, et mieux chaque jour. Je mange, quoique je ne puisse pas avoir un bon poulet. Demain, la Cité de Londres envoie à Windsor son Lord Maire, ses douze Aldermen et 18 membres de son common council pour présenter au Roi une adresse excellente pour lui, excellente pour la France. N'ayant pu obtenir le banquet à Guildhall ils n'en ont pas moins voulu manifester leurs sentiments. Ici, cela fait un gros effet. J’espère que chez nous, il sera très bon. Je n'écris pas à Génie dites-lui je vous prie ceci et quelques autres détails pour sa satisfaction. Adieu adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris, vendredi le 11 octobre 1844,
à 9 heures

J’ai abandonné les N° parce que j’ai cru que vous me trouveriez pédante, il est si clair que je dois vous écrire tous les jours que les occasions sont si sûres et si directes. Cette précaution est donc inutile. Voilà votre lettre de 9 heures Mercredi, finie à Midi et demi.
Je devais me rappeler que les lits Anglais sont durs, & vous recommander de faire mettre le feather bed over the mattress instead ot under it. Mais je ne pense à rien, je suis une sotte aussi comme André. Et mon avertissement vient trop tard. Cependant si vous avez cette lettre demain faites faire encore ce changement. Car à tous les lits Anglais il y a ce feather bed, à moins que les mœurs n’aient changé depuis mon temps.
Le petit Nesselrode hier était en train de me parler quand on est venu nous interrompre. Il reviendra aujourd’hui. Il postulait de l’inquiétude de son père à la seule possibilité d’une vraie querelle entre la France et l'Angleterre, de son ardent désir de la paix. Il parle du voyage de son père en Angleterre comme de la promenade d'un indépendant désœuvré. Il donne sa parole d’honneur qu’il n’est pas question du mariage Cambridge, et ajoute cependant que ce serait le plus convenable de ceux qu'ont faits les filles de l'Empereur.
Lord Cowley est fort irrité à ce que le Boüet du Sénégal the real french boute feu, he says, se trouve sur l’escadrille qui a mené le roi, par conséquent à Portsmouth. Comment a-t-on pu permettre cela ? Il n’appartient pas ces navires. C’est Cowley qui parle. Il est aussi dans l'agonie pour cette nouvelle aventure à Tahiti. Il a de suite envoyé à Lord Aberdeen le Messager qui nie l'arrivée d’aucun rapport sur ce fait mais cela n’empêchera pas qu'on ne croie à Londres, qu'il a eu lieu. Il se félicite de n'avoir pas l’explication sur ses épaules, car il pense que vous allez vider cela à Windsor. J'en doute. Et votre Bruat faisant imprimer à Tahiti les rapporte dont vous niez l’existence ici. Ah mon Dieu, quels agents vous employez. Et celui-là vous l'avez choisi vous me l'avez vanté. Quel mauvaise affaire que ce Tahiti tout ensemble.
Je me suis promenée hier au bois de Boulogne, j’avais besoin d'air, une matinée est massacrée. Tout le monde vient, et puis j’ai beaucoup à écrire en Russie. Je m’occupe d’Annette bonne fille, bien triste. Après mon dîner, je vais tous les jours chez elle. J’y reste jusqu'à 10 heures.
Dieu merci vous me répétez que vous allez bien. Comme je vous regarderai à votre retour ! Votre retour ! Quelle charmante chose que cela. Comme j'y pense mais avant tout je veux savoir à quelle heure lundi vous quitterez Windsor à quelle heure vous vous embarquerez à Portsmouth. Ah, s’il fait du vent, que je serai malheureuse ! A quelque moment que vous partiez, mettez-vous sur votre lit, c’est toujours la meilleure précaution à prendre contre le mal de mer. Ne croyez pas les gens qui vous diront qu'il faut rester sur le pont. Et puis arrivé à Eu, reposez-vous bien, ne vous pressez pas, je saurai attendre une fois que je vous saurai en safety. Et puis je ne sais pourquoi j’ai des préventions contre Rouen. Pourquoi ne pas venir par la route naturelle. Coucher à Granvilliers ou à Beauvais en faisant faire une bon fin, bien bassiner votre lit ; et ayant soin d'avoir une voiture dont les roues tournent & les glaces se lèvent. Pensez à tout et racontez-moi ce que vous ferez.
Je reçois dans ce moment une longue lettre de Bulwer, je n’ai fait que la parcourir. Grande éloge de Bresson & de Glusbery. Beaucoup de goût pour le Prince de Joinville. " H. R. H. is clever agreable & what we English like off hand. He pleased me much. " Au bout de tout cela il me rappelle une petite demande qu'il m’a faite dans le temps. Vous savez bien, & me prie if I could manage that. & &
Je me suis mise à penser ce que seraient vos dernières paroles avec Lord Aberdeen et voici mon little speech. " Maintenant nous nous connaissons bien, nous nous sommes éprouvés, notre règle de conduite politique est la même, tant que nous serons ministres nous pratiquerons la paix, la bonne entente. Le jour où une difficulté bien grave se présentait, et où nous pourrions vraiment craindre de ne pas parvenir à nous entendre par voie diplomatique ordinaire promettons-nous, avant la dernière extrémité, de nous rencontrer ; un rendez-vous sur terre française. Les Anglais pas plus que les Français ne veulent la guerre. Ils sauront gré aux deux hommes qui la leur épargneront, qui auront épuisé toutes ses ressources en tout cas nous aurons fait votre devoir. " Est-ce que je radote ?

2 heures. Génie est venu me trouver. Nous rabâchons ensemble. Mais je n'en ai jamais assez. Herbet lui dit aussi que vous allez bien. Je vous en prie prenez bien du soin de vous. Génie m'ébranle sur la question du retour mais je veux savoir absolument quelle route vous prendrez ; mandez-le moi. Je laisse ceci ouvert pour le cas où j'apprendrais quelque chose.
Quels bons leading articles dans les journaux anglais. Comme je serais fixée de mon roi dont on dirait cela, et comme j’aurais de la bonne conduite pour une nation étrangère qui me parlerait de cette façon. Mais ces français n’ont aucun sens de la vraie délicatesse, du vrai honneur, du vrai mérite. Vraiment j’ai quelque chose comme un grandissime mépris pour les Français de ce moment. Adieu. Adieu.
Je vous envoie la lettre de Bulwer après l’avoir lue. Vous verrez qu'il parle mal de Nyon, mal de Hay, qu'il se loue beaucoup du consul napolitain Martino.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°8 Château de Windsor. Samedi 12 Oct. 1844, 4 h. et demie

Je sors de la réception de l'adresse de la Cité au Roi. Le Lord maire, les Sheriffs, les aldermen, & des common Council men, 45 en tout. Vous verrez l'adresse et la réponse du Roi, qui a été parfaitement accueillie. Bonnes toutes deux. J’avais écrit la réponse ce matin, et je l’avais fait traduire par Jarnac. De l’avis de Peel, et d'Aberdeen il fallait qu’elle fût écrite lue et remise immédiatement par le Roi au lord Maire. La Reine et le Prince Albert ont passé une demi-heure dans le cabinet du Roi à revoir et corriger la traduction. C'est une véritable intimité de famille et d’une famille très unie.
J’ai eu le cœur remué pour mon propre compte. Au moment de se retirer les commissaires de la Cité ont demandé tout bas qu’on leur montrât M. Guizot, et à peu près tous m'ont salué avec un regard respectueux et affectueux qui m’a vraiment ému. Au dire de tous ici, cette adresse, votée à l’unanimité dans le Common Council est un évènement sans exemple et très significatif. Peel répète souvent qu’il en est très frappé. Plus j’avance plus je suis sûr qu'ici le voyage est excellent, excellent dans le Gouvernement et dans le public. Le Duc de Wellington est venu ce matin passer une heure chez moi. Nous avons causé de toutes choses, même du droit de visite ; évidemment ma conversation lui plaisait, et j'espère qu’il s’en souviendra.
Vous avez raison ; il faudrait que Cowley fût Earl. Je tâcherai de faire arriver cela. J'en parlerai au Roi, qui a déjà très bien parlé des Cowley. Le Roi vient de partir pour une visite à Eton. Il est infatigable. Je suis resté pour écrire, pour vous écrire.
Ne vous enfermez pas dans votre deuil au delà de ce que veut la convenance. Je ne doute pas que la lettre de Constantin ne me touche. C’est un bon jeune homme. J'espère qu’à partir de demain Dimanche, vous aurez l’esprit de m'écrire au château d’Eu et non plus en Angleterre. Lundi encore, écrivez-moi à ici. J’aurai votre lettre mardi, et Mercredi j'irai vous chercher vous même au lieu d'attendre vos lettres.
Nous quitterons Windsor Lundi à midi. La Reine, avec le Prince Albert, reconduira le Roi à Portsmouth. Là vers 3 ou 4 heures elle montera à bord du Gomer, où le Roi lui donnera un luncheon. Après le luncheon, elle quittera le Gomer pour monter sur son yacht, le Victoria Albert et les deux bâtiments sortiront ensemble du port de Portsmouth la Reine pour aller à l’île de Wight, nous pour faire voile vers le Tréport. On ne peut pas pousser plus loin la bonne grâce, et l’amitié. On dit que tout Londres sera lundi à Portsmouth.
Bacourt peut aller à Bruxelles. Je ne crois pas avoir besoin de lui avant le 1er Déc. Et en tous cas Bruxelles est si près. Je vais vraiment très bien. J'en suis frappé surtout pour l’appétit. Il y a bien encore un fond de fatigue surmonté par l'excitation de la vie que je mène et par ma volonté. Pourtant je sens aussi revenir la force, la force vraie et naturelle. Je suis sûr qu'à mon arrivée vous serez contente de moi. Adieu. Adieu. Votre lettre de ce matin m'a bien plu. Seulement vous ne me dîtes rien de votre santé. Adieu, dearest.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton Mardi 26 sept 1848
Une heure

Je suis hors d'état de sortir. Je tousse pas mal, c’est-à-dire très mal. Il me faut un peu de confinement. J'ai bien dormi mais en me réveillant pour tousser. Je me coucherai ce soir de bonne heure. Et de tout le jour, je ne quitterai mon cabinet. Que je voudrais qu’il fit beau demain. J’espère que je pourrai aller vous voir. Peut-être le matin, à 1 heure, si je me suis encore trop pris pour me mettre en route le soir. Ceci est un grand ennui. Et j’ai bien peur que cela ne nous arrive plus d’une fois cet automne. Je me porte très bien au fond ; mais je m'enrhume aisément, et je suis aisément fatigué. Je me résignerais, très bien à n'être plus jeune si je n’avais jamais à sortir de chez moi. Ce qui vaut et ce qui sied le mieux quand on n’est plus jeune, c’est la tranquillité.
J'ai les mêmes nouvelles que vous de Paris. Si Louis Bonaparte se conduit passablement, et s’il n’est pas forcé d'attendre longtemps, il pourra bien avoir son moment. Agité et court car il ne peut pas plus supporter la liberté de la presse que Cavaignac, et il n'aura pas, comme lui, pris la dictature au bout de son épée. Son nom, qui le sert de loin, l’écrasera de près. Mais il vaudrait infiniment mieux éviter cette parenthèse de plus. Je crois encore qu’on l'évitera, que Louis Bonaparte se compromettra avant d'arriver au pouvoir et que l’armée comme l'Assemblée. soutiendront Cavaignac contre lui. Que la République et l'Impérialisme s’usent bien contre l’autre ; c'est notre meilleure chance, et à mon avis la plus probable.
Je ne comprends pas ce que votre correspondant demande à votre oncle. Il le sait prêt à la transaction. Ce n’est pas à lui à aller la chercher. Ce n’est pas à lui qu'on peut s'adresser pour qu'elle marche et se conclue. On désire quelque fait extérieur qui prouve qu'elle peut se conclure, qu'elle se conclura, le jour venu. Qu'on aille donc au-devant de ce fait ; qu'on lui fournisse l’occasion de paraître. L’occasion semblait trouvée ; on semblait même l’avoir cherchée. Tout le monde devait le croire. Non seulement on ne l'a pas saisie ; mais on s'est montré disposé à la fuir. Quand on est pressé, il faut se presser. Je n'ai jamais pensé que votre oncle pût ni dût prendre aucune initiative ; mais je suis encore bien plus de cet avis depuis le dernier incident. Je répète que lorsque la transaction ira à lui, elle le trouvera prêt ; mais il n’a rien à faire qu'à l'attendre dans l’intérêt du succès comme dans la convenance de son honneur. Il disait encore avant-hier à l’un de mes amis qu’il n’avait reçu de sa partie adverse, aucune avance, aucune insinuation qu’il pût sensément regarder comme un pas vers lui.
De Rome et de Florence, mauvaises nouvelles. Les républicains sont furieux de la petite réaction romaine et du peu de succès de l’insurrection de Livourne. La population ne veut pas les suivre, mais comme le gouvernement ne sait pas les chasser, ils sont toujours là, et et commencent, et recommenceront toujours. On dit que Charles Albert meurt de peur d'être assassiné par eux. Il mourait de peur autrefois d'être empoisonné par les Jésuites. Il ne sera probablement pas plus assassiné qu'empoisonné. Mais son succès n’ira pas plus loin. Adieu. Adieu.
Pour Dieu, ne soyez pas malade. Je veux bien être enrhumé, mais pas inquiet. Je vous renvoie votre lettre. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond le 27 septembre 1848

Il ne faut jamais m'écrire avant cinq heures, car les lettres ne me sont remises que le lendemain. J'espère que vous allez mieux. Je compte aller vous faire visite demain & y voir moi-même si je n’étais pas venue jusqu’à 4 heures. Ecrivez-moi, je vous en prie.
On me dit qu'il y a dans l’Assemblée nationale un article sur M. de. Beaumont et sur moi, des mensonges, mais qui pourraient lui faire du tout. L’avez vous lu & qu’est-ce que c’est ? Je vous envoyé ce que j’ai écrit aujourd’hui à mon correspondant. Albrecht m’écrit d’avant-hier 25. " Notre situation est plus grave que jamais, nous touchons à la crise il faut se prononcer pour la république ou pour autre chose. Cavaignac est fini, je crois, quand il dit que la France veut la république il sait bien qu'il ment. Les votes de confiance ne signifient rien. Nous pourrions goûter de l'Empire tellement les masses de la France tiennent du Fran[?] cela ferait planche pour arriver à autre chose." Il continue, il ne croit pas à la bataille dans la rue.
Je n’ai vu que Montebello & Jumilhac je ne sais donc rien. Lisez cet insolent & stupide article du National ! Adieu.
La semaine prochaine je quitte certainement Richmond. Les soirées y deviennent bien longues et les journée pas très gaies & l'air très humide. Votre rhume serait vite guéri auprès de la mer. Adieu, Adieu.

Savez-vous que je ne comprends pas ce que vous me dites sur le procès ? Vous savez bien que l'oncle est prêt à la transaction mais que voulez-vous donc qu'il fasse ? Personne ne vient à lui, & même la nouvelle venue qui était une occasion, le fait & le dit. Dans cette situation il n’a autre chose à faire qu'à attendre si mes affaires doivent avancer faites donc un pas. Quand on est pressé, il faut se presser ; je répète que je ne comprends pas & mon avocat pas plus que moi.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Jeudi le 6 septembre 1849

Morny est venu hier. Je l'ai fait dîner avec moi et causer beaucoup. Grande affection pour le président, et l'opinion de lui qu'en a tout le monde, sans exagération. Le président ne veut rien hâter. Cela viendra de soi-même. Un changement dans le ministère est inévitable dés le retour de l’Assemblée. Molé & Thiers sont prêts et désirent le pouvoir. Barrot resterait garde des sceaux, Molé aff. étr., Thiers finances ou intérieur. Benoist, je ne me rappelle plus qui encore. Le président aime beaucoup Molé. Celui-ci & du courage beaucoup plus que Thiers, et au fond c’est le président qui n'était pas pressé de prendre celui-ci comme ministre. Grand discours éloge de Falloux, tout-à-fait premier personnage dans l’Intérieur & la confiance de tous. Montalembert aussi. Les légitimistes imbéciles et rendant tout difficile. Berger n’est pas de ce nombre. Broglie très compté & respecté mais pas très pratique. Piscatory faible. On avait tant dit de lui qu’il était cassant, qu'il s'est mis à joué le modéré, il fait cela gauchement avec exagération et on en rit. On rit surtout de la Redorte. L’un et l'autre ayant frisé le ministère se considèrent toujours comme candidats. Excellentes relations avec Kisselef. Grand éloge de celui-ci. Normanby une vacature qui ne quitte pas le président. Tout aussi ridicule que jamais Morny a essayé une explication de la conduite envers vous. Vous avez été mal informé. C'est par égard & amitié pour vous qu’il craignait que vous ne fussiez élu. Et certainement plus le temps coule & plus on voit que vous êtes le premier homme de votre pays. Is not the word this war the meaning.
Les Orléans parfaitement oubliés. Paris tranquille & charmant. Il va en Ecosse & retourne pour la rentrée de l'Assemblée. Je le verrai encore. J'ai eu une longue lettre de d’Impératrice, excellente, de [?], elle a voulu aller à Fall voir le tombeau de mon frère. Elle en revenait encore. Grande joie de nos victoires et elle me dit : " Palmerston va être bien affligé pour ses chers Hongrois, lui qui formait des vœux sincères pour nos défaites. " Cette lettre a été bien ouverte. J'espère que c’est en Angleterre. J'ai déjeuné hier chez la duchesse de Glocester. On serait charmé dans la famille royale que Claremont décampât et allât en Italie. On est fatigué de leur présence. La reine est de cet avis aussi. Cette reine vient de passer deux jours dans une petite chaumière isolée dans les Moors. Personne que son mari, une femme de chambre, un valet de pied & un marmiton & deux [ ?]. Le valet de pieds habillant le prince, les [?], & ramant le couple royal sur le lac. Une hutte composée de deux chambres pour le ménage un autre pour les domestiques pas d'habitation à 40 miles à la ronde. Elle écrit dans des extases de joie. C’est charmant d’être jeune. Voici mon petit billet de Metternich. Assez spirituel. Pas de grande feuille. Vous ne l'aurez jamais. Votre lettre m’arrive. Quelle idée que l’Empereur ait donné son portrait et celui de l’Impératrice à Lamoricière. C’est un conte. Mais Morny me dit qu'on le traite très bien. Adieu. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Vendredi 4 oct. 1850

J’y ai bien pensé depuis hier. Je ne vois rien de mieux à faire sur cette infamie, ni aucune précaution plus efficace à prendre pour l'avenir. Et les deux personnes que je vous ai indiqués sont très propres à ménager l'exécution. Peut-être vous suggéreront-elles quelque autre chose ? Peut-être en aurez-vous déjà parlé à quelque autre personne. Je doute qu’il y ait plus ni mieux à faire. Votre frère vous a fait là un triste legs. Je voudrais bien que vous ne vous en agitassiez pas outre mesure.
Moi aussi, je trouve la lettre de M. Molé dans les Débats très bonne ; venant à propos et bonne en soi. Il faut voir de près le mal qu’a fait, dans la masse des honnêtes conservateurs, la sotte circulaire. Leur principale objection contre la fusion était cette question : " Est-elle possible ? " Depuis la circulaire, ils se répondent eux-mêmes : " Non. " Il faut du temps et des incidents nouveaux.
Vous avez bien raison ; il a fallu une immense gaucherie au Roi pour faire dire de lui ce qu’il méritait si peu. Je n’ai jamais vu un plus étrange amalgame d'adresse et de gaucherie, d’esprit profond et de légèreté de persévérance et de mobilité. Beaucoup de finesse et point de tact, une grande expérience des hommes et aucun sentiment juste de l'effet que produisaient sur eux ses actions et ses paroles. Deux idées fixes, suite ses impressions de sa jeunesse : l'iirésistibilité du torrent révolutionnaire, une fois débordé, et la détresse des proscrits sans argent. On ne sait pas combien de choses ont découlé de là. Les articles de M. de Montalivet sont intéressants, et utiles.

Dix heures
Votre trouble me désole. Je l’entrevoyais et je le comprends, mais je le crois excessif. Je vous répète que je suis prêt à venir si vous le désirez, pour vous car, pour la chose, je ne vois vraiment pas ce que ma présence y fera de plus ; sinon de donner à penser à ceux qui pourraient y regarder avec curiosité qu'elle est grosse et qu'on les craint. Si l'affaire ne pouvait pas être réglée à Paris, ou si le temps manquait, il faudrait envoyer sur le champ à Bruxelles, et l'homme que j'ai indiqué dans mon billet à mon visiteur serait très propre à cela. Soyez sûre qu’en pareille occasion, il faut faire le moins de bruit et se donner le moins de mouvement extérieur possible. L’important c’est d’avoir le manuscrit avec une déclaration comme celle dont je vous ai parlé. J’y pense et repense, et je ne vois pas autre chose à faire ; et pour faire cela, les deux personnes que je vous ai indiquées me paraissent toujours, ce qu’il y a de mieux, soit qu'on puisse régler l'affaire à Paris avec le fils de cette femme, ou qu’il faille aller à Bruxelles ou à Aix- la-Chapelle, pour un waiter soit avec le libraire, soit avec elle-même.
Enfin, je suis comme de raison à votre disposition ; mais je vous prie vous et vos conseillers d'y bien penser ; je ne crois pas qu’il soit utile que j'aille. Vous avez parfaitement fait d’en parler à Dumon. Adieu, Adieu, Adieu. Que je regrette de n'être pas là pour vous calmer un peu ! Adieu. G.
P.S. Je ne comprendrais pas que cette femme eût retrouvé à dessein l’envoi de sa lettre, pour que vous n'eussiez pas le temps de répondre dans le délai indiqué à sa proposition, car alors pourquoi vous l'aurait-elle faite ? Sa lettre est une arme contre elle, et elle ne put l'écrire qu'avec le désir que sa proposition fût accueillie.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 23 Juillet 1851

J’ai été vraiment malade hier. J'ai laissé mon monde dans le salon & j’ai été me coucher ma nuit a été bonne & me revoilà sur jambes ce matin. Le temps est charmant. Les lettres de Paris disent que le rôle de Changarnier a révolté la chambre, se mettre avec Thiers & la Montagne contre ce qui est le voeu du pays & de la majorité ! Quelle conduite. Broglie en grande admiration du discours de Berryer et converti par son raisonnement. Les aînés valent mieux que les cadets. Vous dit-on cela aussi ?
Ellice va arriver. Marion part Samedi avec Duchatel. Les Metternich l'envoient chercher à Bingen. Ils l’attendent avec impatience. J'ai ici un neveu qui est bête et sa femme qu’on dit un peu jolie. Je verrai cela. demain. Je réponds au petit cousin. Je vous envoie la partie de sa lettre qui me plait tant. Je suis sure qu’elle vous plaira aussi. Vous me la renverrez. Adieu. Il fait très chaud aujourd’hui cela me convient. Adieu

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°14 Val Richer, Mardi 15 Juin 1852

Certainement, mon petit ami est et sera toujours à votre disposition. Je comprends que ce ne soit qu'à la dernière extrémité. Si vous avez besoin de lui, vous arrangerez cela vous-même, car il ira, ou bien il est peut-être déjà allé vous voir dans sa promenade sur le Rhin. A part ses inconvénients, il est très intelligent, très zélé et très sûr.
Je regrette que vous ayez rebuté notre neveu Tolstoy. Il serait allé vous chercher très volontiers, il croyait avoir quelque chose à réparer. Pourquoi fermer la porte aux petits repentirs ? Dieu ne la ferme pas aux grands. Vous êtes disposée à exiger beaucoup ; quand on est exigeant, il ne faut pas être susceptible. J'étais là quand vous avez traité sévèrement ce pauvre garçon ; je vous aurais arrêtée si j’avais pu. Il n’y avait pas moyen.
L’épitaphe de M. de Meyendorff pour le Prince de Schwartzenberg est excellente je devrais dire belle, car elle résume en deux traits d’une vérité frappante et d’une précision élégante, tout ce qu’il y a eu de moralement et politiquement grand dans la vie du Prince de Schwartzenberg. C'est la perfection du genre. Qui Caesari imperium imperioque Caesarum dedit est particulièrement heureux. Je me permets de soumettre à M. de Meyendorff un petit amendement, rededit au lieu de dedit. Ce serait, je crois, d’une aussi correcte latinité, et peut-être historiquement encore plus exact.
L'Empereur avait perdu son Empire, et l'Empire, son Empereur ; Schwartzenberg les a rendus l’un à l'autre. Pardonnez-moi de vous faire ainsi truchement latin, et veuillez remercier. pour moi, M. de Meyendorff. J’aimerais encore mieux communiquer avec lui sans truchement.
En fait de raretés, je ne suis curieux que les hommes rares, mais je le suis beaucoup. Est-ce que nous ne nous rencontrerons jamais chez vous, rue St Florentin ? J’attends bien impatiemment votre lettre d'aujourd’hui.
J’espère que vous ne vous serez pas trouvée mal une seconde fois en vous habillant.
Le mot de M. de Meynard m'inquiète : ce serait manquer au respect. Il a raison ; auprès des Rois, le respect passe avant tout, même avant la santé. C’est beau mais c’est lourd, et vous êtes bien faible pour porter ce fardeau.
Toujours point de nouvelles. Ce sera quelque temps notre état. Il y a évidemment parti pris de se tenir tranquille. Tâchez de prendre quelque intérêt aux querelles des évêques. Les questions religieuses sont et seront de plus en plus à l’ordre du jour. Il faut aux hommes des questions et des passions seulement ils en changent. Pour mon compte, je ne serais pas très fâché de ce changement là ; un concile me consolerait de la chambre. Mais nous pourrions avoir un synode. Le président serait bientôt bien embarrassé de ces Parlements-là. Il ira le 10 Août prochain, inaugurer l’ouverture du chemin de fer de Paris à Strasbourg. C'est un discours à faire sur le Rhin. Il sera écouté bien attentivement des deux rives. Adieu, princesse.
Je ne fermerai ma lettre qu'après avoir vu mon facteur. Pauvre homme il arrivent bien mouillé ; il pleut toujours.

10 heures
Votre lettre est un peu moins abattue, mais toujours bien fatiguée. Adieu, adieu. J’ai une bonne lettre de Marion. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, samedi 14 Août 1852

Je suis très fâché de la mort de votre pauvre maître d'hôtel. Je ne sais pas ce qu’il valait au fond ; mais d'apparence, il vous convenait à merveille, et vous le remplacerez difficilement. Les petites difficultés de la vie ne vous valent rien.
Ce pauvre Tolstoy me touche infiniment. Il est dévoué à ses enfants comme un père et comme une bonne. De quoi donc ce petit garçon est-il si malade ? C'est le second, je pense. J’ai trouvé à l’aîné bien bonne mine quand je l’ai vu à Dieppe. Faites moi la grâce de ne pas laisser ignorer à votre neveu que je suis vraiment préoccupé de lui et de son chagrin. Il y a de mauvaises veines dans la vie, dans la vie domestique comme dans la vie politique ; mais elles s’épuisent.
Vous recommencez à marcher. J'espère que la mauvaise veine est finie. Dieu vous garde ! Avez-vous vu quelque médecin ou chirurgien depuis votre retour à Paris, car Olliffe n’y doit pas être ?
Je suis revenu ici hier à 6 heures avec les entrailles assez souffrantes. Malgré ma sobriété, les dérangements de vie et de régime se font toujours sentir. Je suis mieux ce matin. J’ai dormi longtemps.
Je trouve ici des lettres, mais point de nouvelles. La plus vraie nouvelle à mon avis, c'est le livre de Proudhon, et l'autorisation de paraître que le président lui a donnée, après avoir lu son livre, et la lettre. Je trouve cela grave, sans m'en étonner. Dans un régime de liberté de la presse, ce ne serait rien qu’un mauvais livre de plus par un homme d’esprit, mais aujourd’hui, c’est quelque chose. Peut-être n’est-ce pas vrai. Je le voudrais. Le Président aurait tort, s’il s’engageait dans cette voie-là. On ne peut pas faire à la fois sa cour au Clergé et à Proudhom.
Que signifie le voyage de la Reine d'Angleterre à Anvers ? Est-ce une simple fantaisie de promenade, ou une marque d'intimité protectrice ! On me dit qu’il y a un mouvement de l'Elysée vers Londres, et qu’on verra la preuve dans un traité de commerce qui fera des concessions à l'Angleterre pour l'importation des fers et des houilles. Si ce traité a lieu, il fera du bruit.
Le retard du voyage du Président dans le midi me fait croire au mariage. Je comprends les inquiétudes de M. de Persigny et je ne les crois pas fondées. Si le Président veut réellement se marier, il se mariera que cela plaise, ou non, ailleurs. On ne fera rien de grave pour l'empêcher.

Onze heures 1/4
Mon facteur arrive très tard ; mais en revanche, il m’apporte une lettre intéressante. Pauvre Tolstoy ! Adieu, adieu. A demain les affaires, c’est-à-dire la conversation, c’est à dire l'écriture qui ne vaut pas le quart de la conversation. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 15 Août 1852

Que d'éclat, de mouvement et de bruit vous aurez autour de vous aujourd’hui, autant que j'ai autour de moi de silence et de repos. Le contraste m'amuse à le figurer.
Ce que vous me dites de l'impression que vous a faite, la conversation de Fould me plaît. C’est toujours bon qu’un homme d’esprit juge sa situation grande, car c’est un gage qu’il s'y conduira grandement et sensément. Quand on a son amour propre satisfait et le sentiment d’une haute responsabilité, on est en voie de sagesse. M. Fould en aura besoin.
J’ai vu du monde dans la petite tournée que je viens de faire, des gens de parti et des gens tout-à-fait étrangers aux partis des beaux esprits et des esprits simples de gros bonnets de province et des paysans ; voici mes deux observations. Le gouvernement du Président a gagné comme avenir ; on le croit établi et on croit qu’il durera, on ne voit rien qui puisse le renverser et lui succéder. Il n’a pas gagné comme considération et renom de capacité ; il a en général pour serviteurs des hommes inférieurs et des brouillons légers ou peu estimés. Durer ne suffit pas ; il faut monter en durant.
Il y a de l’inquiétude, dans le pays pour les récoltes, et si le temps qu’il fait depuis quinze jours se prolonge encore autant l’inquiétude sera fondée. Les moissons se font mal ; la pluie perd les blés.
Avez-vous vu Morny depuis votre retour ? Est-il bien avec Fould ? Les feuilles d'Havas insistent beaucoup pour bien établir qu’il n’y aura plus de changement dans le Ministère, et je suis persuadé qu'elles ont raison. Mais si la santé de M. de Persigny devenait de plus en puis mauvaise, il faudrait bien y pourvoir. Je me figure qu’en pareil cas, M. Jayr serait l’un des hommes auxquels le Président songerait. Je ne sais pas du tout quelles sont en ce moment ses dispositions. Sa capacité est réelle.

11 heures
Puisque vous marchez mieux, vous marcherez bien. Mais ne hasardez rien. Ce que vous me dites de l'enfant de Tolstoy me fait grand plaisir. Il pleut ici à torrents. Que deviendrez vous ce soir à Paris, vous et tous vos lampions ? Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 17 Août 1852

Le Duc Decazes est venu hier et repart aujourd’hui. Il est à Trouville, où la foule change sans diminuer. Il est assez curieux à entendre à cause de son intimité avec le Roi Jérôme qu’il vient de voir au Havre.
Le Roi Jérôme ne croit pas au mariage du Président ; non seulement il n’en veut pas, mais il n'y croit pas ; il soutient même que le Président, au fond, ne s'en soucie pas. Il affirme que son fils, Napoléon est très bien avec son cousin. Decazes dit qu’en effet ils s'étaient bien remis, mais que dans ces derniers temps, ils ont recommencé à être mal. Rien de nouveau d'ailleurs, les dissensions intérieures des chefs du sénat, le Roi Jérôme, le vice président, M. Mesnard, le grand référendaire d’Hautpoul &. Cela ne vous fait rien, ni à moi non plus, ni à personne.
J’ai vu une lettre de Mad. [Donne] écrite de Vevey peu de jours avant le rappel des exilés. Ils ne s’y attendaient pas du tout. //
Le retour de Fould aux affaires est un sujet très général de satisfaction. On n'en attend que du bien, et on en attend du bien. La destitution des trois conseillers avait beaucoup étonné. On s’imagine que le rappel des exilés ne sera pas la seule compensation.

10 heures et demie.
Je vous plains vraiment, et tout-à-fait. Ce sont de grands ennuis pour tout le monde, et vous êtes moins faite que personne pour ces ennuis-là. Je voudrais bien vous y aider un peu ; mais de loin, je ne puis rien. Je suis surtout préoccupé du maître d'hôtel. C'est votre grosse prière et la plus difficile à trouver. Auguste vous reviendra bientôt. J’espère que Jean fait de son mieux.
Pauvre Tolstoy ! Adieu, Adieu.
Je n'ai pas encore fait ma toilette. Decazes m’a retardé. Il vient de partir. Il est un grand exemple de ce que peut le courage contre un mal incurable. Il me paraît que la fête a été superbe, sauf les illuminations, dit-on. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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21 Ems le 23 juin 1853

Quoique l’avis soit inutile j’espère, puisque je l'ai négligé hier. Je veux vous le dire aujourd’hui : que la copie que je vous ai envoyée hier reste bien pour vous seul ! Je n’ai rien de plus. Je suis curieuse de ce que vous me direz de notre dépêche.
Ma nièce arrive après-demain. Son mari n'ose pas quitter Berlin. Je crois & je crains alternativement : la paix, la guerre. Comment deviner ? C’est triste de ne bavarder qu’avec moi-même. Il pleut à verse. Voilà le cinquième jour, et pas une âme. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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23. Ems le 28 juin 1853

Vos réponses sont longues à m’arriver. Je ne sais pas encore ce que vous dites de notre long facteur. Il est bien controversé. Il y a bien à dire. Il est évident que tout le monde cherche à éviter la guerre, moins Lord Redcliffe et peut-être ses patrons. Nous verrons. Toute cette incertitude me fait du mal. J’ai été obligée de suspendre mes bains. La pluie n’a pas discontinué depuis mon arrivée c’est une horreur au milieu de cette solitude. Ma nièce est très bon enfant, mais elle va bien s'ennuyer aussi. Je n'ai pas un mot à vous dire. Personne ne m'écrit de Paris. Mollé seul ! Je vous laisse à juger ce que sont ses lettres ! Il parait que Morny s'est donné du mouvement, vous m'en direz quelque chose.
Un mot de Constantin m’apprend que nous entrerons le 2 juillet dans les principautés. Les Bulgares Turcs nous demandent des armes contre les Turcs, les Grecs sont dans une grande effervescence, les Turcs sont agressifs. Ils envoient des émissaires pour soulever les Circassiens. Tout cela est très mauvais. Comment cela finira-t-il ?
Adieu. Adieu.
Nous faisons une pauvre correspondance ! Menchikoff reste à bord de son vaisseau à Odessa.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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25 Ems samedi le 2 juillet 1853

Aujourd’hui 2 nous entrons dans les principautés. On nous interpellera sur nos intentions. Les négociations commenceront à Constantinople. Quand la Turquie voudra signer l'engagement que nous demandons nous sortirons des principautés, pas avant. C’est l'Autriche qui sera intermédiaire. Elle a intérêt à la conservation de l’[Empire] ottoman & point de la confiance des deux parties. Voilà ce que me mande mon correspondant de Vienne en date d’avant hier. Il ajoute quand la guerre éclatera j’irai à Gastine, je me soignerai et j'aurai désormais peu de foi dans la diplomatie. Si je n’étais retenu par les liens de la reconnaissance j'enverrai toute la boutique au Diable.
Vous voyez qu’il n'y a là rien pour me rassurer. Aussi suis-je bien noire.
2 h. Dans ce moment une lettre de Berlin d'un jour plus fraîche et donnant des nouvelles de Pétersbourg du 25. Beaucoup plus rassurantes, mais refusant de m’expliquer pourquoi, mais me priant de croire. Je ne demande pas mieux, mais j’ai peine à comprendre. Comme tout cela me tracasse, et la pluie par dessus le marché et une température très froide, et pas une âme. Les de Laigle sont ici c’est à peu près comme rien du tout.
Ma Nièce est gentille & bon enfant. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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33 Schlangenbad dimanche 17 juillet 1853

Je suis arrivée fatiguée. Je trouve ici la température de la Sibérie, beaucoup de monde, pas une connaissance, ma nièce qui a ici ses parents, le Roi de Wurtemberg arrivé hier aussi. Comme on ne dispose pas des rois, je ne sais trop s'il me fera une ressource. Les journaux et les lettres arrivent ici tard, je serai bien arrivée, et vous êtes plus loin que jamais. Votre dernière lettre est du 11. Au fond l'été est ma plus mauvaise saison. Je ne sais jamais l'employer. On dit qu’on va me regretter à Ems. J'y avais un vrai salon. Les princes de Prusse et [Panin] & Platen étaient le fond, cela avait fini par être agréable, après avoir bien mal commencé. Il fait très froid ici, froid comme en octobre. J’attends la porte, si elle m’apporte quelque chose, j’ajouterai, si non et en tous cas. Adieu. Adieu.
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