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11. Auteuil, Samedi 10 août 1844, François Guizot à Dorothée de Lieven
10 heures
Je comptais passer ma journée ici tranquillement. Mais nous avons conseil à Neuilly, au lieu de demain. Cinq ministres seulement au conseil, qui va tout de même. Je jouis tous les jours d'avoir un vrai Ministre de la marine. Il n’est plus malade. J’envoie le Duc de Glücksberg à M. le Prince de Joinville pour négocier, conclure et signer avec le Maroc, les arrangements auxquels donnera lieu le rétablissement de la paix si, comme je l’espère, la bonne dépêche est bien vraie & bien définitive. Nous aurons là, pour la délimitation des frontières, une négociation assez longue.
Decazes est charmé pour son fils. Je l’ai pris comme le plus capable parmi ceux qui étaient disponibles, et à portée. Bresson ne sera pas si content. Il est très jaloux et n'aime que les gens bien subalternes bien dépendants de lui seul. Grand signe d'infériorité, quoique j'aie vu cela à des hommes de beaucoup d’esprits, de bien plus d’esprit que Bresson. Mais j’ai toujours trouvé le coin par où ils étaient subalternes eux-mêmes. On dit que sa femme est avare et sans esprit. Je le connais bien à présent, lui et sa position. Il est descendu dans mon opinion, mais il reste capable. Il jouit petitement de la petite position de Bulwer. Et son inquiétude, son humeur viennent de ce qu'elle n'est pas encore aussi petite qu’il le voudrait. Elle est vraiment très petite, du fait de Bulwer lui-même encore plus que du fait des événements. Il a pourtant donné l’idée qu’il était homme d’esprit et bon enfant. Cela le relève par moments un peu ; mais il retombe toujours par manque de tact, de tenue, par les velléités d’intrigue, et ses pitoyables relations. La considération est d’autant plus nécessaire en Espagne qu’il y a fort peu d'hommes considérés.
La Reine Christine a enfin revu le Duc de Riansarès, bien en cachette, bien peu de jours ; mais enfin elle l’a revu ; ils ont réglé leur marche à venir. Leurs confidents sérieux en sont d'accord. Cela lui a remis un peu de joie et de repos dans l'âme. Toute sa vie est là. Elle part, décidément avec ses filles, le 18 pour être à Madrid du 22 au 24. On peut espérer que rien n’arrivera avant l'ouverture des Cortés. La petite Reine commence à être lavée et propre, presque aussi bien qu'Hennequin.
Midi.
Il n'y a point eu de note échangée sur Tahiti. Rien du tout d’officiel. Des conversations particulières d'Aberdeen avec Jarnac et de moi avec Cowley. Si on m'adressait quelque chose d’officiel, je prendrais du temps pour répondre. Je fais dépouiller tous mes documents sur Pritchard. Je veux mettre toutes ses manières en lumière, et j’enverrai cela à Lord Aberdeen, avec ma réponse s’il y a lieu à réponse. Soyez tranquille : elle sera bonne. Ne vous ai-je pas dit que, très cordialement, très amicalement je saisirais cette occasion de montrer que je sais aussi dire non ? Génie est revenu. Il est impossible de n’être pas touché de tant d'affection. Il se désolait d'être loin, de penser que je pouvais avoir besoin de lui, et qu’il n’était pas là. Il a repris son service avec une joie tendre. Vous avez raison ; adressez-lui quelquefois les lettres.
Je viens d'avoir des nouvelles de Duchâtel, d'Ems, le 7. En très bonne humeur. Il a rencontré sur le bateau à vapeur du Rhin Lord Clarendon qui lui a tenu, un bon langage, fort ami de la France et de moi. Mais Lord Clarendon veut toujours plaire. Perpétuel mensonge. Mardi 30 Juillet à notre dernier bon moment, Lady Cowley m'a prié de lui demander quelquefois à dîner. Je l’ai fait hier pour lundi. Cela me plait. Adieu. Adieu. Je vais au Conseil. G.
P.S. 3 heures Je reviens du Conseil. La Princesse de Béna est malade. Don Carlos a écrit au Roi une lettre convenable, pour demander la permission de la conduire aux eaux de Neris. Le Roi le lui permet. Je suis charmé que votre frère soit un peu moins mal. Je désire bien qu’il puisse partir. Adieu Adieu.
14. Auteuil, Mercredi 14 août 1844, François Guizot à Dorothée de Lieven
Mad. la Princesse de Joinville est accouchée cette nuit d'une petite fille très forte et très belle, et qui se porte très bien ainsi que sa mère, m'écrit le Roi ce matin. J’étais hier soir à Neuilly à 9 heures, au moment où les douleurs ont commencé. Le Roi et la Reine sont montés chez la Princesse comme je partais. Je suis rentré à Auteuil ; je me suis couché, à minuit un courrier du Roi m'a réveillé, me portant l’avis d'arriver. Je suis encore enrhumé. J'étais en pleine transpiration ; il faisait froid. J’ai écrit au Roi pour lui demander la permission de ne pas sortir de mon lit. Il m’écrit ce matin que j’ai très bien fait et que ma santé de tous les jours lui importe beaucoup plus que ma présence de cette nuit. J'irai à Neuilly à 5 heures pour le baptême et pour dîner. Je ne crois pas qu’ils soient fâchés d’une petite fille. La Reine regrettait l'autre jour de n'en avoir encore qu'une.
Voilà votre N° 12. Vous avez raison de douter des nouvelles du Maroc, paix ou guerre. Moi aussi, je doute. Tout est mensonge et confusion dans ce qui vient de là. L'Empereur ment sur ce qu’il veut faire, et ne peut pas faire ce qu’il veut. Sir Robert Wilson dit ce qu’il a envie qui arrive. Il a une peur effrayable de la paix faite sans lui, presque autant que de la guerre. J’attends donc encore. Mais voilà, tout le nord de l'Afrique en mouvement et presque en question. Maroc, Tunis, l’Egypte. L’escadre Turque n’a pas parue devant Tunis.
Vous partez donc mardi 20. C’est charmant. Vous passerez bien deux jours à Paris avant d’aller à Dieppe. Moi, si je vais au Val-Richer, je n'irai que vous partie pour Dieppe. Et puis vous reviendrez de Dieppe et moi du Val Richer, et nous ne voyagerons plus.
Avec qui décidément revenez-vous de Baden ? Vous avez mille fois raison de partir au premier jour de mieux. Bacourt est toujours de bon conseil.
Une heure
Decazes sort de chez moi. Il est venu déjeuner et m’apporter à signer les registres de l'acte de naissance de la Princesse Françoise Marie Amélie. Il était là, avec le Chancelier, à minuit. L'Amiral Rosamel est arrivé le premier. M. Barthe à 4 heures et demie. Il a fallu aller le chercher à la campagne, près de Versailles. La famille royale est très contente. Decazes dit que depuis bien longtemps, il n’avait pas vu la Reine si gaie. Je sais pourquoi. Elle était très inquiète des couches de cette jeune femme, son mari absent. Elle se regardait comme responsable de l'issue. Pendant que la femme accouchée, le mari tire et reçoit peut-être des coup de canon. Dieu veuille qu’on aille aussi bien à Tanger qu'à Neuilly !
Rien de nouveau sur Tahiti. J’écris. je discute. Je tiens et je tiendrai bon. Je vous répète que sans l’affaire du droit de visite, je porterais celle-ci très légèrement. Plus j'y regarde, plus je me sens raison. Adieu.
Je vais à Paris. Je vous redirai adieu de là.
Paris 4 heures
Kisseleff sort de chez moi. Il venait me demander un passeport pour aller passer quelques jours en Angleterre avec M. de Nesselrode. Il partira vendredi ou samedi. Appony est allé passer cinq ou six jours au Havre. J’ai eu hier mardi beaucoup de petit corps diplomatique, plus Brignoles, Réchid et Arnim. Je suis toujours très bien avec le dernier. Voilà Cowley qui m’arrive.
4 heures et demie
Il m'apportait des nouvelles de Sir Robert Wilson. Pacifiques, mais point décisives. J'attends toujours. Adieu. Adieu. Je pars pour Neuilly. G.
15. Auteuil, Jeudi 15 août 1844, François Guizot à Dorothée de Lieven
8 heures
Voilà la guerre commencée au Maroc, bien commencée. M. le Prince de Joinville a attendu tant qu’il a pu. Il a pris, pour la sureté de M. Hay, toutes les précautions et donné tout le temps possible. Nos demandes étaient reduites au strict nécessaire. La réponse n’était pas acceptable. Le canon a dû intervenir. Il ne serait pas intervenu si l'Angleterre avait eu au Maroc, l'empire pour nous faire obtenir ce qu'elle-même trouvait juste et modéré. A défaut de son empire, il a fallu user de notre force. Le début est bon. J'attends les détails. Puis nous verrons. J'espère que les premiers coup suffiront. En tout cas, nous en avons d'autres à porter, & sans nous écarter de ce que j'ai dit. Nous ferons nos affaires en restant fidèles à notre politique. Je suis dans un moment grave et difficile ; mais je vous répète qu’il ne me déplaît pas.
La joie était vive hier soir à Neuilly. Joie paternelle et Royale. C’était l’anniversaire de la naissance du Prince de Joinville. Il a eu hier 26 ans, une fille, et la nouvelle d’un succès. J'ai dîné à côté de la Reine, très heureuse, mais trouvant trop d’émotions dans sa vie. La Princesse de Joinville est à merveille. Mad. la Duchesse d'Orléans était là, en gris et blanc, très bonne contenance, son fils à la main. J’irai causer avec elle un de ces jours.
2 heures
Vous partez donc décidément le 20 au plus tard. Vous serez donc à Paris le 22. Il est bien clair que tant que le Maroc sera ce qu'il est, je ne puis penser au Val-Richer. J’ai pourtant bien besoin de distraction, de mouvement physique. Je suis fatigué en me portant bien. Mon rhume ne s'en va que lentement. Il faut que je fasse provision de force pour la campagne prochaine, Elle sera rude. Les rivaux sont assez émoustillés. Je le comprends quoique je ne m'en inquiète pas.
Thiers a passé par Paris, allant à Dieppe où il sera dix ou douze jours me dit-on, et de là à Lille, Molé devait aller à Plombières. Il n’y va pas. Le temps est affreux et il a ici un procès qui le tracasse pour cette compagnie de chemin de fer dont il s'est retiré ostensiblement, mais où il reste intéressé. On peut préparer les intrigues de Janvier prochain ; mais intriguer à présent, il n'y a pas matière ni profit. Peu m'importe du reste. Ce qui m'importe, c’est que vous reveniez.
Vous aurez une lettre de M. Greterin pour la douane ; lettre générale, bonne pour tous les bureaux. Elle partira demain. C’est drôle que M. Tolstoy vous ramène.
J'ai de curieux détails sur Méhémet Ali, son cerveau me parait un peu dérangé. Il veut, il ne veut pas ; il résiste, il cède ; il pleure, il jure. Il fait venir un de ses fils ; il le renvoie, il en fait venir un autre, vieux et despote cela ne va pas ; pour être Pacha, il faut être jeune. Rien ne m'indique qu’on ait conspiré autour de lui ; loin de là, tout le monde continue d'avoir peur et d'adorer. On s'étonne de ne pas reconnaître l’idole, bien plus qu’on ne songe à la renverser. Bref, il est parti pour la Mecque. Il ne veut plus être que Hadji (pèlerin). S'arrêtera-t-il ? Reviendra-t-il sur ses pas ? Personne n'en sait rien. En attendant, son fils et son petit fils, et 36 de leurs camarades arrivent à Marseille en grande pompe pour venir achever leur éducation en France ; et le Pacha, qui part pour la Mecque fonde à Paris, pour eux, et pour leurs descendants, un établissement d’instruction publique, & nous fait demander, au Maréchal Soult et à moi, d'en choisir les chefs ! Adieu.
Je ne me promène, ni à pied, ni en calèche. Je travaille, je vous écris et je dors. J’ai tous les jours deux ou trois personnes à dîner, aujourd’hui Baudrand et sa femme, demain Broglie et son fils. C'est mon moment de conversation si tant est qu’il y ait pour moi une conversation autre qu'avec vous. Adieu. Adieu. G.
Mots-clés : Conversation, Diplomatie (France-Angleterre), Famille royale (France), Femme (maternité), Femme (santé), Guerre, Ministère des Affaires étrangères, Politique (France), Politique (Internationale), Politique (Maroc), Politique (Turquie), Portrait, Posture politique, Pratique politique, Relation François-Dorothée, Réseau social et politique, Santé (François), Vie quotidienne (François)
21. Boulogne, Lundi 18 août 1845, Dorothée de Lieven à François Guizot
10 heures
Bulwer m’a parlé très sérieusement et très intimement de la question du mariage du duc de Montpensier avec l’infante. J’ai dit que j’ignorais tout à fait, et puis j’ai dit Pourquoi pas ? " Parce que ce serait mille foi pire que d'épouser la Reine elle-même. Il deviendrait plus puissant que le mari. Des tiraillements à l’intérieur, immense jalousie au dehors. D’ailleurs il est certain que la Reine n'aura jamais d'enfant. " En résumé Bulwer s'opposera de tout son pouvoir à ce mariage. Il en a l’ordre & d'Aberdeen & de Peel. l don't care. Et puis, il a répris. " La seule manière pour que cela puisse se faire serait que Cobourg épousât la Reine. " " Mais alors que Cobourg épouse l'infante et M. la Reine. " " Oui c’est égal." Savez-vous qu'il y a de quoi méditer sur cela. Je vous l'envoie tout cru. J'aurai à ajouter verbalement. Aberdeen ne m’a pas dit un mot d'Espagne, seulement en termes généraux s’attendant toujours à quelque événement là.
Midi. Voici votre lettre de Samedi. Nous sommes rapprochés d'un jour, Dieu merci. Vous ne me parlerez pas de votre santé ! Dites-moi que vous vous portez très bien. Merci mille fois des nouvelles, grandes & petites. Tout m'intéresse. J'ai dîné & passé ma soirée hier avec les Cowley. [Geor?] est fort bonne pour moi. Mon temps pourra se passer passablement pendant quelques jours. Je ne décide rien encore. L'Ambassadeur va pour quelques jours en Angleterre. On en fait peu de cas là. J’ai fort bien parlé de lui. Il me semble qu'il sera bien temps que vous reveniez à Paris, c-a-d. à Beauséjour pour toutes vos affaires et qu'il sera surtout fort bon que vous vous rencontriez avec Aberdeen. Il y a à parler sur tout. Mais ce que lui regarde toujours comme la plus grosse difficulté avec la France, la plus grande, c’est ce petit misérable Tahiti. Il me parait que l'entrevue avec Metternich aura été très courte si celui ce n’est allé qu'à Stolzenfels. Adieu. Adieu.
Imaginez que je n’apprends qu'aujourd’hui que le feu était à bord du bateau pendant que je passais dessus ! Adieu. Adieu.
3. Château d'Eu, Lundi 8 septembre 1845, François Guizot à Dorothée de Lieven
7 heures du matin
La Reine est signalée. On entrevoit sa petite flottille. Je viens de faire, en toute hâte, une toilette un peu incomplète. J’ai été plus expéditif que le Roi. Je sors de chez lui. Il lui faut encore vingt-minutes. Nous partons immédiatement pour le Tréport. Le temps est superbe et la mer parfaitement calme. Nous serons de retour, ici, je pense vers 10 heures. Nous avons fait hier en mer, à la découverte, une charmante promenade de deux heures. Pas la moindre apparence d'indisposition.
Toute la famille royale était là, même le comte de Paris et le petit Philippe de Wurtemberg. Sauf les personnes indisponibles. Madame la Duchesse de Cobourg, qui vit encore chez elle et Madame la duchesse d’Aumale qui a l’air encore plus fatiguée d'attendre son mari que ses couches. Le soir pas grand chose ; un peu de dépenaillement général ; on allait et venait du salon, dans la galerie Victoria qu'on arrangeait, encore. Pas assez de candélabres. Les lampes pas encore arrivées de Paris. Des impatiences Royales. Des serviteurs empressés et embarrassés sans inquiétude. Il y a de la bonté et de la confiance dans la bonté. Je suis rentré chez moi, et me suis couché à 10 heures. J’ai très bien dormi. Je sors avec ma grosse redingote et mon cache-nez blanc. Il fait frais. Mon rhume va bien. C’est-à-dire moi non pas lui.
Une heure
Je cause avec Lord Aberdeen depuis onze heures un quart. Je suis content. Je crois qu'il l’est aussi. La principale question, l’Espagnole coulée à fond, à sa complète satisfaction. Le Roi l’a abordée sur le champ avec lui, à bord du Victoria-Albert. Plus l’ombre d’un nuage sur ce point. Tahiti et ce qu'on appelle les armements, restent nos deux embarras. Embarras des deux côtés, embarras très ennuyeux. Rien de plus. Il supporte moins bien les embarras que moi. J'ai établi très nettement ce que je pouvais et ce que je ne pouvais pas. Je vous répète que je suis content. Amical au dernier point. Et le Prince Albert beaucoup.
Charmante arrivée. Le temps encore plus beau qu’il y a deux ans. Arrivée au Tréport marée basse. Il a fallu monter dans de petites voitures, pour atteindre le canot royal à travers les sables et les galets. Une demi-heure en canot pour atteindre, le Victoria-Albert. Autant à bord, pour approcher du rivage. Nous sommes descendus dans le canot du Roi, le Roi, la Reine, le Prince Albert, le Prince de Joinville, le Prince de Cobourg et moi. Puis les petites voitures pour atteindre la terre ferme. La Reine gaie comme un entant. Excellent accueil de la population, moins nombreuse qu’il y a deux ans. Presque point de préparatifs : a friendly call between neighbours. Arrivée au château par le grand parc nouveau défilé des troupes dans la Cour. La Reine comme chez elle, reconnaissant les lieux, approuvant les changements. Grand, grand succès de la Galerie Victoria. Les tableaux de quatre jours sauvés par l’intention. On s’est promis qu’ils seraient beaux quand ils seraient faits.
A déjeuner le Prince Albert donnant le bras à la Reine. le Prince de Salerne de l'autre côté. La Princesse de Salerne à la gauche du Roi. Moi à côté de la Duchesse d’Aumale.
J’ai fait vos compliments à Lady Canning, pour elle et pour son mari. Après le déjeuner, établissement dans la galerie Victoria. On s’est écouté successivement. Nous sommes restés seuls, Lord Aberdeen et moi causant toujours. Je viens de l’installer chez lui. A 2 heures, promenade. Tout le monde y va. Ce soir, à 8 heures spectacle. La petite pièce est Le nouveau seigneur. On commence par là. Demain, grande promenade et luncheon dans la forêt, à la Ste Adelaïde. La Reine part entre 4 et 5 heures. Adieu. Adieu.
Il n’y a pas moyen de continuer. L’estafette part. Adieu. G. P.S. Soyez assez bonne pour donner à Génie quelque chose de ces détails.
Mots-clés : Conversation, Diplomatie, Diplomatie (France-Angleterre), Famille royale (France), Femme (mariage), Femme (maternité), Femme (portrait), Ministère des Affaires étrangères, Récit, Relation François-Dorothée (Diplomatie), Santé (François), Victoria (1819-1901 ; reine de Grande-Bretagne), Voyage
Paris, Samedi 3 novembre 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
La situation est des plus tendues des plus extraordinaires. J’ai vu hier Berryer, après le dîner. Il se rendait à la réunion du soir où l’on devait décider de la conduite à tenir, il est sombre, il n’est pas désespéré, mais il n’entrevoit pas comment on pourra sortir de ce chaos au milieu de tant de prétentions vivantes. Voilà pour l’ensemble quant au moment actuel Dieu sait ce qu’on aura décidé hier. Les intrigues de la semaine ont été énormes. On se plaint beaucoup de Molé. Un très bon conservateur disait hier. " M. Molé est toujours, en toutes circonstances, avec tout le monde en trahison, on ne peut pas croire à lui un instant. " M. Molé est dans le dépit le plus grand contre le président qui l’a joué. Thiers n’est pas allé hier à la réunion des 10 chez Molé. Il y manquait aussi Berryer & Vatimeuil. Sur les 7, quatre ont voulu qu’on parle, et 3 qu'on se taise à la séance. On avait préparé quelque chose s'il y avait eu lieu. Mais le programme n’y a pas donné lieu. Accueilli avec le plus grand silence. Broglie est d’avis qu’on ne fasse aucune opposition, mais que personne en mette plus les Jeudi chez le président à ses réceptions. Marquer de la froideur & du mécontentement. Avant aucun accord même cela s’est déjà fait ainsi jeudi à la soirée. Il y avait la diplomatie, grand nombre de militaires, point de députés. Hier on a fait entrer de la troupe de plus à Paris. Tout le monde disait hier que dans le petit public, la masse, le message du président avait le plus grand succès. Je sais que hier devait se tenir une réunion des partisans personnels du président, Moskova, Victor Hugo & & qui cherchent à en attirer d’autres parmi les rangs des conservateurs. Le coup d’état est regardé comme infaillible. Les affidés disent : " Nous sommes en marche." Berryer en disait : dans les faubourgs il pourra se trouver 40 m. personnes. criant vive l’empereur. Alors il pourrait s’en trouver 60 m aussi qui crieraient vive la république socialiste. On verra alors. Il y aura lutte certainement. Que faire je parle de moi maintenant certainement à supposer même que l’armée reste très bonne. (Changarnier ne ferait pas comme au 13 juin. Il laisserait faire un peu pour pouvoir réprimer. Réprimer c'est batailler. Vous savez si j’aime les batailles. Tout le monde y compte & reste. On est aguerri ici. Mais moi qui n’ai aucun appui auprès de moi, comment me risquer dans la bagarre. Tout cela est bien triste. Je ne puis pas vous dire tout ce que je vois de monde. Depuis 3 1/2 jusqu'à 9 du soir jamais un moment seule, que l’intervalle très court des dîners. Kisselef vient sans cesse, impossible de causer. Je le ferai dîner avec moi. pour avoir enfin le tête-à tête. Il a reçu un courrier, il a des communications importantes à faire. Il ne sait à qui parler. Il est allé hier chez Hautpoul, pas reçu. Berryer est plein de sens. Au fond sa conversation est celle qui m’a le plus convenu d'entre toutes les autres, vous verrez, car vous le verrez. Il m’a parlé de vous, mais pas autrement que pour me dire que lui dans le temps, avait voté pour qu'on soutint votre élection. La princesse de Joinville est accouchée avant terme d'un enfant mort. Elle a été à la mort elle même. Selon les nouvelles d'hier elle allait mieux. Quelle tour de Babel que ce Paris. Je me trompe. Tout ce que je vois est d'un seul et même avis au fond, mais que faire, & quoi au bout ? Adieu. Adieu. Adieu.
Personne ne sait ce que veut Changarnier, au fond il est impénétrable. Flahaut est ahuri. Lui, approuve le message et s’étonne de la majorité Il dînera chez le Président mais il ne veut pas se montrer à ses soirées. Il repart jeudi pour Londres.
Val-Richer, Lundi 10 juin 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
6 heures
Duchâtel m'écrit comme vous que l’argent du Président passera, après bien du tirage. Il croit aussi que sa loi du tombeau Napoléon passera cette semaine, et il ira alors à St Léonard, deux ou trois jours plus tôt ou plus tard selon que les nouvelles seront plus ou moins inquiétantes. Je ne sais pourquoi je vous redis tout cela qu’il vous dit surement lui-même. Habitude de nous redire tout ; on a bien de la peine à croire à l'absence, même quand on la sent. J’ai bien de la peine aussi à admettre ce que vous dit Ellice que l'affaire grecque reste toujours sérieuse dans la Chambre des Lords, malgré l'ajournement, et que le Cabinet ne s’en tirera pas. Flatterie pour votre désir. Ce serait trop beau. Il serait vraiment très beau qu’une affaire point grave en elle-même, et complètement terminée devînt l'objet d’un débat sérieux, et que par pur respect de la bonne politique, pour le seul honneur du pays, le Cabinet fût sérieusement censuré, et tombât devant cette censure. Quelle que soit mon estime pour l'Angleterre, je n'en espère pas tant. Je vois de plus, d'après ce que vous me citez, qu’il ne s’agit pas de substituer simplement, selon le choix du roi Othon, la convention Drouyn de Lhuys à la Convention Wyse, et qu’on en fait une troisième, un amalgame des deux premières. Si on retranche de celle-ci l’article qui mettait l’Angleterre à l'abri des réclamations de la Grèce pour pertes et avaries et si la Grèce élève en effet des réclamations, ceci peut prolonger et envenimer l'affaire.
J’ai passé hier ma matinée à Lisieux. J'ai vu assez de monde. Pays étrangement tranquille. On parle sans la moindre inquiétude de l'insécurité universelle. On prévoit et on discute les révolutions futures ; et on s’établit dans cette prévoyance comme dans un mal dont on ne peut ni guérir, ni mourir. On semble assuré que quoi qu’il arrive, on ne sera pas beaucoup pire qu’on n'est, et on se résigne, assez aisément à n'avoir ni plus haute ambition, ni plus grave crainte. C’est un spectacle profondément humiliant.
Qu'est-ce que la princesse Léonida Galitzine qui va a Trouville, et dont il me semble que vous m'avez parlé ? On me dit qu'elle est soeur de Paul Tolstoy, et que c’est une bonne et aimable personne, un peu timide et sauvage, qui a perdu sa fille aînée il y a quelques années, et que le chagrin dévore. Est-ce vrai ?
9 heures
Mauvaises nouvelles du Roi, de Londres et de Paris. J’attendrai ce que Montebello m’écrira, et que Thiers soit revenu. Je ne veux pas, comme de raison, m'y trouver avec lui. Broglie ne sait pas quel jour il sera disponible. Je ne puis l'attendre indéfiniment. Je le verrai en passant par Paris, et s'il est prêt, je l'emmènerai sinon, j'irai sans lui. Car je passerai par Paris. Adieu, adieu. J’ai cinq ou six petites lettres à écrire. Adieu. G.
Ems, Vendredi le 12 juillet 1850, Dorothée de Lieven à François Guizot
Le froid continue, les averses aussi. On me fait prendre les l'eau cependant, & boire de l'eau. Cela ne me fait ni bien ni mal. Je me lève à 6 heures. Je me couche à 9. Je voudrais bien me coucher plutôt, car je meure d'ennui. Rothschild. Ma seule ressource ! Une demie heure tous les jours.
J'ai eu une lettre de Beauvale. Il me dit que John Russell a beaucoup baissé & Palmerston grandi. Aujourd’hui le Roi des radicaux, fausse position, car à l’intérieur il est bien moins radical que John. Les choses ne resteront pas comme elles sont mais personne ne devine quelle tournure elles vont prendre. Londres se disperse, & le parlement va se proroger. Montebello me tient un peu au courant de l'Assemblée. Il m'écrit de son banc et me divertit beaucoup.
Vos extraits de Londres & de Paris sont curieux. Tout cela tend à devenir de la grande politique ou plutôt de grandes affaires sérieuses. Nous verrons.
3 heures. Il y a eu des petits Princillons que j'ai connus jadis. Mari & femme, Prince régnant de Lippe, de Hambourg, Bukebourg. C’est bien long. Plus long que leurs états. Ils sont venus me relancer et comme je suis polie j’ai été leur rendre leur visite. Un Chambellan au bas de l’escalier. Le Prince en haut, la Princesse devant le vestibule. Des questions sur Paris. le général Changarnier a dit-on fait un superbe discours. J’espère que la comtesse de Chambord n’est pas grosse. Charles X se porte mieux à ce qu’on dit. Voilà exactement ma Princesse régnante. Ah quel lieu que cet Ems ! S'il y avait ici seulement la moitié du plus insignifiant de mes visiteurs du Dimanche ! Voyons, la moitié de M. de Flamarens ou de M. de Mézy. Adieu, Adieu. La pluie a cessé depuis un instant. C'est une nouvelle. Adieu encore.
Trouville, Samedi 24 août 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
Quatre heures
J'ai votre lettre. Je suis moins étonné que vous de votre émotion. Vous pouvez passer très vite d’un accès d’indifférence à un accès d'attendrissement. Il y a bien des cordes à toucher en vous. M. le Comte de Chambord a touché, la bonne. Est-ce sa figure, son nom, sa situation, sa conversation ? Peu importe.
Le chancelier, vient de m’apporter le dire de M. Benoist d'Azy revenant de Wiesbaden. Il dit comme vous quoique moins ému. Très probablement vous avez raison, et j'en suis fort aise. Votre court récit me plaît beaucoup. Si Salvandy va là, il en dira plus long. Je crains un peu qu’on n'abuse du portrait. Cela inspire bientôt plus de méfiance que de sympathie aux gens qui ne voient pas l'original. Et M. le comte de Chambord ne peut pas faire à beaucoup de monde la visite qu’il vous à faite.
Les visages sont moins gais à Clarmont, car c'est encore à Claremont qu’ils sont. Le Roi va toujours s'affaiblissant. Madame la Duchesse d'Aumale vient d'accoucher à huit mois, d’un enfant mort, une petite fille si chétive et si mal constituée qu’elle n’eût probablement pas vécu. Le chagrin est peu de chose, mais le dérangement, est grand. On devait partir le surlendemain pour Richmond. Il faut attendre à l'extrême déplaisir du Roi qui a pris Claremont en dégoût. On y laisserait bien Mad la Duchesse d’Aumale qui va à merveille, et à qui Mad, la Princesse de Joinville tiendrait compagnie. Mais M. le duc de Nemours a des clous, mal placés et dont l’un ressemble un peu, dit-on, à un Anthrax, et pourra exiger une petite opération chirurgicale. Tout cela fait un intérieur triste et agité. Mad. la Duchesse d'Orléans est déjà établie dans la maison qu’elle a louée à Richmond, près du Star and Garter. J’entrevois dans ce qu'on me dit que le médecin n’est pas très pressé de transporter le Roi à Richmond, qu'il le trouve bien faible et qu’il trouve Claremont un lieu plus convenable pour un tel malade, si malade.
Je ne sais rien du tout de la lettre que les journaux attribuent à M. le Prince de Joinville. Mad. Mollien est à Claremont. Chomet est allé voir la Reine des Belges et ne trouve rien d'inquiétant dans son état. C’est du moins ce qu’on dit de son dire.
Dimanche, 8 heures
J’ai eu hier successivement la visite de trois conseillers à la cour jadis royale de Caen. Hommes assez considérables par leur fortune, et leur fonction. Deux conservateurs, et un légitimiste. Bons échantillons de la bonne opinion. Fusionnistes, tous trois, disant tous trois exactement les mêmes choses, mais vaguement et froidement avec peu d'espérance et pas plus de courage. Parce que la fusion, n'est encore qu’une idée, un désir. Ce n’est pas un parti politique hautement proclamé, ayant son drapeau et son camp. Il y a beaucoup de fusionnistes, tous encore classés et enrôlés, dans les anciens partis. Les anciens partis seuls subsistent. Personne n’ose en sortir ouvertement et décidément, et en disant pourquoi. Tant que cette situation durera, rien ne se fera. Non seulement on n’arrivera pas mais on ne marchera pas. Tout le monde voudrait arriver sans marcher, tant on a peur de se compromettre et d'être pris pour dupe. On voudrait que Dieu se chargeât seul de toute la besogne. Ce n’est pas son usage ; il fait beaucoup, beaucoup plus que nous ; mais il veut que nous fassions quelque chose nous-mêmes. Il ne nous dispensera pas d'avoir une volonté de prendre une résolution de mettre la main à l'œuvre. Nous attendons Dieu et Dieu nous attend.
Midi
J’espère que vous aurez fait à ce bon Fleischmann mes plus vraies amitiés. J’aurais été charmé de le voir. Si vous l’avez encore avec vous, sachez, je vous prie, ce qu’il donnerait à son fils, s’il le mariait à son gré, et ce que son fils pourrait espérer un jour. Il faut savoir cela. On me dit qu’ils sont pauvres. Trop pauvres serait trop. On me dit aussi que Fleischmann est un peu avare. Il vous sera facile d'éclaircir ces deux faits. Je me crois sûr, par des renseignements venus ces jours ci, qu’il n’y a eu chez les Nottinguer, ni chez les Delessert, pas la moindre idée de ce mariage.
Pourquoi n'iriez-vous pas un peu à Baden si vous en avez envie? Il n’est pas plus fatigant de vous arrêter quelques jours à Baden, en revenant que de revenir droit à Paris. Adieu, Adieu. G.
Val-Richer, Dimanche 15 septembre 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je suis frappé de ce que vous me dîtes de l’intimité de Changarnier et de Lamoricière. Cela coïncide avec ce qui m'est revenu d'ailleurs, ces jours-ci. Lamoricière dans des conversations intimes, s’est déclaré inconciliable, absolument inconciliable avec les rouges et l'Empire, ou toute combinaison bonapartiste analogue à l'Empire ; du reste prêt à accepter toute autre solution, l'une ou l'autre des deux branches, n'importe laquelle, ou mieux encore toutes deux ensemble ceci dans l’hypothèse où la république régulière ne pourrait pas durer, ce qu’il ne regarde point comme sûr, mais comme très possible. Je vous donne ces ouï dire pour ce qu'ils valent ; ils viennent de bon lieu. Ils peuvent être vrais aujourd’hui et point demain ; Lamoricière est si mobile ?
Les nouvelles de Bruxelles m'affligent beaucoup. La Reine, toute cette famille royale quittant le cercueil du Roi et traversant la mer pour venir s'asseoir auprès du lit de mort de leur fille, de leur sœur ! Quelle épreuve ! quel spectacle ! Les douleurs s’appellent et s'attirent. Je ne sais rien que par les journaux ; mais j’ai le cœur serré à l'idée de ce deuil sur deuil pour la Reine dont la personne, et le cœur, semblaient ne laisser plus de place à un deuil nouveau. Je voulais écrire ces jours-ci à la Reine et à M. le Duc de Nemours. Je n'ose pas. J’attends.
J'espère que vous me donnerez aujourd’hui d'un peu meilleures nouvelles de votre rhume. Décidément enrhumée ou non, et encore plus enrhumée, je vous aime mieux à Paris qu'ailleurs. Vous y avez à la fois plus de repos et plus de mouvement. Je compare ce que vous voyez là, avec votre solitude de Schlangenbad. Et pour avoir cela vous n'avez d'autre peine à prendre que de ne pas sortir de chez vous.
Je suis curieux de ce que vous me direz sur M. de Meyendorff. La nouvelle de Berlin est répétée dans tous les journaux. Je ne puis croire à cette retraite, et encore moins au motif. Mad. Swebach (est-ce bien son nom ? ) doit savoir le vrai. Midi Je regrette de n'avoir pas vu l'article du Times, sur Salvandy. Je suis frappé de la réserve des journaux de toute opinion sur ce sujet. Ils sentent tous que c’est sérieux, et ne veulent ni s’engager ni se compromettre. Je vois ce matin un article du Siècle qui pose, entre la Monarchie et la République, je ne sais combien de questions pleines d'embarras et qui admettent les réponses contraires.
Je suis bien aise d'avoir valu à Constantin les remerciements qu’il a reçus. Vous savez que je lui ai trouvé, sous sa tranquillité modeste et un peu stérile, l’esprit plus ouvert et plus sérieux que je ne supposais. Adieu, adieu. Vous aurez reçu ce matin une réponse sur Fleischmann. Adieu. G.
Paris, Vendredi 20 septembre 1850, Dorothée de Lieven à François Guizot
La commission hier a interrogé M. Baroche. Il a nié fort et ferme que la société du 10 Xbre fut autre chose qu'une société d’assistance, très vertueuse. On a cité des faits arrivés au débarcadère. Il a donné un démenti à tout, ou traité quelques unes d’affaires de police qu'on examine. Cela a été long. Personne n’a été convaincu et tous un peu envoyés. Voilà ce qu’on m’a raconté. Il ne manquait que Berryer et Lamoricière.
Le soir, j’ai vu la vicomtesse venue de Mouchy pour me questionner. Elle y était à peine que les visiteurs sont arrivés, M. Fould, le duc de Bauffremont, Kisseleff, Mme de Caraman, la belle lady Claud Hamilton. Tout le monde en extase de sa beauté. M. Fould parle l'anglais comme un Anglais. Il a beaucoup parlé des réfugiés français à Londres de la propagande qu'ils y font de Louis Blanc comme du plus dangereux de tous, persuadé qu'il arrivera à l'Angleterre quelque catastrophe si elle ne chasse pas ces gens-là. M. Molé a le même dire. On avertit Normanby mais les Anglais sont trop fiers pour être inquiets. J’ai été si ennuyée de la polémique entre la Prusse & Le National, que j’ai donné congé à l’un et l’autre journal. Ai-je tort ? Vont- ils se venger peut-être ? Comme je suis poltronne. Dites-moi quelque chose, je suis prête à les reprendre, si c’est nécessaire. Kisseleff reprend ses inquiétudes. Chreptovitch travaille beaucoup à se faire nommer à Paris. Adieu. Adieu.
Rien de nouveau. Neumann vient de perdre sa femme. Elle est morte en couches, & l'enfant aussi.
Val-Richer, Lundi 30 septembre 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je reçois une assez curieuse lettre de Piscatory. Je vous l’enverrais si vous pouviez la lire. Il ne m’avait pas écrit depuis sa visite à Claremont. La Reine l’a frappé comme tous ceux qui la voient. “ J’ai eu joie à admirer, c'est un plaisir rare dans le temps où nous vivons. J'ai vu les Princes et Mad. la Duchesse d'Orléans. J’ai longtemps causé. Mais je ne crois pas que ce soit fort utile. Les idées de retour m'ont paru passer avant tout. Je le comprends; lorsqu'une telle destinée n'est pas prise par son grand côté, elle doit être intolérable. "
" Quoique aussi loin que moi, vous devez en savoir plus que moi sur ce qui se passe à Paris. Ce sont, ce me semble, de bien vaines agitations ; mais elles disposent bien ou mal les esprits pour le retour de l'assemblée. Voulez-vous me dire ce que vous en pensez ? Qu’est-ce que c’est que ce désordre dans le parti légitimiste ? Y a-t-il là une chance pour que les bons se séparent sérieusement des mauvais ? Cela me paraît fort douteux ; et à titre de simple spectateur, il me semble évident, mais pas mauvais, je l'avoue, que M. Barthelemy a fait une mauvaise campagne. Autour de moi, l'effet n'est bon ni dans l’un ni dans l'autre camp. Ne croyez pas cependant que je prétende voir clair dans ce que pensent mes voisins, petits et gros. Ce qui est incontestable, c’est que l'inquiétude, et le malaise sont généraux ; les uns en sont poussés, en avant ; les autres regardent avec regret la terre qu'ils ont perdue. Je ne crois pas que cela soit sérieux ; mais il est certain que le nom du Prince de Joinville se prononce très haut. Le Président ne gagne pas ; il n’y a que ceux qui ont sérieusement à perdre qui veuillent faire fie, qui dure dans ce semblant de repos. Ce n’est certes pas moi qui reprocherai à personne ses incertitudes ; j’en suis plein; et cela m'inquiéterait. Si je ne savais que quand le feu commence, je ne suis que trop disposé à prendre promptement mon parti. Mais hélas, que ferons-nous ? Pourquoi Dieu a-t-it voulu qu’on eût des enfants sur cette maudite terre ? Ce serait très curieux, et mes semblables m’ont assez désintéressé d'eux pour que je trouvasse tont cela fort amusant. Il n'y a pas moyen, on a des filles à marier du moins à faire vivre ; il ne s'agit donc pas de se passer ses fantaisies. Mais où est la raison ? Où est le bon chemin: où est le but ? Vous êtes bien habile ; et cependant vous ne me le direz pas. Dites-moi pourtant ce que vous pensez ? Quand je ne le sais pas, et plus encore quand je ne viens pas à bout de penser comme vous, je suis prêt à chanter comme les enfants qui sont seuls la nuit, et qui ont peur. "
Ne dites à personne, je vous prie, cette dernière phrase. Son amour propre pourrait être blessé s’il lui en revenait quelque chose et il ne faut pas troubler les bons sentiments en piquant l'amour propre. Mais vous voyez qu'il est incertain, inquiet, et point inabordable pour moi.
Je suis charmé que vous ayez pris le deuil et envoyé un consul général à Bruxelles, deux choses utiles pour l'avenir.
Charmé aussi de ce que Thiers a dit à Mercier sur le Général Changarnier. La double visite dont vous me parlez à Champlâtreux vaut la peine qu'on sache ce qu’ils y ont dit.
J’ai écrit à Villemain pour l'Académie. Je ferai ce qu’elle voudra. La raison veut que je reste ici jusqu'au mois de novembre. Pour mes affaires d'abord qui en ont besoin. Puis, parce que j’ai promis au Duc de Broglie d'aller passer une semaine chez lui, ce que je ferai mercredi 9 octobre. Visite utile. Un bon motif pour revenir plutôt serait charmant ; mais vraiment, il me faut un bon motif, autre que mon plaisir.
Dix heures
Ce qui me fait grand plaisir, c’est que vous soyez tranquille sur Constantin. Je vous ai dit que vous rêviez, et j'avais bien raison. Mais je n'aime pas les mauvais rêves pour vous. La Reine des Belges m'afflige profondément. Quelle prédestination aux épreuves ? La branche cadette ne le cède guère à la branche aînée, ni la Reine à la Dauphine. Adieu, adieu. G.
Val-Richer, Dimanche 13 octobre 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
8 heures
Je me lève. J'ai bien dormi. J'en avais besoin. Le temps a été magnifique hier. J'espère que vous vous serez promenée, que vous aurez marché. Il faut profiter des derniers beaux jours. Vous serez assez longtemps réduite à ne vous promener qu'en voiture. Je suis assez curieux de ce que vous me direz ce matin de votre dîner d'avant-hier. J'espère que vous aurez trouvé l'occasion de dire à votre principal convive ce qui me concernait. Je crois utile que cela lui soit dit.
Les Holsteinois sont bien acharnés. Le roi de Danemark même vainqueur aura de la peine à redevenir vraiment le maître là. Tant d'opiniâtreté indique sur le lieu même, un sentiment populaire énergique et la passion de l’esprit germanique viendra toujours réchauffer ce sentiment là. L'Allemagne n'échappera pas à une grande transformation. Je ne sais laquelle ni comment ni au profit de qui ; mais l'Allemagne ne restera pas comme elle est. Je ne vois en Europe que l’Angleterre et la Russie qui aient chance de rester longtemps comme elles sont.
Midi
Pauvre Reine ! A moi, comme à vous, ce sont les seuls mots qui viennent. Avez-vous remarqué son petit dialogue avec le curé d'Ostende à l'entrée et à la sortie de l’église ? " Priez beaucoup pour mon enfant. " Je ne connais rien de plus touchant que ces simples mots.
Merci de vos détails, très intéressants sur votre dîner. Si vous trouvez quelque occasion naturelle de dire ce que je vous rappelais tout-à-l'heure, soyez assez bonne pour la saisir. Le petit article des Débats sur la séance de la commission permanente me frappe un peu. C’est certainement Dupin qui l’a dicté. Il prouve que si la commission ne veut pas pousser les choses à bout; elle veut les avoir prises au sérieux. Il faut que le Général d'Hautpoul soit congédié avant l’ouverture de l'Assemblée.
Je suis fort aise que Marion ait pris son parti. Faites lui en, je vous prie, mon compli ment en lui disant combien je regrette de ne l'avoir pas vue. Je lui aurais conseillé ce qu’elle fait. J’ajoute seulement que s'il est bien convenu qu’elle restera à Paris avec sa soeur Fanny, il faut qu’elle y reste en effet quand ses parents partiront. Si elle retourne en Angleterre avec eux, elle ne reviendra pas. Adieu, Adieu. G.
Le Duc de Broglie ira certainement à Claremont car la Reine et la famille Royale y retourneront, je pense, aussitôt après les obsèques. Je crois que j'irai à Broglie lundi 21, pour 48 heures. Adieu, encore.
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Val-Richer, Jeudi 17 octobre octobre 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
Le temps est étrangement beau et doux. Un soleil d’été sur une nature, d’automne. Je me suis promené hier deux heures. J’avais trop chaud. Vous auriez beaucoup joui de cet avis-là. Il vaut mieux que celui du bois de Boulogne. Mais dans quinze jours nous serons en hiver. Il ne faut pas s’attacher à ce soleil. Je n’y penserai pas quand je serai avec vous. Mais, hors ce qui me plaît par dessus tout, la liberté, le repos et les spectacles de la campagne, me plaisent maintenant plus que le reste. La nature a du bon sens et de la grandeur.
10 heures
Kisselef a tort d'être si troublé. Certainement, s’il y a guerre en Allemagne (ce que je ne crois toujours pas), il y aura en France à l'Elysée et dans les journaux, des velléités de s'en mêler. Des velléités sincères, et des velléités hypocrites. Le public, le vrai public n'en voudra pas. L'assemblée sera comme le public ; le ministère comme l’assemblée ; et on ne s'en mêlera pas. Et l'Elysée sera fort aise qu’on ne veuille pas s'en mêler, et qu’on ait l’air de croire qu’il voulait s'en mêler. L'ancienne politique subsistera. Il n’y a plus en France, de gouvernement capable de la changer, ni de l'avouer. On en voudra le profit, en en éludant la responsabilité. Ce sera le Général Lahitte qui en aura l'honneur.
A propos du Général Lahitte, je vois dans tous les journaux qu'on veut le nommer à l’assemblée pour le département du Nord, et dans la Gazette de France qu'il y a, dans ce département, des gens, conservateurs, et légitimistes, qui pensent aussi à moi. Je n'en ai point entendu parler, et je n’ai pas besoin de vous dire que je n'en veux pas entendre parler. Le Moment n’est pas venu, et on a grande raison de porter le Général Lahitte. Je lui donne ma voix.
L'Indépendance Belge m'amuse. Vous savez mon billet à Morny. Je prévoyais bien qu’on en ferait un peu de bruit. A la bonne heure. Je ne l’ai pas écrit parce que le bruit, mais quoique. Un avis très décidé, et dit très haut, et une entière liberté d’attitude et de langage quotidien, c'est mon parti pris. Je suis plus indépendant que l'Indépendance Belge. La fusion de l'autre côté du fossé ; le Président tant qu'on ne peut pas, ou qu'on ne veut pas, ou qu’on ne sait pas sauter le fossé; voilà mon avis, et je ne m’en gênerai pas de le dire, et de le pratiquer.
Ecrivez-moi à Broglie, (au château de Broglie, par Broglie. Eure) lundi, mardi et mercredi. Je n'en partirai que jeudi après le déjeuner. Le courrier y arrive à 9 heures du matin. J'y vais seul. Le médecin de Pauline ne veut pas qu'elle remue au delà du strict nécessaire. Entre nous, mes deux filles. sont grosses. Elles ne le disent pas encore. Je persiste à croire que Mad. Rothschild a raison, et que le Général d'Hautpoul s'en ira. Adieu, Adieu G.
Val-Richer, Mardi 22 juillet 1851, François Guizot à Dorothée de Lieven
Sept heures
J’ai lu attentivement tout ce débat. A tout prendre, il a été favorable à la révision et surtout à la Monarchie, succès bien éloigné et incertain ; succès pourtant, pour les hommes comme pour les idées. On m'écrit : " Le duc de Broglie est dans le ravissement du discours de Berryer. Il a dit à M. Molé : Puisqu’il en est ainsi, je n’ai plus d’objections contre la légitimité. Mais est-elle possible ? Dans tous les cas, Berryer, a levé mes scrupules. La liste des votants est curieuse à étudier ; les Montagnards, le Tiers-Parti, 21 pointus légitimistes, et 13 Régentistes, les deux derniers chiffres sont la mesure de l'influence de Thiers et de Changarnier. Aussi m'écrit-on : " Le Général Changarnier vient de faire une faute énorme. Sa passion contre le Président l’égare, et lui fera faire des énormités. J’ai bien peur qu’en 1852, il ne soit à ce point décrié que nous ne puissions en tirer aucun parti. " Voilà l’impression du lieu et du moment. On m'écrit encore : " La lettre du Prince de Joinville existe. Elle est moins mauvaise qu’on ne l'avait dit ; mais elle est mauvaise. Il y règne un ton d'ironie qui peut à bon droit, justifier les méchants propos de MM. Thiers et Duvergier. "
Notre pauvre ami Montebello a failli éprouver un grand malheur. La Duchesse a été très malade. Il y a trois jours, elle était en grand danger. On me l'a dit sauvée. C'était une inflammation d’entrailles qui, dans son état de grossesse avancée, pouvait devenir fatale. Montebello est rassuré. Il va écrire au Prince de Joinville. Je souhaite que sa lettre fasse quelque effet. Ou je me trompe fort, ou l’intrigue pour la candidature du Prince de Joinville à la présidence est ce qu’il y a de réel et d'actif au fond de tout ceci, dans le silence comme dans le travail de Thiers et de son monde.
Soyez tranquille, en tout cas ; vous pourrez aller chercher à Paris vos robes. Chercher, je veux dire retrouver. Je ne vois aucune chance de désordre matériel, si les apparences ne sont pas bien trompeuses, les rouges sont partout plutôt en déclin qu’en progrès, au moins pour le temps prochain. Soignez-vous bien à Ems, et rapportez un peu de force pour l'hiver. Le temps a l’air de vouloir devenir enfin un peu chaud. Je m'en réjouirai pour vous, pour moi, et pour les récoltes de Normandie.
Ma matinée d’hier a été pleine de visiteurs comme si mon gendre, en arrivant avait rouvert les portes de ma solitude, neuf personnes successivement de Caen, de Rouen et des environs. Tout le monde dit la même chose. Je ne sais ce qui sera au printemps prochain. Aujourd'hui, les élections seraient certainement assez présidentielles. Les Montagnards perdraient. Peut-être les légitimistes aussi. A cause de la politique et du langage des pointus ce qui rejaillit sur tous.
Vous seriez bien bonne de me faire, à Ems une commission, de me rapporter : 1° un petit caillou- Diamant du Rhin, monté en épingle ; 2° Deux garnitures de boutons pour gilets, en cailloux du Rhin. Quelque chose de semblable à ce que j'ai acheté là, l'an dernier. J'espère que cela vous donnera peu de peine en vous promenant. Onze heures Voilà votre lettre de jeudi. C'est bien loin en effet. Vous avez parfaitement raison de ne pas vouloir que Marion joue. Adieu, adieu. G
Val-Richer, Samedi 9 août 1851, François Guizot à Dorothée de Lieven
Montebello m'écrit d'Angoulême où il est allé conduire son fils aîné pour les examens de l’école de Marine. Le pauvre homme est encore sous le coup des inquiétudes qu’il a eues pour sa femme ; il m’en parle avec terreur. La maladie aigüe est guérie, mais il lui reste mal au foie et des crises presque intermittentes qui la font beaucoup souffrir, et qui dureront probablement jusqu'à ses couches prochaines. Montebello compte toujours aller à Claremont vers la fin de ce mois. Il a vu me dit-il à Angoulême le Général de La Rue, inspecteur général de la gendarmerie, homme d’esprit, que je connais beaucoup, et dont le jugement a de la valeur. Le général qui vient de parcourir beaucoup de départements en rapporte l'impression qu'il n’y a et qu’il n’y aura, pour la Présidence, que deux candidats sérieux Louis Napoléon et Ledru Rollin.
En attendant la candidature du Prince de Joinville éclate tout-à-fait. L’ordre est à lire désormais puisqu’il se déclare le moniteur des Régentistes. La conduite me paraît bien peu habile. Le Roi Louis-Philippe n’a jamais voulu se laisser conduire par Thiers. Sa famille, apprendra probablement, après sa mort, combien il avait raison. M. de Lasteyrie dit que M. le Prince de Joinville accepte la candidature, et il en promet, aux uns la fusion, aux autres le contraire. C’est un jeu qui ne comporte pas la durée, ni la publicité. En attendant l'élection, à la Présidence on sonde Paris pour une élection du Prince à l'Assemblée, en remplacement du général Magnan. Mais les coups de sonde ne réussissent pas. Manœuvre pitoyable. C’est bien assez d’une abdication. Est-ce qu’on fera passer tous les Princes par cette même porte ? MM. de Lasteyrie et de Rémusat sont furieux de n'avoir pas été portés par la majorité à la commission de permanence. Et très tristes d'avoir échoué par la minorité. Vous aurez vu, dans la Patrie, la réponse du Président au coup qu'on lui a porté à propos de ses projets d'emprunt à Londres. On avait fait grand bruit d'avance de ce coup-là. Il me paraît que même le bruit ne sera pas grand.
J'ai reçu une nouvelle lettre de mon ami Croker qui insiste encore pour que j'aille le voir à Alverbank quand j’irai à Londres. Il ajoute : " And now let me ask another favor of you. Some one has set about à story that George the IVth had endeavoured to sell the Royal Library (which was afterwards given to the British Museum) to the Emperor of Russia, and Madame de Lieven is quoted as the authority for this statement. I never before heard of any such idea, and I wish you would ask Madame de Lieven with my compliment and best regards, if she can tell me any grounds for such a rumour. I am curious to know how, il such a thing ever happened, it has escaped either my memory or my knowledge, for I had the honour of a good deal of George IV confidence on such matters, though he did not often follow my advice. » Pouvez-vous satisfaire la curiosité de Croker ?
J'ai aussi ma curiosité. Je voudrais savoir qui dit vrai, de l'Assemblée nationale, ou de Lord Palmerston, sur les notes ou lettres venues du nord aux cours de Naples, de Florence et de Rome. Le Journal est bien positif ; et le Ministre a bien l’air de mettre dans sa dénégation un subterfuge. Je suis charmé que vous ayez retrouvé Marion. Il est bien juste que le Prince de Metternich règne un peu au Johannisberg. Je ne sais si ses successeurs feront mieux que lui, mais il ne paraît pas qu’ils puissent faire autrement.
Si vous pouvez à Schlangenbad, à Ems ou à Francfort vous procurer le dernier numéro de la Revue des deux mondes (1er août), faites-vous lire l'article de M. Cousin sur Madame de Langueville. Il y a bien à dire ; mais c’est très agréable spirituel et curieux ; avec un ton tantôt de rigidité pieuse, tantôt de désinvolture aristocratique auquel la vérité manque également dans l’un et dans l'autre cas mais qui a de l’élévation et de la grâce. Cela vous intéressera et Marion aussi.
10 heures
Adieu. C’est tout ce qui me reste à vous dire, et ce qui me plaît mieux que tout ce que je vous ai dit. Adieu
Schlangenbad, Mardi 19 août 1851, Dorothée de Lieven à François Guizot
La nouvelle de cet empire est la visite faite hier par le roi de Prusse au Johannisberg. Il s’y est arrêté une demi heure en se rendant de Stolzenfels à Mayence. Je suis charmée que le Prince Metternich ait eu cette petite satisfaction mais voilà le roi aussi compromis que possible vis-à-vis des libéraux. La journée a été bien froide & pluvieuse, je n’ai pu sortir qu’en voiture fermée.
Montebello me mande les couches de sa femme & ses inquiétudes. Vous ne m'en avez rien dit. Peut-être au reste cela s'est-il passé depuis votre départ de Paris. Il a l'air bien tracassé de la santé de sa femme. Le 20. Mauvaise nuit, ma tête, mon estomac, ma langue tout va mal. Triste, voyage.
Ce sera curieux de revoir en son temps les acteurs revenir à Paris, & Changarnier sur tout. Que de pitoyables. manœuvres. Quelle pauvre figure he cults. Je reviens à Aberdeen. Il faut absolument que vous lui fassiez sentir la lourde faute qu'il a commise en permettant à M. Gladstone de lui adresser de pareilles diatribes. C’est vraiment honteux. Il devrait faire quelque chose pour se relever de là. Mais Je me rabache. Adieu. Adieu.
La duchesse de Hamilton femme douce & sensée, connaît beaucoup le Président. Elle parle de lui très bien elle vante son esprit, son bon sens, son bon cœur, bon gout. Elle dit tout cela très simplement. Adieu encore adieu. Je vous écrirai encore demain à Paris. Donnez ordre là où vous envoyer ma lettre. à Londres.
Val-Richer, Vendredi 5 septembre 1851, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je vois dans les feuilles d’Havas que M. Carlier a livré à la justice un grand complot, qui a des ramifications à l'extérieur comme à l’intérieur, et que déjà 47 personnes sont arrêtées. Que dit-on de cela ? En parle-t-on sérieusement ? Est-ce une préface ? Les Montagnards ont l’air en grande fermentation. L’air, ce me semble, plutôt que la réalité. Ce sont des conspirateurs aussi alarmés qu'obstinés. Si le voeu des conseils généraux pour la révision va comme il paraît, presque à l'unanimité, ce sera un fait grave, et qui pèsera beaucoup sur tout le monde. Dans ce pays-ci, ce voeu a été exprimé sans contestation et sans confiance ; le conseil général a à peine discuté ; le public en veut aux adversaires de la révision sans espérer beaucoup de la révision même.
Ce qui me revient du Général Changarnier est tout-à-fait conforme à ce que vous m’en dites. Voulant être porté, promettant qu'après, il fera tout ce qu’on peut désirer, mais ne voulant, rien faire avant. Je comprends cette attitude quand il était employé par le gouvernement et à la tête de l’armée. Mais à quoi lui sert-elle aujourd’hui ? Si je suis bien informé, la candidature du Prince de Joinville dans le Finistère a peu de chances, et on y renonce. Mais on renonce si peu à le faire élire représentant qu’il est question de la démission d’un député du département de la Somme, en remplacement duquel l'élection du Prince de Joinville serait certaine. On s’en occupe sérieusement à Amiens, et on attend des réponses de Claremont.
Voilà la Duchesse de Montpensier accouchée. Rien ne retiendra plus le Duc d’Aumale à Séville et la délibération de famille, pourra bientôt avoir lieu.
J’écrirai à Lord Aberdeen, quand j'aurai lu sa lettre Je viens d'achever la lecture de celles de Gladstone. C’est un honnête homme qui croit sincèrement ce qu’il dit, mais qui croit bien légèrement ce qu'on lui dit, et qui dit bien inconsidérément ce qu’il croit.
10 heures
Je vais lire le Constitutionnel. L’inconvénient des meilleurs articles, c'est qu’ils fomentent la polémique, engagent les amours-propres et rendent les hésitations et les retours presque impossibles. Adieu. Adieu.
Vous avez raison de vous faire traîner pendant les heures, ou il y a encore du soleil. La Redorte et Montebello ont raison de soutenir, et il ne faut pas qu’on soit du même avis pour rien. Adieu. G.
Broglie, Jeudi 18 septembre 1851, François Guizot à Dorothée de Lieven
Voilà vos deux lettres. Celle d’hier me convient, puisque vous avez dormi. Ne vous couchez-vous pas trop régulièrement à une heure trop constamment la même ? Peut-être feriez-vous bien de ne vous coucher que lorsque vous avez envie de dormir, tôt ou tard selon que l’envie de dormir vous vient. L’irrégularité est difficile à pratiquer systématiquement. Pourtant vous êtes bien maîtresse de votre temps et de vous-même. Le pire, c'est d'être dans son lit sans envie de dormir ; elle ne vient pas là ; il faut l’y porter.
J'espère que votre lettre à l'Impératrice fera l'affaire de votre fils Alexandre. Mais je persiste ; un état de choses où il faut faire mouvoir tant de ressorts et avec tant d’incertitude, pour avoir un passeport n'est pas de mon goût. J'aime mieux plus d’orages, et être libre d’aller et venir comme il me plaît, quelque temps qu’il fasse. Autre dissidence entre nous. Quand j'étais jeune, je faisais comme vous faites ; je méprisais beaucoup, et j'exprimais très haut mes mépris. Aujourd’hui non seulement je méprise moins haut, mais je suis moins prompt et moins dur dans mes mépris. Si je m'y laissais aller, ils iraient trop loin.
Je serais étonné si le Prince de Metternich était de votre avis sur l'article des Débats malgré le fracas assez ridicule qu’on y a fait de ses courriers et de son regain de crédit. Montebello aura parfaitement raison d'aller à Claremont avant le 4 novembre, et d’y dire ce qu’il y veut dire. Il a l’esprit aussi droit et aussi courageux que le cœur. On paye cela assez cher ; mais en définitive, cela vaut plus que cela ne coûte.
Je trouve qu'on meurt bien vite dans ce moment-ci. Un de mes amis du Calvados, membre éclairé et influent du conseil général vient de mourir subitement d’un anévrisme. Le Duc de Noailles fait vraiment une perte. Est-il capable de beaucoup d'affection et de chagrin ? Je lui écrirai un mot de condoléance.
La vie se passe ici fort tranquillement, et on me sait évidemment beaucoup de gré du mouvement que j'y apporte. Ils sont à merveille entre eux mais peu animés et peu expansifs. Le château a été plein hier de visiteurs. Aujourd’hui grande chasse dans la forêt pour les jeunes gens. Ils sont montés à cheval sous mes fenêtres à six heures et demie, pour aller courir un chevreuil.
La jeune Princesse de Broglie est très fatiguée de sa grossesse, maigrie et abattue. Désirant bien vivement une fille. Elle a trois petits garçons qu'elle élève bien. Aussi bonne de caractère que d’air. M. et Mme d’Haussonville viendront ici au mois d'octobre.
Le Duc de Broglie est comme vous sinon en principe, du moins en résultat. Vous êtes très président ; il est, lui, très résigné au Président, ne voyant ni mieux, ni aussi bien, ni autre chose. Tout le reste est intrigue et aventure. En attendant un grand événement, s’il est jamais possible, il ne faut avoir que des événements naturels et tranquilles. Je ne suis pas pressé que Lopez soit tué.
Autant vaudrait qu'on fût assez, et assez longtemps inquiet de cette affaire de Cuba pour qu'on en parlât un peu sérieusement et de concert, aux Etats-Unis. Adieu, Adieu. Dormez donc.... Adieu. G.
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Broglie, Samedi 20 septembre 1851, François Guizot à Dorothée de Lieven
Votre conversation est très intéressante, et, à tout prendre bonne. Il faut, en effet, épuiser jusqu'au bout les moyens d’entente et d'action commune avant d'en chercher d’autres. Pour que l'irrégularité soit admise, il faudra qu'elle soit comprise, et pour qu’elle soit comprise, il faudra qu’elle soit indispensable. Si la proposition Créton est rejetée, tout ce qui est bon sera possible.
Si toute la France était comme la Normandie, le bon résultat des élections ne serait pas douteux. La difficulté des légitimistes est réelle, même ici, car on ne les aime pas du tout ; mais on a du bon sens, et on leur fera leur part. Il y a cependant, dans ce département ci (l’Eure) un embarras. Salvandy et Hébert ; ils ont tous les deux, le dernier surtout, des amis chauds et assez nombreux qui voudraient les porter. Mais il faudrait écarter deux des députés actuels qui sont tous bons et ont tous voté la révision. Et si on laissait faire un trou, il y pourrait passer plus qu’on ne voudrait.
Le Duc de Broglie est donc pour le statu quo, local et général ; et d’après ce que je vois, c'est là, je crois ce qui prévaudra.
Je vois, par l'Indépendance Belge, que j'ai été il y a trois jours, à Champlâtreux, où Berryer est venu aussi. J'admire le soin avec lequel on me met tous les jours à toute sauce. Cela m'amuse à regarder du nid parfaitement tranquille où je vis. Vous avez sûrement entendu citer deux vers célèbres de Lucrèce qui disent : " Il est doux, quand la mer est grosse et que les vents soulèvent les flots, de contempler du rivage les rudes agitations d’autrui. " Ce sont les rudes agitations de mon propre nom que je contemple du rivage. Je le leur livre tant qu'ils voudront.
Il me paraît que les conseils d'arrondissement dans leur seconde session, se prononcent à peu près tous en faveur de la révision. Il sera bien difficile qu’un mouvement si général demeure sans résultat.
Soyez assez bonne pour dire au duc de Montebello combien je suis occupé de lui et de ses inquiétudes. J'espère qu’à mesure qu’elle s'éloignera du moment de ses couches, sa femme se remettra tout-à-fait.
La petite Princesse de Broglie est ici bien fatiguée de sa grossesse et un peu préoccupée de son extrême fatigue. Adieu, Adieu.
Je renvoie aujourd’hui mon ménage cadet au Val-Richer. L'aînée viendra me rejoindre ici après-demain et nous retournerons ensemble vendredi prochain, pour n'en plus bouger jusqu'à Paris. Adieu. G.
Val-Richer, Jeudi 25 septembre 1851, François Guizot à Dorothée de Lieven
Ma petite fille est bien malade. J’ai cru hier qu’elle ne passerait pas la journée, et je la trouve plus mal ce matin qu'hier. Elle a passé une mauvaise nuit. Je m'étonne toujours de ce qu’il y a de force dans la créature la plus faible. Pauvre petite enfant ! Entrevoir à peine le jour de la vie ! Dieu sait ce qu’elle y trouverait, si elle y restait. Sa mère a beaucoup de piété et de courage.
10 heures
Val-Richer, Jeudi 25 septembre 1851, François Guizot à Dorothée de Lieven
4 heures
Ma petite fille est morte ce matin, deux heures après que je vous avais écrit. Sans souffrance ; elle s'est éteinte, plutôt par impossibilité de vivre que par maladie, à force de soins, on lui a donné quelques mois de vie ; mais les soins n'ont pas pu davantage. Sa mère est résignée, par soumission à Dieu et par courage naturel, mais très triste ; elle soignait son enfant avec une vigilance passionnée. Je ne crois pas que cela change rien à leur projet de passer l’hiver dans le midi. C’est surtout son mari qui en a besoin.
J’ai eu ce matin vos deux lettres. Certainement tout cela est de la pitoyable conduite. Les légitimistes n'avaient pas et n'ont pas autre chose à faire que de soutenir le président tant qu'ils ne peuvent pas avoir la Monarchie par la fusion, et non seulement de le faire, mais de dire tout haut pourquoi ils le font. Mais ils veulent suivre leurs fantaisies comme s'ils étaient assez forts pour les faire réussir. Tous les partis en France sont à la fois impuissants et intraitables. C’est un spectacle ridicule. Quelque grosse sottise passera à travers tout cela, et elle aura son temps même son temps de triomphe comme toutes les sottises. Puis elle tombera, en ayant aggravé le mal général.
Je suis très triste et très décidé à ne mettre la main dans aucune sottise. Je suis tombé. Si je ne puis pas me relever à ma satisfaction, je resterai à la place où je suis tombé.
Vous ne lisez pas le Messager. Celui qui m'est arrivé ce matin contient un grand article évidemment inspiré par Thiers sur les conférences de Champlâtreux. J'en suis toujours. L'article a l’air fait pour la présidence de Changarnier. Au fond, il laisse le choix entre le Prince de Joinville et Changarnier. Et ce choix restera ouvert jusqu'au dernier moment. Changarnier a son parti pris de n'en prendre aucun et d'être, soit en premier, soit en second, le restaurateur de n'importe laquelle des deux monarchies.
Le propos de M. Carlier, sur de nouvelles élections m'étonne. Ils ont, ce me semble plus à redouter la proposition Créton, et le vote des lois pénales contre la réélection que des élections nouvelles. Mais ils savent sans doute mieux que moi où ils en sont.
Vendredi 26 7 heures
Je me lève. La plus petite et la plus obscure mort est solennelle. Tant que cette pauvre enfant est là, toute la maison lui appartient, et n'est que son tombeau. J’ai écrit à Caen pour faire venir le Pasteur Prostestant qui réside là. Nous n'en avons pas de plus rapproché. Il arrivera ce soir ou demain matin. L’enterrement se fera demain. C’est un grand isolement, et quelques fois un grand embarras, que de n'être pas de la religion générale du pays qu'on habite. Je n’ai nul embarras ; tout mon village, y compris le Curé, est très bienveillant pour moi et se prête avec coeur à tout. Mais l'isolement subsiste toujours.
Onze heures
Votre lettre est intéressante. Et le trio a dû l'être. Vous avez bien raison de dire tout haut votre sentiment. Adieu. Adieu. G.
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Paris, Samedi 27 septembre 1851, Dorothée de Lieven à François Guizot
Dites je vous en prie à votre fille ma vive & sincère sympathie, pour sa douleur. Un semblable malheur m’a frappé à son âge. Quand je me reporte à cette époque de ma vie je ne puis m'empêcher d'un grand remord de n'en avoir pas éprouvé un assez long chagrin. Que de fois depuis j’ai demandé à Dieu une fille, j’ai pleuré cette fille. Pauvre enfant, heureux enfant sans doute. Henriette a plus que je n’avais alors ces sentiments religieux qui font supporter avec douceur les volontés de Dieu, les peines qu'il vous envoie. Elle a plus que moi aussi la réflexion. Marion me prie de vous dire et à votre fille sa plus tendre sympathie. Elle est vraiment touchée de votre affliction.
J’ai vu hier apparaître Bulwer vraiment comme un ghost. Quelle mine ! Il passera sans doute l'hiver à Paris. Les Ministres lui ont fait mille éloges flatteurs, mais Palmerston a été froid. Il demande un autre poste. On ne le lui promet pas. Il ne veut pas retourner en Amérique, & comme je doute qu'on s'emploie en Europe, je suppose qu’il demandera sa pension de retraite. Pacha est venu aussi, on débarquait. Il est nouveau à Pétersbourg & va s’y rendre. Il a voulu tout de suite démentir le bruit qui avait couru qu’il était chargé de négocier un mariage pour le Président, il dit qu'il n'y a pas un mot de vrai. Il parle tristement de son pays. Les septembristes vont tout à l’heure être les maîtres. L'armée est complètement indisciplinée, perdue.
Fould est venu le soir, il y avait du monde nous n’avons pas pu causer. Son dire général est toujours une grande confiance dans le succès & assez de mépris pour tout autre concurrent. Montebello est revenu de Chalons disant que dans la Marne le mouvement napoléonien est irrésistible, unanime. Grande défaveur pour Joinville. Il a causé très longuement avec Léon Faucher, sur les élections d’abord, il lui a dit que le mot d’ordre du [gouvernement] devrait être de voter pour les 446 qui ont formé la majorité pour la révision, & ne pas s’inquiéter de tel ou tel parti. Ceci serait le mot de ralliement. Léon Faucher a gouté cela. On a parlé ensuite de la prorogation. & Léon Faucher a dit que le Président ne l’accepterait certainement pas des mains de l’Assemblée seule, qu’il lui fallait le suffrage du pays. Je trouve qu'il a raison.
Palmerston a fait un bon discours, et habile ; avec de la malice pour n’en pas perdre l'habitude. Comment trouvez-vous la réponse du [gouvernement] napolitain à Gladstone ? Je n’ai pas lu encore. Adieu. Adieu.
Val Richer, Mardi 31 août 1852, François Guizot à Dorothée de Lieven
Ma maison est fort tranquille aujourd’hui. J’y suis seul avec mes filles et mes petites filles. Tous les hommes sont partis pour la chasse qui s'ouvre ce matin. Pauline n’est pas du tout malade, elle a eu quelques soins à prendre pour se remettre de ses couches et un commencement de mal de gorge qui l’a fait rester, 24 heures dans son lit, mais ce n'était rien et elle va bien, comme une personne délicate.
Il y a longtemps que Génie ne m’a écrit. Dans ce que dit le Moniteur sur Constantinople, il n’est pas du tout question des Lieux Saints. Je suppose que cette affaire-là, en est resté où elle était, et qu’on parle des petites affaires arrangées pour éviter de parler de la grosse qui ne l'est pas.
10 heures et demie.
Il ne fait pas chaud du tout ici. Je voudrais bien vous envoyer un peu de ma fraîcheur et de ma verdure normande. Adieu, Adieu. G.
47. Val Richer, Dimanche 14 août 1853, François Guizot à Dorothée de Lieven
Vous avez raison ; mon impression sur les promenades de votre flotte dans la Batique et sur le camp de Chobham n'était pas fondée. Au fait, rien n’est plus naturel. Je ne doute pas que si la Porte se refusait à accepter la note de Vienne, la France et l'Angleterre ne lui retirassent leur appui. Il n’y aurait pas moyen de faire autrement. Mais je suis convaincu qu’on n'en viendra pas là. Il paraît que la vivacité du public anglais sur cette affaire était réelle et qu’elle avait gagné même les gros marchands de la Cité. Un de mes amis m’écrit en sortant de chez Samuel Gurney “ J’ai remarqué avec assez de surprise que le pacifique Duché partageait le sentiment d'impatience et d’irritation qu'inspire généralement ici la politique russe ; on est peut-être plus animé sur la question d'Orient à Manchester et à Birmingham qu'au camp de Chobham." On n'en sera pas moins fort aise de pouvoir se calmer.” Je viens de lire les détails de la Revue de Spithead. Ce devait être beau. Je vois que votre grande Duchesse Olga y était. C’est de bon goût. Tout le monde aime la paix aujourd’hui les rois comme les peuples ; la guerre dérangerait tout le monde.
Adieu.
Je n'ai vraiment rien à vous dire. M. Mallac me disait l'autre jour, à propos de l'Assemblée nationale : " Que deviendrons- nous maintenant et de quoi parlerons-nous, la question d'Orient terminée ? : " Nous n'aurions pas le même embarras si nous causions, mais de loin, le cercle est plus restreint. Barante va venir à Paris pour les couches de sa belle fille. Il viendra me voir ici. Duchâtel part demain pour le Médoc. Le Duc de Broglie est à Broglie. Molé au Marais. Je ne trouverai personne, à Paris la semaine prochaine. Quelques personnes y viendront pour la séance de l'Académie. J'en repartirai le lendemain. On dit qu’il faut lire les Mémoires de la baronne d'Oberkirch. Adieu. J'espère que vous avez votre fils. G.
64. Paris, Dimanche 25 septembre 1853, Dorothée de Lieven à François Guizot
Barante reste 15 rue du Cirque, sa fille n’est pas accouchée encore. Il compte aller vous voir entre le 6 et le 12 octobre, si... sa fille est accouchée. Drouin de Lhuys parle très mal de la Russie à tout le monde. On reste très inquiet au F.O. Français comme à celui de Londres. L’Ambassadeur turc a eu hier des nouvelles de Constantinople du 15. Il n’y était pas question de la réunion des [?] dont a parlé le journal des Débats. Décidément il n'y a plus d'action commune à Vienne. L'Angleterre n’a pas voulu faire comme d’Autriche. Il est impossible de dire ce qui arrivera mais tout peut arriver. Je crois à l’entrée des flottes pour protéger le Sultan contre ses propres sujets.
11 heures Dans ce moment la Turquie qui annonce que sur la demande du Sultan deux vaisseaux de guerre. Anglais & deux français sont entrés et vont à Constantinople pour protéger leurs nationaux. On me dit que la reine Christine va retourner sous peu à Madrid. Voilà tout pour aujourd'hui. Le mauvais temps me désole. J’avais pris des habitudes d'été & je passais mes matinées dans le bois de St Cloud dont on m’a permis l’entrée. Adieu.
Mots-clés : Affaire d'Orient, Diplomatie, Femme (maternité), Politique (Russie), Politique (Turquie)
Au château de Broglie, Mardi 18 octobre 1853, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je m'assois pour vous écrire et on m’apporte votre lettre d’hier. Celle de M. de Meyendorff est très rassurante. Il faut être deux pour faire la guerre. Le seul embarras, c’est qu’il y a trop de gens pour faire la paix. Ils ont bien de la peine à s'entendre. Ils en viendront à bout pourtant. Mais évidemment vous occuperez les principautés tout l'hiver.
Il n’y a personne ici que les maîtres de la maison. Barante, et Mad. Anisson sont partis avant hier. C’est bien un des lieux les plus tranquilles qu’on puisse imaginer. Beau et froid. On n’y sait point de nouvelles, quoiqu'on les aime. On se promène et on cause beaucoup. Bonne conversation, très sensée. Je trouve la princesse de Broglie changée, maigre et pâle. Ma fille croit qu’elle est grosse. Elle a déjà quatre fils.
J'écrirai demain à M. Monod ; mais sa lettre me fait, comme à vous l'impression qu’il n’a, quant à présent, point de pensionnaires, et je suis tout-à-fait de votre avis, il faut des camarades. M. Meyer, dont il parle est un excellent homme, pasteur luthérien, collègue de M. Morny. Je sais qu’il a en effet plusieurs fils jeunes peut-être à défaut de M. Monod cela conviendrait-il ?
Il est très bon que le Roi Léopold aille en Angleterre. La Reine Marie Amélie s’est arrêtée à Genève assez malade d’un rhume violent. En arrivant, elle avait fait dire à Mad. de Staël, qui est à Coppet de venir la voir, et quand Mad. de Staël est venue, elle n’a pas pu la recevoir. Elle restera à Genève jusqu'à ce que son rhume soit tout-à-fait passé. On n’avait cependant point d'inquiétude sur son compte.
Je suis bien aise que vous ayez retrouvé Dumon, et que du monde vous arrive. Je crois que vous en aurez beaucoup cet hiver. On sera agité sans vrai malheur, ni même vraie inquiétude. On court alors, on voyage.
Je trouve excessif que Kisseleff et Hübner ne soient pas invités à Compiègne. Il n’y a pas de raison pour cela. C'est trop d'empressement à couper l'Europe en deux, sans compter qu’on ne la coupe pas réellement en deux. Tant qu'Aberdeen sera au pouvoir, il ménagera l’Autriche, et la Prusse fera toujours plus que vous ménager. Adieu.
J’irai samedi prochain 22 au Val Richer dire adieu à ma fille Pauline qui part le lundi 24 pour Hières, je reviendrai ici Mardi 25 pour toute la semaine prochaine. Adieu, Adieu. G.
Mots-clés : Amis et relations, Circulation épistolaire, Conditions matérielles de la correspondance, Conversation, Description, Diplomatie, Diplomatie (Russie), Education, Enfants (Guizot), Europe, Famille royale (France), Femme (maternité), Femme (portrait), Femme (santé), Guerre de Crimée (1853-1856), Politique (Internationale), Portrait, Réseau social et politique, Salon, Voyage
20. Paris, Samedi 18 mars 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Le Prince Pierre d'Arenberg, qui part aujourd’hui pour Bruxelles, est venu hier me demander si j’avais quelque chose à vous envoyer. Je n'avais rien du tout. Il n’y a ici rien de nouveau. On ne croit guère à vos nouvelles propositions dont parle le Times, et encore moins à leur efficacité qu'à leur réalité. On parle à peine de la neutralité de la Prusse. Rien ne fait grand effet. On n’a pas plus de goût pour la guerre qu’il y a six semaines, mais on y est plus résigné.
Les préparatifs de l'expédition se font plus vivement depuis huit jours. Quatre ou cinq mille hommes de la garnison de Paris sont partis hier et avant hier par le chemin de fer de Marseille. On attend un corps de cavalerie anglaise qui doit traverser la France. Le maréchal St Arnaud ne partira, dit-on, qu’au commencement d'Avril.
M. Molé était chez moi hier, en même temps que le Prince Pierre. Il a été, pendant deux jours, très inquiet de la Duchesse d’Agen qui avait une fièvre violente sans que rien n'indiqua pourquoi. Une fièvre scarlatine simple et régulière s'est déclarée. Ils ne sont plus inquiets du tout. Mais Molé ferme sa maison. Plus de Mardi.
Mad. de Laborde est morte hier, à midi. Vraie douleur pour ses enfants qui l’aimaient tous beaucoup. C’est une famille très unie, en dépit de toutes les dissidences. Elle est morte d’un retour caché du mal dont elle avait été, il y a deux ans, opérée et guérie.
Avant hier soir, assez de monde chez moi ; Broglie, qui ne me quitte guère, Montalembert, sir Henry Ellis, Senior, Berryer, Moulin, Lavergne, Cuvillier. Fleury, Vitet. Hier soir, j’ai passé une heure, chez Mad. de Montalembert, et la fin de ma soirée chez Broglie. Sa belle fille est bien souffrante, et abattue de sa grossesse. C'est la cinquième. Il n'en faudrait pas, je crains, beaucoup d’autres. Je vous donne les petits détails de la vie de vos connaissances.
Je vois avec plaisir que le banquet du Reform-Club n'a guère réussi en Angleterre. Je l’avais trouvé inconvenant et ridicule. Dans tous ces toasts et speeches, c’est Napier qui a été le plus réservé, et le plus modeste. Rien n’est tel que d'avoir le fardeau sur ses épaules. L'Emprunt sera archi-couvert. Aussi dit-on qu’on le doublera pour mettre sur le champ à profit cet empressement des capitaux, au lieu de lui faire un nouvel appel dans six mois. Ce pays-ci est très riche et s'enrichit tous les jours. Adieu.
Voilà, le facteur qui m’apporte plusieurs lettres, et rien de vous. J'espère Montalembert, sir Henry Ellis, Senior, bien avoir quelque chose, dans la journée. Adieu. Adieu. G.
37. Bruxelles, Samedi 22 avril 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Dimanche 23
Voilà où j’en étais restée hier ; je n’avais absolument pas un mot à vous dire. Aujourd’hui rien non plus que des commérages. On dit que le gouvernement Canrobert n'a rien trouvé de préparé à Galipoli et qu'il est allé s’en plaindre à Constantinople. En Turquie hommes & choses sont épuisés. Tout serait fini si vous n’arriviez.
Le silence d’Andral me parait ominous. Je suis toujours sûre de ce qu'il y a de pire. Ceci serait affreux pour moi. Ni Hélène, ni mon fils, et personne ! Me concevez vous dans cette situation ? Je pense souvent à la cigale & la fourmis. Exacte ressemblance. Comment danser maintenant ? Hier il y a eu ici un orage épouvantable. Trois orages réunis aujourd’hui il fait froid. à quand donc la bataille ? Je sèche d'impatience. Je n’ai pas vu Barrot depuis longtemps. Lord Howardest à la campagne, invisible à tous. Brunnow court les Théâtres. Assis au balcon entre un marchand de toiles & un marchand de bière, causant avec eux de leur industrie, s’instruisant et se rendant très populaire. Si j'essayais cela m'amuserait peut-être. Je suis décidée. Votre lettre m’a décidée. Je ne veux pas que vous me méprisiez un peu plus. Voici des petits papiers. La cire m’a mangé un mot de votre lettre ce matin. Adieu. Adieu.
Savez-vous si Madame. Hatzfeldt est accouchée et de quoi ?
48. Paris, Lundi 24 avril 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
3 heures
Votre N°37 m'arrive à l'instant et je vous écris deux mots par scrupule. Je ne sais rien de nouveau quoique j'aie vu assez de monde ce matin, Ellice, Duchâtel, sir John Boileau & Plus on s'enferme dans la guerre, plus elle paraît impraticable. Tout le monde le dit. Dieu veuille qu’on le croie, qu'on le voie réellement, et qu’on agisse en conséquence. Je ne connais personne qui ne parie pour la paix l'automne prochain. Je vais demander à Andral de sortir de son silence. C'est paresse, et peut-être aussi un peu scrupule. Les médecins n'aiment guère à donner un avis de loin. Je doute beaucoup qu’il donne un avis contraire au premier. Mais cela ne vous suffit pas.
Je n’ai pas entendu dire que Mad. de Hatzfeld fût accouchée si elle l'était, je le saurais. Adieu. Adieu. G.
49. Paris, Mardi 25 avril 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Ce froid me déplait beaucoup. J’ai mal à la gorge, et très mal à propos dans une semaine de meetings et de conversations. Le soleil tout brillant qu’il est, est peu efficace contre le vent dur et sec. Enveloppez-vous bien dans le bois de La Cambre, et n'abusez pas de la voiture ouverte ; vous avez, sur ce dernier point, des habitudes Anglo-russes dont je me méfie. Vous n’avez plus que cela d' Anglo-Russe.
Hier soir, un Comité Protestant et Mad. de Champlouis avec de la musique. Bonne à ce qu’on dit, et à ce que je crois parce qu'elle m’a plu. Vous avez beau vous moquez de mon ignorance ; je persiste à accepter. mon plaisir quand il me vient. Les arts, la musique surtout ont le privilège qu’on n'a pas besoin de s'y connaître pour en jouir. Ils trouvent toujours, dans les plus inexpérimentés, des fibres qu’ils remuent, et qui à leur tour, remuent toute l'âme.
Le traité de la Prusse et de l’Autriche fait de l'effet. On dit qu’il sera communiqué à la Diète de Francfort qui l’approuvera, et qu'alors, c’est-à-dire vers l'automne, au nom de toute l'Allemagne, on demandera aux Puissances belligérantes de mettre fin, par une transaction, à une situation interminable par la guerre. On parle même déjà des bases de la transaction ; on dirait que votre Empereur a eu tort dans les deux moyens qu’il a pris pour imposer à la Porte ses demandes, sa mission du Prince Mentchikoff et l’occupation des Principautés ; mais il avait réellement quelque chose à demander, et la Porte a eu tort de lui refuser toute satisfaction, et les Puissances occidentales ont eu tort de ne pas engager sérieusement la Porte à lui en accorder une. Tous ces torts admis, on en viendrait à l’évacuation des Principautés, et à un congrès, si mieux n’aimaient votre Empereur et la Porte en finir tout de suite par quelque chose d’analogue à la Note de Vienne un peu modifiée et sans commentaire. Voilà les prédictions. Je n’ai pas trouvé Andral hier quand j’ai passé chez lui. Je lui écrivais ce matin pour le presser, si vous ne me dites pas qu’il a répondu.
Les départs commencent. Henriette part lundi prochain pour le Val Richer, avec son mari et son enfant. Pauline et les siens resteront avec moi jusqu’au 19 Mai. Nous ferons les élections de l' Académie Française le 18, et celles de l'Académie des inscriptions le 19 et le soir même je partirai, à ma grande satisfaction. Les Broglie seront retenus un peu plus longtemps à Paris à cause des couches de la belle-fille qui va très bien. Les Ste Aulaire et les Duchâtel seront partis.
Adieu, Adieu. Avez-vous repensé à Mlle de Chériny ou à quelque autre ? Je dois dire que M. de Chériny n'a pas du tout l’air d’une grande dame Allemande à qui il faut apporter sa chaise. Adieu, G
Mots-clés : Académies, Diplomatie, Discours du for intérieur, Enfants (Guizot), Femme (maternité), Femme (portrait), Guerre de Crimée (1853-1856), Musique, Nicolas I (1796-1855 ; empereur de Russie), Politique (Allemagne), Politique (Autriche), Politique (Prusse), Portrait (Dorothée), Réseau social et politique, Santé (Dorothée), Santé (François)
75. Paris, Mercredi 24 mai 1854, François Guizot à Dorothée de Lieven
Journée bien insignifiante hier. Une commission de l'Académie pour juger un concours ; puis l’Académie elle-même jusqu’à 5 heures. Le Duc de Noailles n’y est resté qu’un moment. Il allait entendre, pour la seconde fois, la lettre d’un morceau biographique de Sabine (M. de Standith) sur la vicomtesse de Noailles. Il dit que c’est très bien, mais très bien. Il faut que ce soit très bien pour deux lectures. Le Duc de Noailles est très famille. Molé m'a ramené chez moi. Bien vieux, et toujours de mon avis ; avec cette nuance qu’il en était avant que je lui eusse dit mon avis, ce qui est moins aimable. En rentrant chez moi, Dumon et Mallac. Dumon triste politiquement, content, administrativement ; son chemin de fer va bien. Il part, ces jours-ci pour aller en ouvrir un grand morceau. Duchâtel part demain pour le Bordelais. Molé va s’établir à Champlatreux le 1er Juin. Le Duc de Broglie à Broglie où il ne passera que six semaines. Il ira ensuite, avec son fils Paul, à Coppet, pour ne revenir à Broglie qu'à la fin d'Octobre. Vous voilà au courant les mouvements de mes amis.
J’ai vu la Princesse de Broglie avant hier, relevée de couches, étendue sur son canapé, enveloppée dans une robe de soie rose uni. Elle était charmante.
Je suis dans ma grande tristesse pour ma maison. Et mon grand ennui. Il paraît certain qu’on me chassera l'automne prochain, peut-être au mois d'Octobre. La ville a traité avec une compagnie, dont M. Pereire est le chef et qui se charge de faire le nouveau boulevard de la Madeleine, à la barrière Monceau. Je cherche des appartements. J'en ai vu deux qui sont possibles ; l’un rue du faubourg St Honoré, N°64, en face de Mad. de Pontalba ; l’autre rue du Cirque N°5. Mais je ne serai jamais la moitié aussi bien que je le suis chez moi.
Génie n’avait pas encore vu Rotschild hier. Je crois qu’il le verra demain.
Voilà le traité Austro Prussien dans le Journal des Débats. Mais non pas l'article additionnel et secret qui est le plus grave. Vous le connaissez. Les cas de guerre y sont stipulés bien formellement, et d'après ce que vous me dites de l'État des esprits à Pétersbourg, je doute fort qu’on y commente " à arrêter tout progrès ultérieurs des armées Russes sur la territoire Ottoman et à donner des garanties de la prochaine évacuation des Principautés " Vous payerez cher l’inconvénient des états despotiques, où ni le souverain, ni le peuple ne savent la vérité.
Vous pouvez vous donner le divertissement d'être jalouse de qui vous voudrez ; cela ne tire pas à conséquence. Il y a un peu de vrai, pas tout, mais un peu, dans ce qu’on vous a dit de Mad. Mollien ; quelque prétention, et trop de flatterie.
Qu'est-ce que vous avez à la poitrine ? Toussez-vous ? Je vous demande en grâce de me dire tout sur votre santé. Ma peur est toujours d'en trop rabattre de ce que vous me dites, car j’ai le malheur de ne pas me fier à vos impressions. Grand malheur, vous aimant comme je vous aime. Et de loin !
L'adresse de Génie est rue du faubourg Montmartre, 52. Adieu, Adieu.
Aujourd’hui, j’ai le Consistoire, l'Académie, et je dîne chez Broglie. Je pars toujours pour le Val Richer. Vendredi soir. Vous m'écrirez là vendredi. adieu. G.
102. Ems, Vendredi 21 juillet 1854, Dorothée de Lieven à François Guizot
Encore Ems. Tout était prêt ; mes gens à peu près partis & moi sur le point de monter en voiture hier, j’attendais seulement la poste & mes lettres. En voilà une d’Olliffe qui m'annonce que lui & Morny seront ici aujourd’hui. Je remets mon départ, je les attends. Hélène n’a pas pu attendre, elle est partie et mon fils aussi. Ce matin une lettre de Morny du même jour mais plus dubitative. Cela me vexe. Je n’attendrai pas au delà de demain, et je partirai. Par quoi finira ma tristesse ? Je ne me sens de courage à rien si vous étiez là ! Ah mon Dieu quelle bénédiction, quel bonheur ! Mais personne à qui dire ce que je pense, personne même avec qui causer de ce qui se passe et dans quel moment !
Je ne crois pas du tout à la soit-disant dépêche de Nesselrode à Budbery. C’est trop absurde et d'un ton qui n’est pas à notre usage. Les minoteries à droite et à gauche sont incroyables. Constantin est toujours à Peterhof. La mort du Comte Vorontsov a causé là un vif chagrin. Tout de suite après les couches malheureusement de la Grande Duchesse Catherine, femme du Duc George de Mecklembourg. Elle était très mal et l’enfant mort. On ne parle plus des flottes à Peterhof, ni de la guerre.
Évidemment l’Autriche hésite encore. Cela ne peut cependant pas se prolonger. La Prusse est toujours en grande tendresse pour nous. Les petits allemands attendent avec curiosité. Il me paraît que l’Espagne tout entière à fait son prononciamento. Ce n’est pas mauvais, mais cela peut nous donner du nouveau. L’Europe est bien arrangée ! Adieu & Adieu.